La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/01/1994 | CANADA | N°[1994]_1_R.C.S._80

Canada | Commission hydro-électrique de Kenora (Ville) c. Vacationland Dairy Co-operative Ltd., [1994] 1 R.C.S. 80 (27 janvier 1994)


Commission hydro-électrique de Kenora (ville) c. Vacationland Dairy Co‑operative Ltd., [1994] 1 R.C.S. 80

La Commission hydro-électrique de

la ville de Kenora et la municipalité

de Kenora Appelantes

c.

Vacationland Dairy Co‑operative Ltd. Intimée

Répertorié: Commission hydro-électrique de Kenora (ville) c. Vacationland Dairy Co‑operative Ltd.

No du greffe: 22947.

1993: 6 octobre; 1994: 27 janvier.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci e

t Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1992), 7 ...

Commission hydro-électrique de Kenora (ville) c. Vacationland Dairy Co‑operative Ltd., [1994] 1 R.C.S. 80

La Commission hydro-électrique de

la ville de Kenora et la municipalité

de Kenora Appelantes

c.

Vacationland Dairy Co‑operative Ltd. Intimée

Répertorié: Commission hydro-électrique de Kenora (ville) c. Vacationland Dairy Co‑operative Ltd.

No du greffe: 22947.

1993: 6 octobre; 1994: 27 janvier.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1992), 7 O.R. (3d) 385, 88 D.L.R. (4th) 725, 53 O.A.C. 192, qui a confirmé un jugement du juge Kinsman de la Cour de district qui avait rejeté l'action des appelantes. Pourvoi rejeté, le juge en chef Lamer et les juges La Forest, McLachlin et Iacobucci sont dissidents.

Alan H. Mark et Joe Conforti, pour les appelantes.

Maurice J. Neirinck, pour l'intimée.

Version française des motifs du juge en chef Lamer et des juges La Forest, McLachlin et Iacobucci rendus par

Le juge Iacobucci (dissident) — J'ai pris connaissance des motifs de mon collègue le juge Major, mais je ne puis souscrire à la façon dont il tranche le pourvoi ni aux motifs qu'il invoque à l'appui de sa décision. Bien que je ne sois pas en désaccord avec la description que donne mon collègue des faits et des événements qui ont abouti au présent pourvoi, je préfère, en raison des opinions que j'ai sur les questions soulevées en l'espèce, faire un bref exposé du contexte et d'autres questions connexes.

I. Le contexte

Le présent pourvoi porte sur la validité du moyen de défense de la fin de non‑recevoir ou de l'irrecevabilité en equity relativement à une demande fondée sur le quantum meruit présentée par une entreprise de service public en vue de recouvrer des montants non perçus à cause d'une erreur de facturation. Plus particulièrement, le présent pourvoi touche l'application de l'arrêt du Conseil privé Maritime Electric Co. c. General Dairies Ltd., [1937] 1 D.L.R. 609, dans lequel on a statué que l'on ne peut invoquer le moyen de défense de la fin de non‑recevoir en equity lorsqu'il aurait pour effet d'empêcher des autorités publiques de s'acquitter d'une obligation légale de percevoir des sommes dues par un contribuable. En l'espèce, la Cour d'appel de l'Ontario a rejeté à l'unanimité un appel interjeté par les appelantes, la Commission hydro‑électrique de la ville de Kenora («Kenora Hydro») et la municipalité de Kenora («la ville»), contre la décision du juge de première instance qui avait statué que Kenora Hydro était irrecevable à recouvrer les sommes non payées par l'intimée, la Vacationland Dairy Co‑operative Ltd. («la Coop»), à cause de sa propre négligence dans le calcul des montants dus. Je prends le temps de préciser que la ville appelante a la responsabilité de facturer et de recouvrer les comptes recevables pour le compte de Kenora Hydro, et c'est pourquoi elle est partie au présent pourvoi.

Les parties ont reconnu l'existence des éléments d'une demande fondée sur le quantum meruit et du moyen de défense de la fin de non‑recevoir en equity. La question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si l'absence d'une obligation légale explicite de «percevoir et de recevoir» tous les montants dus devrait signifier que le principe formulé dans l'arrêt Maritime Electric est inapplicable.

Les faits de la présente affaire sont résumés dans les motifs de mon collègue qui conclut que les dispositions législatives permettent d'opposer la fin de non‑recevoir comme moyen de défense en l'absence d'une obligation explicite de percevoir des arriérés de paiement. Toutefois, comme nous le verrons, je n'arrive pas à la même conclusion en ce qui concerne l'application, aux faits de la présente affaire, des principes formulés par le Conseil privé dans l'arrêt Maritime Electric. À mon avis, la présente affaire relève directement de la règle, énoncée dans l'arrêt Maritime Electric, selon laquelle la fin de non‑recevoir ne peut avoir pour effet d'empêcher une entreprise de service public de s'acquitter d'une obligation légale de percevoir les sommes qui lui sont dues.

II. Les textes législatifs pertinents

Public Utilities Act, R.S.O. 1980, ch. 423

[traduction] 27. . . .

(2) La municipalité peut, à sa discrétion, fixer les loyers, redevances ou prix à payer pour la fourniture d'un service public, selon les catégories de consommateurs et selon les fins d'utilisation du service.

(3) La municipalité peut interrompre le service d'une personne qui est en défaut dans ses paiements, tout en conservant le droit de percevoir les arrérages de loyer ou de redevance.

. . .

(6) Le montant payable à une municipalité [par ex., la ville de Kenora], à une commission municipale de services publics, à une commission hydro‑électrique municipale [par ex., Kenora Hydro] ou à Ontario Hydro, constitue une créance recouvrable par action intentée devant le tribunal compétent.

(Maintenant Loi sur les services publics, L.R.O. 1990, ch. P.52, art. 28(2), (3) et (6).)

Power Corporation Act, R.S.O. 1980, ch. 384

[traduction] 95. (1) Les tarifs et frais d'approvisionnement en électricité ainsi que les loyers et frais destinés à financer le coût de travaux ou services, exécutés ou rendus en vue de l'approvisionnement en électricité, qu'imposent les municipalités produisant ou recevant et distribuant de l'électricité, sont assujettis en permanence à l'approbation et au contrôle de la Société; il en est de même des tarifs, loyers et frais qu'impose toute compagnie ou personne physique distribuant de l'électricité provenant de la Société.

(2) Malgré la présente loi, la Société peut, lorsqu'elle estime qu'il y a lieu de le faire dans l'intérêt des municipalités ayant conclu des contrats avec elle, fixer, par ordre, les tarifs imposés par la municipalité ou la commission municipale [. . .] pour l'électricité fournie par la Société.

. . .

98. Lorsque, à l'examen des comptes de la municipalité ou commission municipale qui reçoit de l'électricité de la Société en vertu d'un contrat conclu entre les deux parties en vertu de la présente loi, la Société constate qu'il y a un arriéré de paiement pour l'électricité fournie par cette municipalité ou commission municipale, ou pour les loyers, taxes, coûts et frais relatifs à l'approvisionnement en électricité ou à l'installation des ouvrages qui y sont afférents, et que cette municipalité ou commission municipale n'a pas engagé la procédure nécessaire pour recouvrer l'arriéré, la Société peut donner les directives qu'elle estime indiquées, par écrit et portant la signature du président du conseil d'administration ou du secrétaire, pour le recouvrement de cet arriéré par toutes les méthodes possibles, auquel cas il incombe à la municipalité ou commission municipale intéressée d'engager sans délai, dès la réception des directives, la procédure nécessaire pour y donner suite.

99. La municipalité ou commission municipale recevant de l'électricité provenant de la Société en vertu d'un contrat conclu avec cette dernière en vertu de la présente loi, et qui:

a)pourvoit à l'approvisionnement en électricité de quiconque à des conditions et prix différents de ceux qui ont été approuvés par la Société;

b)accorde à quiconque est approvisionné en électricité par la municipalité ou commission municipale, des conditions spéciales à l'égard des tarifs d'électricité, notamment sous forme de primes, ou à l'égard des conditions d'approvisionnement;

c)néglige ou refuse d'exécuter une directive donnée par la Société en vertu de l'article 98;

d)réduit directement ou indirectement, par quelque moyen que ce soit, le coût de l'électricité fournie à une personne, de manière que l'électricité soit fournie à cette personne à un tarif inférieur à celui qui est établi par la Société ou à de meilleures conditions que celles approuvées par cette dernière;

e)omet de tenir des comptes de la manière prescrite par la Société, y fait des inscriptions incorrectes ou impute à un compte des articles qu'il n'y a pas lieu d'y imputer,

est coupable d'une infraction, par suite de laquelle chaque membre du conseil de cette municipalité ou de cette commission municipale n'est plus admissible, selon le cas, à siéger au conseil, à voter ou à y être élu, à agir à titre de membre de la commission municipale ou à y être nommé, ou à occuper une fonction municipale pendant les cinq ans qui suivent la date du jugement ou de l'ordonnance portant inadmissibilité, auquel cas des procédures peuvent être intentées contre ce membre au même titre qu'un conseiller municipal frappé d'inadmissibilité ou déchu de sa charge en vertu de la Municipal Act. L'inadmissibilité ne peut cependant être prononcée contre le membre du conseil municipal ou de la commission municipale, selon le cas, qui prouve de façon convaincante au tribunal ou au juge saisi d'une requête en vue d'obtenir une déclaration d'inadmissibilité, qu'il n'était pas partie à l'infraction et qu'il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour en empêcher la perpétration.

(Maintenant Loi sur la Société de l'électricité, L.R.O. 1990, ch. P.18, art. 113(1) et (2), 117 et 118.)

III. Les juridictions inférieures

A. Cour de district de l'Ontario (le juge Kinsman)

Le juge de première instance a conclu que la demande initiale de prestation de services d'approvisionnement en électricité à la Coop par la ville, qui avait été signée en 1954, était un contrat, mais que ce contrat avait pris fin, en 1966, avec la création de la Commission hydro‑électrique de Kenora, puisque la ville n'était alors plus autorisée à fournir l'électricité. En définitive, Kenora Hydro ne pouvait intenter une action fondée sur une violation de contrat.

Toutefois, le juge de première instance a conclu que les faits justifiaient une demande fondée sur le quantum meruit, étant donné qu'il y avait eu demande de services et prestation de ces services dans des circonstances où il était raisonnable de s'attendre à un remboursement. La Coop a soutenu que Kenora Hydro était, en raison de sa propre négligence, irrecevable à effectuer des recouvrements pour ce motif. Le juge de première instance a retenu cet argument, concluant que Kenora Hydro avait fait preuve de négligence en échangeant par téléphone des renseignements en matière de facturation sans aucune confirmation écrite, et en n'appliquant pas une politique de vérification de l'exactitude des factures. Puisque les prix des produits laitiers étaient fixés par l'office de commercialisation du lait, la Coop ne pouvait majorer ses prix pour compenser cette créance. Ce serait imposer un fardeau injuste à la Coop que d'exiger qu'elle rembourse Kenora Hydro à la suite d'une erreur due à la propre incurie de cette dernière.

Le juge de première instance a rejeté l'argument de Kenora Hydro, selon lequel la Coop ne pouvait, à la suite de l'arrêt Maritime Electric, précité, invoquer la fin de non‑recevoir puisque Kenora Hydro avait une obligation positive légale de percevoir les montants non facturés par erreur. Le juge de première instance a fait remarquer que la présente affaire pouvait être distinguée de l'affaire Maritime Electric en ce que, dans ce dernier cas, on n'avait ni allégué la négligence ni conclu à son existence. Par ailleurs, les lois ontariennes pertinentes en l'espèce ne renfermaient aucune exigence dont on pouvait dire qu'elle imposait [traduction] «une obligation absolue de faire payer toute l'électricité fournie, indépendamment de toute erreur humaine dans le calcul du compte». Même si toute commission municipale qui fournissait de l'électricité à un tarif moins élevé que celui approuvé par Ontario Hydro se rendait coupable d'une infraction, on ne pouvait affirmer que Kenora Hydro avait délibérément exigé un tarif moins élevé que ceux prescrits. C'était le multiplicateur utilisé pour déterminer le niveau de consommation qui était incorrect, non pas le montant exigé par kilowattheure d'électricité consommé. En définitive, le juge de première instance a rejeté l'action de l'appelante.

B. Cour d'appel de l'Ontario (1992), 7 O.R. (3d) 385 (les juges Robins, McKinlay et Arbour)

Le juge Arbour, s'exprimant au nom de la cour, a fait remarquer que l'appelante Kenora Hydro avait reconnu que l'application de la règle établie dans l'arrêt Maritime Electric constituait la seule façon d'empêcher la Coop intimée d'invoquer la théorie de la fin de non‑recevoir. Voici comment le juge Arbour a formulé la question qui se posait alors (à la p. 390):

[traduction] Il s'agit donc, en l'espèce, de déterminer si la loi en question énonce une politique générale de non‑discrimination en matière de tarifs, qui impose à l'appelante une obligation de percevoir les mêmes montants de tous les clients de la même catégorie. En d'autres termes, l'application de la théorie de la fin de non‑recevoir en faveur de l'intimée aurait‑elle indirectement pour effet d'exiger de celle‑ci un tarif différent de celui imposé aux autres consommateurs de la même catégorie et, dans l'affirmative, cela irait‑il à l'encontre de la politique générale qui ressort de l'effet conjugué de la Public Utilities Act, R.S.O. 1980, ch. 423 (maintenant Loi sur les services publics, L.R.O. 1990, ch. P.52) et de la Power Corporation Act, R.S.O. 1980, ch. 384 (maintenant Loi sur la Société de l'électricité, L.R.O. 1990, ch. P.18)?

Le juge Arbour a fait également remarquer que la jurisprudence qui avait suivi l'arrêt Maritime Electric avait confirmé la proposition qu'un défendeur ne puisse opposer la fin de non‑recevoir comme moyen de défense lorsque cela aurait pour effet de contrecarrer une obligation légale positive ou de produire des résultats contraires à une politique générale. Après avoir exposé les dispositions législatives pertinentes, madame le juge Arbour a conclu que l'exigence de n'imposer que les tarifs approuvés par Ontario Hydro n'avait rien à voir avec l'affaire dont elle était saisie puisque Kenora Hydro n'avait pas voulu imposer à la Coop un tarif différent de ceux approuvés.

Le juge Arbour a conclu que les dispositions législatives pertinentes étaient celles qui portaient non pas sur la demande de paiement de l'électricité fournie, mais bien sur la perception d'arriérés de paiement. Le juge Arbour a décidé que Kenora Hydro n'avait aucune obligation légale de percevoir tous les arriérés de paiement et que le défaut de le faire ne constituait pas une infraction. Constituait seulement une infraction le fait de ne pas se conformer aux directives qu'Ontario Hydro pourrait donner en matière de recouvrement. Elle conclut ceci, aux pp. 393 et 394:

[traduction] Il s'ensuit alors nécessairement que le défaut de percevoir des arriérés de paiement, à moins que cette perception n'ait été ordonnée par Ontario Hydro, n'équivaut pas à la fourniture d'électricité à «un tarif inférieur à celui qui est établi par [Ontario Hydro] ou à de meilleures conditions que celles approuvées par cette dernière». À mon avis, le défaut de recouvrer le montant impayé d'un client qui a été facturé insuffisamment par erreur n'équivaut pas à consentir à ce client un tarif inférieur ou de meilleures conditions qu'aux autres clients de la même catégorie, dans le cadre d'un ensemble législatif qui laisse la perception d'arriérés de paiement, qui sont exigibles en vertu du par. 27(3) de la Public Utilities Act, à la discrétion de l'organisme habilité à superviser et à approuver les tarifs et les prix exigés.

L'appel a été rejeté.

IV. Analyse

Au Canada, les entreprises de service public sont des monopoles fortement réglementés qui sont exploités pour l'avantage du public. En conséquence, le fait que le présent pourvoi concerne une telle entité, plutôt que deux parties privées, influe sur l'examen des considérations de principe qui sous‑tendent les principes juridiques applicables. En d'autres termes, il existe en l'espèce un régime législatif qui imprègne le litige privé d'un élément d'intérêt public.

À mon avis, un examen de la jurisprudence pertinente permet de confirmer à la fois que l'obligation légale est prépondérante et que l'intérêt public sera mieux servi si on donne à la loi en question une interprétation qui reconnaît la nature et le rôle d'une entreprise de service public. L'arrêt du Conseil privé Maritime Electric, précité, constitue le point de départ de cet examen.

Dans l'affaire Maritime Electric, la laiterie défenderesse achetait l'électricité de l'entreprise de service public demanderesse. En raison de l'omission de l'entreprise de service public d'inclure, dans le calcul de la facture de la défenderesse, le facteur de multiplication par 10, gravé sur le compteur, la laiterie a été facturée pour seulement un dixième de l'électricité qu'elle avait consommée. L'erreur est passée inaperçue pendant 29 mois. Je suis d'accord avec mon collègue pour dire que les faits de l'affaire Maritime Electric sont, sous tous rapports importants, identiques à ceux de l'espèce, sauf en ce qui concerne le texte des lois régissant les actions de l'entreprise de service public et de ses clients.

En première instance, le juge Richards de la Cour suprême du Nouveau‑Brunswick a accueilli l'action de l'entreprise de service public, statuant que l'existence de l'obligation légale empêchait d'opposer la fin de non‑recevoir comme moyen de défense. La Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick a accepté la conclusion du juge de première instance quant à l'effet de la loi en cause: [1934] 4 D.L.R. 436.

La Cour suprême du Canada a accueilli à l'unanimité le pourvoi formé par la laiterie: [1935] R.C.S. 519. Notre Cour a examiné l'incidence de l'ensemble législatif et a conclu qu'il n'avait pas pour effet de faire obstacle à l'efficacité du moyen de défense de la fin de non‑recevoir. L'article 16 de The Public Utilities Act, R.S.N.B. 1927, ch. 127, était conçu ainsi:

[traduction] 16. Aucune entreprise de service public ne doit imputer, exiger, percevoir ni recevoir, pour un service, une indemnité supérieure ou inférieure à l'indemnité prescrite dans les indicateurs établis à l'époque, ni exiger, percevoir ni recevoir des tarifs, droits ou frais non spécifiés dans de tels indicateurs.

En vertu de l'art. 18 de la même loi, était coupable de discrimination et passible d'une peine toute entreprise de service public qui exigeait ou recevait une indemnité supérieure ou inférieure à celle prescrite. L'article 19 prévoyait que commettait une infraction le client qui recevait sciemment l'électricité à un tarif inférieur.

Le juge Dysart, s'exprimant au nom de la Cour, conclut que rien dans l'objet ou dans le texte de la Loi n'empêche d'invoquer le moyen de défense de la fin de non‑recevoir à titre de règle de preuve (à la p. 527):

[traduction] La jurisprudence qui précède montre que, si impérative que puisse être une obligation légale, la preuve qu'on y a manqué doit être faite conformément aux règles de preuve établies, et qu'en vertu de l'une d'elles, la fin de non‑recevoir, il est possible que des actions par ailleurs bien fondées ne puissent faire l'objet d'aucune preuve.

Il souligne ensuite, à la p. 529:

[traduction] [L'article 16 de la Loi] impose une obligation qui ne peut être contournée «par contrat» ou «par tout moyen». À notre avis, cette disposition vise à empêcher toute «discrimination» et toute dérobade malhonnête. En même temps, rien n'indique qu'elle ne devrait pas être interprétée en fonction de la loi du pays et être appliquée par les tribunaux conformément au droit en vigueur en matière de preuve et de procédure. Vue sous cet angle, cette disposition n'empêche pas d'invoquer la fin de non‑recevoir qui, comme nous l'avons vu, est seulement une règle de preuve susceptible d'être utilisée devant les tribunaux, et lorsqu'elle est appliquée, elle peut aider à s'assurer que les exigences de la loi ont été pleinement respectées et non contournées. [En italique dans l'original.]

Lors de l'appel devant le Conseil privé, lord Maugham, en accueillant l'appel, rejette ce point de vue et statue que le facteur pertinent est la nature de l'obligation imposée par la loi (à la p. 613):

[traduction] Les articles de la Public Utilities Act dont il est question en l'espèce ont été adoptés à l'avantage d'une partie du public, c'est‑à‑dire pour des motifs d'intérêt public au sens large. En pareil cas [. . .], comme en l'espèce, si la loi impose une obligation positive, à laquelle on ne peut pas se soustraire par l'exécution d'une formalité, pour l'accomplissement de l'acte que la demanderesse veut justement accomplir, il n'est pas loisible à la défenderesse d'invoquer une fin de non‑recevoir pour l'en empêcher. Cette conclusion s'impose du fait que la fin de non‑recevoir n'est qu'une règle de preuve [. . .]; par conséquent, elle ne peut servir en pareil cas à libérer la demanderesse de l'obligation de se conformer à une loi de cette nature ni à permettre à la défenderesse de se soustraire à une telle obligation légale.

Il s'agit alors de déterminer si ce qui doit être considéré comme prépondérant est l'obligation légale ou le moyen de défense de la fin de non‑recevoir. Je souscris au raisonnement du Conseil privé que c'est la loi qui doit avoir priorité. Le droit en cette matière est établi depuis un certain temps et, à mon avis, les préoccupations qui sous-tendent son évolution en ce sens sont, pourrait‑on soutenir, tout autant valables aujourd'hui qu'elles l'étaient à l'époque de l'arrêt Maritime Electric. Comme je l'ai déjà fait remarquer, on ne peut ignorer le fait que les entreprises de service public sont des monopoles fortement réglementés qui visent à procurer un avantage égal à tous les citoyens de manière à fournir les services essentiels à des conditions raisonnables.

Lorsque cette question a été examinée dans d'autres ressorts et dans des décisions subséquentes d'autres tribunaux d'instance inférieure canadiens, ces principes ont, à quelques rares exceptions près, été confirmés et appliqués d'une façon libérale et fondée sur l'objet visé. Par exemple, dans l'arrêt Re Inter‑City Gas Utilities Ltd. and Ebner (1977), 76 D.L.R. (3d) 708 (B.R. Man.), le juge Morse a examiné si l'entreprise de service public pouvait recouvrer un montant impayé résultant d'une facturation insuffisante attribuable à la négligence dont son employé avait fait preuve en se fiant à des estimations permanentes de consommation plutôt qu'à des relevés de compteur. En statuant que le défendeur ne pouvait opposer la fin de non‑recevoir comme moyen de défense, le juge Morse a souligné que l'ensemble législatif interdisait toute discrimination ou préférence en matière de tarifs et prévoyait que seuls les tarifs approuvés par la Régie pouvaient être imposés. Plus précisément, la Loi sur la Régie des services publics, L.R.M. 1987, ch. P280 (à l'époque R.S.M. 1970, ch. P280) prévoyait ceci:

82 (1) Le propriétaire d'un service public ne peut:

a) établir, imposer ou percevoir un taux, un taux d'abonnement [. . .] ou autre taux spécial, un tarif, un prix de billets, une charge, un barème de taux individuel ou conjoint, injuste, déraisonnable, injustement discriminatoire ou indûment préférentiel pour un produit fourni ou un service rendu . . .

b) sans l'autorisation écrite de la Régie [. . .] établir, imposer, percevoir ou recevoir un taux, un tarif, un prix de billets, une charge ou un barème de taux . . .

. . .

e) établir ou donner, directement ou indirectement, une préférence indue ou déraisonnable ou un avantage à une personne, une corporation, une localité [. . .] ou soumettre une personne, une corporation, une localité [. . .] à un préjudice ou à un désavantage à quelque titre que ce soit;

Après avoir examiné ces dispositions, le juge Morse conclut ceci, à la p. 711:

[traduction] À mon avis, la Loi exige qu'une entreprise de service public impose les taux fixés ou autorisés par la Régie, et perçoive de ses clients le montant ainsi établi. Il s'ensuit donc que les clients eux‑mêmes sont tenus de payer le montant ainsi établi. Des peines sont prévues en cas de violation des dispositions de la Loi . . .

Bien que le texte de la loi en question n'ait pas été identique à celui de la loi examinée dans l'arrêt Maritime Electric, le juge Morse a conclu qu'il suffisait qu'elle ait un objet et un effet généraux similaires.

Dans l'arrêt Roma Electric Light and Power Co. c. Hair, [1955] St.R.Qd. 311 (C. cir.), le défendeur, propriétaire d'une scierie, soutenait qu'il s'était fié aux factures que lui avait envoyées l'entreprise de service public demanderesse pour fixer les prix qu'il paierait à ses fournisseurs de bois. Le juge Townley a conclu que l'entreprise de service public n'était pas irrecevable à recouvrer les montants non facturés à un client en raison de la négligence dont les employés de la compagnie avaient fait preuve en n'utilisant pas le facteur de multiplication approprié.

La qualification de l'ensemble législatif nécessitait l'examen de nombreux textes de loi. Le juge Townley a fait remarquer que The Electric Light and Power Acts de 1896 à 1946 prévoyaient que le prix maximal à exiger devait être fixé par décret. Il était interdit à l'entreprise de service public de faire preuve d'une préférence indue envers ses clients, mais elle avait le pouvoir discrétionnaire d'imposer le tarif qu'elle voulait à la condition de ne dépasser le prix maximal établi. En outre, les parties pertinentes de The State Electricity Acts de 1937 à 1945 exigeaient que l'entreprise [traduction] «impose ou ait le droit de recevoir» les prix pour l'électricité qui avaient été fixés par la State Electricity Commission.

Le juge Townley a conclu que l'ensemble législatif n'était pas sensiblement différent de celui en cause dans l'affaire Maritime Electric. De l'avis du juge Townley, la conséquence de l'erreur relative au facteur de multiplication pouvait être perçue de deux manières: le défendeur a reçu de l'électricité qu'on ne lui a pas demandé de payer, ou encore il a reçu et payé l'électricité fournie à un tarif inférieur à celui approuvé. L'erreur relative au multiplicateur avait donc engendré de la discrimination. Le juge Townley a accueilli l'action de l'entreprise de service public.

Il est important de signaler que l'absence d'une disposition équivalente à celle examinée dans l'arrêt Maritime Electric, qui prévoyait que commettait une infraction le client qui recevait sciemment de l'électricité à un tarif moindre, n'a pas été déterminante puisque [traduction] «[l]es dispositions des State Electricity Commission Acts, que l'on vient de mentionner, me semblent avoir été adoptées autant à l'avantage du public que celles de la loi examinée par le Conseil privé» (p. 326). De plus, il n'y avait aucune exigence explicite que l'entreprise perçoive les montants auxquels elle avait droit. Cet arrêt appuie donc le point de vue selon lequel la nature de l'obligation légale doit être déterminée en examinant la politique générale qui sous‑tend les dispositions de la loi qui l'impose.

Il appert qu'aux États‑Unis on souscrit également au principe que la fin de non‑recevoir ne saurait être invoquée lorsqu'elle aurait pour effet de contrecarrer l'obligation légale qu'une entreprise de service public a de percevoir en totalité les montants qui lui sont dus. Dans l'arrêt Chesapeake and Potomac Telephone Co. of Virginia c. Bles, 243 S.E.2d 473 (Virginie 1978), la compagnie de téléphone avait demandé un montant insuffisant à un client pour un réacheminement spécial de central local. Le client s'était vu proposer un coût erroné avant de choisir le service et sa facture avait par la suite été établie selon ce tarif inférieur. Le juge Cochran a conclu que, puisque la Loi exigeait d'imposer un tarif uniforme aux clients, l'entreprise de service public ne pouvait, en raison de sa négligence, être irrecevable à percevoir les montants en question. Le juge Cochran a rejeté l'argument que la fin de non‑recevoir pouvait s'appliquer puisque la Loi interdisait la facturation excessive, mais non la perception de montants inférieurs au montant requis. Il a affirmé que la loi en question visait à empêcher la discrimination entre les clients, et permettre le maintien d'une facturation insuffisante irait donc à l'encontre de cette loi.

De même, dans l'arrêt Corp. de Gestion Ste‑Foy, Inc. c. Florida Power and Light Co., 385 So.2d 124 (C.A. dist. Floride 1980), on a statué qu'une compagnie d'électricité qui, pendant trois ans, avait exigé un montant insuffisant du propriétaire d'un immeuble d'appartements parce qu'un employé avait mal lu un compteur général, n'était pas irrecevable à invoquer cette erreur pour recouvrer les montants non facturés. La loi applicable interdisait d'accorder [traduction] «une préférence indue ou déraisonnable . . . à toute personne ou localité . . .» Le juge Schwartz conclut, à la p. 126:

[traduction] La politique générale contenue dans cette disposition et d'autres dispositions législatives similaires empêche une entreprise dont les tarifs sont réglementés par le gouvernement d'accorder un rabais ou un autre traitement préférentiel à un particulier donné. En conséquence, il est universellement reconnu qu'une entreprise de service public ou un transporteur public est non seulement autorisé mais encore tenu de percevoir les montants non facturés selon les tarifs établis . . .

Le tribunal a conclu que la théorie de la fin de non‑recevoir en equity ne devait pas servir à produire des résultats illégaux ou par ailleurs contraires à une politique générale.

La jurisprudence américaine adopte une position qui va encore plus loin en permettant à une entreprise de service public de recouvrer des sommes d'argent pour des motifs de principe généraux qui sous‑tendent l'interdiction légale de discrimination en matière de tarifs: Boone County Sand & Gravel Co. c. Owen County Rural Electric Cooperative Corp., 779 S.W.2d 224 (C.A. Kentucky 1989); Memphis Light, Gas & Water Division c. Auburndale School System, 705 S.W.2d 652 (Tennessee 1986); Sigal c. City of Detroit, 362 N.W.2d 886 (C.A. Michigan 1985); Capital Properties Co. c. Public Service Commission, 457 N.Y.S.2d 635 (Div. app. 1982); Goddard c. Public Service Co. of Colorado, 599 P.2d 278 (C.A. Colorado 1979); Laclede Gas Co. c. Solon Gershman, Inc., 539 S.W.2d 574 (C.A. Missouri 1976); cependant, voir Illinois Power Co. c. Champaign Asphalt Co., 310 N.E.2d 463 (C.A. Illinois 1974).

Le principe selon lequel le moyen de défense de la fin de non‑recevoir n'aura pas pour effet d'annuler une obligation positive imposée par la loi à une société ou à un organisme public est à la fois bien accepté et raisonnable. La théorie de la fin de non‑recevoir en equity est une création des tribunaux et ne devrait pas faire en sorte que l'entreprise de service public, ou le client, soit forcée de tomber dans l'illégalité en contrevenant à une loi.

En l'espèce, la Cour d'appel s'est fondée sur l'arrêt Taranaki Electric‑Power Board c. Proprietors of Puketapu 3A Block, Inc., [1958] N.Z.L.R. 297, dans lequel la Cour suprême de la Nouvelle‑Zélande a statué que l'entreprise de service public en cause était irrecevable à percevoir les montants non facturés par erreur. Dans cet arrêt, la scierie défenderesse s'était vu facturer des montants insuffisants à cause d'une mauvaise connexion de son compteur. Le juge North a appliqué le raisonnement de l'arrêt Maritime Electric à la loi applicable en Nouvelle‑Zélande et il a conclu que l'entreprise de service public n'était pas tenue de percevoir le plein prix de l'électricité consommée. Une disposition de l'Electric Supply Regulations 1935 (1935 New Zealand Gazette, 2946) prévoyait:

[traduction] 21‑48. Tout consommateur à l'intérieur d'un secteur d'approvisionnement de la commission de l'électricité a droit à un approvisionnement en électricité aux mêmes conditions que celles auxquelles un autre consommateur de ce secteur reçoit, dans des circonstances similaires, un approvisionnement correspondant.

Toutefois, puisque c'était la seule restriction d'importance à laquelle était assujettie la commission de l'électricité, et que la commission pouvait vendre l'électricité selon les tarifs qu'elle désirait, le juge North a décidé que l'ensemble législatif était insuffisant pour empêcher d'invoquer une fin de non‑recevoir. Rien n'indiquait que la défenderesse s'était vu imposer un tarif inférieur à tout autre consommateur; il s'agissait d'une erreur de calcul de la quantité d'électricité consommée. Finalement, le seul problème posé par la non‑perception de l'arriéré était que l'entreprise de service public risquait de se voir demander un traitement similaire par un autre consommateur, mais ce n'était pas là un résultat illogique ou inacceptable.

À mon avis, cet arrêt ne permet pas d'affirmer que, compte tenu de l'ensemble législatif en l'espèce, l'intimée a le droit d'opposer la fin de non‑recevoir comme moyen de défense. Je dis cela pour plusieurs raisons.

Premièrement, la loi examinée dans l'arrêt Taranaki prescrivait l'uniformité des tarifs seulement dans des conditions très restreintes. Elle ne renfermait aucune disposition aussi claire que l'al. 99d) de la Power Corporation Act. Deuxièmement, d'après les faits du présent pourvoi, je ne vois pas comment d'autres contribuables pourraient, selon ce que dictent les lois pertinentes, exiger un traitement semblable à celui accordé à la Coop intimée. Troisièmement, je ne suis pas d'accord avec la distinction, que l'on fait dans l'arrêt Taranaki et dans les motifs de la Cour d'appel, entre l'approvisionnement en électricité à un tarif inférieur et l'omission de facturer la totalité de l'électricité consommée. Cela signifierait que Kenora Hydro serait irrecevable à effectuer un recouvrement chaque fois que l'un de ses employés a, par négligence, transcrit le mauvais multiplicateur figurant sur le compteur, mais qu'elle pourrait en effectuer un si l'erreur a été commise en choisissant et en appliquant le tarif approprié. À mon avis, il s'agit d'une distinction artificielle.

La Coop intimée cite une autre décision dans laquelle le tribunal a permis d'opposer la fin de non‑recevoir comme moyen de défense malgré l'existence d'une loi de nature réglementaire. Dans la décision Ontario Hydro c. Ram's Horn Holding Ltd., C. dist. Ont., no 256034/85, 25 juin 1987, inédite, le juge Campbell a examiné une réclamation de montants non facturés à cause d'un fusible de tension défectueux. Il a rejeté la demande de l'entreprise de service public en distinguant cette affaire de l'arrêt Maritime Electric pour les motifs suivants:

[traduction] Il existe deux différences factuelles importantes entre la présente affaire et l'arrêt Maritime Electric. Dans ce dernier cas, le compteur était précis et il existait une quantité spécifique et démontrable d'électricité devant être facturée, l'erreur étant seulement une grossière erreur de calcul du montant de la facture. Deuxièmement, en l'espèce, la loi applicable à la demanderesse, la Power Corporation Act, R.S.O. 1980, chapitre 384, plus particulièrement son art. 90, habilite la demanderesse à fixer les tarifs à exiger (toutes les factures envoyées à la défenderesse respectaient ces tarifs), mais elle n'impose aucunement l'obligation absolue de facturer toute l'électricité fournie, indépendamment des problèmes de mesure de consommation.

Comme je l'ai déjà souligné, j'estime insoutenables les distinctions entre les erreurs de facturation résultant d'un mauvais calcul arithmétique, de l'application d'un tarif incorrect et de l'omission de facturer la consommation totale d'électricité. Qui plus est, je suis d'avis que le raisonnement du Conseil privé dans l'affaire Maritime Electric exige simplement l'existence d'une obligation légale positive incombant à l'entreprise de service public ou au client, ou aux deux à la fois, que l'on contrecarrait en permettant d'opposer la fin de non‑recevoir comme moyen de défense. La formulation même de l'obligation n'est pas importante: elle peut être explicite ou implicite. Il n'est pas nécessaire qu'il s'agisse d'une obligation de perception explicite par opposition à une obligation de traitement égal de tous les clients de la même catégorie. Finalement, l'existence ou l'inexistence d'une telle obligation doit être déterminée, comme l'indique la jurisprudence américaine, en fonction non seulement du texte de la loi applicable, mais encore de la politique qui la sous‑tend. Du moment que les tribunaux continuent de suivre la règle formulée dans l'arrêt Maritime Electric, c'est un gaspillage de ressources judiciaires que de l'appliquer de façon à devoir procéder dans chaque cas à une analyse grammaticale du texte de la loi applicable.

Toutefois, même si l'obligation légale doit être explicite, je suis convaincu que, dans le présent pourvoi, l'ensemble législatif applicable à l'entreprise de service public et à ses clients comporte une telle obligation.

L'article 99 (maintenant l'art. 118) de la Power Corporation Act prévoit ceci:

[traduction] 99. La municipalité ou commission municipale recevant de l'électricité provenant de la Société en vertu d'un contrat conclu avec cette dernière en vertu de la présente loi, et qui:

a)pourvoit à l'approvisionnement en électricité de quiconque à des conditions et prix différents de ceux qui ont été approuvés par la Société;

b)accorde à quiconque est approvisionné en électricité par la municipalité ou commission municipale, des conditions spéciales à l'égard des tarifs d'électricité, notamment sous forme de primes, ou à l'égard des conditions d'approvisionnement;

c)néglige ou refuse d'exécuter une directive donnée par la Société en vertu de l'article 98;

d)réduit directement ou indirectement, par quelque moyen que ce soit, le coût de l'électricité fournie à une personne, de manière que l'électricité soit fournie à cette personne à un tarif inférieur à celui qui est établi par la Société ou à de meilleures conditions que celles approuvées par cette dernière;

e)omet de tenir des comptes de la manière prescrite par la Société, y fait des inscriptions incorrectes ou impute à un compte des articles qu'il n'y a pas lieu d'y imputer,

est coupable d'une infraction . . .

Ces dispositions, notamment les al. b) et d), paraissent clairement interdire l'imposition de tarifs préférentiels ou discriminatoires. En facturant par négligence à l'intimée seulement la moitié de l'électricité qu'elle a consommée pendant la période en cause de six ans, Kenora Hydro a réduit le coût de son électricité de sorte qu'elle l'a en fait approvisionné à un tarif inférieur ou à de meilleures conditions. En conséquence, le défaut de percevoir le montant non facturé est contraire à la prescription de tarifs non discriminatoires contenue dans la Loi. À mon avis, ni la nature de la peine prévue pour l'infraction ni le tort qu'elle vise à redresser ne sont pertinents lorsqu'il s'agit de déterminer s'il existe une obligation légale positive. Je ne suis pas d'accord avec mon collègue qui affirme que ces dispositions visent seulement à empêcher le favoritisme administratif, la collusion ou l'établissement délibéré de tarifs préférentiels. Je suis d'avis que l'art. 99 n'écarte pas non plus la peine dans un cas d'erreur commise par inadvertance ou de négligence.

Il n'est pas nécessaire qu'il y ait une disposition exigeant explicitement que Kenora Hydro prenne toutes les mesures raisonnables ou nécessaires pour percevoir les montants non facturés. Cette obligation est le pendant logique de celle de traiter tous les clients sur un pied d'égalité. De même, je ne considère pas déterminant le fait que les lois pertinentes en l'espèce ne renferment pas une obligation explicite pour le client de payer, ou ne prévoient pas une infraction en cas de non‑paiement. Les sommes dues et non payées constituent une créance de Kenora Hydro. Il n'est pas nécessaire que l'obligation de payer du client soit prévue dans une loi pour écarter l'application de la théorie de la fin de non‑recevoir, du moment qu'une obligation légale positive incombe à l'entreprise de service public.

À mon avis, la façon dont mon collègue aborde l'application des principes de la restitution et de la fin de non‑recevoir aux faits du présent pourvoi est entachée de la même erreur que celle que le juge Dysart de notre Cour a commise dans l'arrêt Maritime Electric et dont l'existence a été soulignée par le Conseil privé lors de l'appel. En affirmant (à la p. 112) que «[l]a Power Corporation Act n'établit pas une politique de non‑discrimination en matière de tarifs de nature à écarter le moyen de la fin de non‑recevoir ou du changement de situation de fait», mon collègue assimile l'objet de l'analyse à son résultat possible. C'est parce que la Loi exprime une politique de non‑discrimination en matière de tarifs, sous forme d'obligation imposée à l'entreprise de service public, que le moyen de défense de la fin de non‑recevoir est écarté.

Le montant non perçu de la Coop est une créance de Kenora Hydro. En tant que créancière, l'appelante a, en vertu de la Loi, le droit de recouvrer cette créance. En tant qu'entreprise de service public exploitée pour l'avantage du public, l'appelante est tenue de prendre des mesures raisonnables pour recouvrer cette créance de façon à ne pas permettre que certains clients soient approvisionnés en électricité à un coût inférieur à celui exigé d'autres clients de la même catégorie. Ce recouvrement est prévu à l'art. 98 (maintenant l'art. 117) de la Power Corporation Act:

[traduction] 98. Lorsque, à l'examen des comptes de la municipalité ou commission municipale qui reçoit de l'électricité de la Société en vertu d'un contrat conclu entre les deux parties en vertu de la présente loi, la Société constate qu'il y a un arriéré de paiement pour l'électricité fournie par cette municipalité ou commission municipale, ou pour les loyers, taxes, coûts et frais relatifs à l'approvisionnement en électricité ou à l'installation des ouvrages qui y sont afférents, et que cette municipalité ou commission municipale n'a pas engagé la procédure nécessaire pour recouvrer l'arriéré, la Société peut donner les directives qu'elle estime indiquées, par écrit et portant la signature du président du conseil d'administration ou du secrétaire, pour le recouvrement de cet arriéré par toutes les méthodes possibles, auquel cas il incombe à la municipalité ou commission municipale intéressée d'engager sans délai, dès la réception des directives, la procédure nécessaire pour y donner suite. [Je souligne.]

L'alinéa 99c), reproduit plus haut, prévoit que l'inexécution d'une telle directive constitue une infraction. Ces dispositions établissent clairement que ce recouvrement, bien que non effectué dans tous les cas, est considéré comme la norme.

Mon collègue affirme que la Power Corporation Act vise seulement à empêcher «l'établissement délibéré et non autorisé de distinctions entre les clients qui achètent l'électricité» (p. 111). À mon avis, il reste que Kenora Hydro est tenue de traiter sur un pied d'égalité tous les clients de la même catégorie. Kenora Hydro peut avoir de nombreuses raisons de vouloir imposer à un client un tarif inférieur à celui imposé à d'autres clients de la même catégorie, mais elle ne peut le faire en raison de son statut d'entreprise public. Il y a manquement à cette exigence de la Loi peu importe qu'il s'agisse d'une erreur commise par négligence ou d'une préférence intentionnelle. De même, l'intérêt public ne se limite pas à la prévention de la discrimination délibérée. Le public a aussi intérêt à veiller à ce qu'une ressource publique essentielle, fortement réglementée, soit distribuée également dans une certaine mesure.

On ne saurait ignorer cette politique d'égalité simplement parce qu'elle est une source de difficultés pour un consommateur donné. De toute façon, il n'existe en l'espèce aucune preuve des difficultés que le remboursement des montants non facturés causera à la Coop, sauf pour ce qui est du caractère réglementé du prix de ses produits. Les aspects négatifs de l'imposition de ces coûts au consommateur ayant fait l'objet d'une facturation insuffisante doivent être soupesés en fonction de l'aubaine dont ce client se trouverait à profiter aux dépens d'une société exploitée pour l'avantage de l'ensemble du public.

En conclusion, la loi en question n'est pas ambiguë. Tant par son objet que par son effet, elle est semblable à celle examinée dans l'arrêt Maritime Electric. Sa politique consistant à réglementer, dans l'intérêt public, les rapports entre les entreprises de service public et leurs clients, en traitant sur un pied d'égalité les usagers, ressort du texte explicite de ses dispositions. La mise à exécution de cet objet oblige l'entreprise de service public à remédier à sa négligence en cherchant à obtenir un plein recouvrement auprès de ses clients.

V.Conclusion et dispositif

À mon avis, autoriser la fin de non‑recevoir en l'espèce créerait une situation où l'entreprise de service public appelante contreviendrait à l'exigence de non‑discrimination en matière de tarifs sur laquelle se fonde la Loi. La Loi établit clairement que constitue une infraction le fait d'approvisionner en électricité un membre d'une catégorie donnée à un tarif inférieur à celui applicable à tous les autres membres de cette catégorie. Si l'on veut que cette obligation ait un sens, l'appelante doit aussi être tenue de prendre toutes les mesures nécessaires pour recouvrer cette créance. L'intimée n'a pas le droit de recourir au moyen de défense de la fin de non‑recevoir pour empêcher ce recouvrement. Une telle interprétation est compatible avec le rôle d'une entreprise de service public en tant qu'institution exploitée pour l'avantage du public.

Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel et de rendre jugement en faveur des appelantes pour un montant de 52 471,36 $, plus les intérêts avant jugement applicables. Les appelantes ont droit à leurs dépens dans toutes les cours.

Version française du jugement des juges L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et Major rendu par

Le juge Major —

I. Les faits

L'appelante, la Commission hydro-électrique de la ville de Kenora («Kenora Hydro»), est chargée d'approvisionner en électricité des clients locaux. Aux termes d'une convention verbale conclue avec Kenora Hydro, l'appelante, la municipalité de Kenora («la ville»), a accepté la responsabilité de la facturation et du recouvrement des comptes recevables.

L'intimée, la Vacationland Dairy Co‑operative Ltd. («la Coop»), achète l'électricité de Kenora Hydro. En 1979, Kenora Hydro améliorait l'approvisionnement en électricité qu'elle livre à la Coop et y installait un nouveau compteur. Ce nouveau compteur n'était pas conçu pour mesurer la quantité réelle d'électricité consommée. Il était marqué d'un facteur de multiplication par 2 qui devait être utilisé dans la facturation de l'électricité consommée. Kenora Hydro a avisé la ville de ce multiplicateur mais, en raison d'une erreur d'écriture, le multiplicateur n'a pas été inscrit sur la fiche de facturation. Par conséquent, seule la moitié de l'électricité réellement consommée fut facturée à la Coop.

En novembre 1986, la Coop demandait à Kenora Hydro d'inspecter son usine pour fins d'agrandissement. Au cours de l'inspection, Kenora Hydro découvrait que le multiplicateur n'était pas utilisé pour calculer les factures. Par conséquent, un montant de 52 471,36 $ n'avait pas été facturé à la Coop entre 1979 et 1986. Kenora Hydro et la ville ont intenté une action en recouvrement du montant non facturé.

II. Les juridictions inférieures

A. Cour de district de l'Ontario

Le juge Kinsman de la Cour de district a rejeté l'action intentée par les appelantes en vue de recouvrer le montant non facturé, pour deux motifs qui sont pertinents aux fins du présent pourvoi. Premièrement, il a conclu que le rapport existant entre la Coop et Kenora Hydro n'était pas régi par un contrat de fourniture d'électricité. Deuxièmement, malgré qu'il ait conclu que Kenora Hydro avait établi la validité de sa demande fondée sur le quantum meruit, selon lui, la Coop avait le droit d'opposer une fin de non‑recevoir comme moyen de défense. Le juge Kinsman a conclu que les appelantes ont fait preuve d'un manque de diligence équivalant à de la négligence en permettant que leur erreur se perpétue de 1979 à 1986. En transmettant des factures mensuelles à la Coop, Kenora Hydro a présenté une certaine situation de fait à laquelle la Coop devait nécessairement réagir. La Coop a tenu compte des coûts d'électricité qui lui avaient été facturés pour établir le prix de ses produits, agissant ainsi à son détriment. Tout en soulignant qu'on ne saurait recourir à une fin de non‑recevoir pour se soustraire à une obligation absolue imposée par une loi, tel que décidé dans l'arrêt Maritime Electric Co. c. General Dairies Ltd., [1937] 1 D.L.R. 609 (C.P.), le juge a conclu que ni la Power Corporation Act, R.S.O. 1980, ch. 384 (maintenant Loi sur la Société de l'électricité, L.R.O. 1990, ch. P.18), ni la Public Utilities Act, R.S.O. 1980, ch. 423 (maintenant Loi sur les services publics, L.R.O. 1990, ch. P.52) n'imposaient une telle obligation et il a rejeté l'action des appelantes.

B. Cour d'appel de l'Ontario

La Cour d'appel de l'Ontario a rejeté l'appel des appelantes: (1992), 7 O.R. (3d) 385, 88 D.L.R. (4th) 725, 53 O.A.C. 192. La Cour d'appel a qualifié la question comme en étant une relative au recouvrement résultant d'une facturation insuffisante effectuée par négligence. Étant donné que la Power Corporation Act n'oblige pas Kenora Hydro à percevoir tous les arriérés, la non‑perception ne revenait pas à fournir l'électricité à un tarif non approuvé. Le juge Arbour, au nom de la cour, a reconnu à la Coop le droit d'invoquer une fin de non‑recevoir pour le motif qu'elle ne contrecarrerait pas une obligation légale positive ni ne produirait des résultats contraires à une politique générale.

III. La question en litige

La seule question que soulève ce pourvoi est de savoir si la loi ontarienne sur les services publics a pour effet d'écarter une défense fondée sur une fin de non‑recevoir à une action intentée par un service public pour une facturation insuffisante effectuée par négligence. Les appelantes n'ont pas interjeté appel de la conclusion du juge de première instance selon laquelle les faits à la base de la fin de non‑recevoir avaient été établis. En fait, les avocats ont, lors de l'appel, confirmé que les parties souscrivaient aux conclusions du juge de première instance selon lesquelles les faits nécessaires à l'application de la doctrine d'equity avaient été prouvés. L'appel s'est donc limité à la question de savoir si, comme question de droit, la réparation demandée pouvait être accordée.

IV. Analyse

Les appelantes soutiennent que, si on ne réclame pas à la Coop le montant non facturé, celle-ci aura reçu l'électricité à des conditions plus favorables que les autres clients. Selon les appelantes, cette situation contrevient à l'obligation de Kenora Hydro, en common law, de traiter tous ses clients sur le même pied et à l'obligation qui lui incombe en vertu de la Power Corporation Act. Quelle que puisse être l'obligation de Kenora Hydro en common law, celle‑ci a été remplacée et élargie par l'art. 27 de la Public Utilities Act et l'art. 95 de la Power Corporation Act:

[traduction] 27. . . .

(2) La municipalité peut, à sa discrétion, fixer les loyers, redevances ou prix à payer pour la fourniture d'un service public, selon les catégories de consommateurs et selon les fins d'utilisation du service.

95. (1) Les tarifs et frais d'approvisionnement en électricité ainsi que les loyers et frais destinés à financer le coût de travaux ou services, exécutés ou rendus en vue de l'approvisionnement en électricité, qu'imposent les municipalités produisant ou recevant et distribuant de l'électricité, sont assujettis en permanence à l'approbation et au contrôle de la Société [Ontario Hydro]; il en est de même des tarifs, loyers et frais qu'impose toute compagnie ou personne physique distribuant de l'électricité provenant de la Société.

(2) Malgré la présente loi, la Société peut, lorsqu'elle estime qu'il y a lieu de le faire dans l'intérêt des municipalités ayant conclu des contrats avec elle, fixer, par ordre, les tarifs imposés par la municipalité ou la commission municipale [. . .] pour l'électricité fournie par la Société.

Kenora Hydro peut imposer des tarifs différents à des catégories différentes de consommateurs, mais tous les tarifs doivent être approuvés par Ontario Hydro.

L'arrêt Maritime Electric Co. c. General Dairies Ltd., précité, est l'arrêt de principe en matière d'obligation légale d'une entreprise de service public d'imposer certains tarifs. Les faits à l'origine de la facturation insuffisante dans l'arrêt Maritime Electric sont essentiellement identiques à ceux du présent pourvoi. Lorsqu'il a examiné la question de savoir si le consommateur ayant fait l'objet d'une facturation insuffisante pouvait invoquer une fin de non‑recevoir, le Conseil privé a dit, à la p. 613:

[traduction] Les articles de la Public Utilities Act dont il est question en l'espèce ont été adoptés à l'avantage d'une partie du public, c'est‑à‑dire pour des motifs d'intérêt public au sens large. En pareil cas (leurs Seigneuries n'ont pas l'intention de se prononcer sur des lois qui n'entrent pas dans cette catégorie), comme en l'espèce, si la loi impose une obligation positive, à laquelle on ne peut pas se soustraire par l'exécution d'une formalité, pour l'accomplissement de l'acte que la demanderesse veut justement accomplir, il n'est pas loisible à la défenderesse d'invoquer une fin de non‑recevoir pour l'en empêcher. Cette conclusion s'impose du fait que la fin de non‑recevoir n'est qu'une règle de preuve qu'une partie dans une action peut invoquer dans certaines circonstances particulières; par conséquent, elle ne peut servir en pareil cas à libérer la demanderesse de l'obligation de se conformer à une loi de cette nature ni à permettre à la défenderesse de se soustraire à une telle obligation légale. Il n'importe pas que l'obligation soit onéreuse ou non pour la demanderesse. Chaque partie a le devoir de respecter la loi. Leurs Seigneuries estiment, avec déférence, que la Cour suprême procède à l'envers lorsqu'elle admet la possibilité d'une fin de non‑recevoir en disant qu'il n'y aura pas de dérogation à la loi si cela est accueilli; la Cour doit tout d'abord préciser la nature de l'obligation imposée par la loi, puis décider si l'admission d'une fin de non‑recevoir irait à l'encontre de la loi.

Pour déterminer la nature de l'obligation imposée par la Power Corporation Act, il est utile de comparer la loi ontarienne à celle du Nouveau‑Brunswick qui était en cause dans l'arrêt Maritime Electric. L'article 16 de The Public Utilities Act, R.S.N.B. 1927, ch. 127, énonce la compétence de l'entreprise de service public:

[traduction] 16. Aucune entreprise de service public ne doit imputer, exiger, percevoir ni recevoir, pour un service, une indemnité supérieure ou inférieure à l'indemnité prescrite dans les indicateurs établis à l'époque, ni exiger, percevoir ni recevoir des tarifs, droits ou frais non spécifiés dans de tels indicateurs.

L'article 18 prévoit une peine pour l'imposition d'un tarif non autorisé:

[traduction] 18. (1) Toute entreprise de service public qui, par tout moyen direct ou indirect, demande, exige, perçoit ou reçoit de toute personne, entreprise ou société, pour un service rendu ou à rendre, une indemnité supérieure ou inférieure à celle qui est prescrite de la façon prévue par la présente loi, ou à celle qu'elle demande, exige, perçoit ou reçoit de toute autre personne, entreprise ou société pour un service semblable fourni à la même époque, est coupable de discrimination, chose interdite par la présente loi, et passible d'une peine d'au moins cinquante dollars et d'au plus cinq cents dollars que peut lui imposer la commission; si cette peine pécuniaire n'est pas payée dans les quinze jours de son imposition, ce défaut de paiement constitue (après publication d'un avis public y relatif dans la Gazette royale) un motif autorisant le procureur général à engager des procédures en vue de dissoudre l'entreprise de service public ainsi en défaut.

En plus de prévoir que les entreprises de service public qui appliquent des tarifs non autorisés commettent une infraction, la loi du Nouveau‑Brunswick prévoit également que les clients qui acceptent des tarifs non autorisés commettent une infraction susceptible d'entraîner une peine.

[traduction] 19. (1) Nul ne doit sciemment demander, accepter ni recevoir une ristourne, une réduction ou un traitement de faveur concernant un service fourni par une entreprise de service public ou concernant un tel service ou y afférent lorsque cela a pour effet de faire fournir, par n'importe quel moyen, ce service gratuitement ou selon un tarif inférieur au tarif stipulé dans les indicateurs en vigueur comme le prévoit la présente loi, ou a pour effet de fournir un service ou un avantage non prévus dans la présente loi.

(2) Quiconque enfreint les dispositions du présent article est passible d'une peine pécuniaire d'au moins cinquante dollars et d'au plus cinq cents dollars imposable par la commission pour chaque infraction, et si une telle peine n'est pas payée dans les quinze jours de son imposition, le président de la commission peut envoyer au registraire de la Cour suprême une attestation signée par lui de l'imposition d'une telle peine pécuniaire.

Le Conseil privé a déterminé, à la p. 616, que l'entreprise de service public [traduction] «agirait en violation directe de la Loi si elle ne percevait ni ne recevait de l'intimée le montant qui restait dû». De l'avis du Conseil privé, la disposition du Nouveau‑Brunswick était une règle de droit positif qu'il fallait respecter. La fin de non‑recevoir ne pouvait être opposée car elle aurait pour effet d'annuler la disposition législative.

Selon l'art. 99 de la Power Corporation Act de l'Ontario, commet une infraction l'entreprise de service public qui impose un tarif non autorisé:

[traduction] 99. La municipalité ou commission municipale recevant de l'électricité provenant de la Société en vertu d'un contrat conclu avec cette dernière en vertu de la présente loi, et qui:

a)pourvoit à l'approvisionnement en électricité de quiconque à des conditions et prix différents de ceux qui ont été approuvés par la Société;

. . .

d)réduit directement ou indirectement, par quelque moyen que ce soit, le coût de l'électricité fournie à une personne, de manière que l'électricité soit fournie à cette personne à un tarif inférieur à celui qui est établi par la Société ou à de meilleures conditions que celles approuvées par cette dernière;

. . .

est coupable d'une infraction, par suite de laquelle chaque membre du conseil de cette municipalité ou de cette commission municipale n'est plus admissible, selon le cas, à siéger au conseil, à voter ou à y être élu, à agir à titre de membre de la commission municipale ou à y être nommé, ou à occuper une fonction municipale pendant les cinq ans qui suivent la date du jugement ou de l'ordonnance portant inadmissibilité, auquel cas des procédures peuvent êtres intentées contre ce membre au même titre qu'un conseiller municipal frappé d'inadmissibilité ou déchu de sa charge en vertu de la Municipal Act. L'inadmissibilité ne peut cependant être prononcée contre le membre du conseil municipal ou de la commission municipale, selon le cas, qui prouve de façon convaincante au tribunal ou au juge saisi d'une requête en vue d'obtenir une déclaration d'inadmissibilité, qu'il n'était pas partie à l'infraction et qu'il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour en empêcher la perpétration.

Toutefois, la disposition pénale de la loi ontarienne contraste vivement avec celle qui était en cause dans l'arrêt Maritime Electric. La peine en Ontario, qui consiste à frapper d'inadmissibilité les membres du conseil, vise à contrôler les activités des autorités municipales chargées de l'approvisionnement en électricité et à prévenir les abus. La différence entre les lois de l'Ontario et du Nouveau‑Brunswick est mise en évidence par le fait que des membres du conseil ne risquent pas d'être frappés d'inadmissibilité, en vertu de l'art. 99, lorsqu'en raison d'une erreur commise par inadvertance par un employé, un client reçoit effectivement l'électricité à de meilleures conditions. De plus, la loi ontarienne n'impose aux clients aucune obligation expresse de payer et elle ne prescrit pas non plus l'imposition aux consommateurs d'une amende pour paiement insuffisant, contrairement à la loi en cause dans l'arrêt Maritime Electric. Dans ce contexte, l'interprétation la plus défendable de la loi ontarienne est qu'elle vise à prévenir l'établissement délibéré et non autorisé de distinctions entre les clients qui achètent l'électricité. La disposition pénale ne vise pas les simples erreurs commises par négligence.

Une loi peut uniquement modifier l'application des principes de common law en matière de restitution et écarter, comme moyen de défense, une fin de non‑recevoir et un changement de situation de fait lorsque l'entreprise de service public est assujettie à une obligation positive claire qui est incompatible avec l'application de ces principes. L'application des principes de restitution à la présente affaire peut se résumer brièvement. La Coop s'est vu conférer un avantage sous forme d'électricité aux dépens de Kenora Hydro. Le droit en matière de restitution forcerait normalement la Coop à restituer la valeur de cet avantage à Kenora Hydro, à moins que cette valeur n'existe plus à cause d'un changement de situation de fait. En l'espèce, la Coop a réussi à prouver qu'elle a agi à son détriment en se fiant aux factures reçues pour établir ses propres factures et son budget et que, par conséquent, la valeur de l'électricité n'existait plus aux fins d'une réparation fondée sur la restitution. Kenora Hydro a concédé, en Cour d'appel, que tel était le cas et a confirmé cette position devant notre Cour. Le moyen de défense fondé sur la fin de non‑recevoir traduit donc ce que la common law a considéré comme un motif suffisant pour dégager un défendeur de toute responsabilité dans un but d'équité. Appliquant ces principes à la présente affaire, la Coop ne serait plus responsable envers Kenora Hydro.

La Power Corporation Act n'établit pas une politique de non‑discrimination en matière de tarifs de nature à écarter le moyen de la fin de non-recevoir ou du changement de situation de fait.

En raison de l'erreur commise par les appelantes lorsqu'elles ont omis d'utiliser le multiplicateur, la Coop a indirectement, mais sans faute de sa part, bénéficié d'un rabais de 50 pour 100 sur l'électricité reçue pendant une certaine période. Permettre à l'intimée d'invoquer une fin de non‑recevoir dans ces circonstances ne dégage pas Kenora Hydro de son obligation. Cela empêche toutefois la Coop d'avoir à assumer à elle seule une perte résultant d'un changement de situation de fait dû à l'erreur de Kenora Hydro. En plus de souligner l'obligation de Kenora Hydro en lui faisant assumer la responsabilité du manquement à son obligation, cela constitue un moyen de l'obliger à être responsable. Dans les cas où ces pertes sont allouées à titre de coût facturable aux consommateurs plutôt qu'aux propriétaires de l'entreprise de service, elles seront réparties entre tous les usagers du service, favorisant ainsi l'égalité réelle entre eux étant donné qu'il est évident que le consommateur d'un service qui fait l'objet d'une facturation insuffisante et qui agit à son détriment n'est pas dans la même situation que celui dont la facturation est exacte au départ.

Obliger les consommateurs d'électricité à payer pour corriger une erreur dans de telles circonstances créerait chez eux une incertitude onéreuse et ferait assumer à chacun d'eux le fardeau de l'erreur des appelantes. Une politique générale aussi stricte devrait être clairement spécifiée dans la loi, ce qui n'est pas le cas dans la Power Corporation Act.

V. Conclusion

Il n'y a aucun conflit entre la recevabilité d'une fin de non‑recevoir et la loi ontarienne sur les services publics. Les appelantes ont, depuis lors, mis en place de nouvelles méthodes de facturation pour s'assurer que cette erreur ne se répétera pas.

Le pourvoi est rejeté avec dépens en faveur de l'intimée.

Pourvoi rejeté avec dépens, le juge en chef Lamer et les juges La Forest, McLachlin et Iacobucci sont dissidents.

Procureurs des appelantes: Goodman & Goodman, Toronto.

Procureurs de l'intimée: Aylesworth, Thompson, Phelan, O'Brien, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Services publics - Actions - Quantum meruit - Irrecevabilité en equity - Facturation insuffisante de l'électricité fournie à un client par une entreprise de service public - Prétention du client que l'entreprise est, en raison de sa négligence, irrecevable à effectuer un recouvrement - Impossibilité d'invoquer comme moyen de défense l'irrecevabilité en equity lorsqu'elle aurait pour effet d'empêcher des autorités publiques de s'acquitter d'une obligation légale positive - La loi ontarienne sur les services publics impose‑t‑elle une obligation positive? - Power Corporation Act, R.S.O. 1980, ch. 384, art. 99.

Vacationland achète l'électricité de Kenora Hydro qui, en 1979, a amélioré son approvisionnement en électricité et installé un nouveau compteur. Ce nouveau compteur était marqué d'un facteur de multiplication par 2 qui devait être utilisé dans la facturation de l'électricité consommée. Kenora Hydro a avisé de ce multiplicateur la ville de Kenora qui a la responsabilité de facturer et de recouvrer les comptes recevables mais, en raison d'une erreur d'écriture, le multiplicateur n'a pas été inscrit sur la fiche de facturation. Par conséquent, seule la moitié de l'électricité réellement consommée fut facturée à Vacationland. En 1986, lors d'une inspection de l'usine demandée par Vacationland pour des fins d'agrandissement, Kenora Hydro a découvert que le multiplicateur n'était pas utilisé pour calculer les factures. Le juge de première instance a rejeté l'action intentée par Kenora Hydro et la ville en vue de recouvrer le montant qui n'avait pas été facturé à Vacationland entre 1979 et 1986. Il a conclu qu'il n'existait pas de contrat de fourniture d'électricité entre Vacationland et Kenora Hydro et que, même si Kenora Hydro avait établi la validité de sa demande fondée sur le quantum meruit, Vacationland avait le droit d'opposer une fin de non‑recevoir comme moyen de défense. La Cour d'appel a confirmé ce jugement.

Arrêt (le juge en chef Lamer et les juges La Forest, McLachlin et Iacobucci sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Les juges L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et Major: Le présent pourvoi peut se distinguer de l'affaire Maritime Electric Co. c. General Dairies Ltd. dans laquelle le Conseil privé a statué que la fin de non‑recevoir ne pouvait être opposée lorsqu'elle aurait pour effet d'annuler une disposition législative exigeant d'une entreprise de service public qu'elle perçoive les sommes qui lui sont dues. À l'instar de la loi en cause dans cette affaire, l'art. 99 de la Power Corporation Act de l'Ontario prévoit que commet une infraction l'entreprise de service public qui impose un tarif non autorisé. Toutefois, en vertu de la loi ontarienne, aucune peine n'est imposée aux membres du conseil municipal lorsqu'en raison d'une erreur commise par inadvertance par un employé, un client reçoit effectivement l'électricité à de meilleures conditions; de plus, la loi n'impose aux clients aucune obligation expresse de payer et elle ne prescrit pas non plus l'imposition aux consommateurs d'une amende pour paiement insuffisant. La loi ontarienne est donc destinée à prévenir l'établissement délibéré et non autorisé de distinctions entre les clients qui achètent l'électricité et ne vise pas les simples erreurs commises par négligence. Une loi peut uniquement modifier l'application des principes de common law en matière de restitution et écarter, comme moyen de défense, une fin de non‑recevoir et un changement de situation de fait lorsque l'entreprise de service public est assujettie à une obligation positive claire qui est incompatible avec l'application de ces principes. En l'espèce, la Power Corporation Act n'établit pas une politique de non‑discrimination en matière de tarifs de nature à écarter le moyen de la fin de non‑recevoir ou du changement de situation de fait. Obliger les consommateurs d'électricité à payer pour corriger une erreur dans de telles circonstances créerait chez eux une incertitude onéreuse et ferait assumer à chacun d'eux le fardeau de l'erreur des appelantes. Une politique générale aussi stricte devrait être clairement spécifiée dans la loi, ce qui n'est pas le cas dans la Power Corporation Act.

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, McLachlin et Iacobucci (dissidents): La présente affaire relève directement de la règle, énoncée dans l'arrêt Maritime Electric, selon laquelle la fin de non‑recevoir ne peut avoir pour effet d'empêcher une entreprise de service public de s'acquitter d'une obligation légale de percevoir les sommes qui lui sont dues. L'obligation peut être explicite ou implicite. Par ailleurs, une obligation légale explicite existe ici à l'art. 99 de la Power Corporation Act qui paraît clairement interdire l'imposition de tarifs préférentiels ou discriminatoires. En facturant par négligence à Vacationland seulement la moitié de l'électricité qu'elle a consommée pendant la période en cause de six ans, Kenora Hydro a réduit le coût de son électricité de sorte qu'elle l'a en fait approvisionnée à un tarif inférieur ou à de meilleures conditions. Le défaut de percevoir le montant non facturé est contraire à la prescription de tarifs non discriminatoires contenue dans la Loi. Ni la nature de la peine prévue pour l'infraction ni le tort qu'elle vise à redresser ne sont pertinents lorsqu'il s'agit de déterminer s'il existe une obligation légale positive. L'article 99 n'écarte pas non plus la peine dans un cas d'erreur commise par inadvertance ou de négligence. En raison de son statut d'entreprise publique, Kenora Hydro ne peut imposer à un client un tarif inférieur à celui imposé à d'autres clients de la même catégorie. Il y a manquement à cette exigence de la Loi peu importe qu'il s'agisse d'une erreur commise par négligence ou d'une préférence intentionnelle. Le public a intérêt à veiller à ce qu'une ressource publique essentielle, fortement réglementée, soit distribuée également dans une certaine mesure. On ne saurait ignorer cette politique d'égalité simplement parce qu'elle est une source de difficultés pour un consommateur donné. Les aspects négatifs de l'imposition de ces coûts au consommateur ayant fait l'objet d'une facturation insuffisante doivent être soupesés en fonction de l'aubaine dont ce client se trouverait à profiter aux dépens d'une société exploitée pour l'avantage de l'ensemble du public.


Parties
Demandeurs : Commission hydro-électrique de Kenora (Ville)
Défendeurs : Vacationland Dairy Co-operative Ltd.

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Major
Distinction d'avec l'arrêt: Maritime Electric Co. c. General Dairies Ltd., [1937] 1 D.L.R. 609.
Citée par le juge Iacobucci (dissident)
Maritime Electric Co. c. General Dairies Ltd., [1937] 1 D.L.R. 609 (C.P.), inf. [1935] R.C.S. 519, inf. [1934] 4 D.L.R. 436 (Div. app. C.S.N.‑B.)
Re Inter‑City Gas Utilities Ltd. and Ebner (1977), 76 D.L.R. (3d) 708
Roma Electric Light and Power Co. c. Hair, [1955] St.R.Qd. 311
Chesapeake and Potomac Telephone Co. of Virginia c. Bles, 243 S.E.2d 473 (1978)
Corp. de Gestion Ste‑Foy, Inc. c. Florida Power and Light Co., 385 So.2d 124 (1980)
Boone County Sand & Gravel Co. c. Owen County Rural Electric Cooperative Corp., 779 S.W.2d 224 (1989)
Memphis Light, Gas & Water Division c. Auburndale School System, 705 S.W.2d 652 (1986)
Sigal c. City of Detroit, 362 N.W.2d 886 (1985)
Capital Properties Co. c. Public Service Commission, 457 N.Y.S.2d 635 (1982)
Goddard c. Public Service Co. of Colorado, 599 P.2d 278 (1979)
Laclede Gas Co. c. Solon Gershman, Inc., 539 S.W.2d 574 (1976)
Illinois Power Co. c. Champaign Asphalt Co., 310 N.E.2d 463 (1974)
Taranaki Electric-Power Board c. Proprietors of Puketapu 3A Block, Inc., [1958] N.Z.L.R. 297
Ontario Hydro c. Ram's Horn Holding Ltd., C. dist. Ont., no 256034/85, 25 juin 1987.
Lois et règlements cités
Loi sur la Société de l'électricité, L.R.O. 1990, ch. P.18, art. 113, 117, 118.
Loi sur les services publics, L.R.O. 1990, ch. P.52, art. 28(2), (3).
Power Corporation Act, R.S.O. 1980, ch. 384, art. 95, 98, 99.
Public Utilities Act, R.S.O. 1980, ch. 423, art. 27(2), (3), (6).

Proposition de citation de la décision: Commission hydro-électrique de Kenora (Ville) c. Vacationland Dairy Co-operative Ltd., [1994] 1 R.C.S. 80 (27 janvier 1994)


Origine de la décision
Date de la décision : 27/01/1994
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1994] 1 R.C.S. 80 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1994-01-27;.1994..1.r.c.s..80 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award