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21/10/1993 | CANADA | N°[1993]_4_R.C.S._199

Canada | R. c. Felawka, [1993] 4 R.C.S. 199 (21 octobre 1993)


R. c. Felawka, [1993] 4 R.C.S. 199

Kenneth Jay Felawka Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Felawka

No du greffe: 22783.

1993: 1er avril; 1993: 21 octobre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1991), 3 B.C.A.C. 241, 7 W.A.C. 241, 68 C.C.C. (3d) 481, 9 C.R. (4th) 291, qui a rejeté l'ap

pel interjeté par l'accusé contre sa déclaration de culpabilité relativement à une accusation de port illégal d'une...

R. c. Felawka, [1993] 4 R.C.S. 199

Kenneth Jay Felawka Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Felawka

No du greffe: 22783.

1993: 1er avril; 1993: 21 octobre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1991), 3 B.C.A.C. 241, 7 W.A.C. 241, 68 C.C.C. (3d) 481, 9 C.R. (4th) 291, qui a rejeté l'appel interjeté par l'accusé contre sa déclaration de culpabilité relativement à une accusation de port illégal d'une arme dissimulée en contravention de l'art. 89 du Code criminel. Pourvoi rejeté, le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et McLachlin sont dissidents.

Richard C. C. Peck, c.r., pour l'appelant.

William F. Ehrcke, pour l'intimée.

Version française des motifs du juge en chef Lamer et du juge Sopinka rendus par

Le juge en chef Lamer (dissident) — J'ai lu les motifs du juge Cory, mais je ne puis malheureusement y souscrire. Je suis d'accord avec le juge Gibbs de la Cour d'appel, dissident, pour dire qu'il n'est pas nécessaire, pour trancher le présent pourvoi, de définir l'exigence en matière de mens rea liée au terme «dissimulée» à l'art. 89 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. À mon avis, on peut régler le présent pourvoi en déterminant si l'accusé portait une «arme» au sens de l'art. 89. Cette façon de procéder permet de respecter les principes constitutionnels de justice fondamentale et d'éviter les «facteurs qui créent des complications» associés à la façon dont la majorité traite de l'élément moral de l'art. 89.

Une arme à feu n'est pas nécessairement une «arme» au sens du Code

Pour qu'un accusé soit déclaré coupable aux termes de l'art. 89, il faut démontrer hors de tout doute raisonnable qu'il a (1) porté, (2) une arme, (3) qu'il a dissimulée. Il ressort des faits de l'espèce que l'accusé «portait» une carabine. Cette carabine était une «arme à feu» aux termes de l'art. 84 du Code, qui disposait:

84. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.

. . .

«arme à feu» Toute arme, y compris une carcasse ou chambre d'une telle arme ainsi que toute chose pouvant être adaptée pour être utilisée comme telle, susceptible, grâce à un canon qui permet de tirer du plomb, des balles ou tout autre projectile, d'infliger des lésions corporelles graves ou la mort à une personne.

Toutefois, la carabine constituait‑elle une «arme» dans les circonstances de l'espèce? L'article 2 du Code définissait une «arme» de la manière suivante:

«arme»

a) Toute chose utilisée ou qu'une personne entend utiliser pour tuer ou blesser une personne, qu'elle soit ou non conçue pour cela;

b) toute chose utilisée pour menacer ou intimider quelqu'un;

le terme s'entend notamment d'une arme à feu au sens de l'article 84.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles je ne puis convenir qu'une arme à feu constitue toujours une arme, quelle que soit l'intention de la personne qui la porte. D'abord, je fais mienne l'interprétation que fait le juge Gibbs de l'art. 2:

[traduction] À mon avis, le terme «notamment» qui est mentionné vise l'expression «toute chose», et l'article signifie que «toute chose» sans limiter son sens ordinaire, comprend une arme à feu telle que définie à l'art. 84, et elle ne devient une arme que si elle est utilisée, ou qu'une personne entend l'utiliser, pour tuer ou blesser une autre personne ou pour la menacer ou l'intimider.

((1991), 68 C.C.C. (3d) 481, à la p. 496.)

Je conviens également avec le juge Gibbs (à la p. 497) qu'une interprétation de l'art. 2 selon laquelle une arme à feu est une arme, peu importe la fin pour laquelle l'accusé l'utilise ou a l'intention de l'utiliser,

[traduction] . . . entraînerait une anomalie ou une incohérence indésirables en créant deux catégories de personnes visées à l'art. 89. Appartiendraient à une première catégorie les personnes qui dissimulent des objets qui ne sont pas des armes à feu, peu importe le caractère meurtrier de l'objet, qui pourront profiter des al. a) et b). L'autre catégorie serait formée des personnes qui dissimulent des armes à feu, qui ne pourraient se prévaloir de ces alinéas et, pour elles, l'art. 89 deviendrait essentiellement un article prévoyant une interdiction absolue.

Qui plus est, je ne voudrais pas que l'art. 2 puisse être interprété d'une manière susceptible d'entraîner des résultats injustes. Je ne crois pas que la personne moralement innocente qui dissimule un fusil simplement pour le garder hors de la portée d'un enfant curieux, et non dans le but de tuer ou blesser une autre personne ou de la menacer ou l'intimider, devrait être coupable de l'infraction criminelle de dissimulation d'une arme.

Notre Cour a déclaré, à maintes reprises, que lorsqu'il y a deux interprétations possibles d'une loi, il y a lieu de préférer celle qui est conforme à la Charte canadienne des droits et libertés: voir R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, à la p. 660; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, le juge Lamer, à la p. 1078; et Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513, le juge L'Heureux‑Dubé au nom de la majorité, à la p. 558. Étant donné qu'une déclaration de culpabilité en application de l'art. 89 du Code porterait atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne de l'accusé, il faut respecter les principes de justice fondamentale. Dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, notre Cour a conclu que lorsqu'une infraction est créée, les principes de justice fondamentale exigent un état d'esprit minimum. Cette position a été énoncée de nouveau dans l'arrêt R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636, dans lequel j'ai dit au nom de la majorité à la p. 653:

Il se peut bien qu'en règle générale les principes de justice fondamentale exigent la preuve d'une mens rea subjective à l'égard de l'acte prohibé, afin d'éviter de punir «celui qui est moralement innocent».

Dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., précité, notre Cour a conclu que la responsabilité absolue, combinée à une atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne, constituait à première vue une violation de l'art. 7 de la Charte.

Tout comme le juge Gibbs, j'estime que les principes de justice fondamentale consacrés dans la Charte, combinés à la logique du texte et à la forme de l'art. 2 du Code, n'amènent à conclure qu'une arme à feu ne peut être une «arme» au sens des art. 2 et 89 que si la personne qui l'a en sa possession l'a utilisée ou a l'intention de l'utiliser pour tuer ou blesser une personne ou pour la menacer ou l'intimider.

Toutefois, contrairement à un marteau ou à une brique, une arme à feu sert essentiellement à tuer et à blesser. Par conséquent, la dissimulation d'une arme à feu crée inévitablement la présomption, à moins qu'elle ne soit contredite, qu'elle est portée comme une «arme» au sens de l'art. 2. Bien que le ministère public soit tenu de démontrer hors de tout doute raisonnable les éléments nécessaires de l'infraction de dissimulation d'une arme, il sera en mesure de se fonder sur cette présomption à moins qu'un certain élément de preuve au dossier ne soulève un doute raisonnable sur la raison pour laquelle l'arme à feu est portée de façon dissimulée.

Application des principes à l'espèce

D'après les faits de l'espèce, je conclus que l'appelant a soulevé le doute raisonnable nécessaire que la carabine qu'il transportait n'avait pas été utilisée ou n'était pas destinée à être utilisée pour tuer, blesser, menacer ou intimider une personne. Selon les termes du juge Gibbs (à la p. 497):

[traduction] Il peut sembler contradictoire de mentionner l'absence de conduite ou d'intention répréhensibles et l'absence d'intention coupable en relation avec le fait de transporter une carabine en public. Toutefois, comme il détenait une autorisation d'acquisition d'armes à feu valide, l'appelant avait le droit d'être en possession de la carabine. Et, dans l'état actuel du droit en matière de contrôle des armes à feu au Canada, il ne violait aucune loi parce qu'il l'avait en sa possession dans un endroit public. Qui plus est, il l'avait dissimulée dans sa veste dans un but parfaitement louable, parce qu'il était d'avis que «ce n'est pas correct de transporter un fusil à découvert». Par conséquent, il était innocent de toute conduite ou intention répréhensibles ou antisociales.

Compte tenu du fait que je conclus que l'appelant ne transportait pas une «arme» au sens des art. 2 et 89 du Code criminel, à mon avis il n'est pas nécessaire d'examiner le troisième élément de l'infraction visée à l'art. 89 — savoir, s'il avait «dissimulé» une arme.

Dispositif

En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner un acquittement.

Version française des motifs rendus par

Le juge La Forest — Je suis, de manière générale, en accord avec les motifs du juge Cory. Toutefois, je préfère ne pas prendre position de façon définitive pour ce qui est de l'interaction entre l'interdiction de dissimuler des armes qui figure dans le Code criminel et les dispositions réglementaires concernant leur entreposage, leur manipulation et leur transport. De prime abord, j'aurais tendance à penser que le Parlement n'a simplement pas envisagé que le respect de ces règlements constituerait une dissimulation. Il faut tenir pour acquis que celui-ci a reconnu la nécessité d'une réglementation et qu'il était au courant de son existence.

Version française du jugement des juges L'Heureux-Dubé, Gonthier, Cory, Iacobucci et Major rendu par

Le juge Cory — Le présent pourvoi soulève deux questions, dont l'une, plus simple, est de savoir si une arme à feu est une arme au sens de la définition énoncée à l'art. 2 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. La seconde question consiste à déterminer la mens rea de l'infraction de port d'une arme dissimulée décrite à l'art. 89 du Code.

Les faits

Felawka détenait une autorisation valide d'acquisition d'armes à feu. En avril 1988, muni de sa carabine de calibre .22, il est allé avec une amie s'exercer au tir près de la ville de Hope (Colombie‑Britannique). Sur le chemin du retour, il s'est arrêté à la résidence de son amie à Burnaby. Lorsqu'il a décidé de partir chez lui, il a utilisé le Skytrain, moyen de transport public.

Lorsqu'il est monté à bord du Skytrain à la station Metrotown, il avait enveloppé sa carabine dans sa veste, estimant que ce n'était pas [traduction] «correct» de la transporter à découvert. Deux passagères ayant pris peur ont avisé un employé du Skytrain que Felawka paraissait porter une tenue d'armée et un fusil. En fait, M. Felawka était plutôt vêtu de vêtements de travail verts. Lorsque l'employé du Skytrain lui a demandé ce qu'il avait dans sa veste, l'appelant a répondu en riant qu'il s'en allait [traduction] «faire une tuerie». Le juge du procès a cru le témoignage de l'appelant qu'il avait fait ce commentaire regrettable par plaisanterie.

Felawka a quitté le Skytrain pour monter à bord d'un autobus de correspondance qui devait l'amener chez lui. Trois agents de police en tenue civile sont montés à bord du même autobus à environ 23 h 30. Ils se sont rendus à l'arrière de l'autobus, où l'appelant prenait place. Lorsque l'un des agents a crié [traduction] «Police municipale», M. Felawka a semblé tendre la main vers sa carabine. Les agents ont alors sorti leurs revolvers et l'ont arrêté. Cet épisode aurait pu avoir des conséquences tragiques puisque, selon les témoignages, le chargeur de la carabine contenait une cartouche chargée et Felawka transportait dans sa poche un second chargeur muni d'une cartouche chargée.

L'appelant a été accusé relativement à deux chefs: port d'une arme dans un dessein dangereux pour la paix publique et port illégal d'une arme dissimulée.

Les juridictions inférieures

a) Première instance (le juge Smith de la Cour provinciale)

Le juge du procès a acquitté l'appelant relativement au premier chef de possession d'une arme dans un dessein dangereux pour la paix publique. Il a conclu que, bien que stupide, la déclaration de l'appelant qu'il s'en allait faire une tuerie avait été lancée par plaisanterie. En outre, il n'était pas convaincu hors de tout doute raisonnable que Felawka tentait de saisir sa carabine lorsque la police l'a confronté. Il a plutôt estimé que Felawka avait peut‑être eu une réaction naturelle en se tournant vers sa droite pour échapper à ce qu'il croyait être un danger, soit les trois agents en tenue civile. Comme il n'y avait aucune preuve que l'appelant avait l'intention d'utiliser l'arme dans un dessein dangereux pour la paix publique, cette accusation a été rejetée.

Le juge du procès a toutefois déclaré l'appelant coupable d'avoir porté une arme dissimulée en contravention de l'art. 89 du Code criminel (auparavant l'art. 87). Invoquant R. c. Lemire (1980), 57 C.C.C. (2d) 561 (C.A.C.‑B.), il a statué que la seule intention requise pour établir l'infraction, était que l'appelant avait l'intention de dissimuler l'arme.

b) La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1991), 68 C.C.C. (3d) 481

(i) Le jugement majoritaire

Au nom de quatre juges de la cour, le juge Toy a confirmé la déclaration de culpabilité. Il a examiné soigneusement la jurisprudence pertinente avant de conclure qu'il incombait au ministère public de prouver que l'accusé (1) portait (2) une arme et (3) que, sachant que l'objet qu'il portait était une arme, il l'a dissimulé. À son avis, la seule question en litige dans la présente affaire était la nature de la mens rea requise dans le cadre de l'art. 89. À ce sujet, il a écrit, à la p. 494:

[traduction] La mens rea requise pour établir l'infraction est la connaissance de l'accusé des caractéristiques de l'objet ou du dispositif qu'on a allégué être une arme et son intention connexe de faire en sorte que l'objet ne soit ni décelé ni remarqué par les citoyens au moment où il le porte.

Le juge a conclu que l'affirmation de l'appelant, selon laquelle il n'avait pas la mens rea requise étant donné la raison sans malice pour laquelle il a dissimulé l'arme, ne pouvait être retenue. Il a indiqué que le motif de la dissimulation de l'arme n'était pas un élément essentiel du crime décrit à l'art. 89. Il a ensuite déclaré qu'à son avis, l'accusé ne pouvait invoquer en défense à une accusation portée en vertu de l'art. 89 même le motif le plus louable pour dissimuler une arme.

(ii) Le jugement dissident

Le juge dissident aurait accueilli l'appel, pour le motif qu'une arme à feu ne devient une arme que si elle est utilisée ou qu'une personne entend l'utiliser pour tuer, blesser, menacer ou intimider quelqu'un.

Dispositions pertinentes du Code criminel

2. . . .

«arme»

a) Toute chose utilisée ou qu'une personne entend utiliser pour tuer ou blesser une personne, qu'elle soit ou non conçue pour cela;

b) toute chose utilisée pour menacer ou intimider quelqu'un;

le terme s'entend notamment d'une arme à feu au sens de l'article 84.

89. Est coupable:

a) soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans;

b) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire,

quiconque porte une arme dissimulée, à moins qu'il ne soit titulaire d'un permis en vertu duquel il peut légalement la porter.

L'arme à feu est‑elle une arme au sens de l'art. 2?

L'appelant soutient, comme l'a fait la minorité en Cour d'appel, qu'une arme à feu n'est pas une arme au sens de la définition de ce terme à l'art. 2, à moins qu'elle soit utilisée ou qu'une personne entende l'utiliser pour tuer, blesser, menacer ou intimider. Je ne peux retenir sa prétention.

Le paragraphe 84(1) définissait ainsi l'arme à feu à l'époque:

«arme à feu» Toute arme, y compris une carcasse ou chambre d'une

telle arme ainsi que toute chose pouvant être adaptée pour être utilisée comme telle, susceptible, grâce à un canon qui permet de tirer du plomb, des balles ou tout autre projectile, d'infliger des lésions corporelles graves ou la mort à une personne.

À mon avis, l'arme à feu doit être visée par la définition du terme «arme». L'arme à feu est expressément conçue pour tuer ou blesser. Elle est d'une efficacité meurtrière lorsqu'il s'agit d'exécuter l'objet pour lequel elle est conçue. Elle peut donc, de toute évidence, être utilisée pour menacer ou intimider. En fait, on peut difficilement imaginer quoi que ce soit de plus intimidant ou dangereux qu'une arme à feu brandie. La personne qui brandit un fusil en criant «haut les mains!» peut raisonnablement s'attendre à être obéie. Une arme à feu est tout à fait différente du couteau à découper ou du pic à glace, lesquels sont normalement utilisés à des fins légitimes. L'arme à feu, elle, est toujours une arme. Peu importe l'intention de la personne qui porte un fusil, l'arme à feu incarne en soi la menace suprême de mort aux yeux de ceux qui y font face.

La définition du terme «arme» à l'art. 2 doit inclure l'arme à feu telle qu'elle est définie à l'art. 84. Ainsi, l'art. 88 du Code criminel prévoit qu'est coupable d'une infraction quiconque, sans excuse légitime, a en sa possession une arme alors qu'il assiste ou se rend à une assemblée publique. La présence d'une arme à feu à une assemblée publique présenterait en soi une menace et constituerait une intimidation pour toutes les personnes présentes. Les rédacteurs de la loi ne peuvent réellement avoir eu l'intention de permettre qu'une personne amène impudemment son fusil à une assemblée publique pourvu qu'elle ne l'utilise pas ou qu'elle n'ait pas l'intention de l'utiliser pour blesser, menacer ou intimider. En réalité, la proposition même fait ressortir la nature inconcevable d'une définition ayant un tel résultat.

L'article 2 confirme qu'une arme à feu est, par définition, une arme:

«arme»

a) Toute chose utilisée ou qu'une personne entend utiliser pour tuer ou blesser une personne, qu'elle soit ou non conçue pour cela;

b) toute chose utilisée pour menacer ou intimider quelqu'un;

le terme s'entend notamment d'une arme à feu au sens de l'article 84.

Enfin, je suis tout à fait d'accord avec la prétention de l'intimée suivant laquelle, si la définition d'«arme» avancée par l'appelant était acceptée, la dernière phrase de la définition qui renvoie précisément aux armes à feu au sens de l'art. 84 du Code criminel serait alors tout à fait redondante. Voir également les motifs de la Cour d'appel de l'Ontario dans R. c. Formosa (1993), 79 C.C.C. (3d) 95, où la cour a également statué que l'arme à feu est visée par la définition du terme «arme» énoncée à l'art. 2 du Code criminel.

La mens rea requise sous le régime de l'art. 89

L'infraction décrite à l'art. 89 comporte trois éléments. Le ministère public doit établir que l'accusé (1) porte (2) un objet qui est une arme et qu'il sait être une arme (3) de façon à le dissimuler. Quelle devrait être la mens rea relativement à cette infraction? Est‑ce suffisant que le ministère public établisse l'intention de l'accusé de dissimuler l'objet qu'il savait être une arme, c'est‑à‑dire son intention de faire en sorte que les autres ne sachent pas qu'il avait une arme, de la soustraire aux regards ou de la cacher? Ou, par ailleurs, le ministère public doit‑il prouver que l'accusé était en possession de l'arme et la dissimulait à une fin illégale? Un certain nombre de décisions, pas toutes unanimes, ont été rendues sur cette question.

Dans R. c. Hanabury (1970), 1 C.C.C. (2d) 438 (C.S.Î.‑P.‑É.), une baïonnette a été trouvée sous le côté gauche de la banquette avant d'une automobile conduite par l'accusé. Ce dernier a admis savoir que la baïonnette était une arme et l'avoir achetée pour l'utiliser en camping. Toutefois, comme elle n'était pas suffisamment tranchante pour l'usage auquel il la destinait, il ne l'a jamais utilisée. Il a été jugé puis déclaré coupable. En appel, bien qu'il ait rejeté sa prétention selon laquelle il ne «portait» pas l'arme, le juge Nicholson a annulé la déclaration de culpabilité pour le motif que l'intention nécessaire n'avait pas été établie. À la page 445, il a écrit:

[traduction] La dissimulation [. . .] doit [. . .] traduire une tentative ou un effort conscient de la part de l'accusé de dissimuler l'arme de sorte qu'elle ne puisse être facilement trouvée. J'estime que le port d'une arme doit être illégal ou destiné à un fin illégale pour que la dissimulation soit imputée à l'accusé. La baïonnette en question n'est pas le genre d'objet qu'une personne transporterait à la vue de tous ou sur la banquette avant d'une automobile autant pour le motif qu'agir ainsi est illégal ou que la personne pourrait se voir attribuer une intention illégale, que pour éviter qu'elle soit volée ou simplement pour la ranger. [Je souligne.]

Dans R. c. Coughlan (1974), 17 C.C.C. (2d) 430 (C.S. Alb.), l'accusé avait dans sa poche un coup‑de‑poing américain. Comme explication, il a témoigné l'avoir amené pour le montrer à un ami intéressé. Il a déclaré qu'en le mettant dans sa poche, il n'avait pas l'intention de le dissimuler ni de l'utiliser comme une arme. En appel, le juge Cavanagh a infirmé la déclaration de culpabilité. Bien qu'il ait été d'accord avec le juge Nicholson dans Hanabury, précité, pour dire que pour qu'il y ait dissimulation il doit y avoir un effort conscient de soustraire l'arme aux regards, il n'est pas allé aussi loin que lui en exigeant qu'il y ait une fin illégale pour qu'une déclaration de culpabilité soit prononcée.

L'article a ensuite été examiné dans R. c. Lemire, précité. Dans cette affaire, l'accusé a été trouvé en possession d'un tuyau en plomb, recouvert d'un ruban, auquel un bout de chaîne était attaché. L'accusé avait placé dans sa ceinture sous sa veste l'objet qui, à courte portée, pouvait être une arme redoutable. Toutefois, aucune preuve n'a démontré que l'accusé avait l'intention de le cacher. Le juge du procès l'a acquitté en se fondant sur les motifs que le juge Cavanagh a exposés dans R. c. Coughlan, précité. En appel, le juge en chef Nemetz a rejeté le raisonnement dans l'arrêt Coughlan et a rendu un verdict de culpabilité. Selon lui, dans la mesure où il a déterminé que pour établir la mens rea il faut prouver que l'accusé a soustrait l'arme aux regards dans le but de la dissimuler, l'arrêt Coughlan était erroné. Il a ensuite exprimé l'avis que le ministère public est tenu de ne démontrer que l'intention de l'accusé de placer l'arme dans un endroit dissimulé.

Dans la présente affaire, le juge Toy de la Cour d'appel a estimé que le juge en chef Nemetz s'était mépris sur le raisonnement de Coughlan qui, selon lui, était correct. Il a concilié les arrêts Lemire et Coughlan en statuant qu'ils ne contenaient aucune différence importante quant à l'élément moral requis relativement à la dissimulation.

Quelle devrait donc être la mens rea pour cette infraction? On peut peut‑être trancher la question en considérant le but ou l'objet de l'article même. La présence d'une arme nue renferme un élément extrêmement menaçant et intimidant. La présence d'une arme dissimulée est encore plus sinistre. Il n'y a pas de doute que le législateur qui a adopté l'art. 89 estimait que les armes sont généralement dissimulées par des personnes qui sont sur le point de commettre un crime ou qui prennent la fuite après en avoir commis un. Manifestement, l'article vise notamment à dissuader le voleur de banque éventuel qui pourrait être arrêté sur le chemin de la banque, un fusil à canon tronçonné dissimulé dans la jambe de son pantalon. J'estime toutefois que l'article vise un objectif plus général. Tous les Canadiens ont le droit de se sentir protégés contre la menace sinistre que présente une arme dissimulée. Si on venait à considérer qu'il est légal de transporter des armes dissimulées, de plus en plus de Canadiens pourraient croire qu'il est prudent de les porter pour se défendre, eux et leur famille. On pourrait alors voir naître une attitude d'auto‑défense qui risquerait fort d'entraîner une escalade de la violence au sein de la société canadienne. Les Canadiens sont amplement satisfaits de la sécurité qu'offrent les règlements stricts sur la propriété et l'utilisation d'armes à feu. Ils ont le droit de s'attendre à ce que la dissimulation d'armes soit également interdite ou adéquatement réglementée. Afin d'atteindre le but de l'art. 89 et de respecter son objet, il semble alors que l'intention ou l'élément moral requis devrait être l'intention de l'accusé de cacher un objet qu'il sait être une arme.

Si nombre de facteurs appuient une telle position relativement à l'élément mental, d'autres créent des complications. Par exemple, les carabines et fusils de chasse doivent être transportés en direction et en provenance du camp de chasse. Plusieurs provinces ont des règlements relatifs au transport et au port du fusil de chasse. Par exemple, le par. 22(1) de la Loi sur la chasse et la pêche de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. G.1, prévoit:

22 (1) Nul ne doit avoir en sa possession une arme à feu dans une localité où vit ou se trouve habituellement du gibier, pendant la période comprise entre la demi‑heure qui suit le coucher du soleil et celle qui précède son lever, sauf si l'arme est déchargée et rangée dans un étui. [Je souligne.]

Le règlement de la Nouvelle‑Écosse (N.S. Reg. 144/39, par. 8(4), modifié par 178/90 et 176/92) interdit à quiconque d'avoir une arme à feu dans un véhicule sauf si elle est rangée dans un étui. D'autres règlements provinciaux requièrent que l'arme à feu soit transportée dans un étui ou complètement enveloppée dans une couverture ou une toile attachée solidement autour de l'arme à feu ou dans le coffre du véhicule.

Suivant un principe général d'interprétation des lois au Canada, lorsqu'une loi fédérale valide entre en conflit avec une loi provinciale valide, la théorie de la prépondérance rend la loi provinciale inopérante. C'est ce qu'a indiqué le juge La Forest dans l'arrêt Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121, aux pp. 151 et 152. Toutefois, lorsque c'est raisonnablement possible, les tribunaux se gardent de considérer les lois comme conflictuelles. Dans l'arrêt Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a affirmé à la p. 191:

En principe, il ne semble y avoir aucune raison valable de parler de prépondérance et d'exclusion sauf lorsqu'il y a un conflit véritable, comme lorsqu'une loi dit «oui» et que l'autre dit «non»; «on demande aux mêmes citoyens d'accomplir des actes incompatibles»; l'observance de l'une entraîne l'inobservance de l'autre.

Dans ce domaine du droit, la réglementation des armes à feu n'est pas monolithique. Un éventail de lois réglementent les armes à feu à des fins diverses. Au niveau fédéral, compte tenu du grave danger que présentent les fusils, la réglementation en matière d'armes à feu relève de la compétence en matière de droit criminel conférée par le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867. Voir l'arrêt Attorney‑General of Canada c. Pattison (1981), 59 C.C.C. (2d) 138 (C.A. Alb.), approuvé dans l'arrêt R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, à la p. 1000. Par ailleurs, les règlements provinciaux relatifs à l'utilisation d'armes à feu pour chasser relèvent de la compétence provinciale en raison de leur nature locale (par. 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867) ou du fait qu'ils sont relatifs à la propriété et aux droits civils (par. 92(13)), comme l'a noté le juge La Forest de la Cour d'appel (maintenant juge de notre Cour) dans l'arrêt R. c. Chiasson (1982), 135 D.L.R. (3d) 499, confirmé par [1984] 1 R.C.S. 266. Dans l'arrêt Myran c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 137, à la p. 141, le juge Dickson a fait remarquer que la province avait un intérêt à prendre des règlements visant ceux qui autrement «chasser[aient] dangereusement au mépris de la sécurité des gens du voisinage». Il s'agit donc d'un domaine à l'égard duquel les deux paliers de gouvernement détiennent un intérêt légitime et des pouvoirs de réglementation qui se chevauchent. La seule présence de restrictions provinciales en matière d'armes à feu ne soulève donc à elle seule aucune question de prépondérance en autant que les deux textes législatifs peuvent être conciliés.

Compte tenu de ces principes, il s'agit maintenant de déterminer si les textes législatifs provinciaux contraignent les citoyens à braver l'interdiction fédérale relativement à la dissimulation d'armes.

Pourrait‑on dire d'une personne qui respecte le règlement provincial qu'elle viole l'art. 89? Je ne le crois pas. En pratique, l'étui à fusil est un objet courant qui signale généralement à tous exactement ce qu'il est. Dans un grand nombre de cas, les carabines ou fusils de chasse sont vendus dans un étui. En fait, on peut difficilement imaginer le propriétaire d'un fusil ne transportant pas son fusil dans un étui s'il veut éviter qu'il rouille et qu'il en vienne à mal fonctionner. Comme l'étui à fusil a la forme d'une arme à feu, on ne peut pas dire qu'il dissimule une arme. On pourrait soutenir que certains étuis destinés au transport de fusils coûteux utilisés pour les compétitions de tir au pigeon d'argile ou de ball‑trap ressemblent plus à une serviette qu'à un étui à fusil. Sans doute, mais il est possible et nécessaire d'indiquer clairement sur ces étuis qu'ils sont des étuis à fusil. Un fusil rangé dans un étui ou solidement enveloppé dans une toile ne devrait pas être considéré comme caché ou dissimulé. Il ressemble toujours à un fusil et il est transporté d'une manière qui ne viole pas l'art. 89. Ainsi, s'il respecte le règlement provincial, le propriétaire d'un fusil ne viole pas l'art. 89.

Les règlements qui causent le plus de problèmes sont ceux qui contraignent le propriétaire à ranger son fusil dans un coffre ou un compartiment à bagage, soit un endroit qui, de l'extérieur, n'indique pas au public la présence d'un fusil. Le législateur fédéral a récemment pris un règlement sur le transport des armes à feu qui permet à une personne de transporter une arme à feu à bord d'un véhicule non surveillé seulement s'il s'agit d'une arme à feu non chargée et si elle se trouve dans le coffre verrouillé ou si elle n'est pas visible de l'extérieur du véhicule verrouillé: Règlement sur l'entreposage, la mise en montre, la manipulation et le transport de certaines armes à feu, DORS/92‑459, par. 10(2), 12(2) et (3). À mon avis, il s'agit là d'un règlement judicieux, qui vise manifestement à empêcher le vol d'armes à feu dans les véhicules non surveillés. Une arme à feu volée peut être utilisée à mauvais escient et constitue donc un danger sérieux pour la société. Le respect de ce règlement très sensé ne devrait pas entraîner une déclaration de culpabilité relativement à l'infraction de port d'une arme dissimulée. Au contraire, il devrait être considéré comme une exception à l'interdiction par ailleurs prévue à l'art. 89.

Il va sans dire que, en général, les règlements ne peuvent créer d'exceptions à leur loi habilitante. Mais comme le remarquent R. Dussault et L. Borgeat dans Traité de droit administratif (2e éd. 1984), t. 1, à la p. 522:

. . . un bon nombre de lois contiennent des dispositions qui permettent la modification par règlement de la portée ou du champ d'application de la loi habilitante. Ainsi, très souvent, la nature du pouvoir délégué est telle que l'adoption d'un règlement implique nécessairement une certaine modification de la loi. [Je souligne.]

En l'espèce, le règlement fédéral est pris en application de l'al. 116(1)g) du Code, modifié par L.C. 1991, ch. 40, art. 28, qui prescrit des règles relatives à «l'entreposage, la mise en montre, la manipulation et le transport des armes à feu». En conférant le pouvoir de réglementer l'entreposage — qui diffère de la mise en montre — et le transport, le législateur a expressément prévu des règlements qui impliquent un certain degré de dissimulation des armes en cause. En vertu de l'al. 116(1)g), le règlement précité n'entre pas en conflit avec l'art. 89, bien qu'il en déroge et permette, dans certains cas limités, lorsque le véhicule n'est pas surveillé, le rangement d'une arme à feu dans un coffre sans qu'elle soit «dissimulée».

Le respect du règlement fédéral conçu pour protéger le public contre le danger que présente le vol d'armes ne devrait pas entraîner une déclaration de culpabilité en vertu de l'art. 89 du Code criminel. Les objectifs du règlement et de la disposition du Code sont différents mais complémentaires. Ils visent tous les deux à protéger la société contre la menace de violence qui résulte de la présence d'armes à feu dans un endroit public. Ils doivent donc être interprétés d'une manière qui évite les conflits et qui serve leurs objectifs.

Des règles semblables existent à l'échelle provinciale. En vertu des al. 42(2)c), (3)e) et (4)c) de la Loi sur la pêche sportive et la chasse, L.N.‑B. 1980, ch. F‑14.1, du Nouveau‑Brunswick et des al. 80(2)c), (3)e) et (4)c) de la Wildlife Act, R.S.N.S. 1989, ch. 504, de la Nouvelle‑Écosse, une arme à feu doit être sous clé dans le coffre d'un véhicule si elle n'est pas rangée dans un étui ou enveloppée et attachée. Ici encore, il n'en découle aucun conflit avec l'art. 89 en autant que l'arme à feu est sous clé dans le coffre dans les circonstances établies dans le règlement fédéral. Dans d'autres situations, par exemple lorsque le véhicule n'est pas laissé sans surveillance, le propriétaire du fusil devrait avoir recours aux autres méthodes de transport proposées dans la loi provinciale — ranger l'arme à feu dans un étui (s'il s'agit d'une arme à autorisation restreinte, elle doit être rangée dans un étui en vertu des règles fédérales) ou l'envelopper solidement —, aucune d'elles, comme je l'ai indiqué plus tôt, ne consistant en une véritable dissimulation aux fins de l'art. 89 puisque la nature de l'objet ainsi rangé dans l'étui est évidente pour tous. Il est par conséquent possible de respecter à la fois les restrictions fédérales et les restrictions provinciales.

L'appelant soutient qu'il ne devrait pas être déclaré coupable d'une infraction criminelle puisqu'il n'était animé d'aucune mauvaise intention. C'est‑à‑dire qu'il n'avait pas l'intention de violer la loi ou de blesser quelqu'un. Au contraire, il a dissimulé sa carabine pour éviter d'alarmer les passagers du Skytrain.

Je ne peux retenir cet argument. Il aurait été si facile de faire en sorte que le fusil soit déchargé et rangé dans un étui à fusil verrouillé ou enveloppé et attaché puis transporté ouvertement dans le Skytrain. De cette façon, le fusil ne serait pas dissimulé, c'est‑à‑dire ni caché ni déguisé en autre chose qu'un fusil. L'arme à feu enveloppée permettrait d'atténuer le malaise et la frayeur engendrés par la présence d'un fusil nu. Si un fusil est destiné à la chasse ou au tir à la cible, le propriétaire doit être disposé à le ranger dans un étui à la fin de la journée pour la sécurité, la protection et la tranquillité d'esprit de tous ceux qui l'entourent.

Toutefois, une certaine situation suscite des inquiétudes. Le droit criminel ne punit pas ceux qui sont moralement innocents. Il doit y avoir un esprit ou une intention coupable pour qu'un acte soit criminel. Qu'en est‑il donc de l'accusé, résident d'une région peu peuplée, qui retourne d'un voyage de chasse et qui arrête en chemin pour prendre ses jeunes enfants. S'il a dissimulé les armes à feu sous la banquette avant afin que les enfants ne puissent jouer avec elles, peut‑il être déclaré coupable d'avoir transporté une arme dissimulée?

Encore une fois, si l'arme à feu était rangée dans un étui ou enveloppée dans une toile, le père n'aurait pas à s'inquiéter quant à la sécurité de ses enfants et l'arme ne serait pas dissimulée. On peut imaginer la situation peu probable où l'accusé n'aurait pas à sa disposition d'étui ou de toile. Dans ces circonstances, pourrait‑il invoquer la défense d'excuse raisonnable? Je ne le crois pas. La société a le droit d'être protégée contre le risque très réel de décès ou de blessures qui peuvent trop facilement découler du transport d'une arme dissimulée. Il est par conséquent préférable que l'exigence de l'élément moral consiste simplement en ce que, sachant que l'objet transporté est une arme, l'accusé ait pris des mesures pour le cacher.

Résumé

En bref, la mens rea ou l'élément moral requis sous le régime de l'art. 89 sera établi si le ministère public prouve hors de tout doute raisonnable que l'accusé a dissimulé un objet qu'il savait être une arme. Pour prouver la dissimulation, il faudrait établir que l'accusé a pris des mesures pour cacher l'arme de façon à ce qu'elle ne puisse être vue.

Un fusil transporté dans un étui ne sera pas considéré comme dissimulé. Dans la grande majorité des cas, l'étui à fusil ressemble à l'arme à feu elle‑même, de sorte que celle‑ci ne peut être considérée comme cachée. En outre, le fait d'envelopper une arme à feu dans une couverture ou une toile et de l'attacher solidement avec une corde comme le requièrent certains règlements provinciaux ne devrait pas être considéré comme le fait de dissimuler l'arme. Je le répète, dans la grande majorité des cas, l'arme enveloppée ressemblera toujours à une arme à feu et ne sera pas considérée comme dissimulée. En outre, le fait de ranger une arme à feu dans un coffre verrouillé ou de façon à ce qu'elle ne soit pas visible dans un véhicule verrouillé et non surveillé conformément au règlement fédéral ne devrait pas être considéré comme le fait de «porter une arme dissimulée» de manière à violer l'art. 89 du Code criminel. Le règlement en question et la disposition du Code doivent être interprétés de façon à éviter les conflits et à servir leurs objectifs.

De même, le fusil qui se démonte pour être transporté dans un étui qui ressemble à une serviette ne devrait pas être considéré comme dissimulé s'il est clairement indiqué sur l'étui qu'il s'agit d'un étui à fusil.

Je me permets de signaler que, non seulement les fusils transportés dans des étuis ne sont pas dissimulés, mais ils ne causeront pas le même malaise qu'une arme nue. Ouvrir un étui à fusil, en sortir le fusil, le charger et l'utiliser nécessite un certain temps. Tout le monde en est conscient, ce qui atténue la nervosité créée par un fusil non rangé dans un étui.

Application de ces principes à la présente affaire

Il n'y a pas de doute que la carabine de calibre .22 transportée par l'appelant était une arme et qu'elle était dissimulée. Sachant que la carabine .22 était une arme, l'appelant a pris des mesures pour qu'elle ne soit pas visible. Son excuse, selon laquelle il a agi ainsi pour ne pas inquiéter les autres passagers du Skytrain, ne constitue pas une défense. S'il s'était réellement préoccupé par la situation, il n'aurait pas déclaré de façon immature et terrifiante qu'il s'en allait faire «une tuerie». Ses actions et son attitude auraient très bien pu avoir des conséquences malheureuses.

Dispositif

Je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi.

Version française des motifs rendus par

Le juge McLachlin (dissidente) — J'ai eu l'avantage de lire les motifs du Juge en chef et du juge Cory, et je souscris en grande partie à ceux du Juge en chef. Comme lui, j'estime qu'il est possible de résoudre la présente affaire en déterminant si une arme à feu est toujours une arme au sens de l'art. 2 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. À cette fin, j'accepte également l'interprétation qu'a donnée à l'article le juge Gibbs de la Cour d'appel, et qu'a adoptée le Juge en chef, suivant laquelle une arme à feu ne devient une arme que [traduction] «si elle est utilisée, ou qu'une personne entend l'utiliser, pour tuer ou blesser une autre personne ou pour la menacer ou l'intimider».

Je me garderai toutefois de me prononcer sur la constitutionnalité de l'art. 89 du Code. La question n'ayant pas été débattue devant nous, je préfère ne pas l'aborder.

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'infirmer la déclaration de culpabilité.

Pourvoi rejeté, le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et McLachlin sont dissidents.

Procureurs de l'appelant: Peck & Tammen, Vancouver.

Procureur de l'intimée: Le ministère du Procureur général, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : [1993] 4 R.C.S. 199 ?
Date de la décision : 21/10/1993
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Armes - Armes à feu - Une arme à feu est‑elle toujours visée par la définition d'"arme" à l'art. 2 du Code criminel? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 2 «arme», 84(1) «arme à feu».

Droit criminel - Port d'une arme dissimulée - Mens rea - L'accusé est monté à bord d'un moyen de transport public avec une carabine enveloppée dans sa veste au retour d'un après‑midi de tir à la cible - L'accusé a dissimulé la carabine parce qu'il était d'avis que ce n'était pas correct de la transporter à découvert - La mens rea de l'infraction de port d'une arme dissimulée est‑elle démontrée par la preuve de l'intention de l'accusé de dissimuler l'objet qu'il savait être une arme? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 89.

L'accusé est allé avec une amie s'exercer au tir à la cible et a pris un train de banlieue rapide pour revenir chez lui. Lorsqu'il est monté à bord du train, il avait enveloppé sa carabine de calibre .22 dans sa veste, estimant que ce n'était pas «correct» de la transporter à découvert. Deux passagères ont pris peur et ont avisé un employé du train. Lorsque l'employé lui a demandé ce qu'il avait dans sa veste, l'accusé a répondu en riant qu'il s'en allait «faire une tuerie». L'accusé a par la suite quitté le train pour monter à bord d'un autobus de correspondance dans lequel il a été arrêté. Au moment de l'arrestation, le chargeur de la carabine contenait encore une cartouche chargée. L'accusé a été inculpé de port d'une arme dans un dessein dangereux pour la paix publique en contravention de l'art. 87 du Code criminel et de port illégal d'une arme dissimulée en contravention de l'art. 89. Au procès, il a été acquitté relativement au premier chef d'accusation mais déclaré coupable à l'égard du second. Le juge du procès a statué que la seule intention requise pour établir l'infraction prévue à l'art. 89 était que l'accusé avait l'intention de dissimuler l'arme. La Cour d'appel, à la majorité, a maintenu la déclaration de culpabilité. Le présent pourvoi soulève deux questions: (1) Une arme à feu est-elle une arme au sens de la définition énoncée à l'art. 2 du Code? et (2) Quelle est la mens rea requise pour l'infraction de «port d'une arme dissimulée»?

Arrêt (le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et McLachlin sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Les juges L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, Iacobucci et Major: La carabine transportée par l'accusé était une arme à feu aux termes du par. 84(1) du Code, et une arme à feu est toujours visée par la définition du terme «arme» à l'art. 2, peu importe l'intention de la personne qui la porte. L'arme à feu est expressément conçue pour tuer ou blesser et peut être utilisée pour menacer ou intimider. Elle incarne en soi une menace de mort ou de blessure aux yeux de ceux qui y font face. La dernière phrase de la définition du terme «arme» à l'art. 2, qui renvoie précisément aux armes à feu au sens de l'art. 84 du Code, serait alors tout à fait redondante si une arme à feu ne devient une arme que si elle est utilisée ou qu'une personne entend l'utiliser pour tuer ou blesser une personne ou pour la menacer ou l'intimider.

L'élément moral requis sous le régime de l'art. 89 du Code sera établi si le ministère public prouve hors de tout doute raisonnable que l'accusé a dissimulé un objet qu'il savait être une arme. Pour prouver la dissimulation, il faut établir que l'accusé a pris des mesures pour cacher l'arme de façon à ce qu'elle ne puisse être vue. La personne qui transporte une arme à feu dans un étui ou solidement enveloppée dans une toile, comme le requièrent certains règlements provinciaux relatifs au transport du fusil de chasse, ne contrevient pas à l'art. 89 du Code. Une arme à feu transportée de cette manière ressemble généralement à l'arme à feu elle‑même et ne peut être considérée comme cachée. De même, le fait de ranger une arme à feu dans un coffre verrouillé ou de façon à ce qu'elle ne soit pas visible dans un véhicule verrouillé et non surveillé, conformément au règlement fédéral sur l'entreposage, la mise en montre, la manipulation et le transport de certaines armes à feu, ne peut être considéré comme le fait de «porter une arme dissimulée». Au contraire, le règlement fédéral conçu pour protéger le public contre le danger que présente le vol d'armes devrait être considéré comme une exception à l'infraction prévue à l'art. 89. Ce règlement et l'art. 89 doivent être interprétés de façon à éviter les conflits et à servir leurs objectifs. Les règlements provinciaux qui exigent qu'une arme à feu soit sous clé dans le coffre d'un véhicule si elle n'est pas rangée dans un étui ou enveloppée et attachée n'entrent pas en conflit avec l'art. 89 en autant que l'arme à feu est sous clé dans le coffre dans les circonstances établies dans le règlement fédéral. Enfin, l'arme à feu qui se démonte pour être transportée dans un étui qui ressemble à une serviette ne devrait pas être considérée comme dissimulée s'il est clairement indiqué sur l'étui qu'il s'agit d'un étui pour arme à feu. En l'espèce, la mens rea de l'infraction a clairement été démontrée. Sachant que la carabine était une arme, l'accusé a pris des mesures pour qu'elle ne soit pas visible. Son excuse, selon laquelle il a dissimulé sa carabine pour éviter d'alarmer les passagers du train, ne constitue pas une défense.

Le juge La Forest: Bien que, de manière générale, en accord avec la majorité, aucune position définitive n'est prise pour ce qui est de l'interaction entre l'interdiction de dissimuler des armes qui figure dans le Code criminel et les dispositions réglementaires concernant leur entreposage, leur manipulation et leur transport. Il semblerait que le Parlement n'a simplement pas envisagé que le respect de ces règlements constituerait une dissimulation.

Le juge en chef Lamer et le juge Sopinka (dissidents): La carabine de l'accusé était une arme à feu aux termes du par. 84(1) du Code, mais une arme à feu n'est pas nécessairement une «arme» au sens de la définition à l'art. 2. Selon une interprétation juste de la définition du terme «arme», une arme à feu au sens du par. 84(1) ne devient une arme que si elle est utilisée, ou qu'une personne entend l'utiliser, pour tuer ou blesser une autre personne ou pour la menacer ou l'intimider. Les principes de justice fondamentale consacrés dans la Charte canadienne des droits et libertés appuient cette conclusion. Étant donné qu'une déclaration de culpabilité en application de l'art. 89 du Code porterait atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne de l'accusé, les principes de justice fondamentale exigent un état d'esprit minimum. Par conséquent, la personne moralement innocente ne devrait pas être déclarée coupable de l'infraction criminelle de «port d'une arme dissimulée». Puisqu'une arme à feu sert essentiellement à tuer et à blesser, la dissimulation d'une arme à feu crée la présomption qu'elle est portée comme une «arme» au sens de l'art. 2. Le ministère public peut se fonder sur cette présomption à moins qu'un certain élément de preuve ne soulève un doute raisonnable sur la raison pour laquelle l'arme à feu est portée de façon dissimulée. En l'espèce, la carabine n'était pas une «arme» au sens des art. 2 et 89. L'accusé a soulevé le doute raisonnable nécessaire que la carabine qu'il transportait n'avait pas été utilisée ou n'était pas destinée à être utilisée pour tuer, blesser, menacer ou intimider une personne.

Le juge McLachlin (dissidente): Les motifs du juge en chef Lamer sont acceptés en grande partie. Une arme à feu ne devient une arme, selon la définition de l'art. 2 du Code, que si elle est utilisée, ou qu'une personne entend l'utiliser, pour tuer ou blesser une autre personne ou pour la menacer ou l'intimider. Toutefois, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur la constitutionnalité de l'art. 89.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Felawka

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Arrêts mentionnés: R. c. Lemire (1980), 57 C.C.C. (2d) 561
R. c. Formosa (1993), 79 C.C.C. (3d) 95
R. c. Hanabury (1970), 1 C.C.C. (2d) 438
R. c. Coughlan (1974), 17 C.C.C. (2d) 430
Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121
Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161
Attorney‑General of Canada c. Pattison (1981), 59 C.C.C. (2d) 138
R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933
R. c. Chiasson (1982), 135 D.L.R. (3d) 499, conf. par [1984] 1 R.C.S. 266
Myran c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 137.
Citée par le juge en chef Lamer (dissident)
R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606
Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038
Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486
R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 2 «arme» [ad. ch. 27 (1er suppl.), art. 2(7)], 84(1) «arme à feu», 88, 89, 116(1)g) [abr. & rempl. 1991, ch. 40, art. 28].
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 87 [ad. 1976‑77, ch. 53, art. 3].
Firearm and Bow Regulations, N.S. Reg. 144/39, art. 8(4) [mod. 178/90, art. 2(2)
mod. 176/92, art. 2].
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27), 92(13), (16).
Loi sur la chasse et la pêche, L.R.O. 1990, ch. G.1, art. 22(1).
Loi sur la pêche sportive et la chasse, L.N.‑B. 1980, ch. F‑14.1, art. 42(2)c) [mod. 1983, ch. 33, art. 10
mod. 1987, ch. 21, art. 10], (3)e), (4)c).
Règlement sur l'entreposage, la mise en montre, la manipulation et le transport de certaines armes à feu, DORS/92‑459, art. 10(2), 12(2), (3).
Wildlife Act, R.S.N.S. 1989, ch. 504, art. 80(2)c), (3)e), (4)c) [mod. 1990, ch. 50, art. 7].
Doctrine citée
Dussault, René, et Louis Borgeat. Traité de droit administratif, t. 1, 2e éd., Québec: Presses de l'Université Laval, 1984.

Proposition de citation de la décision: R. c. Felawka, [1993] 4 R.C.S. 199 (21 octobre 1993)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1993-10-21;.1993..4.r.c.s..199 ?
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