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14/12/1995 | CANADA | N°[1995]_4_R.C.S._344

Canada | Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344 (14 décembre 1995)


Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344

Joseph Apsassin, chef de la bande

indienne de la rivière Blueberry,

et Jerry Attachie, chef de la bande

indienne de la rivière Doig, en leur

nom et en celui de tous les autres

membres de la bande indienne de la

rivière Doig, de la bande indienne

de la rivière Blueberry ainsi que de

tous les descendants encore vivants

de la bande indienne des Castors Appelants

c.

Sa Majesté la Reine

du chef du Canada,

représentée par le ministère des

Affaires indiennes et du Nord

canadien et le Directeur des

terres des...

Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344

Joseph Apsassin, chef de la bande

indienne de la rivière Blueberry,

et Jerry Attachie, chef de la bande

indienne de la rivière Doig, en leur

nom et en celui de tous les autres

membres de la bande indienne de la

rivière Doig, de la bande indienne

de la rivière Blueberry ainsi que de

tous les descendants encore vivants

de la bande indienne des Castors Appelants

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada,

représentée par le ministère des

Affaires indiennes et du Nord

canadien et le Directeur des

terres destinées aux anciens combattants Intimée

et

La Nation Musqueam et le Conseil

tribal Ermineskin, le chef Abel Bosum

et autres, le chef Terry Buffalo

et autres, la bande et nation indiennes

de Samson, et l'Assemblée des premières nations Intervenants

Répertorié: Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien)

No du greffe: 23516.

1995: 13 et 14 juin; 1995: 14 décembre.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Major.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1993] 3 C.F. 28, 100 D.L.R. (4th) 504, 151 N.R. 241, [1993] 2 C.N.L.R. 20, qui a rejeté l'appel et l'appel incident formés contre un jugement de la Section de première instance, [1988] 3 C.F. 20 (version abrégée), 14 F.T.R. 161, [1988] 1 C.N.L.R. 73. Pourvoi et pourvoi incident accueillis.

Thomas R. Berger, c.r., Leslie J. Pinder, Arthur Pape et Gary A. Nelson, pour les appelants.

I. G. Whitehall, c.r., John R. Haig, c.r., et Mitchell R. Taylor, pour l'intimée.

Marvin R. V. Storrow, c.r., et Maria Morellato, pour les intervenants la Nation Musqueam et le Conseil tribal Ermineskin.

James O'Reilly, Edward H. Molstad, c.r., et Chantal Chatelain, pour les intervenants le chef Abel Bosum et autres.

James O'Reilly, Edward H. Molstad, c.r., et L. Douglas Rae, pour les intervenants le chef Terry Buffalo et autres.

Peter K. Doody et John E. S. Briggs, pour l'intervenante l'Assemblée des premières nations.

Version française du jugement des juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Sopinka et Gonthier rendu par

Le juge Gonthier —

I. Introduction

1 J'ai eu l'avantage de lire les motifs de ma collègue le juge McLachlin. Même si je suis d'accord avec son analyse de la cession des droits de superficie de la réserve indienne 172 («R.I. 172») et de l'application de la Limitation Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1979, ch. 236, ainsi qu'avec la façon dont elle tranche le pourvoi, je ne peux cependant me rallier à sa conclusion que la cession de la R.I. 172 à la Couronne en 1945 n'incluait pas les droits miniers afférents à la réserve. À mon avis, l'accord de 1945 était une cession complète à la Couronne, en fiducie, des droits de superficie de la réserve indienne de St. John et des droits miniers y afférents, aux fins [traduction] «de vendre ou de louer» les terres visées. L'intention de la bande des Castors au moment de la cession de 1945 de même que les conditions de l'acte de cession appuient mon opinion. Qui plus est, même si je conviens avec ma collègue que le ministère des Affaires indiennes («MAI») a manqué à une obligation de fiduciaire dans le cadre des opérations qu'il a effectuées relativement aux droits miniers après la cession de 1945, ma conclusion repose sur des motifs quelque peu différents, que j'expose ci‑après.

II.L'effet de la cession de la R.I. 172 en 1945 sur la cession des droits miniers afférents à la R.I. 172 en 1940

2 Le juge McLachlin soutient à cet égard que, comme il y avait déjà eu, en 1940, cession des droits miniers afférents à la R.I. 172 à des fins de «location», ces droits ne pouvaient être inclus dans la cession de 1945. Ma collègue appuie sa position sur le régime établi par la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, en matière de transfert à la Couronne de terres faisant partie de réserves. Une fois cédées, ces terres deviennent des «terres indiennes» au sens de l'al. 2l) de la Loi, qui se lit:

«terres indiennes», «terres des Indiens» signifie toute réserve ou partie de réserve qui a été cédée à la Couronne;

Il est donc clair que les «terres indiennes» doivent être une «réserve ou partie de réserve». L'alinéa 2h) définit ainsi le terme «réserve»:

«réserve» signifie toute étendue de terre mise à part, par traité ou autrement, pour l'usage ou le profit d'une bande particulière d'Indiens ou concédée à cette bande, et dont le titre légal est attribué à la Couronne, et qui fait encore partie de la réserve et n'a pas été rétrocédée à la Couronne, et comprend les arbres, le bois, la terre, la pierre, les minéraux, les métaux et autres choses de valeur qui se trouvent à la surface ou à l'intérieur du sol;

Le juge McLachlin affirme que les droits miniers afférents à la R.I. 172 ont été détachés de la «réserve» lorsque la bande a, en 1940, cédé les droits en question à la Couronne. Les droits miniers sont donc devenus des «terres indiennes» au sens de l'al. 2l) de la Loi, puisqu'ils étaient une «partie de réserve» qui avait été «cédée». Par conséquent, l'accord de 1945 ne pouvait pas inclure les droits de la bande sur les minéraux puisque la «réserve» -- au sens de l'al. 2h) de la Loi -- qui était cédée n'était formée que des parties de la R.I. 172 qui n'avaient pas encore été cédées. Par ailleurs, du fait que les parties à l'accord n'ont pas respecté certaines formalités applicables en cas de nouvelle cession de terres de la réserve (la conclusion d'un acte formel d'annulation avant cette nouvelle cession), le juge McLachlin rejette la thèse que l'accord de 1945 constituait une annulation de la cession des droits miniers en 1940 à des fins de «location» ainsi qu'une nouvelle cession de ces droits aux fins «de [les] vendre ou de [les] louer». Ma collègue conclut que la cession de 1940 n'a pas été touchée par celle de 1945, et que l'art. 54 de la Loi empêchait le MAI de vendre les droits miniers, étant donné qu'il était tenu de continuer de les louer conformément aux conditions de la cession de 1940.

3 La question de savoir si la cession des droits miniers, en 1940, était assujettie au régime de cession de terres établi par la Loi des Indiens de 1927 a suscité une importante controverse. En effet, dans les décisions dont appel, tant le juge Addy que le juge Stone ont conclu que la cession par une bande du droit d'exploitation de gisements minéraux indéterminés à l'intérieur d'une réserve n'était pas visée par la Loi de 1927. Ils fondaient cette conclusion sur le fait que, à leur avis, le régime établi par la loi ne s'appliquait que lorsque les droits de superficie et des droits miniers étaient cédés ensemble, et sur le fait que des droits miniers ne pouvaient pas, à eux seuls, constituer une «réserve» ayant qualité de «terres indiennes». Le juge en chef Isaac et ma collègue le juge McLachlin sont tous deux arrivés à la conclusion contraire, statuant que la Loi de 1927 s'appliquait aussi à une cession isolée de droits miniers, puisque ces droits constituaient une «partie de réserve» et auraient, en conséquence, qualité de «terres indiennes» après la cession.

4 À mon avis, le débat concernant la nature juridique de la cession de 1940 est théorique en l'espèce et n'a pas à être tranché. Que la cession de 1940 ait ou non été régie par la Loi de 1927, la légitimité de la cession n'a pas été contestée dans le cadre du présent pourvoi. D'ailleurs, elle ne saurait l'être, vu que la bande a donné un consentement libre et éclairé, que la Couronne s'est acquittée de son obligation de fiduciaire relativement à la cession et que les parties se sont conformées aux formalités prévues par la loi en matière de cession. Ma conclusion que les droits miniers afférents à la R.I. 172 ont été cédés dans le cadre de l'accord de 1945 ne s'appuie d'aucune façon sur la portée du régime établi par la loi relativement aux cessions et vaut donc même si les droits miniers avaient pris la qualité de «terres indiennes» par suite des opérations de 1940. Il en est ainsi parce que la question revient en définitive à déterminer l'effet de la cession de la R.I. 172 en 1945 sur la cession des droits miniers afférents à la R.I. 172 en 1940, quoi qu'il en soit de la validité de cette dernière. Même si la Loi de 1927 ne traite ni de la modification des cessions, ni de leur annulation, ni de la possibilité de refaire cession, on ne saurait prétendre sérieusement que, en raison de ce silence, toutes les cessions, y compris l'accord de 1940, ont un caractère permanent et irrévocable. De fait, le MAI avait établi sa propre procédure administrative en matière d'annulation de cession afin de faciliter la possibilité de refaire cession et de combler le vide existant dans la Loi à cet égard. C'est ce vide qu'il faut examiner en l'espèce, et je ne crois pas que l'on fait avancer l'analyse en décidant, dans un sens ou dans l'autre, si des «terres indiennes» sont en cause.

5 Pour expliquer l'effet de la cession, en 1945, de la R.I. 172 aux fins de «vendre ou de louer» les terres visées sur la cession, en 1940, des droits miniers afférents à la R.I. 172 à des fins de «location», les appelants et la Couronne ont, au soutien de leurs thèses opposées, invoqué différents concepts du droit des biens en common law. La thèse de la Couronne, qui est essentiellement celle du juge de première instance, le juge Addy, est qu'il y a eu transfert des droits miniers lors de la cession de 1945 par suite de l'effet de la présomption légale qui veut que, en cas de cession générale de terres, il y a transfert de tous les droits, sauf ceux réservés expressément dans l'acte de cession. Les appelants, dont ma collègue le juge McLachlin a retenu la thèse, préfèrent le principe de common law nemo dat quod non habet — nul ne peut donner ce qu'il n'a pas. Suivant les motifs du juge McLachlin, la bande ne pouvait céder les droits miniers afférents à la R.I. 172 en 1945, puisque ces droits avaient déjà été cédés en 1940.

6 À mon avis, les principes généraux du droit des biens en common law ne sont pas utiles dans le contexte du présent pourvoi. Puisque le titre indien sur les réserves a un caractère sui generis, il serait fort malencontreux que les exigences de forme de la common law en matière de transfert foncier viennent frustrer l'intention des parties, tout particulièrement celle de la bande, à l'égard de leurs intérêts dans la R.I. 172. Voilà pourquoi le caractère juridique de la cession de 1945 et son effet sur celle de 1940 doivent être déterminés au regard de l'intention de la bande. Hormis quelque empêchement prescrit par la loi (ce qui, comme nous l'avons vu précédemment, n'est pas le cas en l'espèce), il faut laisser l'intention des membres de la bande produire ses effets juridiques.

7 Selon moi, l'application d'une analyse fondée sur l'intention des parties offre un avantage important. Ainsi que l'a fait remarquer le juge McLachlin, la loi traite les peuples autochtones comme des acteurs autonomes en ce qui concerne l'acquisition et la cession de leurs terres, il faut donc respecter leurs décisions. En conséquence, il est préférable de s'en remettre à l'intention des membres de la bande et à leur compréhension de la situation en 1945, plutôt que de conclure que, quelle qu'ait été cette intention, c'est par un coup de chance — résultant de règles et autres formalités procédurales applicables aux transferts fonciers — qu'est invalidée la cession des droits miniers en 1945. Dans un cas comme celui-ci, l'application d'une analyse plus formaliste est à l'avantage des peuples autochtones. Cependant, il est facile d'imaginer des cas où cette même analyse serait préjudiciable aux autochtones et ferait obstacle à leurs plans mûrement réfléchis. À mon avis, dans l'examen des effets juridiques des opérations conclues par les peuples autochtones et la Couronne relativement à des terres faisant partie de réserves, il ne faut pas oublier que, compte tenu du caractère sui generis du titre autochtone, les tribunaux doivent faire abstraction des restrictions habituelles imposées par la common law afin de donner effet à l'objet véritable de ces opérations.

8 Bien que le juge McLachlin consacre une partie considérable de ses motifs à l'analyse de l'intention de la bande, le fait demeure que, dans le cadre de l'approche qu'elle applique, l'intention de la bande en 1945 n'est pas un facteur pertinent. Même si le juge McLachlin souscrivait à ma conclusion que la bande avait eu l'intention de céder les droits miniers dans l'accord de 1945, elle serait néanmoins forcée de conclure que ces droits n'étaient pas visés par la cession de 1945, vu ses conclusions concernant la Loi de 1927, l'application du principe nemo dat quod non habet et la procédure administrative adoptée par le MAI relativement à l'annulation des cessions. Même si le juge McLachlin et moi-même pouvons être en désaccord quant à l'intention de la bande en l'espèce, vu que je préfère m'appuyer sur les conclusions de fait du juge de première instance, j'estime qu'en principe une approche fondée sur l'intention est préférable au raisonnement plus formaliste de ma collègue.

9 Dans l'application de cette approche aux circonstances de l'espèce, il faut tenir compte des conclusions de fait du juge de première instance, le juge Addy. Trois sont particulièrement pertinentes afin d'établir quelle était l'intention des membres de la bande lorsqu'ils ont convenu de céder la R.I. 172 en 1945:

1. Les demandeurs savaient depuis longtemps qu'une cession absolue de la R.I. 172 était envisagée;

. . .

6. M. Grew [l'agent des Indiens pour l'endroit] avait expliqué aux Indiens toutes les conséquences d'une cession;

7. Même s'ils n'ont pas saisi exactement la nature du droit, en common law, qu'ils cédaient, ils en étaient probablement incapables, ils ont bel et bien compris, dans les faits, que par la cession ils renonçaient pour toujours à tous leurs droits sur la R.I. 172 en échange de l'argent qui serait versé à leur crédit après la vente de la réserve, et d'autres terrains situés près de leurs sentiers de piégeage qui seraient achetés avec le produit de la vente; [Je souligne.]

([1988] 3 C.F. 20, aux pp. 66 et 67.)

La bande comprenait, d'une part, qu'en acceptant la cession de 1945 elle transférerait à la Couronne, en fiducie, tous les droits qu'elle avait dans la R.I. 172, et, d'autre part, que la Couronne vendrait ou louerait ces droits au profit de la bande. La vente ou la location de la R.I. 172 par la Couronne rapporterait les fonds nécessaires à l'achat, par la bande, d'autres terres visant à lui servir de réserve et convenant mieux à ses activités traditionnelles de chasse et de cueillette. La bande ne s'attendait pas à détenir des droits sur la R.I. 172 une fois la cession de 1945 complétée, et ce n'était pas non plus son intention. Cette décision était tout à fait justifiée, comme le signale ma collègue le juge McLachlin, puisque la R.I. 172 n'avait pratiquement aucune utilité pour la bande à l'époque.

10 L'intention de la bande ressort des termes mêmes de l'acte de cession de 1945, que le chef Succona, Joseph Apsassin et deux conseillers ont signé au nom de la bande. Ce document indique que la bande a [traduction] «cédé au Roi, [son] maître souverain, ainsi qu'à ses héritiers et successeurs, tous les biens‑fonds et bâtiments . . . dont la réserve indienne 172 de St. John est composée, et y a renoncé, pour toujours». Comme cet acte portait cession de certaines terres formant une «réserve», il est raisonnable de conclure que l'on désirait, dans l'acte de cession, utiliser le mot «réserve» suivant le sens que lui donne la Loi des Indiens. Comme je l'ai fait remarquer précédemment, aux termes de la définition figurant à l'al. 2h) de la Loi, le mot «réserve» s'entend d'une étendue de terre qui n'a pas été rétrocédée et comprend les «minéraux [. . .] qui se trouvent à la surface ou à l'intérieur du sol». En conséquence, la cession de 1945 incluait l'étendue de terre formant la R.I. 172, les minéraux s'y trouvant ainsi que le droit d'exploiter ces minéraux. Pour ce motif, je ne peux, avec égards, souscrire à l'affirmation du juge McLachlin que l'acte de cession était silencieux en ce qui concerne les droits miniers.

11 Vu l'intention de la bande dans le cadre de la cession de 1945 et les conditions de cette cession, le juge Stone de la Cour d'appel fédérale a conclu ainsi:

Il me semble que l'effet général de la cession de 1945 était essentiellement le même que celui auquel on aurait pu en arriver en annulant d'abord la cession de 1940 avec le consentement des Indiens, le gouverneur en conseil acceptant ensuite cette annulation. Selon la conclusion tirée par le juge de première instance, les Indiens ont consenti à la cession des droits qu'ils possédaient sur la R.I. 172; leur consentement se manifestait dans le libellé de l'acte officiel de cession et la cession a par la suite été acceptée par le gouverneur en conseil.

([1993] 3 C.F. 28, aux pp. 122 et 123.)

Il a en conséquence considéré la cession de 1945 comme une annulation de celle de 1940 et un transfert à la Couronne de la R.I. 172, y compris les droits miniers y afférents, aux fins «de vendre ou de louer» les terres visées.

12 Même si la thèse de l'«annulation suivie d'une nouvelle cession» proposée par le juge Stone est une interprétation plausible de l'accord de 1945, je crois que la meilleure façon de décrire la nature véritable des opérations de 1945 est de les qualifier de modification d'une fiducie visant des terres indiennes. En effet, en 1940, la bande a transféré à la Couronne, en fiducie, les droits miniers afférents à la R.I. 172, exigeant de cette dernière qu'elle les loue au profit de la bande. L'accord de 1945 visait également une fiducie, dans laquelle la bande cédait à la Couronne tous les droits qu'elle détenait sur la R.I. 172 à des fins de vente ou de location. L'accord de 1945 subsumait celui de 1940, et il en élargissait la portée à deux points de vue: premièrement, alors que la cession de 1940 ne visait que les droits miniers, celle de 1945 englobait tous les droits afférents à la R.I. 172, y compris les droits miniers et les droits de superficie; deuxièmement, tandis que la cession de 1940 constituait une fiducie [traduction] «aux fins de [. . .] location», celle de 1945 conférait à la Couronne, en qualité de fiduciaire, le pouvoir discrétionnaire «de vendre ou de louer» les terres visées. Cette double modification de l'acte de fiducie de 1940 conférait à la Couronne un pouvoir beaucoup plus grand d'agir à titre de fiduciaire pour le compte de la bande. Certes, compte tenu des conditions de la fiducie et du rôle de fiduciaire qu'assumait la Couronne lorsqu'elle effectuait des opérations, le MAI était tenu d'exercer ses pouvoirs élargis dans l'intérêt de la bande.

13 Je tiens à ajouter qu'il ne faut pas interpréter mes motifs comme ayant pour effet d'assimiler les fiducies visant des terres indiennes aux fiducies en common law. Je suis bien conscient que cette question n'a pas été tranchée dans Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, et je ne désire pas le faire en l'espèce. Cependant, notre Cour a, dans cet arrêt, reconnu que des obligations et principes «semblable[s] à [ceux d']une fiducie» étaient pertinents dans le cadre de l'analyse d'une cession visant des terres indiennes. Dans le présent cas, tant la cession de 1940 que celle de 1945 étaient conçues comme des fiducies, et les parties avaient en conséquence l'intention de créer des rapports semblables à ceux créés par une fiducie. En conséquence, à défaut d'un meilleur qualificatif, j'estime approprié d'appeler ces cessions des fiducies visant des terres indiennes.

14 Je tiens à ajouter que j'hésiterais à donner effet à cette modification de cession si je croyais que la bande n'en avait pas bien saisi les conditions, ou si la conduite de la Couronne avait, d'une manière ou d'une autre, vicié les négociations au point qu'il serait hasardeux de tenir pour acquis que la bande avait bien compris la situation et avait eu l'intention de faire ce qu'elle a fait. Cependant, ni l'une ni l'autre de ces situations ne se sont produites en l'espèce. Comme l'a conclu le juge de première instance, l'agent local du MAI a pleinement expliqué les conséquences de la cession de 1945 aux Indiens pendant les négociations. De plus, les exigences de forme en matière de cession prévues par l'art. 51 de la Loi des Indiens de 1927 ont, pour l'essentiel, été respectées, et, comme l'a conclu le juge McLachlin, la preuve démontre amplement que les membres de la bande ont ratifié de façon valide l'accord de 1945. Par ailleurs, de par les termes de l'acte de cession, le MAI était tenu d'agir dans l'intérêt de la bande dans le cadre des opérations touchant les droits miniers. De fait, le MAI avait l'obligation de fiduciaire de donner préséance aux intérêts de la bande. En conséquence, rien dans les négociations qui ont précédé la cession de 1945 ou dans les conditions de l'acte de cession lui‑même ne m'amène à conclure qu'il serait inapproprié de donner effet à l'intention de la bande, savoir de céder en fiducie à la Couronne tous ses droits dans la R.I. 172 pour que cette dernière «vend[e] ou . . . lou[e]» les terres visées. De fait, le principe directeur qui veut que l'on respecte les décisions des peuples autochtones m'amène à la conclusion contraire.

15 En conséquence, je conclus que, en vertu de l'accord de 1945, tant les droits de superficie de la R.I. 172 et les droits miniers y afférents ont été cédés à la Couronne, en fiducie, pour qu'elle «vend[e] ou . . . lou[e]» les terres visées.

III. Manquement du MAI à son obligation de fiduciaire après la cession de 1945

16 Aux termes de la cession de 1945, la bande transférait la R.I. 172 à la Couronne [traduction] «en fiducie aux fins [. . .] de vendre ou de louer [. . .] lesdites terres à une ou plusieurs personnes et selon les conditions que le gouvernement du Canada peut juger les plus appropriées pour assurer notre bien‑être et celui de notre peuple». En assumant les obligations d'un fiduciaire relativement à la R.I. 172, le MAI avait l'obligation de fiduciaire d'agir dans le meilleur intérêt des membres de la bande des Castors dans les opérations concernant les terres. Cette obligation visait à la fois les droits de superficie et les droits miniers.

17 À mon avis, le fait que l'accord de 1945 était une cession en fiducie conclue aux fins de vendre ou de louer les terres visées est décisif en l'espèce. Aux termes de l'acte de fiducie, le MAI avait le pouvoir discrétionnaire de vendre ou de louer les terres visées et, comme il était tenu à une obligation de fiduciaire envers la bande, il devait exercer ce pouvoir discrétionnaire dans l'intérêt de cette dernière. Autre fait tout aussi important, la cession de 1945 donnait virtuellement carte blanche au MAI pour décider à quelles conditions la R.I. 172 serait vendue ou louée. La seule restriction était que ces conditions devaient être «appropriées pour assurer [le] bien‑être» de la bande. Compte tenu de l'étendue du pouvoir discrétionnaire qui était accordé au MAI, il lui aurait été possible de vendre les droits de superficie de la R.I. 172 au Directeur de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants («DTAC»), tout en continuant de louer les droits miniers au profit de la bande, conformément à l'acte de cession de 1940.

18 La raison pour laquelle cette solution n'a pas été retenue est un mystère. Comme le fait remarquer ma collègue le juge McLachlin, suivant une politique de longue date, antérieure à la cession de 1945, lorsqu'il vendait des terres indiennes cédées, le MAI réservait les droits miniers au profit des autochtones concernés. Cette politique avait justement été adoptée parce qu'on estimait que, dans tous les cas, le fait de réserver les droits miniers était une mesure [traduction] «appropri[ée] pour assurer [le] bien‑être» des autochtones visés. L'existence et la raison d'être de cette politique (dont le bien‑fondé, bien qu'évident, ressort des faits de la présente affaire) justifient la conclusion que le MAI avait l'obligation de fiduciaire de réserver, au profit de la bande des Castors, les droits miniers afférents à la R.I. 172, lorsqu'il a vendu les droits de superficie au DTAC en mars 1948. Autrement dit, le MAI aurait dû continuer de louer les droits miniers comme il l'avait fait depuis 1940. Son omission de le faire ne peut s'expliquer que par une «inadvertance».

19 L'omission du MAI de continuer la location pourrait être excusée si le ministère avait reçu de la bande le mandat clair de vendre les droits miniers. Comme je l'ai affirmé plus tôt, l'intention de la bande m'amène à la conclusion que la cession de 1945 visait à la fois les droits de superficie de la R.I. 172 et les droits miniers y afférents. Cependant, la cession de 1945 était faite aux fins «de vendre ou de louer» les terres visées. À aucun moment au cours des négociations ayant abouti à l'accord de 1945, la question de la vente des droits miniers n'a été discutée de manière explicite. L'autorisation donnée accordait autant le pouvoir de louer les terres visées que celui de les vendre. En conséquence, la bande n'a jamais clairement autorisé le MAI à déroger à sa politique de longue date, qui était de réserver les droits miniers au profit des autochtones concernés lorsqu'il vendait des droits de superficie. Cette situation fait bien ressortir l'importance de la distinction entre l'intention de la bande d'inclure les droits miniers dans la cession de 1945 et une quelconque intention de la bande de demander à la Couronne de vendre ces droits plutôt que de les louer. Dans ces circonstances, le MAI avait l'obligation de fiduciaire de continuer la location prévue par la cession de 1940. La vente des droits miniers au DTAC en 1948 a constitué une violation de cette obligation de fiduciaire.

IV. Prescription

20 Je suis d'accord avec le juge McLachlin que le manquement par le MAI à son obligation de fiduciaire n'est pas limité à la date à laquelle les droits miniers afférents à la R.I. 172 ont été vendus au DTAC. Le MAI avait l'obligation d'agir dans l'intérêt de la bande des Castors dans toutes ses opérations concernant les droits miniers afférents à la R.I. 172, ce qui, comme je l'ai déjà mentionné, a donné naissance à l'obligation spécifique de louer ces droits au profit de la bande, conformément aux conditions de l'accord de 1945. Dans la mesure où le MAI détenait, soit en vertu de l'acte de cession soit en vertu de la Loi des Indiens, le pouvoir de réserver les droits miniers dans le cadre d'une entente de location, il avait l'obligation de fiduciaire d'exercer ce pouvoir. En conséquence, à l'instar du juge McLachlin, je suis d'avis que l'art. 64 de la Loi est très important, car il conférait au MAI le pouvoir d'annuler les ventes ou affermages de terres indiennes faits par erreur. Étant donné que les droits miniers afférents à la R.I. 172 ont été vendus par inadvertance, l'art. 64 donnait au MAI le pouvoir de se porter de nouveau acquéreur des terres de la réserve, lui accordant ainsi une «deuxième chance» de louer les droits miniers.

21 Dans ses motifs, le juge McLachlin démontre amplement que, entre le 15 juillet 1949 et le 9 août 1949, le MAI avait appris deux faits: (1) la possibilité que les droits miniers afférents à la R.I. 172 aient une valeur considérable; (2) les droits miniers avaient été vendus au DTAC en 1948. Il faut également se rappeler que le MAI appliquait une politique de longue date, qui consistait à réserver les droits miniers au profit des autochtones visés lorsqu'il vendait des terres indiennes. Vu ces circonstances, il est plutôt étonnant que le MAI n'ait pris aucune mesure pour déterminer comment les droits miniers avaient pu être vendus au DTAC. Il aurait suffi de peu pour découvrir l'erreur qui s'était produite.

22 En tant que fiduciaire, le MAI était tenu d'agir avec diligence raisonnable. À mon avis, une personne raisonnable, placée dans la situation du MAI, se serait aperçue, le 9 août 1949, qu'une erreur avait été commise, et elle aurait exercé le pouvoir que lui conférait l'art. 64 pour la corriger, pour acquérir de nouveau les droits miniers et pour conclure une entente de location au profit de la bande. Cette omission constitue un manquement évident à l'obligation de fiduciaire qu'avait le MAI d'agir dans l'intérêt de la bande lorsqu'il effectuait des opérations touchant la R.I. 172.

23 En conséquence, je conclus que les appelants peuvent recouvrer les pertes découlant des transferts faits par le DTAC après le 9 août 1949, puisqu'elles se situent à l'intérieur du délai de prescription de 30 ans fixé par la Limitation Act de la Colombie‑Britannique et que les réclamations présentées à cet égard ne sont pas écartées par quelque autre disposition de cette loi comme l'a expliqué le juge McLachlin dans ses motifs.

V. Conclusion

24 Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi de la manière indiquée par le juge McLachlin et de renvoyer l'action à la Section de première instance de la Cour fédérale pour qu'elle établisse, en conséquence, les dommages-intérêts. Je suis également d'avis, pour les motifs formulés par le juge McLachlin, d'accueillir le pourvoi incident. Compte tenu des circonstances, j'accorde aux appelants leurs dépens devant toutes les cours, mais je ne rends pas d'ordonnance à cet égard pour ce qui est du pourvoi incident.

Version française des motifs des juges Cory, McLachlin et Major rendus par

Le juge McLachlin --

I. Introduction

25 En 1916, la bande indienne des Castors (la «bande») a conclu un traité avec la Couronne. En échange de la cession de son titre ancestral, la bande a reçu un lopin de terre près de Fort St. John (également appelé «R.I. 172»), dans le nord-est de la Colombie‑Britannique. La bande était nomade et vivait du piégeage et de la chasse. Elle utilisait sa réserve de Fort St. John comme camp d'été. Durant l'hiver, la bande faisait du piégeage plus au nord.

26 En 1940, la bande a cédé à la Couronne, en fiducie, les droits miniers afférents à sa réserve de Fort St. John pour que celle‑ci les loue au profit de la bande. La même année, la Couronne a délivré des permis de prospection visant ces terres pour la somme de 1 800 $, qu'elle a répartie entre les membres de la bande.

27 À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fédéral a établi un programme visant à mettre des terres agricoles à la disposition des anciens combattants pour qu'ils s'y établissent. La possibilité d'appliquer ce régime à la réserve de Fort St. John a été discutée, car cette dernière contenait de bonnes terres agricoles et les Indiens, qui vivaient du piégeage et de la chasse plutôt que de l'agriculture, ne les utilisaient pas à des fins agricoles. Après de longues discussions, la bande a accepté de céder sa réserve à la Couronne, conformément aux dispositions de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, pour que les terres en question puissent par la suite être attribuées en vertu de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants, S.C. 1942, ch. 33. Au terme de négociations, le ministère des Affaires indiennes («MAI») et le Directeur de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants («DTAC») ont convenu du prix de 70 000 $, et cette somme a été versée au MAI par le DTAC. En 1950, le MAI a utilisé une partie de cette somme pour acquérir d'autres terres se trouvant plus au nord, plus près des sentiers de piégeage de la bande, et qui sont devenues la nouvelle réserve de la bande.

28 Entre 1948 et 1956, les terres qui constituaient anciennement la réserve de la bande à Fort St. John ont été cédées à des anciens combattants par actes de vente. En 1948, on a découvert du gaz à environ 40 milles au sud‑est de la réserve. En 1949, des sociétés pétrolières se sont montrées intéressées à faire de l'exploration en vue d'y trouver du pétrole et du gaz. S'est alors posée la question de savoir qui était titulaire des droits miniers afférents au bien‑fonds. Était‑ce la bande ou les anciens combattants? Il y a eu échange de correspondance entre le MAI et le DTAC à cet égard. Il a été décidé que le DTAC était titulaire des droits miniers, et qu'il les avait obtenus parce qu'ils n'avaient pas été réservés au moment du transfert de la réserve au DTAC en 1948. Au cours des années 1960, on a conclu que c'est par suite d'une «inadvertance» que les droits miniers n'avaient pas été réservés. En 1952, les anciens combattants ont conclu une convention de mise en commun relativement aux droits miniers. En 1976, on a découvert du pétrole et du gaz. Le revenu tiré de cette découverte (montant indéterminé en l'espèce, mais que le juge de première instance a évalué à environ 300 millions de dollars) est allé aux anciens combattants ou à leurs ayants droit.

29 En 1977, la bande s'est scindée en deux: la bande indienne de la rivière Blueberry et la bande indienne de la rivière Doig (les «bandes»). La même année, un fonctionnaire du MAI qui s'intéressait à la question a décidé d'enquêter sur la façon dont la bande avait perdu les droits miniers. Il a porté la question à l'attention des bandes et les a emmenées consulter un avocat. Le bref introduisant la présente instance a été déposé le 18 septembre 1978. Les bandes y réclamaient des dommages‑intérêts contre la Couronne, lui reprochant d'une part d'avoir autorisé la bande à faire une cession inconsidérée de la réserve et, une fois la cession réalisée, d'avoir aliéné celle‑ci à un prix inférieur à sa valeur, et d'autre part d'avoir permis le transfert des droits miniers, d'abord au DTAC puis aux anciens combattants.

30 Au procès, le juge Addy a rejeté toutes les réclamations des bandes sauf celle concernant la vente des droits de superficie au DTAC, droits qui, a‑t‑il conclu, avaient été vendus à un prix inférieur à leur valeur réelle: [1988] 3 C.F. 20 (version abrégée), 14 F.T.R. 161, [1988] 1 C.N.L.R. 73. La Cour d'appel fédérale a, à la majorité, le juge en chef Isaac étant dissident, rejeté l'appel ainsi que l'appel incident de la Couronne: [1993] 3 C.F. 28, 100 D.L.R. (4th) 504, 151 N.R. 241, [1993] 2 C.N.L.R. 20. Les bandes se pourvoient auprès de notre Cour, et la Couronne interjette un pourvoi incident sur la question de la vente des droits de superficie à un prix inférieur à leur valeur réelle.

31 Le pourvoi soulève de nombreuses questions en ce qui a trait aux obligations de la Couronne, aux prétendus manquements à ces obligations et au fait de savoir si les réclamations sont prescrites. Je me propose d'examiner ces questions sous les rubriques suivantes: (1) les obligations antérieures à la cession et les manquements à ces obligations; (2) les obligations relatives aux droits de superficie et postérieures à la cession, et les manquements à ces obligations; (3) les obligations relatives aux droits miniers et postérieures à la cession, et les manquements à ces obligations; (4) les questions relatives à la prescription des réclamations.

II. Analyse

(1) Les obligations antérieures à la cession et les manquements à ces obligations

32 Les bandes prétendent que, avant la cession des terres en 1945, la Couronne avait l'obligation de fiduciaire de s'assurer que la bande ne conclue pas de cession inconsidérée. Cet argument soulève la question de la nature de l'obligation qui incombe à la Couronne lorsqu'une bande désire céder sa réserve. Les bandes admettent que, en 1945, elles désiraient céder la réserve de Fort St. John afin d'obtenir d'autres terres situées plus près de leurs sentiers de piégeage ainsi qu'une somme forfaitaire pour le solde du prix de vente. Elles affirment toutefois que la Couronne n'aurait pas dû leur permettre de faire cette cession puisque, à long terme, celle‑ci n'était pas dans leur intérêt.

a)La Loi des Indiens imposait‑elle à la Couronne l'obligation d'empêcher la cession de la réserve?

33 Il s'agit d'abord de déterminer si la Loi des Indiens imposait à la Couronne l'obligation de refuser que la bande cède sa réserve. La réponse à cette question se trouve dans l'arrêt Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, où le juge Dickson (plus tard Juge en chef du Canada) a statué, au nom des juges de la majorité de la Cour, que le fondement de l'obligation de la Couronne relativement à la cession des terres des Indiens était la prévention des marchés abusifs.

34 Les bandes prétendent que la Loi des Indiens imposait à la Couronne l'obligation de refuser à la bande l'autorisation de céder ses terres, vu la nature de l'intérêt de la bande sur les terres et le caractère paternaliste du régime établi par la Loi des Indiens. Lorsqu'une réserve est accordée à une bande, comme ce fut le cas en l'espèce en 1916, le titre n'est pas transmis à la bande visée, mais c'est plutôt la Couronne qui détient le titre en fief simple. La Couronne est donc investie de certains pouvoirs à l'égard de ces terres et elle doit, fait‑on valoir, les exercer en qualité de fiduciaire, pour le compte de la bande concernée. Ce fait est renforcé par le ton paternaliste de la Loi des Indiens, qui, allègue‑t‑on, impose à la Couronne l'obligation de protéger les Indiens contre eux‑mêmes et de les empêcher de prendre des décisions imprudentes relativement à leurs terres. Voilà pourquoi, prétend‑on, la Couronne conserve le titre de propriété. Cette dernière, quant à elle, décrit la bande comme un acteur indépendant pour ce qui est de la cession de ses terres.

35 À mon avis, les dispositions de la Loi des Indiens relatives à la cession des réserves des bandes établissent un équilibre entre les deux pôles extrêmes que constituent l'autonomie et la protection. Il fallait que la bande visée consente à la cession de sa réserve, à défaut de quoi celle‑ci ne pouvait pas être vendue. Par ailleurs, il fallait également que la Couronne, par l'intermédiaire du gouverneur en conseil, consente à la cession. L'exigence que la Couronne consente à la cession n'avait pas pour objet de substituer la décision de cette dernière à celle des bandes, mais plutôt d'empêcher que celles‑ci se fassent exploiter. Le juge Dickson a décrit ainsi cette exigence dans Guerin (à la p. 383):

Cette exigence d'une cession vise manifestement à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter.

Il s'ensuit que, en vertu de la Loi des Indiens, les bandes avaient le droit de décider si elles voulaient céder leur réserve, et que leur décision devait être respectée. Par ailleurs, si la décision de la bande concernée était imprudente ou inconsidérée — et équivalait à de l'exploitation — la Couronne pouvait refuser son consentement. Bref, l'obligation de la Couronne se limitait à prévenir les marchés abusifs.

36 Sous réserve de la question de la valeur de la réserve et de la question des droits miniers, que j'examine plus loin, la preuve n'étaye pas l'argument que la cession de la réserve de Fort St. John était imprudente ou inconsidérée, ou qu'elle équivalait à de l'exploitation. De fait, du point de vue de la bande, à l'époque, cette décision se défendait. L'étendue du contrôle que la Loi permettait à la bande d'exercer sur la cession de la réserve réfute l'argument que, en l'absence d'exploitation, la Loi imposait une obligation de fiduciaire à la Couronne relativement à la cession de la réserve.

b)Les circonstances de l'espèce ont‑elles donné naissance à une obligation de fiduciaire de la Couronne à l'égard de la cession?

37 Si la Loi des Indiens n'imposait pas à la Couronne l'obligation de bloquer la cession de la réserve, se pose alors la question de savoir si, compte tenu des faits particuliers de l'espèce, des rapports de fiduciaire ne venaient pas s'ajouter au régime d'aliénation des terres indiennes établi par la Loi des Indiens.

38 En règle générale, une obligation de fiduciaire prend naissance lorsqu'une personne possède un pouvoir unilatéral ou discrétionnaire à l'égard d'une question touchant une autre personne «particulièrement vulnérable»: voir Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99; Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226, et Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377. La partie vulnérable est tributaire de la partie qui possède le pouvoir unilatéral ou discrétionnaire, qui, à son tour, est obligée d'exercer ce pouvoir uniquement au profit de la partie vulnérable. La personne qui cède (ou, plus souvent, qui se trouve dans la situation où quelqu'un d'autre a cédé pour elle) son pouvoir sur quelque chose à une autre personne escompte que la personne à qui le pouvoir en question est cédé l'exercera avec loyauté et diligence. Cette notion est la pierre d'assise de l'obligation de fiduciaire.

39 Il ressort de la preuve que la bande escomptait que la Couronne la renseignerait sur les diverses solutions qui s'offraient à elle — et sur les conséquences prévisibles de ces solutions — relativement à la cession de la réserve de Fort St. John et à l'acquisition de nouvelles terres qui conviendraient mieux à son mode de vie fondé sur le piégeage et la chasse. Comme l'attestent les conclusions suivantes du juge Addy (aux pp. 66 et 67 C.F.), la preuve n'étaye pas la prétention que la bande avait renoncé à son pouvoir de décision quant à la cession de la réserve ou qu'elle s'en était remis à la Couronne à cet égard:

1. Les demandeurs savaient depuis longtemps qu'une cession absolue de la R.I. 172 était envisagée;

2. Ils en avaient discuté auparavant au moins à trois reprises à l'occasion d'assemblées officielles tenues en présence de représentants du Ministère;

3. Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, il serait absurde de conclure que les Indiens n'auraient pas débattu la question entre eux à de nombreuses occasions et de façon informelle au sein des groupes familiaux et des groupes de chasse;

4. À l'assemblée de la cession elle‑même, la question avait fait l'objet d'un débat complet. Les Indiens en avaient discuté entre eux et avec les représentants du Ministère avant la signature de l'acte de cession;

5. [Les représentants de la Couronne n'avaient pas] essayé d'influencer les demandeurs soit avant, soit pendant l'assemblée de la cession. Au contraire, la question semble avoir été résolue de façon très consciencieuse par les représentants du Ministère concernés;

6. M. Grew [l'agent des Indiens pour l'endroit] avait expliqué aux Indiens toutes les conséquences d'une cession;

7. Même s'ils n'ont pas saisi exactement la nature du droit, en common law, qu'ils cédaient, ils en étaient probablement incapables, ils ont bel et bien compris, dans les faits, que par la cession ils renonçaient pour toujours à tous leurs droits sur la R.I. 172 en échange de l'argent qui serait versé à leur crédit après la vente de la réserve, et d'autres terrains situés près de leurs sentiers de piégeage qui seraient achetés avec le produit de la vente;

8. Lesdits terrains avaient déjà été choisis par les Indiens, après mûre réflexion.

40 Je conclus que la preuve n'appuie pas l'existence d'une obligation de fiduciaire qui aurait incombé à la Couronne avant la cession de la réserve par la bande.

c)La cession était‑elle invalide en raison de l'inobservation de l'art. 51 de la Loi des Indiens?

41 Aux termes du par. 51(1) de la Loi des Indiens de 1927, une cession n'est valide que si elle a été ratifiée par la majorité des hommes de la bande à une assemblée convoquée pour en délibérer. Les paragraphes (3) et (4) sont ainsi rédigés:

3. Le fait que la cession ou rétrocession a été consentie par la bande, à ce conseil ou à cette assemblée, doit être attesté sous serment par le surintendant général ou par le fonctionnaire qu'il a autorisé à assister à ce conseil ou à cette assemblée, et par l'un des chefs ou des anciens qui y a assisté et y a droit de vote, devant toute personne autorisée à faire prêter serment et ayant juridiction dans l'endroit où le serment est prêté.

4. Après que ce consentement a été ainsi attesté, comme susdit, la cession ou rétrocession est soumise au gouverneur en son conseil, pour qu'il l'accepte ou la refuse.

On ne s'est pas conformé à ces paragraphes pour obtenir de la bande la cession de 1945. Il ne s'est agi là, toutefois, que d'un simple vice de forme. En effet, les chefs auraient dû attester personnellement, sous serment, qu'ils consentaient à la cession. Au lieu de cela, ils ont plutôt dit au commissaire qu'ils désiraient céder la réserve, et c'est ce dernier qui a attesté ce fait sous serment.

42 Cela soulève la question de savoir si les par. 51(3) et (4) ont un caractère soit impératif, soit simplement supplétif ou directif. Le juge Addy de la Section de première instance de la Cour fédérale et le juge Stone de la Cour d'appel fédérale ont statué que malgré l'utilisation du mot shall («doit» ou l'indicatif présent, selon le cas, dans le texte français) les dispositions avaient un caractère supplétif et non pas impératif, appuyant leur conclusion sur l'arrêt Montreal Street Railway Co. c. Normandin, [1917] A.C. 170 (C.P.), dans lequel on a résumé ainsi (à la p. 175) les facteurs servant à déterminer si une directive contenue dans une disposition législative a un caractère soit impératif, soit supplétif ou directif:

[traduction] Lorsque les dispositions d'une loi se rapportent à l'exécution d'un devoir public et que, dans un cas donné, déclarer nuls et non avenus des actes accomplis par manquement à ce devoir entraînerait, pour des personnes qui n'ont aucun contrôle sur ceux chargés de ce devoir, une injustice ou des inconvénients généraux graves, et en même temps n'aiderait pas à atteindre l'objet principal visé par le législateur, on conclut habituellement que ces dispositions ne sont que directives . . .

Le juge Addy a conclu que le fait de reconnaître à ces dispositions un caractère impératif ne favoriserait pas la réalisation de l'objet principal de la loi, qui est de faire en sorte que la vente de la réserve se fasse selon les désirs de la bande. Le juge Stone a souscrit à cette conclusion. Depuis, notre Cour a jugé que l'objet de la loi ainsi que la conséquence d'une décision dans un sens ou dans l'autre sont les considérations les plus importantes pour déterminer si une directive a un caractère impératif ou directif: Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général), [1994] 2 R.C.S. 41.

43 L'objet véritable des par. 51(3) et (4) de la Loi des Indiens était de faire en sorte que le consentement de la bande à la cession soit valide. Les éléments de preuve en la possession du MAI, notamment la liste des personnes ayant participé au vote, établissaient amplement l'existence d'un consentement valide. De plus, interpréter ces dispositions comme étant impératives entraînerait de graves inconvénients, non seulement dans le cas où la cession est contestée plus tard, mais également dans tous ceux où on ne s'est pas conformé à la disposition, car il faudrait alors que la bande tienne une nouvelle assemblée, consente à la cession et atteste ce consentement. Je suis donc d'accord avec la conclusion des tribunaux inférieurs que le mot «shall» («doit» ou l'indicatif présent, selon le cas, dans le texte français) utilisé dans les dispositions en cause ne devrait pas être considéré comme ayant un sens impératif. L'inobservation de l'art. 51 de la Loi des Indiens n'invalide donc pas la cession.

d)Les conclusions relatives à l'existence d'une obligation avant la cession et au manquement à cette obligation

44 Je conclus que les bandes n'ont pas établi que la Couronne a eu tort de ne pas empêcher la cession de la réserve de Fort St. John en 1945.

(2)Les obligations relatives aux droits de superficie et postérieures à la cession, et les manquements à ces obligations

45 La cession de 1945 a eu pour effet de transférer les terres de la bande à la Couronne [traduction] «en fiducie aux fins de vendre ou de louer lesdites terres à une ou plusieurs personnes et selon les conditions que le gouvernement du Canada peut juger les plus appropriées pour assurer notre bien‑être et celui de notre peuple» (je souligne). La Couronne admet que cette cession lui a imposé une obligation de fiduciaire en ce qui concerne la vente ou la location subséquentes des terres visées: Guerin, précité. La seule question qui se pose est de déterminer si la Couronne a manqué à cette obligation lorsque, en 1948, elle a vendu les terres au DTAC pour la somme de 70 000 $.

46 L'obligation imposée à la Couronne par les conditions de la cession (obligation qui est devenue une obligation légale par l'effet de l'art. 54 de la Loi) était considérable. Elle visait non seulement les aspects financiers de l'opération, mais également la question de savoir si l'entente assurerait, au sens large du terme, le bien‑être des Indiens. Les bandes prétendent que la Couronne a manqué à cette obligation: a) en n'envisageant pas de louer les terres plutôt que de les vendre; b) en vendant les terres à un prix inférieur à leur valeur; c) en ne remettant pas la réserve à la bande, après la cession, vu l'état d'appauvrissement dans lequel se trouvait la bande. Je vais examiner chacune de ces allégations à tour de rôle.

a)L'omission d'envisager la location des droits de superficie plutôt que leur vente

47 Le juge de première instance a conclu que la Couronne a tenu compte de l'intérêt de la bande en aliénant les terres et que, avec le recul du temps, la vente des terres au ministère des Affaires des anciens combattants était effectivement dans l'intérêt de la bande. Il a jugé que cette dernière était intéressée à obtenir des terres situées plus près de ses territoires de chasse et de piégeage. Si les droits de superficie avaient été loués plutôt que vendus, la bande n'aurait peut‑être pas eu, sur le coup, suffisamment d'argent pour acheter des terres de remplacement.

48 À l'encontre de ce point, les bandes renvoient aux énoncés de politique du MAI du début des années 1940, énoncés qui tendent à indiquer que le MAI préférait louer les intérêts fonciers non utilisés des Indiens plutôt que de les vendre, de sorte que les Indiens et leurs descendants disposent, dans le futur, de terres qu'ils pourraient utiliser. Les bandes prétendent que le MAI n'a pas suivi sa propre politique. Elles invoquent également le fait que le directeur des Affaires indiennes, M. McGill, a écrit au sous‑ministre, en août 1944, et lui a fortement déconseillé de vendre les terres, tout en lui indiquant qu'il était possible d'apaiser le mécontentement que causait le fait que de bonnes terres agricoles n'étaient pas utilisées en louant ces terres à des occupants convenables, s'il s'en trouvait.

49 Il ressort clairement de la preuve que la politique générale du gouvernement était de ne pas vendre les terres des Indiens. La preuve indique aussi de façon claire que des discussions ont eu lieu afin de décider si la réserve de Fort St. John, que la Couronne détenait alors en fiducie pour les Indiens, devait être vendue. En fin de compte, deux facteurs ont amené le MAI à changer son idée première, qui était de ne pas vendre la réserve: le désir de la bande d'obtenir de l'argent pour acheter des terres de remplacement situées plus près de ses sentiers de piégeage, et les pressions politiques qui étaient exercées en vue de la cession des terres à des fins agricoles. Monsieur McGill a signalé que, même si la bande n'utilisait pas la réserve à de telles fins, elle pourrait être contrainte de le faire dans le futur en raison de la diminution des populations d'animaux à fourrure. Le sous‑ministre a répondu qu'il était d'accord que toute proposition de vente de terres indiennes [traduction] «devrait être étudiée très attentivement avant qu'une décision définitive soit prise», et il a écrit à la Légion canadienne (qui était intéressée à acquérir les terres pour les anciens combattants) et proposé une solution de rechange, soit la vente d'une partie seulement de la réserve. Le surintendant des réserves et des fidéicommis a également envisagé, en 1945, la possibilité d'affermer les terres, sans qu'il y ait eu rétrocession, en vertu du par. 93(3) de la Loi des Indiens de 1927. Pendant toute cette période, le MAI a jugé bon de ne pas exercer de pressions sur la bande en vue de l'inciter à vendre les terres.

50 Muni de ces instructions, Grew, l'agent des Indiens pour l'endroit, a rendu visite à la bande. Dans son rapport, il a relaté que celle‑ci désirait céder les terres afin qu'elles soient vendues ou louées, pourvu qu'on lui en fournisse d'autres situées plus près de ses sentiers de piégeage. Il a également affirmé qu'il était peu probable que la bande se serve jamais de la réserve à des fins agricoles, car ses membres étaient des trappeurs. Le directeur des Affaires indiennes (à l'époque un certain M. Hoey) a répondu que, outre le fait que des pressions politiques étaient exercées pour que l'on ouvre ces terres à la [traduction] «colonisation ordinaire», le produit de la vente serait «pendant bon nombre d'années plus utile aux Indiens» que les terres de la réserve. Après que M. McGill eut quitté son poste, la politique générale, qui était de conserver la réserve de Fort St. John pour la bande, semble avoir cédé le pas aux demandes insistantes qui étaient formulées, sur le plan politique, en vue d'obtenir des terres agricoles. Ce fait, conjugué au désir manifeste de la bande d'échanger sa réserve qui se trouvait plus au sud pour d'autres terres situées plus près de ses sentiers de piégeage, a entraîné la vente des terres visées au DTAC.

51 À la lumière de ces éléments de preuve, il est impossible d'affirmer que le juge Addy a fait erreur en concluant que la vente des terres au DTAC ne constituait pas un manquement par la Couronne à son obligation de fiduciaire. Un certain nombre de possibilités — location, vente partielle et vente en bloc — ont été envisagées. On a accordé la plus grande attention aux intérêts et aux désirs des Indiens avant de décider. La solution retenue — en l'occurrence la vente des terres — avait l'avantage de permettre à la bande d'obtenir d'autres terres situées plus près de ses sentiers de piégeage. À l'époque, il s'agissait d'un choix défendable. De fait, on peut prétendre que la vente des droits de superficie était la seule solution qui répondait au besoin manifeste de la bande d'obtenir des terres plus près de ses sentiers de piégeage. Avec le recul du temps, compte tenu du déclin du piégeage et de la découverte de pétrole et de gaz, il est possible d'affirmer que la vente des terres s'est révélée une décision malencontreuse. Toutefois, à l'époque, elle pouvait se défendre en tant que solution raisonnable aux problèmes auxquels la bande faisait alors face.

b)La vente des terres à un prix inférieur à leur valeur

52 Le MAI avait reçu une évaluation fixant la valeur des terres à approximativement 93 160 $, alors que les évaluations du DTAC suggéraient une valeur moindre. En fin de compte, le MAI a vendu les terres en bloc au DTAC pour 70 000 $. Le juge de première instance a retenu l'argument des bandes que la Couronne a manqué à son obligation de fiduciaire en vendant les terres à un prix inférieur à leur valeur, puisqu'elle les a vendues à un prix inférieur à la valeur suggérée par ses évaluateurs. Il a déclaré ceci (à la p. 76 C.F.):

Il incombait à la défenderesse de convaincre la Cour qu'elle ne pouvait raisonnablement s'attendre à obtenir un meilleur prix. Aucune preuve n'a été présentée pour établir que d'autres offres avaient été recherchées ni pour montrer que des efforts avaient été faits pour obtenir un meilleur prix ailleurs. Comme la défenderesse ne s'est pas acquittée du fardeau d'établir qu'un prix équitable avait en réalité été obtenu en mars 1948, je conclus qu'elle a manqué sur ce point à ses obligations de fiduciaire à l'égard des demandeurs.

La Couronne se pourvoit contre cette conclusion et prétend, dans un premier temps, qu'il incombait aux bandes de prouver que les terres avaient été vendues à un prix inférieur à leur valeur, et, dans un deuxième temps, que le prix de 70 000 $ était déraisonnable.

53 Le juge de première instance a eu raison de conclure que le fiduciaire qui participe à une opération intéressée, c'est‑à‑dire qui est en conflit d'intérêts, a le fardeau de prouver qu'il n'a pas tiré d'avantages personnels de ses pouvoirs de fiduciaire: J. C. Shepherd, The Law of Fiduciaries (1981), aux pp. 157 à 159, et A. H. Oosterhoff: Text, Commentary and Cases on Trusts (4th ed. 1992). Il est possible de prétendre que la Couronne était en conflit d'intérêts, car elle faisait l'objet de pressions politiques divergentes l'incitant, d'une part, à conserver les terres en cause pour la bande et, d'autre part, à prendre des mesures pour qu'elles puissent être distribuées aux anciens combattants.

54 La conclusion du juge de première instance que la Couronne ne s'est pas acquittée du fardeau de prouver que le prix de 70 000 $ était raisonnable soulève cependant plus de problèmes. En effet, même si le MAI avait reçu une évaluation plus élevée, il existait également des évaluations attribuant une valeur moindre aux terres. De fait, il semble qu'il n'y avait pas d'autre marché pour ces terres à l'époque, ce qui, comme on peut s'y attendre, rendait difficile l'établissement d'une évaluation précise. Il ressort de la preuve que le prix a été fixé au terme de négociations entre le MAI et le DTAC qui se sont déroulées dans des conditions de pleine concurrence.

55 Cette preuve ne semble pas étayer la conclusion du juge de première instance que la Couronne a manqué à l'obligation de fiduciaire qu'elle avait de vendre les terres à leur juste valeur. En concluant à l'existence d'un manquement en dépit de cette preuve, le juge de première instance a mal interprété les effets du fardeau de la preuve qui incombait à la Couronne. Cette dernière a présenté des éléments de preuve indiquant que le prix de vente se situait dans la fourchette établie par les évaluations. Cette preuve a établi, prima facie, que le prix de vente était raisonnable. Il y a alors eu déplacement du fardeau de la preuve, et c'est aux bandes qu'il appartenait de prouver que ce prix était déraisonnable. Les bandes n'ont pas apporté cette preuve. Compte tenu de la preuve au dossier sur ce point, une présomption de manquement par la Couronne à son obligation de fiduciaire, qui consistait à obtenir un juste prix, ne peut donc découler d'une omission de la Couronne de s'acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombait. Je remarque que le juge de première instance ne s'est pas prononcé sur la valeur réelle du bien‑fonds et qu'il n'a pas statué que cette valeur dépassait largement les 70 000 $, mais qu'il a plutôt reporté l'examen de cette question à l'étape de la détermination des dommages‑intérêts.

56 Je conclus que le juge de première instance a commis une erreur en statuant que la Couronne a manqué à son obligation de fiduciaire envers la bande en vendant les terres pour la somme de 70 000 $.

c)L'omission de remettre les droits de superficie à la bande après la cession de 1945

57 Les bandes font valoir qu'on aurait dû leur remettre leur réserve en raison de l'état d'appauvrissement évident dans lequel elles se trouvaient entre 1945 et 1961. La Couronne, au dire des bandes, aurait dû se rendre compte que la cession avait été une erreur. Au lieu d'exacerber cette erreur en vendant les terres au DTAC, elle aurait dû annuler la cession et remettre les terres à la bande.

58 Il ne fait aucun doute que, entre 1945 et 1961, la bande vivait dans la misère et que l'état de santé de ses membres était déplorable. Le problème que pose cet argument des bandes est qu'il semble ne pas y avoir de rapport entre leur situation durant cette période et le fait qu'elles ne possédaient pas la réserve de Fort St. John. De fait, la bande n'a pas beaucoup utilisé cette réserve de 1916 à 1945, et ce fait constituait d'ailleurs une des principales raisons de sa décision de la vendre et d'acquérir des terres convenant davantage à ses besoins. La bande ne s'est pas non plus beaucoup servi des terres de la réserve de 1945 à 1950, année au cours de laquelle des terres de remplacement ont été achetées, et ce même si elle avait le droit de les utiliser durant cette période. Enfin, l'achat de nouvelles terres en 1950 n'a pas, de l'aveu même des bandes, amélioré leur sort.

59 Même en admettant que la bande vivait dans la pauvreté, on ne peut en déduire que la solution était d'annuler la cession de 1945 ou de refuser de vendre les terres de la réserve de Fort St. John. Il est impossible d'affirmer que, après la cession de la réserve de Fort St. John, la Couronne a manqué à son obligation de fiduciaire envers la bande en ne remettant pas ces terres aux Indiens.

d)Les conclusions sur l'obligation relative aux droits de superficie et postérieure à la cession, et le manquement à cette obligation

60 Je conclus que les bandes n'ont pas prouvé qu'il y a eu manquement à l'obligation de fiduciaire en ce qui concerne la vente des droits de superficie.

(3)Les obligations relatives aux droits miniers et postérieures à la cession, et les manquements à ces obligations

61 La bande a, en 1940, cédé à la Couronne [traduction] «les droits au pétrole et au gaz naturel ainsi que les droits connexes» dans la réserve de Fort St. John [traduction] «en fiducie aux fins de leur location à une ou plusieurs personnes et selon les conditions que le gouvernement du Canada peut juger les plus appropriées pour assurer notre bien‑être et celui de notre peuple». Aux termes de l'art. 54 de la Loi des Indiens de 1927, la Couronne devait détenir ces terres pour les fins mentionnées dans la cession — c'est‑à‑dire aux fins de leur location au profit de la bande. Le droit de faire de l'exploration sur ces terres en vue d'y trouver des minéraux a été loué, en 1940, pour la somme de 1 800 $. En 1948, par une mesure qui, à ce jour, demeure litigieuse, les droits miniers ont été transférés au DTAC et ensuite aux anciens combattants qui se sont établis sur les terres de Fort St. John. Lorsqu'on a découvert du pétrole et du gaz sur ces terres en 1976, ce ne sont pas les Indiens mais les anciens combattants et leurs ayants droit qui ont touché les revenus découlant des droits miniers.

62 Il faut ajouter à ce résumé deux autres faits incontestés. Premièrement, à l'époque où les droits miniers ont été transférés, d'abord au DTAC puis aux anciens combattants, les Indiens n'étaient pas des gens avertis, et il est possible qu'ils n'aient pas bien compris les principes concernant l'existence de droits fonciers distincts et la façon dont de tels droits pouvaient être perdus. Deuxièmement, ils n'ont jamais été informés du transfert des droits miniers au DTAC. Ils ne l'ont découvert qu'en 1977, lorsqu'un employé du MAI les a informés de la découverte de pétrole et de gaz sur leurs anciennes terres et a cherché à savoir comment les droits miniers étaient passés de la bande aux anciens combattants.

63 Le juge de première instance a conclu que les droits miniers n'étaient pas séparables des droits de superficie et qu'ils avaient par conséquent été transférés au DTAC au moment de la cession générale de la réserve en 1945. Il a toutefois omis de se demander si la cession des droits miniers, survenue précédemment, ne soulevait pas de questions particulières et n'avait pas pour effet d'imposer des obligations spéciales à la Couronne. Le juge a également conclu que la Couronne avait agi correctement pour ce qui est des droits miniers, étant donné que ces droits n'étaient pas considérés comme ayant une grande valeur à l'époque. À mon avis, il a fait erreur dans les deux cas.

a)L'effet de la cession des droits miniers en 1940

64 Les obligations de la Couronne en ce qui concerne la cession des droits miniers après la cession de 1940 sont claires. Ces droits ont été transportés à la Couronne en fiducie aux fins de leur location pour le bien‑être de la bande. La Couronne avait envers la bande, en vertu des règles générales du droit, une obligation de fiduciaire relativement aux minéraux après la cession de 1940: Guerin, précité. Cela mis à part, toutefois, il ressort clairement de l'art. 54 de la Loi et des conditions de la cession que les droits miniers ont été transférés à la Couronne, en qualité de fiduciaire de la bande, et que la Couronne n'était habilitée qu'à les louer au profit de la bande.

b)L'effet de la cession de 1945 sur les droits miniers

65 Le juge de première instance a conclu que les droits miniers ont été cédés au MAI en vertu de la cession générale des terres en 1945, en raison de l'omission d'en exclure les droits miniers. Il semble que la question du transfert subséquent des droits miniers au DTAC n'a jamais fait l'objet de discussions entre le MAI et le DTAC, et la bande n'a jamais été informée du fait que ses droits miniers seraient transférés. De l'avis du juge de première instance, ces droits ont été transférés, non pas parce que quelqu'un entendait qu'ils le soient mais plutôt par suite de l'effet de la présomption légale qui veut que, en cas de cession générale de terres, il y a transfert de tous les droits sauf ceux réservés expressément dans l'acte de cession.

66 Selon moi, cette analyse est erronée. Avant 1940, la bande était titulaire tant des droits de superficie de la réserve que des droits miniers y afférents. La bande a, en 1940, cédé à la Couronne les droits miniers dans la réserve. Cela a eu pour effet de retrancher ces droits de la réserve. Lorsque la bande a cédé ses droits sur la réserve de Fort St. John à la Couronne en 1945, elle ne pouvait transférer que les droits qu'elle possédait encore: nemo dat quod non habet — nul ne peut donner ce qu'il n'a pas. La cession de 1945 ne pouvait donc pas comprendre les droits de la bande sur les minéraux de la réserve. Au contraire, elle ne visait que les droits qui appartenaient encore à la bande et que cette dernière pouvait céder, savoir les droits de superficie. Les minéraux sont restés en la possession de la Couronne, qui continuait d'être liée par les conditions de la cession de 1940, même après la cession, en 1945, des droits qu'avaient encore les Indiens sur les terres en cause.

67 Cette conclusion s'impose non seulement de par l'effet des principes les plus fondamentaux du transfert des biens immobiliers, mais aussi de par l'effet de la Loi des Indiens elle‑même. À l'article 2 de la Loi de 1927, on fait la distinction suivante entre «réserve» et «terres indiennes»:

h)«réserve» signifie toute étendue de terre mise à part, par traité ou autrement, pour l'usage ou le profit d'une bande particulière d'Indiens ou concédée à cette bande, et dont le titre légal est attribué à la Couronne, et qui fait encore partie de la réserve et n'a pas été rétrocédée à la Couronne, et comprend les arbres, le bois, la terre, la pierre, les minéraux, les métaux et autres choses de valeur qui se trouvent à la surface ou à l'intérieur du sol; [Je souligne.]

. . .

l)«terres indiennes», «terres des Indiens» signifie toute réserve ou partie de réserve qui a été cédée à la Couronne;

Seule une «réserve» ou «une partie de réserve» peut être cédée: art. 50, 51, 53 et 54. Une fois cédée, la réserve ou «partie de réserve» devient des «terres indiennes»: al. 2l) et St. Ann's Island Shooting and Fishing Club Ltd. c. The King, [1950] R.C.S. 211. Voilà quel était le statut des droits miniers après la cession de 1940. En tant que «terres indiennes» détenues en fiducie par la Couronne, ces droits ne pouvaient être cédés de nouveau en 1945.

68 On soulève un certain nombre d'arguments contre la proposition que les droits miniers n'ont pas été touchés par la cession de 1945 puisqu'ils avaient déjà été cédés en 1940. J'examinerai séparément chacun de ces arguments. Le premier est celui du juge de première instance, qui a dit être d'avis que les droits miniers ne peuvent être cédés qu'en même temps que les droits de superficie. Il a fondé cette conclusion sur la définition du terme «réserve» dans la Loi des Indiens de 1927:

«réserve» signifie toute étendue de terre [. . .] et comprend les arbres, le bois, la terre, la pierre, les minéraux, les métaux et autres choses de valeur qui se trouvent à la surface ou à l'intérieur du sol;

Le juge de première instance a conclu que, comme une réserve est une étendue de terre comprenant notamment les minéraux qui s'y trouvent, une partie de réserve doit aussi signifier une partie d'étendue de terre et les minéraux s'y trouvant. Si l'on retenait cette interprétation, les droits miniers ne pourraient jamais, en vertu de la Loi des Indiens de 1927, être cédés sans les droits de superficie, et, inversement, les droits de superficie ne pourraient jamais l'être sans les droits miniers. En toute déférence, le texte de la définition en question ne justifie pas cette interprétation. Bien que le texte dise qu'une réserve est une étendue de terre, il précise également que la réserve comprend notamment les minéraux qui s'y trouvent. En conséquence, l'ensemble de la réserve comprend les minéraux. Dans son sens courant, le terme «partie» désigne un élément d'un tout: Le nouveau Petit Robert (1994) et Le Petit Larousse illustré 1994. Les minéraux et les droits y afférents sont un élément de l'ensemble de la réserve et constituent, de ce fait, une partie de la réserve.

69 Le juge de première instance a conclu que la cession de 1940 ne visait pas une «partie» de réserve, mais seulement un droit indivisible «sur une partie de l'ensemble de la réserve». En exprimant ainsi sa conclusion, le juge a évité les termes de la Loi qui interdisent de céder à nouveau une partie d'une réserve qui a déjà été cédée. Le juge de première instance a distingué le cas dont il était saisi de l'arrêt St. Ann's Island, précité, en signalant que, dans cet arrêt, il était question d'une île qui avait été considérée comme une partie de réserve.

70 Ce raisonnement soulève un certain nombre de problèmes. Le premier est que la Loi des Indiens ne fait aucune mention d'un droit sur une «partie» de l'ensemble d'une réserve, ni ne pourvoit à la cession d'un tel droit. Le raisonnement du juge de première instance nous laisse devant la question suivante: Comment la cession de 1940 aurait‑elle pu être réalisée en vertu de la Loi des Indiens si les droits miniers n'étaient pas une «partie» d'une réserve? Par ailleurs, l'interprétation restrictive et formaliste de l'expression «partie de réserve» adoptée par le juge de première instance va à l'encontre du texte de la Loi des Indiens, et ne trouve pas appui dans le caractère incorporel du titre des Indiens. Elle est contraire à l'orientation générale de la loi — qui permet la séparation des divers droits fonciers sur une parcelle donnée — ainsi qu'aux dispositions et à l'objet de la Loi des Indiens et de son règlement d'application touchant la séparation des droits en général, tout particulièrement des droits pétroliers et gaziers. D'un point de vue pratique, une telle interprétation prive les Indiens de la possibilité de faire des opérations touchant les droits miniers afférents à leur réserve sans porter atteinte aux droits de superficie de celle‑ci, tout en continuant de bénéficier des importantes mesures de protection qu'offre la Loi des Indiens.

71 Tout d'abord, en ce qui concerne l'orientation générale de la loi, l'argument que, dans le cas des terres constituant les réserves, les droits miniers ne peuvent pas être séparés des droits de superficie est une proposition nouvelle. Aucune jurisprudence n'est citée à l'appui de cette proposition. Selon la règle générale, le titre relatif aux minéraux peut être séparé du bien‑fonds et constituer la base d'une chaîne de titres distincte: Berkheiser c. Berkheiser, [1957] R.C.S. 387, à la p. 395, les motifs du juge Kellock.

72 Cette règle pourrait ne pas être déterminante si la nature des droits fonciers de la bande exigeait qu'on y déroge. Cependant, tel n'est pas le cas en l'espèce. L'hypothèse qu'a visiblement faite le juge de première instance et selon laquelle les droits miniers afférents à la réserve ne peuvent pas être séparés du droit corporel perd de sa valeur lorsqu'on se rend compte que le seul et unique droit que possède une bande à l'égard d'une réserve est incorporel. Même le droit de la bande à l'égard de la superficie de la réserve n'était pas un droit de propriété de nature corporelle mais plutôt un droit personnel garanti à perpétuité; pour cette raison, il ne pouvait constituer l'objet (res) d'une fiducie suivant les motifs des juges de la majorité dans Guerin. Le titre des Indiens sur les réserves a un caractère sui generis, en ce sens qu'il ne comprend pas le titre en fief simple mais constitue plutôt un droit d'usufruit perpétuel. Cela jette des doutes sur la conclusion du juge de première instance qu'une «partie de réserve» doit comprendre une partie concrète du bien immeuble visé.

73 Le texte de la Loi des Indiens et son règlement d'application concernant le pétrole et le gaz confirment que l'on a toujours considéré que les droits miniers afférents aux réserves indiennes pouvaient être transférés indépendamment des droits de superficie. Comme l'y autorisait la Loi, le Parlement n'a pas mis de temps à établir un régime distinct visant à régir les droits miniers afférents aux terres indiennes. En 1910, il a pris le premier règlement à cet égard: Regulations for the Disposal of Petroleum and Gas on the Indian Reserves in the Provinces of Alberta and Saskatchewan and the Northwest Territories, 17 mai 1910, décret C.P. 987. Cette mesure a été suivie, en 1938, par l'établissement, conformément à une modification qui avait été apportée à la Loi des Indiens afin d'autoriser le gouverneur en conseil à prendre des règlements à ce sujet, d'un régime exhaustif visant à réglementer la location des droits pétroliers et gaziers des Indiens; voir: Loi modifiant la Loi des Indiens, S.C. 1938, ch. 31, art. 1; Regulations for the Disposal of Petroleum and Natural Gas Rights on Indian Reserves, (1938) 72 Can. Gaz. 725.

74 Plus particulièrement, l'art. 50 de la Loi ainsi que le règlement en vigueur en 1938 confirment qu'il était possible, en 1940, lors de la cession en cause des droits miniers, de céder des droits miniers sans céder le titre relatif aux droits de superficie. L'article 50 de la Loi indique qu'aucune réserve «ou portion de réserve» ne peut être vendue ou affermée à moins d'avoir été d'abord cédée à la Couronne. L'alinéa 1a) du règlement de 1938 confirme que les droits pétroliers et gaziers étaient considérés comme une [traduction] «partie de réserve» susceptible d'être cédée, avec ou sans les droits de superficie. De plus, l'al. 1a) exige qu'il y ait eu cession en vertu de la Loi pour que le règlement s'applique aux droits pétroliers et gaziers des Indiens et que ces droits puissent être loués par la Couronne:

[traduction] a) Les droits au pétrole et au gaz naturel afférents à une réserve indienne au Canada peuvent être loués moyennant un loyer annuel de cinquante cents l'acre pour la première année et d'un dollar pour les années subséquentes, payable à l'avance, pourvu que les droits en question aient d'abord été cédés ou rétrocédés en fiducie à Sa Majesté conformément à l'article 50 de la Loi des Indiens . . . [Je souligne.]

75 Il n'est pas contesté que la cession par la bande, en 1940, de ses droits miniers respectait pleinement les exigences de forme prévues par les dispositions relatives aux cessions de la Loi des Indiens de 1927. Cette cession a été ratifiée par la majorité prévue au par. 51(1). Ce fait a été attesté sous serment conformément au par. 51(3), et la cession a été acceptée par le gouverneur en son conseil comme le prévoit le par. 51(4). Le décret C.P. 8939, daté du 19 novembre 1941, par lequel on a accepté la cession de 1940 des droits miniers, indique expressément qu'il s'agit d'une cession faite en vertu de la Loi et ordonne que les droits miniers soient loués conformément au règlement:

[traduction] Sur avis conforme du ministre des Mines et des Ressources, il plaît à Son Excellence le gouverneur général en conseil d'accepter l'acte de cession ci‑annexé, daté du 9 juillet 1940, visant le pétrole, le gaz naturel et les droits miniers connexes, afférents à l'ensemble de cette parcelle ou étendue de terre se trouvant dans la réserve indienne no 172 de St. Johns dans la province de la Colombie‑Britannique [. . .] qui a été dûment passé conformément aux dispositions de la Loi des Indiens et de son règlement d'application, par les membres de la bande des Indiens de St. Johns dans ladite province, pour que le pétrole, le gaz et les droits miniers connexes puissent être affermés au profit de la bande, et il est accepté conformément au par. 51(4) de la Loi des Indiens, chapitre 98, Statuts révisés du Canada, 1927.

Conformément au même avis et à l'article 54 de la Loi des Indiens, il plaît aussi à Son Excellence en conseil d'ordonner que le pétrole, le gaz naturel et les droits miniers connexes soient affermés comme convenu, sous réserve des conditions prévues par le Regulations for the Disposal of Petroleum and Natural Gas rights on Indian Reserves et ladite cession, et des dispositions de la partie I de la Loi des Indiens. [Je souligne.]

76 L'économie de la Loi et de son règlement d'application, tant en 1938 que de nos jours, est claire. Les Indiens peuvent céder des droits miniers, auquel cas la Couronne doit ensuite agir à l'égard de ces droits conformément aux conditions de la cession. La Loi et le règlement protègent les Indiens en exigeant le respect des formalités régissant les cessions avant que les droits miniers puissent être loués ou faire l'objet d'autres opérations. Cette situation est à l'avantage des Indiens, car ils peuvent ainsi conserver les droits de superficie, droits si importants pour leur sentiment d'enracinement et d'appartenance, et continuer de profiter des avantages découlant de la location ou de la vente de leurs droits miniers. De nos jours, comme en 1940, la vaste majorité des intérêts pétroliers et gaziers gérés par la Couronne pour le compte des Indiens se trouvent dans le sous-sol de réserves dont les droits de superficie n'ont pas été cédés à la Couronne. La thèse selon laquelle le titre relatif aux droits miniers ne peut être transféré qu'avec les droits de superficie sape le régime établi par la loi.

77 Suivant le deuxième argument formulé à l'encontre de la conclusion que la cession de 1945 n'incluait pas les droits miniers, il faut présumer l'existence d'un droit de «céder à nouveau», à une autre fin, les droits miniers déjà cédés. En l'absence d'un tel droit, la cession de 1940 aurait pour effet d'empêcher pour toujours la bande de modifier les conditions de la fiducie, par exemple pour permettre la vente des droits miniers plutôt que leur location. Mon collègue le juge Gonthier s'appuie sur cet argument. Il affirme que la Loi de 1927 ne traite pas de la possibilité de refaire cession. Avec égards, cette affirmation est inexacte. La Loi ne permet pas qu'il y ait une nouvelle cession. Elle ne permet que la cession d'une «réserve» ou d'une «partie de réserve» qui n'a pas été cédée à la Couronne. Elle ne permet pas de céder à nouveau des «terres indiennes» qui ont déjà été cédées.

78 Toutefois, cela ne veut pas dire que la bande indienne concernée est liée pour toujours par les conditions de la cession initiale et qu'elle est incapable de les faire modifier. Joe Leask, témoin de la Couronne et directeur des réserves et des fidéicommis pour les Affaires indiennes, a déposé que, suivant la pratique établie en vertu de la Loi, une fois que des terres avaient été cédées, elles ne pouvaient pas être cédées à nouveau à moins d'annulation de la cession initiale. Lorsqu'on voulait modifier une cession, il fallait, conformément à la méthode appliquée par le MAI, que la Couronne annule la cession originale et remette à la bande, par décret, les «terres indiennes» cédées antérieurement. À ce moment‑là, les «terres indiennes» redevenaient une «réserve» ou «partie de réserve», qui pouvait alors être cédée à de nouvelles conditions conformément à la Loi. Cette procédure administrative permettait de modifier les conditions des cessions, tout en maintenant l'application des dispositions de la Loi des Indiens et des mécanismes de protection prévus par celle-ci.

79 Dans un troisième argument présenté contre la thèse que la cession des droits miniers, en 1940, avait eu pour effet d'empêcher qu'ils soient cédés à nouveau en 1945, on faisait valoir que le libellé général de la cession de 1945 constituait une annulation de la cession de 1940 et une nouvelle cession des droits miniers. Encore une fois, il s'agit d'un argument plutôt faible. D'après Leask, le témoin de la Couronne, il aurait fallu, pour qu'il y ait annulation de la cession de 1940, qu'un acte formel d'annulation ait été passé par la Couronne et approuvé par le gouverneur en conseil, et qu'il y ait eu ensuite une nouvelle cession conforme aux dispositions de la Loi. D'ailleurs, même s'il avait été possible, d'une manière ou d'une autre, d'éviter ces formalités, la Couronne doit reconnaître que la question des droits miniers n'a pas été discutée en 1945 et que l'acte de cession de 1945 ne fait pas mention de ces droits. Accepter l'argument de la Couronne reviendrait à inférer l'annulation de la cession de 1940 non pas des termes mêmes du document de 1945, mais plutôt de l'absence de termes portant exclusion des droits miniers.

80 Avant de clore l'examen de ma conclusion que la cession des droits miniers en 1940 empêchait qu'ils soient cédés à nouveau en 1945, il me faut répondre aux commentaires du juge Gonthier à ce sujet. Mon collègue affirme qu'il s'agit d'un argument théorique. À son avis, la solution du présent litige ne devrait pas dépendre d'interprétations «formalistes» de la Loi des Indiens et des règles régissant le transfert des biens fonciers, mais seulement de l'intention de la bande en 1945. De l'avis du juge Gonthier, si la bande entendait transférer les droits miniers en 1945, ces droits devraient alors être considérés comme ayant été transférés.

81 Avec égards, je ne puis accepter cette position, et ce pour deux motifs. Premièrement, ni le transfert de 1940 et les obligations en découlant pour la Couronne, ni les dispositions de la Loi des Indiens ne peuvent être écartés par quelque vague intention de la bande cinq ans plus tard. Deuxièmement, on n'a pas, à mon avis, établi l'intention alléguée.

82 Si l'intention était le seul facteur à prendre en considération, les dispositions détaillées de la Loi des Indiens et de son règlement d'application en ce qui concerne les cessions n'auraient aucun objet, et l'obligation de fiduciaire qu'a assumée la Couronne relativement aux droits miniers de la bande, lorsqu'elle a accepté la cession en 1940, serait dépourvue de tout fondement. Il n'est pas contesté que les biens des Indiens doivent, à l'instar de ceux appartenant à toute autre personne, être traités conformément à la loi. La réalité est que la bande a, en 1940, cédé en fiducie à la Couronne les droits miniers afférents à la R.I. 172 pour qu'elle les loue au profit de la bande. Avec égards, je suis d'avis qu'il n'est ni théorique ni formaliste d'affirmer que la cession de 1940 a eu pour effet de retrancher les droits miniers de la R.I. 172, et qu'en conséquence ces droits n'ont pu être transférés au moment de la cession, en 1945, des droits que détenait encore la bande sur la R.I. 172.

83 L'objet fondamental des dispositions de la Loi des Indiens relatives aux cessions est de faire en sorte que l'on respecte l'intention des bandes indiennes relativement à leurs droits sur les réserves. Si la bande entendait modifier les modalités de la cession conditionnelle de 1940 pour faire une cession absolue, il convient alors de se demander pourquoi elle n'a pas eu recours aux dispositions de la Loi des Indiens afin de réaliser convenablement cette intention sur le plan juridique. De même, si la bande avait l'intention, en 1945, de céder les droits miniers pour qu'ils soient vendus, il est également permis de se demander pourquoi on n'a jamais discuté de ces droits au cours des négociations qui ont abouti à la cession de 1945.

84 Même en supposant que l'intention de transférer les droits miniers en 1945 pourrait, de quelque manière, écarter ces problèmes, il est difficile de déceler l'existence d'une telle intention en 1945. Mon collègue le juge Gonthier affirme que le juge de première instance est arrivé à la conclusion de fait que la bande avait l'intention, en 1945, de renoncer pour toujours à ses droits afférents à la R.I. 172. Avec égards, les conclusions du juge de première instance ne vont pas jusque-là.

85 Le juge de première instance n'est pas spécifiquement arrivé à la conclusion de fait que la bande avait librement consenti, en toute connaissance de cause, à la cession des droits miniers en 1945. Voici comment il a commencé son analyse de la question à la p. 54 C.F.:

Si on présume pour l'instant que les demandeurs ont librement consenti, en toute connaissance de cause, à la cession effectuée en 1945, on pourrait normalement conclure à la simple lecture des deux documents, et en l'absence de preuve contraire, que les deux parties voulaient, en signant la cession de 1945, que tous les droits de propriété des demandeurs, y compris les droits de propriété ou autres droits qu'ils pouvaient posséder sur les minéraux de la réserve, soient cédés aux fins mentionnées dans cet acte, c'est‑à‑dire leur vente ou leur location par la Couronne pour le profit des Indiens. [Je souligne.]

Le juge de première instance a ensuite poursuivi l'examen du document de 1945 et il a conclu que ce document, de par son libellé (le fait qu'il n'excluait pas les droits miniers), attestait l'intention de la bande de céder à nouveau les droits en question, mais à des conditions différentes. Il est arrivé à cette conclusion même s'il avait reconnu, à la p. 64 C.F., que «[s]euls les droits que les demandeurs détenaient sur la R.I. 172 pouvaient être légalement cédés.» De toute évidence, si la cession de 1940 avait eu pour effet de retrancher les droits miniers de la réserve, celle de 1945 ne pouvait donc, sur le plan juridique, les inclure. Le juge de première instance n'a cependant jamais réexaminé la validité de son hypothèse initiale, savoir que la bande avait donné librement son consentement, en toute connaissance de cause.

86 Il s'ensuit que la conclusion du juge de première instance que la bande entendait renoncer pour toujours à tous ses droits afférents à la R.I. 172 est une conclusion de droit, fondée sur son interprétation du texte de l'acte de cession de 1945, plutôt qu'une conclusion de fait fondée sur la preuve présentée au procès. En fait, la seule personne dont le témoignage a été retenu par le juge de première instance a dit: [traduction] «Aucune allusion à des droits miniers n'a été faite à l'assemblée» (p. 201 F.T.R.). De même, les notes de l'agent des Indiens, Galibois, indiquent qu'il n'a pas été question des droits miniers. À la page 184 F.T.R., le juge de première instance affirme «qu'à compter de la cession en 1945 [. . .] on n'a jamais fait allusion d'une manière ou d'une autre aux droits miniers ou on n'a jamais examiné cette question». Ce qu'établit la preuve, toutefois, c'est que, à l'occasion de l'assemblée concernant la cession en 1945, on avait promis à la bande des terres pour remplacer sa réserve. La preuve établit également que les terres de remplacement achetées pour la bande n'incluaient pas les droits miniers.

87 Même si, dans ses motifs, mon collègue le juge Gonthier dit tenir compte de l'intention de la bande, la seule preuve au dossier de l'intention de modifier les conditions auxquelles la Couronne détenait les droits miniers est qu'il n'en a été question ni à l'assemblée au cours de laquelle on a consenti à la cession de 1945, ni dans l'acte constatant cette cession. Avec égards, cette preuve constitue un fondement plutôt faible pour étayer l'existence d'une intention qui aurait eu pour effet d'annuler ou de modifier une cession explicite, à des conditions différentes, auxquelles on aurait consenti librement et de manière éclairée. De fait, plus loin dans ses motifs, mon collègue reconnaît que la Couronne n'avait pas, en 1945, reçu de la bande le mandat clair de vendre les droits miniers.

88 À mon avis, nous ne devrions pas, en l'absence de preuve, invalider un acte de cession dûment passé et autorisé par la loi. Lorsqu'il s'agit de déterminer quelque chose d'aussi nébuleux que l'intention, et ce plus de 40 ans après le fait, il faut examiner toutes les sources disponibles. En l'espèce, la preuve écrite est muette sur cette question, alors qu'on se serait attendu à ce que l'annulation de la cession précédente y soit constatée en termes clairs. De plus, les témoignages oraux établissent que cette question n'a même jamais été discutée. Cela ne peut constituer la preuve de l'intention, et la bande devrait pouvoir invoquer les mesures de protection prévues par la Loi des Indiens et la common law et qui ont pour effet d'empêcher la Couronne de modifier unilatéralement les conditions en vertu desquelles elle détenait les biens en qualité de fiduciaire, sans obtenir le consentement éclairé de la bande. Suivant les mots mêmes du juge Gonthier, le MAI n'a jamais reçu de la bande le mandat clair de vendre les droits miniers. Cela étant, comment peut‑on conclure que la bande a eu l'intention de céder les droits miniers pour qu'ils soient vendus?

89 Mon collègue le juge Gonthier affirme que la cession de 1945 visait spécifiquement les droits miniers. Il arrive à cette conclusion en important dans l'acte de cession de 1945 la définition de «réserve» de la Loi des Indiens de 1927. Il signale que, comme la définition figurant à l'al. 2h) de la Loi vise les «minéraux», ceux-ci étaient visés par la cession de 1945. Avec égards, cette affirmation fait opportunément abstraction de l'exigence énoncée dans ce même alinéa et selon laquelle une réserve inclut uniquement ce qui «n'a pas été rétrocéd[é] à la Couronne». Compte tenu du caractère légitime de la cession des droits miniers en 1940, ce qu'admet mon collègue, il serait plus exact d'affirmer que l'application à la cession de 1945 de la définition de «réserve» figurant dans la Loi a plutôt pour effet d'en exclure spécifiquement les minéraux.

90 Il faut se rappeler qu'il ne s'agit pas d'une affaire où une bande indienne prétend que ses véritables intentions ont été contrecarrées par suite de l'omission de la Couronne de suivre la procédure administrative applicable. Au contraire, nous sommes plutôt en présence d'un cas où la Couronne, en tant que fiduciaire, a agi d'une manière qui n'était pas autorisée par la cession originale en vertu de laquelle elle était devenue fiduciaire des biens visés. Si la Couronne souhaitait obtenir un pouvoir discrétionnaire plus grand à l'égard des biens qu'elle détenait selon une formule «semblable à une fiducie», certaines étapes devaient être suivies. Parmi ces étapes, mentionnons l'obligation de la Couronne d'informer expressément la bande de son intention de modifier les conditions auxquelles la Couronne détenait les droits miniers, ainsi que l'obligation de cette dernière de suivre sa propre procédure administrative et d'annuler, par décret, la cession de 1940, afin de permettre l'accomplissement d'une nouvelle cession conforme à la Loi des Indiens. Ni l'une ni l'autre de ces étapes n'ont été suivies en l'espèce.

91 Le juge Gonthier affirme que la meilleure façon de décrire les opérations de 1945 est de les «qualifier de modification d'une fiducie visant des terres indiennes» (par. 12), forme de fiducie qui, de poursuivre le juge, ne doit pas être assimilée à une fiducie en common law. Quelles que soient les caractéristiques juridiques de la notion de «fiducie visant des terres indiennes» que l'on propose, il est difficile de voir en quoi cela aide à trancher le pourvoi. Les difficultés que soulève le fait d'appliquer directement les principes du droit des fiducies au droit sui generis des Indiens sur leurs réserves indiquent qu'il vaut mieux s'en tenir aux mécanismes de protection prévus par la Loi des Indiens. La Loi des Indiens de 1927 renferme des dispositions qui réglementent de manière assez détaillée la façon dont les Indiens peuvent céder à la Couronne leurs réserves ou leurs droits sur celles‑ci. Les formalités touchant les cessions qui sont établies par la Loi visent à protéger les droits des Indiens en exigeant que la bande concernée consente, de manière libre et éclairée, à la façon précise dont la Couronne prend charge du bien qu'elle détient pour le compte de la bande. La Loi reconnaît également que les Indiens sont des acteurs autonomes, capables de prendre des décisions relativement aux droits qu'ils détiennent sur leur réserve, et elle fait en sorte que la Couronne respecte l'intention véritable des bandes indiennes. Aussi attirante que puisse paraître une telle solution, notre Cour doit prendre garde de ne pas écarter des mécanismes de protection soigneusement créés en vertu de lois validement édictées, pour leur substituer une méthode ad hoc fondée sur des analogies nouvelles, établies avec d'autres domaines du droit.

92 Je conclus que la cession des droits miniers en 1940 était une cession valide d'une partie de la réserve, et qu'elle a eu pour effet de faire de la portion ainsi cédée des «terres indiennes». De par la définition de la Loi, une réserve ne peut pas comprendre ce qui a déjà été cédé. Il s'ensuit que, tant en droit que d'après le texte et l'économie de la Loi des Indiens, la cession de la réserve en 1945 ne pouvait pas inclure les droits miniers. Je conclus que la cession de 1945 n'a eu aucun effet sur les droits miniers. La Couronne a continué de les détenir en fiducie pour la bande, aux fins de les louer pour le bien‑être de celle-ci.

c)Le transfert des droits miniers en 1948 a-t‑il constitué un manquement à l'obligation de fiduciaire?

93 Jusqu'en 1948, le MAI a détenu en fiducie pour les Indiens les droits de superficie et les droits miniers, conformément aux cessions de 1945 et de 1940 respectivement. En 1948, au terme de négociations visant la réserve, le MAI a cédé les terres au DTAC. L'acte de transfert ne réservait pas les droits miniers, malgré le fait, d'une part, que la Couronne n'avait pas, en vertu des conditions de la cession de 1940 et des dispositions de l'art. 54 de la Loi, le droit de les vendre, et, d'autre part, que ces droits n'avaient pas été mentionnés durant les négociations ayant abouti à la vente et qu'ils ne semblent pas avoir eu quelque influence dans la détermination du prix payé. Comme l'acte de transfert au DTAC ne réservait pas les droits miniers et que le MAI n'avait jamais cessé de détenir le titre légal à la fois aux droits miniers et aux droits de superficie, le transfert doit être considéré comme ayant eu pour effet de transporter légalement les droits miniers ainsi que les droits de superficie: Attorney-General of British Columbia c. Attorney-General of Canada (1889), 14 A.C. 295 (C.P.). Ainsi, le DTAC s'est retrouvé en possession des droits miniers sans les avoir jamais demandés. À son tour, il les a transportés aux anciens combattants, dès que ceux‑ci avaient satisfait aux conditions de leur acte de vente respectif qui prenait la forme de concession primitive accordée par la Couronne, conformément au par. 5(2) de la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants (plus tard S.R.C. 1952, ch. 280, par. 5(3)).

94 Bien des années plus tard, on se demandait encore pourquoi les droits miniers avaient été transférés au DTAC. Cet étonnement était compréhensible compte tenu de la politique notoire du MAI qui était de réserver les droits miniers en cas de cession et du fait que le DTAC désirait seulement obtenir des terres à des fins agricoles et non enrichir les anciens combattants en leur procurant des droits miniers. Il semble que la meilleure façon d'expliquer le transfert des droits miniers au DTAC est de considérer qu'il s'est agi d'une simple inadvertance. D'ailleurs, en 1961, le procureur de district, A. F. McWilliams, a écrit ce qui suit au Directeur des Affaires des anciens combattants:

[traduction] Nous savons que le Directeur de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants est propriétaire des droits miniers afférents au sous‑sol de la réserve indienne de Fort St. John. Je me suis toujours demandé comment il avait acquis ces droits miniers, et notre dossier sur la réserve indienne de Fort St. John ne révèle pas comment cela s'est produit. Nous serions par conséquent intéressés de savoir de quelle façon le Directeur de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants a acquis ces droits miniers. [Je souligne.]

Voici la réponse qu'a donnée H. R. Holmes, surintendant de la Division des propriétés et valeurs du ministère des Affaires des anciens combattants:

[traduction]

1. Je pense que la réponse à votre demande de renseignements du 14 juin est tout simplement que nous avons acquis les droits miniers en même temps que les droits de superficie, en raison du fait que les lettres patentes délivrées à cette fin ne réservaient pas les mines et les minéraux.

2. Le chef et les principaux membres masculins de la bande indienne des Castors de St. John ont signé un acte de cession daté du 22 septembre 1945, et le gouverneur en conseil a, par le décret C.P. 6506 daté du 16 octobre 1945, accepté la cession et autorisé le ministre des Mines et Ressources [ministère dont relevait le MAI à l'époque] à vendre ou à louer lesdites terres sous réserve des conditions de la cession et des dispositions de la Loi des Indiens. Durant les négociations avec les Affaires indiennes relativement à l'achat, il n'a pas été question, autant que je sache, des droits miniers. Comme je l'ai dit plus tôt, qu'il se soit agi d'une décision délibérée ou d'une inadvertance, les mines et les minéraux n'ont pas été réservés, de sorte que nous les avons acquis. Il est possible, selon moi, que l'omission de réserver les droits relatifs au sous‑sol de la réserve résulte d'une inadvertance. [Je souligne.]

95 Deux arguments permettent de prétendre que le transfert des minéraux au DTAC en 1948 a constitué un manquement aux obligations de fiduciaire de la Couronne. Le premier argument est que ce transfert a violé les conditions de la cession des droits miniers réalisée en 1940, cession en vertu de laquelle le MAI n'était autorisé qu'à louer les droits en question au profit de la bande. Un fiduciaire est à tout le moins tenu de respecter les dispositions de l'acte qui lui confère ses pouvoirs et crée la fiducie.

96 Quoi qu'il en soit, même si on accepte, pour les fins de la discussion, l'argument que la cession de 1945 a eu pour effet d'annuler celle des droits miniers en 1940, la Couronne avait toujours, aux termes de la cession de 1945, l'obligation de vendre ou de louer les terres visées dans l'intérêt de la bande. Il reste alors à examiner l'argument voulant que, en transférant les droits miniers au DTAC en 1948, la Couronne a manqué à son obligation de fiduciaire, parce que la décision de transférer ces droits plutôt que de les réserver en vue de leur location dans le futur n'était pas dans l'intérêt des Indiens.

97 Le juge de première instance a rejeté cet argument pour le motif qu'il était impossible, en 1948, de prévoir que les droits miniers pourraient prendre quelque valeur (à la p. 49 C.F.):

J'estime que, si on tient compte du rapport fiduciaire liant alors Sa Majesté la Reine aux demandeurs, on ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'aucun des fonctionnaires, préposés ou mandataires de cette dernière, exerçant toute la prudence et l'attention voulues dans l'exécution de ses obligations fiduciaires, ait pu prévoir à quelque moment que ce soit, en 1948 ou avant, que les droits miniers éventuels afférents à la R.I. 172 auraient une valeur réelle ou qu'il y aurait un avantage raisonnablement prévisible à conserver ces droits.

98 La constatation du juge de première instance que la Couronne ne pouvait pas savoir, en 1948, que les droits miniers pourraient avoir de la valeur est incompatible avec la preuve figurant au dossier. Par conséquent, nous sommes en présence d'un des rares cas où il est justifié d'écarter une constatation du juge de première instance.

99 Les expériences antérieures de la Couronne à cet égard permettaient à elles seules de savoir que les droits miniers avaient une valeur à la fois concrète et potentielle. Après avoir conclu la cession en 1940, la Couronne a délivré un permis de prospection pétrolière et gazière sur le bien‑fonds. Le permis de 1940 valait à lui seul 1 800 $, somme non négligeable puisque l'intérêt annuel de 5 pour 100 obtenu sur la somme de 70 000 $, qui constituait le prix d'achat des droits de superficie, rapportait environ 3 500 $.

100 En outre, la Couronne avait déjà pris conscience, bien longtemps auparavant, de la valeur qu'étaient susceptibles de prendre les droits miniers, et, en conséquence, elle les excluait habituellement des concessions qu'elle accordait. Dès 1919, dans la Loi d'établissement des soldats, 1919, S.C. 1919, ch. 71, la Couronne fédérale se réservait les mines et les minéraux dans les concessions de terres accordées aux anciens combattants démobilisés. La Loi des terres fédérales, S.R.C. 1927, ch. 113, faisait de même à l'égard de toutes les terres fédérales dans les Prairies et dans le district de la rivière de la Paix. Les provinces appliquaient la même politique. Par exemple, la Land Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1924, ch. 131, art. 119 et 120, réservait les droits miniers à la Couronne de la Colombie‑Britannique dans toutes les concessions de terres provinciales. Par conséquent, les nouvelles terres acquises pour la bande en 1950 n'incluaient pas les droits miniers.

101 Si tant est que cela était nécessaire, des événements survenus aux environs de 1948 indiquaient que les droits miniers en cause pouvaient avoir une valeur considérable, ne serait‑ce que du point de vue des revenus émanant des droits d'exploration. En 1949, l'intérêt manifesté en vue de la poursuite de l'exploration des terres visées pour y chercher du pétrole et du gaz donna lieu à des négociations qui aboutirent à la conclusion par les anciens combattants, en 1952, d'un accord de mise en commun. Le ministère des Mines et des Minéraux a noté, dans sa recommandation de 1949, que du gaz avait été découvert (en 1948) à 40 milles au sud de la réserve et qu'il convenait de procéder à une exploration géologique minutieuse de la réserve. Comme les conditions du bail de 1952 étaient les mêmes que celles du bail de 1940, il est difficile de comprendre comment le juge de première instance peut dire que le bail de 1952 constituait le premier élément de preuve indiquant que les droits miniers pouvaient avoir une certaine valeur. Tout aussi inexplicable est l'insistance du juge de première instance sur le fait que ce n'est qu'en 1976 que du pétrole a été découvert sur les terres visées, et encore là, par hasard seulement. Ces observations n'ont pas pour effet de réfuter la preuve manifeste que la valeur potentielle des droits miniers était évidente bien avant cette date. Dans la mesure où il a confondu valeur potentielle et valeur réelle, le juge de première instance a commis une erreur.

102 Deuxièmement, l'inférence du juge de première instance que, en raison de la faible valeur des droits miniers, il n'y avait aucune obligation de les réserver à l'occasion du transfert de 1948, est douteuse. Si, de fait, les droits miniers n'avaient qu'une valeur de vente minimale en 1948, il ne s'ensuit pas qu'une personne prudente en aurait fait cadeau pour autant. Il est plus logique de prétendre que, comme on ne pouvait rien en tirer à l'époque et qu'il n'en coûtait rien pour les conserver, il fallait les garder au cas où par l'effet de quelque chance, si mince soit‑elle, ils prendraient une certaine valeur par la suite. La sagesse de cette dernière solution ressort de la politique de la Couronne à l'égard de ses propres droits miniers. En effet, celle‑ci réservait ses droits, indépendamment de leur valeur réelle au moment pertinent. La Couronne est malvenue d'affirmer qu'elle était tenue à moins en ce qui concerne le bien qui, en sa qualité de fiduciaire, lui avait été confié pour qu'elle le loue pour le bien‑être de la bande.

103 L'insistance du juge de première instance sur la valeur apparemment peu élevée des droits miniers tend à indiquer qu'il craint qu'il y ait injustice à accorder, aux frais de la Couronne, des profits inattendus aux Indiens. Cette crainte est déplacée, car elle revient à introduire subrepticement le critère de la prévisibilité dans l'analyse concernant l'obligation de fiduciaire. Ceci constitue une erreur de droit. Le bénéficiaire d'une obligation de fiduciaire a droit à ce qu'on lui rende son bien ou la valeur de ce bien, et ce même si cette valeur se révèle beaucoup plus élevée que ce qu'il était possible de prévoir au moment du manquement à l'obligation: Hodgkinson c. Simms, précité, à la p. 440, le juge La Forest.

104 Voilà à quoi se résume la question. En tant que fiduciaire, la Couronne avait l'obligation d'agir avec le soin et la diligence «qu'un bon père de famille apporte à l'administration de ses propres affaires»: Fales c. Canada Permanent Trust Co., [1977] 2 R.C.S. 302, à la p. 315. Une personne raisonnable ne se départit pas par inadvertance d'un bien qui peut avoir de la valeur et dont la capacité de produire un revenu a déjà été démontrée. Une personne raisonnable ne se départit pas non plus, sans contrepartie, d'un bien qui ne lui coûte rien à conserver et qui, aussi mince que cette possibilité puisse être, pourrait un jour avoir de la valeur. Dans la gestion de ses propres affaires, la Couronne réservait ses droits miniers. Elle aurait dû faire de même pour la bande.

d)Les conclusions sur l'obligation relative aux droits miniers et postérieure à la cession et sur le manquement à cette obligation

105 Je conclus que la cession des droits miniers en 1940 a eu pour effet d'imposer, conformément aux conditions de l'acte de cession, une obligation de fiduciaire envers la bande relativement aux droits miniers, et que le MAI a manqué à cette obligation en transférant les droits miniers au DTAC.

(4) Les questions relatives à la prescription des réclamations

106 La Couronne prétend que si elle a manqué à son obligation de fiduciaire envers la bande en cédant la réserve au DTAC, l'action relative à ce manquement est prescrite. La bande conteste cette prétention.

107 Le paragraphe 38(1) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 10 (maintenant L.R.C. (1985), ch. F‑7, par. 39(1)), qui s'applique au présent litige, précise que ce sont les règles de droit relatives à la prescription en vigueur dans la province où la cause d'action a pris naissance qui s'appliquent. En Colombie‑Britannique le texte de loi pertinent est la Limitation Act, R.S.B.C. 1979, ch. 236 (auparavant S.B.C. 1975, ch. 37). L'article 8 de cette loi fixe un délai général et final de prescription de 30 ans applicable à toute action: aucune action ne peut être intentée après l'expiration d'un délai de 30 ans qui commence à courir à compter de la date où le droit de le faire a pris naissance. De plus, le par. 3(2) fixe un délai de prescription de 10 ans à l'égard des actions pour abus de confiance («breach of trust»), et le par. 3(4) un délai de prescription de 6 ans à l'égard des actions qui ne sont pas énumérées dans la Loi. Aucun délai de prescription particulier n'est fixé à l'égard des réclamations pour manquement à une obligation de fiduciaire. Il est possible, dans certaines circonstances, de reporter le moment où commencent à courir les délais de prescription de 6 et 10 ans, mais non le délai général et final de 30 ans. Il est important de déterminer si ces délais de prescription influeront sur le droit des demandeurs d'obtenir réparation.

a)La vente des droits de superficie

108 J'ai conclu précédemment que, en ce qui concerne la vente des droits de superficie, aucun manquement à une obligation n'avait été prouvé. D'ailleurs, même si une telle preuve avait été faite, la demande à ce titre aurait été prescrite étant donné que la vente au DTAC a eu lieu en mars 1948, soit 30 ans et 6 mois avant le dépôt de la présente action en septembre 1978.

b)Les réclamations visant les droits miniers

109 J'ai conclu, plus tôt, que la Couronne a manqué à son obligation de fiduciaire envers la bande en transférant par inadvertance les droits miniers au DTAC qui, à son tour, les a transférés aux anciens combattants qui se sont finalement établis sur les terres de la réserve. La Couronne fait valoir que, comme le transfert effectué par inadvertance est survenu en mars 1948, l'action relative à ce manquement est prescrite en raison de l'écoulement du délai de prescription trentenaire.

110 À l'encontre de cet argument, les bandes allèguent que le transfert de 1948 au DTAC ne constituait aucunement un transfert, mais simplement une affectation de nature administrative au sein de la Couronne unifiée, et donc que l'obligation de fiduciaire de la Couronne a continué d'exister, quoiqu'elle ait été transférée au DTAC, à des fins administratives, après 1948. Par conséquent, la cause d'action n'aurait pris naissance qu'au moment de l'aliénation des terres aux anciens combattants par le DTAC.

111 Je ne puis accepter cet argument. Même s'il s'agissait d'un transfert entre entités de la Couronne, il y avait néanmoins transfert et aliénation de titre. Premièrement, le transfert a eu pour effet de convertir le droit foncier de la bande en argent, fait qui tend à indiquer qu'il y a eu aliénation. Deuxièmement, l'argument voulant que l'obligation de fiduciaire ait continué d'exister et que le DTAC en ait été débiteur soulève un problème d'ordre pratique. Une telle obligation se serait appliquée, du moins en théorie, tant aux droits miniers qu'aux droits de superficie. À l'occasion de chaque vente à un ancien combattant, le DTAC aurait dû prendre en considération non seulement les facteurs dont il pouvait tenir compte en vertu de sa Loi habilitante, mais également, dans certains cas, d'autres facteurs incompatibles avec les premiers et prévus par la Loi des Indiens. Cette situation aurait rendu la vente de 1948 futile du point de vue du DTAC, en plus de rendre impossible l'administration des terres visées. Qui plus est, il n'est pas évident que le DTAC était au courant des obligations de fiduciaire qui liaient le MAI. De fait, le DTAC et le MAI ont agi tout au long des négociations dans des conditions de pleine concurrence, attitude appropriée vu les intérêts opposés qu'ils représentaient et les mandats différents qui leur étaient confiés par leur loi habilitante respective. En résumé, la transformation du droit foncier en somme d'argent ainsi que les considérations d'ordre pratique faisant obstacle à l'existence d'une obligation du DTAC envers la bande réfutent l'argument que le transfert de 1948 n'avait rien changé et que la véritable aliénation n'est survenue que plus tard.

112 Un autre argument, qui n'a pas été examiné devant les juridictions inférieures, est que la Couronne avait, en vertu de l'art. 64 de la Loi des Indiens de 1927, le pouvoir d'annuler les ventes ou affermages conclus par méprise ou par erreur, et qu'elle avait l'obligation d'exercer ce pouvoir pour corriger le transfert des droits miniers accordé par erreur au DTAC. L'article 64 habilitait le MAI à annuler les ventes ou affermages conclus par erreur avec des tiers par le MAI:

64. Si le surintendant général s'est assuré qu'un acquéreur ou affermataire de terres indiennes, ou qu'un individu revendiquant du chef de ce dernier ou par son fait, s'est rendu coupable de fraude ou de supercherie, ou a enfreint quelqu'une des conditions de la vente ou de l'affermage, ou si quelque vente a été faite ou si quelque affermage a été accordé par méprise ou par erreur, il peut annuler cette vente ou cet affermage et reprendre possession de la terre y mentionnée, ou en disposer comme si cette vente ou cet affermage n'eût jamais eu lieu. [Je souligne.]

113 La Couronne affirme que l'art. 64 ne s'applique pas parce que les droits miniers n'ont pas été transférés par erreur. La preuve n'appuie pas cette affirmation. Comme il a été indiqué précédemment, le transfert n'a jamais été qualifié d'intentionnel, mais il a généralement été imputé à une inadvertance. Cela constitue une «méprise ou [une] erreur» au sens de l'art. 64.

114 Il s'ensuit que le MAI avait le pouvoir d'annuler le transfert des droits miniers qui avait été fait par erreur, en l'occurrence par inadvertance, au DTAC, et ce jusqu'au transfert de ces droits aux anciens combattants. Il reste à déterminer, d'une part, si le MAI avait l'obligation d'exercer ce pouvoir afin d'annuler le transfert, et, d'autre part, de quelle manière cela influe sur le moment où serait survenu un manquement à l'obligation de fiduciaire.

115 À mon avis, le MAI était tenu d'exercer ce pouvoir pour corriger les erreurs qui portaient préjudice aux intérêts des Indiens vu l'obligation de fiduciaire continue qu'il avait envers ces derniers. Même si l'obligation de fiduciaire touchant l'administration des terres des Indiens a pu cesser au moment de la vente des terres en 1948, on peut néanmoins inférer du caractère exceptionnel de l'art. 64 le maintien d'une obligation de fiduciaire d'agir dans l'intérêt des Indiens afin de corriger une erreur. Cette disposition conférait au MAI le pouvoir d'annuler le transfert de terres en cas d'erreur, même à l'égard d'acheteurs de bonne foi. Il n'est pas déraisonnable d'inférer que le législateur voulait que le MAI exerce ce pouvoir dans l'intérêt des Indiens. Si le texte précité de l'art. 64 ne suffit pas à établir l'existence d'une obligation de fiduciaire de corriger l'erreur, il paraît certainement avoir cet effet lorsqu'on l'interprète en corrélation avec la jurisprudence sur les obligations de fiduciaire. Lorsqu'une partie se voit conférer certains pouvoirs touchant les droits d'une autre partie et que cette dernière se voit privée des pouvoirs en question ou est «vulnérable», la première partie, celle qui détient les pouvoirs, a l'obligation de fiduciaire de les exercer dans l'intérêt de l'autre: Frame c. Smith, précité, le juge Wilson; et Hodgkinson c. Simms, précité. L'article 64 conférait au MAI le pouvoir de corriger l'erreur qui avait eu pour conséquence de transférer à tort au DTAC les droits miniers de la bande. La bande elle‑même ne possédait pas ce pouvoir; elle était vulnérable. Dans de telles circonstances, il existe une obligation de fiduciaire de corriger l'erreur.

116 L'obligation du MAI était celle qui incombe habituellement à un fiduciaire, c'est‑à‑dire l'obligation de faire montre de diligence raisonnable à l'égard du droit en cause des Indiens. Pour s'acquitter de cette obligation de diligence raisonnable, le MAI devait prendre les mesures requises pour corriger le transfert fait par erreur, lorsqu'il a pris connaissance de faits tendant à indiquer qu'il y avait eu une erreur et que les droits miniers transférés à tort avaient une certaine valeur potentielle.

117 Le 15 juillet 1949, le MAI était indiscutablement en possession de renseignements indiquant que la R.I. 172 avait un potentiel minier, ainsi que l'avaient déterminé les propres employés de la Couronne. Le 12 juillet 1949, présumant que le MAI était toujours propriétaire des droits miniers, M. Allan, surintendant des réserves et des fidéicommis, auprès de qui une société pétrolière avait fait des démarches, a demandé au ministère des Mines et des Ressources s'il ne convenait pas d'explorer la R.I. 172. La réponse, expédiée le 15 juillet 1949, vaut d'être citée:

[traduction] On a récemment découvert du gaz naturel à environ 40 milles au sud‑est de la réserve indienne de St. John.

Compte tenu de ce fait et du fait qu'il n'y a pas eu d'exploration géologique détaillée de cette région et qu'il est souhaitable de recueillir davantage de données géologiques, il est recommandé de délivrer, en vertu de la réglementation applicable, des permis d'exploration visant la réserve.

D'après la lettre datée du 3 août 1949 expédiée par Allan à Galibois, les revenus d'exploration s'élèveraient à 1 800 $. Dans cette lettre, on demandait à Galibois d'obtenir de la bande la cession nécessaire (toujours à partir de l'hypothèse que les droits miniers étaient détenus par la bande). Le 9 août 1949, Galibois a informé Allan, par lettre, que la R.I. 172 avait été vendue (avec les minéraux) au DTAC. Dans les mois qui ont suivi, le MAI a répondu aux préoccupations exprimées par le DTAC quant à la validité de son titre sur les droits miniers et lui a confirmé que ces droits avaient bel et bien été transférés au DTAC en 1948. Le MAI n'a pris aucune mesure pour faire annuler les transferts, comme il aurait pu le faire en vertu de l'art. 64 de la Loi des Indiens.

118 Je conclus que la Couronne, qui avait initialement manqué à son obligation de fiduciaire envers les Indiens en transférant les minéraux au DTAC, a commis un deuxième manquement en omettant de corriger l'erreur en question le 9 août 1949, lorsqu'elle a appris l'existence de cette erreur et de la valeur potentielle des droits miniers.

119 La présente action a été déposée le 18 septembre 1978. Toutes les pertes découlant des transferts faits après le 9 août 1949 donnent donc ouverture à action compte tenu du délai de prescription général prévu par l'art. 8. À cette date, 6,75 des 31 lots transférés au DTAC étaient encore entre les mains de ce dernier. Si le MAI s'était acquitté de son obligation envers les Indiens, le titre relatif aux droits miniers leur aurait été remis. Au contraire, ce titre a plutôt été transféré aux anciens combattants et, dans le cas de 2,5 lots, il a été cédé directement à des sociétés pétrolières, et le produit de la cession a été porté au crédit du Trésor.

120 Il reste à se demander si les réclamations concernant les droits miniers qui subsistent à l'application du délai de prescription trentenaire ne sont pas prescrites par d'autres délais. Les parties ont considéré que la présente action est visée par le par. 3(4) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique, qui fixe un délai de prescription de 6 ans à l'égard de [traduction] «[t]oute autre action non expressément prévue». Je me borne à faire de même.

121 Il est évident que l'action qui a été intentée en 1978, dépasse de beaucoup le délai de 6 ans qui a commencé à courir à compter des conventions de vente conclues avec les anciens combattants entre 1948 et 1956. Toutefois, cela ne met pas fin pour autant à la question. En effet, le par. 6(3) de la Limitation Act précise ce qui suit:

[traduction] 6. . . .

(3) Le délai de prescription fixé par la présente loi à l'égard d'une action concernant

. . .

e)des faits importants se rapportant à la cause d'action qui ont délibérément été dissimulés;

. . .

ne commence à courir qu'au moment où [. . .] les faits, qu'il [le demandeur] est en mesure de connaître, sont tels qu'une personne raisonnable, connaissant ces faits et ayant reçu les conseils appropriés qu'une personne raisonnable aurait demandés à leur égard, estimerait qu'ils montrent:

i)qu'une action fondée sur la cause d'action aurait, si ce n'était de l'expiration du délai de prescription, des chances de succès raisonnables,

j)que la personne qui est en mesure de connaître les faits devrait, dans son propre intérêt et compte tenu des circonstances, être capable d'intenter une action.

Ce paragraphe et les dispositions équivalentes applicables ailleurs sont fondées sur une définition libérale de la notion de découverte du préjudice: voir l'arrêt M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6. Les faits de la présente espèce entrent dans le champ d'application de cette définition. Jusqu'à ce qu'un fonctionnaire du MAI communique avec elles en 1977, les bandes n'étaient pas au courant de faits essentiels que la Couronne était la seule à connaître: savoir que les droits miniers avaient été transférés au DTAC sans contrepartie, que le DTAC n'avait pas droit à ce transfert et que la Couronne était au courant de son erreur et de la valeur potentielle des droits miniers, alors qu'elle avait encore le pouvoir de corriger cette erreur. Comme les bandes n'ont appris les faits véritables qu'en 1977, leur action a été intentée bien à l'intérieur du délai de prescription de 6 ans applicable.

122 Les bandes et les intervenants ont avancé d'autres arguments, qui n'ont pas été présentés et examinés devant les juridictions inférieures et qui visent à obtenir l'assouplissement ou la non‑application des délais de prescription prévus par la Limitation Act de la Colombie‑Britannique. Comme je ne considère pas les arguments convaincants dans le contexte du présent pourvoi, je ne m'y attarderai pas davantage.

III. Conclusion

123 Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'annuler les décisions des juridictions inférieures. Les bandes ont droit à des dommages‑intérêts de la part de la Couronne par suite du manquement de celle-ci à l'obligation de fiduciaire qui lui incombait relativement aux droits miniers qui ont été cédés par conventions ou actes de vente* après le 9 août 1949. Je suis également d'avis, pour les motifs qui précèdent, d'accueillir le pourvoi incident. J'accorderais aux appelants leurs dépens dans le cadre du pourvoi. Comme le pourvoi incident ne portait que sur les motifs et n'a pas influencé l'issue du pourvoi, je ne rendrais aucune ordonnance concernant les dépens du pourvoi incident.

Pourvoi accueilli avec dépens et pourvoi incident accueilli.

Procureurs des appelants: Mandell, Pinder, Vancouver.

Procureur de l'intimée: George Thomson, Ottawa.

Procureurs des intervenants la Nation Musqueam et le Conseil tribal Ermineskin: Blake, Cassels & Graydon, Vancouver.

Procureurs des intervenants le chef Abel Bosum et autres et le chef Terry Buffalo et autres: O'Reilly & Associés, Montréal.

Procureurs de l'intervenante l'Assemblée des premières nations: Scott & Aylen, Ottawa.

* Voir Erratum [1996] 1 R.C.S. iv


Sens de l'arrêt : Le pourvoi et le pourvoi incident sont accueillis

Analyses

Indiens - Cession - Réserve - Nature de l'obligation de la Couronne avant la cession - La Couronne a‑t‑elle une obligation de fiduciaire? - Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98.

Indiens - Cession - Validité - Les chefs indiens n'ont pas attesté personnellement, sous serment, la cession - La cession était‑elle invalide en raison de l'inobservation de l'art. 51 de la Loi des Indiens? - L'article 51 a‑t‑il un caractère impératif ou directif? - Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, art. 51.

Indiens - Cession - Réserve - La bande indienne a cédé à la Couronne la réserve aux fins «de vendre ou de louer» - La bande indienne prétend que la Couronne a manqué à son obligation de fiduciaire - La Couronne aurait‑elle dû louer les terres de l'ancienne réserve plutôt que les vendre? - La Couronne a‑t‑elle vendu les terres à un prix inférieur à leur valeur? - La Couronne aurait‑elle dû remettre la réserve à la bande après la cession, vu l'état d'appauvrissement dans lequel se trouvait la bande?.

Indiens - Cessions - Droits miniers - Réserve - La bande indienne a cédé à la Couronne les droits miniers afférents à la réserve en 1940, et elle a cédé la réserve en 1945 - Les droits miniers étaient‑ils inclus dans la cession de 1945? - Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, art. 2h), l), 51.

Indiens - Couronne - Obligation de fiduciaire - Droits miniers - La bande indienne a, en 1940, cédé à la Couronne les droits miniers afférents à la réserve aux fins «de leur location», et, en 1945, elle a cédé la réserve aux fins «de vendre ou de louer» les terres visées - Le ministère des Affaires indiennes a transféré, en 1948, les terres de l'ancienne réserve au ministère des Affaires des anciens combattants - Le ministère des Affaires indiennes savait, en 1949, que les droits miniers avaient été transférés par erreur au ministère des Affaires des anciens combattants, et il était également au courant de la valeur potentielle de ces droits - La Couronne a‑t‑elle manqué à son obligation de fiduciaire en transférant les droits miniers en 1948? - La Couronne a‑t‑elle manqué à son obligation de fiduciaire en omettant de corriger son erreur en 1949, lorsqu'elle a pris connaissance du transfert fait par erreur? - Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, art. 64.

Prescription - Manquement à l'obligation de fiduciaire - Report du moment où le délai de prescription commence à courir - La bande indienne a, en 1940, cédé à la Couronne les droits miniers afférents à la réserve, et, en 1945, elle a cédé la réserve - Le ministère des Affaires indiennes a transféré, en 1948, les terres de l'ancienne réserve au ministère des Affaires des anciens combattants - Le ministère des Affaires des anciens combattants a acquis par inadvertance les droits miniers lors du transfert - Les terres et les droits miniers ont par la suite été vendus à des anciens combattants entre 1948 et 1956 - La bande a appris en 1977 l'existence du transfert des droits miniers et, en 1978, elle a intenté une action, reprochant à la Couronne d'avoir manqué à son obligation de fiduciaire - L'action est‑elle prescrite? - Limitation Act, R.S.B.C. 1979, ch. 236, art. 3(4), 6(3), 8.

En 1916, la bande indienne des Castors a conclu un traité avec la Couronne. En échange de la cession de son titre ancestral, la bande a reçu un lopin de terre en Colombie‑Britannique. La bande était nomade et vivait du piégeage et de la chasse. Elle utilisait sa réserve comme camp d'été; durant l'hiver, la bande faisait du piégeage plus au nord. En 1940, la bande a cédé à la Couronne, en fiducie, les droits miniers afférents à sa réserve pour que celle‑ci les loue au profit de la bande. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fédéral a établi un programme visant à mettre des terres agricoles à la disposition des anciens combattants pour qu'ils s'y établissent. La bande n'utilisait pas les terres de la réserve à des fins agricoles et, après de longues discussions, la bande a accepté de céder sa réserve à la Couronne aux fins «de vendre ou de louer» les terres visées. Le ministère des Affaires indiennes («MAI») a alors transféré, en mars 1948, les terres de la réserve au Directeur de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants («DTAC») pour la somme de 70 000 $. Plus tard, une partie de cette somme a été utilisée par le MAI pour acquérir d'autres terres se trouvant plus près des sentiers de piégeage de la bande. Le DTAC a aussi obtenu les droits miniers «par inadvertance» parce qu'ils n'avaient pas été réservés au moment du transfert en 1948. La même année, on a découvert du gaz près de l'ancienne réserve et, en 1949, des sociétés pétrolières se sont montrées intéressées à faire de l'exploration en vue d'y trouver du pétrole et du gaz. Entre 1948 et 1956, les terres de l'ancienne réserve ont été vendues à des anciens combattants. En 1976, on a découvert du pétrole et du gaz et les revenus sont allés aux anciens combattants ou à leurs ayants droit. En 1977, la bande des Castors s'est scindée en deux: la bande indienne de la rivière Blueberry et la bande indienne de la rivière Doig. La même année, un fonctionnaire du MAI a découvert de quelle manière la bande des Castors avait perdu les droits miniers et il en a informé les bandes appelantes. Les appelants ont, le 18 septembre 1978, intenté une action dans laquelle ils réclamaient des dommages‑intérêts contre la Couronne, lui reprochant, d'une part, d'avoir autorisé la bande à faire une cession inconsidérée de la réserve et, une fois la cession réalisée, d'avoir aliéné celle‑ci à un prix inférieur à sa valeur, et, d'autre part, d'avoir permis le transfert des droits miniers, d'abord au DTAC puis aux anciens combattants. En Section de première instance de la Cour fédérale, le juge a rejeté les réclamations des bandes, sauf celle concernant la vente des droits de superficie au DTAC, droits qui, a‑t‑il conclu, avaient été vendus à un prix inférieur à leur valeur réelle. Cependant, il a conclu que l'action des appelants était prescrite par le délai de prescription de 30 ans prévu par la Limitation Act de la Colombie‑Britannique. La Cour d'appel fédérale a, à la majorité, rejeté l'appel formé par les appelants ainsi que l'appel incident de la Couronne sur la question de la vente des droits de superficie à un prix inférieur à leur valeur réelle. Les appelants se pourvoient devant notre Cour, et la Couronne interjette un pourvoi incident.

Arrêt: Le pourvoi et le pourvoi incident sont accueillis.

Les appelants n'ont pas établi que la Couronne a eu tort de ne pas empêcher la cession de la réserve en 1945. L'étendue du contrôle que la Loi des Indiens de 1927 permettait à la bande d'exercer sur la cession de la réserve réfute l'argument que, en l'absence d'exploitation, la Loi imposait une obligation de fiduciaire à la Couronne relativement à la cession de la réserve. En vertu de la Loi, une bande avait le droit de décider si elle voulait céder sa réserve, et sa décision devait être respectée. L'obligation de la Couronne se limitait à prévenir les marchés abusifs. La Couronne pouvait donc refuser son consentement si la décision de la bande était imprudente ou inconsidérée. En l'espèce, sous réserve de la question des droits miniers, la cession de sa réserve par la bande des Castors n'équivalait pas à de l'exploitation. Par ailleurs, les circonstances de l'espèce n'ont pas donné naissance à une obligation de fiduciaire de la Couronne à l'égard de la cession de 1945. Même si la bande escomptait que la Couronne la renseignerait sur les diverses solutions qui s'offraient à elle — et sur les conséquences prévisibles de ces solutions — relativement à la cession de la réserve et à l'acquisition de nouvelles terres, la bande n'avait pas renoncé à son pouvoir de décision quant à la cession de la réserve et ne s'en était pas remis à la Couronne à cet égard. Enfin, l'inobservation du par. 51(3) de la Loi des Indiens de 1927 n'a pas pour effet d'invalider la cession de 1945. Le mot «shall» (le mot «doit» et l'indicatif présent dans le texte français) utilisé au par. 51(3) ne devrait pas être considéré comme ayant un sens impératif. L'objet véritable des par. 51(3) et (4) était de faire en sorte que le consentement de la bande à la cession soit valide, et les éléments de preuve ont amplement établi l'existence d'un consentement valide. L'inobservation de l'art. 51 constituait un vice de forme.

La cession de 1945 a imposé à la Couronne une obligation de fiduciaire en ce qui concerne la vente ou la location subséquentes des terres visées, et la Couronne n'a pas manqué à cette obligation lorsque, en 1948, elle a vendu les terres au DTAC. Premièrement, la vente des terres a été faite dans l'intérêt de la bande des Castors. Un certain nombre de possibilités, dont la location, ont été envisagées. Bien que l'on puisse, avec le recul du temps, compte tenu du déclin du piégeage et de la découverte de pétrole et de gaz, affirmer que la décision de vendre les terres plutôt que de les louer s'est révélée malencontreuse, il s'agissait à l'époque d'un choix défendable, en tant que solution raisonnable, puisqu'il avait l'avantage de répondre au besoin et au désir de la bande d'obtenir d'autres terres situées plus près de ses sentiers de piégeage. Deuxièmement, la Couronne n'a pas manqué à son obligation de fiduciaire en vendant les terres pour la somme de 70 000 $. Le MAI avait reçu une évaluation plus élevée, mais il existait également des évaluations attribuant une valeur moindre aux terres. Puisque la Couronne a présenté des éléments de preuve indiquant que le prix de vente se situait dans la fourchette établie par les évaluations, cette preuve a établi, prima facie, que le prix de vente était raisonnable. Il y a alors eu déplacement du fardeau de la preuve, mais les appelants n'ont pas prouvé que ce prix était déraisonnable. Troisièmement, la Couronne n'a pas, après la cession de la réserve, manqué à son obligation de fiduciaire en ne remettant pas ces terres à la bande. Même si celle-ci vivait dans un état de pauvreté évident entre 1945 et 1961, on ne peut en déduire que la solution était d'annuler la cession de 1945 ou de refuser de vendre les terres de la réserve. Il ne semble pas qu'il y ait eu un rapport entre la situation de la bande et le fait qu'elle n'était pas en possession de la réserve.

Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka et Gonthier: En vertu de la cession de 1945, les droits de superficie de la réserve et les droits miniers y afférents ont été cédés à la Couronne, en fiducie, aux fins «de vendre ou de louer» les terres visées. Cette conclusion ne s'appuie d'aucune façon sur la portée du régime établi par la Loi des Indiens de 1927 relativement aux cessions ni, en particulier, sur la question de savoir si la cession de 1940 était ou non régie par la Loi de 1927, et elle vaut donc même si les droits miniers avaient pris la qualité de «terres indiennes» par suite des opérations de 1940. En l'espèce, la question revient en définitive à déterminer l'effet de la cession de la réserve en 1945 sur la cession des droits miniers afférents à cette réserve en 1940. Même si la Loi de 1927 ne traite ni de la modification des cessions, ni de leur annulation, ni de la possibilité de refaire cession, on ne saurait prétendre sérieusement que, en raison de ce silence, toutes les cessions, y compris celle de 1940, ont un caractère permanent et irrévocable.

Le caractère juridique de la cession de 1945 et son effet sur celle de 1940 doivent être déterminés au regard de l'intention de la bande. Les principes généraux du droit des biens en common law ne sont pas utiles dans le contexte du présent pourvoi. Dans l'examen des effets juridiques des opérations conclues par les peuples autochtones et la Couronne relativement à des terres faisant partie de réserves, il ne faut pas oublier que, compte tenu du caractère sui generis du titre ancestral, les tribunaux doivent faire abstraction des restrictions habituelles qui sont imposées par la common law afin de donner effet à l'objet véritable de ces opérations. En conséquence, hormis quelque empêchement prescrit par la loi (ce qui n'est pas le cas en l'espèce), il faut laisser l'intention des membres de la bande produire ses effets juridiques. En l'espèce, les conclusions du juge de première instance indiquent que la bande ne s'attendait pas à détenir des droits sur la réserve une fois la cession de 1945 complétée, et que ce n'était pas non plus son intention. La bande comprenait, d'une part, qu'en acceptant la cession de 1945 elle transférerait à la Couronne, en fiducie, tous les droits qu'elle avait dans la réserve et, d'autre part, que la Couronne vendrait ou louerait ces droits au profit de la bande. L'intention de la bande ressort aussi des termes mêmes de l'acte de cession de 1945. Il est raisonnable de conclure que l'on désirait, dans l'acte de cession, utiliser le mot «réserve» suivant le sens que lui donne la Loi des Indiens, à l'al. 2h), soit une étendue de terre qui n'a pas été rétrocédée et comprend les «minéraux [. . .] qui se trouvent à la surface ou à l'intérieur du sol». La meilleure façon de décrire la nature véritable des opérations de 1945 est de les qualifier de modification d'une fiducie visant des terres indiennes. La cession de 1945 subsumait celle de 1940, et elle en élargissait la portée. Bien que l'on ne puisse assimiler les fiducies visant des terres indiennes aux fiducies en common law, des obligations et principes «semblable[s] à [ceux d']une fiducie» sont pertinents dans le cadre de l'analyse d'une cession visant des terres indiennes. En l'espèce, comme les deux cessions visaient des fiducies, les parties avaient en conséquence l'intention de créer des rapports semblables à ceux créés par une fiducie. Compte tenu du principe directeur qui veut que l'on respecte les décisions des peuples autochtones, il y a lieu de donner effet à cette modification de cession, puisque la bande en avait bien saisi les conditions et que la conduite de la Couronne n'a pas vicié les négociations au point qu'il serait hasardeux de tenir pour acquis que la bande avait bien compris la situation et avait eu l'intention de faire ce qu'elle a fait. De plus, les exigences de forme en matière de cession prévues par l'art. 51 de la Loi des Indiens de 1927 ont, pour l'essentiel, été respectées.

En assumant les obligations d'un fiduciaire relativement à la réserve, le MAI avait l'obligation de fiduciaire d'agir dans l'intérêt des membres de la bande. Cette obligation visait à la fois les droits de superficie et les droits miniers. Bien que la cession de 1945 ait été faite aux fins «de vendre ou de louer» les terres visées, la bande n'a jamais clairement autorisé le MAI à déroger à sa politique de longue date, qui était de réserver les droits miniers au profit des autochtones concernés lorsqu'elle vendait des droits de superficie. Dans ces circonstances, le MAI avait l'obligation de fiduciaire de continuer la location prévue par la cession de 1940. La vente des droits miniers au DTAC en 1948 a constitué une violation de cette obligation de fiduciaire.

La preuve démontre que, le 9 août 1949, le MAI savait qu'il était possible que les droits miniers afférents à la réserve aient une valeur considérable, et qu'il était au courant du fait que les droits miniers avaient été vendus au DTAC en 1948. Le MAI a manqué à l'obligation de fiduciaire qu'il avait d'agir dans l'intérêt de la bande lorsqu'il effectuait des opérations touchant la réserve, parce qu'une personne raisonnable, placée dans la situation du MAI, se serait aperçue, le 9 août 1949, qu'une erreur avait été commise, et elle aurait exercé le pouvoir que lui conférait l'art. 64 de la Loi sur les Indiens de 1927 pour acquérir de nouveau les droits miniers afin de conclure une entente de location au profit de la bande. En conséquence, pour les motifs donnés par le juge McLachlin, les appelants peuvent recouvrer les pertes découlant des transferts faits par le DTAC après le 9 août 1949, puisqu'elles se situent à l'intérieur du délai de prescription de 30 ans fixé par la Limitation Act de la Colombie‑Britannique, et que les réclamations présentées à cet égard ne sont pas écartées par quelque autre disposition de cette loi.

Les juges Cory, McLachlin et Major: La cession de la réserve en 1945 n'incluait pas les droits miniers. Lorsque la bande a cédé la réserve, elle ne pouvait transférer que les droits qu'elle possédait encore. Puisque la bande avait déjà cédé les droits miniers à la Couronne en 1940, elle ne pouvait céder en 1945 que les droits de superficie de la réserve. Cette conclusion s'impose non seulement de par l'effet des principes les plus fondamentaux du transfert des biens immobiliers, mais aussi de par l'effet de la Loi des Indiens de 1927 elle‑même. La cession de 1940 était une cession valide d'une partie de la réserve, et elle a eu pour effet de faire de la portion ainsi cédée des «terres indiennes». En tant que «terres indiennes» détenues en fiducie par la Couronne, les droits miniers ne pouvaient être cédés de nouveau en 1945. De par la définition figurant à l'al. 2h) de la Loi, une réserve ne peut pas comprendre ce qui a déjà été cédé. La Couronne a donc continué de détenir les droits miniers pour la bande, en fiducie, aux fins de les louer pour le bien‑être de celle‑ci. La thèse selon laquelle le titre relatif aux droits miniers ne peut être transféré qu'avec les droits de superficie est contraire à l'orientation générale de la loi — qui permet la séparation des divers droits fonciers sur une parcelle donnée — ainsi qu'au libellé de la Loi des Indiens de 1927 et à son règlement d'application touchant les droits pétroliers et gaziers.

Le libellé général de la cession de 1945 ne constituait pas une annulation de la cession de 1940 et une nouvelle cession des droits miniers. La question des droits miniers n'a pas été discutée lors des négociations qui ont abouti à la cession de 1945, et l'acte de cession de 1945 ne fait pas mention de ces droits. De plus, on n'a pas respecté les formalités administratives appropriées applicables en cas de nouvelle cession de droits miniers et conformes aux dispositions de la Loi des Indiens de 1927. L'intention de la bande de transférer les droits miniers en 1945 ne peut écarter les dispositions de la Loi ou de l'acte de cession de 1940. D'ailleurs, même si elle le pouvait, l'existence d'une telle intention n'a pas été établie en l'espèce. En l'absence de preuve de l'intention, la cession de 1940 ne devrait pas être invalidée et la bande devrait pouvoir invoquer les mesures de protection prévues par la Loi des Indiens de 1927 et la common law et qui ont pour effet d'empêcher la Couronne de modifier unilatéralement les conditions en vertu desquelles elle détenait les biens en qualité de fiduciaire, sans obtenir le consentement éclairé de la bande.

Même si, pour ce qui concerne la vente des droits de superficie de la réserve, aucun manquement à une obligation de fiduciaire de la Couronne n'a été prouvé, la cession des droits miniers en 1940 a toutefois eu aussi pour effet d'imposer une obligation de fiduciaire envers la bande relativement aux droits miniers, et le MAI a manqué à cette obligation et aux conditions de la cession de 1940 en transférant ces droits au DTAC en 1948. En vertu de la cession de 1940, le MAI n'était autorisé qu'à louer les droits en question au profit de la bande. Quoi qu'il en soit, même si on accepte l'argument que la cession de 1945 a eu pour effet d'annuler la cession antérieure des droits miniers, la Couronne avait toujours, aux termes de la cession de 1945, l'obligation de vendre ou de louer les terres visées dans l'intérêt de la bande. Une personne raisonnable ne se départit pas par inadvertance d'un bien qui peut avoir de la valeur et dont la capacité de produire un revenu a déjà été démontrée. Pas plus qu'une personne raisonnable se départit, sans contrepartie, d'un bien qui ne lui coûte rien à conserver et qui pourrait un jour avoir de la valeur, aussi mince que puisse être cette possibilité. Dans la gestion de ses propres affaires, la Couronne réservait ses droits miniers. Elle aurait dû faire de même pour la bande. En tant que fiduciaire, la Couronne avait l'obligation d'agir avec le soin et la diligence qu'un bon père de famille apporte à l'administration de ses propres affaires.

Comme le transfert des droits miniers au DTAC a été fait en mars 1948, l'action intentée par les appelants en septembre 1978 est donc prescrite par suite de l'écoulement du délai de 30 ans prévu à l'art. 8 de la Limitation Act de la Colombie‑Britannique. Toutefois, même si l'obligation de fiduciaire touchant l'administration des terres des Indiens a pu cesser au moment de la vente des terres en 1948, on peut néanmoins inférer du caractère exceptionnel de l'art. 64 de la Loi des Indiens de 1927 le maintien d'une obligation de fiduciaire d'agir dans l'intérêt des Indiens afin de corriger une erreur. Cette disposition conférait au MAI le pouvoir d'annuler le transfert des droits miniers fait par erreur au DTAC, et ce jusqu'au moment où ils ont été vendus par ce dernier. La Couronne a commis un deuxième manquement à son obligation de fiduciaire en omettant de corriger l'erreur en question le 9 août 1949, lorsqu'elle a pris connaissance de cette erreur et de la valeur potentielle des droits miniers. Puisque la présente action a été déposée en septembre 1978, toutes les pertes découlant des transferts faits après le 9 août 1949 donnent donc ouverture à action compte tenu du délai de prescription général de 30 ans. Les réclamations concernant les droits miniers qui subsistent à l'application du délai de prescription trentenaire ne sont pas prescrites par le délai de prescription de 6 ans prévu au par. 3(4) de la Limitation Act. Même si l'action dépasse de beaucoup le délai de 6 ans qui a commencé à courir à compter des conventions de vente conclues avec les anciens combattants entre 1948 et 1956, en raison de l'effet du par. 6(3) de la Limitation Act, le délai de prescription n'a commencé à courir qu'en 1977, puisque les appelants n'ont appris les faits véritables qu'en 1977. Leur action a donc été intentée bien à l'intérieur du délai de prescription applicable. Les appelants ont donc droit à des dommages‑intérêts de la part de la Couronne par suite du manquement de celle‑ci à l'obligation de fiduciaire qui lui incombait relativement aux droits miniers qui ont été cédés par actes de vente après le 9 août 1949.


Parties
Demandeurs : Bande indienne de la rivière Blueberry
Défendeurs : Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Gonthier
Arrêt mentionné: Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335.
Citée par le juge McLachlin
Arrêt appliqué: Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335
arrêts mentionnés: St. Ann's Island Shooting and Fishing Club Ltd. c. The King, [1950] R.C.S. 211
Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99
Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226
Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377
Montreal Street Railway Co. c. Normandin, [1917] A.C. 170
Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général), [1994] 2 R.C.S. 41
Berkheiser c. Berkheiser, [1957] R.C.S. 387
Attorney‑General of British Columbia c. Attorney‑General of Canada (1889), 14 A.C. 295
Fales c. Canada Permanent Trust Co., [1977] 2 R.C.S. 302
M. (K). c. M. (H), [1992] 3 R.C.S. 6.
Lois et règlements cités
Décret C.P. 8939, 19 novembre 1941.
Land Act, R.S.B.C. 1924, ch. 131, art. 119, 120.
Limitation Act, R.S.B.C. 1979, ch. 236, art. 3(2), (4), 6(3), 8.
Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, art. 2h), l), 50, 51, 53, 54, 64, 93(3).
Loi des terres fédérales, S.R.C. 1927, ch. 113.
Loi d'établissement des soldats, 1919, S.C. 1919, ch. 71.
Loi modifiant la Loi des Indiens, S.C. 1938, ch. 31, art. 1.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 39(1).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 10, art. 38(1).
Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants, S.C. 1942, ch. 33, art. 5(2).
Regulations for the Disposal of Petroleum and Gas on the Indian Reserves in the Provinces of Alberta and Saskatchewan and the Northwest Territories, 17 mai 1910, décret C.P. 987.
Regulations for the Disposal of Petroleum and Natural Gas Rights on Indian Reserves, (1938) 72 Can. Gaz. 725, art. 1a).
Doctrine citée
A. H. Oosterhoff: Text, Commentary and Cases on Trusts, 4th ed. By A. H. Oosterhoff and E. E. Gillese. Toronto: Carswell, 1992.
Nouveau Petit Robert, Paris: Le Robert, 1994.
Petit Larousse illustré 1994, Paris: Larousse, 1993.
Shepherd, J. C. The Law of Fiduciaries, Toronto: Carswell, 1981.

Proposition de citation de la décision: Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344 (14 décembre 1995)


Origine de la décision
Date de la décision : 14/12/1995
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1995] 4 R.C.S. 344 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1995-12-14;.1995..4.r.c.s..344 ?
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