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22/06/1995 | CANADA | N°[1995]_2_R.C.S._836

Canada | R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836 (22 juin 1995)


R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Darryl Gordon Park Intimé

Répertorié: R. c. Park

No du greffe: 23876.

1994: 7 décembre; 1995: 22 juin.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1993), 145 A.R. 207, 55 W.A.C. 207, qui a accueilli l'appel de l'accusé contre sa déclaration de culpabilité prononcée par le jug

e Waite relativement à une accusation d'agression sexuelle, et qui a ordonné la tenue d'un nouveau procès. Pourvoi ...

R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Darryl Gordon Park Intimé

Répertorié: R. c. Park

No du greffe: 23876.

1994: 7 décembre; 1995: 22 juin.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1993), 145 A.R. 207, 55 W.A.C. 207, qui a accueilli l'appel de l'accusé contre sa déclaration de culpabilité prononcée par le juge Waite relativement à une accusation d'agression sexuelle, et qui a ordonné la tenue d'un nouveau procès. Pourvoi accueilli et verdict de culpabilité rétabli.

Paul C. Bourque, pour l'appelante.

Alan S. Rudakoff, pour l'intimé.

Le jugement du juge en chef Lamer et des juges La Forest, Gonthier, Cory et McLachlin a été rendu par

1 Le juge en chef Lamer -- J'ai lu les motifs de jugement rédigés par ma collègue le juge L'Heureux-Dubé et, pour les motifs qu'elle expose, je conviens que le pourvoi du ministère public doit être accueilli et le verdict de culpabilité rétabli. Je désire cependant apporter une réserve à mon appui.

2 Ma réserve concerne la partie "L'erreur de fait et le consentement" de l'analyse du juge L'Heureux-Dubé, qui traite de l'interaction du consentement et de l'erreur de fait dans le contexte de l'agression sexuelle. Je préfère ne faire aucun commentaire sur ce sujet puisqu'il n'est pas nécessaire d'aborder ces questions pour trancher le présent pourvoi. Comme nous n'avons pu bénéficier d'aucune argumentation sur les aspects abordés par ma collègue dans cette partie, je préférerais réserver ces questions pour une autre occasion.

Les motifs suivants ont été rendus par

3 Le juge L'Heureux‑Dubé — L'intimé a été accusé d'agression sexuelle à la suite d'événements survenus chez la plaignante tôt le matin du 25 novembre 1991. Au procès, il a allégué en défense que la plaignante avait consenti aux actes sexuels en question ou, subsidiairement, qu'il avait cru sincèrement mais à tort qu'elle y consentait. Le juge du procès a conclu que les faits de l'affaire ne conféraient aucune «vraisemblance» à la défense de croyance erronée et il a donc refusé de la soumettre à l'appréciation du jury. L'intimé a été déclaré coupable. En appel, sa déclaration de culpabilité a été infirmée et un nouveau procès a été ordonné. Le ministère public se pourvoit de plein droit devant notre Cour sur la question tant de la nature du test de la «vraisemblance», que de la façon dont il convient de l'appliquer à la défense d'erreur de fait dans le contexte d'une agression sexuelle.

I. Les dispositions législatives pertinentes

4 Au moment de l'infraction, les dispositions pertinentes du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, étaient les suivantes:

265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, . . .

a) d'une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

. . .

(2) Le présent article s'applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles, les agressions sexuelles armées, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles et les agressions sexuelles graves.

. . .

(4) Lorsque l'accusé allègue qu'il croyait que le plaignant avait consenti aux actes sur lesquels l'accusation est fondée, le juge, s'il est convaincu qu'il y a une preuve suffisante et que cette preuve constituerait une défense si elle était acceptée par le jury, demande à ce dernier de prendre en considération, en évaluant l'ensemble de la preuve qui concerne la détermination de la sincérité de la croyance de l'accusé, la présence ou l'absence de motifs raisonnables pour celle‑ci. [Je souligne.]

II. Les faits et les jugements

5 Au début de novembre 1991, l'intimé a rencontré la plaignante dans un parc de stationnement, lorsqu'il l'a aidée à dégager sa voiture d'une plaque de glace. L'intimé lui a demandé son numéro de téléphone et elle le lui a donné. Environ une semaine plus tard, soit le 12 novembre, ils ont fait une sortie ensemble, après quoi ils sont rentrés chez elle. L'intimé prétend qu'ils ont eu des rapports assez intimes, qu'ils se sont presque complètement dévêtus, qu'ils se sont caressé les parties génitales, qu'ils ont parlé de sexe et de contraception, et qu'elle l'a masturbé jusqu'à éjaculation. La plaignante soutient qu'ils n'ont fait que s'embrasser et parler de contraception et du fait qu'en tant que chrétienne régénérée elle ne croyait pas aux rapports sexuels avant le mariage. D'après elle, il ne s'est rien passé d'autre et l'intimé a quitté vers 21 h 45.

6 Treize jours plus tard, soit le 25 novembre, après être parti de Winnipeg et avoir roulé pendant toute la nuit, l'intimé a appelé la plaignante à six heures du matin de son téléphone cellulaire. Il lui a alors demandé s'il pouvait aller faire un tour chez elle. Même si elle venait de se lever pour se rendre au travail, elle a accepté, croyant qu'il avait besoin de parler. Il est arrivé dix minutes plus tard après s'être acheté un condom à un magasin avoisinant. Elle l'a accueilli à la porte, vêtue seulement d'un peignoir, en lui donnant un baiser sur la joue. Il est entré, lui a fait signe de prendre place sur le sofa et a tenté de l'embrasser. À partir de là, leurs récits divergent considérablement.

7 D'après la plaignante, elle s'est dégagée et, apercevant le condom que l'intimé tenait à la main, lui a demandé si c'était là [traduction] «la raison de [sa] visite». Affolée, elle est allée dans sa chambre prendre sa petite fille de deux ans qui dormait dans son lit, et l'a emmenée dans une autre pièce afin de changer sa couche. L'intimé l'a suivie. Après qu'elle eut terminé, il lui a fait signe de venir dans la chambre à coucher. La plaignante l'a suivi, croyant qu'il voulait [traduction] «s'étendre», étant donné qu'il avait roulé pendant toute la nuit avant d'arriver chez elle. Elle s'est mise à chercher, dans le placard, des vêtements pour aller au travail, puis, se retournant, a constaté que l'intimé avait enlevé sa chemise. Elle prétend qu'il l'a attirée à lui, qu'il l'a embrassée et l'a ensuite poussée sur le lit. Elle dit avoir résisté activement, de façon tant verbale que physique, mais qu'il était plus fort qu'elle. La plaignante a fait une description très détaillée de l'agression. Quand elle a senti son poids sur elle, une expérience traumatisante qu'elle avait déjà vécue lui est revenue à la mémoire et elle est tombée dans un état de «choc». Ce dont elle se rappelle ensuite, c'est qu'après avoir retiré son pénis, l'intimé a éjaculé sur son ventre. Prise d'une nausée, elle s'est enfuie dans la salle de bains. Quant à l'intimé, il s'est rhabillé et, en partant, l'a saluée en lui donnant un baiser sur la joue. La plaignante ne s'est pas présentée au travail ce jour‑là, mais s'est plutôt rendue directement chez son conseiller qui a témoigné qu'elle était dans un état émotif agité ce jour‑là.

8 L'intimé, par contre, prétend qu'il s'est assis avec la plaignante sur le sofa, qu'ils se sont embrassés et qu'il a ensuite demandé à aller à la salle de toilettes. La plaignante a alors remmené, dans sa propre chambre, l'enfant qui dormait, puis ils sont entrés tous les deux dans la chambre à coucher de la plaignante, où ils se sont allongés sur le lit et ont commencé à s'embrasser. Elle a participé activement aux actes sexuels. La seule résistance qu'elle lui a opposée a consisté à dire [traduction] «non, pas encore», quand il a sorti le condom. Il a donc mis le condom de côté sur l'oreiller. L'atmosphère a alors commencé à [traduction] «se réchauffer», pour reprendre les termes de l'intimé, et il a éjaculé prématurément sur le ventre de la plaignante. Selon l'intimé, il n'y a pas eu de rapports sexuels. Ils se sont entretenus brièvement. La plaignante s'est ensuite levée et est allée dans la salle de bains. L'intimé, de son côté, s'est rhabillé, a salué la plaignante en l'embrassant et est parti.

9 Au procès, l'intimé a soutenu que la plaignante avait consenti aux actes sexuels ou, subsidiairement, qu'il avait, sincèrement mais à tort, cru qu'elle consentait. La plaignante et l'intimé ont tous deux témoigné. Un rapport dressé à la suite de l'examen médical de la plaignante a été admis en preuve dans un exposé conjoint des faits. Ce rapport ne faisait état d'aucune lésion corporelle, mais indiquait une rougeur aux petites lèvres qui pouvait résulter de relations sexuelles avec ou sans consentement. Le juge du procès a refusé de soumettre au jury la défense de croyance erronée car, d'après lui, ce moyen de défense n'avait aucune vraisemblance. Il s'agissait simplement, a‑t‑il conclu, d'une question de [traduction] «consentement ou [d']absence de consentement». En raison de sa conclusion relative à la défense de croyance erronée, le juge du procès a également demandé au jury de faire abstraction de toute preuve d'actes sexuels entre la plaignante et l'intimé avant l'incident reproché, puisqu'elle n'était pertinente relativement à aucune autre question soulevée au procès. L'intimé a été reconnu coupable.

10 La juge McClung a conclu, au nom de la Cour d'appel de l'Alberta, à la majorité, (1993), 145 A.R. 207, 55 W.A.C. 207, que le juge du procès avait commis une erreur en ne soumettant pas la défense de croyance erronée à l'appréciation du jury. Il a énuméré certains faits indépendants qui, selon lui, conféraient une vraisemblance à la défense de croyance sincère mais erronée au consentement: le fait que la plaignante ait donné son numéro de téléphone à l'intimé, les discussions relatives à son utilisation de contraceptifs et le fait qu'elle l'ait accueilli en l'embrassant, vêtue seulement d'un peignoir, à 6 h 10, le 25 novembre. Le juge McClung a conclu, en outre, que le juge du procès avait commis une erreur en demandant au jury de ne pas tenir compte des actes sexuels antérieurs, étant donné qu'ils étaient pertinents relativement à la question de la croyance erronée. Le juge McFadyen a fait valoir, en dissidence, qu'aucun des facteurs soulignés par la cour à la majorité ne conférait de vraisemblance au moyen de défense invoqué.

III. Analyse

11 La common law reconnaît depuis longtemps qu'un juge du procès n'est pas tenu de soumettre à l'appréciation du jury des moyens de défense qui n'ont aucun fondement réel factuel ou probant. Il incombe aux tribunaux d'écarter tout moyen de défense non pertinent ou spécieux, puisqu'il aurait principalement pour effet non pas d'aider à découvrir la vérité lors du procès, mais bien de semer la confusion dans l'esprit du juge des faits et de détourner son attention de la détermination des faits pertinents quant à l'innocence ou à la culpabilité. Depuis l'arrêt Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120, l'exigence qu'un moyen de défense ait un tel fondement, sans quoi il ne sera pas soumis au jury, est généralement appelée le test de la «vraisemblance».

12 Dans l'arrêt R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, le juge Cory fait remarquer que ce test s'applique uniformément à tous les moyens de défense et que son application à la défense de croyance erronée au consentement n'est qu'un aspect de ce principe général. Notre Cour a conclu, en outre, dans l'arrêt Osolin, que l'exigence, au par. 265(4) du Code criminel, qu'il y ait «preuve suffisante» pour que le juge puisse soumettre la défense d'erreur à l'appréciation du jury, constituait essentiellement une codification du test de la «vraisemblance» reconnu en common law relativement à la défense d'erreur de fait. Même si, ou peut-être même à cause du fait que, dans l'arrêt Osolin, plusieurs juges ont rédigé des motifs distincts en ce qui concerne le test de la vraisemblance, certaines questions semblent encore se poser au sujet de ce test. Afin de dissiper toute confusion qui pourrait subsister, il convient d'examiner brièvement l'objet du test de la «vraisemblance» avant d'aborder divers aspects de son application, soit: l'importance que revêt l'existence ou l'absence d'allégation de croyance erronée par l'accusé, la mesure dans laquelle la version de l'accusé doit être corroborée, et l'incidence qu'a sur le procès le fait que les récits de l'accusé et du plaignant soient diamétralement opposés. Cette discussion sera suivie d'observations susceptibles d'aider les juges du procès à identifier les circonstances dans lesquelles la défense d'erreur honnête n'a manifestement aucune vraisemblance.

A. La nature et l'objet du test de la «vraisemblance»

13 Dans l'arrêt Pappajohn, précité, aux pp. 126 et 127, le juge McIntyre explique ainsi le test de la vraisemblance:

Pour qu'une obligation naisse à cet égard, la preuve doit contenir des éléments qui puissent appuyer le moyen de défense et ce n'est que dans ce cas que le juge doit le soumettre.

Dans l'arrêt R. c. Bulmer, [1987] 1 R.C.S. 782, le juge McIntyre explicite cette norme (aux pp. 790 et 791):

Il n'y aura pas d'apparence de vraisemblance à la simple affirmation «je croyais qu'elle consentait» sans que ce ne soit appuyé dans une certaine mesure par d'autres éléments de preuve ou circonstances de l'affaire. Si cette simple affirmation était suffisante pour obliger le juge du procès à présenter le moyen de défense «d'erreur de fait», il suffirait dans toute affaire de viol de faire une telle déclaration et, peu importe les autres circonstances, exiger que le moyen de défense soit soumis au jury. Il faut se souvenir que, à ce stade des procédures, le juge du procès n'examine aucunement la question de la culpabilité ou de l'innocence. Il ne s'intéresse pas à la force probante des éléments de preuve ou à la crédibilité des témoignages. La question à laquelle il doit répondre est la suivante. Vu toutes les circonstances de l'espèce, le moyen de défense paraît‑il vraisemblable? Pour répondre à cette question, il doit examiner tous les éléments de preuve, toutes les circonstances. [Je souligne.]

Le fait que le juge du procès n'ait pas à évaluer la crédibilité ni à apprécier la preuve est un facteur important dans l'application de ce test. Ce test est le moyen dont dispose le juge pour délimiter la responsabilité du jury dans la détermination des faits. Il ne faut pas inviter le jury à conjecturer sur des questions dont il n'est pas saisi d'une manière réaliste:

L'expression «vraisemblance» signifie simplement que le juge du procès doit déterminer si la preuve produite est susceptible, si elle était acceptée, de permettre à un jury raisonnable ayant reçu des directives appropriées de prononcer l'acquittement. Si la preuve satisfait à ce critère, la défense doit être soumise au jury. Il ne s'agit en fait que d'un exemple de la division fondamentale des tâches respectives du juge et du jury. [Je souligne.]

(Osolin, précité, à la p. 682, le juge Cory.)

C'est cette raison d'être sous‑jacente que les juges du procès doivent d'abord et avant tout avoir à l'esprit lorsqu'ils cherchent à appliquer le test de la «vraisemblance». Il s'agit d'une norme juridique et non pas factuelle. Commet donc une erreur de droit le juge qui ne soumet pas un moyen de défense à l'appréciation du jury dans un cas où celui‑ci est vraisemblable, ou qui soumet à son appréciation un moyen de défense qui ne l'est pas. Cependant, la nuance entre les deux peut parfois être ténue, car, bien que nous exhortions les juges du procès à ne pas descendre dans l'arène des faits, nous exigeons néanmoins qu'ils ne tiennent compte de rien de moins que de l'«ensemble des circonstances» pour décider s'il existe quelque vraisemblance qui justifie un moyen de défense donné. Ces exigences, apparemment contradictoires, peuvent inciter à une analyse au mieux imprécise et, au pis, ne traduisant rien de plus qu'une «réaction instinctive» du juge. C'est là un point sur lequel je reviendrai plus loin, car il importe d'abord d'écarter certaines conceptions erronées concernant l'application du test de la «vraisemblance».

B. L'application du test de la «vraisemblance»

1. L'allégation de la croyance sincère au consentement

14 D'aucuns ont interprété la jurisprudence antérieure de notre Cour comme laissant entendre que, pour justifier une croyance sincère mais erronée, l'accusé doit alléguer spécifiquement une «croyance» au consentement par opposition à l'existence du consentement lui‑même. En fait, les deux parties dans ce pourvoi ont consacré une bonne partie de leur argumentation à la question de savoir si l'accusé a spécifiquement allégué une telle croyance ou si son omission de le faire le prive de la possibilité d'invoquer ce moyen de défense. Franchement, là n'est pas la question.

15 Le juge Dickson (dissident quant au résultat) décrit ainsi la défense d'erreur de fait dans l'affaire Pappajohn, précitée, à la p. 148:

L'erreur constitue [. . .] un moyen de défense lorsqu'elle empêche un accusé de former la mens rea exigée en droit pour l'infraction même dont on l'accuse. L'erreur de fait est plus justement décrite comme une négation d'intention coupable que comme un moyen de défense positif. Un accusé peut l'invoquer lorsqu'il agit innocemment, par suite d'une perception viciée des faits, et qu'il commet néanmoins l'actus reus d'une infraction. L'erreur constitue cependant un moyen de défense, en ce sens que c'est l'accusé qui le soulève. Le ministère public connaît rarement les facteurs subjectifs qui ont pu amener un accusé à croire à l'existence de faits erronés. [Je souligne.]

Ainsi, par exemple, si un chasseur abat ce qu'il croit être un chevreuil et qu'il découvre par la suite qu'il a atteint une personne, il invoquera alors vraisemblablement la défense d'erreur de fait en soutenant qu'il a agi innocemment sous le coup d'une perception erronée. Dans la vaste majorité des cas, on pourrait douter sérieusement de la vraisemblance de la défense d'erreur de fait si l'accusé ne prétendait même pas avoir cru que la personne abattue était un chevreuil. Dans de telles circonstances, la défense d'erreur de fait requiert généralement, à toutes fins pratiques, que l'accusé allègue une croyance ou une perception erronée concernant un élément essentiel de l'actus reus, dont l'existence n'est généralement pas contestée par ailleurs, afin de conférer une vraisemblance à ce moyen de défense.

16 Transposer cette conséquence pratique dans le contexte d'une agression sexuelle se révèle toutefois plus problématique. En matière d'agression sexuelle, la preuve de l'actus reus comporte la preuve du fait que la plaignante n'était pas consentante en réalité. Cependant, en raison de la nature même de l'agression sexuelle, la question du consentement réel est presque toujours l'objet d'un débat important. Pour que l'accusé puisse alléguer une croyance qu'il reconnaît comme étant erronée (c.‑à‑d. une perception erronée), il lui faudrait essentiellement alléguer une croyance qui concède implicitement l'existence de l'actus reus de l'infraction — c.‑à‑d. l'absence de consentement. Il n'est pas approprié de suggérer que l'accusé devrait être tenu d'aider le ministère public à faire la preuve de l'actus reus de l'infraction, en reconnaissant qu'«il s'est peut‑être trompé au sujet du consentement de la victime», pour qu'il lui soit possible d'invoquer la défense de croyance erronée. Comme le consentement constitue lui‑même un état d'esprit qui n'existe que chez la plaignante, l'affirmation de l'accusé selon laquelle cette dernière était consentante doit signifier qu'il croyait en fait qu'elle était consentante (voir l'opinion concordante du juge Lamer dans l'arrêt Bulmer, précité, à la p. 799). La distinction entre l'allégation d'une croyance au consentement et celle de l'existence du consentement lui‑même est donc à la fois artificielle et susceptible d'induire en erreur. Il existe, dans son interaction avec la défense d'erreur de fait, une différence importante entre une agression sexuelle et la plupart des autres infractions prévues au Code. Dans ce dernier cas, l'erreur de fait se présentera surtout dans des contextes où l'actus reus de l'infraction est incontestable. Les agressions sexuelles, par contre, posent un problème particulier en ce sens que l'état d'esprit d'une autre personne (c.‑à‑d. le consentement ou l'absence de consentement) constitue un élément essentiel qui est pertinent à l'égard à la fois de l'actus reus et de la mens rea de l'infraction, un élément qui, presque invariablement, fait l'objet d'un débat important.

17 Le juge McIntyre a explicité, aux pp. 790 et 791 de l'arrêt Bulmer, précité, que l'existence ou l'absence d'allégation précise de croyance erronée, par l'accusé, ne revêt qu'une importance limitée pour ce qui est de déterminer si ce moyen de défense est vraisemblable:

La question à laquelle il doit répondre est la suivante. Vu toutes les circonstances de l'espèce, le moyen de défense paraît‑il vraisemblable? Pour répondre à cette question, il doit examiner tous les éléments de preuve, toutes les circonstances. La déclaration de l'accusé alléguant une croyance erronée constituera un facteur mais ne sera pas en elle‑même décisive et, même en l'absence de cette déclaration, d'autres circonstances pourraient commander la présentation de la défense. [Je souligne.]

Je dois, en toute déférence, aller encore plus loin. Lorsque l'accusé affirme que la plaignante était vraiment consentante, il est alors factice de s'enquérir plus avant s'il a aussi dit croire qu'elle était consentante. L'existence ou l'absence de déclaration spécifique faisant état d'une croyance au consentement ne porte à conséquence que dans les cas les plus inusités. Présumant que l'accusé allègue effectivement une telle croyance, la question plus fondamentale est de savoir s'il est question d'une croyance sincère, susceptible de justifier la défense de croyance sincère mais erronée au consentement (voir l'arrêt Osolin, précité, à la p. 649, le juge McLachlin). C'est cette question qu'il nous faut maintenant examiner.

2. L'exigence de «corroboration»

18 La corroboration indépendante implique objectivité et fiabilité. Lorsqu'il existe une preuve «indépendante», surtout matérielle, qui corrobore le témoignage d'un accusé relativement à un moyen de défense donné, le tribunal peut alors généralement conclure que, du point de vue juridique, ce moyen de défense est «vraisemblable». Sur le plan purement pratique, il est plus difficile aux tribunaux de décider quoi faire dans une situation où il y a absence de preuve corroborante «indépendante». L'agression sexuelle pose des problèmes particuliers à cet égard, du fait qu'il n'y a souvent pas d'autres témoins que la plaignante et l'accusé et du fait qu'elle n'exige pas la preuve que la plaignante a subi des lésions corporelles visibles.

19 Dans l'arrêt Pappajohn, précité, à la p. 133, le juge McIntyre formule l'observation suivante au sujet des circonstances dans lesquelles la défense de croyance erronée au consentement serait «vraisemblable»:

Pour exiger que soit soumis le moyen de défense subsidiaire de croyance erronée au consentement, il faut, à mon avis, d'autres preuves que la simple affirmation par l'appelant d'une croyance au consentement. Cette preuve doit ressortir d'autres sources que l'appelant, ou s'y appuyer, pour lui donner une apparence de vraisemblance. [Je souligne.]

Par la suite, dans l'arrêt Bulmer, précité, aux pp. 790 et 791, le juge McIntyre explique ce qu'il entendait par là:

Ces termes paraissent, à l'occasion, avoir été mal interprétés, mais je ne me rétracte pas. Il n'y aura pas d'apparence de vraisemblance à la simple affirmation «je croyais qu'elle consentait» sans que ce ne soit appuyé dans une certaine mesure par d'autres éléments de preuve ou circonstances de l'affaire. [. . .] La question à laquelle [le juge du procès] doit répondre est la suivante. Vu toutes les circonstances de l'espèce, le moyen de défense paraît‑il vraisemblable? Pour répondre à cette question, il doit examiner tous les éléments de preuve, toutes les circonstances.

Plus récemment, dans l'arrêt Osolin, précité, aux pp. 686 et 687, le juge Cory réitère ce point de vue:

Il n'est pas nécessaire qu'il y ait une preuve indépendante de l'accusé pour que ce moyen de défense soit soumis au jury. Toutefois, il ne suffit pas que l'accusé affirme simplement «je croyais qu'elle consentait». Il faut que la défense de la croyance erronée soit étayée par une preuve qui va plus loin que la seule affirmation en ce sens. . .

. . . La preuve nécessaire peut provenir du seul témoignage détaillé de l'accusé sur cette question ou de son témoignage corroboré par celui d'autres sources. Par exemple, le témoignage du plaignant peut fournir les éléments de preuve nécessaires. [Je souligne.]

Les remarques que le juge McLachlin fait à ce sujet, dans l'arrêt Osolin (aux pp. 649 et 650), sont tout aussi pertinentes:

. . . le simple fait d'affirmer sa croyance ne constitue pas la preuve de sa sincérité. L'exigence d'une croyance sincère n'équivaut pas au critère objectif de la croyance raisonnable, mais elle exige néanmoins un certain appui dans les circonstances. Une croyance totalement non fondée n'est pas une croyance sincère. Celui qui croit sincèrement à un état de fait est celui qui a examiné les circonstances et qui en a tiré une inférence honnête. Pour être sincère, la croyance doit donc découler dans une certaine mesure des circonstances. [. . .] La personne qui commet une agression sexuelle en l'absence de circonstances permettant d'inférer le consentement du plaignant a, à tout le moins, fait preuve d'ignorance volontaire quant au consentement. [Je souligne.]

Aux pages 654 et 655, le juge Sopinka préfère caractériser plus simplement le critère de la «vraisemblance», en disant qu'il s'agit de l'obligation qu'a ordinairement l'accusé de produire une preuve suffisante pour soumettre un moyen de défense donné à l'appréciation d'un jury. À bien des égards, le juge Sopinka a raison. Je crois, cependant, que le contexte sociojuridique particulier de l'agression sexuelle, y compris la fréquence inhabituelle du recours à la défense d'erreur de fait, oblige notre Cour à apporter quelques précisions sur cette norme.

20 Essentiellement, pour que la défense de croyance sincère mais erronée au consentement soit «vraisemblable», il faut que l'ensemble de la preuve produite pour l'accusé soit, d'une manière raisonnable et réaliste, susceptible d'étayer ce moyen de défense. Bien qu'il n'y ait, à vrai dire, aucune exigence de corroboration de la preuve, celle‑ci doit être plus qu'une simple assertion. Les circonstances doivent l'appuyer de quelque manière. La recherche d'un appui dans l'ensemble de la preuve ou des circonstances peut, sur le plan juridique, suppléer à toute carence du témoignage de l'accusé. L'existence d'une preuve «indépendante» appuyant le témoignage de l'accusé n'aura pour effet que d'améliorer les chances de la défense. Le rôle du juge ne consiste qu'à vérifier si l'accusé s'est acquitté du fardeau de preuve que lui impose le par. 265(4) du Code.

21 À titre de corollaire, en l'absence de quelque autre élément de preuve étayant un tel moyen de défense, on peut difficilement concevoir des cas où il existera une preuve suffisante pour que la défense de croyance erronée puisse être soumise à l'appréciation du jury dans le cas où l'accusé ne témoigne pas (voir R. c. Reddick, [1991] 1 R.C.S. 1086). Enfin, pour des raisons pratiques et de principe dont il sera question plus loin, les tribunaux doivent veiller à ne pas se montrer trop empressés de soumettre à l'appréciation du jury la défense de croyance erronée. Il faut se rappeler que les agressions sexuelles commises accidentellement sont l'exception et non la règle. Comme le fait remarquer le juge McLachlin dans l'arrêt Osolin, précité, à la p. 648, si la défense d'erreur de fait n'a vraiment suscité une attention particulière que dans le contexte des procès pour agression sexuelle, cela est dû au fait qu'elle y est fréquemment invoquée sans qu'elle soit fondée sur la preuve.

3. Les récits diamétralement opposés

22 Il est vrai que, dans les cas où la défense de croyance sincère mais erronée n'est pas soumise à l'appréciation du jury, il y a souvent une divergence considérable entre la preuve de l'accusé et celle de la plaignante (Pappajohn, précité; R. c. Guthrie (1985), 20 C.C.C. (3d) 73 (C.A. Ont.); R. c. White (1986), 24 C.C.C. (3d) 1 (C.A.C.‑B.); R. c. Osolin, précité; et R. c. Livermore (1994), 18 O.R. (3d) 221 (C.A.)). Toutefois, la signification de récits diamétralement opposés est souvent mal comprise à deux égards.

23 Premièrement, il importe de rappeler que les récits des deux personnes en question ne sont pertinents, relativement à la culpabilité ou à l'innocence en matière d'agression sexuelle, que dans la mesure où ils se rapportent de quelque manière aux circonstances qui les affectent au moment de la prétendue agression. Outre les éléments de preuve comme le lieu et l'heure de la prétendue agression, de même que la conduite des deux parties à ce moment‑là, ces circonstances comprennent les faits pertinents et admissibles qui expliquent comment l'accusé a pu sincèrement considérer que la conduite de la plaignante, lors de la prétendue agression, laissait croire qu'elle était consentante. Par exemple, notre Cour a reconnu que la passivité peut indiquer une absence de consentement (R. c. M. (M.L.), [1994] 2 R.C.S. 3). Conjugués à la passivité de la plaignante, des actes antérieurs, des gestes ou incidents peuvent, dans certains cas, fausser la perception qu'a l'accusé du comportement de la plaignante, et constituer des éléments de preuve pertinents pour établir l'existence ou la vraisemblance d'une croyance sincère mais erronée au consentement. Ces actes et gestes peuvent faire partie d'un contexte ou continuum plus général nécessaire pour comprendre la perception que l'accusé avait sincèrement de la conduite de la plaignante au moment de la prétendue agression.

24 En même temps, il faut toujours se rappeler que le consentement, même donné à un certain moment, peut être retiré en tout temps. En conséquence, il peut être dangereux de présumer que la preuve susceptible de justifier une croyance sincère, chez l'accusé, que la plaignante consentirait à des actes sexuels est instructive relativement à la véritable question en litige, qui est de savoir si l'accusé a cru que la plaignante consentait effectivement à ces actes. La croyance sincère que la plaignante consentirait ne constitue pas une défense en matière d'agression sexuelle lorsque, au moment des actes sexuels, l'accusé est au courant de l'absence de consentement, l'ignore volontairement ou ne s'en soucie pas. Ce n'est que si l'accusé croit sincèrement que la plaignante est effectivement consentante que l'erreur rend non coupable l'agression sexuelle. À défaut de montrer, d'une manière réaliste, en quoi des événements antérieurs auraient pu influer sur la perception que l'accusé avait sincèrement de la conduite de la plaignante au moment de l'agression même, une telle preuve ne sera pas susceptible d'étayer, à elle seule, la défense de croyance sincère mais erronée au consentement.

25 Deuxièmement, le fait que des récits soient diamétralement opposés, ainsi que la mesure dans laquelle ils se contredisent, ne sont qu'un facteur à considérer en décidant de la vraisemblance. Les cas dans lesquels les récits sont diamétralement opposés et où il n'existe aucune vraisemblance représentent en fait des applications particulières du test de la vraisemblance. Ces cas ne constituent pas une partie intrinsèque du test lui‑même. La question n'est pas de savoir si deux récits sont à ce point diamétralement opposés que la défense de croyance erronée au consentement ne peut être vraisemblable. Pareille approche fait abstraction d'autres facteurs, comme l'existence d'une preuve corroborante, qui peuvent néanmoins justifier de soumettre la défense d'erreur honnête à l'appréciation du jury (voir l'arrêt Bulmer, précité). Il faut plutôt se rappeler que ni la version des faits de la plaignante ni celle de l'accusé n'est nécessairement un compte rendu complet de ce qui s'est vraiment passé et que, pour cette raison, un jury peut décider de ne pas ajouter foi à certaines parties du témoignage de chacun d'eux. La question qui se pose est donc de savoir si, en l'absence d'autres éléments de preuve conférant une vraisemblance à la défense d'erreur honnête, un jury raisonnable pourrait combiner une partie de la preuve de la plaignante et une partie de la preuve de l'accusé, pour servir de justification suffisante à ce moyen de défense. L'acceptation d'une version impliquerait‑elle nécessairement le rejet de l'autre? En d'autres termes, un jury qui a reçu des directives appropriées et qui agit judicieusement peut‑il, de façon réaliste, retenir une partie du témoignage de chacun des intéressés relativement à l'incident pour en arriver à un ensemble de faits, raisonnablement cohérent et appuyé par la preuve, qui soit susceptible de justifier la défense de croyance erronée au consentement? S'il n'est pas réaliste de combiner ainsi les récits, alors il s'agit vraiment d'une simple question de crédibilité — de consentement ou d'absence de consentement —, et la défense de croyance erronée au consentement ne devrait pas être soumise à l'appréciation du jury.

26 En résumé, lorsque la plaignante et l'accusé donnent une version semblable des faits et que la seule contradiction importante réside dans leur interprétation de ce qui est survenu, la défense de croyance sincère mais erronée au consentement devrait alors généralement être soumise à l'appréciation du jury, sauf dans les cas où la conduite de l'accusé montre qu'il a ignoré volontairement l'absence de consentement ou qu'il ne s'en est pas soucié. Par contre, les tribunaux refusent généralement de soumettre à l'appréciation du jury la défense de croyance sincère mais erronée au consentement, lorsque l'accusé fonde clairement sa défense sur un consentement délibéré et qu'il témoigne également que la plaignante a participé activement, passionnément et volontairement, tandis que cette dernière affirme avoir résisté énergiquement. En pareils cas, la question qui se pose généralement est une simple question de crédibilité, de consentement ou d'absence de consentement.

C. L'absence de vraisemblance

27 Il ressort des difficultés que juges, avocats et commentateurs ont tous éprouvées à trouver un moyen satisfaisant de l'appliquer, que le test de la «vraisemblance» constitue effectivement une norme plutôt difficile à mettre en application. Il existe, toutefois, plus d'une façon d'aborder un problème. Bien qu'il puisse être difficile d'exprimer d'une manière positive ce qu'il faut pour satisfaire au test de la «vraisemblance», il peut s'avérer plus utile d'en adopter une formulation négative. Autrement dit, bien qu'il puisse être difficile de définir avec précision les éléments constitutifs de la «vraisemblance» sur le plan juridique, il peut s'avérer plus simple de déterminer avec quelque certitude les cas où il y a absence de «vraisemblance». Je désignerai donc cette méthode comme étant celle de l'«absence de vraisemblance» et, avant de faire les observations qui suivent, je vais d'abord rappeler très nettement que les deux tests ne sont pas identiques: ce n'est pas parce qu'on n'a pu, à l'aide d'un critère juridique particulier, déceler une «absence de vraisemblance» facilement vérifiable qu'on se voit nécessairement empêché de conclure qu'il n'a quand même pas été satisfait au test de la «vraisemblance». Au contraire, le premier constitue un aspect du second. Ce point de vue est explicité dans les observations qui suivent.

28 La norme de la vraisemblance ne saurait être évaluée en fonction de l'«ensemble de la preuve» sans d'abord décomposer cette masse informe et brute d'éléments de preuve, sans la distiller et, enfin, sans l'analyser. On pourrait, par exemple, la diviser en quatre catégories «rudimentaires», à savoir: (1) la preuve testimoniale qui est sérieusement contestée (c.‑à‑d. celle qui se rapporte à des faits concernant lesquels la preuve de la plaignante et celle l'accusé divergent à certains égards importants), (2) la preuve matérielle dont l'existence, l'importance ou l'appréciation sont sérieusement contestées, (3) la preuve testimoniale qui n'est pas sérieusement contestée (c.‑à‑d. celle qui se rapporte à des faits qui ne font l'objet d'aucun désaccord important de la part de la plaignante et de l'accusé), et (4) la preuve matérielle dont l'existence, l'importance et l'appréciation ne sont pas sérieusement contestées.

29 Pour décider s'il y a lieu ou non de soumettre un moyen de défense à l'appréciation du jury, les éléments de preuve matérielle et testimoniale qui ne sont pas sérieusement contestés (les catégories 3 et 4) constituent les «éléments de comparaison objectifs» en fonction desquels peuvent être mesurés les aspects de la preuve de l'accusé qui sont sérieusement contestés (les catégories 1 et 2). Lorsque, examinée d'un oeil réaliste, la preuve en faveur de l'accusé qui est sérieusement contestée est manifestement et logiquement inconciliable avec la preuve qui n'est pas sérieusement contestée, on peut conclure alors, tant sur le plan du droit que sur celui de la logique, à l'invraisemblance du moyen de défense auquel se rapportent les contradictions constatées sur le plan de la logique. Bien que l'appréciation de la thèse de l'accusé par rapport à la preuve qui est sérieusement contestée nécessite généralement une évaluation de la crédibilité ou du poids qu'il convient d'accorder à cette preuve par rapport à la preuve qui n'est pas sérieusement contestée, cette évaluation ne se pose pas et est, en conséquence, plus proprement qualifiée de question de droit que de question de fait.

30 Poursuivant cette approche, on peut prétendre qu'un moyen de défense donné n'est pas vraisemblable et n'a donc pas à être soumis à l'appréciation du jury, dans les circonstances suivantes:

(1)l'ensemble de la preuve de l'accusé ne permet pas d'établir la défense invoquée; ou

(2)l'ensemble de la preuve de l'accusé est manifestement et logiquement inconciliable avec l'ensemble de la preuve qui n'est pas sérieusement contestée.

Il va sans dire que ces normes devraient être considérées d'une manière réaliste et qu'elles ne devraient être évaluées en fonction de situations extrêmes purement conjecturales ou hypothétiques. Il faut se rappeler qu'un moyen de défense ne devrait être soumis à l'appréciation du jury que si un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées et agissant judicieusement, pourrait prononcer un acquittement sur cette base.

31 Un tribunal peut décider que, du point de vue juridique, un moyen de défense donné n'a rien de vraisemblable si la preuve produite par l'accusé ne l'appuie tout simplement pas. Dans l'arrêt Osolin, précité, à la p. 651, le juge McLachlin conclut que les faits incontestés de la preuve de l'accusé traduisaient à tout le moins une ignorance volontaire et ne pouvaient servir à étayer une défense de croyance sincère au consentement (voir aussi l'arrêt Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570). D'après le juge McLachlin, aucune personne, raisonnable ou autrement, n'aurait sincèrement pu inférer des circonstances qu'il y avait eu consentement, et ce, malgré le fait que la plaignante ait pu acquiescer passivement à certains moments. Dans de tels cas, l'invraisemblance de la défense d'erreur honnête empêche de la soumettre à l'appréciation du jury.

32 Quant au second volet de cette approche, il est confirmé et illustré par les faits de l'affaire Reddick, précitée. Dans cette affaire, un homme de 29 ans avait été accusé d'avoir agressé sexuellement une jeune fille de 15 ans qui, au moment de l'agression, était vierge. La plaignante et ses amies regardaient la télévision un samedi après‑midi. L'accusé, que la plaignante connaissait à peine, est arrivé et s'est mis à les chatouiller en leur disant de se lever. Toutes, sauf la plaignante, sont finalement parties. L'accusé a tenté à maintes reprises d'embrasser la plaignante et elle a fini par le gifler. Il lui a alors proposé d'aller boire quelque chose chez McDonald. Elle a consenti, pensant que ses amies seraient à l'extérieur et qu'elles l'intercepteraient. Elles n'y étaient toutefois pas. La plaignante et l'accusé se sont donc rendus, tous les deux, chez McDonald où ils ont acheté des rafraîchissements. De retour dans la voiture, l'accusé a de nouveau tenté d'embrasser la plaignante et a essayé de glisser sa main dans son pantalon. La plaignante lui a proposé de faire un tour en voiture, se disant qu'il ne pourrait rien entreprendre pendant qu'il conduisait. L'accusé s'est rendu dans une impasse où il a stationné son véhicule et a tenté de caresser la plaignante. Elle lui a dit d'arrêter. Sur ces entrefaites, une voiture de sécurité est passée et l'accusé a effectivement arrêté. Il a ensuite conduit la plaignante dans un coin retiré du dernier niveau d'un parc de stationnement souterrain, où il l'a violée. Lorsque la plaignante a tenté de lui résister en tenant son pantalon de survêtement, l'accusé a déchiré le pantalon et, profitant du trou ainsi fait, a eu des rapports sexuels avec elle. Puis il l'a reconduite chez elle, lui disant de ne rien raconter à sa mère.

33 Une fois rentrée à la maison, elle a informé sa mère de ce qui s'était produit. Un examen médical de la plaignante a permis de constater qu'elle avait, au vagin, une déchirure d'un demi‑pouce qui saignait encore. L'accusé a corroboré le témoignage de la plaignante concernant ses avances et concernant le fait qu'ils s'étaient rendus chez McDonald, dans une impasse et dans le parc de stationnement. Il a toutefois témoigné qu'il n'y avait eu aucune résistance à l'acte sexuel. S'il l'avait conduite dans le parc de stationnement, a‑t‑il expliqué, c'est parce qu'il considérait qu'il y avait de bonnes chances qu'elle aurait des rapports sexuels avec lui. D'après l'accusé, il avait déchiré le pantalon de survêtement parce qu'il était plus commode d'accomplir l'acte sexuel ainsi. Lors du procès devant juge seul, le juge a conclu à l'absence de consentement, mais a prononcé l'acquittement parce qu'il avait un doute raisonnable quant à savoir si l'accusé savait que la victime n'était pas consentante. Notre Cour a confirmé l'arrêt de la Cour d'appel qui avait substitué un verdict de culpabilité à celui rendu au procès.

34 La déchirure du pantalon de survêtement, la preuve médicale inconciliable avec un consentement aux rapports sexuels, l'âge de la plaignante et la suite d'événements aboutissant à la prétendue agression représentaient tous des éléments qui n'étaient pas sérieusement contestés. Plus important encore, cependant, on ne pouvait soutenir que la signification de la déchirure du pantalon de survêtement était sérieusement contestée si on l'envisageait, de façon réaliste, à la lumière de la preuve médicale et de l'âge de la jeune fille. Cette déchirure ne pouvait s'expliquer que par un recours à la force de la part de l'accusé qui a passé outre à la volonté de la victime ou qui en a fait fi volontairement. Par conséquent, l'ensemble de la preuve de l'accusé était manifestement et logiquement inconciliable avec la défense de croyance sincère mais erronée, si bien que le juge des faits (en l'occurrence, un juge seul) n'aurait pas dû être saisi de ce moyen de défense.

35 C'est là également une approche qui appuie davantage la proposition, déjà acceptée par notre Cour, que la vraisemblance ne peut découler de ce qui n'est qu'une simple assertion non étayée de l'accusé. Les faits de l'affaire R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918, en sont une illustration. La plaignante a témoigné que l'accusé, un inconnu, s'était introduit dans l'appartement qu'elle partageait avec une compagne en prétendant être un ami de cette dernière. Une fois dans l'appartement, il a placé sa main sur la bouche de la plaignante, lui a tiré les cheveux, l'a poussée par terre, l'a menacée, l'a frappée et l'a agressée sexuellement. Elle n'a pas résisté parce qu'elle craignait qu'il ne lui fasse encore plus de mal. Au procès, l'avocat de la défense a allégué le consentement et, à titre subsidiaire, la croyance sincère au consentement. L'accusé n'a pas témoigné. Il a simplement déclaré, sans preuve à l'appui et par l'intermédiaire de son avocat, avoir cru sincèrement que la plaignante était consentante. Il n'a pas contredit, par son propre témoignage, le récit de la plaignante, mais a plutôt cherché, au moyen du contre‑interrogatoire, à faire ressortir des contradictions dans le témoignage de cette dernière. Ni le contre‑interrogatoire ni aucune autre preuve n'ont réussi à sérieusement mettre en doute le témoignage de la plaignante. C'est pourquoi la preuve de croyance erronée de la part de l'accusé ne constituait guère plus qu'une simple assertion non étayée qui était manifestement et logiquement inconciliable avec l'ensemble de la preuve non sérieusement contestée (y compris, dans cette affaire, le témoignage de la plaignante). On voit mal en quoi l'issue aurait été différente si l'accusé avait effectivement témoigné, se contentant simplement d'affirmer, sans preuve à l'appui, qu'il avait cru au consentement, sans autrement contester sérieusement ces aspects du récit de la plaignante se rapportant à l'agression sexuelle proprement dite.

36 De plus, cette approche est utile dans les cas où les assertions avancées par l'accusé à l'appui de la défense de croyance erronée sont clairement contradictoires en soi lorsqu'elles sont examinées d'un oeil réaliste. Il va de soi qu'on ne saurait dire d'un accusé qu'il conteste sérieusement son propre témoignage. De plus, puisque la plaignante prétend qu'elle n'a pas consenti, on ne saurait dire, non plus, qu'elle conteste sérieusement les déclarations de l'accusé selon lesquelles il savait qu'elle n'était pas consentante (ou a ignoré volontairement ce fait ou ne s'en est pas soucié). Donc, si, d'une part, l'accusé contre‑interrogeait la plaignante et lui arrachait un élément de preuve susceptible de justifier la conclusion qu'il la croyait consentante, mais que, d'autre part, il faisait un récit qui, pour l'essentiel, ne témoignait de rien de moins que l'ignorance volontaire du consentement de la victime, il y aurait alors contradiction manifeste dans son allégation de croyance erronée au consentement (avancée principalement au moyen du contre‑interrogatoire de la plaignante). Ainsi, même si on pouvait soutenir que le contre‑interrogatoire pourrait, à lui seul, constituer une preuve conférant une «vraisemblance» à la défense de croyance erronée au consentement, ce moyen de défense ne devrait pas être soumis à l'appréciation du jury parce qu'il est manifestement et logiquement inconciliable en soi avec des faits qui ne sont pas sérieusement contestés.

37 Une grande part de la difficulté de définir la nature et le type de «corroboration» requise pour conférer une «vraisemblance» à la défense d'erreur quant au consentement peut provenir du fait que, dans le passé, on n'a pas reconnu cette corrélation. Bien que la contradiction manifeste sur le plan de la logique représente en quelque sorte, pour les fins de l'analyse, l'antithèse de la corroboration, il importe de reconnaître que ce qui est vraiment important, aux fins de l'application du test de la «vraisemblance» à un moyen de défense particulier, c'est que la preuve qui, dit‑on, justifie dans une certaine mesure ce moyen de défense doit vraiment se rapporter à ce moyen de défense particulier et l'appuyer. La preuve qui concerne une question accessoire ou qui ne porte pas sur une contradiction manifeste et incontestée, du point de vue de la logique, que renferme la défense d'erreur honnête invoquée par l'accusé ne sera donc pas suffisante en soi pour rendre vraisemblable ce moyen de défense. Or, malgré l'évidence apparente de cette conclusion, elle ne semble pas toujours être suivie, à en juger par le type de preuve qui est parfois considéré comme appuyant le moyen de défense invoqué. En toute déférence pour le juge McClung, la présente affaire n'y fait pas exception.

D. L'erreur de fait et le consentement

38 Notre Cour a conclu récemment qu'une décision quant à l'absence de consentement n'exige pas, du point de vue juridique, que la victime ait opposé un minimum de résistance, par des paroles ou des gestes: M. (M.L.), précité. La passivité est, en soi, capable de traduire une absence de consentement. Quoiqu'il ne soit pas strictement nécessaire d'aborder cette question afin de trancher le présent pourvoi, il me semble que bien des difficultés liées tant à la nature du test de la vraisemblance qu'à son application à la défense de croyance sincère peuvent découler de la façon dont la mens rea de l'infraction d'agression sexuelle est envisagée en common law. Dans l'arrêt Osolin, précité, à la p. 669, le juge Cory fait remarquer que l'agression sexuelle diffère de toutes les autres formes de voies de fait en ce sens que, dans la grande majorité des cas, elle est fondée sur le sexe de la victime. Il a reconnu que les art. 15 et 28 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantissent l'égalité des hommes et des femmes, jouent un rôle spécial dans le contexte de l'agression sexuelle. À mon avis, il y a peut‑être lieu de croire que le rôle actuel du consentement dans la mens rea de l'infraction d'agression sexuelle suscite certaines préoccupations relativement à ces deux dispositions de la Charte. En bref, la façon dont la common law aborde actuellement le consentement risque de perpétuer des stéréotypes sociaux qui, dans le passé, ont nui aux femmes et miné leur droit égal à l'intégrité physique et à la dignité de leur personne.

39 Pour établir l'actus reus de l'agression sexuelle, le ministère public doit faire la preuve d'attouchements de nature sexuelle et de l'absence de consentement réel à ces attouchements. La preuve de la mens rea de l'agression sexuelle se fait en démontrant que l'accusé voulait se livrer à des attouchements sexuels sur la plaignante et qu'il savait que celle‑ci ne consentait pas à ces attouchements, qu'il a ignoré volontairement ce fait ou ne s'en est pas soucié. Habituellement, notre droit y voit une exigence d'établir que l'accusé savait qu'un non‑consentement avait été exprimé, qu'il a ignoré volontairement ce fait ou ne s'en est pas soucié. Je vais préciser immédiatement, dans les lignes qui suivent, pourquoi, à mon avis, il nous faut accepter que la mens rea de l'agression sexuelle est également établie par la preuve que l'accusé savait qu'aucun consentement n'était exprimé, qu'il a ignoré volontairement ce fait ou ne s'en est pas soucié. En d'autres termes, la mens rea de l'agression sexuelle est établie non seulement lorsqu'il est démontré que l'accusé savait que la plaignante disait essentiellement «non», mais encore lorsqu'il est démontré qu'il savait que la plaignante, essentiellement, ne disait pas «oui».

40 Peu de gens contesteraient qu'il existe un écart manifeste, sur le plan de la communication, entre la façon dont la plupart des femmes interprètent le consentement et celle dont la plupart des hommes le perçoivent. Cela est dû en partie à une mauvaise communication, réelle mais souvent fondée sur le sexe, entre les parties. Cela est également attribuable aux mythes et stéréotypes qu'entretiennent bien des hommes relativement au consentement. Comme le fait remarquer R. D. Wiener dans «Shifting the Communication Burden: A Meaningful Consent Standard in Rape» (1983), 6 Harv. Women's L.J. 143, à la p. 147:

[traduction] [I]l existe en matière de communications sexuelles un écart entre les sexes. Souvent, les hommes et les femmes interprètent mal l'intention sous‑jacente à différents comportements relationnels et jeux érotiques de leurs partenaires du sexe opposé.

. . .

Hommes et femmes sont conditionnées à accepter comme normale une sexualité coercitive, si bien que les hommes voient souvent comme une séduction, plutôt que comme un viol, des manifestations extrêmes de ce comportement agressif. En effet, bon nombre d'actes considérés par les femmes comme un viol sont tenus pour «normaux» tant par les hommes qui les accomplissent que par le système judiciaire à domination masculine.

La façon actuelle d'aborder le consentement risque de perpétuer ce phénomène déplorable.

41 Le consentement et l'agression sont des notions réciproques. L'une se définit, en dernière analyse, en fonction des limites de l'autre. Le rôle que joue le consentement dans le droit en matière d'agression sexuelle tient dans une large mesure à l'objectif visé par notre société contemporaine relativement à cette infraction. Les lois relatives au viol visaient à l'origine à protéger les droits de propriété qu'avaient les hommes — les pères et les maris — sur les femmes (Wiener, loc. cit., à la p. 160, note 104). Le dernier vestige de cette notion odieuse — l'inapplicabilité du crime de viol aux rapports entre mari et femme — n'a été supprimé au Canada qu'en 1983. Toutefois, la common law a défini, pendant longtemps, le viol en termes de rapports sexuels sans consentement et résultant de la coercition, de la crainte ou de la fraude (Grande‑Bretagne, Report of the Advisory Group on the Law of Rape (1975), à la p. 3). On pouvait affirmer, à l'époque en question, que l'infraction de viol visait principalement à protéger les femmes contre les lésions corporelles. Cependant, le recours à la force a, depuis, perdu de son importance. Le crime de viol a fait place à l'infraction plus générale d'agression sexuelle. Les relations sexuelles proprement dites ne sont plus une condition préalable à l'agression sexuelle. En outre, la femme qui prétend avoir été agressée sexuellement n'est plus tenue de démontrer l'existence de lésions corporelles. À l'heure actuelle, l'agression sexuelle consiste essentiellement en des attouchements sexuels sans consentement. L'objectif du droit criminel dans ce domaine a de nouveau changé. Ce dont on se préoccupe principalement n'est plus exclusivement la sécurité physique des femmes, mais plutôt quelque chose de plus général.

42 J'estime qu'à l'heure actuelle l'infraction d'agression sexuelle procède surtout de la croyance que les femmes ont le droit inhérent d'exercer un contrôle complet sur leur corps, et de ne prendre part à des actes sexuels que si elles le désirent. S'il en est ainsi, notre façon d'aborder le consentement doit évoluer en conséquence, car elle est peut‑être déphasée par rapport à cette conception du droit. À ce propos, L. Vandervort soutient dans «Mistake of Law and Sexual Assault: Consent and Mens Rea» (1987‑88), 2 R.J.F.D. 233, à la p. 267, que le consentement doit être envisagé du point de vue de la communication, plutôt que du point de vue d'un état d'esprit personnel:

[traduction] L'acte social qu'est le consentement consiste à communiquer à autrui, verbalement ou non verbalement, la permission d'accomplir un seul ou plusieurs actes dont, sans cela, cette personne serait, légalement ou autrement, tenue de s'abstenir [. . .] Consentir c'est renoncer à un droit et dégager une autre personne d'une obligation corrélative . . .

. . . Les actes accomplis sur la foi d'une telle renonciation ne violent aucune obligation légale applicable et ne constituent pas une infraction. Il est donc évident que toute analyse du consentement doit tenir compte de ce qui a en fait été communiqué, si communication il y a eu, et examiner s'il s'agit d'une communication volontaire. [Je souligne.]

Vandervort conclut, à la p. 277:

[traduction] Le droit de l'individu de ne pas avoir à subir des contacts sexuels auxquels il ne consent pas ne sera protégé que si le consentement est considéré comme une question absolue, de sorte que l'absence d'une conclusion au consentement sera interprétée comme établissant qu'il n'a pas été donné [. . .] Aux termes de la loi, les contacts sexuels constituent une agression à moins que la personne qui les a subis n'y consente. Il n'est pas prévu qu'aucune agression n'est commise à moins que la personne qui subit les contacts ne s'y oppose. [En italique dans l'original.]

43 L'examen de la question de la communication du consentement a toujours implicitement fait partie de notre façon d'envisager comment la connaissance de l'absence de consentement se rattache à la mens rea de l'infraction d'agression sexuelle. En fait, comme le consentement est lui‑même un état d'esprit personnel, nous en inférons l'existence à peu près de la même façon que nous inférerions la mens rea. Notamment, nous recherchons des indices verbaux et non verbaux pour ensuite en inférer un état d'esprit particulier, en évaluant la conduite de la personne en question à la lumière de l'ensemble des circonstances. Un juge des faits a recours à ces techniques pour déterminer si une plaignante n'a pas, en fait, consenti à des attouchements sexuels. Quant à l'actus reus de l'infraction d'agression sexuelle, c'est ici que l'analyse prend fin. La mens rea de l'agression sexuelle requiert, toutefois, la preuve que l'accusé savait qu'il n'y avait pas consentement, qu'il a ignoré volontairement ce fait ou ne s'en est pas soucié. L'analyse de l'absence de consentement qui vise à établir la mens rea de l'infraction doit donc aller plus loin et porter sur la perception d'absence de consentement qu'avait l'accusé. Puisque l'erreur de fait touche la mens rea de l'infraction, une erreur de fait honnête, de la part de l'accusé à cet égard, pourrait donc indiquer qu'il était dans un état d'esprit non coupable.

44 Or, les circonstances, je le répète, n'ont aucune pertinence relativement à la défense de croyance sincère mais erronée, lorsqu'elles ne sont susceptibles que d'appuyer la croyance, chez l'accusé, que la plaignante consentirait, plutôt que d'être susceptibles d'étayer sa croyance qu'elle était effectivement consentante. L'accusé ne saurait prétendre qu'il croyait que la plaignante était consentante sans expliquer le motif de cette croyance. En pratique, les principaux facteurs pertinents quant à ce moyen de défense sont donc (1) le comportement communicatif proprement dit de la plaignante et (2) l'ensemble des éléments de preuve admissibles et pertinents qui expliquent comment l'accusé a perçu ce comportement comme exprimant un consentement. Tout le reste est secondaire.

45 Les attouchements sexuels auxquels on ne consent pas sont criminels en l'absence, tout au moins, d'une croyance sincère de l'accusé qu'un consentement à ces attouchements avait été communiqué. Ainsi, en pratique, la mens rea de l'infraction ne se rapporte pas tant à l'état d'esprit de la plaignante qu'à la communication, par cette dernière, de son état d'esprit et, chez l'accusé, à la perception de cette communication. En outre, bien que le consentement puisse exister dans l'esprit d'une femme sans qu'il soit communiqué de quelque façon, un juge des faits raisonnable ne saurait accepter que ce consentement a été perçu sincèrement par l'accusé, sans d'abord cerner le comportement qui, en apparence, a engendré cette perception chez lui. Si l'accusé est incapable de produire un élément de preuve tendant à démontrer que la plaignante a communiqué son consentement, il court alors le risque qu'un jury conclue qu'il savait que la plaignante n'était pas consentante, qu'il a ignoré volontairement ce fait ou ne s'en est pas soucié. Évidemment, la passivité peut elle‑même, dans certaines circonstances peu fréquentes, être de nature communicative: M. (M.L.), précité. À titre d'exemple supplémentaire, la preuve d'un comportement sexuel antérieur entre les parties pourrait être pertinente quant à la défense d'erreur de fait, dans les cas où ce comportement peut avoir influé sur la perception sincère que l'accusé avait de la communication de la plaignante relativement à l'acte sexuel en question.

46 Suivant cette approche analytique, bien que l'écart qui existe sur le plan de la communication entre les sexes puisse encore engendrer la confusion et la mauvaise communication, les deux sexes en subiront les conséquences de façon plus égale. En pratique, les femmes courent toujours le risque d'être agressées sexuellement, à moins qu'elles ne communiquent leur non‑consentement d'une manière suffisamment claire pour que les autres puissent comprendre. Les hommes, par contre, doivent assumer la responsabilité de l'écart sur le plan de la communication dans la mesure où cet écart découle de mythes et de stéréotypes androcentriques, plutôt que d'un véritable malentendu imputable à une mauvaise communication fondée sur le sexe.

47 La présomption selon laquelle la femme qui ne consent pas le dira clairement ne vaut que si on présume en outre que les hommes perçoivent le non‑consentement de la même façon que les femmes le communiquent. Or, la nature à la fois complexe et difficilement saisissable du dialogue sexuel démontre la fausseté manifeste de cette dernière présomption:

[traduction] Une femme peut croire qu'elle a communiqué son non-consentement à des rapports sexuels — et d'autres femmes en conviendraient, de sorte qu'il s'agirait d'une expression féminine «raisonnable». Son partenaire pourrait encore croire qu'elle est consentante et d'autres hommes souscriraient à son interprétation, de sorte qu'il s'agirait d'une interprétation masculine «raisonnable». La femme, qui croit avoir communiqué son absence de consentement, peut voir dans la persistance de l'homme une indication qu'il se fiche de ses objections et qu'il entend avoir des rapports sexuels avec elle même si elle n'y consent pas. Elle peut alors être effrayée par cette persistance et se soumettre contre son gré. [En italique dans l'original.]

(Wiener, loc. cit., aux pp. 148 et 149.)

Reconnaître la réalité de cet écart sur le plan de la communication entre femmes raisonnables et hommes raisonnables nous oblige à écarter la présomption que le caractère volontaire — défini uniquement en termes de coercition, de crainte ou de fraude — peut légitimement, en l'absence d'une communication de non‑consentement, se substituer au consentement. Il n'en est rien. Tant que notre façon d'aborder la mens rea de l'agression sexuelle a pour effet de renforcer le point de vue selon lequel, en l'absence d'une communication de non‑consentement, il y a consentement à l'acte sexuel, l'écart néfaste sur le plan de la communication entre les sexes, avec les coûts terribles qui s'y rattachent, continuera d'être ignoré et se perpétuera plutôt que de s'amenuiser. Pour que les femmes puissent jouir pleinement et utilement de leur droit de contrôler leur corps, il nous faut reconnaître que le fait de savoir qu'aucun consentement n'a été communiqué, d'ignorer volontairement ce fait ou de ne pas s'en soucier, suffit pour établir la mens rea de l'infraction d'agression sexuelle.

48 À mon avis, les juges des faits y gagneront à se concentrer sur la communication et la perception sincère de cette communication, au moment de déterminer si la mens rea de l'infraction a été établie. Ils pourront ainsi distinguer plus nettement l'ivraie du froment — les mythes et les stéréotypes de la réalité — en déterminant si l'accusé savait que la plaignante n'était pas consentante, ou s'il aurait pu croire sincèrement mais à tort qu'elle l'était. Cette approche les aidera également à reconnaître et à écarter les croyances stéréotypées qu'entretient l'accusé et qui l'amènent à faire fi du non‑consentement ou à ne pas se soucier du fait qu'une femme consente ou non. Les conclusions du fait n'en seront à mon avis que plus justes et plus exactes, et il sera plus justement tenu compte des réalités différentes que vivent les femmes et les hommes.

49 Rien n'empêche que la common law en matière de consentement évolue de manière à refléter les moeurs et réalités sociales contemporaines. En fait, la façon dont la common law aborde le consentement a toujours été fortement assujettie à des considérations d'intérêt public. Comme le fait remarquer le juge Gonthier au nom de notre Cour à la majorité, dans l'arrêt R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714, à la p. 740:

[Historiquement,] [o]n envisageait que l'infraction de voies de fait — et en particulier l'élément de consentement — soit soumise à des considérations d'intérêt public. Ces considérations, croyait‑on, étaient suffisamment importantes pour justifier d'écarter la validité juridique du consentement à titre de moyen de défense contre une accusation de voies de fait.

Le juge Gonthier poursuit en énumérant, aux pp. 762 à 765, plusieurs considérations importantes d'intérêt public à l'appui de sa conclusion que le consentement entre adultes en common law est vicié par l'intention de causer des blessures graves lors d'un combat à coups de poing ou d'une bagarre.

50 En outre, dans l'affaire Leary c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 29, notre Cour à la majorité a reconnu que les considérations d'intérêt public contribuent à justifier que, dans les cas d'ivresse, l'on s'écarte des principes ordinaires de la mens rea en recourant à la distinction entre l'intention spécifique et l'intention générale. Voir aussi l'arrêt R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833, à la p. 865, le juge McIntyre. Il est indéniable que si l'agression sexuelle a été classée dans la catégorie des infractions d'intention générale relativement auxquelles l'ivresse ne pouvait être alléguée comme défense, cela tient en partie également aux mêmes considérations d'intérêt public. Notre Cour à la majorité a récemment confirmé ce point de vue dans l'arrêt R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 63, sous réserve de l'exception la plus restreinte possible de l'ivresse dont on peut démontrer qu'elle s'apparente à l'automatisme.

51 Notre Cour a récemment conclu, à la majorité, dans l'arrêt Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, que la common law doit évoluer d'une manière compatible avec les valeurs de la Charte. Il s'ensuit que la common law qui régit la mens rea de l'agression sexuelle doit être abordée à la lumière, notamment, de l'art. 15 de la Charte. Comme c'était le cas dans l'affaire R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852, notre Cour doit s'efforcer de voir à ce que le droit criminel tienne compte des réalités que vivent les femmes, et à ce qu'il ne serve pas à perpétuer la répression et les désavantages historiques. Le médecin qui opère sans le consentement éclairé et explicite du patient s'expose à des accusations de voies de fait. Dans de tels cas, est coupable le fait de savoir qu'aucun consentement n'a été communiqué, d'ignorer volontairement ce fait ou de ne pas s'en soucier. Je ne vois aucune raison de ne pas appliquer une norme identique à l'accusé inculpé d'agression sexuelle.

IV. Application aux faits

52 En l'espèce, la défense de croyance erronée au consentement qu'a invoquée l'accusé n'était pas vraisemblable. Tous les facteurs énumérés par le juge McClung comme conférant une vraisemblance à ce moyen de défense — le fait que la plaignante ait donné son numéro de téléphone à l'intimé, les discussions relatives à son utilisation de contraceptifs, les actes sexuels accomplis treize jours auparavant, et le fait qu'elle l'ait accueilli en l'embrassant, vêtue seulement d'un peignoir, à 6 h 10, le 25 novembre — ne sont tout au plus susceptibles que d'étayer une croyance, chez l'intimé, que la plaignante consentirait, et non qu'elle a effectivement consenti. Aucun de ces facteurs ne se rapporte de façon réaliste à ce qui s'est effectivement produit lors de la prétendue agression sexuelle. Ils ne sont donc pas susceptibles d'appuyer une défense de croyance sincère mais erronée au consentement.

53 Ce qui est pertinent relativement à une éventuelle défense de croyance sincère mais erronée est le récit des événements qui se sont déroulés dans la chambre à coucher, ainsi que toute information supplémentaire qui explique pourquoi l'intimé aurait pu sincèrement, à l'époque, interpréter ces événements comme traduisant un consentement. Dans certains cas, la preuve d'actes sexuels antérieurs entre les deux parties peut être pertinente à cet égard. Ici, toutefois, les différences entre la prétendue agression et les actes qui ont eu lieu lors de la rencontre survenue treize jours auparavant ne peuvent que conduire à la conclusion que la preuve de cette rencontre n'était ni pertinente relativement à la croyance sincère, chez l'accusé, que la plaignante était consentante au moment de l'agression, ni susceptible de justifier cette croyance.

54 De plus, dans la présente affaire, le témoignage de l'intimé n'expose que très sommairement les événements survenus dans la chambre à coucher. Il affirme que la plaignante a participé volontairement, que sa résistance concernait simplement le moment d'utiliser le condom, et que [traduction] «plus ça allait, plus l'atmosphère se réchauffait», ce qui l'a amené à éjaculer sur le ventre de la plaignante. Il prétend qu'ils n'ont même pas eu de relations sexuelles. Par contre, la plaignante dit lui avoir résisté énergiquement, tant verbalement, en répétant plusieurs fois [traduction] «Non, Darryl» et [traduction] «Je ne veux pas», que physiquement. Sa force et son poids nettement supérieur ont toutefois eu raison d'elle et elle est alors tombée dans un état de choc pendant lequel il l'a pénétrée.

55 Rien dans l'ensemble de cette preuve, qu'il s'agisse du témoignage de l'intimé ou de celui de la plaignante, ne confère la moindre vraisemblance à la possibilité que l'intimé ait pu croire à tort que la plaignante était consentante. D'ailleurs, un jury raisonnable n'aurait pas pu combiner des éléments du témoignage de la plaignante et du témoignage de l'intimé concernant l'incident, de manière à constituer un ensemble relativement cohérent de faits susceptibles d'appuyer la défense de croyance erronée au consentement. Un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées et agissant judicieusement, ne pourrait conclure à la fois que la plaignante n'a pas consenti à l'acte sexuel et que l'intimé aurait pu entretenir une croyance erronée au sujet de son non‑consentement. Pour tous ces motifs, le juge du procès a eu raison de ne pas soumettre à l'appréciation du jury la défense d'erreur de fait.

56 Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi du ministère public et de rétablir le verdict de culpabilité.

Version française des motifs rendus par

57 Le juge Sopinka — J'ai lu les motifs de jugement de mes collègues le Juge en chef et le juge L'Heureux‑Dubé et je souscris à la façon dont ils proposent de trancher le pourvoi. Bien que je souscrive à un bon nombre des commentaires du juge L'Heureux‑Dubé relativement à la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement, j'estime qu'il est inutile et peu souhaitable de tenter de déterminer exhaustivement les éléments constitutifs du moyen de défense invoqué en l'espèce. Comme ma collègue le fait remarquer à juste titre dans ses motifs, il est plus simple de déterminer l'absence de vraisemblance que d'en définir en droit les éléments constitutifs. S'il en est ainsi, c'est que pour déterminer s'il y a vraisemblance, il faut, dans chaque cas, examiner la preuve afin de vérifier s'il existe des éléments qui, s'ils étaient acceptés, permettraient à un jury, ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement, de prononcer un acquittement. Il est dangereux, et vain dans la plupart des cas, de tenter de préciser à l'avance quand une telle preuve existera. Par conséquent, je préfère trancher le pourvoi en disant brièvement pourquoi une telle preuve n'existe pas en l'espèce.

58 La question de l'application de ce moyen de défense ne se pose que si le jury conclut que l'actus reus reproché est établi hors de tout doute raisonnable. Dans le présent pourvoi, l'actus reus consistait en des relations sexuelles avec la plaignante sans son consentement. Le jury a déclaré l'intimé coupable et a donc conclu à l'absence de consentement aux relations sexuelles. La question qu'il convient de se poser en l'espèce est la suivante: Y avait‑il une preuve que l'intimé a cru sincèrement que la plaignante consentait aux relations sexuelles? Le témoignage de la plaignante n'est d'aucune utilité à l'intimé. Quant à ce dernier, il a témoigné qu'il n'y avait pas eu de relations sexuelles. Cela est inconciliable avec la croyance qu'il y avait consentement aux relations sexuelles. Bien que moins rigide, la position de l'intimé est comparable à celle de l'accusé qui invoque la défense d'erreur d'identité. Je suis donc d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel et de rétablir la déclaration de culpabilité.

Version française des motifs des juges Cory, Iacobucci et Major rendus par

59 Le juge Iacobucci — À mon avis, le juge du procès n'a commis aucune erreur en refusant de soumettre à l'appréciation du jury la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement puisque, compte de tenu de toutes les circonstances de l'affaire, il pouvait conclure que ce moyen de défense n'avait aucune vraisemblance. À cet égard, il convient de signaler que l'intimé a témoigné qu'il n'avait pas eu de relations sexuelles avec la plaignante. Toutefois, un rapport dressé à la suite l'examen médical de la plaignante a été admis en preuve dans un exposé conjoint des faits, et même si ce rapport ne faisait état d'aucune lésion corporelle, il indiquait une rougeur aux petites lèvres qui pouvait résulter de relations sexuelles avec ou sans consentement. Il s'agissait là d'une contradiction importante entre la version des faits de la plaignante et celle de l'accusé, qui touchait à la crédibilité du récit de l'accusé et, en fin de compte, à la question de la vraisemblance. En effet, l'accusé a nié qu'il y avait eu des relations sexuelles, tout en faisant valoir subsidiairement que, s'il y en a eu, il a cru qu'elles étaient consensuelles. Dans ces circonstances, il n'est pas logique d'appliquer la défense de la vraisemblance à une position aussi incohérente.

60 Je suis également d'avis que le juge du procès n'a commis aucune erreur en déclarant inadmissible la preuve d'actes sexuels antérieurs. En conséquence, je suis d'avis de trancher le pourvoi de la manière proposée par le juge L'Heureux‑Dubé.

Pourvoi accueilli et verdict de culpabilité rétabli.

Procureur de l'appelante: Paul C. Bourque, Edmonton.

Procureurs de l'intimé: Macleod Dixon, Calgary.


Synthèse
Référence neutre : [1995] 2 R.C.S. 836 ?
Date de la décision : 22/06/1995
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et le verdict de culpabilité est rétabli

Analyses

Droit criminel - Agression sexuelle - Défense de croyance sincère mais erronée au consentement - Refus du juge du procès de soumettre le moyen de défense à l'appréciation du jury - Déclaration de culpabilité de l'accusé infirmée en appel - Y a‑t‑il une preuve qui confère une «vraisemblance» au moyen de défense? - Nature du test de la «vraisemblance» et façon dont il convient de l'appliquer - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 265(4).

L'accusé a été inculpé d'agression sexuelle. Deux semaines avant l'incident, la plaignante et l'accusé avaient fait une sortie ensemble pour la première fois. L'accusé a témoigné que, plus tard, à l'appartement de la plaignante, ils ont eu des rapports assez intimes, qu'ils se sont caressé les parties génitales, qu'ils ont parlé de sexe et de contraception, et qu'elle l'a masturbé jusqu'à éjaculation. La plaignante soutient qu'ils n'ont fait que s'embrasser et parler de contraception et du fait qu'en tant que chrétienne régénérée elle ne croyait pas aux rapports sexuels avant le mariage. Le jour de l'incident, l'accusé a appelé la plaignante tôt le matin et elle a accepté qu'il aille faire un tour chez elle. Il est arrivé peu après et elle l'a accueilli à la porte, vêtue seulement d'un peignoir, en lui donnant un baiser sur la joue. La plaignante prétend que, quelques minutes plus tard, il l'a attirée à lui et l'a ensuite poussée sur le lit. Elle dit avoir résisté activement, mais qu'il était plus fort qu'elle. Quand elle a senti son poids sur elle, une expérience traumatisante qu'elle avait déjà vécue lui est revenue à la mémoire et elle est tombée dans un état de «choc». Ce dont elle se rappelle ensuite, c'est qu'après avoir retiré son pénis, l'accusé a éjaculé sur son ventre. L'accusé, par contre, a témoigné qu'elle avait participé activement aux actes sexuels et que, lorsque l'atmosphère a commencé à «se réchauffer», il a éjaculé prématurément sur le ventre de la plaignante. Il n'y a pas eu de rapports sexuels. Un rapport dressé à la suite de l'examen médical de la plaignante indiquait une rougeur aux petites lèvres qui pouvait résulter de relations sexuelles avec ou sans consentement. Au procès, l'accusé a soutenu, pour sa défense, que la plaignante avait consenti aux actes sexuels ou, subsidiairement, qu'il avait, sincèrement mais à tort, cru qu'elle consentait. Le juge du procès a refusé de soumettre au jury la défense de croyance erronée, concluant que ce moyen de défense n'avait aucune vraisemblance et qu'il s'agissait simplement d'une question de «consentement ou [d']absence de consentement». L'accusé a été reconnu coupable. En appel, la Cour d'appel à la majorité a annulé la déclaration de culpabilité et ordonné un nouveau procès, concluant que le juge du procès avait commis une erreur en ne soumettant pas la défense de croyance erronée à l'appréciation du jury.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli et le verdict de culpabilité est rétabli.

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Gonthier, Cory et McLachlin: Les motifs du juge L'Heureux‑Dubé sont acceptés sauf en ce qui concerne la réserve suivante. Aucun commentaire ne devrait être fait sur l'interaction du consentement et de l'erreur de fait dans le contexte de l'agression sexuelle, puisqu'il n'est pas nécessaire d'aborder ces questions pour trancher le présent pourvoi.

Le juge L'Heureux‑Dubé: Pour qu'un moyen de défense soit soumis à l'appréciation d'un jury, il doit être «vraisemblable». Le test de la «vraisemblance» est une norme juridique et non pas factuelle. Le juge du procès doit déterminer si la preuve produite est susceptible, si elle est acceptée, de permettre à un jury raisonnable ayant reçu des directives appropriées de prononcer l'acquittement. Il ne s'intéresse pas à la force probante des éléments de preuve ni à des évaluations de crédibilité.

Dans le cas d'agressions sexuelles, lorsque l'accusé affirme que la plaignante était vraiment consentante, il est factice de s'enquérir plus avant s'il a aussi dit croire qu'elle était consentante. L'existence ou l'absence de déclaration spécifique faisant état d'une croyance au consentement ne porte à conséquence que dans les cas les plus inusités. Présumant que l'accusé allègue effectivement une telle croyance, la question plus fondamentale est de savoir s'il est question d'une croyance sincère, susceptible de justifier la défense de croyance sincère mais erronée au consentement.

Essentiellement, pour que la défense de croyance sincère mais erronée au consentement soit «vraisemblable», il faut que l'ensemble de la preuve produite pour l'accusé soit, d'une manière raisonnable et réaliste, susceptible d'étayer ce moyen de défense. Bien qu'il n'y ait, à vrai dire, aucune exigence de corroboration de la preuve, celle‑ci doit être plus qu'une simple assertion. Les circonstances doivent l'appuyer de quelque manière. L'existence d'une preuve «indépendante» appuyant le témoignage de l'accusé n'aura pour effet que d'améliorer les chances de la défense. Le rôle du juge ne consiste qu'à vérifier si l'accusé s'est acquitté du fardeau de preuve que lui impose le par. 265(4) du Code criminel.

Ce qui est pertinent relativement à une éventuelle défense de croyance sincère mais erronée est le récit des événements qui se sont déroulés lors de l'agression sexuelle, ainsi que toute autre information pertinente et admissible qui explique pourquoi l'accusé aurait pu sincèrement, à l'époque, interpréter ces événements comme traduisant un consentement. Dans certains cas, la preuve d'actes sexuels antérieurs entre les deux parties peut être pertinente à cet égard. La croyance sincère que la plaignante consentirait ne constitue pas en soi une défense en matière d'agression sexuelle lorsque, au moment des actes sexuels, l'accusé est au courant de l'absence de consentement, l'ignore volontairement ou ne s'en soucie pas. Ce n'est que si l'accusé croit sincèrement que la plaignante est effectivement consentante que l'erreur rend non coupable l'agression sexuelle. Lorsque la plaignante et l'accusé donnent une version semblable des faits et que la seule contradiction importante réside dans leur interprétation de ce qui est survenu, la défense de croyance sincère mais erronée au consentement devrait alors généralement être soumise à l'appréciation du jury, sauf dans les cas où la conduite de l'accusé montre qu'il a ignoré volontairement l'absence de consentement ou qu'il ne s'en est pas soucié. Lorsque le récit de la plaignante et celui de l'accusé sont sensiblement ou diamétralement opposés à cet égard, le moyen de défense peut alors être soumis au jury si un jury qui a reçu des directives appropriées et qui agit judicieusement peut, de façon réaliste, retenir une partie du témoignage de chacun des intéressés relativement à l'incident pour en arriver à un ensemble de faits, raisonnablement cohérent et appuyé par la preuve, qui soit susceptible de justifier la défense de croyance erronée au consentement. S'il n'est pas réaliste de combiner ainsi les récits, alors il s'agit vraiment d'une simple question de crédibilité — de consentement ou d'absence de consentement —, et le moyen de défense ne devrait pas être soumis à l'appréciation du jury.

Un moyen de défense donné n'est pas vraisemblable et n'a donc pas à être soumis à l'appréciation du jury lorsque (1) l'ensemble de la preuve de l'accusé ne permet pas d'établir la défense invoquée, ou (2) l'ensemble de la preuve de l'accusé est manifestement et logiquement inconciliable avec l'ensemble de la preuve qui n'est pas sérieusement contestée. Ces normes devraient être considérées d'une manière réaliste et ne devraient pas être évaluées en fonction de situations extrêmes purement conjecturales ou hypothétiques. Ce qui est vraiment important, aux fins de l'application du test de la «vraisemblance» à un moyen de défense particulier, c'est que la preuve qui, dit‑on, justifie dans une certaine mesure ce moyen de défense doit vraiment se rapporter à ce moyen de défense particulier et l'appuyer. La preuve qui concerne une question accessoire ou qui ne porte pas sur une contradiction manifeste et incontestée, du point de vue de la logique, que renferme la défense d'erreur honnête invoquée par l'accusé ne sera donc pas suffisante en soi pour rendre vraisemblable ce moyen de défense.

Pour établir l'actus reus de l'agression sexuelle, le ministère public doit faire la preuve d'attouchements de nature sexuelle et de l'absence de consentement réel à ces attouchements, alors que la preuve de la mens rea se fait en démontrant que l'accusé voulait se livrer à des attouchements sexuels sur la plaignante et qu'il savait que celle‑ci ne consentait pas à ces attouchements, qu'il a ignoré volontairement ce fait ou ne s'en est pas soucié. Cependant, en renforçant le point de vue selon lequel, en l'absence d'une communication de non‑consentement, il y a consentement à l'acte sexuel, la façon dont la common law aborde actuellement la mens rea de l'infraction d'agression sexuelle risque de perpétuer des stéréotypes sociaux qui, dans le passé, ont nui aux femmes et miné leur droit égal à l'intégrité physique et à la dignité de leur personne. À l'heure actuelle, l'infraction d'agression sexuelle procède surtout de la croyance que les femmes ont le droit inhérent d'exercer un contrôle complet sur leur corps, et de ne prendre part à des actes sexuels que si elles le désirent. Le droit criminel doit tenir compte des réalités que vivent les femmes, et ne pas servir à perpétuer la répression et les désavantages historiques. La common law qui régit la mens rea de l'agression sexuelle devrait être abordée à la lumière de l'art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, et on devrait accepter que la mens rea de l'agression sexuelle est également établie par la preuve que l'accusé savait qu'aucun consentement n'était exprimé, qu'il a ignoré volontairement ce fait ou ne s'en est pas soucié. En pratique, les principaux facteurs pertinents quant à ce moyen de défense sont donc (1) le comportement communicatif proprement dit de la plaignante et (2) l'ensemble des éléments de preuve admissibles et pertinents qui expliquent comment l'accusé a perçu ce comportement comme exprimant un consentement. Tout le reste est secondaire. Bien que le consentement puisse exister dans l'esprit d'une femme sans qu'il soit communiqué de quelque façon, un juge des faits raisonnable ne saurait accepter que ce consentement a été perçu sincèrement par l'accusé, sans d'abord cerner le comportement qui, en apparence, l'a amené à croire que la plaignante était consentante. Si l'accusé est incapable de produire un élément de preuve tendant à démontrer que la plaignante a communiqué son consentement, il court alors le risque qu'un jury conclue qu'il savait que la plaignante n'était pas consentante, qu'il a ignoré volontairement ce fait ou ne s'en est pas soucié.

Le juge du procès a eu raison de ne pas soumettre à l'appréciation du jury la défense d'erreur de fait. Rien dans l'ensemble de cette preuve, qu'il s'agisse du témoignage de la plaignante ou de celui de l'accusé, ne conférait la moindre vraisemblance à la possibilité que l'accusé ait pu croire à tort que la plaignante était consentante. Un jury raisonnable n'aurait pas pu non plus combiner des éléments du témoignage de la plaignante et du témoignage de l'accusé concernant l'incident, de manière à constituer un ensemble relativement cohérent de faits susceptibles d'appuyer la défense de croyance erronée au consentement. Les différences entre la prétendue agression et les actes sexuels qui ont eu lieu lors de la rencontre survenue deux semaines auparavant ne peuvent que conduire à la conclusion que la preuve de cette rencontre n'était ni pertinente relativement à la croyance sincère, chez l'accusé, que la plaignante était consentante au moment de l'agression, ni susceptible de justifier cette croyance. Tous les facteurs énumérés par la Cour d'appel comme conférant une vraisemblance à ce moyen de défense n'étaient tout au plus susceptibles que d'étayer une croyance, chez l'accusé, que la plaignante consentirait, et non qu'elle a effectivement consenti. Aucun de ces facteurs ne se rapporte de façon réaliste à ce qui s'est effectivement produit lors de la prétendue agression sexuelle.

Le juge Sopinka: Bien qu'un bon nombre des commentaires du juge L'Heureux‑Dubé relativement à la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement soient acceptés, il est inutile et peu souhaitable de tenter de déterminer exhaustivement les éléments constitutifs du moyen de défense invoqué en l'espèce. Il est plus simple de déterminer l'absence de vraisemblance que d'en définir en droit les éléments constitutifs. Dans le présent pourvoi, la question qu'il convient de se poser est de savoir s'il y avait une preuve que l'accusé a cru sincèrement que la plaignante consentait aux relations sexuelles. Le témoignage de la plaignante n'est d'aucune utilité à l'accusé puisqu'il a témoigné qu'il n'y avait pas eu de relations sexuelles. Cela est inconciliable avec la croyance qu'il y avait consentement aux relations sexuelles.

Les juges Cory, Iacobucci et Major: Le juge du procès n'a commis aucune erreur en refusant de soumettre à l'appréciation du jury la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement puisque, compte de tenu de toutes les circonstances de l'affaire, il pouvait conclure que ce moyen de défense n'avait aucune vraisemblance. En effet, l'accusé a nié qu'il y avait eu des relations sexuelles, tout en faisant valoir subsidiairement que, s'il y en a eu, il a cru qu'elles étaient consensuelles. Dans ces circonstances, il n'est pas logique d'appliquer la défense de la vraisemblance à une position aussi incohérente. En outre, le juge du procès n'a commis aucune erreur en déclarant inadmissible la preuve d'actes sexuels antérieurs.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Park

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé
Arrêts mentionnés: Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120
R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595
R. c. Bulmer, [1987] 1 R.C.S. 782
R. c. Reddick, [1991] 1 R.C.S. 1086
R. c. Guthrie (1985), 20 C.C.C. (3d) 73
R. c. White (1986), 24 C.C.C. (3d) 1
R. c. Livermore (1994), 18 O.R. (3d) 221
R. c. M. (M.L.), [1994] 2 R.C.S. 3
Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570
R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918
R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714
Leary c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 29
R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833
R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 63
Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835
R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 15.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 265(1), (2), (4).
Doctrine citée
Grande‑Bretagne. Advisory Group on the Law of Rape. Report of the Advisory Group on the Law of Rape. London: HMSO, 1975.
Vandervort, Lucinda. «Mistake of Law and Sexual Assault: Consent and Mens Rea» (1987‑88), 2 R.J.F.D. 233.
Wiener, Robin D. «Shifting the Communication Burden: A Meaningful Consent Standard in Rape» (1983), 6 Harv. Women's L.J. 143.

Proposition de citation de la décision: R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836 (22 juin 1995)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1995-06-22;.1995..2.r.c.s..836 ?
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