Auto Concrete Curb Ltd. c. Société d'aménagement de la rivière Nation-Sud, [1993] 3 R.C.S. 201
Société d'aménagement de la rivière Nation-Sud
et Kostuch Engineering Limited Appelantes
c.
Auto Concrete Curb Ltd. Intimée
Répertorié: Auto Concrete Curb Ltd. c. Société d'aménagement de la rivière Nation-Sud
No du greffe: 23090.
1993: 14 juin; 1993: 9 septembre.
Présents: Les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1992), 89 D.L.R. (4th) 393, 54 O.A.C. 351, 2 C.L.R. (2d) 262, avec motifs supplémentaires (1992), 89 D.L.R. (4th) 403, 55 O.A.C. 380, 2 C.L.R. (2d) 272, qui a rejeté un appel, accueilli un appel incident et modifié un jugement du juge Yates (1988), 30 C.L.R. 245. Pourvoi accueilli.
J. Bruce Carr‑Harris, Kevin P. Nearing et Bernard McGarva, pour les appelantes.
P. Donald Rasmussen, pour l'intimée.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge McLachlin — Le présent pourvoi résulte d'un contrat de dragage de la rivière Nation-Sud. L'entrepreneur, Auto Concrete Curb Ltd., s'est vu adjuger le contrat en question. Il proposait de recourir à une méthode de succion qui nécessitait de vastes terrains de déversement où l'eau serait séparée de la boue et retournée à la rivière. La méthode qui avait été employée par d'autres entrepreneurs sur d'autres tronçons des travaux était différente; elle consistait à enlever la boue au moyen de pelles rétrocaveuses mécaniques et à la transporter ailleurs par camion. L'entrepreneur n'a pas pu obtenir les permis nécessaires pour effectuer les travaux en utilisant la méthode de succion. Par conséquent, il a dû recourir à d'autres procédés et a perdu beaucoup d'argent.
L'entrepreneur intimé a poursuivi Kostuch Engineering Limited, le cabinet d'ingénieurs qui avait préparé le cahier des charges, et la Société d'aménagement de la rivière Nation-Sud qui avait publié l'appel d'offres. L'action reposait sur l'allégation selon laquelle l'ingénieur aurait dû informer l'entrepreneur de la nécessité d'obtenir des permis et l'avertir qu'ils pourraient être difficiles à obtenir. L'omission de le faire, a‑t‑on soutenu, constituait une déclaration inexacte faite par négligence à laquelle l'entrepreneur s'est fié à son détriment.
Les juridictions inférieures ont statué en faveur de l'entrepreneur. Se fondant sur les témoignages présentés au procès par des ingénieurs, le juge de première instance a statué qu'un ingénieur compétent aurait prévu le dragage de la boue en préparant l'appel d'offres relatif au projet. Compte tenu de cela, il a conclu que l'appel d'offres avait été préparé de façon négligente puisqu'on n'y formulait aucune restriction ou réserve au sujet de la méthode d'excavation, ni aucun avertissement au sujet des permis requis pour utiliser la méthode de succion. La Cour d'appel (1992), 89 D.L.R. (4th) 393, a refusé de modifier cette conclusion.
J'estime, en toute déférence, que les juridictions inférieures ont commis une erreur en concluant que la norme de diligence imposée à l'ingénieur qui prépare un appel d'offres l'oblige à informer les entrepreneurs éventuels de la nécessité d'obtenir des permis pour effectuer les travaux au moyen de la méthode particulière qu'ils proposent. Même si les ingénieurs qui ont témoigné ont laissé entendre qu'ils auraient pu le faire, ce n'est pas concluant en ce qui concerne la norme juridique de diligence applicable. Il fallait aller au‑delà des témoignages et examiner quelle norme juridique de diligence s'appliquait dans ces circonstances.
Il est établi depuis longtemps qu'à moins d'arrangements contraires précis la méthode qu'un entrepreneur choisit pour exécuter les travaux relève de sa responsabilité et que ni le propriétaire ni les concepteurs professionnels qui travaillent pour ce dernier n'ont l'obligation de conseiller l'entrepreneur sur la méthode à choisir ou sur la façon de s'y prendre pour exécuter les travaux, quelle que soit la méthode que l'entrepreneur choisit en fait. (Voir R. c. Paradis and Farley Inc., [1942] R.C.S. 10, à la p. 18; Vermont Construction Inc. c. Beatson, [1977] 1 R.C.S. 758, aux pp. 767 et 768; Temar Construction Ltd. c. West Hill Redevelopment Co. (1986), 21 C.L.R. 156 (H.C. Ont.), aux pp. 168 et 169; Beverley M. McLachlin et Wilfred J. Wallace, The Canadian Law of Architecture and Engineering, à la p. 145; Hudson's Building and Engineering Contracts (10e éd. 1970), aux pp. 529 et 530; Halsbury's Laws of England, 4e éd., vol. 4, à la p. 626, par. 1231, et à la p. 686, par. 1344). Cette règle établie définit la responsabilité juridique et n'est pas abolie du fait que certains concepteurs professionnels peuvent effectivement choisir de conseiller les entrepreneurs sur les méthodes qu'ils décident d'utiliser et sur les problèmes qui peuvent être associés au choix d'une méthode particulière.
En appliquant cette règle aux faits de la présente affaire, je suis convaincue que l'ingénieur n'avait pas le devoir de diligence de conseiller l'entrepreneur sur les problèmes qu'il pourrait rencontrer dans l'obtention des permis pour effectuer les travaux de la façon qu'il proposait. On a également soutenu que, de toute façon, l'entrepreneur ne s'était pas fié à l'ingénieur. J'estime qu'il n'est pas nécessaire d'examiner cette question.
Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi avec dépens en faveur des appelantes dans toutes les cours.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs des appelantes: Scott & Aylen, Ottawa.
Procureurs de l'intimée: Rasmussen, Starr, Ruddy, Ottawa.