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22/05/1997 | CANADA | N°[1997]_2_R.C.S._260

Canada | R. c. Currie, [1997] 2 R.C.S. 260 (22 mai 1997)


R. c. Currie, [1997] 2 R.C.S. 260

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Robert Currie Intimé

Répertorié: R. c. Currie

No du greffe: 25053.

Audition et jugement: 31 janvier 1997.

Motifs déposés: 22 mai 1997.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1995), 26 O.R. (3d) 444, 86 O.A.C. 143, 103 C.C.C. (3d) 281, qui a accueilli l'appel inte

rjeté par l'accusé contre une peine de détention pour une période indéterminée. Pourvoi accueilli.

Lucy Cecchetto et Ai...

R. c. Currie, [1997] 2 R.C.S. 260

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Robert Currie Intimé

Répertorié: R. c. Currie

No du greffe: 25053.

Audition et jugement: 31 janvier 1997.

Motifs déposés: 22 mai 1997.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1995), 26 O.R. (3d) 444, 86 O.A.C. 143, 103 C.C.C. (3d) 281, qui a accueilli l'appel interjeté par l'accusé contre une peine de détention pour une période indéterminée. Pourvoi accueilli.

Lucy Cecchetto et Aimée Gauthier, pour l'appelante.

Alan D. Gold, pour l'intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1 Le Juge en chef — Le présent pourvoi porte sur le bien‑fondé de la déclaration de délinquant dangereux prononcée par le juge du procès à l’endroit de l’intimé, Robert Currie, et de la période indéterminée de détention correspondante qui lui a été infligée après qu’il a été reconnu coupable d’avoir agressé sexuellement trois jeunes filles. À la fin de l’audition du présent pourvoi, notre Cour a conclu, sans exposer de motifs à ce moment, que ni la déclaration ni la peine ne devaient être annulées. Voici maintenant les motifs de notre décision.

I. Les faits et les décisions des juridictions inférieures

2 L’intimé, Robert Currie, a été accusé de trois chefs d’agression sexuelle se rapportant à une série d’événements liés, au cours desquels il s’est livré à des attouchements sexuels sur des jeunes filles, le 5 novembre 1988, dans un magasin Towers à Barrie (Ontario). Au cours du premier incident, l’intimé s’est approché d’un groupe de quatre jeunes filles dans le rayon des jouets du magasin, puis il a palpé et pincé les fesses de trois d’entre elles avant de quitter les lieux. Lors du deuxième incident, plus envahissant celui-là, l’intimé a suivi trois s{oe}urs près du rayon des articles pour fumeurs. Il a d’abord posé la main sur les seins de l’aînée. Tout de suite après, il s’est approché des jeunes filles par derrière et, pour reprendre la description qu’en a donnée le juge du procès, il a [traduction] «glissé sa main entre les jambes de deux d’entre elles pour tenter de toucher leurs organes génitaux». Effrayées, les jeunes filles ont signalé l’incident aux employés et au personnel de sécurité du magasin qui ont finalement réussi à appréhender l’intimé à l’extérieur du magasin et à le retenir jusqu’à l’arrivée de la police.

3 Le 12 avril 1989, devant le juge Tobias, l’intimé a été déclaré coupable de toutes les accusations qui pesaient contre lui. Avant le prononcé de la sentence, le procureur général de l’Ontario a engagé les procédures relatives aux délinquants dangereux prévues à l’al. 753b) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Essentiellement, cette disposition permet au ministère public de demander au tribunal de déclarer qu’un individu est un «délinquant dangereux» et de lui infliger une peine de détention d’une durée indéterminée si: a) il a été reconnu coupable d’une infraction constituant un «sévice grave à la personne»; b) son incapacité à contrôler ses impulsions sexuelles laisse prévoir que «vraisemblablement il causera [. . .] de ce fait des sévices ou autres maux à d’autres personnes» à l’avenir. La définition de «sévices graves à la personne» à l’art. 752 du Code criminel englobe toutes les formes d’agression sexuelle.

4 Ces agressions sexuelles n’étaient pas des incidents isolés. Une partie des raisons invoquées pour demander que l’intimé soit déclaré délinquant dangereux avait trait à ses nombreux antécédents de crimes sexuels perpétrés dans les régions d’Ottawa, de Toronto et de Hamilton de 1975 à 1988. Comme l’indiquent, dans des détails troublants, les décisions des juridictions inférieures et les actes de procédures déposés auprès de notre Cour, l’intimé avait déjà été déclaré coupable de nombreuses infractions sexuelles, dont certaines avaient été extrêmement violentes et très avilissantes pour les victimes.

5 Les activités sexuelles criminelles de Robert Currie ont commencé dans la région d’Ottawa, de septembre à novembre 1975. Dans des incidents distincts, l’intimé a harcelé quatre femmes en les suivant, puis il les a agressées sexuellement. Dans tous les cas, ce fut un événement grave et traumatisant pour la victime, mais deux des incidents ont été comparativement plus graves. Le 30 septembre 1975, l’intimé a suivi une adolescente dans un champ. Il l’a attrapée, l’a déshabillée puis l’a forcée à lui faire une fellation et à avoir avec lui des relations sexuelles répétées. Devant la résistance de sa victime, il lui a tiré les cheveux et l’a frappée au visage. La nuit du 29 novembre 1975, après avoir porté atteinte à la pudeur d’une autre victime, l’intimé a suivi une jeune femme à Nepean. Après l’avoir approchée par derrière et l’avoir projetée par terre, il l’a enfoncée profondément dans la neige, dans un champ désert. Il a ensuite déshabillé complètement sa victime, la frappant à de nombreuses reprises au visage, puis il l’a forcée à lui faire une fellation et à avoir de multiples relations anales et vaginales. Pendant le viol, il avait un couteau de chasse avec lequel il a menacé la victime après l’attaque. Sa victime saignait abondamment lorsqu’il l’a abandonnée nue dans la neige.

6 Le 20 mai 1976, par suite de ces agressions, l’intimé a été reconnu coupable d’attentat à la pudeur, de viol et de possession d’une arme, et il a été condamné à cinq ans d’emprisonnement. Depuis ce temps, chaque fois qu’il a repris sa liberté, il a continué à avoir un comportement sexuel criminel et impulsif. En 1979, pendant qu’il était en liberté conditionnelle à Toronto, l’intimé a suivi une femme et l’a attaquée. Lorsqu’elle a crié, quand il a tenté de toucher ses organes génitaux, il lui a enfoncé les doigts dans la bouche, l’a projetée par terre et l’a rouée de coups de pied. Il a fui les lieux du crime, mais il a immédiatement été appréhendé par la police, et il a plus tard été reconnu coupable d’attentat à la pudeur. À Hamilton, en 1981 et en 1982, pendant qu’il était étroitement surveillé par la police, l’intimé a été observé en train de suivre un certain nombre de femmes dans les rues de la ville. Dans un cas, la jeune fille a senti qu’elle était suivie et elle a cherché refuge sous le porche d’une maison située à proximité. Dans un autre cas, l’intimé a attenté à la pudeur d’une femme qu’il avait suivie en glissant sa main sous les vêtements de celle-ci, entre ses jambes, afin de tenter de toucher ses organes génitaux. Au moment de son arrestation par la police, relativement à ce dernier incident, l’intimé a fait la déclaration suivante:

[traduction] C’était moi, je l’ai fait. Je n’ai pu m’en empêcher. J’ai demandé de l’aide auparavant. Mais on m’a relâché. J’avais besoin d’aide, mais ils m’ont laissé partir. Je m’en allais jouer au hockey lorsque j’ai fait monter cette fille qui faisait de l’auto‑stop. Elle portait un maillot de bain. Cela m’a excité. C’est comme si elle courait après. Pas celle‑ci, mais l’autre. Comment faites‑vous les gars? Je veux dire, lorsque vous voyez ces filles vêtues de maillot de bain à longueur de journée. J’ai besoin d’aide. Je suis toujours en train de suivre des femmes, de jeunes enfants et des gens. Je ne peux pas m’arrêter. [. . .] Je n’y peux rien. [. . .] Je suis toujours en train de penser aux femmes. [. . .] Je n’avais pas l’intention de faire de mal à qui que ce soit. Je pense que je me dis que ce n’est que quelques instants de frayeur, puis que c’est fini et que personne n’est blessé.

A. La preuve psychiatrique

7 Pour étayer sa demande de déclaration de délinquant dangereux, le ministère public a fait témoigner un psychiatre, le Dr Angus McDonald, qui a participé pendant deux mois à une évaluation en équipe de l’intimé après la perpétration des agressions sexuelles au magasin Towers — appelées les «infractions sous‑jacentes». Dans son évaluation, le Dr McDonald a conclu que l’intimé était un obsédé et un [traduction] «déviant sexuel» extrêmement instable, souffrant d’une [traduction] «anomalie biologique dans les connexions de son cerveau». Pour cette raison, il était [traduction]«une personne très dangereuse pour la société». Ces conclusions du Dr McDonald ont été influencées par l’aveu suivant de l’intimé, fait à un psychométricien au centre de santé mentale de Penetanguishene en 1989:

[traduction] Les choses que je faisais en ’79, j’y ai mis fin. Je ne les amoche plus maintenant, mais comprenez‑moi bien. Elles sont mieux de me donner du sexe si j’en veux, car j’ai souvent un couteau, et j’ai toujours mes deux mains.

En guise de conclusion, le Dr McDonald a fait le pronostic que l’intimé [traduction] «n’était plus réceptif aux traitements et constituait un risque pour les femmes et les jeunes filles».

8 Le psychiatre désigné par la défense, le Dr Basil Orchard, a reconnu que l’intimé souffrait d’un désordre impulsif de la personnalité et d’une [traduction] «déviation sexuelle polymorphe» incluant [traduction] «le voyeurisme, la pédophilie et l’hébéphilie hétérosexuelles et l’agressivité sexuelle impulsive». Compte tenu de ce diagnostic, le Dr Orchard a admis que vraisemblablement l’intimé récidiverait. Il a toutefois conclu que l’intimé n’était ni schizophrène ni psychotique, et qu’il avait laissé voir une tendance à un comportement moins violent. Selon son pronostic, en cas de manifestations futures du comportement criminel de l’intimé, sa conduite tendrait à la perpétration [traduction] «d’infractions du genre nuisances» plutôt que d’infractions de nature violente. En somme, il ne l’a pas [traduction] «jugé particulièrement dangereux pour le moment».

B. Les motifs exposés à l’égard de la demande de déclaration de délinquant dangereux

9 À partir des éléments de preuve qui lui ont été présentés, le juge Tobias a conclu que l’intimé était effectivement un délinquant dangereux au sens de l’al. 753b) du Code criminel. Il a préféré le témoignage du Dr McDonald à celui du Dr Orchard, jugeant le rapport de ce dernier [traduction] «ambigu et équivoque». Il a aussi indiqué avoir été particulièrement influencé par le plus récent aveu de l’intimé, fait après la perpétration des infractions sous‑jacentes et dans lequel celui‑ci admettait ouvertement avoir des désirs irrépressibles de relations sexuelles avec de jeunes enfants. Le juge Tobias a également conclu que des traitements étaient peu susceptibles de réprimer ces pulsions avouées, compte tenu tout particulièrement de l’incapacité de l’intimé d’admettre qu’il en a besoin et de son ambivalence quant aux répercussions de son comportement le plus récent.

10 Au sujet de la question même des infractions sous‑jacentes, le juge Tobias a souscrit à la conclusion du Dr McDonald selon laquelle, [traduction] «[m]ême si les infractions sous‑jacentes peuvent paraître moins graves sous l’aspect de la violence, elles sont plus flagrantes, ce qui indique une diminution de la maîtrise de soi de l’intimé». En réponse à l’argument spécifique de l’avocat de la défense suivant lequel les infractions sous‑jacentes témoignaient d’une réduction de la dangerosité, le juge Tobias a tenu les propos suivants:

[traduction] Je n’ai pas été insensible aux arguments de l’avocat de l’intimé voulant que la nature de son comportement ait grandement changé sur une période de 15 ans, passant de violent à inoffensif, de sorte que l’intimé ne pourrait aujourd’hui être décrit comme dangereux. Néanmoins, ces arguments n’ont pas réussi à me convaincre que la violence et la brutalité des agressions sexuelles passées de l’intimé ne continuent pas à se manifester dans ses agressions sexuelles subséquentes, y compris le comportement qui a entraîné sa condamnation pour les infractions sous‑jacentes.

11 Vu l’ensemble de ses conclusions, le juge Tobias a indiqué que, conformément à l’art. 753 du Code criminel, il était convaincu hors de tout doute raisonnable que: a) Robert Currie avait été déclaré coupable d’infractions constituant des «sévices graves à la personne»; b) sa conduite depuis 1975, y compris la perpétration des infractions sous‑jacentes, démontrait son incapacité à contrôler ses impulsions sexuelles et laissait prévoir que vraisemblablement il causera à l’avenir de ce fait des sévices ou autres maux à d’autres membres de la société. Le juge a accueilli la demande de déclaration de délinquant dangereux présentée par le ministère public.

C. Les motifs de la sentence

12 Après avoir accueilli la demande de déclaration de délinquant dangereux, le juge Tobias a abordé la question de la détermination de la peine. Ce faisant, il a fait allusion au fait que, aux termes du par. 761(1) du Code criminel, la Commission nationale des libérations conditionnelles est légalement tenue de revoir périodiquement toute déclaration de délinquant dangereux. Il a dit ceci:

[traduction] Le paragraphe 761(1) du Code criminel établit le cadre de l’examen par la Commission nationale des libérations conditionnelles de l’emprisonnement d’une personne condamnée à une peine de détention pour une période indéterminée et, à mon humble avis, c’est la protection découlant de cet examen prévu au par. 761(1) qui assure à M. Currie qu’il sera tenu compte de ses troubles de la personnalité, de l’état de ces troubles, de l’état de sa déviation sexuelle et de la possibilité qu’à un certain moment dans le futur il ne soit plus un délinquant dangereux ni une menace pour la société. Je suis incapable de dire si cela se produira dans cinq ans, dans six ans ou dans dix ans.

Je dois par conséquent condamner M. Currie à une peine de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée et laisser aux experts de la Commission nationale des libérations conditionnelles et du système pénitentiaire le soin d’évaluer l’état du traitement de M. Currie et son droit de réintégrer la société.

Reconnaissant que l’al. 753b) a pour objet la protection du public, le juge Tobias a exercé son pouvoir discrétionnaire et infligé une peine de détention pour une période indéterminée.

D. La Cour d’appel de l’Ontario (1995), 26 O.R. (3d) 444 (les juges Brooke, Finlayson et Carthy)

13 En appel, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en déclarant l’intimé délinquant dangereux, et elle l’a condamné à la période de détention déjà purgée. Selon le juge Finlayson, la déclaration de délinquant dangereux n’était pas justifiée par la preuve. Il a noté (à la p. 448) que, même si certains des crimes sexuels antérieurs perpétrés par l’intimé avaient été violents et extrêmement avilissants, les infractions sous‑jacentes [traduction] «étaient loin d’être aussi graves», et que le juge du procès avait fait erreur en omettant d’axer son examen sur la gravité des infractions sous‑jacentes elles‑mêmes. À cet égard, le juge Finlayson a critiqué la nature du témoignage du Dr McDonald et a préféré le rapport du Dr Orchard, lequel concluait que [traduction] «la nature relativement bénigne des infractions sous‑jacentes de [l’accusé] tendait à indiquer que les traitements l’avaient aidé à maîtriser sa propension à la violence» (p. 451).

14 La Cour d’appel a aussi statué que la décision du juge du procès était fondée sur une mauvaise interprétation de la charge de la preuve. Le juge Finlayson a considéré que le commentaire fait par le juge du procès à la fin de sa décision et que j’ai reproduit plus tôt, selon lequel les arguments de l’intimé [traduction] «n’[avaient] pas réussi à [l]e convaincre que la violence et la brutalité des agressions sexuelles passées de l’intimé ne continuent pas à se manifester» constituait un déplacement inapproprié de la charge de la preuve sur les épaules de l’intimé.

15 Le juge Finlayson s’est également interrogé sur les motifs distincts invoqués par le juge du procès pour infliger une peine de détention pour une période indéterminée. Il a fait remarquer que le juge du procès n’aurait pas dû s’appuyer sur le fait que le Code criminel oblige la Commission nationale des libérations conditionnelles à examiner périodiquement le statut de délinquant dangereux imposé à une personne. Selon le juge Finlayson, le juge du procès s’est trouvé de ce fait à abdiquer effectivement les responsabilités qui lui incombent en sa qualité de juge appelé à déterminer la peine.

II. Les questions en litige

16 Le désaccord fondamental entre les jugements des juridictions inférieures quant au bien‑fondé de la décision de déclarer Robert Currie délinquant dangereux et de lui infliger une peine de détention pour une période indéterminée soulève, selon moi, les trois questions suivantes dans le présent pourvoi devant notre Cour:

(1) Le juge du procès qui examine une demande de déclaration de délinquant dangereux fondée sur l’al. 753b) du Code criminel doit‑il axer son examen sur la gravité des infractions sous‑jacentes particulières qui ont amené le ministère public à présenter cette demande?

(2) La déclaration de délinquant dangereux et la peine de détention pour une période indéterminée correspondante étaient‑elles raisonnablement étayées par la preuve?

(3) La déclaration de délinquant dangereux et la peine de détention pour une période indéterminée correspondante étaient‑elles fondées sur quelque erreur de droit?

Vu notre décision à la fin de l’audience, personne ne s’étonnera que la Cour tranche chacune des questions en litige en faveur de l’appelante. Il convient toutefois de donner des explications approfondies, qui devraient fournir les indications nécessaires pour l’audition de futures demandes de déclaration de délinquant dangereux.

III. L’analyse

17 Notre Cour est d’avis que Robert Currie a été à bon droit déclaré délinquant dangereux et condamné à une peine de détention pour une période indéterminée. Cette opinion est fondée sur deux principes juridiques fondamentaux, que je vais exposer et appliquer. Ces principes sont les suivants: premièrement, vu la nature et la structure de l’al. 753b) du Code criminel, le juge qui préside le procès n’est pas tenu d’axer son examen sur la gravité objective de l’infraction sous‑jacente pour pouvoir conclure qu’il est justifié de faire droit à la demande de déclaration de délinquant dangereux. Deuxièmement, la conclusion de dangerosité tirée par le juge du procès est une conclusion de fait, qui repose fréquemment sur la crédibilité relative des experts, et qui, pourvu qu’elle soit raisonnable, ne devrait pas être écartée sans un examen approfondi.

A. Le juge du procès doit‑il axer son examen sur la gravité des infractions sous‑jacentes?

18 La Cour d’appel a annulé la déclaration de délinquant dangereux prononcée contre Robert Currie par le juge du procès, principalement parce que, selon elle, le juge du procès avait fait erreur en n’axant pas son examen sur la gravité des infractions sous‑jacentes. Se fondant sur cette conclusion, l’intimé prétend que, lorsqu’il se demande si le délinquant présentera vraisemblablement un danger, le juge appelé à déterminer la peine doit tenir compte de la gravité relative des infractions sous‑jacentes. Selon l’intimé, à moins qu’il n’existe [traduction] «quelque lien logique entre les infractions sous‑jacentes et la peine», le délinquant est puni pour ses crimes antérieurs.

19 Il est vrai que, considérées isolément, les infractions sous‑jacentes semblent moins graves que la plupart des actes antérieurs de l’intimé. De fait, l’appelante a admis que [traduction] «[l]es infractions sous‑jacentes en l’espèce peuvent à bon droit être qualifiées d’infractions moins graves que les infractions antérieures du délinquant, et, heureusement, elles n’approchent pas la gravité des infractions très violentes commises antérieurement». Toutefois, cette observation n’amène pas nécessairement à conclure que la déclaration de délinquant dangereux prononcée contre Robert Currie était mal fondée. Au contraire, dès qu’une personne a commis une infraction que le Code criminel définit expressément comme étant un «sévice grave à la personne», elle donne alors au ministère public la possibilité de demander, conformément au Code criminel, qu’elle soit déclarée délinquant dangereux. Si une telle demande est présentée, il appartient au juge du procès d’évaluer le danger potentiel que présente le délinquant pour le public, et cela peut ou non dépendre de la nature précise et de la gravité objective de l’infraction sous‑jacente.

20 L’alinéa 753b) du Code criminel énonce on ne peut plus clairement ce principe. Cet article dispose:

753. Sur demande faite, en vertu de la présente partie, postérieurement à la déclaration de culpabilité mais avant le prononcé de la sentence, le tribunal, convaincu que, selon le cas:

. . .

b) l’infraction commise constitue un sévice grave à la personne, aux termes de l’alinéa b) de la définition de cette expression à l’article 752, et que la conduite antérieure du délinquant dans le domaine sexuel, y compris lors de la perpétration de l’infraction dont il a été déclaré coupable, démontre son incapacité à contrôler ses impulsions sexuelles et laisse prévoir que vraisemblablement il causera à l’avenir de ce fait des sévices ou autres maux à d’autres personnes,

peut déclarer qu’il s’agit là d’un délinquant dangereux et lui imposer, au lieu de toute autre peine qui pourrait être imposée pour l’infraction dont il vient d’être déclaré coupable, une peine de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée. [Je souligne.]

Bref, le ministère public doit franchir deux étapes pour que sa demande de déclaration de délinquant dangereux soit accueillie. Il doit d’abord établir que le délinquant a été déclaré coupable d’une infraction constituant un «sévice grave à la personne». Cela fait, l’objet de l’examen change, et la question consiste alors à se demander si le délinquant causera «vraisemblablement [. . .] à l’avenir», du fait de «son incapacité à contrôler ses impulsions sexuelles», «des sévices ou autres maux à d’autres personnes».

21 Il ne fait pas de doute, dans le présent pourvoi, que les agressions sexuelles sous‑jacentes perpétrées par l’intimé à l’endroit des jeunes filles dans le magasin Towers étaient des «sévices graves à la personne». À l’alinéa 752b) du Code criminel, la définition de «sévices graves à la personne» inclut «les infractions ou tentatives de perpétration de l’une des infractions visées aux articles 271 (agression sexuelle)». Toutefois, les parties divergent fondamentalement d’opinion sur la façon dont le juge du procès a appliqué le deuxième critère. L’intimé prétend que le juge du procès a commis une erreur en ne tenant pas compte adéquatement de la gravité relative des infractions sous‑jacentes. Il soutient qu’une peine de détention pour une période indéterminée est disproportionnée par rapport à la gravité des attouchements sexuels.

22 Cet argument me pose problème pour deux raisons. Premièrement, le texte de l’al. 753b) énonce expressément qu’il n’est pas nécessaire d’axer l’examen sur la nature précise de l’infraction sous‑jacente. L’alinéa 753b) prévoit que la dangerosité potentielle est mesurée en fonction de «la conduite antérieure du délinquant dans le domaine sexuel, y compris lors de la perpétration de l’infraction dont il a été déclaré coupable» (je souligne). «[L]a conduite antérieure du délinquant dans le domaine sexuel» peut se rapporter à l’infraction sous‑jacente, mais ce n’est pas nécessaire. Dès que la conduite antérieure du délinquant, quelle qu’elle soit, laisse prévoir que vraisemblablement il causera à l’avenir de ce fait des sévices à d’autres personnes, la déclaration est justifiée. Deuxièmement, la thèse de l’intimé est incompatible avec la nature et la structure du régime législatif créé par le législateur en ce qui concerne les délinquants dangereux. Comme je l’ai indiqué précédemment, un élément crucial de l’al. 753b) est la notion de «sévices graves à la personne». Le législateur a dit qu’il existe certains types d’infractions, intrinsèquement graves, qui sont susceptibles de donner lieu à une demande de déclaration de délinquant dangereux. Comme l’a fait observer notre Cour dans l’arrêt R. c. McCraw, [1991] 3 R.C.S. 72, à la p. 83, l’agression sexuelle, quelle que soit la forme qu’elle prend, est l’une d’entre elles. D’autres infractions, vraisemblablement parce qu’elles sont moins menaçantes pour la sécurité d’autrui, ne déclenchent pas l’application de l’art. 753.

23 En conséquence, je trouve contradictoire et même insensible, de qualifier les agressions sous‑jacentes visées d’«infractions du genre nuisances». Même si elles n’étaient pas aussi violentes ou graves que certaines des infractions passées de l’intimé, les agressions sexuelles en cause constituaient néanmoins des infractions violentes et graves. Les infractions sous‑jacentes comportaient des attouchements sexuels répétés sur des jeunes filles dans un lieu public, et au moins deux des victimes de ces agressions ont souffert de graves traumatismes psychologiques ainsi que d’autres effets secondaires. Si ces agressions sexuelles n’étaient pas graves, l’agression sexuelle ne figurerait pas au nombre des infractions mentionnées à l’art. 752. Le législateur n’aurait pas non plus jugé bon d’éliminer la distinction entre le viol et l’attentat à la pudeur -- de fait, il se serait assuré du maintien de cette distinction.

24 Par définition, donc, les arguments fondés sur la proportionnalité ne résiste pas à un examen minutieux. Il est possible qu’il existe, ainsi que le prétend l’intimé, une différence objective entre un viol perpétré de nuit, à la pointe du couteau, et les infractions sous‑jacentes, mais cette distinction n’est pas reflétée à l’art. 752 ou 753 du Code criminel. De fait, l’intimé demande à la Cour de modifier et même d’atténuer la portée de la définition de «sévices graves à la personne». Une telle modification aurait pour effet, comme le souligne l’appelante, de garantir effectivement qu’un accusé ayant commis une infraction sexuelle sous‑jacente qu’on pourrait prétendre moins grave ne serait jamais déclaré délinquant dangereux. Je ne puis imaginer que le législateur ait voulu que les tribunaux attendent qu’un individu manifestement dangereux, indépendamment de la nature de ses antécédents criminels et du poids des opinions d’experts quant à sa dangerosité potentielle, commette un crime particulièrement violent et cruel avant de pouvoir le déclarer délinquant dangereux.

25 Est‑ce faire un affront à la réalité, ainsi que le prétend l’intimé, que de traiter sur un pied d’égalité toutes les infractions constituant des «sévices graves à la personne» dans l’application de l’al. 753b)? À mon avis, la réponse est non. Cela pourrait poser un problème si l’al. 753b) établissait une analyse comportant une seule étape. L’alinéa 753b) pourrait être illogique si, par exemple, il indiquait, sans faire de réserve, que le juge du procès peut déclarer délinquant dangereux toute personne qui commet une infraction constituant un «sévice grave à la personne». Toutefois, il est crucial de reconnaître que la condamnation à l’égard d’une infraction constituant un «sévice grave à la personne» ne fait que déclencher le mécanisme prévu à l’al. 753b). En effet, il reste la deuxième étape de l’al. 753b), au terme de laquelle le juge du procès doit, avant de pouvoir déclarer le délinquant en cause dangereux et lui infliger une peine de détention pour une période indéterminée, être convaincu hors de tout doute raisonnable que celui-ci présentera vraisemblablement un danger à l’avenir pour la société.

26 Le législateur a donc créé, en matière d’incarcération à des fins préventives, une norme qui évalue l’état actuel de l’accusé en fonction de ses actes et comportements antérieurs. En vertu de ce régime législatif, il est possible de condamner à bon droit des délinquants dangereux ayant commis des infractions constituant des «sévices graves à la personne» sans devoir attendre qu’ils frappent à nouveau d’une manière particulièrement odieuse. Prenons l’exemple d’un déviant sexuel notoire, qui a déjà été déclaré coupable à plusieurs reprises de harcèlement et d’agression sexuelle à l’endroit de fillettes dans des terrains de jeux. Son manège consiste à offrir des bonbons à ses jeunes victimes, à faire des attouchements sur leurs organes génitaux et, si les fillettes semblent accéder à ses désirs ou se soumettre à ses avances criminelles, à les emmener ailleurs où il les agresse sexuellement avec violence. Supposons maintenant que cet individu soit en liberté et se fasse prendre en flagrant délit par un parent dans un terrain de jeu, après avoir offert des bonbons à une fillette et lui avoir fait des attouchements interdits. Dans cet exemple, tout comme dans le présent cas, l’infraction sous‑jacente est objectivement moins grave qu’un viol accompagné de violence, mais le juge du procès n’a pas à justifier la déclaration de délinquant dangereux ni l’application d’une peine indéterminée comme étant un châtiment mérité pour l’acte isolé d’attouchement sexuel. Sous le régime de l’al. 753b), le délinquant a commis une infraction constituant intrinsèquement un «sévice grave à la personne». Le juge du procès qui est saisi d’une demande de déclaration de délinquant dangereux a le droit de tenir compte de la «conduite antérieure du délinquant dans le domaine sexuel» afin de décider si ce dernier constituera un danger à l’avenir pour la société. Autrement, nous nous trouverions à dire que l’état actuel du délinquant est défini par le degré précis de gravité des infractions sous‑jacentes. Cela revient à supposer qu’un individu dangereux donnera toujours libre cours à ses tendances les plus dangereuses, ou qu’il se fera prendre après l’avoir fait.

27 Contrairement aux prétentions de l’intimé, la présente conclusion est parfaitement compatible avec l’arrêt R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309. Dans Lyons, l’accusé avait été reconnu coupable de s’être introduit par infraction dans une maison d’habitation, d’avoir utilisé une arme en commettant une agression sexuelle, d’avoir utilisé une arme à feu lors de la perpétration d’un acte criminel et d’avoir volé des biens. Il a par la suite été déclaré délinquant dangereux par le juge du procès, qui lui a infligé une peine de détention pour une période indéterminée. La question dont notre Cour a été saisie dans ce pourvoi était celle de savoir si les dispositions du Code criminel relatives aux délinquants dangereux étaient compatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour a confirmé la constitutionnalité de ces dispositions, principalement pour le motif qu’un délinquant dangereux n’est pas condamné pour ses actes criminels passés ou même futurs. Comme l’a indiqué le juge La Forest, à la p. 328:

De toute évidence, l’individu en question se voit condamner, quoique d’une manière inhabituelle, pour les «sévices graves à la personne» dont il a été reconnu coupable. Il faut se rappeler que l’appelant n’a pas été appréhendé à cause de ses actes criminels antérieurs (pour lesquels il a déjà été puni) ni à cause de craintes ou de soupçons quant à sa propension au crime, pour être ensuite soumis à une procédure visant à déterminer s’il valait mieux pour la société qu’il soit incarcéré indéfiniment. Il a plutôt été arrêté et poursuivi pour un crime violent très grave et soumis à une procédure destinée à déterminer la peine qu’il convenait de lui infliger dans les circonstances.

28 À mon avis, même si on y fait mention d’un «crime violent très grave», l’arrêt Lyons n’a pas pour effet d’exiger que toutes les infractions sous‑jacentes correspondent à cette description. Comme l’a indiqué le juge La Forest au cours de l’audition du présent cas, lorsqu’il a dit que Thomas Lyons avait été arrêté et poursuivi pour un «crime violent très grave», il faisait simplement allusion aux faits particuliers de l’arrêt Lyons. Il n’affirmait pas, ajouterais-je, que les infractions sous‑jacentes doivent être particulièrement graves et violentes pour que la déclaration de délinquant dangereux soit justifiée. En fait, même si l’extrait précité de l’arrêt Lyons visait particulièrement à justifier constitutionnellement l’art. 753 (alors l’art. 688), il permet de faire ressortir le point central du présent cas — savoir que des «sévices graves à la personne» sont intrinsèquement graves et qu’il n’est donc pas nécessaire de se demander si le délinquant est puni pour ses «actes criminels antérieurs». Il n’y a pas plus en l’espèce que dans Lyons de faits tendant à indiquer que l’intimé a été «appréhendé» à cause de ses actes criminels antérieurs, ni qu’il a été puni pour quoi que ce soit d’autre que les infractions sous‑jacentes.

29 Cette question présente cependant une autre subtilité, et je négligerais à mes devoirs si je ne l’examinais pas. Même si l’intimé se fonde sur l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, il a fait valoir que ce serait une erreur que de confondre leurs positions respectives. D’une part, la Cour d’appel a annulé la déclaration de délinquant dangereux, principalement parce qu’elle a conclu que le juge du procès n’avait [traduction] «pas examiné la gravité des infractions sous‑jacentes indépendamment des infractions antérieures» (p. 451). D’autre part, l’intimé prétend que le juge du procès a fait une erreur analogue, mais à l’inverse — c’est-à-dire qu’il n’a pas tenu compte des infractions sous‑jacentes.

30 Cet argument est différent sur le plan conceptuel, mais je ne le trouve pas plus convaincant. D’une part, le texte de l’al. 753b) du Code criminel semble indiquer que, dès que le délinquant a été reconnu coupable de «sévices graves à la personne», le juge du procès peut faire abstraction de la nature de l’infraction sous‑jacente. Malgré le caractère peu vraisemblable d’un tel scénario, en autant que la conduite de l’accusé «dans le domaine sexuel» démontre que vraisemblablement ses impulsions sexuelles causeront à l’avenir «des sévices ou autres maux», il n’existe aucun besoin, sur le plan conceptuel, de porter quelque attention à l’infraction sous‑jacente. D’autre part, fait plus important encore, tout indique que le juge du procès n’a pas fait abstraction de la nature des infractions sous‑jacentes. En fait, sur cette question même, il a retenu la conclusion du Dr McDonald selon laquelle [traduction] «[m]ême si les infractions sous‑jacentes peuvent paraître moins graves sous l’aspect de la violence, elles sont plus flagrantes, ce qui indique une diminution de la maîtrise de soi de l’intimé». Il a par la suite conclu que [traduction] «la violence et la brutalité des agressions sexuelles passées de l’intimé [. . .] continuent [. . .] à se manifester dans ses agressions sexuelles subséquentes, y compris le comportement qui a entraîné sa condamnation pour les infractions sous‑jacentes».

31 Même si notre système de justice pénale cherche à sanctionner l’infraction, l’infliction de la peine appropriée est fonction surtout de la dualité de la nature du crime en cause et des caractéristiques particulières du délinquant. Pour ce qui concerne cette dualité, l’efficacité de l’al. 753b) vaut d’être mentionnée. Le critère des «sévices graves à la personne» agit comme mesure de contrôle visant à garantir que la peine ne soit pas disproportionnée à l’infraction. En même temps, la manière dont l’al. 753b) permet au juge du procès d’évaluer l’état actuel du délinquant garantit que la dangerosité propre à chaque délinquant et les caractéristiques de son comportement reçoivent toute l’attention requise, quelle que soit leur forme.

B. La déclaration de délinquant dangereux et la peine de détention pour une période indéterminée correspondante étaient‑elles raisonnablement étayées par la preuve?

32 Compte tenu du texte de l’al. 753b) du Code criminel et des principes que je viens d’exposer, je suis convaincu que le juge Tobias disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que l’intimé était un délinquant dangereux. Les caractéristiques du comportement sexuel criminel de l’intimé et la preuve psychiatrique présentée par le psychiatre choisi par le ministère public constituent certainement une preuve suffisante, si elle est acceptée par le juge des faits, pour justifier une telle conclusion.

33 À cet égard, le rôle d’un tribunal d’appel est de décider si la déclaration de délinquant dangereux était raisonnable. Cette norme du caractère raisonnable est similaire à la norme traditionnellement employée par les tribunaux d’appel lorsqu’ils révisent des verdicts en vertu du sous-al. 686(1)a)(i) du Code criminel. Le caractère raisonnable est la norme de contrôle appropriée en l’espèce parce que, même si la déclaration de délinquant dangereux fait partie du processus postérieur à la déclaration de culpabilité, l’application des normes générales en matière de contrôle des peines n’est pas justifiée vu le libellé général de l’art. 759. Le paragraphe 759(1) est ainsi rédigé:

759. (1) Les personnes condamnées à la détention dans un pénitencier pour une période indéterminée sous l’autorité de la présente partie peuvent interjeter appel d’une telle condamnation à la cour d’appel sur toute question de droit ou de fait ou toute question mixte de droit et de fait. [Je souligne.]

Compte tenu de cette disposition, j’estime que les normes générales en matière de détermination de la peine -- celle de la peine «manifestement erronée» ou celle de la peine «manifestement non indiquée» -- qui ont été élaborées et appliquées dans des arrêts tels R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227, R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, ou R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948, ne s’appliquent pas à la présente situation. Cependant, il est également vrai que l’art. 759 ne peut être interprété comme exigeant l’équivalent d’un procès de novo relativement à la demande de déclaration de délinquant dangereux. Une certaine retenue envers les conclusions du juge du procès est justifiée. Après tout, c’est au juge des faits qu’il appartient d’apprécier la crédibilité des témoins et de tirer des conclusions de fait. En effet, ce dernier est présent lorsque les témoignages sont rendus, et il a alors la possibilité d’apprécier la crédibilité de chaque témoin pendant qu’il dépose.

34 Je tiens également à souligner que je suis bien disposé à l’égard de la prétention de l’intimé et de la conclusion de la Cour d’appel de l’Ontario en l’espèce que, comme les tribunaux d’appel ont compétence, en vertu de l’art. 759, pour réviser le bien-fondé d’une peine de détention pour une période indéterminée, ils ont nécessairement le droit de se demander si la conclusion de dangerosité elle-même était justifiée. En d’autres mots, malgré le fait que, dans les arrêts R. c. Langevin (1984), 11 C.C.C. (3d) 336 (C.A. Ont.), et R. c. Sullivan (1987), 37 C.C.C. (3d) 143 (C.A. Ont.), il ait été à bon droit jugé que l’art. 759 ne donne pas explicitement aux tribunaux d’appel le pouvoir d’annuler une déclaration de délinquant dangereux, les faits sur lesquels repose une conclusion de dangerosité sont nécessairement pertinents pour décider si une peine de détention pour une période indéterminée devrait être annulée. Par conséquent, c’est à bon droit qu’un tribunal d’appel est saisi de la conclusion de dangerosité.

35 En conséquence, en l’absence d’erreur de droit (question que j’examine plus loin), la question cruciale en appel est de savoir si les conclusions du juge du procès étaient raisonnables. Je ne peux que conclure qu’elles l’étaient. D’abord, il y a eu consensus, à l’audition de la demande, sur le fait que Robert Currie est un pédophile et un hébéphile possédant de nombreux antécédents de crimes sexuels, dont certains furent marqués par une violence extrême. Le psychiatre retenu par le ministère public, le Dr McDonald, a conclu, dans son diagnostic, que l’intimé était un individu obsédé, hypersexuel instable et extrêmement dangereux pour les femmes et les jeunes filles. Selon le Dr McDonald, l’intimé a hérité d’une anomalie biologique dans les connexions de son cerveau qui rend ses impulsions sexuelles déviantes incontrôlables. Même si le Dr McDonald a reconnu que les agressions sous‑jacentes commises par l’intimé n’étaient pas aussi graves que certaines de ses agressions antérieures, il a conclu qu’elles étaient [traduction] «inquiétantes» et plus flagrantes, car elles avaient été commises dans un endroit très passant. À son avis, cela tendait à indiquer un affaiblissement de la capacité de l’intimé de contrôler ses impulsions déviantes, et il prévoyait à long terme une augmentation de la gravité des infractions commises par l’intimé.

36 Cette preuve était à elle seule suffisante pour justifier la déclaration de délinquant dangereux, et je n’accepte pas l’objection de l’intimé voulant qu’elle découlerait d’une généralisation à outrance. Les experts s’appuient nécessairement sur leur expérience passée pour arrêter leurs opinions et, ainsi que le fait valoir l’appelante, l’opinion du Dr McDonald était fondée sur une évaluation approfondie de l’intimé. Par conséquent, le juge du procès était parfaitement justifié de croire le diagnostic établi par le Dr McDonald et de conclure, à la lumière des longs antécédents criminels de l’intimé, que la perpétration des infractions sous‑jacentes était la manifestation d’un comportement sexuel déviant. Voir Sullivan, précité. Toutefois, le juge du procès a aussi eu l’avantage d’entendre le témoignage du psychiatre retenu par la défense. Même s’il a conclu que les infractions sous‑jacentes montraient une réduction de la dangerosité, le Dr Orchard a effectivement reconnu la nature profonde des problèmes sexuels de l’intimé en plus d’admettre que vraisemblablement ce dernier récidiverait. En fait, le Dr Orchard lui‑même a indiqué que l’intimé manifestait [traduction] «une grande propension à la violence ou à un comportement dangereux».

37 En outre, le ministère public a produit en preuve des commentaires -- qui selon moi ont été régulièrement présentés au juge du procès -- faits par l’intimé à un psychométricien en 1989. Robert Currie a dit ceci à cette occasion:

[traduction] Les choses que je faisais en ’79, j’y ai mis fin. Je ne les amoche plus maintenant, mais comprenez‑moi bien. Elles sont mieux de me donner du sexe si j’en veux, car j’ai souvent un couteau, et j’ai toujours mes deux mains.

Cet élément de preuve, dont le juge du procès a été en mesure d’évaluer la fiabilité et la valeur, et qu’il n’était pas tenu d’examiner dans ses motifs pour éviter toute erreur (R. c. Burns, [1994] 1 R.C.S. 656, aux pp. 662 à 665, et R. c. Barrett, [1995] 1 R.C.S. 752, aux pp. 752 et 753), appuie encore davantage la conclusion que l’intimé est dangereux. De fait, il s’agit d’un rappel terrifiant, émanant de la bouche même du délinquant, de ses instincts sexuels impulsifs et explosifs.

38 À mon avis, il était donc totalement loisible au juge du procès de préférer le témoignage du Dr McDonald à celui du Dr Orchard. La Cour d’appel n’avait toutefois pas la même latitude pour réévaluer la preuve psychiatrique et annuler la déclaration de délinquant dangereux pour une simple différence d’opinion. Je ne saurais trop insister sur le principe selon lequel aucun tribunal d’appel ne devrait modifier, sans un examen approfondi, une conclusion de dangerosité qui dépend de façon aussi importante de la crédibilité relative des témoins experts. En disant cela, je n’oublie toutefois pas le libellé général de l’art. 759. Cependant, après avoir observé les deux experts et avoir évalué leurs rapports, le juge Tobias a tout simplement conclu que l’opinion du Dr McDonald était la plus crédible. C’était une conclusion raisonnable, qui était largement appuyée par la preuve. Elle n’aurait pas dû être modifiée par la Cour d’appel.

39 La raison de cette conclusion est simple. Pour un observateur de l’extérieur, les agressions sous‑jacentes peuvent être interprétées de diverses façons. En effet, elles pourraient, comme le croient la Cour d’appel et l’intimé, apporter des renseignements suggérant que l’état de l’intimé s’améliorait. À l’opposé, comme elles ont été perpétrées en plein jour, dans un endroit public achalandé, elles pourraient indiquer que l’état de l’intimé était devenu plus flagrant et reflétait une diminution de sa maîtrise de soi. Qui plus est, les infractions sous‑jacentes pourraient même être interprétées comme des manifestations d’un comportement systématique adopté par l’intimé au cours de ses premières infractions. Comme je l’ai noté au début des présents motifs, le 29 novembre 1975, le jour même où l’intimé a perpétré un viol extrêmement violent et avilissant, il avait aussi commis un attentat à la pudeur moins violent et moins envahissant contre une autre victime un peu plus tôt. Il est donc possible que, même si les infractions sous‑jacentes étaient moins violentes que les infractions antérieures, Robert Currie aurait pu commettre des agressions sexuelles plus violentes le même jour, s’il n’avait pas été dénoncé par ses jeunes victimes.

40 Le fait est que l’al. 753b) habilite le juge du procès à évaluer les comportements de ce genre, et que, en l’espèce, le juge du procès a conclu, de façon parfaitement raisonnable, que les infractions sous‑jacentes témoignaient d’une diminution de la maîtrise de soi. Le comportement de l’intimé pourrait, plausiblement, être interprété de manière différente, mais le Code criminel n’invite ni notre Cour ni la Cour d’appel à le faire. À moins que les conclusions du juge du procès soient déraisonnables et en l’absence d’erreur de droit, la déclaration prononcée par le juge du procès devrait être maintenue.

C. Le juge du procès a‑t‑il commis une erreur de droit?

41 L’intimé a plaidé avec succès devant la Cour d’appel que les conclusions du juge du procès étaient fondées sur au moins deux erreurs de droit. Premièrement, le juge Finlayson a dit que le juge du procès avait mal interprété la charge de la preuve dans les procédures relatives aux délinquants dangereux. Deuxièmement, la Cour d’appel a laissé entendre que le juge du procès avait abdiqué ses responsabilités en matière de détermination de la peine en faveur de la Commission nationale des libérations conditionnelles. En toute déférence, j’estime que ces deux conclusions ne sont pas satisfaisantes.

(1) L’erreur sur la charge de la preuve

42 Comme je l’ai mentionné plus haut, la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle le juge du procès a mal interprété la charge de la preuve est fondée sur le passage suivant des motifs du juge du procès:

[traduction] Je n’ai pas été insensible aux arguments de l’avocat de l’intimé voulant que la nature de son comportement ait grandement changé sur une période de 15 ans, passant de violent à inoffensif, de sorte que l’intimé ne pourrait aujourd’hui être décrit comme dangereux. Néanmoins, ces arguments n’ont pas réussi à me convaincre que la violence et la brutalité des agressions sexuelles passées de l’intimé ne continuent pas à se manifester dans ses agressions sexuelles subséquentes, y compris le comportement qui a entraîné sa condamnation pour les infractions sous‑jacentes. [Je souligne.]

Je ne puis accepter que ce passage reflète un déplacement erroné de la charge de la preuve. À mon avis, lorsqu’on lit ce passage dans son contexte global, il est évident que quand le juge Tobias dit que les arguments de l’intimé «n’ont pas réussi à [l]e convaincre», il indique en réalité que ces arguments n’ont pas réussi à réfuter ses conclusions en ce qui a trait à la dangerosité de l’intimé. À mon avis, ce fait est clairement confirmé par le passage qui suit immédiatement le commentaire attaqué:

[traduction] Par conséquent, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable, après examen de l’ensemble de la preuve produite dans le cadre de la présente demande, que les infractions sous‑jacentes pour lesquelles l’intimé a été condamné constituent des sévices graves à la personne visés à l’alinéa b) de la définition de cette expression à l’article 752 du Code criminel, et que la conduite de l’intimé depuis 1975 dans le domaine sexuel, y compris lors de la perpétration des infractions sous‑jacentes, démontre son incapacité de contrôler ses impulsions sexuelles et laisse prévoir que vraisemblablement il causera à l’avenir de ce fait des sévices ou autres maux à d’autres personnes.

Par conséquent, je déclare l’intimé délinquant dangereux.

Notre Cour ne peut passer sous silence le fait que l’al. 753b) n’exige pas la preuve hors de tout doute raisonnable que l’intimé récidivera. Il serait impossible de satisfaire une telle norme. L’alinéa 753b) exige plutôt que le tribunal soit convaincu hors de tout doute raisonnable que l’intimé causera «vraisemblablement» des sévices, et le juge du procès a tenu explicitement compte de cette exigence, citant les affaires R. c. Knight (1975), 27 C.C.C. (2d) 343 (H.C. Ont.), R. c. Dwyer (1977), 34 C.C.C. (2d) 293 (C.A. Alb.), R. c. Carleton (1981), 69 C.C.C. (2d) 1 (C.A. Alb.) (conf. par [1983] 2 R.C.S. 58). Voir aussi Langevin, précité. Je ne suis donc pas disposé à conclure, sur le fondement de quelques mots mal placés, que le juge du procès a mal compris ou mal appliqué la charge de la preuve dans le cadre de cette demande de déclaration de délinquant dangereux.

(2) L’abdication des responsabilités

43 L’intimé prétend également que, dans ses motifs de sentence, le juge du procès a effectivement abdiqué ses responsabilités en matière de détermination de la peine en s’en remettant au jugement de la Commission nationale des libérations conditionnelles dans le cadre de l’examen prévu au par. 761(1) du Code criminel. Comme je l’ai souligné précédemment, le juge du procès a dit ceci:

[traduction] Le paragraphe 761(1) du Code criminel établit le cadre de l’examen par la Commission nationale des libérations conditionnelles de l’emprisonnement d’une personne condamnée à une peine de détention pour une période indéterminée et, à mon humble avis, c’est la protection découlant de cet examen prévu au par. 761(1) qui assure à M. Currie qu’il sera tenu compte de ses troubles de la personnalité, de l’état de ces troubles, de l’état de sa déviation sexuelle et de la possibilité qu’à un certain moment dans le futur il ne soit plus un délinquant dangereux ni une menace pour la société. Je suis incapable de dire si cela se produira dans cinq ans, dans six ans ou dans dix ans.

Je dois par conséquent condamner M. Currie à une peine de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée et laisser aux experts de la Commission nationale des libérations conditionnelles et du système pénitentiaire le soin d’évaluer l’état du traitement de M. Currie et son droit de réintégrer la société.

Même s’il importe de reconnaître qu’une peine de détention pour une période indéterminée n’accompagne pas automatiquement une déclaration de délinquant dangereux, je n’interprète pas la référence du juge Tobias au pouvoir de révision périodique de la Commission nationale des libérations conditionnelles comme étant une abdication de ses responsabilités. Il s’agit plutôt d’un rappel par le tribunal du fait que, même si elle est indéterminée, la peine de Robert Currie n’est pas nécessairement permanente.

IV. La conclusion

44 Comme notre Cour l’a indiqué à l’audience, le juge du procès a eu raison de déclarer l’intimé, Robert Currie, délinquant dangereux. Le juge du procès n’était pas tenu d’axer son examen sur la gravité objective des infractions sous‑jacentes et, par conséquent, sa décision était tout à fait raisonnable et étayée par la preuve produite. De plus, en l’absence d’erreur de droit, comme c’est le cas en l’espèce, la déclaration de délinquant dangereux est une conclusion de fait qui est presque toujours fondée sur la crédibilité relative des témoins experts. En conséquence, il s’agit d’une décision qui ne devrait pas être modifiée sans un examen approfondi.

45 Pour tous ces motifs, le pourvoi est accueilli et la sentence infligée par la Cour d’appel, savoir la condamnation à la période de détention déjà purgée est écartée. La décision du juge du procès de déclarer l’intimé délinquant dangereux et sa décision connexe de lui infliger une peine de détention pour une période indéterminée sont rétablies.

Pourvoi accueilli.

Procureur de l'appelante: Le procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureurs de l'intimé: Gold & Fuerst, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit criminel - Délinquants dangereux - Peine de détention pour une période indéterminée - Agressions sexuelles - Accusé déclaré délinquant dangereux et condamné à une peine de détention pour une période indéterminée - Le juge du procès a‑t‑il fait erreur en omettant d’axer son examen sur la gravité des infractions sous‑jacentes? - La déclaration de délinquant dangereux et la peine de détention pour une période indéterminée correspondante étaient‑elles raisonnablement étayées par la preuve? - La déclaration de délinquant dangereux et la peine de détention pour une période indéterminée correspondante étaient‑elles fondées sur des erreurs de droit? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-6, art. 752, 753.

L'accusé a été déclaré coupable de trois chefs d’agression sexuelle se rapportant à une série d’événements liés, au cours desquels il s’est livré à des attouchements sexuels sur des jeunes filles dans un grand magasin. Avant le prononcé de la sentence, le ministère public a engagé les procédures relatives aux délinquants dangereux prévues à l’al. 753b) du Code criminel. Les infractions sous-jacentes n’étaient pas des incidents isolés. L'accusé avait déjà été déclaré coupable de nombreuses infractions sexuelles, dont certaines avaient été extrêmement violentes et très avilissantes pour les victimes. Le psychiatre du ministère public a témoigné que l’accusé était un obsédé et un «déviant sexuel» extrêmement instable, souffrant d’une «anomalie biologique dans les connexions de son cerveau» et que, pour cette raison, il était «une personne très dangereuse pour la société». Le psychiatre de la défense a reconnu la nature profonde des problèmes sexuels de l’accusé, mais il a conclu que celui‑ci avait laissé voir une tendance à un comportement moins violent et il ne l’a pas «jugé particulièrement dangereux pour le moment». Le juge du procès a préféré le témoignage du psychiatre du ministère public et il a conclu que l’accusé était un délinquant dangereux. Au sujet de la question même des infractions sous‑jacentes, le juge du procès a souscrit à la conclusion du psychiatre du ministère public selon laquelle, même si elles «peuvent paraître moins graves» que les infractions sexuelles antérieures de l'accusé «sous l’aspect de la violence, elles sont plus flagrantes, ce qui indique une diminution de la maîtrise de soi» de l’accusé. Pour ce qui est de la question de la détermination de la peine, le juge du procès a fait allusion au fait que, aux termes du par. 761(1) du Code criminel, la Commission nationale des libérations conditionnelles est légalement tenue de revoir périodiquement toute déclaration de délinquant dangereux. Il a ensuite exercé son pouvoir discrétionnaire et infligé une peine de détention pour une période indéterminée. En appel, la Cour d’appel a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en déclarant l’accusé délinquant dangereux, principalement parce qu’elle a estimé que le juge du procès n’avait «pas examiné la gravité des infractions sous‑jacentes indépendamment des infractions antérieures».

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

L'accusé a été à bon droit déclaré délinquant dangereux et condamné à une peine de détention pour une période indéterminée. En vertu de l’al. 753b) du Code, le ministère public doit franchir deux étapes pour que sa demande de déclaration de délinquant dangereux soit accueillie: il doit d’abord établir que le délinquant a été déclaré coupable d’une infraction constituant un «sévice grave à la personne», dont la définition donnée à l’al. 752b) du Code inclut toutes les formes d'agressions sexuelles; le juge du procès doit ensuite être convaincu hors de tout doute raisonnable que le délinquant causera «vraisemblablement [. . .] à l’avenir», du fait de «son incapacité à contrôler ses impulsions sexuelles», «des sévices ou autres maux à d’autres personnes». Vu le libellé, la nature et la structure de l’al. 753b), le juge du procès n’est pas tenu d’axer son examen sur la gravité objective de l’infraction sous‑jacente pour pouvoir conclure qu’il est justifié de faire droit à la demande de déclaration de délinquant dangereux. La dangerosité potentielle du délinquant visée à l’al. 753b) est mesurée en fonction de «la conduite antérieure du délinquant dans le domaine sexuel, y compris lors de la perpétration de l’infraction dont il a été déclaré coupable». «La conduite antérieure du délinquant dans le domaine sexuel» peut se rapporter à l’infraction sous‑jacente, mais ce n’est pas nécessaire. Dès que la conduite antérieure du délinquant dans le domaine sexuel, quelle qu’elle soit, laisse prévoir que vraisemblablement il causera à l’avenir de ce fait des sévices à d’autres personnes, la déclaration est justifiée. De plus, en adoptant l’al. 753b), le législateur a indiqué qu’il existe certains types d’infractions, intrinsèquement graves, qui sont susceptibles de donner lieu à une demande de déclaration de délinquant dangereux, et que l’agression sexuelle -- quelle que soit la forme qu’elle prend -- est l’une d’entre elles.

La déclaration de délinquant dangereux était raisonnablement étayée par la preuve. Les caractéristiques du comportement sexuel criminel de l’accusé et la preuve psychiatrique présentée par le psychiatre du ministère public, laquelle a été acceptée par le juge du procès, constituaient une preuve suffisante pour justifier une telle conclusion. Même s'il était loisible au juge du procès de préférer le témoignage du psychiatre du ministère public à celui du psychiatre de la défense, la Cour d’appel n’avait pas la même latitude pour réévaluer la preuve psychiatrique et annuler la déclaration de délinquant dangereux pour une simple différence d’opinion. La conclusion de dangerosité tirée par le juge du procès est une conclusion de fait, qui repose fréquemment sur la crédibilité relative des experts et qui, pourvu qu’elle soit raisonnable, ne devrait pas être écartée sans un examen approfondi. Le rôle d’un tribunal d’appel est de décider si la déclaration de délinquant dangereux était raisonnable. L’article 759 du Code ne peut être interprété comme exigeant l’équivalent d’un procès de novo relativement à la demande de déclaration de délinquant dangereux. Une certaine retenue envers les conclusions du juge du procès est justifiée. Les conclusions du juge du procès étaient raisonnables et, en l’absence d’erreur de droit, la déclaration qu'il a prononcée devrait être maintenue.

Les conclusions du juge du procès n'étaient pas fondées sur des erreurs de droit. Il n'a pas mal interprété la charge de la preuve dans les procédures relatives aux délinquants dangereux lorsqu'il a dit que les arguments de l’accusé «n’ont pas réussi à [l]e convaincre». Lorsqu’on lit ce passage dans son contexte global, il est évident que le juge du procès indiquait en réalité que les arguments de l'accusé n’ont pas réussi à réfuter ses conclusions en ce qui a trait à la dangerosité de l’accusé. Enfin, la référence du juge du procès au pouvoir de révision périodique confié à la Commission nationale des libérations conditionnelles au par. 761(1) du Code n'était pas une abdication de ses responsabilités. C'était plutôt un rappel par le tribunal du fait que, même si elle est indéterminée, la peine de l'accusé n’est pas nécessairement permanente.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Currie

Références :

Jurisprudence
Arrêt examiné: R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
distinction d'avec les arrêts: R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227
R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500
R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948
arrêts mentionnés: R. c. McCraw, [1991] 3 R.C.S. 72
R. c. Sullivan (1987), 37 C.C.C. (3d) 143
R. c. Burns, [1994] 1 R.C.S. 656
R. c. Barrett, [1995] 1 R.C.S. 752
R. c. Knight (1975), 27 C.C.C. (2d) 343
R. c. Dwyer (1977), 34 C.C.C. (2d) 293
R. c. Carleton (1981), 69 C.C.C. (2d) 1, conf. par [1983] 2 R.C.S. 58
R. c. Langevin (1984), 11 C.C.C. (3d) 336.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 686(1)a) [mod. 1991, ch. 43, art. 9 (ann., art. 8)], 752, 753b), 759(1), 761(1).

Proposition de citation de la décision: R. c. Currie, [1997] 2 R.C.S. 260 (22 mai 1997)


Origine de la décision
Date de la décision : 22/05/1997
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1997] 2 R.C.S. 260 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1997-05-22;.1997..2.r.c.s..260 ?
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