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08/02/1996 | CANADA | N°[1996]_1_R.C.S._160

Canada | Chablis Textiles Inc. (Syndic de) c. London Life Insurance Co., [1996] 1 R.C.S. 160 (8 février 1996)


Chablis Textiles Inc. (Syndic de) c. London Life Insurance Co., [1996] 1 R.C.S. 160

Israël Goldstein, ès qualités de syndic à la

faillite de Chablis Textiles Inc. Appelant

c.

London Life Insurance Company Intimée

Répertorié: Chablis Textiles Inc. (Syndic de) c. London Life Insurance Co.

No du greffe: 24130.

1995: 13 octobre; 1996: 8 février.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et Major.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1994]

R.J.Q. 627, 61 Q.A.C. 207, [1994] I.L.R. ¶1‑3058, qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure, [1989] R.J.Q. 2197. Pou...

Chablis Textiles Inc. (Syndic de) c. London Life Insurance Co., [1996] 1 R.C.S. 160

Israël Goldstein, ès qualités de syndic à la

faillite de Chablis Textiles Inc. Appelant

c.

London Life Insurance Company Intimée

Répertorié: Chablis Textiles Inc. (Syndic de) c. London Life Insurance Co.

No du greffe: 24130.

1995: 13 octobre; 1996: 8 février.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et Major.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1994] R.J.Q. 627, 61 Q.A.C. 207, [1994] I.L.R. ¶1‑3058, qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure, [1989] R.J.Q. 2197. Pourvoi accueilli.

Gilles Paquin et Yoine Goldstein, pour l'appelant.

Peter A. Graham, c.r., pour l'intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

1 Le juge Gonthier -- Ce pourvoi commande l'examen de la portée temporelle des clauses d'exclusion de garantie en cas de suicide dans les contrats d'assurance sur la vie. Plus particulièrement, il requiert de cette Cour qu'elle précise le point de départ du délai d'exclusion en présence des circonstances particulières que sont le recours à l'antidate et l'augmentation de couverture en cours de contrat.

I - Les faits

2 Les faits de l'espèce ne sont pas contestés. Par souci de clarté, il m'a paru approprié de les reprendre sous forme de tableau synoptique, en suivant l'ordre chronologique:

8 septembre 1980:Feu Howard Kape signe, au nom de la société K & A Textiles Inc. dont il est le président, une proposition d'assurance sur sa vie au montant de 500 000 $, qui sera transmise à l'intimée London Life Insurance Company.

26 septembre 1980:Date que porte la police d'origine (Policy Date). L'assuré étant né le 27 septembre 1947, les parties ont convenu de retenir la date du 26 septembre afin de lui permettre, notamment, de bénéficier de primes moindres. En contrepartie, les primes devinrent payables à compter de cette date.

11 novembre 1980:La police originale est émise. Elle porte la date du 26 septembre 1980 (Policy Date), mais également celle du 11 novembre 1980 à titre de date d'émission (Issue Date).

14 novembre 1980:London Life reçoit le paiement de la première prime. C'est également le 14 novembre que l'assuré accepte une modification à la proposition originale ayant pour effet de réduire la couverture en cas de mort accidentelle.

12 janvier 1981:Une demande de modification de la police originale est présentée, afin que le capital assuré soit porté à 1 000 000 $, qu'un nouveau bénéficiaire soit désigné et que la date de la police soit remplacée par le 26 janvier 1981.

26 janvier 1981:Date que porte la police modifiée (Policy Date).

9 février 1981:La police modifiée est émise, après que l'assuré Kape eut fourni une nouvelle preuve d'assurabilité en passant un examen médical. Cette police reprend le numéro d'identification qui avait été attribué à la police originale, et stipule que la société Chablis Textiles Inc. en est bénéficiaire et propriétaire. Elle porte la date du 26 janvier 1981, mais également celle du 9 février 1981 (Issue Date).

20 octobre 1982:L'assuré Kape se suicide.

3 Tant la police originale que la police modifiée contiennent les clauses suivantes:

[traduction]

CONTRAT

. . .

Le contrat n'entrera pas en vigueur à moins que les conditions suivantes ne soient réunies: (1) la première prime a été payée à la compagnie, (2) la police a été remise au titulaire de la police, à son mandataire ou ayant droit, ou au bénéficiaire, et (3) aucun changement ne doit, après la signature dudit formulaire, s'être produit relativement à l'assurabilité de l'assuré ou du bénéficiaire d'une exonération de primes. Le contrat cesse de produire ses effets après la date d'expiration applicable à l'égard de la prestation de base.

. . .

SUICIDE

Si, dans les deux années suivant la date d'émission de la présente police ou la date du certificat de remise en vigueur, l'assuré se suicide, qu'il soit ou non sain d'esprit, la responsabilité de la compagnie relativement à la prestation de base se limite à un montant égal aux primes de base versées en vertu du contrat, sans aucun intérêt. Cependant, si la présente police a été émise en remplacement d'une police antérieure, dans une situation où la compagnie n'exige pas de preuve d'assurabilité relativement à la prestation de base, la période de deux ans commence à courir à compter de la date applicable à la clause de suicide de la police antérieure. Malgré l'expiration de la période de deux ans applicable en vertu de la présente clause, toute clause de suicide figurant dans une page d'assurance complémentaire s'applique conformément à ses modalités propres.

ANNÉE D'ASSURANCE

Les années d'assurance sont calculées à partir de la date de la police mentionnée sur la page de données.

PRIMES

Les ententes conclues par la compagnie sont subordonnées au paiement des primes à leur date d'échéance.

Les primes payables au titre des prestations prévues par le contrat sont précisées sur la page des données; cependant, aucune prime n'est payable à sa date d'échéance, après la date de la police, si l'assuré est alors décédé. La première date d'échéance des primes est la date de la police, et les dates d'échéance subséquentes sont précisées sur la page des données.

4 La société bénéficiaire de l'assurance ayant déclaré faillite, c'est le syndic appelant qui présenta une demande en exécution de contrat. La Cour supérieure y accéda, [1989] R.J.Q. 2197, mais la Cour d'appel accueillit le pourvoi de l'assureur, [1994] R.J.Q. 627, 61 Q.A.C. 207, [1994] I.L.R. ¶1-3058.

II - Les dispositions législatives

5 Les dispositions législatives pertinentes sont les art. 2516 et 2532 du Code civil du Bas-Canada, auxquels il ne peut être dérogé, sauf dans la mesure où cela serait plus favorable au preneur ou au bénéficiaire (art. 2500, al. 2):

2516. L'assurance sur la vie prend effet dès l'acceptation de la proposition par l'assureur pour autant que cette dernière ait été acceptée sans modification, que la première prime ait été payée et qu'aucun changement ne soit intervenu dans l'assurabilité du risque depuis la signature de la proposition.

2532. Le suicide de l'assuré n'est pas cause de nullité. Toute stipulation contraire est sans effet si le suicide survient après deux ans d'assurance ininterrompue.

6 Il est à noter que le Code civil du Québec, en ses art. 2425 et 2441, reprend sans modification notable l'essentiel de ces dispositions.

III - Jugements des tribunaux d'instance inférieure

Cour supérieure, [1989] R.J.Q. 2197

7 Selon le juge Benoit, le 26 septembre 1980 constitue le point de départ de la computation du délai d'exclusion de garantie en cas de suicide, et par conséquent, l'assureur se voit dans l'obligation de fournir compensation, puisque la stipulation d'exclusion est sans effet après l'écoulement d'une période de deux ans d'assurance ininterrompue. En l'espèce, le juge Benoit admet d'emblée que le montant n'aurait pas été payable si l'assuré s'était suicidé entre le 26 septembre 1980, date de signature de la proposition, et le 11 novembre 1980, date de l'émission de la police originale. Tout au long de cette période, selon lui, il y avait absence de risque et partant, il ne pouvait y avoir obligation de compenser.

8 Le juge Benoit constate cependant que, si la clause d'exclusion de garantie en cas de suicide fait mention de la date du 11 novembre 1980, l'art. 2532 C.c.B.-C., lui, commande le calcul d'un délai de deux ans d'assurance ininterrompue. Après avoir établi un rapprochement avec l'affaire McClelland and Stewart Ltd. c. Mutual Life Assurance Co. of Canada, [1981] 2 R.C.S. 6, le juge Benoit affirme donc qu'il serait plus logique de tenir compte des années de la police, dont le point de départ a été fixé au 26 septembre, pour les fins de la clause d'exclusion de garantie. De plus, il estime que, même si la protection d'assurance n'a commencé que le 11 ou le 14 novembre 1980, la décision des parties d'antidater la police a pour conséquence de faire courir le délai de deux ans prévu à l'art. 2532 C.c.B.-C. à compter du 26 septembre 1980. Le juge Benoit refuse de retenir la date de la police modifiée, soit le 26 janvier 1981, puisqu'il importe à son avis de déterminer le point de départ de l'assurance et non le point de départ de sa modification. En conséquence, le suicide étant survenu le 20 octobre 1982, l'assureur ne pouvait invoquer la clause d'exclusion de garantie pour refuser de verser les 500 000 $ de la couverture originale.

9 Quant à la couverture supplémentaire obtenue en janvier 1981, le juge Benoit affirme qu'elle n'imposait pas la computation d'un nouveau délai de deux ans. Il constate en effet que le document signé par l'assuré le 12 janvier 1981 était une demande de changement à la police et témoignait de l'intention des parties d'amender le contrat existant plutôt que de le remplacer. Il relève également que la police émise le 9 février 1981 portait le même numéro d'identification que celle émise en novembre 1980, et qu'une copie de la proposition originale du 8 septembre 1980 y était annexée. Le juge Benoit minimise également le nouvel examen médical qui fut requis, au vu de sa conclusion qu'il n'y avait que remplacement de la police antérieure et non conclusion d'un nouveau contrat. Il renforce sa conclusion en affirmant que si l'art. 2524 C.c.B.-C. indique que le délai de deux ans court à nouveau en cas de rétablissement de l'assurance individuelle, il est possible d'en déduire que le délai ne recommence pas à courir lors d'une modification d'un contrat d'assurance qui n'a pas cessé d'être. Le juge Benoit condamne donc l'assureur à verser au syndic la somme de 1 000 000 $.

Cour d'appel, [1994] R.J.Q. 627

10 Le juge Baudouin, au nom de la cour, écarte d'emblée toute analogie avec les décisions provenant de juridictions de common law, et notamment avec l'affaire McClelland, précitée. Il constate en effet que le droit ontarien des assurances, qui gouvernait cette dernière affaire, ne limite pas dans le temps comme le droit civil québécois la portée des clauses d'exclusion de garantie en cas de suicide. Ainsi, il estime que le délai prévu à l'art. 2532 C.c.B.-C. ne court qu'à compter du moment où le risque est couvert. Avant cette date, il ne saurait à son avis y avoir de relation contractuelle aux termes de laquelle l'assureur serait tenu de verser compensation en cas de sinistre. Il importe selon lui de s'attarder à la date de prise d'effet du contrat, et non à celle de sa conclusion.

11 Le juge Baudouin rappelle que la prise d'effet du contrat d'assurance obéit aux conditions fixées par l'art. 2516 C.c.B.-C., et qu'il faut donc écarter en l'espèce la clause du contrat qui y ajoute. En considérant les faits mis en preuve, le juge Baudouin conclut que ce n'est que le 14 novembre 1980 qu'il fut satisfait, à première vue, aux exigences de l'art. 2516 C.c.B.-C. Reconnaissant qu'il était loisible aux parties de fixer la mise en vigueur de l'assurance à une date antérieure à celle prévue par le Code, il conclut cependant qu'en l'espèce tel ne pouvait être le cas. L'antidate ne fut en effet à son avis choisie que pour permettre à l'assuré de bénéficier de primes moindres, et il ne saurait être déduit de ce seul fait une intention de donner un effet rétroactif à la couverture d'assurance. De plus, il affirme que l'interprétation contraire conduirait, en faisant remonter la prise d'effet du contrat au 26 septembre 1980, alors que la première prime n'avait pas encore été versée et la proposition finale acceptée, à imposer à l'assureur une obligation de compenser si l'assuré s'était enlevé la vie le 29 septembre 1980. Le juge Baudouin estime donc que le 14 novembre 1980, date d'entrée en vigueur de l'assurance, constitue le point de départ du délai d'exclusion de garantie.

12 Ayant ainsi conclu que l'assureur pouvait légitimement invoquer la clause d'exclusion à l'encontre des demandes de compensation qui lui étaient présentées, le juge Baudouin s'abstient de statuer sur l'incidence de l'augmentation de couverture. Il estime cependant que pour les fins de l'art. 2532 C.c.B.-C., une telle augmentation équivaut à une nouvelle assurance à laquelle s'attache un nouveau délai d'exclusion de garantie.

IV - Analyse

13 À l'instar des tribunaux d'instance inférieure, notre Cour doit trancher deux principales questions afin de disposer du présent pourvoi. Il importe d'abord de déterminer si la décision des parties de recourir à l'antidate, lors de la préparation de la police initiale, influe sur la validité de la clause d'exclusion de garantie en cas de suicide. Dans un deuxième temps, à la lumière des faits de l'espèce, cette Cour doit décider si l'augmentation de couverture obtenue au début de 1981 a pour effet de faire courir un nouveau délai d'exclusion en ce qui a trait à la couverture supplémentaire.

1. L'antidate et le délai d'exclusion de garantie

14 Depuis la réforme du droit québécois des assurances en 1976, l'exclusion de garantie en cas de suicide dans les contrats d'assurance sur la vie est marquée au coin de la liberté contractuelle. Si, auparavant, le suicide était une exclusion légale de risque, cause de nullité du contrat, il ne peut maintenant qu'être conventionnellement exclu, sans affecter la validité du contrat. Le suicide ne libère donc pas l'assureur de son obligation de compenser, sauf si les parties ont inséré au contrat une disposition à l'effet contraire. De plus, l'art. 2532 C.c.B.-C. limite la portée temporelle de telles dispositions, en précisant qu'elles ne sauraient produire effet si le suicide survient après deux ans d'assurance ininterrompue. C'est dire qu'il reste loisible aux parties de convenir d'un délai d'exclusion de garantie qui soit moindre, mais qu'elles ne peuvent prétendre exclure le suicide pour une plus longue période. Si tel était le cas, par le jeu des art. 2500 et 2532 C.c.B.-C., la portée de la stipulation contractuelle pertinente devrait être réduite, pro tanto.

15 Dans une affaire du type de celle qui nous est soumise, après avoir constaté que la clause d'exclusion de garantie devait avoir effet, selon ses termes, pendant les deux ans suivant la date du 11 novembre 1980, il devient nécessaire de déterminer si cette période correspond aux deux premières années d'assurance ininterrompue. Au c{oe}ur du litige se trouve donc l'identification du moment à partir duquel, pour les fins de l'art. 2532 C.c.B.-C., il y avait assurance. Une telle détermination impose d'abord un retour aux principes gouvernant la formation et la prise d'effet du contrat d'assurance-vie. Une des principales difficultés posées par ce pourvoi, en effet, découle de la confusion qui peut exister entre la prise d'effet du contrat d'assurance et le moment où, en pratique, prend effet l'obligation de compenser en cas de sinistre, ou, en d'autres mots, le moment à partir duquel est susceptible de se matérialiser cette obligation.

16 L'article 2476 C.c.B.-C. dispose, reprenant en cela la règle générale prévalant en droit civil, que le contrat d'assurance est formé dès que l'assureur accepte la proposition du preneur. La prise d'effet du contrat devrait normalement s'ensuivre mais, en matière d'assurance-vie, l'art. 2516 C.c.B.-C. la subordonne à la réalisation de trois conditions particulières. Notre Cour a étudié la distinction conceptuelle ainsi créée entre la formation et la prise d'effet du contrat dans l'affaire Trust Général du Canada c. Artisans Coopvie, Société coopérative d'assurance-vie, [1990] 2 R.C.S. 1185, et y a précisé l'interprétation qui doit être donnée à l'art. 2516 C.c.B.-C. Il est maintenant établi que c'est l'existence concurrente des trois conditions qui déclenche la prise d'effet de l'assurance. Ainsi, il est concevable que la première prime ait été versée avant ou au moment de l'acceptation de la proposition non modifiée. En un tel cas, dans la mesure où aucun changement n'est intervenu dans l'assurabilité du risque depuis la signature de la proposition, l'acceptation de la proposition entraînera également la prise d'effet du contrat. D'autre part, si le paiement de la première prime ne se produit qu'après l'acceptation de la proposition non modifiée, il faudra attendre ce premier paiement pour évaluer le maintien de l'assurabilité. J'ai exposé au nom de la Cour dans l'affaire Trust Général, précitée, aux pp. 1194 et 1195, les conséquences découlant d'une telle situation en ce qui a trait à la prise d'effet du contrat:

Si, comme en l'espèce, la première prime n'est payée qu'après l'acceptation de la proposition (ce qui implique que la réunion des trois conditions n'est susceptible de se produire qu'après la formation du contrat), l'art. 2516 C.c.B.-C. produit l'effet d'une condition suspensive à deux facettes dont la réalisation déclenche la prise d'effet du contrat préalablement formé: cette condition se réalise par le paiement de la prime si aucun changement n'est intervenu dans l'assurabilité du risque au moment du paiement. Comme c'est en général le cas en droit civil, la réalisation de la condition suspensive opère de façon rétroactive et fait en sorte que le contrat est réputé avoir pris effet au moment de sa formation. Ici, le texte prévoit expressément cette rétroactivité en précisant que l'assurance prend effet dès l'acceptation de la proposition.

17 Ces considérations constitueront toujours la toile de fond d'une analyse en vertu de l'art. 2532 C.c.B.-C. Ainsi, même lorsque la première prime n'aura été payée qu'après l'acceptation de la proposition, la prise d'effet et la formation du contrat, bien que conceptuellement distinctes, en viendront à coexister dans le temps. S'il est donc juste d'affirmer que c'est lors de la prise d'effet du contrat que le délai légal d'exclusion du suicide commencera en principe à courir, il demeure qu'il existera, en raison de la rétroactivité, une adéquation entre ce moment et celui de la formation du contrat.

18 Afin d'appliquer ces principes au présent pourvoi, la stipulation contractuelle subordonnant la prise d'effet à la livraison de la police à l'assuré doit d'emblée être mise de côté, car elle ajoute aux exigences posées par l'art. 2516 C.c.B.-C., ce que ne permet pas le second alinéa de l'art. 2500. Comme je l'ai précisé dans l'affaire Trust Général, précitée, à la p. 1197, en un tel cas, la clause ne saurait avoir effet dans la mesure où elle est moins favorable au preneur. Pour le reste, cependant, elle subsistera, ce qui laisse en l'espèce des conditions semblables à celles qu'énonce le Code.

19 Ceci étant, les parties ne contestent pas que ce n'est que le 14 novembre 1980 que ces conditions, posées par l'art. 2516 C.c.B.-C., ont été satisfaites. La preuve indique en effet que c'est à cette date que la proposition modifiée fut acceptée par l'assureur et que la première prime fut payée, sans que l'assurabilité du risque n'ait été modifiée depuis le 8 septembre 1980, date de signature de la proposition. C'est donc dire qu'à première vue, comme l'a constaté le juge Baudouin en appel, l'assurance a pris effet en ce jour de novembre 1980. Mais cette conclusion ne suffit pas à disposer du présent pourvoi.

20 Rien n'empêche en effet les parties à un contrat d'assurance de prévoir une prise d'effet qui soit antérieure à celle qu'impose le Code. Dans la mesure où une telle dérogation favorise le preneur, l'art. 2516 C.c.B.-C., d'ordre public relatif, ne s'y oppose évidemment pas. Ainsi, il demeure toujours loisible à l'assureur d'accepter d'offrir une couverture dès la date de la signature de la proposition, bien que la première prime ne soit versée que plus tard. D'autre part, il se peut que la prise d'effet reste subordonnée au paiement de la première prime, mais que les parties apposent de concert sur la police une date antérieure à celle de l'acceptation de la proposition. En un tel cas, les principes développés dans l'affaire Trust Général, précitée, devraient à mon avis trouver, par analogie, application.

21 En l'espèce, lors de la signature de la proposition initiale, il fut décidé de recourir au mécanisme de l'antidate, pour des motifs liés à la tarification eu égard à l'âge. Le montant des primes en assurance sur la vie dépend en effet largement de l'âge au moment de la souscription, et les assureurs consentent donc parfois à antidater la police pour que le preneur puisse bénéficier de primes moindres. Dans le cas sous étude, l'assuré, Howard Kape, était né le 27 septembre 1947. Afin de lui permettre d'être réputé, aux fins de l'établissement des primes, âgé de 32 ans, la date du 26 septembre 1980 fut retenue. Monsieur Kape se trouvait de la sorte avantagé puisque le montant des primes se voyait diminué en conséquence, mais l'assureur n'était pas sans y trouver son profit, en recevant une rémunération à compter de cette date alors que l'obligation corrélative de compenser en cas de sinistre ne s'était pas matérialisée au cours de la période antérieure au 14 novembre 1980.

22 C'est au sujet de l'incidence d'un tel recours à l'antidate que les parties s'opposent réellement. L'appelant soutient que la prise d'effet de l'assurance s'en trouvait déplacée au 26 septembre 1980, et qu'en conséquence le délai d'exclusion de garantie prévu à l'art. 2532 C.c.B.-C. devait courir à compter de cette date. L'intimée s'oppose à un tel raisonnement, en invoquant le libellé du contrat en cause et en arguant que l'économie des dispositions du Code en matière d'assurance forme obstacle à la prise d'effet rétroactive. À mon avis, l'interprétation avancée par l'appelant doit prévaloir. Je considère en effet qu'il y avait en existence, à compter du 26 septembre 1980, un contrat d'assurance. C'est de l'existence d'un tel contrat dont il est question à l'art. 2516 C.c.B.-C., et c'est également ce contrat qui doit être pris en ligne de compte pour déterminer le point de départ de l'assurance ininterrompue qu'envisage l'art. 2532 C.c.B.-C.

23 Ce contrat, donc, et contrairement à ce que laisse entendre l'intimée, n'était pas sans objet. À compter du 26 septembre 1980, en effet, commençait à s'écouler une période pour laquelle l'assureur recevrait rémunération, sous forme de prime. C'est également en date du 26 septembre 1980, sous réserve de la satisfaction ultérieure aux autres conditions de prise d'effet du contrat, que les risques furent évalués et les avantages assurés. Certes, si M. Kape était décédé entre le 26 septembre et le 14 novembre 1980, l'assureur n'aurait pas eu à verser compensation, puisqu'il n'avait pas encore été satisfait à l'époque aux conditions de prise d'effet du contrat. Par contre, une fois ces conditions remplies, il faut conclure que prenait effet rétroactivement, au 26 septembre 1980, un contrat d'assurance. Je ne peux que rappeler ici les propos que je tenais dans l'affaire Trust Général, précitée, à la p. 1195, au sujet de l'art. 2516 C.c.B.-C.:

Les appelantes opposent à l'idée d'un tel système que l'assureur se trouve à toucher des primes pour une période où il n'assume aucun risque, possibilité écartée par notre Cour dans certaines affaires provenant des provinces de common law: [. . .] Cette proposition est inexacte en raison de la rétroactivité de la prise d'effet de l'assurance; lorsque la condition suspensive se réalise, le contrat est réputé être entré en vigueur au moment de l'acceptation de la proposition. Cette rétroactivité explique que l'assureur puisse toucher des primes pour la période allant de l'acceptation de la proposition au paiement de la première prime. S'il est vrai qu'en pratique l'assureur n'aura pas à payer le montant d'assurance si le risque se réalise au cours de cette période, il reste qu'il assume au cours de cette période le vieillissement de l'assuré et demeure lié par son engagement préalable, en particulier par le montant de la prime établi en fonction des circonstances existant à l'époque de la formation du contrat, montant susceptible d'être acquitté dès ce moment.

Sous le régime de l'art. 2516 C.c.B.-C., la période qui s'étend en certains cas de l'acceptation de la proposition au paiement de la première prime fait donc partie intégrante du contrat d'assurance. Bien qu'elle ne puisse donner lieu à une obligation de compenser en cas de sinistre, elle joue un rôle central dans la définition des obligations des parties pour tout le terme de l'assurance, que ce soit quant aux primes ou quant au délai d'exclusion de garantie en cas de suicide.

24 Par analogie, si les parties choisissent d'indiquer sur la police une date qui, tout en étant postérieure à celle de la signature de la proposition, soit antérieure à celle de son acceptation, la rétroactivité opérera de la façon décrite dans l'affaire Trust Général. C'est dire qu'au jour du paiement de la prime, sous réserve du maintien de l'assurabilité, le contrat prendra rétroactivement effet à la date retenue par les parties. En ce sens, il est possible de considérer qu'à compter de l'antidate, il y a assurance. Mais la nature particulière de l'assurance sur la vie, couplée à la condition relative au maintien de l'assurabilité, font que le contrat ne pourra jamais prendre effet et la rétroactivité se produire en cas de sinistre survenu depuis la signature de la proposition, et, partant, une obligation de compenser pour ce sinistre ne pourra prendre naissance. Le risque assuré étant le décès, il est entendu que si le preneur trouve la mort avant que la proposition soit acceptée sans modification et que la première prime soit payée, au jour où ces deux conditions seront satisfaites, un changement dans l'assurabilité ne pourra qu'être constaté. Par conséquent, une prise d'effet rétroactive dans cette situation deviendra tout simplement impossible.

25 Cette application de la rétroactivité conventionnelle, dont la validité de principe repose sur la liberté contractuelle, ne choque pas le bon sens (voir Jacques Ghestin, Traité de droit civil __ Les obligations: les effets du contrat (1992), à la p. 166). Comme le rappelait le juge L'Heureux-Dubé dans l'affaire Caisse populaire des Deux Rives c. Société mutuelle d'assurance contre l'incendie de la Vallée du Richelieu, [1990] 2 R.C.S. 995, à la p. 1003:

En matière d'assurance tout comme dans les autres domaines du droit civil, le principe de la liberté contractuelle règne, et il revient donc, règle générale, aux parties à un contrat d'assurance de définir les limites du risque couvert ainsi que les conditions d'exigibilité de l'indemnité.

26 Ainsi, comme je l'ai expliqué dans l'affaire Trust Général, précitée, l'économie des dispositions du Code civil en la matière ne s'oppose pas nécessairement à ce qu'il y ait assurance au cours d'une période donnée, par opération rétroactive d'une condition suspensive, sans obligation corrélative de compenser en cas de sinistre pour l'assureur. Tel est le cas, par exemple, lors du rétablissement forcé de l'assurance en vertu de l'art. 2524 C.c.B.-C. Il demeure en effet possible au titulaire d'un contrat d'assurance-vie résilié en raison du défaut de paiement des primes d'en obtenir le rétablissement aux conditions initiales s'il paie les primes en souffrance, rembourse les avances reçues sur la police et démontre que l'assuré remplit encore les conditions requises pour être assurable au titre du contrat résilié. En raison de la réanimation du contrat, il est possible de considérer qu'il y a assurance au cours de la période d'interruption, dans la mesure où l'assureur assume pendant cette période le vieillissement de l'assuré, et se voit lié à nouveau par son engagement préalable. Si un tel rétablissement rétroactif du contrat pouvait inciter à conclure que le délai légal d'exclusion de garantie en cas de suicide continue à courir pendant la période d'interruption, les art. 2532 et 2524 C.c.B.-C. prennent cependant bien soin de préciser que tel n'est pas le cas.

27 Puisque je suis d'avis qu'il n'y avait pas d'obstacle théorique à ce que les parties prévoient une prise d'effet de l'assurance qui soit antérieure à l'acceptation de la proposition, je m'attarderai maintenant aux termes de la police qui, selon l'intimée, dénotent une intention contraire. Avant de ce faire, cependant, il importe de rappeler certaines considérations devant guider l'interprétation des contrats d'assurance. Comme l'a expliqué le juge L'Heureux-Dubé dans l'affaire Frenette c. Métropolitaine (La), cie d'assurance-vie, [1992] 1 R.C.S. 647, à la p. 667:

Dans l'interprétation d'un contrat d'assurance, il est maintenant bien établi que les principes d'interprétation sont les mêmes que ceux qui s'appliquent généralement aux contrats commerciaux. En fait, certains de ces principes ont été codifiés dans le Code civil aux art. 1013 à 1021. C'est ainsi que, s'il s'avère nécessaire d'interpréter un contrat, la règle cardinale est que l'intention des parties doit l'emporter, sous réserve bien entendu des dispositions d'ordre public du Code civil. Dans la recherche de cette intention, on doit tout particulièrement examiner les termes utilisés par les parties, le contexte dans lequel ils sont utilisés et, enfin, le but poursuivi par les parties en utilisant ces termes . . . [Souligné dans l'original.]

28 En l'espèce, d'une première lecture de la police se dégage bien entendu l'impression que les parties ont voulu faire courir le délai d'exclusion de garantie en cas de suicide à compter du 11 novembre 1980. À première vue, donc, les prétentions de l'intimée pourraient paraître bien fondées. Cependant, l'art. 2532 C.c.B.-C. impose la recherche de l'intention des parties quant à la prise d'effet du contrat, sans égard à ce qui peut être prévu à la clause d'exclusion de garantie. En ce sens, il est donc entendu que la clause d'exclusion de garantie ne pourra avoir plein effet, telle que libellée, que si la date du 11 novembre 1980 concorde, ou est antérieure, à celle du début de la période d'assurance. Or, l'examen de l'ensemble du contrat démontre que tel n'est pas le cas.

29 Il est bien établi, en effet, que les diverses clauses d'un contrat ne sauraient être considérées isolément, mais doivent plutôt recevoir une interprétation qui tienne compte de l'ensemble du document. À ce sujet, l'art. 1018 C.c.B.-C. dispose:

1018. Toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier.

En l'espèce, nombre de facteurs indiquent que les parties ont bel et bien voulu que l'assurance débute le 26 septembre 1980. La décision, librement prise, de retenir cette date en tant que date de la police milite, au premier chef, en ce sens. Ainsi, le 26 septembre devenait la date pertinente pour le calcul des primes, et elle allait marquer pour l'avenir le début des années de la police. Les primes devenaient donc exigibles le 26 septembre de chaque année, jusqu'à ce que la police expire, le 26 septembre 2018. Par la suite, les parties convinrent de calculer les primes sur une base mensuelle, ce qui eut pour effet d'en fixer l'exigibilité au 26 de chaque mois. En conséquence, une prime fut effectivement payée pour la période allant du 26 septembre au 14 novembre 1980. De plus, la terminologie employée par les parties à la clause d'entrée en vigueur de la police, si elle n'est pas déterminante, n'exclut certainement pas la prise d'effet rétroactive du contrat. Il est en effet prévu que le contrat n'entrera pas en vigueur à moins que (unless) certaines exigences soient satisfaites, et non jusqu'à ce que (until) de telles exigences soient satisfaites. Dans l'ensemble, ces éléments permettent d'affirmer que la police est agencée en fonction de la date du 26 septembre plutôt que celle du 11 novembre.

30 Cette conclusion appelle une analogie avec l'affaire McClelland, précitée. Certes, cet arrêt tranchait un litige provenant de l'Ontario, et en cela, il ne saurait avoir une influence déterminante sur l'issue du présent pourvoi. Il ne fait en effet pas de doute, comme notre Cour l'a rappelé dans l'affaire Caisse populaire des Deux Rives, précitée, aux pp. 1003 et 1004, que le développement du droit des assurances doit s'effectuer en harmonie avec l'ensemble du droit civil québécois, dans lequel il s'insère, bien que les pratiques nord-américaines en la matière, comme l'antidate par exemple, ne puissent être ignorées. En ce sens, la décision rendue dans l'affaire McClelland, qui ne repose en fait que sur une interprétation globale d'une police semblable à celle qui forme la base du présent litige, présente un intérêt comparatif certain. À l'origine de cette affaire se trouve un individu, titulaire d'une police d'assurance-vie émise le 28 février 1968, qui se suicide le 31 janvier 1970. La police contenait une clause d'exclusion de garantie en cas de suicide de l'assuré "dans les deux ans de la date d'entrée en vigueur de cette police". Cette notion de "la date d'entrée en vigueur" (effective date) n'était pas définie, mais dans la proposition signée par l'assuré se trouvait une déclaration à l'effet que la police entrerait en vigueur lors de sa remise à l'assuré. Bien entendu, l'assureur invoquait cette déclaration pour justifier son refus d'accorder l'indemnisation. Cependant, la proposition d'assurance, remplie le 30 janvier 1968, portait la date du 23 janvier 1968, que les parties, pour des motifs liés au calcul de la prime, avaient de concert choisie. De plus, la police prévoyait que la couverture s'étendait jusqu'au 23 janvier 1988, et que les années de la police commençaient le 23 janvier de chaque année. Notre Cour devait donc déterminer si la date du 23 janvier, ou plutôt celle du 28 février 1968, devait être utilisée pour la computation du délai d'exclusion du suicide. Le juge Dickson, au nom de la majorité, retint la première de ces deux dates, en interprétant l'ensemble des documents pertinents, aux pp. 19 et 20:

Il me semble pour le moins absurde que la police soit partiellement en vigueur à une date et partiellement en vigueur à une autre date, que pour certaines fins, la police entre en vigueur à une date, et qu'à d'autres fins, elle entre en vigueur à une autre date. Nonobstant le libellé de la déclaration, je ne crois pas que les termes de la police mènent inexorablement à l'interprétation que fait valoir la compagnie d'assurances.

En lisant la police, on constate qu'elle est entièrement agencée en fonction de la date du 23 janvier. Le capital assuré est payable si l'assuré décède avant le 23 janvier 1988. La protection de l'assurance expire un 23 janvier. L'année de la police commence le 23 janvier 1968. Le calcul des primes commence le 23 janvier. Le privilège de transformation est rattaché au 23 janvier. Je puis difficilement conclure que les parties ont voulu qu'aux fins de la clause de suicide, la police entre en vigueur le 28 février et qu'à toutes les autres fins, la police entre en vigueur le 23 janvier.

31 Ces remarques sont tout aussi pertinentes ici puisqu'il s'agit dans l'un et l'autre des cas d'identifier l'intention des parties quant à la prise d'effet du contrat. Que cette date de prise d'effet soit déterminante du point de départ du délai d'exclusion de garantie en raison de la convention des parties ou d'une exigence du Code civil n'y change rien. Face aux circonstances de l'espèce, et en tenant compte de la règle d'interprétation que pose l'art. 1018 C.c.B.-C., je ne peux que conclure que les parties, par le recours à l'antidate, ont consenti à ce qu'il y ait assurance à compter du 26 septembre 1980. En conséquence, cette date doit constituer le point de départ de la période de deux années d'assurance ininterrompue que mentionne l'art. 2532 C.c.B.-C. Comme l'observe le professeur Jean‑Guy Bergeron, Les contrats d'assurance (1989), t. 1, à la p. 213:

L'assureur prend parfois la liberté de mettre en vigueur le contrat à une date antérieure à son acceptation. Cette date retenue pourrait être par exemple la date de la proposition. Pour le calcul de certains délais, tels que celui pour l'exclusion du suicide ou l'incontestabilité de la police, l'assureur tentera de reporter à une date postérieure, alléguant que la mise en vigueur antérieure n'était que pour faire bénéficier le preneur d'une prime moindre rattachée à un âge moindre. À notre point de vue, il n'y a qu'une seule date de mise en vigueur d'un contrat. Celle de la police, si plus favorable, s'impose. L'assureur doit être conscient que sa générosité emporte toutes les conséquences rattachées à la date de mise en vigueur. D'ailleurs cette générosité ne favorise pas que le preneur, mais aussi l'assureur qui touchera une prime dès ce moment et l'anniversaire de la police sera toujours devancé par la suite.

À mon avis, même si les parties ont convenu de l'antidate à leur bénéfice réciproque pour ce qui est des primes, il n'en reste pas moins qu'il s'agit là de la date de mise en vigueur du contrat d'assurance. On ne peut justifier de priver l'assuré des autres avantages que la loi peut y attacher, notamment quant à la définition du risque couvert en cas de suicide, surtout si l'on considère que l'assureur a bénéficié de la prime entière tout en sachant que le risque ne s'était pas réalisé entre le 26 septembre 1980, date de la police, et le paiement de la première prime le 14 novembre 1980. Je conclus donc que la clause d'exclusion de garantie ne pouvait en l'espèce produire effet que jusqu'au 26 septembre 1982. L'assuré s'étant suicidé le 20 octobre 1982, l'intimée ne pouvait refuser de verser compensation, du moins en ce qui a trait à la première tranche de 500 000 $ de la somme assurée.

2. L'augmentation de couverture et l'exclusion de garantie en cas de suicide

32 Afin de disposer de ce second moyen, il importe de rappeler que, pour faire suite à une demande de modification de la police originale complétée par Howard Kape le 12 janvier 1981, l'intimée accepta, le 9 février 1981, d'augmenter la couverture de 500 000 $ à 1 000 000 $, d'effectuer une substitution des bénéficiaires, et de changer la date de la police au 26 janvier 1981. L'intimée émit donc, après avoir exigé un nouvel examen médical de l'assuré, une police portant le même numéro et comprenant les mêmes clauses que la police originale, tout en y incorporant les changements demandés. Les parties offrent bien entendu des interprétations divergentes de l'effet d'une telle augmentation de couverture sur la période d'exclusion de garantie en cas de suicide.

33 Sous-jacent à l'art. 2532 C.c.B.-C. se trouve un désir de protection de l'assureur, un souci d'éviter qu'un preneur éventuel ne souscrive à une assurance que pour mettre à exécution peu après des projets de suicide. Mais le législateur a voulu cette protection toute relative, puisqu'il a également pris soin d'en limiter la portée à deux années d'assurance ininterrompue, période au-delà de laquelle le suicide ne peut en aucun cas être cause de nullité. En conséquence, et à la lumière de l'interprétation donnée par ailleurs à l'art. 2532 C.c.B.-C., il ne fait pas de doute que le délai d'exclusion de garantie en cas de suicide ne peut courir plus d'une fois à l'intérieur d'un même contrat d'assurance (voir Bergeron, Les contrats d'assurance (1992), t. 2, à la p. 62).

34 Ceci étant, la présence d'un nouveau contrat n'emportera pas nécessairement, en tous les cas, la computation d'un nouveau délai d'exclusion de garantie. Lorsque par exemple l'assureur consent, dès la signature de la proposition, à l'émission d'une police provisoire qui se voit remplacée, avant son expiration, par une police définitive au moyen de laquelle le même assureur couvre le même risque, il est possible que le délai d'exclusion commence à courir dès la prise d'effet de la police provisoire (voir par exemple Bondu c. N.N. Compagnie d'assurance-vie du Canada, [1994] R.R.A. 745 (C.S.); Lévesque c. N.N. Life Insurance Co. of Canada, [1993] R.J.Q. 2220 (C.S.)). De même, lorsque des polices de courte durée se voient renouvelées sans modification, les périodes d'assurance liées aux contrats remplacés doivent bien entendu être prises en ligne de compte. Il faudra donc déterminer en chaque cas, au vu des circonstances de l'espèce, si le nouveau contrat ne fait que reproduire l'essentiel de celui auquel il se substitue, ou si, en le remplaçant, il y ajoute de telle façon que l'on puisse conclure à l'absence de continuité entre les deux documents et les obligations qu'ils imposent.

35 Un tel exercice ne saurait être nécessaire en l'espèce, cependant, puisque nombre de facteurs permettent d'affirmer qu'il n'y eut entre les parties, depuis les débuts, qu'un seul contrat d'assurance. L'augmentation de couverture, à laquelle l'intimée a consenti en février 1981, ne résulte en effet que d'une modification au contrat en vigueur depuis le 26 septembre 1980. Ainsi, lorsque l'assuré et le bénéficiaire voulurent obtenir cette augmentation, ils remplirent un document intitulé [traduction] "Demande de modification de la police" (Application for Policy Change). Des deux sections de ce document, seule celle envisageant la modification du contrat existant fut remplie, l'autre, qui aurait pu conduire à la conclusion d'un nouveau contrat, étant laissée en blanc. De même, à la première des quatre pages du document en cause, il était demandé aux parties de préciser si la demande visait à obtenir le remplacement d'un contrat alors en vigueur et à cette question, il fut répondu par la négative. Par la suite, l'intimée émit, sous le même numéro d'identification qui avait été utilisé en novembre 1980, une police incorporant les modifications demandées. À l'exception de celles-ci, cependant, les diverses clauses contractuelles restaient inchangées. Par ailleurs, étaient jointes à la police modifiée la demande de modification complétée en janvier 1981, ainsi que la proposition originale du 8 septembre 1980.

36 En ces circonstances, force est de constater que les nouveaux documents signés en ce début d'année 1981 ne faisaient que modifier le contrat d'assurance qui, au sens des art. 2516 et 2532 C.c.B.-C., avait pris effet le 26 septembre 1980. En conséquence, la nouvelle clause d'exclusion de garantie en cas de suicide, dont la période de validité devait débuter, selon les termes du contrat, le 9 février 1981, ne pouvait produire effet, et l'intimée ne pouvait l'invoquer pour refuser de verser la seconde tranche de 500 000 $ de la somme assurée. Puisqu'il y avait assurance ininterrompue depuis le 26 septembre 1980, en vertu d'un seul et même contrat, il n'était pas loisible à l'intimée d'exclure à nouveau la garantie en cas de suicide.

V - Dispositif

37 Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, de rétablir le jugement de la Cour supérieure et, en conséquence, de condamner l'intimée à payer à l'appelant la somme de 1 000 000 $ avec intérêts à compter du 17 mars 1983 et l'indemnité additionnelle prévue à l'art. 1078.1 C.c.B.-C. à compter du 16 décembre 1985, le tout avec dépens devant toutes les cours.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l'appelant: Goldstein, Flanz & Fishman, Montréal.

Procureurs de l'intimée: McDougall, Caron, Montréal.


Synthèse
Référence neutre : [1996] 1 R.C.S. 160 ?
Date de la décision : 08/02/1996
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Assurance - Assurance‑vie - Clause d'exclusion - Point de départ du délai d'exclusion de garantie en cas de suicide - Effet de l'antidate et de l'augmentation de couverture sur ce délai d'exclusion - Code civil du Bas‑Canada, art. 2516, 2532.

Le 8 septembre 1980, l'assuré signe une proposition d'assurance sur sa vie au montant de 500 000 $. Pour des motifs liés à la tarification eu égard à l'âge, la compagnie d'assurance intimée et l'assuré conviennent de retenir la date du 26 septembre comme date de la police. La police émise le 11 novembre 1980 contient une clause d'exclusion de garantie en cas de suicide qui doit produire effet pendant deux ans à compter de cette date. Le 14 du même mois, l'assureur reçoit le paiement de la première prime, et l'assuré accepte une modification à la proposition originale ayant pour effet de réduire la couverture en cas de mort accidentelle. Le 12 janvier 1981, une demande de modification de la police originale est présentée, afin que le capital assuré soit porté à 1 000 000 $, qu'un nouveau bénéficiaire soit désigné et que la date de la police soit remplacée par le 26 janvier 1981. Le 9 février 1981, la police modifiée est émise, après que l'assuré eut fourni une nouvelle preuve d'assurabilité en passant un examen médical. Cette police reprend le numéro d'identification et comprend les mêmes clauses que la police originale, tout en y incorporant les changements demandés. Le 20 octobre 1982, l'assuré se suicide. La société bénéficiaire de l'assurance ayant déclaré faillite, c'est le syndic appelant qui présente une demande en exécution de contrat. L'assureur refuse de payer invoquant la clause d'exclusion de garantie en cas de suicide. En vertu de l'art. 2532 C.c.B.‑C., une telle clause est sans effet si le suicide survient après deux ans d'assurance ininterrompue. La Cour supérieure statue que le 26 septembre 1980 constitue le point de départ du délai de deux ans prévu à l'art. 2532 et condamne l'assureur à verser au syndic 1 000 000 $. La Cour d'appel accueille l'appel de l'assureur, concluant que le 14 novembre 1980 est le point de départ du délai d'exclusion de garantie.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

En principe, c'est lors de la prise d'effet du contrat d'assurance que le délai légal d'exclusion de garantie en cas de suicide commence à courir. En matière d'assurance‑vie, c'est l'existence concurrente des trois conditions prévues à l'art. 2516 C.c.B.‑C. qui déclenche la prise d'effet de l'assurance. En l'espèce, les conditions posées par l'art. 2516 n'ont été remplies que le 14 novembre 1980 puisque c'est à cette date que la proposition modifiée a été acceptée par l'assureur et que la première prime a été payée, sans que l'assurabilité du risque n'ait été modifiée depuis la date de signature de la proposition. À première vue, le contrat d'assurance semble donc avoir pris effet le 14 novembre. La stipulation au contrat d'assurance qui subordonne la prise d'effet à la livraison de la police à l'assuré doit être mise de côté, car elle ajoute aux exigences posées par l'art. 2516, ce que ne permet pas l'al. 2 de l'art. 2500 C.c.B.‑C. Toutefois, l'art. 2516 étant d'ordre public relatif, rien n'empêche les parties à un contrat d'assurance de prévoir une prise d'effet qui soit antérieure à celle qu'impose le Code dans la mesure où une telle dérogation favorise le preneur. Ainsi, lorsque les parties choisissent d'indiquer sur la police une date de prise d'effet qui, tout en étant postérieure à celle de la signature de la proposition, est antérieure à celle de son acceptation, au jour du paiement de la prime, sous réserve du maintien de l'assurabilité, le contrat d'assurance prendra rétroactivement effet à la date retenue par les parties. La décision des parties de recourir à l'antidate, lors de la préparation de la police initiale, a donc eu pour effet de déplacer au 26 septembre 1980 la date de la prise d'effet du contrat d'assurance, et le délai d'exclusion de garantie prévu à l'art. 2532 doit courir à compter de cette date. Ce contrat d'assurance n'était pas sans objet. À compter du 26 septembre commençait à s'écouler une période pendant laquelle l'assureur recevrait rémunération, sous forme de prime, et c'est également à compter de cette date que les risques furent évalués et les avantages assurés. Même si l'assureur n'aurait pas eu à verser compensation si l'assuré était décédé entre le 26 septembre et le 14 novembre, puisqu'il n'avait pas encore été satisfait à l'époque aux conditions de prise d'effet du contrat, une fois ces conditions remplies, le contrat d'assurance prenait effet rétroactivement. L'économie des dispositions du Code civil en la matière ne s'oppose pas nécessairement à ce qu'il y ait assurance au cours d'une période donnée, par opération rétroactive d'une condition suspensive, sans obligation corrélative de compenser en cas de sinistre pour l'assureur. Enfin, bien qu'il semble, d'après la clause d'exclusion de garantie en cas de suicide, que les parties ont convenu de faire courir le délai de deux ans à compter du 11 novembre 1980, l'art. 2532 impose la recherche de l'intention des parties quant à la prise d'effet du contrat, sans égard à ce qui peut être prévu à cette clause. L'examen de l'ensemble du contrat démontre que les parties ont voulu que l'assurance débute le 26 septembre 1980. La clause d'exclusion de garantie ne pouvait donc s'appliquer que jusqu'au 26 septembre 1982. Puisque l'assuré s'est suicidé le 20 octobre 1982, l'assureur ne pouvait refuser de verser la première tranche de 500 000 $ de la somme assurée.

La présence d'un nouveau contrat d'assurance n'emporte pas dans tous les cas la computation d'un nouveau délai d'exclusion de garantie en cas de suicide. À la lumière de l'interprétation donnée à l'art. 2532, ce délai d'exclusion ne peut courir plus d'une fois à l'intérieur d'un même contrat d'assurance. Là où il y a nouveau contrat, il faut déterminer dans chaque cas, au vu des circonstances de l'espèce, si le nouveau contrat ne fait que reproduire l'essentiel de celui auquel il se substitue, ou si, en le remplaçant, il y ajoute de telle façon que l'on puisse conclure à l'absence de continuité entre les deux documents et les obligations qu'ils imposent. Un tel exercice n'est pas nécessaire ici puisque de nombreux facteurs permettent d'affirmer que, depuis le début, il n'y a eu qu'un seul contrat d'assurance entre les parties. L'augmentation de couverture, à laquelle l'assureur a consenti en février 1981, ne résulte en effet que d'une modification du contrat en vigueur depuis le 26 septembre 1980. En conséquence, la nouvelle clause d'exclusion de garantie en cas de suicide, dont la période de validité devait débuter, selon les termes du contrat, le 9 février 1981, ne pouvait s'appliquer, et l'assureur ne pouvait donc l'invoquer pour refuser de verser la seconde tranche de 500 000 $ de la somme assurée.


Parties
Demandeurs : Chablis Textiles Inc. (Syndic de)
Défendeurs : London Life Insurance Co.

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés: McClelland and Stewart Ltd. c. Mutual Life Assurance Co. of Canada, [1981] 2 R.C.S. 6
Trust Général du Canada c. Artisans Coopvie, Société coopérative d'assurance‑vie, [1990] 2 R.C.S. 1185
Caisse populaire des Deux Rives c. Société mutuelle d'assurance contre l'incendie de la Vallée du Richelieu, [1990] 2 R.C.S. 995
Frenette c. Métropolitaine (La), cie d'assurance‑vie, [1992] 1 R.C.S. 647
Bondu c. N.N. Compagnie d'assurance‑vie du Canada, [1994] R.R.A. 745
Lévesque c. N.N. Life Insurance Co. of Canada, [1993] R.J.Q. 2220.
Lois et règlements cités
Code civil du Bas‑Canada [mod. 1974, ch. 70, art. 2], art. 1018, 1078.1 [ad. 1982, ch. 32, art. 59], 2476, 2500 [mod. 1979, ch. 33, art. 47], 2516, 2524, 2532.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 2425, 2441.
Doctrine citée
Bergeron, Jean‑Guy. Les contrats d'assurance (terrestre), t. 1. Sherbrooke, Qué.: Éditions SEM Inc., 1989.
Bergeron, Jean‑Guy. Les contrats d'assurance (terrestre), t. 2. Sherbrooke, Qué.: Éditions SEM Inc., 1992.
Ghestin, Jacques, avec le concours de Marc Billiau. Traité de droit civil — Les obligations: les effets du contrat. Paris: L.G.D.J., 1992.

Proposition de citation de la décision: Chablis Textiles Inc. (Syndic de) c. London Life Insurance Co., [1996] 1 R.C.S. 160 (8 février 1996)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1996-02-08;.1996..1.r.c.s..160 ?
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