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20/10/1994 | CANADA | N°[1994]_3_R.C.S._551

Canada | Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551 (20 octobre 1994)


Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551

Amanda Louise Thomson Appelante

c.

Paul Thomson Intimé

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général de l'Ontario et

le procureur général du Manitoba Intervenants

Répertorié: Thomson c. Thomson

No du greffe: 23794.

Audition et jugement: 26 janvier 1994.

Motifs déposés: 20 octobre 1994.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel d

u manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1993), 88 Man. R. (2d) 204, 51 W.A.C. 204, 50 R.F.L. (3d) 145, 107 D.L.R...

Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551

Amanda Louise Thomson Appelante

c.

Paul Thomson Intimé

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général de l'Ontario et

le procureur général du Manitoba Intervenants

Répertorié: Thomson c. Thomson

No du greffe: 23794.

Audition et jugement: 26 janvier 1994.

Motifs déposés: 20 octobre 1994.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1993), 88 Man. R. (2d) 204, 51 W.A.C. 204, 50 R.F.L. (3d) 145, 107 D.L.R. (4th) 695, [1993] 8 W.W.R. 385, qui a confirmé la décision de la Cour du Banc de la Reine, Division de la famille (1993), 87 Man. R. (2d) 68, 48 R.F.L. (3d) 308, [1993] 7 W.W.R. 355, qui avait ordonné que la mère retourne l'enfant en Écosse. Pourvoi rejeté.

Martin G. Tadman, pour l'appelante.

Jack A. King et Holly D. Penner, pour l'intimé.

Graham Garton, c.r., et Louise Lussier, pour l'intervenant le procureur général du Canada.

Robert H. Ratcliffe et Elizabeth Bucci, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.

Joan A. MacPhail, pour l'intervenant le procureur général du Manitoba.

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory et Iacobucci rendu par

//Le juge La Forest//

Le juge La Forest — Le présent pourvoi pose pour la première fois à notre Cour la question de l'interprétation et de l'application de la Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants de la Haye, R.T. Can. 1983 no 35, à laquelle le Canada est partie. L'objectif fondamental de la Convention, énoncé dans son préambule, est de protéger l'enfant contre les effets nuisibles d'un déplacement ou d'un non‑retour illicites et d'établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l'enfant dans l'État de sa résidence habituelle.

En l'espèce, un enfant né en Écosse de parents écossais a été emmené au Canada en décembre 1992 par sa mère qui venait visiter ses parents au Manitoba. Une fois au pays, elle a décidé d'y rester définitivement. Au moment où elle a emmené l'enfant, elle avait obtenu sa garde provisoire à la suite de la rupture de son mariage; le père avait toutefois obtenu un droit de visite provisoire dans une ordonnance qui interdisait que l'enfant soit emmené hors de l'Écosse. Il s'agit principalement de savoir si l'enfant doit être rapatrié conformément à la Convention ou aux dispositions de la loi d'application de la Convention au Manitoba, la Loi sur l'exécution des ordonnances de garde, L.R.M. 1987, ch. C360.

Les faits

L'appelante, Amanda Louise Thomson, et l'intimé, Paul Thomson se sont mariés en Écosse en février 1991. Elle était âgée de 17 ans, lui de 22 ans. Leur enfant Matthew est né le 22 mars 1992. À compter de cette date jusqu'en juillet 1992, ils vivaient tous chez les parents de l'époux. En juillet 1992, ils ont emménagé dans leur propre appartement loué. Matthew a toutefois continué de vivre une partie de la semaine chez ses grands‑parents paternels et l'autre partie, avec ses parents.

Le dimanche 27 septembre 1992, les grands‑parents devaient retourner l'enfant, mais ne l'ont pas fait. Trois jours plus tard, ils ne l'avaient toujours pas retourné. Cet incident a précipité une dispute entre ses parents, qui ont convenu de se séparer. L'enfant est demeuré avec ses grands‑parents paternels.

Les deux parents ont demandé la garde de Matthew. La demande de la mère a été entendue devant la Cour du shérif de Stranraer en Écosse le 9 octobre 1992; les deux parties y étaient représentées. Le procureur désigné par la cour pour rendre compte de la situation de l'enfant a indiqué notamment dans son rapport que la mère était le parent le plus qualifié, qu'elle était animée d'une plus grande volonté et d'une plus grande ambition que le père, que toutes les parties vivaient de l'aide sociale, que lorsque Matthew était sous la garde de son père, c'est sa grand‑mère paternelle qui prenait soin de lui, et que le père de Matthew jugeait acceptable que son enfant soit élevé par sa grand‑mère.

Le 27 novembre 1992, le shérif a accordé à l'appelante la garde provisoire de Matthew. Il a également accordé à l'intimé un droit de visite provisoire et ordonné que l'enfant demeure en Écosse jusqu'à ce que la cour rende une autre ordonnance (la cour avait en main une preuve que la mère songeait à aller vivre au Canada avec ses parents, qui y avaient récemment émigré). Aucune des parties n'a comparu en personne à l'audience. L'appelante a subséquemment attesté que, lorsqu'elle a discuté avec son avocate après l'audience, cette dernière était pressée et lui a seulement dit: [traduction] «Nous avons gagné! Vous avez la garde de Matthew», et que M. Thomson avait obtenu un droit de visite. L'avocate aurait dit à l'appelante qu'elle lui remettrait un rapport expliquant la décision de la cour dans [traduction] «quelques jours». Le 2 décembre 1992, sans avoir reçu ce rapport, l'appelante a quitté l'Écosse avec Matthew pour visiter ses parents au Manitoba.

C'est pendant les deux mois suivants qu'a germé dans l'esprit de l'appelante l'intention de demeurer au Manitoba avec son enfant. Elle s'est inscrite dans une école secondaire canadienne et elle a affirmé qu'elle prévoyait poursuivre une éducation post‑secondaire après avoir reçu son diplôme. Pendant ce temps, elle et Matthew vivaient à la ferme familiale près de Wawanesa (Manitoba).

Le 3 février 1993, l'appelante a demandé la garde de Matthew au Manitoba. Le même jour, l'audition sur la garde a repris en Écosse. L'époux intimé y a obtenu une ordonnance de garde. L'appelante a témoigné par la suite qu'elle n'était pas au courant de cette audience tenue en Écosse, qu'elle n'y a pas assisté et n'a donné aucune instructions à l'avocate qui l'avait auparavant représentée. Cette dernière a d'ailleurs obtenu, à l'audience, l'autorisation de se retirer. Le dossier indique seulement que l'intimé et sa mère ont témoigné.

Le 25 février 1993, l'intimé a introduit une demande visant le retour de l'enfant en vertu de la Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants de La Haye. La demande a été remplie d'une façon qui, comme nous le verrons, semble dénoter une mauvaise compréhension du libellé de la Convention et de ses conditions. Dans la lettre qui accompagnait la demande, l'autorité centrale écossaise (c'est‑à‑dire l'organisme désigné en Écosse pour étudier les demandes sous le régime de la Convention) indiquait qu'[traduction] «[e]n vertu de la common law de l'Écosse, les parents mariés d'un enfant ont un droit de garde conjoint à moins que la cour n'ordonne autrement». Plus loin dans le document, sous le titre «Partie requérante: personne ou institution (qui exerçait la garde effectivement avant l'enlèvement)» est inscrit le nom de l'appelante, Amanda Louise Thomson. Encore plus loin, sous la rubrique «Motifs de fait ou légaux justifiant la requête», on a écrit [traduction] «Aux termes de l'ordonnance rendue le 3 février 1993 par la Cour du shérif de Stranraer, Paul Thomson a la garde légale de l'enfant». Comme nous pourrons le constater, la procédure suivie semble être plus conforme au libellé et aux exigences de la Convention européenne qui traite de cette question au sein de la Communauté économique européenne. Cette démarche n'est pas rare, du moins quant aux demandes britanniques présentées en vertu de la Convention de La Haye. Toutefois elle peut, comme ce fut le cas en l'espèce, entraîner des difficultés relativement au retour de l'enfant à partir du Canada.

En mars 1993, l'intimé a répliqué à la demande présentée par son épouse au Manitoba pour obtenir la garde par une demande fondée sur la Loi sur l'exécution des ordonnances de garde et sur la Convention afin que l'enfant soit retourné en Écosse. Peu après, soit en avril 1993, Mme Thomson a interjeté sans succès appel de l'ordonnance de garde rendue en Écosse (il semble qu'elle ait donné ses instructions à son avocate au téléphone et n'ait pas comparu en personne). Les motifs du rejet de l'appel ne font pas partie du dossier.

Dispositions pertinentes de la Convention et de la Loi

Par souci de commodité, je reproduis ici les dispositions pertinentes de la Convention et de la Loi:

Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, R.T. Can. 1983 no 35

[Préambule]

Les États signataires de la présente Convention,

Profondément convaincus que l'intérêt de l'enfant est d'une importance primordiale pour toute question relative à sa garde,

Désirant protéger l'enfant, sur le plan international, contre les effets nuisibles d'un déplacement ou d'un non‑retour illicites et établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l'enfant dans l'État de sa résidence habituelle, ainsi que d'assurer la protection du droit de visite,

Ont résolu de conclure une Convention à cet effet, et sont convenus des dispositions suivantes:

Article 1

La présente Convention a pour objet:

a)d'assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout État contractant;

b)de faire respecter effectivement dans les autres États contractants les droits de garde et de visite existant dans un État contractant.

Article 3

Le déplacement ou le non‑retour d'un enfant est considéré comme illicite:

a)lorsqu'il a lieu en violation d'un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l'État dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non‑retour; et

b)que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non‑retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus.

Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d'une attribution de plein droit, d'une décision judiciaire ou administrative, ou d'un accord en vigueur selon le droit de cet État.

Article 5

Au sens de la présente Convention:

a)le «droit de garde» comprend le droit portant sur les soins de la personne de l'enfant, et en particulier celui de décider de son lieu de résidence;

b)le «droit de visite» comprend le droit d'emmener l'enfant pour une période limitée dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle.

Article 11

Les autorités judiciaires ou administratives de tout État contractant doivent procéder d'urgence en vue du retour de l'enfant.

Lorsque l'autorité judiciaire ou administrative saisie n'a pas statué dans un délai de six semaines à partir de sa saisine, le demandeur ou l'Autorité centrale de l'État requis, de sa propre initiative ou sur requête de l'Autorité centrale de l'État requérant, peut demander une déclaration sur les raisons de ce retard. Si la réponse est reçue par l'Autorité centrale de l'État requis, cette Autorité doit la transmettre à l'Autorité centrale de l'État requérant ou, le cas échéant, au demandeur.

Article 12

Lorsqu'un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l'article 3 et qu'une période de moins d'un an s'est écoulée à partir du déplacement ou du non‑retour au moment de l'introduction de la demande devant l'autorité judiciaire ou administrative de l'État contractant où se trouve l'enfant, l'autorité saisie ordonne son retour immédiat.

. . .

Article 13

Nonobstant les dispositions de l'article précédent, l'autorité judiciaire ou administrative de l'État requis n'est pas tenue d'ordonner le retour de l'enfant, lorsque la personne, l'institution ou l'organisme qui s'oppose à son retour établit:

a)que la personne, l'institution ou l'organisme qui avait le soin de la personne de l'enfant n'exerçait pas effectivement le droit de garde à l'époque du déplacement ou du non‑retour, ou avait consenti ou a acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non‑retour; ou

b)qu'il existe un risque grave que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.

L'autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d'ordonner le retour de l'enfant si elle constate que celui‑ci s'oppose à son retour et qu'il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion.

Dans l'appréciation des circonstances visées dans cet article, les autorités judiciaires ou administratives doivent tenir compte des informations fournies par l'Autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l'État de la résidence habituelle de l'enfant sur sa situation sociale.

Article 15

Les autorités judiciaires ou administratives d'un État contractant peuvent, avant d'ordonner le retour de l'enfant, demander la production par le demandeur d'une décision ou d'une attestation émanant des autorités de l'État de la résidence habituelle de l'enfant constatant que le déplacement ou le non‑retour était illicite au sens de l'article 3 de la Convention, dans la mesure où cette décision ou cette attestation peut être obtenue dans cet État. Les Autorités centrales des États contractants assistent dans la mesure du possible le demandeur pour obtenir une telle décision ou attestation.

Article 16

Après avoir été informées du déplacement illicite d'un enfant ou de son non‑retour dans le cadre de l'article 3, les autorités judiciaires ou administratives de l'État contractant où l'enfant a été déplacé ou retenu ne pourront statuer sur le fond du droit de garde jusqu'à ce qu'il soit établi que les conditions de la présente Convention pour un retour de l'enfant ne sont pas réunies . . .

Article 20

Le retour de l'enfant conformément aux dispositions de l'article 12 peut être refusé quand il ne serait pas permis par les principes fondamentaux de l'État requis sur la sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Article 21

Une demande visant l'organisation ou la protection de l'exercice effectif d'un droit de visite peut être adressée à l'Autorité centrale d'un État contractant selon les mêmes modalités qu'une demande visant au retour de l'enfant.

Les Autorités centrales sont liées par les obligations de coopération visées à l'article 7 pour assurer l'exercice paisible du droit de visite et l'accomplissement de toute condition à laquelle l'exercice de ce droit serait soumis, et pour que soient levés, dans toute la mesure du possible, les obstacles de nature à s'y opposer.

Les Autorités centrales, soit directement, soit par des intermédiaires, peuvent entamer ou favoriser une procédure légale en vue d'organiser ou de protéger le droit de visite et les conditions auxquelles l'exercice de ce droit pourrait être soumis.

Loi sur l'exécution des ordonnances de garde, L.R.M. 1987, ch. C360

3 Le tribunal saisi d'une demande à cet effet, est tenu de faire exécuter l'ordonnance de garde rendue par un tribunal extra‑provincial; il peut prendre toute mesure qu'il juge nécessaire pour donner à cette ordonnance la force exécutoire de ses propres ordonnances, à moins d'être convaincu, sur la foi des preuves produites, qu'à la date de cette ordonnance, l'enfant qui en fait l'objet n'avait pas de liens étroits et véritables avec la province, l'État ou le pays dans lequel l'ordonnance de garde a été rendue.

4(1) Malgré l'existence d'une ordonnance de garde à l'égard d'un enfant rendue par un tribunal extra‑provincial, un tribunal peut, sur demande, rendre une ordonnance de garde à l'égard de cet enfant qui diffère de celle rendue par le tribunal extra‑provincial s'il conclut :

a) d'une part, que l'enfant qui fait l'objet de l'ordonnance de garde extra‑provinciale n'a pas, à la date de la demande d'une nouvelle ordonnance, de liens étroits et véritables avec la province, l'État ou le pays dans lequel l'ordonnance extra‑provinciale a été rendue ou exécutée en dernier lieu;

b) d'autre part, que l'enfant a des liens étroits et véritables avec le Manitoba ou que toutes les parties intéressées dans l'ordonnance de garde résident au Manitoba.

5 Malgré toute autre disposition de la présente loi, le tribunal qui conclut que l'enfant subirait un préjudice grave s'il demeurait sous la garde de la personne nommée dans une ordonnance de garde extra‑provinciale ou s'il était confié de nouveau à la garde de cette personne, peut rendre une ordonnance de garde à l'égard de l'enfant différente de celle rendue par le tribunal extra‑provincial.

6 Si le tribunal saisi de la demande :

a) ou bien conclut que l'enfant a été amené ou est retenu irrégulièrement au Manitoba;

b) ou bien ne peut statuer en application de l'article 4;

il peut :

c) rendre toute ordonnance de garde provisoire qu'il juge être au mieux des intérêts de l'enfant;

d) suspendre l'audition de la demande sous réserve :

(i) soit de l'obligation faite à une partie d'intenter promptement la même procédure devant un tribunal extra‑provincial ou d'y donner suite avec diligence,

(ii) soit de toute autre condition que le tribunal juge indiquée;

e) ordonner à une partie de renvoyer l'enfant au lieu que le tribunal juge indiqué et ordonner, à sa discrétion, le paiement des dépenses de voyage et autres dépenses raisonnables faites par l'enfant, par les autres parties ou par les témoins à l'audition de la demande.

17(1) Dans le présent article, «Convention» s'entend de la Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants figurant en annexe.

17(2) Dès le 1er décembre 1983, la Convention a force de loi dans la province.

17(3) Le ministère du procureur général est l'Autorité centrale pour l'application de la Convention dans la province.

Les juridictions inférieures

La Cour du Banc de la Reine du Manitoba, Division de la famille (1993), 87 Man. R. (2d) 68

La demande de l'époux visant le retour de l'enfant a été entendue par le juge Davidson de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, tant sous le régime de la Convention que sous celui de sa loi d'application, la Loi sur l'exécution des ordonnances de garde.

Dès le début, le juge Davidson s'est montrée disposée à reconnaître les ordonnances des tribunaux écossais et elle a tranché de la façon suivante les objections soulevées à leur encontre. Qu'elle ait ou non connu l'existence de la clause de l'ordonnance provisoire rendue le 27 novembre 1992 qui interdisait le déplacement, Mme Thomson connaissait les dispositions relatives au droit de visite contenues dans cette ordonnance et elle a choisi de ne pas en tenir compte. En outre, le juge Davidson a conclu que Mme Thomson a volontairement passé outre aux procédures qu'elle avait introduites en Écosse, et qu'elle n'a pas retourné l'enfant après avoir pris connaissance de la teneur des ordonnances prononcées le 27 novembre 1992 et le 3 février 1993 par le tribunal écossais.

Le juge Davidson a conclu qu'elle devait prendre comme point de départ que tant la Convention (art. 12) que la Loi (art. 6) la contraignaient à exécuter les ordonnances des autres ressorts, sauf dans des cas limités. La première disposition (qui m'intéresse particulièrement) porte:

Article 12

Lorsqu'un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l'article 3 et qu'une période de moins d'un an s'est écoulée à partir du déplacement ou du non‑retour au moment de l'introduction de la demande devant l'autorité judiciaire ou administrative de l'État contractant où se trouve l'enfant, l'autorité saisie ordonne son retour immédiat.

Le juge Davidson a pu sans peine conclure que l'enfant avait des liens étroits avec l'Écosse et non avec le Manitoba, au sens de l'art. 3 et du par. 4(1) de la Loi. Compte tenu de ces circonstances, elle n'a évidemment pas jugé essentiel de se demander si c'est en Écosse que «l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non‑retour», comme le requiert l'al. 3a) de la Convention. Elle s'est simplement demandée si les exceptions relatives à l'obligation de retourner l'enfant, énoncées dans la Convention (art. 13) et dans la Loi (art. 5), étaient applicables.

Pour répondre à cette question, il fallait savoir si l'enfant avait subi un préjudice de la nature décrite à l'art. 13 de la Convention ou à l'art. 5 de la Loi, c'est‑à‑dire suffisamment grave pour justifier un refus de le retourner. Le juge a signalé que les deux dispositions formulaient différemment le préjudice requis. À l'article 13, il est question d'un «risque grave» que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger physique ou psychique ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable, alors que l'art. 5 renvoie simplement au fait que l'enfant «subirait un préjudice grave». Le juge Davidson a néanmoins conclu en se fondant sur la preuve que, peu importe le critère utilisé, il n'y avait pas été satisfait. Les affidavits de l'appelante, a‑t‑elle remarqué, étaient rédigés en fonction du «mieux des intérêts» de l'enfant. Elle a donc conclu que c'est sous cet angle, plutôt que sous celui du préjudice comme le prescrivent la Loi et la Convention, que l'appelante considérait véritablement la question de savoir si l'enfant devait demeurer au Canada.

Le juge Davidson a également écarté l'argument portant qu'elle était tenue d'ordonner la tenue d'un procès sur la question du préjudice et de ne pas trancher elle‑même la question sur le fondement des affidavits. Bien que la Cour d'appel du Manitoba ait ordonné la tenue d'un procès sur la question dans Lavitch c. Lavitch (1985), 37 Man. R. (2d) 261, a‑t‑elle signalé, cette affaire mettait en cause des enfants âgés de 12 et de 13 ans, et il fallait tenir compte de leur ambivalence quant à la possibilité de reprendre contact avec leur père pour déterminer si un retour leur causerait un préjudice psychique grave. Toutefois, a poursuivi le juge Davidson, le tribunal dans cette affaire avait indiqué que lorsque les enfants sont jeunes au point que leur opposition ne devrait pas constituer un facteur et qu'aucune question importante ne se pose relativement au risque de préjudice, il convient que le juge rende une ordonnance sans exiger un procès sur la question. Tel était le cas dans l'affaire dont elle était saisie.

Le juge Davidson s'est ensuite penchée sur la prétention de l'appelante portant que l'enfant n'a pas été déplacé illicitement au sens de l'art. 3 de la Convention, que je reproduis de nouveau:

Article 3

Le déplacement ou le non‑retour d'un enfant est considéré comme illicite:

a)lorsqu'il a lieu en violation d'un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l'État dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non‑retour; et

b)que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non‑retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus.

Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d'une attribution de plein droit, d'une décision judiciaire ou administrative, ou d'un accord en vigueur selon le droit de cet État.

Les droits de garde et de visite sont décrits dans les termes suivants à l'art. 5:

Article 5

Au sens de la présente Convention:

a)le «droit de garde» comprend le droit portant sur les soins de la personne de l'enfant, et en particulier celui de décider de son lieu de résidence;

b)le «droit de visite» comprend le droit d'emmener l'enfant pour une période limitée dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle.

Le juge Davidson a conclu que la restriction dont était assorti le droit de garde de l'appelante la privait du droit de décider du lieu de résidence de l'enfant. Ainsi, en déplaçant Matthew, Mme Thomson a manqué à une condition de son droit de garde. Le déplacement étant par conséquent illicite au sens de la Convention, le non‑retour subséquent l'était également. Dans un commentaire incident, le juge Davidson a rejeté l'argument de l'appelante portant qu'au moment où l'ordonnance a été prononcée en Écosse le 3 février 1993, l'enfant avait sa résidence habituelle au Manitoba.

Pour ce motif, le juge Davidson a ordonné le retour de l'enfant en Écosse. Elle a ensuite étudié les modalités du retour qui pouvaient être prescrites par un tribunal du Manitoba en vertu de l'al. 6c) de la Loi sur l'exécution des ordonnances de garde. À son avis, cette disposition lui permettait de rendre une ordonnance de garde provisoire qui soit au mieux des intérêts de l'enfant. Bien que, sur la foi de la preuve produite, elle ait cru qu'il était à long terme au mieux des intérêts de Matthew de demeurer sous la garde de sa mère, il appartenait aux tribunaux écossais de trancher cette question. Elle estimait toutefois qu'à titre provisoire, il était manifestement au mieux des intérêts de l'enfant de ne pas être soudainement soustrait aux soins de sa mère. Elle a pour ce motif ordonné que la garde provisoire de l'enfant soit accordée à Mme Thomson, mais que l'enfant soit retourné dans le ressort où, en Écosse, l'ordonnance a été rendue. Pour faire en sorte que Mme Thomson tente rapidement de faire trancher la question en Écosse, le juge Davidson a en outre ordonné que son ordonnance de garde provisoire expire après quatre mois.

La Cour d'appel du Manitoba (1993), 88 Man. R. (2d) 204

À la Cour d'appel, le juge Twaddle, pour la majorité, a d'abord répondu à l'argument portant que le tribunal manitobain devait avoir une preuve officielle de l'ordonnance écossaise pour avoir compétence. La Loi, a‑t‑il indiqué, prévoit expressément que le tribunal peut prendre connaissance de ces ordonnances. Il n'a éprouvé guère plus de difficulté à trancher la question de la résidence de l'enfant, qu'elle soit considérée sous l'angle de la Convention ou sous celui des dispositions particulières de la Loi. À l'instar du juge Davidson, il a déterminé que le lieu de résidence de l'enfant était l'Écosse et non le Manitoba.

Sur la question du déplacement illicite, le juge Twaddle a conclu que, bien que l'épouse puisse en principe prétendre à bon droit que l'enfant n'avait pas été déplacé illicitement puisqu'elle seule en avait la garde, la question était quelque peu théorique puisque l'enfant était manifestement retenu illicitement au Manitoba depuis que l'ordonnance de garde avait été rendue en faveur du père.

Se penchant sur les exceptions prévues dans la Loi et dans la Convention relativement à l'obligation de retourner l'enfant, le juge Twaddle a, à la p. 208, repris ce qu'il avait dit dans Lavitch, précité, à la p. 265:

[traduction] Dans le cadre d'une demande visant à faire exécuter l'ordonnance rendue dans un ressort lié par la Convention, le tribunal pourrait pallier les différences entre la Loi et la Convention en interprétant la Loi de manière libérale afin de rendre efficace la teneur et l'intention manifeste de la Convention, dont les dispositions, comme je l'ai mentionné précédemment, constituent le droit au Manitoba.

Puis il a ajouté:

[traduction] À la fin, les exceptions prévues à la Loi et à la Convention doivent être interprétées ensemble. Puisque le «préjudice grave» à l'enfant en l'espèce serait nécessairement précédé d'un risque grave qu'il subisse un préjudice, il suffit de tenir compte des exceptions énoncées dans la Convention.

La mère a cherché à introduire en Cour d'appel un nouveau témoignage d'un médecin spécialiste en pédiatrie du développement sur le préjudice que l'enfant subirait s'il était retiré des soins de son gardien principal, mais le tribunal a refusé, jugeant la preuve «sans pertinence» pour les motifs suivants (aux pp. 208 et 209):

[traduction] Le risque auquel renvoie la Convention doit à mon avis découler d'une cause reliée au retour de l'enfant à l'autre parent. Cette interprétation découle nécessairement du libellé de la Convention et des conséquences qu'entraînerait une interprétation autre.

. . .

À tout le moins dans le cas d'un enfant en bas âge, une ordonnance extra‑territoriale de garde ne pourrait jamais être exécutée si l'on tenait compte du risque que l'enfant subisse un préjudice s'il est soustrait aux soins de ses gardiens actuels. Dans presque tous les cas, le retrait d'un très jeune enfant de son environnement immédiat ou de ceux qui lui sont devenus familiers lui causera un traumatisme psychologique temporaire. Les pays signataires de la Convention n'ont pu souhaiter qu'il s'agisse là d'une raison de ne pas exécuter une ordonnance. Un tel résultat saperait l'objectif de la Convention.

Le juge Twaddle a poursuivi en ajoutant que, bien que dans toutes les affaires qui traitent de la garde d'un enfant, le principe directeur soit que le tribunal qui rend l'ordonnance doive le faire au mieux des intérêts de l'enfant, les parties à la Convention ont convenu que l'exercice concomitant de la compétence en matière de garde n'est pas au mieux des intérêts de l'enfant (pp. 209 et 210). Quant à la courtoisie entre tribunaux, il a conclu que, si la Convention est entièrement applicable, le tribunal de l'État requis doit présumer que l'autre tribunal a rendu l'ordonnance conformément à ce principe directeur. Ce tribunal, a‑t‑il ajouté, doit également accepter que le bien‑être futur de l'enfant sera garanti par le tribunal de son ressort.

Enfin, le juge Twaddle a conclu que les réparations prévues à l'art. 6 de la Loi offrent plus de flexibilité que l'obligation, à l'art. 12 de la Convention, prévoyant le retour «immédiat» de l'enfant. Il a signalé que, bien que le tribunal écossais ait eu l'intention de rendre une ordonnance «définitive» à l'encontre de laquelle l'appel de l'appelante a été rejeté, l'affaire n'a jamais été entendue sur le fond, et il est probable que le tribunal écossais souhaite le faire. Toutefois, il doutait que cet événement se produise avant que l'appelante ne retourne l'enfant en Écosse. Il a donc ordonné le retour immédiat de l'enfant et a reproché au juge Davidson d'avoir rendu une ordonnance [traduction] «rédigée en des termes qui donnent à entendre qu'elle est destinée à être maintenue après le retour de l'enfant dans le ressort étranger» (p. 212).

Le juge Helper, dissidente, a abordé différemment la question de savoir si l'enfant a été illicitement déplacé hors de l'Écosse. À son avis, le tribunal écossais a conservé sa compétence en matière de garde, et c'est pour cette raison que le déplacement hors de l'Écosse était illicite.

Les motifs du juge Helper sont par ailleurs en grande partie restreints aux modalités de l'ordonnance visant le retour de l'enfant en Écosse. Après avoir lu l'obligation de retour prévue à l'article premier de la Convention à la lumière de son préambule, qui reconnaît l'importance primordiale de l'intérêt de l'enfant de même que le désir de protéger l'enfant, sur le plan international, contre un déplacement illicite, elle a conclu que les principes directeurs comportent deux volets: la reconnaissance et l'exécution d'ordonnances de garde extra‑provinciales et la protection de l'intérêt de l'enfant.

La Loi, a‑t‑elle estimé, a reconnu ces principes. À son avis, les procédures provisoires énoncées à l'art. 6 de la Loi permettent à un tribunal manitobain de prendre acte du bien‑être de l'enfant tout en respectant les exigences de la Convention de retourner l'enfant dans l'État où il réside habituellement. Elle a indiqué à la p. 215:

[traduction] . . . les enfants ne doivent pas souffrir deux fois des écarts de conduite de leurs parents. En appliquant les ordonnances de garde extra‑provinciales, les tribunaux doivent tenir compte du fait que l'application stricte de la Loi et de la Convention risque de causer un stress excessif et, dans certains cas, un traumatisme véritable aux jeunes enfants qui n'ont aucune voix dans la salle d'audience. La Convention mentionne que les signataires souhaitent protéger l'enfant contre les effets nuisibles d'un déplacement ou d'un non‑retour illicites. Il s'ensuit que, dans les faits, l'enfant doit également être protégé contre les changements nuisibles qu'il ne comprend pas.

Les ordonnances rendues en Écosse et au Manitoba auraient pour effet conjugué de retirer Matthew de la garde de sa mère immédiatement à son retour en Écosse, et de le remettre à son père. Ce sont ses grands‑parents, maintenant des étrangers pour lui, qui en prendraient soin. L'intérêt de Matthew ne serait pas bien servi si on le renvoyait d'un gardien à l'autre. Le juge Helper aurait par conséquent accordé la garde provisoire à l'appelante, suspendu la demande de l'intimé jusqu'à ce qu'il accepte d'accorder à l'appelante la garde provisoire en Écosse pendant qu'elle poursuit sa demande de garde en Écosse, et ordonné à l'appelante d'y introduire une demande de garde dans les deux mois.

Le pourvoi devant notre Cour

L'appelante a demandé et obtenu une autorisation de pourvoi à notre Cour. La demande d'autorisation et le pourvoi ont tous deux été entendus d'urgence et, dans un jugement rendu immédiatement après l'audience, notre Cour a rejeté le pourvoi sous réserve d'engagements pris par l'intimé, dont je parlerai plus loin. Les motifs du jugement devaient suivre. Les voici.

L'affaire soulève diverses questions générales sur l'objectif, l'application et l'interprétation de la Convention et sa corrélation avec sa loi d'application au Manitoba. Elle soulève également des interrogations plus précises sur:

(1) la nature de la garde requise par la Convention et la question de savoir s'il y avait garde suffisante pour déclencher l'application de la Convention en l'espèce;

(2) la question de savoir si l'enfant a été illicitement déplacé hors de l'Écosse ou illicitement retenu au Manitoba de façon que l'affaire soit soumise à l'application de la Convention;

(3) la question de savoir si le retour de l'enfant lui causerait un préjudice suffisant au sens de la Convention ou de la Loi pour justifier le refus de le retourner; et

(4) le pouvoir d'un tribunal à qui la demande de retour est présentée d'accorder les réparations visant à aplanir les difficultés que l'enfant pourrait subir au retour.

J'examinerai d'abord les questions générales concernant la Convention, puis je me pencherai sur les questions particulières avant de revenir à la corrélation entre la Convention et la Loi.

Historique de la Convention de La Haye

Au milieu des années 1970, le problème de l'enlèvement international d'enfants par l'un des parents avait atteint des proportions telles que les ministres de la Justice du Commonwealth l'ont jugé «d'une immense importance sociale, qui exige que des mesures concrètes soient rapidement prises» (Conférence de La Haye de droit international privé, Actes et documents de la Quatorzième session, t. III, Enlèvement d'enfants (1982) (ci‑après appelé «Actes et documents»), à la p. 15, n. 6). Lors d'une réunion d'une Commission spéciale de la Conférence de La Haye de droit international privé tenue en janvier 1976, l'expert du Canada a proposé que la Conférence entreprenne la rédaction d'un traité international portant sur le problème de l'enlèvement d'enfants par l'un des parents. La proposition a été bien accueillie, et le Secrétariat de la Conférence de La Haye a effectué une étude sur les aspects juridiques et sociaux du problème. Dans le cadre d'une étude internationale menée en 1978, le Bureau permanent de la Conférence de La Haye de droit international privé a été avisé des cas suivants d'enlèvements rapportés: Australie (10), Belgique (15), Danemark (8), France (75); l'étendue du problème au Royaume‑Uni ressortait du fait que dans une période de 12 mois, on avait demandé au Home Office de prendre des précautions dans les aéroports et les ports dans 691 cas concernant 69 pays différents; voir A. E. Anton, «The Hague Convention on International Child Abduction» (1981), 30 Int'l & Comp. L.Q. 537. Bien que, comme le remarque Anton, ces chiffres soient relativement peu élevés, le risque que l'enfant subisse un préjudice et le désarroi certain des parents ont contraint les gouvernements à unir leurs efforts pour enrayer ce mal. À tout événement, les chiffres montraient un accroissement. Ainsi, entre 1982 et 1984 (les États‑Unis n'ont mis le traité en oeuvre qu'en 1988), le nombre de citoyens américains demandant le retour d'enfants enlevés à l'étranger a doublé et, en 1986, 276 cas d'enlèvement d'enfants par un parent ont été rapportés aux États‑Unis; voir C. S. Helzick, «Returning United States Children Abducted to Foreign Countries: The Need to Implement the Hague Convention on the Civil Aspects of International Child Abduction» (1987), 5 Boston U. Int'l L.J. 119.

En mars 1979, la Conférence a convoqué une Commission spéciale chargée d'examiner la question et de songer aux solutions possibles. Lors d'une réunion subséquente de la Commission spéciale tenue en novembre 1979, un avant‑projet de la Convention a été rédigé, lequel a constitué le point de départ de la discussion lors de la Quatorzième session de la Conférence de La Haye en octobre 1980.

Lors de cette session, les représentants de 28 États ont rédigé un avant‑projet de la Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, que la Conférence a adopté unanimement le 24 octobre 1980. La Convention a immédiatement été soumise aux États pour signature, et le Canada a été l'un des quatre pays à la signer le 25 octobre 1980. L'Écosse a mis la Convention en oeuvre en 1986.

Au Canada, c'est par l'entremise de lois provinciales que la Convention a été mise en vigueur. Le Manitoba, comme nous l'avons vu, l'a intégrée à sa législation par l'entremise de l'art. 17 de sa Loi sur l'exécution des ordonnances de garde, qui contient d'autres dispositions relatives à l'exécution des ordonnances extra‑provinciales. Je n'analyserai pas ici la corrélation entre les dispositions de la Convention et celles de la Loi, mais avant de me pencher sur les questions particulières soulevées par les parties, il est utile d'apporter quelques remarques générales sur l'interprétation des conventions et traités internationaux adoptés dans les lois d'un pays.

Structure et interprétation

Généralement parlant, les traités internationaux sont interprétés d'une manière semblable aux lois. On le constate à la lecture de l'art. 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37, qui porte:

Article 31

Règle générale d'interprétation

1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.

2. Aux fins de l'interprétation d'un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :

a)tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l'occasion de la conclusion du traité;

Il existe en revanche une nette différence dans l'utilisation qui peut être faite de l'historique législatif et d'autres documents préparatoires. L'article 32 prévoit que ces documents peuvent être utilisés pour confirmer le sens résultant de l'application de l'art. 31, ou pour résoudre toute ambiguïté ou obscurité ou éviter un résultat manifestement absurde ou déraisonnable. Il est ainsi libellé:

Article 32

Moyens complémentaires d'interprétation

Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d'interprétation et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l'application de l'article 31, soit de déterminer le sens lorsque l'interprétation donnée conformément à l'article 31 :

a)laisse le sens ambigu ou obscur; ou

b)conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable.

Il serait étrange qu'un traité international auquel la législature a tenté de donner effet ne soit pas interprété dans le sens que les États parties au traité doivent avoir souhaité. Il n'est donc guère surprenant que les parties aient fréquemment recours à ce moyen complémentaire d'interpréter la Convention, et je ferai de même. Je remarque que notre Cour a récemment adopté cette position à l'égard de l'interprétation d'un traité international dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.

Les travaux préparatoires à la Convention de La Haye se trouvent dans les Actes et documents, op. cit., de la Conférence de La Haye de droit international privé. L'article d'Anton, président de la Commission spéciale, «The Hague Convention on International Child Abduction», loc. cit., est également intéressant.

J'examinerai maintenant de plus près l'objectif de la Convention. Le préambule édicte ainsi son objectif fondamental: «[L]'intérêt de l'enfant est d'une importance primordiale pour toute question relative à sa garde.» Compte tenu des remarques du juge Helper de la Cour d'appel sur cette question, toutefois, je devrais signaler immédiatement que cette phrase ne doit pas être interprétée comme conférant au tribunal saisi de la question de savoir si un enfant doit être retourné, le pouvoir de considérer l'intérêt de l'enfant comme le ferait le tribunal dans le cadre d'une audience sur la garde. Dans cette partie du préambule, il est question de «l'intérêt de l'enfant» en général, et non de l'intérêt de l'enfant qui est devant le tribunal. On peut invoquer à l'appui de ce point de vue l'art. 16, qui prescrit que les tribunaux de l'État requis ne pourront statuer sur le fond du droit de garde que lorsqu'il sera établi que les conditions de la Convention pour le retour de l'enfant ne sont pas réunies. J'attirerais également l'attention sur le fait que le préambule précise ensuite la manière dont son objectif doit être promu en vertu de la Convention:

Désirant protéger l'enfant, sur le plan international, contre les effets nuisibles d'un déplacement ou d'un non‑retour illicites et établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l'enfant dans l'État de sa résidence habituelle, ainsi que d'assurer la protection du droit de visite. . .

Ce qui précède est tout à fait compatible avec les deux objectifs de la Convention énoncés dans son article premier: a) assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout État contractant, et b) faire respecter effectivement dans les autres États contractants les droits de garde et de visite existant dans un État contractant. Anton, loc. cit., aux pp. 542 et 543, indique que le retour immédiat était destiné à être prédominant:

[traduction] La Commission spéciale a également considéré — et, jusqu'à récemment, cela aurait constitué une proposition également nouvelle pour les juges des pays de common law — que les tribunaux de l'État requis devraient ordonner le retour de l'enfant sous réserve de certaines exceptions limitées, en dépit de la possibilité que d'autres examens révèlent que le bien‑être de l'enfant serait mieux servi s'il restait dans cet État. [. . .] [L]'objectif premier de la Convention [est] notamment, comme l'alinéa 1a) le prescrit, de garantir le retour immédiat de l'enfant déplacé ou retenu illicitement dans un État contractant. La Commission a présumé que l'enlèvement d'un enfant sera en général préjudiciable à son bien‑être. Il s'ensuit que, lorsqu'un enfant a été emmené hors d'un pays, les mécanismes internationaux devraient être mis en branle afin qu'il soit retourné volontairement ou par voie de recours judiciaires.

Il ressort du libellé du préambule et de l'art. 3 de la Convention déjà cités et des travaux préparatoires que l'objectif principal de la Convention est l'exécution du droit de garde. L'article 3 prévoit que le déplacement ou le non‑retour d'un enfant est considéré comme illicite lorsqu'«il a lieu en violation d'un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l'État dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non‑retour». Les procédures de retour de l'enfant prévues à l'art. 12 permettent de faire respecter ce droit de garde.

À l'inverse, la Convention laisse aux organismes administratifs des autorités centrales désignées par les États parties à la Convention la tâche de faire respecter le droit de visite. Aux termes de l'art. 21, ces autorités centrales sont tenues non pas de retourner l'enfant immédiatement comme elles doivent le faire lorsqu'est en cause le droit de garde, mais de coopérer «pour assurer l'exercice paisible du droit de visite et l'accomplissement de toute condition à laquelle l'exercice de ce droit serait soumis», notamment en entamant ou favorisant «une procédure légale en vue d'organiser ou de protéger le droit de visite et les conditions auxquelles l'exercice de ce droit pourrait être soumis».

La garde

La garde, au sens de la Convention, est un terme général qui couvre de nombreuses situations où une personne est légalement chargée des soins et de la surveillance d'un enfant. On se souviendra que la violation du droit de garde décrit à l'art. 3 se rapporte au droit qui est attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme par le droit de l'État dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non‑retour. L'article 3 prescrit ensuite que la garde peut résulter d'une attribution de plein droit. Le cas le plus évident est celui des parents qui voient aux soins et à la surveillance ordinaires de leur enfant. Cet exercice ne requiert aucune ordonnance formelle ni autre document légal, bien que la garde puisse également résulter d'une décision judiciaire ou administrative ou d'un accord.

D'après les travaux préparatoires, il semble clair que l'on a voulu, au moins dans certains cas, que le déplacement d'un enfant hors d'un pays contrairement à l'ordonnance d'un tribunal l'interdisant relève de la Convention. Par conséquent, dans le Document préliminaire no 1 «Questionnaire et Rapport sur l'enlèvement international d'un enfant par un de ses parents» (le «rapport Dyer»), un sondage effectué auprès des membres de la Conférence décrivait les cinq types d'enlèvement considérés comme un «enlèvement d'enfant» pour les fins du questionnaire. Je les énonce ici, en signalant que le cinquième est directement pertinent:

A L'enfant a été déplacé par un de ses parents du pays de la résidence habituelle de cet enfant dans un autre pays sans le consentement de l'autre parent, à un moment où aucune décision judiciaire en matière de garde n'avait encore été prononcée, mais où des problèmes sérieux opposaient déjà les parents.

B L'enfant a été enlevé par un de ses parents au gardien désigné par une décision judiciaire dans un pays et conduit dans un autre pays, où aucune décision en matière de garde contredisant la première n'a été prononcée.

C L'enfant a été retenu par le parent qui n'a pas la garde, ou par d'autres membres de la famille, au‑delà de la durée légale de la visite, dans un pays autre que celui de la résidence habituelle de l'enfant.

D L'enfant a été enlevé par un de ses parents à son gardien légal dans un pays et conduit dans un autre, la garde ayant été attribuée au ravisseur par une décision judiciaire contraire rendue dans cet autre pays ou dans un troisième pays.

E L'enfant a été déplacé par un de ses parents dans un autre [pays], en violation d'une décision judiciaire qui interdit expressément ce déplacement. [Je souligne.]

(Actes et documents, op. cit., à la p. 9.)

Le Document préliminaire no 5, intitulé «Conclusions des discussions de la Commission spéciale de mars 1979 sur le kidnapping légal», concernant les cinq types d'enlèvements décrits dans le sondage du rapport Dyer, exprime l'avis que «la Convention doit les couvrir tous» (Actes et documents, op. cit., à la p. 163 (en italique dans l'original)).

Il ne s'ensuit toutefois aucunement que la Convention s'applique à tous les cas où un enfant est déplacé d'un pays à un autre alors qu'une ordonnance judiciaire l'interdit. Du fait de l'importance qu'accordent la Convention et les travaux préparatoires au respect du droit de garde, que l'on distingue du simple droit de visite, il semblerait juste de prétendre que le retour obligatoire prescrit par la Convention est limité aux cas où le déplacement viole le droit de garde d'une personne, d'une institution ou d'un autre organisme. C'est la position qu'a adoptée Anton, loc. cit., aux pp. 546, 554 et 555:

[traduction] Il ressort également des définitions des droits de garde et de visite à l'article 5 que le déplacement ou le non‑retour d'un enfant en contravention du droit de visite seulement ne serait pas un déplacement ou un non‑retour illicite au sens de l'article 3.

. . .

La Convention ne contient aucune disposition obligatoire visant la protection du droit de visite qui soit semblable à celles qui protègent le droit de garde contre les violations. Il en est ainsi même dans le cas extrême où un enfant est emmené dans un autre pays par le parent titulaire du droit de garde, qui rend ainsi délibérément impossible l'exercice du droit de visite.

L'opinion d'Anton trouve appui dans le fait que, dans les quatre autres types de cas considérés dans le sondage du rapport Dyer comme un «enlèvement d'enfant», le parent qui a la garde est privé de son droit de garde.

À mon avis, cette interprétation est la bonne; je propose donc d'étudier sur ce fondement la question de savoir si Matthew a été déplacé illicitement.

Le déplacement illicite

Avant d'examiner la question de savoir s'il y a eu violation du droit de garde justifiant le retour de Matthew en vertu de la Convention, j'aimerais régler sommairement deux questions qui ont été soulevées devant les juridictions inférieures.

La première concerne la possibilité que l'appelante n'ait pas compris qu'elle violait l'ordonnance du tribunal écossais. À mon avis, cet élément n'est pas pertinent. Rien de la nature d'une mens rea n'est requis; la Convention ne vise pas à imputer le blâme aux parties. Elle vise simplement à prévenir l'enlèvement d'enfants d'un pays à un autre, dans leur intérêt. Si le déplacement de l'enfant était illicite dans ce sens, l'angle sous lequel l'appelante voyait la situation n'a aucune importance.

La seconde question préliminaire porte sur le litige qui oppose les parties sur la question de savoir si Matthew avait sa résidence en Écosse ou au Manitoba à l'époque concernée. Compte tenu des faits de l'affaire, je conviens avec les juridictions inférieures que cette question est également sans importance.

Je me penche maintenant sur la question de savoir si Matthew a été déplacé hors de l'Écosse en violation du droit de garde qui y a été attribué. L'appelante soutient que le déplacement de Matthew ne peut être considéré comme illicite sous le régime de la Convention puisqu'elle en avait la garde provisoire. Au nom de l'intimé, on a invoqué la lettre de l'autorité centrale en Écosse suivant laquelle un parent a la garde d'un enfant jusqu'à ce que la cour ordonne autrement. La difficulté réside toutefois dans le fait qu'avant que Matthew soit déplacé hors de l'Écosse, le tribunal avait, dans une ordonnance, attribué la garde provisoire à sa mère, n'accordant au père intimé qu'un droit de visite. Compte tenu de ces circonstances, la Cour doit déterminer du mieux qu'elle peut l'état du droit en se reportant aux décisions pertinentes.

Trois positions ont été adoptées dans la jurisprudence. Dans les trois cas, les tribunaux se sont montrés fort disposés à respecter l'esprit de la Convention. Suivant la première position, le déplacement fait en violation d'une disposition l'interdisant est contraire aux termes de la Convention parce qu'il viole le droit de garde même du parent titulaire de la garde de l'enfant. On pourrait soutenir qu'il s'agit là de la position adoptée par le juge Davidson en l'espèce. Elle a écrit, à la p. 76:

[traduction] . . . le déplacement violait les droits de garde accordés à Mme Thomson dans l'ordonnance du 27 novembre 1992 puisque ceux‑ci n'étaient pas absolus. Je considère l'interdiction de déplacer généralement comme une modalité du droit de garde.

En outre, le droit de garde est expressément défini à l'art. 5 comme incluant «le droit portant sur les soins de la personne de l'enfant, et en particulier celui de décider de son lieu de résidence». Mme Thomson a de toute évidence obtenu un droit de garde qui restreignait son droit de décider du lieu de résidence de l'enfant, et elle a clairement violé ce droit de garde restreint.

Une position semblable a été adoptée par le juge Ewbank de la Haute Cour de l'Angleterre (Division de la famille) dans Re K.H. (A Minor) (Abduction), [1990] F.C.R. 990. Dans cette affaire, les parents d'une fillette qui résidaient en Ontario, se sont séparés, et la mère a obtenu la garde provisoire de l'enfant, mais à la condition que celle‑ci ne soit pas déplacée hors de l'Ontario sans autorisation de la cour. En contravention de cette disposition, la mère a emmené l'enfant en Angleterre. À la demande du tribunal anglais, fondée sur l'art. 15, le bureau du procureur général en Ontario a envoyé un certificat et un affidavit exposant son opinion relativement à l'effet en droit canadien de la clause interdisant le déplacement. Acceptant cette thèse, le juge Ewbank a résumé ainsi l'opinion du procureur général de l'Ontario, à la p. 992:

[traduction] . . . le représentant de la Couronne est d'avis qu'en déplaçant l'enfant hors de la province d'Ontario, la mère a commis un déplacement illicite au sens de l'article 3 de la Convention en ce qu'elle a violé le droit de garde qui lui a été conféré en vertu de la loi de la province dans une décision judiciaire. Le droit de garde qui lui a été attribué dans l'ordonnance du 19 septembre 1989 était un droit de garde s'appliquant à l'Ontario. L'ordonnance de la cour prévoyait expressément que l'enfant ne devait pas être déplacé hors de l'Ontario. En déplaçant l'enfant, la mère a violé le droit de garde qu'elle avait obtenu. [Je souligne.]

J'avoue que cette position me préoccupe. En prescrivant que «ce droit [de garde] était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non‑retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus», l'art. 3 semble impliquer que le droit violé doit avoir appartenu à une personne autre que la partie qui commet la violation. Cette interprétation est confirmée par l'économie de la Convention et les commentaires de ses rédacteurs, desquels il appert qu'on a d'abord visé à protéger le droit de garde plutôt que le droit de visite.

Il faut cependant se rappeler que la demande de retour en l'espèce paraît avoir été fondée sur la position énoncée dans les affaires que je viens de citer. Mme Thomson, peut‑on lire sur la demande, est la personne dont le droit de garde a été violé. La validité de cette position, ai‑je remarqué, a été contestée sur le fond, mais on n'a jamais prétendu qu'elle viciait la demande de retour de l'enfant comme telle. Pour ma part, je ne crois pas qu'il faille insister sur la précision technique dans les questions de forme, étant donné la difficulté que les institutions de divers pays peuvent avoir à déterminer exactement ce que les tribunaux étrangers peuvent exiger. En l'espèce, la demande renseignait bien les tribunaux sur la situation, peu importe sa forme ou la théorie sur laquelle l'État requérant se fondait, et j'estime qu'on y a donné suite comme il se doit. Cela est d'autant plus convaincant que, sur le fondement de l'exposé de droit fourni par les autorités canadiennes dans Re K.H., précité, les autorités écossaises avaient des raisons de croire qu'elles agissaient conformément au droit canadien.

Suivant les deuxième et troisième positions mentionnées, le droit «de décider du lieu de résidence de l'enfant» est un droit de garde distinct du droit de prendre soin de la personne de l'enfant. Du fait d'une clause interdisant le déplacement, ce droit est conféré soit au parent qui jouit d'un droit de visite (la seconde position), soit à la cour (la troisième position). Ces positions trouvent appui dans le libellé non limitatif de l'art. 5: «le "droit de garde" comprend le droit portant sur les soins de la personne de l'enfant, et en particulier celui de décider de son lieu de résidence» (je souligne).

Dans C. c. C. (Minor: Abduction: Rights of Custody Abroad), [1989] 2 All E.R. 465 (C.A.), la cour a adopté la seconde position, suivant laquelle le parent qui a le droit de visite (le père) a obtenu un droit de garde au sens de la Convention. Dans cette affaire, les parties s'étaient mariées en Angleterre en 1978, puis avaient déménagé en Australie en 1979. En 1982, elles ont eu un fils, puis se sont séparées en 1986. Dans une ordonnance sur consentement, le tribunal australien de la famille a dit que le père et la mère devaient demeurer les gardiens conjoints de l'enfant, la mère exerçant la garde quotidienne; aucun d'eux ne devait déplacer l'enfant hors de l'Australie sans le consentement de l'autre. En 1988, la mère a emmené l'enfant en Angleterre sans le consentement du père. La Cour d'appel de l'Angleterre, tout en n'ayant reçu aucune preuve relative au droit australien, a signalé qu'en vertu de l'art. 3 de la Convention, les droits de garde sont expressément reconnus comme étant détenus conjointement ou seul. Le lord juge Neill a exposé ainsi la question à la p. 472:

[traduction] Je suis convaincu que ce droit d'accorder ou de refuser son consentement à tout déplacement de l'enfant hors de l'Australie, conjointement au droit implicite d'imposer des conditions, est un droit de déterminer le lieu de résidence de l'enfant, et donc, un droit de garde au sens des art. 3 et 5 de la convention. Je suis également convaincu que cette conclusion est compatible avec les objectifs de la convention et de la Loi de 1985. Jusqu'au mois d'août dernier, cet enfant avait sa résidence habituelle en Australie. En 1986, le tribunal de la famille de l'Australie a prononcé des ordonnances portant sur sa garde, qui interdisaient, avec le consentement des parties, qu'il soit déplacé hors de l'Australie sans l'autorisation du père. À mon sens, l'exécution de cette disposition tombe directement sous le coup des objectifs que la convention et la Loi de 1985 cherchent à atteindre.

Le maître des rôles Lord Donaldson a souscrit à ces propos, s'exprimant ainsi à la p. 473:

[traduction] «Custody» («garde») en anglais ordinaire signifie «soutien sûr, protection; charge, soin, tutelle» (puisé dans le Shorter Oxford English Dictionary); toutefois, le «droit de garde» défini dans la Convention a un sens beaucoup plus précis qui, je le crains, déterminera la plupart des demandes fondées sur celle‑ci. C'est «le droit de décider du lieu de résidence de l'enfant». Ce droit appartient à la cour, à la mère, au père ou à quelque institution de garde, comme une autorité locale, ou peut, comme en l'espèce, être un droit partagé, dans la mesure où l'enfant doit résider en Australie, le droit étant celui de la mère mais, pour ce qui est de toute question quant à la résidence de l'enfant hors de l'Australie, il s'agit d'un droit conjoint sous réserve, il va de soi, des droits prépondérants de la cour. Si une personne, qu'il s'agisse d'un particulier, de la cour ou d'un autre organisme ou institution, a le droit de s'opposer, et qu'elle n'est pas consultée ou refuse son consentement, le déplacement est illicite au sens de la convention. J'ajoute pour plus de précision que le «droit de décider de son lieu de résidence» (suivant le libellé de la convention) peut être spécifique, par exemple le droit de décider que l'enfant vivra à une adresse donnée, ou général, par exemple «dans les limites du Commonwealth de l'Australie».

Dans cette affaire, les faits étaient plus convaincants que ceux de l'espèce. Il est à noter que les parents étaient les gardiens conjoints en vertu d'une disposition convenue portant que l'enfant ne devait pas être déplacé hors du pays. En l'espèce, en vertu de l'ordonnance de la cour, le père paraît n'avoir obtenu qu'un droit de visite, que la Convention n'assimile pas au droit de garde.

La troisième position, celle suivant laquelle l'existence d'une disposition interdisant le déplacement dans une ordonnance de garde provisoire a pour effet de conserver à la cour le droit de garde, a été adoptée par la Cour d'appel anglaise dans B. c. B. (Abduction: Custody Rights), [1993] 2 All E.R. 144. Dans cette affaire, la mère et le père, qui se sont mariés en Angleterre en 1977, sont venus vivre en Ontario en 1981, et sont devenus des citoyens canadiens. Leur fils est né en 1985. Les parties se sont séparées en 1990. En janvier 1991, une ordonnance sur consentement accordait la garde provisoire à la mère et un droit de visite généreux au père, et interdisait en outre que l'enfant soit déplacé hors de l'Ontario. En mai 1991, la mère a demandé la garde permanente et l'autorisation de la cour d'emmener l'enfant en Angleterre. Cette requête devait être présentée le 27 juin 1991. Dans son affidavit, la mère déclarait: [traduction] «Je n'ai pas l'intention de quitter le ressort sans une ordonnance appropriée de la cour.» Le 27 juin, le juge des requêtes a ajourné l'audience sur les questions de fond, tout en ordonnant que l'enfant [traduction] «ne soit pas déplacé hors du ressort entre-temps». L'audience devait reprendre le 2 juillet 1992. Ce jour là, le juge a donné des directives afin que l'audience sur le fond soit tenue ultérieurement devant une autre cour. Par son ordonnance, il maintenait la garde provisoire accordée à l'épouse et précisait les heures de visite de l'époux. Il n'interdisait toutefois pas le déplacement. Le lendemain, l'épouse a emmené l'enfant en Angleterre.

Sir Stephen Brown de la Cour d'appel de l'Angleterre a conclu, à la p. 149:

[traduction] À mon avis, il s'agit là de l'exemple le plus frappant d'un déplacement illicite. La mère elle‑même paraît l'avoir cru puisqu'elle a subséquemment admis qu'elle regrettait avoir agi ainsi à ce moment‑là. On donne à entendre qu'elle n'a pas bien saisi la position légale, bien qu'elle ait bénéficié de conseils juridiques à l'époque. Il me semble que le tribunal lui‑même détenait un droit de garde à ce moment‑là en ce sens qu'il avait le droit de décider du lieu de résidence de l'enfant, et c'est en contravention à ce droit que la mère a déplacé l'enfant de son lieu de résidence habituelle.

Je suis tout à fait d'accord avec cet exposé. Il me semble que le tribunal qui doit déterminer qui doit obtenir la garde d'un enfant et qui accorde la garde provisoire à l'un des parents pendant qu'il étudie cette question, a des droits relatifs aux soins et à la surveillance de l'enfant et, en particulier, celui de décider de son lieu de résidence. Il est depuis longtemps établi qu'un tribunal peut être un organisme ou une institution en mesure de prendre soin de la personne de l'enfant. Comme je l'ai expliqué dans E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388, dans l'exercice de sa compétence parens patriae, la Cour de la chancellerie a longtemps exercé une tutelle à l'égard des enfants ayant besoin d'être protégés. Mais je ne vois pas la nécessité d'invoquer une compétence issue de cette doctrine, qui a à juste titre [traduction] «troublé et préoccupé» d'autres parties contractantes; la tutelle, telle que nous la connaissons, n'existe apparemment pas en Écosse; voir Nigel Lowe and Michael Nicholls, «Child Abduction: The Wardship Jurisdiction and the Hague Convention», [1994] Fam. Law 191, à la p. 191.

Notre Cour n'a entendu aucun témoignage sur l'effet en droit écossais de l'existence dans l'ordonnance de garde provisoire rendue en faveur de Mme Thomson le 27 novembre 1992 d'une disposition interdisant le déplacement. Nous devons donc interpréter la clause sans assistance, à partir des principes généraux et par analogie au droit canadien. En droit canadien, une disposition interdisant le déplacement peut être prévue dans une ordonnance de garde provisoire afin de maintenir la compétence de la cour de rendre une décision finale relativement à la garde. Il me semble que lorsqu'un tribunal est investi de la compétence de déterminer qui doit obtenir la garde d'un enfant, il exerce alors un droit de garde au sens général du terme visé par la Convention. Pour reprendre les termes de l'al. 3b), «que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non‑retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus». Comme je l'ai dit précédemment, les travaux préparatoires envisagent cette situation.

Tout cela semble particulièrement approprié dans le présent pourvoi. La disposition interdisant le déplacement en l'espèce se lit simplement comme suit: [traduction] «Accorde de nouveau l'interdiction provisoire, relativement à la requête no 2 provisoirement contre la défenderesse, de déplacer Matthew Paul Thomson hors de l'Écosse» (souligné dans l'original). Comme les termes «provisoire» et «provisoirement» sont tous deux soulignés, il semble clair que la disposition interdisant le déplacement a été insérée dans l'ordonnance de garde du 27 novembre 1992 afin que soit maintenue la compétence du tribunal écossais de trancher la question de la garde sur le fond au cours d'une audience complète devant se tenir à une date ultérieure. Le tribunal écossais est ainsi devenu «une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l'État dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non‑retour» ayant un droit de garde au sens de l'art. 3. Le maintien du droit de visite de l'intimé ne serait qu'un effet connexe de la disposition. Le déplacement de Matthew par l'appelante a par conséquent violé le droit de garde du tribunal écossais au sens de l'art. 3 de la Convention. L'article 12 de la Convention oblige donc notre Cour à ordonner son retour «immédiat».

Il est à noter que j'ai souligné la nature purement provisoire de la garde de la mère en l'espèce. Je ne voudrais pas donner à entendre que j'estime que la position devrait être la même dans le cas où le tribunal interdit le déplacement dans une ordonnance de garde permanente. Une telle clause soulève des questions fort différentes. Elle est en général destinée à garantir un droit de visite permanent au parent qui n'a pas obtenu la garde. Le droit de visite est évidemment important mais, comme nous l'avons vu, on n'a pas voulu lui donner la même protection que la garde dans le cadre de la Convention. Le retour de l'enfant aux soins d'une personne ayant la garde permanente sera habituellement beaucoup plus perturbant pour l'enfant puisqu'il peut être déplacé de son lieu de résidence habituelle longtemps après que l'ordonnance de garde a été rendue. La situation entraîne également des répercussions graves à l'égard de la liberté de circulation et d'établissement du gardien.

Le non‑retour illicite

Puisque j'estime que le déplacement de Matthew était illicite, il n'est pas absolument nécessaire que je traite du non‑retour illicite. Toutefois, étant donné l'argument concernant l'effet de l'ordonnance rendue le 3 février 1993 par le tribunal écossais en faveur du père, j'estime important d'étudier la question.

L'intimé soutient que l'omission par l'appelante de retourner Matthew après que le tribunal eut rendu l'ordonnance du 3 février 1993 était illicite au sens de l'art. 3 car elle violait les droits que l'intimé aurait exercés n'eut été le non‑retour. Ni l'une ni l'autre partie n'a présenté de preuve devant notre Cour quant aux raisons pour lesquelles le tribunal écossais a prononcé l'ordonnance du 3 février, qui va à l'encontre du rapport du procureur indiquant que l'appelante est le parent le plus qualifié. Les tribunaux d'instance inférieure ont présumé, et l'appelante a prétendu, que cette décision relative à la garde a été rendue exclusivement en vue d'appuyer la demande de l'intimé fondée sur la Convention de La Haye. Cette forme d'ordonnance est connue au plan international comme une «chasing order» (ci-après «ordonnance de retour»).

Puisque la mention dans la Convention de La Haye du «non‑retour illicite» est quelque peu ambiguë, elle doit être lue à la lumière de son historique. Les rédacteurs de la Convention ne souhaitaient pas adopter la position de la Convention européenne sur la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants, S.T.E. no 105, adoptée par le Conseil de l'Europe, qui fonde le retour de l'enfant sur la reconnaissance des décisions ou ordonnances relatives à la garde rendues par l'État requérant, obligeant ainsi ce dernier à rendre une «ordonnance de retour». Anton, loc. cit., explique (aux pp. 541 et 542):

[traduction] . . . dans de nombreux cas d'enlèvement, il n'y aura aucune décision antérieure sur la garde: le droit violé peut avoir été conféré par la loi. La Convention adoptée par le Conseil de l'Europe n'entre en jeu que lorsqu'il existe relativement à la garde une décision qu'il faut reconnaître et exécuter. Elle remédie à la difficulté créée par l'absence possible d'une décision antérieure en prévoyant la reconnaissance et l'exécution sous son régime d'une décision rétrospective (ce que l'on appelle «ordonnance de retour») relativement à la garde de l'enfant, et en déclarant son déplacement comme ayant été illicite. La Commission spéciale de La Haye a toutefois considéré qu'il serait erroné d'exiger d'une personne qui demande le retour d'un enfant enlevé qu'elle se présente d'abord devant les tribunaux de l'État de la résidence habituelle de l'enfant pour obtenir une «ordonnance de retour». [. . .] Bien que, par conséquent, en vertu de l'art. 15 de la Convention de La Haye, les tribunaux de l'État auxquels les demandes de retour d'un enfant ont été présentées puissent demander une «ordonnance de retour», il ne s'agit là que d'une option. Ils ne s'en prévaudront probablement que s'ils éprouvent des doutes sérieux qui ne peuvent être dissipés autrement.

L'article 15, qui permet à l'État requis de demander une «ordonnance de retour» auprès de l'État requérant, porte:

Article 15

Les autorités judiciaires ou administratives d'un État contractant peuvent, avant d'ordonner le retour de l'enfant, demander la production par le demandeur d'une décision ou d'une attestation émanant des autorités de l'État de la résidence habituelle de l'enfant constatant que le déplacement ou le non‑retour était illicite au sens de l'article 3 de la Convention, dans la mesure où cette décision ou cette attestation peut être obtenue dans cet État. Les Autorités centrales des États contractants assistent dans la mesure du possible le demandeur pour obtenir une telle décision ou attestation.

Il est à remarquer que la disposition prévoit que c'est à l'État requis de demander l'«ordonnance de retour» et que l'ordonnance est destinée à déterminer si le déplacement ou le non‑retour était illicite. En bref, aux fins de la Convention, l'«ordonnance de retour» permet de préciser pour le bénéfice de l'État requis l'opinion de l'État requérant qu'effectivement le non‑retour était illicite.

Rien dans la Convention n'exige la reconnaissance d'une ordonnance de garde rendue ex post facto dans un autre ressort. En outre, plusieurs exposés dans les documents supplémentaires appuient l'opinion que, sous le régime de la Convention de La Haye, le non‑retour ne devient pas illicite uniquement après qu'une «ordonnance de retour» est rendue. Selon le rapport du professeur Pérez‑Vera sur l'avant‑projet de Convention (Document préliminaire no 6 «Rapport de la Commission spéciale»), les situations auxquelles le «non‑retour illicite» visé à la Convention de La Haye était destiné à renvoyer sont très précises et conformes au bon sens. Elle dit:

En conséquence, une approche analytique semble être la plus adéquate pour saisir l'essence d'une question dont l'expression en termes de droit court le risque de tomber ou bien dans le simplisme ou bien dans une excessive complexité. Comme point de départ de cette approche nous retiendrons seulement deux éléments présents dans toutes les situations qui nous concernent, de telle façon qu'il est légitime d'estimer qu'ils constituent le noyau irréductible du problème.

[Décrivant «déplacement»:] En premier lieu, dans toutes les hypothèses, il existe le déplacement d'un enfant hors de son milieu habituel, où il se trouvait à la charge d'une personne (ou d'une institution) qui exerçait sur lui un droit de garde légitime. [Décrivant «non‑retour»:] Bien entendu, on doit assimiler à une telle situation le refus de réintégrer l'enfant à son milieu, après un séjour à l'étranger, avec le consentement de celui qui exerçait la garde sur sa personne. En effet, dans les deux cas la conséquence est la même: l'enfant a été soustrait de l'environnement familial et social dans lequel se déroulait sa vie.

En second lieu, la personne qui déplace l'enfant [. . .] a l'espoir d'obtenir des autorités du pays où l'enfant a été emmené le droit de garde sur la personne de celui‑ci [. . .] [afin de] légalise[r] la situation de fait qu'elle vient de créer . . . [Je souligne.]

(Actes et documents, op. cit., à la p. 172.)

En d'autres termes, le non‑retour sera illicite dès l'expiration de la période de visite, lorsque le déplacement original a été autorisé par le gardien légal de l'enfant. Cette interprétation est reprise dans le «Commentaire de l'avant‑projet» du Rapport de la Commission spéciale, qui prévoit:

En premier lieu, la référence aux enfants «retenus» illicitement entend couvrir les cas où l'enfant se trouvant dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle — avec le consentement de la personne qui exerçait normalement sa garde — n'est pas renvoyé par la personne avec laquelle il séjournait.

(Actes et documents, op. cit., à la p. 187.)

De même, dans le Rapport explicatif de la Convention on écrit:

. . . la concrétisation de la date décisive en cas de non‑retour devant être entendue comme celle à laquelle l'enfant aurait dû être remis au gardien, ou à laquelle le titulaire de la garde a refusé son consentement à un prolongement du séjour de l'enfant dans un autre lieu que celui de sa résidence habituelle.

(Actes et documents, op. cit., aux pp. 458 et 459.)

À la page 429, on ajoute: «. . .la Convention consacre en tout premier lieu, parmi ses objectifs, le rétablissement du statu quo».

Je conclus donc que l'ordonnance rendue le 3 février 1993 par le tribunal écossais en faveur du père n'aurait pas suffi comme telle à fonder une demande en vertu de la Convention de La Haye, puisqu'elle ne pouvait en soi rendre le non‑retour illicite.

Je le répète, je suis conscient de nombreux cas où, comme en l'espèce, les autorités britanniques paraissent avoir présumé qu'une «ordonnance de retour» rendue après que l'enfant a été enlevé du ressort peut en elle‑même rendre illicite ce qui était par ailleurs conforme à la Convention; voir C. c. S. (Minor: Abduction: Illegitimate Child), [1990] 2 All E.R. 449 (C.A.), conf. par [1990] 2 All E.R. 961 (H.L.); Re B.‑M. (Wardship: Jurisdiction), [1993] 1 F.L.R. 979 (H.C. (Fam. Div.)), et Re N. (Child Abduction: Habitual Residence), [1993] 2 F.L.R. 124 (C.A.). En particulier, depuis que la présente affaire a été entendue, bon nombre de causes britanniques et australiennes ont été portées à mon attention, dans lesquelles des procédures intentées en Angleterre relativement à une tutelle ont été utilisées comme des «ordonnances de retour» après le déplacement d'un enfant afin d'établir le non‑retour illicite par la personne qui a le droit de garde au moment du déplacement ou contre elle; voir par exemple Re B.‑M., précité, et In the Marriage of W. M. and G. R. Barraclough (1987), 11 Fam. L.R. 773 (Fam. Ct. Aust.) Je m'abstiendrai de commenter plus amplement ces affaires, mais je remarque simplement qu'une telle position adoptée à l'encontre du parent qui a la garde (autre que provisoire, comme en l'espèce) paraît à prime abord viser à protéger des intérêts autres que le droit de garde, auquel le retour de l'enfant est limité en vertu de la Convention. Si une telle situation se produisait en l'espèce, il faudrait l'examiner avec grand soin afin de déterminer si elle est conforme à la lettre et à l'esprit de la Convention. Je remarque qu'aux États‑Unis, le tribunal a, dans une affaire récente, refusé de faire droit à une demande de retour dans de telles circonstances; voir Meredith c. Meredith, 759 F.Supp. 1432 (D. Ariz. 1991).

Exceptions au retour d'un enfant déplacé illicitement

Puisque Matthew a été déplacé illicitement au sens de la Convention, l'art. 12 de la Convention contraint notre Cour à ordonner son retour «immédiat», à moins que sa situation ne soit visée par l'une des exceptions énoncées aux art. 12, 13 et 20. Elles sont les suivantes (voir John M. Eekelaar, «International Child Abduction by Parents» (1982), 32 U.T.L.J. 281, à la p. 311):

1. Plus d'un an s'est écoulé entre le déplacement et le moment de l'introduction des procédures judiciaires, et il peut être établi que l'enfant s'est intégré dans son nouveau milieu: art. 12;

2. La personne, l'institution ou l'organisme qui avait le soin de la personne de l'enfant n'exerçait pas effectivement le droit de garde à l'époque du déplacement ou du non‑retour: al. 13a);

3. La personne, l'institution ou l'organisme qui avait le soin de la personne de l'enfant a acquiescé à ce déplacement ou à ce non‑retour: al. 13a);

4. Il existe un risque grave que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable: al. 13b);

5. L'enfant s'oppose à son retour et il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion: art. 13;

6. Le retour de l'enfant «ne serait pas permis par les principes fondamentaux de l'État requis sur la sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales»: art. 20.

En outre, convient‑il de rappeler, l'art. 5 de la Loi manitobaine prévoit une exception, suivant laquelle, si le tribunal conclut que l'enfant subirait un préjudice grave s'il demeurait sous la garde, ou s'il était confié à la garde, de la personne nommée dans une ordonnance de garde extra‑provinciale, il doit rendre une ordonnance de garde différente.

Les seules exceptions qui, soutient‑on, s'appliquent à Matthew, sont celles du «préjudice grave» selon la Loi du Manitoba ou du «risque grave [. . .] [de] danger physique ou psychique» selon la Convention. On soutient que la séparation de Matthew d'avec sa mère, qui a été sa principale gardienne pendant les 13 derniers mois, lui causera pareil préjudice et que cette séparation est la conséquence inévitable d'une ordonnance de retour, étant donné l'existence de l'ordonnance de garde rendue en Écosse le 3 février 1993 en faveur du père. J'étudierai la question en tenant pour acquis que les deux critères en matière de préjudice s'appliquent aux présentes procédures; j'ajouterai plus loin des commentaires à cet égard.

Comme le juge Davidson l'a signalé, les critères en matière de préjudice en vertu de la Loi manitobaine et de la Convention ne sont pas formulés en des termes identiques. Aux termes de la première, «l'enfant subirait un préjudice grave s'il demeurait sous la garde [. . .] ou s'il était confié de nouveau à la garde . . .». Aux termes de la seconde, il doit exister «un risque grave que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable». Le juge Twaddle de la Cour d'appel a solutionné ainsi à la p. 208 la difficulté qu'engendre cette différence: [traduction] «Puisque le "préjudice grave" à l'enfant en l'espèce serait nécessairement précédé d'un risque grave qu'il subisse un préjudice, il suffit de tenir compte des exceptions énoncées dans la Convention.» Vu les conclusions que les faits en l'espèce ne satisfont pas aux critères en matière de préjudice prévus soit dans la Convention, soit dans la Loi, je n'ai pas à approfondir la question. Je me contenterai de dire que je conviens que les différences entre la Convention et la Loi ne sont pas marquées au point de forcer l'application d'un critère sensiblement différent en matière de préjudice. Pour cette raison et parce que, comme je l'expliquerai plus loin, il s'agit à mon avis de la seule exception pertinente, j'étudierai uniquement la jurisprudence portant sur l'exception relative au «préjudice» de la Convention, sur laquelle, de toute façon, l'appelante s'est essentiellement fondée.

Il est généralement reconnu que la Convention requiert un critère plus rigoureux que celui proposé par l'appelante. En bref, bien que le mot «grave» détermine le «risque» et non le «préjudice», le terme doit être lu conjointement avec la phrase «ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable». L'emploi de l'expression «autre manière» nous amène inévitablement à conclure que le préjudice physique ou psychique prévu dans la première partie de l'al. 13b) est tel qu'il devient également une situation intolérable. On en est venu à cette conclusion dans les affaires suivantes: Gsponer c. Johnstone (1988), 12 Fam. L.R. 755 (Fam. Ct. Aust. (Full Ct.)); Re A. (A Minor) (Abduction), [1988] 1 F.L.R. 365 (Eng. C.A.); Re A. and another (Minors) (Abduction: Acquiescence), [1992] 1 All E.R. 929 (C.A.); Re L. (Child Abduction) (Psychological Harm), [1993] 2 F.L.R. 401 (Eng. H.C. (Fam. Div.)); Re N. (Minors) (Abduction), [1991] 1 F.L.R. 413 (Eng. H.C. (Fam. Div.)); Director‑General of Family and Community Services c. Davis (1990), 14 Fam. L.R. 381 (Fam. Ct. Aust. (Full Ct.)); et C. c. C., précité. À la page 372 de Re A. (A Minor) (Abduction), précité, le lord juge Nourse exprime, à mon avis avec justesse, la position qui devrait être adoptée:

[traduction] . . . il doit s'agir d'un risque plus grand qu'un risque ordinaire, ou plus grand que ce dont on s'attendrait normalement du fait de prendre un enfant d'un parent et de le remettre à l'autre. Je conviens [. . .] que non seulement le risque doit être grave, mais il doit causer un préjudice psychique sérieux, et non pas négligeable. C'est là, me semble‑t‑il, le sens de l'expression «ou de toute autre manière place l'enfant dans une situation intolérable».

Je m'empresse d'ajouter cependant que je n'accepte pas l'affirmation du juge Twaddle que le risque visé par la Convention doit découler d'une cause liée au retour de l'enfant à l'autre parent et non seulement du retrait de l'enfant du parent qui en prend soin. Comme notre Cour l'a remarqué dans Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, du point de vue de l'enfant, un préjudice est un préjudice. Si le préjudice était suffisamment grave pour satisfaire au critère rigoureux de la Convention, sa source importerait peu. Je tiens toutefois à signaler que ce ne sera que dans de très rares cas que les effets de «l'intégration» dans le milieu du ravisseur causeront un préjudice au niveau envisagé par la Convention. La déclaration à l'art. 12 selon laquelle, lorsqu'une période de moins d'un an s'est écoulée, la règle prescrit que l'enfant doit être retourné immédiatement, précise que les effets ordinaires de l'intégration ne justifient donc pas le refus de rendre l'enfant. Même après un an, l'autorité saisie doit ordonner le retour de l'enfant à moins, comme le dit la Convention, «qu'il ne soit établi que l'enfant s'est intégré dans son nouveau milieu».

En l'espèce, il ne fait aucun doute que Matthew subirait quelque préjudice psychique s'il était soustrait à la garde de sa mère pour être confié à celle de son père, particulièrement compte tenu de la possibilité que, dans le cadre d'une nouvelle audience, le tribunal écossais accorde de nouveau la garde permanente à la mère. Pour reprendre les propos du juge Helper, il n'est pas bon pour un enfant d'être renvoyé d'un pourvoyeur de soins à l'autre. D'autres tribunaux ont reconnu ce problème. Dans Re L., précité, le père était américain et la mère britannique. Ils avaient vécu au Texas, où l'enfant est né en 1991. La mère a illicitement emmené l'enfant en Angleterre. Le père a demandé le retour de l'enfant en vertu de la Convention de La Haye et la mère s'y est opposée en invoquant l'exception prévue à l'al. 13b). Elle a appelé à témoigner deux psychologues de l'enfance, suivant lesquels un enfant de 19 mois séparé de sa mère subirait un préjudice psychique grave. Le tribunal a conclu que cette preuve ressortissait au fond d'une audience sur la garde. Il a déterminé que le risque de préjudice à l'enfant ne se poserait que si la mère refusait de l'accompagner ou ne pouvait obtenir un visa pour ce faire. Même dans ce cas‑là, a conclu le tribunal, le préjudice n'était pas suffisamment grave pour que l'on puisse invoquer l'al. 13b). À la page 405, il a dit:

[traduction] Même si elle ne réussit tout de même pas [à accompagner l'enfant au Texas ou] à obtenir un tel visa, je ne crois pas qu'il existe un risque grave que Thomas subisse un préjudice psychique de la nature requise, ou qu'il soit placé dans une situation suffisamment intolérable. Après tout, il sera recueilli par son père, qui l'amènera au Texas, et en prendra soin avec l'aide de la grand‑mère paternelle de l'enfant par la suite.

Étant donné la promesse du père dans Re L. de payer le transport aérien de la mère, de lui verser une pension alimentaire provisoire et de quitter la résidence familiale du Texas pour lui permettre d'y demeurer avec l'enfant jusqu'à l'audience relative à la garde, le tribunal était convaincu que les intérêts de l'enfant étaient protégés et que la Convention était respectée.

Réparations

Comme je l'ai mentionné précédemment, l'«ordonnance de retour» rendue par le tribunal écossais complique la question en l'espèce car, à moins de prendre des mesures additionnelles, il est impossible d'atteindre l'un des objectifs de la Convention, soit celui de revenir au statu quo qui existait avant le déplacement illicite. La Convention ne permet aucune souplesse à l'égard des réparations puisqu'elle est fondée sur la prémisse que le déplacement illicite de l'enfant a nécessairement des effets nuisibles (voir le préambule; voir également Anton, loc. cit., à la p. 543). En interprétant la Convention, les tribunaux ont reconnu que l'ordonnance de retour sans réserves risque fréquemment d'être préjudiciable aux intérêts de l'enfant à court terme car elle arrache ce dernier des mains de la personne qui, dans les faits, est son principal pourvoyeur de soins. Comme le dit le juge Helper à la p. 215, [traduction] «les enfants ne doivent pas souffrir deux fois des écarts de conduite de leurs parents». Plus l'enfant est jeune, plus le tribunal doit faire preuve de prudence. C'est d'autant plus vrai lorsque les faits sont de la nature de ceux de l'espèce, auxquels les travaux préparatoires renvoient comme s'agissant, «en fait, du contraire d'un cas normal d'enlèvement d'enfant» (rapport Dyer, Actes et documents, op. cit., à la p. 40).

Compte tenu du préambule, aux termes duquel «l'intérêt de l'enfant est d'une importance primordiale», certains tribunaux étrangers se sont investis du pouvoir d'exiger des engagements de la part de la partie demanderesse, pour autant que ces engagements respectent l'esprit de la Convention: voir Re L., précité; C. c. C., précité; P. c. P. (Minors) (Child Abduction), [1992] 1 F.L.R. 155 (Eng. H.C. (Fam. Div.)), et Re A. (A Minor) (Abduction), précité. Grâce aux engagements, la condition prévue à l'art. 12 de la Convention, suivant laquelle «l'autorité saisie ordonne [le] retour immédiat [de l'enfant]», peut être respectée, les actes illicites de la partie qui a déplacé l'enfant ne sont pas excusés, l'intérêt à long terme de l'enfant est déterminé par le tribunal de la résidence habituelle de l'enfant et tout préjudice à court terme à l'enfant est atténué.

Monsieur Thomson a proposé, par l'entremise de ses procureurs, les engagements suivants, que notre Cour a acceptés:

[traduction]

a)Il n'exercera pas la garde physique de Matthew au retour de celui‑ci en Écosse, et ne l'exercera que si un tribunal la lui attribue.

b)Il entamera les procédures qui conféreront au tribunal compétent en Écosse le pouvoir de trancher provisoirement ou définitivement dans un délai d'environ 5 semaines suivant le retour de Matthew la question des soins et de la surveillance de Matthew.

Corrélation entre la Convention et la Loi du Manitoba

Le juge Davidson a rendu une ordonnance de garde provisoire de quatre mois en faveur de l'appelante. Les intervenants devant notre Cour n'ont pu se mettre d'accord sur la question de savoir si la Cour du Banc de la Reine du Manitoba était compétente pour prononcer cette ordonnance. Cette divergence d'opinion naît de l'interprétation de l'art. 6 de la Loi manitobaine (qui permet qu'une ordonnance provisoire soit rendue au mieux des intérêts de l'enfant), de l'art. 12 de la Convention (qui exige le retour «immédiat» d'un enfant illicitement déplacé) et de l'art. 16 (qui prescrit que les tribunaux tenus de trancher une affaire par l'application de la Convention «ne pourront statuer sur le fond du droit de garde» à moins d'avoir d'abord déterminé que les conditions de la Convention pour un retour de l'enfant ne sont pas réunies). Le procureur général du Canada soutient que, si un conflit existe entre ces dispositions, la Convention doit prévaloir. Le procureur général du Manitoba soutient pour sa part que, dans un tel cas, la loi du Manitoba doit prévaloir.

Dans un article intitulé «Statutory Confusion in International Child Custody Disputes» (1993), 9 C.F.L.Q. 279, aux pp. 279 et 280, le professeur Vaughan Black décrit le problème créé par les lois provinciales d'application de la Convention:

[traduction] Le problème réside dans le fait que, dans certains cas, deux régimes législatifs distincts sont applicables. Au milieu des années 1980, toutes les provinces et tous les territoires canadiens ont adopté une loi visant la mise en vigueur de la Convention de la Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants. Ces lois se sont ajoutées aux textes de loi qui existaient déjà en matière de garde d'enfant. Ces textes de loi contenaient généralement des dispositions sur des questions de complexité territoriale. Plus précisément, les lois existantes déterminaient les cas où les tribunaux provinciaux pouvaient et devaient assumer leur compétence à l'égard des affaires de garde complexes du point de vue géographique, et traitaient de la question connexe des circonstances dans lesquelles les ordonnances de garde étrangères devaient être reconnues. Dans certaines provinces [. . .] la Convention de La Haye se retrouve au côté de dispositions générales en matière de garde. Dans d'autres, la Convention a été adoptée dans une loi distincte se limitant à la promulgation du traité. Quoi qu'il en soit — du moins dans les affaires où le pays étranger en question est un État partie à la Convention -‑ les affaires internationales de garde paraissent soulever le problème de deux lois applicables.

L'avant‑projet de la Convention qui a été achevé par la Commission spéciale de la Conférence de La Haye en novembre 1979 a été soumis à la Conférence sur l'uniformisation des lois du Canada en août 1980 par l'intermédiaire de son comité sur les conventions internationales en droit international privé (voir K. B. Farquhar, «The Hague Convention on International Child Abduction Comes to Canada» (1983), 4 Rev. can. d. fam. 5). La Conférence sur l'uniformisation des lois a accepté le texte d'une «Loi uniforme» pour l'application de la Convention de La Haye. Quatre provinces (le Nouveau‑Brunswick, la Nouvelle‑Écosse, la Saskatchewan et l'Alberta) ont adopté une loi parallèle à la Loi uniforme, dont sa disposition portant que, dans le cas d'un conflit entre la Convention et toute autre loi, la Convention doit prévaloir: Loi sur l'enlèvement international d'enfants, L.N.‑B. 1982, ch. I‑12.1; Child Abduction Act, S.N.S. 1982, ch. 4; The International Child Abduction Act, S.S. 1986, ch. I‑10.1, et International Child Abduction Act, S.A. 1986, ch. I‑6.5.

Le Québec a choisi de ne pas adopter la Convention du tout, adoptant plutôt des dispositions équivalentes: Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants, L.Q. 1984, ch. 12. Les cinq autres provinces (le Manitoba, l'Ontario, la Colombie‑Britannique, l'Île‑du‑Prince‑Edouard et Terre‑Neuve) ont adopté la Convention dans une loi plus générale régissant les aspects civils de l'enlèvement d'enfants: The Child Custody Enforcement Act, S.M. 1982, ch. 27 (maintenant la Loi sur l'exécution des ordonnances de garde, L.R.M. 1987, ch. C360). Children's Law Reform Amendment Act, 1982, S.O. 1982, ch. 20; Family Relations Amendment Act, 1982, S.B.C. 1982, ch. 8, mod. par S.B.C. 1985, ch. 72, art. 20; Custody Jurisdiction and Enforcement Act, S.P.E.I. 1984, ch. 17, et The Children's Law Act, S.N. 1988, ch. 61. De ces cinq lois, celles de l'Ontario, de l'Île‑du‑Prince‑Edouard et de Terre‑Neuve prévoient qu'en cas de conflit entre la Convention et tout autre régime législatif, la Convention prévaut. Seules les lois de la Colombie‑Britannique et du Manitoba n'accordent pas cette primauté.

Black (loc. cit., à la p. 286) affirme que la différence d'opinions entre les provinces qui ont adopté la Convention comme telle et celles qui l'ont intégrée dans un régime législatif plus vaste découle du fait suivant:

[traduction] Une province pourrait souhaiter adopter une loi qui impose une obligation plus «rigoureuse» d'ordonner le retour des enfants enlevés — c'est‑à‑dire soumise à des exceptions plus restreintes — que l'obligation imposée par la Convention. Les parties qui demandent une ordonnance de retour conformément à de telles lois ne devraient pas alors se faire répondre que l'une des exceptions à la Convention a pour effet de fermer la porte à cette réparation. En d'autres termes, la Convention adopte des obligations minimales d'ordonner le retour des enfants enlevés, et elle n'a pas pour effet d'interdire l'adoption d'obligations plus rigoureuses. [En italique dans l'original.]

Cependant, la situation décrite par Black, où une province pourrait hypothétiquement souhaiter adopter des dispositions plus restrictives que celles de la Convention, est la situation contraire à celle de l'espèce. On a fait valoir devant nous que, parce que les deux textes législatifs n'ont pas été plaidés de façon subsidiaire, et parce que le Manitoba a adopté des dispositions plus généreuses que celles de la Convention en matière d'exécution, la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a compétence pour rendre une ordonnance de garde provisoire contraire aux exigences des art. 12 et 16 de la Convention.

Strictement parlant, il n'est pas nécessaire de décider si les dispositions de la Loi sur l'exécution des ordonnances de garde entrent en conflit avec celles de la Convention en l'espèce. Les quatre mois de garde provisoire accordés à l'appelante par le juge Davidson sont expirés, tout comme les deux mois que le juge Helper aurait accordés. Bien que l'audition de la présente affaire ait été accélérée, l'appelante a la garde de facto de Matthew au Canada depuis 13 mois. L'intimé s'est engagé à ne faire respecter aucun droit de garde qu'il pourrait détenir en vertu du droit écossais jusqu'à ce que l'affaire soit entendue intégralement, à condition que l'appelante raccompagne l'enfant en Écosse. Qu'elle accompagne Matthew ou non, l'appelante doit retourner l'enfant en Écosse «immédiat[ement]».

Je crois sage toutefois d'exprimer mon avis sur la corrélation qui existe entre la Convention et les autres dispositions de la Loi étant donné les circonstances de l'espèce. À mon avis, ces dispositions et celles de la Convention ont un effet indépendant les unes des autres. Ce résultat est évident lorsqu'une demande est présentée soit en vertu de la Convention, soit en vertu de la Loi. Une procédure peut offrir des avantages que l'autre n'offre pas. Lorsqu'une procédure particulière est choisie, elle devrait toutefois s'appliquer indépendamment de l'autre. Cependant, lorsqu'on invoque les dispositions de la Loi, il peut être justifié de se reporter à la Convention pour déterminer la ligne de conduite que les tribunaux devraient suivre puisque l'adoption de la Convention par le législateur indique qu'il est d'avis que la meilleure façon de résoudre les conflits internationaux sur la garde d'enfants est de retourner l'enfant dans son lieu de résidence habituelle; voir G. c. G. (Minors) (Abduction), [1991] Fam. Law 519 (C.A.), à la p. 519, et Black, loc. cit., aux pp. 290 et 291.

En l'espèce, les demandes ont été présentées en vertu à la fois des dispositions de la Loi et de celles de la Convention, et les tribunaux d'instance inférieure ont tenté de traiter des deux en même temps. Une telle fusion de procédures exhaustives conçues séparément est rarement utile. Qui plus est, je ne crois pas que la Loi le requiert. Il est vrai que, contrairement à la Loi uniforme, la Loi du Manitoba ne prévoit pas expressément qu'en cas de conflit, c'est la Convention qui prévaut, mais je ne crois pas que cela soit nécessaire lorsque la demande est présentée en vertu de la Convention. Rien dans la Loi n'indique que, dans le cas d'une demande fondée sur la Convention, la procédure indépendante prévue par la Loi (qui, contrairement à la Convention, vise plus spécifiquement l'exécution d'ordonnances de garde) devrait être invoquée. Parce qu'elle a adopté la Convention, la législature doit être réputée se soumettre à ses exigences: retourner sans délai à son lieu de résidence habituelle l'enfant qui en a été déplacé illicitement. À moins que l'auteur de la demande ne choisisse de l'abandonner, la demande en vertu de la Convention s'applique. Black, loc. cit., aux pp. 281 et 282, pose ainsi la question:

[traduction] La Convention requiert seulement que, sous réserve d'une liste restreinte d'exceptions, les enfants illicitement déplacés hors du pays de leur résidence habituelle soient retournés rapidement à cet État. Les tribunaux de l'État contractant où se trouvent les enfants «enlevés» sont tenus d'ordonner leur retour. Il ressort clairement de l'art. 16 de la Convention que la demande visant le retour d'un enfant a priorité sur toute demande de garde:

Après avoir été informées du déplacement illicite d'un enfant ou de son non‑retour [. . .], les autorités judiciaires ou administratives de l'État contractant où l'enfant a été déplacé ou retenu ne pourront statuer sur le fond du droit de garde jusqu'à ce qu'il soit établi que les conditions de la présente Convention pour un retour de l'enfant ne sont pas réunies . . .

Par conséquent, une demande de retour présentée conformément à la Convention a priorité sur une demande de garde présentée dans le pays. Ce n'est que si la demande de retour est refusée — soit parce que la Convention est jugée inapplicable, soit parce que l'une de ses exceptions restreintes s'applique — qu'une demande de garde devrait être traitée. Puisque le tribunal qui a décidé d'accorder une ordonnance de retour des enfants conformément à la Convention n'ordonnerait évidemment pas le retour pour ensuite statuer sur la garde, le fait qu'il accueille une demande fondée sur la Convention le contraint à décliner toute compétence qu'il pourrait par ailleurs avoir en matière de garde. [En italique dans l'original.]

Aussi, tel que je le conçois, le juge Davidson ou le juge Helper ne pouvaient rendre une ordonnance de garde provisoire en vertu de l'art. 6 de la Loi. Je ne suis toutefois pas disposé à écarter complètement la possibilité que la fin recherchée par le juge Helper ne puisse être atteinte en vertu de la Convention. En temps ordinaire, il n'est ni nécessaire ni souhaitable d'agir autrement qu'avec la plus grande diligence. C'est que, dans la plupart des cas (comme les situations décrites dans le rapport Dyer l'illustrent), l'enfant sera retourné à son gardien — son pourvoyeur de soins habituel. Et, dans les cas de garde provisoire, le titulaire de la garde provisoire accompagnera normalement l'enfant lors de son retour. Comme l'a signalé le juge Helper, ce qui rend la présente affaire difficile, c'est que l'«ordonnance de retour» rend impossible l'application projetée de la Convention.

En raison de l'«ordonnance de retour» obtenue par le requérant, il est impossible de réaliser le rétablissement du statu quo que, selon le libellé du Rapport explicatif (Actes et documents, op. cit., à la p. 429): «la Convention consacre en tout premier lieu, parmi ses objectifs». Aux prises avec cette situation, le tribunal doit être réputé détenir un pouvoir suffisant à l'égard de sa procédure pour prendre les mesures nécessaires en vue de respecter la lettre et l'esprit de la Convention. En l'espèce, notre Cour a accepté les engagements pris par le requérant qui, dans les circonstances, paraissent plus aptes à atteindre ce but. Il peut arriver cependant qu'il n'y ait pas de tels engagements ou que, pour une raison ou une autre, ce moyen soit inacceptable. C'est pourquoi je n'écarterais pas la possibilité que, dans des circonstances comme celles de l'espèce, l'échéancier proposé pour le retour par le juge Helper puisse être justifié en vertu de la Convention. Je remarque que l'art. 11 prévoit un délai de six semaines après lequel les autorités de l'État requérant peuvent s'informer des raisons du retard.

Dispositif

Le jugement suivant a été rendu à la fin des plaidoiries:

Le pourvoi est rejeté sous réserve de l'engagement que l'intimé a pris devant notre Cour par l'intermédiaire de son avocat. L'avocat déposera auprès du Registraire, demain midi au plus tard, un engagement signé selon les termes proposés à la Cour. Le juge L'Heureux-Dubé aurait été d'accord avec la façon dont le juge Helper a tranché l'affaire par rapport à l'engagement.

Les motifs et la décision quant aux dépens suivront.

Compte tenu de toutes les circonstances, il n'y aura pas d'ordonnance quant aux dépens.

Version française des motifs des juges L'Heureux-Dubé et McLachlin rendus par

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Le juge L'Heureux‑Dubé — Comme mon collègue le juge La Forest l'a mentionné, cet appel concerne le problème relié à l'enlèvement international

d'enfants en violation de la Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, R.T. Can. 1983 no 35 (la «Convention»), qui est mise en application au Manitoba au moyen de la Loi sur l'exécution des ordonnances de garde, L.R.M. 1987, ch. C360 (la «Loi»).

En l'espèce, l'appelante, la mère à qui, le 27 novembre 1992, les tribunaux écossais avaient accordé la garde provisoire de son fils Matthew âgé de huit mois, s'est envolée vers le Canada en compagnie de son fils le 2 décembre 1992, violant ainsi l'ordonnance judiciaire qui lui interdisait de quitter l'Écosse. Le père intimé demande maintenant le retour de son fils en Écosse. Il invoque la Convention ainsi que l'ordonnance de garde permanente qu'ont rendue ex parte les tribunaux écossais après que son épouse et son fils eurent quitté l'Écosse. Notre Cour est appelée à déterminer si la Convention s'applique aux faits de la présente affaire et, dans l'affirmative, si les mesures transitoires régissant le retour de l'enfant dans son lieu de résidence habituelle relèvent de la compétence des tribunaux du Manitoba en vertu de la Loi.

Comme il appert du jugement rendu à l'audience le 26 janvier 1994, nous sommes tous d'avis que cet appel doit être rejeté et que la Convention s'applique aux faits de l'espèce. À cet égard, j'aimerais souligner que je souscris entièrement à l'interprétation que mon collègue le juge La Forest donne à la Convention et à la façon dont il l'applique aux circonstances de cette affaire. Plus particulièrement, je partage son opinion quant à l'interprétation des termes «déplacement illicite» et «non‑retour illicite» de la Convention et de l'exemption y prévue à l'al. 13b). Je souligne également mon accord avec ses commentaires, aux pp. 589 et 590, sur la liberté de circulation et d'établissement des femmes. Comme lui, je crois que l'insertion dans une ordonnance de garde permanente d'une disposition interdisant le déplacement du parent gardien ne signifie pas que le tribunal se réserve un droit de garde ni qu'en conséquence le déplacement soit illicite au sens de la Convention lorsque le parent gardien et l'enfant déménagent ailleurs.

Même si je suis d'accord avec la façon dont mon collègue interprète et applique la Convention aux faits de l'espèce, j'ai toutefois quelques réserves sur son opinion quant à la compétence des tribunaux du Manitoba d'imposer, conformément à la Loi, des mesures transitoires régissant le retour de l'enfant dans son lieu de résidence habituelle. J'estime que les tribunaux du Manitoba sont habilités à rendre de telles ordonnances transitoires lorsqu'elles sont nécessaires pour protéger l'intérêt de l'enfant, pour autant, évidemment, que l'objet et les modalités des ordonnances n'entravent pas les objectifs de la Convention et que le retour de l'enfant dans la juridiction compétente ne soit pas retardé au point de contrecarrer ces objectifs. Étant donné les circonstances de l'espèce, le juge Helper de la Cour d'appel du Manitoba était, à mon avis, justifiée de formuler l'ordonnance transitoire suivante dans sa dissidence:

[traduction] 1. la garde provisoire de l'enfant Matthew est accordée à Mme Thomson; 2. la demande de M. Thomson visant à ce que Matthew soit retourné en Écosse est suspendue à la condition que sa demande puisse être présentée sur preuve qu'il consent qu'une ordonnance en Écosse accorde la garde provisoire de l'enfant à Mme Thomson, et 3. il est ordonné à Mme Thomson d'introduire sa demande de garde en Écosse dans les deux mois suivant la présente ordonnance et d'agir aussi rapidement que possible.

((1993), 88 Man. R. (2d) 204, à la p. 218.)

Le juge Helper visait ainsi à protéger l'intérêt de l'enfant (Matthew), facteur qui, comme je l'expliquerai plus loin, est primordial dans la Convention et dans la Loi. Elle a conclu qu'une telle ordonnance était nécessaire en raison de l'«ordonnance de retour» (chasing order) qu'ont rendue les tribunaux écossais le 3 février 1993, après que l'appelante et son fils eurent quitté l'Écosse, laquelle accordait la garde permanente de Matthew à l'intimé. Cette ordonnance ayant, cependant, été rendue ex parte, il appert que le tribunal n'a pas examiné au fond la question de la garde non plus que celle de l'intérêt de l'enfant. À ce sujet et considérant les conséquences que cette ordonnance pourrait avoir sur le retour de Matthew en vertu de la Convention, le juge Helper écrit (à la p. 217):

[traduction] L'ordonnance du 28 juin 1993 aura pour effet de retirer Matthew des soins de sa mère dès son retour en Écosse. Il sera remis à son père, qu'il n'a pas vu depuis novembre 1992, et ce sont ses grands‑parents paternels, maintenant des étrangers pour lui, qui prendront soin de lui. Deux tribunaux ont déterminé que Mme Thomson était mieux en mesure de répondre aux besoins de Matthew. Il se peut fort bien qu'à la suite d'une audience de garde intégrale, le tribunal écossais retourne encore une fois Matthew aux soins de sa mère, cette fois à long terme. Il sera alors de nouveau soumis à un changement. Je suis fermement convaincue qu'un tel résultat est à éviter.

Devant cette possibilité, le juge Helper a formulé l'ordonnance transitoire décrite précédemment de façon à protéger les intérêts de Matthew, lesquels, après tout, revêtent une importance primordiale, tant selon le préambule de la Convention que selon la Loi du Manitoba.

Mon collègue le juge La Forest reconnaît d'ailleurs lui‑même la situation difficile créée par l'«ordonnance de retour», qui, a‑t‑il fait remarquer, visait à appuyer la demande de l'intimé fondée sur la Convention. Pour surmonter cette difficulté et protéger les intérêts de Matthew, mon collègue a jugé suffisant de se fonder sur les engagements du père intimé portant que Matthew resterait sous la garde de sa mère à son retour en Écosse. Commentant l'utilité de tels engagements, le juge La Forest déclare (à la p. 599):

Grâce aux engagements, la condition prévue à l'art. 12 de la Convention, suivant laquelle «l'autorité saisie ordonne [le] retour immédiat [de l'enfant]», peut être respectée [. . .] et tout préjudice à court terme à l'enfant est atténué.

Si le juge La Forest a conclu que les engagements pris par le père étaient suffisants en l'espèce pour protéger les intérêts de Matthew, il a toutefois ajouté que, dans certains cas, il se pourrait que de tels engagements soient insuffisants et qu'alors, il n'écarterait pas la possibilité que «l'échéancier proposé pour le retour par le juge Helper puisse être justifié en vertu de la Convention» (p. 605).

J'irais cependant plus loin que mon collègue. Plutôt que de simplement laisser ouverte la possibilité que des mesures transitoires puissent être quelquefois justifiées sous le régime de la Convention, j'estime que les tribunaux du Manitoba sont effectivement compétents pour imposer des mesures transitoires en vertu de l'art. 6 de la Loi lorsque ces mesures sont nécessaires pour protéger l'intérêt de l'enfant, qu'elles ne dérogent pas à l'esprit et à l'objectif de la Convention, ni ne retardent excessivement le retour de l'enfant dans la juridiction compétente.

Étant donné l'«ordonnance de retour», l'absence d'engagements du père au moment où les audiences antérieures ont été tenues, de même que les faits en l'espèce, des mesures transitoires étaient appropriées. En particulier, dans les circonstances, l'ordonnance transitoire proposée par le juge Helper de la Cour d'appel du Manitoba était pertinente. Je tiens cependant à préciser que le retard dans le retour de Matthew qui pourrait être causé par une telle ordonnance transitoire devrait être aussi bref que possible. Compte tenu des circonstances de la présente affaire, j'estime que le retour de Matthew a déjà été suffisamment retardé. Je conviens donc avec la majorité que Matthew devrait être retourné immédiatement.

Finalement, je ne peux convenir avec mon collègue que les mesures transitoires deviennent inutiles en présence d'engagements comme ceux qu'a pris M. Thomson en l'espèce par l'intermédiaire de ses procureurs. À mon avis, ces engagements, que mon collègue a reproduits dans ses motifs, n'empêchent pas les tribunaux du Manitoba d'imposer des mesures transitoires, s'ils le jugent nécessaire, lorsqu'ils appliquent la Convention.

Vu ces prémisses, une analyse de la corrélation entre la Loi et la Convention semble être essentielle et sera au premier plan de mon analyse.

La mise en oeuvre de la Convention

Comme mon collègue l'a souligné, la nécessité de conclure des accords internationaux sur l'enlèvement d'enfants a été abondamment démontrée, particulièrement au cours des dernières années. La multiplication des transports rapides au niveau international, la possibilité accrue de franchir librement les frontières internationales, la diminution constante des pièces requises pour entrer dans un pays étranger, l'augmentation des «familles internationales», où les parents sont originaires de pays différents, et l'escalade de l'éclatement de la famille partout sur la planète, contribuent à multiplier le nombre d'enlèvements internationaux. (Conférence de la Haye de droit international privé, Actes et documents de la Quatorzième session, t. III, Enlèvement d'enfants (1982), Document préliminaire no 1 «Questionnaire et rapport sur l'enlèvement international d'un enfant par un de ses parents», aux pp. 18 et 19.) Par ailleurs, les effets de l'enlèvement sont aussi nombreux et variés que leurs causes. L'enlèvement peut, en dernière analyse, contrecarrer l'audition au fond d'une demande de garde, les enfants risquent de subir les conséquences néfastes sur le plan émotif de l'expérience traumatisante d'être entraînés dans un milieu inconnu, loin de leur environnement habituel et, si la communauté internationale ne réagit pas rapidement et uniformément, les enfants risquent de n'être jamais retournés dans leur pays d'origine et au parent gardien.

C'est avec cette préoccupation en tête que, en 1976, le Canada a suggéré, lors de la Conférence de La Haye sur le droit international privé, qu'une solution à ce phénomène soit envisagée. Quatre ans plus tard, le 25 octobre 1980, la Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants de La Haye a été signée.

C'est l'art. 132 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui habilite le gouvernement fédéral à conclure des traités:

132. Le Parlement et le gouvernement du Canada auront tous les pouvoirs nécessaires pour remplir envers les pays étrangers les obligations du Canada ou de l'une de ses provinces, à titre de partie de l'Empire britannique, découlant de traités conclus entre l'Empire et ces pays étrangers.

Même si, suivant cette disposition, il est clair que le pouvoir de conclure des traités relève du gouvernement fédéral, on a prétendu que les provinces pouvaient avoir une compétence concurrente de conclure des traités dans les domaines qui leur sont réservés. Toutefois, selon le professeur Hogg, dans Constitutional Law of Canada (3e éd. 1992), à la p. 283:

[traduction] . . . il suffit de dire que la prétention des provinces n'a jamais été acceptée par le gouvernement fédéral, et que celui‑ci exerce en fait le pouvoir exclusif de conclure des traités.

En dépit de cette compétence exclusive, le pouvoir du gouvernement fédéral de conclure des traités est néanmoins restreint par le partage constitutionnel des pouvoirs. Comme on l'a depuis longtemps indiqué dans l'Affaire des relations du travail (Attorney‑General for Canada c. Attorney‑General for Ontario, [1937] A.C. 326 (C.P.), à la p. 348):

[traduction] Mais dans un État où la législature ne possède pas d'autorité absolue, dans un État fédéral où l'autorité législative est circonscrite par un document constitutionnel, ou est partagée entre différentes législatures selon les catégories de sujets soumis aux législateurs, le problème est complexe. L'exécution des obligations imposées par un traité peut relever de plusieurs législatures et reste problématique; il appartient à l'Exécutif d'obtenir l'assentiment législatif non pas du seul Parlement envers lequel il peut se trouver responsable, mais peut‑être de plusieurs parlements avec lesquels il n'a aucun rapport direct.

Dans le passage suivant de la p. 294, le professeur Hogg, op. cit., se penche plus longuement sur cette complexité, particulièrement pertinente dans le présent cas:

[traduction] . . . le gouvernement fédéral ne peut garantir l'exécution de traités qui requièrent l'adoption de lois relevant de la compétence législative des provinces.

Cela ne signifie pas que le Canada ne peut jamais conclure, ratifier ou exécuter des traités dans les domaines qui sont de la compétence des provinces. Le gouvernement fédéral peut consulter les provinces avant d'assumer les obligations imposées par un traité qui nécessitent une mise en application par les provinces et, si toutes les provinces (ou toutes celles qui sont concernées) conviennent de mettre en application un traité donné, alors le Canada peut y adhérer sans restriction.

Ainsi, compte tenu de ce qui précède, bien que le gouvernement fédéral ait eu la compétence nécessaire pour conclure la Convention, il relève toutefois de la compétence de chaque province de la mettre en application. Comme mon collègue l'a noté, le Nouveau‑Brunswick, la Nouvelle‑Écosse, la Saskatchewan et l'Alberta ont mis en oeuvre la Convention en adoptant une loi qui concorde avec la Loi uniforme, un texte convenu pour mettre la Convention en application de manière uniforme, et qui prévoit que, en cas de conflit entre la Convention et toute autre loi, la Convention doit prévaloir (Loi sur l'enlèvement international d'enfants, L.N.‑B. 1982, ch. I‑12.1; Child Abduction Act, S.N.S. 1982, ch. 4; The International Child Abduction Act, S.S. 1986, ch. I‑10.1, et International Child Abduction Act, S.A. 1986, ch. I‑6.5). Optant pour une démarche quelque peu différente, le Québec n'a pas adopté la Convention; il a plutôt mis en oeuvre la Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants, L.Q. 1984, ch. 12, dont les dispositions sont équivalentes. Enfin, le Manitoba, l'Ontario, la Colombie‑Britannique, l'Île‑du‑Prince‑Edouard et Terre‑Neuve ont adopté la Convention dans un régime législatif provincial plus vaste régissant les aspects civils de l'enlèvement d'enfants (The Child Custody Enforcement Act, S.M. 1982, ch. 27 (maintenant la Loi sur l'exécution des ordonnances de garde, L.R.M. 1987, ch. C360); Children's Law Reform Amendment Act, 1982, S.O. 1982, ch. 20; Family Relations Amendment Act, 1982, S.B.C. 1982, ch. 8, mod. par S.B.C. 1985, ch. 72, art. 20; Custody Jurisdiction and Enforcement Act, S.P.E.I. 1984, ch. 17, et The Children's Law Act, S.N. 1988, ch. 61). Les lois de l'Ontario, de l'Île‑du‑Prince‑Edouard et de Terre‑Neuve prévoient qu'en cas de conflit entre la Convention et tout autre texte législatif, la première prévaut. Les lois de la Colombie‑Britannique et du Manitoba n'ont aucune disposition équivalente.

Le risque de conflit découlant de la mise en oeuvre par les provinces de traités négociés par le gouvernement fédéral existe réellement et a été analysé par le professeur Vaughan Black dans son article intitulé «Statutory Confusion in International Child Custody Disputes» (1993), 9 C.F.L.Q. 279, aux pp. 279 et 280, particulièrement en ce qui concerne la Convention:

[traduction] Le problème réside dans le fait que, dans certains cas, deux régimes législatifs distincts sont applicables. Au milieu des années 1980, toutes les provinces et tous les territoires canadiens ont adopté une loi visant la mise en vigueur de la Convention de la Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants. Ces lois se sont ajoutées aux textes de loi qui existaient déjà en matière de garde d'enfant. Ces textes de loi contenaient généralement des dispositions sur des questions de complexité territoriale. Plus précisément, les lois existantes déterminaient les cas où les tribunaux provinciaux pouvaient et devaient assumer leur compétence à l'égard des affaires de garde complexes du point de vue géographique, et traitaient de la question connexe des circonstances dans lesquelles les ordonnances de garde étrangères devaient être reconnues. Dans certaines provinces [. . .] la Convention de La Haye se retrouve au côté de dispositions générales en matière de garde. Dans d'autres, la Convention a été adoptée dans une loi distincte se limitant à la promulgation du traité. Quoi qu'il en soit — du moins dans les affaires où le pays étranger en question est un État partie à la Convention — les affaires internationales de garde paraissent soulever le problème de deux lois applicables.

En conséquence, j'examinerai maintenant la corrélation entre la Convention et la Loi, une question sur laquelle je tire une conclusion quelque peu différente de celle de mon collègue le juge La Forest.

Corrélation entre la Convention et la Loi

Il s'agit, en l'espèce, de déterminer si l'art. 6 de la Loi habilite les tribunaux manitobains, lorsqu'ils appliquent la Convention, à rendre des ordonnances transitoires dans l'intérêt de l'enfant. L'article 6 de la Loi porte:

6 Si le tribunal saisi de la demande :

a) ou bien conclut que l'enfant a été amené ou est retenu irrégulièrement au Manitoba;

b) ou bien ne peut statuer en application de l'article 4;

il peut:

c) rendre toute ordonnance de garde provisoire qu'il juge être au mieux des intérêts de l'enfant;

d) suspendre l'audition de la demande sous réserve:

(i) soit de l'obligation faite à une partie d'intenter promptement la même procédure devant un tribunal extra‑provincial ou d'y donner suite avec diligence,

(ii) soit de toute autre condition que le tribunal juge indiquée;

e) ordonner à une partie de renvoyer l'enfant au lieu que le tribunal juge indiqué et ordonner, à sa discrétion, le paiement des dépenses de voyage et autres dépenses raisonnables faites par l'enfant, par les autres parties ou par les témoins à l'audition de la demande. [Je souligne.]

Les articles 11 et 12 de la Convention disposent:

Article 11

Les autorités judiciaires ou administratives de tout État contractant doivent procéder d'urgence en vue du retour de l'enfant.

Lorsque l'autorité judiciaire ou administrative saisie n'a pas statué dans un délai de six semaines à partir de sa saisine, le demandeur ou l'Autorité centrale de l'État requis, de sa propre initiative ou sur requête de l'Autorité centrale de l'État requérant, peut demander une déclaration sur les raisons de ce retard. Si la réponse est reçue par l'Autorité centrale de l'État requis, cette Autorité doit la transmettre à l'Autorité centrale de l'État requérant ou, le cas échéant, au demandeur.

Article 12

Lorsqu'un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l'article 3 et qu'une période de moins d'un an s'est écoulée à partir du déplacement ou du non‑retour au moment de l'introduction de la demande devant l'autorité judiciaire ou administrative de l'État contractant où se trouve l'enfant, l'autorité saisie ordonne son retour immédiat.

L'autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l'expiration de la période d'un an prévue à l'alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l'enfant, à moins qu'il ne soit établi que l'enfant s'est intégré dans son nouveau milieu.

Lorsque l'autorité judiciaire ou administrative de l'État requis a des raisons de croire que l'enfant a été emmené dans un autre État, elle peut suspendre la procédure ou rejeter la demande de retour de l'enfant. [Je souligne.]

C'est en vertu de l'al. 6c) de la Loi que le juge Davidson de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a rendu une ordonnance de garde provisoire pour une période de quatre mois en faveur de la mère appelante, tout en ordonnant le retour immédiat de l'enfant en Écosse conformément à la Convention.

En appel, la Cour d'appel du Manitoba n'a pas contesté la compétence du tribunal de rendre une ordonnance transitoire en vertu de l'art. 6 de la Loi au moment d'étudier une demande de retour présentée dans le cadre de la Convention. Elle s'est toutefois demandée si une telle ordonnance serait appropriée en l'espèce. S'exprimant au nom de la Cour d'appel à la majorité, le juge Twaddle a conclu que l'art. 6 de la Loi n'accordait pas au tribunal une multitude d'options, mais lui permettait seulement de retarder le retour de l'enfant jusqu'à ce que le droit de garde soit accordé définitivement dans les cas où [traduction] «il se pourrait que le retour de l'enfant soit inutile et lui soit excessivement préjudiciable» (p. 211). Le juge Twaddle n'était toutefois pas convaincu qu'il était [traduction] «suffisamment probable que le tribunal écossais rende une décision définitive sans le retour de l'enfant pour justifier sa remise à plus tard» (p. 212). Aussi a‑t‑il ordonné le retour immédiat de l'enfant en Écosse. Quant à l'ordonnance de garde provisoire, il était d'avis qu'elle allait à l'encontre du but recherché du retour «immédiat» et, partant, qu'elle avait le même effet que la suspension et était donc injustifiée. Il a déclaré que, lorsque [traduction] «une ordonnance [de garde provisoire] est assortie à une autre [ordonnance] pour le retour immédiat de l'enfant, elle ne devrait pas s'étendre au‑delà du délai raisonnablement requis pour préparer le retour» (p. 212). Il a également ajouté qu'elle ne devrait pas être [traduction] «rédigée en des termes qui donnent à entendre qu'elle est destinée à être maintenue après le retour de l'enfant dans le ressort étranger» (p. 212).

Le juge Helper n'a pas souscrit à l'opinion majoritaire, non pas tant en ce qui concerne les principes qui servent à définir la corrélation qui existe entre la Loi et la Convention, mais quant à leur application. Elle a conclu que le tribunal pouvait et devait surseoir temporairement à la demande de l'intimé pour le retour de l'enfant en Écosse jusqu'à ce que la demande de l'appelante visant à obtenir la garde de l'enfant soit tranchée en Écosse. À son avis, le tribunal pouvait considérer l'intérêt de l'enfant, et il était habilité à rendre une ordonnance provisoire. Elle a déclaré (à la p. 215):

[traduction] En appliquant les ordonnances de garde extra‑provinciales, les tribunaux doivent tenir compte du fait que l'application stricte de la Loi et de la Convention risque de causer un stress excessif et, dans certains cas, un traumatisme véritable aux jeunes enfants qui n'ont aucune voix dans la salle d'audience. La Convention mentionne que les signataires souhaitent protéger l'enfant contre les effets nuisibles d'un déplacement ou d'un non‑retour illicites. Il s'ensuit que, dans les faits, l'enfant doit également être protégé contre les changements nuisibles qu'il ne comprend pas.

En ce qui concerne la corrélation entre la Convention et la Loi, elle a statué (à la p. 217):

[traduction] La Convention et la Loi doivent être lues ensemble. Chaque cas doit être tranché en fonction de ses propres faits. Les tribunaux sont chargés de la mission importante de protéger les jeunes enfants lorsqu'ils déterminent la réparation adéquate pour les requérants en vertu de la Loi et de la Convention.

Elle a conclu que le juge Davidson n'avait pas tenu compte de l'intérêt à court terme de Matthew en ordonnant son retour immédiat en Écosse. À son avis, l'ordonnance de garde écossaise aurait préséance sur l'ordonnance provisoire rendue par le juge Davidson et, en conséquence, Matthew serait retiré des soins et de la garde de sa mère pour être remis à ceux de son père. Selon elle, le meilleur moyen de protéger l'intérêt de Matthew consistait donc à suspendre la demande de retour faite par l'intimé jusqu'à ce que les tribunaux écossais aient tranché la demande de garde au fond. Subsidiairement, elle s'est dite d'accord pour permettre que la demande de retour soit entendue si l'intimé consentait à ce que l'appelante ait la garde provisoire en Écosse.

Tel qu'il ressort de cette brève revue des décisions des tribunaux d'instance, l'analyse de la corrélation et du risque de conflit entre la Loi et la Convention est cruciale pour la détermination des questions qui se posent ici.

En réponse à ces questions, le procureur général du Canada et le procureur général du Manitoba adoptent deux points de vue opposés. D'une part, le procureur général du Manitoba soutient que la Convention est mise en oeuvre au moyen de la Loi et doit être interprétée à la lumière du libellé de cette dernière. Pareille interprétation devrait, dans la mesure du possible, éliminer tout conflit entre la Convention et la Loi. Toutefois, si un conflit est inévitable, la Loi devrait prévaloir. En conséquence, le procureur général du Manitoba fait valoir que l'art. 6 de la Loi s'applique aux demandes présentées au Manitoba en vertu de la Convention.

Le procureur général du Canada, pour sa part, soutient que la Loi et la Convention créent deux régimes indépendants pour l'exécution des ordonnances de garde rendues par des tribunaux étrangers. Ainsi, dans la mesure où la demande relève de la Convention, aucune ordonnance provisoire ne pourrait être rendue en vertu de l'art. 6 de la Loi.

Mon collègue le juge La Forest semble accepter les prétentions du procureur général du Canada. À la page 603, il dit:

Je crois sage toutefois d'exprimer mon avis sur la corrélation qui existe entre la Convention et les autres dispositions de la Loi étant donné les circonstances de l'espèce. À mon avis, ces dispositions et celles de la Convention ont un effet indépendant les unes des autres. Ce résultat est évident lorsqu'une demande est présentée soit en vertu de la Convention, soit en vertu de la Loi. Une procédure peut offrir des avantages que l'autre n'offre pas. Lorsqu'une procédure particulière est choisie, elle devrait toutefois s'appliquer indépendamment de l'autre.

Avec égards, je ne saurais être d'accord. À mon avis, la Loi et la Convention ne créent pas deux régimes indépendants. Au contraire, puisque la Convention est mise en application au Manitoba au moyen de la Loi, les deux textes doivent être lus conjointement. Évidemment, ce faisant, les tribunaux devraient tenter d'en arriver à une interprétation qui, dans la mesure du possible, donne plein effet à l'objectif de la Convention. Cette directive en matière d'interprétation a été décrite par P.‑A. Côté dans Interprétation des lois (2e éd. 1990), à la p. 347, comme suit:

Dans notre régime constitutionnel, il est tout à fait loisible au Parlement ou à une législature d'édicter des textes législatifs inconciliables avec les engagements internationaux de l'État : une loi n'est pas nulle du simple fait qu'elle violerait une règle coutumière ou conventionnelle. Cependant, le législateur est censé ne pas vouloir légiférer d'une manière inconciliable avec des obligations internationales de l'État. Entre deux sens possibles d'une disposition, il faut préférer celui qui est conforme à ces engagements. [Je souligne.]

Les dispositions de la Loi et de la Convention

Un examen du préambule de la Convention permet de conclure que l'intérêt de l'enfant est un facteur primordial:

Les États signataires de la présente Convention,

Profondément convaincus que l'intérêt de l'enfant est d'une importance primordiale pour toute question relative à sa garde,

Désirant protéger l'enfant, sur le plan international, contre les effets nuisibles d'un déplacement ou d'un non‑retour illicites et établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l'enfant dans l'État de sa résidence habituelle, ainsi que d'assurer la protection du droit de visite,

Ont résolu de conclure une Convention à cet effet, et sont convenus des dispositions suivantes: [Je souligne.]

Bien que, comme mon collègue le remarque, le préambule renvoie à l'intérêt des enfants en général, et non à l'intérêt d'un enfant en particulier, je ne puis croire qu'on ait souhaité laisser de côté l'intérêt de chaque enfant.

Quoi qu'il en soit, il apparaît nettement que la Convention vise à protéger l'intérêt des enfants en prévoyant leur prompt retour s'ils sont emmenés hors de leur pays de résidence en violation d'un droit de garde. À cette fin, la Convention empêche l'État de refuge de tenir une enquête sur le bien‑fondé de la demande quant aux droits de garde. A. E. Anton, le président de la Commission qui a rédigé la Convention, commente, dans «The Hague Convention on International Child Abduction» (1981), 30 Int'l & Comp. L.Q. 537, à la p. 543, l'intention des rédacteurs:

[traduction] La Commission a présumé que l'enlèvement d'un enfant sera en général préjudiciable à son bien‑être. Il s'ensuit que, lorsqu'un enfant a été emmené hors d'un pays, les mécanismes internationaux devraient être mis en branle afin qu'il soit retourné volontairement ou par voie de recours judiciaires.

Comme je l'ai remarqué précédemment, j'estime que la Convention et la Loi qui la met en application au Manitoba doivent être lues conjointement, chacune d'elles permettant d'interpréter l'autre. Au Manitoba, les deux textes ne créent pas des régimes indépendants. Cette méthode d'interprétation est simplifiée par le fait que les deux ont pour fondement l'intérêt de l'enfant. La Loi élargit simplement la Convention en prévoyant un mécanisme supplémentaire permettant d'agir dans l'intérêt de l'enfant. Ce mécanisme n'entre pas en conflit avec la disposition de la Convention qui prévoit le retour immédiat. Il ne saurait, en effet, être contraire aux objectifs de la Convention de prévoir des mesures transitoires en vue de protéger l'enfant contre les effets préjudiciables d'une séparation du parent qui l'a déplacé. Le fait de retourner l'enfant et l'établissement de mesures transitoires permettent tous deux de favoriser l'intérêt de l'enfant. Cela est particulièrement à propos dans les situations comme le cas présent, où c'est le parent qui a la garde de l'enfant, en l'occurrence un très jeune enfant, qui l'amène hors de la juridiction compétente.

Par ailleurs, comme le procureur général du Manitoba l'indique, cet élargissement du rôle transitoire des tribunaux lorsqu'ils appliquent la Convention, conformément à la Loi, correspondait certes à l'intention des rédacteurs. En effet, bien que certaines provinces aient simplement choisi de mettre la Convention en oeuvre, le Manitoba a choisi d'élargir ses dispositions ou, pour reprendre les propos de mon collègue, d'adopter des «dispositions plus généreuses que celles de la Convention» (p. 602 (souligné dans l'original)). Cette intention ressort clairement des commentaires du procureur général de l'époque, Roland Penner, qui répondaient à des questions portant sur la corrélation entre la Loi et la Convention:

[traduction] Pour ce qui est du point soulevé concernant le conflit entre la Loi et la Convention, j'ai l'impression -- je la formulerai sous forme de question -- n'est-ce-pas que, en fait, dans les deux exemples que vous utilisez, M. Riley, le projet de loi que nous proposons accorde une plus grande protection et que la Convention est un minimum? Nous allons plus loin que la Convention dans les deux cas.

. . .

Je ne crois pas que ce risque de conflit existe. Il se peut toujours, naturellement, que l'on puisse percevoir un conflit entre deux articles de la Loi, mais il faut alors le trancher selon les règles ordinaires de l'interprétation des lois. Cependant, nous surveillerons la situation. Le projet de loi ne vise pas à restreindre mais plutôt à élargir les mécanismes de la Convention et je crois que, pour l'essentiel, c'est ce qui se produira. [Je souligne.]

(Assemblée législative du Manitoba, Standing Committee on Law Amendments, vol. XXX no 6, 28 juin 1982, à la p. 101.)

Tant le libellé de la Convention que celui de la Loi permettent de conclure que les deux textes doivent être interprétés conjointement. D'une part, le libellé explicite de l'art. 6 de la Loi adopte la même terminologie que la Convention lorsqu'il renvoie, dans le texte anglais, à l'enfant «wrongfully removed» ou «wrongfully retained», faisant ainsi ressortir le fait que la compétence du tribunal pour rendre des ordonnances transitoires conformément à l'art. 6 doit pouvoir être exercée, peu importe que la Convention s'applique ou non.

En outre, le libellé même de la Convention permet de conclure que la Loi et la Convention doivent être interprétées conjointement et que les deux n'entrent pas en conflit. L'article 12 de la Convention étaye cette conception dialectique et flexible en ce qu'il prévoit que, lorsque l'enfant a été dans le pays de refuge pendant une période d'au moins un an et qu'il s'est intégré à son nouveau milieu, il pourrait ne pas être dans son intérêt de le retourner dans son pays d'origine étant donné le temps écoulé depuis l'enlèvement. Cette exception montre bien que la Convention vise à protéger l'intérêt de l'enfant et elle est particulièrement importante, car cette mesure d'accommodation est prévue dans l'article même qui met l'accent sur le retour «immédiat» de l'enfant.

L'article 12 reconnaît que l'intérêt des enfants peut varier d'un cas à l'autre et est donc conforme à une interprétation qui admet la corrélation entre la Convention et la Loi et qui accepte que, dans certains cas, le retour immédiat, sans mesures transitoires, ne sera pas dans l'intérêt de l'enfant. L'importance accordée dans la Convention au retour immédiat doit être interprétée à la lumière de l'objectif primordial, l'intérêt des enfants, et du libellé explicite de la Loi, au moyen de laquelle la Convention a été adoptée au Manitoba, et ne devrait pas entraîner un retour qui ne tienne pas compte des besoins immédiats ou de la situation de l'enfant. Bien que le retour rapide de l'enfant déplacé illicitement soit sans aucun doute critique, un bref délai engendré par une ordonnance transitoire rendue dans l'intérêt de l'enfant peut être justifié sous le régime de la Convention si les circonstances de l'affaire le commandent.

De même, l'art. 11 de la Convention, qui prescrit qu'une explication peut être demandée sur les raisons d'un retard de plus de six semaines dans le retour de l'enfant, est conforme à mon interprétation qu'il existe une corrélation entre la Loi et la Convention en ce qu'il appuie la conclusion selon laquelle on ne peut s'attendre à ce que le retour de l'enfant soit immédiat, mais seulement qu'il doit être prompt et se faire aussi rapidement que possible.

Après avoir analysé la corrélation entre la Loi et la Convention, je ne puis convenir avec mon collègue le juge La Forest que la Loi et la Convention créent des régimes distincts et que la compétence du tribunal saisi d'une demande fondée sur la Convention est limitée aux facteurs qui y sont énoncés et, partant, que si la Convention s'applique, le tribunal ne peut se reporter à la Loi pour rendre des ordonnances autres que celles qui sont prévues dans la Convention. Il est tout simplement contraire à l'objectif de la Convention de prétendre que, dès lors qu'une décision est rendue relativement au déplacement illicite d'un enfant, l'art. 12 de la Convention requiert le retour «immédiat» de ce dernier, sans aucune autre considération pour d'autres réparations, comme celles qui sont prévues à l'art. 6 de la Loi. En outre, l'art. 16, aux termes duquel un tribunal ne devrait pas statuer sur le fond du droit de garde, n'est enfreint d'aucune façon par une ordonnance transitoire de suspension ou de garde provisoire rendue dans l'intérêt de l'enfant, pour autant, évidemment, comme en l'espèce, que l'objectif de l'ordonnance transitoire n'entrave pas les objectifs de la Convention et que le retour de l'enfant dans la juridiction compétente ne soit pas retardé au point de contrecarrer le but de la Convention.

La Loi prévoit un moyen de mettre des processus transitoires en place dans l'intérêt de l'enfant afin de résoudre les difficultés que la Convention elle‑même paraît envisager. Dans la plupart des cas, l'intérêt de l'enfant sera servi par un retour hâtif dans le pays d'origine qui vise à amoindrir le traumatisme causé par le déplacement illicite. Il peut néanmoins arriver que le retour immédiat ne soit plus dans l'intérêt absolu de l'enfant. L'article 6 de la Loi prévoit un mécanisme permettant de résoudre cette difficulté. À mon avis, il n'existe aucun conflit entre la Convention et la Loi, et ces deux textes peuvent cohabiter harmonieusement. Le tribunal qui a ordonné le retour de l'enfant, mais qui souhaite le protéger, dans son intérêt et dans la mesure du possible, contre les effets négatifs immédiats de la séparation du parent qui l'a déplacé, peut également accorder les réparations supplémentaires prévues dans la Loi, si celles‑ci sont compatibles avec les objectifs de la Convention. Reconnaître la corrélation entre la Loi et la Convention permet aux tribunaux d'atteindre les objectifs de la Convention relativement à l'importance du retour tout en tenant compte de l'intérêt de l'enfant. L'article 6 de la Loi permet aux tribunaux du Manitoba d'appliquer la Convention d'une manière qui sert l'intérêt de l'enfant, qui reconnaît les conséquences sur le plan humain d'une ordonnance de retour rendue en vertu de la Convention et, en retour, qui tente de faciliter le processus pour l'enfant. À cet égard, je suis tout à fait d'accord avec cette observation du juge Helper (à la p. 215):

[traduction] En appliquant les ordonnances de garde extra‑provinciales, les tribunaux doivent tenir compte du fait que l'application stricte de la Loi et de la Convention risque de causer un stress excessif et, dans certains cas, un traumatisme véritable aux jeunes enfants qui n'ont aucune voix dans la salle d'audience.

De toute évidence, il ne faudrait pas perdre de vue cet aspect essentiel dans l'application de la Convention.

Si l'on se reporte maintenant au cas qui nous est soumis, il est question d'un très jeune enfant qui, depuis le 2 décembre 1992, vit au Manitoba, séparé de son père. Les mesures transitoires comme celles qu'a proposées le juge Helper étaient certes justifiées pour adoucir le retour de l'enfant et protéger son intérêt. Toutefois, de telles mesures transitoires doivent être mises en oeuvre d'une manière conforme à l'objectif de la Convention. Aussi, devraient‑elles être assorties d'un terme aussi bref que possible. Par conséquent, bien que j'estime qu'à l'époque, il convenait que le juge Helper formule une ordonnance transitoire comme elle l'a fait, je ne crois pas qu'il soit indiqué de le faire à ce moment‑ci, car je ne voudrais pas retarder plus longtemps le retour de l'enfant. Aussi, à l'instar de la majorité, je suis d'avis de rejeter le pourvoi, mais je remarque qu'à l'époque et compte tenu des circonstances, l'ordonnance proposée par le juge Helper était pertinente.

Pour en revenir brièvement à la question du terme dont il convient d'assortir les ordonnances transitoires, je souhaite apporter de brefs commentaires sur celle qu'a d'abord proposée le juge Davidson. Dans leurs décisions, les juges Twaddle et Helper de la Cour d'appel ont tous les deux exprimé certaines réserves à l'égard de cette ordonnance. Je souscris à bon nombre de ces commentaires. En outre, j'estime important de souligner que le délai de quatre mois prévu dans l'ordonnance transitoire du juge Davidson était à mon avis excessif eu égard à la Convention.

Engagements

Le dernier point à examiner est l'effet que les engagements du père intimé peuvent avoir sur la décision qui précède. Pour faciliter le retour de Matthew en Écosse, l'intimé s'est engagé à ne pas exercer son droit de garde physique sur l'enfant à son retour en Écosse, jusqu'à ce qu'un tribunal le lui permette. Il s'est également engagé à intenter en Écosse des procédures qui permettront à un tribunal de déterminer dans un délai approximatif de cinq semaines du retour de Matthew la question de sa garde. Mes collègues sont d'avis que de tels engagements sont suffisants pour remédier aux difficultés qui pourraient se poser du fait du retour ordonné en vertu de la Convention et qu'ils rendent inutile une ordonnance transitoire de la nature de celle qu'a proposée le juge Helper. Je ne suis pas d'accord.

Des engagements comme ceux qu'a pris l'intimé en l'espèce sont louables. Ils sont souvent pris dans des cas où le requérant demande le retour d'un enfant en se fondant sur la Convention. Ils ont été approuvés par exemple dans P. c. P. (Minors) (Child Abduction), [1992] 1 F.L.R. 155 (Eng. H.C. (Fam. Div.)), où l'ordonnance de retour dépendait de certains engagements. Ils ont également été approuvés dans C. c. C. (Minor: Abduction: Rights of Custody Abroad), [1989] 2 All E.R. 465 (C.A.), aux pp. 469 et 470, où madame le juge Butler‑Sloss a conclu:

[traduction] [Ces engagements], pour ce qu'il en est, sont très valables et, si je puis dire, démontrent quant à moi sa bonne volonté à l'égard du bien‑être de son enfant et son désir de le remettre à la juridiction du tribunal australien. À mon avis, ils devraient être un peu plus poussés, et ceux que, selon moi, le père devrait prendre, comme condition au retour de l'enfant, et sans lesquels je considérerais que l'enfant ne devrait pas être retourné, sont les suivants... [Je souligne.]

En l'espèce, je remarque que, bien que les engagements pris par l'intimé offrent une certaine garantie que l'intérêt de l'enfant sera protégé, ce n'est que lorsque celui‑ci sera retourné en Écosse qu'ils prendront effet, s'ils sont effectivement respectés. Bien que je ne prétende aucunement que l'intimé ne respectera pas ses engagements, et je n'ai aucun doute qu'ils les a pris de bonne foi, il demeure que, puisque les tribunaux du Manitoba sont compétents pour rendre des ordonnances transitoires en vertu de la Loi, ils doivent envisager la meilleure façon de garantir que l'intérêt de l'enfant soit pris en considération lorsqu'ils ordonnent le retour de l'État requis à l'État requérant. Par conséquent, même si les engagements en question avaient été soumis au juge Helper, ce qui n'a pas été le cas, j'estime qu'elle aurait été justifiée de rendre l'ordonnance qu'elle a proposée, étant donné en particulier que les engagements pris par l'intimé ne prendront effet qu'une fois que l'enfant sera retourné en Écosse, qu'il sera par conséquent difficile de les exécuter et que ces engagements ne prévoient pas de mesures provisoires ou transitoires en attendant le retour.

Conclusion

En conclusion, comme je l'ai remarqué précédemment, la Convention a été reconnue par la communauté internationale pour protéger l'intérêt des enfants. Au Manitoba, la Convention a été mise en oeuvre par la Loi, qui, en fonction de l'intérêt des enfants, cherche à élargir les dispositions de la Convention. La Convention et la Loi ne sont pas conflictuelles, elles se complètent. Conformément à la Loi, les tribunaux du Manitoba avaient, en l'espèce, compétence pour rendre une ordonnance transitoire à la condition que celle‑ci ne contrecarre ni ne frustre l'objectif du prompt retour prévu dans la Convention et qu'elle protège l'intérêt de l'enfant. Le tribunal peut, conformément à la Loi, rendre de telles ordonnances transitoires qui, dans les circonstances appropriées, sont compatibles avec le libellé et l'intention de la Convention. La Convention et la Loi font toutes deux ressortir clairement que l'intérêt de l'enfant doit prévaloir en tout temps et doit être le facteur primordial lorsque le retour d'un enfant est exigé en vertu de la Convention. Le juge Helper n'a aucunement outrepassé sa compétence en formulant pareille ordonnance transitoire dans l'intérêt de Matthew, indépendamment des engagements soumis par l'intimé à notre Cour. Elle a exercé sa compétence de façon appropriée vu les faits de l'espèce.

Néanmoins, puisqu'au moment de l'audience, il s'était déjà écoulé trois mois depuis que le juge Helper avait proposé son ordonnance et qu'une telle ordonnance doit être de nature transitoire, je ne retarderais pas plus longtemps le retour de l'enfant en rendant une ordonnance transitoire semblable. Par conséquent, je me joins à mes collègues pour rejeter le pourvoi et ordonner le retour immédiat de Matthew en Écosse.

Version française des motifs rendus par

//Le juge Major//

Le juge Major — Tout comme le juge La Forest, j'estime que le déplacement par l'appelante de son fils, Matthew, de l'Écosse à la province du Manitoba au Canada, constituait, au sens de l'art. 3 de la Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants de La Haye, R.T. Can. 1983 no 35, une violation du droit de garde accordé par le tribunal écossais. Par conséquent, la Cour est tenue, en vertu de l'art. 12 de la Convention, d'ordonner son retour immédiat.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l'appelante: Levine Levene Tadman, Winnipeg.

Procureurs de l'intimé: Thompson Dorfman Sweatman, Winnipeg.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: John C. Tait, Ottawa.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Le procureur général de l'Ontario, Toronto.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Manitoba: Le ministère de la Justice, Winnipeg.


Synthèse
Référence neutre : [1994] 3 R.C.S. 551 ?
Date de la décision : 20/10/1994
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit de la famille - Enlèvement international d'enfants - Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants - Interprétation et application de la Convention - Interaction entre la Convention et sa loi d'application provinciale - Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, R.T. Can. 1983 no 35 - Loi sur l'exécution des ordonnances de garde, L.R.M. 1987, ch. C360, art. 6.

Droit de la famille - Garde - Déplacement ou non‑retour illicites d'un enfant - Garde provisoire de l'enfant accordée à la mère et droit de visite accordé au père par un tribunal écossais - Insertion dans l'ordonnance de garde provisoire d'une disposition interdisant le déplacement de l'enfant - Enfant emmené de l'Écosse au Manitoba par la mère - Garde permanente de l'enfant subséquemment accordée au père par le tribunal écossais - Demande présentée par le père au Manitoba pour le retour de l'enfant en Écosse en vertu de la loi provinciale et de la convention internationale sur l'enlèvement d'enfants - Le déplacement de l'enfant hors de l'Écosse constitue‑t‑il un «déplacement ou un non‑retour illicites» de l'enfant? - Le retour de l'enfant l'exposerait‑il à un risque grave de préjudice psychique? - Les mesures transitoires régissant le retour de l'enfant relèvent‑elles de la compétence des tribunaux manitobains? - Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, R.T. Can. 1983 no 35, art. 3, 5, 12, 13 - Loi sur l'exécution des ordonnances de garde, L.R.M. 1987, ch. C360, art. 6.

Les parties, qui se sont mariées en Écosse en février 1991, ont convenu de se séparer en septembre 1992. Toutes deux ont demandé la garde de leur enfant de sept mois. Le tribunal écossais a accordé la garde provisoire à la mère et un droit de visite provisoire au père, et a ordonné que l'enfant demeure en Écosse jusqu'à ce que la cour rende une ordonnance définitive. Quelques jours plus tard, la mère a quitté l'Écosse avec l'enfant pour visiter ses parents au Manitoba. Une fois au Canada, elle a décidé d'y rester définitivement et a demandé la garde de son enfant au Manitoba. Le même jour en Écosse, le père a obtenu une ordonnance de garde rendue ex parte. Il a par la suite introduit une demande visant le retour de l'enfant en Écosse en vertu de la Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants de La Haye (la «Convention») et de la Loi sur l'exécution des ordonnances de garde du Manitoba (la «Loi»). Le juge des requêtes de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a conclu que l'enfant avait été déplacé illicitement de l'Écosse au sens de l'art. 3 de la Convention et a ordonné son retour immédiat. Elle a signalé qu'à titre provisoire, il était manifestement au mieux des intérêts de l'enfant de ne pas être soudainement soustrait aux soins de sa mère et, en vertu de l'al. 6c) de la Loi, elle a ordonné que la garde provisoire de l'enfant soit accordée à la mère pour une période de quatre mois pour lui permettre de poursuivre sa demande de garde en Écosse. La Cour d'appel du Manitoba à la majorité a rejeté l'appel de la mère et ordonné le retour immédiat de l'enfant, signalant que l'ordonnance du juge des requêtes accordant à la mère la garde provisoire pendant quatre mois n'était pas justifiée. Le juge dissident aurait, conformément à l'art. 6 de la Loi, ordonné que la garde provisoire soit accordée à la mère, suspendu la demande du père jusqu'à ce qu'il accepte d'accorder à la mère la garde provisoire en Écosse pendant qu'elle y poursuivait sa demande de garde, et ordonné à la mère d'y introduire une demande de garde dans les deux mois. Il s'agit principalement en l'espèce de savoir si l'enfant doit être rapatrié en Écosse conformément à la Convention ou aux dispositions de la Loi, qui met en application la Convention au Manitoba.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory et Iacobucci: L'objectif fondamental de la Convention est de protéger l'enfant contre les effets nuisibles d'un déplacement ou d'un non‑retour illicites et d'établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l'enfant dans l'État de sa résidence habituelle. Elle vise principalement la protection du droit de garde, c.‑à‑d. «le droit portant sur les soins [. . .] de l'enfant, et en particulier celui, de décider de son lieu de résidence» (art. 5). Aux termes de la Convention, le déplacement d'un enfant est illicite s'il est en violation «d'un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme [. . .] par le droit de l'État dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non‑retour» (art. 3a)). Un tel droit de garde peut résulter d'une attribution de plein droit, de même que d'une décision judiciaire ou administrative ou d'un accord (art. 3). En l'espèce, le tribunal écossais avait, pour trancher la question de la garde, accordé la garde provisoire à la mère. Lorsqu'un tribunal est investi de la compétence de déterminer qui doit obtenir la garde d'un enfant, il a des droits quant aux soins et à la surveillance de l'enfant et, en particulier, celui de décider de son lieu de résidence. Le tribunal exerçait donc un droit de garde au sens de l'art. 5 de la Convention. Il a maintenu sa compétence de rendre à une date ultérieure une décision finale relativement à la garde en prévoyant une disposition interdisant le déplacement dans l'ordonnance de garde provisoire. Le tribunal écossais était ainsi devenu «une institution ou tout autre organisme» ayant un droit de garde, et le déplacement de l'enfant par la mère, ayant violé ce droit de garde, était illicite au sens de l'art. 3 de la Convention. La possibilité que la mère n'ait pas compris qu'elle violait l'ordonnance du tribunal écossais n'est pas pertinente. Notre Cour doit par conséquent ordonner le retour «immédiat» de l'enfant. Toutefois, du fait de l'importance qu'accordent la Convention et les travaux préparatoires au respect du droit de garde, que l'on distingue du simple droit de visite, une interdiction de déplacement dans une ordonnance de garde permanente soulèverait des questions différentes.

Si, selon les termes du préambule de la Convention, «l'intérêt de l'enfant est d'une importance primordiale pour toute question relative à sa garde», cette phrase ne doit toutefois pas être interprétée comme conférant au tribunal saisi de la question de savoir si un enfant doit être retourné, le pouvoir de considérer l'intérêt de l'enfant comme le ferait le tribunal dans le cadre d'une audience sur la garde. Dans cette partie du préambule, il est question de «l'intérêt de l'enfant» en général, et non de l'intérêt de l'enfant qui est devant le tribunal. Ce point de vue est étayé par l'art. 16 de la Convention, qui prescrit que les tribunaux de l'État requis ne pourront statuer sur le fond du droit de garde que lorsqu'il sera établi que les conditions de la Convention pour le retour de l'enfant ne sont pas réunies. Cela est également tout à fait compatible avec les objectifs de la Convention énoncés dans son article premier.

L'ordonnance de garde rendue par le tribunal écossais en faveur du père — une «ordonnance de retour» («chasing order») — n'aurait pas suffit comme telle à fonder une demande en vertu de la Convention, puisqu'elle ne pouvait en soi rendre illicite le non‑retour de l'enfant par la mère. Sous le régime de la Convention, le non‑retour sera généralement illicite dès l'expiration de la période de visite, lorsque le déplacement original a été autorisé par le gardien légal de l'enfant. L'«ordonnance de retour», rendue après que l'enfant a été enlevé du ressort, ne peut en elle‑même rendre illicite ce qui était par ailleurs conforme à la Convention. Rien dans la Convention n'exige la reconnaissance d'une ordonnance de garde rendue ex post facto. Sous le régime de la Convention, c'est à l'État requis de demander une «ordonnance de retour», laquelle permet uniquement de préciser pour le bénéfice de l'État requis l'opinion de l'État requérant qu'effectivement le non‑retour était illicite. Les procédures suivies par le père en l'espèce semblent plus conformes au libellé et aux exigences de la Convention européenne qui traite de la reconnaissance et de l'exécution des décisions en matière de garde.

La présente affaire ne relève pas de l'une des exceptions au retour d'un enfant déplacé illicitement, énoncées dans la Convention. En particulier, il n'existe aucun «risque grave que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable» (al. 13b)). Bien qu'il ne fasse aucun doute que l'enfant subirait quelque préjudice psychique s'il était soustrait à la garde de sa mère pour être confié à celle de son père, le préjudice n'est pas suffisamment grave pour que l'on puisse invoquer l'al. 13b). Le préjudice physique ou psychique prévu dans cet article est tel qu'il devient également une situation intolérable. Le risque de préjudice peut découler d'une cause liée au retour de l'enfant à l'autre parent ou du retrait de l'enfant du parent qui en prend soin, mais ce n'est que dans de très rares cas que le fait que l'enfant soit maintenant intégré dans le milieu du ravisseur causera un préjudice au niveau envisagé par la Convention.

En raison de l'«ordonnance de retour» obtenue par le père, il est toutefois impossible de revenir au statu quo qui existait avant le déplacement illicite — l'un des principaux objectifs de la Convention — à moins de prendre des mesures additionnelles. Bien que la Convention ne permette aucune souplesse à l'égard des réparations, le tribunal doit être réputé détenir un pouvoir suffisant à l'égard de sa procédure pour prendre les mesures nécessaires en vue de respecter la lettre et l'esprit de la Convention. Les engagements permettent de remplir l'exigence prévue à l'art. 12 de la Convention, suivant laquelle «l'autorité saisie ordonne [le] retour immédiat [de l'enfant]», en conformité avec cette lettre et cet esprit. En l'espèce, notre Cour a accepté les engagements du père de ne pas exercer son droit de garde physique sur l'enfant à son retour en Écosse, jusqu'à ce qu'un tribunal le lui permette et d'entamer des procédures rapidement devant un tribunal écossais afin que la question des soins et de la surveillance de l'enfant soit tranchée définitivement. Dans les circonstances, ces engagements paraissent plus aptes à respecter la lettre et l'esprit de la Convention.

La Convention et la Loi créent deux régimes. Lorsqu'une demande est présentée soit en vertu de la Convention, soit en vertu de la Loi, la procédure particulière choisie devrait s'appliquer indépendamment de l'autre, bien que, lorsque l'on invoque les dispositions de la Loi, il peut être justifié de se reporter à la Convention pour déterminer la ligne de conduite que les tribunaux devraient suivre puisque l'adoption de la Convention par le législateur indique qu'il est d'avis que la meilleure façon de résoudre les conflits internationaux sur la garde d'enfants est de retourner l'enfant dans son lieu de résidence habituelle. De même, lorsque, comme en l'espèce, les demandes sont présentées en vertu à la fois des dispositions de la Loi et de celles de la Convention, les procédures indépendantes de chaque régime ne devraient pas être fusionnées. La Loi ne prévoit pas expressément qu'en cas de conflit c'est la Convention qui prévaut, mais cela n'est pas nécessaire puisque rien dans la Loi n'indique que, dans le cas d'une demande fondée sur la Convention, la procédure indépendante prévue par la Loi devrait être invoquée. Donc, à moins que le requérant ne choisisse de l'abandonner, la demande en vertu de la Convention s'applique. Par conséquent, le juge des requêtes et le juge dissident en Cour d'appel ne pouvaient rendre une ordonnance de garde provisoire en vertu de l'art. 6 de la Loi. Il ne faudrait toutefois pas écarter la possibilité que la fin recherchée par le juge dissident puisse être atteinte en vertu de la Convention. Il peut arriver qu'il n'y ait pas d'engagements ou que ce moyen soit inacceptable. Dans de telles circonstances, l'échéancier proposé pour le retour par le juge dissident pourrait bien être justifié en vertu de la Convention.

Le juge L'Heureux‑Dubé et McLachlin: L'interprétation que le juge La Forest donne de la Convention et la façon dont il l'applique aux faits de l'espèce sont acceptées. Les tribunaux du Manitoba sont toutefois habilités à imposer, en vertu de l'art. 6 de la Loi, des mesures transitoires régissant le retour de l'enfant dans son lieu de résidence habituelle. La Convention a été reconnue par la communauté internationale pour protéger l'intérêt des enfants. Au Manitoba, la Convention a été mise en oeuvre par la Loi, qui, en fonction de l'intérêt des enfants, cherche à élargir les dispositions de la Convention. La Convention et la Loi ne sont pas conflictuelles, elles se complètent. Les deux textes doivent être lus conjointement et, ce faisant, les tribunaux devraient tenter d'en arriver à une interprétation qui, dans la mesure du possible, donne plein effet à l'objectif de la Convention. Puisque la Convention et la Loi ne créent pas des régimes indépendants, la compétence des tribunaux manitobains saisis d'une demande fondée sur la Convention n'est pas limitée aux facteurs qui y sont énoncés. Si, dans la plupart des cas, l'intérêt de l'enfant sera servi par un retour hâtif dans le pays d'origine qui vise à amoindrir le traumatisme causé par le déplacement illicite, il peut néanmoins arriver que le retour immédiat ne soit plus dans l'intérêt absolu de l'enfant. L'article 6 de la Loi prévoit un mécanisme permettant de résoudre cette difficulté. Par conséquent, conformément à la Loi, les tribunaux du Manitoba sont compétents pour rendre une ordonnance transitoire, à la condition que celle‑ci ne contrecarre ni ne frustre l'objectif du prompt retour prévu dans la Convention et qu'elle protège l'intérêt de l'enfant. L'intérêt de l'enfant doit prévaloir en tout temps et doit être le facteur primordial lorsque le retour d'un enfant est exigé en vertu de la Convention. Des engagements, comme ceux qu'a pris le père en l'espèce, n'empêchent pas les tribunaux du Manitoba d'imposer des mesures transitoires, s'ils le jugent nécessaire, lorsqu'ils appliquent la Convention. Dans les circonstances de l'espèce, l'ordonnance transitoire que le juge dissident de la Cour d'appel aurait rendue était pertinente à l'époque. Pour qu'une telle mesure transitoire soit mise en oeuvre d'une manière conforme à l'objectif de la Convention, elle doit cependant être assortie d'un terme aussi bref que possible. Puisqu'au moment de l'audience il s'était déjà écoulé trois mois depuis que le juge dissident de la Cour d'appel avait d'abord proposé l'ordonnance transitoire, le retour de l'enfant ne devrait pas être à ce moment‑ci retardé plus longtemps par une ordonnance transitoire semblable. Le retour immédiat de l'enfant en Écosse devrait être ordonné.

Le juge Major: Le déplacement par la mère de son enfant, de l'Écosse au Canada, constituait, au sens de l'art. 3 de la Convention, une violation du droit de garde accordé par le tribunal écossais. Par conséquent, la Cour est tenue d'ordonner son retour immédiat.


Parties
Demandeurs : Thomson
Défendeurs : Thomson

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge La Forest
Arrêt approuvé: B. c. B. (Abduction: Custody Rights), [1993] 2 All E.R. 144
arrêts mentionnés: Re K.H. (A Minor) (Abduction), [1990] F.C.R. 990
C. c. C. (Minor: Abduction: Rights of Custody Abroad), [1989] 2 All E.R. 465
Lavitch c. Lavitch (1985), 37 Man. R. (2d) 261
Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689
E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388
C. c. S. (Minor: Abduction: Illegitimate Child), [1990] 2 All E.R. 449 (C.A.), conf. par [1990] 2 All E.R. 961 (H.L.)
Re B.‑M. (Wardship: Jurisdiction), [1993] 1 F.L.R. 979
Re N. (Child Abduction: Habitual Residence), [1993] 2 F.L.R. 124
In the Marriage of W. M. and G. R. Barraclough (1987), 11 Fam. L.R. 773
Meredith c. Meredith, 759 F.Supp. 1432 (1991)
Gsponer c. Johnstone (1988), 12 Fam. L.R. 755
Re A. (A Minor) (Abduction), [1988] 1 F.L.R. 365
Re A. and another (Minors) (Abduction: Acquiescence), [1992] 1 All E.R. 929
Re L. (Child Abduction) (Psychological Harm), [1993] 2 F.L.R. 401
Re N. (Minors) (Abduction), [1991] 1 F.L.R. 413
Director‑General of Family and Community Services c. Davis (1990), 14 Fam. L.R. 381
P. c. P. (Minors) (Child Abduction), [1992] 1 F.L.R. 155
G. c. G. (Minors) (Abduction), [1991] Fam. Law 519
Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé
Arrêts mentionnés: Attorney‑General for Canada c. Attorney‑General for Ontario, [1937] A.C. 326
P. c. P. (Minors) (Child Abduction), [1992] 1 F.L.R. 155
C. c. C. (Minor: Abduction: Rights of Custody Abroad), [1989] 2 All E.R. 465.
Lois et règlements cités
Child Abduction Act, S.N.S. 1982, ch. 4.
Child Custody Enforcement Act, S.M. 1982, ch. 27.
Children's Law Act, S.N. 1988, ch. 61.
Children's Law Reform Amendment Act, 1982, S.O. 1982, ch. 20.
Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37, art. 31, 32.
Convention européenne sur la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants, S.T.E. no 105.
Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, R.T. Can. 1983 no 35, préambule, art. 1, 3, 5, 11, 12, 13, 15, 16, 20, 21.
Custody Jurisdiction and Enforcement Act, S.P.E.I. 1984, ch. 17.
Family Relations Amendment Act, 1982, S.B.C. 1982, ch. 8 [mod. 1985, ch. 72, art. 20].
International Child Abduction Act, S.A. 1986, ch. I‑6.5.
International Child Abduction Act, S.S. 1986, ch. I‑10.1.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 132.
Loi sur l'enlèvement international d'enfants, L.N.‑B. 1982, ch. I‑12.1.
Loi sur l'exécution des ordonnances de garde, L.R.M. 1987, ch. C360, art. 3, 4(1), 5, 6, 17.
Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants, L.Q. 1984, ch. 12.
Doctrine citée
Anton, A. E. «The Hague Convention on International Child Abduction» (1981), 30 Int'l & Comp. L.Q. 537.
Black, Vaughan. «Statutory Confusion in International Child Custody Disputes» (1993), 9 C.F.L.Q. 279.
Conférence de La Haye de droit international privé, Actes et documents de la Quatorzième session, t. III, Enlèvement d'enfants. La Haye: Imprimerie nationale, 1982.
Côté, Pierre‑André. Interprétation des lois, 2e éd. Cowansville: Yvon Blais, 1990.
Eekelaar, John M. «International Child Abduction by Parents» (1982), 32 U.T.L.J. 281.
Farquhar, Keith B. «The Hague Convention on International Child Abduction Comes to Canada» (1983), 4 Rev. can. d. fam. 5.
Helzick, Cathy S. «Returning United States Children Abducted to Foreign Countries: The Need to Implement the Hague Convention on the Civil Aspects of International Child Abduction» (1987), 5 Boston U. Int'l L.J. 119.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 3rd ed. Scarborough, Ont.: Carswell, 1992.
Lowe, Nigel, and Michael Nicholls. «Child Abduction: The Wardship Jurisdiction and the Hague Convention», [1994] Fam. Law 191.
Manitoba. Legislative Assembly. Standing Committee on Law Amendments, vol. XXX no 6, 28 juin 1982, p. 101.

Proposition de citation de la décision: Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551 (20 octobre 1994)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1994-10-20;.1994..3.r.c.s..551 ?
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