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03/10/1996 | CANADA | N°[1996]_3_R.C.S._312

Canada | R. c. Jacques, [1996] 3 R.C.S. 312 (3 octobre 1996)


R. c. Jacques, [1996] 3 R.C.S. 312

Joseph Ronald Jacques

et Mary Maurene Mitchell Appelants

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada Intimée

Répertorié: R. c. Jacques

No du greffe: 24558.

1996: 2 février; 1996: 3 octobre.

Présents: Les juges Sopinka, Gonthier, Cory, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel du nouveau‑brunswick

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick (1995), 157 R.N.‑B. (2e) 195, 404 A.P.R. 195, 95 C.C.C. (3d) 238, 37 C.R. (4th) 117, qui a annulé l’acquitteme

nt des appelants prononcé par le juge Harper de la Cour provinciale (1993), 143 R.N.‑B. (2e) 64, 366 A.P.R. 64, relativement à ...

R. c. Jacques, [1996] 3 R.C.S. 312

Joseph Ronald Jacques

et Mary Maurene Mitchell Appelants

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada Intimée

Répertorié: R. c. Jacques

No du greffe: 24558.

1996: 2 février; 1996: 3 octobre.

Présents: Les juges Sopinka, Gonthier, Cory, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel du nouveau‑brunswick

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick (1995), 157 R.N.‑B. (2e) 195, 404 A.P.R. 195, 95 C.C.C. (3d) 238, 37 C.R. (4th) 117, qui a annulé l’acquittement des appelants prononcé par le juge Harper de la Cour provinciale (1993), 143 R.N.‑B. (2e) 64, 366 A.P.R. 64, relativement à des accusations portées en vertu de la Loi sur les douanes. Pourvoi rejeté, les juges Sopinka et Major sont dissidents.

Norville T. Getty, pour les appelants.

S. R. Fainstein, c.r., et Theodore K. Tax, pour l’intimée.

//Le juge Sopinka//

Version française des motifs rendus par

1 Le juge Sopinka (dissident) — Je suis d’accord avec la conclusion et les motifs du juge Major. J’estime, cependant, que le pourvoi doit être accueilli même si, comme l’ont conclu la Cour d’appel et le juge Gonthier, le juge de première instance a commis une erreur en écartant la preuve obtenue grâce à la fouille du véhicule des appelants.

2 À mon avis, le ministère public et la Cour d’appel à la majorité ont mal compris l’obligation qui incombe au ministère public dans un appel contre un acquittement, fondé sur une erreur de droit commise au procès.

3 Dans un appel contre un acquittement, fondé sur une erreur de droit commise au procès, le ministère public a l’obligation de convaincre la cour que le verdict n’aurait pas nécessairement été le même en l’absence de cette erreur (Vézeau c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 277). Dans l’arrêt R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345, à la p. 374, notre Cour a statué que «cette charge est lourde et que la poursuite doit convaincre la cour avec un degré raisonnable de certitude».

4 Pour s’acquitter de cette obligation, le ministère public doit établir que la preuve écartée, à elle seule ou considérée avec d’autres éléments de preuve, aurait pu raisonnablement donner lieu à une déclaration de culpabilité. La cour doit être convaincue de cela avec une certitude raisonnable.

5 Dans le présent pourvoi, nous ne disposons que de la preuve résultant de la fouille; il n’y a aucun autre élément de preuve au dossier. Ce qui s’est passé au procès, après l’exclusion de la preuve résultant de la fouille, est résumé dans l’extrait suivant de la transcription:

[traduction]

M. JOHNSON: . . . À ce moment-ci, je tiens simplement à informer la cour que nous — si -- si votre jugement interlocutoire avait été différent ou si nous avions procédé d’une autre façon — j’aurais voulu faire réentendre le caporal Ed Paquet qui témoignait au moment où nous avons conclu l’affaire en octobre et procédé à un ajournement. J’avais aussi l’intention d’appeler à la barre l’agent Joseph Oliver ainsi que M. Gary Von Ritchter, qui est —

LA COUR: Eh bien! personne —

M. JOHNSON: Un employé de —

LA COUR: Personne ne vous empêche de le faire.

M. JOHNSON: Non. Eh bien! je dis que c’était mon intention d’appeler à témoigner ces deux — ou trois personnes, la troisième étant M. Von Ritchter de la Société des alcools du Nouveau‑Brunswick. Cependant, compte tenu de votre décision, je crois qu’il serait —

LA COUR: Leur — leur témoignage, si — s’il —

M. JOHNSON: Futile de —

LA COUR: La déposition de l’agent Ward est le principal témoignage. Si je ne m’abuse, la question de l’existence des droits de détention de l’État dépend alors du témoignage de l’agent Ward. L’autre témoignage serait incident et je crois qu’il ne serait vraiment pas — pas important — pour un tribunal qui doit rendre une décision à ce sujet. Il est évident que, si j’ai tort, l’autre -- l’autre témoignage pourrait être très utile mais —

M. JOHNSON: Eh bien! compte tenu de la décision que vous avez rendue, Votre Honneur, ce que j’ai accepté de faire à ce stade, en tant que substitut du procureur général, c’est de clore notre preuve et de ne plus assigner d’autres témoins à charge.

6 À elle seule, la preuve qui résulte de la fouille n’est pas suffisante pour que cette obligation soit remplie. Quoique le juge Gonthier conclue qu’elle satisfait au critère que la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), a établi pour autoriser une fouille, ce critère est très peu exigeant. Comme l’affirme le juge Gonthier (au par. 14):

Le législateur a utilisé des termes qui n’exigent pas que l’agent croie, pour des motifs raisonnables, qu’il existe une possibilité de contrebande ni qu’il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’on se livre effectivement à la contrebande. Il suffit que l’agent soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’il existe une possibilité de contrebande ou même une possibilité de tentative de contrebande. [Je souligne.]

Cela ne permet guère à notre Cour de conclure avec une certitude raisonnable que, compte tenu de cette preuve, le verdict aurait bien pu être un verdict de culpabilité.

7 Ce n’était apparemment pas l’opinion de la Cour d’appel car elle a semblé croire qu’il s’agissait non pas d’une question à laquelle elle devait s’intéresser, mais plutôt d’une question à trancher au cours d’un nouveau procès. Après avoir parlé du par. 11(1), le juge en chef du Nouveau‑Brunswick affirme ((1995), 157 R.N.-B. (2e) 195, aux pp. 208 et 209):

[traduction] Selon moi, le paragraphe précité n’oblige pas une personne à n’entrer au Canada que par un passage frontalier surveillé ou ouvert. Si cela avait été l’intention du Parlement, cette disposition aurait pu être libellée en conséquence. Le par. 11(1) oblige plutôt toute personne arrivant au Canada, sous réserve d’exceptions qui n’ont aucune application en l’espèce, à «se présenter aussitôt au plus proche bureau de douane, doté des attributions prévues à cet effet, qui soit ouvert».

M. Jacques et Mme Mitchell n’ont pas eu l’occasion de se présenter «au plus proche» bureau de douane avant d’être appréhendés par l’agent Ward. Bien que cette question puisse devenir pertinente lors d’un nouveau procès, elle ne règle pas les questions soulevées ici . . . [Je souligne.]

8 Devant notre Cour, le substitut du procureur général était du même avis. Lorsqu’on lui a demandé comment le ministère public comptait, dans les circonstances, satisfaire à ce critère, il a répondu:

[traduction] C’est une question qu’il faudra trancher lors du nouveau procès au cours duquel un juge des faits entendra la preuve au complet.

Comme l’a fait remarquer le Juge en chef du Nouveau‑Brunswick, la preuve résultant de la fouille n’était pas susceptible en soi de donner lieu à une déclaration de culpabilité. Les appelants ont été interceptés quelques minutes seulement après avoir traversé la frontière. Comme il n’y avait pas de bureau de douane sur le chemin Brown, il aurait été impossible pour les appelants de se présenter à la douane avant d’être interceptés par l’agent Ward. En conséquence, à l’exception de la preuve résultant de la fouille, rien n’indique quels éléments de preuve le ministère public pourrait présenter lors d’un nouveau procès, outre les noms de plusieurs témoins. Le ministère public ne s’est donc pas acquitté de l’obligation qui lui incombe en vertu de l’arrêt Vézeau.

9 Les propos tenus dans l’arrêt R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601, que mentionne mon collègue le juge Gonthier, n’ont absolument rien à voir avec cette exigence et n’y changent rien. Indépendamment de l’obligation qui lui incombe en vertu de l’arrêt Vézeau, s’il clôt sa preuve pour contester une décision défavorable du juge de première instance, il peut devenir impossible pour le ministère public d’interjeter appel si sa conduite équivaut à un abus de procédure. Dans ces circonstances, le ministère public perd son droit d’appel. Cependant, cela ne signifie pas que le ministère public est dégagé de l’obligation qui lui incombe en vertu de l’arrêt Vézeau, s’il ne présente pas de preuve, sans toutefois que l’existence d’un abus de procédure ne soit établie. En conséquence, il ne suffit pas à mon collègue le juge Gonthier d’affirmer, pour trancher ce point, qu’il n’y a eu aucun abus de procédure. Il est nécessaire d’expliquer comment le ministère public s’est acquitté de l’obligation qui lui incombe en vertu de l’arrêt Vézeau.

10 Depuis que j’ai rédigé ce qui précède, le juge Gonthier a modifié ses motifs afin de traiter de l’application de l’arrêt Vézeau. Je ne puis voir aucune preuve au dossier qui, avec la preuve écartée, aurait pu raisonnablement entraîner une déclaration de culpabilité.

11 Je suis d’avis de trancher le pourvoi de la façon proposée par le juge Major.

//Le juge Gonthier//

Version française du jugement des juges Gonthier, Cory et Iacobucci rendu par

12 Le juge Gonthier — J’ai pris connaissance des motifs de mon collègue le juge Major, mais je ne puis convenir avec lui que l’agent Ward, de la GRC, qui a interpellé les appelants, n’avait pas de motifs raisonnables de le faire en vertu de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), et que les appelants ont donc été détenus arbitrairement et soumis à une fouille et à une saisie abusives en contravention des art. 8 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il s’ensuit que je rejetterais le pourvoi.

13 Dans l’ensemble, je suis d’accord avec l’exposé des faits de mon collègue. En ce qui concerne l’expression [traduction] «entrée illégale» utilisée par l’agent relativement au rapport qu’il avait reçu de la patrouille frontalière américaine, je souligne que le juge de première instance a aussi utilisé cette expression relativement aux passages frontaliers. À mon avis, l’expression [traduction] «entrée illégale» est simplement une expression usuelle qui a été utilisée dans les deux cas pour désigner le passage à un point d’entrée non surveillé. Je n’accorde aucune importance à son utilisation.

14 L’analyse du présent pourvoi porte nécessairement sur la Loi sur les douanes et plus précisément sur son al. 99(1)f) qui permet à un agent d’intercepter et de fouiller un véhicule (ou un autre moyen de transport) s’il soupçonne, pour des motifs raisonnables, que ce véhicule sert ou pourrait servir à violer la Loi. Une violation de la Loi comprend une tentative au sens de l’art. 159. En ce qui concerne l’expression «pourraient donner lieu» utilisée à l’al. 99(1)f), je suis d’accord avec mon collègue pour dire qu’elle désigne la possibilité qu’une infraction soit commise. En conséquence, il ressort, à la lecture de l’al. 99(1)f), qu’un policier est autorisé à intercepter et à fouiller un véhicule s’il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’il se peut que ce véhicule soit utilisé pour introduire ou tenter d’introduire en fraude des marchandises contrairement à la Loi sur les douanes ou à son règlement d’application. Le législateur a utilisé des termes qui n’exigent pas que l’agent croie, pour des motifs raisonnables, qu’il existe une possibilité de contrebande ni qu’il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’on se livre effectivement à la contrebande. Il suffit que l’agent soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’il existe une possibilité de contrebande ou même une possibilité de tentative de contrebande.

15 On comprend parfaitement pourquoi ce critère préliminaire n’est pas strict et, en fait, qu’il l’est moins que celui prescrit par d’autres lois autorisant l’interception ou la fouille ou perquisition dans diverses circonstances. Le Canada partage avec les États‑Unis une longue frontière non défendue qui comporte de nombreux points d’entrée, dont bon nombre ne sont pas surveillés ou peuvent ne pas l’être à un moment donné. La frontière facilite non seulement le commerce légitime entre les deux pays, mais aussi malheureusement la contrebande de boissons alcoolisées, de stupéfiants, d’armes ou d’autres articles. L’État a un intérêt urgent à protéger ses frontières.

16 L’économie et le contenu de la Loi sur les douanes traduisent cet intérêt légitime de l’État, notamment les parties II et VI consacrées, respectivement, à l’importation et au contrôle d’application. La Loi confère aux agents de la paix de vastes pouvoirs en matière de fouilles et de perquisitions relativement à des personnes, véhicules et marchandises, et prévoit aussi qu’il peut y avoir saisie et confiscation. La Loi reconnaît également que des personnes et des marchandises peuvent arriver au Canada de diverses façons, à l’un des nombreux points d’entrée. Ces points d’entrée ne sont manifestement pas restreints aux points situés le long des limites territoriales du Canada. Le concept de frontière englobe davantage que les simples limites géographiques, et il en est nécessairement de même du champ d’application de la Loi. Des personnes, des véhicules et des marchandises peuvent arriver au Canada pour fins douanières et être assujettis à la Loi même s’ils sont déjà bien à l’intérieur du territoire canadien.

17 Le critère établi par l’al. 99(1)f) n’est pas strict, mais il n’est pas illusoire non plus. On n’a pas soutenu, et je ne le laisse pas entendre non plus, que l’al. 99(1)f) de la Loi autorise un agent à intercepter au hasard des véhicules simplement et uniquement parce qu’ils se trouvent à proximité de la frontière. Néanmoins, le fait de se trouver sur la frontière ou à proximité de celle‑ci est pertinent quant aux mesures d’application prévues par la Loi.

18 Dans l’arrêt R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495, notre Cour a reconnu le contexte particulier des passages frontaliers. Le juge en chef Dickson y affirme, au nom de la majorité, à la p. 528:

La nécessité d’assurer sa propre protection devient un élément déterminant du calcul effectué.

J’accepte la proposition de la poursuite que les attentes raisonnables en matière de vie privée sont moindres aux douanes que dans la plupart des autres situations. En effet, les gens ne s’attendent pas à traverser les frontières internationales sans faire l’objet d’une vérification. Il est communément reconnu que les États souverains ont le droit de contrôler à la fois les personnes et les effets qui entrent dans leur territoire.

Les voyageurs qui arrivent au Canada, que ce soit à un aéroport ou à un autre point d’entrée, s’attendent, même si cela ne leur sourit guère, à faire l’objet d’un interrogatoire et d’une inspection systématiques. Il n’est donc pas étonnant que l’appelant Jacques ait, en l’espèce, répondu aux questions de l’agent Ward au sujet de l’endroit d’où il venait et des marchandises qu’il transportait tout comme il l’aurait fait s’il avait été interrogé au point d’entrée situé à trois minutes de là.

19 Dans l’arrêt Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053, le juge Iacobucci fait remarquer, à la p. 1072:

. . . à la frontière l’État a intérêt à contrôler l’admission au pays. Les gens s’attendent à subir un interrogatoire concernant leur admission au Canada, et ce, tant dans un contexte d’immigration que dans un contexte de douane. À cause de ces intérêts et de ces attentes, l’interrogatoire d’une personne aux fins de son admission doit être analysé différemment de l’interrogatoire d’une personne qui se trouve au Canada.

20 Cet extrait des motifs du juge Iacobucci fait ressortir la nécessité d’une analyse contextuelle qui, dans l’arrêt Dehghani et le présent pourvoi, reconnaît l’importance de la situation frontalière. L’analyse contextuelle des droits et libertés garantis par la Charte est une pratique bien établie devant notre Cour. Comme l’a fait remarquer le juge L’Heureux‑Dubé dans des motifs concordants, dans l’affaire R. c. Bernshaw, [1995] 1 R.C.S. 254, aux pp. 304 à 306, où l’appelant se fondait sur l’art. 8 de la Charte pour contester l’admissibilité de la preuve obtenue par alcootest:

Même en vertu de la Charte, l’existence de «motifs raisonnables» peut vouloir dire différentes choses dans différents contextes. Notre Cour a déjà affirmé que la norme des «motifs raisonnables» est celle de la «probabilité fondée sur la crédibilité»: Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, à la p. 167; Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416, à la p. 446, et, à une autre occasion, elle a parlé de «probabilité raisonnable» ou de «croyance raisonnable»: R. c. Debot, [1989] 2 R.C.S. 1140, à la p. 1166 (le juge Wilson). Ces différentes formulations sont en soi peu utiles à l’interprétation de l’expression «motifs raisonnables» dans notre cas. Il importe davantage d’examiner le contexte dans lequel cette expression est employée ainsi que les valeurs qui la sous‑tendent.

. . .

Notre Cour a reconnu, à plusieurs reprises, il ne faut pas l’oublier, que ce qui est «raisonnable» et le fait «de s’attendre raisonnablement à la protection de la vie privée» peuvent varier d’un contexte à l’autre, selon le choc des considérations au c{oe}ur d’un litige donné: Hunter c. Southam Inc., précité, à la p. 155; R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495, aux pp. 526 à 528. «[L]a norme d’examen de ce qui est «raisonnable» dans un contexte donné doit être souple si on veut qu’elle soit réaliste et ait du sens»: McKinlay Transport Ltd., précité, à la p. 645 (le juge Wilson). [Je souligne.]

21 C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter le texte de l’al. 99(1)f) de la Loi sur les douanes et évaluer les actions du policier qui a intercepté et fouillé le véhicule des appelants. En concluant à la violation des droits garantis aux appelants par les art. 8 et 9, le juge de première instance a commis une erreur en situant l’affaire dans le contexte des vérifications arbitraires de véhicules du genre de celles examinées par notre Cour dans R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621, et R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257. Même s’il est possible d’établir une analogie entre ces affaires et le présent pourvoi dans la mesure où l’intérêt déterminant de l’État, que ce soit dans la sécurité routière et le respect du code de la route comme dans le premier cas, ou dans la souveraineté comme dans le deuxième, est pertinent dans le calcul constitutionnel, les décisions relatives aux interceptions au hasard ne s’appliquent pas en l’espèce. C’est l’al. 99(1)f) de la Loi sur les douanes qui s’applique et le juge de première instance a commis une erreur en n’en tenant pas compte.

22 Puisqu’il a omis de se reporter explicitement à l’al. 99(1)f) de la Loi, le juge de première instance a commis une autre erreur en étant trop exigeant quant aux motifs que devait avoir l’agent pour agir. L’alinéa 99(1)f) autorisait l’agent à retenir et à fouiller le véhicule des appelants s’il soupçonnait, pour des motifs raisonnables, qu’ils se livraient à la contrebande ou tentaient de le faire. Cependant, en ce qui concerne les sacs du magasin «Wal‑Mart» que l’agent a remarqués, le juge Harper de la Cour provinciale a affirmé ((1993), 143 R.N.-B. (2e) 64, à la p. 75): [traduction] «une telle déclaration, sans plus, ne constitue guère une preuve étayant une quelconque probabilité de contrebande»; et plus loin à la fin du même paragraphe, au sujet de la déposition de l’agent selon laquelle il avait aperçu des boîtes de boissons alcoolisées et des articles de magasins à rayons américains, le juge de première instance a affirmé: [traduction] «[cette preuve] est à peine plus utile à un tribunal qui tente de déterminer si ces déclarations sans plus indiquent la présence probable de marchandises de contrebande» (je souligne).

23 Ce passage et notamment les mentions répétées d’une preuve «sans plus» révèlent l’existence d’un autre problème dans l’analyse du juge de première instance. En examinant les actions de l’agent, le juge Harper a étudié chaque élément de preuve séparément alors qu’il aurait dû évaluer l’ensemble des circonstances.

24 Dans l’arrêt R. c. Simpson (1993), 12 O.R. (3d) 182, le juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario a examiné comment il fallait procéder à l’appréciation de la preuve, quoique dans un contexte différent où l’agent n’avait pas le pouvoir légal d’agir, contrairement à la situation en l’espèce. Pour déterminer si un policier pouvait, en vertu de la common law, retenir un véhicule et en détenir le conducteur et le passager en l’absence d’une autorisation légale, le juge Doherty a examiné la jurisprudence américaine sur la règle du motif précis et a affirmé (à la p. 202): [traduction] «Ces décisions exigent un ensemble de faits objectivement discernables qui donnent à l’agent qui exerce la détention un motif raisonnable de soupçonner que la personne détenue est criminellement impliquée dans l’activité faisant l’objet de l’enquête.»

25 L’examen des faits et des circonstances de façon globale plutôt que séparément à tour de rôle est à recommander indépendamment de la situation factuelle dans l’affaire Simpson. Comme le juge Belleghem l’a fait remarquer dans R. c. Marin, [1994] O.J. No. 1280 (Div. gén.), relativement aux faits (ou «indicateurs») justifiant une rétention et une fouille ou perquisition en vue de trouver des stupéfiants en vertu de la Loi sur les douanes (au par. 16):

[traduction] Il faut considérer les «indicateurs» comme un ensemble qui mène ou concourt à une conclusion générale. Aucun indicateur pris isolément n’est vraisemblablement suffisant pour justifier la rétention et la saisie. L’ensemble est plus grand que la somme de chacune des parties prises individuellement.

26 En ce qui concerne les faits du présent pourvoi, je reprends le résumé succinct du juge en chef Hoyt de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick ((1995), 157 R.N.-B. (2e) 195, aux pp. 205 et 206):

[traduction] Trois minutes avant d’intercepter le véhicule de M. Jacques, l’agent Ward avait reçu des renseignements précis et fiables selon lesquels un véhicule était entré au Canada en utilisant un passage frontalier non surveillé se trouvant sur une route secondaire asphaltée d’une région rurale. Il s’est rendu au bout de la route provenant de la frontière où, faisant appel à ses trois années d’expérience de travail policier dans la région, il a aperçu un véhicule qui lui paraissait louche. Il est arrivé à cette conclusion après avoir observé une camionnette munie d’une antenne de téléphone cellulaire et, ce qui est plus important, sans plaque d’immatriculation à l’avant, ce qui est requis pour les véhicules du Nouveau‑Brunswick. Ce véhicule avait une plaque d’immatriculation d’une autre province à l’arrière. J’estime que, dans ces circonstances, les actions de l’agent Ward n’étaient pas arbitraires et qu’il avait des motifs raisonnables d’intercepter et de fouiller le véhicule de M. Jacques.

Ce délai de trois minutes est particulièrement important non seulement parce que l’agent Ward avait reçu des renseignements selon lesquels un véhicule était entré au Canada trois minutes avant d’intercepter la voiture des appelants, mais aussi parce qu’il a estimé que le lieu où il a intercepté le véhicule des appelants se trouvait à trois minutes de la frontière.

27 Dans la mesure où l’expérience de l’agent est pertinente dans les circonstances, il convient de noter qu’au moment du procès l’agent Ward était au service de la GRC depuis trois ans et demi, et que l’agent supérieur responsable de la Section des douanes et de l’accise à Woodstock, qui inclut le détachement de Perth‑Andover où était affecté l’agent Ward, était aussi un agent de la GRC. L’agent supérieur a témoigné que le garage double du bureau de la GRC avait été rénové pour en fermer un segment qui servirait de local sous douane où seraient entreposés le grand nombre d’articles saisis. Ce témoignage laisse entendre que les enquêtes douanières n’ont pas manqué.

28 Les circonstances de la présente affaire sont fort différentes de celles de l’arrêt R. c. Montour and Longboat (1992), 129 R.N.‑B. (2e) 361 (C. prov.), dans laquelle l’agent n’avait pas [traduction] «de raison précise d’intercepter le véhicule» (p. 365). Il importe de signaler que, dans cette affaire, l’agent n’avait pas prétendu agir en vertu de l’al. 99(1)f) de la Loi. Il avait effectué une vérification arbitraire du véhicule et y avait trouvé du tabac de contrebande; cependant, la rétention avait excédé les fins justifiées dans les arrêts Hufsky et Ladouceur, précités, et la preuve avait été écartée.

29 L’arrêt de notre Cour R. c. Wilson, [1990] 1 R.C.S. 1291, connexe à Ladouceur, précité, est plus pertinent en l’espèce que l’affaire Montour and Longboat, précitée. En décrivant les circonstances ayant entouré la rétention d’un véhicule à moteur lors d’un contrôle routier effectué à un poste de contrôle mobile, le juge Cory affirme, à la p. 1297:

. . . l’interpellation de l’appelant n’a pas été effectuée au hasard, mais était fondée sur le fait que l’appelant roulait en provenance d’un hôtel peu après l’heure de fermeture des bars et que l’agent de police ne connaissait ni le véhicule ni ses occupants. Bien que ces faits ne puissent pas constituer des motifs pour intercepter un véhicule dans le centre‑ville d’Edmonton ou de Toronto, ils méritent d’être considérés dans le contexte d’une communauté rurale. Dans un cas comme celui‑ci, lorsque la police présente des motifs d’interpeller un automobiliste qui sont raisonnables et qui peuvent être exprimés clairement (le motif précis dont parle la jurisprudence américaine), l’interpellation ne devrait pas être considérée comme ayant été effectuée au hasard. Par conséquent, bien que l’appelant ait été détenu, la détention n’était pas arbitraire en l’espèce et l’interpellation n’a pas violé l’art. 9 de la Charte.

On peut soutenir que, dans l’affaire Wilson, l’agent avait moins de renseignements susceptibles de justifier la rétention du véhicule à moteur que dans la présente affaire. Néanmoins, les faits, dans l’ensemble, justifiaient la rétention.

30 En l’espèce, les renseignements précis et fiables communiqués à l’agent, l’endroit où se trouvait le véhicule des appelants et l’observation qu’en a faite l’agent satisfaisaient amplement aux exigences en matière de rétention et de fouille prescrites à l’al. 99(1)f) de la Loi. Il s’ensuit que les appelants n’ont pas été arbitrairement détenus contrairement à l’art. 9 de la Charte.

31 Les circonstances qui permettaient d’effectuer l’interpellation permettaient également de procéder à la fouille du véhicule des appelants. La fouille effectuée par l’agent Ward satisfaisait aux critères formulés par notre Cour dans l’arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265: elle était autorisée par une règle de droit, à savoir l’al. 99(1)f) de la Loi, cette règle de droit est raisonnable en soi comme je l’ai déjà expliqué, et la fouille a été effectuée d’une manière raisonnable. En ce qui concerne ce troisième point, je ne puis rien ajouter au sommaire de la cour d’appel (à la p. 207):

[traduction] Les actions de l’agent Ward équivalaient à une fouille superficielle de la camionnette et de son contenu, suffisante pour confirmer ses soupçons. Les circonstances proprement dites de la fouille n’indiquent pas qu’elle a été pratiquée de manière abusive. L’agent Ward n’a pas été abusif ou arrogant. Même s’il pouvait, en tout état de cause, effectuer la fouille de la camionnette, il en a demandé la permission à M. Jacques, qui la lui a accordée. Il n’a déplacé que légèrement le contenu du véhicule, juste assez pour pouvoir confirmer ses soupçons de la perpétration possible d’une infraction.

Il n’y a pas eu de violation du droit des appelants à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives. Le pourvoi échoue aussi relativement à ce moyen.

32 Puisque j’ai conclu qu’il n’y avait eu aucune violation des droits garantis aux appelants par les art. 8 et 9 de la Charte, je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Cependant, il me faut examiner au préalable l’omission du ministère public de présenter d’autres éléments de preuve après la décision sur le voir‑dire, fait qui a nécessairement entraîné un acquittement. Notre Cour a examiné la jurisprudence pertinente dans l’arrêt R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601, rendu relativement à un pourvoi contre un verdict imposé d’acquittement dans lequel le ministère public avait refusé de présenter d’autres éléments de preuve, après avoir fait l’objet d’une décision interlocutoire défavorable. S’exprimant au nom de la majorité, le juge L’Heureux‑Dubé affirme, à la p. 615:

Je conclus, par conséquent, que, dans les affaires criminelles, les tribunaux ont un pouvoir discrétionnaire résiduel de remédier à un abus de la procédure de la cour, mais uniquement dans les «cas les plus manifestes», ce qui, à mon avis, signifie un comportement qui choque la conscience de la collectivité et porte préjudice à l’administration régulière de la justice au point qu’il justifie une intervention des tribunaux.

Les actions du ministère public en l’espèce sont loin de constituer un abus de procédure. D’après la transcription du procès, les autres éléments de preuve que le ministère public a refusé de présenter comprenaient d’autres témoignages de policiers, le témoignage d’expert d’un technicien qui a analysé le contenu des bouteilles saisies pour confirmer la présence d’alcool, ainsi que le témoignage du responsable des achats de la Société des alcools du Nouveau‑Brunswick qui a établi que les bouteilles saisies n’étaient pas vendues dans cette province. Cependant, la décision du juge de première instance sur le voir‑dire a pratiquement dénué de tout sens tout autre élément de preuve que le ministère public aurait pu être en mesure de présenter, notamment le témoignage du technicien et celui du fonctionnaire de la Société des alcools. Il serait absurde de s’attendre à ce que le ministère public poursuive le procès dans ces circonstances. Son omission de le faire n’écarte pas la possibilité d’un nouveau procès.

33 J’ai conclu que bien que les appelants aient été détenus, leur détention n’a pas été arbitraire, et que bien que leur véhicule ait été fouillé, cette fouille n’a pas été abusive. En conséquence, il n’y a eu aucune violation des droits garantis aux appelants par l’art. 8 ou l’art. 9 de la Charte.

34 Depuis que j’ai rédigé ce qui précède, j’ai pris connaissance des motifs du juge Sopinka. Je reconnais que la question qu’il soulève n’a pas été abordée expressément. Je suis convaincu que la preuve écartée ainsi que celle déjà au dossier constituent une preuve circonstancielle telle que, si l’erreur n’avait pas été commise et si la preuve écartée avait été admise, le verdict n’aurait pas nécessairement été le même ou, autrement dit, cette preuve aurait pu raisonnablement entraîner une déclaration de culpabilité. Un nouveau procès est justifié. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

//Le juge Major//

Version française des motifs rendus par

35 Le juge Major (dissident) — Le présent pourvoi soulève la question précise de savoir si un agent de la GRC agissant en vertu de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), avait les motifs requis pour intercepter et fouiller le véhicule des appelants à une certaine distance de la frontière. Les appelants allèguent que l'agent en question n'avait pas de motifs raisonnables de soupçonner qu'il y avait eu ou qu'il pourrait y avoir infraction à la Loi sur les douanes, et qu'ils ont donc été interpellés arbitrairement et soumis à une fouille et à une saisie abusives en contravention des art. 8 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. L'intimée, s'appuyant sur l'arrêt de la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick, soutient que l'agent avait des motifs valables d'intercepter le véhicule en question et de le fouiller.

I. Dispositions législatives pertinentes

36 Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.)

11. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, ainsi que des circonstances et des conditions prévues par règlement, toute personne arrivant au Canada doit se présenter aussitôt au plus proche bureau de douane, doté des attributions prévues à cet effet, qui soit ouvert et répondre véridiquement aux questions que lui pose l'agent dans l'exercice des fonctions que lui confère la présente loi ou une autre loi fédérale.

99. (1) L'agent peut:

f) s'il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu'un moyen de transport ou que les marchandises se trouvant à son bord ont donné ou pourraient donner lieu à une infraction visée à l'alinéa e), immobiliser le moyen de transport, monter à son bord et le fouiller, visiter les marchandises et en ouvrir ou faire ouvrir tous colis ou contenants, ainsi que faire conduire le moyen de transport à un bureau de douane ou à tout autre lieu indiqué pour ces opérations.

159. Constitue une infraction le fait d'introduire ou de tenter d'introduire en fraude au Canada, par contrebande ou non clandestinement, des marchandises passibles de droits ou dont l'importation est prohibée, contrôlée ou réglementée en vertu de la présente loi ou de toute autre loi fédérale.

II. Les faits

37 Le 9 mars 1993, à 12 h 56, l'agent Ward, de la GRC, affecté au détachement de Perth‑Andover (Nouveau‑Brunswick), a reçu un rapport radio l'informant qu'un véhicule seul avait traversé la frontière Canada‑É.‑U. à un passage frontalier non surveillé situé à proximité. Il faut noter que même si l'agent a témoigné que le rapport avait trait à une [traduction] «entrée illégale au Canada», les parties ont convenu qu'il n'y a aucune loi interdisant l'entrée au Canada à un passage frontalier non surveillé. Le rapport radio a été transmis par la patrouille frontalière américaine et ne donnait aucune description du véhicule, de ses passagers, de son contenu ou de ses plaques d'immatriculation.

38 L'agent s'est dirigé vers le point d'intersection du chemin Brown et de la route transcanadienne. Situé du coté américain, le chemin Brown suit en parallèle la frontière avant de faire une courbe qui lui fait croiser la frontière, puis la route transcanadienne à environ quatre ou cinq kilomètres de la frontière. L'agent Ward a affirmé qu'il faut environ trois minutes à un véhicule pour aller de la frontière à l'intersection. Il y a des maisons le long du chemin, mais aucune sortie avant l'intersection avec la route transcanadienne.

39 Il a témoigné qu'il lui a fallu de trois à cinq minutes pour se rendre en voiture de l'endroit où il a reçu le rapport radio jusqu'à l'intersection. À son arrivée sur les lieux, il a remarqué deux véhicules qui attendaient de pouvoir s'engager sur la route transcanadienne. Le premier était une Chrysler Dynasty immatriculée au Nouveau‑Brunswick, conduite par une femme d'environ 60 ans. Le second était une camionnette Dodge immatriculée au Québec, munie d'une antenne de téléphone cellulaire et d'un capot de caisse, et dans laquelle se trouvaient les appelants.

40 L'agent a intercepté la camionnette des appelants. L'extrait suivant de la transcription de son interrogatoire principal résume les motifs qu'il avait d'interpeller les appelants.

[traduction]

La cour: Et ils se trouvaient tous deux sur le chemin Brown, à la jonction avec la route transcanadienne.

R: C'est exact, Votre Honneur. Le premier véhicule que j'ai vu était la Chrysler Dynasty et j'ai remarqué qu'il avait des plaques du Nouveau‑Brunswick et qu'il y avait une dame dans l'auto, et elle faisait environ je dirais 60 ans, et il m'a semblé à ce moment‑là — ça n'avait pas l'air — d'être un véhicule suspect. Ce n'était pas quelque chose qui pouvait attirer mon attention, je dirais plutôt, par exemple ce n'était pas — elle n'avait pas l'air de quelqu'un qui fait de la contrebande ou qui passe clandestinement la frontière.

La cour: Qu'est‑ce qui — ont‑ils une apparence qui permet de les reconnaître?

R: Pardon?

La cour: Est‑ce qu'un contrebandier a une apparence qui permet de le reconnaître?

R: Bien, le matériel utilisé parfois est assez uniforme quant à la façon de faire. Parfois ils utilisent des véhicules à quatre roues motrices ou des automobiles qui sont surchargées, particulièrement l'arrière du véhicule, et vous pouvez voir que le véhicule est surchargé de marchandises lorsqu'il arrive que la charge soit très grande, et . . .

La cour: Et parfois ils font de la contrebande et vous ne remarquez rien, n'est‑ce pas?

R: C'est — c'est exact, oui. Une fois de — parfois la contrebande passe sans qu'on s'en rende compte.

La cour: Parfois une gentille dame de 60 ou 70 ans peut être assise sur un beau paquet de hasch caché sous son siège.

R: C'est possible, Votre Honneur.

. . .

Q: Veuillez continuer votre récit, M. Ward, qu'est‑ce qui est arrivé; vous avez remarqué les deux véhicules et décrit ce que vous avez vu, qu'avez‑vous fait à partir de ce moment‑là?

R: D'accord. À ce moment‑là je me trouvais seul dans ma voiture de police identifiée. Alors, j'avais le choix du véhicule que je pouvais intercepter. Ce que j'ai fait alors a été de regarder les deux véhicules et j'ai remarqué que la camionnette avait une antenne de téléphone cellulaire sur le toit et qu'il y avait un capot ajouté à la caisse, et je me suis dit, il y a plus de chances que ce soit ce véhicule parce qu'il ne cadre pas avec l'environnement du village. Quand je me suis trouvé à l'arrière de la camionnette, j'ai remarqué que la plaque d'immatriculation était du Québec, alors ce que — j'avais le choix: je pouvais arrêter soit la voiture soit la camionnette, alors j'ai opté pour la camionnette parce qu'elle venait de l'extérieur de la province et que, vraisemblablement, elle n'était pas censée se trouver là et elle ne cadrait pas avec cet environnement.

La cour: Pourquoi, pourquoi dites‑vous que, vraisemblablement, elle n'était pas censée se trouver là, c'est — c'est une affirmation que je trouve bien surprenante de la part d'un témoin? Pourquoi dites‑vous cela?

R: Parce que la Chrysler Dynasty avait des plaques du Nouveau‑Brunswick et semblait être de la région, et que la camionnette avait plus de chances de venir d'ailleurs. Elle avait une plaque du Québec et n'avait pas l'air d'un véhicule familier.

La cour: Est‑ce que la Dodge Dynasty avait l'air d'un véhicule familier?

R: Non, mais elle avait des plaques du Nouveau‑Brunswick.

41 Au cours du contre‑interrogatoire, l'agent a de nouveau affirmé qu'il avait intercepté la camionnette des appelants parce que, ayant le choix entre les deux véhicules, il a opté pour celui qui lui semblait le plus suspect.

[traduction]

R. J'ai cru raisonnablement qu'il y avait eu entrée au Canada à un point d'entrée non surveillé et, ayant immédiatement patrouillé le secteur, j'ai remarqué deux véhicules. J'avais le choix entre les deux. L'un avait une plaque du Québec, l'autre des plaques du Nouveau‑Brunswick. Je devais arrêter l'un ou l'autre, parce que le chemin prolongeant le chemin Brown rejoint la route transcanadienne et tout véhicule qui pouvait se trouver sur ce chemin était suspect en rapport avec l'infraction.

Q. Pourquoi ne pas avoir arrêté les deux véhicules?

R. Parce que l'un venait du Québec, c'est‑à‑dire de l'extérieur de la province, et, comme je l'ai déjà dit, le — le véhicule n'avait pas l'air — il n'avait pas l'air à sa place, et mes motifs ou mes connaissances en tant que policier sont entrés en ligne de compte à ce moment‑là, et je me suis fié à tout — à mon bon jugement pour vérifier, bien, si le véhicule est de l'extérieur de la province, alors c'est celui que je choisis d'inspecter.

Q. Alors votre bon jugement de policier vous dit que les véhicules qui viennent de l'extérieur de la province sont suspects?

R. Ce que je veux dire, c'est que la voiture venant du Nouveau‑Brunswick est — avait plus de chances de venir de la région que du Québec.

Q. N'avez‑vous pas dit avant qu'un véhicule qui a une plaque qui n'est pas de la province était suspect? Est‑ce que ce n'est pas ce que vous avez dit? Parce qu'il avait une plaque de l'extérieur de la province?

R. Quelle est votre question?

Q. Ma question est de savoir si, selon votre bon jugement de policier, vous croyez qu'un véhicule avec une plaque de l'extérieur de la province est toujours un véhicule suspect?

R. À un point d'entrée non surveillé, oui, s'il — s'il y a d'autres facteurs comme des renseignements reçus de la patrouille frontalière des États‑Unis avertissant qu'il y a eu entrée au Canada à cet endroit précis. Alors, je ne peux que penser qu'il y a suffisamment d'éléments de preuve et croire que c'est peut-être le véhicule en question.

Q. Alors vous avez pensé que ce pouvait être le véhicule en question?

R. Oui, c'est ce que j'ai pensé.

Q. Vous aviez des soupçons sur ce véhicule?

R. Oui, j'en avais.

Q. Mais rien ne vous indiquait que c'était le véhicule en question?

R. Non, rien.

42 L'agent Ward s'est approché à pied de la camionnette et a vu, par la glace, plusieurs sacs du magasin Wal‑Mart. À l'époque, les seuls magasins Wal‑Mart de la région étaient situés aux États‑Unis. Il a ensuite demandé au conducteur de la camionnette, l'appelant Jacques, d'où il venait. Jacques lui a répondu: [traduction] «Je viens de l'autre côté». Le policier lui a ensuite demandé ce qu'il y avait à l'arrière du véhicule, et Jacques a répondu que c'était du whisky. À la demande du policier, l'appelant Jacques a ouvert l'arrière de la camionnette. L'agent a remarqué les sacs mentionnés précédemment de même que des boîtes portant des inscriptions de spiritueux.

43 L'agent a alors procédé à l’arrestation des appelants et a confisqué leur camionnette. Les appelants ont été emmenés au détachement de la GRC à Perth‑Andover, où on leur a permis de communiquer avec un avocat. On les a ensuite fouillés et interrogés à Woodstock.

44 Les appelants ont été accusés d'avoir omis de se présenter à la douane et d'avoir introduit des marchandises en fraude, en contravention du par. 11(1) et de l'art. 159 de la Loi sur les douanes. En Cour provinciale ((1993), 143 R.N.-B. (2e) 64), le juge Harper a conclu que l'interception du véhicule des appelants était fondée sur une simple intuition de l'agent, ce qui n'était pas suffisant pour constituer des motifs raisonnables. S'appuyant sur les arrêts de notre Cour R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621, et R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, le juge de première instance a conclu que l'interpellation était arbitraire, et que, par conséquent, elle violait l'art. 9 de la Charte. Il a dit que l'agent avait effectué la fouille dans le but de trouver des éléments de preuve qui justifieraient sa détention initiale illégale des appelants. Le juge Harper a aussi statué que les déclarations de Jacques et son consentement à la fouille subséquente du véhicule ont été obtenus en contravention de la Charte et que la preuve ainsi recueillie par la suite ne devait pas être utilisée, conformément au par. 24(2) de la Charte. Le ministère public n'a présenté aucune autre preuve et les appelants ont été acquittés.

45 Cet acquittement a été annulé par la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick: (1995), 157 R.N.-B. (2e) 195. Le juge en chef a statué que le juge de première instance avait commis une erreur en ne prenant l'interpellation en considération que dans son rapport avec le pouvoir qu'a la police, en common law, de procéder à des interpellations au hasard dans le but de contrôler le respect du code de la route. À son avis, l'interception du véhicule des appelants était permise en vertu de l'al. 99(1)f) de la Loi sur les douanes. La Cour d'appel a conclu que l'agent avait des motifs raisonnables de soupçonner une contravention à la Loi sur les douanes, parce que la camionnette était sur le chemin venant de la frontière et qu'elle ne cadrait pas avec l'environnement.

III. La question en litige

46 Les appelants soutiennent que l'interception et la fouille de leur véhicule constituaient une fouille et une saisie abusives en contravention de l'art. 8 de la Charte. De plus, ils soutiennent qu'ils ont été arbitrairement détenus, en contravention de l'art. 9 de la Charte. Ces allégations reposent toutes deux sur ce qui constitue la principale question en litige en l'espèce: l'agent Ward avait‑il des motifs raisonnables de soupçonner que la camionnette dans laquelle se trouvaient les appelants avait donné ou pourrait donner lieu à une infraction à la Loi sur les douanes?

IV. Analyse

47 Bien que l'on allègue que deux droits garantis par la Charte ont été violés en l'espèce, les infractions reprochées renvoient toutes deux à la même question, à savoir si l'agent de la GRC avait des motifs raisonnables de soupçonner que la camionnette en question avait servi ou pourrait servir à la perpétration d'une infraction à la Loi sur les douanes. Le juge de première instance a conclu que l'agent n'avait pas de motifs raisonnables, alors que la Cour d'appel était d'avis contraire.

48 Si les soupçons de l'agent ne reposaient pas sur les motifs raisonnables exigés par l'al. 99(1)f) de la Loi, l'interception de la camionnette des appelants était arbitraire. Dans les arrêts Hufsky et Ladouceur, notre Cour a déclaré que l'interception au hasard de véhicules est une violation de l'art. 9 de la Charte. Dans ces arrêts, la violation de l'art. 9 a été justifiée en vertu de l'article premier de la Charte, parce que cette violation s'inscrivait dans la poursuite d'un objectif législatif valide, soit la sécurité routière. Si l'interception était arbitraire, elle ne peut pas être autorisée en vertu de la Loi sur les douanes, étant donné que cette loi exige que les soupçons reposent sur des motifs raisonnables et qu'elle n'autorise pas les interceptions au hasard. Les parties ont convenu que les appelants n'avaient pas commis d'infraction au code de la route et qu'ils n'avaient pas été interpellés en vue d'une inspection de sécurité.

49 À mon avis, le juge de première instance a eu raison de conclure que l'agent n'avait pas de motifs raisonnables d’interpeller les appelants. La Cour d'appel a fait remarquer que le juge de première instance n'avait pas fait référence expressément aux exigences de l'al. 99(1)f). Bien que cela soit vrai, le juge de première instance a, de toute évidence, constaté que la police doit avoir des motifs raisonnables d’intercepter des véhicules, sauf lorsqu'elle exerce les pouvoirs conférés par les arrêts Hufsky et Ladouceur. Il a conclu que les faits de l'espèce [traduction] «ne constitu[aient] pas [. . .] un motif raisonnable de soupçonner que [la camionnette des appelants pouvait] transporter des marchandises de contrebande» (p. 74).

50 Les exigences de l'al. 99(1)f) ne sont pas rigoureuses, peut‑être en raison des difficultés évidentes que pose le contrôle de la longue frontière non surveillée séparant le Canada des États‑Unis. Il suffit que l'agent ait des motifs raisonnables de soupçonner que le véhicule en question a donné lieu ou pourrait donner lieu à une infraction à la Loi sur les douanes. Je considère que le mot «pourraient» dans l'alinéa signifie simplement qu'il y a une possibilité que l'on soit en train de commettre une infraction, et que cela n'implique pas des soupçons quant à une infraction future. Bien que les exigences ne soient pas rigoureuses, il doit y avoir un lien entre les facteurs sur lesquels l'agent s'appuie et ses soupçons quant à une infraction à la Loi. Sans l'exigence de ce lien, les agents des douanes auraient le pouvoir de faire des interpellations arbitraires. Si le législateur fédéral avait eu l'intention de conférer de tels pouvoirs aux agents des douanes, il se serait exprimé en ce sens et il n'aurait pas adopté l'al. 99(1)f).

51 Il est utile de se référer à l'affaire R. c. Montour and Longboat (1992), 129 R.N.-B. (2e) 361, bien qu'elle ne concerne pas l'al. 99(1)f). Dans cette affaire, un policier avait intercepté une fourgonnette parce qu'elle était vieille et qu'elle portait une plaque de l'extérieur de la province. Il avait eu une [traduction] «intuition» et un «doute» au sujet de cette fourgonnette. En s'approchant du véhicule, il a vu à l'arrière ce qui a paru être des produits du tabac américains. Les occupants ont été accusés de violation de la Loi sur l'accise. Le juge de première instance a conclu que la fourgonnette avait été interceptée arbitrairement et que cette interception n'avait pas été effectuée conformément aux objectifs justifiés par les arrêts Hufsky et Ladouceur. Le juge de première instance a conclu qu'il y avait eu violation de l'art. 9 et il a écarté la preuve conformément au par. 24(2). La Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick a infirmé cette décision (1994), 150 R.N.-B. (2e) 7, mais notre Cour a rétabli le verdict du juge de première instance dans [1995] 2 R.C.S. 416.

52 Dans R. c. Simpson (1993), 12 O.R. (3d) 182, la Cour d'appel de l'Ontario a statué que, sauf si une loi accorde le pouvoir d'intercepter un véhicule, une telle interception aux fins de déterminer si les occupants ont été impliqués dans une activité criminelle ne peut se justifier que si la police a un [traduction] «motif précis» pour la détention. La Cour d'appel a statué qu'il doit y avoir un ensemble de faits objectivement discernables qui donnent à l'agent qui exerce la détention un motif raisonnable de soupçonner que la personne détenue est impliquée dans l'activité faisant l'objet de l'enquête. Fait particulièrement important pour la présente affaire, la Cour d'appel de l'Ontario a statué qu'une intuition fondée sur l'expérience ne peut constituer un motif précis. Le «motif précis» est une norme équivalente aux exigences de l'al. 99(1)f).

53 En l'espèce, l'agent a fondé son intervention sur des facteurs semblables à ceux qu'avait invoqués le policier dans l'arrêt Montour and Longboat. Il a dressé une liste de facteurs aléatoires qui, à son avis, indiquaient que le véhicule était suspect. D'après lui, il a intercepté le véhicule des appelants parce qu'il était à proximité de la frontière et qu'il s'agissait d'une camionnette munie d'une antenne de téléphone cellulaire et d'un capot de caisse. L'agent a cru que la présence d'une plaque d'immatriculation du Québec était un facteur important. Ces facteurs, peu importe qu'on les évalue séparément ou ensemble, ne constituent pas des motifs raisonnables de soupçonner une infraction à la Loi sur les douanes.

54 Le premier facteur, que le véhicule des appelants partageait avec la voiture immatriculée au Nouveau‑Brunswick, était que le véhicule se trouvait à un endroit qui, selon l'agent, était situé à trois minutes de la frontière. En l'absence de preuve, le juge de première instance a accordé peu d'importance à ce facteur étant donné qu'il nécessitait des présomptions injustifiées quant à la vitesse des véhicules en question.

55 Le deuxième facteur était le type de véhicule conduit par les appelants. L'agent a affirmé qu'il avait eu des soupçons parce que le véhicule était une camionnette munie d'un capot de caisse et d'une antenne de téléphone cellulaire. Il a avancé que selon lui les contrebandiers utilisaient souvent des véhicules à quatre roues motrices ou des voitures «surchargées», mais il n'a pas expliqué sur quoi il fondait cette opinion. La preuve n'indique pas, par exemple, que l'agent avait déjà arrêté des contrebandiers utilisant des véhicules semblables.

56 Le troisième facteur est la présence d'une plaque du Québec sur la camionnette des appelants. À mon avis, il n'y avait pas de motif précis laissant supposer que les véhicules de l'extérieur de la province sont plus susceptibles d'être utilisés pour la perpétration d'une infraction à la Loi sur les douanes.

57 Le caractère arbitraire de l'interpellation ressort du témoignage de l'agent: il a déclaré deux fois qu'il avait le choix entre les deux véhicules aperçus à l'intersection et qu'il devait intercepter l'un ou l'autre. Il a affirmé qu'il lui semblait plus probable que la camionnette des appelants serve à la perpétration d'une infraction que l'autre véhicule arrêté à l'intersection, la Dynasty, immatriculée au Nouveau‑Brunswick et conduite par une femme d'environ 60 ans. Il a ajouté: «j'avais le choix: je pouvais arrêter soit la voiture soit la camionnette, alors j'ai opté pour la camionnette parce qu'elle venait de l'extérieur de la province et que, vraisemblablement, elle n'était pas censée se trouver là et elle ne cadrait pas avec cet environnement».

58 L'agent n'a pas expliqué pourquoi une camionnette munie d'une antenne de téléphone cellulaire cadrait moins bien avec le milieu rural que la Dynasty qui s'était aussi immobilisée à l'intersection. En fait, il a admis que la Dynasty n'était pas un véhicule «familier». Même en présumant que l'agent avait raison de conclure que la camionnette des appelants n'était pas de la région, rien dans son témoignage ne fait ressortir un motif de croire qu'elle avait vraisemblablement servi à commettre une infraction à la Loi sur les douanes.

59 L'agent Ward n'a jamais expliqué pourquoi la camionnette était, des deux véhicules, le plus susceptible d'avoir traversé la frontière. Il faut se souvenir qu'aucun renseignement ni aucune description n'avait été fourni quant aux occupants, aux plaques d'immatriculation ou au contenu du véhicule en question. Il appert que tout véhicule qui traverse la frontière à un point non surveillé déclenche un signal électronique, ce qui suscite la transmission d'un rapport du type de celui qu'a reçu l'agent Ward. Dans son témoignage, ce dernier a admis que «rien ne [lui] indiquait que c'était le véhicule en question».

60 Comme je l'ai dit précédemment, il faut établir un lien entre le véhicule et l'allégation d'infraction à la Loi sur les douanes pour satisfaire aux exigences de l'al. 99(1)f). Aucun des facteurs énumérés par l'agent n'a quelque lien que ce soit avec une infraction à la Loi sur les douanes ou à toute autre loi. On ne peut raisonnablement prétendre que, parce qu'un véhicule vient du Québec, une province voisine, ou qu'il «n'est pas de la région», il est plus susceptible d'être impliqué dans une activité illégale.

61 L'intimée s'appuie sur l'arrêt R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495, dans lequel notre Cour a statué que les personnes ont une attente moins grande en matière de respect de la vie privée au moment où elles traversent la frontière, pour soutenir que la fouille était raisonnable en l'espèce. Par ailleurs, l'intimée s'appuie aussi sur l'al. 99(1)f) comme conférant le pouvoir d'effectuer la fouille. Ce faisant, l'intimée doit vouloir affirmer que traverser la frontière, au moins à un point non surveillé, peut créer un soupçon raisonnable quant à l'exercice d'une activité illégale. Sans preuve additionnelle, telle que l'existence d'un poste de douane à proximité qui aurait été évité, on ne peut raisonnablement soutenir que, en faisant une activité parfaitement légale, une personne peut devenir un suspect en vertu de la Loi sur les douanes. Il est important de signaler que l'arrêt Simmons portait sur la question de savoir si une personne qui subissait la fouille habituelle dans un bureau de douane situé à un point d'entrée au Canada était détenue au sens de l'al. 10b) de la Charte, et non pas sur ce que doivent être les motifs d'une fouille en vertu de la Loi sur les douanes.

62 Même si l'on présumait, pour l'instant, que traverser la frontière fournit un «motif raisonnable» de soupçonner suffisant pour justifier une fouille en vertu de la Loi, rien en l'espèce n'indiquait que la camionnette des appelants avait traversé la frontière, si ce n'est qu'elle se trouvait sur le chemin Brown, une coïncidence qu'elle partageait avec au moins un autre véhicule, et peut‑être d'autres. Le fait qu'un véhicule est immatriculé au Québec plutôt qu'au Nouveau‑Brunswick n'indique pas qu'il vient vraisemblablement tout juste de traverser la frontière en provenance des États‑Unis. En fait, on pourrait prétendre qu'il serait plus vraisemblable qu'un résidant de la région sache qu'il existe dans le secteur un passage frontalier non surveillé. De toute façon, l'agent a admis qu'il ne savait pas si le véhicule des appelants avait, de fait, traversé la frontière.

63 Il est important de noter qu'il n'y a rien d'illégal en soi à traverser la frontière à un passage non surveillé. L'alinéa 99(1)f) fait référence à un soupçon fondé sur des motifs raisonnables de croire qu'il y a eu ou qu'il pourrait y avoir contravention à la Loi sur les douanes ou à son règlement. Même si la camionnette avait pu être identifiée comme étant le véhicule qui venait de traverser la frontière, il n'y avait toujours rien qui indiquait qu'une infraction à la Loi sur les douanes avait été commise.

64 En l'espèce, l'agent a agi sur le coup d'une intuition reposant sur son expérience, un fait reconnu par la Cour d'appel. Le juge en chef Hoyt rappelle les actions de l'agent de la façon suivante, à la p. 205:

[traduction] Trois minutes avant d'intercepter le véhicule de M. Jacques, l'agent Ward avait reçu des renseignements précis et fiables selon lesquels un véhicule était entré au Canada en utilisant un passage frontalier non surveillé se trouvant sur une route secondaire asphaltée d'une région rurale. Il s'est rendu au bout de la route provenant de la frontière où, faisant appel à ses trois années d'expérience de travail policier dans la région, il a aperçu un véhicule qui lui paraissait louche. Il est arrivé à cette conclusion après avoir observé une camionnette munie d'une antenne de téléphone cellulaire et, ce qui est plus important, sans plaque d'immatriculation à l'avant, ce qui est requis pour les véhicules du Nouveau‑Brunswick. Ce véhicule avait une plaque d'immatriculation d'une autre province à l'arrière. [Je souligne.]

65 Les «renseignements précis et fiables» auxquels la Cour d'appel a fait référence consistent en un rapport selon lequel un véhicule seul avait traversé la frontière à Four Falls (Nouveau‑Brunswick). Il n'y avait aucune précision quant au type, au modèle ou à la couleur du véhicule, ni quant au numéro de plaque ou à la province.

66 Fonder une détention sur l'«expérience de policier» est justement le type de justification que les arrêts Simpson et Montour ont désapprouvé. L'expérience des policiers ne doit pas être dépréciée dans l'évaluation des motifs d'intercepter et de fouiller un véhicule. Cependant, permettre aux policiers d'exercer leurs pouvoirs considérables en matière de détention et d'interpellation en se fondant sur cette expérience risque d'ouvrir la porte à des justifications rétrospectives des actions policières. Il vaut la peine de noter que, en l'espèce, l'expérience de l'agent de la paix provenait de l'exécution de fonctions policières générales à titre d'agent de la GRC, et non d'agent des douanes attitré. Dans l'évaluation de son expérience, il ne faut pas oublier qu'il croyait que traverser la frontière à un poste frontalier non surveillé était illégal, ce qui ne l'est pas. Cette erreur a pu influencer ses actions.

67 Étant donné qu'il n'y avait pas de motifs raisonnables de détenir les appelants en l'espèce, la détention était arbitraire et contrevenait à l'art. 9 de la Charte. La fouille, effectuée sans mandat, est par conséquent abusive à première vue: voir Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145. Pour ne pas être abusive, une fouille sans mandat doit être autorisée par la loi, la loi doit être raisonnable, et la fouille doit être effectuée d'une manière raisonnable: voir R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265. Comme je l'ai dit précédemment, l'al. 99(1)f) n'autorise pas un agent à effectuer une fouille sans mandat, à moins qu'il n'ait des motifs raisonnables de soupçonner que le véhicule a servi à enfreindre la loi. Par conséquent, en l'espèce, de tels motifs ne pouvant être invoqués, l'agent n'avait aucun droit d'effectuer une fouille sans mandat. Il y a donc eu violation de l'art. 8.

68 Il reste à déterminer si la preuve, soit le contenu de la camionnette et les effets personnels des appelants, devrait être écartée en vertu du par. 24(2) de la Charte. La Cour d'appel ne s'est pas penchée sur cette question, étant donné qu'elle a conclu qu'il n'y a pas eu violation de la Charte.

69 Le juge de première instance a statué que l'utilisation de la preuve rendrait le procès inéquitable. En dépit du fait qu'il s'agissait d'une preuve «matérielle», le juge de première instance a conclu qu'elle n'aurait pas été obtenue sans la violation des droits des appelants garantis par la Charte. Se fondant sur l'arrêt R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615, le juge de première instance a écarté la preuve.

70 La présente affaire est semblable à l'affaire Mellenthin, dans laquelle la police avait intercepté une automobile à un point de vérification. Sans motifs lui permettant d'effectuer une fouille, la police a demandé au conducteur d'ouvrir un sac, qui s'est avéré contenir des stupéfiants. En l'espèce, la police a interpellé les appelants sans motif raisonnable et demandé au conducteur d'ouvrir l'arrière de la camionnette. Dans l'arrêt Mellenthin, notre Cour a conclu que la preuve n'aurait pas été découverte sans la participation de l'accusé résultant de la violation de ses droits garantis par la Charte. Cette preuve a été écartée.

71 Même si je n'étais pas d'accord avec le juge de première instance quant à l'incidence de la preuve sur l'équité du procès, sa décision devrait être maintenue. Le critère à appliquer n'est pas celui de la décision correcte. Dans R. c. Duguay, [1989] 1 R.C.S. 93, notre Cour a statué que la décision d'un juge de première instance quant à l'application du par. 24(2) ne devait pas être infirmée, sauf s'il a commis une erreur quant aux principes de droit applicables ou s'il est arrivé à une conclusion déraisonnable. Le juge de première instance n'a pas commis d'erreur dans son interprétation des principes applicables, et sa conclusion n'était pas déraisonnable.

72 La preuve n'aurait pas été découverte n'eût été la violation de la Charte. Dans R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206, notre Cour a statué qu'une telle preuve aurait une incidence sur l'équité du procès si elle était utilisée, nonobstant le fait qu'il s'agissait d'une preuve matérielle. Compte tenu des arrêts Mellenthin et Burlingham, le juge de première instance a eu raison d'écarter la preuve.

73 Le juge de première instance n'a pas fait de commentaires sur les deuxième et troisième catégories énoncées dans l'arrêt Collins. À mon avis, la violation de la Charte était mineure, compte tenu de la bonne foi apparente de l'agent et du fait qu'il croyait avoir des motifs (toutefois insuffisants) d'interpeller les appelants.

74 Pour l'évaluation de la troisième catégorie -- l'effet sur la considération dont jouit l'administration de la justice -- il est important que l'infraction en cause ne soit pas un crime violent ou qu'elle n'entraîne pas une perte de biens. Mais la contrebande de spiritueux n'en demeure pas moins une infraction grave.

75 La gravité de l'infraction mise à part, il n'a pas été établi à partir des faits qu'il y a eu infraction. L'actus reus est d'avoir fait défaut de se présenter au plus proche bureau de douane. On a admis, comme il se devait, que les appelants n'étaient pas passés sans s'arrêter à un bureau de douane, et qu'ils ne s'éloignaient pas non plus du plus proche bureau de douane. L'agent a interpellé les appelants avant qu'ils n'aient eu le temps de se soumettre à l'obligation de se présenter à la douane. On pourrait faire une analogie avec une personne qui se ferait arrêter dans le corridor reliant son avion et le poste de douane et qui se ferait accuser de ne pas s'être présentée à la douane avant même qu'il lui ait été possible de le faire.

76 Bref, le juge de première instance a eu raison de conclure que l'agent de la GRC n'avait pas de motifs raisonnables de soupçonner que la camionnette conduite par les appelants avait servi à commettre une infraction à la Loi sur les douanes. La détention des appelants était donc arbitraire et violait l'art. 9 de la Charte. De plus, la fouille effectuée par la suite était abusive et violait l'art. 8 de la Charte. Enfin, le juge de première instance n'a pas commis d'erreur dans l'interprétation des principes de droit régissant l'application du par. 24(2), et sa conclusion n'était pas non plus déraisonnable.

77 Depuis que j’ai rédigé ce qui précède, j’ai examiné les motifs du juge Sopinka et je souscris à son opinion.

78 Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi.

Pourvoi rejeté, les juges Sopinka et Major sont dissidents.

Procureur des appelants: Norville T. Getty, Fredericton.

Procureur de l’intimée: Le procureur général du Canada, Halifax.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Fouille, perquisition ou saisie - Agent de police interceptant et fouillant la camionnette des appelants à quelques kilomètres de la frontière Canada‑É.‑U., après avoir reçu un rapport l’informant qu’un véhicule avait traversé à un passage frontalier non surveillé - Rapport ne donnant aucune description du véhicule ou des passagers - Loi sur les douanes autorisant un agent à intercepter et à fouiller un véhicule s’il a des motifs raisonnables de soupçonner que ce véhicule sert ou pourrait servir à faire de la contrebande - L’agent avait‑il des motifs raisonnables d’interpeller les appelants? - Les appelants ont‑ils été soumis à une fouille, perquisition ou saisie abusives? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 8 - Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), art. 99(1)f).

Droit constitutionnel - Charte des droits - Détention arbitraire - Agent de police interceptant et fouillant la camionnette des appelants à quelques kilomètres de la frontière Canada‑É.‑U., après avoir reçu un rapport l’informant qu’un véhicule avait traversé à un passage frontalier non surveillé - Rapport ne donnant aucune description du véhicule ou des passagers - Loi sur les douanes autorisant un agent à intercepter et à fouiller un véhicule s’il a des motifs raisonnables de soupçonner que ce véhicule sert ou pourrait servir à faire de la contrebande - L’agent avait‑il des motifs raisonnables d’interpeller les appelants? - Les appelants ont‑ils été détenus arbitrairement? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 9 - Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), art. 99(1)f).

Un agent de la GRC a reçu un rapport radio de la patrouille frontalière américaine l’informant qu’un véhicule seul avait traversé la frontière Canada‑É.‑U. à un passage frontalier non surveillé situé à proximité. Le rapport radio ne donnait aucune description du véhicule, de ses passagers, de son contenu ou de ses plaques d’immatriculation. L’agent s’est dirigé vers le point d’intersection de la route transcanadienne et du chemin conduisant à la frontière. Il a affirmé qu’il faut environ trois minutes à un véhicule pour aller de la frontière à l’intersection, soit une distance d’environ quatre ou cinq kilomètres, et qu’il lui a fallu de trois à cinq minutes pour se rendre en voiture de l’endroit où il a reçu le rapport radio jusqu’à l’intersection. À son arrivée sur les lieux, il a remarqué deux véhicules qui attendaient. Le premier était une voiture immatriculée au Nouveau‑Brunswick et conduite par une femme d’environ 60 ans. Le second était une camionnette immatriculée au Québec, munie d’une antenne de téléphone cellulaire et d’un capot de caisse. Cette camionnette, dans laquelle se trouvaient les appelants, a été interceptée par l’agent qui a affirmé, au procès, avoir eu le choix entre les deux véhicules et avoir choisi celui qui lui semblait le plus suspect. Lorsque l’agent lui a demandé d’où il venait, le conducteur a répondu: «Je viens de l’autre côté». Après que l’agent lui eut ensuite demandé ce qu’il y avait à l’arrière du véhicule, le conducteur a répondu que c’était du whisky. À la demande de l’agent, il a ouvert l’arrière de la camionnette et l’agent a alors remarqué plusieurs sacs du magasin Wal‑Mart de même que des boîtes portant des inscriptions de spiritueux. L’agent a alors procédé à l’arrestation des appelants et a confisqué leur camionnette. Les appelants ont été accusés d’avoir omis de se présenter à la douane et d’avoir introduit des marchandises en fraude. Le juge de première instance a conclu que, puisque l’interception du véhicule des appelants était fondée sur une simple intuition de l’agent, ce qui n’était pas suffisant pour constituer des motifs raisonnables, elle était arbitraire et violait donc l’art. 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il a aussi statué que les déclarations du conducteur et son consentement à la fouille subséquente du véhicule ont été obtenus en contravention de la Charte et que la preuve ainsi recueillie par la suite ne devait pas être utilisée, conformément au par. 24(2) de la Charte. Le ministère public n’a présenté aucune autre preuve et les appelants ont été acquittés. La Cour d’appel a jugé que l’interception du véhicule des appelants était permise en vertu de l’al. 99(1)f) de la Loi sur les douanes, concluant que l’agent avait des motifs raisonnables de soupçonner une contravention à la Loi parce que la camionnette était sur le chemin venant de la frontière et qu’elle ne cadrait pas avec l’environnement. Elle a annulé les acquittements et ordonné la tenue de nouveaux procès.

Arrêt (les juges Sopinka et Major sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Les juges Gonthier, Cory et Iacobucci: Puisqu’il a omis de se reporter explicitement à l’al. 99(1)f) de la Loi sur les douanes, le juge de première instance a commis une autre erreur en étant trop exigeant quant aux motifs que devait avoir l’agent pour agir. L’alinéa 99(1)f) autorisait l’agent à retenir et à fouiller le véhicule des appelants s’il soupçonnait, pour des motifs raisonnables, qu’ils se livraient à la contrebande ou tentaient de le faire, mais le juge de première instance a mentionné une probabilité de contrebande. En examinant les actions de l’agent, le juge de première instance a aussi étudié chaque élément de preuve séparément alors qu’il aurait dû évaluer l’ensemble des circonstances. Étant donné que les renseignements précis et fiables communiqués à l’agent, l’endroit où se trouvait le véhicule des appelants et l’observation qu’en a faite l’agent satisfaisaient amplement aux exigences en matière de rétention et de fouille prescrites à l’al. 99(1)f) de la Loi, les appelants n’ont pas été arbitrairement détenus contrairement à l’art. 9 de la Charte. Il n’y a pas eu non plus de violation du droit des appelants à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives. La fouille effectuée satisfaisait aux critères formulés dans l’arrêt Collins: elle était autorisée par une règle de droit, cette règle de droit est raisonnable en soi et la fouille a été effectuée d’une manière raisonnable. L’omission du ministère public de présenter d’autres éléments de preuve après la décision défavorable sur le voir‑dire -- fait qui a nécessairement entraîné un acquittement -- est loin de constituer un abus de procédure. La décision sur le voir‑dire a pratiquement dénué de tout sens tout autre élément de preuve que le ministère public aurait pu être en mesure de présenter. Étant donné qu’il aurait été absurde de s’attendre à ce que le ministère public poursuive le procès dans ces circonstances, son omission de le faire n’écarte pas la possibilité d’un nouveau procès. Un nouveau procès est justifié en l’espèce. La preuve écartée ainsi que celle déjà au dossier constituent une preuve circonstancielle telle que, si l’erreur n’avait pas été commise et si la preuve écartée avait été admise, le verdict n’aurait pas nécessairement été le même.

Le juge Major (dissident): Le juge de première instance a eu raison de conclure que l’agent n’avait pas de motifs raisonnables d’interpeller les appelants. Bien que les exigences de l’al. 99(1)f) de la Loi sur les douanes ne soient pas rigoureuses, il doit y avoir un lien entre les facteurs sur lesquels l’agent s’appuie et ses soupçons quant à une infraction à la Loi. En l’espèce, l’agent a affirmé avoir intercepté le véhicule des appelants parce qu’il était à proximité de la frontière et parce qu’il s’agissait d’une camionnette munie d’une antenne de téléphone cellulaire et d’un capot de caisse. L’agent a cru également que la présence d’une plaque d’immatriculation du Québec était un facteur important. Ces facteurs, peu importe qu’on les évalue séparément ou ensemble, ne constituent pas des motifs raisonnables de soupçonner une infraction à la Loi. Le caractère arbitraire de l’interpellation ressort du témoignage de l’agent: il a déclaré deux fois qu’il avait le choix entre les deux véhicules aperçus à l’intersection et qu’il devait intercepter l’un ou l’autre. L’agent n’a jamais expliqué pourquoi la camionnette était, des deux véhicules, le plus susceptible d’avoir traversé la frontière. Il n’y a rien d’illégal en soi à traverser la frontière à un passage non surveillé. Même si la camionnette avait pu être identifiée comme étant le véhicule qui venait de traverser la frontière, il n’y avait toujours rien qui indiquait qu’une infraction à la Loi sur les douanes avait été commise. L’agent a agi sur le coup d’une intuition reposant sur son expérience. Bien que l’expérience des policiers ne doive pas être dépréciée dans l’évaluation des motifs d’intercepter et de fouiller un véhicule, permettre aux policiers d’exercer leurs pouvoirs considérables en matière de détention et d’interpellation en se fondant sur cette expérience risque d’ouvrir la porte à des justifications rétrospectives des actions policières. En évaluant l’expérience de l’agent, il ne faut pas oublier qu’il croyait que traverser la frontière à un poste frontalier non surveillé était illégal, ce qui ne l’est pas. Étant donné qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables de détenir les appelants en l’espèce, la détention était arbitraire et contrevenait à l’art. 9 de la Charte. De plus, la fouille effectuée par la suite était abusive et violait l’art. 8 de la Charte. Enfin, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur dans l’interprétation des principes de droit applicables pour écarter des éléments de preuve en vertu du par. 24(2), et sa conclusion que l’utilisation de la preuve rendrait le procès inéquitable n’était pas non plus déraisonnable.

Il y a accord avec les motifs du juge Sopinka.

Le juge Sopinka (dissident): Il y a accord avec la conclusion et les motifs du juge Major. Cependant, le pourvoi devrait être accueilli même si le juge de première instance a commis une erreur en écartant la preuve obtenue grâce à la fouille du véhicule des appelants. Dans un appel contre un acquittement, fondé sur une erreur de droit commise au procès, le ministère public a l’obligation de convaincre la cour que le verdict n’aurait pas nécessairement été le même en l’absence de cette erreur. Pour s’acquitter de cette lourde obligation, le ministère public doit établir que la preuve écartée, à elle seule ou considérée avec d’autres éléments de preuve, aurait pu raisonnablement donner lieu à une déclaration de culpabilité. La cour doit être convaincue de cela avec une certitude raisonnable. Dans le présent pourvoi, la preuve résultant de la fouille est la seule preuve au dossier. Cette preuve n’était pas susceptible en soi de donner lieu à une déclaration de culpabilité. Les appelants ont été interceptés quelques minutes seulement après avoir traversé la frontière et, comme il n’y avait pas de bureau de douane sur le chemin qu’ils avaient emprunté, il leur aurait été impossible de se présenter à la douane avant d’être interceptés.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Jacques

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Gonthier
Distinction d’avec l’arrêt: R. c. Montour and Longboat (1992), 129 R.N.‑B. (2e) 361
arrêts mentionnés: R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495
Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053
R. c. Bernshaw, [1995] 1 R.C.S. 254
R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621
R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257
R. c. Simpson (1993), 12 O.R. (3d) 182
R. c. Marin, [1994] O.J. No. 1280 (QL)
R. c. Wilson, [1990] 1 R.C.S. 1291
R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265
R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601.
Citée par le juge Major (dissident)
R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621
R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257
R. c. Montour and Longboat (1992), 129 R.N.-B. (2e) 361, inf. par (1994), 150 R.N.-B. (2e) 7, inf. par [1995] 2 R.C.S. 416
R. c. Simpson (1993), 12 O.R. (3d) 182
R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495
Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145
R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265
R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615
R. c. Duguay, [1989] 1 R.C.S. 93
R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206.
Citée par le juge Sopinka (dissident)
Vézeau c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 277
R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345
R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 9, 24(2).
Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), art. 11(1), 99(1)f), 159.

Proposition de citation de la décision: R. c. Jacques, [1996] 3 R.C.S. 312 (3 octobre 1996)


Origine de la décision
Date de la décision : 03/10/1996
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1996] 3 R.C.S. 312 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1996-10-03;.1996..3.r.c.s..312 ?
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