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25/04/1996 | CANADA | N°[1996]_1_R.C.S._963

Canada | Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N.; Banque Toronto-Dominion c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963 (25 avril 1996)


Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N.; Banque Toronto‑Dominion c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Province of Alberta Treasury Branches Intimé

et entre

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Province of Alberta Treasury Branches Intimé

et entre

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

La Banque Toronto‑Dominion Intimée

Répertorié: Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N.; Banque Toronto‑Dominion c. M.R.N.

No du greffe: 24056.

1995: 12 octobre; 1996: 25 avril.

Prés

ents: Les juges La Forest, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOIS contre un arrêt de la Cour d'appel d...

Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N.; Banque Toronto‑Dominion c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Province of Alberta Treasury Branches Intimé

et entre

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Province of Alberta Treasury Branches Intimé

et entre

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

La Banque Toronto‑Dominion Intimée

Répertorié: Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N.; Banque Toronto‑Dominion c. M.R.N.

No du greffe: 24056.

1995: 12 octobre; 1996: 25 avril.

Présents: Les juges La Forest, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOIS contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1994), 16 Alta. L.R. (3d) 1, 149 A.R. 34, 63 W.A.C. 34, [1994] 4 W.W.R. 685, 24 C.B.R. (3d) 257, 94 D.T.C. 6650, [1995] 1 C.T.C. 75, qui a infirmé des décisions du juge Forsyth (1992), 5 Alta. L.R. (3d) 141, 134 A.R. 124, [1993] 1 W.W.R. 639, 15 C.B.R. (3d) 143, et du juge MacLeod, et qui a confirmé une décision du juge Hunt (1993), 9 Alta. L.R. (3d) 349, 139 A.R. 295, [1993] 5 W.W.R. 756, [1994] 1 C.T.C. 108, 5 P.P.S.A.C. (2d) 117, concernant l'ordre de priorité. Pourvois accueillis, les juges Iacobucci et Major sont dissidents.

Edward R. Sojonky, c.r., et Michael J. Lema, pour l'appelante.

Argumentation écrite seulement par J. Gary Greenan et Scott Watson, pour l'intimé le Province of Alberta Treasury Branches.

Jeffery D. Vallis et C. Bryce Code, pour l'intimée la Banque Toronto‑Dominion.

Version française du jugement des juges La Forest, Cory et McLachlin rendu par

1 Le juge Cory — Il s'agit en l'espèce de déterminer si, d'après les faits, les établissements de crédit sont des créanciers garantis conformément aux dispositions pratiquement identiques de l'art. 224 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63 (LIR), et de l'art. 317 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (LTA).

2 Le juge Major expose fort bien, dans ses motifs, les faits à l'origine des présents pourvois et les décisions des tribunaux d'instance inférieure.

3 La LIR et la LTA prescrivent toutes les deux la perception de fonds dus au gouvernement fédéral par voie de retenues fiscales sur les salaires d'employés, ainsi que le versement des sommes dues au titre de la taxe sur les produits et services (TPS). Les dispositions examinées prévoient le recouvrement, au moyen d'une saisie‑arrêt, des sommes dues auprès des personnes responsables de la perception et du versement des retenues fiscales et de la TPS. Ce régime de perception et de versement de l'impôt sur le revenu est extrêmement important. Par exemple, en 1987, quelque 87 pour 100 de l'impôt sur le revenu des particuliers a été perçu au moyen des retenues et des versements effectués par les employeurs.

4 Dans les présents pourvois, la société responsable de la perception et du versement de l'impôt sur le revenu et de la TPS avait emprunté une somme à un établissement de crédit. Pour garantir leur emprunt, les sociétés débitrices avaient consenti une cession générale de créances comptables à l'établissement de crédit. Si l'appelante obtient gain de cause, le gouvernement du Canada recouvrera alors les sommes qui devraient lui être versées au titre de l'impôt sur le revenu des employés ou de la TPS. Par contre, si les intimés ont raison, les établissements de crédit conserveront alors les fonds qui sont tombés en leur possession par suite de la cession générale de créances comptables. En conséquence, la décision en l'espèce revêt une très grande importance pour le gouvernement fédéral et les établissements de crédit.

5 Le paragraphe 224(1.2) prescrit essentiellement une procédure de saisie‑arrêt qui permet au gouvernement fédéral d'intercepter des sommes dues à des débiteurs fiscaux. Ce type de saisie‑arrêt ne peut servir au recouvrement des créances fiscales en général. Il ne vise que le recouvrement de sommes dues par une personne ou une société qui a, en vertu de l'art. 153 LIR, prélevé des sommes auprès d'une autre personne, habituellement un employé, et qui a omis de verser les montants retenus au gouvernement fédéral. Le paragraphe 317(3) LTA prévoit l'application d'une procédure similaire de saisie‑arrêt dans le cas où une société ou un particulier a omis de verser la TPS perçue conformément aux dispositions de la LTA.

6 Le juge Major a conclu que la Cour d'appel de l'Alberta a eu raison de statuer que le titulaire d'une cession générale de créances comptables n'est pas un «créancier garanti» au sens du par. 224(1.3) LIR ou du par. 317(3) LTA, parce que celui‑ci ne détient pas une garantie «sur un bien d'une autre personne». Le titulaire d'une telle cession est plutôt propriétaire des créances comptables. En toute déférence, je ne puis souscrire à cette conclusion. Cependant, je suis entièrement d'accord avec les conclusions suivantes:

1.La définition du terme «garantie» est suffisamment large pour comprendre une cession générale de créances comptables même s'il s'agit d'une cession absolue.

2.Le libellé du par. 224(1.2) LIR, modifié en 1990, est suffisamment clair et net pour permettre de transférer au ministre du Revenu national (MRN) la propriété des fonds saisis‑arrêtés et lui accorder la priorité dans les circonstances où le reste de la disposition s'applique.

Les dispositions de la cession générale de créances comptables consentie dans les présentes affaires

7 Il serait utile d'examiner tout d'abord la cession de créances comptables consentie dans les présentes affaires afin de déterminer les intentions apparentes des parties. Voici comment étaient formulées les deux cessions consenties au prêteur Treasury Branch:

[traduction] La cession et le transfert effectués AUX PRÉSENTES constituent une garantie accessoire et permanente en faveur de Treasury Branches au titre du paiement de toute créance et dette, présentes et futures, de la soussignée à Treasury Branches . . . [Je souligne.]

Dans la même veine, la cession consentie à la Banque Toronto‑Dominion prévoyait notamment:

[traduction] SOUS RÉSERVE, et il est clairement entendu et convenu que les présentes constituent une garantie accessoire et permanente en faveur de la Banque pour tout solde général dû, à quelque moment que ce soit, par le cédant à la Banque . . .

TOUJOURS SOUS RÉSERVE, et il est clairement convenu que les présentes constituent une garantie accessoire et permanente au titre de toute créance, présente et future, du cédant à la Banque . . . [Je souligne.]

8 De plus, toutes les cessions limitent la dette au montant de la créance impayée. En conséquence, si le prêt garanti par la cession générale de créances comptables était remboursé, la Banque ou le Treasury Branch n'aurait plus aucun autre droit sur la cession. Les documents mêmes précisent que la cession constitue une garantie accessoire et permanente au titre du paiement de la créance. Les parties voulaient clairement que la cession générale de créances comptables constitue une garantie au titre du paiement d'une créance et qu'elle ne soit plus exécutoire une fois le paiement effectué. Cela signifie que l'établissement de crédit ne pourrait, une fois la créance payée, se servir de cette cession générale de créances comptables pour procéder à la réalisation de l'une ou l'autre des créances comptables du cédant. À mon avis, puisque l'acte de cession prévoit que la cession peut être rachetée par le paiement de la créance, celle‑ci ne peut ou tout au moins ne devrait pas être interprétée comme une cession absolue.

9 Ni les établissements de crédit ni les sociétés débitrices n'ont agi de façon à indiquer que les intimés étaient propriétaires des créances comptables. Cela ressort du fait que les établissements de crédit n'ont nullement cherché à réaliser les créances comptables ou à se comporter, de quelque manière que ce soit, comme «propriétaires» de ces créances jusqu'à ce que les sociétés débitrices soient de toute évidence en grave difficulté financière, pour ne pas dire en faillite. Ce n'est qu'à ce moment que les établissements de crédit ont cherché à réaliser leur garantie. Le texte des documents et les actions des parties indiquent qu'elles considéraient que la cession avait été consentie à titre de garantie accessoire relativement aux créances. En matière commerciale, il est bien connu qu'une cession générale de créances comptables est, en fait, un moyen d'accorder une garantie accessoire relativement à une dette. À mon avis, dans la mesure où il existe une possibilité de rachat, la cession générale de créances comptables demeure une garantie accessoire.

10 Compte tenu de la façon dont une cession générale de créances comptables est habituellement interprétée en matière commerciale, il peut être utile d'examiner la mesure législative pour déterminer si, par sa formulation, elle fait de la cession générale de créances comptables autre chose qu'une garantie accessoire au titre d'une créance et si elle rend le cessionnaire propriétaire des créances comptables.

Les dispositions pertinentes de la LIR et de la LTA et leur historique

11 Comme l'a fait remarquer le juge Major, avant 1987, les tribunaux ont considéré quasi unanimement que les dispositions de la LIR relatives à la saisie‑arrêt (par. 224(1)) ne permettaient pas de saisir‑arrêter les créances cédées. Les tribunaux ont conclu que le débiteur fiscal avait, par la cession, transféré en totalité au cessionnaire son droit sur ses comptes, de sorte qu'il ne restait rien sur quoi pouvait porter la saisie‑arrêt du ministre du Revenu national (MRN).

12 Pour tenter de donner suite à ces décisions, le Parlement a modifié la LIR en 1987, en y ajoutant deux nouveaux paragraphes. Ces paragraphes prévoyaient que le MRN était habilité à saisir‑arrêter les sommes dues par un débiteur fiscal à un «créancier garanti», et définissaient les expressions «créancier garanti» et «garantie». Comme l'a fait remarquer le juge Major, les cours d'appel des provinces ont eu des opinions divergentes quant à savoir si les modifications de 1987 permettaient au MRN de saisir‑arrêter les sommes entre les mains du titulaire d'une cession générale de créances comptables.

13 Afin de clarifier davantage la situation et de résoudre les divergences d'opinions des cours d'appel, le Parlement a modifié de nouveau la LIR dans le but apparent d'accorder la priorité au MRN. Il peut être utile de reproduire le par. 224(1.2) LIR, tel qu'il se présente depuis la modification de 1990:

224. . . .

(1.2) Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite, tout autre texte législatif fédéral, tout texte législatif provincial et toute règle de droit, s'il sait ou soupçonne qu'une personne donnée est ou deviendra, dans les 90 jours, débiteur d'une somme:

a) soit à un débiteur fiscal, à savoir une personne redevable d'un montant cotisé en application du paragraphe 227(10.1) ou d'une disposition semblable;

b) soit à un créancier garanti, à savoir une personne qui, grâce à une garantie en sa faveur, a le droit de recevoir la somme autrement payable au débiteur fiscal,

le ministre peut, par lettre recommandée ou signifiée à personne, obliger la personne donnée à payer au receveur général tout ou partie de cette somme, sans délai si la somme est payable immédiatement, sinon dès qu'elle devient payable, au titre du montant de la cotisation en application du paragraphe 227(10.1) ou d'une disposition semblable dont le débiteur fiscal est redevable. Sur réception de la lettre par la personne donnée, la somme qui y est indiquée comme devant être payée devient, malgré toute autre garantie au titre de cette somme, la propriété de Sa Majesté et doit être payée au receveur général par priorité sur toute autre garantie au titre de cette somme. [Je souligne.]

(1.3) Les définitions qui suivent s'appliquent au paragraphe (1.2).

«créancier garanti» Personne qui a une garantie sur un biend'une autre personne — ou qui est mandataire de cette personne quant à cette garantie —, y compris un fiduciaire désigné dans un acte de fiducie portant sur la garantie, un séquestre ou séquestre‑gérant nommé par un créancier garanti ou par un tribunal à la demande d'un créancier garanti, un administrateur‑séquestre ou une autre personne dont les fonctions sont semblables à celles de l'une de ces personnes.

. . .

«garantie» Droit sur un bien qui garantit l'exécution d'une obligation,

notamment un paiement. Sont en particulier des garanties les droits nés ou découlant de débentures, hypothèques, mortgages, privilèges, nantissements, sûretés, fiducies réputées ou réelles, cessions et charges, quelle qu'en soit la nature, de quelque façon ou à quelque date qu'elles soient créées, réputées exister ou prévues par ailleurs.

14 Il s'agit alors de déterminer comment ces dispositions devraient être interprétées. Au départ, il faudrait se rappeler que le Parlement réagissait à la divergence d'opinions des cours d'appel et tentait d'établir clairement que le MRN pourrait procéder à une saisie‑arrêt dans les cas où il y aurait eu une cession générale de créances comptables. Les principes dont il faut tenir compte dans l'interprétation des lois fiscales sont clairement énoncés dans l'arrêt Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, aux pp. 112 à 114, où ils sont résumés en ces termes:

C. Principes d'interprétation

La question principale soulevée dans le présent pourvoi, soit celle de savoir si l'appelant a le droit de se prévaloir de la méthode d'évaluation des biens figurant dans un inventaire prévue à l'art. 10 de la Loi, nécessite un examen attentif du libellé des dispositions de la Loi, de même qu'une étude de l'interprétation qu'il convient de donner à ces articles à la lumière de la structure de base du régime fiscal canadien établi dans la Loi de l'impôt sur le revenu.

Pour interpréter les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, il convient, comme l'affirme le juge Estey dans l'arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, d'appliquer la règle du sens ordinaire. À la page 578, le juge Estey se fonde sur le passage suivant de l'ouvrage de E. A. Driedger, intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87:

[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Le principe voulant que le sens ordinaire des dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu prévale, à moins d'être en présence d'une opération simulée, a récemment été approuvé par notre Cour dans l'arrêt Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312. Le juge Iacobucci affirme, au nom de la Cour, aux pp. 326 et 327:

Même si les tribunaux doivent examiner un article de la Loi de l'impôt sur le revenu à la lumière des autres dispositions de la Loi et de son objet, et qu'ils doivent analyser une opération donnée en fonction de la réalité économique et commerciale, ces techniques ne sauraient altérer le résultat lorsque les termes de la Loi sont clairs et nets et que l'effet juridique et pratique de l'opération est incontesté: Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du Revenu), [1988] 2 R.C.S. 175, à la p. 194; voir également Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695.

J'accepte les commentaires suivants qui ont été faits à l'égard de l'arrêt Antosko dans l'ouvrage de P. W. Hogg et J. E. Magee, intitulé Principles of Canadian Income Tax Law (1995), dans la section 22.3c) [traduction] «Interprétation stricte et fondée sur l'objet visé», aux pp. 453 et 454:

[traduction] La Loi de l'impôt sur le revenu serait empreinte d'une incertitude intolérable si le libellé clair d'une disposition détaillée de la Loi était nuancé par des exceptions tacites tirées de la conception qu'un tribunal a de l'objet de la disposition. [. . .] (L'arrêt Antosko) ne fait que reconnaître que «l'objet» ne peut jouer qu'un rôle limité dans l'interprétation d'une loi aussi précise et détaillée que la Loi de l'impôt sur le revenu. Lorsqu'une disposition est rédigée dans des termes précis qui n'engendrent aucun doute ni aucune ambiguïté quant à son application aux faits, elle doit être appliquée nonobstant son objet. Ce n'est que lorsque le libellé de la loi engendre un certain doute ou une certaine ambiguïté, quant à son application aux faits, qu'il est utile de recourir à l'objet de la disposition.

15 En conséquence, lorsqu'il n'y a aucun doute quant au sens d'une mesure législative ni aucune ambiguïté quant à son application aux faits, elle doit être appliquée indépendamment de son objet. Je reconnais que des juristes habiles pourraient probablement déceler une ambiguïté dans une demande aussi simple que «fermez la porte, s'il vous plaît», et très certainement même dans le plus court et le plus clair des dix commandements. Cependant, l'historique même de la présente affaire, conjugué aux divergences évidentes d'opinions entre les juges de première instance et la Cour d'appel de l'Alberta, révèle que, pour des juristes doués et expérimentés, ni le sens de la mesure législative ni son application aux faits ne sont clairs. Il semblerait donc convenir d'examiner l'objet de la mesure législative. Même si l'ambiguïté n'était pas apparente, il importe de signaler qu'il convient toujours d'examiner «l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur» pour déterminer le sens manifeste et ordinaire de la loi en cause. Quelle était alors l'intention du Parlement lorsqu'il a adopté la mesure législative de 1990?

L'objet de la mesure législative

16 On ne saurait douter de l'importance de la levée d'impôts. La LIR impose aux employeurs l'obligation de retenir l'impôt sur le salaire de leurs employés et de le verser en leur nom. De même, la LTA impose à ceux qui fournissent des produits et services à autrui l'obligation de percevoir et de verser la TPS exigible. Essentiellement, les sociétés perçoivent des impôts qu'elles détiennent en fiducie pour le compte du gouvernement.

17 L'objet de la loi de 1987, qui, à mon avis, s'applique encore plus à la loi de 1990, a été exposé très clairement et avec vigueur dans l'arrêt Pembina on the Red Development Corp. c. Triman Industries Ltd., [1991] 6 W.W.R. 481 (C.A. Man.). Dans cet arrêt, le juge en chef Scott fait remarquer, aux pp. 488 et 489:

[traduction] Pour déterminer la caractéristique dominante de la mesure législative, il importe de connaître la politique gouvernementale qui la sous‑tend. La banque du débiteur fiscal est la mieux placée pour connaître son client et organiser ses affaires en conséquence. Par contre, Revenu Canada n'a pas la même chance de se familiariser avec les affaires du débiteur fiscal ou de ses créanciers. Il doit donc s'en remettre uniquement aux dispositions de la Loi pour exiger de l'employeur qu'il verse les montants d'impôt sur le revenu des employés qu'il a retenus conformément à la Loi [de l'impôt sur le revenu], et déterminer s'il pourra percevoir les montants en question en cas de défaut.

. . .

La Loi vise non seulement à lever des impôts, mais aussi à les percevoir. Les employeurs ont une obligation publique importante de verser les montants perçus; en fait, c'est un élément crucial du régime d'autocotisation prévu par la Loi.

Plus loin, le juge Lyon, dissident quant au résultat, affirme, aux pp. 506 et 507:

[traduction] Il faut toujours se rappeler que les retenues d'impôt ou les retenues à la source visées par l'art. 224 sont au c{oe}ur de la procédure de perception de l'impôt sur le revenu des particuliers au Canada. En réalité, si l'on fait un calcul à partir des statistiques publiées dans «Statistiques fiscales de 1987», publication de Revenu Canada, Impôt, no de catalogue RV‑1987, on constate que 87 pour 100 de l'impôt sur le revenu des particuliers est perçu au moyen de retenues à la source. On peut donc considérer qu'en adoptant le par. 224(1.2), le Parlement lui a donné ce caractère exhaustif de façon à en assurer la viabilité. Aucun autre régime n'est aussi crucial relativement à la procédure globale de perception adoptée par l'État. Le Parlement a nettement voulu protéger ce régime. Se servir de l'employeur comme percepteur d'impôt requiert une protection additionnelle dans des cas comme celui dont nous sommes saisis où l'employeur utilise les retenues d'impôt à ses propres fins. Naturellement, on ne saurait approuver cette utilisation si l'on veut préserver l'intégrité du régime. Le Parlement a donc adopté, conformément à sa compétence constitutionnelle, ce recours extraordinaire pour protéger une source importante de perception.

. . .

À mon avis, le Parlement a voulu que quiconque conclut, avec un débiteur fiscal, dans le cours normal de ses affaires, une entente de crédit assortie d'une cession de comptes débiteurs, le fasse sous réserve du droit prépondérant de l'État d'obtenir l'acquittement des principales obligations du débiteur en matière de perception et de versement des impôts prélevés auprès de ses employés. Le texte de la Loi ne signifie rien de moins. Cette disposition est rédigée de la manière la plus générale possible précisément parce qu'elle visait à interrompre les paiements effectués aux termes d'une telle cession et à les utiliser de manière à remplir l'obligation prévue par la Loi. Je ne vois pas comment le Parlement aurait pu exprimer plus clairement son intention et sa réclamation prépondérantes.

18 Ces propos peuvent s'appliquer avec encore plus de vigueur aux modifications de 1990. Le Parlement voulait confirmer le droit prépondérant du MRN de recouvrer par voie de saisie‑arrêt les impôts perçus que la société débitrice aurait dû lui verser.

Quelle est la nature d'une cession générale de créances comptables?

19 À l'instar du juge Major, j'estime qu'une cession générale de créances comptables constitue une forme de garantie relative à un prêt, qui sera toujours assujettie au droit de rachat du débiteur. Qu'on se rappelle la définition du terme «garantie», contenue au par. 224(1.3):

«garantie» Droit sur un bien qui garantit l'exécution d'une obligation, notamment un paiement. Sont en particulier des garanties les droits nés ou découlant de débentures, hypothèques, mortgages, privilèges, nantissements, sûretés, fiducies réputées ou réelles, cessions et charges, quelle qu'en soit la nature, de quelque façon ou à quelque date qu'elles soient créées, réputées exister ou prévues par ailleurs.

Cette définition inclut les cessions générales de créances comptables en cause dans les présents pourvois. Cependant, je ne puis souscrire à la conclusion du juge Major que les créanciers ne sont pas des créanciers garantis. J'estime qu'il est difficile, voire impossible, de conclure que le même document peut constituer à la fois une garantie et une cession absolue. Le même document ne saurait englober simultanément deux concepts aussi contradictoires.

20 Fondamentalement, une garantie est quelque chose que l'on donne pour assurer le remboursement d'un prêt. Le Black's Law Dictionary (6e éd. 1990), à la p. 1357, définit clairement l'expression «security interest»:

[traduction] Le terme «garantie» («security interest») désigne tout droit sur un bien acquis par contrat aux fins de garantir le paiement ou l'exécution d'une obligation ou l'indemnisation d'une perte ou d'une dette. Une garantie existe, à un moment donné, (A) si le bien existe à ce moment et si le droit sur ce bien est protégé en vertu du droit interne contre un privilège ultérieur constitué par jugement relativement à une obligation non garantie, et (B) dans la mesure où, à ce moment, le titulaire a déboursé une somme ou renoncé à une valeur en argent.

21 Cette définition est compatible avec celle formulée dans la LIR. Elle contraste vivement avec celle du terme «absolute» («absolu»), que l'on trouve à la p. 9 du même ouvrage:

[traduction] Complet; parfait; final, sans condition ni privilège; comme une garantie absolue (simplex obligatio) par rapport à une garantie conditionnelle. Inconditionnel; complet et parfait en soi; sans rapport ni dépendance avec d'autres choses ou d'autres personnes.

22 À mon avis, ces définitions sont exactes. Si c'est le cas, le même écrit ne saurait alors constituer à la fois une «garantie» et une «cession absolue». Si un écrit constitue une cession absolue, le débiteur ne peut alors conserver un droit résiduel de recouvrer les biens puisqu'une telle cession est complète et parfaite en soi. Par définition, une cession complète et parfaite ne peut reconnaître le concept d'un droit de rachat. Une cession absolue ne peut servir à «garantir» le paiement d'une dette puisque le débiteur n'aurait aucune raison de recouvrer ce qui a fait l'objet d'une cession absolue. Une cession absolue est irrévocable. Affirmer que le même écrit peut constituer à la fois une cession absolue et une garantie revient à avancer simultanément deux points de vue incompatibles. Ces deux concepts contradictoires ne peuvent coexister dans le même document.

La jurisprudence dans laquelle la nature d'une cession générale de créances comptables a été examinée

23 Le juge Major affirme qu'il est «bien établi en droit» qu'une cession générale de créances comptables, comme celles dont il est question, a pour effet de transférer en totalité le titre et la propriété relatifs au bien cédé de sorte qu'il ne peut plus être considéré comme le bien du cédant. Pourtant, en matière commerciale, une cession générale de créances comptables est habituellement considérée comme une garantie. En tant que garantie, elle ne peut tout simplement pas transférer en totalité «le droit, le titre et la propriété relatifs au bien cédé». D'autres arrêts appuient cette conclusion.

24 Dans l'arrêt Thermo King Corp. c. Provincial Bank of Canada (1981), 34 O.R. (2d) 369 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée, [1982] 1 R.C.S. xi, le juge Wilson (plus tard juge de notre Cour) a statué, au nom de la Cour d'appel à l'unanimité, qu'une cession générale de créances comptables est un document de garantie. Dans cette affaire, elle devait examiner un écrit très semblable, voire identique, à ceux dont il est question dans les présents pourvois. Elle conclut, à la p. 381:

[traduction] Bien que ces dispositions paraissent à première vue faire du cédant un fiduciaire de la banque relativement aux paiements qu'il reçoit de ses clients, et permettre à la banque de les affecter comme elle l'entend, peu importe que le cédant ait alors ou non une dette échue envers la banque, cela semble tout à fait incompatible avec la nature de l'écrit en tant que garantie accessoire. [En italique dans l'original.]

De même, dans Bonavista (Town) c. Atlantic Technologists Ltd. (1994), 117 Nfld. & P.E.I.R. 19, le juge Osborn a examiné une cession générale de créances comptables. Il écrit, à la p. 24:

[traduction] On peut se poser la question suivante: si la cession est absolue au point de transférer la propriété, pourquoi donne‑t‑elle expressément à la banque le pouvoir de recouvrer les créances ou d'en disposer? De tels pouvoirs ne sont‑ils pas accessoires au droit de propriété? De même si la cession est absolue, quels sont les droits résiduels du client qui risquent d'être «éteints» si la banque achète les comptes lors d'une vente?

À mon avis, l'acte de cession prévoit qu'elle servira de garantie. Il attribue à la banque le titre relatif aux créances payables à Atlantic, mais cette attribution vise à constituer une garantie; elle ne transfère pas la propriété du bien, au sens que l'on donne habituellement à ce terme. [. . .] La banque est un «créancier garanti». La nature du droit détenu par la banque, même considéré comme une cession absolue, ne saurait être dissociée des circonstances qui y ont donné naissance. Sur le plan commercial, il reste que la banque détenait une garantie sur le bien d'Atlantic. Atlantic a transféré son compte débiteur à la banque pour garantir le paiement des sommes qu'elle lui devait. Après avoir payé la banque, Atlantic avait droit, aux termes de l'acte de cession, «à l'annulation de cette cession» et non à une rétrocession de la créance. La banque était un créancier garanti titulaire d'une garantie. [Je souligne.]

25 Je suis d'accord avec le raisonnement exprimé dans ces arrêts. De même, je tiens à préciser que, dans l'arrêt Bank of Montreal c. Baird (1979), 33 C.B.R. (N.S.) 256, autorisation de pourvoi refusée, [1980] 1 R.C.S. v, la Cour d'appel de Terre‑Neuve a traité une cession générale de créances comptables comme une garantie. En outre, dans l'arrêt R.V. Demmings & Co. c. Caldwell Construction Co. (1955), 4 D.L.R. (2d) 465, la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick a statué qu'une banque titulaire d'une cession générale de créances comptables était un créancier garanti, sous réserve d'un droit de rachat de la part de la société cédante.

26 Cette conclusion s'appuie également sur le raisonnement suivi dans des affaires concernant une situation semblable à celle engendrée par une cession générale de créances comptables. Pareils cas se présentent lorsqu'un emprunteur consent à un établissement de crédit une charge fixe ou un mortgage sur ses stocks de marchandises et inventaire présents et futurs, tout en se réservant le droit de les vendre dans le cours normal des affaires.

27 Dans l'arrêt R. in Right of B.C. c. F.B.D.B. (1987), 17 B.C.L.R. (2d) 273, le juge McLachlin (maintenant juge de notre Cour) a examiné, au nom de la Cour d'appel à la majorité, la façon dont les tribunaux ont traité de tels écrits et, ce faisant, elle est arrivée à la conclusion suivante (à la p. 303):

[traduction] En général, la jurisprudence établit une distinction claire entre les charges fixes et les charges flottantes, ne reconnaissant rien entre les deux et considérant qu'une charge qui permet des opérations dans le cours normal des affaires doit être considérée comme flottante . . .

28 Elle examine ensuite, aux pp. 303 et 304, s'il est possible, sur le plan conceptuel, d'avoir une charge fixe sur un stock de marchandises assortie d'une autorisation de faire des opérations sur ces marchandises, situation analogue à celle qui, selon les établissements de crédit, existe lorsqu'il y a cession générale de créances comptables. Elle souligne, à la p. 305:

[traduction] Selon le point de vue généralement accepté [. . .] une telle charge devrait être considérée comme flottante et non fixe parce qu'elle ne comporte pas une attribution définitive et irrévocable de biens au créancier.

Elle a également fait remarquer que les tribunaux anglais ont expressément écarté la possibilité d'une cession absolue assortie d'une autorisation de faire des opérations (aux pp. 305 et 306):

[traduction] . . . cette théorie a vite été rejetée par les tribunaux anglais, comme l'indiquent les commentaires de lord Buckley dans l'arrêt Evans c. Rival Granite Quarries Ltd., [1910] 2 K.B. 979, à la p. 999 (C.A.):

Une charge flottante n'est pas une charge future; c'est une charge actuelle qui grève tous les biens de la société spécifiés dans l'acte qui la constitue. Par contre, il ne s'agit pas d'une charge spécifique; le titulaire ne peut soutenir qu'il possède un mortgage spécifique sur ces biens. Les biens sont grevés d'un mortgage de telle façon que le débiteur sur mortgage peut faire des opérations sur ces biens sans l'approbation du créancier sur mortgage. Une charge flottante n'est pas un mortgage spécifique sur les biens, assorti d'une autorisation consentie au débiteur sur mortgage de les aliéner dans le cours normal de ses affaires; c'est plutôt un mortgage général qui grève tout bien visé par la charge, mais qui n'affecte pas spécifiquement ces biens jusqu'à ce qu'un événement donné se produise ou jusqu'à ce que le créancier sur mortgage accomplisse un acte qui a pour effet de transformer cette charge en charge fixe. [Italiques ajoutés par le juge McLachlin.]

29 Pour déterminer si une charge particulière sur des créances comptables est fixe ou flottante, le juge McLachlin renvoie (à la p. 307) à l'article de R. A. Pearce, intitulé «Fixed Charges over Book Debts», [1987] J. Bus. L. 18, à la p. 29:

[traduction] . . . pour décider si une charge sur des créances comptables est fixe ou flottante, il s'agit essentiellement de savoir si ces créances peuvent être aliénées libres et quittes de toute charge; dans l'affirmative, la charge est flottante, sinon elle est fixe.

. . .

En ce qui concerne les charges fixes et flottantes, la jurisprudence moderne a accepté l'analyse dichotomique à laquelle les cours de justice en sont arrivées à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Par exemple, ils acceptent la conclusion qu'une charge fixe sur des créances comptables est incompatible avec le fait que le cédant ait la liberté de faire des opérations sur les produits dans le cours de ses affaires: voir Siebe Gorman & Co. c. Barclays Bank Ltd., [1979] 2 Lloyd's Rep. 143 (Ch. D.); Re Armagh Shoes Ltd., [1982] N.I. 59 (Ch. D.); Re Keenan Bros. Ltd. (1985), 5 I.L.R.M. 641 (C.S.). Dans l'arrêt Great Lakes Petroleum Co. c. Border Cities Oil Ltd., [1934] O.R. 244, [1934] 2 D.L.R. 743 (C.A.), on a statué que constituait une charge flottante une cession de créances comptables qui permettait au débiteur de continuer de «percevoir et d'effectuer des opérations sur lesdits comptes, créances, réclamations, sommes et droits incorporels dans le cours normal des affaires». On est arrivé à la même conclusion dans R. c. Lega Fabricating Ltd. (1980), 22 B.C.L.R. 145 (C.S.).

Le juge McLachlin a indiqué que la seule exception à cette règle semblait être l'arrêt Evans Coleman and Evans Ltd. c. R.A. Nelson Construction Ltd. (1958), 27 W.W.R. 38 (C.A.C.‑B.), que le juge Major cite dans ses motifs. Fait révélateur, elle ajoute, à la p. 307:

[traduction] Pourquoi les tribunaux ont‑ils rejeté le concept d'une charge fixe assortie d'une autorisation de faire des opérations? Ce faisant, ils ont incontestablement restreint la liberté des débiteurs et des créanciers de contracter comme ils l'entendent à une époque où prédominait la liberté contractuelle. La réponse, peut‑on suggérer, réside dans les répercussions que la reconnaissance d'un tel concept aurait sur les droits des tiers et le commerce en général, et dans l'injustice apparente de permettre au débiteur de faire librement des opérations, à l'abri de l'application normale de la loi. Comme le lord juge Fletcher‑Moulton l'affirme dans l'arrêt Evans c. Rival Granite Quarries Ltd., précité (p. 995):

Une telle prétention donne des résultats étonnants; cela signifie qu'une société, qui consent une telle débenture, conserve le plein droit de faire des opérations, sans aucune restriction, et qu'elle se trouve, en même temps, à l'abri de toute application de la loi. Je devrais hésiter à conclure qu'une telle anomalie a été reconnue par la loi. Je ne crois pas non plus que ce soit le cas. L'examen de l'incidence des charges flottantes et du fait que la liberté de la société d'exercer ses activités est fondée non pas sur des termes spéciaux établissant cette liberté, mais sur la nature de la charge elle‑même, m'amène à conclure que le droit de la société d'exercer ses activités à sa guise jusqu'à l'exécution de la charge signifie qu'elle doit les exercer conformément à la loi, tout en étant assujettie à l'application de la loi si elle ne paie pas ses dettes.

Enfin, le juge McLachlin conclut, à la p. 309:

[traduction] En général, les tribunaux ont refusé de qualifier de charges fixes, assorties d'une autorisation de vendre, les charges qui permettent au débiteur de faire des opérations sur ses biens dans le cours normal des affaires. Les tribunaux les ont plutôt qualifiées de charges flottantes, ne conférant ainsi à leur titulaire aucune priorité de rang sur des tiers avant la matérialisation. [. . .] Bref, il faut répondre par la négative à la question de savoir si les tribunaux ont reconnu l'existence d'une charge fixe assortie d'une autorisation de vendre dans le cours ordinaire des affaires . . .

L'importance du droit de rachat

30 Pour trancher les présents pourvois, il est essentiel de reconnaître clairement la différence fondamentale qui existe entre une cession absolue et une cession conditionnelle de créances comptables. Une cession absolue transfère tous les droits et aucun bien ne demeure entre les mains du cédant. C'est simplement une vente de créances comptables de la société. C'est le fondement de l'affacturage. Voici comment R. Burgess décrit l'affacturage dans son ouvrage intitulé Corporate Finance Law (2e éd. 1992), à la p. 100:

[traduction] «L'affacturage est une relation juridique entre une institution financière (la société d'affacturage) et une entreprise (le client) qui vend des marchandises ou fournit des services à des clients commerciaux (l'achalandage), en vertu de laquelle la société d'affacturage achète les créances comptables du client avec ou sans le concours de ce dernier et en administre le grand livre des ventes.»

Selon cette définition, une entente d'affacturage semble comporter les éléments suivants:

1)l'achat des créances comptables du client,

2)l'acquisition et l'administration du grand livre des ventes et des fonctions de contrôle du crédit du client, et

3)le financement du client qui correspond à un pourcentage précis de la valeur nominale des créances.

L'auteur examine ensuite (à la p. 101) les exigences d'une cession de créances comptables en vertu du droit anglais et fait remarquer que pour être efficace une cession doit être absolue. L'auteur définit ainsi le terme [traduction] «absolu»:

[traduction] En droit, le terme «absolu» signifie ordinairement inconditionnel, de sorte que pour qu'une cession soit absolue, elle ne doit être aucunement conditionnelle; plus précisément, elle ne doit pas être apparemment constituée par une charge seulement.

31 Un affacturage de comptes débiteurs est basé sur leur cession absolue. C'est, en réalité, une société qui vend, selon leur valeur actualisée, ses comptes débiteurs à une société d'affacturage, moyennant contrepartie immédiate. À mon avis, l'art. 224 LIR protège les sociétés d'affacturage et les établissements de crédit qui ont réussi à réaliser leur garantie avant l'intervention du MRN. Cependant, je ne puis accepter l'idée que le Parlement a voulu, par cette disposition, créer un droit à la fois conditionnel en tant que garantie, et inconditionnel en tant que cession absolue. Il ne peut avoir eu l'intention de combiner des concepts aussi incompatibles.

32 De toute évidence, une cession générale de créances comptables ne satisfait pas au critère d'une entente d'affacturage qui exige un transfert absolu du droit de propriété que le cédant possède sur les créances comptables. Conformément aux écrits présentés en l'espèce, l'emprunteur conserve le droit de racheter les créances comptables une fois la dette payée. Ce droit de rachat démontre de façon irréfutable que la cession n'est pas absolue.

33 Je suis d'accord avec le MRN pour dire qu'il n'est pas pertinent de savoir quel peut être, à l'occasion, le droit réel de l'emprunteur sur les créances comptables lorsqu'il s'agit de déterminer l'incidence du droit de rachat sur le plan juridique. Il serait absurde qu'une société puisse tantôt détenir le titre sur ses créances comptables et tantôt ne pas le détenir, selon son ratio d'endettement. Cela est particulièrement vrai dans le cas d'une entreprise saisonnière. Cependant, si l'on considère une cession générale de créances comptables comme une cession absolue, c'est exactement ce qui se passe puisque la banque ne peut recouvrer que le montant du prêt. Puisque la banque ne pourrait recouvrer aucune créance comptable si la société accusait un surplus à son compte, les créances comptables appartiendraient à la société. En cas de déficit, une partie ou la totalité des créances comptables appartiendraient à la banque. Une situation aussi changeante est incompatible avec la certitude requise en matière commerciale. À mon avis, il est correct d'affirmer qu'une cession générale de créances comptables représente une garantie dont le titre en common law appartient au prêteur et le titre en equity continue d'appartenir à l'emprunteur. C'est ce que confirment la jurisprudence et le texte de la disposition en cause.

34 Dans l'arrêt Banque fédérale de développement c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 1061, notre Cour a affirmé que l'expression «biens d'un failli» contenue dans ce qui constitue maintenant l'art. 67 de la Loi sur la faillite , L.R.C. (1985), ch. B-3, comprend les biens assujettis à une garantie, même lorsque le titre de propriété du bien en cause est transféré au titulaire de la garantie. Cela indique que le concept des «biens» n'est pas restrictif au point de ne viser que le titre de propriété. Il serait contradictoire de statuer en l'espèce qu'un transfert de titre de propriété au moyen d'une cession générale de créances comptables est absolu alors qu'il a déjà été statué dans un autre arrêt qu'un droit de rachat est un droit de propriété qui continue d'appartenir à l'emprunteur.

35 Dans la décision récente Canada c. Banque Nationale du Canada, [1993] 2 C.F. 206, on a appliqué l'arrêt Banque fédérale de développement c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), précité, pour déterminer si un emprunteur sous le régime d'une cession générale de créances comptables conserve un droit de propriété sur les créances comptables. Le juge Rothstein conclut, aux pp. 224 et 225:

À la lumière du raisonnement tenu par le juge Houlden dans Re Broydon Printers, supra, et approuvé par le juge Lamer dans Banque fédérale de développement, supra, j'estime que le droit de racheter les comptes clients s'accorde avec la définition de «biens» de la Loi sur la faillite. Puisqu'il en est ainsi, c'est le raisonnement tenu par le juge Lamer dans Banque fédérale de développement qui s'applique en l'espèce et les comptes clients représentent des «biens du failli» au sens du paragraphe 107(1) de la Loi sur la faillite.

En résumé, une cession ne peut à la fois être absolue et laisser au cédant un droit de rachat. Le fait de conserver un droit de rachat est compatible avec l'existence d'une garantie et non d'une cession absolue. Une cession générale de créances comptables ne peut tout simplement pas constituer un transfert absolu de propriété.

36 Cette conclusion est étayée par l'art. 63 de la Personal Property Security Act de l'Alberta, S.A. 1988, ch. P-4.05, qui prévoit les cas où il y a extinction du droit de rachat de biens meubles, y compris des créances comptables. Il doit y avoir aliénation par le créancier garanti du bien donné en garantie ou encore, en vertu de l'art. 62 de la Loi, un choix irrévocable du créancier garanti de prendre le bien donné en garantie. Hormis ces cas, le débiteur possède, en vertu de l'art. 63, certains droits de racheter le bien donné en garantie. Dans les présents pourvois, les faits ne révèlent pas si les établissements de crédit avaient, avant de recevoir l'avis du MRN, vendu ou transféré les créances comptables, ou satisfait aux conditions requises pour être irrévocablement réputés avoir pris le bien donné en garantie. Il semblerait que, s'ils ne l'ont pas fait, les sociétés débitrices conservent encore un droit de rachat en vertu de la Loi.

37 J'ajouterais qu'il y aurait de graves répercussions à conclure qu'une cession générale de créances comptables donne lieu, en raison de son caractère absolu, à un transfert de propriété, au lieu de constituer une garantie accessoire pour le paiement d'une créance. Il pourrait en résulter, par exemple, une modification de l'ordre de priorité prévu par la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36, et la Loi sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44. De plus, cela pourrait permettre à un débiteur sans scrupule, encouragé sciemment ou à son insu par une société créancière, d'organiser ses affaires de façon à léser de nombreux autres créanciers de bonne foi.

Résumé

38 Dans l'arrêt Friesen, précité, on a conclu que les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu devraient être interprétées suivant leur sens ordinaire, conformément à l'économie et à l'objet de la Loi. Il est clair que, lorsqu'il a adopté les dispositions en cause de la LIR et de la LTA, le Parlement a tenté d'assurer la priorité de la réclamation du MRN sur celles des autres créanciers. Ce sont principalement les employeurs et les vendeurs de produits et services qui ont la tâche de percevoir et de verser les taxes et les cotisations établies en vertu des deux lois. On pourrait dire que les montants ainsi perçus appartiennent non pas aux entités débitrices qui les perçoivent, mais au gouvernement. En un sens, on pourrait considérer que les fonds perçus mais non versés sont détenus dans une sorte de fiducie puisque les entités qui les ont perçus ne sont, en aucun cas, habilitées à les conserver. Elles doivent plutôt les verser au gouvernement. Dans ces circonstances, on ne saurait dire que la priorité accordée au MRN en matière de recouvrement de ces fonds constitue une expropriation sans indemnisation.

39 Pour assurer le recouvrement des montants perçus pour le compte du MRN, le Parlement s'est efforcé d'assurer que les réclamations du MRN en la matière aient priorité sur celles des autres créanciers. La majorité des tribunaux qui ont examiné cette question, depuis la modification de 1990, ont conclu que le Parlement a réussi à atteindre cet objectif: voir TransGas Ltd. c. Mid‑Plains Contractors Ltd. (1993), 101 D.L.R. (4th) 238 (C.A. Sask.), conf. par [1994] 3 R.C.S. 753, Berg c. Parker Pacific Equipment Sales, [1991] 1 C.T.C. 442 (C.S.C.‑B.), Lundrigans Ltd. (Receivership) c. Bank of Montreal (1993), 110 Nfld. & P.E.I.R. 91 (Div. 1re inst., T.‑N.), Bonavista (Town) c. Atlantic Technologists Ltd., précité, ainsi que deux des décisions rendues en première instance en l'espèce.

40 Je suis d'accord avec le juge Major pour dire qu'une cession générale de créances comptables est une garantie et que l'expression «créancier garanti» ne vise pas les personnes qui ont la propriété absolue d'un bien. Cependant, je ne puis convenir qu'une cession générale de créances comptables constitue une cession absolue de manière à rendre le cessionnaire propriétaire des créances comptables. Ces deux concepts, dans un même document, sont incompatibles et représentent une contradiction impossible. Une cession générale de créances comptables ne peut tout simplement pas constituer une cession absolue vu qu'elle est, de par sa nature même, une garantie.

41 Il faut supposer que, lorsqu'il a rédigé les dispositions en cause, le Parlement a soigneusement cherché à atteindre son objectif et qu'il n'a pas voulu créer une absurdité ou une redondance. Mon point de vue peut se résumer ainsi:

(i) Les définitions des expressions «garantie» et «créancier garanti» ne sauraient être contradictoires. Le Parlement ne peut avoir voulu établir des définitions qui se chevauchent et se contredisent, de sorte qu'un même écrit puisse à la fois constituer une «garantie» et ne pas en constituer une. Cela ne veut pas dire que toutes les cessions sont des «garanties». Cela signifie plutôt simplement qu'un écrit, une fois défini comme une «garantie», ne peut également constituer une cession absolue. Par définition, une cession absolue ne peut pas être une «garantie».

(ii) Une cession générale de créances comptables est une «garantie» et non une cession absolue pour les motifs suivants:

a) elle correspond à la définition du terme «garantie» énoncée au par. 224(1.3) LIR;

b) elle se définit à première vue comme une garantie accessoire;

c) elle est considérée comme une garantie relative au paiement d'un prêt par les parties en cause;

d) elle a été définie par notre Cour comme incluant un droit de rachat, et confère donc un droit de propriété à l'emprunteur. Elle ne saurait donc être absolue;

e) elle ne peut constituer à la fois une garantie et une cession absolue;

f) reconnaître ce type de cession comme une cession absolue contrecarrerait l'objet de plusieurs autres lois.

(iii) L'expression «créancier garanti» vise à exclure les propriétaires absolus. Par définition, une personne ne peut être à la fois un créancier garanti et un propriétaire de la garantie. Le titulaire d'une cession absolue serait propriétaire des créances comptables comme l'est, par exemple, une société d'affacturage. Le Parlement a soustrait à l'application de cette disposition les institutions financières {oe}uvrant dans le domaine de l'affacturage, ainsi que les institutions financières qui ont réalisé leur garantie en devenant propriétaires du bien grevé. La modification de 1990 ne révèle aucune intention d'accorder la priorité aux titulaires d'une cession générale de créances comptables.

Dispositif

42 Je suis d'avis d'accueillir les pourvois, d'annuler l'ordonnance de la Cour d'appel, de confirmer la priorité du MRN et d'ordonner que le MRN recouvre les sommes en cause dans les trois pourvois de la façon établie par le juge de première instance dans The Queen c. Toronto-Dominion Bank. Le MRN a droit à ses dépens dans toutes les cours.

Version française des motifs rendus par

43 Le juge Iacobucci (dissident) — Bien que je sois d'accord avec les principes généraux d'interprétation législative exposés par mon collègue le juge Cory, je conviens avec le juge Major que les cessions générales de créances comptables consenties en l'espèce équivalaient à un transfert absolu de propriété. En conséquence, je statuerais sur les pourvois de la manière proposée par le juge Major.

Version française des motifs rendus par

Le juge Major (dissident) —

I. Introduction

44 Il s'agit de pourvois contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta relativement à trois affaires. Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre du Revenu national («MRN»), est partie au litige dans les trois cas. L'Alberta Treasury Branches est partie dans deux des affaires et l'autre partie est la Banque Toronto‑Dominion. Dans les trois cas, il s'agit de déterminer la priorité entre le bref de saisie‑arrêt du MRN et une cession générale de créances comptables aux établissements de crédit.

45 Le paragraphe 224(1.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71-72, ch. 63, modifié en 1990, L.C. 1990, ch. 34, art. 1, prescrit une procédure de saisie‑arrêt qui, dans certaines circonstances, permet au MRN d'intercepter des sommes dues à des débiteurs fiscaux. Ce type de saisie‑arrêt ne peut servir au recouvrement des créances fiscales en général. Il ne vise que le recouvrement de sommes dues par une personne qui a retenu, ou aurait dû retenir, des sommes en vertu de l'art. 153 de la Loi de l'impôt sur le revenu, et qui a omis de verser les montants retenus. Le paragraphe 317(3) de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E‑15, prévoit une procédure identique de saisie‑arrêt dans le cas où une personne a omis de verser la TPS qui a été ou aurait dû être perçue auprès d'autres personnes.

46 Il s'agit ici de savoir si les dispositions en cause s'appliquent pour conférer au MRN la priorité de rang sur les créanciers qui ont obtenu du débiteur fiscal une cession absolue de créances comptables. Le règlement des pourvois repose sur la définition de «créancier garanti», qui exige qu'une personne détienne une garantie sur le «bien d'une autre personne».

47 À mon avis, ces dispositions ne confèrent pas au MRN la priorité de rang sur un créancier qui est titulaire d'une cession de créances comptables. En droit, un tel créancier est propriétaire des créances comptables en question et on ne peut donc pas dire qu'il possède une garantie sur le bien d'une autre personne.

48 Cette conclusion est dictée par la common law et les principes fondamentaux d'interprétation de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le libellé des dispositions n'est tout simplement pas assez clair et précis pour autoriser l'expropriation, sans versement d'une indemnité, du titulaire innocent de la cession de créances comptables.

II. Les faits

49 La première affaire découle d'un prêt consenti en 1987 par l'intimé l'Alberta Treasury Branches à Country Inns Inc., une société hôtelière albertaine. L'emprunt était garanti en partie par une cession générale de créances comptables. Country Inns Inc. accusait des arriérés de 33 312,67 $ au titre de la TPS non versée à l'appelant le MRN, plus intérêts et pénalité. Zurich Canada devait à Country Inns Inc. la somme de 15 000 $, et l'on alléguait que Zurich Insurance Company devait 95 000 $.

50 En juin 1992, le MRN a signifié à Zurich Canada, à Zurich Insurance Company et à tous les autres débiteurs possibles une demande de paiement fondée sur le par. 317(3) de la Loi sur la taxe d'accise. Après que Country Inns Inc. eut fait cession de ses biens en vertu de la Loi sur la faillite, L.R.C. (1985), ch. B-3, le syndic a estimé que la réalisation de l'actif de la faillite ne suffirait pas à payer entièrement l'intimé l'Alberta Treasury Branches qui était titulaire d'une créance de plus de 6 000 000 $. À la suite d'une demande visant à établir l'ordre de priorité, le juge Forsyth de la Cour du Banc de la Reine a statué que le MRN avait priorité en vertu des dispositions de la Loi sur la taxe d'accise: (1992), 5 Alta. L.R. (3d) 141.

51 Dans la deuxième affaire, Pigott Project Management Ltd. avait conclu avec Land‑Rock Resources Ltd. un contrat d'excavation pour l'évacuateur de crues du barrage de la rivière Old Man. En 1989, Land‑Rock a emprunté des sommes à l'intimé l'Alberta Treasury Branches et lui a consenti une cession générale de créances comptables. Après l'achèvement des travaux par Land‑Rock, Pigott a retenu 161 821,77 $ sur le montant fixé au contrat. Cette somme était réclamée par différents créanciers de Land‑Rock, dont l'appelant le MRN à qui Land‑Rock devait des arriérés de retenues à la source, plus intérêts et pénalité.

52 En 1991, en vertu du par. 224(1.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, le MRN a signifié à Pigott deux demandes de paiement de près de 600 000 $. À la suite d'une demande visant à établir l'ordre de priorité relativement à ces sommes, le protonotaire Waller de la Cour du Banc de la Reine a décidé que l'intimé l'Alberta Treasury Branches avait priorité en vertu de sa cession générale de créances comptables. L'appel interjeté devant le juge Hunt a été rejeté: (1993), 9 Alta. L.R. (3d) 349.

53 Dans la troisième affaire, Bodor Drilling Ltd. exploitait une société de forage qui avait emprunté des sommes à l'intimée la Banque Toronto‑Dominion. L'emprunt était en partie garanti par une cession générale de créances comptables. Bodor devait à l'appelant le MRN la somme de 83 325,19 $ au titre de la TPS non versée, plus intérêts et pénalité.

54 En mars 1992, le MRN a signifié aux débiteurs commerciaux de Bodor des demandes de paiement fondées sur le par. 317(3) de la Loi sur la taxe d'accise. Un autre des créanciers de Bodor a présenté avec succès une pétition en faillite contre Bodor. Bodor devait 266 331,12 $ à l'intimée la Banque Toronto‑Dominion. À la suite d'une demande visant à établir l'ordre de priorité, le juge MacLeod de la Cour du Banc de la Reine a statué que le MRN avait priorité en vertu des dispositions de la Loi sur la taxe d'accise.

55 Ces trois affaires ont fait l'objet d'un appel devant la Cour d'appel de l'Alberta. Dans chaque cas, la cour a statué que l'établissement de crédit avait priorité sur le MRN: (1994), 16 Alta. L.R. (3d) 1.

III. Analyse

56 Avant 1987, la principale procédure de saisie‑arrêt prévue dans la Loi de l'impôt sur le revenu figurait au par. 224(1):

224. (1) Lorsque le Ministre sait ou soupçonne qu'une personne est ou sera, dans les 90 jours, tenue de faire un paiement à une autre personne qui, elle‑même, est tenue de faire un paiement en vertu de la présente loi (appelée au présent article le «débiteur fiscal»), il peut, par lettre recommandée ou par lettre signifiée à personne, exiger de cette personne que les deniers autrement payables au débiteur fiscal soient en totalité ou en partie versés, immédiatement [. . .] au receveur général au titre de l'obligation du débiteur fiscal en vertu de la présente loi.

57 Lorsqu'un débiteur fiscal a cédé ses créances à une autre partie dans le cadre d'un contrat de garantie, les tribunaux ont statué quasi unanimement qu'une demande fondée sur le par. 224(1) ne permet pas de saisir‑arrêter les créances cédées. Les tribunaux ont conclu que le débiteur fiscal avait, par la cession, transféré au cessionnaire son droit sur ses comptes, et qu'il ne restait rien sur quoi pouvait porter la saisie‑arrêt du MRN. Voir Banque Royale du Canada c. R. (1984), 52 C.B.R. (N.S.) 198 (C.F. 1re inst.), aux pp. 210 à 213, conf. par (1986), 60 C.B.R. (N.S.) 125 (C.A.F.).

58 En 1987, le Parlement a modifié la Loi de l'impôt sur le revenu (L.C. 1987, ch. 46, art. 66) et a ajouté deux paragraphes (les par. 224(1.2) et (1.3)). Les paragraphes 317(3) et (4) ont également été ajoutés à la Loi sur la taxe d'accise. Pour les fins de la question soulevée dans les présents pourvois, la formulation des dispositions de la Loi sur la taxe d'accise est identique à celles de la Loi de l'impôt sur le revenu. Pour plus de facilité, je vais me référer aux dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu.

59 Aux termes du par. 224(1.2), le MRN était habilité à saisir‑arrêter les sommes dues à un débiteur fiscal ou à un «créancier garanti». Le paragraphe 224(1.3) définissait notamment les expressions «créancier garanti» et «garantie»:

224. . . .

(1.2) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi et nonobstant la Loi sur la faillite, tout autre texte législatif fédéral, tout texte législatif provincial et toute règle de droit, s'il sait ou soupçonne qu'une personne donnée est ou deviendra, dans les 90 jours, débiteur d'une somme

a) soit à un débiteur fiscal, à savoir une personne redevable d'un montant cotisé en application du paragraphe 227(10.1) ou d'une disposition semblable ou un représentant légal de cette personne,

b) soit à un créancier garanti, à savoir une personne qui, grâce à une garantie en sa faveur, a le droit de recevoir la somme autrement payable au débiteur fiscal,

le ministre peut, par lettre recommandée ou signifiée à personne, obliger la personne donnée à payer au receveur général tout ou partie de cette somme, sans délai si la somme est payable immédiatement, sinon dès qu'elle devient payable, au titre du montant cotisé en application du paragraphe 227(10.1) ou d'une disposition semblable dont le débiteur fiscal est redevable.

(1.3) Les définitions qui suivent s'appliquent au paragraphe (1.2).

«créancier garanti» Personne qui a une garantie sur un biend'une autre personne ‑- ou qui est mandataire de cette personne quant à cette garantie -‑, y compris un fiduciaire désigné dans un acte de fiducie portant sur la garantie, un séquestre ou séquestre‑gérant nommé par un créancier garanti ou par un tribunal à la demande d'un créancier garanti, un administrateur‑séquestre ou une autre personne dont les fonctions sont semblables à celles de l'une de ces personnes.

. . .

«garantie» Droit sur un bien qui garantit l'exécution d'uneobligation, notamment un paiement. Sont en particulier des garanties les droits nés ou découlant de débentures, hypothèques, mortgages, privilèges, nantissements, sûretés, fiducies réputées ou réelles, cessions et charges, quelle qu'en soit la nature, de quelque façon ou à quelque date qu'elles soient créées, réputées exister ou prévues par ailleurs.

60 Des tribunaux de l'Alberta, de la Colombie‑Britannique, de la Saskatchewan, du Manitoba et de la Nouvelle‑Écosse ont examiné l'application du par. 224(1.2), tel qu'il existait en 1987, au titulaire d'une cession générale de créances comptables.

61 En Alberta, dans la décision Lloyds Bank of Canada c. International Warranty Co. (1989), 64 Alta. L.R. (2d) 340 (B.R.), inf. par (1989), 68 Alta. L.R. (2d) 356 (C.A.), le juge McDonald a statué que la nouvelle définition du terme «garantie» était suffisamment large pour inclure des sommes qui avaient été cédées, selon l'equity, à une banque par un débiteur fiscal (aux pp. 352 et 353):

[traduction] . . . la définition du terme «garantie» est suffisamment large pour inclure des sommes que le débiteur fiscal a cédées, selon l'equity, à une banque par exemple. Le fait que la banque se trouve propriétaire des fonds visés par la cession constitue un «droit sur un bien». Ce droit garantit «l'exécution» de l'«obligation» du débiteur fiscal [. . .]. La constitution de cette garantie est l'objet même de la cession de créances comptables. De plus, le droit de la banque «[naît] ou découl[e] [d'une] cession[. . .], [. . .] quelle qu'en soit la nature, de quelque façon ou à quelque date qu'elle [. . .] soi[t] créée [. . .] . . .»

Le juge McDonald a donc conclu que le MRN avait priorité relativement aux fonds saisis‑arrêtés par rapport à Lloyds Bank, cessionnaire des créances comptables.

62 La Cour d'appel de l'Alberta a, pour d'autres motifs, infirmé la décision de première instance dans l'affaire Lloyds Bank. Se fondant sur ses arrêts Re Lamarre; University of Calgary c. Morrison, [1978] 2 W.W.R. 465, et Attorney General of Canada c. Royal Bank of Canada, [1979] 1 W.W.R. 479, la Cour d'appel a statué que le par. 224(1.2) établissait tout au plus une forme de saisie‑arrêt extrajudiciaire aux termes de laquelle le MRN pourrait avoir la garde des fonds. La cour a statué que cette disposition ne permettait pas un transfert de propriété des fonds ni n'accordait la priorité de rang à la réclamation du MRN. Elle conclut (à la p. 362) que [traduction] «[q]uelque chose de plus est nécessaire pour réaliser l'une ou l'autre de ces fins».

63 L'arrêt Lloyds Bank de la Cour d'appel de l'Alberta a été suivi par la Cour d'appel du Manitoba dans Pembina on the Red Development Corp. c. Triman Industries Ltd., [1991] 6 W.W.R. 481, et par la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique dans Concorde International Travel Inc. c. T.I. Travel Services (B.C.) Inc. (1990), 72 D.L.R. (4th) 405. Dans l'arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, le juge Hinkson a mentionné l'arrêt Lloyds Bank de la Cour d'appel de l'Alberta, affirmant, à la p. 409:

[traduction] À mon avis, les par. (1) et (1.2) de l'art. 224 intitulé «Saisie‑arrêt» portent sur la procédure de saisie‑arrêt. Lorsqu'il signifie une demande conformément à cette disposition, le Ministre doit partir du principe qu'il fait valoir l'assujettissement à l'impôt du débiteur fiscal, le justifiant ainsi de faire une saisie‑arrêt des sommes qui sont entre les mains d'un créancier du débiteur fiscal. Cependant, je ne vois, dans cet article, aucune disposition qui aurait pour effet de transférer au Ministre la propriété des fonds ou d'accorder la priorité à la réclamation de Revenu Canada. C'est le point que la Cour d'appel de l'Alberta a examiné. [Je souligne.]

64 Par contre, en Saskatchewan et en Nouvelle‑Écosse, les tribunaux ont exprimé des avis contraires: Royal Bank of Canada c. Saskatchewan Power Corp., [1991] 1 W.W.R. 1 (C.A. Sask.), conf. [1990] 2 W.W.R. 655 (B.R. Sask.), et Touche Ross Ltd. c. M.N.R. (1990), 71 D.L.R. (4th) 648 (C.S. 1re inst., N.‑É.).

65 Afin de remédier, semble-t-il, aux courants de jurisprudence contradictoires quant à savoir si le par. 224(1.2) était suffisant pour accorder la priorité au MRN, le Parlement a modifié ce paragraphe en 1990 en ajoutant le passage suivant à la fin:

Sur réception de la lettre [le bref de saisie‑arrêt] par la personne donnée, la somme qui y est indiquée comme devant être payée devient, nonobstant toute autre garantie au titre de cette somme, la propriété de Sa Majesté et doit être payée au receveur général par priorité sur toute autre garantie au titre de cette somme.

66 Cette modification de 1990 a été apportée à la Loi de l'impôt sur le revenu et aux dispositions pertinentes de la Loi sur la taxe d'accise. Dans les trois affaires dont nous sommes saisis en l'espèce, les juges de première instance avaient principalement examiné si cette modification constituait le [traduction] «quelque chose de plus» qui, selon l'arrêt Lloyds Bank, était nécessaire pour transférer au MRN le droit de propriété sur les fonds ou pour lui accorder la priorité de rang.

67 Deux juges de la Cour du Banc de la Reine ont statué que les modifications de 1990 constituaient ce «quelque chose de plus» et que le MRN avait, de ce fait, obtenu la priorité de rang sur les créances comptables cédées aux établissements de crédit en question. Le juge Forsyth a fondé explicitement sa décision sur la modification de 1990 et a statué qu'elle était suffisamment explicite. Le juge MacLeod, lui, s'est en outre fondé sur la conclusion du juge McDonald dans Lloyds Bank, selon laquelle la définition de «garantie» au par. 224(1.3) vise une cession générale de créances comptables.

68 Dans la troisième affaire, le protonotaire en chambre a statué que les modifications de 1990 n'étaient pas encore formulées de façon assez générale pour permettre à Revenu Canada de saisir‑arrêter des sommes sur lesquelles le débiteur fiscal n'a aucun droit en vertu d'une cession absolue. En appel, le juge Hunt a souscrit à cette conclusion. Elle s'est fondée sur une ambiguïté qu'elle percevait dans la définition du terme «garantie» (aux pp. 360 et 361):

[traduction] De plus, je suis d'avis que l'on ne sait pas exactement si la modification apportée à la fin de la définition du terme «garantie» («quelle qu'en soit la nature, de quelque façon ou à quelque date qu'elles soient créées, réputées exister ou prévues par ailleurs») est censée s'appliquer à chacun des types de droits ou d'instruments énumérés (débentures, mortgages, cessions, etc.) ou si elle n'est censée qualifier que le terme «charges». Le juge McDonald [dans Lloyds Bank, précité] opte pour la première hypothèse, mais, à mon avis, cette interprétation est douteuse. Il existe une troisième façon d'interpréter la modification en question, à savoir que l'expression «quelle qu'en soit la nature» qualifie le terme «charges», et que les autres mots s'appliquent à chacun des types de droit énumérés. On pourrait également considérer que l'expression «quelle qu'en soit la nature» s'applique aux cessions et aux charges. Si cette disposition était plus claire, il serait plus facile de conclure que le Parlement a voulu inclure dans la définition tous les types de cession, y compris les cessions inconditionnelles. Si tel était le cas, il serait plus évident que le Parlement a voulu que la réclamation de Revenu Canada ait priorité sur le bien d'une personne autre que le débiteur fiscal, comme le cessionnaire des créances comptables du débiteur fiscal. [En italique dans l'original.]

69 Je suis d'accord avec le juge Forsyth pour dire que les modifications apportées en 1990 à la Loi de l'impôt sur le revenu et à la Loi sur la taxe d'accise étaient suffisantes pour fournir le «quelque chose de plus» que la Cour d'appel de l'Alberta a jugé nécessaire dans l'arrêt Lloyds Bank. Comme le juge Côté l'a dit, dans l'arrêt de la Cour d'appel en l'espèce, relativement à la modification du par. 224(1.2), à la p. 6:

[traduction] . . . les modifications apportées à ce paragraphe précisent que la signification transfère la créance à Sa Majesté et que les sommes dues doivent lui être payées nonobstant la garantie, et ce, en priorité sur cette garantie. Lorsqu'elles s'appliquent, ces modifications infirment, à mon avis, notre arrêt Lloyds Bank et accordent au MRN la priorité sur les mortgages et cessions antérieurs. Je ne puis en limiter l'application aux cessions générales ou conditionnelles et je ne puis qu'exprimer mon désaccord avec l'un des juges dont la décision a été portée en appel.

70 Je conviens également avec le juge MacLeod que le juge McDonald de première instance, dans l'affaire Lloyds Bank, a eu raison d'affirmer qu'une cession générale de créances comptables est visée par la définition du terme «garantie» au par. 224(1.3). Aux termes de cette disposition, le terme «garantie» comprend notamment:

Droit sur un bien qui garantit l'exécution d'une obligation, notamment un paiement. Sont en particulier des garanties les droits nés ou découlant de [. . .] cessions [. . .] quelle qu'en soit la nature, de quelque façon ou à quelque date qu'elles soient créées . . .

71 En toute déférence, je n'accepte pas la conclusion du juge Hunt que la définition du terme «garantie» est ambiguë et que l'expression «quelle qu'en soit la nature» ne devrait viser que le terme «charges» qui est le dernier type de garantie énuméré. Lorsque l'on donne à la définition son sens ordinaire, il est clair que l'expression générale «quelle qu'en soit la nature» est destinée à s'appliquer à tous les types de garantie énumérés, dont les cessions. L'expression «cessions [. . .] quelle qu'en soit la nature» est suffisamment générale pour inclure les cessions absolues de créances comptables visées dans les présents pourvois.

72 La conclusion qu'une cession générale de créances comptables est une garantie pour les fins de la Loi de l'impôt sur le revenu ou de la Loi sur la taxe d'accise est également compatible avec la façon dont les cessions sont traitées dans les actes de cession. Par exemple, l'instrument aux termes duquel Land‑Rock Resources Ltd. consent une cession de créances comptables à l'Alberta Treasury Branches prévoit notamment:

[traduction] La cession et le transfert effectués AUX PRÉSENTES constituent une garantie accessoire et permanente en faveur de Treasury Branches au titre du paiement de toute créance et dette, présentes et futures, de la soussignée à Treasury Branches ainsi que de tout solde impayé, avec intérêts. [Je souligne.]

73 Cependant, même si je conclus que les cessions générales de créances comptables ici en cause sont visées par la définition du terme «garantie» dans la Loi et que la modification de 1990 a pour effet d'accorder, lorsqu'elle s'applique, la priorité à la réclamation du MRN sur les mortgages et cessions antérieurs, il ne s'ensuit pas nécessairement pour autant que le MRN a priorité sur les établissements de crédit relativement aux créances visées en l'espèce.

74 Devant la Cour d'appel de l'Alberta et notre Cour, on a avancé le nouvel argument voulant que, même si une cession générale inconditionnelle de créances comptables est une garantie, les établissements de crédit ne sont pas des «créanciers garantis» au sens du par. 224(1.3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le juge Côté de la Cour d'appel conclut, aux pp. 7 et 8:

[traduction] Le MRN doit croire ou soupçonner que le destinataire prévu de la lettre est ou sera sous peu tenu de faire un paiement en vertu de l'al. a) ou b) du par. (1.2) qui s'applique. Personne ne soutient que l'al. a) s'applique en l'espèce, vu les cessions générales de créances comptables et les autres cessions effectuées. Alors, la condition préalable à remplir dans ces cas est celle prévue à l'al. b) qui se lit ainsi:

b) soit à un créancier garanti, à savoir une personne qui, grâce à une garantie en sa faveur, a le droit de recevoir la somme autrement payable au débiteur fiscal. (italiques ajoutés)

Le paragraphe (1.3) définit le terme «garantie» et cette définition semble respectée dans les présentes affaires. Toutefois, ce même paragraphe définit aussi l'expression «créancier garanti». [. . .] J'indique entre crochets les légères modifications que j'apporterais à cette définition:

. . . [Une certaine] [p]ersonne qui a une garantie sur un bien d'une autre personne -‑ ou qui est mandataire de cette personne quant à cette garantie -‑, y compris . . . (italiques ajoutés)

Dans chacun de ces trois appels, il y a eu une cession générale de créances comptables qui était censée transférer immédiatement le titre à la Banque ou au Treasury Branch. Il n'y a aucun doute que l'on voulait ainsi garantir un prêt, mais le titre de propriété s'est par la suite trouvé transféré au cessionnaire, c'est‑à‑dire la Banque ou le Treasury Branch. En conséquence, la Banque ou le Treasury Branch n'est pas un «créancier garanti» au sens de cette définition parce que ni l'un ni l'autre n'a un droit «sur un bien d'une autre personne». Le propriétaire est la Banque ou le Treasury Branch. Le débiteur fiscal devrait être, comme les deux parties le reconnaissent, l'«autre personne». Cependant, il ne possède aucun titre de propriété. Alors, on ne saurait dire que les créances comptables (comptes débiteurs) cédées sont un «bien» du débiteur fiscal.

75 Je suis d'accord. Le libellé du par. 224(1.2) exige clairement non seulement qu'il existe une garantie, mais aussi que le paiement soit fait à un débiteur fiscal ou à un créancier garanti. En l'espèce, en raison des cessions consenties, les paiements doivent être faits aux établissements de crédit et la question est de savoir si ces établissements constituent des «créanciers garantis» au sens des lois en cause.

76 Un créancier garanti est une «[p]ersonne qui a une garantie sur un bien d'une autre personne», l'autre personne étant le débiteur fiscal. La question cruciale est de savoir si, à la suite d'une cession, les établissements de crédit possèdent une garantie sur le bien du débiteur fiscal. À mon avis, la réponse est négative. Une cession transfère le titre de propriété et c'est donc l'établissement de crédit et non le débiteur fiscal qui a la propriété des créances comptables.

77 Il est bien établi en droit qu'une cession générale de créances comptables, comme celles dont il est question dans les présents pourvois, a pour effet de transférer en totalité le droit, le titre et la propriété relatifs au bien cédé de sorte qu'il ne peut plus être considéré comme le bien du cédant. Voir: Evans Coleman and Evans Ltd. c. R.A. Nelson Construction Ltd. (1958), 27 W.W.R. 38 (C.A.C.‑B.), à la p. 42; Lettner c. Pioneer Truck Equipment Ltd. (1964), 47 W.W.R. 343 (C.A. Man.), aux pp. 348 et 349; Royal Bank of Canada c. Attorney General of Canada (1977), 25 C.B.R. (N.S.) 233 (C.S. Alb. 1re inst.), aux pp. 236 et 241, conf. par [1979] 1 W.W.R. 479; Banque Royale du Canada c. R., précité, aux pp. 206 et 212; Banque Toronto‑Dominion c. Ministre du Revenu national (1990), 39 F.T.R. 102, à la p. 105.

78 Dans l'affaire Evans Coleman and Evans Ltd. c. R.A. Nelson Construction Ltd., la demanderesse avait tenté de saisir‑arrêter des fonds dus à la défenderesse, qui étaient détenus par une banque. Une deuxième banque était titulaire d'une cession générale de créances comptables signée par la défenderesse. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a conclu que la cession générale de créances comptables avait complètement transféré la propriété des créances comptables, et que la défenderesse n'avait plus aucun droit susceptible de faire l'objet d'une saisie-arrêt.

79 Dans l'affaire Banque Royale du Canada c. R., le juge Muldoon de la Cour fédérale, Section de première instance, est arrivé à une conclusion similaire que la Cour d'appel fédérale a confirmée à l'unanimité. Aux termes de l'acte de cession, le cédant Miles s'était engagé par contrat à agir à titre de fiduciaire des fonds qu'il avait cédés à la Banque Royale en vertu d'une cession générale de créances comptables. Le MRN prétendait qu'un cessionnaire ne peut détenir sur les sommes saisies‑arrêtées un droit plus important que celui du cédant. Le juge Muldoon a rejeté cet argument, concluant, à la p. 212:

J'estime que cet argument passe à côté de la question. En mettant sur le même pied les droits du cédant et du cessionnaire sur les créances, on méconnaît la nature et l'effet mêmes du transport: en effet, les créances appartiennent au cessionnaire et non au cédant. Pour ceux qui ne consultent pas le registre des sûretés mobilières, le cédant apparaîtra bien sûr probablement comme un créancier commercial ordinaire. Cependant, après avoir transporté ses créances, le cédant, Miles, agit en réalité à titre de fiduciaire des créances pour le compte de la cessionnaire, la banque demanderesse. En l'espèce, la Couronne a reçu ce qui appartenait à la Banque.

80 Dans Lettner c. Pioneer Truck Equipment Ltd., le juge Guy de la Cour d'appel du Manitoba fait des commentaires sur la nature et l'effet d'une cession générale de créances comptables, aux pp. 348 et 349:

[traduction] En ce qui concerne Pioneer Truck et la banque, Pioneer Truck sait que ses comptes débiteurs ou créances comptables appartiennent à la banque. Elle ne peut pas, en equity, déclarer qu'elle est propriétaire de ces créances comptables.

. . .

Le fait qu'il est d'usage courant dans les banques canadiennes de permettre aux entreprises en activité d'obtenir du crédit et aux emprunteurs (par autorisation administrative, pour ainsi dire) de percevoir certains comptes afin de payer les salaires et les comptes courants ne change en rien le caractère absolu et spécifique de la cession consentie à la banque.

81 Dans l'affaire Banque Toronto‑Dominion c. Ministre du Revenu national, le juge en chef adjoint Jerome de la Cour fédérale, Section de première instance, a procédé à un examen approfondi de la jurisprudence, dont celle analysée plus haut, et a conclu, à la p. 105:

À la lumière des autorités précitées, et en particulier de l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Banque Royale du Canada c. La Reine, qui lie la présente Cour, je dois conclure que la cession générale de créances comptables faite le 26 avril 1983 par J.K. Campbell and Associates Ltd. à la Banque Toronto‑Dominion constituait un transfert inconditionnel de tous les biens et droits détenus antérieurement par J.K. Campbell sur ces comptes ou autres créances comptables, actuels ou futurs. En conséquence, après le 26 avril 1983, la Banque Toronto‑Dominion a un droit absolu, en common law et en equity, sur toutes les créances qui étaient ou seraient dues par les débiteurs de J.K. Campbell, à moins qu'elle n'ait été autrement expropriée de ce droit au moyen d'une loi valide.

82 En plus d'établir qu'une cession absolue de créances comptables transfère au cessionnaire la propriété des créances, la jurisprudence que je viens d'examiner étaye aussi la proposition simple et évidente voulant que la nature véritable d'une cession ne puisse être déterminée que par l'examen du texte de l'écrit constitutif de la cession.

83 Dans chacune des trois affaires ici en cause, le libellé de l'acte de cession établit clairement que la cession est immédiate et absolue. L'acte de cession de Land‑Rock en faveur de l'Alberta Treasury Branches est caractéristique:

[traduction] LA SOUSSIGNÉE Land‑Rock Resources Ltd. CÈDE ET TRANSFÈRE, PAR LES PRÉSENTES, au Province of Alberta Treasury Branches (ci-après «Treasury Branches»), moyennant contrepartie, la totalité des créances, des demandes de paiement et des droits incorporels, échus ou à échoir, ainsi que tous les jugements et garanties au titre desdites créances, demandes de paiement et droits incorporels, ainsi que tous les autres droits et avantages y relatifs dont la soussignée est ou peut devenir titulaire.

84 On a fait remarquer dans la décision Banque Royale du Canada c. R., à la p. 202, qu'il peut exister une distinction entre une cession absolue et une cession qui prévoit que, en cas de défaut et d'omission de remédier à ce défaut, la banque peut disposer des créances comptables sans autre préavis. Pareille formulation semble loin de constituer une cession absolue et crée en faveur de l'établissement de crédit un droit réel sur les créances comptables, dont il ne devient propriétaire que s'il n'est pas remédié au défaut.

85 Bien que nous n'ayons pas à trancher la question en l'espèce, il semble qu'une telle cession ne transfère pas la propriété à l'établissement de crédit et que, par conséquent, l'établissement de crédit soit un créancier garanti au sens du par. 224(1.3), tout au moins avant qu'il y ait défaut de la part du cédant. Ce genre de condition ne se trouve dans aucun des écrits en cause dans les présents pourvois, qui sont tous constitutifs de cessions inconditionnelles et absolues.

86 De plus, au moins un des écrits prévoit que le cédant est fiduciaire des créances comptables détenues par l'établissement de crédit. Dans la décision Banque Royale du Canada c. R., le juge Muldoon a conclu que le fait que le cédant soit dans la position d'un fiduciaire constitue un autre indice que la cession transfère la propriété au cessionnaire. L'acte de cession conclu entre Bodor et la Banque Toronto‑Dominion prévoit:

[traduction] IL EST DÉCLARÉ ET CONVENU, PAR LES PRÉSENTES, que toutes les sommes touchées par le cédant en paiement de créances, demandes de paiement et droits incorporels [. . .] sont reçues et détenues en fiducie par le cédant pour le compte de la banque.

87 Il y a lieu de souligner que le fait que la cession générale de créances comptables soit qualifiée de «garantie accessoire et permanente» dans deux des écrits n'en change pas le caractère absolu. Dans les affaires Evans Coleman et Lettner, l'acte de cession générale de créances comptables précisait qu'elle constituerait une garantie accessoire et permanente et, dans les deux cas, les tribunaux ont statué que cette qualification ne changeait en rien le caractère absolu de la cession.

88 Devant la Cour d'appel de l'Alberta, le MRN a soutenu que, même si le titre de propriété était transféré au cessionnaire par la cession générale de créances comptables, le débiteur fiscal cédant conservait un droit d'equity tenant d'un droit de rachat, qui suffisait pour que les créances comptables demeurent le «bien» du débiteur fiscal.

89 Le juge Côté a répondu à cet argument que le droit de rachat, que le débiteur fiscal possède en théorie, ne peut être exercé en pratique, sauf sur demande présentée à un tribunal d'equity. Un tribunal ne ferait droit à une telle demande que dans le cas où la valeur des créances comptables excéderait celle des prêts garantis par ces créances. Le juge Côté a conclu qu'il n'existe pas de véritable droit de rachat dans des cas comme en l'espèce où la valeur des prêts est supérieure à celle des créances comptables. Il a aussi conclu que le débiteur fiscal ne possède qu'un droit de rachat et que le MRN n'a pas revendiqué ce droit.

90 Je suis d'accord avec le juge Côté pour dire que le débiteur fiscal conserve un droit de rachat lorsqu'il cède ses créances comptables. Halsbury's Laws of England (4e éd. 1980), vol. 32, au par. 401, définit le mortgage comme étant [traduction] «l'aliénation d'un bien à titre de garantie d'une dette» qui «peut se faire [. . .] par la cession d'un droit incorporel» comme une créance comptable. Au paragraphe 407, Halsbury's affirme aussi:

[traduction] Le droit de rachat du débiteur sur mortgage se rattache à tout mortgage; c'est son droit de rachat [. . .] Ce droit découle de l'opération considérée comme un simple prêt garanti par un nantissement de patrimoine.

Donc, à première vue, un cédant de créances comptables conserve un droit d'equity de racheter la cession en question une fois qu'il a acquitté entièrement la dette garantie par les créances comptables.

91 Je conviens également avec le juge Côté que, dans le contexte des présents pourvois, le fait qu'un débiteur fiscal possède, en principe, un droit de racheter ses créances comptables n'a qu'un intérêt purement théorique puisque, selon les faits, la valeur des prêts garantis par les créances comptables excède de beaucoup celle des créances elles-mêmes. En conséquence, le droit de rachat des débiteurs fiscaux ne leur est d'aucune utilité. Bien que ce droit existe en théorie, il ne peut être exercé en pratique.

92 L'appelant le MRN soutient cependant que le juge Côté a commis une erreur en se concentrant sur la question de savoir si la valeur des prêts excédait celle des créances comptables. Il souligne que si la valeur relative du prêt et de la garantie est le seul facteur pertinent, alors un débiteur fiscal qui exploite son entreprise au moyen d'une marge de crédit renouvelable garantie par une cession de créances comptables (une pratique commerciale courante) pourrait être un créancier garanti une journée, mais ne pas l'être le lendemain, selon la valeur relative des sommes recouvrables et de la marge de crédit de son entreprise.

93 À l'instar du MRN, je me demande si la valeur relative du prêt et des créances comptables n'est pas le seul facteur qui détermine si le droit de rachat du cédant a fait des créances comptables un «bien» lui appartenant.

94 En droit, le cessionnaire devient propriétaire des créances comptables visées par une cession absolue. Ces créances comptables demeurent la propriété du cessionnaire jusqu'à ce que le cédant exerce le droit de rachat qui lui est reconnu en equity. Pour que le droit de rachat puisse être exercé, les prêts garantis par la cession doivent avoir été payés en totalité, en plus des intérêts courus et des frais.

95 En toute déférence, toutefois, même si la valeur de la garantie doit nécessairement être supérieure à celle du prêt pour que puisse être exercé le droit de rachat, le respect de cette condition préalable n'est pas suffisant pour que le cédant redevienne propriétaire des créances comptables. Le cédant doit aussi choisir d'exercer ce droit de rachat et mettre ainsi fin à la convention de prêt avec l'établissement de crédit.

96 Au départ, le droit de rachat n'est qu'une façon de reconnaître que la cession des créances au créancier, quoique immédiate et absolue, ne vise qu'une fin limitée. En equity, le créancier ne peut s'enrichir sans cause en réalisant des garanties d'une valeur supérieure à celle du prêt garanti. La valeur de la garantie peut toujours excéder la valeur du prêt, mais lorsque la relation entre le prêteur et l'emprunteur prend fin, le cédant de la garantie a droit, en equity, à une reddition de compte.

97 Pour déterminer si les créances comptables cédées constituent le «bien» du cédant ou celui du cessionnaire, la cour doit choisir entre deux définitions opposées de ce terme. Ainsi, un bien peut être le titre de propriété immédiat relatif à ce qui a été cédé, ou un droit éventuel, exécutoire en equity seulement, de racheter le bien qui a été cédé à une autre personne pourvu que les conditions du prêt aient été respectées.

98 Dans l'affaire Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, on a statué que les termes de la Loi de l'impôt sur le revenu doivent être interprétés selon leur sens ordinaire. Le terme «bien» s'entend ordinairement d'un titre de propriété et non d'un droit futur éventuel, reconnu en equity, de racheter un bien qu'une personne ne détient pas pour l'instant. L'expression «droit de rachat» elle‑même fait ressortir le fait que le bien n'est pas actuellement détenu par le cédant, mais qu'il existe plutôt un droit restreint de racheter ce bien à une date ultérieure.

99 L'essentiel de l'argumentation du MRN devant notre Cour figure au par. 45 de son mémoire, où il affirme que, dans le cas où il y a transfert du titre de propriété, l'expression [traduction] «bien d'une autre personne» doit être interprétée comme signifiant «bien qui, en l'absence de la garantie, est le bien de la personne qui donne la garantie».

100 Cette proposition va à l'encontre de la jurisprudence canadienne traditionnelle qui veut que les termes d'une loi fiscale soient interprétés restrictivement selon leur sens ordinaire et qu'il ne faille tenir compte de l'intention du législateur qu'en cas d'ambiguïté véritable.

101 Dans les circonstances des présents pourvois, il convient d'interpréter restrictivement la loi fiscale. Comme l'a fait remarquer le juge Hunt, à la p. 361, ces pourvois soulèvent non seulement le principe traditionnel d'interprétation fiscale selon lequel toute ambiguïté doit jouer en faveur du contribuable (Johns‑Manville Canada Inc. c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 46, à la p. 72), mais aussi le principe bien connu qu'il existe, en l'absence de termes clairs et non équivoques, une présomption que les droits de propriété d'une personne ne peuvent lui être retirés sans qu'elle soit indemnisée.

102 Dans le contexte de présents pourvois, l'interprétation de l'art. 224, préconisée par le MRN, aurait pour effet d'exproprier des biens auxquels le prêteur a légalement droit en vertu du contrat de garantie qu'il a conclu avec le débiteur fiscal. Les impôts qui seraient saisis‑arrêtés et prélevés auprès de l'établissement de crédit sont non pas des impôts dus par le prêteur, mais bien des impôts dus par son débiteur.

103 Les établissements de crédit sont des tiers innocents dont les droits de propriété feraient l'objet d'une expropriation en vertu de l'art. 224, et il faut donc interpréter strictement cette disposition afin de déterminer si l'expropriation est prévue de manière claire et non équivoque.

104 Cependant, il n'est pas nécessaire de recourir à une interprétation stricte pour résoudre les présents pourvois. En l'espèce, le sens ordinaire de l'expression «bien d'une autre personne» est le bien maintenant détenu par une autre personne. Cette interprétation dégage un sens des mots sans rien introduire dans la Loi et respecte le principe d'interprétation reconnu selon lequel la loi est censée parler au présent.

105 L'un des principes cardinaux de l'analyse fondée sur le sens ordinaire est qu'il ne faut rien introduire dans une disposition, sauf si l'on ne peut en dégager de sens sans y ajouter des mots. Le sens ordinaire des termes employés dans la Loi n'a aucun rapport avec l'interprétation forcée que préconise le MRN, savoir qu'il s'agit d'un [traduction] «bien qui, en l'absence de garantie, est le bien de la personne qui donne la garantie».

106 En plus de contrevenir au principe qu'il ne faut pas ajouter des mots à une disposition, sauf s'il est absolument nécessaire de le faire, l'interprétation proposée tente d'introduire des termes explicitement utilisés dans une autre partie de la même disposition. L'alinéa 224(1.2)b) s'applique à «un créancier garanti, à savoir une personne qui, grâce à une garantie en sa faveur, a le droit de recevoir la somme autrement payable au débiteur fiscal». Les mots que j'ai soulignés ont un effet identique à celui des termes que le MRN cherche à introduire dans la définition de «créancier garanti».

107 L'utilisation d'une expression particulière dans d'autres parties de la Loi de l'impôt sur le revenu milite contre son introduction dans une disposition où elle ne figure pas, à plus forte raison lorsque l'expression se trouve dans la même disposition que le libellé contesté et que la disposition en question a été modifiée à deux reprises au cours de la dernière décennie.

108 Si le Parlement avait voulu que le par. 224(1.2) s'applique à toutes les personnes qui détiennent une garantie, il aurait pu préciser que l'expression «créancier garanti» désigne une personne qui détient une garantie, sans y ajouter la restriction «sur un bien d'une autre personne». Subsidiairement, il aurait pu parler explicitement d'«un bien qui, en l'absence d'une garantie en faveur du créancier garanti, serait le bien d'une autre personne», reprenant ainsi la terminologie que l'on trouve dans le reste de la disposition.

109 Malgré deux modifications récentes apportées à cette disposition, le Parlement a choisi de ne pas définir l'expression «créancier garanti» de la façon proposée par l'appelant le MRN. Introduire dans la disposition les termes proposés par le MRN constituerait une usurpation injustifiée de la fonction législative par le pouvoir judiciaire. La seule conclusion qui peut être dégagée du sens ordinaire des termes utilisés dans la Loi est que le Parlement n'a pas voulu que les créanciers qui étaient en réalité propriétaires du titre de garantie soient visés par cette disposition.

110 Je conclus qu'il est possible de trancher les présents pourvois sans avoir recours à des principes d'interprétation particuliers en raison du caractère expropriateur de cette disposition particulière.

111 Si ma conclusion était erronée et si le sens du terme «bien» était ambigu, je conclurais alors que l'effet spécifique de cette disposition justifie que toute ambiguïté soit strictement résolue en faveur des intimés. Dans un tel cas, il faut interpréter le terme «bien» comme signifiant le titre de propriété actuel plutôt qu'un droit futur éventuel, reconnu en equity, de racheter un bien qu'on ne détient pas actuellement. Il faut également éviter de considérer, sans raison, que la définition de «créancier garanti» inclut des termes explicitement utilisés dans une autre partie de la disposition.

112 En résumé, les présents pourvois devraient être tranchés de la façon suivante:

1.La définition du terme «garantie» est suffisamment large pour comprendre une cession générale de créances comptables même s'il s'agit d'une cession absolue.

2.Le libellé du par. 224(1.2), modifié en 1990, est suffisamment clair et net pour permettre de transférer au MRN la propriété des fonds saisis‑arrêtés et lui accorder la priorité dans les circonstances où le reste de la disposition s'applique.

3.Le cessionnaire d'une cession absolue de créances comptables n'est pas un «créancier garanti» au sens du par. 224(1.3), parce qu'il ne détient pas une garantie «sur un bien d'une autre personne».

4.En conséquence, le par. 224(1.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu et le par. 317(3) de la Loi sur la taxe d'accise n'ont pas pour effet d'accorder à l'appelant le MRN un droit ou la priorité sur les créances du cessionnaire d'une cession générale de créances comptables.

IV. Dispositif

113 Les trois pourvois devraient être rejetés avec dépens en faveur des intimés.

Pourvois accueillis avec dépens, les juges Iacobucci et Major sont dissidents.

Procureur de l'appelante: Le sous‑procureur général du Canada, Ottawa.

Procureurs de l'intimé le Province of Alberta Treasury Branches: Bruni Greenan Klym, Calgary; Parlee McLaws, Calgary.

Procureurs de l'intimée la Banque Toronto‑Dominion: Howard, Mackie, Calgary.


Sens de l'arrêt : Les pourvois sont accueillis

Analyses

Droit fiscal - Impôt sur le revenu - Taxe sur les produits et services - Saisie‑arrêt - Lois relatives à l'impôt sur le revenu et à la TPS prescrivant une procédure de saisie‑arrêt permettant au ministre du Revenu national d'intercepter des sommes dues à des débiteurs fiscaux - Les dispositions en cause confèrent‑elles au Ministre la priorité de rang sur les créanciers ayant obtenu d'un débiteur fiscal une cession générale de créances comptables? - Sens de l'expression «créancier garanti» - Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63, art. 224(1.2), (1.3) - Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E‑15, art. 317(3), (4).

Faillite - Priorités - Cession générale de créances comptables - Lois relatives à l'impôt sur le revenu et à la TPS prescrivant une procédure de saisie‑arrêt permettant au ministre du Revenu national d'intercepter des sommes dues à des débiteurs fiscaux - Les dispositions en cause confèrent‑elles au Ministre la priorité de rang sur les créanciers ayant obtenu d'un débiteur fiscal une cession générale de créances comptables?.

La première affaire en cause dans les présents pourvois découle d'un prêt qui a été consenti à une société hôtelière par l'intimé l'Alberta Treasury Branches, et qui était garanti en partie par une cession générale de créances comptables. La société hôtelière accusait des arriérés au titre de la TPS non versée au ministre du Revenu national («MRN»), plus intérêts et pénalité. Le MRN a signifié à tous les débiteurs possibles de la société hôtelière une demande de paiement fondée sur le par. 317(3) de la Loi sur la taxe d'accise («LTA»). Cette disposition prescrit une procédure de saisie‑arrêt qui, dans certaines circonstances, permet au MRN d'intercepter des sommes dues à un débiteur fiscal. Elle s'applique à un «créancier garanti», qui est défini comme une «[p]ersonne qui a une garantie sur un bien d'une autre personne». Après que la société hôtelière eut fait cession de ses biens en vertu de la Loi sur la faillite, le syndic a estimé que la réalisation de l'actif de la faillite ne suffirait pas à payer entièrement l'Alberta Treasury Branches. À la suite d'une demande visant à établir l'ordre de priorité, la Cour du Banc de la Reine a statué que le MRN avait priorité en vertu des dispositions de la LTA. Dans la deuxième affaire, une société d'excavation avait emprunté des sommes à l'Alberta Treasury Branches et lui avait consenti une cession générale de créances comptables. Après l'achèvement de certains travaux par la société, le client a retenu des fonds qui étaient réclamés par différents créanciers de la société, dont le MRN à qui la société devait des arriérés de retenues à la source, plus intérêts et pénalité. Le MRN a signifié au client deux demandes de paiement fondées sur le par. 224(1.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu («LIR»), qui prescrit une procédure de saisie‑arrêt identique à celle prévue dans la LTA. À la suite d'une demande visant à établir l'ordre de priorité relativement aux sommes en cause, le protonotaire a décidé que l'Alberta Treasury Branches avait priorité en vertu de sa cession générale de créances comptables. Cette décision a été confirmée en appel. Dans la troisième affaire, une société de forage avait contracté auprès de la banque intimée un emprunt qui était garanti en partie par une cession générale de créances comptables. La société devait au MRN une somme au titre de la TPS non versée, plus intérêts et pénalité. Le MRN a signifié aux débiteurs commerciaux de la société des demandes de paiement fondées sur le par. 317(3) LTA. Un autre des créanciers de la société a présenté avec succès une pétition en faillite contre celle-ci. À la suite d'une demande visant à établir l'ordre de priorité, la Cour du Banc de la Reine a statué que le MRN avait priorité en vertu des dispositions de la LTA. Dans les trois cas, la Cour d'appel a statué que l'établissement de crédit avait priorité sur le MRN.

Arrêt (les juges Iacobucci et Major sont dissidents): Les pourvois sont accueillis.

Les juges La Forest, Cory et McLachlin: La définition du terme «garantie» est suffisamment large pour comprendre une cession générale de créances comptables, et le libellé des par. 224(1.2) LIR et 317(3) LTA est suffisamment clair et net pour permettre de transférer au MRN la propriété des fonds saisis‑arrêtés et lui accorder la priorité dans les circonstances où le reste de la disposition s'applique. De plus, le titulaire d'une cession générale de créances comptables est un «créancier garanti» au sens du par. 224(1.3) LIR ou du par. 317(3) LTA, parce que celui‑ci détient une garantie «sur un bien d'une autre personne». Chaque cession de créances comptables consentie en l'espèce prévoit qu'elle constituera une «garantie accessoire et permanente». En outre, toutes les cessions limitent la dette au montant de la créance impayée. En conséquence, si le prêt garanti par la cession générale de créances comptables était remboursé, l'établissement de crédit n'aurait plus aucun autre droit sur la cession. Puisque l'acte de cession prévoit que la cession peut être rachetée par le paiement de la créance, celle‑ci ne devrait pas être interprétée comme une cession absolue. Ni les établissements de crédit ni les sociétés débitrices n'ont agi de façon à indiquer que les établissements étaient propriétaires des créances comptables. Les établissements de crédit n'ont nullement cherché à réaliser les créances comptables ou à se comporter, de quelque manière que ce soit, comme «propriétaires» de ces créances jusqu'à ce que les sociétés débitrices soient de toute évidence en grave difficulté financière, pour ne pas dire en faillite. Le texte des documents et les actions des parties indiquent qu'elles considéraient que la cession avait été consentie à titre de garantie accessoire relativement aux créances. Dans la mesure où il existe une possibilité de rachat, la cession générale de créances comptables demeure une garantie accessoire.

Lorsqu'il n'y a aucun doute quant au sens d'une mesure législative ni aucune ambiguïté quant à son application aux faits, elle doit être appliquée indépendamment de son objet. Cependant, l'historique même de la présente affaire, conjugué aux divergences évidentes d'opinions entre les juges de première instance et la Cour d'appel, révèle que, pour des juristes doués et expérimentés, ni le sens de la mesure législative ni son application aux faits ne sont clairs. Même si l'ambiguïté n'était pas apparente, il importe de signaler qu'il convient toujours d'examiner l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur pour déterminer le sens manifeste et ordinaire de la loi en cause. Le Parlement voulait confirmer le droit prépondérant du MRN de recouvrer par voie de saisie‑arrêt les impôts perçus que la société débitrice aurait dû lui verser. On pourrait dire que les montants ainsi perçus appartiennent non pas aux entités débitrices qui les perçoivent, mais au gouvernement. Dans ces circonstances, on ne saurait dire que la priorité accordée au MRN en matière de recouvrement de ces fonds constitue une expropriation sans indemnisation.

Le même écrit ne saurait constituer à la fois une «garantie» et une «cession absolue». Si un écrit constitue une cession absolue, le débiteur ne peut alors conserver un droit résiduel de recouvrer les biens puisqu'une telle cession est complète et parfaite en soi. Conformément aux écrits présentés en l'espèce, l'emprunteur conserve le droit de racheter les créances comptables une fois la dette payée. Ce droit de rachat démontre de façon irréfutable que la cession n'est pas absolue. Une cession générale de créances comptables représente une garantie dont le titre en common law appartient au prêteur et le titre en equity continue d'appartenir à l'emprunteur. Cette conclusion est étayée par l'art. 63 de la Personal Property Security Act de l'Alberta, qui prévoit les cas où il y a extinction du droit de rachat de biens meubles, y compris des créances comptables. Il y aurait de graves répercussions à conclure qu'une cession générale de créances comptables donne lieu, en raison de son caractère absolu, à un transfert de propriété, au lieu de constituer une garantie accessoire pour le paiement d'une créance. Il pourrait en résulter une modification de l'ordre de priorité prévu par la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi sur les sociétés par actions. De plus, cela pourrait permettre à un débiteur sans scrupule, encouragé sciemment ou à son insu par une société créancière, d'organiser ses affaires de façon à léser de nombreux autres créanciers de bonne foi.

Le juge Major (dissident): Une cession générale de créances comptables est visée par la définition du terme «garantie» au par. 224(1.3) LIR. L'expression «cessions [. . .] quelle qu'en soit la nature» est suffisamment générale pour inclure les cessions absolues de créances comptables visées dans les présents pourvois. Cependant, les établissements de crédit ne sont pas des «créanciers garantis» parce qu'ils ne détiennent pas une garantie «sur un bien d'une autre personne». Une cession transfère le titre de propriété et c'est donc l'établissement de crédit et non le débiteur fiscal qui a la propriété des créances comptables. Dans chacune des trois affaires ici en cause, le libellé de l'acte de cession établit clairement que la cession est immédiate et absolue. Le fait que la cession générale de créances comptables soit qualifiée de «garantie accessoire et permanente» dans les écrits n'en change pas le caractère absolu. Bien que le débiteur fiscal conserve un droit de rachat lorsqu'il cède ses créances comptables, la valeur des prêts garantis, en l'espèce, par les créances comptables excède de beaucoup celle des créances elles‑mêmes et, ainsi, le droit de rachat n'est d'aucune utilité. De plus, le cessionnaire devient propriétaire des créances comptables visées par une cession absolue, et ces créances comptables demeurent sa propriété jusqu'à ce que le cédant exerce le droit de rachat qui lui est reconnu en equity. Pour déterminer si les créances comptables cédées constituent le «bien» du cédant ou celui du cessionnaire, la cour doit donner à ce terme son sens ordinaire. Le terme «bien» s'entend ordinairement d'un titre de propriété et non d'un droit futur éventuel, reconnu en equity, de racheter un bien qu'une personne ne détient pas pour l'instant. Dans les circonstances des présents pourvois, il convient d'interpréter restrictivement la loi fiscale. Il existe, en l'absence de termes clairs et non équivoques, une présomption que les droits de propriété d'une personne ne peuvent lui être retirés sans qu'elle soit indemnisée. Dans le contexte des présents pourvois, l'interprétation préconisée par le MRN aurait pour effet d'exproprier des biens auxquels le prêteur a légalement droit en vertu du contrat de garantie qu'il a conclu avec le débiteur fiscal. Le sens ordinaire des termes employés dans la Loi n'a aucun rapport avec l'interprétation forcée consistant à dire qu'il s'agit, en l'absence de garantie, du bien d'une autre personne. En plus de contrevenir au principe qu'il ne faut pas ajouter des mots à une disposition, sauf s'il est absolument nécessaire de le faire, l'interprétation proposée tente d'introduire des termes explicitement utilisés dans une autre partie de la même disposition. Si le sens du terme «bien» est ambigu, l'effet spécifique de cette disposition justifie alors que toute ambiguïté soit strictement résolue en faveur des établissements de crédit intimés.

Le juge Iacobucci (dissident): Bien que les principes généraux d'interprétation législative exposés par le juge Cory aient été acceptés, les cessions générales de créances comptables consenties en l'espèce équivalaient à un transfert absolu de propriété, comme l'a conclu le juge Major.


Parties
Demandeurs : Alberta (Treasury Branches)
Défendeurs : M.R.N.; Banque Toronto-Dominion

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Arrêts mentionnés: Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103
Pembina on the Red Development Corp. c. Triman Industries Ltd., [1991] 6 W.W.R. 481
Thermo King Corp. c. Provincial Bank of Canada (1981), 34 O.R. (2d) 369, autorisation de pourvoi refusée, [1982] 1 R.C.S. xi
Bonavista (Town) c. Atlantic Technologists Ltd. (1994), 117 Nfld. & P.E.I.R. 19
Bank of Montreal c. Baird (1979), 33 C.B.R. (N.S.) 256, autorisation de pourvoi refusée, [1980] 1 R.C.S. v
R.V. Demmings & Co. c. Caldwell Construction Co. (1955), 4 D.L.R. (2d) 465
R. in Right of B.C. c. F.B.D.B. (1987), 17 B.C.L.R. (2d) 273
Evans Coleman and Evans Ltd. c. R.A. Nelson Construction Ltd. (1958), 27 W.W.R. 38
Banque fédérale de développement c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 1061
Canada c. Banque Nationale du Canada, [1993] 2 C.F. 206
TransGas Ltd. c. Mid‑Plains Contractors Ltd. (1993), 101 D.L.R. (4th) 238, conf. par [1994] 3 R.C.S. 753
Berg c. Parker Pacific Equipment Sales, [1991] 1 C.T.C. 442
Lundrigans Ltd. (Receivership) c. Bank of Montreal (1993), 110 Nfld. & P.E.I.R. 91.
Citée par le juge Major (dissident)
Banque Royale du Canada c. R. (1984), 52 C.B.R. (N.S.) 198, conf. par (1986), 60 C.B.R. (N.S.) 125
Lloyds Bank of Canada c. International Warranty Co. (1989), 68 Alta. L.R. (2d) 356, inf. (1989), 64 Alta. L.R. (2d) 340
Re Lamarre
University of Calgary c. Morrison, [1978] 2 W.W.R. 465
Attorney General of Canada c. Royal Bank of Canada, [1979] 1 W.W.R. 479, conf. (1977), 25 C.B.R. (N.S.) 233
Pembina on the Red Development Corp. c. Triman Industries Ltd., [1991] 6 W.W.R. 481
Concorde International Travel Inc. c. T.I. Travel Services (B.C.) Inc. (1990), 72 D.L.R. (4th) 405
Royal Bank of Canada c. Saskatchewan Power Corp., [1991] 1 W.W.R. 1, conf. [1990] 2 W.W.R. 655
Touche Ross Ltd. c. M.N.R. (1990), 71 D.L.R. (4th) 648
Evans Coleman and Evans Ltd. c. R.A. Nelson Construction Ltd. (1958), 27 W.W.R. 38
Lettner c. Pioneer Truck Equipment Ltd. (1964), 47 W.W.R. 343
Banque Toronto‑Dominion c. Ministre du Revenu national (1990), 39 F.T.R. 102
Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103
Johns‑Manville Canada Inc. c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 46.
Lois et règlements cités
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63, art. 153, 224(1) [abr. & rempl. 1980‑81‑82‑83, ch. 140, art. 121], (1.2) [aj. 1987, ch. 46, art. 66
mod. 1990, ch. 34, art. 1], (1.3) [aj. 1987, ch. 46, art. 66].
Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B‑3 [mod. 1992, ch. 27] (auparavant Loi sur la faillite).
Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E‑15, art. 317(3), (4) [aj. 1990, ch. 45, art. 12].
Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C‑36.
Loi sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C‑44.
Personal Property Security Act, S.A. 1988, ch. P‑4.05, art. 62, 63.
Doctrine citée
Black's Law Dictionary, 6th ed. St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1990.
Burgess, Robert. Corporate Finance Law, 2nd ed. London: Sweet & Maxwell, 1992.
Halsbury's Laws of England, vol. 32, 4th ed. London: Butterworths, 1980.
Pearce, Robert A. «Fixed Charges over Book Debts», [1987] J. Bus. L. 18.

Proposition de citation de la décision: Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N.; Banque Toronto-Dominion c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963 (25 avril 1996)


Origine de la décision
Date de la décision : 25/04/1996
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1996] 1 R.C.S. 963 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1996-04-25;.1996..1.r.c.s..963 ?
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