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27/01/1995 | CANADA | N°[1995]_1_R.C.S._315

Canada | B. (R.) c. Children's Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315 (27 janvier 1995)


B. (R.) c. Children's Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315

Richard B. et Beena B. Appelants

c.

Children's Aid Society of Metropolitan Toronto,

le tuteur public de Sheena B., mineure,

et le procureur général de l'Ontario Intimés

et

Le procureur général du Canada et

le procureur général du Québec Intervenants

Répertorié: B. (R.) c. Children's Aid Society of Metropolitan Toronto

No du greffe: 23298.

Audition et jugement quant au pourvoi principal: 17 mars 1994.

Motifs et jugement quan

t au pourvoi incident déposés: 27 janvier 1995.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka,...

B. (R.) c. Children's Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315

Richard B. et Beena B. Appelants

c.

Children's Aid Society of Metropolitan Toronto,

le tuteur public de Sheena B., mineure,

et le procureur général de l'Ontario Intimés

et

Le procureur général du Canada et

le procureur général du Québec Intervenants

Répertorié: B. (R.) c. Children's Aid Society of Metropolitan Toronto

No du greffe: 23298.

Audition et jugement quant au pourvoi principal: 17 mars 1994.

Motifs et jugement quant au pourvoi incident déposés: 27 janvier 1995.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI PRINCIPAL et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1992), 10 O.R. (3d) 321, 96 D.L.R. (4th) 45, 43 R.F.L. (3d) 36, 58 O.A.C. 93, qui a confirmé un jugement du juge Whealy de la Cour de district (1989), 14 A.C.W.S. (3d) 10, qui avait confirmé une ordonnance du juge Main de la Cour provinciale (1983), 36 R.F.L. (2d) 70, accordant la tutelle d'une mineure à la Children's Aid Society, et une ordonnance du juge en chef adjoint Walmsley de la Cour provinciale (1983), 36 R.F.L. (2d) 80, mettant fin à la tutelle. Pourvoi principal et pourvoi incident rejetés, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente quant au pourvoi incident.

John M. Burns, W. Glen How, c.r., et David C. Day, c.r., pour les appelants.

Alexander Duncan, pour l'intimée la Children's Aid Society of Metropolitan Toronto.

Debra Paulseth, pour l'intimé le tuteur public de l'Ontario.

Janet E. Minor et Robert E. Charney, pour l'intimé le procureur général de l'Ontario.

Roslyn J. Levine, c.r., pour l'intervenant le procureur général du Canada.

Isabelle Harnois, pour l'intervenant le procureur général du Québec.

//Le juge en chef Lamer//

Les motifs suivants ont été rendus par

1 Le juge en chef Lamer — J'ai eu l'avantage de prendre connaissance des motifs du juge La Forest, ainsi que des motifs conjoints des juges Iacobucci et Major. Je suis d'accord avec eux quant à l'issue du présent pourvoi. Pour les motifs exprimés par mes collègues les juges Iacobucci et Major, je conviens que les dispositions contestées de la Child Welfare Act, R.S.O. 1980, ch. 66, maintenant abrogée, ne violent pas la liberté de religion garantie par l'al. 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés. En ce qui a trait à l'analyse fondée sur l'art. 7 de la Charte, j'arrive cependant à ce résultat pour des motifs différents de ceux de mes collègues. Plus particulièrement, je suis d'avis que le droit à la liberté protégé par l'art. 7 n'a pas été violé parce qu'il n'inclut ni le droit des parents de choisir (ou de refuser) un traitement médical pour leurs enfants, ni, d'une façon plus générale, celui d'élever ou d'éduquer leurs enfants sans ingérence indue de la part de l'État. Bien qu'important et fondamental à l'intérieur du concept plus général de l'autonomie ou de l'intégrité de l'unité familiale, ce type de liberté (la «liberté parentale») ne relève pas du champ d'application de l'art. 7.

Le droit à la liberté garanti par l'art. 7 de la Charte

2 Dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, à la p. 500, j'ai clairement exprimé mon accord avec l'opinion du juge Wilson qui avait dit, dans Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, à la p. 205, qu'il «incombe à la Cour de préciser le sens de chacun des éléments, savoir la vie, la liberté et la sécurité de la personne, qui constituent le «droit» mentionné à l'art. 7.» Toutefois, en procédant à l'analyse des droits garantis par l'art. 7 de la Charte, notre Cour a souvent procédé par exclusion ou encore préféré s'abstenir de se prononcer sur la portée des droits protégés pour plutôt conclure que la législation attaquée respectait les principes de justice fondamentale. Quoique, comme l'a fait le juge Tarnopolsky de la Cour d'appel ((1992), 10 O.R. (3d) 321), la présente question pourrait également être tranchée en statuant simplement qu'en présumant que le type de liberté dont se réclament les appelants est protégé par l'art. 7 de la Charte, la loi contestée ne viole pas les principes de justice fondamentale, je crois néanmoins nécessaire, compte tenu de l'opinion exprimée par mon collègue le juge La Forest, de m'attarder sur la nature du droit à la liberté qui, selon moi, bénéficie d'une protection constitutionnelle dans le contexte de l'art. 7 de la Charte.

3 À l'exception de certaines remarques du juge Wilson, notre Cour n'a, jusqu'à maintenant, jamais vraiment envisagé le concept de liberté de l'art. 7 autrement qu'en relation étroite avec le contexte du droit criminel ou pénal par lequel l'État intervient, par l'entremise des tribunaux ou d'autres organismes, pour criminaliser, punir ou, d'une façon plus générale, exercer un pouvoir de coercition sur certaines activités humaines.

4 Dans l'arrêt R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, l'appelant, pasteur d'une église fondamentaliste, éduquait ses enfants ainsi que d'autres dans le cadre d'un programme scolaire donné dans le sous‑sol de l'église. Il avait refusé tant de les envoyer à l'école publique que de demander une exemption comme l'exigeait la School Act de l'Alberta. Il a été inculpé en vertu d'accusations de non‑fréquentation scolaire de la part de ses enfants, infraction pour laquelle la loi prévoyait une peine d'emprisonnement, à défaut du paiement de l'amende prescrite. L'appelant a fait valoir que les dispositions contestées de la loi en cause violaient sa liberté de religion garantie par l'al. 2a) de la Charte et le privaient, en violation de l'art. 7, de sa liberté d'éduquer ses enfants comme il l'entendait, en ce que les restrictions imposées par la Loi en matière de preuve de la conformité de son enseignement l'empêchaient d'opposer une défense pleine et entière.

5 Le juge La Forest qui a rédigé les motifs de notre Cour à la majorité a conclu qu'en présumant que la liberté, au sens de l'art. 7, comprenait le droit des parents d'éduquer leurs enfants comme ils l'entendaient, les dispositions contestées ne les privaient pas de ce droit d'une manière non conforme aux principes de justice fondamentale. Pour sa part, le juge Wilson, dissidente, conclut, pour son propre compte seulement, que la «liberté» protégée à l'art. 7 inclut le droit des parents d'élever et d'éduquer leurs enfants conformément à leur conscience et à leurs croyances. Se référant d'abord à la p. 205 de l'arrêt Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, précité, où elle avait écrit, en citant un extrait de l'arrêt Board of Regents of State Colleges c. Roth, 408 U.S. 564 (1972), que «les concepts du droit à la vie, du droit à la liberté et du droit à la sécurité de sa personne peuvent avoir plusieurs acceptions», elle souligne ensuite, à la p. 317, l'interprétation large et généreuse que la Cour suprême des États‑Unis a donnée au terme «liberté» à la p. 399 de l'arrêt Meyer c. Nebraska, 262 U.S. 390 (1923):

[traduction] Ce terme s'entend sans aucun doute non seulement de l'absence de contrainte physique mais également du droit des particuliers de contracter, de vaquer aux occupations ordinaires de la vie, d'acquérir des connaissances utiles, de se marier, de fonder un foyer et d'élever des enfants, d'adorer Dieu selon sa conscience et, en général, de jouir des privilèges reconnus depuis longtemps [. . .] comme étant essentiels à la poursuite du bonheur par les hommes libres.

6 Elle cite ensuite un extrait des commentaires du juge en chef Dickson qui, en examinant le rôle et la portée de l'article premier de la Charte, écrit dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, à la p. 136:

Les tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l'être humain, la promotion de la justice et de l'égalité sociales, l'acceptation d'une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société.

7 Avant de conclure que le «droit à la liberté» protégé par l'art. 7 de la Charte inclut, dans la limite du respect des droits de la collectivité, le droit des parents d'élever et d'éduquer leurs enfants conformément à leur conscience et à leurs croyances, elle ajoute, à la p. 318:

Je crois que les rédacteurs de la Constitution en garantissant la «liberté» en tant que valeur fondamentale d'une société libre et démocratique, avaient à l'esprit la liberté pour l'individu de se développer et de réaliser son potentiel au maximum, d'établir son propre plan de vie, en accord avec sa personnalité; de faire ses propres choix, pour le meilleur ou pour le pire, d'être non conformiste, original et même excentrique, d'être, en langage courant, «lui‑même» et d'être responsable en tant que tel.

8 Dans R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, notre Cour a été amenée à examiner, de façon semblable, la constitutionnalité de l'art. 251 du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, en regard des droits protégés par l'art. 7 de la Charte. Dans cette affaire, l'État, d'une façon générale, forçait la femme, sous la menace d'une sanction criminelle, à mener le f{oe}tus à terme. Dans quelques cas exceptionnels bien circonscrits, l'avortement thérapeutique était cependant permis lorsque les critères et exigences procédurales prescrites étaient préalablement remplis. Toutefois, la femme qui subissait l'avortement alors que les critères et formalités n'avaient pas été respectés, de même que le praticien qui le lui procurait, étaient passibles d'une peine d'emprisonnement.

9 Notre Cour à la majorité a conclu, quoique pour des raisons différentes, que le régime législatif énoncé à l'art. 251 du Code violait le droit à la sécurité de la personne protégé par l'art. 7 de la Charte et que les exigences procédurales et les restrictions énoncées à l'art. 251, permettant l'obtention d'un avortement «légal», n'étaient pas conformes aux principes de justice fondamentale. La question de la violation du «droit à la liberté» garanti par l'art. 7 n'a toutefois pas été abordée par la majorité. S'exprimant en son propre nom seulement, le juge Wilson s'est dite d'avis que l'art. 251 du Code violait non seulement le droit à la sécurité de sa personne mais également le droit à la liberté, également protégé par l'art. 7, de même que la liberté de conscience garantie par l'al. 2a) de la Charte. Suivant le juge Wilson, l'objet de la Charte et de son art. 7 permettent de conclure que le «droit à la liberté» garantit à chaque individu, sans intervention de l'État, une marge d'autonomie personnelle sur les décisions importantes et fondamentales touchant intimement à sa vie privée afin de préserver sa dignité humaine, de lui faire prendre conscience de sa propre valeur et d'assurer son autonomie. Elle fonde cette affirmation sur l'analyse qu'elle fait de la jurisprudence américaine traitant de la liberté et sur les commentaires du juge en chef Dickson dans l'arrêt Oakes, précité, et dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, où il écrit, à la p. 346:

Toutefois, il faut aussi remarquer que l'insistance sur la conscience et le jugement individuels est également au c{oe}ur de notre tradition politique démocratique. La possibilité qu'a chaque citoyen de prendre des décisions libres et éclairées constitue la condition sine qua non de la légitimité, de l'acceptabilité et de l'efficacité de notre système d'auto‑détermination. C'est précisément parce que les droits qui se rattachent à la liberté de conscience individuelle se situent au c{oe}ur non seulement des convictions fondamentales quant à la valeur et à la dignité de l'être humain, mais aussi de tout système politique libre et démocratique, que la jurisprudence américaine a insisté sur la primauté ou la prééminence du Premier amendement. À mon avis, c'est pour cette même raison que la Charte canadienne des droits et libertés parle de libertés «fondamentales». Celles‑ci constituent le fondement même de la tradition politique dans laquelle s'insère la Charte.

10 Le juge Wilson conclut, à la p. 167: «Cette conception de la portée qu'il convient de donner au droit à la liberté sous le régime de notre Charte est conforme à la jurisprudence américaine sur le sujet.» Elle reconnaît cependant qu'il faut sans doute prendre garde d'appliquer mécaniquement des concepts élaborés dans des contextes culturels et constitutionnels différents.

11 Ainsi, s'appuyant principalement sur les commentaires du juge en chef Dickson dans les arrêts R. c. Oakes et R. c. Big M Drug Mart Ltd. et sur l'expérience américaine qui, avec les Cinquième et Quatorzième amendements, a donné une interprétation large au concept de «liberté» pour y élever la notion «d'intégrité de l'unité familiale» et de «droits parentaux» au niveau constitutionnel, le juge Wilson a, dans les arrêts Jones et Morgentaler, explicitement étendu la portée du concept de «droit à la liberté» de l'art. 7 à la protection du droit des parents d'élever et d'éduquer leurs enfants conformément à leur conscience et à leurs croyances, et à celle du droit, pour la femme, de décider d'interrompre une grossesse. Je soulignerai toutefois que, dans ces deux arrêts, les commentaires du juge Wilson ont été faits dans un contexte factuel où l'État empiétait sur les choix individuels et personnels pour ériger en infraction criminelle un comportement déterminé.

12 Pour la solution du présent pourvoi, mon collègue le juge La Forest propose une approche analogue à celle adoptée par le juge Wilson. Je ne peux concourir à cette interprétation qui, soit dit en toute déférence, est à mon avis erronée pour plusieurs raisons.

13 D'une part, j'ai déjà mentionné, à la p. 498 du Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., et à la p. 1171 du Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123, que je rejetais l'application de la série de décisions américaines à l'interprétation de l'art. 7 et à la définition du terme «liberté» dans le contexte de notre Charte parce que celles‑ci ont été rendues dans un contexte historique particulier où on ne trouve ni l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, ni le contrôle interne de l'article premier et de l'art. 33 de la Charte, ni l'équivalent de l'art. 7 lui‑même. De plus, ces décisions ignorent les différences fondamentales de structure et de formulation entre les deux constitutions, lesquelles commandent des interprétations distinctes. Par ailleurs, sans nier la sagesse et la justesse des différents commentaires du juge en chef Dickson, cités antérieurement par le juge Wilson et, en l'espèce, par le juge La Forest, je suis néanmoins d'avis que ceux‑ci doivent recevoir une application limitée lors de l'analyse et de l'interprétation de l'art. 7 de la Charte. Ils doivent être replacés dans le contexte dans lequel ils ont été écrits. Dans le commentaire rapporté de l'arrêt Oakes, le juge en chef Dickson rappelle différentes valeurs et principes essentiels qui doivent guider les tribunaux lors de l'interprétation des dispositions de la Charte. Or, je constate que cette énumération se rattache essentiellement aux libertés fondamentales et aux différentes catégories de droits qui figurent dans la Charte. Il m'apparaît donc que le juge en chef Dickson s'est d'abord exprimé sur l'objet de la Charte considérée dans son ensemble. En outre, dans son commentaire tiré de l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., il mentionne explicitement la possibilité qu'a chaque citoyen de prendre des décisions libres et éclairées en tant qu'aspects du droit à la liberté de conscience.

14 Je ne crois pas que la simple présence du terme «liberté» dans le texte de l'art. 7 permette, sans distinction ni nuance, d'y transposer ces propos du juge en chef Dickson. Ce ne sont pas toutes les libertés individuelles qui, a priori, sont reconnues comme des valeurs fondamentales de notre société. Le texte de l'article premier ne laisse rien entendre de tel; il dit simplement que «[l]a Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés» (je souligne). En toute déférence pour l'opinion contraire, je ne suis pas disposé à reconnaître que, par l'inclusion de l'expression «droit à la liberté» à l'art. 7, les rédacteurs de la Charte ont voulu protéger la «liberté» dans son sens le plus large ou dans toutes ses dimensions. Les commentaires du juge en chef Dickson sont certes très justes et pertinents mais ils prennent toute leur signification dans la mesure où ils renvoient aux principes qui doivent guider les tribunaux dans l'interprétation des libertés énoncées dans la Charte. À mon avis, ces libertés sont celles garanties notamment par les art. 2 et 6. Les autres dispositions, comme l'indique leur texte même, visent plutôt des droits, même s'il est possible qu'un certain nombre d'entre eux puissent sous‑tendre certaines libertés. Ainsi, le «droit à la liberté» garanti par l'art. 7 n'est pas, au sens de la Charte, une liberté fondamentale de l'individu; c'est un droit fondamental qui ne peut être restreint qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

15 Même s'il est reconnu que les cours de justice, par le biais de l'interprétation judiciaire, sont appelées à jouer un rôle créatif important et nécessaire qui permet, certes, l'évolution du droit et son adaptation constante à notre société, il demeure néanmoins que cette interprétation doit être strictement limitée et encadrée par les balises fixées par la Constitution ou les lois dont s'est doté notre pays par l'entremise de ses dirigeants et représentants élus. Ainsi, quoiqu'il faille, comme notre Cour l'a souvent répété, adopter une interprétation large et libérale de la Charte, il n'en découle pas pour autant que ses dispositions peuvent recevoir toute interprétation que l'on pourrait juger utile ou opportun de leur donner. La souplesse des principes qu'elle véhicule ne nous autorise pas à en dénaturer le sens et l'objet véritables, ou encore à forger un droit constitutionnel qui outrepasse l'intention manifeste de ses rédacteurs. Je suis donc entièrement d'accord avec le juge McIntyre qui, à la p. 394 du Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, écrivait:

. . . bien qu'il faille adopter une attitude libérale et pas trop formaliste en matière d'interprétation constitutionnelle, la Charte ne saurait être considérée comme un simple contenant, à même de recevoir n'importe quelle interprétation qu'on pourrait vouloir lui donner.

16 Notre Cour a déjà jugé que le mode d'interprétation en fonction de l'objet visé doit être adopté lorsque l'on cherche à circonscrire la nature et la portée d'une liberté ou d'un droit garanti par la Charte. Dans R. c. Big M Drug Mart Ltd., le juge Dickson déclare, à la p. 344:

Cette Cour a déjà, dans une certaine mesure, énoncé la façon fondamentale d'aborder l'interprétation de la Charte. Dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, la Cour a exprimé l'avis que la façon d'aborder la définition des droits et des libertés garantis par la Charte consiste à examiner l'objet visé. Le sens d'un droit ou d'une liberté garantis par la Charte doit être vérifié au moyen d'une analyse de l'objet d'une telle garantie; en d'autres termes, ils doivent s'interpréter en fonction des intérêts qu'ils visent à protéger. [Souligné dans l'original.]

À mon avis, il faut faire cette analyse et l'objet du droit ou de la liberté en question doit être déterminé en fonction de la nature et des objectifs plus larges de la Charte elle‑même, des termes choisis pour énoncer ce droit ou cette liberté, des origines historiques des concepts enchâssés et, s'il y a lieu, en fonction du sens et de l'objet des autres libertés et droits particuliers qui s'y rattachent selon le texte de la Charte. Comme on le souligne dans l'arrêt Southam, l'interprétation doit être libérale plutôt que formaliste et viser à réaliser l'objet de la garantie et à assurer que les citoyens bénéficient pleinement de la protection accordée par la Charte. [Je souligne.]

17 Ainsi, le texte de la disposition, sa structure, le contexte dans lequel elle s'insère, le rapport qui peut exister entre elle et les autres dispositions, de même que le contexte historique de l'adoption de la Charte sont tous des éléments qui doivent être pris en considération lors de la recherche de l'objet d'un droit ou d'une liberté protégés afin de préserver la cohérence de l'ensemble du texte constitutionnel et de conserver l'intégrité de l'intention du législateur. Une interprétation juste et prudente de la Charte est d'autant plus importante qu'il s'agit d'un document constitutionnel de très grande valeur qui ne peut être modifié par simple amendement législatif si notre Cour devait se méprendre ou se tromper sur la portée des droits et libertés auxquels une protection exceptionnelle est accordée.

18 L'article 7 de la Charte prévoit:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

et la version anglaise se lit de la façon suivante:

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

19 Cet article ne comprend que trois droits distincts qui peuvent être traités séparément: le droit à la vie, le droit à la liberté et le droit à la sécurité de la personne (Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, précité, aux pp. 204 et 205, Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité, à la p. 500, et R. c. Morgentaler, précité, à la p. 52). Comme je le mentionne dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., à la p. 501:

Les principes de justice fondamentale, d'autre part, constituent non pas un intérêt protégé, mais plutôt un modificatif du droit de ne pas se voir porter atteinte à sa vie, à sa liberté et à la sécurité de sa personne.

À titre de modificatif, cette expression sert à établir les paramètres des intérêts, mais elle ne peut être interprétée étroitement au point de les rendre inutiles ou vides de sens. [Je souligne.]

20 L'article 7 signifie donc, d'une part, que la protection accordée à ces droits n'est pas absolue; l'État peut les restreindre, mais cette atteinte ne sera justifiée que dans la mesure où elle est conforme aux principes de justice fondamentale. D'autre part, le lien entre les principes de justice fondamentale et les droits protégés doit être un indice de la nature et de la portée des droits protégés. En l'espèce, il doit donc s'agir d'une liberté qui peut être restreinte par l'intervention d'un mécanisme qui fait appel aux principes de justice fondamentale et qui les engage activement. Les principes de justice fondamentale évoquent le système d'administration de la justice. Ils sont destinés à régir tant la façon dont une personne peut être amenée devant le système judiciaire que la conduite des juges et des autres intervenants lorsque l'individu se retrouve devant ce système. En dehors d'un contexte où l'État fait appel à l'appareil judiciaire, il est difficile de trouver une application aux principes de justice fondamentale. Comme je l'affirme, à la p. 503 du Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B.:

. . . les principes de justice fondamentale se trouvent dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique. Ils relèvent non pas du domaine de l'ordre public en général, mais du pouvoir inhérent de l'appareil judiciaire en tant que gardien du système judiciaire. [Je souligne.]

21 Aux pages 1173 et 1174 du Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), précité, j'exprime également l'opinion que «[l]es intérêts protégés par l'art. 7 sont ceux qui relèvent traditionnellement et à proprement parler du pouvoir judiciaire» et, plus particulièrement, lorsque l'État «recourt au pouvoir judiciaire pour restreindre la liberté physique d'une personne, par l'imposition d'une peine ou par la détention, lorsqu'il restreint la sécurité de la personne ou lorsqu'il restreint d'autres libertés en employant un mode de sanction et de peine qui relève traditionnellement du domaine judiciaire» (je souligne). Je n'ai pas changé d'opinion. Les principes de justice fondamentale étant des éléments qui relèvent essentiellement du système d'administration de la justice, le type de liberté visé par l'art. 7 doit être celui qui peut être retiré ou restreint par une cour de justice ou par un autre organisme auquel l'État confie un pouvoir de coercition permettant d'assurer le respect de ses lois. En d'autres termes, l'art. 7 engage, de façon active, les principes de justice fondamentale et commande à l'État de les respecter lorsqu'il entend porter atteinte aux droits à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne. Ce sont les juges qui ont inventé et élaboré le concept de «justice fondamentale», lequel, je le répète, implique essentiellement l'appareil judiciaire et les organismes décisionnels dont les décisions sont exécutoires grâce au pouvoir coercitif de l'État. Il faut donc que les principes de justice fondamentale puissent être pertinents quant aux droits que l'art. 7 entend protéger. Ils doivent pouvoir être impliqués dans la restriction des droits énoncés, sinon ces droits ne peuvent être garantis. Par conséquent, l'art. 7 doit viser le comportement de l'État lorsque celui‑ci intervient par des forces répressives pour assurer l'application et le respect des lois ou lorsqu'il invoque la loi pour priver une personne de sa liberté par l'entremise des juges, magistrats, ministres, commissaires, etc.

22 En toute déférence pour l'opinion contraire, je demeure convaincu que la nature de l'ensemble des droits garantis par l'art. 7 et la relation étroite établie entre ces droits et les principes de justice fondamentale commandent que cette protection constitutionnelle soit reliée à la dimension physique du terme «liberté», laquelle peut être perdue par l'intervention du système juridique. Dans la majorité des cas, cette protection est donc spécifique à notre système de justice criminelle ou pénale et déclenchée principalement par son intervention. Je dis ici dans la majorité des cas parce que je reconnais, comme le mentionne le professeur Eric Colvin, à la p. 584 de son article «Section Seven of the Canadian Charter of Rights and Freedoms» (1989), 68 R. du B. can. 560, qu'il est possible d'envisager des circonstances limitées où l'individu pourra être privé de sa liberté autrement que par l'application du droit criminel ou pénal. À titre d'exemple, le professeur Colvin mentionne les procédures civiles permettant de détenir une personne souffrant de troubles mentaux ou d'isoler un malade contagieux. Quoi qu'il en soit, le principe qu'il faut à mon avis retenir est que, d'une façon générale, l'art. 7 n'est pas conçu pour protéger les libertés individuelles, même fondamentales, si celles‑ci n'ont aucun lien avec la dimension physique du concept de «liberté». D'autres dispositions de la Charte assurent cette fonction.

23 Par ailleurs, je souligne également, à la p. 512 du Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., le lien étroit entre les art. 8 à 14 et l'art. 7, en ce qu'ils visent des atteintes spécifiques aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qui contreviennent aux principes de justice fondamentale et qui, en tant que telles, violent l'art. 7. Sans être limitatifs, ces articles doivent donc illustrer certains paramètres de la nature des droits protégés par la disposition plus générale qu'est l'art. 7. Or, non seulement ces articles visent‑ils clairement et directement différents aspects et phases du processus de justice criminelle, système par excellence pour priver ou limiter la liberté, mais encore sont‑ils chapeautés de la rubrique «Garanties juridiques».

24 Dans Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, le juge Estey a examiné le rôle des rubriques dans l'interprétation de la Charte. Il conclut, aux pp. 376 et 377:

Il est manifeste que, quel qu'en soit le but, ces rubriques ont été ajoutées de façon systématique et délibérée de manière à faire partie intégrante de la Charte. La Cour doit, à tout le moins, en tenir compte pour déterminer le sens et l'application des dispositions de la Charte. L'influence qu'aura une rubrique sur ce processus dépendra de plusieurs facteurs dont (sans que cette énumération se veuille exhaustive) la difficulté d'interpréter l'article à cause de son ambiguïté ou de son obscurité, la longueur et la complexité de la disposition, l'homogénéité apparente de la disposition qui suit la rubrique, l'emploi de termes génériques dans la rubrique, la présence ou l'absence d'un ensemble de rubriques qui semblent séparer les divers éléments de la Charte et le rapport qui existe entre la terminologie employée dans la rubrique et le contenu de la disposition qui la suit. . .

Il faut à tout le moins examiner la rubrique et, à partir de son texte, tenter de discerner l'intention des rédacteurs du document. [Je souligne.]

25 La Charte comprend un ensemble de rubriques qui, à mon sens, permettent non seulement d'en faciliter la lecture mais également d'en séparer et regrouper les divers éléments. Ainsi retrouve‑t‑on les rubriques «Garantie des droits et libertés» (article premier), «Libertés fondamentales» (art. 2), «Droits démocratiques» (art. 3 à 5), «Liberté de circulation et d'établissement» (art. 6), «Garanties juridiques» (art. 7 à 14), «Droits à l'égalité» (art. 15), etc. Le rapport étroit entre la terminologie des différentes rubriques et le contenu des dispositions qui suivent chacune d'elles indique, d'une part, que les rédacteurs de la Charte ont clairement envisagé de créer différentes catégories de droits et libertés et, d'autre part, que le sens, la portée et la nature des droits énoncés doivent être différents. On remarque dès lors que deux rubriques, soit «Libertés fondamentales» et «Liberté de circulation et d'établissement», visent spécifiquement la «liberté» au sens de la faculté qu'a l'individu de choisir, d'agir, ou «d'être» comme il l'entend, en l'absence de toute contrainte. Les autres rubriques visent différentes catégories de droits.

26 Les libertés expressément reconnues et qualifiées de fondamentales par la Charte sont non seulement regroupées sous une même rubrique, mais également contenues à l'intérieur d'un même article (art. 2) qui les énumère dans des termes généraux qui permettent d'y inclure une grande diversité de «libertés» plus spécifiques reflétant les valeurs fondamentales de notre société. Aux termes de l'article premier, ces libertés «ne peuvent être restreint[e]s que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique». L'article 2 est également rédigé dans des termes qui indiquent clairement son caractère limitatif. Il ne prévoit pas que «Chacun a, notamment, les libertés fondamentales suivantes», il énonce que «Chacun a les libertés fondamentales suivantes» (je souligne).

27 En toute déférence pour l'opinion contraire, je suis incapable de me convaincre que les rédacteurs ont pu, à l'art. 2, limiter dans des termes aussi explicites les types de libertés fondamentales auxquels ils entendaient assurer une protection constitutionnelle pour ensuite accorder, à l'art. 7, une protection «générale» par l'utilisation d'un terme générique qui, à moins d'en restreindre le sens, inclurait de toute évidence les libertés déjà protégées par les art. 2 et 6, de même que toutes celles qui n'ont pas été énumérées. Cette façon de faire va clairement à l'encontre des principes de rédaction législative qui commandent qu'une disposition générale soit placée devant ses dispositions d'application particulière. Par ailleurs, si l'art. 7 devait inclure tout type de liberté, pourvu qu'elle puisse être qualifiée de fondamentale, l'on pourrait se questionner sérieusement sur la pertinence et la raison d'être de l'art. 2. Ou bien il s'agit d'une redondance, ou bien l'art. 7 devrait alors être considéré comme une disposition résiduaire permettant de palier aux oublis du législateur.

28 En toute déférence pour le juge Wilson, je crois que ses motifs dans les arrêts Jones et Morgentaler font ressortir la difficulté que soulève cette approche. D'une part, elle conclut, à la p. 319 de l'arrêt Jones, que l'art. 7 inclut le droit des parents d'élever et d'éduquer leurs enfants conformément à leur conscience et à leurs croyances. Or, l'alinéa 2a) de la Charte protège explicitement la liberté de conscience et de religion. D'autre part, elle conclut, dans l'arrêt Morgentaler, que l'art. 251 du Code criminel porte atteinte au droit à la liberté énoncé à l'art. 7 qui garantit à chaque individu une marge d'autonomie personnelle sur les décisions importantes touchant intimement à sa vie privée puis, elle affirme, aux pp. 175 et 176:

À mon avis, l'atteinte au droit conféré par l'art. 7 qui nous intéresse en l'espèce enfreint l'al. 2a) de la Charte. Si je dis ceci, c'est que je crois que la décision d'interrompre ou non une grossesse est essentiellement une décision morale, une question de conscience. [Je souligne.]

29 Elle conclut donc, pour les mêmes motifs mais en utilisant d'autres mots, que l'art. 251 du Code viole également la liberté de conscience protégée par l'al. 2a). Elle ajoute enfin, aux pp. 179 et 180:

Par conséquent, lorsque l'État prend parti sur la question de l'avortement, comme il le fait dans la loi contestée en incriminant l'exercice par la femme enceinte d'une de ses options, non seulement il adopte mais aussi il impose, sous peine d'une autre perte de liberté par emprisonnement, une opinion dictée par la conscience des uns aux dépens d'une autre. . .

Une loi qui viole la liberté de conscience de cette manière ne saurait, à mon avis, être conforme aux principes de justice fondamentale au sens de l'art. 7. [Je souligne.]

30 En toute déférence pour l'opinion contraire, ces énoncés démontrent bien, à mon avis, la difficulté pratique que pose une telle interprétation. Dans toute situation relevant potentiellement du champ d'application de l'art. 2, cette même liberté serait également visée par l'art. 7. Par exemple, on peut se demander quelle aurait été la solution juridique si, dans l'affaire Jones, l'appelant avait allégué que les dispositions législatives contestées violaient sa liberté de conscience protégée par l'al. 2a) et sa liberté parentale protégée par l'art. 7. Cette situation engendrerait non seulement un dédoublement du fondement législatif mais également l'application concurrente de deux niveaux d'analyse distincts quant à la justification de la restriction pour valider la législation attaquée. Je ne crois pas que telle ait pu être l'intention du législateur lorsqu'il a édicté les art. 2 et 7.

31 D'autres pourront tenter d'expliquer cet état de choses en soutenant que, contrairement à l'art. 7, l'art. 2 s'applique uniquement aux libertés qui y sont énoncées et diffère de l'art. 7 en ce qu'il ne fait aucune référence aux principes de justice fondamentale pour permettre de légitimer une atteinte à ces libertés. C'est d'abord oublier la présence de l'article premier qui, dans une large mesure, assure un rôle équivalent à celui que jouent les principes de justice fondamentale à l'art. 7, soit celui de circonscrire la mesure dans laquelle l'État peut intervenir pour restreindre les droits et libertés protégés. C'est également oublier que, dans la plupart des circonstances, il est pratiquement impossible d'établir un lien entre les principes de justice fondamentale et le type de libertés énumérées à l'art. 2, si ce n'est en restreignant la protection aux circonstances qui s'y prêtent. Par exemple, les appelants allèguent en l'espèce que les dispositions contestées de la Child Welfare Act, qui permettent d'accorder la garde légale temporaire de leur enfant à la Children's Aid Society, violent leur liberté de religion. Compte tenu du fait que la loi prévoit qu'une autorisation judiciaire doit être préalablement obtenue, il serait possible, dans ce contexte précis, d'examiner si l'atteinte à la liberté de religion est conforme aux principes de justice fondamentale. Mais, par exemple, quels principes de justice fondamentale pourraient être invoqués si une loi restreignait la liberté d'expression en interdisant, sous peine d'amende, toute déclaration concernant un membre d'un corps politique? Quels principes de justice fondamentale pourraient être invoqués si une loi interdisait, sous peine d'amende, toute forme de manifestation de convictions religieuses dans un endroit public? Quels principes de justice fondamentale pourraient être invoqués si une loi m'obligeait à avoir au moins trois enfants pour assurer la relève canadienne, etc.? Dans ces situations, les libertés protégées seraient certes violées mais l'on constate qu'il est possible d'imaginer une multitude de circonstances dans lesquelles il serait difficile de faire quelque lien que ce soit avec les principes de justice fondamentale pour vérifier la légitimité de l'atteinte. On constate dès lors que ce rôle est nécessairement dévolu à l'article premier de la Charte et qu'il est difficile de ne pas conclure que les art. 2 et 7 visent manifestement des réalités distinctes qui se reflètent au niveau des différentes dimensions du terme «liberté» que chacun est destiné à protéger. Par ailleurs, les libertés fondamentales énoncées à l'art. 2 étant formulées dans des termes visant des concepts suffisamment larges, il est raisonnable de penser que les rédacteurs de la Charte n'ont pas entendu faire du droit à la liberté de l'art. 7 un droit résiduaire susceptible d'inclure tout démembrement des libertés fondamentales énoncées à l'art. 2.

32 Cette approche tendant à inclure dans l'art. 7 toute liberté jugée fondamentale dans une société canadienne libre et démocratique présente également un inconvénient majeur au niveau de la qualification même de la liberté qui peut être invoquée, puisque toutes les libertés déjà qualifiées de fondamentales par les rédacteurs et énoncées à l'art. 2 pourraient et devraient être incluses dans «la liberté» protégée par l'art. 7. Étant par ailleurs énoncées en des termes susceptibles d'un vaste contenu, il en serait de même de toutes les composantes ou manifestations de ces différents droits. Ainsi, chacun aurait non seulement la liberté fondamentale de religion, de conscience, d'expression, etc., mais également «droit à la liberté» de religion, de conscience, d'expression, etc.

33 Je demeure convaincu que l'art. 7 n'est pas tautologique, d'autant plus qu'il ajoute deux droits distincts, énoncés nulle part ailleurs dans la Charte, et qui n'ont aucun lien avec les libertés dites fondamentales. À mon avis, la nature des autres droits énoncés à l'art. 7 est un autre élément d'interprétation qui milite en faveur d'une distinction entre la portée du terme «liberté» utilisé aux art. 2 et 7. L'article 7 édicte que chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Comme je l'ai déjà mentionné, il s'agit de trois droits distincts que les rédacteurs ont sciemment intégrés, l'un à la suite de l'autre, à l'intérieur d'une seule et même disposition. Il doit donc exister un lien ou un point commun entre ces différents droits. À mon avis, le point de rattachement se situe au niveau de la personne elle‑même en tant qu'entité corporelle, par opposition à son esprit, ses aspirations, sa conscience, ses croyances, sa personnalité ou, plus généralement, l'expression ou la réalisation de ce qui compose son identité immatérielle. Le droit à la liberté, dans ce contexte, doit donc être opposé à l'emprisonnement, à la détention ou à toute forme de contrôle ou de contrainte sur la liberté de mouvement.

34 Je conviens avec mon collègue le juge La Forest que le terme «liberté», dans son sens le plus large, ne s'entend pas simplement de l'absence de contrainte physique. Ce terme, dans la langue française, inclut certainement deux dimensions distinctes, les dimensions physique et abstraite ou intangible. Ces deux dimensions se reflètent respectivement dans les art. 7 et 2 de la Charte qui, dans sa version anglaise, utilise les termes «liberty» et «freedom». En toute déférence pour l'opinion contraire, je suis d'avis que l'utilisation de deux termes différents dans la version anglaise n'est pas sans signification, ni le fruit du hasard. Le terme «freedom» vise un concept apparenté mais distinct de celui de «liberty», mais il n'a cependant pas d'équivalent dans la langue française où les deux dimensions s'expriment par un seul et même mot: «liberté». Le sens est alors déterminé par le contexte.

35 Par ailleurs, puisque la plupart des lois ont pour effet de restreindre une liberté, cette même approche pourrait signifier, dans les faits, qu'une grande partie des dispositions législatives en vigueur pourraient être contestées pour le motif qu'elles portent atteinte à la liberté garantie par l'art. 7 de la Charte. Il appartiendrait alors aux tribunaux de décider, dans chaque cas, si la liberté invoquée constitue ou non une liberté fondamentale de notre société libre et démocratique, si la restriction est conforme aux principes de justice fondamentale qui, je le rappelle, ne trouveront souvent aucune application, ou encore si la restriction est raisonnable et peut se justifier dans le cadre d'une société libre et démocratique. Or, l'on doit garder à l'esprit, d'une part, que ce qui peut être important et fondamental pour l'un peut très bien ne pas l'être pour l'autre, notamment pour le juge qui entend la cause et, d'autre part, que l'adoption de cette approche amènerait inévitablement le pouvoir judiciaire à légiférer alors que tel n'est pas son rôle. En toute déférence, je crois que cette situation ne reflète ni l'objet de la Charte, ni celui de l'art. 7, ni l'intention du législateur.

36 Pour résumer ma pensée, je dirai simplement qu'élargir la portée du terme «liberté» de l'art. 7 pour y inclure tout type de liberté autre que celui qui se rattache à la dimension physique du terme «liberté» irait à l'encontre non seulement de la structure de la Charte et de la disposition elle‑même mais également à l'encontre de l'économie, du contexte et de l'objet manifeste de l'art. 7. Qui plus est, cela aurait pour effet d'accorder une protection constitutionnelle prima facie à toutes les excentricités véhiculées sous le vocable de «liberté» par les membres de notre société, en plus de retirer toute légitimité ou raison d'être à d'autres dispositions de la Charte tels les art. 2 ou 6, par exemple, puisqu'ils seraient redondants. Il m'apparaît évident que tel ne peut être l'objet de l'art. 7, ni même celui du document constitutionnel qu'est notre Charte. Il faut également bien comprendre que cette approche aboutirait inévitablement à une situation de gouvernement par les juges. Ce n'est pas le cas présentement, mais j'insisterais de nouveau pour dire que cela ne doit pas le devenir non plus.

37 J'ajouterai enfin les brefs commentaires suivants. D'abord, certains pourront croire que je tente, par mon interprétation qui peut paraître trop restrictive, de limiter le champ d'application de l'art. 7 et que je risque de fermer la porte aux possibilités d'adaptation des valeurs et principes véhiculés par la Charte à la réalité et aux aspirations de la société de demain. Je mentionnerai simplement que, quoique je limite la portée du «droit à la liberté» à sa dimension essentiellement physique, laquelle est mise en cause principalement, mais sûrement pas seulement, par le système de justice criminelle, ce droit peut viser une multitude et une variété de situations. En effet, la plupart des lois touchent à la liberté individuelle et la plupart d'entre elles sont mises en application au moyen de sanctions imposées à la suite d'une déclaration de culpabilité d'infraction à une loi fédérale ou provinciale. Lorsque la loi ne prévoit aucune infraction pour une contravention à ses dispositions, le par. 126(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, prévoit:

126. (1) À moins qu'une peine ne soit expressément prévue par la loi, quiconque, sans excuse légitime, contrevient à une loi fédérale en accomplissant volontairement une chose qu'elle défend ou en omettant volontairement de faire une chose qu'elle prescrit, est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de deux ans.

Les circonstances dans lesquelles l'État peut intervenir pour priver une personne de sa liberté sont suffisamment fréquentes et diversifiées pour permettre d'apprécier l'importance des droits protégés par l'art. 7 de la Charte et de comprendre l'objet manifeste de cette disposition.

38 L'approche que j'adopte m'apparaît également appuyée par les textes internationaux relatifs aux droits de l'homme dont les rédacteurs de notre Charte se sont largement inspirés. Le 6 octobre 1980, dans les débats de la Chambre des communes (à la p. 3285), le ministre de la Justice Jean Chrétien disait:

Les articles 7 à 14 de la Charte énoncent les garanties juridiques des Canadiens. Certains de ces droits découlent de la Déclaration canadienne des droits adoptés à la Chambre par le très honorable M. Diefenbaker, et certains sont nouveaux. Parmi ces derniers, certains proviennent du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. [Je souligne.]

Or, le par. 9(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 999 R.T.N.U. 171, se lit de la façon suivante:

Article 9. 1. Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l'objet d'une arrestation ou d'une détention arbitraires. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n'est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi.

À l'exception du fait que cet article n'énonce pas le droit à la vie (celui‑ci est prévu à l'art. 6 du Pacte), ce texte s'apparente remarquablement à celui que l'on trouve à l'art. 7 de notre Charte. La consultation de décisions sélectionnées du Comité des droits de l'homme démontre que cet article a été invoqué dans des cas d'arrestation présumément illégale, de détention, d'emprisonnement, de mauvais traitements et de torture. Je n'ai repéré aucune décision soulevant autre chose qu'une atteinte à la dimension physique de la personne. Par ailleurs, le par. 5(1) la Convention européenne des droits de l'homme, 213 R.T.N.U. 221, énonce également le droit à la liberté et à la sécurité de la personne. Les différentes dispositions que contient cet article indiquent sans équivoque qu'il vise seulement la «liberté physique», ce que confirme l'examen de plusieurs décisions de la Cour européenne des droits de l'homme. D'autre textes relatifs aux droits de l'homme énonçant un droit à la liberté et à la sécurité de la personne vont dans le même sens (American Convention on Human rights, art. 7; African Charter on Human and Peoples' Rights, art. 6; Déclaration universelle des droits de l'homme, A.G. Rés. 217 A (III), Doc. A/810 N.U., à la p. 71 (1948), art. 3; American Declaration of the Rights and Duties of Man, art. 1 et 25). Je ne prétends aucunement, pour les fins du présent pourvoi, fonder ma conclusion sur l'interprétation qui est donnée à l'art. 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ni sur celle de l'art. 5 de la Convention européenne des droits de l'homme. Je suis pleinement conscient de la valeur relative de ce qui précède mais je crois néanmoins qu'il y a là, à tout le moins, une indication supplémentaire de la portée que les rédacteurs de la Charte ont pu entendre donner à l'expression «droit à la liberté» dans le cadre de l'art. 7.

39 Enfin, sans toutefois me prononcer sur la question, je mentionnerais, en toute déférence, que je serais beaucoup plus réceptif à l'argumentation des appelants et aux motifs de mon collègue concernant la protection constitutionnelle des droits parentaux si l'on avait fait valoir que ce droit, ou la liberté de faire des choix pour nos enfants, était protégé par la liberté de conscience garantie par l'al. 2a) de la Charte. Comme le dit si bien le juge Dickson à la p. 346 de l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., ce sont précisément les droits qui se rattachent à la liberté de conscience individuelle qui «se situent au c{oe}ur non seulement des convictions fondamentales quant à la valeur et à la dignité de l'être humain, mais aussi de tout système politique libre et démocratique . . .»

Dispositif

40 Je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi pour le motif que les dispositions contestées de la Child Welfare Act ne violent ni la liberté de religion des appelants, ni leur «droits parentaux» ou, plus précisément, leur droit de choisir (ou de refuser) un traitement médical pour leur enfant, tel droit n'étant pas protégé par l'art. 7 de la Charte.

41 Je suis d'avis de trancher le pourvoi incident de la manière proposée par mon collègue le juge La Forest.

//Le juge La Forest//

Version française du jugement des juges La Forest, Gonthier et McLachlin rendu par

42 Le juge La Forest — Le présent pourvoi porte sur la constitutionnalité de l'intervention de l'État dans les décisions relatives à l'éducation d'un enfant. Les appelants sont des parents qui font valoir que la Child Welfare Act de l'Ontario, R.S.O. 1980, ch. 66, porte atteinte à leur droit de choisir pour leur enfant un traitement médical conforme aux dogmes de leur foi. Ils soutiennent que ce droit est protégé par l'art. 7 et l'al. 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Les faits

43 Sheena B. est née le 25 juin 1983, quatre semaines avant terme. Elle a peu après été transférée au Hospital for Sick Children de Toronto en raison de son état physique. Au cours des premières semaines qui ont suivi sa naissance, elle a reçu plusieurs traitements médicaux afin de remédier à de nombreux troubles physiques. Ses parents, les appelants, ont consenti à tous les traitements qui lui ont été administrés pendant ces premières semaines. Ils ont demandé aux médecins traitants de ne procéder à aucune transfusion sanguine pour traiter Sheena, parce qu'en tant que témoins de Jéhovah ils s'y opposaient pour des motifs religieux; ils soutenaient également qu'une telle procédure n'était pas nécessaire.

44 Le 30 juillet, le taux d'hémoglobine de l'enfant a chuté à tel point que les médecins traitants ont craint pour sa vie et ont estimé qu'il pourrait être nécessaire de procéder à une transfusion sanguine pour traiter une insuffisance cardiaque globale qui risquait d'être fatale. Le 31 juillet, à la suite d'une audience tenue après que les appelants eurent été avisés à la dernière minute, le juge Main de la Cour provinciale de l'Ontario (Division de la famille) a accordé à l'intimée, la Children's Aid Society (la «société d'aide à l'enfance»), une tutelle de 72 heures en se fondant sur le témoignage du Dr Perlman, selon lequel une transfusion pourrait être nécessaire et ne servirait aucune fin expérimentale. Une instance en révision du statut de l'enfant a été tenue le 3 août, puis ajournée. Elle a repris le 18 août et s'est poursuivie le lendemain. Les Drs Pape et Swyer ont tous deux témoigné que, malgré son amélioration, l'état de santé de l'enfant était encore précaire, et qu'ils souhaitaient demeurer en mesure de pratiquer une transfusion en cas d'urgence. Le Dr Morin, chef du département d'ophtalmologie du Hospital for Sick Children, a témoigné qu'il redoutait que Sheena soit atteinte de glaucome infantile et doive subir une chirurgie exploratoire dans les semaines suivantes afin de confirmer le diagnostic. Cette procédure nécessitait une anesthésie générale et le Dr Swyer a témoigné qu'une transfusion sanguine serait nécessaire. Le juge Main a prolongé la tutelle pour une période de 21 jours: (1983), 36 R.F.L. (2d) 70. Le 23 août, Sheena a reçu une transfusion sanguine dans le cadre de l'examen et de l'opération pour le glaucome redouté.

45 Une seconde ordonnance de la Cour provinciale a mis fin à la tutelle de l'intimée, le 15 septembre, et l'enfant a été rendue à ses parents: (1983), 36 R.F.L. (2d) 80. Les appelants ont interjeté appel contre les deux ordonnances de la Cour provinciale, devant la Cour de district. La société d'aide à l'enfance intimée a répliqué au moyen d'une requête en rejet d'appel, qui a été accueillie pour le motif, d'une part, que plus aucun litige n'opposait les parties étant donné que la transfusion avait été administrée et que la tutelle avait pris fin, et, d'autre part, que toute la question était devenue théorique du fait que la Child Welfare Act avait été abrogée et remplacée par la Loi de 1984 sur les services à l'enfance et à la famille, L.O. 1984, ch. 55: (1985), 32 A.C.W.S. (2d) 149.

46 En appel, la Cour d'appel a conclu que la Cour de district avait commis une erreur en tirant cette conclusion puisque la question de l'intervention dans les droits des parents de décider quels traitements médicaux seront administrés à leur enfant, et celle de la constitutionnalité de la Child Welfare Act demeuraient entières. Ces questions ont été renvoyées à la Cour de district et une audition au fond a été ordonnée notamment sur les questions constitutionnelles: (1988), 63 O.R. (2d) 385, 47 D.L.R. (4th) 388, 15 R.F.L. (3d) 388. La Cour de district a rejeté l'appel au fond des appelants contre les ordonnances de la Cour provinciale: (1989), 14 A.C.W.S. (3d) 10. La cour a condamné aux dépens l'intimé, le procureur général de l'Ontario, qui était intervenu dans l'instance. Les appelants ont été déboutés en Cour d'appel. L'appel incident de l'intimé, le procureur général de l'Ontario, sur la question des dépens a également été rejeté, le juge Houlden étant dissident: (1992), 10 O.R. (3d) 321, 96 D.L.R. (4th) 45, 43 R.F.L. (3d) 36, 58 O.A.C. 93.

Les juridictions inférieures

Cour provinciale, Division de la famille (demande de tutelle, 31 juillet 1983)

47 Lors de la première audition sur la demande de tutelle, le juge Main de la Cour provinciale s'est demandé si l'augmentation du taux d'hémoglobine de l'enfant obtenue grâce à une transfusion réduirait, comme l'affirmait le Dr Perlman, le risque d'une insuffisance cardiaque globale ou d'une déficience pulmonaire en cas de crise. Le juge Main s'exprime ainsi:

[traduction] J'estime qu'il appartient à la cour et non à la société d'aide à l'enfance, ou aux parents, de prendre une décision à cet égard. Notre cour conclut, cet après‑midi, que les droits des parents seront assujettis aux droits de l'enfant, et qu'il appartiendra, pendant une très brève période, à des personnes autres que les parents de faire les choix et de prendre les décisions qui s'imposent. Il s'agit là d'une mesure très importante qui ne doit pas être prise à la légère, ni automatiquement; je dois être convaincu, et je le suis. La société a cité des causes plus convaincantes que celle‑ci, mais selon la prépondérance des probabilités et en dépit des nombreux points positifs en faveur de la prétention des parents, je vais rendre l'ordonnance.

48 Le juge Main a confié la tutelle de l'enfant à la société d'aide à l'enfance pour 72 heures plutôt que pour la période de 30 jours demandée. Ce faisant, il a tenu compte du fait que les appelants avaient été avisés de la tenue de l'audition à la dernière minute; le juge Main souhaitait leur offrir la possibilité de présenter d'autres éléments de preuve et arguments.

Cour provinciale, Division de la famille (1983), 36 R.F.L. (2d) 70

49 Le juge Main a examiné une grande quantité d'éléments de preuve pendant une audience de deux jours, avant d'ordonner que la tutelle soit maintenue pour une période de 21 jours. Les appelants ont choisi de n'appeler aucun témoin expert, bien qu'ils aient eux‑mêmes témoigné et que leur avocat ait contre‑interrogé les témoins de l'intimée.

50 Le juge Main a examiné l'état de santé de Sheena qui, à son avis, était toujours critique et nécessitait des soins intensifs accentués. Il a fait remarquer qu'elle souffrait encore de problèmes graves mais non diagnostiqués, et qu'elle risquait d'être victime de plusieurs formes de crises. Il a affirmé, notamment, qu'[traduction] «[u]n fait demeure important, et il n'y a pas le moindre élément de preuve qui le contredise, c'est que si une crise devait survenir, l'enfant pourrait mourir en moins de 30 minutes» (p. 75). Si une telle situation s'était présentée, les médecins auraient dû être en mesure de réagir immédiatement pour sauver la vie de l'enfant.

51 Le juge Main a reconnu que l'intimée devait s'acquitter du lourd fardeau d'établir la nécessité d'une intervention violant les droits des parents. Il a conclu que l'intimée s'était acquittée de ce fardeau et que l'intervention de l'État dans la famille était [traduction] «absolument essentielle» (p. 77). Il ajoute ceci, à la p. 78:

[traduction] Je crois fermement que la cour n'est pas tenue d'attendre que la situation en vienne au point où les parents souhaitent refuser à l'enfant toute assistance médicale, comme on l'a soumis.

Le juge Main a également exprimé le souhait que les appelants soient autorisés à demander une seconde opinion avant la transfusion et l'examen des yeux.

Cour de district de l'Ontario

52 Devant la Cour de district, les appelants ont fait valoir que le sous‑al. 19(1)b)(ix) de la Loi était rédigé en des termes généraux de façon à déléguer à un médecin, plutôt qu'à un juge, la tâche de décider si l'enfant a besoin de protection. Écartant cet argument, le juge Whealy a souligné précisément la façon dont le juge de première instance avait interprété cette disposition: le juge Main de la Cour provinciale a imposé le fardeau civil à l'État et n'a accordé qu'une ordonnance limitée; il a également accordé un délai afin de permettre aux appelants de soumettre une preuve médicale.

53 En ce qui concerne l'al. 2a) de la Charte, le juge Whealy a conclu que la Loi, qui émanait d'un texte de loi adopté pour la première fois en 1927, ne visait pas les témoins de Jéhovah puisque ce n'est que depuis 1945 qu'ils refusent les transfusions sanguines pour des raisons de principes religieux. Pour ce motif et se fondant sur la jurisprudence, il a conclu que l'objet de la Loi ne violait pas l'al. 2a) de la Charte.

54 Quant à l'art. 7 de la Charte, le juge Whealy décide ceci:

[traduction] Lorsque la vie d'un enfant en bas âge, totalement incapable de prendre une décision, est en danger, et que ses parents refusent qu'on lui administre le traitement indiqué, on ne saurait dire que toute protection susceptible d'être accordée à la cellule familiale par l'article 7 peut être opposée au droit de vivre de l'enfant. L'article 7 mentionne également les «principes de justice fondamentale». On ne saurait guère soutenir qu'il est possible de les invoquer pour refuser à un enfant la chance de vivre.

Il vaut également la peine de souligner que les droits énoncés à l'article 7 sont conditionnels et non absolus. Il peut y être porté atteinte conformément aux principes de justice fondamentale. L'économie de la Child Welfare Act satisfait, selon moi, à tous les critères de justice fondamentale, dont le droit à un procès équitable devant une cour de justice impartiale.

55 Le juge Whealy s'est demandé si le juge de première instance disposait d'une preuve suffisante pour justifier l'ordonnance de tutelle, et il a conclu que le juge Main [traduction] «a considéré [la preuve] avec tout le soin et la circonspection nécessaires, et qu'il a appliqué le fardeau approprié en prenant sa décision».

56 Le juge Whealy devait également déterminer si la preuve qui lui avait été soumise modifiait sa conclusion. Il a entendu le témoignage du Dr Morin, qui a défendu le diagnostic de glaucome qu'il avait posé en 1983, et celui du Dr McCormick qui était d'avis qu'il n'y avait eu aucun besoin urgent de procéder à un examen de la vue. Le juge Whealy s'est fondé sur le témoignage du Dr Morin, puisque quatre autres médecins avaient souscrit à son diagnostic de glaucome congénital probable, et parce qu'il croyait que les doutes du Dr McCormick étaient sans fondement. Il a également entendu des anesthésistes et des hématologistes sur la question de savoir s'il était nécessaire de procéder à une transfusion au cours de la chirurgie. Il a préféré les propos des témoins des intimés, selon lesquels l'anesthésie ne pouvait être pratiquée sans danger en l'absence d'une transfusion, au témoignage du Dr Furman, selon lequel une anesthésie générale aurait pu être pratiquée de façon sécuritaire sans transfusion au moyen de l'hémodilution. Par la preuve qu'ils ont soumise, les appelants ont tenté de démontrer que le recours à des transfusions sanguines dans le traitement non chirurgical de Sheena comportait des risques inhérents et que l'on aurait pu recourir à d'autres traitements. Cependant, le juge Whealy a accepté le témoignage du Dr Andrew‑O'Brodovich suivant lequel une transfusion était nécessaire étant donné les risques que comporte une anesthésie générale pour un enfant dont le taux d'hémoglobine est si bas, ainsi que le témoignage du Dr Sinclair selon lequel, dans les circonstances, seule une transfusion sanguine aurait permis d'élever le taux d'hémoglobine au niveau requis. Il s'est également appuyé sur l'opinion du Dr Sinclair suivant laquelle une transfusion représentait, dans ces circonstances, une norme de pratique médicale acceptée. Le Dr Scherz a témoigné que d'autres solutions auraient convenu dans les circonstances. Le juge Whealy n'a pas tenu compte de ce témoignage pour le motif qu'il n'abordait pas la question de la capacité oxyphorique des globules rouges au moment où un enfant qui a les problèmes de Sheena est sous anesthésie générale. Il n'a pas tenu compte de l'opinion du Dr Spence, selon laquelle les transfusions sanguines étaient souvent inutiles, puisqu'il a conclu que les travaux du Dr Spence se situent [traduction] «à l'avant‑garde des nouvelles thérapies médicales et non dans le courant principal de la profession médicale».

57 Sur la question des dépens, le juge Whealy affirme ceci:

[traduction] En ce qui concerne les dépens, je suis d'avis qu'il convient, en l'espèce, de condamner aux dépens le procureur général de notre province, étant donné que la Cour d'appel a estimé que la présente affaire pourrait être un cas type, que le Procureur général et le tuteur public sont intervenus et ont participé pleinement en Cour d'appel et devant moi, et que, pour considérer tous ces documents fort techniques, les deux avocats et moi‑même avons dû recourir à des transcriptions quotidiennes.

58 Il a toutefois donné aux parties la possibilité de soumettre d'autres arguments avant de rendre une ordonnance définitive. Dans un addenda à ses motifs, le juge Whealy a condamné aux dépens le procureur général de l'Ontario pour le motif que l'affaire [traduction] «s'est déroulée de la façon la plus inhabituelle et ardue pour tous les intéressés, et je ne suis au courant d'aucune affaire où l'appel de premier niveau interjeté à l'encontre d'une décision d'un juge de première instance a emprunté ce détour pour finir par se transformer en ce qui équivaut à un nouveau procès fondé sur une nouvelle preuve».

Cour d'appel (1992), 10 O.R. (3d) 321

59 S'exprimant au nom de la Cour d'appel à la majorité, le juge Tarnopolsky n'a pas modifié les conclusions du juge de la Cour de district relativement à la nécessité pour le Dr Morin d'effectuer une chirurgie oculaire, à la nécessité de procéder à une transfusion sanguine parallèlement à l'anesthésie pratiquée au cours de la chirurgie oculaire, ou à la nécessité de recourir à une transfusion sanguine dans le traitement non chirurgical de Sheena. Quant à l'art. 7 de la Charte, le juge Tarnopolsky a suivi la méthode adoptée par notre Cour dans l'arrêt R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, pour conclure qu'à supposer qu'il y ait eu entrave au droit à la liberté des parents, la loi en cause ne violait pas les principes de justice fondamentale. En particulier, il a conclu que le sous‑al. 19(1)b)(ix) de la Loi ne déléguait pas au médecin la tâche de décider si un enfant avait besoin de protection. La définition énoncée au sous‑al. 19(1)b)(ix), a‑t‑il souligné, était tempérée par deux exigences distinctes, dont une seule devait être remplie pour justifier l'intervention: [traduction] «La première est que les parents aient agi contrairement aux recommandations d'un médecin. La seconde est que le traitement soit «nécessaire pour la santé et le bien‑être de l'enfant»» (pp. 335 et 336). Le juge des faits a donc finalement décidé si l'enfant avait besoin de protection.

60 Les appelants se sont plaint de l'absence de communication de la preuve lors de l'instance sommaire portant sur la protection de l'enfant, et, en particulier, du fait que le Dr Perlman n'a pas divulgué l'opinion contraire qu'il avait reçue, lors d'une consultation, relativement à l'insuffisance cardiaque globale. Le juge Tarnopolsky a conclu que cette lacune [traduction] «n'était pas grave au point de nier aux appelants une audition équitable» (p. 344). Quant aux autres plaintes en matière de procédure, il s'est dit d'avis que leur objet n'avait pas non plus privé les appelants de leur liberté d'une manière contraire aux principes de justice fondamentale. Il dit ceci, aux pp. 345 et 346:

[traduction] À mon avis, les intimés ont raison d'affirmer que les procédures énoncées à l'art. 28 de la Child Welfare Act garantissent que les droits des parents jouissent d'une pleine protection judiciaire. Conformément à cette disposition, des témoins ont été appelés, à l'audition initiale du 31 juillet 1983, pour témoigner et produire des dossiers. Les parents ont été avisés de l'audition, quoique le jour même seulement. Ils étaient représentés par un avocat et ont eux aussi témoigné. Leur avocat, très expérimenté dans ce domaine, a été autorisé à contre‑interroger tous les témoins appelés par la C.A.S. En outre, on n'a pas donné à entendre que le juge saisi de la demande était de quelque façon impartial. Compte tenu de la nécessité extrême, établie par la preuve soumise à l'audition, d'une action préventive, je suis d'avis que l'audition s'est déroulée conformément aux principes de justice fondamentale.

61 Le juge Tarnopolsky s'est ensuite demandé si les dispositions contestées de la Loi violaient l'al. 2a) de la Charte. Il a convenu avec le juge de la Cour de district que l'objet de la Loi ne violait pas l'al. 2a). Toutefois, il a indiqué que la mesure législative avait pour effet d'empêcher les appelants de manifester leurs croyances religieuses en contrôlant le traitement administré à Sheena. Même s'il a reconnu que l'al. 2a) de la Charte protégeait le droit des appelants de choisir pour leur enfant un traitement médical conforme à leurs croyances religieuses, il a ajouté qu'il n'en était ainsi que si ce droit n'entravait pas l'intérêt vital et primordial qu'a l'État dans la vie et la santé d'un enfant. Il s'est dit d'avis que toute restriction de la liberté de religion était mieux abordée dans le cadre de l'article premier de la Charte. Après avoir examiné les quatre volets du critère de l'article premier, formulés récemment dans l'arrêt R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303, il a décidé qu'une violation de l'al. 2a) serait sauvegardée par l'article premier. Il a conclu que le lien entre les moyens utilisés en l'espèce et l'objectif de la Child Welfare Act était évident. Il dit également ceci, à la p. 353:

[traduction] À mon sens, lorsqu'une transfusion sanguine peut se révéler nécessaire pour sauver la vie d'un enfant ou pour le protéger d'un handicap grave, on peut difficilement imaginer un moyen de garantir que l'on administrera, lorsque le besoin se fera sentir, un traitement moins restrictif que celui utilisé dans la présente affaire. Les droits des appelants n'ont été enfreints que lorsqu'un tribunal a conclu que leur exercice compromettrait la vie de l'enfant.

62 Quant à la question des dépens soulevée lors de l'appel incident, le juge Tarnopolsky a reconnu la singularité de l'ordonnance, mais il a déclaré qu'il n'y avait aucune raison sérieuse de s'immiscer dans le pouvoir discrétionnaire du tribunal d'instance inférieure.

63 Le juge Goodman a souscrit au raisonnement du juge Tarnopolsky et a simplement commenté l'attribution de dépens par le juge de la Cour de district. Le juge Houlden a lui aussi souscrit aux motifs de la majorité quant à l'appel principal. Il s'est dit d'avis que, même si leur appel avait été couronné de succès, les appelants n'auraient pas eu droit au jugement déclaratoire sollicité puisqu'il empiétait sur la fonction législative. Quoi qu'il en soit, la Loi a été modifiée sans qu'y soient incorporées les directives proposées par les appelants. Par ailleurs, le juge Houlden était en désaccord sur la question des dépens parce qu'à son avis l'ordonnance du juge Whealy créait un dangereux précédent.

Les questions en litige

64 Le Juge en chef a énoncé les questions constitutionnelles suivantes:

1. La Child Welfare Act, R.S.O. 1980, ch. 66, sous‑al. 19(1)b)(ix), ainsi que les pouvoirs conférés à l'al. 30(1)2 et à l'art. 41, et les procédures énoncées aux art. 21 et 27 et aux par. 28(1), (10) et (12), privent‑ils les parents du droit de choisir un traitement médical pour leurs enfants en bas âge, contrairement à l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

2. Si la réponse à la première question est affirmative, le sous‑al. 19(1)b)(ix), ainsi que les pouvoirs conférés à l'al. 30(1)2 et à l'art. 41, et les procédures énoncées aux art. 21 et 27 et aux par. 28(1), (10) et (12) de la Child Welfare Act, R.S.O. 1980, ch. 66, sont‑ils justifiés en tant que limites raisonnables par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, et donc compatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982?

3. La Child Welfare Act, R.S.O. 1980, ch. 66, sous‑al. 19(1)b)(ix), ainsi que les pouvoirs conférés à l'al. 30(1)2 et à l'art. 41, et les procédures énoncées aux art. 21 et 27 et aux par. 28(1), (10) et (12), portent‑ils atteinte à la liberté de religion que garantit aux appelants l'al. 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés?

4. Si la réponse à la troisième question est affirmative, le sous‑al. 19(1)b)(ix), ainsi que les pouvoirs conférés à l'al. 30(1)2 et à l'art. 41, et les procédures énoncées aux art. 21 et 27 et aux par. 28(1), (10) et (12) de la Child Welfare Act, R.S.O. 1980, ch. 66, sont‑ils justifiés en tant que limites raisonnables par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, et donc compatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982?

65 La question que l'intimée a soulevée, dans le pourvoi incident, était de savoir si la Cour de district avait commis une erreur en condamnant aux dépens le procureur général de l'Ontario.

66 Notre Cour a rendu jugement à l'audience le 17 mars 1994. Elle a rejeté le pourvoi et répondu par la négative à la première question constitutionnelle. La seconde question ne se pose donc pas. Notre Cour a toutefois mis sa décision en délibéré, avec motifs à suivre, quant à savoir si c'est relativement à la troisième ou à la quatrième question que la mesure législative était constitutionnelle. La décision a également été mise en délibéré relativement au pourvoi incident.

Analyse

67 Je me pencherai d'abord sur les questions constitutionnelles soulevées dans le pourvoi principal. J'aborderai ensuite brièvement la question des dépens soulevée dans le pourvoi incident.

Pourvoi: Questions constitutionnelles

68 Outre les questions constitutionnelles, les appelants ont soulevé certaines questions de fait. Comme celles‑ci ont été analysées abondamment par les tribunaux d'instance inférieure, il n'est pas nécessaire de s'y attarder. Bien que les appelants n'aient pas été en mesure, à l'époque de l'instance initiale portant sur la tutelle et la révision, de présenter leur propre preuve et d'appeler leurs propres experts en raison de la nature sommaire des procédures, il a été remédié à la faiblesse du dossier factuel par l'admission de nouveaux éléments de preuve devant la Cour de district. Les appelants ont toutefois soutenu qu'une preuve médicale contradictoire avait été présentée et que le juge Whealy aurait dû s'en remettre à leur opinion concernant la nécessité d'assortir l'anesthésie d'une transfusion sanguine pendant la chirurgie oculaire, puisqu'il n'y avait aucune bonne ou mauvaise réponse et qu'une cour de justice était mal placée pour substituer sa décision à celle des parents.

69 Le juge Whealy a presque constamment préféré les opinions des témoins des intimés à celles des appelants, du fait que ces dernières n'étaient pas compatibles avec la pratique médicale acceptée à l'époque. Il en a décidé ainsi après avoir examiné soigneusement la position de chaque témoin, et, dans chaque cas, il a exposé clairement des motifs convaincants de préférer le témoignage d'un témoin à celui d'un autre. Loin de substituer sa décision à celle des parents, le juge Whealy s'est simplement acquitté de la tâche, qui lui incombait en droit, d'évaluer le poids et la crédibilité des témoignages opposés. Après avoir examiné attentivement l'ensemble de la preuve, la Cour d'appel a maintenu les conclusions de fait du juge Whealy. Les appelants n'ont fourni aucune raison sérieuse de modifier ces conclusions.

L'article 7 de la Charte

70 En ce qui concerne l'art. 7 de la Charte, les appelants ont soutenu que le droit de choisir un traitement médical pour leur enfant relève du droit à la liberté que garantit cet article et que l'atteinte à ce droit en l'espèce n'était pas conforme aux principes de justice fondamentale. Le juge Whealy, nous l'avons vu, a rejeté les prétentions des appelants et la Cour d'appel a simplement affirmé que, même si l'on présumait que l'art. 7 de la Charte offre une certaine protection au droit invoqué par les appelants, toute atteinte qu'il pouvait y avoir eu à leur liberté était conforme aux principes de justice fondamentale.

L'article 7 de la Charte et la liberté parentale

71 Bien que je sois d'avis que les principes de justice fondamentale ont été respectés dans la présente affaire, j'entends néanmoins faire des commentaires sur la portée de la protection offerte par la Charte dans la mesure où elle a trait au droit des parents de choisir un traitement médical pour leur enfant. Notre Cour a, à maintes reprises, déclaré que les principes de justice fondamentale varient selon le contexte; voir R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309; Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869. Une analyse de la portée du droit à la liberté paraît justifiée puisque sa formulation peut influer sur la détermination des principes de justice fondamentale. Je remarque également que, bien que la présente affaire puisse être tranchée uniquement sur la question du droit des parents de choisir un traitement médical pour leur enfant, elle n'est pas sans conséquence pour la protection générale de l'enfant. Une intervention pourrait bien s'imposer ici, mais le présent pourvoi soulève la question plus générale du droit des parents d'éduquer leurs enfants sans ingérence indue de la part de l'État.

72 Les appelants prétendent que les parents ont le droit de choisir un traitement médical pour leur enfant, invoquant à l'appui de cette prétention l'art. 7 de la Charte et, plus précisément, le droit à la liberté. Ils soutiennent que ce droit s'applique à la famille en tant qu'entité, fondant leur argument sur les affirmations qu'ont faites les tribunaux américains pour définir la liberté sous le régime de leur Constitution. Bien que, comme je vais l'indiquer, l'expérience américaine puisse être utile pour définir la portée du droit à la liberté garanti par notre Constitution, je conviens que l'art. 7 de la Charte ne protège pas l'intégrité de la cellule familiale comme telle. La Charte canadienne et, en particulier, son art. 7 protègent les individus. Ce dont il est question ici, c'est du droit à la liberté que la Charte garantit à l'individu. Le concept de l'intégrité de la cellule familiale repose lui‑même, du moins en partie, sur celui de la liberté parentale. Dans «Family Law and the "Liberty Interest": Section 7 of the Canadian Charter of Rights» (1983), 15 Ottawa L. Rev. 274, à la p. 281, N. Bala et J. D. Redfearn font observer qu'une analyse générale de la «cellule familiale» éclipse fréquemment deux droits distincts:

[traduction] Il est toutefois possible de distinguer au moins deux droits qui, quoique étroitement liés, diffèrent. L'un est l'intégrité familiale — le droit de maintenir l'autonomie et l'indépendance de la famille dans la société. L'autre est l'autorité parentale — le droit parental de jouir de la vie familiale et de contrôler divers aspects de la vie de l'enfant, en l'absence de toute ingérence extérieure inutile. [En italique dans l'original.]

73 Notre Cour n'a pas encore défini péremptoirement le terme «liberté», bien que des commentaires aient été faits aux deux extrémités du spectre. Dans l'arrêt Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, le juge Wilson a souligné, au nom du juge en chef Dickson et du juge Lamer (maintenant Juge en chef), qu'il incombait à la Cour de définir le terme «liberté», puis elle a admis que le concept était susceptible d'avoir plusieurs acceptions. Bien qu'elle n'ait pas entrepris de définir la portée du droit à la liberté garanti à l'art. 7 de la Charte, elle cite, à la p. 205, l'opinion incidente suivante que le juge Stewart a exprimée dans Board of Regents of State Colleges c. Roth, 408 U.S. 564 (1972), à la p. 572, pour illustrer l'interprétation libérale que la Cour suprême des États‑Unis a donnée au Quatorzième amendement:

[traduction] «Même si cette Cour n'a pas tenté de définir avec exactitude la liberté . . . garantie (par le Quatorzième amendement), ce terme a souvent été examiné et certains des éléments qui y sont compris ont été précisés de façon définitive. Ce terme s'entend sans aucun doute non seulement de l'absence de contrainte physique mais également du droit des particuliers de contracter, de vaquer aux occupations ordinaires de la vie, d'acquérir des connaissances utiles, de se marier, de fonder un foyer et d'élever des enfants, d'adorer Dieu selon sa conscience et, en général, de jouir des privilèges reconnus depuis longtemps . . . comme étant essentiels à la poursuite du bonheur par les hommes libres.» Meyer v. Nebraska, 262 U.S. 390, 399. Dans la Constitution d'un peuple libre, il ne fait aucun doute que le terme «liberté» doit avoir un sens large. Voir, par exemple, Bolling v. Sharpe, 347 U.S. 497, 499 et 500; Stanley v. Illinois, 405 U.S. 645.

74 Dans l'arrêt R. c. Jones, précité, le juge Wilson, seule dissidente, formule en des termes généraux le concept de liberté. Elle affirme ceci, à la p. 318:

Je crois que les rédacteurs de la Constitution en garantissant la «liberté» en tant que valeur fondamentale d'une société libre et démocratique, avaient à l'esprit la liberté pour l'individu de se développer et de réaliser son potentiel au maximum, d'établir son propre plan de vie, en accord avec sa personnalité; de faire ses propres choix, pour le meilleur ou pour le pire, d'être non conformiste, original et même excentrique, d'être, en langage courant, «lui‑même» et d'être responsable en tant que tel. John Stuart Mill décrit cela ainsi: [traduction] «rechercher notre propre bien, à notre façon». Nous devrions, pensait‑il, être libre de le faire «dans la mesure où nous ne tentons pas de priver les autres du leur, ni d'entraver leurs efforts pour y parvenir».

Même si elle était d'avis que l'art. 7 garantissait aux parents le droit d'élever et d'éduquer leurs enfants conformément à leurs croyances intimes, le juge Wilson a reconnu que cette liberté n'était pas «sans entrave». Certaines limites peuvent être imposées au droit puisque la «liberté» n'implique pas le droit d'élever et d'éduquer les enfants «comme on l'entend».

75 Par contre, dans le Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123, le juge Lamer a, en son propre nom seulement, rejeté le courant de jurisprudence américaine portant sur la liberté contractuelle, en soulignant qu'une telle extension du droit à la liberté avait également fait l'objet de critiques aux États‑Unis. Le texte de la Charte canadienne — qui ne fait pas mention du mot «bien» — et le contexte de son adoption étaient suffisamment différents pour commander une interprétation distincte. Selon lui, l'art. 7, qui figure dans la Charte sous la rubrique «Garanties juridiques», devait être interprété à la lumière des droits énoncés aux art. 8 à 14 qui énoncent les garanties traditionnelles en matière de droit criminel. En outre, le terme «liberté» devait être interprété en fonction de son déterminant, les principes de justice fondamentale. Ainsi, la restriction de la liberté devait être le résultat d'une interaction avec le système judiciaire. Le juge Lamer a semblé cantonner la «liberté» à sa dimension physique, tout en paraissant donner à l'expression «sécurité de la personne» une portée quelque peu plus large. Il résume ainsi sa position, aux pp. 1177 et 1178:

Bref, je suis d'avis que l'art. 7 entre en jeu lorsque l'État, en faisant appel au système judiciaire, restreint la liberté physique d'un individu dans quelque contexte que ce soit. L'article 7 entre également en jeu lorsque l'État restreint la sécurité de la personne en portant atteinte au contrôle que l'individu exerce sur son intégrité physique ou mentale et en supprimant ce contrôle. Enfin, l'art. 7 intervient lorsque l'État, directement ou par ses mandataires, restreint certains privilèges ou libertés par la menace de sanctions dans les cas de violation.

Bien que cela puisse paraître une lecture restrictive de l'art. 7, j'estime qu'il n'est ni sage ni nécessaire d'englober tous les autres droits de la Charte dans l'art. 7. On peut parvenir à une interprétation large et généreuse de la Charte qui accorde aux individus tout le bénéfice de sa protection sans incorporer d'autres droits et libertés à l'art. 7. [Souligné dans l'original.]

76 Le juge Lamer ajoute, toutefois, que «[c]ela ne veut pas dire que la "liberté" comme valeur sous‑jacente à la Charte n'apparaît pas en filigrane partout dans le document dans un sens plus large et général, particulièrement dans la mesure où elle se rapporte au maintien au Canada d'une "société libre et démocratique"» (p. 1179). Dans cette affaire, le juge Lamer s'intéressait à la question plus restreinte de la «liberté économique» et du droit d'exercer la profession de son choix. L'affaire ne portait pas sur une question semblable à celle soulevée en l'espèce, où le droit qu'invoquent les appelants est de nature entièrement différente et où l'État a effectivement recours au système judiciaire pour le restreindre.

77 Bien que je convienne que les art. 8 à 14 soient utiles pour interpréter l'art. 7 de la Charte, ce ne sont pas là les seuls articles vers lesquels il faut se tourner pour se guider. L'interprétation de l'art. 7 tient également des autres dispositions de la Charte. Voici comment j'expose la question au nom de la Cour, dans l'arrêt R. c. Lyons, précité (à la p. 326):

. . . les droits et libertés garantis par la Charte ne sont pas séparés et distincts les uns des autres [. . .] Au contraire, la Charte sert à sauvegarder un ensemble complexe de valeurs interreliées, dont chacune constitue un élément plus ou moins fondamental de la société libre et démocratique qu'est le Canada (R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, à la p. 136), et la spécification des droits et libertés dans la Charte représente en conséquence une tentative quelque peu artificielle, quoique nécessaire et intrinsèquement valable, de structurer et d'orienter l'expression judiciaire de ces mêmes droits et libertés. La nécessité d'une analyse structurée ne devrait toutefois pas nous amener à perdre de vue l'importance que revêt la manière dont l'élargissement de la portée de chaque droit et liberté énoncé donne sens et forme à notre compréhension du système de valeurs que vise à protéger la Charte dans son ensemble et, en particulier, à notre compréhension de la portée des autres droits et libertés qu'elle garantit.

78 L'article premier de la Charte, qui est la disposition générale exigeant l'appréciation des intérêts en jeu, nous offre une indication de ce que la liberté signifie. Il est utile d'en rappeler le texte: la Charte garantit les droits et libertés qui y sont énoncés, lesquels ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Dans l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, le juge en chef Dickson s'exprime ainsi (à la p. 136):

Les tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l'être humain, la promotion de la justice et de l'égalité sociales, l'acceptation d'une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société. Les valeurs et les principes sous‑jacents d'une société libre et démocratique sont à l'origine des droits et libertés garantis par la Charte et constituent la norme fondamentale en fonction de laquelle on doit établir qu'une restriction d'un droit ou d'une liberté constitue, malgré son effet, une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer.

79 Le genre d'équilibre que j'ai à l'esprit a été bien exposé par le juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295. Dans cette affaire, le juge Dickson a donné une interprétation libérale au terme «liberté», quoique ce fut dans le contexte de l'al. 2a) de la Charte (aux pp. 336 et 337):

La liberté peut se caractériser essentiellement par l'absence de coercition ou de contrainte. Si une personne est astreinte par l'État ou par la volonté d'autrui à une conduite que, sans cela, elle n'aurait pas choisi d'adopter, cette personne n'agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu'elle est vraiment libre. L'un des objectifs importants de la Charte est de protéger, dans des limites raisonnables, contre la coercition et la contrainte. La coercition comprend non seulement la contrainte flagrante exercée, par exemple, sous forme d'ordres directs d'agir ou de s'abstenir d'agir sous peine de sanction, mais également les formes indirectes de contrôle qui permettent de déterminer ou de restreindre les possibilités d'action d'autrui. La liberté au sens large comporte l'absence de coercition et de contrainte et le droit de manifester ses croyances et pratiques. La liberté signifie que, sous réserve des restrictions qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l'ordre, la santé ou les m{oe}urs publics ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui, nul ne peut être forcé d'agir contrairement à ses croyances ou à sa conscience.

Malgré le fait que la version anglaise de la Charte utilise deux termes différents, soit «freedom» et «liberty», tous deux émanent du même concept. En français, le terme «liberté» est utilisé tant à l'art. 2 qu'à l'art. 7.

80 La jurisprudence précitée nous offre une indication importante de ce que signifie le concept de liberté. D'une part, la liberté n'est pas synonyme d'absence totale de contrainte; voir Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486 (le juge Wilson, à la p. 524); R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713 (le juge en chef Dickson, aux pp. 785 et 786). La liberté de l'individu de faire ce qu'il entend doit, dans toute société organisée, être assujettie à de nombreuses contraintes au nom de l'intérêt commun. L'État a certes le droit d'imposer de nombreuses formes de restrictions au comportement individuel et ce ne sont pas toutes les restrictions qui feront l'objet d'un examen fondé sur la Charte. D'autre part, la liberté ne signifie pas simplement l'absence de toute contrainte physique. Dans une société libre et démocratique, l'individu doit avoir suffisamment d'autonomie personnelle pour vivre sa propre vie et prendre des décisions qui sont d'importance fondamentale pour sa personne. Dans l'arrêt R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, le juge Wilson a signalé que le droit à la liberté prenait racine dans les concepts fondamentaux de la dignité humaine, de l'autonomie personnelle, de la vie privée et du choix des décisions concernant l'être fondamental de l'individu. Elle affirme, à la p. 166:

Ainsi, un aspect du respect de la dignité humaine sur lequel la Charte est fondée est le droit de prendre des décisions personnelles fondamentales sans intervention de l'État. Ce droit constitue une composante cruciale du droit à la liberté. La liberté, comme nous l'avons dit dans l'arrêt Singh, est un terme susceptible d'une acception fort large. À mon avis, ce droit, bien interprété, confère à l'individu une marge d'autonomie dans la prise de décisions d'importance fondamentale pour sa personne.

81 Quoique je fus dissident dans cette affaire, je souscris à cet énoncé et, en réalité, j'ai subséquemment fait observer, dans l'arrêt R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, à la p. 412, que j'étais sympathique à l'idée que l'art. 7 de la Charte protège un droit à la vie privée. À cet égard, l'expérience américaine peut nous être d'une aide précieuse quant à la bonne signification et aux limites de la liberté. La Cour suprême des États‑Unis a donné une interprétation libérale au concept de la liberté en matière familiale. Elle a élevé la notion d'intégrité de la cellule familiale et des droits parentaux au rang de valeurs constitutionnelles grâce à son interprétation des Cinquième et Quatorzième amendements. Les deux arrêts marquants les plus fréquemment cités sont Meyer c. Nebraska, 262 U.S. 390 (1923), et Pierce c. Society of Sisters, 268 U.S. 510 (1925). Dans le premier cas, la Cour suprême a invalidé une loi censée restreindre l'enseignement de langues étrangères. Sa décision était fondée, en partie du moins, sur la conclusion que la loi en cause empiétait sur le droit des parents de contrôler l'enseignement offert à leurs enfants. Dans l'arrêt Pierce c. Society of Sisters, la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelle une loi qui forçait les enfants à fréquenter les écoles publiques. Le juge McReynolds déclare ceci, aux pp. 534 et 535:

[traduction] Suivant le principe de l'arrêt Meyer v. Nebraska, 262 U.S. 390, il est, à notre avis, tout à fait clair que la Loi de 1922 empiète déraisonnablement sur la liberté des parents et tuteurs de diriger l'éducation des enfants dont ils ont la garde et l'enseignement qui leur est donné. Comme on l'a souvent signalé jusqu'à maintenant, les droits garantis par la Constitution ne peuvent être restreints par une loi qui n'a aucun lien raisonnable avec un objectif relevant de la compétence de l'État. La théorie fondamentale de la liberté sur laquelle s'appuient tous les gouvernements de l'Union exclut tout pouvoir général de l'État d'uniformiser ses enfants en les forçant à fréquenter les écoles publiques uniquement. L'enfant n'est pas la simple créature de l'État; ceux qui l'élèvent et qui dirigent sa destinée ont le droit, de même que le devoir suprême, de le reconnaître et de le préparer à assumer des obligations supplémentaires.

82 Ces deux arrêts ont survécu à l'ère Lochner, une période fort critiquée au cours de laquelle la Cour suprême s'est engagée dans un examen au fond de nombreuses lois économiques et sociales. En dépit de l'absence d'unanimité sur la formulation de la liberté et le rôle des tribunaux dans la révision de mesures législatives, les opinions exprimées sur la liberté en matière familiale ont toujours été générales. Dans l'arrêt Prince c. Massachusetts, 321 U.S. 158 (1944), bien que la Cour ait maintenu une loi prohibant le travail des enfants, le juge Rutledge a déclaré au nom de la Cour (à la p. 166): [traduction] «Il est essentiel pour nous que la garde, les soins et l'éducation de l'enfant appartiennent d'abord aux parents, qui ont notamment pour tâche et liberté principales de préparer l'enfant à assumer des obligations, préparation que l'État ne peut ni fournir ni empêcher.» Ces arrêts ont souvent été confirmés par la Cour suprême; voir, par exemple, Stanley c. Illinois, 405 U.S. 645 (1972), Wisconsin c. Yoder, 406 U.S. 205 (1972), et Board of Regents of State Colleges c. Roth, précité. L'arrêt Roe c. Wade, 410 U.S. 113 (1973), qui reprend cette conception libérale de la liberté, était encore confirmé récemment dans l'arrêt Planned Parenthood of South‑Eastern Pennsylvania c. Casey, 112 S.Ct. 2791 (1992).

83 Il sera souvent difficile de tracer la ligne entre les intérêts et les pouvoirs de réglementation relevant de la portée reconnue de l'autorité de l'État. Mais de chaque côté de la ligne, beaucoup d'éléments sont suffisamment clairs. Pour cette raison, j'aurais cru qu'il serait évident que les droits d'éduquer un enfant, de prendre soin de son développement et de prendre des décisions pour lui dans des domaines fondamentaux comme les soins médicaux, font partie du droit à la liberté d'un parent. Comme l'a fait remarquer le juge Dickson, dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, la Charte n'a pas été adoptée sur une table rase ou en l'absence d'un contexte historique. La common law reconnaît depuis longtemps que les parents sont les mieux placés pour prendre soin de leurs enfants et pour prendre toutes les décisions nécessaires à leur bien‑être. Dans l'arrêt Hepton c. Maat, [1957] R.C.S. 606, notre Cour affirme (à la p. 607): [traduction] «Selon ce point de vue, le bien‑être de l'enfant repose d'abord dans la chaleur et la sécurité du foyer que lui fournissent ses parents». Cette reconnaissance était fondée sur la présomption que les parents agissent dans l'intérêt de leur enfant. La Cour ajoute toutefois que [traduction] «si, en raison de l'omission de fournir cette protection, avec ou sans faute de la part des parents, ce bien‑être est menacé, la collectivité, représentée par le Souverain, est, pour les motifs sociaux et nationaux les plus généraux, justifiée d'évincer les parents et d'assumer leurs obligations» (pp. 607 et 608). Bien que la philosophie qui sous‑tend l'intervention de l'État ait évolué au fil des ans, la plupart des lois contemporaines en matière de protection des enfants et, en particulier, la Loi de l'Ontario, tout en mettant l'accent sur l'intérêt de l'enfant, favorisent une intervention minimale. Au cours des dernières années, les tribunaux ont fait preuve d'une certaine hésitation à s'immiscer dans les droits des parents et l'intervention de l'État n'a été tolérée que lorsqu'on en avait démontré la nécessité. Cela ne fait que confirmer que le droit des parents d'élever, d'éduquer et de prendre soin de l'enfant, notamment de lui procurer des soins médicaux et de lui offrir une éducation morale, est un droit individuel d'importance fondamentale dans notre société.

84 Les intimés ont soutenu que la «liberté parentale» invoquée par les appelants est une obligation due à l'enfant qui ne relève pas de l'art. 7 de la Charte. Certaines décisions semblent accréditer cette thèse. Dans la décision Re C.P.L. (1988), 70 Nfld. & P.E.I.R. 287 (C.U.F.T.-N.), par exemple, une affaire semblable à celle dont nous sommes saisis, le juge Riche fait observer, à la p. 303:

[traduction] Les parents jouissent de droits individuels en tant que membres de la société. À l'égard de leurs enfants, ils ont des obligations et des responsabilités. Ils ont un droit de garde de leurs enfants tant que ceux‑ci sont des enfants et aussi longtemps qu'ils s'acquittent de leurs obligations envers ceux‑ci. Les parents conservent le droit de tenter d'élever leurs enfants dans la même religion que la leur. Dans la relation qu'ils ont avec leurs enfants, les parents ont peu de droits et de nombreuses obligations.

Le juge Riche a conclu que c'était le droit de l'enfant aux soins de ses parents, et non les droits des parents, qui avait été violé d'une manière qui n'était pas conforme aux principes de justice fondamentale.

85 Bien que je reconnaisse que les parents ont des responsabilités envers leurs enfants, il me semble qu'ils doivent jouir de droits corrélatifs de s'en acquitter. Une opinion contraire ferait fi de l'importance fondamentale du choix et de l'autonomie personnelle dans notre société. Comme je l'ai déjà mentionné, la common law a toujours présumé, en l'absence d'une démonstration de négligence ou d'inaptitude, que les parents devraient faire tous les choix importants qui touchent leurs enfants, et elle leur a accordé une liberté générale de le faire comme ils l'entendent. Ce droit à la liberté n'est pas un droit parental équivalent à un droit de propriété sur les enfants. (Heureusement, nous nous sommes dissociés de l'ancienne conception juridique selon laquelle les enfants étaient les biens de leurs parents.) L'État est maintenant activement présent dans bon nombre de domaines traditionnellement perçus comme étant, à juste titre, du ressort privé. Néanmoins, notre société est loin d'avoir répudié le rôle privilégié que les parents jouent dans l'éducation de leurs enfants. Ce rôle se traduit par un champ protégé de prise de décision par les parents, fondé sur la présomption que ce sont eux qui devraient prendre les décisions importantes qui touchent leurs enfants parce qu'ils sont plus à même d'apprécier ce qui est dans leur intérêt et que l'État n'est pas qualifié pour prendre ces décisions lui‑même. En outre, les individus ont un intérêt personnel profond, en tant que parents, à favoriser la croissance de leurs propres enfants. Cela ne signifie pas que l'État ne peut intervenir lorsqu'il considère nécessaire de préserver l'autonomie ou la santé de l'enfant. Cette intervention doit cependant être justifiée. En d'autres termes, le pouvoir décisionnel des parents doit être protégé par la Charte afin que l'intervention de l'État soit bien contrôlée par les tribunaux et permise uniquement lorsqu'elle est conforme aux valeurs qui sous‑tendent la Charte.

86 Les intimés soutiennent également que les droits de l'enfant en bas âge l'emportaient sur ceux des appelants et que, pour ce seul motif, l'intervention de l'État était justifiée. C'est ce qu'a conclu le juge Whealy. Les enfants bénéficient indéniablement de la protection de la Charte, plus particulièrement en ce qui concerne leur droit à la vie et à la sécurité de leur personne. Comme les enfants ne sont pas en mesure de faire valoir ces droits, notre société présume que leurs parents exerceront leur liberté de choix d'une manière qui ne violera pas les droits de leurs enfants. Si l'on considère la multitude de décisions que les parents prennent tous les jours, il est évident qu'en pratique l'intervention de l'État visant à soupeser les droits des parents et ceux des enfants n'aura lieu que dans des cas exceptionnels. En fait, nous devons convenir que les parents peuvent parfois prendre des décisions contraires aux v{oe}ux — et aux droits — de leurs enfants, du moment qu'ils n'excèdent pas le seuil prescrit par l'ordre public au sens large. Ainsi, on pourrait difficilement nier à un parent le pouvoir d'imposer à son enfant l'endroit où il vivra ou l'école qu'il fréquentera. Toutefois, l'État peut à bon droit intervenir dans les cas où le comportement des parents ne respecte pas la norme minimale socialement acceptable. Mais ce faisant, l'État restreint les droits constitutionnels des parents plutôt que de défendre les droits constitutionnels des enfants. Sur ce point, N. Bala et J. D. Redfearn, loc. cit., font remarquer à la p. 301:

[traduction] . . . bien que l'État puisse être justifié de limiter les droits parentaux, c'est à tort que l'on en conclut que le tribunal ou l'État protège en quelque sorte les droits constitutionnels de l'enfant. On devrait plutôt considérer que l'État restreint les droits constitutionnels des parents, et parfois ceux d'un enfant, pour favoriser le bien‑être de ce dernier [. . .] Toutefois, il semble inapproprié de permettre à un mandataire de l'État d'invoquer la Charte des droits pour restreindre les droits d'un citoyen. La Charte vise à protéger les individus contre l'État, et non à justifier l'intervention de l'État. [En italique dans l'original.]

Un point de vue semblable, quoique dans un contexte différent, a été adopté dans l'arrêt R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, où notre Cour à la majorité a convenu qu'il ne conviendrait pas de limiter la portée de la liberté d'expression que l'al. 2b) garantit à l'individu, par renvoi aux droits opposés que les art. 15 et 27 garantissent à autrui.

87 Dès qu'il est déterminé que les parents ont un droit à la liberté, il y a lieu de soupeser leurs droits et ceux des enfants pour déterminer si l'intervention de l'État est conforme aux principes de justice fondamentale, et non pour déterminer la portée du droit à la liberté. Même en tenant pour acquis que les droits des enfants peuvent atténuer le droit à la liberté de leurs parents, ce droit existe néanmoins. En l'espèce, l'application de la Loi a privé les appelants de leur droit de décider quel traitement médical devrait être administré à leur enfant. La Loi a donc enfreint la «liberté» parentale garantie à l'art. 7 de la Charte. Il s'agit maintenant de déterminer si cette privation d'un droit était conforme aux principes de justice fondamentale.

Les principes de justice fondamentale

88 Notre Cour a, à différentes occasions, indiqué que les principes de justice fondamentale doivent être puisés dans les préceptes fondamentaux de notre système judiciaire, de même que dans les composantes de notre système juridique; voir Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B. et R. c. Beare, précités. Le droit de l'État de légiférer dans les domaines touchant les enfants ne date pas d'hier. Par exemple, dans l'arrêt R. c. Jones, précité, j'ai reconnu le droit impérieux de la province de maintenir la qualité de l'éducation. Plus particulièrement, la common law reconnaît depuis longtemps le pouvoir de l'État d'intervenir pour protéger l'enfant dont la vie est en danger et pour promouvoir son bien‑être, en fondant cette intervention sur sa compétence parens patriae; voir, par exemple, Hepton c. Maat, précité, et E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388. La protection du droit de l'enfant à la vie et à la santé, lorsqu'il devient nécessaire de le faire, est un précepte fondamental de notre système juridique, et toute mesure législative adoptée à cette fin est conforme aux principes de justice fondamentale, dans la mesure, évidemment, où elle satisfait également aux exigences de la procédure équitable. L'article 19 de la Loi n'est qu'une des nombreuses expressions législatives de la compétence parens patriae. Il envisage diverses situations où l'intervention de l'État est requise pour garantir la protection des enfants, dont une seule est d'intérêt ici. Elle figure au sous‑al. 19(1)b)(ix), qui se lit ainsi:

[traduction] 19. -- (1) Les définitions suivantes s'appliquent à la présente partie et à la partie IV.

. . .

b) «enfant ayant besoin de protection» désigne

(ix) l'enfant qui est sous la responsabilité d'une personne qui néglige ou refuse de fournir ou de procurer les soins ou les traitements médicaux, chirurgicaux ou autres reconnus qui sont nécessaires à la santé ou au bien‑être de l'enfant, ou qui refuse de permettre que ces soins ou traitements soient prodigués à l'enfant alors qu'ils sont recommandés par un médecin dûment qualifié, ou qui par ailleurs omet de protéger l'enfant adéquatement, [Je souligne.]

Je souligne, au départ, que cette disposition ne se limite pas aux situations où la vie de l'enfant peut être en danger. Elle vise également celles où des traitements pourraient être justifiés pour protéger sa santé ou son bien‑être. Malgré sa large portée, la disposition est compatible avec une conception moderne de la vie qui englobe celle de la qualité de vie.

89 Les appelants ne contestent pas vraiment la légitimité du principe selon lequel l'État peut intervenir pour protéger les enfants. Ils contestent plutôt la procédure d'intervention prévue dans la Loi et demandent un jugement déclaratoire énonçant des directives qui devraient être considérées comme incluses dans la Loi pour passer outre aux choix des parents. Compte tenu de l'issue du présent pourvoi, il n'est pas nécessaire d'analyser en détail la possibilité d'obtenir réparation ou le bien‑fondé des directives. Il suffit de dire que les appelants proposent que, dans une situation véritablement urgente, il ne soit pas nécessaire d'obtenir une ordonnance judiciaire, puisque la common law permet aux médecins d'administrer un traitement malgré le refus des parents. En l'absence d'urgence, les médecins devraient obtenir une ordonnance judiciaire pour passer outre au refus des parents, laquelle ne pourrait être accordée que si la cour juge le traitement nécessaire, s'il n'y a aucune autre solution sur le plan médical ni aucun autre médecin pour administrer un traitement médical subsidiaire, si un préavis de 48 heures est donné et si tous les renseignements sont communiqués aux parents.

90 Bien que les plaidoiries aient surtout porté sur la constitutionnalité du sous‑al. 19(1)b)(ix) de la Loi, il est nécessaire d'examiner brièvement les pouvoirs conférés aux tribunaux par le par. 30(1) et l'art. 41, de même que les procédures établies aux art. 21, 27 et 28. Cela nous permettra de mieux comprendre le régime conçu par le législateur, et de répondre aux arguments des appelants concernant la conformité de la privation de leurs droits avec les principes de justice fondamentale.

91 Lorsque la société d'aide à l'enfance a des motifs raisonnables et probables de croire qu'un enfant a besoin de protection au sens du sous‑al. 19(1)b)(ix) de la Loi, elle peut appréhender l'enfant sans mandat et l'amener ou le confiner dans un endroit sûr désigné (art. 21). Une fois l'enfant ainsi appréhendé, l'art. 27 requiert que le dossier soit soumis à un tribunal dans les cinq jours afin qu'il détermine si l'enfant a besoin de protection. L'article 28 régit la procédure à suivre lors de l'audience judiciaire, autorise le juge à assigner et à contraindre des témoins et à entendre les témoignages des parents et des autres parties intéressées. Le paragraphe 28(6) exige qu'un parent ou une autre personne ayant la garde de l'enfant reçoive un [traduction] «préavis raisonnable» de l'audience. Le paragraphe 28(10) permet au tribunal de ne pas exiger de préavis lorsqu'il ne peut être signifié et que [traduction] «tout délai pourrait compromettre la vie ou la sécurité de l'enfant». Si, lors de l'audience fondée sur l'art. 28, le tribunal juge que l'enfant a besoin de protection, il peut alors, en vertu du par. 30(1), ordonner que l'enfant soit retourné à ses parents sous la surveillance de la société, ou qu'il devienne pupille de la société d'aide à l'enfance compétente. Ce n'est que lorsque cette dernière ordonnance est rendue que, conformément à l'art. 41 de la Loi, la société d'aide à l'enfance est investie de tous les droits et responsabilités d'un tuteur public, dont celui de consentir à un traitement médical. Enfin, la société d'aide à l'enfance doit demander au tribunal de réviser le statut de l'enfant avant l'expiration de l'ordonnance de tutelle (art. 37).

92 Les appelants contestent la procédure générale établie dans la Child Welfare Act et, en particulier, la façon dont elle a été appliquée dans le cas qui nous occupe. Quant à la constitutionnalité de la procédure établie par la Loi, il n'est pas nécessaire de l'analyser en détail, puisque je suis d'avis que le régime conçu par le législateur est conforme aux principes de justice fondamentale. Les parents doivent recevoir un préavis raisonnable de l'audience au cours de laquelle leurs droits pourront être touchés. Le caractère «raisonnable» est un critère souple qui permet de s'ajuster aux différentes situations. Bien qu'il soit possible de tenir une audience sur la tutelle sans préavis dans les cas d'urgence, le par. 28(11) de la Loi prévoit que l'ordonnance de tutelle ne peut, en l'absence d'une autre audience précédée d'un avis, excéder 30 jours. Dans l'arrêt B.C.G.E.U. c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214, notre Cour a conclu qu'une injonction accordée ex parte ne violait pas l'art. 7 de la Charte. Cette affaire est différente de celle qui nous occupe, mais le principe qui la sous‑tend demeure juste: les exigences des principes de justice fondamentale, sur le plan de la procédure, peuvent être atténuées lorsque des circonstances urgentes et inhabituelles requièrent que les tribunaux agissent rapidement.

93 En outre, l'ordonnance de tutelle qui prive les parents du droit de refuser un traitement médical pour leur enfant est rendue par un juge à la suite d'une procédure contradictoire où des éléments de preuve opposés peuvent être présentés. Les parents peuvent agir par l'intermédiaire d'un avocat, soumettre des arguments, contre‑interroger des témoins, et ainsi de suite. Le fardeau de la preuve incombe à la société d'aide à l'enfance, et les tribunaux, de même que le juge Main en l'espèce, ont reconnu que la société d'aide à l'enfance doit présenter une preuve solide.

94 Enfin, l'ordonnance initiale accordant la tutelle à la société d'aide à l'enfance doit être révisée avant son expiration. Dans l'arrêt Catholic Children's Aid Society of Metropolitan Toronto c. M. (C.), [1994] 2 R.C.S. 165, notre Cour a conclu que la procédure qui gouverne la révision du statut de l'enfant en vertu de la Loi sur les services à l'enfance et à la famille — qui ne diffère pas substantiellement de l'ancienne loi — vise à réviser la détermination du statut de l'enfant (c'est‑à‑dire si l'enfant a toujours besoin de protection), et non simplement à déterminer s'il est opportun de prolonger l'ordonnance. Une telle interprétation s'accorde le mieux avec l'objectif de la Loi, car elle permet à la cour de surveiller tout changement pertinent qui pourrait influer sur le statut de l'enfant.

95 J'entends maintenant analyser le régime tel qu'il a été appliqué en l'espèce, et répondre aux autres préoccupations exprimées par les appelants. J'analyserai d'abord l'ordonnance initiale de tutelle rendue le 31 juillet 1983, puis ensuite l'instance de révision du statut tenue les 18 et 19 août 1983.

(i) Ordonnance de tutelle du 31 juillet 1983

96 Les médecins chargés de soigner Sheena ont avisé la société d'aide à l'enfance que sa vie était en danger parce que ses parents refusaient de consentir à une transfusion sanguine dont le besoin était, selon eux, imminent. C'est sur ces faits que la société d'aide à l'enfance a fondé ses motifs raisonnables et probables d'enclencher le processus prévu dans la Loi. La preuve indique que la société d'aide à l'enfance devait agir avec diligence. Les parents ont été avisés de l'audience le jour même où elle a été tenue. Compte tenu des circonstances, le préavis était raisonnable. Le juge Main, qui a reconnu que le préavis avait été donné à la dernière minute, a limité à 72 heures l'ordonnance initiale de tutelle, de façon à permettre aux parties de revenir devant lui avec une preuve supplémentaire. En outre, bien que les appelants aient été incapables de présenter une preuve médicale contradictoire lors de l'audience initiale, ils ont néanmoins été représentés par un avocat qui a contre‑interrogé les témoins appelés par la société d'aide à l'enfance et présenté des arguments.

97 Les appelants ont fait valoir, notamment, que le Dr Perlman, qui a témoigné au nom de la société d'aide à l'enfance, n'a pas révélé les conclusions du Dr Benson, le cardiologue qui a examiné Sheena le jour de l'audience. Le Dr Benson était d'avis que Sheena ne présentait aucun risque imminent d'insuffisance cardiaque globale. Les intimés ont soutenu que cette preuve n'était pas disponible à l'époque de l'audience le 31 juillet. Quoi qu'il en soit, la Cour d'appel a fait remarquer que, même si ces conclusions auraient dû être révélées, le défaut d'inclure une preuve qu'il n'y avait pas insuffisance cardiaque globale n'était pas, en particulier avec le bénéfice du recul, une omission de grande importance. Je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion. En outre, le Dr Perlman a témoigné lors de l'audience sur la tutelle et, si l'on présume qu'il y a eu manquement à l'obligation de divulguer, cela n'a rien changé à la conformité du régime législatif avec les principes de justice fondamentale.

(ii) Révision du statut les 18 et 19 août 1983

98 L'audience des 18 et 19 août 1983, tenue conformément à l'art. 37 de la Loi, visait à réviser le statut de Sheena pour déterminer si l'ordonnance de tutelle devait être prolongée. Les appelants ont été avisés de l'audience au début du mois d'août. Même s'ils avaient le temps de produire une preuve médicale pour contrer celle de la société d'aide à l'enfance relativement à l'insuffisance cardiaque globale, les appelants ont choisi de ne pas le faire. Même si la santé de l'enfant s'était légèrement améliorée, la société d'aide à l'enfance a démontré, à la satisfaction du juge Main, qu'une transfusion sanguine représentait toujours une solution raisonnable en raison de l'état de santé précaire de l'enfant. La société d'aide à l'enfance souhaitait conserver le pouvoir de consentir à une transfusion sanguine en cas d'urgence.

99 L'audience a également porté sur le témoignage du Dr Morin qui a déclaré que l'enfant devait subir une chirurgie exploratoire sous anesthésie générale pour confirmer un diagnostic de glaucome infantile qui, s'il était établi, nécessiterait une chirurgie afin de préserver la vue de l'enfant. On a également produit une preuve que Sheena avait besoin d'une transfusion pour être anesthésiée. Les appelants ont soutenu que le témoignage de l'ophtalmologiste les a pris au dépourvu puisqu'ils n'en avaient pas été informés dans le préavis. À l'examen de la preuve, il appert toutefois que, même si les appelants et leur avocat ignoraient que le Dr Morin serait appelé à témoigner, ils connaissaient depuis quelque temps déjà cet aspect de l'état de Sheena. Le Dr Pape, la néonatalogiste chargée de soigner Sheena, a témoigné le 18 août que le glaucome redouté avait été diagnostiqué lorsque Sheena était âgée de trois ou quatre semaines, et qu'elle avait étudié avec les appelants l'opportunité de procéder à une chirurgie exploratoire. De plus, le juge Main, qui était sensible au fait que les appelants n'avaient pas eu le temps de recueillir leur propre opinion médicale, a recommandé qu'ils soient autorisés à demander une seconde opinion avant la chirurgie exploratoire. En fait, les appelants ont préalablement consulté un ophtalmologiste qui a simplement confirmé le diagnostic du Dr Morin. Je ne crois pas que l'omission d'aviser les appelants que le Dr Morin témoignerait a violé les principes de justice fondamentale.

100 Les appelants ont également fait valoir qu'en l'espèce on n'a pas satisfait à la norme prévue dans la Loi — la nécessité du traitement — car il n'y a jamais eu urgence. Ils soutiennent que c'est sur l'existence d'une urgence que la Cour d'appel a fondé son analyse. Cet argument est lié aux questions de fait que j'ai abordées précédemment. Puisque je suis d'avis que la «nécessité» au sens de la Loi a été démontrée, il n'est pas nécessaire d'approfondir davantage cette question.

101 Un examen de l'application des dispositions contestées aux faits de la présente affaire démontre amplement que le régime législatif, qui prive les parents de leur droit de choisir un traitement médical pour leur enfant dans certaines circonstances, est conforme aux principes de justice fondamentale. L'article 7 requiert que la privation de liberté soit conforme aux principes de justice fondamentale, mais il ne garantit pas le processus le plus équitable entre tous; il établit le seuil sous lequel l'intervention de l'État ne sera pas tolérée: voir l'arrêt R. c. Lyons, précité. Par conséquent, bien que les directives proposées par les appelants soient plus strictes que celles prévues dans le régime législatif, le processus satisfait néanmoins aux exigences constitutionnelles. En fait, ces directives étaient essentiellement envisagées par le régime législatif. Le sous‑alinéa 19(1)b)(ix) de la Loi s'applique aux traitements réputés nécessaires. L'audience est de nature contradictoire, de sorte que les questions médicales peuvent être débattues. La Loi exige que la société d'aide à l'enfance avise les parents de l'audience qui pourrait toucher leurs droits. L'épithète «raisonnable» garantit que le processus pourra être adapté à une multitude de situations. L'ordonnance de tutelle est limitée et doit être revue avant son expiration.

102 Somme toute, les appelants avaient droit au préavis, à l'accès aux renseignements et à la représentation qui peuvent être justes et raisonnables, compte tenu de la nature et de l'urgence des procédures. Le juge Tarnopolsky de la Cour d'appel a étudié ces questions et a conclu, ce à quoi je souscris, que, compte tenu de toutes les circonstances, la procédure n'a pas violé les principes de justice fondamentale.

L'alinéa 2a) de la Charte

103 En ce qui concerne l'al. 2a) de la Charte, les appelants font valoir que la Loi, qui les prive du droit de refuser, pour des motifs religieux, un traitement médical pour leur enfant, viole leur liberté de religion garantie par l'al. 2a) de la Charte. Le juge Whealy de la Cour de district a conclu que l'objet de la Loi était laïque et, conséquemment, qu'il ne pouvait y avoir de violation de la liberté de religion des appelants. Pour sa part, le juge Tarnopolsky était d'avis que la Loi, de par son effet, portait atteinte à la liberté de religion des appelants, mais que cette atteinte était justifiée au sens de l'article premier de la Charte. Je souligne, au départ, que c'est la liberté de religion des appelants — les parents de Sheena — qui est en jeu en l'espèce, et non celle de l'enfant. Même si, en théorie, il est possible de fonder une demande sur la liberté de religion de l'enfant, il faut alors que ce dernier soit suffisamment âgé pour nourrir des croyances religieuses. Sheena n'était âgée que de quelques semaines au moment de la transfusion.

104 À l'instar des autres dispositions de la Charte, l'al. 2a) doit être interprété libéralement de façon à atteindre son objectif: voir l'arrêt Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité. Dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, le juge Dickson affirme, à la p. 336:

Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l'on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d'empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. Toutefois, ce concept signifie beaucoup plus que cela.

105 Dans l'arrêt R. c. Jones, précité, j'ai fait remarquer que la liberté de religion comprenait le droit des parents d'éduquer leurs enfants selon leurs croyances religieuses. Dans l'arrêt P. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141, une affaire où l'un des parents qui demandaient la garde était témoin de Jéhovah, le juge L'Heureux‑Dubé a affirmé que les droits de garde incluaient le droit de décider de l'éducation religieuse de l'enfant. Il me semble que le droit des parents d'éduquer leurs enfants suivant leurs croyances religieuses, dont celui de choisir les traitements médicaux et autres, est un aspect tout aussi fondamental de la liberté de religion.

106 Il est évident que la Loi ne vise pas à limiter la liberté des témoins de Jéhovah de choisir un traitement médical pour leurs enfants, dont la liberté de refuser une transfusion sanguine pour des motifs religieux. Ce n'est qu'en 1945 que les témoins de Jéhovah ont adhéré à ce précepte, alors que la Loi tire son origine d'une loi adoptée pour la première fois en 1927, à savoir la Children's Protection Act, R.S.O. 1927, ch. 279. Cependant, je ne me fonde pas uniquement sur ce fait historique. Il me semble qu'une simple lecture de la Loi permet de conclure qu'elle ne vise ni plus ni moins qu'à protéger l'enfant. Cependant, si l'objet de la Loi ne porte pas atteinte à la liberté de religion des appelants, on ne peut en dire autant de ses effets. Le régime législatif mis en {oe}uvre par la Loi, qui aboutit à une ordonnance de tutelle privant les parents de la garde de leur enfant, les a privés du droit de choisir un traitement médical pour leur enfant, conformément à leurs croyances religieuses.

107 Toutefois, comme la Cour d'appel l'a fait remarquer, la liberté de religion n'est pas absolue. Bien qu'il soit difficile d'imaginer quelque limite aux croyances religieuses, il n'en va pas de même pour les pratiques religieuses, notamment lorsqu'elles ont une incidence sur les libertés et les droits fondamentaux d'autrui. La Cour suprême des États‑Unis en est venue à une conclusion semblable; voir Cantwell c. Connecticut, 310 U.S. 296 (1940). Dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, notre Cour a souligné que la liberté de religion pouvait être assujettie aux «restrictions qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l'ordre, la santé ou les m{oe}urs publics ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui» (p. 337). De même, dans l'arrêt P. (D.) c. S. (C.), précité, le juge L'Heureux‑Dubé écrit, à titre d'opinion incidente, à la p. 182:

J'estime, enfin, qu'il n'y aurait pas de violation de la liberté de religion prévue à l'al. 2a) même si la Charte s'appliquait à de telles ordonnances lorsqu'elles sont émises dans le meilleur intérêt de l'enfant. Comme la Cour l'a réitéré à maintes occasions, la liberté de religion, comme toute liberté, n'est pas absolue. Elle est limitée de façon inhérente par les droits et libertés des autres. Alors que les parents sont libres de choisir et de pratiquer la religion de leur choix, ces activités peuvent et doivent être restreintes lorsqu'elles contreviennent au meilleur intérêt de l'enfant, sans pour autant violer la liberté de religion des parents.

108 Se pose donc la question plus difficile de savoir si la liberté de religion des appelants est intrinsèquement limitée par les motifs mêmes qui sous‑tendent l'intervention de l'État, soit la protection de la santé et du bien‑être de Sheena, ou de savoir si une autre analyse devrait être faite en vertu de l'article premier de la Charte. À l'appui de cette thèse, les intimés ont porté à l'attention de notre Cour un certain nombre de décisions américaines dans lesquelles la portée de la liberté de religion a été restreinte. Toutefois, ces décisions ne sont guère utiles puisque la Constitution américaine ne contient aucune disposition exigeant l'appréciation des intérêts en jeu qui soit comparable à l'article premier de la Charte.

109 Notre Cour s'est toujours gardée de poser des limites internes à la portée de la liberté de religion dans les cas où la constitutionnalité d'un régime législatif était soulevée; elle a plutôt choisi de soupeser les droits opposés dans le cadre de l'article premier de la Charte; voir R. c. Jones et R. c. Edwards Books and Art Ltd., précités. Un point de vue semblable a été adopté dans le contexte de l'al. 2b) de la Charte, celui de la liberté d'expression. Dans l'arrêt R. c. Keegstra, précité, le juge en chef Dickson a affirmé, au nom de la majorité, que l'article premier convient mieux que l'al. 2b) pour établir l'équilibre nécessaire entre les intérêts de l'État et ceux de l'individu. Le juge McLachlin (dissidente, mais non sur ce point) a elle aussi rejeté plusieurs limites proposées à la portée des droits garantis par l'al. 2b). Elle a laissé entendre que l'expression ne devrait pas être exclue de la portée de l'al. 2b) simplement parce qu'elle avait pour effet d'empêcher d'autres personnes de s'exprimer librement.

110 À mon avis, il paraît plus judicieux de laisser à l'État la tâche de justifier les restrictions qu'il a choisi d'imposer. Toute ambiguïté ou hésitation devrait être dissipée en faveur des droits de l'individu. Non seulement cela est‑il conforme à l'interprétation large et libérale des droits que préconise notre Cour, mais encore l'article premier est un outil beaucoup plus souple que l'al. 2a)* pour soupeser des droits opposés. Comme le juge en chef Dickson l'a écrit dans l'arrêt R. c. Keegstra, précité, bien qu'il ne soit pas logiquement nécessaire d'écarter des limites internes à l'art. 2, il est pratique de le faire sur le plan analytique (à la p. 734):

Qu'il suffise de dire que j'approuve l'approche générale adoptée par le juge Wilson dans l'arrêt Edmonton Journal, précité, où elle parle du danger qu'il y a à soupeser des valeurs concurrentes sans l'avantage d'un contexte. Cette approche n'exclut pas logiquement la possibilité de procéder à une telle évaluation sous le régime de l'al. 2b) — on pourrait en effet éviter les dangers d'une analyse excessivement abstraite en s'assurant simplement que soient soumises à un examen minutieux les circonstances de l'usage de la liberté en question et de la restriction législative. Je crois cependant que l'article premier de la Charte convient particulièrement bien à l'évaluation relative des valeurs et j'estime que les arrêts antérieurs de notre Cour concernant la liberté d'expression étayent cette conclusion. Il n'y a pas lieu, selon moi, d'affaiblir la liberté garantie par l'al. 2b) pour le motif qu'un contexte particulier l'exige, car suivant l'interprétation large et libérale donnée à la liberté d'expression dans l'arrêt Irwin Toy, il est préférable de soupeser les divers facteurs et valeurs contextuels dans le cadre de l'article premier. [Souligné dans l'original.]

111 Cela ne signifie pas qu'il sera toujours nécessaire de procéder à un examen approfondi des critères établis dans l'arrêt R. c. Oakes, précité. L'effet sur les croyances religieuses sera souvent si négligeable, eu égard à la nature de la mesure législative en cause, que les préoccupations fondées sur la Charte seront de toute évidence supplantées. Or, en l'espèce, on ne saurait soutenir que l'effet sur les droits des appelants était négligeable. Puisque je suis d'avis que la Loi a gravement porté atteinte à la liberté des appelants de choisir un traitement médical pour leur enfant, conformément aux préceptes de leur foi, il reste à déterminer si cette atteinte était justifiée au sens de l'article premier de la Charte.

L'article premier de la Charte

112 Quant à l'article premier de la Charte, les appelants ont fait valoir que l'État n'a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que Sheena avait besoin de protection au sens de la Loi lorsqu'elle a été appréhendée par la société d'aide à l'enfance. Cet argument ne fait aucune distinction entre la démonstration de la nécessité du traitement, prévue par la Loi, et celle de la nature raisonnable du régime législatif, au sens de l'article premier de la Charte. Pour les motifs déjà énoncés, il faut tenir pour acquis la nécessité du traitement médical et, par conséquent, le besoin de protection au sens de la Loi.

113 Les appelants ont reconnu que l'intérêt de l'État dans la protection des enfants en danger est un objectif urgent et réel. La Loi permet à l'État d'assumer les droits parentaux lorsqu'un juge détermine qu'un enfant a besoin d'un traitement auquel ses parents ne consentiront pas. Comme je l'ai mentionné en analysant la conformité de l'intervention de l'État avec les principes de justice fondamentale, le processus prévu par la Loi est conçu avec soin, est adaptable à une multitude de situations différentes et est loin d'être arbitraire. La Loi contient des dispositions concernant le préavis à donner, la preuve à produire, la durée de la tutelle de la Couronne et d'autres ordonnances, de même que les garanties procédurales à accorder aux parents. Les restrictions que la Loi impose aux droits parentaux sont, à mon avis, amplement justifiées.

Addenda

114 Depuis que j'ai écrit ce qui précède, j'ai pris connaissance des motifs de mes collègues les juges Iacobucci et Major. J'avoue que le sens qu'ils prêtent à mes motifs me laisse quelque peu perplexe. Je conviens certes que, dans l'exercice de leur droit d'éduquer leurs enfants, les parents ne peuvent leur refuser un traitement médical nécessaire et pour lequel il n'existe aucune autre solution valable. C'est la conclusion à laquelle je croyais être arrivé. Cette conclusion, il va sans dire, est clairement envisagée par l'article premier de la Charte qui «garantit les droits et libertés qui y sont énoncés», lesquels toutefois «ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique» et, dans la mesure où l'art. 7 est concerné, qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

115 Si mes collègues sont préoccupés par ma façon de procéder -- celle‑là même, si je puis dire, à laquelle notre Cour a traditionnellement eu recours depuis ses toutes premières décisions fondées sur la Charte —, je m'inquiète de leur façon de restreindre un droit constitutionnel en fonction d'un autre droit sans rapport avec le contexte. Ainsi, certaines de leurs observations sont susceptibles d'être interprétées comme justifiant de passer outre aux droits des parents simplement parce qu'un professionnel juge nécessaire de le faire. Je serais fort inquiet si un professionnel de la santé pouvait passer outre à l'opinion des parents sans avoir à démontrer la nécessité de le faire. Suivant ma façon d'aborder les questions en litige, dans la mesure où l'art. 7 est concerné, il serait nécessaire de démontrer que pareille mesure ne serait pas contraire aux principes de justice fondamentale. Plus généralement, l'article premier exige que la justification d'une atteinte au droit puisse se démontrer. Cela est, à mon avis, parfaitement légitime. Lorsque, comme en l'espèce, il n'y a aucune urgence immédiate, il serait nécessaire de suivre une procédure qui respecte les exigences de la justice fondamentale et que, me suis‑je donné la peine de signaler, la Loi prévoit parfaitement.

116 Il est plus aisé de respecter les impératifs de la justice fondamentale lorsqu'il y a urgence. Dans l'arrêt R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, à la p. 432, notre Cour a fait allusion au pouvoir d'un médecin de prendre des mesures raisonnables dans ces circonstances. Ce pouvoir est conforme aux pratiques et aux procédures suivies dans le domaine et respecte les principes de justice fondamentale. Le pouvoir de l'État d'exercer sa compétence parens patriae légitime serait à mon avis pareillement justifié en vertu des principes de justice fondamentale. De même, ces mesures prescrites «par une règle de droit» me semblent clairement constituer des «limites qui [sont] raisonnables et dont la justification [peut] se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique».

117 Mes collègues disent craindre que mes motifs créent une situation où le droit de l'enfant à la vie et à la sécurité de sa personne en sera réduit à une restriction du droit des parents garanti par la Constitution. Je tiens à souligner que ma position est dictée par la nature de l'affaire dont nous sommes saisis. L'unique question à trancher était celle qu'ont soulevée les parents, savoir que leurs droits constitutionnels ont été violés lorsqu'un traitement médical a été administré à l'enfant. Dans un tel cas, les droits des parents doivent, en vertu de l'article premier, être soupesés en fonction des droits d'autrui dans le cadre d'une société libre et démocratique — dans ce cas‑ci, le droit de leur enfant. Il n'est donc guère surprenant que j'aie conclu qu'on a clairement passé outre aux droits des parents. Si on alléguait que le droit de l'enfant a été violé, d'autres droits pourraient être invoqués à titre de limites raisonnables, mais si le droit allégué était la sécurité de l'enfant, comme c'est le cas en l'espèce, alors celui‑ci l'emporterait encore sur les droits des parents. Bref, la question soulevée régit la forme et non le fond de l'analyse.

118 Je suis heureux de constater que mes collègues conviennent que l'évaluation des droits opposés pourrait être intégrée dans une analyse fondée sur l'article premier puisque, à l'exception de dispositions spécifiques comme la «justice fondamentale», cette analyse représente le seul instrument d'évaluation prévu sous le régime de la Charte. Cette dernière ne prévoit aucune évaluation directe de droits constitutionnels l'un par rapport à l'autre. Elle vise plutôt l'ingérence gouvernementale et législative dans les droits garantis; voir l'art. 32 de la Charte.

119 Il est parfois nécessaire de définir strictement un droit afin de le rendre applicable, comme ce fut le cas dans Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211, à la p. 320, où il a été jugé que la liberté d'association permettait les associations qui sont nécessaires et inévitables dans le cadre d'une société libre et démocratique. Il n'en est rien en l'espèce. Il s'agit simplement d'une situation où des droits constitutionnels opposés entrent en ligne de compte dans l'évaluation requise par l'article premier et l'art. 7. Cela est facilement réalisable dans une analyse fondée sur l'article premier ou sur l'art. 7; voir, par exemple, Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326. Je tiens également à souligner que, dans Lavigne, on a interprété le droit en question aussi libéralement que possible afin de le rendre applicable. Le juge Wilson, qui n'était guère contre une interprétation libérale de la Charte, a jugé nécessaire de donner au droit une définition plus stricte que je ne l'ai fait moi‑même. Je ne vois donc pas l'analogie que mes collègues établiraient entre Lavigne et la présente affaire. Dans l'arrêt Lavigne, il était nécessaire de restreindre la portée du droit pour le rendre applicable, alors qu'en l'espèce on tente de restreindre un droit par un autre, sans moyen explicite de déterminer judiciairement exactement quand, d'après les faits, on a passé outre au premier droit. Pour pouvoir mieux apprécier ce que cela signifie dans le présent contexte, il suffit simplement de supposer que la Loi contestée en l'espèce, avec toute la protection qu'elle accordait aux droits des parents, n'existait pas et qu'elle a été remplacée par une loi qui ne prévoyait même pas qu'il fallait aviser les parents lorsqu'un mandataire de l'État décidait qu'un traitement donné était nécessaire à un enfant.

120 À mon avis, les droits garantis par la Charte devraient toujours être interprétés libéralement. Outre le fait que cela permet d'obtenir un portrait complet du contexte lorsqu'ils sont évalués en fonction d'autres droits en vertu de l'article premier, une interprétation restrictive a pour effet de restreindre à jamais la portée du contrôle judiciaire et de limiter ainsi celle d'une intervention judiciaire visant la protection des droits individuels garantis par la Charte. C'est là le fondement de mon désaccord avec la façon dont le Juge en chef aborde l'art. 7, qui, exposée pour la première fois dans le Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), précité, consiste à cantonner la liberté à sa dimension physique.

121 J'ajoute, en passant, que, contrairement à ce que mes collègues les juges Iacobucci et Major semblent laisser entendre, je ne crois pas que la liberté soit absolue. J'ai pris la peine de souligner qu'elle se limite aux droits essentiellement personnels qui sont inhérents à l'individu et qui, à mon avis, incluent (et, à cet égard, je crois que nous sommes d'accord) le droit des parents d'éduquer leurs enfants. Même ainsi définie, une atteinte à la liberté peut être justifiée pour le motif qu'elle est conforme aux principes de «justice fondamentale». Au fond, je crois que la «liberté» s'entend de la liberté ordinaire qu'ont les hommes et les femmes libres, dans une société démocratique, de se livrer aux activités inhérentes à l'individu. Celles‑ci ne sont peut-être pas nombreuses, mais lorsqu'elles existent, elles doivent, en vertu de la Constitution, être protégées contre l'intervention de l'État, à moins que cette intervention ne soit justifiable. Ce caractère justifiable est parfois manifeste. Dans d'autres cas, il exigera un examen attentif du contexte. En l'espèce, c'est nettement la sécurité de l'enfant qui compte le plus. Ce qui est plus difficile et ce sur quoi les appelants ont, en définitive, vraiment axé leur plaidoirie, c'est de savoir si les procédures visant à déterminer s'il y avait respect des droits des parents, en vertu de la Loi, étaient suffisantes pour satisfaire à l'article premier et à l'art. 7 de la Charte. Il me semble être essentiel et nettement requis par l'article premier et l'art. 7 que de telles procédures se déroulent avant et non pas après la mesure qui empiète sur les droits des parents.

Pourvoi incident: dépens

122 L'ordonnance condamnant aux dépens le Procureur général qui, comme la Loi l'autorise à le faire, intervient, dans l'intérêt public, en faveur d'une partie qui soulève la question de la constitutionnalité d'une loi, paraît fort inhabituelle et ne devrait être permise que dans des cas très rares. Néanmoins, cette affaire paraît avoir soulevé des problèmes spéciaux et particuliers, et l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de district a reçu l'appui de la Cour d'appel. Je ne suis pas disposé à intervenir dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en l'espèce.

Dispositif

123 La préoccupation exprimée par les appelants en l'espèce soulève la question plus générale de l'opportunité d'administrer des traitements dont les vertus thérapeutiques sont très douteuses lorsque le refus des parents n'est qu'en partie fondé sur des croyances religieuses. Toutefois, la preuve médicale présentée en 1983, comme celle qui a été présentée au juge Whealy, ne nous permet pas de douter de la nécessité de la transfusion sanguine, bien que certains puissent, avec le recul, être tentés de le faire. Ce pourvoi nous rappelle cependant la nécessité de procéder avec soin lorsqu'il s'agit de passer outre au refus des parents. Cependant, je suis convaincu que c'est ce que les tribunaux ont fait en l'espèce. Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi principal et le pourvoi incident, et de répondre aux questions constitutionnelles de la façon suivante:

1. La Child Welfare Act, R.S.O. 1980, ch. 66, sous‑al. 19(1)b)(ix), ainsi que les pouvoirs conférés à l'al. 30(1)2 et à l'art. 41, et les procédures énoncées aux art. 21 et 27 et aux par. 28(1), (10) et (12), privent‑ils les parents du droit de choisir un traitement médical pour leurs enfants en bas âge, contrairement à l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

Non.

2. Si la réponse à la première question est affirmative, le sous‑al. 19(1)b)(ix), ainsi que les pouvoirs conférés à l'al. 30(1)2 et à l'art. 41, et les procédures énoncées aux art. 21 et 27 et aux par. 28(1), (10) et (12) de la Child Welfare Act, R.S.O. 1980, ch. 66, sont‑ils justifiés en tant que limites raisonnables par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, et donc compatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982?

La question ne se pose pas.

3. La Child Welfare Act, R.S.O. 1980, ch. 66, sous‑al. 19(1)b)(ix), ainsi que les pouvoirs conférés à l'al. 30(1)2 et à l'art. 41, et les procédures énoncées aux art. 21 et 27 et aux par. 28(1), (10) et (12), portent‑ils atteinte à la liberté de religion que garantit aux appelants l'al. 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés?

Oui.

4. Si la réponse à la troisième question est affirmative, le sous‑al. 19(1)b)(ix), ainsi que les pouvoirs conférés à l'al. 30(1)2 et à l'art. 41, et les procédures énoncées aux art. 21 et 27 et aux par. 28(1), (10) et (12) de la Child Welfare Act, R.S.O. 1980, ch. 66, sont‑ils justifiés en tant que limites raisonnables par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, et donc compatibles avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Oui.

124 Je suis d'avis de n'accorder aucuns dépens devant notre Cour.

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Les motifs suivants ont été rendus par

125 Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente quant au pourvoi incident) — Cet appel comporte deux volets: l'un principal, l'autre incident. Le pourvoi principal porte sur la constitutionnalité du sous‑al. 19(1)b)(ix) de la Child Welfare Act, R.S.O. 1980, ch. 66, et sur celle du régime législatif établi aux art. 21 et 27, aux par. 28(1), (10) et (12), à l'al. 30(1)2 et à l'art. 41 de la Loi. Comme il appert du jugement rendu oralement à l'audience le 17 mars 1994, je suis d'accord avec mes collègues pour dire que le pourvoi principal doit être rejeté. À cet égard, je souscris aux motifs de mon collègue le juge La Forest. Toutefois, je fausse compagnie à mes collègues quant au pourvoi incident que notre Cour a mis en délibéré à l'audience. Contrairement à eux, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi incident.

126 La question que soulève le pourvoi incident est de savoir si la Cour d'appel de l'Ontario a commis une erreur en confirmant la décision de la Cour de district de l'Ontario de condamner aux dépens le procureur général de l'Ontario qui est intervenu en faveur de la loi dont les appelants contestaient la constitutionnalité. Je suis d'accord avec le juge Houlden, dissident sur cette question en Cour d'appel de l'Ontario, pour dire que le pourvoi incident devrait être accueilli et que la Cour de district de l'Ontario n'aurait pas dû condamner aux dépens le procureur général de l'Ontario.

127 Afin de simplifier les choses, dans le cours de mes motifs j'appellerai le procureur général de l'Ontario, intimé dans le pourvoi principal, l'«intimé», et Richard et Beena B., appelants dans le pourvoi principal, les «appelants», même si, dans le pourvoi incident, le procureur général de l'Ontario est l'appelant et Richard et Beena B. sont les intimés. En outre, je signale que, même si mes motifs réfèrent explicitement à la position du procureur général de l'Ontario, ils s'appliquent également à celle du procureur général du Canada qui est intervenu devant nous pour appuyer la position du procureur général de l'Ontario dans le pourvoi incident.

I ‑ Les faits et les procédures

128 Sheena B. est née le 25 juin 1983, quatre semaines avant terme. En raison de son état physique, elle a été transférée au Hospital for Sick Children de Toronto. Pendant les semaines qui ont suivi, elle a reçu plusieurs traitements médicaux afin de remédier à de nombreux troubles physiques décelés par ses médecins traitants. Ses parents, les appelants, ont consenti à tous les traitements, bien qu'à leur demande les médecins traitants n'aient procédé à aucune transfusion sanguine pour soigner Sheena B. Les appelants, qui sont témoins de Jéhovah, s'opposaient aux transfusions sanguines pour des motifs religieux.

129 Au cours de la nuit du 30 juillet 1983 et tôt le matin du 31 juillet 1983, le taux d'hémoglobine de Sheena B. a chuté à tel point que les médecins traitants ont craint pour sa vie et ont jugé qu'il pourrait être nécessaire de procéder à une transfusion sanguine pour traiter une insuffisance cardiaque globale qui risquait d'être fatale. Le 31 juillet 1983, à la suite d'une demande présentée par l'intimée, la Children's Aid Society of Metropolitan Toronto (la «CAS»), en vertu de la Child Welfare Act, le juge Main de la Cour provinciale (Division de la famille) a accordé à la CAS une tutelle de 72 heures en se fondant sur le témoignage du Dr Perlman, selon lequel une transfusion pourrait être nécessaire et ne servirait aucune fin expérimentale. Le 19 août 1983, à la suite d'une demande de révision de statut fondée sur la Child Welfare Act, le juge Main a prolongé la tutelle temporaire pour une période de trois semaines: (1983), 36 R.F.L. (2d) 70. Sheena B. a finalement reçu une transfusion sanguine le 23 août 1983, dans le cadre de la procédure normale d'examen et d'opération pour un glaucome redouté.

130 Dès que la transfusion sanguine eut été administrée, l'ordonnance de tutelle en faveur de l'intimée, la CAS, a pris fin: (1983), 36 R.F.L. (2d) 80 (le juge en chef adjoint Walmsley de la C. prov.). Les parents de Sheena B. ont toutefois interjeté appel contre les deux ordonnances de tutelle rendues par la Cour provinciale, devant la Cour de district où ils ont contesté la constitutionnalité du sous‑al. 19(1)b)(ix) et du par. 28(10) de la Child Welfare Act. L'intimé, le procureur général de l'Ontario, et l'intervenant, le procureur général du Canada, ont tous deux reçu un avis de question constitutionnelle conformément à l'art. 122 de la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario, L.O. 1984, ch. 11 (maintenant l'art. 109 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43). Le procureur général de l'Ontario est intervenu pour défendre la Loi dans cet appel et dans toutes les procédures subséquentes qui ont abouti au présent pourvoi.

131 À la requête de l'intimée, la CAS, l'appel devant la Cour de district a été rejeté pour le motif que le débat était théorique étant donné que plus aucun litige n'opposait les parties et que la Child Welfare Act avait été abrogée et remplacée par la Loi de 1984 sur les services à l'enfance et à la famille, L.O. 1984, ch. 55 ((1985), 32 A.C.W.S. (2d) 149 (le juge Webb)). À la suite d'un appel subséquent, la Cour d'appel de l'Ontario a conclu que la Cour de district avait commis une erreur en rejetant le premier appel, et lui a renvoyé l'affaire pour qu'elle la tranche au fond, c'est‑à‑dire pour qu'elle statue sur le droit des parents de déterminer le traitement médical que subira leur enfant et sur la constitutionnalité de la Child Welfare Act: (1988), 63 O.R. (2d) 385, 47 D.L.R. (4th) 388, 15 R.F.L. (3d) 388 (les juges Grange et Krever, le juge Griffiths étant dissident).

132 La Cour de district a donc réentendu l'appel au fond. Cette audition a pris la forme d'un nouveau procès, une nouvelle preuve étant présentée conformément au par. 122(4) (maintenant le par. 109(4)) de la Loi. L'intimé, le procureur général de l'Ontario, a appelé à témoigner six des huit experts de l'intimée, la CAS, et a contre‑interrogé les témoins experts des appelants. L'audition s'est étalée sur une période de 20 jours. Le juge Whealy de la Cour de district a finalement rejeté l'appel et confirmé la constitutionnalité de la Child Welfare Act. Dans un addenda à ses motifs de jugement, il a ordonné à l'intimé, le procureur général de l'Ontario (alors intervenant), de payer aux appelants leurs dépens comme entre parties. Aucun des intimés, que ce soit la CAS ou le tuteur public, ne s'est vu ordonner de payer des dépens.

133 Les appelants ont interjeté appel devant la Cour d'appel de l'Ontario et l'intimé, le procureur général de l'Ontario, a interjeté un appel incident contre l'ordonnance sur les dépens. L'appel principal et l'appel incident ont tous deux été rejetés, sans dépens. Notre Cour a, par la suite, accordé aux appelants l'autorisation de se pourvoir, et à l'intimé, le procureur général de l'Ontario, l'autorisation de former un pourvoi incident contre l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario: [1993] 1 R.C.S. ix.

II ‑ Décisions concernant les questions soulevées dans le pourvoi incident

Cour de district de l'Ontario

134 Bien que les appelants aient perdu au fond, le juge Whealy, invoquant le pouvoir discrétionnaire conféré par la règle 57.01(2) des Règles de procédure civile de l'Ontario, Règl. de l'Ont. 560/84 (ci‑après les «Règles»), a condamné l'intimé, le procureur général de l'Ontario, à payer aux appelants des dépens comme entre parties, pour essentiellement les motifs suivants:

1. L'affaire est distincte de celles où l'on a décidé de ne pas condamner aux dépens la partie obtenant gain de cause;

2. Le litige initial a été déclenché par l'action de l'État, accomplie par l'intermédiaire de l'intimée, la CAS;

3. La question est importante pour toute la province;

4. Le mode d'audition de l'appel est «quasi unique du fait que 18 nouveaux témoins ont été entendus sur une période de plusieurs semaines». En outre, l'affaire s'est déroulée «de la façon la plus inhabituelle et ardue pour tous les intéressés», aboutissant à un nouveau procès sur la foi d'une nouvelle preuve au niveau d'appel.

135 Bien qu'il ait condamné au dépens l'intimé, le procureur général de l'Ontario, le juge Whealy s'est néanmoins dit d'accord avec celui‑ci sur deux points. Premièrement, il a convenu que le procureur général de l'Ontario n'avait pas fait preuve de conduite répréhensible qui justifierait de condamner la partie ayant obtenu gain de cause à payer des dépens punitifs. Deuxièmement, il a convenu que le fait que les appelants soient des particuliers aux moyens modestes (même s'ils recevaient le soutien de leur église) et que le procureur général de l'Ontario dispose de ressources quasi illimitées n'était pas pertinent en matière d'attribution de dépens, car, autrement, il en résulterait une multitude de demandes marginales contre le ministère public. À cette fin, le juge Whealy a rappelé les remarques suivantes du juge Osler dans Canadian Newspapers Co. c. Attorney‑General of Canada (1986), 56 O.R. (2d) 240 (H.C.), à la p. 242: [traduction] «. . . il est tout aussi souhaitable que le ministère public ne soit pas traité comme une source de fonds intarissable de manière à encourager les demandes marginales».

Cour d'appel de l'Ontario (1992), 10 O.R. (3d) 321

136 Le juge Tarnopolsky a, au nom de la cour à la majorité, convenu avec le juge Whealy de la Cour de district que l'intimé, le procureur général de l'Ontario, avait obtenu gain de cause sur toute la ligne et qu'il n'avait fait preuve d'aucune «mauvaise conduite». En outre, a‑t‑il fait remarquer à l'instar du juge Whealy, les ressources dont disposaient les parties n'avaient rien à voir avec la décision relative aux dépens et, quoi qu'il en soit, aucune preuve n'a été produite quant aux ressources des appelants et de l'intimé.

137 De plus, le juge Tarnopolsky a souligné que, bien que le litige en question ait été déclenché initialement par l'action de l'État, cela ne constituait pas en soi un motif suffisant pour accorder aux appelants leurs dépens puisque, sur ce fondement, toute demande de dépens de la part d'une personne inculpée pourrait réussir. Toutefois, il a conclu que, comme les appelants s'étaient opposés à l'État en invoquant la liberté de religion, une «liberté fondamentale» garantie par l'al. 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés, cette affaire relevait de la règle 57.01(1)d) («l'importance des questions en litige») puisque la question soulevée était d'«importance pour toute la province», d'«importance nationale» et d'«importance internationale».

138 Le juge Tarnopolsky a aussi mentionné, sans la modifier, la conclusion du juge Whealy que l'affaire s'est déroulée «de la façon la plus inhabituelle et ardue pour tous les intéressés». De plus, il a ensuite fait les observations suivantes (aux pp. 355 et 356):

[traduction] Quoi qu'il en soit, l'affaire dont était saisi le juge Whealy de la Cour de district était complexe, et les auditions ont été très longues et ont constitué une sorte de nouveau procès. Le Procureur général soutient qu'on aurait dû tenir compte du fait que le juge de la Cour de district a conclu que le témoignage de deux des témoins des appelants n'était «pas très utile», que l'un des autres témoins «n'a pas fait avancer sensiblement l'une ou l'autre position soumise à la cour», et que deux autres témoignages étaient «sans pertinence». Toutefois, le juge Whealy, qui a entendu tous ces témoins, a néanmoins accordé des dépens aux appelants. Apparemment, bien qu'il n'ait pas préféré leur témoignage à ceux des intimés, il n'a pas considéré que la preuve des appelants était «irrégulière, vexatoire ou inutile» (règle 57.01(1)f)(i)) au point de supplanter les autres considérations. Je ne crois pas qu'une cour d'appel doive le critiquer après coup à cet égard.

139 Compte tenu des facteurs qu'il a identifiés, le juge Tarnopolsky a écarté l'argument de l'intimé suivant lequel l'ordonnance du juge Whealy sur les dépens encouragerait des demandes marginales de contestations constitutionnelles, ce qui, de toute façon, n'était pas le cas en l'espèce. Le juge Tarnopolsky a donc confirmé l'ordonnance du juge Whealy quant aux dépens et rejeté l'appel incident. Toutefois, il n'a accordé aucuns dépens quant à l'appel ou à l'appel incident interjeté devant la Cour d'appel de l'Ontario.

140 Le juge Goodman a souscrit aux motifs du juge Tarnopolsky, mais il s'est dit d'avis que la partie obtenant gain de cause ne devrait être condamnée aux dépens que dans des cas exceptionnels. Toutefois, comme il n'était pas convaincu qu'il ne convenait pas, dans cette affaire, d'accorder de tels dépens, il a décidé de ne pas [traduction] «intervenir dans le pouvoir discrétionnaire que le juge de la Cour de district a exercé en accordant des dépens aux appelants» (p. 356).

141 Dissident, le juge Houlden aurait accueilli l'appel incident pour le motif que la Loi sur les tribunaux judiciaires obligeait le procureur général de l'Ontario à intervenir dans les procédures afin de confirmer la validité de la loi en question et que, par ailleurs, il l'avait fait avec succès. À son avis, [traduction] «condamner aux dépens le Procureur général, dans ces circonstances, créerait un dangereux précédent» (p. 360).

142 Je remarque que mon collègue le juge La Forest tranche le pourvoi incident d'une manière semblable à celle qu'a adoptée le juge Goodman de la Cour d'appel. À la page 390 de ses motifs, il écrit:

L'ordonnance condamnant aux dépens le Procureur général qui, comme la Loi l'autorise à le faire, intervient, dans l'intérêt public, en faveur d'une partie qui soulève la question de la constitutionnalité d'une loi, paraît fort inhabituelle et ne devrait être permise que dans des cas très rares. Néanmoins, cette affaire paraît avoir soulevé des problèmes spéciaux et particuliers, et l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de district a reçu l'appui de la Cour d'appel. Je ne suis pas disposé à intervenir dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en l'espèce.

Je ne suis, cependant, pas d'accord avec cette conclusion pour les motifs qui suivent.

III ‑ Compétence

143 Lors de l'audience tenue devant nous, la question de la compétence de notre Cour pour intervenir dans l'exercice d'un pouvoir judiciaire discrétionnaire a été soulevée, et le par. 42(1) de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S‑26, a été examiné à cet égard. Le paragraphe 42(1) se lit ainsi:

42. (1) Ne sont pas susceptibles d'appel devant la Cour les jugements ou ordonnances rendus dans l'exercice d'un pouvoir judiciaire discrétionnaire, sauf dans les procédures de la nature d'une poursuite ou procédure en equity nées hors du Québec et sauf dans les procédures de mandamus.

Cependant, notre Cour a conclu, dans l'arrêt Pelech c. Pelech, [1987] 1 R.C.S. 801, à la p. 826 (le juge Wilson), que le par. 42(1) (alors le par. 44(1)) ne l'empêche pas d'intervenir dans le pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance s'il a commis une erreur en formulant les principes sur lesquels il a fondé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il s'agit d'une question de droit, à l'égard de laquelle le par. 42(1) ne s'applique pas. En outre, le par. 42(1) n'empêche pas notre Cour d'intervenir lorsque le pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance n'a pas été exercé judiciairement. Comme le juge Lamer (maintenant Juge en chef) l'indique, à la p. 1657 de l'arrêt R. c. Pringle, [1989] 1 R.C.S. 1645, l'art. 42 de la Loi sur la Cour suprême «ne vise [. . .] qu'à empêcher les parties de porter en appel une décision purement discrétionnaire» (je souligne).

144 Même s'il est vrai que les cours d'appel devraient, en général, respecter le pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance et ne pas intervenir à la légère dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, cette règle n'est pas absolue. Notre Cour a, à maintes reprises, conclu qu'elle était compétente pour intervenir dans l'exercice d'un pouvoir judiciaire discrétionnaire, si celui‑ci n'avait pas été exercé régulièrement. Par exemple, dans Société des Acadiens du Nouveau‑Brunswick Inc. c. Association of Parents for Fairness in Education, [1986] 1 R.C.S. 549, notre Cour a conclu que la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick était compétente pour accorder l'autorisation d'en appeler à une personne qui n'était cependant pas partie à l'action initiale et dont la demande était hors délai. Même s'il s'agissait là de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, celui‑ci pouvait faire l'objet d'un examen par notre Cour. Le juge Wilson s'exprime ainsi, au nom de la Cour, à ce sujet (à la p. 606):

Le concept d'un «exercice judiciaire du pouvoir discrétionnaire» semble comporter deux exigences préalables, savoir (1) que la question relève de la compétence de la cour et (2) que la cour prenne en considération tous les éléments pertinents. [Je souligne.]

145 Dans l'arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, le juge Beetz énonce, au nom de la Cour, aux pp. 155 et 156, les circonstances dans lesquelles une cour d'appel peut intervenir dans le pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance relativement aux arrêts de procédures et aux injonctions interlocutoires, en citant le passage suivant de l'arrêt unanime de la Chambre des lords Hadmor Productions Ltd. c. Hamilton, [1982] 1 All E.R. 1042, à la p. 1046 (lord Diplock):

[traduction] [La cour d'appel] peut annuler la décision rendue par le juge dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, soit pour le motif que cette décision repose sur une erreur de droit ou sur une interprétation erronée de la preuve produite devant lui ou sur une conclusion à l'existence ou à l'inexistence de certains faits, conclusion dont, bien qu'elle puisse avoir été justifiée par la preuve produite devant le juge, le caractère erroné peut être démontré par des éléments de preuve supplémentaires dont on dispose au moment de l'appel, soit pour le motif qu'après que le juge a rendu son ordonnance les circonstances ont changé d'une manière qui aurait justifié qu'il accède à une demande en modification de cette ordonnance. Puisque les raisons données par les juges pour accorder ou refuser des injonctions interlocutoires se révèlent parfois sommaires, il peut à l'occasion y avoir des cas où, bien qu'on ne puisse découvrir aucune conclusion erronée de droit ou de fait, la décision du juge d'accorder ou de refuser l'injonction est à ce point aberrante qu'elle doit être infirmée pour le motif qu'aucun juge raisonnable conscient de son obligation d'agir judiciairement aurait pu la rendre.

146 Dans l'arrêt Elsom c. Elsom, [1989] 1 R.C.S. 1367, notre Cour a examiné l'exercice par un juge du pouvoir discrétionnaire, que lui conférait une loi provinciale relative aux biens matrimoniaux, la Family Relations Act, R.S.B.C. 1979, ch. 121, d'ordonner un partage inégal des biens familiaux des époux à la dissolution de leur mariage. Bien que notre Cour ait conclu à l'unanimité que la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique avait commis une erreur en intervenant dans le pouvoir discrétionnaire du juge de première instance, le juge Gonthier fait les remarques suivantes qui sont particulièrement justes en l'espèce (aux pp. 1374 et 1375):

Les cours d'appel devraient avoir beaucoup d'hésitation à intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance. C'est lui qui a l'avantage d'entendre les parties et qui est le mieux placé pour apprécier l'équité d'une affaire. Cette Cour a souligné le principe de la non‑intervention dans plusieurs arrêts concernant la répartition de biens familiaux. Dans l'arrêt Harper c. Harper, [1980] 1 R.C.S. 2, la Cour est bien intervenue dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance, mais seulement parce que celui‑ci s'était fondé sur certaines considérations non pertinentes et que la Cour d'appel avait été induite en erreur par une des parties sur une question de preuve. Le juge en chef Laskin écrit au nom de la majorité à la p. 18:

(U)ne cour d'appel et particulièrement une cour de dernière instance doit habituellement éviter d'intervenir dans l'exercice par un juge de première instance des larges pouvoirs discrétionnaires prévus à l'art. 8 de la Family Relations Act . . .

Dans le même arrêt, le juge Estey au nom de la minorité, dissident seulement quant à la part que l'épouse devait avoir dans la résidence familiale, écrit à la p. 24:

Une cour d'appel doit avoir beaucoup de répugnance à modifier la décision d'un juge de première instance fondée sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Cependant, il existe des cas, et, pour les motifs que je viens d'exprimer, j'estime que le présent cas en est un, où la justice exige la révision d'une décision fondée sur l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire.

[traduction] Si un juge se fonde sur les principes applicables aux faits et tranche judiciairement, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, cette cour n'interviendra pas. Mais s'il appert qu'un juge s'est fondé sur des considérations erronées ou que sa décision est erronée au point de créer une injustice, la Cour peut et doit revoir les faits sur lesquels le jugement aurait dû être fondé. (Re Hull Estate, le juge d'appel Laidlaw, ([1943] O.R. 778 (C.A.)), à la p. 785.) [Je souligne.]

147 Dans une affaire subséquente, notre Cour s'est penchée sur la nature discrétionnaire de l'action directe en nullité prévue à l'art. 33 du Code de procédure civile du Québec, L.R.Q., ch. C‑25: Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326. Invoquant l'arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., précité, et adoptant les observations de lord Diplock dans Hadmor Productions Ltd. c. Hamilton, précité, le juge Gonthier écrit, à la p. 370:

Je précise qu'il ne faut pas confondre discrétion et arbitraire. Alors que l'arbitraire désigne le pouvoir exercé à sa guise, selon son bon vouloir, la discrétion elle, est assujettie, à certaines règles, même si elle écarte l'obligation stricte d'agir. Le juge saisi d'une action directe en nullité ne décide pas selon son bon plaisir ce qu'il lui plaît, mais doit exercer judiciairement son pouvoir de contrôle, bien se diriger en droit et respecter les principes qui s'appliquent. [Je souligne.]

148 Le pouvoir des cours d'appel d'intervenir dans le pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance est également bien reconnu en droit criminel (voir, notamment, R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670, à la p. 698 (le juge en chef Dickson); R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701, à la p. 856 (le juge Cory)).

149 Dans la même veine, bien que notre Cour ait souvent réitéré qu'une cour d'appel devrait se garder d'intervenir dans les conclusions de fait d'un juge de première instance, elle a également précisé qu'une cour d'appel peut et devrait intervenir si le juge de première instance a commis une erreur manifeste, s'il n'a pas tenu compte d'un élément de preuve déterminant ou pertinent, s'il a mal compris la preuve ou en a tiré des conclusions erronées. En d'autres termes, une cour d'appel peut intervenir dans le pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance de tirer des conclusions de fait si ce dernier ne l'exerce pas judiciairement. Voir: Toneguzzo‑Norvell (Tutrice à l'instance de) c. Burnaby Hospital, [1994] 1 R.C.S. 114, à la p. 121 (le juge McLachlin), et toute la jurisprudence qui y est citée, P. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141, aux pp. 188 et 189 (le juge L'Heureux‑Dubé), et toute la jurisprudence qui y est citée, N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247, aux pp. 1249 et 1250 (le juge Le Dain), Lewis c. Todd et McClure, [1980] 2 R.C.S. 694, aux pp. 700 et 701 (le juge Dickson (plus tard Juge en chef)), et Jaegli Enterprises Ltd. c. Taylor, [1981] 2 R.C.S. 2, à la p. 4 (le juge Dickson).

150 Dans l'arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, notre Cour s'est penchée sur l'opportunité de la décision de la Cour d'appel fédérale d'annuler la décision d'un juge des requêtes de la Section de première instance de la Cour fédérale de rejeter la demande de la société intimée visant à obtenir des ordonnances de la nature d'un certiorari et d'un mandamus qui auraient contraint le ministre des Transports et le ministre des Pêches et des Océans à respecter le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement fédéral, DORS/84‑467. Les appelants ont fait valoir, devant notre Cour, que la Cour d'appel fédérale avait commis une erreur en intervenant dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance. Le juge La Forest a, au nom de la Cour à la majorité, exprimé l'avis qu'une cour d'appel peut intervenir dans le pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance lorsqu'il «refus[e] de tenir compte d'un élément prépondérant en l'espèce» (à la p. 77, citant les propos du juge Beetz dans l'arrêt Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, à la p. 588). Le juge La Forest a donc conclu que la Cour d'appel fédérale n'avait pas commis d'erreur en intervenant dans le pouvoir discrétionnaire du juge de première instance, puisque ce dernier n'avait pas soupesé adéquatement les facteurs pertinents.

151 Les principes qui régissent le contrôle par une cour d'appel de l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un tribunal d'instance inférieure sont également exposés dans l'énoncé suivant du lord chancelier le vicomte Simon, dans Charles Osenton & Co. c. Johnston, [1942] A.C. 130, à la p. 138 (reproduit par le juge La Forest dans Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), précité, aux pp. 76 et 77):

[traduction] La règle relative à l'annulation par une cour d'appel d'une ordonnance rendue par un juge d'une instance inférieure dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire est bien établie, et tous les problèmes qui se présentent résultent seulement de l'application de principes déterminés à un cas particulier. Le tribunal d'appel n'a pas la liberté de simplement substituer l'exercice de son propre pouvoir discrétionnaire à celui déjà exercé par le juge. En d'autres termes, les juridictions d'appel ne devraient pas annuler une ordonnance pour la simple raison qu'elles auraient exercé le pouvoir discrétionnaire original, s'il leur avait appartenu, d'une manière différente. Toutefois, si le tribunal d'appel conclut que le pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon erronée, parce qu'on n'a pas accordé suffisamment d'importance, ou qu'on n'en a pas accordé du tout, à des considérations pertinentes comme celles que l'appelante a fait valoir devant nous, il est alors possible de justifier l'annulation de l'ordonnance. [Je souligne.]

152 Compte tenu de cette jurisprudence, je conclus qu'il est tout à fait conforme aux pouvoirs d'une cour d'appel et, par conséquent, à ceux de notre Cour d'intervenir dans l'exercice erroné du pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance. La jurisprudence indique clairement que, même si elle relève du pouvoir discrétionnaire judiciaire, l'attribution de dépens peut être contrôlée par une cour d'appel pour le motif, notamment, qu'elle est fondée sur des principes erronés ou une mauvaise compréhension de faits importants, ou parce qu'elle a été faite d'une manière non judiciaire. Voir également: 539618 Ontario Ltd. c. Stathopoulos (1992), 11 O.R. (3d) 364 (C.A.), à la p. 380 (le juge Osborne), Prodon c. Vickrey (1988), 31 C.P.C. (2d) 264 (B.R. Alb.), aux pp. 265 et 266 (le juge Matheson), Nolet c. Nolet (1985), 68 N.S.R. (2d) 370 (C.A.), à la p. 374 (le juge Macdonald), Smov Industrie Ceramiche S.P.A. c. Sole Ceramic Importing Ltd. (1983), 141 D.L.R. (3d) 672 (H.C. Ont.), à la p. 674 (le juge Parker), Andrews c. Andrews (1980), 120 D.L.R. (3d) 252 (C.A. Ont.), à la p. 259 (le juge Houlden), Kalesky c. Kalesky (1974), 51 D.L.R. (3d) 30 (C.A. Ont.), à la p. 32 (le juge en chef Gale), et Donald Campbell and Co. c. Pollak, [1927] A.C. 732 (H.L.).

153 Par ailleurs, en ce qui concerne les dépens, l'art. 47 de la Loi sur la Cour suprême confère expressément à la Cour suprême du Canada un large pouvoir discrétionnaire relativement aux ordonnances rendues en la matière par les tribunaux d'instance:

47. La Cour a le pouvoir discrétionnaire d'ordonner le paiement des dépens des juridictions inférieures, y compris du tribunal de première instance, ainsi que des frais d'appel, en tout ou en partie, quelle que soit sa décision finale sur le fond.

154 À mon avis, cette disposition résout la question de savoir si notre Cour a compétence pour contrôler les ordonnances en matière de dépens rendues par un tribunal d'instance. Elle a nettement compétence pour le faire. La question qui demeure, toutefois, est de savoir si, compte tenu des faits de la présente affaire, notre Cour devrait annuler l'ordonnance rendue en l'espèce sur les dépens, que la Cour d'appel de l'Ontario a déjà maintenue à la suite d'un appel incident antérieur.

IV ‑ Les dépens

155 Selon la règle qui s'applique depuis longtemps en la matière, des dépens sont généralement accordés à la partie qui obtient gain de cause, à moins d'une conduite répréhensible de sa part. Cette même partie s'attend donc raisonnablement à ce que ses dépens soient payés par la partie perdante. Cette règle repose sur le raisonnement selon lequel, si la partie perdante avait, au départ, accepté la position de la partie gagnante, celle-ci n'aurait engagé aucuns frais. Il n'est donc que logique que la partie qui a été jugée en tort soit prête à assumer les coûts d'un litige qui aurait pu être évité.

156 Mark M. Orkin formule ainsi la règle générale dans son ouvrage intitulé The Law of Costs (2e éd. 1993), aux pp. 2‑17 et 2‑18, par. 205.2:

[traduction] Avant l'adoption de [la règle 57.01 de l'Ontario] [. . .] il était bien établi que le demandeur qui avait entièrement gain de cause dans une action et qui n'était coupable d'aucune inconduite avait droit aux dépens, car il n'y avait aucune raison pour que la cour exerce son pouvoir discrétionnaire de l'en priver. La règle a également été appliquée lorsque la demande du demandeur était en grande partie accueillie. De même, un défendeur qui l'emporte a droit à ses dépens pour le même motif, c'est‑à‑dire qu'à première vue la partie perdante doit assumer les coûts de l'action. Lorsqu'il est impossible de dire si l'une ou l'autre partie a obtenu gain de cause, il ne devrait y avoir aucune attribution de dépens.

Cette règle de longue date est étayée par la jurisprudence. Voir, notamment, Downey c. Roaf (1873), 6 P.R. 89 (Chy. Cham.), à la p. 89 (le vice‑chancelier Blake); In Re Pattullo and The Corporation of the Town of Orangeville (1899), 31 O.R. 192 (H.C.), à la p. 197 (le juge en chef Armour); London & British North America Co. c. Haigh, [1922] 1 W.W.R. 172 (B.R. Sask.), à la p. 174 (le juge MacDonald); Hudson's Bay Co. c. Sjostrom, [1924] 3 W.W.R. 271 (B.R. Sask.), à la p. 271 (le juge MacDonald). Par exemple, dans l'arrêt Villeneuve c. Rur. Mun. Kelvington, [1929] 2 D.L.R. 919 (C.A. Sask.), à la p. 925, le juge Martin affirme:

[traduction] Si le demandeur qui vient faire valoir un droit a entièrement gain de cause et n'est coupable d'aucune inconduite, il n'y a aucune raison pour que la cour exerce son pouvoir discrétionnaire, et le demandeur a droit à ses dépens. Edmanson c. Chilie (1914), 7 S.L.R. 34; Cooper c. Whittingham (1880), 15 Ch. D. 501; Civil Service Co‑op Soc. c. Gen'l Steam Nav. Co., [1903] 2 K.B. 756; 23 Hals., p. 179, par. 324. Comme les demandeurs, en l'espèce, ont réussi à obtenir la réparation demandée [action en vue d'obtenir un jugement déclarant invalides une sentence et une évaluation fondée sur celle‑ci], et puisqu'ils n'ont été coupables d'aucune inconduite liée aux questions soulevées dans les procédures, ils ont droit aux dépens. [Je souligne.]

157 Cette règle n'est toutefois pas absolue. Orkin, par exemple, souligne ceci (The Law of Costs, op. cit., à la p. 2‑20, par. 205.2(2)):

[traduction] Le principe voulant que la partie qui obtient gain de cause ait droit à ses dépens vaut depuis longtemps et ne devrait être écarté que pour de très bonnes raisons.164 [Je souligne.]

____________________

164. Macfie c. Cater (1920), 57 D.L.R. 736 (C.S. Ont.), conf. par 64 D.L.R. 511 (Div. d'appel).

De plus, en Ontario, le par. 141(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires (maintenant l'art. 131) et les règles 57.01(1) et (2) des Règles, font nettement relever la question de l'attribution de dépens du pouvoir discrétionnaire des tribunaux et énoncent des directives régissant l'exercice de ce pouvoir:

[traduction] 141. -- (1) [Dépens] Sous réserve des dispositions d'une loi ou des règles de pratique, les dépens de l'instance ou d'une mesure prise dans le cadre de celle‑ci, et qui sont accessoires à l'instance ou à la mesure, ceux qui les paient et la part qui incombe à chacun relèvent du pouvoir discrétionnaire du tribunal.

57.01 (1) [Pouvoir discrétionnaire du tribunal] Dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'adjudication des dépens que lui confère l'article 141 [maintenant l'art. 131] de la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires, le tribunal peut prendre en considération, outre le résultat de l'instance et l'offre de transaction présentée par écrit:

a) le montant demandé dans l'instance et le montant obtenu;

b) le partage de la responsabilité;

c) le degré de complexité de l'instance;

d) l'importance des questions en litige;

e) la conduite d'une partie qui a eu pour effet d'abréger ou de prolonger inutilement la durée de l'instance;

f) une mesure prise dans l'instance qui:

(i) était irrégulière, vexatoire ou inutile,

(ii) l'a été par négligence, erreur ou prudence excessive;

g) la dénégation, par une partie, d'un fait qui aurait dû être reconnu ou son refus de reconnaître un tel fait;

h) l'opportunité de condamner aux dépens d'une ou de plusieurs instances, si une partie:

(i) a introduit des instances distinctes relativement à des demandes qui auraient dû être jointes dans une seule instance,

(ii) a séparé inutilement sa défense de celle d'une autre partie ayant le même intérêt ou s'est fait représenter par un procureur distinct;

i) les autres facteurs pertinents à la question des dépens.

(2) [Condamnation aux dépens d'une partie qui obtient gain de cause] Le fait qu'une partie obtienne gain de cause dans une instance ou dans une étape d'une instance n'empêche pas le tribunal de la condamner aux dépens, le cas échéant. [Je souligne.]

158 La règle 57.01(2) prévoit qu'une partie obtenant gain de cause peut se voir condamnée aux dépens, «le cas échéant». Par conséquent, la question dans le présent pourvoi incident est de savoir si, en l'espèce, il convient, en vertu de la règle 57.01(2), de condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause, en l'occurrence l'intimé, le procureur général de l'Ontario. Les motifs du juge Whealy de condamner ce dernier (alors un intervenant) aux dépens sont exposés succinctement dans l'extrait suivant de sa décision:

[traduction] De même, on a fait valoir qu'il n'y avait aucune inconduite justifiant de condamner la partie obtenant gain de cause à payer des dépens punitifs. Je suis entièrement d'accord avec cet argument.

Les appelants soutiennent qu'il importe de souligner que la Cour d'appel à la majorité a conclu que la question débattue en appel était d'importance pour toute la province et que le mode d'audition de l'appel était quasi unique du fait que 18 nouveaux témoins ont été entendus sur une période de plusieurs semaines, ce qui a presque eu pour effet de transformer la cour d'appel en un tribunal de première instance. On a souligné également que le litige avait été déclenché initialement par l'action de l'État, accomplie par l'intermédiaire de la société d'aide à l'enfance.

. . .

L'affaire s'est déroulée de la façon la plus inhabituelle et ardue pour tous les intéressés et je ne suis au courant d'aucune affaire où l'appel de premier niveau interjeté à l'encontre d'une décision d'un juge de première instance a emprunté ce détour pour finir par se transformer en ce qui équivaut à un nouveau procès fondé sur une nouvelle preuve. [Je souligne.]

159 Les appelants adhèrent à ces motifs et avancent devant nous les arguments suivants à l'appui de l'ordonnance de la Cour de district sur les dépens:

1. Les intérêts des parties ont été bien soupesés conformément au pouvoir discrétionnaire conféré par la règle 57.01, même en l'absence d'une inconduite grave;

2. L'importance de la question en litige et le contexte inhabituel de l'affaire étaient des facteurs à considérer en vertu de la règle 57.01;

3. Le procureur général de l'Ontario «a participé pleinement» à titre de partie à l'audience devant la Cour de district;

4. Le pouvoir discrétionnaire de la cour en matière de dépens contribue fortement à décourager les demandes sans fondement. En outre, le fait de condamner ici aux dépens le procureur général de l'Ontario ne déclenchera pas une avalanche d'autres ordonnances de cette nature contre le Procureur général;

5. Les procédures et le nombre de témoins appelés par l'intimé étaient exceptionnels, ce qui en fait des facteurs inhabituels;

6. La contestation constitutionnelle servait un intérêt public vital; et

7. Les appelants n'avaient d'autre choix que de s'adresser aux tribunaux pour faire trancher une question de droit public vitale qui mettait en cause les intérêts des enfants et des familles partout en Ontario. Les appelants n'avaient d'autre solution puisqu'ils ont été «écartés par le législateur» qui a fait la sourde oreille aux prétentions sur la Loi de 1984 sur les services à l'enfance et à la famille, qu'elles ont soumises à la législature de l'Ontario en février 1984.

160 En revanche, les arguments de l'intimé contre l'ordonnance rendue par la Cour de district, quant aux dépens, peuvent être résumés ainsi:

1. Seule l'inconduite grave peut justifier la condamnation aux dépens de la partie obtenant gain de cause;

2. Les ressources relatives des parties ne sont pas un facteur pertinent. Aucune preuve n'a été présentée concernant les ressources des appelants, et aucune preuve n'a donné à entendre que le procureur général de l'Ontario possède des ressources illimitées. Traiter le ministère public comme une source de fonds intarissable est contraire à l'ordre public et aura pour effet d'encourager les demandes marginales de contestations constitutionnelles;

3. Le fait que le litige puisse avoir été déclenché initialement par la CAS, un acteur de l'État, n'est pas une raison suffisante pour condamner aux dépens le procureur général de l'Ontario puisque la CAS a agi correctement pour protéger la vie d'une enfant en bas âge en vertu d'une mesure législative constitutionnelle;

4. La question en l'espèce ne revêtait aucune importance particulière au sens de la règle 57.01(1). Le cas échéant, toute contestation constitutionnelle ou autre litige soulevant une question de droit public justifierait que l'État soit condamné aux dépens, même lorsque ce dernier obtient gain de cause. Étant donné le nombre d'avis de questions constitutionnelles reçus chaque année, une telle décision risquerait d'imposer au gouvernement une lourde responsabilité financière, et elle constitue donc un «dangereux précédent»;

5. Le fait que la constitutionnalité de la Child Welfare Act ait été contestée pour le motif que cette loi violait la liberté de religion des appelants n'est pas non plus un motif suffisant pour condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause;

6. Il n'y avait rien d'«inhabituel» dans la présente affaire aux fins de l'attribution de dépens; et

7. Il ne convient pas en l'espèce, de condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause, en application de la règle 57.01(2).

161 Avant de me pencher plus spécifiquement sur les arguments respectifs des parties, je discuterai brièvement d'un facteur que le juge Whealy de la Cour de district a expressément considéré comme pouvant affecter l'attribution de dépens, celui des ressources relatives des parties. Le juge Whealy a indiqué, à juste titre selon moi, que ce n'était pas là un des facteurs dont il avait tenu compte en rendant sa décision. À cet égard, je remarque que la règle 57.01 de l'Ontario n'inclut pas les ressources dont disposent les parties parmi les facteurs dont les tribunaux doivent tenir compte en exerçant le pouvoir discrétionnaire en matière de dépens que leur confère l'art. 141 de la Loi. Orkin, discutant de l'opportunité de se fonder sur ce facteur, fait observer ceci (The Law of Costs, op. cit., à la p. 2‑32, par. 205.2(2)):

[traduction] Le fait que la condamnation aux dépens causerait un préjudice financier n'est pas suffisant pour écarter la règle normale voulant que les dépens suivent l'issue de la cause.

(Voir aussi: Wawrzyniak c. Jagiellicz (1988), 9 A.C.W.S. (3d) 175 (H.C. Ont.).) De plus, comme le souligne l'intimé, en l'espèce, il n'y avait aucune preuve relative aux ressources des appelants, ni aucune preuve donnant à entendre que le procureur général de l'Ontario possède des ressources illimitées. Quoi qu'il en soit, je le répète, les ressources dont disposent les parties ne devraient pas, en règle générale, constituer un facteur pertinent en matière d'attribution de dépens. Cela est particulièrement vrai à l'égard des prétendues «ressources illimitées» du procureur général de l'Ontario. À cet égard, les commentaires du juge Osler dans Canadian Newspapers Co. c. Attorney‑General of Canada, précité (à la p. 242), sont à propos dans le présent pourvoi:

[traduction] La loi mise en cause en l'espèce constitue de toute évidence une tentative de pondérer divers intérêts et, bien que son historique législatif fasse ressortir qu'une contestation était prévue, rien dans la loi ou dans les actions du Parlement ou du gouvernement du Canada n'appelle une telle attribution [de dépens sur la base avocat‑client, ou à tout le moins comme entre parties]. Bien qu'il soit souhaitable qu'une contestation de bonne foi ne soit pas découragée par la nécessité pour le requérant d'assumer tout le fardeau, il est tout aussi souhaitable que le ministère public ne soit pas traité comme une source de fonds intarissable de manière à encourager les demandes marginales. [Je souligne.]

162 Il est, à mon avis, contraire à l'ordre public de traiter automatiquement le Procureur général comme une source de fonds intarissable et de l'obliger, pour ce seul motif, à payer les frais de la partie adverse même s'il obtient gain de cause. Un tel résultat risquerait de déclencher une avalanche et d'encourager les demandes marginales de contestations constitutionnelles. Les considérations de principe qui militent contre les prétendues ressources illimitées du procureur général de l'Ontario comme motif de condamner aux dépens ce représentant du gouvernement sont d'autant plus solides que, comme l'intimé l'indique, le procureur général de l'Ontario reçoit, chaque année, un nombre croissant d'avis de questions constitutionnelles (plus de 400 en 1991). Le même raisonnement vaut, bien sûr, à l'égard du procureur général du Canada.

163 Je ne voudrais toutefois pas que l'on voie, dans ces propos, l'énonciation d'une règle absolue. Dans certains cas, le gouvernement sera contraint d'assumer les frais d'un litige particulier. Il en sera ainsi lorsqu'il est dans l'intérêt du gouvernement ou du public de voir une question tranchée par les tribunaux, notamment en ce qui concerne l'interprétation d'une loi, les décisions constitutionnelles d'importance particulière, etc. Toutefois, en général, dans ces cas, il est convenu à l'avance que les frais seront assumés par le gouvernement, indépendamment du résultat. C'est ce qui s'est produit dans l'arrêt Procureur général du Québec c. Labrecque, [1980] 2 R.C.S. 1057, où il s'agissait de déterminer (1) si la Cour provinciale du Québec ou un arbitre désigné en vertu de la convention collective étaient compétents pour rendre jugement sur une réclamation de 168 $ par un employé occasionnel du gouvernement du Québec, et (2) quelle était la nature de la relation contractuelle entre l'employé occasionnel et le gouvernement. L'appelant, le procureur général du Québec, avait accepté d'assumer les dépens, qu'il obtienne ou non gain de cause (voir p. 1086, le juge Beetz).

164 Dans l'arrêt Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, notre Cour a accordé l'autorisation de pourvoi en tenant pour acquis que le gouvernement appelant paierait les dépens de l'intimé en tout état de cause, puisque la validité de l'art. 32 de la Loi de 1971 sur l'assurance‑chômage, S.C. 1970‑71‑72, ch. 48, mod. par S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 150, art. 5, n'était plus en cause dans le pourvoi ([1990] 2 R.C.S. x, et Bulletin des procédures de la Cour suprême du Canada, le 16 novembre 1990, à la p. 2400 (les juges Wilson, Sopinka et McLachlin)). Voir également: Ministre de la Justice du Canada c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575, à la p. 598 (le juge Martland), et Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, aux pp. 384 et 385 (le juge Estey).

165 En outre, lorsque le litige aurait pu être abandonné n'eût été l'intérêt du public à ce que la question soit tranchée, même la partie qui obtient gain de cause peut être condamnée aux dépens, peu importe son statut et ses ressources. C'est également le cas lorsque l'intérêt public requiert que la cour tranche l'affaire malgré les intérêts limités des parties ou même l'insuffisance de leurs ressources. Voir, à ce propos: Coronation Insurance Co. c. Taku Air Transport Ltd., [1991] 3 R.C.S. 622, aux pp. 646 à 648 (le juge Cory), et Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374, aux pp. 444 à 448 (le juge L'Heureux‑Dubé).

166 Ainsi, il y a manifestement des cas où le gouvernement est tenu de payer les frais d'un litige donné, peu importe l'issue de celui‑ci. Toutefois, ces cas, qui demeurent des exceptions très limitées, sont en général décidés au moment où l'autorisation est accordée et sont fondés non pas sur les ressources relatives des parties, mais plutôt sur l'importance pour le gouvernement ou le public qu'une question donnée soit tranchée par les tribunaux, indépendamment du résultat du litige.

167 Vu ce qui précède et compte tenu des faits de la présente affaire, le juge Whealy de la Cour de district a eu raison de ne pas fonder son ordonnance en matière de dépens sur les ressources relatives des parties. J'adhère également à sa conclusion qu'il n'y a pas eu d'inconduite de la part du procureur général de l'Ontario.

168 Le procureur général de l'Ontario se fonde sur cette seconde conclusion pour soutenir que l'ordonnance du juge Whealy, quant aux dépens, était inappropriée pour le motif que seule l'inconduite justifie la condamnation aux dépens de la partie qui obtient gain de cause. Le procureur général de l'Ontario invoque, à l'appui de cette proposition, plusieurs décisions, dont l'arrêt Hartford c. Langdon Coach Lines Co. (1975), 10 O.R. (2d) 617 (H.C.). Dans cette affaire, le juge Lerner a conclu (à la p. 621) que, pour que la partie qui obtient gain de cause soit condamnée aux dépens, elle doit s'être mal conduite. Cette décision est toutefois antérieure à l'adoption de la règle 57.01(2) des Règles de l'Ontario. Dans la décision Wismer c. Javelin International Ltd. (1982), 38 O.R. (2d) 26 (H.C.), à la p. 34 (le juge Hughes), on donne également à entendre que l'inconduite de la partie qui obtient gain de cause justifie sa condamnation aux dépens, mais on ne va pas jusqu'à dire que l'inconduite est la seule raison de cette condamnation. Les arrêts Attorney-General of Quebec c. Cronier (1981), 23 C.R. (3d) 97 (C.A. Qué.), aux pp. 111 et 112 (le juge L'Heureux‑Dubé (maintenant juge de la Cour suprême du Canada)), et R. c. Pawlowski (1993), 20 C.R. (4th) 233 (C.A. Ont.), à la p. 237 (le juge Galligan), portaient sur la compétence inhérente des cours supérieures pour condamner le ministère public aux dépens dans des affaires criminelles. Toutefois, dans ces cas, contrairement au présent pourvoi qui est régi par la règle 57.01(2) de l'Ontario, il n'existait aucune loi applicable conférant aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de condamner la partie obtenant gain de cause à payer des dépens.

169 Compte tenu de ce qui précède et bien que ces affaires puissent nous instruire quant à la procédure normale en matière de dépens, elles ne sont guère utiles lorsqu'un régime législatif précise les critères qui régissent l'exercice du pouvoir judiciaire discrétionnaire, même en l'absence d'inconduite. La décision Carey c. The Queen, H.C. Ont., 13 septembre 1988 (inédit), à la p. 2, paraît être la seule fondée sur la règle 57.01(2), qui précise que la partie qui obtient gain de cause ne doit être condamnée aux dépens que si elle s'est mal conduite. Toutefois, dans l'arrêt B.C. (Govt.) c. Worthington (Can.) Inc. (1988), 29 B.C.L.R. (2d) 145, à la p. 164 (le juge Esson, à l'opinion duquel souscrivent les juges Carrothers et McLachlin (maintenant juge de la Cour suprême du Canada)), la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a conclu, conformément à la règle 57 des British Columbia Supreme Court Rules, qui est semblable à la règle 57.01(2) de l'Ontario, que la partie obtenant gain de cause pouvait être condamnée aux dépens, peu importe qu'il y ait eu ou non inconduite de sa part, en particulier lorsque la victoire est partagée.

170 Ainsi, suivant la jurisprudence, l'inconduite est un critère parmi de nombreux autres qu'un juge peut considérer pour déterminer la façon d'accorder des dépens. Cette conclusion est étayée par la règle 57.01(1), qui énonce expressément que la «conduite» n'est que l'un des facteurs dont il faut tenir compte pour rendre une ordonnance sur les dépens (voir l'al. e) en particulier, de même que les al. f), g) et h)). En conséquence, même en l'absence d'inconduite, un tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire de condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause, «le cas échéant», et les arguments contraires de l'intimé ne sauraient être retenus.

171 Cela étant dit, en vertu de la règle 57.01, le pouvoir judiciaire discrétionnaire de déroger à la règle générale pour accorder des dépens à la partie qui obtient gain de cause doit être exercé judicieusement et judiciairement. Il ne peut être exercé de façon arbitraire, capricieuse ou pour des motifs impropres. La question en l'espèce est de savoir si le juge Whealy de la Cour de district a eu raison de considérer comme pertinents des facteurs tels que le fait que le «litige a[. . .] été déclenché initialement par l'action de l'État», qu'il était «d'importance pour toute la province» et «quasi unique», de même que le fait que l'affaire «s'est déroulée de la façon la plus inhabituelle et ardue», et dans l'affirmative, si les faits de l'affaire peuvent justifier ses conclusions. En outre, en ce qui concerne les motifs de la Cour d'appel de l'Ontario, la nature «fondamentale» de la liberté constitutionnelle soulevée par les appelants en l'espèce justifiait‑elle que le procureur général de l'Ontario, qui avait obtenu gain de cause, soit condamné aux dépens? J'analyserai, à tour de rôle, chacun des facteurs susmentionnés, dont les tribunaux d'instance ont tenu compte pour rendre l'ordonnance sur les dépens présentement contestée, dans le but de déterminer s'ils étaient ici présents et si leur présence était suffisante pour conclure qu'il convenait de condamner aux dépens le procureur général de l'Ontario.

Une «action de l'État»

172 Selon les appelants, parce que le litige a été déclenché initialement par une «action de l'État», accomplie par l'intermédiaire de la CAS, le procureur général de l'Ontario n'agissait pas uniquement à titre d'intervenant, mais avait pris la relève de la CAS et du tuteur public intimés. Cela, à leur avis, était suffisant en soi pour maintenir l'ordonnance du juge Whealy quant aux dépens. Je ne suis pas d'accord.

173 Bien que le fait qu'une action de l'État ait déclenché un litige particulier puisse mériter d'être considéré en décidant de l'allocation des dépens, ce ne devrait pas être un facteur déterminant à cet égard. Premièrement, la règle 57.01 ne l'exige pas. Deuxièmement, conclure autrement pénaliserait injustement l'État, particulièrement lorsque, comme en l'espèce, il est expressément tenu d'agir. Dans la présente affaire, l'action de l'État a été déclenchée par le refus des appelants de consentir à ce que leur fillette subisse une transfusion sanguine dans des circonstances où, comme l'a conclu le juge Whealy, les médecins estimaient qu'une telle transfusion était nécessaire. La CAS avait, en vertu de la Child Welfare Act, l'obligation d'agir comme elle l'a fait lorsque l'état de Sheena B. a, de l'avis des médecins, nécessité une transfusion sanguine. C'est donc l'acte des parents appelants qui a initialement forcé la CAS à introduire l'instance. La CAS a agi pour protéger la vie et la santé d'un enfant en bas âge, comme l'exigeait la Child Welfare Act. Le fait que les parents aient alors contesté la constitutionnalité de cette loi ne justifie aucunement la condamnation aux dépens du procureur général de l'Ontario, qui était contraint d'intervenir pour défendre la constitutionnalité de la loi en question. Ce raisonnement s'appliquerait même si l'État était intervenu de sa propre initiative pour défendre la constitutionnalité de sa loi.

174 Les appelants ont contesté la constitutionnalité de la Child Welfare Act. Aux termes de l'art. 122 de la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires, un avis devait être signifié au procureur général de l'Ontario. Le paragraphe 122(4) de la Loi autorisait le procureur général de l'Ontario à présenter une preuve et des observations à l'égard de la contestation constitutionnelle. Le paragraphe 122(4) se lit ainsi:

[traduction] 122. . . .

. . .

(4) [Droit des procureurs généraux d'être entendus] Si le procureur général du Canada ou le procureur général de l'Ontario ont droit à un avis en vertu du présent article, ils ont le droit de présenter une preuve et des observations au tribunal à l'égard de la question constitutionnelle.

175 Les appelants soutiennent que le par. 122(5) de la Loi permet de conclure que, puisque le procureur général de l'Ontario est réputé partie à l'instance, il devrait payer les dépens. Le paragraphe 122(5) porte que:

[traduction] 122. . . .

. . .

(5) [Droit d'appel] Si le procureur général du Canada ou le procureur général de l'Ontario présentent des observations aux termes du paragraphe (4), ils sont réputés partie à l'instance aux fins d'un appel portant sur la question constitutionnelle. [Je souligne.]

À mon avis, rien dans le texte clair de l'art. 122 n'étaye l'argument des appelants. Bien que le procureur général du Canada et le procureur général de l'Ontario puissent présenter une preuve et des observations, ils ne sont pas vraiment parties au litige. Ils sont uniquement réputés parties aux fins d'un appel portant sur la question constitutionnelle. En fait, le par. 122(5) autorisait le procureur général de l'Ontario à interjeter un appel incident devant la Cour d'appel contre l'ordonnance du juge Whealy sur les dépens. En conséquence, l'art. 122 accorde au procureur général de l'Ontario le droit de participer pleinement en ce qui concerne la question constitutionnelle, sans nécessairement devenir une partie au sens usuel du terme. En outre, même si le procureur général de l'Ontario était partie à part entière à l'instance au sens usuel du terme, il ne serait pas automatiquement contraint de payer des dépens. Rien dans la Loi ou dans les Règles ne prescrit ni même n'implique un tel résultat.

176 Par ailleurs, l'art. 122 ne modifie pas la règle voulant qu'une partie, à qui l'on accorde le statut d'intervenant dans l'intérêt public, n'ait généralement pas droit aux dépens, ni ne les assume: Metropolitan Stores (MTS) Ltd. c. Manitoba Food and Commercial Workers, Local 832 (1990), 70 Man. R. (2d) 59 (B.R.), à la p. 61 (le juge Ferg). Cette règle générale est justifiée par le fait qu'un intervenant public qui a assisté le tribunal, tel que prévu, ne devrait pas avoir à assumer les dépens de l'instance. Comme le juge Davidson l'affirme, dans l'arrêt Hines c. Nova Scotia (Registrar of Motor Vehicles) (1990), 78 D.L.R. (4th) 162 (C.S.N.‑É., 1re inst.), à la p. 169:

[traduction] Nul doute qu'il existe des cas où une partie est ajoutée à titre d'amicus curiae et où l'attribution de dépens en faveur ou à l'encontre de l'intervenant serait inappropriée. Il n'y a pas de doute qu'il existe des situations où un intervenant est ajouté à titre de partie et où des dépens ne devraient pas être accordés. Cela dépendra du pouvoir discrétionnaire du tribunal qui prendra en considération toutes les circonstances, dont la question de savoir si l'intérêt de l'intervenant est public ou privé.

Lorsqu'une partie intervient dans l'intérêt public, mais qu'elle est sérieusement touchée par le résultat, des dépens peuvent lui être accordés si elle obtient gain de cause. C'était le cas des intervenants le Congrès du travail du Canada, la Fédération du travail de l'Ontario et le Syndicat national de la fonction publique provinciale, dans Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211 (aux pp. 303 (le juge Wilson) et 341 (le juge La Forest)). Si une partie intervient pour protéger ses propres intérêts, ou si elle est censée agir dans l'intérêt public, mais n'agit pas exclusivement dans cet intérêt, elle peut être condamnée aux dépens. C'est ce qui s'est produit dans l'affaire John Doe c. Ontario (Information & Privacy Commissioner) (1992), 7 C.P.C. (3d) 33 (C. Ont. (Div. gén.)), aux pp. 36 à 38 (le juge Steele), où l'Association canadienne des libertés civiles a été condamnée aux dépens.

177 Les appelants invoquent l'arrêt Schachter c. Canada, précité, à l'appui de la condamnation aux dépens d'un procureur général qui obtient gain de cause. Or, dans l'arrêt Schachter, c'est en fait la Reine qui a été condamnée aux dépens (à la p. 726 (le juge en chef Lamer)). Toutefois, ce qui importe le plus en distinguant l'arrêt Schachter de la présente affaire, c'est que, dans cet arrêt, le procureur général du Canada était une partie à part entière (appelant) et non un intervenant. Les intervenants dans cette affaire n'ont pas été tenus d'assumer les dépens (le procureur général de l'Ontario, le procureur général du Québec, le procureur général du Nouveau‑Brunswick, le procureur général de la Colombie‑Britannique, le procureur général de la Saskatchewan, le procureur général de l'Alberta, le procureur général de Terre‑Neuve et le Conseil de revendication des droits des minorités).

178 En l'espèce, le procureur général de l'Ontario est intervenu exclusivement dans l'intérêt public. Il est intervenu pour défendre la validité de la Child Welfare Act. En fait, il se peut que, sans l'intervention des procureurs généraux, les tribunaux n'aient guère, dans certains cas, d'assistance pour déterminer la constitutionnalité d'une loi, voire même dans de nombreux cas. Par conséquent, la règle générale voulant que des dépens ne soient pas accordés en faveur ou à l'encontre de la partie qui intervient dans l'intérêt public devrait s'appliquer, à moins que d'autres facteurs pertinents n'entrent en jeu.

179 Même s'il est vrai que le procureur général de l'Ontario a présenté une preuve et plaidé la constitutionnalité de la Child Welfare Act, il l'a fait conformément à la Loi sur les tribunaux judiciaires. C'est la Cour d'appel elle‑même qui a ordonné que l'affaire soit renvoyée pour un nouveau procès où une nouvelle preuve a été présentée régulièrement, et le juge Whealy n'a pas conclu qu'il s'agissait d'une mauvaise façon de procéder. Dans les contestations constitutionnelles, une telle preuve peut être cruciale pour permettre au tribunal de rendre une décision. En outre, lorsque la vie ou la mort d'un enfant dépend de la décision d'un juge, le témoignage de médecins experts est non seulement pertinent, mais encore souvent essentiel. C'était le cas en l'espèce sur ces deux aspects.

180 Le fait que l'État ait répondu à une contestation constitutionnelle, que ce soit à titre d'intervenant ou de partie au litige, en l'absence, comme c'est le cas ici, de toute impropriété, ne saurait justifier la condamnation aux dépens de la partie qui obtient gain de cause. En outre, ce facteur n'est pas au nombre de ceux qui doivent être considérés en application de la règle 57.01. Enfin, on imagine facilement l'avalanche qui serait déclenchée si l'action de l'État était un facteur à considérer dans la répartition des dépens. L'action de l'État existe dans la plupart des affaires criminelles et constitutionnelles notamment. En faire un facteur à considérer dans l'attribution de dépens imposerait à l'État un fardeau insupportable qui s'ajouterait aux millions de dollars déjà consacrés à l'aide juridique. De plus, cela créerait un moyen de contourner les normes d'aide juridique. Par conséquent, il y a lieu, en principe, de décourager un tel résultat.

L'importance de l'affaire

181 Les appelants soutiennent que l'importance pour toute la province ou l'importance nationale de cette affaire était un facteur qu'il convenait de considérer en condamnant aux dépens l'intervenant, le procureur général de l'Ontario.

182 La règle 57.01(1)d) précise que «l'importance des questions en litige» est un facteur dont le tribunal peut tenir compte en accordant des dépens (voir, par exemple, Janigan c. Harris (1989), 70 O.R. (2d) 5 (H.C.), à la p. 27 (le juge Bell Oyen)). Toutefois, comme le signale Orkin (The Law of Costs, op. cit., aux pp. 2‑31 et 2‑32, par. 205.2(2)), ce facteur semble être beaucoup plus pertinent quant à savoir simplement s'il y a lieu d'accorder des dépens, que quant à savoir s'il y a lieu de condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause:

[traduction] d) Autres affaires. Une action ou une requête peut être tranchée sans dépens dans les cas suivants: la question soulevée est nouvelle et les tribunaux ne l'ont jamais tranchée en supposant qu'il y a un avantage public à ce que le tribunal rende une décision; elle met en cause l'interprétation d'une loi nouvelle ou ambiguë, ou encore un point de pratique nouveau, incertain ou non réglé; aucun précédent n'a été établi par les tribunaux; aucune jurisprudence n'existe sur ce point; la demande concernait une question d'intérêt public et les deux parties ont agi en toute bonne foi; les deux parties ont utilisé les deniers publics; la pratique a été modifiée par une décision anglaise récente; l'affaire soulève des questions de fait difficiles et délicates; il s'agit d'une demande d'exemption d'évaluation foncière présentée par un organisme de bienfaisance; l'action est un cas type; ou il était souhaitable de régler un conflit dans la jurisprudence. [Notes en bas de page omises; je souligne.]

183 En outre, j'estime que la présente affaire n'est pas un «cas type». Par conséquent, ce facteur ne joue pas ici et ne saurait justifier la condamnation aux dépens du procureur général de l'Ontario qui a obtenu gain de cause. Quoi qu'il en soit, la jurisprudence privilégie la position suivant laquelle aucuns dépens ne devraient être accordés dans un «cas type» (voir, notamment, Poizer c. Ward, [1947] 4 D.L.R. 316 (C.A. Man.), à la p. 325 (le juge Bergman), et Orkin, The Law of Costs, op. cit., à la p. 2‑32, par. 205.2(2)).

184 De plus, il importe de rappeler que, tout en soulignant l'importance de la présente affaire et les conclusions du juge Whealy de la Cour de district concernant la question constitutionnelle, la Cour d'appel de l'Ontario a quand même décidé qu'il ne devrait y avoir aucune attribution de dépens quant à l'appel et à l'appel incident. Cette position de la Cour d'appel de l'Ontario est, à mon sens, quelque peu incompatible avec son hésitation à intervenir dans l'attribution de dépens faite par le juge Whealy.

185 Du reste, il ne m'apparaît pas que la présente affaire soulève vraiment des questions d'importance nationale suffisantes pour justifier la condamnation aux dépens d'un intervenant qui obtient gain de cause. Bien que la présente affaire ait en fait été présentée comme une contestation fondée sur la Charte, les parties ont elles‑mêmes convenu que la vie de l'enfant était en danger et qu'il y avait urgence, que la CAS avait le droit d'intervenir et que les transfusions sanguines étaient indiquées. Ainsi, la présente affaire a été véritablement tranchée en fonction des témoignages d'experts et de ses faits précis. La contestation constitutionnelle n'avait aucun fondement et n'aurait pu être fructueuse qu'en présence d'un tel contexte factuel.

186 En outre, il ne serait pas dans l'intérêt de la justice ni dans celui de l'administration de la justice de conclure que le fait qu'une affaire soulève une question d'importance nationale est suffisant en soi pour justifier la condamnation aux dépens d'une partie qui obtient gain de cause, en l'occurrence un intervenant. Si c'était le cas, les procureurs généraux risqueraient de devoir assumer les dépens dans tous les litiges soulevant d'importantes questions de droit, des questions constitutionnelles ou des questions d'intérêt public.

187 Enfin, le fait que les appelants aient soulevé une question relative à la Charte ne confère pas en soi une importance particulière à leur cas. Toutes les affaires sont importantes en soi. Elles sont importantes pour les parties, pour le public et pour le droit. Ce qu'il faut considérer, c'est ce qui rend une affaire suffisamment importante pour justifier un traitement spécial. Suivant les statistiques sur la gestion des instances du RIII de la Direction de l'élaboration des programmes du ministère du Procureur général de l'Ontario, la Cour de l'Ontario (Division provinciale), où le présent litige a pris naissance, a entendu, en 1992, 808 affaires mettant en cause des contestations liées à la Charte, et 836 en 1993. Ces chiffres parlent d'eux‑mêmes et appuient le fait qu'une contestation liée à la Charte n'est tout simplement pas suffisante en soi pour justifier la condamnation aux dépens de la partie qui obtient gain de cause.

188 Je conclus donc que le juge Whealy de la Cour de district a commis une erreur en exerçant le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par la règle 57.01(1), lorsqu'il a dit que l'importance nationale de l'affaire dont il était saisi justifiait de condamner aux dépens l'intervenant le procureur général de l'Ontario.

Contestation constitutionnelle

189 Le juge Tarnopolsky de la Cour d'appel a laissé entendre que la condamnation aux dépens du procureur général de l'Ontario pourrait être justifiée par le fait que les appelants se sont attaqués à l'État en invoquant la liberté de religion, une «liberté fondamentale» garantie par l'al. 2a) de la Charte. En toute déférence, je ne suis pas d'accord.

190 Même si on pouvait soutenir que la nature constitutionnelle de la contestation des appelants est visée par la règle 57.01(1)d) de l'Ontario, qui fait de l'«importance des questions en litige» un facteur pertinent pour accorder des dépens, cela ne signifie pas que le seul fait qu'un particulier allègue la violation d'une liberté ou d'un droit garantis par la Charte soit suffisant en soi pour entraîner une exception à la règle générale en matière de dépens. Conclure autrement signifierait que tous les accusés ou particuliers qui se fondent sur la Charte pour contester une loi auraient droit à ce que l'État soit condamné aux dépens. Le fait que le droit ou la liberté en question puissent être qualifiés de «fondamentaux» ou autrement n'a aucune incidence sur la question. Les règles générales, comme le principe selon lequel les parties qui perdent doivent assumer leurs propres dépens, ne sont pas invalidées du seul fait que des droits, mêmes «fondamentaux», soient invoqués par les parties, sauf peut‑être, comme nous l'avons vu précédemment, lorsque le gouvernement veut qu'une question relative à la Charte soit tranchée dans l'intérêt public. En l'espèce, toutefois, les principaux intérêts en jeu étaient ceux des appelants qui n'ont pas obtenu gain de cause.

191 En conséquence, je ne puis être d'accord avec le juge Tarnopolsky pour dire que, compte tenu de ses faits, la présente affaire soulevait des questions de nature fondamentale au point de justifier la condamnation aux dépens de l'intervenant, le procureur général de l'Ontario, qui a obtenu gain de cause.

La complexité de l'instance

192 La règle 57.01(1)c) de l'Ontario prescrit que le «degré de complexité de l'instance» est un facteur dont la cour peut tenir compte en accordant des dépens. L'un des motifs susceptibles de justifier l'attribution de dépens faite par le juge Whealy est exposé dans l'extrait suivant de sa décision:

[traduction] L'affaire s'est déroulée de la façon la plus inhabituelle et ardue pour tous les intéressés et je ne suis au courant d'aucune affaire où l'appel de premier niveau interjeté à l'encontre d'une décision d'un juge de première instance a emprunté ce détour pour finir par se transformer en ce qui équivaut à un nouveau procès fondé sur une nouvelle preuve. [Je souligne.]

Toutefois, le parcours «inhabituel» emprunté par ces procédures n'avait rien à voir avec l'intervenant. En fait, les procédures «inhabituelles» ont été ordonnées par la Cour d'appel de l'Ontario (les juges Grange et Krever, le juge Griffiths étant dissident) pour remédier aux erreurs commises par le juge Webb de la Cour de district. Donc, si quelqu'un doit assumer le blâme à cet égard, ce doit être la Cour d'appel de l'Ontario, et non l'intervenant.

193 L'intervenant dans l'instance avait simplement intérêt à faire confirmer la validité d'une mesure législative et à éviter la mort d'une enfant en bas âge. À cette fin, dans l'appel devant le juge Whealy de la Cour de district, le procureur général de l'Ontario a appelé six des huit témoins experts de l'intimée, la CAS, et contre‑interrogé les témoins experts des appelants. Rien dans le dossier n'indique que les appelants se soient opposés à l'interrogatoire de ces témoins par le procureur général de l'Ontario, ni que le juge Whealy ait conclu que ces témoignages n'étaient pas appropriés. Le fait que les procédures devant la Cour de district aient constitué un long nouveau procès où une nouvelle preuve a été produite, comme l'avait ordonné la Cour d'appel de l'Ontario, ne peut être une source de reproches envers le procureur général de l'Ontario et ne peut servir de fondement à l'ordonnance du juge Whealy. Tout au contraire, c'est le témoignage de deux témoins des appelants que le juge Whealy a jugé «pas très utile» et l'un de leurs autres témoins qui, selon le juge Whealy, «n'a pas fait avancer sensiblement» l'une ou l'autre position soumise à la cour. Les témoins du Procureur général n'ont fait l'objet d'aucun commentaire défavorable ou par ailleurs négatif. En conséquence, j'estime que la nature inhabituelle et la complexité des procédures ne peuvent aucunement fonder l'ordonnance du juge Whealy quant aux dépens compte tenu des faits de l'espèce.

194 De plus, il n'est pas évident, à mon sens, que les procédures de la présente affaire ont été véritablement inhabituelles. Certes, il se pourrait qu'elles aient été plus longues que ne l'avait peut‑être prévu le juge de la Cour de district. Au total, 18 témoins ont été appelés, dont dix par les appelants et huit par les intimés, la CAS et le tuteur public de Sheena B. Le procureur général de l'Ontario, alors intervenant, n'a appelé que six des huit témoins experts des intimés et a contre‑interrogé les témoins experts des appelants. L'appel devant la Cour de district s'est échelonné sur une période de 20 jours, en novembre et en décembre 1988, ce qui, toutefois, n'est pas inhabituel pour un procès, particulièrement lorsque l'expertise médicale est essentielle à la décision.

195 Par ailleurs, le procureur général de l'Ontario ne saurait être tenu responsable du fait que la Cour d'appel de l'Ontario a accueilli l'appel interjeté par les appelants contre la décision du juge Webb et renvoyé toutes les questions à la Cour de district. On ordonne la tenue d'un nouveau procès dans d'innombrables cas et les longues procédures sont loin d'être inhabituelles. Le fait que l'affaire se soit rendue à la Cour d'appel de l'Ontario, qui a alors ordonné un nouveau procès, ne saurait être qualifié d'«inhabituel» aux fins de la condamnation aux dépens de la partie qui obtient gain de cause, à savoir un intervenant.

196 Je ne vois donc pas comment le juge Whealy aurait pu en venir à la conclusion que la présente affaire s'est déroulée «de la façon la plus inhabituelle», sans aucune autre indication dans le dossier que le fait que l'audition a été longue et qu'elle a pris la forme d'un nouveau procès devant une juridiction d'appel. Si cela était inhabituel, ce ne l'était pas aux fins de l'attribution de dépens à un intervenant dont la conduite était irréprochable.

L'ensemble des facteurs

197 Aucun des facteurs énoncés par le juge Whealy pour justifier sa condamnation aux dépens de l'intervenant qui a obtenu gain de cause, en l'occurrence le procureur général de l'Ontario, ne tient eu égard aux faits de la présente affaire, ni n'est suffisant en soi pour justifier l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la cour de condamner aux dépens le procureur général de l'Ontario qui a obtenu gain de cause. L'autre facteur analysé par le juge Tarnopolsky ne suffit pas non plus pour justifier l'adjudication de dépens attaquée. Cela ne signifie pas que l'importance d'une affaire, sa complexité et la nature constitutionnelle d'une contestation ne pourraient jamais être des facteurs à considérer pour condamner aux dépens une partie qui obtient gain de cause. Ils peuvent l'être, «le cas échéant». À mon avis, ce n'est pas le cas en l'espèce. Même considérés ensemble, tous les facteurs dont les juges Whealy et Tarnopolsky ont tenu compte ne pourraient permettre en l'espèce une dérogation à la règle générale en matière de dépens. Conclure autrement, comme le juge Houlden l'a signalé, créerait un dangereux précédent, particulièrement à l'ère où de nombreux litiges fondés sur la Charte mettent en cause, dans une large mesure, les procureurs généraux provinciaux et fédéral en leur qualité d'intervenants de plein droit. Abstraction faite de facteurs non pertinents comme les ressources relatives des parties et l'inconduite ici, il n'y avait rien d'inhabituel dans la présente affaire aux fins de l'attribution de dépens. L'action de l'État et l'importance de l'affaire, découlant du seul fait que la constitutionnalité d'une mesure législative était contestée en fonction d'un droit fondamental garanti par la Charte, ne sont simplement pas des facteurs suffisants pour déclencher l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un tribunal de condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause, à savoir un intervenant de plein droit, en l'absence d'inconduite de sa part.

198 Je suis d'accord avec le juge Houlden lorsqu'il dit (à la p. 360):

[traduction] Puisque les appelants contestaient la constitutionnalité de la Child Welfare Act, l'art. 122 de la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires, L.O. 1984, ch. 11 (maintenant l'art. 109 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43), exigeait la signification d'un avis au procureur général de l'Ontario. Aux termes du par. 122(4), le Procureur général avait le droit de présenter à la cour une preuve et des observations relatives à la question constitutionnelle. Conformément à l'art. 122, les appelants ont signifié un avis au procureur général de l'Ontario. Ce dernier est intervenu pour défendre la validité de la mesure législative et il a réussi devant le juge Whealy à en faire confirmer la validité. À mon avis, condamner aux dépens le Procureur général, dans ces circonstances, créerait un dangereux précédent.

199 L'hésitation du juge Goodman à intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance, quoique peut‑être compréhensible en règle générale, n'était pas justifiée en l'espèce puisque les motifs du juge Whealy à cet égard n'étaient pas fondés sur des considérations pertinentes étant donné les circonstances de l'affaire.

200 À vrai dire, je ne puis m'empêcher d'avoir l'impression qu'à titre de juge siégeant en appel, le juge Whealy était mal à l'aise d'avoir à entendre l'affaire comme s'il était un juge de première instance. Sa référence à la longueur de l'affaire et au nombre de témoins, qui n'est aucunement inhabituelle en première instance, mais quelque peu inhabituelle en appel, m'a amenée à conclure que c'est principalement pour cette raison qu'il a accordé des dépens comme il l'a fait. Toutefois, comme je l'ai mentionné précédemment, cette tournure des événements n'a rien à voir avec le procureur général de l'Ontario, mais résulte de l'ordonnance rendue par la Cour d'appel de l'Ontario à la suite d'un appel interjeté par les appelants eux‑mêmes. Quoi qu'il en soit, il ne s'agirait pas d'un facteur pertinent en matière de dépens.

V‑ Conclusion

201 Notre Cour est compétente pour entendre une contestation de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire judiciaire lorsque ce pouvoir n'est pas exercé correctement. Quant à l'attribution de dépens, l'art. 47 de la Loi sur la Cour suprême accorde explicitement à la Cour un large pouvoir discrétionnaire à l'égard des ordonnances que les juridictions inférieures rendent en matière de dépens.

202 S'il est vrai que les tribunaux d'appel ne devraient pas, en général, intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un tribunal de première instance, cette règle n'est pas absolue. Les exceptions visent les cas où ce pouvoir discrétionnaire n'a pas été exercé judiciairement et judicieusement. Ce sont, notamment, les cas où des facteurs pertinents n'ont pas été considérés, où on a accordé un poids insuffisant ou excessif à des facteurs pertinents, où il y a eu inconduite, où la décision était capricieuse ou arbitraire, etc.

203 En ce qui concerne les dépens, la règle veut qu'ils soient généralement accordés à la partie qui obtient gain de cause, en l'absence d'inconduite de sa part. Cette règle n'est toutefois pas absolue elle non plus. La règle 57.01 des Règles de l'Ontario énumère une liste de facteurs (le montant demandé dans l'instance et le montant obtenu, la complexité de l'instance, l'importance des questions en litige, etc.) qu'un juge doit considérer dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en matière de dépens. Aux termes de la règle 57.01, même la partie qui obtient gain de cause peut être condamnée aux dépens, «le cas échéant». Toutefois, il ne convient pas en l'espèce de le faire, compte tenu de toutes les circonstances et en dépit du fait qu'il s'agissait d'une contestation de nature constitutionnelle fondée sur une liberté fondamentale garantie par la Charte. Le procès n'était pas inhabituel aux fins de l'attribution de dépens, l'intervention du procureur général de l'Ontario était légitime et aucune conclusion d'inconduite n'a été tirée à son sujet.

204 Le procureur général de l'Ontario et le procureur général du Canada ont le droit d'intervenir en pareils cas et le procureur général de l'Ontario est effectivement intervenu en l'espèce pour défendre la constitutionnalité de la Child Welfare Act. En l'absence d'inconduite et d'autres facteurs pertinents, le juge de première instance n'était pas justifié de condamner aux dépens le procureur général de l'Ontario qui a obtenu gain de cause au procès.

205 Pour ces motifs, je suis d'avis que le juge Whealy de la Cour de district a commis une erreur dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le par. 141(1) de la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires.

206 En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi incident, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario sur la question des dépens, de n'accorder aucuns dépens quant à l'appel devant la Cour de district et quant à l'appel principal et à l'appel incident devant la Cour d'appel de l'Ontario, le tout sans dépens.

//Le juge Sopinka//

Version française des motifs rendus par

207 Le juge Sopinka — J'ai lu les motifs de jugement rédigés en l'espèce par le Juge en chef et le juge La Forest, de même que ceux rédigés conjointement par les juges Iacobucci et Major. Quant au point soulevé par la première question constitutionnelle, je souscrirais au point de vue adopté par le juge Tarnopolsky de la Cour d'appel ((1992), 10 O.R. (3d) 321) qui s'est lui-même fondé sur les motifs du juge La Forest dans l'affaire R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284. Dans Jones, comme dans la présente affaire, il n'était pas nécessaire de déterminer si un droit à la liberté était en cause du fait que l'exigence préliminaire d'une violation des principes de justice fondamentale n'était pas remplie. À tout autre égard, je souscris aux motifs du juge La Forest. Je répondrais aux questions constitutionnelles et trancherais le pourvoi principal et le pourvoi incident comme il propose de le faire.

//Les juges Iacobucci et Major//

Version française des motifs des juges Cory, Iacobucci et Major rendus par

208 Les juges Iacobucci et Major — Nous avons lu les motifs du juge La Forest et nous souscrivons à sa conclusion qu'il n'y a eu aucune violation inconstitutionnelle des droits des appelants, qu'ils soient garantis par l'art. 7 ou par l'al. 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés. En toute déférence, cependant, nous ne pouvons nous fonder, comme il l'a fait, sur l'article premier de la Charte et sur les principes de justice fondamentale énoncés à l'art. 7 pour établir la constitutionnalité de la Child Welfare Act, R.S.O. 1980, ch. 66, depuis lors abrogée. Nous concluons plutôt que la catégorie de parents visés par le sous‑al. 19(1)b)(ix) de la Loi ne peut simplement pas jouir de la protection du droit à la liberté garanti à l'art. 7 ou de la liberté de religion consacrée à l'al. 2a) de la Charte. Nous jugeons donc que les appelants sont incapables de franchir la première étape d'une analyse fondée sur la Charte. Ainsi, il n'y a eu, au départ, aucune violation de la Constitution et, partant, il est inutile de maintenir une telle violation soit parce qu'elle respecte la justice fondamentale, soit parce qu'elle constitue une limite raisonnable dans une société libre et démocratique.

209 En vertu du par. 30(1) de la Child Welfare Act, la cour peut ordonner qu'un enfant soit confié aux soins ou à la garde de la société d'aide à l'enfance pour une période n'excédant pas 12 mois. Le paragraphe 30(1) ne s'applique que si la cour estime que l'enfant a «besoin de protection»: en d'autres termes, s'il tombe dans l'une des catégories établies à l'art. 19. En l'espèce, la disposition pertinente est le sous‑al. 19(1)b)(ix), puisque c'est en se fondant sur celui-ci que le juge Main de la Cour provinciale (Division de la famille) a déterminé que Sheena était [traduction] «une enfant ayant besoin de protection». Le sous‑alinéa (ix) se lit ainsi:

b) [traduction] «enfant ayant besoin de protection» désigne

. . .

(ix) l'enfant qui est sous la responsabilité d'une personne qui néglige ou refuse de fournir ou de procurer les soins ou les traitements médicaux, chirurgicaux ou autres reconnus qui sont nécessaires à la santé ou au bien‑être de l'enfant, ou qui refuse de permettre que ces soins ou traitements soient prodigués à l'enfant alors qu'ils sont recommandés par un médecin dûment qualifié, ou qui par ailleurs omet de protéger l'enfant adéquatement.

210 À cette fin, les parents ou tuteurs visés par le sous‑al. 19(1)b)(ix) seront ceux qui négligent ou refusent de fournir des soins médicaux à l'enfant dont ils ont la responsabilité lorsque ce traitement a été jugé nécessaire par un médecin dûment qualifié.

211 Il importe de garder à l'esprit que les dispositions contestées de la Child Welfare Act visent à promouvoir la santé, la sécurité et l'intégrité personnelle de l'enfant. À cette fin, bien que le présent pourvoi soulève des questions relatives au droit des parents d'éduquer leurs enfants sans influence indue de la part de l'État, il porte également sur le droit de l'enfant à la vie et à la sécurité de sa personne, que lui garantit l'art. 7. C'est cet aspect qui, à notre avis, fait défaut dans les motifs du juge La Forest. Voilà pourquoi, nous craignons que la décision de notre collègue crée une situation où le droit de l'enfant à la vie et à la sécurité de sa personne en sera réduit à une restriction de la capacité des parents, garantie par la Constitution, de refuser à leur enfant les choses nécessaires à la vie au nom de la liberté parentale et de la liberté de religion.

1. Article 7

212 Nous sommes d'avis que le droit à la liberté, consacré à l'art. 7, ne comprend pas un droit des parents de refuser à leur enfant un traitement médical jugé nécessaire par un professionnel de la santé. Bien que de portée vaste, la «liberté» au sens de l'art. 7 n'est certainement pas absolue. Notre Cour a conclu sans équivoque que «liberté» n'est pas synonyme d'absence totale de contrainte: R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713 (le juge en chef Dickson, aux pp. 785 et 786). Cette interprétation de la «liberté» découle de certains arrêts antérieurs de notre Cour, que le juge La Forest cite dans ses motifs. Ce ne sont pas toutes les activités individuelles qui devraient être immédiatement qualifiées d'exercice de «liberté», et, de ce fait, pouvoir, à première vue, bénéficier de la protection de la Constitution, sous réserve seulement de limites conformes à la justice fondamentale ou à l'article premier. Par exemple, dans l'arrêt R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, le juge Wilson fait remarquer (dans un passage cité par le juge La Forest dans ses motifs en l'espèce), à la p. 318:

John Stuart Mill décrit cela [la liberté] ainsi: [traduction] «rechercher notre propre bien, à notre façon». Nous devrions, pensait‑il, être libre de le faire «dans la mesure où nous ne tentons pas de priver les autres du leur, ni d'entraver leurs efforts pour y parvenir». [Nous soulignons.]

213 Il s'agit ici nettement d'un cas où le droit de Sheena à la liberté, à la sécurité de sa personne et peut‑être même à la vie, lui est nié. Il importe de signaler qu'il y a atteinte aux droits garantis à Sheena par l'art. 7, indépendamment de la question de savoir si les parents croient honnêtement que leur refus de consentir à la transfusion est dans l'intérêt de l'enfant, puisque ce refus vise, selon les appelants, à l'empêcher d'être [traduction] «souillée aux yeux de Dieu». Que les parents soient ou non bien intentionnés, les conséquences physiques pour Sheena du refus de la transfusion sanguine sont tout aussi néfastes.

214 Nous remarquons que le juge La Forest conclut que la «liberté» comprend le droit des parents de jouer un rôle dans l'éducation de leur enfant. En fait, la «liberté» peut très bien permettre aux parents de choisir entre différentes formes également efficaces de traitement médical pour leurs enfants, mais nous ne jugeons pas nécessaire de résoudre cette question ici, et cela, parce qu'à supposer, sans en décider, que la «liberté» ait une telle portée, elle ne va certainement pas jusqu'à protéger les appelants en l'espèce. L'article 7 ne permet simplement pas aux parents de passer outre au droit de l'enfant à la vie et à la sécurité de sa personne.

215 Quoi qu'il en soit, il y a une énorme différence entre sanctionner une certaine contribution à l'éducation d'un enfant et protéger le droit des parents de refuser à leur enfant le traitement médical qu'un professionnel juge nécessaire et pour lequel il n'existe aucune autre solution valable. Le droit de l'enfant à la vie ne doit pas être aussi totalement assujetti à la liberté des parents de prendre des décisions le concernant: Re R.K. (1987), 79 A.R. 140 (C. prov. (Div. fam.)), à la p. 147. À notre avis, la meilleure façon de garantir ce résultat est de considérer que l'exercice de la liberté parentale qui compromet sérieusement la survie de l'enfant n'est pas visé par l'art. 7.

216 Les motifs de notre collègue ouvrent la porte à la possibilité que l'on conclue à la violation des droits garantis à un tuteur par l'art. 7, si l'État prive ce dernier du droit de refuser un traitement médical à un enfant sous sa responsabilité, et si jamais ce refus n'est pas conforme à la justice fondamentale. En l'espèce, l'état de Sheena, bien que jugé grave, n'était pas suffisamment urgent pour empêcher la société d'aide à l'enfance de solliciter une ordonnance judiciaire de tutelle, de manière à respecter la justice fondamentale sur le plan procédural. Mais que ce serait‑il passé si Sheena avait été blessée dans un accident de voiture et si elle avait dû recevoir une transfusion sanguine immédiatement pour rester en vie? Même si ses parents avaient convenu que la transfusion était nécessaire et requise de toute urgence, leurs convictions personnelles les auraient probablement forcés à refuser le traitement à leur fille. À cet égard, l'exercice de la liberté parentale peut provoquer la mort de l'enfant.

217 Intuitivement, nous ne sommes pas portés à admettre que la «liberté parentale» peut permettre à un parent de refuser à un enfant un traitement médical jugé nécessaire, jusqu'à ce qu'un quelconque élément de justice fondamentale soit respecté sur le plan procédural. Bien qu'une personne puisse refuser des procédures médicales pour elle‑même, il en va autrement lorsqu'il s'agit de s'exprimer pour une autre personne, particulièrement lorsque cette dernière n'est pas en mesure d'exprimer sa propre volonté et, dans le cas de Sheena, ne l'a jamais fait. Les droits énoncés dans la Charte sont des droits individuels dont les enfants peuvent nettement se prévaloir dans leurs rapports avec l'État et avec d'autres personnes — peu importe qu'il s'agisse d'étrangers, d'amis, de parents, de tuteurs, ou encore du père ou de la mère.

218 La proposition voulant que les parents aient la capacité de refuser à leurs enfants des procédures médicales comme une transfusion sanguine dans des cas où cette transfusion est nécessaire pour préserver la santé de cet enfant est conforme au point de vue, qui n'a plus cours depuis longtemps, suivant lequel les parents ont une sorte de «droit de propriété» sur leurs enfants. De fait, au cours des dernières années, notre Cour a précisé que les parents doivent s'acquitter de leurs obligations dans «l'intérêt» de l'enfant: Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3; P. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141. La nature de la relation parent‑enfant doit donc dépendre non pas de la volonté personnelle du parent, mais plutôt de «l'intérêt» de l'enfant. Dans l'arrêt Young, précité, à la p. 47, le juge L'Heureux‑Dubé (sur la question de la garde en droit de la famille) fait le commentaire suivant:

Il [. . .] s'agit [. . .], en l'occurrence, [. . .] de devoir et d'obligation dans l'intérêt de l'enfant. [. . .] On ne saurait trop insister sur le fait que c'est dans l'optique de l'intérêt de l'enfant qu'il convient d'évaluer ces pouvoirs et responsabilités, car les «droits» d'un parent n'entrent pas en ligne de compte.

219 L'exercice des croyances des parents qui empiète outre mesure sur «l'intérêt» de l'enfant n'est pas protégé par le droit à la «liberté» prévu à l'art. 7. Conclure autrement risquerait de miner la capacité de l'État d'exercer sa compétence parens patriae légitime et compromettrait l'objectif de la Charte qui est de protéger les membres les plus vulnérables de la société. Au fur et à mesure que la société prend davantage conscience du fait que la famille est souvent un endroit très dangereux pour des enfants, la compétence parens patriae revêt une plus grande importance. Bien qu'il arrive que la famille doive être soustraite aux intrusions de l'État, la situation de Sheena est un cas où l'État devrait pouvoir intervenir aisément non seulement pour protéger l'intérêt public, mais également pour garantir la sécurité des enfants en bas âge qui ne peuvent pas encore exprimer leur volonté.

220 Il est clair que la Charte a pour objet, notamment, de protéger les citoyens contre l'ingérence gouvernementale. C'est pourquoi, comme l'a souligné notre collègue le juge La Forest, bien des droits garantis par la Charte ont été interprétés largement. En l'espèce, on a dit craindre que la réduction de la portée de la «liberté parentale» puisse enlever aux parents un recours constitutionnel si jamais l'État, sans procédure équitable ni justification de fond, décide arbitrairement de retirer un enfant d'un foyer. À notre avis, une façon plus appropriée d'atténuer cette possibilité serait de considérer un tel retrait comme une atteinte au droit à la liberté ou à la sécurité de l'enfant lui-même et non à celui du parent. En toute déférence, une telle méthode oblige l'État à exercer équitablement sa compétence parens patriae, tant sur le plan de la procédure que sur celui du fond, sans qu'il soit nécessaire que le droit à la «liberté», consacré à l'art. 7, soit élargi de manière à viser la situation où des parents mettent en danger la vie d'un enfant ou lui refusent un traitement médical nécessaire.

221 Bref, puisque nous jugeons que la décision des parents de refuser des soins médicaux est exclue de la portée de la «liberté», elle ne peut, au départ, jouir de la protection de la Charte.

222 Nous avons également lu les motifs du Juge en chef. Il restreindrait le droit à la liberté, garanti à l'art. 7, au contexte «judiciaire», plus précisément aux affaires criminelles. Il le limiterait à la dimension physique ou corporelle de la liberté, excluant ainsi de la portée de la «liberté» la contrainte psychologique et le traumatisme émotionnel. En toute déférence, nous ne jugeons pas nécessaire de nous prononcer sur une question aussi importante dans les présents motifs, d'autant plus que notre Cour n'a pas eu l'avantage d'entendre une argumentation complète sur les délimitations appropriées des droits protégés par l'art. 7 et des libertés garanties par l'art. 2. Nous sommes donc d'avis de remettre cette décision à une autre occasion où ces questions se poseront plus directement.

2. Alinéa 2a)

223 Les parents de Sheena ont, en vertu de la Constitution, le droit de manifester leurs croyances et de pratiquer leur religion, tout comme leur fille. Cette liberté constitutionnelle comprend le droit d'éduquer et d'élever leur enfant conformément aux principes de leur foi. En fait, jusqu'à ce que l'enfant ait atteint l'âge où elle sera en mesure de prendre elle‑même une décision sur ses propres croyances religieuses, ses parents peuvent décider de sa religion et l'élever en conformité avec celle‑ci.

224 La liberté de religion n'est toutefois pas absolue. Bien que le juge La Forest ait estimé que les restrictions de ce droit sont mieux analysées dans le cadre de l'article premier, nous sommes d'avis que le droit lui‑même doit être défini et que, même s'il convient de lui donner une définition large et souple, il doit avoir une limite. La conduite qui outrepasse cette limite n'est pas protégée par la Charte. Cette limite est atteinte dans les circonstances de la présente affaire.

225 Nous sommes d'avis que la question constitutionnelle devrait être la suivante: dans quelle mesure le droit à la vie et à la santé d'un enfant en bas âge peut‑il être subordonné au comportement dicté par les convictions religieuses d'un parent? Vu sous cet angle, nous concluons que les appelants ne jouissent pas de la protection de l'al. 2a) de la Charte puisque la liberté de religion d'un parent ne l'autorise pas à imposer à son enfant des pratiques religieuses qui menacent sa sécurité, sa santé ou sa vie.

226 Tout comme il existe des limites à la liberté d'expression (p. ex., l'al. 2b) ne protège pas les actes violents: R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, aux pp. 753 et 801; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, aux pp. 732 et 830), il y a également des limites à la portée de l'al. 2a), particulièrement lorsqu'on a recours à cette disposition pour préserver une activité qui menace le bien‑être physique et psychologique d'autrui. En d'autres termes, bien que la liberté de croyance puisse être vaste, la liberté d'agir suivant ces croyances est beaucoup plus restreinte, et c'est cette liberté qui est en cause en l'espèce. Dans les motifs de principe qu'il a rédigés, dans R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 337, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) souligne que la «liberté» n'existe pas dans l'absolu:

La liberté au sens large comporte l'absence de coercition et de contrainte et le droit de manifester ses croyances et pratiques. La liberté signifie que, sous réserve des restrictions qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l'ordre, la santé ou les m{oe}urs publics ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui, nul ne peut être forcé d'agir contrairement à ses croyances et à sa conscience. [Nous soulignons.]

227 Plus récemment, les membres de notre Cour ont reconnu les limites de l'al. 2a) comme moyen de justifier le contrôle des parents sur leurs enfants. Par exemple, en 1989, la Cour suprême a confirmé l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario dans R. c. Tutton and Tutton (1985), 18 C.C.C. (3d) 328 (confirmé sans analyse de l'al. 2a) de la Charte, [1989] 1 R.C.S. 1392). À la page 355, la Cour d'appel de l'Ontario conclut ceci:

[traduction] L'obligation imposée par la loi de fournir les choses nécessaires à la vie s'applique à tous les parents. Le parent qui sait que son enfant a besoin d'assistance médicale ne saurait affirmer à sa décharge, pour refuser de la lui procurer, que pareille assistance serait contraire à un précepte de sa propre foi. La liberté de conscience et de religion garantie par la Charte n'a rien à voir avec cette question. [Nous soulignons.]

228 En outre, dans l'arrêt encore plus récent de notre Cour P. (D.) c. S. (C.), précité, le juge L'Heureux‑Dubé (s'exprimant au nom de la majorité sur ce point) conclut, à la p. 182, que:

Comme la Cour l'a réitéré à maintes occasions, la liberté de religion, comme toute liberté, n'est pas absolue. Elle est limitée de façon inhérente par les droits et libertés des autres. Alors que les parents sont libres de choisir et de pratiquer la religion de leur choix, ces activités peuvent et doivent être restreintes lorsqu'elles contreviennent au meilleur intérêt de l'enfant, sans pour autant violer la liberté de religion des parents. [Nous soulignons.]

229 Le juge McLachlin a adopté une position semblable dans l'arrêt Young, précité, à la p. 122, rendu en même temps que l'arrêt P. (D.), précité:

Il est indubitable que la conduite qui comporte pour l'enfant un risque de préjudice ne serait pas protégée. Comme je l'ai souligné précédemment, l'expression et les commentaires à caractère religieux d'un parent qui sont jugés contraires à l'intérêt de l'enfant le seront souvent parce que celui‑ci risque d'en subir un préjudice. Si c'est le cas, il est clair que la garantie de liberté de religion ne peut offrir aucune protection.

230 Nous sommes également renforcés dans nos conclusions par la décision des tribunaux d'instance inférieure d'exclure de la protection de l'al. 2a) le refus des parents de consentir à ce que leurs enfants subissent une transfusion sanguine: Re D. (1982), 30 R.F.L. (2d) 277 (C. prov. Alb.); M. (R.E.D.) c. Director of Child Welfare (1986), 47 Alta. L.R. (2d) 380 (B.R.) (appel devant la Cour d'appel annulé et demande de rétablissement d'appel refusée (1988), 88 A.R. 346 (C.A.)), à la p. 395; Re R.K., précité.

231 Les appelants ont agi en tenant pour acquis que Sheena est de la même religion qu'eux et qu'elle ne saurait donc subir une transfusion sanguine. Pourtant, Sheena n'a jamais adhéré à la foi des témoins de Jéhovah ni, quant à cela, à aucune religion, en supposant qu'une telle adhésion serait valable. Il y a donc une atteinte à la liberté de conscience de Sheena, qui, pourrait‑on soutenir, comprend le droit de vivre assez longtemps pour faire son propre choix raisonné sur la religion à laquelle elle souhaite adhérer, de même que le droit de n'avoir aucune croyance religieuse. En fait, refuser à une enfant en bas âge des soins médicaux nécessaires pourrait empêcher cette enfant d'exercer ses droits constitutionnels, puisqu'il se peut qu'en raison des croyances de ses parents elle ne vive pas assez longtemps pour faire des choix sur les idées qu'elle aimerait exprimer, la religion qu'elle souhaiterait professer, ou les associations auxquelles elle souhaiterait adhérer. La «liberté de religion» ne devrait pas comprendre une activité qui nie aussi catégoriquement la «liberté de conscience» d'autrui. Le passage suivant des motifs du juge Dickson dans l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 346, vient renforcer notre conclusion:

Les valeurs qui sous‑tendent nos traditions politiques et philosophiques exigent que chacun soit libre d'avoir et de manifester les croyances et les opinions que lui dicte sa conscience, à la condition notamment que ces manifestations ne lèsent pas ses semblables ou leur propre droit d'avoir et de manifester leurs croyances et opinions personnelles. [Nous soulignons.]

232 En conclusion, nous sommes d'avis de confirmer la décision du juge de la Cour de district que l'al. 2a) ne protège pas la conduite qui empiète sur les droits à la vie et à la sécurité de la personne que l'art. 7 garantit à un enfant en bas âge.

3. Évaluation des conflits entre des droits individuels

233 Même s'il était possible d'intégrer bon nombre des droits opposés analysés en l'espèce dans une analyse fondée sur l'article premier, comme l'a fait le juge La Forest en statuant sur la présente affaire de même que dans l'arrêt R. c. Jones, précité, à la p. 297, nous ne croyons pas qu'il convient de le faire en l'espèce. Ce point de vue élève, au rang d'activité protégée par la Constitution, la décision de refuser à un enfant des soins médicaux nécessaires, en raison de convictions personnelles. En outre, il confère presque exclusivement à l'article premier la fonction de soupeser des droits divers. Bien que l'article premier puisse convenir pour évaluer les intérêts de l'État en fonction de la violation des droits de l'individu lésé, cette évaluation n'est pas nécessaire en l'espèce. Le n{oe}ud de l'évaluation se situe entre le droit de Sheena à la vie et à la sécurité de sa personne et le droit de ses parents à la liberté de religion. Nous ne sommes pas convaincus que l'article premier devrait être le seul instrument d'évaluation des libertés positives et négatives de deux individus. En outre, il convient de signaler que de nombreuses affaires relatives à la Charte, invoquées à l'appui d'une définition générale du droit à la liberté, impliquent manifestement un conflit entre des droits individuels et des intérêts de l'État, souvent dans le contexte du droit criminel: R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309; R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387. Ce n'est pas le cas en l'espèce. À cette fin, nous ne pouvons conclure que refuser aux appelants la protection de l'al. 2a) ou de l'art. 7 tronque indûment l'application de la Charte.

234 Dans l'arrêt Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211, aux pp. 320 et 321, le juge La Forest fait remarquer que, bien qu'il protège le droit à la liberté d'association, «on n'a sûrement pas voulu que l'al. 2d) [de la Charte] nous protège contre l'association avec autrui qui est une composante nécessaire et inévitable de l'appartenance à une société démocratique, dont il est clair que la Charte présuppose l'existence». Il fixe donc une limite à l'al. 2d). Si cet alinéa ne donne pas le droit de se dissocier d'associations qui font partie intégrante de la structure de la société, nous concluons par analogie que ni l'al. 2a) ni le droit à la liberté garanti par l'art. 7 n'autorisent les parents à mettre en danger la vie de leurs enfants. En toute déférence, étendre les garanties de droits substantiels à une telle activité les dénuerait de tout sens en raison de l'absence de définition. Il n'est pas nécessaire d'effectuer ce genre d'analyse seulement parce qu'il est évident en soi que la restriction d'un droit doit être maintenue si elle est conforme à la justice fondamentale ou à l'article premier.

4. Dispositif

235 Nous concluons que les dispositions contestées de la Child Welfare Act ne portent atteinte à aucun droit, au départ. Par ailleurs, nous sommes d'avis de trancher le pourvoi principal et le pourvoi incident de la manière proposée par le juge La Forest.

Pourvoi principal et pourvoi incident rejetés, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente quant au pourvoi incident.

Procureurs des appelants: W. Glen How & Associates, Halton Hills, Ontario.

Procureur de l'intimée la Children's Aid Society of Metropolitan Toronto: Heather L. Katarynych, Toronto.

Procureur de l'intimé le tuteur public de l'Ontario: Debra Paulseth, Toronto.

Procureurs de l'intimé le procureur général de l'Ontario: Janet E. Minor et Robert E. Charney, Toronto.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: Roslyn J. Levine, Ottawa.

Procureurs de l'intervenant le procureur général du Québec: Isabelle Harnois et Monique Rousseau, Ste‑Foy, Québec.

* Voir Erratum [2005] 2 R.C.S. iv.


Synthèse
Référence neutre : [1995] 1 R.C.S. 315 ?
Date de la décision : 27/01/1995
Sens de l'arrêt : Les pourvois principal et incident sont rejetés

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Droit à la liberté - Justice fondamentale - Parents opposés pour des motifs religieux à ce que leur enfant en bas âge reçoive une transfusion sanguine ‑ Tutelle de l'enfant accordée temporairement à la Children's Aid Society en application de la Child Welfare Act - Transfusion sanguine pratiquée sur l'enfant - Les dispositions de la Child Welfare Act portent‑elles atteinte au droit des parents de choisir un traitement médical pour leur enfant, contrairement à l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés? - Child Welfare Act, R.S.O. 1980, ch. 66, art. 19(1)b)(ix), 21, 27, 28(1), (10), (12), 30(1)2, 41.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Liberté de religion - Parents opposés pour des motifs religieux à ce que leur enfant en bas âge reçoive une transfusion sanguine -‑ Tutelle de l'enfant accordée temporairement à la Children's Aid Society en application de la Child Welfare Act - Transfusion sanguine pratiquée sur l'enfant - Les dispositions de la Child Welfare Act portent‑elles atteinte à la liberté de religion des parents? - Dans l'affirmative, cette atteinte est‑elle justifiée en tant que limite raisonnable? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2b) - Child Welfare Act, R.S.O. 1980, ch. 66, art. 19(1)b)(ix), 21, 27, 28(1), (10), (12), 30(1)2, 41.

Dépens — Pouvoir discrétionnaire judiciaire — Parents opposés pour des motifs religieux à ce que leur enfant en bas âge reçoive une transfusion sanguine ‑ Tutelle de l'enfant accordée temporairement à la Children's Aid Society en application de la Child Welfare Act — Rejet par un juge de la Cour de district de l'appel des parents et condamnation aux dépens du procureur général intervenant — L'ordonnance relative aux dépens devrait‑elle être écartée?

S.B. est née quatre semaines avant terme. Au cours des premières semaines de sa vie, elle a reçu, afin de remédier à de nombreux troubles physiques, plusieurs traitements médicaux auxquels ses parents, les appelants, ont consenti. Ces derniers ont demandé aux médecins traitants de ne procéder à aucune transfusion sanguine, parce qu'en tant que témoins de Jéhovah ils s'y opposaient pour des motifs religieux; ils soutenaient également qu'une telle procédure n'était pas nécessaire. Un mois après sa naissance, le taux d'hémoglobine de S.B. a chuté à tel point que les médecins traitants ont craint pour sa vie et ont estimé qu'il pourrait être nécessaire de procéder à une transfusion sanguine pour traiter une insuffisance cardiaque globale qui risquait d'être fatale. À la suite d'une audience tenue après que les appelants eurent été avisés à la dernière minute, la Cour provinciale (Division de la famille) a accordé une tutelle de 72 heures à la société d'aide à l'enfance intimée. Lors d'une instance en révision du statut de l'enfant, deux médecins ont témoigné que, malgré son amélioration, l'état de santé de l'enfant était encore précaire, et qu'ils souhaitaient demeurer en mesure de pratiquer une transfusion en cas d'urgence. Le chef du département d'ophtalmologie de l'hôpital a témoigné qu'il redoutait que l'enfant soit atteinte de glaucome infantile et doive subir une chirurgie exploratoire dans les semaines suivantes afin de confirmer le diagnostic. Cette procédure nécessitait une anesthésie générale et un autre médecin a témoigné qu'une transfusion sanguine serait nécessaire. La tutelle a été prolongée pour une période de 21 jours. S.B. a reçu une transfusion sanguine dans le cadre de l'examen et de l'opération pour le glaucome redouté. Une seconde ordonnance de la Cour provinciale a ensuite mis fin à la tutelle de l'intimée, et l'enfant a été rendue à ses parents. Les appelants ont interjeté appel contre les deux ordonnances devant la Cour de district qui a rejeté l'appel et condamné aux dépens le procureur général de l'Ontario qui était intervenu dans l'instance. La Cour d'appel a rejeté l'appel des appelants ainsi que l'appel incident du procureur général de l'Ontario sur la question des dépens. Le présent pourvoi vise à déterminer si le sous‑al. 19(1)b)(ix) de la Child Welfare Act de l'Ontario, qui définit l'expression «enfant ayant besoin de protection», ainsi que les pouvoirs conférés à l'al. 30(1)2 et à l'art. 41, et les procédures énoncées aux art. 21 et 27 et aux par. 28(1), (10) et (12), privent les parents du droit de choisir un traitement médical pour leurs enfants en bas âge, contrairement à l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, ou s'ils portent atteinte à la liberté de religion que garantit aux appelants l'al. 2a) de la Charte, et, dans l'affirmative, si cette atteinte est justifiable en vertu de l'article premier de la Charte. La question soulevée dans le pourvoi incident est de savoir si la Cour de district a commis une erreur en condamnant aux dépens le procureur général de l'Ontario.

Arrêt (le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente quant au pourvoi incident): Les pourvois principal et incident sont rejetés.

1. Pourvoi principal

Article 7

Les juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Gonthier et McLachlin: La liberté garantie à l'art. 7 de la Charte n'est pas synonyme d'absence totale de contrainte. La liberté de l'individu de faire ce qu'il entend doit, dans toute société organisée, être assujettie à de nombreuses contraintes au nom de l'intérêt commun. L'État a certes le droit d'imposer de nombreuses formes de restrictions au comportement individuel et ce ne sont pas toutes les restrictions qui feront l'objet d'un examen fondé sur la Charte. D'autre part, la liberté ne signifie pas simplement l'absence de toute contrainte physique. Dans une société libre et démocratique, l'individu doit avoir suffisamment d'autonomie personnelle pour vivre sa propre vie et prendre des décisions qui sont d'importance fondamentale pour sa personne.

Les droits d'éduquer un enfant, de prendre soin de son développement et de prendre des décisions pour lui dans des domaines fondamentaux comme les soins médicaux, font partie du droit à la liberté d'un parent. La common law reconnaît depuis longtemps que les parents sont les mieux placés pour prendre soin de leurs enfants et pour prendre toutes les décisions nécessaires à leur bien‑être. Cette reconnaissance est fondée sur la présomption que les parents agissent dans l'intérêt de leur enfant. Bien que la philosophie qui sous‑tend l'intervention de l'État ait évolué au fil des ans, la plupart des lois contemporaines en matière de protection des enfants et, en particulier, la Loi de l'Ontario, tout en mettant l'accent sur l'intérêt de l'enfant, favorisent une intervention minimale. Au cours des dernières années, les tribunaux ont fait preuve d'une certaine hésitation à s'immiscer dans les droits des parents et l'intervention de l'État n'a été tolérée que lorsqu'on en avait démontré la nécessité, ce qui confirme que le droit des parents d'élever, d'éduquer et de prendre soin de l'enfant, notamment de lui procurer des soins médicaux et de lui offrir une éducation morale, est un droit individuel d'importance fondamentale dans notre société.

Bien que les parents aient des responsabilités envers leurs enfants, ils doivent jouir de droits corrélatifs de s'en acquitter, étant donné l'importance fondamentale du choix et de l'autonomie personnelle dans notre société. Quoique ce droit à la liberté ne soit pas un droit parental équivalent à un droit de propriété sur les enfants, notre société est loin d'avoir répudié le rôle privilégié que les parents jouent dans l'éducation de leurs enfants. Ce rôle se traduit par un champ protégé de prise de décision par les parents, fondé sur la présomption que ce sont eux qui devraient prendre les décisions importantes qui touchent leurs enfants parce qu'ils sont plus à même d'apprécier ce qui est dans leur intérêt et que l'État n'est pas qualifié pour prendre ces décisions lui‑même. Même si l'État peut intervenir lorsqu'il considère nécessaire de préserver l'autonomie ou la santé de l'enfant, cette intervention doit être justifiée.

Bien que les enfants bénéficient indéniablement de la protection de la Charte, plus particulièrement en ce qui concerne leur droit à la vie et à la sécurité de leur personne, ils ne sont pas en mesure de faire valoir ces droits et notre société présume donc que leurs parents exerceront leur liberté de choix d'une manière qui ne violera pas les droits de leurs enfants. Si l'on considère la multitude de décisions que les parents prennent tous les jours, il est évident qu'en pratique l'intervention de l'État visant à soupeser les droits des parents et ceux des enfants n'aura lieu que dans des cas exceptionnels. L'État peut à bon droit intervenir dans les cas où le comportement des parents ne respecte pas la norme minimale socialement acceptable, mais ce faisant, il restreint les droits constitutionnels des parents plutôt que de défendre les droits constitutionnels des enfants.

En l'espèce, l'application de la Loi a privé les appelants de leur droit de décider quel traitement médical devrait être administré à leur enfant, et la Loi a donc enfreint la «liberté» parentale garantie à l'art. 7 de la Charte. Cette privation était toutefois conforme aux principes de justice fondamentale. La common law reconnaît depuis longtemps le pouvoir de l'État d'intervenir pour protéger l'enfant dont la vie est en danger et pour promouvoir son bien‑être, en fondant cette intervention sur sa compétence parens patriae. La protection du droit de l'enfant à la vie et à la santé est un précepte fondamental de notre système juridique et toute mesure législative adoptée à cette fin est conforme aux principes de justice fondamentale, dans la mesure où elle satisfait également aux exigences de la procédure équitable. Malgré sa large portée, le sous‑al. 19(1)b)(ix) de la Loi est compatible avec une conception moderne de la vie qui englobe celle de la qualité de vie. La procédure générale établie dans la Loi est conforme aux principes de justice fondamentale. Les parents doivent recevoir un préavis raisonnable de l'audience au cours de laquelle leurs droits pourront être touchés. En outre, l'ordonnance de tutelle qui prive les parents du droit de refuser un traitement médical pour leur enfant est rendue par un juge à la suite d'une procédure contradictoire où des éléments de preuve opposés peuvent être présentés. Le fardeau de la preuve incombe à la société d'aide à l'enfance, et les tribunaux ont reconnu qu'elle doit présenter une preuve solide. Enfin, l'ordonnance initiale accordant la tutelle à la société d'aide à l'enfance doit être révisée avant son expiration.

Le préavis que les parents ont reçu de l'audience relative à la tutelle était raisonnable compte tenu des circonstances, et l'ordonnance initiale de tutelle a été limitée à 72 heures afin de permettre aux parties de revenir avec une preuve supplémentaire. En outre, bien que les appelants aient été incapables de présenter une preuve médicale contradictoire lors de l'audience initiale, ils ont néanmoins été représentés par un avocat qui a contre‑interrogé les témoins appelés par la société d'aide à l'enfance et présenté des arguments.

Les juges Cory, Iacobucci et Major: Il y a lieu de considérer que l'exercice de la liberté parentale qui compromet sérieusement la survie de l'enfant n'est pas visé par l'art. 7 de la Charte. Bien que le droit à la «liberté», consacré à l'art. 7, puisse comprendre le droit des parents de jouer un rôle dans l'éducation de leur enfant et qu'en fait il puisse très bien permettre aux parents de choisir entre différentes formes également efficaces de traitement médical pour leurs enfants, il ne comprend pas un droit des parents de refuser à leur enfant un traitement médical jugé nécessaire par un professionnel de la santé et pour lequel il n'existe aucune autre solution valable. Le droit de l'enfant à la vie ne doit pas être aussi totalement assujetti à la liberté des parents de prendre des décisions le concernant. Bien qu'une personne puisse refuser des procédures médicales pour elle‑même, il en va autrement lorsqu'il s'agit de s'exprimer pour une autre personne, particulièrement lorsque cette dernière n'est pas en mesure d'exprimer sa propre volonté. Les parents doivent s'acquitter de leurs obligations dans «l'intérêt» de l'enfant. L'exercice des croyances des parents qui empiète outre mesure sur cet intérêt n'est pas protégé par le droit à la liberté prévu à l'art. 7. Cet article ne permet simplement pas aux parents de passer outre au droit de l'enfant à la vie et à la sécurité de sa personne. Conclure autrement risquerait de miner la capacité de l'État d'exercer sa compétence parens patriae légitime et compromettrait l'objectif de la Charte qui est de protéger les membres les plus vulnérables de la société.

Le juge en chef Lamer: Le droit à la liberté protégé par l'art. 7 de la Charte n'a pas été violé en l'espèce parce qu'il n'inclut ni le droit des parents de choisir (ou de refuser) un traitement médical pour leurs enfants, ni, d'une façon plus générale, celui d'élever ou d'éduquer leurs enfants sans ingérence indue de la part de l'État. Bien qu'important et fondamental à l'intérieur du concept plus général de l'autonomie ou de l'intégrité de l'unité familiale, ce type de liberté parentale ne relève pas du champ d'application de l'art. 7. Par l'inclusion de l'expression «droit à la liberté» à l'art. 7, les rédacteurs de la Charte n'ont pas voulu protéger la «liberté» dans son sens le plus large ou dans toutes ses dimensions. Le droit à la liberté garanti par l'art. 7 n'est pas, au sens de la Charte, une liberté fondamentale de l'individu; c'est un droit fondamental qui ne peut être restreint qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. Le texte de la disposition, sa structure, le contexte dans lequel elle s'insère, le rapport qui peut exister entre elle et les autres dispositions, de même que le contexte historique de l'adoption de la Charte sont tous des éléments qui doivent être pris en considération lors de la recherche de l'objet d'un droit ou d'une liberté protégés afin de préserver la cohérence de l'ensemble du texte constitutionnel et de conserver l'intégrité de l'intention du législateur. Les principes de justice fondamentale constituent un modificatif du droit de ne pas se voir porter atteinte à sa vie, à sa liberté et à la sécurité de sa personne, et servent donc à établir les paramètres de ces intérêts. Les principes de justice fondamentale étant des éléments qui relèvent essentiellement du système d'administration de la justice, le type de liberté visé par l'art. 7 doit être celui qui peut être retiré ou restreint par une cour de justice ou par un autre organisme auquel l'État confie un pouvoir de coercition permettant d'assurer le respect de ses lois. Par conséquent, l'art. 7 doit viser le comportement de l'État lorsque celui‑ci intervient par des forces répressives pour assurer l'application et le respect des lois ou lorsqu'il invoque la loi pour priver une personne de sa liberté par l'entremise des juges, magistrats, ministres, commissaires, etc.

La nature de l'ensemble des droits garantis par l'art. 7 et la relation étroite établie entre ces droits et les principes de justice fondamentale commandent que cette protection constitutionnelle soit reliée à la dimension physique du terme «liberté», laquelle peut être perdue par l'intervention du système juridique. Dans la majorité des cas, cette protection est donc spécifique à notre système de justice criminelle ou pénale et déclenchée principalement par son intervention. On trouve à l'art. 2 les libertés expressément reconnues et qualifiées de fondamentales par la Charte. Si l'article 7 devait inclure tout type de liberté, pourvu qu'elle puisse être qualifiée de fondamentale, l'on pourrait se questionner sérieusement sur la pertinence et la raison d'être de l'art. 2. La nature des autres droits énoncés à l'art. 7 est un autre élément d'interprétation qui milite en faveur d'une distinction entre la portée du terme «liberté» utilisé aux art. 2 et 7. Puisque les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne sont trois droits distincts que les rédacteurs ont sciemment intégrés, l'un à la suite de l'autre, à l'intérieur d'une seule et même disposition, il doit exister entre eux un lien ou un point commun. Le point de rattachement se situe au niveau de la personne elle‑même en tant qu'entité corporelle, par opposition à son esprit, ses aspirations, sa conscience, ses croyances, sa personnalité ou, plus généralement, l'expression ou la réalisation de ce qui compose son identité immatérielle. Le droit à la liberté, dans ce contexte, doit donc être opposé à l'emprisonnement, à la détention ou à toute forme de contrôle ou de contrainte sur la liberté de mouvement. Par ailleurs, élargir la portée du terme «liberté» de l'art. 7 pour y inclure tout type de liberté pourrait signifier qu'une grande partie des dispositions législatives en vigueur pourraient être contestées pour le motif qu'elles portent atteinte à ce droit à la liberté. Il appartiendrait alors aux tribunaux de décider, dans chaque cas, si la liberté invoquée constitue ou non une liberté fondamentale de notre société libre et démocratique, si la restriction est conforme aux principes de justice fondamentale, ou encore si la restriction est raisonnable et peut se justifier dans le cadre d'une société libre et démocratique. Ce faisant, le pouvoir judiciaire se trouverait inévitablement à légiférer alors que tel n'est pas son rôle.

Le juge Sopinka: Il n'est pas nécessaire de déterminer si un droit à la liberté est en cause en l'espèce du fait que l'exigence préliminaire d'une violation des principes de justice fondamentale n'est pas remplie. Les motifs du juge La Forest sont acceptés à tout autre égard.

Alinéa 2a)

Les juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier et McLachlin: Le droit des parents d'éduquer leurs enfants selon leurs croyances religieuses, dont celui de choisir les traitements médicaux et autres, est un aspect fondamental de la liberté de religion garantie à l'al. 2a) de la Charte. Bien que l'objet de la Loi, la protection de l'enfant, ne porte pas atteinte à la liberté de religion des appelants, le régime législatif qu'elle met en {oe}uvre et qui aboutit à une ordonnance de tutelle privant les parents de la garde de leur enfant a gravement porté atteinte à leur droit de choisir un traitement médical pour leur enfant, conformément aux préceptes de leur foi. Cette atteinte était toutefois justifiée au sens de l'article premier de la Charte. L'intérêt de l'État dans la protection des enfants en danger est un objectif urgent et réel. La Loi permet à l'État d'assumer les droits parentaux lorsqu'un juge détermine qu'un enfant a besoin d'un traitement auquel ses parents ne consentiront pas. Le processus prévu par la Loi est conçu avec soin, est adaptable à une multitude de situations différentes et est loin d'être arbitraire. La Loi contient des dispositions concernant le préavis à donner, la preuve à produire, la durée de la tutelle de la Couronne et d'autres ordonnances, de même que les garanties procédurales à accorder aux parents.

Le juge en chef Lamer et les juges Cory, Iacobucci et Major: La liberté de religion d'un parent, garantie à l'al. 2a) de la Charte, ne l'autorise pas à imposer à son enfant des pratiques religieuses qui menacent sa sécurité, sa santé ou sa vie. Bien que la liberté de croyance puisse être vaste, la liberté d'agir suivant ces croyances est beaucoup plus restreinte, puisqu'elle est assujettie aux restrictions qui sont nécessaires pour préserver les libertés et droits fondamentaux d'autrui. Puisque S.B. n'a jamais adhéré à la foi des témoins de Jéhovah ni à aucune religion, il y a atteinte à sa liberté de conscience qui, pourrait‑on soutenir, comprend le droit de vivre assez longtemps pour faire son propre choix raisonné sur la religion à laquelle elle souhaite adhérer, de même que le droit de n'avoir aucune croyance religieuse. La «liberté de religion» ne devrait pas comprendre une activité qui nie aussi catégoriquement la «liberté de conscience» d'autrui. Bien que l'article premier de la Charte puisse convenir pour évaluer les intérêts de l'État en fonction de la violation des droits de l'individu lésé, cette évaluation n'est pas nécessaire en l'espèce puisque le n{oe}ud de l'évaluation se situe entre le droit de l'enfant à la vie et à la sécurité de sa personne et le droit de ses parents à la liberté de religion.

2. Pourvoi incident

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major: Même si la condamnation aux dépens du procureur général qui intervient, dans l'intérêt public, en faveur d'une partie qui conteste la constitutionnalité d'une loi, paraît fort inhabituelle, cette affaire paraît avoir soulevé des problèmes spéciaux et particuliers. Il n'y a donc pas lieu d'intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de district, qui a reçu l'appui de la Cour d'appel.

Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente): Il y a lieu d'accueillir le pourvoi incident quant aux dépens. S'il est vrai que les tribunaux d'appel ne devraient pas, en général, intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un tribunal de première instance, une cour d'appel peut intervenir lorsque ce pouvoir discrétionnaire n'a pas été exercé judiciairement et judicieusement. Le paragraphe 42(1) de la Loi sur la Cour suprême ne vise qu'à empêcher les parties de porter en appel une décision purement discrétionnaire, et il n'empêche pas notre Cour d'intervenir dans le pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance s'il a commis une erreur en formulant les principes sur lesquels il a fondé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Même si elle relève du pouvoir discrétionnaire judiciaire, l'attribution de dépens peut être contrôlée par une cour d'appel pour le motif, notamment, qu'elle est fondée sur des principes erronés ou une mauvaise compréhension de faits importants, ou parce qu'elle a été faite d'une manière non judiciaire. De plus, l'art. 47 de la Loi sur la Cour suprême confère expressément à notre Cour un large pouvoir discrétionnaire relativement aux ordonnances rendues en la matière par les tribunaux d'instance inférieure.

Selon la règle qui s'applique depuis longtemps en la matière, des dépens sont généralement accordés à la partie qui obtient gain de cause, à moins d'une conduite répréhensible de sa part. Cette règle n'est toutefois pas absolue. La règle 57.01 des Règles de procédure civile de l'Ontario énumère une liste de facteurs (le montant demandé dans l'instance et le montant obtenu, la complexité de l'instance, l'importance des questions en litige, etc.) qu'un juge doit considérer dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en matière de dépens. Aux termes de la règle 57.01, même la partie qui obtient gain de cause peut être condamnée aux dépens, «le cas échéant». Toutefois, il ne convient pas en l'espèce de le faire, compte tenu de toutes les circonstances et en dépit du fait qu'il s'agissait d'une contestation de nature constitutionnelle fondée sur une liberté fondamentale garantie par la Charte.

Les ressources dont disposent les parties ne devraient pas, en règle générale, constituer un facteur pertinent en matière d'attribution de dépens. Il est contraire à l'ordre public de traiter automatiquement le procureur général comme une source de fonds intarissable et de l'obliger, pour ce seul motif, à payer les frais de la partie adverse même s'il obtient gain de cause. Un tel résultat risquerait de déclencher une avalanche et d'encourager les demandes marginales de contestations constitutionnelles. Bien qu'il y ait manifestement des cas où le gouvernement sera tenu de payer les frais d'un litige donné, peu importe l'issue de celui‑ci, ces cas demeurent des exceptions très limitées et sont fondés non pas sur les ressources relatives des parties, mais plutôt sur l'importance pour le gouvernement ou le public qu'une question donnée soit tranchée par les tribunaux. De même, dans ces cas, il est généralement convenu à l'avance que les frais seront assumés par le gouvernement, indépendamment du résultat. Aussi, le juge de la Cour de district a eu raison de ne pas fonder son ordonnance en matière de dépens sur les ressources relatives des parties.

Le juge de la Cour de district a également eu raison de conclure qu'il n'y avait pas eu d'inconduite de la part du procureur général de l'Ontario. Cependant, l'inconduite est un seul critère parmi de nombreux autres qu'un juge peut considérer pour déterminer la façon d'accorder des dépens. En conséquence, même en l'absence d'inconduite, la condamnation aux dépens de la partie qui obtient gain de cause pourrait être justifiée. Cela étant dit, en vertu de la règle 57.01, le pouvoir discrétionnaire judiciaire de déroger à la règle générale pour accorder des dépens à la partie qui obtient gain de cause doit être exercé judicieusement et judiciairement. Il ne peut être exercé de façon arbitraire, capricieuse ou pour des motifs impropres.

Aucun des facteurs considérés par le juge de la Cour de district et la Cour d'appel pour justifier l'ordonnance relative aux dépens qui est contestée ne justifie, en soi ou dans l'ensemble, la condamnation aux dépens du procureur général de l'Ontario qui a obtenu gain de cause en l'espèce. Premièrement, en condamnant aux dépens le procureur général de l'Ontario, le juge de la Cour de district a laissé entendre que le «litige avait été déclenché initialement par l'action de l'État». Toutefois, bien que le fait qu'une action de l'État ait déclenché un litige particulier puisse mériter d'être considéré en décidant de l'allocation des dépens, ce ne devrait pas être un facteur déterminant à cet égard. De plus, en l'espèce, c'est le refus des parents appelants de consentir à ce que leur fillette subisse une transfusion sanguine qui a déclenché initialement le litige. Le fait que les parents aient alors contesté la constitutionnalité de la Child Welfare Act ne justifie aucunement la condamnation aux dépens du procureur général de l'Ontario qui est intervenu pour défendre la constitutionnalité de la loi en question. Le fait que l'État ait répondu à une contestation constitutionnelle, que ce soit à titre d'intervenant ou de partie au litige, en l'absence, comme c'est le cas ici, de toute impropriété, ne saurait justifier la condamnation aux dépens de la partie qui obtient gain de cause. En outre, il existe une règle générale voulant qu'une partie, à qui l'on accorde le statut d'intervenant dans l'intérêt public, n'ait pas droit aux dépens de l'instance, ni ne les assume.

Deuxièmement, le juge de la Cour de district a commis une erreur lorsqu'il a dit que l'importance particulière de l'affaire dont il était saisi justifiait la condamnation aux dépens de l'intervenant le procureur général de l'Ontario. Bien que la règle 57.01(1)d) précise que «l'importance des questions en litige» est un facteur dont le tribunal peut tenir compte en accordant des dépens, ce facteur semble être beaucoup plus pertinent quant à savoir simplement s'il y a lieu d'accorder des dépens, que quant à savoir s'il y a lieu de condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause. Par ailleurs, il n'appert pas que la présente affaire soulève des questions d'importance nationale suffisantes pour justifier la condamnation aux dépens d'un intervenant qui obtient gain de cause. En outre, il ne serait pas dans l'intérêt de la justice ni dans celui de l'administration de la justice de conclure que le fait qu'une affaire soulève une question d'importance nationale est suffisant en soi pour justifier la condamnation aux dépens d'une partie qui obtient gain de cause, en l'occurrence un intervenant. Enfin, le fait que les appelants aient soulevé une question relative à la Charte ne confère pas en soi une importance particulière à leur cas.

Troisièmement, on n'a pas souscrit aux motifs du juge Tarnopolsky de la Cour d'appel, qui laissaient entendre que la condamnation aux dépens du procureur général de l'Ontario pourrait être justifiée par le fait que les appelants se sont attaqués à l'État en invoquant la liberté de religion, une «liberté fondamentale» garantie par l'al. 2a) de la Charte. Le fait qu'un particulier allègue la violation d'une liberté ou d'un droit garantis par la Charte n'est pas suffisant en soi pour entraîner une exception à la règle générale en matière de dépens. Conclure autrement signifierait que tous les accusés ou particuliers qui se fondent sur la Charte pour contester une loi auraient droit à ce que l'État soit condamné aux dépens.

Quatrièmement, le juge de la Cour de district a souligné que l'affaire «s'est déroulée de la façon la plus inhabituelle et ardue». Toutefois, le fait que les procédures devant la Cour de district aient constitué un long nouveau procès où une nouvelle preuve a été produite ne peut être une source de reproches envers le procureur général de l'Ontario et ne peut servir de fondement à l'ordonnance en matière de dépens contestée. De plus, il n'est pas évident que les procédures de la présente affaire ont été véritablement inhabituelles.

Enfin, même considérés ensemble, les facteurs dont le juge de la Cour de district et le juge Tarnopolsky de la Cour d'appel ont tenu compte ne pourraient permettre en l'espèce une dérogation à la règle générale en matière de dépens.


Parties
Demandeurs : B. (R.)
Défendeurs : Children's Aid Society of Metropolitan Toronto

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge La Forest
Arrêts mentionnés: R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284
R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303
R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869
Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177
Board of Regents of State Colleges c. Roth, 408 U.S. 564 (1972)
Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486
R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713
R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30
R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387
Meyer c. Nebraska, 262 U.S. 390 (1923)
Pierce c. Society of Sisters, 268 U.S. 510 (1925)
Prince c. Massachusetts, 321 U.S. 158 (1944)
Stanley c. Illinois, 405 U.S. 645 (1972)
Wisconsin c. Yoder, 406 U.S. 205 (1972)
Roe c. Wade, 410 U.S. 113 (1973)
Planned Parenthood of South‑Eastern Pennsylvania c. Casey, 112 S.Ct. 2791 (1992)
Hepton c. Maat, [1957] R.C.S. 606
Re C.P.L. (1988), 70 Nfld. & P.E.I.R. 287
R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697
E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388
B.C.G.E.U. c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214
Catholic Children's Aid Society of Metropolitan Toronto c. M. (C.), [1994] 2 R.C.S. 165
P. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141
Cantwell c. Connecticut, 310 U.S. 296 (1940)
R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417
Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211
Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326.
Citée par les juges Iacobucci et Major
Arrêts mentionnés: R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713
R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284
Re R.K. (1987), 79 A.R. 140
Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3
P. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141
R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731
R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295
R. c. Tutton and Tutton (1985), 18 C.C.C. (3d) 328, conf. par [1989] 1 R.C.S. 1392
Re D. (1982), 30 R.F.L. (2d) 277
M. (R.E.D.) c. Director of Child Welfare (1986), 47 Alta. L.R. (2d) 380 (B.R.), appel annulé et demande de rétablissement refusée (1988), 88 A.R. 346 (C.A.)
R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387
Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211.
Citée par le juge en chef Lamer
Arrêts examinés: R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284
R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30
arrêts mentionnés: Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486
Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177
Board of Regents of State Colleges c. Roth, 408 U.S. 564 (1972)
Meyer c. Nebraska, 262 U.S. 390 (1923)
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295
Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123
Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313
Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357.
Citée par le juge Sopinka
Arrêt mentionné: R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente quant au pourvoi incident)
Canadian Newspapers Co. c. Attorney‑General of Canada (1986), 56 O.R. (2d) 240
Pelech c. Pelech, [1987] 1 R.C.S. 801
R. c. Pringle, [1989] 1 R.C.S. 1645
Société des Acadiens du Nouveau‑Brunswick Inc. c. Association of Parents for Fairness in Education, [1986] 1 R.C.S. 549
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110
Hadmor Productions Ltd. c. Hamilton, [1982] 1 All E.R. 1042
Elsom c. Elsom, [1989] 1 R.C.S. 1367
Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326
R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670
R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701
Toneguzzo‑Norvell (Tutrice à l'instance de) c. Burnaby Hospital, [1994] 1 R.C.S. 114
P. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141
N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247
Lewis c. Todd et McClure, [1980] 2 R.C.S. 694
Jaegli Enterprises Ltd. c. Taylor, [1981] 2 R.C.S. 2
Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3
Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561
Charles Osenton & Co. c. Johnston, [1942] A.C. 130
539618 Ontario Ltd. c. Stathopoulos (1992), 11 O.R. (3d) 364
Prodon c. Vickrey (1988), 31 C.P.C. (2d) 264
Nolet c. Nolet (1985), 68 N.S.R. (2d) 370
Smov Industrie Ceramiche S.P.A. c. Sole Ceramic Importing Ltd. (1983), 141 D.L.R. (3d) 672
Andrews c. Andrews (1980), 120 D.L.R. (3d) 252
Kalesky c. Kalesky (1974), 51 D.L.R. (3d) 30
Donald Campbell and Co. c. Pollak, [1927] A.C. 732
Downey c. Roaf (1873), 6 P.R. 89
In Re Pattullo and The Corporation of the Town of Orangeville (1899), 31 O.R. 192
London & British North America Co. c. Haigh, [1922] 1 W.W.R. 172
Hudson's Bay Co. c. Sjostrom, [1924] 3 W.W.R. 271
Villeneuve c. Rur. Mun. Kelvington, [1929] 2 D.L.R. 919
Wawrzyniak c. Jagiellicz (1988), 9 A.C.W.S. (3d) 175
Procureur général du Québec c. Labrecque, [1980] 2 R.C.S. 1057
Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679
Ministre de la Justice du Canada c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575
Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357
Coronation Insurance Co. c. Taku Air Transport Ltd., [1991] 3 R.C.S. 622
Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374
Hartford c. Langdon Coach Lines Co. (1975), 10 O.R. (2d) 617
Wismer c. Javelin International Ltd. (1982), 38 O.R. (2d) 26
Attorney‑General of Quebec c. Cronier (1981), 23 C.R. (3d) 97
R. c. Pawlowski (1993), 20 C.R. (4th) 233
Carey c. The Queen, H.C. Ont., no 1954/76, 13 septembre 1988
B.C. (Govt.) c. Worthington (Can.) Inc. (1988), 29 B.C.L.R. (2d) 145
Metropolitan Stores (MTS) Ltd. c. Manitoba Food and Commercial Workers, Local 832 (1990), 70 Man. R. (2d) 59
Hines c. Nova Scotia (Registrar of Motor Vehicles) (1990), 78 D.L.R. (4th) 162
Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211
John Doe c. Ontario (Information & Privacy Commissioner) (1992), 7 C.P.C. (3d) 33
Janigan c. Harris (1989), 70 O.R. (2d) 5
Poizer c. Ward, [1947] 4 D.L.R. 316.
Lois et règlements cités
African Charter on Human and Peoples' Rights, art. 6.
American Convention on Human Rights, art. 7.
American Declaration of the Rights and Duties of Man, art. 1, 25.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2a), b), 3 à 5, 6, 7, 8 à 14, 15, 33.
Child Welfare Act, R.S.O. 1980, ch. 66 [abr. L.O. 1984, ch. 55, art. 208], art. 19(1)b)(ix), 21, 27, 28(1), (6), (10), (11), (12), 30(1), 37, 41.
Children's Protection Act, R.S.O. 1927, ch. 279.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 126(1).
Constitution des États‑Unis, Quatorzième amendement.
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 213 R.T.N.U. 221, art. 5(1).
Déclaration universelle des droits de l'homme, A.G. Rés. 217 A (III), Doc. A/810 N.U., à la p. 71 (1948), art. 3.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52.
Loi de 1984 sur les services à l'enfance et à la famille, L.O. 1984, ch. 55.
Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires, L.O. 1984, ch. 11, art. 122, 141(1) [maintenant Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43, art. 109, 131(1)].
Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S‑26, art. 42(1) [mod. 1993, ch. 34, art. 117], 47.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 999 R.T.N.U. 171, art. 6, 9(1).
Règles de procédure civile, Règl. de l'Ont. 560/84, r. 57.01(1)c), d), (2).
Doctrine citée
Bala, Nicholas, and J. Douglas Redfearn. «Family Law and the "Liberty Interest": Section 7 of the Canadian Charter of Rights» (1983), 15 Ottawa L. Rev. 274.
Colvin, Eric. «Section Seven of the Canadian Charter of Rights and Freedoms» (1989), 68 R. du B. can. 560.
Débats de la Chambre des communes, 1re sess., 32e lég., 6 octobre 1980, p. 3285.
Orkin, Mark M. The Law of Costs, 2nd ed. Aurora: Canada Law Book, 1993 (loose-leaf).

Proposition de citation de la décision: B. (R.) c. Children's Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315 (27 janvier 1995)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1995-01-27;.1995..1.r.c.s..315 ?
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