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03/10/1996 | CANADA | N°[1996]_3_R.C.S._268

Canada | Augustus c. Gosset, [1996] 3 R.C.S. 268 (3 octobre 1996)


Augustus c. Gosset, [1996] 3 R.C.S. 268

Gloria Augustus Appelante

c.

Communauté urbaine de Montréal Intimée

et

Allan Gosset Intimé

et

Orberth Griffin Mis en cause

Répertorié: Augustus c. Gosset

No du greffe: 24607.

1996: 10 juin; 1996: 3 octobre.

Présents: Les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [1995] R.J.Q. 335, 68 Q.A.C. 127, 27 C.C.L.T. (2d) 161, qui a infirmé en p

artie un jugement de la Cour supérieure, [1990] R.J.Q. 2641. Pourvoi accueilli en partie.

James Murphy, Patrice Deslauriers et Reevin Pearl, pou...

Augustus c. Gosset, [1996] 3 R.C.S. 268

Gloria Augustus Appelante

c.

Communauté urbaine de Montréal Intimée

et

Allan Gosset Intimé

et

Orberth Griffin Mis en cause

Répertorié: Augustus c. Gosset

No du greffe: 24607.

1996: 10 juin; 1996: 3 octobre.

Présents: Les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [1995] R.J.Q. 335, 68 Q.A.C. 127, 27 C.C.L.T. (2d) 161, qui a infirmé en partie un jugement de la Cour supérieure, [1990] R.J.Q. 2641. Pourvoi accueilli en partie.

James Murphy, Patrice Deslauriers et Reevin Pearl, pour l’appelante.

François Poliquin et Pierre‑Yves Boisvert, pour l’intimée la Communauté urbaine de Montréal.

Mario Létourneau et Janine Kean, pour l’intimé Gosset.

//Le juge L’Heureux-Dubé//

Le jugement de la Cour a été rendu par

1 Le juge L’Heureux-Dubé -- Cette affaire origine du décès d’un jeune homme de 19 ans de race noire causé par le coup de feu d’un policier. Il s’agit de déterminer si la mère de la victime peut obtenir des dommages compensatoires à titre de solatium doloris en vertu des art. 1053 et 1056 du Code civil du Bas Canada («C.c.B.C.») et, à titre d’héritière, des dommages pour la perte de vie ou la perte d’expectative de vie de son fils en vertu des art. 1 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (la «Charte»). La Cour doit aussi décider si, à la lumière des principes dégagés dans l’arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, rendu concurremment avec le présent, l’octroi de dommages exemplaires en vertu du deuxième alinéa de l’art. 49 de la Charte est approprié dans les circonstances de l’espèce.

I. Les faits

2 Le 11 novembre 1987, vers 5 h 30, Anthony Griffin prend un taxi dont il refuse de payer les frais une fois arrivé à destination. Vers 6 h 30, à la suite d’un appel du chauffeur de taxi, l’intimé Allan Gosset, agent de police au service de l’intimée Communauté urbaine de Montréal («CUM»), et le constable Kimberley Campbell sont dépêchés sur les lieux. Requis par l’intimé Gosset de s’identifier, le suspect répond qu’il s’appelle Tony Bowers. Après vérification auprès de la centrale qui révèle la tromperie, l’intimé Gosset le fouille et trouve un papier portant le nom d’Anthony Griffin. Une seconde vérification lui apprend que ce dernier est recherché et qu’un mandat a été émis contre lui. L’intimé Gosset procède donc à l’arrestation d’Anthony, déjà assis sur le siège arrière de la voiture de police, sans toutefois lui passer les menottes ni le fouiller davantage.

3 Vers 7 h, la voiture de police quitte les lieux pour se rendre au poste de police. Arrivé à destination, l’intimé Gosset, qui était assis du côté du passager, descend de la voiture et ouvre la portière à Anthony. Ce dernier en descend et se met alors à courir. L’intimé Gosset se lance à sa poursuite tout en dégainant son revolver et ordonne à Anthony de s’arrêter en lui criant une première fois [traduction] «Arrête». Anthony s’arrête immédiatement et se retourne pour faire face à l’intimé Gosset, en se balançant d’une jambe à l’autre, sans s’immobiliser complètement. L’intimé crie une seconde fois «Arrête», puis, tout en pointant son revolver vers Anthony, crie [traduction] «Arrête ou je tire». À cet instant, un coup de feu atteint Anthony à la tête. La victime est transportée à l’Hôpital Général Juif, où elle n’a jamais repris conscience, et décède à 11 h 45 le même jour. Une poursuite criminelle est intentée et, après que notre Cour se fut prononcée (R. c. Gosset, [1993] 3 R.C.S. 76), l’intimé Gosset est finalement acquitté.

4 La mère d’Anthony, l’appelante Gloria Augustus, intente une action en responsabilité civile contre les intimés Gosset et CUM et leur réclame 858 591 $ à titre de dommages compensatoires et exemplaires pour le décès de son fils. Le père d’Anthony, le mis en cause Orberth Griffin, intervient à l’action et réclame, quant à lui, 760 000 $ des intimés.

5 Lors du procès, l’appelante présente une requête pour amender sa déclaration, notamment afin de lui permettre de réclamer des dommages pour atteinte à ses droits parentaux (right of parenthood) en vertu de la Charte. Cette demande est rejetée par jugement interlocutoire en date du 22 mai 1990.

6 Le 20 juillet 1990, la Cour supérieure du Québec accueille en partie l’action de l’appelante: [1990] R.J.Q. 2641. Les intimés Gosset et CUM sont condamnés conjointement et solidairement à payer 10 795 $ et 3 795 $ à l’appelante et au mis en cause respectivement, à titre de dommages compensatoires. Quant aux dommages exemplaires, seul l’intimé Gosset est condamné à verser 4 000 $ à chacun des parents de la victime.

7 Toutes les parties, à l’exception de la CUM, interjettent appel de cette décision. Le 13 janvier 1995, la Cour d’appel du Québec rend trois jugements: elle rejette l’appel du père de la victime et, à la majorité, accueille en partie l’appel de l’appelante et accueille l’appel de l’intimé Gosset (les motifs majoritaires étant rédigés en anglais et en français respectivement): [1995] R.J.Q. 335, 68 Q.A.C. 127, 27 C.C.L.T. (2d) 161. La majorité condamne les intimés Gosset et CUM à payer à l’appelante 16 795 $ à titre de dommages compensatoires, dont 15 000 $ sous le chef de solatium doloris, mais refuse de reconnaître une atteinte à ses droits parentaux ainsi que de la compenser, à titre d’héritière, pour la perte d’expectative de vie de même que pour l’atteinte au droit à la vie et à la sûreté de son fils. De plus, la cour, toujours à la majorité, refuse de condamner l’intimé Gosset au versement de quelque montant que ce soit à titre de dommages exemplaires et infirme la décision de la Cour supérieure à cet égard. C’est contre ce jugement que l’appelante se pourvoit, le père de la victime n’en ayant pas appelé devant nous.

II. Les dispositions législatives pertinentes

8 La possibilité de réclamer, au Québec, des dommages compensatoires pour solatium doloris met en cause les art. 1053 et 1056 C.c.B.C. Ces articles, que maintenant seul l’art. 1457 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, remplace, prévoient:

1053. Toute personne capable de discerner le bien du mal, est responsable du dommage causé par sa faute à autrui, soit par son fait, soit par imprudence, négligence ou inhabileté.

1056. Dans tous les cas où la partie contre qui le délit ou quasi-délit a été commis décède en conséquence, sans avoir obtenu indemnité ou satisfaction, son conjoint, ses ascendants et ses descendants ont, pendant l’année seulement à compter du décès, droit de poursuivre celui qui en est l’auteur ou ses représentants, pour les dommages-intérêts résultant de tel décès.

9 La reconnaissance de droits parentaux, quant à elle, prendrait sa source notamment à l’art. 39 de la Charte, qui prévoit:

39. Tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l’attention que ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu peuvent lui donner.

10 Finalement, les questions relatives à l’indemnisation pour perte de vie ou perte d’expectative de vie ainsi qu’à l’octroi de dommages exemplaires touchent aux art. 1 et 49 de la Charte, qui se lisent ainsi:

1. Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne.

Il possède également la personnalité juridique.

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages exemplaires.

III. Les jugements

La Cour supérieure

11 Après une revue de la preuve, et plus particulièrement du témoignage du constable Kimberley Campbell quant aux événements qui ont immédiatement précédé le coup de feu, le juge Guthrie conclut que l’intimé Gosset, en pointant son arme avec le doigt sur la gâchette pendant qu’il courait, a été négligent et que cette négligence a été la cause directe du décès de la victime. Un tel recours à la force, selon lui, n’était ni nécessaire ni justifié dans les circonstances. À cet égard, cependant, le juge considère que les allégations de discrimination raciale ne sont pas soutenues par la preuve. Par conséquent, la CUM ayant admis sa responsabilité à titre d’employeur pour la négligence de l’intimé Gosset, le juge les déclare conjointement et solidairement responsables pour dommages compensatoires en vertu des art. 1053 et 1054 C.c.B.C.

12 En ce qui a trait au quantum des dommages compensatoires, le juge de première instance rejette la réclamation de l’appelante relative au solatium doloris en vertu des art. 1053 et 1056 C.c.B.C. Selon lui, ce chef de dommages n’est pas compensable au Québec. De même, il refuse d’indemniser l’appelante, à titre d’héritière, pour la perte d’expectative de vie ainsi que les souffrances de son fils qui, à la lumière de la preuve, n’en aurait pas eu conscience. Par contre, le juge du procès conclut que l’appelante doit recevoir 9 000 $ pour perte de soutien moral et perte de soutien financier. À cet égard, il note que Anthony, âgé de 19 ans, ne vivait plus avec l’appelante dont il était le seul enfant. De plus, à la lumière des démêlés de la victime avec la justice ainsi que le fait qu’il ne détenait alors ni diplôme ni emploi connu, le juge estime qu’un soutien financier de sa part eût été peu probable. Quant au père de la victime, n’ayant eu aucun contact avec son fils de 1972 à 1985 après qu’il eut quitté l’appelante et jusqu’à ce qu’Anthony ait lui-même entrepris, à deux reprises, des démarches afin de lui rendre visite, le juge fixe l’indemnité à 2 000 $. Finalement, les frais funéraires sont accordés à raison de 1 795 $ à chacun des parents de la victime.

13 Par ailleurs, il est fait droit à la réclamation pour dommages exemplaires à l’égard de l’intimé Gosset, et ce, bien que le juge du procès reconnaisse que ce dernier n’ait pas eu l’intention de tuer Anthony. Si, de l’avis du juge, la faute lourde simple n’est pas suffisante pour permettre l’octroi de dommages exemplaires, la faute lourde dolosive, comme celle de l’intimé Gosset en l’espèce, devrait l’être. En ce sens, la façon dont l’intimé Gosset a manipulé son arme, alors qu’il savait ou devait savoir qu’il mettait en péril la sûreté de la victime, équivaut à une «atteinte illicite et intentionnelle» au sens de l’art. 1 et du second alinéa de l’art. 49 de la Charte. Il ajoute que le droit de réclamer des dommages exemplaires est, de par sa nature, transmissible aux parents d’Anthony en leur qualité d’héritiers, ce droit étant né au moment où l’intimé Gosset a pointé son arme vers la victime. Toutefois, le juge s’abstient de prononcer une condamnation sous ce chef de dommages à l’égard de l’intimée CUM, étant d’opinion qu’un employeur ne saurait être tenu à des dommages exemplaires à moins qu’il n’ait expressément ou implicitement autorisé ou ratifié l’acte répréhensible de son employé. Ici, l’intimée CUM n’a pas autorisé l’usage de la force utilisée par l’intimé Gosset et, l’ayant immédiatement suspendu de ses fonctions puis congédié, n’a pas non plus ratifié ses gestes.

14 Quant au montant des dommages exemplaires, le juge du procès estime qu’il doit être calculé en fonction des critères suivants: le rôle préventif et dissuasif des dommages exemplaires, la conduite de l’auteur, la gravité du préjudice subi par la victime, les ressources financières de l’auteur, le montant des dommages compensatoires, la durée de la conduite répréhensible, les autres peines imposées à l’auteur, les profits tirés par l’auteur de sa conduite répréhensible et la provocation de la part de la victime. Il fixe donc le montant de dommages exemplaires à 8 000 $, à être partagé également entre les parents de la victime, conformément à l’art. 626 C.c.B.C.

La Cour d’appel (les juges Vallerand, Fish (dissident en partie) et Deschamps), [1995] R.J.Q. 335

15 La cour traite d’abord de l’appel du jugement interlocutoire rejetant la requête de l’appelante pour amender sa déclaration, entre autres, afin d’y inclure une réclamation pour atteinte à ses droits parentaux en vertu de la Charte. Précisant qu’aucune permission n’est requise pour interjeter appel d’un tel jugement lors de l’appel du jugement final, la cour est d’avis, à l’instar du juge du procès, que les droits parentaux ne sont reconnus ni par la Charte québécoise, ni par la Charte canadienne des droits et libertés et que le jugement interlocutoire est, par conséquent, bien fondé.

16 La responsabilité civile des intimés Gosset et CUM n’étant pas contestée, la Cour d’appel n’aborde que la question du préjudice et de son quantum.

17 Sur la question du montant des dommages compensatoires, la cour, à la majorité, refuse d’accéder à la réclamation de l’appelante, à titre d’héritière, pour la perte d’expectative de vie de son fils en vertu de l’art. 1053 C.c.B.C. La cour estime que l’état actuel du droit au Québec ne donne droit à compensation que si le préjudice est prouvé et que, selon l’approche fonctionnelle que notre Cour aurait adoptée, la victime est en mesure d’apprécier cette compensation. En l’espèce, la victime a perdu conscience presque immédiatement après le coup de feu et est décédée quelques heures plus tard. Par conséquent, le droit de recouvrer des dommages sous ce chef n’est pas entré dans son patrimoine et n’a pu être transmis à ses héritiers.

18 Par ailleurs, et pour les mêmes raisons, la cour n’accorde aucune indemnité à l’appelante pour la violation du droit à la vie et à la sûreté de son fils protégé par l’art. 1 de la Charte. Sur ce point, le juge Vallerand note que l’art. 49 de la Charte réitère simplement le principe déjà établi à l’art. 1053 C.c.B.C. et, conformément à la présomption de stabilité du droit, ne saurait faire échec à la règle jurisprudentielle suivant laquelle le droit à la vie d’une personne s’éteint avec son décès.

19 Le juge Fish, dissident, est d’avis que cette règle jurisprudentielle est incompatible avec le droit à la réparation du préjudice moral résultant d’une atteinte illicite au droit à la vie, à la sûreté et à l’intégrité de la personne en vertu des art. 1 et 49 de la Charte, droit auquel il a été illicitement porté atteinte en l’instance. Par conséquent, selon lui, un droit à la réparation existe tant en vertu de l’art. 1053 C.c.B.C. que de l’art. 49 de la Charte, précisant, toutefois, qu’il ne saurait y avoir double compensation.

20 Quant à l’indemnité pour solatium doloris en vertu des art. 1053 et 1056 C.c.B.C., la cour, à l’unanimité, reconnaît qu’en droit civil québécois un tel chef de dommages est compensable. Après une revue de l’historique et de la jurisprudence relatifs à l’art. 1056 C.c.B.C. ainsi qu’une référence au droit français, la cour conclut qu’en l’espèce, bien que le juge du procès ait erré en statuant que l’état du droit au Québec ne permettait pas de compenser le solatium doloris, dans les faits, il a accordé une indemnité pour dommages moraux afin de compenser le «préjudice d’affection causé par la mort d’un être cher», précisément ce en quoi consiste le solatium doloris. Dans les circonstances, cependant, l’indemnité de 9 000 $ accordée par le juge du procès pour perte de support moral et perte de support financier s’avère insuffisante et la cour l’augmente à 15 000 $. Le juge Fish aurait plutôt accordé une somme de 100 000 $, dont la moitié en faveur de l’appelante. Quant au montant octroyé au père de la victime, la cour s’abstient d’intervenir puisque le juge du procès a considéré qu’il avait, dans les faits, abandonné son fils. À cet égard, selon le juge Vallerand, à la lumière du principe de non-intervention des cours d’appel — lequel est élevé au rang, non pas d’une simple mise en garde, mais de règle de droit — il n’y a pas lieu d’intervenir au niveau des conclusions de fait du juge de première instance.

21 En ce qui concerne les dommages exemplaires, la majorité de la cour conclut que les gestes de l’intimé Gosset ne constituent pas une «atteinte intentionnelle» au sens du deuxième alinéa de l’art. 49 de la Charte. Selon elle, cet élément d’intentionnalité exclut les atteintes insouciantes ou négligentes, quelle que soit leur gravité, et suppose que l’auteur de l’atteinte ait voulu les conséquences de ses actes. Ainsi, de l’avis de la majorité, le juge de première instance a erré en droit en décidant que l’état d’esprit d’une personne qui devait raisonnablement prévoir les conséquences de ses gestes équivaut à celui d’une personne qui prévoit effectivement les conséquences de ses gestes et les pose délibérément. Dans les circonstances, puisqu’en pointant son arme vers Anthony l’intimé Gosset ne désirait pas attenter à sa vie, mais plutôt le contrôler à distance pour qu’il se soumette à l’arrestation, la majorité en arrive à la conclusion qu’il n’y a pas eu «atteinte intentionnelle» au sens du deuxième alinéa de l’art. 49 de la Charte et infirme la décision du juge de première instance à cet égard. Par ailleurs, la cour juge, essentiellement pour les mêmes motifs que ceux du juge du procès, que l’intimée CUM ne peut être tenue à des dommages exemplaires puisqu’elle n’a ni expressément ni implicitement autorisé ou ratifié l’acte répréhensible de son employé.

22 Le juge Fish, quant à lui, se rallie à l’opinion du juge du procès qui a conclu que l’intimé Gosset a consciemment et délibérément fait un usage injustifié de son arme à feu et, en ce sens, porté atteinte illicitement et intentionnellement au droit à la sûreté — et non au droit à la vie — de la victime. C’est donc à bon droit, selon lui, que l’intimé Gosset a été condamné à verser une indemnité pour dommages exemplaires. Soulignant qu’une latitude suffisante doit être accordée aux juges de première instance dans l’exercice de leur discrétion en matière d’évaluation du quantum de ces dommages, le juge Fish estime que la conclusion du juge du procès d’accorder une somme de 8 000 $, répartie également entre les parents de la victime, ne présente aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour.

IV. Les questions en litige

23 Notre Cour a accordé permission d’en appeler de la décision de la Cour d’appel uniquement sur les trois questions suivantes:

1. La majorité de la Cour d’appel a-t-elle erré en droit en refusant de reconnaître que l’appelante a personnellement le droit de réclamer des dommages compensatoires pour le décès de son fils, au titre du solatium doloris conformément aux art. 1053 et 1056 C.c.B.C. ou pour atteinte à ses droits parentaux en vertu des art. 1, 39 et 49 de la Charte?

2. La majorité de la Cour d’appel a-t-elle déprécié le droit à la vie en refusant de reconnaître le droit de l’appelante, à titre d’héritière, d’obtenir des dommages compensatoires pour la perte de vie ou la perte d’expectative de vie de son fils en vertu des art. 1 et 49 de la Charte?

3. La majorité de la Cour d’appel a-t-elle erré en droit dans son appréciation de ce qui constitue une «atteinte intentionnelle» au sens du deuxième alinéa de l’art. 49 de la Charte, avec pour résultat de nier à l’appelante le droit à des dommages exemplaires?

J’aborderai chacune de ces questions dans le même ordre.

V. Analyse

A. Le solatium doloris

24 Je rappelle que le juge de première instance a refusé d’octroyer des dommages moraux à l’appelante à titre de solatium doloris, mais qu’il lui a néanmoins accordé une somme de 9 000 $ pour perte de soutien moral et perte de soutien financier. La Cour d’appel, unanime sur ce point, a reconnu que le solatium doloris était un type de préjudice moral compensable en droit civil québécois, estimant, dans les circonstances, que l’appelante méritait une indemnité plus importante, de 15 000 $ selon la majorité, et de 50 000 $ selon le juge Fish.

25 L’appelante souligne que le libellé de la question qui fait l’objet de l’autorisation d’appel est inexact. Elle concède, en effet, devant nous que la Cour d’appel a, à juste titre, reconnu le solatium doloris comme chef de dommages indemnisable en droit civil québécois. Elle soutient plutôt maintenant que la Cour d’appel a erré en droit en refusant de lui reconnaître le droit d’être compensée pleinement pour le préjudice moral qu’elle a effectivement subi. Plus particulièrement, l’appelante reproche à la Cour d’appel d’avoir statué que le solatium doloris était le seul chef de préjudice moral susceptible de résulter du décès d’une personne et, subsidiairement, d’avoir accordé une indemnité minime sous ce chef.

26 Avant de disposer de ces arguments et bien que le principe ne soit plus contesté devant nous, il est intéressant de rappeler la genèse du solatium doloris en tant que chef de dommages recouvrable en droit civil québécois.

27 Contrairement à la common law, la tradition civiliste n’a jamais nié qu’une victime par ricochet puisse obtenir réparation pour le préjudice moral qui découle du décès d’une personne: S. M. Waddams, The Law of Damages (2e éd. 1991 (feuilles mobiles)), à la p. 6-1; G. Viney, Traité de droit civil, t. 4, Les obligations: la responsabilité -- conditions (1982), aux pp. 327 à 332. En effet, la règle générale en droit civil veut que tout préjudice, qu’il soit moral ou matériel, même s’il est difficile à évaluer, puisse être indemnisé dans la mesure où preuve en est faite: J. Dupichot, Des préjudices réfléchis nés de l’atteinte à la vie ou à l’intégrité corporelle (1969), aux pp. 215 et 216; J.-L. Baudouin, La responsabilité civile (4e éd. 1994), à la p. 202; voir aussi l’art. 1457 C.c.Q. C’est d’ailleurs ce que remarquait le juge Taschereau dans l’arrêt Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834, à la p. 841:

En vertu de 1053 C.C. l’obligation de réparer découle de deux éléments essentiels: un fait dommageable subi par la victime, et la faute de l’auteur du délit ou du quasi-délit. Même si aucun dommage pécuniaire n’est prouvé, il existe quand même, non pas un droit à des dommages punitifs ou exemplaires, que la loi de Québec ne connaît pas, mais certainement un droit à des dommages moraux. [. . .] Le dommage moral, comme tous dommages-intérêts accordés par un tribunal, a exclusivement un caractère compensatoire. [En italique dans l’original; je souligne.]

Dans cette perspective, la compensation pour le chagrin et la douleur morale ressentis suite au décès d’un proche — préjudice communément désigné sous l’expression solatium doloris ou préjudice d’affection — s’inscrit naturellement dans la pleine reconnaissance des dommages moraux en droit civil.

28 La situation était tout autre en common law à l’époque. Le législateur anglais édicte, en 1846, une loi connue sous le nom de Lord Campbell’s Act (R.-U.), 9 & 10 Vict., ch. 93, qui dressait la liste des personnes titulaires d’une action à la suite du décès d’une personne. Une loi similaire, s’appliquant uniformément aux territoires du Haut-Canada et du Bas-Canada, est adoptée par le législateur canadien l’année suivante: Acte pour donner aux familles des personnes tuées par accident la faculté de réclamer des dommages, et pour d’autres fins y mentionnées, S. Prov. Can. 1847, 10 & 11 Vict., ch. 6 (plus tard S.R.C. 1859, ch. 78). C’est dans cette foulée que l’art. 1056 C.c.B.C. est adopté lors de la codification au Québec en 1866. Par souci de commodité, j’en rappelle ici le texte:

1056. Dans tous les cas où la partie contre qui le délit ou quasi-délit a été commis décède en conséquence, sans avoir obtenu indemnité ou satisfaction, son conjoint, ses ascendants et ses descendants ont, pendant l’année seulement à compter du décès, droit de poursuivre celui qui en est l’auteur ou ses représentants, pour les dommages-intérêts résultant de tel décès.

29 La question de la reconnaissance du solatium doloris en droit civil québécois s’est posée pour la première fois devant notre Cour dans l’arrêt Canadian Pacific Railway Co. c. Robinson (1887), 14 R.C.S. 105. Dans cet arrêt unanime, la Cour, inspirée par le souci d’appliquer uniformément au Canada la règle du non-recouvrement pour solatium doloris de même que par la réticence traditionnelle de la common law à indemniser une perte non économique, refusait d’accorder à l’épouse et aux enfants d’une personne décédée quelque indemnité que ce soit pour compenser leur affliction. Bien que cet arrêt ait subséquemment été infirmé pour des motifs de prescription, le Conseil privé a néanmoins souligné le caractère particulier que lui apparaissait revêtir l’art. 1056 C.c.B.C. par rapport aux dispositions du Lord Campbell’s Act: Robinson c. Canadian Pacific Railway Co., [1892] A.C. 481, aux pp. 487 et 488; voir aussi: Miller c. Grand Trunk Railway Co. of Canada, [1906] A.C. 187, à la p. 194.

30 Les obiter dicta du Conseil privé n’ont apparemment pas été suffisants pour infléchir la position adoptée par notre Cour dans l’affaire Canadian Pacific Railway Co. c. Robinson, précitée: Town of Montreal West c. Hough, [1931] R.C.S. 113, à la p. 117; Driver c. Coca-Cola Ltd., [1961] R.C.S. 201, à la p. 207. Il y a lieu de souligner, toutefois, que notre Cour a favorisé, au moins à deux reprises, une interprétation différente. Ainsi, dans l’affaire Canadian Pacific Railway Co. c. Lachance (1909), 42 R.C.S. 205, la Cour a refusé d’infirmer le verdict d’un jury ayant accordé une indemnité pour réparation du préjudice moral subi par les parents en raison du décès de leur enfant. Plus tard, notre Cour confirmait l’adresse au jury relativement à l’indemnisation du solatium doloris: Montreal Tramways Co. c. Lindner, [1939] R.C.S. 405.

31 Les tribunaux québécois se sont majoritairement rangés derrière la décision de notre Cour dans Canadian Pacific Railway Co. c. Robinson, précitée, malgré la jurisprudence québécoise antérieure et contemporaine qui reconnaissait la possibilité d’octroyer des dommages à titre de solatium doloris: Ravary c. Grand Trunk Railway Co. of Canada (1860), 6 L.C.J. 49 (B.R.); Provost c. Jackson (1869), 13 L.C.J. 170 (B.R.); Vanasse c. Cité de Montréal (1888), 16 R.L. 386 (C.S.); Cadoret c. Cité de Montréal (1888), 16 R.L. 397 (C.S.), note 1. Tout en accordant une indemnité, notamment, pour les conséquences pécuniaires du chagrin comme la perte de soutien moral ou encore la dégradation de la santé résultant du décès d’une personne, la jurisprudence a généralement refusé d’accéder aux réclamations relatives au solatium doloris: A. Mayrand, «Les chefs d’indemnité en cas d’accident mortel» (1968), 9 C. de D. 639, aux pp. 663 et 664; Baudouin, op. cit., aux pp. 202 et 203; J. S. Poirier, «Autopsie d’une disposition disparue; l’article 1056 du Code civil du Bas Canada et le solatium doloris» (1995), 29 R.J.T. 657. Dans le cas qui nous intéresse, c’est exactement ce qu’a fait le juge du procès.

32 L’arrêt Canadian Pacific Railway Co. c. Robinson, précité, a été considéré par la jurisprudence subséquente au Québec, pour reprendre les mots du juge Fish, comme [traduction] «une erreur historique», erreur qui n’a plus d’importance aujourd’hui étant donné l’absence de disposition équivalente à l’art. 1056 C.c.B.C. dans le Code civil du Québec. À la lumière de la spécificité de la tradition juridique du Québec, à l’instar de la Cour d’appel, j’estime que c’était au droit français, et non au droit anglais, qu’il fallait se référer pour décider de la reconnaissance du solatium doloris en droit civil québécois: Hospice Desrosiers c. The King (1920), 60 R.C.S. 105, à la p. 126; Pantel c. Air Canada, [1975] 1 R.C.S. 472, à la p. 478; Rubis c. Gray Rocks Inn Ltd., [1982] 1 R.C.S. 452, à la p. 468. Or, comme je l’ai déjà mentionné, force est de constater que le droit français a toujours reconnu d’emblée qu’il y avait lieu à compensation pour le préjudice moral résultant du décès d’un proche: Viney, op. cit., aux pp. 327 à 332; Dupichot, op. cit., aux pp. 215 et 216.

33 L’arrêt Canadian Pacific Railway Co. c. Robinson, précité, fut, en effet, abondamment critiqué: voir, notamment, M. Nantel, «Le recours des parents en vertu de l’article 1056 C.c. est-il de droit anglais?» (1930), 8 R. du D. 469; G. Wasserman, «‘Solatium Doloris’ as an element in the awarding of damages arising from delict and quasi-delict» (1953), 13 R. du B. 127; L. Baudouin, Le droit civil de la province de Québec (1953), aux pp. 836 à 838; L. Baudouin, «Le Solatium doloris» (1955), 2 C. de D. 55; O. Frenette, L’incidence du décès de la victime d’un délit ou d’un quasi-délit sur l’action en indemnité (1961), aux pp. 22 et 23; J.-L. Baudouin, «Le Code civil québécois: crise de croissance ou crise de vieillesse» (1966), 44 R. du B. can. 391; Mayrand, loc. cit.

34 La France et le Québec ne sont pas les seuls qui aient prévu une indemnité pour le préjudice moral subi par les tiers en raison du décès d’un proche. La Belgique et l’Écosse en sont des exemples, entre autres: R. André, La réparation du préjudice corporel (1986), aux pp. 370 et 371; D. M. Walker, Principles of Scottish Private Law (4e éd. 1988), vol. 2, à la p. 618. Même dans les juridictions de common law, plusieurs pays, et notamment certains États de l’Australie et des États-Unis, ont abandonné la règle suivant laquelle seuls les dommages strictement pécuniaires sont recouvrables en cas de décès: H. Luntz, Assessment of Damages (3e éd. 1990), à la p. 437; R. D. VanHorne, «Wrongful Death Recovery: Quagmire of the Common Law» (1985-86), 34 Drake L. Rev. 987, à la p. 997.

35 L’appelante plaide longuement, en mettant l’accent sur l’évolution de la jurisprudence au Canada ainsi que l’état du droit à l’étranger, que la compensation pour le préjudice moral à titre de solatium doloris a toujours été reconnue en droit civil français, ce qui devrait également être le cas en droit civil québécois. Il ne fait aucun doute que cette prétention est bien fondée et que la Cour d’appel a eu raison de conclure que le juge de première instance avait commis une erreur de principe en refusant de reconnaître que ce type de préjudice était compensable en droit civil québécois. Elle était donc autorisée, conformément au critère de révision relatif à l’évaluation du préjudice, à intervenir pour corriger le jugement du juge de première instance à cet égard: Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229, à la p. 235; Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351, aux pp. 358 à 361.

36 Ce faisant, selon l’appelante, la Cour d’appel a elle-même commis une erreur de droit — erreur qu’il appartient à notre Cour de corriger — en statuant que le solatium doloris est le seul chef de préjudice moral indemnisable de même qu’en lui accordant une indemnité trop basse à ce titre.

37 Contrairement à la prétention de l’appelante, il m’apparaît clair que toutes les composantes du préjudice moral ont été considérées par la Cour d’appel en décidant d’accorder une indemnité plus élevée à l’appelante au titre du solatium doloris. Selon la majorité, la notion de solatium doloris comprendrait tous les préjudices extra-patrimoniaux résultant du décès d’un être cher, le chagrin immédiat comme la perte de soutien moral futur. Le juge Deschamps s’exprime ainsi (à la p. 368):

[traduction] Même si les souffrances et les larmes d’une mère peuvent théoriquement être distinguées de la perte du sourire ou de la compagnie de son enfant, toute cette peine peut être généralement incluse dans la notion de solatium doloris. [Je souligne.]

Le juge Fish, quant à lui, semble plutôt considérer que le solatium doloris ne représente qu’une facette du préjudice moral. Ainsi, de l’indemnité de 50 000 $ qu’il aurait accordée à l’appelante pour dommages matériels et moraux, il écrit (à la p. 349):

[traduction] Cela constituerait davantage qu’une indemnité symbolique pour les autres éléments du préjudice moral de l’appelante, dont le solatium doloris au sens strict de douleur, de chagrin et de peine.

38 Il est possible de débattre longuement la signification exacte de l’expression latine solatium doloris (dont la traduction littérale est «consolation de la douleur morale») dans la langue juridique contemporaine. Quelle que soit la signification qui lui est reconnue, cependant, ce qui importe, en définitive, c’est que le préjudice moral effectivement subi par l’appelante soit pleinement indemnisé. Or, puisque la définition du solatium doloris adoptée par la majorité de la Cour d’appel ne fait pas obstacle en soi à cet objectif, le premier argument de l’appelante doit être rejeté.

39 À mon avis, l’erreur de la Cour d’appel ne se situe pas au niveau de sa définition du solatium doloris, mais plutôt au niveau de l’évaluation du préjudice moral éprouvé par l’appelante. En l’occurrence, je ne partage pas l’opinion de la cour, unanime sur ce point, lorsqu’elle affirme que le juge du procès a en fait accordé à l’appelante une indemnité pour dommages moraux qui équivalait, à toutes fins pratiques, à une indemnité pour solatium doloris. En effet, quelle qu’ait été sa conception du solatium doloris, en excluant explicitement ce chef de dommages, le juge de première instance a forcément conclu que l’appelante n’était pas en droit d’obtenir une pleine indemnisation pour la totalité de son préjudice. De même, tout en reconnaissant le solatium doloris, la majorité de la Cour d’appel, en référant aux sommes généralement accordées par les tribunaux québécois au titre de ce qu’elle a estimé être le solatium doloris ainsi qu’aux indemnités prévues par diverses lois à caractère social, n’a pas envisagé la réclamation de l’appelante à cet égard dans une perspective de compensation intégrale.

40 Malgré la singulière difficulté que présente l’évaluation du préjudice moral, ce dernier est en principe recouvrable à la mesure de la preuve qui en est faite: Snyder c. Montreal Gazette Ltd., [1988] 1 R.C.S. 494, aux pp. 505 et 506; Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, précité, aux par. 63 à 71. Or, comme je l’ai déjà mentionné, à ce jour la jurisprudence québécoise, se croyant liée par la règle de l’exclusion du solatium doloris comme chef de dommages compensables, ne reflète pas ce principe de restitution intégrale. Il n’est donc pas surprenant que les sommes généralement accordées par les tribunaux québécois dans les cas de décès d’un être cher aient été fort modiques: D. Gardner, L’évaluation du préjudice corporel (1994), aux pp. 314 et 315; Baudouin, La responsabilité civile, op. cit., à la p. 203.

41 En conséquence, la jurisprudence existante ne saurait guider les tribunaux en ce qui concerne l’évaluation du préjudice au titre du solatium doloris puisqu’elle est fondée sur une sérieuse erreur de principe. Par ailleurs et pour la même raison, l’utilité comparative des indemnités prévues à certaines lois à caractère social ne peut qu’être limitée, car ces lois allouent des sommes en général moins importantes précisément afin d’indemniser un plus grand nombre de personnes qui n’auraient pas nécessairement été compensées selon les principes de droit commun de la responsabilité civile.

42 Or, dans le cas qui nous occupe, la majorité de la Cour d’appel s’est explicitement basée sur les dommages habituellement accordés par les juges au Québec à titre de solatium doloris ainsi qu’aux indemnités prévues par la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, L.R.Q., ch. I-6, et la Loi sur l’assurance-automobile, L.R.Q., ch. A-25, pour conclure que l’appelante méritait 15 000 $ dans les circonstances. Le juge Deschamps, au nom de la majorité, traite de la réclamation de l’appelante à ce titre dans ces termes (à la p. 370):

[traduction] À mon avis, la réclamation de 100 000 $ est exagérée et tout à fait irréaliste. Elle est sans commune mesure avec les sommes que les tribunaux québécois accordent généralement. Comme pour tout préjudice moral, il est impossible d’en faire le calcul exact. Cela ne veut pas dire que la cour ne devrait pas s’en tenir à un barème. Il faut trouver des lignes directrices dans la législation et la jurisprudence contemporaines. [Je souligne.]

43 En reconnaissant l’indemnisation pour solatium doloris en droit civil québécois sans avoir élaboré de nouveaux critères d’évaluation du préjudice à cet égard, la majorité de la Cour d’appel a privé l’appelante de son droit à être compensée, autant que faire se peut, pour la totalité du préjudice moral qu’elle a éprouvé en raison du décès de son fils. De plus, le besoin de certitude et de prévisibilité du droit à l’égard des montants accordés pour ce type de préjudice exige que des paramètres d’évaluation appropriés soient établis. En conséquence, même si la permission d’en appeler spécifiquement du montant des dommages moraux accordés à l’appelante a été refusée par notre Cour, la question relative au solatium doloris est suffisamment large pour que notre Cour se prononce sur cet aspect du litige, laissant à la Cour d’appel le soin d’en évaluer le quantum au regard de la preuve au dossier et des principes que nous énonçons.

44 Quoique le préjudice qui touche à l’intégrité émotive ou physique de la personne soit difficilement quantifiable, les tribunaux sont couramment confrontés à cette difficulté. À titre d’exemple, notre Cour a récemment accordé 300 000 $ à titre de dommages moraux pour diffamation: Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130; voir aussi Botiuk c. Toronto Free Press Publications Ltd., [1995] 3 R.C.S. 3. Par ailleurs, le plafond actualisé d’indemnisation à titre de dommages non pécuniaires en matière de blessures corporelles, fixé originellement à 100 000 $ en 1978, se situe aujourd’hui à approximativement 243 000 $: Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., précité; Lindal c. Lindal, [1981] 2 R.C.S. 629, aux pp. 640 et 641.

45 Il est frappant de constater le fossé qui sépare les dommages non pécuniaires alloués dans ces contextes par rapport à ce qui est généralement accordé au Canada aux parents d’un enfant qui perd la vie par la faute d’un tiers. Par exemple, dans une décision ontarienne récente, des indemnités de 25 000 $ et 15 000 $ ont été allouées à la mère et au père d’un jeune homme de 19 ans tué dans un accident de voiture, le juge estimant qu’il n’y avait aucune raison de s’écarter des montants généralement accordés en vertu de la Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3, dans ces circonstances: Macartney c. Islic (1996), 34 C.C.L.I. (2d) 119 (C. Ont. (Div. gén.)); voir aussi: Wilson c. Martinello (1993), 47 A.C.W.S. (3d) 69 (C. Ont. (Div. gén.)), confirmé sur un autre point (1995), 23 O.R. (3d) 417 (C.A.) (25 000 $ octroyés au demandeur en raison du décès de sa fille de 15 ans dans un accident de voiture); Guimond c. Guimond Estate (1995), 160 R.N.-B. (2e) 278 (B.R.) (30 000 $ accordés au père d’une fillette de 10 ans tuée lors d’un accident de voiture). Par contre, dans l’arrêt Lian c. Money (1994), 93 B.C.L.R. (2d) 16 (S.C.), confirmé sur ce point par (1996), 15 B.C.L.R. (3d) 1 (C.A.), une mère ayant perdu sa fille de 20 ans a reçu la modeste somme de 5 000 $ pour [traduction] «perte d’amour, de conseils et de compagnie».

46 Il importe de souligner que dans toutes les provinces canadiennes à l’exception du Québec, le droit de réclamer des dommages en raison du décès d’un tiers est régi par des lois particulières similaires au Lord Campbell’s Act, lesquelles, à l’instar de l’art. 1056 C.c.B.C., ont très rapidement été interprétées comme ne couvrant que les dommages pécuniaires: Waddams, op. cit., aux pp. 6-1 et 6-2. La compensation pour pertes non pécuniaires est néanmoins expressément prévue dans certaines législations. En Alberta, par exemple, depuis 1994, l’indemnité fixée [traduction] «pour le deuil et la perte de conseils, de soins et de compagnie» est de 40 000 $ pour le conjoint et parents de la victime, et de 25 000 $ pour les enfants de celle-ci: Fatal Accidents Act, R.S.A. 1980, ch. F-5, s. 8(2). Par ailleurs, au Nouveau-Brunswick, le par. 3(4) de la Loi sur les accidents mortels, L.R.N.-B. 1973, ch. F-7, envisage l’octroi de dommages pour «la perte de compagnie que la victime aurait raisonnablement accordée aux parents» ainsi que «la peine éprouvée par les parents en raison du décès».

47 Il n’est pas difficile de concevoir que le décès de son propre enfant représente un événement extrêmement douloureux, voire même traumatisant, à tous les égards. La souffrance qui accompagne cet événement contre nature n’a d’équivalent en intensité que l’incommensurable joie que la naissance d’un enfant peut provoquer. Cette souffrance est tellement aiguë qu’il paraît impossible même de l’évaluer en termes d’argent.

48 Tout en gardant à l’esprit que la douleur d’un parent causée par la mort d’un enfant ne pourra jamais être compensée adéquatement, l’évaluation du préjudice moral, dans ces cas pénibles comme dans d’autres, dépend néanmoins de l’appréciation de la preuve présentée devant le tribunal. Dans cette perspective, l’élaboration de certains critères demeure particulièrement de mise par souci de préserver un tant soit peu l’objectivité de cette démarche qui, tout en faisant preuve de sensibilité aux particularités de chaque cas, ne saurait ignorer les limites du principe de restitution intégrale dans ce domaine où la modération et la prévisibilité doivent être favorisées: Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., précité, aux pp. 260 à 262; Thornton c. Board of School Trustees of School District No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267, à la p. 284; Arnold c. Teno, [1978] 2 R.C.S. 287, aux pp. 332 et 333; Lindal c. Lindal, précité, aux pp. 639 et 640.

49 La question de la détermination du quantum pour dommages moraux en cas de décès a été abordée par la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans l’arrêt Nightingale c. Mazerall and Elliott (1991), 121 R.N.-B. (2e) 319 (C.A.). Dans cet arrêt, les indemnités de 60 000 $ accordées, à chacun des parents des victimes âgées de six ans et neuf mois, pour perte de compagnie et peine ont été réduites à 32 500 $ par la majorité, et à 45 000 $ par le juge Rice, dissident en partie. Le juge Angers, écrivant au nom de la majorité, s’exprime ainsi (aux pp. 330 et 331):

[traduction] Quels sont donc les critères sur lesquels nous devons nous fonder pour déterminer ce qui constitue une indemnité canadienne équitable et raisonnable? D’un point de vue réaliste, l’indemnité ne peut être compensatoire ni réparatrice et elle ne peut non plus être exacte. Elle ne devrait pas refléter la sympathie, le châtiment ni les moyens financiers du défendeur. J’estime que pour en arriver à une indemnité équitable et raisonnable, la Cour doit être aussi objective que possible et tenir compte des montants accordés dans d’autres causes de pertes extrapécuniaires, de l’impact socio‑économique de cette nouvelle indemnité ainsi que de la nécessité de parvenir à la prévisibilité et à la certitude. Cela ne signifie pas qu’aucun élément humain n’entrera en ligne de compte — la nature de la demande s’en chargera — mais que les émotions en jeu ne doivent pas induire la Cour en erreur. La peine est un sentiment très intime et très personnel mais il existe un élément intérieur commun à tous qui n’est pas facile à percevoir. Les manifestations tangibles de cette peine sont très subjectives et souvent sujettes à caution. Un étalage de mines allongées n’est pas toujours l’indice véritable d’un c{oe}ur brisé. La preuve psychologique sera importante pour établir les phases objectives du deuil, mais elle aura une valeur réduite lorsqu’il s’agira d’une personne en particulier.

Je souligne qu’il est important que l’indemnité soit raisonnablement prévisible de sorte que le parent qui peut trouver extrêmement désagréable et humiliant d’exprimer sa peine en public ne sera pas moins indemnisé que celui qui extériorise plus facilement ses émotions. [Je souligne.]

Le juge Rice, quant à lui, insiste davantage sur l’importance de la preuve présentée dans chaque cas (aux pp. 344 et 345):

[traduction] Dans notre province, le législateur a ajouté la peine éprouvée comme dommage susceptible d’évaluation et d’indemnisation. Dans le cadre de cette évaluation, la souffrance morale ainsi que l’angoisse et la douleur qui l’accompagnent, prédominent. J’estime que pour évaluer la peine, il incombe au juge du procès d’entendre le témoignage de la personne qui a éprouvé cette peine. Tous les parents éprouvent de la peine lors du décès de leurs enfants, mais comme l’a souligné M. Fleming, l’intensité de la peine varie en fonction de la relation qui existait entre le défunt et le survivant, de la personnalité des parents et d’autres facteurs comme le stress, l’appui reçu des amis et de la famille et le milieu religieux et socio-culturel. À mon sens, il faut inévitablement procéder selon les circonstances propres à chaque cas. Une telle évaluation suppose une description de la douleur, des souffrances morales et d’autres séquelles et pour ce faire, il faut nécessairement chercher à connaître les sentiments du survivant et l’impact que le décès a eu sur sa vie.

Bien qu’il soit souhaitable d’en arriver à des indemnités conventionnelles afin qu’il puisse y avoir une certaine prévisibilité dans l’évaluation des dommages-intérêts accordés pour la peine éprouvée, les tribunaux ne devraient être ni limités ni restreints dans l’exercice de la prérogative et du devoir que le législateur leur a conférés lorsqu’ils évaluent cette peine. Il me semble que si le législateur avait voulu une évaluation conventionnelle, il aurait lui‑même fixé un montant préétabli pour la peine éprouvée comme cela fut fait en Alberta. [Je souligne.]

50 Ces deux extraits mettent particulièrement en évidence les objectifs apparemment contradictoires de la délicate fonction des tribunaux en matière d’évaluation du préjudice moral découlant du décès d’un être cher: l’indemnisation intégrale de la douleur morale unique à une personne d’une part et, de l’autre, l’appréciation de chaque cas dans une perspective plus vaste afin d’assurer, notamment, une certaine mesure entre les dommages moraux accordés dans différents contextes. Cet exercice étant assujetti, dans tous les cas, aux circonstances particulières de l’espèce, les tribunaux devraient considérer notamment les critères suivants: les circonstances du décès, l’âge de la victime et du parent, la nature et la qualité de la relation entre la victime et le parent, la personnalité du parent et sa capacité à gérer les conséquences émotives du décès, l’effet du décès sur la vie du parent à la lumière, entre autres, de la présence d’autres enfants ou de la possibilité d’en avoir d’autres. Puisque la compensation monétaire, quelle qu’elle soit, n’atténuera pas la douleur du parent, le chiffre sera nécessairement arbitraire dans une grande mesure.

51 En l’espèce, la preuve révèle amplement le chagrin que le décès du seul enfant survivant de l’appelante lui a causé, chagrin exacerbé par le fait qu’elle a vécu, en 1983, la mort en bas âge d’une petite fille née très malade et que, de surcroît, elle ne peut espérer avoir d’autres enfants en raison de son âge. Malgré les démêlés de son fils avec la justice ainsi que le fait qu’il ne détenait ni diplôme ni emploi connu, le juge du procès a estimé que l’appelante a néanmoins fait tout ce qu’elle a pu pour le soutenir et l’éduquer lorsqu’il habitait avec elle. Les circonstances imprévisibles du décès d’Anthony n’ont pas permis à l’appelante de préparer son deuil. J’ajouterais également que l’importante publicité que se sont attiré les faits malheureux à l’origine de cette affaire n’a certainement pas contribué à faciliter le retour à la vie normale pour l’appelante. Tout en reconnaissant qu’il est impossible, dans l’absolu, de jauger les sentiments résultant de l’irrémédiable de la mort de son propre enfant, une indemnité de l’ordre de 25 000 $, à mon avis, pourrait représenter une somme juste et raisonnable dans les circonstances de l’espèce mais il appartiendra à la Cour d’appel, après audition des parties sur ce point, de fixer ce quantum.

52 En plus de réclamer des dommages compensatoires pour le décès de son fils en vertu des art. 1053 et 1056 C.c.B.C., l’appelante invoque également son droit d’être compensée pour atteinte à ses droits parentaux en vertu de la Charte. Elle soutient que son droit de poursuivre son association avec son fils en tant que parent lui a été ravi en raison des gestes fautifs de l’intimé Gosset. Cette prétention a fait l’objet d’une requête pour amender en première instance, requête qui a été rejetée par jugement interlocutoire en date du 22 mai 1990. La Cour d’appel a confirmé cette décision, à l’unanimité, en statuant que les droits parentaux ne sont reconnus ni par la Charte québécoise, ni par la Charte canadienne des droits et libertés. S’exprimant pour la cour sur ce point, le juge Deschamps écrit (à la p. 357):

[traduction] Au contraire, alors que le statut de parent entraîne des responsabilités, peu de droits en découlent. En fait, la Charte garantit le droit d’un enfant à la protection et à la sécurité que ses parents peuvent lui fournir. Ces droits sont ceux de l’enfant et non des parents.

J’estime donc qu’aucune réclamation pour la négation d’un droit parental ne peut être présentée en vertu de l’une ou l’autre charte, parce qu’il ne s’agit pas d’un droit protégé. [Notes en bas de page omises; je souligne.]

53 Au soutien de sa proposition, l’appelante s’en remet exclusivement à la décision de notre Cour dans B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315. Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si le Child Welfare Act, R.S.O. 1980, ch. 66, de l’Ontario portait atteinte au droit des parents de choisir un traitement médical pour leur enfant. Ce droit n’existe, il va sans dire, que pour permettre aux parents de veiller au bien-être de leur enfant et ne saurait emporter de droits qui ne sont pas liés à cet objectif, tel celui que l’appelante nous invite à reconnaître en l’espèce. En effet, l’appelante n’invoque pas le droit de prendre des décisions concernant l’éducation et la santé de son fils, mais plutôt le droit de vivre avec lui une relation au sein de la cellule familiale, droit duquel découlerait le droit de réclamer des dommages parce qu’il y a été porté atteinte. Or, il est clair que ni la Charte canadienne ni la Charte québécoise ne reconnaissent le droit de conserver et de continuer une relation parent-enfant et, partant, la Cour d’appel était justifiée de rejeter ce chef de compensation.

54 La deuxième question devant nous a trait à la réclamation de l’appelante, en tant qu’héritière, pour perte de vie ou perte d’expectative de vie de son fils, et plus précisément au sens qu’il faut donner au droit à la vie protégé à l’article premier de la Charte.

B. La perte de vie ou la perte d’expectative de vie

55 Il importe de préciser que l’appelante n’invoque pas ici les souffrances qui auraient pu être subies par son fils avant son décès. La victime ayant perdu conscience immédiatement après de coup de feu, aucune preuve n’a été offerte à cet égard et le juge du procès a donc conclu que l’existence même du préjudice n’avait pas été établie.

56 L’appelante nous invite plutôt à envisager le décès de toute personne comme un préjudice objectivement indemnisable en droit civil québécois, c’est-à-dire donnant droit à compensation indépendamment du fait de la conscience de la victime de son décès, et, par conséquent, à reconsidérer, à la lumière de la Charte, la jurisprudence de notre Cour qui y fait obstacle. Notre Cour s’est, en effet, déjà prononcée à deux reprises contre la transmissibilité du recours en dommages pour perte de vie ou abrégement de vie lorsque la victime décède immédiatement en raison de l’acte fautif ou y survit quelques heures sans, toutefois, reprendre conscience avant de mourir: le droit à la vie prenant fin avec la vie de la victime, ce recours n’est pas susceptible d’entrer dans le patrimoine de la victime et ne saurait donc être transmis à ses héritiers. Dans l’affaire Driver c. Coca-Cola Ltd., précitée, aux pp. 204, 205, 207 et 208, la majorité de la Cour, sous la plume du juge Taschereau, expliquait le principe (confirmé par jugement unanime de notre Cour dans l’arrêt Pantel c. Air Canada, précité, aux pp. 478 et 479) en ces termes:

La règle générale veut que les héritiers soient investis du patrimoine du défunt, c’est-à-dire de l’ensemble de ses droits et de ses obligations, appréciables en argent, dont le de cujus était titulaire. La totalité de ces biens constitue une universalité juridique. Entrent seuls dans le patrimoine les biens qui ont une valeur économique, et ceux-là sont les biens patrimoniaux et sont évidemment transmissibles aux héritiers.

D’autre part, il existe des droits extra-patrimoniaux qui n’ont une valeur pécuniaire que pour leur titulaire, et par conséquent ne sont pas transmissibles. Ils s’éteignent avec la mort et ne font pas partie du corps ou de la masse de la succession qui s’ouvre. On peut véritablement dire que les biens pour lesquels le titulaire ne pouvait réclamer en son vivant, ne font pas partie de la succession, et il s’ensuit logiquement que l’héritier ne peut en être saisi.

. . .

Il résulterait donc, comme le dit le Juge en chef Galipeault, une réclamation que veulent exercer les héritiers pour la perte de la vie de Beverley Driver. Je suis clairement d’opinion que la victime n’a jamais été titulaire de ce droit qui n’a pas pu être transmis. Elle ne pouvait sûrement pas poursuivre pour la perte de sa propre vie. [Je souligne.]

Le juge Taschereau confirmait donc l’opinion du juge en chef Galipeault de la Cour d’appel du Québec qui s’était exprimé ainsi ([1960] B.R. 313, aux pp. 317 et 318):

À mon sens, il n’existe encore aucune réclamation pour perte de vie outre celle que reconnaît aux personnes qui y sont mentionnées l’art. 1056 C.C., et les dispositions de l’art. 1053 du même Code ne sauraient être étendues ou élargies de façon à donner au décédé une réclamation pour la perte de sa vie qui est transmise à ses héritiers.

Il est bien sûr que si l’enfant Beverley eût, après son accident, vécu pendant un certain temps, et si elle n’eût pas de son vivant obtenu indemnité ou satisfaction, ses héritiers auraient pu faire valoir contre l’auteur du délit un réclamation pour souffrances, perte de salaire, privation des douceurs ou des aménités de la vie jusqu’à son décès, mais cette réclamation ne résulterait pas de la mort de la victime mais d’un actif qui, avant le décès, serait entré dans les biens de la succession ou le patrimoine de la défunte. [Je souligne.]

57 L’appelante prétend devant nous que ces décisions n’ont plus qu’une valeur historique depuis l’adoption de la Charte dont les art. 1 et 49 conféreraient dorénavant aux héritiers d’une personne qui décède par la faute d’autrui le droit d’obtenir des dommages compensatoires pour perte de vie ou perte d’expectative de vie.

58 L’argument de l’appelante se bute à une première difficulté qui a trait à la nature des recours offerts par la Charte. Dans l’arrêt Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345, la Cour a clairement établi que l’inclusion de droits et libertés fondamentaux dans la Charte n’avait pas créé un régime autonome de responsabilité civile. Au paragraphe 121, le juge Gonthier, avec lequel j’étais d’accord sur ce point, écrit:

Il est entendu que les dommages moraux et matériels qu’accorde un tribunal suite à une violation de la Charte sont de nature strictement compensatoire. Le libellé du texte législatif ne laisse subsister aucun doute à ce sujet, puisqu’il confère à la victime d’une atteinte illicite à un droit protégé le droit d’obtenir «la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte». La compensation ainsi octroyée obéira donc au principe fondamental de la restitutio in integrum. C’est dire que pour une même situation factuelle, la Charte ne saurait autoriser double compensation, ni fonder des dommages distincts de ceux qui auraient pu être obtenus en vertu du droit commun. La violation d’un droit garanti n’a pas pour effet de modifier les principes généraux de compensation, ni de créer en soi un préjudice indépendant. La Charte ne crée pas un régime parallèle d’indemnisation. [Je souligne.]

Dans cet arrêt, j’ajoutais que le chevauchement entre le régime de droit commun et celui de la Charte ne valait qu’à l’égard du recours en dommages compensatoires, excluant par le fait même le recours de nature exemplaire prévu au second alinéa de l’art. 49 de la Charte (aux par. 24 à 26).

59 Il ne s’ensuit pas, à mon avis, que la Charte n’ait pas grandement contribué à préciser la portée des droits fondamentaux en droit québécois: M. Caron, «Le Code civil québécois, instrument de protection des droits et libertés de la personne?» (1978), 56 R. du B. can. 197. Par ailleurs, les principes d’interprétation propres aux lois sur les droits de la personne, que j’ai rappelés dans l’arrêt Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., précité, aux par. 42 et 45, témoignent de l’importance particulière de ces droits fondamentaux par rapport au droit commun:

La Charte n’est pas une loi ordinaire mise en vigueur par le législateur québécois au même titre que n’importe quel autre texte législatif. Il s’agit plutôt d’une loi bénéficiant d’un statut spécial, d’une loi fondamentale, d’ordre public, quasi constitutionnelle, qui commande une interprétation large et libérale de manière à réaliser les objets généraux qu’elle sous-tend de même que les buts spécifiques de ses dispositions particulières.

. . .

Par ailleurs, non seulement la nature de cette loi relative aux droits et libertés de la personne commande-t-elle une interprétation large et libérale, mais l’art. 53 de la Charte précise, de plus, que «(s)i un doute surgit dans l’interprétation d’une disposition de la loi, il est tranché dans le sens indiqué par la Charte». Cette disposition a été utilisée afin de favoriser une interprétation des lois qui se concilie avec les droits garantis par la Charte. . . [Je souligne.]

60 À la lumière de ces principes, il s’agit maintenant de déterminer si le droit à la vie garanti à l’article premier de la Charte requiert que soit modifié le principe jurisprudentiel selon lequel le droit à la vie d’une personne cesse d’exister au moment de son décès de sorte que ses héritiers ne sauraient réclamer des dommages compensatoires pour perte de vie ou perte d’expectative de vie. Pour les motifs suivants, je ne le crois pas.

61 La Charte n’a pas créé le droit à la vie, lequel a toujours été valorisé et reconnu en droit civil québécois. Ainsi que l’exprime le juge Vallerand (à la p. 341):

La charte a sans doute créé de nouveaux droits et de nouveaux recours pour les faire valoir. Mais il va de soi, je pense, qu’elle n’a pas créé le droit à la vie. Elle n’a pas non plus créé le recours en dommages de la victime d’un délit. J’estime, pour ma part, que le droit à la vie de l’article 1 de la charte et le recours en réparation de l’article 49 existaient tous deux avant l’avènement de la charte et que s’y appliquent les directives de la Cour suprême du Canada qui nous lient ici. [Je souligne.]

La validité de cette affirmation ne saurait plus faire de doute aujourd’hui à la lumière de l’art. 3 C.c.Q. qui se lit ainsi:

3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

Ces droits sont incessibles.

62 S’il est indéniable que la mort constitue l’atteinte ultime au droit à la vie, les tribunaux, au Québec comme en common law, ont pourtant refusé de considérer la perte de vie ou d’expectative de vie comme étant un préjudice indemnisable, c’est-à-dire donnant droit à des dommages compensatoires. À cette fin, le droit à la vie a été interprété comme prenant fin avec la mort ou, en d’autres termes, comme n’incluant pas le droit de ne pas mourir par la faute d’autrui: Driver c. Coca-Cola Ltd. et Pantel c. Air Canada, précités. Bien qu’il faille reconnaître l’ironie de cette interprétation, dictée par de puissants arguments de politique judiciaire, il m’apparaît néanmoins fallacieux de prétendre, comme le fait l’appelante, qu’elle dévalorise le droit à la vie.

63 Que la mort d’une personne n’enrichisse pas le patrimoine qu’elle transmet à ses héritiers, quels qu’ils soient et quelle qu’ait été leur relation avec la victime, n’implique pas que le droit à la vie de cette dernière n’a aucune valeur. Au contraire, c’est précisément le respect qui est dû au droit à la vie qui commande que seules les personnes aux yeux desquelles ce droit avait effectivement de la valeur puissent obtenir compensation. À cet égard, il n’est dorénavant plus permis de douter que la douleur morale éprouvée par les proches d’une personne qui perd la vie par la faute d’autrui est pleinement compensable à titre de solatium doloris. Sous-jacente à la reconnaissance d’un tel chef de dommages n’est nulle autre que la reconnaissance de la valeur même du droit à la vie.

64 Les considérations de politique judiciaire militant en faveur de la position adoptée par notre Cour dans les arrêts Driver c. Coca-Cola Ltd. et Pantel c. Air Canada, précités, sont multiples, la plus significative étant l’infinie difficulté, pour ne pas dire l’absolue impossibilité, de quantifier la vie, quintessence de l’intangible, qui, de tous les temps, a défié les tentatives philosophiques de définitions. La difficulté de cerner le sens du droit à la vie, illustrée par certains débats juridiques contemporains dans le contexte du droit à la vie prévu à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés: R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, pâlit à côté de celle d’en faire l’évaluation en termes de dollars.

65 Comment, en effet, apprécier la valeur du préjudice qu’une personne subit en décédant? Les caractéristiques particulières de la victime telles que ses aptitudes intellectuelles et physiques doivent-elles être prises en considération? Quel serait l’impact de la perception de sa propre vie d’une personne atteinte, par exemple, d’une maladie incurable affectant substantiellement sa qualité de vie? J’arrête ici cet exercice dont les ramifications choquent l’intelligence en ce qu’elles nient l’égalité en valeur du droit à la vie de chaque individu, quelles que soient sa condition et ses possibilités.

66 À la lumière de ces objections, tant d’ordre pratique que de principe, non négligeables, je note que le Canada n’est pas la seule juridiction qui se soit opposée à l’indemnisation objective pour perte de vie ou perte d’expectative de vie. L’Angleterre, entre autres, a adopté en 1982 une loi abrogeant ce chef de dommages: Administration of Justice Act 1982 (R.-U.), 1982, ch. 53, al. 1(1)a). De même, plusieurs États américains, dont la Floride, l’Ohio, l’Oklahoma, l’Illinois, le Maine, le Wisconsin, le Wyoming, l’Arizona, le Colorado et le Nebraska, ont exclu cette possibilité par voie législative: A. J. McClurg, «It’s a Wonderful Life: The Case for Hedonic Damages in Wrongful Death Cases» (1990), 66 Notre Dame L. Rev. 57, aux pp. 96 et 97. En France, bien que la Cour de cassation se soit récemment prononcée en faveur de l’octroi de dommages moraux à un grand blessé réduit à un état végétatif, la question n’est toutefois pas réglée lorsque, comme en l’espèce, la victime décède en raison de ses blessures: G. Viney, «Responsabilité civile», J.C.P. 1995, éd. G, I, 3853, à la p. 271. Quant à la controverse doctrinale qui existe sur cette question, le professeur Viney la tranche en faveur de la non-transmissibilité aux héritiers du droit de réclamer des dommages pour perte de vie ou d’expectative de vie: Traité de droit civil, t. 5, Les obligations: la responsabilité -- effets (1988), aux pp. 230 et 231.

67 Par ailleurs, aucun type de préjudice reconnu ne me semble approprié pour désigner celui qui résulte du décès, ce dernier équivalant, d’une certaine façon, à l’incapacité de ressentir quelque préjudice que ce soit. De par sa nature, donc, la perte de vie ou d’expectative de vie constitue un préjudice unique, ce qui justifie, à mon avis, de déroger à la règle de la restitution intégrale de la responsabilité civile, règle dont notre Cour a récemment précisé la portée dans l’arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, précité.

68 Dans cette affaire, notre Cour a confirmé la conclusion du juge du procès selon laquelle les bénéficiaires d’un centre hospitalier pour déficients mentaux possédaient la capacité nécessaire pour subir un préjudice moral d’inconfort, préjudice qu’ils ont effectivement subi en raison de grèves illégales auxquelles a pris part le personnel du centre. Bien qu’il n’ait pas fait de doute que ce type de préjudice soit indemnisable s’il est éprouvé par des personnes normalement constituées, en raison de la déficience mentale des bénéficiaires, il s’agissait dans ce cas de déterminer si leur droit à la compensation devait leur être nié vu leur incapacité d’apprécier et de jouir de cette compensation. Insistant sur la fonction compensatoire de la responsabilité civile, la Cour a conclu (au par. 71):

[E]n droit civil [. . .] les dommages sont recouvrables, non pas parce que la victime pourra en bénéficier, mais plutôt en raison même de l’existence d’un préjudice moral. L’état ou la capacité de perception de la victime ne sont donc pas pertinents quant au droit à la compensation du préjudice moral.

69 Telle n’est pas la question en l’espèce, la perte de vie ou la perte d’expectative de vie, contrairement au préjudice moral par exemple, ne constituant pas un chef de dommages transmissible aux héritiers de la victime en droit civil québécois. D’autre part, à la lumière de la fonction essentiellement réparatrice du régime de responsabilité civile, il est difficile de justifier l’indemnisation d’un préjudice dont la nature même fera systématiquement en sorte que la victime ne pourra en tirer un quelconque profit. Ce point de vue est partagé notamment par le professeur Viney, Les obligations: la responsabilité -- effets, op. cit., aux pp. 230 et 231:

C’est donc finalement le mouvement favorable à la «patrimonialisation» de la réparation des dommages moraux qui paraît étayer le plus solidement la thèse de la transmissibilité. Mais toute la question est précisément de savoir jusqu’où doit aller cette tendance et s’il ne faut pas la nuancer pour éviter une «commercialisation» excessive des sentiments et des valeurs morales.

Aucun des arguments invoqués par les partisans de la transmissibilité ne paraît donc décisif. En revanche la thèse opposée se recommande de considérations très fortes.

Tout d’abord, on ne saurait nier que l’indemnisation des préjudices moraux remplit une fonction particulière qui peut être, soit d’apporter à la victime une satisfaction destinée à compenser l’impression pénible laissée par ses souffrances, soit d’infliger à l’auteur une sorte de sanction civile qui satisfait un besoin, sinon de vengeance, du moins d’affirmation publique du droit de celui qui a souffert contre celui qui lui a infligé cette souffrance. Or, il est bien évident que, pour remplir véritablement cette fonction, l’indemnisation doit être réclamée et obtenue par la victime elle-même. Si elle l’est par ses héritiers, elle n’apporte aucun soulagement aux souffrances endurées et ne donne aucune satisfaction morale à celui qui les a subies. Son seul effet est de permettre aux successeurs de faire argent d’une souffrance qui n’est pas la leur et dont peut-être leur auteur n’aurait pas voulu lui-même demander réparation, ce qui paraît particulièrement antipathique, sinon même franchement immoral. [Notes en bas de page omises; je souligne.]

70 La politique judiciaire qui sous-tend la règle jurisprudentielle établie dans les arrêts Driver c. Coca-Cola Ltd. et Pantel c. Air Canada, précités, conserve toute sa pertinence depuis l’avènement de la Charte.

71 Nul ne peut contester qu’il y a eu atteinte illicite au droit à la vie d’Anthony en raison du comportement fautif de l’intimé Gosset. Toutefois, la Charte, pas plus que le droit commun, n’est en mesure de protéger le droit à une vie qui s’est éteinte. Ainsi, pour les considérations de politique judiciaire déjà exposées, la réclamation de l’appelante pour atteinte au droit à la vie de son fils ne saurait faire l’objet d’indemnisation, tant en vertu de l’art. 1053 C.c.B.C. que des art. 1 et 49 de la Charte. À cet égard, que l’appelante mette l’accent sur l’abrégement de la vie de son fils, qui a survécu quatre heures à sa blessure, plutôt que la perte de sa vie m’apparaît sans conséquence en l’espèce. En effet, ces deux chefs de dommages sont indissociables lorsque la victime meurt instantanément en raison de l’acte fautif ou y survit sans pour autant reprendre conscience avant de décéder.

72 Par ailleurs, contrairement à la proposition de l’appelante, le droit à la sûreté de son fils n’a pas été violé indépendamment de son droit à la vie lorsque l’intimé Gosset a pointé son arme en sa direction dans le but, a-t-il témoigné, de le contrôler à distance pour le soumettre à l’arrestation. Sans décider de la question de savoir s’il s’agit-là de droits distincts, admettre le contraire dans les circonstances équivaudrait à reconnaître que cette pratique universellement acceptée par le corps policier constituerait nécessairement, selon l’appelante, une atteinte illicite au droit à la sûreté de la personne du suspect, atteinte qui ferait naître la possibilité de réclamer des dommages compensatoires et exemplaires en vertu de l’art. 49 de la Charte. Ce n’est sûrement pas là l’objectif recherché par la Charte.

73 Ceci dit, il est clair que la Charte a réitéré la protection accordée au droit à la vie, à laquelle toute personne a un droit inné, telle que reconnue par le droit commun de la responsabilité civile. En effet, comme le souligne le juge Deschamps, à la p. 364, le recours en dommages exemplaires prévu au deuxième alinéa de l’art. 49 de la Charte constitue un outil de protection du droit à la vie qu’il ne faut pas sous-estimer:

[traduction] On reproche souvent à l’approche subjective de permettre aux auteurs d’une faute d’éviter toute punition pour la mort de leurs victimes, alors qu’une faute moindre aurait été punie. Je renvoie à l’exemple souvent donné de l’automobiliste à qui il est préférable de tuer une personne plutôt que de simplement la blesser. Cela reflète, une fois de plus, la confusion entre dommages-intérêts exemplaires et dommages-intérêts compensatoires. De plus, il est également utile de souligner que les cas où l’auteur d’une faute ne causant pas de souffrances à la victime pourrait sembler avantagé sont moins fréquents depuis que des dommages-intérêts exemplaires peuvent être accordés. Ces dommages-intérêts tiennent compte de la gravité de l’acte, facteur qui ne revêt pas une grande importance pour l’évaluation des dommages-intérêts compensatoires. [Je souligne.]

74 Rien n’exclut par ailleurs l’octroi de dommages exemplaires dans le cadre d’un recours pour dommages moraux ou matériels de la mère puisque ceux-ci trouvent leur source dans l’atteinte illicite au droit à la vie de son fils, qui engendre responsabilité civile envers celle-ci, victime par ricochet. Je rappelle l’analyse que faisait de l’art. 49 l’opinion majoritaire du juge Gonthier dans l’arrêt Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., précité, au par. 127:

Malgré [son double objectif de punition et de dissuasion], le recours en dommages exemplaires fondé sur l’art. 49, al. 2 de la Charte ne peut se dissocier des principes de la responsabilité civile. Un tel recours ne pourra en effet qu’être l’accessoire d’un recours principal visant à obtenir compensation du préjudice moral ou matériel. L’article 49, al. 2 précise bien qu’en cas d’atteinte illicite et intentionnelle à un droit protégé, «le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages exemplaires» [souligné dans l’original]. Cette formulation démontre clairement que, même si l’on admettait que l’attribution de dommages exemplaires ne dépend pas de l’attribution préalable de dommages compensatoires, le tribunal devra à tout le moins avoir conclu à la présence d’une atteinte illicite à un droit garanti. Il y aura donc identification d’un comportement fautif constitutif de responsabilité civile, et en sus, étude plus approfondie de l’intention du responsable. C’est la combinaison de l’illicéité et de l’intentionnalité qui sous-tend la décision d’accorder des dommages exemplaires. Le lien nécessaire avec le comportement fautif constitutif de responsabilité civile permet d’associer aux principes de la responsabilité civile le recours en dommages exemplaires. [Je souligne.]

75 Cette discussion nous mène à la dernière question dont il faut traiter, soit l’élément d’intentionnalité auquel est assujetti l’octroi de dommages exemplaires prévu au deuxième alinéa de l’art. 49 de la Charte.

C. L’atteinte illicite et intentionnelle

76 Comme je l’ai déjà mentionné, les faits de l’espèce démontrent sans l’ombre d’un doute que le droit à la vie d’Anthony a été violé en raison de la conduite fautive de l’intimé Gosset. L’existence d’une atteinte illicite à un droit protégé par la Charte étant établie, il s’agit de déterminer si cette atteinte se qualifie d’«intentionnelle» au sens du deuxième alinéa de l’art. 49 de la Charte de façon à permettre l’octroi de dommages exemplaires.

77 La question de savoir ce qu’il faut entendre par la notion d’«atteinte illicite et intentionnelle» a été examinée à fond dans l’arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, précité. Après une revue de la jurisprudence de la Cour d’appel du Québec, la Cour à l’unanimité a conclu que la nature particulière de la Charte en tant qu’instrument de protection des droits de la personne militait en faveur d’une interprétation de cette notion qui donne plein effet à l’objectif de punition et de dissuasion des dommages exemplaires. En soulignant que l’intention pertinente au sens du deuxième alinéa de l’art. 49 de la Charte était attachée aux conséquences de la conduite fautive de l’auteur de l’atteinte illicite, j’ai énoncé le critère applicable en ces termes (au par. 121):

[I]l y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.

78 Dans le cas qui nous intéresse, le juge des faits a conclu que l’intimé Gosset n’avait pas eu l’intention de tirer le coup de feu fatal, mais que l’usage délibéré et négligent qu’il a fait de son arme constituait néanmoins une atteinte illicite et intentionnelle au droit à la sûreté d’Anthony, puisqu’une personne raisonnable aurait prévu qu’un pareil geste mettait ce droit sérieusement en péril. La majorité de la Cour d’appel a rejeté cette interprétation au motif que l’élément d’intentionnalité requis par le second alinéa de l’art. 49 de la Charte supposait que l’auteur de l’atteinte illicite ait voulu les conséquences de ses actes fautifs. À cet égard, le juge Deschamps, au nom de la majorité, précise (aux pp. 372 et 373):

[L’interprétation du juge Baudouin dans Association des professeurs de Lignery (A.P.L.), syndicat affilié à la C.E.Q. c. Alvetta-Comeau, [1990] R.J.Q. 130 (C.A.)] me semble la seule qui puisse être retenue compte tenu du contexte historique ainsi que de la spécificité du droit civil. Le législateur a choisi de ne retenir, comme passibles de dommages exemplaires, que les atteintes réellement intentionnelles et c'est sûrement aussi par choix qu'il n'y a pas inclus les atteintes insouciantes et négligentes, quelle que soit la gravité de cette insouciance ou cette négligence. La distinction ne peut avoir échappé au législateur et je dois la respecter.

Dans certaines situations, l'intention de commettre l'atteinte à un droit protégé par la charte transparaît d'emblée du caractère volontaire du geste posé. Ainsi, tant dans l'affaire Association des professeurs de Lignery (A.P.L.), syndicat affilié à la C.E.Q. c. Alvetta-Comeau que dans l’affaire West Island Teachers’ Association c. Nantel [[1988] R.J.Q. 1569 (C.A.)], il était évident que les gestes intentionnels des représentants syndicaux avaient pour but d'atteindre les droits protégés des syndiqués dissidents.

De la même façon, dans Syndicat national des employés de l'Hôpital St-Ferdinand c. Curateur public du Québec, [[1994] R.J.Q. 2761 (C.A.)], les syndiqués savaient que la privation de services entraînerait des inconvénients chez les patients; s'il s'agissait là d'une façon pour eux de faire des pressions sur l'employeur, il n'en demeure pas moins que la conséquence des gestes, soit l'atteinte au droit protégé, était voulue.

Compte tenu de ce contexte, je ne crois pas que l'article 49 alinéa 2 de la charte laisse place à l'introduction de la notion d'insouciance (recklessness) à laquelle le juge de première instance semble avoir eu recours. [Je souligne.]

Ainsi, puisque le juge du procès a reconnu que l’usage que l’intimé Gosset a fait de son arme était destiné, non à tuer, mais à contrôler Anthony à distance pour qu’il se soumette à l’arrestation, la majorité en arrive à la conclusion qu’il n’y a pas eu «atteinte illicite et intentionnelle» au sens du deuxième alinéa de l’art. 49 de la Charte.

79 En effet, le juge du procès a erré en droit en concluant que le comportement simplement négligent de l’intimé Gosset suffisait pour constituer une «atteinte illicite et intentionnelle» au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte.

80 Appliquant le critère dégagé dans l’arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, précité, je suis d’accord avec la majorité de la Cour d’appel pour conclure qu’en l’espèce, l’intimé Gosset n’avait pas l’intention de tuer Anthony et ne voulait pas les conséquences de son geste. La preuve révèle clairement, en effet, qu’il n’a pas tiré dans le but de tuer Anthony et que, de surcroît, ayant été entraîné à armer son arme tout en dégainant, cette dernière n’a pas été actionnée intentionnellement. Par ailleurs, le contrôle à distance d’un suspect au moyen d’une arme étant pratique courante dans le corps policier, les conséquences malheureuses auxquelles ce geste a donné suite en l’espèce ne peuvent certainement pas être qualifiées d’«immédiates et naturelles», ni même d’«extrêmement probables».

81 En conséquence, l’atteinte illicite au droit à la vie d’Anthony n’était pas «intentionnelle» au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte. Ainsi, la majorité de la Cour d’appel a eu raison d’infirmer le jugement de première instance sur ce point et de refuser d’accorder des dommages exemplaires à l’appelante.

VI. Conclusion

82 Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel en partie uniquement aux fins de retourner le dossier à la Cour d’appel du Québec pour qu’elle détermine le quantum des dommages compensatoires pour solatium doloris après audition des parties sur ce point et conformément aux critères dégagés dans cet arrêt, le tout avec dépens dans toutes les cours.

Pourvoi accueilli en partie avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Pearl & Associés, Montréal.

Procureurs de l’intimée la Communauté urbaine de Montréal: Leduc, Bélanger, Boisvert, Laurendeau, Rivard, Montréal.

Procureurs de l’intimé Gosset: Alarie, Legault, Beauchemin, Paquin, Jobin & Brisson, Montréal.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli en partie

Analyses

Dommages‑intérêts - Préjudice moral - Solatium doloris - Le solatium doloris est‑il un type de préjudice moral qui peut faire l’objet d’une indemnisation en droit québécois? - Évaluation du préjudice - Critères applicables - Code civil du Bas Canada, art. 1053, 1056.

Dommages-intérêts -- Droits parentaux -- Victime blessée mortellement par une balle tirée par un policier -- Dommages réclamés par la mère pour atteinte à ses droits parentaux -- La Charte des droits et libertés de la personne ou la Charte canadienne des droits et libertés reconnaissent-elles le droit de conserver et de continuer une relation parent-enfant?

Dommages‑intérêts - Perte de vie ou d’expectative de vie - Victime atteinte à la tête par une balle tirée par un policier - Décès de la victime quelques heures plus tard sans qu’elle ait repris conscience - Le droit à la vie garanti par la Charte des droits et libertés de la personne permet‑il à la mère de la victime de réclamer des dommages compensatoires pour perte de vie ou d’expectative de vie? - Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12, art. 1, 49.

Libertés publiques - Droit à la vie - Réparation - Dommages compensatoires - Victime atteinte à la tête par une balle tirée par un policier - Décès de la victime quelques heures plus tard sans qu’elle ait repris conscience - Le droit à la vie garanti par la Charte des droits et libertés de la personne permet‑il à la mère de la victime de réclamer des dommages compensatoires pour perte de vie ou d’expectative de vie? - Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12, art. 1, 49.

Libertés publiques - Droit à la vie - Réparation - Dommages exemplaires - Victime blessée mortellement par une balle tirée par un policier - Juge de première instance concluant que le policier avait été négligent dans l’utilisation de son arme - L’atteinte illicite au droit à la vie de la victime était‑elle intentionnelle? - Sens de l’expression «atteinte illicite et intentionnelle» - Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12, art. 1, 49.

L’appelante a intenté une action en responsabilité civile contre G et la CUM à la suite du décès de son fils âgé de 19 ans. G, un policier, a répondu à l’appel d’un chauffeur de taxi qui se plaignait que la victime refusait de payer sa course. En vérifiant son identité, G a appris qu’il existait un mandat d’arrestation contre la victime et il l’a arrêtée. Arrivé au poste de police, G a ouvert la portière à la victime. Elle est sortie de la voiture et s’est mise à courir. G s’est lancé à sa poursuite tout en dégainant son revolver et lui a ordonné de s’arrêter. La victime s’est arrêtée sans toutefois s’immobiliser complètement. G lui a de nouveau ordonné de s’arrêter tout en pointant son revolver vers elle. À cet instant, la victime a été atteinte d’un coup de feu à la tête. Elle a été transportée à l’hôpital où elle est décédée le même jour sans avoir repris conscience.

Après une revue de la preuve, le juge de première instance a conclu que G, en pointant son arme avec le doigt sur la gâchette pendant qu’il courait, a été négligent et que cette négligence a été la cause directe du décès de la victime. La CUM ayant admis sa responsabilité à titre d’employeur, le juge a condamné G et la CUM conjointement et solidairement à payer à l’appelante 10 795 $ à titre de dommages compensatoires, soit 9 000 $ pour perte de soutien moral et perte de soutien financier, et 1 795 $ pour les frais funéraires. Le juge de première instance a rejeté la réclamation de l’appelante relative au solatium doloris et a refusé de l’indemniser, à titre d’héritière, pour la perte d’expectative de vie ainsi que les souffrances de son fils, qui n’en aurait pas eu conscience. Quant aux dommages exemplaires, le juge a condamné G à payer à l’appelante la somme de 4 000 $. Tout en reconnaissant que G n’avait pas eu l’intention de tuer la victime, il a conclu que sa façon de manipuler son arme, alors qu’il savait ou devait savoir qu’il mettait en péril la sûreté de la victime, constituait une faute lourde dolosive et équivalait à une «atteinte illicite et intentionnelle» au sens de l’art. 1 et du second alinéa de l’art. 49 de la Charte des droits et libertés de la personne. La Cour d’appel, à la majorité, a accueilli en partie l’appel de l’appelante et a augmenté à 16 795 $ les dommages compensatoires, dont 15 000 $ à titre de solatium doloris, mais a refusé de reconnaître une atteinte à ses droits parentaux et de la compenser, à titre d’héritière, pour la perte d’expectative de vie de même que pour l’atteinte au droit à la vie et à la sûreté de son fils. La cour, à la majorité, a également accueilli l’appel de G et a annulé sa condamnation aux paiements de dommages exemplaires. La cour a indiqué qu’en pointant son arme vers la victime G ne désirait pas attenter à sa vie mais plutôt la contrôler à distance, et a conclu que les gestes de G ne constituaient pas une «atteinte intentionnelle» au sens du deuxième alinéa de l’art. 49 de la Charte.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli en partie.

(1) Solatium doloris

Le solatium doloris est un chef de préjudice moral qui donne lieu à indemnisation en droit civil québécois en vertu des art. 1053 et 1056 C.c.B.C. En droit civil, tout préjudice, qu’il soit moral ou matériel, même s’il est difficile à évaluer, peut faire l’objet d’une indemnisation dans la mesure où preuve en est faite. Dans cette perspective, la compensation pour le chagrin et la douleur morale ressentis suite au décès d’un proche s’inscrit naturellement dans la pleine reconnaissance des dommages moraux en droit civil. Par ailleurs, pour décider de la reconnaissance du solatium doloris en droit civil québécois, c’est au droit français, et non au droit anglais, qu’il faut se référer. Le droit français a toujours reconnu qu’il y avait lieu à compensation pour le préjudice moral résultant du décès d’un proche, et c’est également le cas en droit civil québécois.

En décidant d’accorder une indemnité au titre du solatium doloris, la Cour d’appel a considéré toutes les composantes du préjudice moral. Elle a toutefois erré au niveau de l’évaluation du préjudice moral subi par l’appelante. Pour son évaluation, la Cour d’appel s’est fondée sur les sommes généralement accordées par les tribunaux québécois ainsi qu’aux indemnités prévues par diverses lois de caractère social. Or la jurisprudence québécoise ne reflète pas le principe de compensation intégrale puisque les tribunaux se croyaient liés par la règle de l’exclusion du solatium doloris comme chef de dommages compensables. Quant à l’utilité comparative des indemnités prévues dans certaines lois de caractère social, elle ne peut qu’être limitée car ces lois accordent des sommes en général moins importantes afin d’indemniser un plus grand nombre de personnes qui n’auraient pas nécessairement été compensées selon les principes de droit commun de la responsabilité civile. En reconnaissant l’indemnisation pour solatium doloris en droit civil québécois sans avoir établi de nouveaux critères d’évaluation du préjudice à cet égard, la Cour d’appel a donc privé l’appelante de son droit d’être compensée intégralement pour le préjudice moral qu’elle a subi en raison du décès de son fils. De plus, le besoin de certitude et de prévisibilité du droit à l’égard des montants accordés pour ce type de préjudice exige que des paramètres d’évaluation appropriés soient établis. Bien que la douleur d’un parent causée par la mort d’un enfant ne puisse être compensée adéquatement, l’évaluation du préjudice moral dépend de l’appréciation de la preuve présentée devant le tribunal. Dans cette perspective, l’élaboration de certains critères est de mise pour préserver l’objectivité de la démarche. De plus, tout en faisant preuve de sensibilité aux particularités de chaque cas, on ne saurait ignorer les limites du principe de restitution intégrale dans ce domaine où la modération et la prévisibilité doivent être favorisées. Dans son évaluation du préjudice moral découlant du décès d’un être cher, un tribunal devrait considérer notamment les critères suivants: les circonstances du décès, l’âge de la victime et du parent, la nature et la qualité de la relation entre la victime et le parent, la personnalité du parent et sa capacité de gérer les conséquences émotives du décès, l’effet du décès sur la vie du parent à la lumière, entre autres, de la présence d’autres enfants ou de la possibilité d’en avoir d’autres. En l’espèce, lorsqu’on tient compte de ces critères, une indemnité de l’ordre de 25 000 $ pourrait représenter une somme juste et raisonnable dans les circonstances, mais il appartiendra à la Cour d’appel de fixer le quantum après audition des parties sur ce point.

(2) Droits parentaux

Ni la Charte canadienne des droits et libertés ni la Charte québécoise ne reconnaissent le droit de conserver et de continuer une relation parent‑enfant. La Cour d’appel était donc justifiée de refuser de reconnaître à l’appelante une atteinte à ses droits parentaux et de rejeter ce chef de compensation.

(3) Perte de vie ou perte d’expectative de vie

Le droit à la vie prenant fin avec le décès de la victime, un recours en dommages pour perte de vie ou abrégement de vie, lorsque la victime décède immédiatement en raison de l’acte fautif ou y survit quelques heures sans toutefois reprendre conscience avant de mourir, n’est pas susceptible d’entrer dans le patrimoine de la victime et ne saurait donc être transmis à ses héritiers. Le droit à la vie garanti à l’art. 1 de la Charte québécoise ne requiert pas que soit modifié ce principe de non‑transmissibilité. La Charte n’a pas créé un régime autonome de responsabilité civile et, bien qu’elle ait contribué à préciser la portée des droits fondamentaux en droit québécois, elle n’a pas créé le droit à la vie, lequel a toujours été valorisé et reconnu en droit civil québécois. Les importantes considérations de politique judiciaire sous‑tendent le principe jurisprudentiel de non‑transmissibilité aux héritiers du droit de réclamer des dommages pour perte de vie ou d’expectative de vie -- la plus significative étant l’extrême difficulté de quantifier la vie -- conservent toute leur pertinence depuis l’avènement de la Charte. De par sa nature, la perte de vie ou d’expectative de vie constitue un préjudice unique qui justifie de déroger à la règle de la restitution intégrale de la responsabilité civile. Par ailleurs, à la lumière de la fonction essentiellement réparatrice du régime de responsabilité civile, il est difficile de justifier l’indemnisation d’un préjudice dont la nature même fera systématiquement en sorte que la victime ne pourra en tirer un quelque profit que ce soit. La réclamation de l’appelante pour atteinte au droit à la vie de son fils ne saurait donc faire l’objet d’une indemnisation, tant en vertu de l’art. 1053 C.c.B.C. que des art. 1 et 49 de la Charte. Le refus d’accorder une indemnisation n’a pas pour effet de dévaloriser le droit à la vie. Enfin, le droit de la victime à la sûreté de sa personne n’a pas été violé indépendamment de son droit à la vie lorsque G a pointé son arme vers elle dans le but de la contrôler à distance.

(4) Dommages exemplaires

La Cour d’appel a eu raison de refuser d’accorder des dommages exemplaires à l’appelante. Bien que l’existence d’une atteinte illicite à un droit protégé par la Charte ait été établie — le droit à la vie de la victime a été violé en raison de la conduite fautive de G —, cette atteinte illicite n’était pas «intentionnelle» au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte. Il y a atteinte illicite et intentionnelle au sens de cet alinéa lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive, ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences immédiates et naturelles, ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. En l’espèce, le juge du procès a donc erré en droit en concluant que le comportement négligent de G suffisait pour constituer une «atteinte illicite et intentionnelle». La preuve révèle clairement que G n’a pas tiré dans le but de tuer la victime et que son arme n’a pas été actionnée intentionnellement. Par ailleurs, le contrôle à distance d’un suspect au moyen d’une arme étant pratique courante dans le corps policier, les conséquences malheureuses auxquelles ce geste a donné lieu dans la présente affaire ne peuvent certainement pas être qualifiées d’«immédiates et naturelles», ni même d’«extrêmement probables».


Parties
Demandeurs : Augustus
Défendeurs : Gosset

Références :

Jurisprudence
Arrêt renversé: Canadian Pacific Railway Co. c. Robinson (1887), 14 R.C.S. 105
arrêts appliqués: Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St‑Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211
Driver c. Coca‑Cola Ltd., [1961] R.C.S. 201, conf. [1960] B.R. 313
Pantel c. Air Canada, [1975] 1 R.C.S. 472
distinction d’avec l’arrêt: B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315
arrêts mentionnés: R. c. Gosset, [1993] 3 R.C.S. 76
Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834
Robinson c. Canadian Pacific Railway Co., [1892] A.C. 481
Miller c. Grand Trunk Railway Co. of Canada, [1906] A.C. 187
Town of Montreal West c. Hough, [1931] R.C.S. 113
Canadian Pacific Railway Co. c. Lachance (1909), 42 R.C.S. 205
Montreal Tramways Co. c. Lindner, [1939] R.C.S. 405
Ravary c. Grand Trunk Railway Co. of Canada (1860), 6 L.C.J. 49
Provost c. Jackson (1869), 13 L.C.J. 170
Vanasse c. Cité de Montréal (1888), 16 R.L. 386
Cadoret c. Cité de Montréal (1888), 16 R.L. 397, note 1
Hospice Desrosiers c. The King (1920), 60 R.C.S. 105
Rubis c. Gray Rocks Inn Ltd., [1982] 1 R.C.S. 452
Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229
Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351
Snyder c. Montreal Gazette Ltd., [1988] 1 R.C.S. 494
Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130
Botiuk c. Toronto Free Press Publications Ltd., [1995] 3 R.C.S. 3
Lindal c. Lindal, [1981] 2 R.C.S. 629
Macartney c. Islic (1996), 34 C.C.L.I. (2d) 119
Wilson c. Martinello (1993), 47 A.C.W.S. (3d) 69, conf. par (1995), 23 O.R. (3d) 417
Guimond c. Guimond Estate (1995), 160 R.N.‑B. (2e) 278
Lian c. Money (1994), 93 B.C.L.R. (2d) 16, conf. par (1996), 15 B.C.L.R. (3d) 1
Thornton c. Board of School Trustees of School District No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267
Arnold c. Teno, [1978] 2 R.C.S. 287
Nightingale c. Mazerall and Elliott (1991), 121 R.N.‑B. (2e) 319
Béliveau St‑Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345
R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30
Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519.
Lois et règlements cités
Act for compensating the Families of Persons killed by Accidents (R.‑U.), 9 & 10 Vict., ch. 93 (Lord Campbell’s Act).
Acte pour donner aux familles des personnes tuées par accident la faculté de réclamer des dommages, et pour d’autres fins y mentionnées, S. Prov. Can. 1847, 10 & 11 Vict., ch. 6 [plus tard S.R.C. 1859, ch. 78].
Administration of Justice Act 1982 (R.‑U.), 1982, ch. 53, art. 1(1)a).
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7.
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12, art. 1 [rempl. 1982, ch. 61, art. 1], 39 [rempl. 1980, ch. 39, art. 61], 49.
Code civil du Bas Canada, art. 626 [rempl. 1915, ch. 74, art. 6], 1053, 1054 [mod. 1977, ch. 72, art. 7], 1056 [mod. 1930, ch. 98, art. 1
mod. 1970, ch. 62, art. 11
mod. 1980, ch. 39, art. 42].
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 3, 1457.
Fatal Accidents Act, R.S.A. 1980, ch. F‑5, art. 8(2) [abr. & rempl. 1994, ch. 16, art. 5].
Loi sur l’assurance‑automobile, L.R.Q., ch. A‑25.
Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, L.R.Q., ch. I‑6.
Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3.
Loi sur les accidents mortels, L.R.N.‑B. 1973, ch. F‑7, art. 3(4) [aj. 1986, ch. 36, art. 1].
Doctrine citée
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Proposition de citation de la décision: Augustus c. Gosset, [1996] 3 R.C.S. 268 (3 octobre 1996)


Origine de la décision
Date de la décision : 03/10/1996
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1996] 3 R.C.S. 268 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1996-10-03;.1996..3.r.c.s..268 ?
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