R. c. Matheson, [1994] 3 R.C.S. 328
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
Ross Nelson Matheson Intimé
et
Le Comité de la Charte et des questions de pauvreté Intervenant
Répertorié: R. c. Matheson
No du greffe: 23312.
1994: 2 et 3 mars; 1994: 29 septembre.
Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.
en appel de la cour d'appel de l'île‑du‑prince‑édouard
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Île‑du‑Prince‑Édouard (1992), 105 Nfld. & P.E.I.R. 120, 78 C.C.C. (3d) 70, 42 M.V.R. (2d) 293, qui a rejeté un appel contre une décision du juge DesRoches (1992), 102 Nfld. & P.E.I.R. 210, qui avait rejeté l'appel d'un acquittement prononcé par le juge Fitzgerald de la Cour provinciale. Pourvoi accueilli, le juge McLachlin est dissidente.
Darrell E. Coombs, pour l'appelante.
John K. Mitchell, pour l'intimé.
Mark J. Freiman, pour l'intervenant.
Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, Iacobucci et Major rendu par
Le juge en chef Lamer — La question en litige aux fins du présent pourvoi est la même que dans l'affaire R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236, entendue en même temps et dans laquelle jugement est rendu simultanément. Plus précisément, il s'agit de déterminer si l'al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés impose aux gouvernements l'obligation constitutionnelle positive de faire en sorte que toute personne détenue puisse obtenir sans frais et sans délai des conseils juridiques préliminaires.
I. Les faits
L'intimé a été accusé de conduite avec facultés affaiblies, en contravention de l'al. 253a) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, et de refus d'obtempérer à un ordre et de se soumettre à l'alcootest, en contravention du par. 254(5) du Code. Le 31 mars 1991, peu après une heure du matin, deux policiers se sont approchés d'une voiture immobilisée au bord de la route. Les clés étaient sur le contact, le moteur était en marche et l'intimé dormait au volant. L'agent Dyck a réveillé l'intimé et lui a fait prendre place dans l'auto‑patrouille. Au procès, l'agent a témoigné que l'haleine de l'intimé exhalait une forte odeur d'alcool, que l'intimé avait du mal à articuler, que ses propos étaient incohérents et que ses yeux semblaient vitreux et injectés de sang.
Après la mise en garde type concernant les droits garantis par la Charte, l'agent Millard a ordonné à l'intimé de lui fournir des échantillons de son haleine. Voici le texte de la mise en garde:
[traduction] . . . je vous arrête pour conduite avec facultés affaiblies. Vous avez droit à l'assistance d'un avocat sans délai. Vous pouvez appeler l'avocat de votre choix. Vous pouvez obtenir des conseils juridiques gratuits en application du Régime d'aide juridique de la province, avez‑vous compris . . . ?
Après quelques minutes, l'intimé a répondu qu'il avait compris. Lorsqu'on lui a demandé s'il voulait appeler un avocat, il a répondu «non».
Au procès, l'intimé a témoigné que, au cours des deux semaines qui avaient précédé la date de l'accusation, il avait manqué de sommeil du fait qu'il avait dû passer beaucoup de temps à l'hôpital au chevet de sa mère malade. Il a expliqué que, le jour où les faits en cause se sont déroulés, après avoir bu quelques bières avec un ami, il était monté dans son auto, s'était assoupi et avait dormi pendant deux heures et demie.
Au moment de la présumée infraction, l'Île‑du‑Prince‑Édouard ne mettait pas à la disposition des personnes détenues, sur demande et sans égard à leur situation financière, un service d'«avocats de garde selon Brydges». D'après l'avocat de l'appelante, un service de cette nature avait été momentanément offert, du mois de juillet 1990 au 18 janvier 1991, dans le cadre du régime provincial d'aide juridique, mais avait été supprimé à la suite de compressions budgétaires. À la date de l'audition du présent pourvoi, il n'y avait toujours pas, dans cette province, de système d'avocats de garde en dehors des heures de bureau.
Au procès, la preuve du refus de l'intimé de fournir un échantillon d'haleine a été écartée en application du par. 24(2) de la Charte et l'accusation de refus d'obtempérer a été rejetée. En ce qui concerne l'accusation de conduite avec facultés affaiblies, le juge du procès a conclu que le ministère public n'avait pas établi la culpabilité hors de tout doute raisonnable et il a acquitté l'intimé. Le ministère public n'a pas présenté d'argument relativement à la demande d'exclusion de la preuve en cause. Il en a néanmoins appelé de l'acquittement quant aux deux chefs d'accusation devant la Cour suprême de la province, section de première instance, puis devant la Cour d'appel. Les deux appels ont été rejetés. Quant au pourvoi dont notre Cour est saisie, le ministère public en appelle uniquement de l'accusation de refus de fournir un échantillon d'haleine, fondée sur le par. 254(5) du Code.
II. Les juridictions inférieures
La Cour provinciale (le juge Fitzgerald)
Le juge Fitzgerald a accueilli la requête visant à écarter un élément de preuve en application du par. 24(2) de la Charte, pour le motif que l'intimé n'avait pas été convenablement informé du droit à l'assistance d'un avocat garanti par la Charte. Il a statué que les policiers étaient tenus:
[traduction] . . . de faire en sorte qu'il soit tout à fait clair [pour l'intimé] qu'il a la possibilité, à ce moment précis, avant qu'il ne fasse quoi que ce soit qui puisse l'incriminer, de faire appel au service d'aide juridique offert dans la province.
Il n'était pas convaincu qu'il était raisonnable de croire que l'intimé avait compris qu'il avait le droit de faire appel à l'aide juridique sans délai. La mention du service d'aide juridique dans la mise en garde laissait entendre que l'intimé pourrait faire une demande à un moment ultérieur. Le juge Fitzgerald a conclu que le libellé de la mise en garde faite à l'intimé ne satisfaisait pas aux exigences établies dans l'arrêt R. c. Brydges, [1990] 1 R.C.S. 190.
La Cour suprême, section de première instance (1992), 102 Nfld. & P.E.I.R. 210 (le juge DesRoches)
Le juge DesRoches a fait remarquer que la décision de notre Cour dans l'arrêt Brydges, imposait aux policiers l'obligation d'informer toute personne arrêtée ou détenue de l'existence des services d'avocats de garde et de la possibilité de présenter une demande d'aide juridique. À son avis, même si les remarques formulées à ce sujet par les juges majoritaires étaient incidentes, elles [traduction] «étaient manifestement faites dans le but de guider la police et les tribunaux à l'avenir» (p. 215). À cet égard, il a invoqué certains arrêts et ouvrages selon lesquels les remarques incidentes de la Cour suprême du Canada lient les tribunaux d'instance inférieure.
Le juge DesRoches a conclu, aux pp. 217 et 218:
[traduction] Certes, la portée du droit à l'assistance d'un avocat, garanti par l'al. 10b) de la Charte, n'est pas tributaire de la décision des autorités provinciales de prévoir ou non des modalités grâce auxquelles toute personne arrêtée ou détenue peut obtenir sans délai des conseils juridiques . . .
L'inexistence de services d'avocats de garde dans ce ressort fait en sorte que, dans plusieurs cas où une arrestation ou une mise en détention se produit en dehors des heures de bureau habituelles, la personne qui n'a pas les moyens de recourir aux services d'un avocat ou qui n'en connaît aucun se voit dans les faits privée du droit à des conseils et à une aide juridiques immédiats, mais temporaires. En d'autres termes, elle se voit privée du droit à l'assistance d'un avocat.
Il n'appartient pas aux tribunaux, dans un cas comme celui‑ci, de se substituer aux autorités provinciales et d'établir les priorités de l'État compte tenu de ressources financières qui sont, sans aucun doute, limitées. [Dans Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679], la Cour suprême du Canada a statué que même lorsque l'application de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 n'est pas déclenchée, il peut y avoir une réparation en vertu du par. 24(1) de la Charte. Cela peut se produire quand, comme dans la présente affaire, la loi ou la disposition législative n'est pas inconstitutionnelle en soi, mais qu'elle donne lieu à une mesure prise en contravention des droits garantis par la Charte. Il incombe aux tribunaux de première instance, à juste titre d'ailleurs, de déterminer, dans chaque cas d'espèce, s'il y a violation du droit à l'assistance d'un avocat et, le cas échéant, quelle réparation, s'il en est, s'impose vu les circonstances. Force est de conclure que les autorités provinciales qui décident de ne pas offrir les services d'un avocat de garde sont prêtes à assumer les conséquences juridiques de leur décision, quelles qu'elles soient.
Vu les circonstances de la présente affaire, je ne suis pas disposé à renverser la décision du juge du procès. L'appel est rejeté.
La Cour d'appel (1992), 105 Nfld. & P.E.I.R. 120 (le juge en chef Carruthers, le juge Mitchell et le juge Mullally (ad hoc))
Le juge Mitchell a conclu que l'al. 10b) de la Charte obligeait les policiers à informer toute personne détenue de son droit aux conseils immédiats, quoique temporaires, d'un avocat de garde, sans égard à sa situation financière. Il a ajouté, à la p. 121, qu'il appartenait [traduction] «aux responsables de l'administration de la justice dans la province de veiller à ce que de tels services soient offerts». Selon lui, il découlait essentiellement de l'arrêt Brydges que toute personne détenue devait être informée de son droit à une assistance juridique immédiate, temporaire et gratuite. Il en arrive à la conclusion que la mise en garde servie à l'intimé n'était pas conforme à cette exigence parce qu'elle n'informait pas clairement l'intimé qu'il pouvait obtenir gratuitement des conseils juridiques immédiats, de façon temporaire. Il a par ailleurs confirmé la décision d'écarter l'élément de preuve en cause en application du par. 24(2) de la Charte.
III. Analyse
Comme je l'explique dans l'arrêt connexe Prosper, l'al. 10b) de la Charte n'a pas pour effet d'imposer aux gouvernements une obligation positive de fournir un système d'«avocats de garde selon Brydges», ou encore d'accorder à toute personne détenue le droit analogue à des conseils juridiques gratuits et préliminaires 24 heures par jour.
Dans la présente espèce, l'intimé a été mis en détention aux petites heures du matin. La mise en garde qui lui a été servie relativement à l'application de l'al. 10b) satisfaisait aux exigences en matière d'information énoncées par les juges majoritaires de notre Cour dans l'arrêt Brydges, lesquelles ont été confirmées dans l'arrêt R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173. Ainsi, l'intimé a été informé non seulement de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat, mais également de celui de présenter une demande d'aide juridique. Puisque, au moment de sa détention, il n'existait à l'Île‑du‑Prince‑Édouard aucun service d'avocats de garde exerçant leurs fonctions sur demande 24 heures par jour, il n'était manifestement pas nécessaire ni opportun d'informer l'intimé d'un droit aux services d'un avocat de garde. Ayant satisfait aux exigences du volet information de l'al. 10b), les policiers n'étaient tenus à aucune autre obligation tant que l'intimé ne faisait pas valoir son droit à l'assistance juridique en demandant à parler à un avocat.
Même si l'intimé a mis du temps à répondre aux policiers, aucun élément du dossier ne permet de conclure qu'il n'a pas compris quels étaient ses droits. De fait, les policiers semblent avoir agi avec circonspection et avoir attendu que l'intimé réponde à chacune des questions avant de poser la suivante. En l'espèce, lorsqu'on lui a demandé s'il désirait appeler un avocat, l'intimé a répondu «non» de manière claire et non équivoque. Ce faisant, il a soustrait les policiers à toute obligation supplémentaire aux termes de l'al. 10b) (c.‑à ‑d. lui donner une possibilité raisonnable de joindre un avocat et s'abstenir de lui soutirer des éléments de preuve jusqu'à ce qu'il ait eu cette possibilité). Par conséquent, aucune violation de l'al. 10b) ne ressort des faits de la présente espèce et la preuve du refus de l'intimé de se soumettre à l'alcootest est recevable.
Je suis donc d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner la tenue d'un nouveau procès comme le demande l'appelante.
Version française des motifs des juges L'Heureux-Dubé et Gonthier rendus par
Le juge L'Heureux‑Dubé — Cet appel et les quatre autres entendus en même temps (R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173, R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236, R. c. Pozniak, [1994] 3 R.C.S. 310, et R. c. Harper, [1994] 3 R.C.S. 343), dont les jugements sont rendus simultanément, soulèvent la question de la portée de la garantie énoncée à l'al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés, soit le droit de toute personne, en cas d'arrestation ou de détention, «d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit». La question plus précise qui se pose en l'espèce est de savoir si l'al. 10b) de la Charte impose aux gouvernements une obligation constitutionnelle positive de faire en sorte que toutes les personnes détenues puissent obtenir sans frais et sans délai des conseils juridiques préliminaires, question qui a également été soulevée dans l'arrêt Prosper.
J'ai eu l'occasion de lire les motifs du Juge en chef et ceux du juge McLachlin. Je partage l'avis du Juge en chef qu'il y a lieu d'accueillir le pourvoi et d'ordonner la tenue d'un nouveau procès et, à cet égard, je me réfère aux motifs que j'ai formulés dans l'arrêt Prosper, comme s'ils étaient ici intégralement reproduits. Comme le Juge en chef, je suis d'avis que l'al. 10b) de la Charte «n'a pas pour effet d'imposer aux gouvernements une obligation positive de fournir un système d'"avocats de garde selon Brydges", ou encore d'accorder à toute personne détenue le droit analogue à des conseils juridiques gratuits et préliminaires 24 heures par jour» (p. 336). Par conséquent, la seule question qui reste à trancher est de savoir si la police a bien informé l'intimé des droits que lui garantit l'al. 10b), tel qu'interprété par la jurisprudence. À mon avis, le policier a rempli l'obligation qui lui incombait lorsqu'il a fait la mise en garde suivante à l'intimé:
[traduction] . . . je vous arrête pour conduite avec facultés affaiblies. Vous avez droit à l'assistance d'un avocat sans délai. Vous pouvez appeler l'avocat de votre choix. Vous pouvez obtenir des conseils juridiques gratuits en application du Régime d'aide juridique de la province, avez‑vous compris . . . ?
Puisque l'intimé a indiqué qu'il ne voulait pas consulter d'avocat, l'agent Millard n'était pas tenu de lui faciliter le recours à l'assistance d'un avocat, qu'il soit rémunéré par l'aide juridique ou non.
Comme il n'y a pas eu violation de l'al. 10b) de la Charte, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur l'effet du par. 24(2) de la Charte. Le juge du procès et la cour d'appel ont donc commis une erreur en concluant à la violation de la Charte et en excluant la preuve obtenue au moyen de l'alcootest. Il y a donc lieu d'ordonner un nouveau procès.
Je suis d'avis de trancher le pourvoi comme le propose le Juge en chef.
Version française des motifs rendus par
Le juge McLachlin (dissidente) — Conformément aux principes que j'ai formulés dans l'arrêt R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236, rendu simultanément, je suis d'avis qu'il y a eu violation de l'al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés et que, en application du par. 24(2), la preuve ne devait pas être utilisée. En conséquence, je suis d'avis de confirmer l'ordonnance d'acquittement.
I. Les faits
Les faits et les décisions des juridictions inférieures ont été exposés en détail par le Juge en chef. En résumé, le 31 mars 1991, l'intimé a été arrêté vers 1 h 20 par deux policiers qui l'ont trouvé endormi au volant de sa voiture en marche, immobilisée au bord de la route. L'intimé a été réveillé et a, sur les lieux, reçu lecture de la mise en garde suivante:
[traduction] . . . je vous arrête pour conduite avec facultés affaiblies. Vous avez droit à l'assistance d'un avocat sans délai. Vous pouvez appeler l'avocat de votre choix. Vous pouvez obtenir des conseils juridiques gratuits en application du Régime d'aide juridique de la province, avez‑vous compris . . .
Quelques minutes plus tard, l'intimé a fait savoir qu'il avait compris. Lorsqu'on lui a demandé s'il voulait appeler un avocat, il a répondu «non». Il a ensuite refusé de fournir un échantillon d'haleine.
Le juge du procès a conclu qu'il y avait eu violation du droit de l'intimé d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat que lui garantit l'al. 10b) de la Charte. Il a aussi conclu que l'utilisation de la preuve du refus de l'intimé d'obtempérer à l'ordre de soumettre un échantillon d'haleine était susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. La preuve a été écartée en vertu du par. 24(2) de la Charte et l'intimé a été acquitté. La Cour suprême de la province, section de première instance (1992), 102 Nfld. & P.E.I.R. 210, et la Cour d'appel (1992), 105 Nfld. & P.E.I.R. 120, ont confirmé l'acquittement.
II. Analyse
L'alinéa 10b)
À mon avis, la mise en garde donnée à l'accusé en l'espèce ne permet pas de satisfaire aux exigences formulées dans l'arrêt Prosper relativement au volet information de l'al. 10b). À l'époque de la mise en détention de l'intimé, il n'existait pas dans le ressort en question de système d'avocats de garde. Néanmoins, la police était tenue d'informer l'intimé d'une part, qu'il avait le droit de tenter de communiquer immédiatement avec un avocat et d'autre part, que ce droit ne dépendait pas de sa capacité d'en assumer le coût. En l'espèce, si la mise en garde donnée à l'intimé l'a convenablement informé de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat, elle donnait l'impression qu'un accusé impécunieux avait seulement le droit de consulter un avocat s'il présentait une demande dans le cadre du régime d'aide juridique de la province. Comme dans l'affaire R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173, dont jugement est rendu simultanément, la mention dans l'accusation du régime d'aide juridique laissait entendre que l'aide juridique gratuite était seulement offerte à la suite d'une demande, laissant supposer que le droit à l'assistance immédiate d'un avocat existait seulement si la personne détenue avait les moyens de recourir aux services d'un avocat de cabinet privé.
La violation de l'al. 10b) était complète au moment où la police a négligé d'informer convenablement l'intimé de la teneur et de l'étendue de son droit à l'assistance d'un avocat. J'insiste sur le fait que la violation s'est produite à l'étape du volet information; puisque l'intimé n'a pas été convenablement mis en garde, les éléments requis du volet mise en application du droit n'ont pas à être examinés. De même, les questions de diligence et de renonciation ne se présentent pas en l'espèce.
Il reste à déterminer si les éléments de preuve obtenus à la suite de la violation devraient être écartés en vertu du par. 24(2).
Le paragraphe 24(2)
Pour déterminer si les éléments de preuve obtenus à l'occasion d'une violation de l'al. 10b) devraient être utilisés, un tribunal doit soupeser l'effet de l'utilisation de la preuve sur l'équité du procès, la gravité de la violation et l'effet de l'exclusion de la preuve sur la considération dont jouit l'administration de la justice: R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, aux pp. 284 à 286.
Le premier facteur formulé dans l'arrêt Collins est de savoir si l'utilisation de la preuve attaquée porterait atteinte à l'équité du procès. Dans les circonstances de l'espèce, je suis convaincue que l'utilisation du refus de l'intimé de fournir un échantillon d'haleine porterait en fait atteinte à son droit à un procès équitable. Premièrement, la preuve en cause a été obtenue en mobilisant l'accusé contre lui‑même et est incriminante. Deuxièmement, la preuve constitue l'actus reus de l'infraction même. Enfin, le dossier n'indique pas ce que l'intimé aurait fait s'il avait été convenablement informé des droits que lui confère l'al. 10b). Je suis d'accord avec le point de vue exprimé par le juge en chef Lamer dans l'arrêt Bartle, précité, à la p. 211, selon lequel lorsqu'il n'est pas possible de conclure que l'accusé aurait agi d'une manière ou d'une autre s'il n'y avait pas eu violation de l'al. 10b), c'est au ministère public qu'il revient de subir les conséquences de cette incertitude. Dans ces circonstances, les tribunaux supposeront que la preuve n'aurait pas été obtenue s'il n'y avait pas eu violation.
Puisque j'ai conclu que l'utilisation du refus aurait pour effet de rendre le procès inéquitable, je n'ai pas à examiner le deuxième volet du critère formulé dans l'arrêt Collins, qui concerne la gravité de la violation. Dans l'arrêt R. c. Elshaw, [1991] 3 R.C.S. 24, à la p. 43, notre Cour a fait ressortir que les deux premiers facteurs formulés dans l'arrêt Collins sont deux motifs utilisés en faveur de l'exclusion des éléments de preuve, et non de leur utilisation.
En ce qui concerne le troisième élément du critère formulé dans l'arrêt Collins, je suis convaincue que, compte tenu de toutes les circonstances, l'exclusion de la preuve attaquée sert à long terme l'intérêt de l'administration de la justice. Même si la preuve en cause était essentielle dans une poursuite visant à enrayer un problème social grave et constant, l'utilisation d'une preuve auto‑incriminante obtenue à l'occasion d'une violation de l'al. 10b) serait, dans l'ensemble, susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. En conséquence, la preuve du refus de l'intimé d'obtempérer à l'ordre de fournir un échantillon d'haleine devrait être écartée en application du par. 24(2) de la Charte.
III. Dispositif
Je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l'ordonnance d'acquittement.
Pourvoi accueilli, le juge McLachlin est dissidente.
Procureur de l'appelante: Le procureur général de l'Île‑du‑Prince‑Édouard, Charlottetown.
Procureurs de l'intimé: Stewart, McKelvey, Stirling, Scales, Charlottetown.
Procureurs de l'intervenant: McCarthy, Tétrault, Toronto.