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08/02/1996 | CANADA | N°[1996]_1_R.C.S._75

Canada | Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75 (8 février 1996)


Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75

La Commission nationale des libérations

conditionnelles et le directeur de

l'établissement de Kent Appelants

c.

Ian Ross Mooring Intimé

et

Le procureur général de l'Ontario et

le procureur général de la Colombie‑Britannique Intervenants

Répertorié: Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles)

No du greffe: 24436

1995: 31 mai; 1996: 8 février.

en appel de la cour d'appel de la co

lombie‑britannique

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacob...

Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75

La Commission nationale des libérations

conditionnelles et le directeur de

l'établissement de Kent Appelants

c.

Ian Ross Mooring Intimé

et

Le procureur général de l'Ontario et

le procureur général de la Colombie‑Britannique Intervenants

Répertorié: Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles)

No du greffe: 24436

1995: 31 mai; 1996: 8 février.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1994), 93 C.C.C. (3d) 415, 50 B.C.A.C. 255, 82 W.A.C. 255, 24 C.R.R. (2d) 329, 35 C.R. (4th) 92, qui a infirmé une décision du juge Brenner (1993), 82 C.C.C. (3d) 289, 16 C.R.R. (2d) 332, 16 Admin. L.R. (2d) 315, qui avait rejeté la demande de l'intimé visant l'obtention d'un bref d'habeas corpus avec certiorari auxiliaire. Pourvoi accueilli, les juges McLachlin et Major sont dissidents.

S. David Frankel, c.r., et Sandra E. Weafer, pour les appelants.

Jeffrey R. Ray et John Conroy, pour l'intimé.

Hart Schwartz et Dianne Dougall, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.

Kevin E. Gillese, pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

Version française des motifs rendus par

1 Le juge en chef Lamer — J'ai eu l'avantage de prendre connaissance des motifs de mes collègues et je suis d'accord avec le juge Sopinka quant au résultat et aussi quant au raisonnement qu'il suit pour arriver à la conclusion que la Commission nationale des libérations conditionnelles n'est pas un tribunal compétent aux fins d'écarter des éléments de preuve en application du par. 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés.

2 Je voudrais toutefois ajouter de brefs motifs concordants afin d'exprimer mon avis sur les répercussions que les motifs tant du juge Sopinka que du juge Major auraient en ce qui concerne l'opinion de la majorité dans l'arrêt Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, selon laquelle le juge présidant une enquête préliminaire n'est pas habilité à écarter des éléments de preuve en application du par. 24(2).

3 Dans ses motifs, le juge Major conclut que la Commission nationale des libérations conditionnelles est un tribunal compétent parce qu'elle a compétence non seulement sur les parties et sur l'objet du litige mais également sur la réparation demandée. Il arrive à cette dernière conclusion, comme il doit le faire en vertu du critère énoncé dans l'arrêt Mills, en raison principalement de l'interprétation qu'il donne des dispositions législatives régissant la procédure suivie devant la Commission. Sur cette question de la compétence à l'égard de la réparation demandée, le juge Major dit (au par. 76):

La réparation qu'il faut envisager dans le cadre du troisième volet du critère de l'arrêt Mills est la réparation particulière demandée sous le régime de la Charte en raison d'une atteinte à un droit garanti par la Charte. Il ne s'agit pas toutefois de se demander si la loi permet au tribunal d'accorder réparation sous le régime de la Charte, mais bien de déterminer si elle l'habilite à accorder ce type de réparation. [Souligné dans l'original.]

Il répond à cette question par l'affirmative en se fondant sur sa conclusion selon laquelle «[l]'obligation légale faite à la Commission de ne pas tenir compte des renseignements qui ne sont pas pertinents ou pas sûrs implique qu'elle a compétence pour écarter des éléments de preuve» (par. 85).

4 Par ailleurs, le juge Sopinka conclut que la Commission nationale des libérations conditionnelles ne satisfait pas au troisième volet du critère de l'arrêt Mills parce qu'elle n'est pas habilitée par sa loi constitutive à rendre le genre d'ordonnance que demande l'intimé. Il le fait en partie parce qu'il estime que la Commission n'a pas la fonction ou la structure d'une cour de justice, mais principalement parce qu'il estime que la loi ne donne à la Commission aucun pouvoir d'appliquer des règles d'exclusion en matière de preuve ou même d'appliquer les règles de preuve classiques pour rendre sa décision initiale d'accorder la libération conditionnelle ou, par la suite dans sa décision, le cas échéant, de révoquer ou de modifier les conditions de la libération.

5 Par conséquent, les juges Sopinka et Major sont d'accord au sujet de la méthode analytique à appliquer, mais divergent d'opinions sur la conclusion découlant de l'application de cette méthode. Il est important de signaler que leur cadre est tout à fait conforme aux motifs que j'ai exposés dans l'arrêt Mills et aux arrêts rendus récemment par notre Cour relativement au statut des arbitres en relations du travail dans le contexte de l'art. 24. Dans les deux arrêts Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, et Nouveau-Brunswick c. O'Leary, [1995] 2 R.C.S. 967, notre Cour était manifestement convaincue que l'attribution de dommages‑intérêts faisait partie de la gamme de réparations que les instances décisionnelles en cause pouvaient accorder en vertu de leur loi habilitante et qu'elles étaient donc un tribunal compétent pour accorder des dommages‑intérêts aux fins du par. 24(1).

6 Je voudrais mettre en évidence que le fait d'appliquer le raisonnement suivi en l'espèce par les juges Sopinka et Major à l'opinion exprimée à la majorité dans l'arrêt Mills au sujet du statut constitutionnel du juge présidant une enquête préliminaire nous amène inexorablement, sur le plan des principes et de la logique, à tirer une conclusion différente de celle que le juge McIntyre a tirée dans l'arrêt Mills. Dans Doyle c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 597, notre Cour a statué que le juge présidant une enquête préliminaire possède seulement les pouvoirs qui lui sont conférés soit expressément par la loi soit par implication nécessaire. L'enquête préliminaire vise principalement à permettre au ministère public de recueillir suffisamment d'éléments pour établir une preuve prima facie, avant qu'un individu soit envoyé à son procès. Cette fin est clairement énoncée au par. 548(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Dans l'arrêt États‑Unis d'Amérique c. Shephard, [1977] 2 R.C.S. 1067, le juge Ritchie a conclu au nom de la majorité, à la p. 1080, que l'expression «preuve suffisante» désigne les éléments de preuve admissibles suffisants. Par déduction nécessaire du par. 548(1), le Code habilite donc le juge présidant une enquête préliminaire à appliquer les règles de preuve classiques et, dans certains cas, à écarter des éléments de preuve inadmissibles lorsqu'il détermine si la preuve est suffisante. En outre, ce rôle du juge présidant une enquête préliminaire est clairement énoncé au par. 542(1) du Code dans le contexte des confessions. Ce paragraphe dispose que «[l]a présente loi n'a pas pour effet d'empêcher un poursuivant de fournir en preuve, à une enquête préliminaire, tout aveu, confession ou déclaration fait à quelque moment que ce soit par le prévenu et qui, d'après la loi, est admissible contre lui» (je souligne). Voir R. c. Pickett (1975), 28 C.C.C. (2d) 297 (C.A. Ont.). Par conséquent, même après l'arrêt Mills, les juges des procès ont continué d'avoir compétence, en vertu de la common law, pour écarter les confessions lorsqu'ils étaient convaincus qu'il existait un doute raisonnable quant à leur caractère volontaire.

7 Par conséquent, compte tenu des par. 542(1) et 548(1) du Code criminel et du raisonnement suivi en l'espèce par les juges Sopinka et Major, je m'estime justifié de supposer qu'étant donné, pour paraphraser le juge Sopinka, «la structure et la fonction» d'un tribunal procédant à une enquête préliminaire et «le libellé» du Code, nous arrivons maintenant à la conclusion que le juge présidant une enquête préliminaire est un tribunal compétent pour écarter des éléments de preuve en application du par. 24(2) de la Charte.

Version française des motifs rendus par

8 Le juge La Forest — J'ai eu l'avantage de prendre connaissance des motifs de mes collègues et je souscris à ceux du juge Sopinka. Je voudrais simplement ajouter que, en toute déférence pour l'opinion du Juge en chef, je ne crois pas que la présente affaire soit de quelque façon incompatible avec la décision de la majorité dans Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863.

Version française du jugement des juges L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et Iacobucci rendu par

1 Le juge Sopinka — Le présent pourvoi concerne la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles de révoquer la libération conditionnelle de l'intimé, qui reposait en partie sur des éléments de preuve recueillis d'une manière qui peut avoir porté atteinte aux droits constitutionnels de ce dernier. La Cour doit déterminer plus précisément si la Commission est un «tribunal compétent» pour rendre une ordonnance écartant des éléments de preuve en vertu du par. 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. Si la Commission n'est pas un tribunal compétent, la Cour doit déterminer quelle procédure la Commission devrait suivre lorsqu'on lui soumet des renseignements obtenus d'une façon qui entraînerait leur exclusion par un tribunal compétent.

I. Les faits

2 En 1985, l'intimé a été condamné à une peine d'emprisonnement de neuf ans, quatre mois et cinq jours, en tout, après avoir été déclaré coupable de vol qualifié et d'autres infractions connexes. Le 14 novembre 1991, il a été mis en liberté surveillée (maintenant appelée «libération d'office») et s'est, par la suite, trouvé du travail comme couvreur.

3 Le 21 juillet 1992, le service de police de New Westminster a reçu un appel signalant que l'on avait vu deux hommes essayer d'entrer par effraction dans une voiture. Les policiers qui ont répondu à l'appel ont trouvé l'intimé dans sa fourgonnette en compagnie d'un autre homme. En fouillant le véhicule, ils ont trouvé une arme de poing volée ainsi que ce qui pouvait être du matériel de cambriolage.

4 L'intimé a été arrêté et accusé de possession d'outils de cambriolage et de possession d'une arme à autorisation restreinte. L'acte d'accusation a par la suite été modifié, et l'intimé a été accusé d'avoir eu en sa possession des instruments de cambriolage et des biens volés, et de s'être trouvé dans un véhicule à moteur contenant une arme à autorisation restreinte.

5 Le 30 juillet 1992, l'intimé a eu une entrevue avec un agent de liberté conditionnelle, au cours de laquelle il a soutenu que les outils et le matériel trouvés dans la fourgonnette étaient nécessaires à l'exercice de son métier de couvreur. Il a également prétendu qu'il ignorait qu'une arme se trouvait dans le véhicule. À la suite de l'entrevue, l'agent de liberté conditionnelle a recommandé la révocation de la libération d'office de l'intimé.

6 Le 31 août 1992, le substitut du procureur général a ordonné un arrêt des procédures à l'égard de toutes les accusations portées contre l'intimé. Ce dernier a plus tard affirmé avoir appris de son avocat que le substitut du procureur général croyait que la fouille de la fourgonnette contrevenait à la Charte et que les éléments de preuve en découlant ne seraient pas admissibles au procès.

7 Le 4 septembre 1992, le chef de secteur du bureau de libération conditionnelle a recommandé à la Commission nationale des libérations conditionnelles d'annuler la suspension de la libération d'office de l'intimé en raison de l'arrêt des procédures relatives aux accusations. La Commission a tenu une audience postsuspension à l'issue de laquelle elle a révoqué la libération d'office de l'intimé.

8 L'intimé a présenté une demande à la Section d'appel de la Commission, procédure entièrement écrite. La Section d'appel a, par la suite, confirmé la décision initiale de la Commission. L'intimé s'est adressé à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique en vue d'obtenir un redressement de la nature d'un bref d'habeas corpus avec certiorari auxiliaire.

9 Le juge Brenner de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rejeté la demande de l'intimé: (1993), 82 C.C.C. (3d) 289, 16 C.R.R. (2d) 332, 16 Admin. L.R. (2d) 315. Selon lui, la cour devait déterminer si [traduction] «d'après les faits de la présente affaire, le fait de s'en remettre à ces éléments de preuve, à l'audience de la Commission, serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice au sens du par. 24(2) de la Charte» (p. 291 C.C.C.). Le juge Brenner a conclu que, puisque ces éléments de preuve constituaient une preuve matérielle qui existait indépendamment de la violation de la Charte, la Commission les avait examinés à bon droit.

10 L'intimé a interjeté appel devant la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, où son appel a été accueilli par la cour à la majorité: (1994), 93 C.C.C. (3d) 415, 24 C.R.R. (2d) 329, 50 B.C.A.C. 255, 82 W.A.C. 255, 35 C.R. (4th) 92. Selon les juges majoritaires, la Commission était un tribunal compétent, au sens de l'art. 24 de la Charte, qui pouvait écarter des éléments de preuve obtenus par suite d'une violation de la Charte. Le juge Taggart, dissident, a conclu que le mandat confié à la Commission par le législateur n'en faisait pas un tribunal compétent. En définitive, la décision de la Commission a été annulée et l'intimé a été libéré.

II. Les dispositions législatives pertinentes

11 Le cadre législatif régissant la libération conditionnelle a été modifié sensiblement pendant les procédures: le 1er novembre 1992, la Loi sur les pénitenciers, L.R.C. (1985), ch. P‑5, et la Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. (1985), ch. P‑2, ont été abrogées et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, est entrée en vigueur. La liberté surveillée est devenue la libération d'office. Toute procédure engagée sous le régime de la Loi sur la libération conditionnelle devait se poursuivre sous celui de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Les dispositions applicables de la loi actuelle sont donc les suivantes:

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20

100. La mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d'une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois.

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l'exécution de leur mandat par les principes qui suivent:

a) la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas;

b) elles doivent tenir compte de toute l'information pertinente disponible, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, les renseignements disponibles lors du procès ou de la détermination de la peine, ceux qui ont été obtenus des victimes et des délinquants, ainsi que les renseignements et évaluations fournis par les autorités correctionnelles;

. . .

f) de manière à assurer l'équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser.

. . .

107. (1) Sous réserve de la présente loi, de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, de la Loi sur le transfèrement des délinquants et du Code criminel, la Commission a toute compétence et latitude pour:

a) accorder une libération conditionnelle;

b) mettre fin à la libération conditionnelle ou d'office, ou la révoquer que le délinquant soit ou non sous garde en exécution d'un mandat d'arrêt délivré à la suite de la suspension de sa libération conditionnelle ou d'office;

c) annuler l'octroi de la libération conditionnelle ou la suspension, la cessation ou la révocation de la libération conditionnelle ou d'office;

. . .

147. (1) Le délinquant visé par une décision de la Commission peut interjeter appel auprès de la Section d'appel pour l'un ou plusieurs des motifs suivants:

a) la Commission a violé un principe de justice fondamentale;

b) elle a commis une erreur de droit en rendant sa décision;

c) elle a contrevenu aux directives établies aux termes du paragraphe 151(2) ou ne les a pas appliquées;

d) elle a fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets;

e) elle a agi sans compétence, outrepassé celle‑ci ou omis de l'exercer.

Charte canadienne des droits et libertés

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

III. Les questions en litige

12 La principale question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si la Commission nationale des libérations conditionnelles est un «tribunal compétent» pour rendre une ordonnance écartant des éléments de preuve pertinents en vertu du par. 24(2) de la Charte. Si la Commission n'est pas un tribunal compétent, se pose alors la question secondaire de savoir quelle procédure elle devrait suivre lorsqu'on lui soumet des éléments de preuve recueillis dans des circonstances susceptibles de violer les droits garantis à un requérant par la Charte.

IV. Analyse

A.La Commission nationale des libérations conditionnelles est‑elle un «tribunal compétent»?

13 L'examen d'arrêts antérieurs de notre Cour ainsi que de la structure et de la fonction fondamentales de la Commission nationale des libérations conditionnelles m'amène à conclure que cette dernière n'est pas un tribunal compétent au sens de l'art. 24 de la Charte.

14 Notre Cour a déjà examiné la définition de l'expression «tribunal compétent» employée à l'art. 24 de la Charte. Par exemple, dans l'affaire Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, la Cour devait décider si le juge présidant une enquête préliminaire était un tribunal compétent au sens de l'art. 24. Bien que le juge Lamer (maintenant Juge en chef) ait été dissident quant à la décision finale rendue dans cette affaire, la définition de «tribunal compétent» qu'il a formulée a été acceptée par la Cour à la majorité (à la p. 890):

un tribunal compétent dans une affaire est le tribunal compétent ratione personae et ratione materiae et qui a, en droit criminel ou pénal, compétence pour accorder la réparation;

Des décisions subséquentes de notre Cour ont confirmé de nouveau le critère à trois volets de l'arrêt Mills: voir, par exemple, Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5, et Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22. Dans chaque cas, la Cour a conclu qu'un tribunal judiciaire ou administratif ne constituera un «tribunal compétent» que s'il a compétence sur les parties, sur l'objet du litige et sur la réparation demandée par le plaignant.

15 Plus récemment, notre Cour a appliqué le critère à trois volets de l'arrêt Mills dans l'arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929. Le juge McLachlin formule les observations suivantes au nom de la Cour à la majorité (aux pp. 962 et 963):

C'est donc le Parlement ou la législature qui détermine si un tribunal est compétent; ainsi que l'a affirmé le juge McIntyre [dans l'arrêt Mills], la compétence des divers tribunaux canadiens est fixée par les législatures et par le Parlement et non par les juges. Ni d'ailleurs n'y a‑t‑il quoi que ce soit de magique dans le titre du tribunal; ce n'est pas le nom qu'il porte qui tranche la question, mais bien les pouvoirs qu'il possède. (Le texte français du par. 24(1), on l'aura noté, utilise «tribunal» et non «cour»). En pratique, le fait d'insérer les réparations fondées sur la Charte dans le système existant de tribunaux administratifs, ainsi que le juge McIntyre l'a souligné, a pour effet d'accorder aux plaideurs un accès «direct» aux réparations prévues par la Charte auprès du tribunal chargé de résoudre leur cas.

Il découle de l'arrêt Mills que les tribunaux d'origine législative créés par le Parlement ou les législatures peuvent être compétents pour accorder des réparations fondées sur la Charte, pour autant qu'ils ont compétence à l'égard des parties et de l'objet du litige et qu'ils sont habilités à rendre les ordonnances demandées. [Je souligne.]

Il est donc clair que notre Cour a établi dans sa jurisprudence que, pour qu'un tribunal d'origine législative soit considéré comme un tribunal compétent au sens de l'art. 24, il doit avoir compétence sur les parties, sur l'objet du litige et sur la réparation demandée.

16 Même en supposant que la Commission ait compétence sur les parties et sur l'objet du litige, je suis convaincu, en me fondant sur (i) la structure et la fonction de la Commission et (ii) le libellé de sa loi constitutive, qu'elle n'est pas habilitée à rendre l'ordonnance demandée.

17 La Commission n'agit pas de manière judiciaire ou quasi judiciaire: Mitchell c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 570, à la p. 593. David Cole et Allan Manson décrivent les éléments de l'audience de libération conditionnelle dans Release From Imprisonment (1990). Ils font remarquer que les audiences de la Commission diffèrent sur plusieurs points de celles qui se déroulent devant les tribunaux classiques. Par exemple, le rôle de l'avocat qui comparaît devant la Commission est extrêmement limité. Selon Cole et Manson (à la p. 428):

[traduction] Bien qu'il puisse assister à l'audience en qualité de défenseur, l'avocat ne fait face à aucun adversaire puisque l'audience se tient à des fins d'enquête. En fait, les avocats ne doivent jamais perdre de vue qu'en ce qui concerne la Commission ils ne peuvent prendre la parole qu'à un seul moment, savoir à la fin de l'audience où, suivant le Règlement, ils peuvent s'adresser à la Commission au nom de leur client.

De plus, les règles classiques de la preuve ne s'appliquent pas aux audiences postsuspension tenues devant la Commission. Comme le soulignent Cole et Manson (à la p. 431):

[traduction] Même si la Commission tient compte des moyens de défense prévus par la loi ou des circonstances atténuantes lorsqu'une nouvelle accusation est portée, dans le contexte d'une audience postsuspension, les membres de la Commission ne s'estiment pas tenus de suivre les règles formalistes du droit criminel relativement à l'admissibilité de la preuve, à la présomption d'innocence ou à la nécessité d'une preuve hors de tout doute raisonnable.

Il existe d'autres différences entre les audiences de libération conditionnelle et les procédures judiciaires plus classiques, notamment (1) la Commission n'a pas le pouvoir de délivrer des assignations à comparaître, (2) la «preuve» n'est pas présentée sous serment et (3) il se peut que les membres de la formation saisie d'une affaire n'aient aucune formation juridique.

18 En l'espèce, la Section d'appel de la Commission décrit ainsi sa fonction:

[traduction] Lorsqu'elle procède à un examen postsuspension, la Commission exerce une fonction fort différente de celle des tribunaux judiciaires. Elle doit déterminer si le fait de garder [l'intimé] en liberté conditionnelle fait courir un risque indu à la société. Pour prendre cette décision, la Commission examine tous les renseignements dont elle dispose, dont toute information indiquant que l'intimé a repris ses activités criminelles. Cela s'applique peu importe que des accusations devant les tribunaux aient été retirées, suspendues ou rejetées.

Il est donc clair que la Commission n'entend et n'évalue aucun témoignage, et qu'elle agit plutôt sur la foi de renseignements. Elle exerce des fonctions d'enquête sans la présence de parties opposées: il n'y a pas d'avocat pour défendre les intérêts de l'État, et le détenu en liberté conditionnelle n'a pas de «preuve à réfuter» comme telle. D'un point de vue pratique, ni la Commission ni les procédures qu'elle engage n'ont été conçues pour procéder à l'évaluation de facteurs requise par le par. 24(2).

19 Les facteurs prédominants que la Commission doit prendre en considération dans son évaluation du risque sont ceux qui concernent la protection de la société. L'intérêt primordial de la société l'emporte sur la protection de l'accusé visant à assurer la tenue d'un procès équitable et à préserver la considération dont jouit l'administration de la justice, laquelle protection joue un rôle si important dans l'application du par. 24(2). Dans l'évaluation du risque pour la société, l'accent est mis sur l'examen de tous les renseignements sûrs disponibles, pourvu que ceux‑ci n'aient pas été obtenus irrégulièrement. Comme l'affirme le juge Dickson (plus tard Juge en chef), dans l'arrêt R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368, à la p. 414, relativement aux procédures de détermination de la peine:

Une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doit remplir est la détermination de la sentence. Les enjeux sont importants pour l'individu et la société. La détermination de la sentence constitue une étape décisive du système de justice pénale et il est manifeste qu'on ne doit pas enlever au juge la possibilité d'obtenir des renseignements pertinents en imposant toutes les restrictions des règles de preuve applicables à un procès. D'autre part, il faut que le rassemblement et l'évaluation de ces éléments de preuve soient justes. La liberté de l'accusé en dépend largement et il faut que les renseignements fournis soient exacts et sûrs.

20 Ces principes s'appliquent à plus forte raison aux procédures devant la Commission, où la personne visée a déjà subi son procès, a été déclarée coupable et s'est vu infliger une peine. Comme l'affirme la Cour suprême des États‑Unis dans l'arrêt Morrissey c. Brewer, 408 U.S. 471 (1972), à la p. 489:

[traduction] Nous insistons sur le fait qu'il n'est pas question d'assimiler de quelque façon à des poursuites criminelles cette deuxième étape de la révocation de la libération conditionnelle. Il s'agit d'une enquête restreinte dont le processus devrait être assez souple pour permettre l'examen d'éléments de preuve, dont des lettres, des affidavits et d'autres documents qui ne seraient pas admissibles dans un procès criminel accusatoire.

21 Il ressort tant de la structure et de la fonction fondamentales de la Commission que du libellé de sa loi habilitante qu'elle n'a ni l'aptitude ni la compétence pour écarter des éléments de preuve pertinents. Le texte de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition confère à la Commission un vaste mandat d'inclusion de renseignements. Non seulement elle n'est pas tenue d'appliquer les règles de preuve classiques, mais elle doit tenir compte de «toute l'information pertinente disponible». Il n'est fait mention d'aucun pouvoir d'appliquer des règles d'exclusion en matière de preuve. En fait, une telle disposition entrerait en conflit avec son obligation de prendre en considération «toute l'information pertinente disponible».

22 Je conclus de ce qui précède que la Commission n'a pas compétence à l'égard de la réparation demandée. Ce n'est donc pas un tribunal compétent au sens de l'art. 24 de la Charte.

23 Ma conclusion sur ce point est étayée par les décisions de cours de circuit américaines. La Cour suprême des États‑Unis n'a pas expressément statué sur l'applicabilité de la règle d'exclusion aux procédures de libération conditionnelle quoique, poussé à sa conclusion logique, l'extrait précité de l'arrêt Morrissey laisserait entendre qu'elle ne s'applique pas. Dix des cours de circuit fédérales ont examiné cette question. Sauf en ce qui concerne le Fourth Circuit, elles ont toutes jugé la règle inapplicable. Dans le Fourth Circuit qui est l'exception, la Court of Appeals a refusé d'appliquer la règle d'exclusion dans des procédures de probation relevant d'un État. Voir Grimsley c. Dodson, 696 F.2d 303 (1982). Dans le Second Circuit, on reconnaît l'existence d'une exception dans le cas des perquisitions sans mandat.

24 Dans l'affaire United States c. Winsett, 518 F.2d 51 (9th Cir. 1975), par exemple, on a jugé que le fait d'autoriser une commission à écarter des éléments de preuve pertinents était incompatible avec son mandat d'examiner [traduction] «tous les renseignements sûrs». L'extrait suivant de l'arrêt Pratt c. United States Parole Commission, 717 F.Supp. 382 (E.D.N.C. 1989), illustre bien le raisonnement tenu dans ces cas (à la p. 387):

[traduction] . . . cette procédure de révocation de libération conditionnelle est loin de correspondre à des poursuites criminelles complètes. Dans le contexte de l'application régulière minimale de la loi qui caractérise les audiences de révocation de libération conditionnelle, les garanties constitutionnelles que la règle d'exclusion vise à protéger ne s'appliquent pas intégralement. Les coûts sociaux considérés comme justifiés pour appliquer la règle ont déjà été payés; les acquitter une deuxième fois ne servirait à rien. Les besoins de supervision très particuliers [. . .] seraient sacrifiés s'il était interdit aux autorités chargées des libérations conditionnelles d'évaluer au complet la conduite d'un requérant en raison de la règle d'exclusion. La décision de révoquer la libération conditionnelle doit satisfaire à la norme de la prépondérance de la preuve [. . .] une fois observés les principes d'application régulière minimale de la loi. La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s'applique dans aucun cas. Le droit à un procès devant jury ne s'applique pas. La personne en liberté conditionnelle ne jouit même pas du droit à ce que la décision soit prise par un juge et n'a pas non plus le droit d'insister sur la stricte observance des normes du Quatrième amendement. Pour les motifs exposés ci‑dessus, je suis d'avis que la règle d'exclusion ne s'applique pas non plus.

Voir également United States ex rel. Sperling c. Fitzpatrick, 426 F.2d 1161 (2d Cir. 1970), et United States c. Bazzano, 712 F.2d 826 (3d Cir. 1983). Dans chaque cas, le tribunal a jugé que, pour des considérations de principe, il vaut mieux refuser à des commissions de libération conditionnelle ou de probation le pouvoir d'écarter des renseignements pertinents. Selon moi, un bon nombre de ces considérations de principe sont également pertinentes dans le contexte canadien. Je suis donc d'avis que la Commission n'est pas un tribunal compétent pour écarter des éléments de preuve pertinents en vertu du par. 24(2) de la Charte.

B.Procédure à suivre lorsque des éléments de preuve ont été obtenus irrégulièrement

25 Puisque j'ai conclu que la Commission nationale des libérations conditionnelles n'est pas un tribunal compétent au sens de l'art. 24 de la Charte, il me reste à déterminer la procédure que celle‑ci doit suivre lorsqu'elle est saisie d'éléments de preuve obtenus d'une manière portant atteinte aux droits de la personne en liberté conditionnelle.

26 Il est bien établi en droit que les tribunaux d'origine législative comme la Commission sont tenus d'agir équitablement lorsqu'ils statuent sur les droits ou privilèges d'une personne. Par exemple, dans l'arrêt Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, notre Cour a statué que le directeur d'une prison était tenu d'agir équitablement en déterminant s'il convenait de placer un détenu en ségrégation. S'exprimant au nom de la Cour à l'unanimité, le juge Le Dain affirme ceci, à la p. 653:

Cette Cour a confirmé que, à titre de principe général de common law, une obligation de respecter l'équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d'une personne: Nicholson c. Haldimand‑Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (No 2), [1980] 1 R.C.S. 602; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735.

De toute évidence, la décision de la Commission de révoquer la mise en liberté conditionnelle d'une personne a un effet important sur les droits de cette dernière. Cette décision détermine de manière péremptoire si le requérant retournera dans la société ou s'il demeurera incarcéré dans une prison ou un pénitencier. La Commission se doit donc d'agir équitablement lorsqu'elle décide d'accorder ou de révoquer la libération conditionnelle.

27 L'obligation d'agir équitablement qui incombe à la Commission est également exprimée dans sa loi constitutive, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. L'alinéa 4g) de cette loi prévoit, par exemple, que les décisions rendues en matière correctionnelle «doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes de règlement de griefs». De même, l'al. 101f) de la Loi prévoit que la Commission doit agir de manière à assurer «l'équité et la clarté du processus». Enfin, l'al. 147(1)a) de la Loi prévoit que la décision de la Commission peut faire l'objet d'un appel dans tous les cas où la Commission «a violé un principe de justice fondamentale». Ces dispositions imposent manifestement à la Commission l'obligation d'agir conformément aux principes d'équité.

28 En quoi consiste «l'obligation d'agir équitablement» qui incombe à la Commission? Le contenu de cette obligation varie selon la structure et la fonction de la commission ou du tribunal administratif en cause. En matière de libération conditionnelle, la Commission doit s'assurer que les renseignements sur lesquels elle se fonde pour agir sont sûrs et convaincants. Pour prendre un cas extrême, la Commission ne pourrait pas considérer comme sûrs des renseignements obtenus par la torture, et il serait inéquitable qu'elle agisse sur la foi de tels renseignements. Il lui incomberait donc de les écarter, quelle que soit leur pertinence relativement à la décision à prendre. Chaque fois que des renseignements ou des «éléments de preuve» lui sont soumis, la Commission doit en déterminer la provenance et décider s'il serait équitable qu'elle s'en serve pour prendre sa décision.

29 Pour déterminer s'il serait équitable de prendre en considération un renseignement donné, la Commission sera souvent guidée par la jurisprudence en matière d'exclusion d'éléments de preuve pertinents. Par exemple, lorsque des déclarations incriminantes sont obtenues du contrevenant, le droit régissant les confessions, qui est fondé sur un mélange de fiabilité et d'équité, sera pertinent tout en n'ayant pas force obligatoire. La Commission peut, dans des circonstances appropriées, conclure qu'il n'est pas équitable de se fier à un aveu obtenu sous la contrainte. Les décisions relatives au par. 24(2) de la Charte lui seront également utiles pour prendre sa décision finale. Cependant, elles ne devraient pas être déterminantes quant à sa décision de se fonder sur les principes d'équité pour écarter des renseignements pertinents. Il est évident que des considérations différentes s'appliquent souvent dans le contexte des libérations conditionnelles. Par exemple, l'al. 101a) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit que «la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas». Ce principe guidera donc la Commission lorsque celle‑ci sera appelée à se prononcer sur l'admissibilité d'un renseignement donné. L'expérience et l'expertise acquises par la Commission en matière de protection de la société l'aideront à tirer sa conclusion. Dans l'hypothèse où la Commission manquerait aux principes d'équité en rendant ces décisions, il serait possible d'interjeter appel devant la Section d'appel en vertu de l'al. 147(1)a) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Les décisions de la Commission peuvent aussi faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

30 En tant que tribunal d'origine législative, la Commission est également assujettie aux impératifs de l'art. 7 de la Charte. À cet égard, elle doit respecter les principes de justice fondamentale en ce qui concerne la tenue de ses audiences. Cela ne veut pas dire qu'elle doit avoir ou exercer le pouvoir d'écarter des éléments de preuve obtenus dans des conditions qui contreviennent à la Charte. S'il en était ainsi, cela tendrait à rendre superflue l'inclusion du par. 24(2) de la Charte. Bien que les principes de justice fondamentale ne se limitent pas à la justice en matière de procédure, il ne s'ensuit pas qu'un tribunal qui applique les règles d'équité et de justice naturelle ne se conforme pas à l'art. 7. Si le grand nombre de tribunaux d'origine législative qui traditionnellement ont été obligés de se conformer à l'équité procédurale, sans plus, étaient tenus de respecter toute la gamme des principes de justice fondamentale, l'aspect général de la justice administrative au pays subirait un changement fondamental. Dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, l'affirmation selon laquelle les principes de justice fondamentale visent davantage que la justice naturelle signifiait que la Cour était habilitée dans des circonstances appropriées à invalider une règle de droit substantiel et n'était pas limitée au contrôle judiciaire des règles de procédure que suit un organisme d'origine législative.

31 Selon un précepte fondamental de notre système juridique, les règles de la justice naturelle et de l'équité procédurale s'ajustent en fonction du contexte dans lequel elles sont appliquées. Il s'agit là d'un des préceptes fondamentaux de notre système juridique dont le juge Lamer fait mention dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B. comme source des principes de justice fondamentale. J'estime que l'adhésion de la Commission à la méthode et aux procédures susmentionnées respecte pleinement les principes de justice fondamentale et, par conséquent, l'art. 7 de la Charte.

C. Dispositif

32 Je suis d'avis d'accueillir le présent pourvoi pour le motif que la Commission nationale des libérations conditionnelles n'est pas un tribunal compétent. J'annulerais donc l'arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique. La procédure usuelle serait de renvoyer le cas de l'intimé à la Commission pour qu'elle rende une décision conforme aux présents motifs. Toutefois, étant donné que la peine de l'intimé a déjà pris fin, la Commission est dessaisie de ses pouvoirs.

Version française des motifs des juges McLachlin et Major rendus par

Le juge Major (dissident) --

I. Introduction

33 Le présent pourvoi soulève une question précise sur laquelle notre Cour n'a pas encore statué. Il s'agit, plus précisément, de déterminer si, dans le cadre d'une audience en matière de libération conditionnelle tenue en application de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, la Commission nationale des libérations conditionnelles (la «Commission») est un «tribunal compétent» pour déterminer s'il y a lieu d'écarter ou non des éléments de preuve sous le régime du par. 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour doit déterminer si la Commission a compétence, lorsqu'elle statue sur l'admissibilité à la libération conditionnelle ou qu'elle révoque une libération, pour écarter les éléments de preuve obtenus en violation de la Constitution, s'il est établi, eu égard à toutes les circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

34 J'ai lu les motifs de mon collègue le juge Sopinka, où sont exposés les faits et les dispositions législatives pertinentes. En toute déférence, je ne partage pas sa conclusion selon laquelle la Commission n'a pas compétence pour écarter, conformément au par. 24(2), des éléments de preuve obtenus d'une manière qui porte atteinte à des droits reconnus par la Charte. Je ne puis concevoir, non plus, que plus d'une décennie après l'entrée en vigueur de la Charte, l'application par la Commission de la théorie de l'équité procédurale reconnue en common law puisse être suffisante pour protéger les droits constitutionnels des détenus en liberté conditionnelle.

35 L'examen des décisions antérieures de notre Cour et des dispositions législatives régissant la Commission ainsi que l'application des principes fondamentaux de la Charte m'amènent à conclure que la Commission est un «tribunal compétent» au sens de l'art. 24 de la Charte.

36 La Commission est un «tribunal compétent» qui peut, pour les fins de l'octroi de la réparation prévue au par. 24(2), prononcer l'exclusion de renseignements obtenus en violation de droits garantis par la Charte lorsque l'utilisation de ces éléments est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Le détenu visé par une audience visant à décider de l'octroi ou de la révocation de la libération conditionnelle a donc une occasion directe de plaider la violation de droits garantis par la Charte et de demander une réparation efficace.

37 La Commission a compétence pour se prononcer sur l'existence d'une atteinte aux droits garantis par la Charte en appliquant les critères juridiques établis par les arrêts de notre Cour, et elle a le devoir de le faire.

38 Elle doit donc déterminer, sous le régime du par. 24(2), si l'utilisation d'éléments de preuve au cours d'une audience visant à décider de l'octroi ou de la révocation de la libération conditionnelle est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Dans le cas de la Commission, l'administration de la justice signifie l'administration du processus de libération conditionnelle.

39 Même si elle a compétence pour écarter des éléments de preuve, la Commission a également le mandat d'en recevoir un large éventail en rapport avec l'exécution de sa fonction primordiale: la protection du public contre les récidivistes. Compte tenu du mandat que la loi lui confère, il arrivera rarement que la Commission doive écarter des éléments de preuve en application du par. 24(2) parce que leur utilisation est susceptible de déconsidérer le processus de libération conditionnelle.

II. Analyse

A. La jurisprudence

40 Le premier arrêt où ont été examinés les mots «tribunal compétent» dans le contexte de l'art. 24 de la Charte est Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863. Dans cette affaire où l'accusé faisait valoir que son droit d'être jugé dans un délai raisonnable, conformément à l'al. 11b), avait été enfreint, la Cour a unanimement conclu qu'un juge présidant une enquête préliminaire n'est pas un tribunal compétent pour prononcer un arrêt des procédures à titre de réparation sous le régime du par. 24(1) de la Charte.

41 La Cour a également statué à l'unanimité que le tribunal de première instance constituerait un tribunal compétent pour cette fin. Le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a proposé (avec l'appui du juge en chef Dickson et du juge Wilson) que la question de l'existence d'une atteinte à l'al. 11b) pourrait être tranchée de façon définitive à l'audience avant procès tenue devant un juge du tribunal où l'affaire serait entendue. La majorité des sept juges de la formation, toutefois, a rejeté cette façon de voir parce que, à son avis, les dispositions d'ordre procédural du Code criminel ne prévoient pas ce genre de requête interlocutoire et que le fait de reporter au procès la décision définitive sur l'existence de la violation ne portait pas atteinte aux droits garantis par la Charte. Le juge La Forest, souscrivant à l'opinion majoritaire, a écrit à la p. 971:

D'après ce qui précède, il doit être évident que je favorise le point de vue suivant lequel les réparations fondées sur la Charte doivent, d'une manière générale, être accordées dans le contexte normal des procédures dans lesquelles une question prend naissance. Je ne crois pas que l'art. 24 de la Charte exige que l'on invente de toutes pièces un système parallèle pour l'administration des droits conférés par celle‑ci qui viendra s'ajouter aux mécanismes déjà existants d'administration de la justice.

42 Malgré la dissidence du juge Lamer au sujet de la possibilité d'obtenir une réparation avant jugement dans le cas de certaines violations de la Charte, ses motifs dans l'arrêt Mills ont, pour l'essentiel, été approuvés et adoptés. Fait particulièrement pertinent pour le présent pourvoi, le juge McIntyre, s'exprimant au nom de la majorité, a retenu la définition formulée par le juge Lamer, selon laquelle un «tribunal compétent» est un tribunal ayant le pouvoir de statuer quant aux parties, quant à l'objet du litige et quant à la réparation.

43 A également été adoptée la conception des droits garantis par la Charte exposée par le juge Lamer dans ce même arrêt et selon laquelle il faut, pour assurer l'efficacité de la Charte, que les violations donnent lieu à réparation. Relativement à l'art. 24, le juge Lamer a décrit ce principe, à la p. 894, comme «la proposition fondamentale qui veut qu'il y ait toujours un tribunal compétent à même d'accorder une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances» (en italique dans l'original). Selon le juge Lamer, l'art. 24, qui a pour objet d'établir le droit à une réparation, constitue l'assise permettant d'assurer le respect des droits énoncés dans la Charte et de faire en sorte que ceux‑ci contribuent vigoureusement à protéger les Canadiens (aux pp. 881 et 882):

La Charte ne définit pas l'expression «tribunal compétent». Pourtant l'interprétation de cette expression est au c{oe}ur de la portée de l'art. 24 et de son efficacité. En décidant du sens de l'expression, il faut toujours garder à l'esprit l'objet de l'article, lequel, à mon avis, est succinctement donné par la note marginale: le «recours en cas d'atteinte aux droits et libertés». C'est cette fin, une voie de recours, qui avant tout fera de la Charte un instrument éloquent et vigoureux de protection des droits et des libertés des Canadiens.

Le paragraphe 24(1) fait du droit à une réparation la pierre angulaire de la mise en {oe}uvre effective des droits accordés par la Charte. Ce qui est conforme à l'article 8 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (A.G. Rés. 217 A (III), Doc. A/810 N.U., à la p. 71 (1948)) et à l'art. 2(3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (A.G. Rés. 2200A (XXI), 21 N.U. GAOR, Supp. (no 16) 52, Doc. A/6316 N.U. (1966)).

L'article 8 de la Déclaration universelle des droits de l'homme porte:

Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi.

L'article 2(3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques porte:

3. Les États parties au présent Pacte s'engage[nt] à:

a) Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d'un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles;

b) Garantir que l'autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l'État, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et développer les possibilités de recours juridictionnel;

. . .

Je suis d'avis qu'une personne victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la Charte canadienne peut obtenir la réparation qui est convenable et juste eu égard aux circonstances. Il en découle en corollaire le principe fondamental selon lequel il doit toujours y avoir un tribunal qui puisse accorder, non seulement une réparation, mais la réparation qui est convenable et juste eu égard aux circonstances. [Je souligne; en italique dans l'original.]

44 Je souscris à cette description des droits garantis par la Charte et du rôle de l'art. 24 visant à assurer la protection effective de ces droits. Pour que la Charte demeure «un instrument éloquent et vigoureux de protection des droits et libertés des Canadiens», ceux‑ci doivent disposer d'un recours utile lorsque leurs droits sont violés.

45 Après l'arrêt Mills, trois affaires ont établi que lorsqu'une loi habilitante confère à un tribunal administratif le pouvoir de statuer sur des points de droit, il incombe à ce tribunal de ne pas appliquer les dispositions de cette loi qui sont incompatibles avec la Charte: Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5, et Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22 (la «trilogie»). La Cour y a confirmé la validité du critère à trois volets, élaboré par le juge Lamer dans l'arrêt Mills, pour déterminer si un tribunal constitue un «tribunal compétent»: la compétence quant aux parties, à l'objet du litige et à la réparation recherchée. Il ne s'imposait pas, toutefois, de déterminer si les tribunaux en question étaient compétents pour les fins de l'art. 24 de la Charte. La Cour a jugé que le pouvoir et le devoir de ne pas appliquer des dispositions législatives inconstitutionnelles découlaient du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, lequel porte que sont inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

46 Le juge La Forest, qui s'exprimait au nom de la majorité dans chacune des causes de la trilogie, a formulé, au sujet des avantages associés au fait que des tribunaux administratifs statuent sur des questions constitutionnelles, des commentaires qui revêtent un intérêt particulier pour la présente espèce. Il a analysé cette question en détail dans l'arrêt Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, et il a fait remarquer, aux pp. 603 et 604, que son principal avantage résidait dans l'assurance qu'ont ainsi les citoyens de pouvoir invoquer les garanties prévues par la Charte quand le tribunal est habilité à se prononcer sur leurs droits:

. . . s'il y a des inconvénients à permettre aux arbitres ou à d'autres tribunaux administratifs de se prononcer sur des questions constitutionnelles dans l'exercice de leur mandat, il y a également des avantages évidents. D'abord et avant tout, il va de soi que la Constitution doit être respectée. Le citoyen, qui comparaît devant des organismes décisionnels établis pour se prononcer sur ses droits et ses devoirs, devrait pouvoir faire valoir les droits et libertés garantis par la Constitution. [Je souligne.]

47 Dans R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, à la p. 639, le juge McLachlin signale que c'est ce droit des citoyens canadiens de se réclamer des garanties prévues par la Charte lorsqu'une décision définitive doit être rendue sur leurs «droits et devoirs» qui aide à comprendre pourquoi il a été jugé, dans l'arrêt Douglas College, que l'arbitre était habilité à statuer sur des questions constitutionnelles, alors que dans l'arrêt Mills, la Cour a déterminé que le juge présidant une enquête préliminaire n'avait pas ce pouvoir:

On peut facilement faire la différence entre la situation d'un juge ou magistrat à l'enquête préliminaire et celle de l'arbitre dans l'arrêt Douglas College. Dans cette affaire, la loi habilitante conférait à l'arbitre de vastes pouvoirs lui permettant de trancher à la fois les questions de fait et de droit ainsi que le différend entre les parties. Il ne pouvait s'acquitter de cette tâche sans statuer sur la contestation fondée sur la Charte. Comme l'affirme le juge La Forest dans l'arrêt Douglas College, à la p. 604: «Le citoyen, qui comparaît devant des organismes décisionnels établis pour se prononcer sur ses droits et ses devoirs, devrait pouvoir faire valoir les droits et libertés garantis par la Constitution.» L'inverse est également vrai du juge chargé d'une enquête préliminaire, dont la seule tâche est de déterminer si des poursuites sont justifiées. Les droits de l'accusé n'ont pas besoin d'être déterminés à cette étape initiale et ne devraient pas l'être. Même si le juge chargé d'une enquête préliminaire n'a pas compétence pour trancher des questions constitutionnelles, l'accusé peut toujours faire valoir les droits qui lui sont garantis par la Charte; l'examen de cette question se trouve seulement retardé jusqu'à ce que l'accusé comparaisse devant l'organisme décideur chargé de se prononcer sur ses «droits et devoirs» ‑ en l'occurrence le tribunal de première instance.

Les décisions rendues dans la trilogie sont donc en harmonie avec le principe, énoncé par le juge Lamer dans l'arrêt Mills, selon lequel l'existence d'un droit garanti par la Charte suppose celle d'une réparation.

48 Dans Douglas College, le juge La Forest voit d'autres avantages à permettre aux tribunaux administratifs de se prononcer sur des questions constitutionnelles. Les questions relevant de la Charte soulevées devant un tribunal administratif peuvent être examinées dans le contexte où elles se posent, ce qui évite les frais et les délais découlant de la présentation d'une deuxième demande, devant un tribunal judiciaire. En outre, pour rendre leur décision, les tribunaux spécialisés font le tri des faits et établissent un dossier pour le bénéfice d'un tribunal d'appel, sans compter que leur expertise et leur compétence spécialisée peuvent s'avérer d'une aide inestimable pour assurer la primauté de la Constitution dans l'interprétation constitutionnelle.

49 Dans l'arrêt récent, Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, notre Cour a examiné la question de savoir si un tribunal administratif pouvait être un tribunal compétent pour accorder une réparation sous le régime de l'art. 24 de la Charte. Il s'agissait, dans cette affaire, de déterminer si un arbitre en relations du travail avait compétence pour accorder des dommages‑intérêts en conformité avec l'art. 24 relativement à des actes de surveillance de la part de l'employeur, dont on prétendait qu'ils portaient atteinte aux droits garantis par les art. 7 et 8. La Cour à la majorité a jugé qu'un tribunal du travail est un tribunal compétent pour les fins de l'octroi de dommages‑intérêts en application de l'art. 24.

50 Pour statuer qu'un tribunal du travail constitue un tribunal compétent, le juge McLachlin a appliqué, au nom de la majorité, le critère à trois volets établi dans l'arrêt Mills afin de définir cette notion et elle a invoqué les avantages, énumérés dans l'arrêt Douglas College, liés à la détermination de questions constitutionnelles par les tribunaux administratifs. Selon elle, pour déterminer si un tribunal administratif est un tribunal compétent, il faut examiner la loi habilitante, car c'est le législateur qui donne compétence, et non pas les juges . Elle a également affirmé que les titres donnés aux tribunaux ne sont pas des formules magiques et que le fait qu'un organisme soit appelé «tribunal» plutôt que «cour» n'est pas déterminant. Elle a conclu, aux pp. 962 et 963:

C'est donc le Parlement ou la législature qui détermine si un tribunal est compétent; ainsi que l'a affirmé le juge McIntyre, la compétence des divers tribunaux canadiens est fixée par les législatures et par le Parlement et non par les juges. Ni d'ailleurs n'y a‑t‑il quoi que ce soit de magique dans le titre du tribunal; ce n'est pas le nom qu'il porte qui tranche la question, mais bien les pouvoirs qu'il possède. (Le texte français du par. 24(1), on l'aura noté, utilise «tribunal» et non «cour»). En pratique, le fait d'insérer les réparations fondées sur la Charte dans le système existant de tribunaux administratifs, ainsi que le juge McIntyre l'a souligné, a pour effet d'accorder aux plaideurs un accès «direct» aux réparations prévues par la Charte auprès du tribunal chargé de résoudre leur cas.

Il découle de l'arrêt Mills que les tribunaux d'origine législative créés par le Parlement ou les législatures peuvent être compétents pour accorder des réparations fondées sur la Charte, pour autant qu'ils ont compétence à l'égard des parties et de l'objet du litige et qu'ils sont habilités à rendre les ordonnances demandées.

51 Il importe également de signaler que, dans l'arrêt Weber, la Cour à la majorité a rejeté l'argument voulant que seule une cour de justice au sens classique du terme, constituée de juges ayant une formation juridique, pouvait être considérée comme un tribunal compétent. Le juge Iacobucci, dissident, a exprimé la position non retenue (à la p. 942):

Bref, le choix du mot «tribunal» au par. 24(1) révèle une intention de conférer le pouvoir de trancher les questions de réparation à l'égard de violations de la Charte aux institutions qui, au niveau conceptuel, sont des «tribunaux». Ce sont les caractéristiques du «tribunal», soit les règles de procédure et de preuve, l'indépendance et la formation juridique de ses juges, la possibilité d'entendre un tiers intervenant comme un procureur général ou un amicus curiae, qui en font la juridiction la plus appropriée pour entendre une demande fondée sur le par. 24(1).

52 À mon avis, la décision récemment rendue par notre Cour dans l'arrêt Weber est correcte et conforme aux décisions antérieures. Bien que la trilogie relative aux tribunaux administratifs n'ait pas tranché la question de savoir si ces tribunaux sont des tribunaux compétents pour les fins de l'art. 24, elle a toutefois établi que les tribunaux administratifs habilités à se prononcer sur des questions de droit peuvent, et même doivent, statuer sur la validité constitutionnelle des dispositions de leur loi habilitante. Dans ces arrêts, la Cour a rejeté sans équivoque la position voulant que l'absence de formation juridique des membres d'un tribunal administratif empêche ce dernier de statuer en matière constitutionnelle. Ainsi que l'a exprimé le juge La Forest dans l'arrêt Cuddy Chicks, précité, aux pp. 16 et 17:

Il faut souligner que le processus consistant à rendre des décisions à la lumière de la Charte ne se limite pas à des ruminations abstraites sur la théorie constitutionnelle. Lorsque des questions relatives à la Charte sont soulevées dans un contexte de réglementation donné, la capacité du décisionnaire d'analyser des considérations de principe opposées est fondamentale. Par conséquent, bien que les membres de la Commission n'aient pas à avoir une formation juridique professionnelle, il n'en reste pas moins qu'ils ont à jouer un rôle très significatif dans la détermination de questions constitutionnelles. Le point de vue éclairé de la Commission, qui se traduit par l'attention qu'elle accorde aux faits pertinents et sa capacité de compiler un dossier convaincant, est aussi d'une aide inestimable.

53 Les motifs à la base des décisions rendues par la Cour dans la trilogie relative aux tribunaux administratifs s'appliquent avec la même force lorsqu'il s'agit de déterminer si un tel tribunal a compétence pour accorder une réparation sous le régime de l'art. 24 de la Charte. La capacité du citoyen d'invoquer les droits garantis par la Charte et de les faire reconnaître de façon directe, dans le cadre procédural normal ayant suscité la question, constitue alors un facteur déterminant.

54 Il ressort clairement de la jurisprudence antérieure également que, pour préserver la vigueur des garanties prévues dans la Charte, il faut qu'en cas de violation le citoyen puisse obtenir une réparation utile lorsqu'une décision définitive touchant ses droits et ses devoirs doit être rendue.

55 Puisque les tribunaux administratifs, comme la Commission en l'espèce, ont le pouvoir d'imposer des sanctions pénales, il serait étrange qu'ils ne puissent accorder aux particuliers des réparations fondées sur la Charte, non pas d'une manière générale, mais dans les limites de leur compétence législative.

56 Aucune raison de principe ne justifie que les avantages pratiques énumérés par le juge La Forest dans la trilogie aient moins de force lorsqu'un tribunal administratif accorde une réparation sous le régime de l'art. 24 que lorsqu'il refuse de donner effet à une disposition législative inconstitutionnelle. Leur fonction particulière de détermination des droits au cas par cas dans leur domaine de spécialisation placerait même plutôt les tribunaux administratifs en meilleure position pour décider de la réparation qu'il convient d'accorder à un demandeur donné. Ce type de décision a des ramifications moins importantes que le refus d'appliquer une disposition législative pour un motif fondé sur la Charte.

57 Il convient de souligner que dans l'arrêt Weber, la Cour a clairement statué que le nom donné à un tribunal n'a rien de magique et qu'un tribunal administratif peut constituer un tribunal compétent même s'il n'est pas une «cour» au sens le plus littéral du terme. Cette position va dans le sens de la jurisprudence antérieure de notre Cour et des décisions d'autres tribunaux: R. c. Garrett, [1907] 1 K.B. 881, à la p. 886; Re Nash and the Queen (1982), 70 C.C.C. (2d) 490 (C. prov. T.‑N.), à la p. 494; Re United Nurses of Alberta, Local 115 and Foothills Provincial General Hospital Board (1987), 40 D.L.R. (4th) 163 (B.R. Alb.), aux pp. 166 et 167; R. c. Toker (1984), 11 D.L.R. (4th) 456 (C.A. Alb.).

58 Le mot anglais «court» se prête également à une interprétation large, même lorsqu'il est pris dans son sens le plus simple et le plus littéral. Le Chambers English Dictionary (7e éd. 1988), par exemple, en donne la définition suivante: [traduction] «personnes assemblées pour rendre décision sur des affaires», et le Concise Oxford Dictionary (8e éd. 1990), celle‑ci: [traduction] «assemblée de juges ou d'autres personnes agissant comme tribunal». Dans son sens ordinaire, le mot est donc assez large pour comprendre un tribunal administratif. La Charte, on le remarquera, n'en restreint pas la portée en employant des expressions comme «tribunal judiciaire», «cour de justice» ou «cour supérieure», elle fait plutôt appel à l'expression large et ouverte «tribunal compétent», laquelle, comme l'a signalé le juge Chrumka dans l'affaire United Nurses of Alberta (à la p. 167): [traduction] «[n']est pas inconnue en droit et doit recevoir une interprétation large». Dès 1907, dans l'affaire Garrett, précité, le maître des rôles Collins avait refusé de donner une interprétation étroite à l'expression [traduction] «tribunal compétent», et avait affirmé (à la p. 886):

[traduction] . . . l'expression «tribunal compétent» me semble n'être qu'une expression concise englobant tout tribunal légalement habilité à connaître d'une demande . . .

59 Dans l'arrêt Weber, le juge McLachlin fait remarquer que le texte français de l'art. 24 emploie le mot «tribunal» plutôt que le mot «cour». La portée de ce choix se comprend mieux si on le compare à celui qui a été fait à l'al. 11d). Le texte anglais de cette disposition comporte les mots «an independent and impartial tribunal», tandis que le texte français fait appel au même mot que l'art. 24, «un tribunal indépendant et impartial». Cela démontre que les rédacteurs de la Charte ont employé le mot français «tribunal» dans un sens assez large pour englober les notions anglaises de «court» et de «tribunal».

60 L'interprétation large de l'art. 24 faite dans l'arrêt Weber permet d'interpréter le terme français «tribunal» d'une façon qui concorde avec l'emploi de ce mot dans les autres dispositions de la Charte et obéit à l'avertissement maintes fois répété par notre Cour d'interpréter les dispositions de la Charte les unes en fonction des autres. Ainsi que le juge Lamer l'a affirmé dans l'arrêt Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350, à la p. 365 (citant P. A. Côté, Interprétation des lois (1982), à la p. 257), «chaque élément [de la Charte] contribue au sens de l'ensemble». La méthode retenue dans l'arrêt Weber permet également de donner une «interprétation large et libérale» à la Charte, ce que notre Cour s'est efforcée de faire depuis qu'elle a commencé à statuer sur la Charte: voir R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, le juge Dickson.

61 Pour résumer, les décisions antérieures de notre Cour ont établi les principes suivants:

1.l'art. 24 de la Charte vise à assurer le respect des droits et des garanties qu'elle énonce en prévoyant l'octroi d'une réparation convenable et juste en cas de violation;

2.l'art. 24 doit être interprété de telle façon qu'il existe toujours un tribunal compétent pour accorder une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances, lorsqu'une décision définitive est rendue au sujet des droits ou des devoirs d'un citoyen;

3.même si les tribunaux administratifs ne disposent pas de règles de preuve formelles et que leurs membres n'ont pas de formation juridique, il existe des avantages pratiques à leur permettre de statuer sur des questions constitutionnelles;

4.le critère applicable pour déterminer s'il s'agit d'un tribunal compétent est d'examiner si la loi habilitante lui donne compétence à l'égard des parties, de l'objet du litige et de la réparation demandée;

5.un tribunal administratif peut être un tribunal compétent lorsqu'il satisfait à ce critère.

B. Application au présent pourvoi

(1) Introduction

62 Le juge Sopinka conclut que, même en supposant que la Commission a compétence sur les parties et sur l'objet du litige, il est convaincu qu'elle n'a pas le pouvoir de rendre l'ordonnance demandée. En faisant appel à des facteurs comme l'absence de processus contradictoire, l'absence de règles de preuve formelles et l'absence de formation juridique des membres de la Commission, il conclut que cette dernière n'est pas un tribunal compétent. Mon collègue fait revivre l'exigence qu'un «tribunal compétent» soit un tribunal classique. Or, c'est une position que la Cour à la majorité a rejetée dans l'arrêt Weber. Qui plus est, ces facteurs n'ont jamais été retenus comme motifs de limitation du pouvoir d'un tribunal administratif de statuer sur des questions constitutionnelles.

63 L'arrêt Weber va dans le sens de la jurisprudence antérieure de notre Cour selon laquelle, pour déterminer s'il s'agit d'un «tribunal compétent», il faut examiner la loi habilitante pour établir si elle lui donne compétence sur les parties, sur l'objet du litige et sur la réparation demandée. Il s'impose donc d'analyser la loi régissant la Commission pour déterminer si cette dernière satisfait à ce critère en trois volets.

(2) Le critère de l'arrêt Mills

64 Il est incontestable que la Commission a compétence sur la partie et sur l'objet du litige. La partie est un contrevenant admissible à la libération conditionnelle et le litige porte sur l'octroi ou la révocation de la libération conditionnelle. Aux termes du par. 107(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Commission jouit d'une compétence exclusive et d'un pouvoir discrétionnaire absolu pour statuer de façon définitive en matière d'octroi ou de révocation de la libération conditionnelle:

107. (1) Sous réserve de la présente loi, de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, de la Loi sur le transfèrement des délinquants et du Code criminel, la Commission a toute compétence et latitude pour:

a) accorder une libération conditionnelle;

b) mettre fin à la libération conditionnelle ou d'office, ou la révoquer que le délinquant soit ou non sous garde en exécution d'un mandat d'arrêt délivré à la suite de la suspension de sa libération conditionnelle ou d'office;

c) annuler l'octroi de la libération conditionnelle ou la suspension, la cessation ou la révocation de la libération conditionnelle ou d'office;

65 La question plus complexe que soulève le présent pourvoi est de déterminer si le législateur a conféré à la Commission compétence sur la réparation recherchée. Il convient de bien préciser la réparation demandée par l'intimé en l'espèce.

66 Comme l'a signalé le juge Lambert dans les motifs prononcés au nom de la majorité de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique ((1994), 93 C.C.C. (3d) 415), si la réparation recherchée est considérée comme étant l'application de la Charte de façon à écarter des éléments de preuve au cours d'une audience en matière de libération conditionnelle, le critère ne mène nulle part: il repose la question au lieu d'y répondre. Notre Cour à la majorité, dans l'arrêt Weber, a rejeté la position voulant que la compétence d'accorder une réparation fondée sur la Charte doit avoir été expressément conférée par la loi habilitante pour qu'il soit satisfait à ce volet du critère. Cette position impliquerait que toute instance décisionnelle constituée avant l'entrée en vigueur de la Charte ne pourrait appliquer celle‑ci à moins que sa loi habilitante ne soit modifiée. Un tel argument est manifestement indéfendable et va à l'encontre de la conclusion tirée dans l'arrêt Mills. Les cours provinciales constituent un bon exemple de tribunaux qui disposent du pouvoir d'accorder des réparations fondées sur la Charte sans qu'il ait pour cela été nécessaire de modifier leurs lois habilitantes.

67 Je ne puis, pour autant, souscrire à la définition de réparation retenue par le juge Lambert (à la p. 437), savoir que [traduction] «la réparation est l'octroi de la liberté conditionnelle». Cette définition fait appel à un degré d'abstraction trop élevé et semble confondre la réparation et l'objet du litige. Je conviens avec les appelants qu'elle équivaut à affirmer que chaque tribunal habilité à rendre quelque ordonnance que ce soit a compétence en matière d'application de la Charte.

68 J'estime qu'il faut chercher la réponse entre ces deux extrêmes. La réparation qu'il faut envisager dans le cadre du troisième volet du critère de l'arrêt Mills est la réparation particulière demandée sous le régime de la Charte en raison d'une atteinte à un droit garanti par la Charte. Il ne s'agit pas toutefois de se demander si la loi permet au tribunal d'accorder réparation sous le régime de la Charte, mais bien de déterminer si elle l'habilite à accorder ce type de réparation.

69 Par exemple, la réparation fondée sur la Charte demandée dans l'arrêt Mills était l'arrêt des procédures en raison du retard à instruire le procès. Le juge présidant l'enquête préliminaire n'est pas un tribunal compétent, parce que le Code criminel ne lui donne pas le pouvoir d'arrêter des procédures. Par contre, le juge du procès dispose du pouvoir d'accorder ce type de réparation et il constitue donc un tribunal compétent même si le Code criminel ne confère aucun pouvoir particulier en matière de réparation sous le régime de la Charte. De la même façon, il a été jugé dans l'arrêt Weber qu'un arbitre en relations du travail est un tribunal compétent pour attribuer des dommages‑intérêts en conformité avec le par. 24(1), parce que l'octroi de dommages‑intérêts fait partie des redressements qu'un tel organisme est autorisé à accorder. Il n'est donc pas nécessaire que le pouvoir d'attribuer des dommages‑intérêts fondés sur la Charte soit expressément prévu dans la loi.

70 En l'espèce, l'intimé invoque le par. 24(2) de la Charte pour que des éléments de preuve soient écartés. La réparation demandée est l'exclusion de ces éléments. Le dernier volet du critère de l'arrêt Mills consiste donc à examiner si la loi régissant la Commission lui confère expressément ou implicitement le pouvoir d'écarter des éléments de preuve. J'estime qu'elle le fait.

71 En décidant de l'information dont elle tiendra compte pour statuer sur la libération conditionnelle, la Commission doit concilier l'inclusion et l'exclusion de renseignements. Ainsi, même si la Commission a compétence pour exclure des éléments de preuve pour un nombre restreint de motifs, elle n'en a pas moins un vaste mandat d'inclusion de renseignements. L'obligation que lui fait la loi de tenir compte d'un éventail plus large de renseignements que ceux qui seraient examinés en application des règles classiques de preuve cadre parfaitement avec son mandat de protéger le public et de freiner la récidive chez les détenus en liberté conditionnelle.

72 L'article 101 dispose que la Commission doit prendre en considération toute l'information pertinente disponible:

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l'exécution de leur mandat par les principes qui suivent:

. . .

b) elles doivent tenir compte de toute l'information pertinente disponible, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, les renseignements disponibles lors du procès ou de la détermination de la peine, ceux qui ont été obtenus des victimes et des délinquants, ainsi que les renseignements et évaluations fournis par les autorités correctionnelles;

73 Dans leur argumentation, les appelants ont insisté sur le fait que le législateur a employé le mot «information» qui est plus large que «preuve». Mon collègue s'appuie en outre sur le fait que la Commission n'est pas liée par des règles de preuve formelles. Aucun de ces éléments ne résout la question de savoir si la Commission est habilitée à écarter des éléments de preuve. La preuve n'est qu'un sous‑ensemble du terme «information», et il peut y avoir d'autres exclusions que celles qui sont prévues par les règles de preuve formelles.

74 À mon avis, la loi prévoit expressément le pouvoir de la Commission d'exclure de l'information puisqu'elle limite la portée de son examen à l'information pertinente. Dans l'arrêt Seaboyer, précité, à la p. 609, le juge McLachlin a affirmé qu'un principe de justice fondamentale veut que le juge des faits tienne compte des seuls éléments pertinents et, sous réserve de quelques exceptions limitées, de tous les éléments pertinents. Elle a également signalé que ce principe de la pertinence sous‑tendait les règles de preuve formelles:

C'est un principe fondamental de notre système de justice que les règles de preuve doivent permettre au juge et au jury de découvrir la vérité et de bien trancher les questions en litige. Cet objectif ressort du principe fondamental de la pertinence qui est à la base de toutes nos règles de preuve: voir Morris c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 190, et R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670. En règle générale, rien ne doit être admis qui ne constitue pas une preuve logique d'un fait à prouver et tout ce qui est probant doit être admis, à moins de devoir être exclu pour un autre motif.

75 La loi habilitante exige aussi que la Commission écarte les éléments de preuve qu'elle ne juge pas sûrs ou qu'elle estime inexacts. L'alinéa 147(1)d) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit qu'il peut être interjeté appel de la décision de la Commission auprès de la Section d'appel pour le motif que la Commission «a fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets».

76 Comme l'a mentionné le juge Sopinka, l'obligation d'écarter les renseignements qui ne sont pas sûrs ou qui n'emportent pas la conviction découle également de la théorie de l'équité procédurale reconnue en common law, qui s'applique à un tribunal d'origine législative comme la Commission: voir Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la p. 653. Dans R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368, à la p. 414, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a affirmé à l'égard de la procédure de détermination de la peine qui, comme l'audience en matière de libération conditionnelle, se caractérise par l'application de règles de preuve moins strictes: «La liberté de l'accusé en dépend largement et il faut que les renseignements fournis soient exacts et sûrs.»

77 La loi applicable prévoit que la Commission doit exclure de son examen tout renseignement qui n'est pas pertinent ou qui n'est pas sûr. Par conséquent, même si elle n'est pas liée par les règles de preuve formelles, la Commission est tenue d'observer les deux principes directeurs qui les fondent: la pertinence et la fiabilité. L'obligation légale faite à la Commission de ne pas tenir compte des renseignements qui ne sont pas pertinents ou pas sûrs implique qu'elle a compétence pour écarter des éléments de preuve. Elle a donc compétence sur la réparation demandée par l'intimé en l'espèce, et il est ainsi satisfait au troisième volet du critère de l'arrêt Mills.

(3) La loi habilitante et la Charte

78 Le fait que la Commission satisfait aux trois exigences du critère de l'arrêt Mills suffit à établir qu'elle est un tribunal compétent pour accorder une réparation sous le régime de l'art. 24 de la Charte. Il convient de signaler que la loi régissant la Commission prévoit également qu'elle doit appliquer la Charte. Le paragraphe 147(1) porte:

147. (1) Le délinquant visé par une décision de la Commission peut interjeter appel auprès de la Section d'appel pour l'un ou plusieurs des motifs suivants:

a) la Commission a violé un principe de justice fondamentale;

b) elle a commis une erreur de droit en rendant sa décision;

c) elle a contrevenu aux directives établies aux termes du paragraphe 151(2) ou ne les a pas appliquées;

. . .

79 Cette loi oblige donc la Commission à observer les principes de justice fondamentale dans l'exercice de son pouvoir décisionnel. Cette exigence s'inspire du libellé de l'art. 7 de la Charte, qui garantit le droit de n'être privé de sa liberté qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

80 Il est juste que la Commission, dont les décisions en matière d'octroi, de refus ou de révocation de libération conditionnelle peuvent influer considérablement sur le droit à la liberté, soit tenue d'appliquer les principes de justice fondamentale. Or ces principes sont plus exigeants que la théorie de l'équité procédurale reconnue en common law, sur laquelle se fonde le juge Sopinka.

81 La loi permet également la révision des erreurs de droit, ce qui suppose implicitement que la Commission peut statuer sur des points de droit. Notre Cour a jugé, dans la trilogie sur les tribunaux administratifs, que l'existence du pouvoir de trancher des questions de droit permet de conclure au pouvoir d'un tribunal d'origine législative de statuer sur les questions relatives à la Charte qui se soulèvent dans le cadre de l'exécution de son mandat.

82 Enfin, la loi prévoit comme motif d'appel le manquement aux directives établies aux termes du par. 151(2). La directive ainsi adoptée relativement aux appels décrit le mandat de la Section d'appel en des termes qui l'obligent à veiller au respect de la Charte:

La Section d'appel examine les décisions de la Commission lorsque des délinquants interjettent appel en vertu du par. 147(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Grâce à son processus d'examen, à son pouvoir décisionnel et aux rapports qu'elle produit, elle contribue à assurer la qualité des décisions rendues au chapitre de la mise en liberté sous condition en veillant à ce que ces décisions et le processus suivi soient justes et équitables et à ce qu'ils soient conformes aux dispositions législatives, à la Charte des droits et libertés, aux politiques et aux procédures de la Commission ainsi qu'aux principes contenus dans l'énoncé de mission de la Commission nationale des libérations conditionnelles. [Je souligne.]

83 L'application du critère de l'arrêt Mills en l'espèce permet de conclure que la Commission est un tribunal compétent aux fins de l'octroi d'une réparation sous le régime du par. 24(2), et un examen de la loi régissant la Commission démontre que l'intention du législateur était que les principes de la Charte s'appliquent aux décisions touchant le droit à la liberté. Il ne reste à examiner que les questions de principe.

(4) Les questions de principe

84 Comme il en a été fait mention plus haut, notre Cour a jugé que les questions de principe soulevées par le juge Sopinka (le fait que la Commission ne suit pas le modèle contradictoire, que les règles de preuve formelles ne s'appliquent pas et que ses membres n'ont pas tous une formation juridique) ne constituaient pas des motifs suffisants pour empêcher un tribunal d'origine législative de statuer sur des questions constitutionnelles. Par ailleurs, les avantages qu'il y a à permettre à un tel tribunal de trancher ces questions, que le juge La Forest a énumérés dans l'arrêt Douglas College, militent en faveur de la reconnaissance de la Commission comme tribunal compétent.

85 En reconnaissant cette qualité à la Commission, on fait en sorte que les questions relatives à la Charte puissent être tranchées dans le contexte où elles surgissent et, ainsi qu'il a déjà été mentionné, on évite le recours à une demande judiciaire longue et coûteuse. En rendant sa décision, la Commission constaterait les faits et établirait un dossier pour le bénéfice du tribunal d'appel. En outre, son expertise et sa compétence spécialisée pourraient s'avérer d'une aide inestimable en matière d'interprétation constitutionnelle, en particulier sur la question de savoir quand l'utilisation de preuves obtenues de façon inconstitutionnelle dans le processus de détermination de la libération conditionnelle peut déconsidérer l'administration de la justice.

86 La question de principe qui prime toutes les autres, toutefois, pour ce qui est de fonder la conclusion voulant que la Commission soit un tribunal compétent, est le fait que la Commission a compétence exclusive pour rendre une décision définitive sur le droit à la liberté d'un détenu en liberté conditionnelle. Je partage les vues du juge Lambert lorsqu'il conclut que, si la Commission n'est pas un tribunal compétent, le détenu en liberté conditionnelle est alors dépourvu de la protection prévue par la Charte relativement aux éléments de preuve obtenus de manière inconstitutionnelle (à la p. 440):

[traduction] L'avocat de la Commission nationale des libérations conditionnelles soutient avec fermeté que la Commission n'est pas un tribunal compétent au sens de l'art. 24 de la Charte. S'il a raison, la Commission ne peut alors commettre d'erreur quant à sa compétence ou d'erreur de droit lorsqu'elle refuse de statuer sur l'opportunité d'accorder la réparation consistant à écarter des éléments de preuve pertinents et admissibles, obtenus en violation de la Charte. Il s'ensuit qu'il est impossible de réparer une atteinte aux droits garantis par la Charte entraînant la révocation de la libération d'office d'un prisonnier. Car si la Commission n'est pas un tribunal compétent, ni la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, ni la Section de première instance de la Cour fédérale ne peuvent statuer qu'elle a commis une erreur quant à sa compétence ou une erreur de droit en n'examinant pas une question qu'elle n'est pas habilitée à examiner.

Le résultat auquel mène le raisonnement de l'avocat de la Commission empêcherait les garanties de la Charte en matière de preuve irrégulièrement obtenues de s'appliquer au prisonnier.

87 À mon avis, l'existence d'un droit fondé sur la Charte sans possibilité de recours sous son régime va tout à fait à l'encontre des principes d'interprétation de la Charte que notre Cour a énoncés à maintes occasions.

88 Pour que la Charte soit un instrument vigoureux de protection des droits des Canadiens et pour que les garanties qu'elle énonce aient un sens et soient respectées, on doit pouvoir obtenir une réparation sous son régime en cas d'atteinte aux droits. Le principe de l'interprétation large et libérale de la Charte retenu par notre Cour exige à tout le moins le respect de ce que le juge Lamer a décrit, dans l'arrêt Mills (à la p. 894), comme «la proposition fondamentale qui veut qu'il y ait toujours un tribunal compétent à même d'accorder une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances» (en italique dans l'original). La possibilité d'obtenir réparation ne doit pas être refusée à un citoyen pour la simple raison qu'il est déjà en détention. Tous les citoyens, y compris les prisonniers, ont droit au même bénéfice de la Charte: voir Weatherall c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 872.

89 La proposition selon laquelle il doit y avoir réparation sous le régime de la Charte lorsque des droits ont été enfreints s'applique avec une force particulière à un tribunal administratif qui a le pouvoir de rendre des décisions définitives sur des questions ayant des répercussions considérables sur la liberté d'une personne. Le rôle de la Commission ne saurait se comparer à celui du juge présidant une enquête préliminaire, lequel se limite à déterminer si la preuve est suffisante pour justifier un procès. Il ne saurait non plus se comparer à celui d'un tribunal d'origine législative ayant exclusivement pour mandat de statuer sur des recours civils comme les demandes de dommages‑intérêts. Il s'apparente beaucoup plus à celui d'un tribunal de première instance qui, sous réserve de la possibilité d'appel en cas d'erreur quant à la compétence ou d'erreur de droit, a le pouvoir de statuer de façon définitive sur le droit à la liberté d'une personne.

90 Le juge Sopinka tente de minimiser les répercussions qu'aurait une décision concluant que la Commission ne peut accorder une réparation fondée sur la Charte, en signalant que le détenu en liberté conditionnelle jouit encore de la protection découlant de la garantie d'équité procédurale reconnue en common law. En toute déférence, j'estime qu'on ne peut présumer que cette garantie a la même portée que la garantie des «principes de justice fondamentale» de la Charte dont s'inspire la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

91 L'équité procédurale n'est qu'un aspect de la théorie de la justice naturelle appliquée en common law aux tribunaux administratifs. Notre Cour a refusé avec constance de limiter au seul domaine procédural l'application de la garantie de fond énoncée à l'art. 7 relativement à la justice fondamentale. Dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, notre Cour a jugé à l'unanimité que «l'expression "justice fondamentale" utilisée dans la Charte vise plus que la justice naturelle (qui se rapporte surtout à la procédure) et comprend également un élément de fond»: le juge McIntyre, aux pp. 521 et 522. Et le juge Lamer, exprimant l'opinion majoritaire de la Cour, a écrit, aux pp. 501 à 503:

. . . j'estime qu'il serait erroné d'interpréter l'expression «justice fondamentale» comme synonyme de justice naturelle, comme le procureur général de la Colombie‑Britannique et d'autres l'ont proposé. Ce faire aurait pour conséquence de dépouiller les intérêts protégés de tout leur sens ou presque et de laisser le «droit» à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne dans un état d'atrophie déplorable. Un tel résultat serait incompatible avec le style affirmatif et général dans lequel ces droits sont énoncés et également incompatible avec le point de vue que cette Cour a adopté, en ce qui concerne l'interprétation des droits garantis par la Charte, dans l'arrêt Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357 (le juge Estey), et dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., précité.

. . .

. . . les principes de justice fondamentale se trouvent dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique. Ils relèvent non pas du domaine de l'ordre public en général, mais du pouvoir inhérent de l'appareil judiciaire en tant que gardien du système judiciaire. Cette façon d'aborder l'interprétation de l'expression «principes de justice fondamentale» est conforme à la lettre et à l'économie de l'art. 7, au contexte de cet article, c.‑à‑d. les art. 8 à 14, ainsi qu'à la nature et aux objets plus généraux de la Charte elle‑même. Elle donne de la substance au droit garanti par l'art. 7 tout en évitant de trancher des questions de politique générale.

Il me semble donc que remplacer l'expression «justice fondamentale» par l'expression «justice naturelle» équivaut à passer complètement à côté de la question.

92 Dans le contexte de l'admission de la preuve, l'équité procédurale n'envisage que l'utilisation des éléments de preuve (c.‑à‑d., les questions de fiabilité et de pertinence), alors que les principes de justice fondamentale obligent à examiner si les méthodes d'obtention de la preuve respectent les garanties constitutionnelles.

93 De plus, le simple fait que des garanties accordées par la common law aient sensiblement la même portée que celles que prévoit la Charte ne constitue pas un motif suffisant de refuser à un citoyen la possibilité d'obtenir une réparation convenable et juste en cas de violation de la Charte.

94 La Charte renferme d'importantes garanties pour les Canadiens et régit chaque aspect des rapports entre l'État et le citoyen au Canada. L'opinion voulant qu'un citoyen doive se satisfaire des garanties de la common law en dépit de l'existence des garanties prévues par la Charte relève d'une vision réactionnaire des droits constitutionnels, que notre Cour n'a pas approuvée.

95 Notre jurisprudence constitutionnelle s'est développée à partir du principe qu'il faut donner à la Charte une interprétation large et fondée sur son objet. Il est donc conforme à ce principe d'avoir une approche généreuse à l'égard de l'octroi de réparations fondées sur la Charte. De façon générale, il est préférable de conclure à la capacité d'un tribunal administratif d'accorder une réparation constitutionnelle lorsque celle‑ci est incluse dans son mandat. Si le tribunal se trompait dans l'exercice de ce pouvoir, une cour de justice pourrait corriger son erreur. Ainsi que le fait remarquer le juge La Forest, un tribunal d'origine législative «ne peut s'attendre à aucune retenue judiciaire à l'égard de ses décisions en matière constitutionnelle»: Cuddy Chicks, à la p. 17.

(5) La jurisprudence américaine

96 Le juge Sopinka s'appuie pour ne pas permettre l'exclusion d'éléments de preuve en matière de libération conditionnelle sur des décisions rendues par dix des cours de circuit des États‑Unis. Selon moi, les décisions américaines ne sont pas d'un grand secours pour résoudre cet aspect du pourvoi.

97 La jurisprudence américaine peut difficilement être appliquée dans le contexte canadien en raison des démarches différentes adoptées en matière d'exclusion d'éléments de preuve dans le cadre de la Constitution américaine et dans celui de la Charte. Aux États-Unis, la règle d'exclusion au procès est utilisée principalement pour décourager la conduite inacceptable de la police: [traduction] «Cette règle est conçue pour prévenir et non pour guérir. Elle a pour objet de dissuader -‑ forcer le respect de la garantie constitutionnelle de la seule manière efficace disponible -‑ en faisant disparaître ce qui incite à ne pas en tenir compte»: Elkins c. United States, 364 U.S. 206 (1960), à la p. 217. Les décisions américaines établissent que l'objectif de dissuader la conduite inacceptable de la police n'est plus servi par l'exclusion, au cours de l'instance en matière de libération conditionnelle, d'éléments de preuve qui ont été exclus au procès: United States ex rel. Sperling c. Fitzpatrick, 426 F.2d 1161 (2d Cir. 1970); United States c. Winsett, 518 F.2d 51 (9th Cir. 1975).

98 Il y a donc lieu de faire une distinction d'avec la jurisprudence américaine, qui est différente de la jurisprudence canadienne élaborée relativement au par. 24(2), selon laquelle des éléments de preuve obtenus par des méthodes inconstitutionnelles doivent être écartés seulement si leur utilisation est susceptible de déconsidérer davantage l'administration de la justice. Ainsi que notre Cour l'a affirmé dans l'arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, aux pp. 280 et 281:

La conduite inacceptable de la police au cours de l'enquête a souvent un effet sur la considération dont jouit l'administration de la justice, mais le par. 24(2) n'offre pas une réparation à l'égard de la conduite inacceptable de la police en imposant l'exclusion de la preuve si, à cause de cette conduite, l'administration de la justice était déconsidérée. Le paragraphe 24(2) aurait pu être rédigé en ces termes, mais ce n'est pas le cas. Les rédacteurs de la Charte ont par contre décidé de s'attaquer à l'utilisation de la preuve dans l'instance et le but du par. 24(2) est d'empêcher que cette utilisation ne déconsidère encore plus l'administration de la justice. Cette déconsidération additionnelle découlera de l'utilisation des éléments de preuve qui priveraient l'accusé d'un procès équitable ou de l'absolution judiciaire d'une conduite inacceptable de la part des organismes enquêteurs ou de la poursuite. [Je souligne.]

99 La jurisprudence américaine prévoit cependant une exception importante à l'inapplicabilité de la règle de l'exclusion dans les cas de révocation de la libération conditionnelle. Certaines cours de circuit ont laissé entendre qu'il faudrait établir une exception lorsqu'un détenu en liberté conditionnelle fait l'objet de harcèlement de la part des autorités ou lorsqu'il existe des circonstances faisant craindre un abus du processus de libération conditionnelle. Elles ont souligné que si la police ou les agents de liberté conditionnelle savent que les résultats d'une fouille ou perquisition illégale, qui sont inadmissibles au procès pénal, peuvent être utilisés pour obtenir la révocation de la libération conditionnelle, cela pourra inciter à la violation des règles constitutionnelles. Puisque cette révocation peut, dans certains cas, entraîner un retour en prison pour une longue période, la violation peut représenter [traduction] «une solution de rechange au procès fédéral relativement aux nouvelles accusations»: United States c. Workman, 585 F.2d 1205 (1978), à la p. 1211.

100 L'admission au cours d'une audience en révocation de libération conditionnelle d'éléments de preuve obtenus par des méthodes inconstitutionnelles pourrait inciter la police à accomplir indirectement ce qu'elle ne peut faire directement: remettre en prison un détenu jouissant d'une liberté conditionnelle. Comme l'a fait remarquer la Ninth Circuit Court dans l'affaire United States c. Winsett, précité, à la p. 54, note 5:

[traduction] . . . lorsque la police sait, au moment de la fouille ou perquisition, que le suspect est en probation, elle peut être fortement tentée de procéder à une perquisition illégale même si elle sait que les éléments de preuve obtenus sont inadmissibles dans le cadre d'une poursuite pénale. Elle n'a rien à perdre: si la requête visant à exclure ces éléments est rejetée, le défendeur est déclaré coupable d'un nouveau crime, et si elle est accueillie, il se retrouve en prison par suite de la révocation de sa probation. C'est pourquoi il peut être nécessaire, dans de telles circonstances, d'élargir la règle de l'exclusion au processus de révocation de la probation pour donner effet aux garanties prévues par le Quatrième amendement.

101 Le procureur général de l'Ontario a invoqué la jurisprudence américaine dans son argumentation. La position défendue par cet intervenant n'est pas que la démarche américaine appuie, dans une instance relative à la libération conditionnelle, le refus de la possibilité pour le détenu d'invoquer un droit garanti par la Charte et de demander réparation sous la forme d'une exclusion de preuves. La position américaine est plutôt qu'il arrivera rarement que l'utilisation d'éléments de preuve obtenus en violation de la Constitution soit susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. On peut lire au par. 33 de son mémoire:

[traduction] Le procureur général fait valoir qu'il y aurait motif à exclusion lorsque la prise en considération de l'information, compte tenu de l'ensemble des circonstances, reviendrait à fermer les yeux sur une violation flagrante de la Charte visant expressément à faire échouer le processus de libération conditionnelle. La jurisprudence américaine démontre que cette situation, bien que rare, peut se produire. Par exemple, lorsque des responsables de l'application de la loi prennent part à une violation grave des droits d'un détenu en liberté conditionnelle en particulier, sachant que l'information recueillie sera inadmissible devant les tribunaux, dans le seul but de l'utiliser pour faire révoquer sa libération conditionnelle, il peut s'avérer approprié qu'un tribunal «se dissocie» de cette conduite. Dans une telle situation, on ne peut conclure que les agents de libération conditionnelle cherchaient à atteindre les objectifs de réadaptation poursuivis par la surveillance qu'ils doivent exercer. En fait, leur inconduite visait alors à abuser du processus de libération conditionnelle. Dans ce contexte, c'est la petite partie de l'«administration de la justice» qui relève de la Commission des libérations conditionnelles qui est déconsidérée, et il peut être opportun que la Commission corrige la situation en refusant de tenir compte de l'information. [Je souligne.]

102 Je suis d'accord. Considérée dans son ensemble, la jurisprudence américaine établit que l'exclusion d'éléments de preuve obtenus de manière inconstitutionnelle devrait être limitée aux cas où il y a eu abus du processus de libération conditionnelle. Au Canada, le critère fondé sur le par. 24(2) visant à déterminer si l'utilisation des éléments de preuve, compte tenu de l'ensemble des circonstances, est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, permet exactement la démarche nuancée mise de l'avant par les tribunaux américains.

(6) Le critère à appliquer relativement au par. 24(2)

103 J'estime qu'il faut préserver le droit d'un détenu en liberté conditionnelle de demander à la Commission qu'elle écarte des éléments de preuve parce qu'ils ont été obtenus par suite d'un abus du processus de libération conditionnelle et que leur utilisation déconsidérerait la portion de l'administration de la justice qui relève de la Commission. Je crois, cependant, que ce type d'exclusion, en pratique, sera rarement appliqué.

104 Le critère de la déconsidération de l'administration de la justice prévu au par. 24(2) est souple et vise l'élaboration de principes d'exclusion particuliers applicables dans le contexte où les éléments de preuve sont reçus.

105 La sécurité publique est au c{oe}ur du mandat de la Commission. La loi l'oblige à prendre en considération tout renseignement pertinent dans l'exercice de son pouvoir décisionnel; la culpabilité ou l'innocence du détenu en liberté conditionnelle n'est pas en jeu. Vu ces facteurs, il arrivera rarement que l'utilisation d'éléments de preuve obtenus en contravention de la Charte puisse, dans le contexte de la libération conditionnelle, déconsidérer l'administration de la justice.

106 Un risque d'abus du processus de libération conditionnelle contraire à l'art. 7 de la Charte constituerait vraisemblablement une telle situation. Cette position est conforme au mandat que la Commission tient de la loi de rendre ses décisions en observant les «principes de justice fondamentale». En faisant reposer l'exclusion sur ce fondement restreint, on protège le droit d'un détenu en liberté conditionnelle d'invoquer les garanties constitutionnelles et d'obtenir une réparation efficace tout en plaçant le rôle de la Commission, dont la préoccupation première est la sécurité publique, dans le contexte qui lui convient.

III. Conclusion

107 Après avoir examiné les principes énoncés dans les arrêts antérieurs de notre Cour, la loi applicable et le rôle que la Commission est appelée à jouer dans le cadre plus large de l'«administration de la justice», je conclus qu'elle est un «tribunal compétent» pour les fins de l'exclusion, sous le régime du par. 24(2), d'éléments de preuve soumis à son appréciation.

108 La Commission satisfait au critère à trois volets élaboré dans l'arrêt Mills, le mandat qu'elle a reçu de la loi prévoit expressément qu'elle doit rendre ses décisions en conformité avec les principes énoncés dans la Charte, et des considérations de principe militent en faveur de la reconnaissance de cet organisme, qui peut statuer de façon définitive sur le droit à la liberté d'une personne, comme tribunal compétent aux fins de l'octroi d'une réparation convenable et juste sous le régime de la Charte. Je conclus donc que la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique à la majorité a correctement jugé que la Commission est un tribunal compétent pour les fins décrites dans le présent pourvoi, que je suis d'avis de rejeter.

IV. Réparation

109 Je conviens avec les deux parties que le juge Lambert, rendant jugement pour la Cour d'appel, n'a pas bien compris la nature de l'habeas corpus avec certiorari auxiliaire en estimant qu'il était nécessaire d'annuler la décision de la Commission. Seule la Cour fédérale a compétence pour accorder un bref de certiorari visant une décision de la Commission. L'habeas corpus avec certiorari auxiliaire est le moyen par lequel les tribunaux siégeant en révision peuvent obtenir le dossier de la preuve afin de statuer sur une demande d'habeas corpus: Re Cardinal and Oswald and the Queen (1982), 67 C.C.C. (2d) 252 (C.A.C.‑B.), aux pp. 269 et 270, inf. pour d'autres motifs par [1985] 2 R.C.S. 643 (sub nom. Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent).

110 Le présent pourvoi découle d'une demande d'habeas corpus. Une fois établi le fait que l'intimé a été illégalement détenu parce que la Commission n'a pas exercé sa compétence relativement à la question constitutionnelle qu'il a soulevée, l'intimé a le droit de demander un bref d'habeas corpus pour mettre fin à la détention illégale. Toutefois, la common law prévoit que le tribunal saisi de la demande conserve le pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder ce bref mais d'ordonner plutôt que le litige constitutionnel soit renvoyé au tribunal administratif pour qu'il rende une décision au fond: R. c. Pearson, [1992] 3 R.C.S. 665, à la p. 701, le juge en chef Lamer. Dans la plupart des cas, selon moi, la réparation convenable consisterait en une ordonnance renvoyant la question à la Commission pour la tenue d'une autre audition.

V. Dispositif

111 Dans les circonstances particulières de l'espèce, où la peine imposée à l'intimé est déjà arrivée à son terme, je partage l'avis du juge Sopinka voulant que la Commission est dessaisie de ses pouvoirs. Je maintiendrais donc la partie de l'ordonnance de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique accordant le bref d'habeas corpus.

Pourvoi accueilli, les juges McLachlin et Major sont dissidents.

Procureur des appelants: George Thomson, Ottawa.

Procureur de l'intimé: Jeffrey R. Ray, New Westminster (C.‑B.).

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Le ministère du Procureur général, Toronto.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique: Le ministère du Procureur général, Victoria.


Synthèse
Référence neutre : [1996] 1 R.C.S. 75 ?
Date de la décision : 08/02/1996
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli pour le motif que la Commission nationale des libérations conditionnelles n'est pas un tribunal compétent pour écarter des éléments de preuve en vertu du par. 24(2) de la Charte

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Exclusion d'éléments de preuve - Compétence - Libération conditionnelle - Révocation de la libération d'office de l'accusé par la Commission en partie sur la base d'éléments de preuve recueillis d'une manière peut-être inconstitutionnelle - La Commission est‑elle un «tribunal compétent» pour écarter des éléments de preuve en vertu de l'art. 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés?.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Tribunal compétent - Commission nationale des libérations conditionnelles - Exclusion d'éléments de preuve - Charte canadienne des droits et libertés, art. 24.

L'intimé, qui purgeait une peine d'emprisonnement après avoir été déclaré coupable de vol qualifié et d'autres infractions connexes, a été mis en liberté surveillée et s'est trouvé du travail comme couvreur. Les policiers qui répondaient à un appel signalant que deux hommes avaient essayé d'entrer par effraction dans une voiture ont trouvé l'intimé dans sa fourgonnette en compagnie d'un autre homme. Ils ont fouillé le véhicule et ont trouvé une arme de poing volée ainsi que ce qui pouvait être du matériel de cambriolage. L'intimé a été arrêté et a finalement été accusé de s'être trouvé dans un véhicule à moteur contenant une arme à autorisation restreinte et d'avoir eu en sa possession des instruments de cambriolage et des biens volés. En entrevue avec un agent de liberté conditionnelle, il a soutenu que les outils et le matériel trouvés dans la fourgonnette étaient nécessaires à l'exercice de son métier de couvreur et qu'il ignorait qu'une arme se trouvait dans le véhicule. À la suite de l'entrevue, l'agent de liberté conditionnelle a recommandé la révocation de la libération d'office de l'intimé. Les procédures à l'égard de toutes les accusations portées contre l'intimé ont plus tard été arrêtées, semble‑t‑il parce que le substitut du procureur général croyait que la fouille de la fourgonnette contrevenait à la Charte canadienne des droits et libertés et que les éléments de preuve en découlant ne seraient pas admissibles au procès. La Commission a quand même révoqué la libération d'office de l'intimé, et la Section d'appel a confirmé cette décision. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rejeté la demande présentée par l'intimé pour obtenir un redressement de la nature d'un bref d'habeas corpus avec certiorari auxiliaire. La Cour d'appel a accueilli à la majorité l'appel interjeté par l'intimé contre cette décision. Selon les juges majoritaires, la Commission était un tribunal compétent au sens de l'art. 24 de la Charte, et elle pouvait écarter des éléments de preuve obtenus par suite d'une violation de la Charte. La décision de la Commission a été annulée et l'intimé a été libéré.

Arrêt (les juges McLachlin et Major sont dissidents): Le pourvoi est accueilli pour le motif que la Commission nationale des libérations conditionnelles n'est pas un tribunal compétent pour écarter des éléments de preuve en vertu du par. 24(2) de la Charte.

Les juges L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et Iacobucci: Un tribunal judiciaire ou administratif ne constituera un «tribunal compétent» au sens de l'art. 24 de la Charte que s'il a compétence sur les parties, sur l'objet du litige et sur la réparation demandée. Même en supposant que la Commission ait compétence sur les parties et sur l'objet du litige, sa structure et sa fonction ainsi que le libellé de sa loi constitutive indiquent qu'elle n'est pas habilitée à rendre l'ordonnance demandée. La Commission n'agit pas de manière judiciaire ou quasi judiciaire. Elle n'entend et n'évalue aucun témoignage, et agit plutôt sur la foi de renseignements. Elle exerce des fonctions d'enquête sans la présence de parties opposées. D'un point de vue pratique, ni la Commission ni les procédures qu'elle engage n'ont été conçues pour procéder à l'évaluation de facteurs requise par le par. 24(2). Les facteurs prédominants de l'évaluation du risque faite par la Commission sont ceux qui concernent la protection de la société. Dans l'évaluation du risque pour la société, l'accent est mis sur l'examen de tous les renseignements sûrs disponibles, pourvu que ceux‑ci n'aient pas été obtenus irrégulièrement. Le texte de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition confère aussi à la Commission un vaste mandat d'inclusion de renseignements. Non seulement elle n'est pas tenue d'appliquer les règles de preuve classiques, mais elle doit tenir compte de «toute l'information pertinente disponible». Par conséquent, la Commission n'a pas compétence à l'égard de la «réparation» au sens de la décision de la Cour dans l'arrêt Mills. Ce n'est donc pas un «tribunal compétent» aux fins du par. 24(2) de la Charte.

Il est bien établi en droit que les tribunaux d'origine législative comme la Commission sont tenus d'agir équitablement lorsqu'ils statuent sur les droits ou privilèges d'une personne. La Commission doit s'assurer que les renseignements sur lesquels elle se fonde pour agir sont sûrs et convaincants. Bien que les décisions des tribunaux judiciaires sur l'admissibilité de la preuve, y compris l'admissibilité sous le régime du par. 24(2) de la Charte, soient applicables en ce qui a trait à l'exclusion d'éléments de preuve pertinents, elles n'ont pas force obligatoire pour la Commission. En tant que tribunal d'origine législative, la Commission est également assujettie aux impératifs de l'art. 7 de la Charte et elle doit respecter les principes de justice fondamentale en ce qui concerne la tenue de ses audiences. Cela ne veut toutefois pas dire qu'elle doit avoir ou exercer le pouvoir d'écarter des éléments de preuve obtenus dans des conditions qui contreviennent à la Charte. Bien que les principes de justice fondamentale ne se limitent pas à la procédure, il ne s'ensuit pas qu'un tribunal administratif qui applique les règles d'équité et de justice naturelle ne se conforme pas à l'art. 7.

Le juge en chef Lamer: Pour les motifs exposés par le juge Sopinka, la Commission nationale des libérations conditionnelles n'est pas un tribunal compétent aux fins d'écarter des éléments de preuve en application du par. 24(2) de la Charte. Toutefois, contrairement à l'opinion majoritaire exprimée dans l'arrêt Mills, on peut supposer que la Cour conclurait maintenant que le juge présidant une enquête préliminaire est un tribunal compétent à ces fins. La fin première de l'enquête préliminaire, qui est énoncée clairement au par. 548(1) du Code criminel, est de permettre au ministère public de recueillir suffisamment d'éléments pour établir une preuve prima facie, avant qu'un individu soit envoyé à son procès. Comme les mots «preuve suffisante» s'entendent des éléments de preuve admissibles suffisants, il s'ensuit nécessairement que le Code habilite le juge présidant une enquête préliminaire à appliquer les règles de preuve classiques et, dans certains cas, à écarter des éléments de preuve inadmissibles. En outre, ce rôle du juge présidant une enquête préliminaire est clairement énoncé au par. 542(1) du Code dans le contexte des confessions.

Le juge La Forest: L'opinion du juge Sopinka est acceptée. La présente affaire n'est d'aucune façon incompatible avec la décision de la majorité dans l'arrêt Mills.

Les juges McLachlin et Major (dissidents): L'article 24 de la Charte vise à assurer le respect des droits et des garanties qu'elle énonce en prévoyant l'octroi d'une réparation convenable et juste en cas de violation. Il doit être interprété de façon qu'il existe toujours un tribunal compétent pour accorder une telle réparation lorsqu'une décision définitive est rendue au sujet des droits ou des devoirs d'un citoyen. Même si les tribunaux administratifs ne disposent pas de règles de preuve formelles et que leurs membres n'ont pas de formation juridique, il existe des avantages pratiques à leur permettre de statuer sur des questions constitutionnelles. Le principal avantage réside dans l'assurance qu'ont les citoyens de pouvoir invoquer les garanties prévues par la Charte quand le tribunal est habilité à se prononcer sur leurs droits. En outre, les questions relevant de la Charte peuvent être examinées dans le contexte où elles se posent, ce qui évite les frais et les délais de la présentation d'une deuxième demande, devant un tribunal judiciaire. Pour rendre leur décision, les tribunaux spécialisés font le tri des faits et établissent un dossier pour le bénéfice d'un tribunal d'appel, sans compter que leur expertise et leur compétence spécialisée peuvent s'avérer d'une aide inestimable dans l'interprétation constitutionnelle. Ces avantages pratiques ne devraient pas avoir moins de force lorsqu'un tribunal administratif accorde une réparation sous le régime de l'art. 24 que lorsqu'il refuse de donner effet à une disposition législative inconstitutionnelle.

Un tribunal administratif peut être un «tribunal compétent» lorsque sa loi habilitante lui donne compétence à l'égard des parties, de l'objet du litige et de la réparation demandée. Il est incontestable que la Commission a compétence sur la partie et sur l'objet du litige. La réparation qu'il faut envisager dans le cadre du troisième volet du critère est la réparation particulière demandée sous le régime de la Charte en raison d'une atteinte à un droit garanti par la Charte, en l'espèce, l'exclusion d'éléments de preuve. La loi régissant la Commission lui confère le pouvoir d'octroyer cette réparation, puisqu'elle prévoit qu'elle doit exclure de son examen tout renseignement qui n'est pas pertinent ou qui n'est pas sûr. Le fait que la Commission satisfait aux trois exigences du critère suffit à établir qu'elle est un tribunal compétent pour accorder une réparation sous le régime de l'art. 24 de la Charte. La loi habilitante prévoit également que les principes de la Charte s'appliquent, puisqu'elle exige que la Commission observe les principes de justice fondamentale dans l'exercice de son pouvoir décisionnel. Enfin, des considérations de principe militent en faveur de la reconnaissance de cet organisme comme tribunal compétent aux fins de l'octroi d'une réparation convenable et juste sous le régime de la Charte. Le critère de la déconsidération de l'administration de la justice prévu au par. 24(2) est souple et vise l'élaboration de principes d'exclusion particuliers applicables dans le contexte où les éléments de preuve sont reçus. Ce fondement restreint de l'exclusion protège le droit d'un détenu en liberté conditionnelle d'invoquer les garanties constitutionnelles et d'obtenir une réparation efficace tout en plaçant le rôle de la Commission, dont la préoccupation première est la sécurité publique, dans le contexte qui lui convient.


Parties
Demandeurs : Mooring
Défendeurs : Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Sopinka
Arrêts mentionnés: Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863
Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5
Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22
Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929
Mitchell c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 570
R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368
Morrissey c. Brewer, 408 U.S. 471 (1972)
Grimsley c. Dodson, 696 F.2d 303 (1982)
United States c. Winsett, 518 F.2d 51 (1975)
Pratt c. United States Parole Commission, 717 F.Supp. 382 (1989)
United States ex rel. Sperling c. Fitzpatrick, 426 F.2d 1161 (1970)
United States c. Bazzano, 712 F.2d 826 (1983)
Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486.
Citée par le juge en chef Lamer
Arrêts mentionnés: Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863
Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929
Nouveau‑Brunswick c. O'Leary, [1995] 2 R.C.S. 967
Doyle c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 597
États‑Unis d'Amérique c. Shephard, [1977] 2 R.C.S. 1067
R. c. Pickett (1975), 28 C.C.C. (2d) 297.
Citée par le juge La Forest
Arrêt mentionné: Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863.
Citée par le juge Major (dissident)
Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863
Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570
Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5
Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22
R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577
Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929
R. c. Garrett, [1907] 1 K.B. 881
Re Nash and the Queen (1982), 70 C.C.C. (2d) 490
Re United Nurses of Alberta, Local 115 and Foothills Provincial General Hospital Board (1987), 40 D.L.R. (4th) 163
R. c. Toker (1984), 11 D.L.R. (4th) 456
Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295
Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, inf. (1982), 67 C.C.C. (2d) 252
R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368
Weatherall c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 872
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486
Elkins c. United States, 364 U.S. 206 (1960)
R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265
United States ex rel. Sperling c. Fitzpatrick, 426 F.2d 1161 (1970)
United States c. Winsett, 518 F.2d 51 (1975)
United States c. Workman, 585 F.2d 1205 (1978)
R. c. Pearson, [1992] 3 R.C.S. 665.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 24(1), (2).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 542(1), 548(1) [abr. & rempl. ch. 27 (1er suppl.), art. 101].
Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. (1985), ch. P‑2 [abr. 1992, ch. 20, art. 213].
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 4g), 100, 101, 107(1), 147(1), 151(2).
Loi sur les pénitenciers, L.R.C. (1985), ch. P‑5 [abr. 1992, ch. 20, art. 214].
Doctrine citée
Chambers English Dictionary, 7th ed. Cambridge: Cambridge University Press, 1988.
Cole, David P., and Allan Manson. Release From Imprisonment: The Law of Sentencing, Parole and Judicial Review. Toronto: Carswell, 1990.
Concise Oxford Dictionary of Current English, 8th ed. Oxford: Clarendon Press, 1990.

Proposition de citation de la décision: Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75 (8 février 1996)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1996-02-08;.1996..1.r.c.s..75 ?
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