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26/06/1997 | CANADA | N°[1997]_2_R.C.S._403

Canada | Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403 (26 juin 1997)


Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403

Michael A. Dagg Appelant

c.

Le ministre des Finances Intimé

et

Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada et

l’Alliance de la fonction publique du Canada Intervenants

Répertorié: Dagg c. Canada (Ministre des Finances)

No du greffe: 24786.

1997: 22 janvier; 1997: 26 juin.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel féd

rale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale, [1995] 3 C.F. 199, 124 D.L.R. (4th) 553, 181 N.R. 139, qui a accueilli...

Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403

Michael A. Dagg Appelant

c.

Le ministre des Finances Intimé

et

Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada et

l’Alliance de la fonction publique du Canada Intervenants

Répertorié: Dagg c. Canada (Ministre des Finances)

No du greffe: 24786.

1997: 22 janvier; 1997: 26 juin.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale, [1995] 3 C.F. 199, 124 D.L.R. (4th) 553, 181 N.R. 139, qui a accueilli un appel contre un jugement du juge Cullen (1993), 70 F.T.R. 54, 22 Admin. L.R. (2d) 171. Pourvoi accueilli, les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Gonthier et Major sont dissidents.

Alan Riddell et Sean Gaudet, pour l’appelant.

Graham Garton, c.r., et Anne M. Turley, pour l’intimé.

Denis J. Power, c.r., et Holly Harris, pour l’intervenant le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada.

Andrew Raven et David Yazbeck, pour l’intervenante l’Alliance de la fonction publique du Canada.

//Le juge Cory//

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Sopinka, Cory, McLachlin et Iacobucci rendu par

1 Le juge Cory — Ayant pris connaissance des motifs minutieux et approfondis du juge La Forest, je suis d’accord avec sa façon d’aborder l’interprétation de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, et la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, en particulier lorsqu’il affirme que ces deux lois doivent être interprétées ensemble. Je conviens aussi que les noms figurant sur les feuilles de présences constituent des «renseignements personnels» aux fins de l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je parviens cependant à une autre conclusion quant à l’application de l’al. 3 «renseignements personnels» j) (ci-après l’al. 3j)) de cette loi.

2 L’alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit que:

. . . pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant:

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment:

. . .

(iii) la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iv) son nom lorsque celui‑ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi, . . .

3 Je conviens avec le juge La Forest que les noms figurant sur les feuilles de présences ne relèvent pas du sous‑al. 3j)(iv) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, car il serait difficile de conclure que ces feuilles ont été «établies par» les employés, selon le sens courant de cette expression.

4 J’estime cependant que la disposition liminaire de l’al. 3j) et les dispositions particulières du sous‑al. 3j)(iii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels sont suffisamment générales pour viser les renseignements demandés par l’appelant.

5 Le juge La Forest conclut, au par. 94, que l’al. 3j) et le sous‑al. 3j)(iii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels

. . . ont pour objet d’exempter seulement les renseignements relatifs aux postes et non ceux concernant telle ou telle personne. Les renseignements relatifs au poste ne sont donc pas des «renseignements personnels», bien qu’ils puissent incidemment révéler quelque chose au sujet des personnes nommées. Par contre, les renseignements qui concernent principalement des personnes elles‑mêmes ou la manière dont elles choisissent d’accomplir les tâches qui leur sont confiées sont des «renseignements personnels». [Souligné dans l’original.]

6 Je suis d’accord. En outre, je conviens avec le juge La Forest qu’«[e]n général, les renseignements concernant le poste [. . .] sont du genre de ceux qu’on trouve dans la description de travail», telles que «les conditions liées au poste, dont les qualités requises, les attributions, les responsabilités, les heures de travail et l’échelle de traitement» (par. 95).

7 Toutefois, en appliquant ces considérations aux faits, il conclut que les renseignements demandés par l’appelant ne sont pas des renseignements concernant la nature d’un poste donné. C’est sur ce point que je diverge d’avis.

8 Le nombre d’heures passées au travail est généralement un renseignement «portant sur» le poste ou les fonctions de l’intéressé, et relève donc de la disposition liminaire de l’al. 3j). Il est sûrement vrai que des employés peuvent parfois se trouver au travail pour des raisons qui n’ont rien à voir avec leur emploi. Néanmoins, je suis prêt à déduire qu’en règle générale les employés ne restent au travail tard dans la soirée ou ni ne s’y rendent pendant la fin de semaine que si leur emploi l’exige. Normalement, on ne saurait considérer le lieu de travail comme un centre de divertissement ou comme un endroit où on fait la fête. Les feuilles de présences fournissent donc des renseignements qui permettraient, à tout le moins, de se faire une idée générale de la quantité de travail requise relativement au poste ou aux fonctions d’un employé donné.

9 Pour la même raison, les renseignements consignés sur les feuilles de présences portent sur «les attributions [du] poste [du cadre ou de l’employé]» et relèvent de l’exception particulière du sous‑al. 3j)(iii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Quoiqu’il se puisse que ces renseignements ne révèlent rien au sujet de la nature des attributions du poste, ils donnent une indication générale de leur étendue. En général, plus le volume de travail exigé de l’employé est grand, plus il doit passer d’heures au travail pour s’acquitter des «attributions de son poste». Rien au sous‑al. 3j)(iii) de la Loi n’indique que les renseignements doivent concerner les «attributions» au sens qualitatif plutôt que quantitatif.

10 Selon moi, une distinction peut être faite d’avec les motifs de jugement de la Cour fédérale dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), [1988] 3 C.F. 551 (1re inst.) (ci‑après «Commissaire à l’information»), et dans Rubin c. Greffier du Conseil privé (Can.) (1993), 62 F.T.R. 287 (ci‑après «Rubin»).

11 Dans Commissaire à l’information, le juge en chef adjoint Jerome a conclu que certaines opinions exprimées au sujet de la formation, de la personnalité, de l’expérience ou de la compétence de certains employés ne relevaient pas des exceptions prévues à l’al. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. En interprétant ces exceptions particulières, il fait observer que, outre le sous‑al. 3j)(v) (les idées et opinions personnelles exprimées par une personne au cours de son emploi), chacune constitue un exemple qui «repos[e] sur des faits objectifs» (p. 558). Selon le juge en chef adjoint Jerome, à la p. 558:

Rien n’indique qu’on ait eu l’intention de rendre publiques les évaluations qualitatives du rendement d’un employé. En effet, il serait tout à fait injuste que les détails de la prestation de travail de l’employé soient considérés comme des renseignements publics pour la simple raison que la personne est une employée de l’État.

12 À mon avis, il n’y a aucun aspect subjectif ni aucun élément d’évaluation dans une feuille de présences d’une personne au lieu de travail en dehors des heures normales de travail. Cette feuille donne plutôt des renseignements génériques sur le poste lui‑même.

13 Dans Rubin, il a été jugé que, bien que l’échelle de traitement d’un poste relève du sous‑al. 3j)(iii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ce n’est pas le cas du salaire réel touché par l’employé qui occupe le poste en question. Cependant, à l’opposé des renseignements consignés sur les feuilles de présences, le salaire réel d’une personne ne révèle rien qui soit propre à son poste. Au contraire, ces renseignements concernent l’employé lui‑même.

14 Ma conclusion que les noms figurant sur les feuilles de présences relèvent de la disposition liminaire de l’al. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ou, subsidiairement, du sous‑al. 3j)(iii) de cette loi, suffit pour trancher le pourvoi. Il s’ensuit que les renseignements en question doivent être communiqués.

15 Il reste deux autres questions que j’aimerais mentionner. Premièrement, il pourrait y avoir une autre façon acceptable de résoudre le litige, qui protégerait davantage la vie privée et la sécurité des particuliers. Cela pourrait peut-être consister à énoncer les heures de travail effectuées et à indiquer quels employés inscrits sur les feuilles de présences faisaient partie de l’unité de négociation, sans pour autant révéler leurs noms. Cette solution pourrait satisfaire tous les intéressés. Mais faute d’observations sur un tel projet de solution, il serait injuste et inapproprié de l’examiner en l’espèce.

16 Deuxièmement, compte tenu de la conclusion que les renseignements doivent être communiqués, il n’est pas nécessaire que j’examine si le Ministre a commis une erreur en exerçant le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré en vertu du par. 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information et de l’art. 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. En général, je souscris à la conclusion du juge La Forest qu’une décision discrétionnaire du Ministre, fondée sur le sous-al. 8(2)m)(i), ne doit pas être examinée selon une norme de révision de novo. Il suffit peut-être de faire remarquer que le Ministre n’est pas tenu d’examiner s’il est dans l’intérêt public de divulguer des renseignements personnels. Toutefois, lorsqu’une demande de divulgation lui est faite, il doit exercer ce pouvoir discrétionnaire au moins en examinant l’affaire. S’il refuse ou omet de le faire, le Ministre se trouve à refuser d’exercer la compétence dont lui seul est investi.

17 De plus, il serait possible de décider que le Ministre a commis une erreur de principe qui lui a fait perdre compétence, lorsqu’il a affirmé:

[traduction] Je ne pense pas que vous ayez démontré que, s’il y avait un intérêt public en jeu, il l’emporte clairement sur le droit du particulier à la protection de sa vie privée. [Je souligne.]

18 Cela permet de constater que le ministre des Finances a imposé à l’appelant l’obligation de démontrer que l’intérêt public dans la communication de documents l’emporte clairement sur tout droit à la vie privée. Or, l’art. 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne fait état d’aucune charge de preuve. Il prévoit simplement que le Ministre doit être convaincu que l’intérêt public dans la communication de documents l’emporte nettement sur la vie privée. L’extrait susmentionné de la décision du Ministre pourrait amener à conclure qu’il a abusé du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré. Si cette conclusion avait été tirée, j’aurais renvoyé l’affaire au Ministre pour qu’il l’examine sans imposer la charge de la preuve à l’appelant.

19 En définitive, j’accueillerais le pourvoi, avec dépens.

//Le juge La Forest//

Version française des motifs des juges La Forest, L’Heureux-Dubé, Gonthier et Major rendus par

20 Le juge La Forest (dissident) -- Le présent pourvoi résulte d’un conflit entre le droit d’accès à l’information et le droit à la protection des renseignements personnels, conférés par des lois fédérales. C’est la première fois que la Cour est appelée à se prononcer sur un recours, fondé sur l’art. 41 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A‑1, en révision d’une décision quant à savoir s’il y a lieu de communiquer certains renseignements qui relèvent de l’administration fédérale. Plus précisément, l’appelant conteste la décision de l’intimé le ministre des Finances de refuser de lui communiquer des parties des feuilles de présences de son ministère, pour le motif qu’elles contiennent des «renseignements personnels» au sens de l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P‑21.

Les faits

21 Le 16 octobre 1990, l’appelant Dagg, un consultant en accès à l’information, a déposé auprès du ministère des Finances une requête visant à obtenir des copies des feuilles de présences que les employés qui étaient entrés au travail, pendant les fins de semaine du mois de septembre 1990, avaient signées à leur arrivée et à leur départ. Le 6 novembre 1990, le ministre intimé a communiqué à l’appelant les feuilles demandées, après y avoir cependant supprimé les nom, numéro d’identification et signature des employés concernés. Dans sa lettre jointe aux feuilles communiquées, le Ministre a expliqué que ces renseignements étaient des renseignements personnels qui étaient ainsi exemptés de communication conformément au par. 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information.

22 Le 29 novembre 1990, l’appelant a déposé une plainte auprès du Commissaire à l’information conformément à l’art. 31 de la Loi sur l’accès à l’information. Le 18 mars 1991, il a écrit au Ministre pour lui demander de réviser sa décision antérieure. Il prétendait que les noms des employés qui avaient été supprimés du dossier devraient être communiqués en vertu des al. 3 «renseignements personnels» j) (ci-après l’al. 3j)) ou 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le Ministre a confirmé sa décision par lettre en date du 3 juillet 1991. Dans son compte rendu daté du 4 septembre 1991, le Commissaire à l’information a conclu que l’appelant n’avait pas été privé d’un droit en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, et il a indiqué qu’il était incapable d’appuyer sa plainte.

23 L’appelant a demandé à la Cour fédérale, Section de première instance, de réviser la décision du Ministre, conformément à l’art. 41 de la Loi sur l’accès à l’information. Le directeur des services de sécurité du Ministère, R. Langille, a témoigné que les feuilles de présences indiquent les nom, numéro d’identification et signature des personnes qui entrent dans les locaux du Ministère, l’endroit où ils se trouvent dans l’immeuble, ainsi que l’heure de leur arrivée et celle de leur départ. Selon Langille, ces feuilles de présences visent principalement à permettre de savoir où se trouvent les membres du personnel en cas d’incendie. Il a également affirmé qu’on s’en était servi pour faciliter des enquêtes sur des vols et du vandalisme, même si elles n’étaient pas tenues à cette fin. Il a ajouté qu’il était arrivé que des feuilles de présences soient présentées à des gestionnaires pour vérifier si un employé se trouvait dans l’immeuble à un moment donné. À sa connaissance, toutefois, les feuilles de présences ne servaient pas à vérifier des demandes de rémunération d’heures supplémentaires.

24 Selon ses propres dires, l’appelant a demandé les renseignements en question dans le but de promouvoir ses services. Il cherchait à savoir si des syndiqués faisaient des heures supplémentaires durant les fins de semaine sans demander de rémunération pour ce travail supplémentaire. Il comptait soumettre ces renseignements au syndicat dans l’espoir que celui-ci les jugerait utiles dans le processus de négociation collective et qu’il serait de ce fait disposé à retenir ses services. Il espérait aussi obtenir un précédent jurisprudentiel en matière de divulgation de noms, qui forcerait les ministères gouvernementaux à répondre uniformément à de telles demandes.

25 Le 8 novembre 1993, le juge Cullen a conclu que les noms en question n’étaient pas des renseignements personnels et devraient être communiqués. Le 21 avril 1995, la Cour d’appel fédérale a accueilli, à l’unanimité, l’appel de l’intimé.

Les dispositions législatives applicables

26 Avant d’aller plus loin, il sera utile d’énoncer les dispositions pertinentes de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Les objectifs respectifs de ces lois sont définis à leur deuxième article:

Loi sur l’accès à l’information

2. (1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

Loi sur la protection des renseignements personnels

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en matière de protection des renseignements personnels relevant des institutions fédérales et de droit d’accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent.

27 L’article 4 de la Loi sur l’accès à l’information énonce le droit fondamental d’accès aux renseignements détenus par l’administration fédérale:

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l’accès aux documents des institutions fédérales et peuvent se les faire communiquer sur demande:

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens de la Loi sur l’immigration.

28 Ce droit aux renseignements qui relèvent de l’administration fédérale est limité par un certain nombre d’exemptions prévues aux art. 13 et suivants de la Loi sur l’accès à l’information. Est pertinent ici le par. 19(1) qui établit l’exemption des renseignements personnels:

19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

29 L’expression «renseignements personnels» est définie à l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui se lit ainsi:

3. . . .

«renseignements personnels» Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment:

. . .

i) son nom lorsque celui‑ci est mentionné avec d’autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;

toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant:

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment:

(i) le fait même qu’il est ou a été employé par l’institution,

(ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,

(iii) la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iv) son nom lorsque celui‑ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi,

(v) les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de son emploi; . . .

30 Cependant, même si un document renferme des «renseignements personnels» au sens de cette définition, le par. 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information investit le responsable d’une institution fédérale du pouvoir discrétionnaire résiduel de les communiquer dans les cas suivants:

19. . . .

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où:

a) l’individu qu’ils concernent y consent;

b) le public y a accès;

c) la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

31 La partie pertinente de l’art. 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels se lit ainsi:

8. . . .

(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants:

. . .

m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l’avis du responsable de l’institution:

(i) des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée, . . .

32 Le Commissaire à l’information est nommé par le gouverneur en conseil conformément à l’art. 54 de la Loi sur l’accès à l’information, après approbation par résolution du Sénat et de la Chambre des communes. Il est chargé de recevoir et d’instruire les plaintes déposées en vertu de cette même loi, notamment celles émanant de personnes qui se sont vu refuser l’accès à un document ou à une partie d’un document.

33 L’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information prévoit la révision d’une décision de refuser la communication d’un document:

41. La personne qui s’est vu refuser communication totale ou partielle d’un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l’information peut, dans un délai de quarante‑cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 37(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.

34 L’article 48 de la Loi énonce la charge de preuve que doit assumer la cour qui procède à la révision:

48. Dans les procédures découlant des recours prévus aux articles 41 ou 42, la charge d’établir le bien‑fondé du refus de communication totale ou partielle d’un document incombe à l’institution fédérale concernée.

35 Enfin, l’art. 49 énonce le pouvoir qu’a la cour qui procède à la révision d’ordonner la communication de renseignements qui relèvent de l’administration fédérale:

49. La Cour, dans les cas où elle conclut au bon droit de la personne qui a exercé un recours en révision d’une décision de refus de communication totale ou partielle d’un document fondée sur des dispositions de la présente loi autres que celles mentionnées à l’article 50, ordonne, aux conditions qu’elle juge indiquées, au responsable de l’institution fédérale dont relève le document en litige d’en donner à cette personne communication totale ou partielle; la Cour rend une autre ordonnance si elle l’estime indiqué.

L’historique des procédures judiciaires

Cour fédérale, Section de première instance (1993), 70 F.T.R. 54

36 Le juge Cullen a conclu que, pour savoir si les renseignements contenus dans un document sont des «renseignements personnels», il faut se demander si leur caractéristique prédominante est de nature personnelle ou professionnelle. À son avis, les renseignements figurant sur les feuilles de présences sont surtout de nature professionnelle et non de nature personnelle, même s’il était possible de s’en servir pour vérifier des renseignements personnels au sujet des personnes qui y sont nommées. Dans l’ensemble, a‑t‑il conclu, ces feuilles indiquent combien de personnes font des heures supplémentaires pour le Ministère.

37 Le juge Cullen a statué que la définition large des «renseignements personnels» proposée par l’intimé signifierait que presque tous les renseignements qui relèvent de l’administration fédérale seraient exemptés de communication. Pareille interprétation, selon lui, dérogerait à l’intention du législateur que la plupart des renseignements émanant de l’État soient communiqués.

38 Le juge Cullen a également décidé que les feuilles de présences ne relevaient pas de l’al. 3i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Parce que les numéros d’identification et les signatures avaient été supprimés de ces feuilles, a-t-il conclu, les noms y figurant n’étaient pas «mentionnés» avec d’autres renseignements personnels. Il a statué, en outre, à la p. 58, que les noms mêmes ne révélaient aucun «autr[e] renseignemen[t] personne[l]» visé à l’al. 3i).

39 Ayant conclu que les noms figurant sur les feuilles de présences ne constituaient pas des renseignements personnels, le juge Cullen a estimé qu’il était inutile d’examiner s’ils relevaient de l’exemption prévue à l’al. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ou si la primauté des raisons d’intérêt public visées à l’al. 8(2)m) militait en faveur de leur communication.

Cour d’appel fédérale, [1995] 3 C.F. 199

40 Lors de l’appel interjeté devant la Cour d’appel fédérale, le juge en chef Isaac a conclu, au nom de la cour, que le juge Cullen avait fait erreur en donnant à la Loi sur l’accès à l’information préséance sur la Loi sur la protection des renseignements personnels. Selon lui, ces lois sont complémentaires et doivent être interprétées de façon harmonieuse. Il a aussi décidé que le juge Cullen avait commis une erreur en recourant au soi‑disant «critère de la caractéristique prédominante» pour juger si les noms figurant sur les feuilles de présences constituaient des renseignements personnels. Il a jugé que, selon le texte clair de l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, l’expression «renseignements personnels» s’entend tout simplement des renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable.

41 Le juge en chef Isaac a ensuite statué que l’al. 3i) («renseignements personnels» (ci-après l’al. 3i)) de la Loi sur la protection des renseignements personnels s’appliquait également aux feuilles de présences, en premier lieu, parce que les noms y étaient mentionnés avec le numéro d’identification et la signature des personnes concernées et, en second lieu, parce que ces noms révélaient en soi où se trouvaient ces personnes à certains moments précis.

42 Le juge en chef Isaac a ensuite examiné si les feuilles de présences étaient visées par les exceptions prévues à l’al. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. À son avis, les renseignements qui se dégageaient de ces feuilles ne portaient pas sur le poste ni sur les fonctions des employés en question. Rien ne prouvait, a-t-il conclu, qu’ils indiquaient les heures de travail de ces employés. Il a également rejeté l’argument de l’appelant voulant que les feuilles de présences renseignent sur les obligations des employés en matière d’heures supplémentaires, et que ce soient des documents établis au cours de leur emploi.

43 Enfin, le juge en chef Isaac a abordé l’argument voulant que le Ministre ait exercé son pouvoir discrétionnaire irrégulièrement en refusant de communiquer les renseignements conformément à l’al. 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. En rejetant l’argument de l’appelant selon lequel la communication des renseignements était justifiée par des raisons d’intérêt public, il a fait remarquer que les feuilles de présences n’indiquaient pas si les employés travaillaient ou s’ils faisaient des heures supplémentaires, ni, dans l’affirmative, le nombre d’heures pendant lesquelles ils avaient travaillé. Il a donc conclu que la communication des noms ne donnerait pas le résultat souhaité par l’appelant.

Les questions en litige

44 Trois questions litigieuses se posent en l’espèce:

1. Les noms figurant sur les feuilles de présences constituent-ils des «renseignements personnels» au sens de l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels?

2. Les noms figurant sur ces feuilles relèvent-ils de l’exception prévue à l’al. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels?

3. Le Ministre a-t-il exercé régulièrement son pouvoir discrétionnaire en refusant de communiquer les noms figurant sur les feuilles de présences, conformément au sous‑al. 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels?

Analyse

Principes généraux d’interprétation: accès à l’information versus protection des renseignements personnels

45 Il est question, en l’espèce, d’un conflit entre deux principes opposés consacrés par la loi -- l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels. Pour des raisons manifestes, l’appelant et l’intimé ont des opinions divergentes sur la question de savoir lequel de ces principes devrait l’emporter dans la présente affaire. On ne devrait pas non plus s’étonner que les parties aient des perceptions sensiblement différentes des lois qui renferment ces principes. Reconnaissant la nature contradictoire de la communication par l’État et du droit de l’individu à la vie privée, le législateur s’est efforcé de remédier à ce problème en fondant en un code homogène la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels. J’estime qu’il y est parvenu de façon élégante. Bien que les deux lois n’éliminent pas la contradiction entre les deux droits opposés — aucune loi ne pourrait y parvenir — elles établissent un moyen cohérent et rationnel de déterminer laquelle des deux valeurs devrait l’emporter dans un cas donné.

46 L’appelant soutient qu’il y a lieu d’interpréter de façon restrictive l’exemption des renseignements personnels prévue par la Loi sur l’accès à l’information, de façon à favoriser la communication intégrale. Cette loi, souligne-t-il, prévoit que le public a un «droit d’accès» aux renseignements qui relèvent de l’administration fédérale (art. 2 et 4) et que les exceptions à ce droit devraient être «précises et limitées» (art. 2). En fait, il soutient qu’en cas d’ambiguïté quant à savoir si un document renferme des renseignements personnels, le droit à la communication devrait l’emporter sur le droit à la vie privée.

47 Ce point de vue est contredit, cependant, par le texte et l’historique des lois en cause. Comme nous l’avons vu, la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels sont deux lois parallèles, conçues pour restreindre conjointement le contrôle de l’administration fédérale sur certains types de renseignements. La Loi sur l’accès à l’information confère aux particuliers un droit d’accès aux renseignements qui relèvent de l’administration fédérale, alors que la Loi sur la protection des renseignements personnels leur permet d’avoir accès aux renseignements qui les concernent et qui sont conservés dans des banques de données gouvernementales, et limite la capacité de l’administration fédérale à recueillir, à utiliser et à divulguer des renseignements personnels.

48 Les deux lois réglementent la divulgation de renseignements personnels à des tiers. Le paragraphe 4(1) de la Loi sur l’accès à l’information prévoit que le droit aux renseignements qui relèvent de l’administration fédérale s’exerce «[s]ous réserve des autres dispositions de la présente loi». Le paragraphe 19(1) de la Loi interdit la communication de documents contenant les renseignements «visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels». L’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels établit une interdiction analogue de communiquer, sauf dans certains cas précis, des renseignements personnels sans le consentement de la personne concernée. Les renseignements personnels sont donc expressément exemptés de l’application de la règle générale de la communication. Les deux lois reconnaissent que, dans la mesure où il est visé par la définition de «renseignements personnels», contenue à l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le droit à la vie privée l’emporte sur le droit d’accès à l’information.

49 Cette interprétation est étayée par l’historique des lois en question. Comme la Cour l’a récemment confirmé, la preuve de l’historique d’une loi, qui peut être composée notamment d’extraits du hansard, est admissible comme étant pertinente quant au contexte et à l’objet du texte législatif, pourvu, bien entendu, que le tribunal n’oublie pas que la fiabilité et le poids de cette preuve sont limités; voir R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, aux pp. 483 à 485.

50 Au départ, la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels faisaient partie du projet de loi C‑43 lorsqu’elles ont été examinées par le Parlement, et elles ont été adoptées simultanément à titre d’annexes I et II de S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 111. Lors de la présentation du projet de loi en troisième lecture, le ministre des Communications a fait remarquer ce qui suit (Débats de la Chambre des communes, vol. XVI, 1re sess., 32e lég., à la p. 18853 (28 juin 1982)):

. . . je voudrais prendre quelques instants pour parler du rapport qui existe entre la mesure sur l’accès à l’information et les dispositions concernant la protection des renseignements personnels. En combinant les dispositions relatives à l’accès à l’information et la mesure sur la protection des renseignements personnels dans un seul bill, nous avons pu intégrer entièrement ces deux mesures complémentaires.

On a créé des droits parallèles pour l’accès aux renseignements détenus par le gouvernement et l’examen des décisions visant à refuser l’accès à l’information. Par ailleurs, le principe voulant que le droit à la protection des renseignements personnels l’emporte sur le droit général à l’accès à l’information est clairement reconnu dans le bill. C’est un principe avec lequel tous les députés sont certainement d’accord. Par conséquent, l’expression «renseignements personnels» signifie la même chose dans la loi sur la protection des renseignements personnels et dans la loi sur l’accès à l’information.

D’autre part, la partie du projet de loi concernant l’accès à l’information prévoit la divulgation de certains renseignements suivant les principes établis dans la partie concernant la protection des renseignements personnels. Cela permettra d’adopter une politique uniforme à l’égard des renseignements personnels, ce qui nous évitera de faire comme dans certains pays où il y a contradiction entre le droit à la protection des renseignements personnels et le droit d’accès à l’information gouvernementale. [Je souligne.]

51 Il est donc clair que le Parlement n’entendait pas conférer à l’accès à l’information primauté sur la protection des renseignements personnels. L’appelant souligne à juste titre que, sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information, l’accès est la règle. Il est également vrai que les exceptions à cette règle doivent être limitées à celles que la Loi prévoit expressément, et qu’il incombe à l’administration fédérale de prouver que les renseignements en cause relèvent de l’une de ces exceptions. Il ne s’ensuit pas, cependant, que l’exemption des «renseignements personnels» devrait recevoir une interprétation étroite qui reviendrait à subordonner la Loi sur la protection des renseignements personnels à la Loi sur l’accès à l’information. Ainsi que le prescrit l’art. 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, tout texte «s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet». Une cour ne peut pas, «lorsqu’elle tente de donner effet à ce qu’on dit être l’objet de la Loi, [. . .] faire abstraction de certaines de ses dispositions»; voir Église luthérienne évangélique St. Peter d’Ottawa c. Ville d’Ottawa, [1982] 2 R.C.S. 616, à la p. 626. La Loi sur l’accès à l’information intègre expressément la définition de l’expression «renseignements personnels» de la Loi sur la protection des renseignements personnels. En conséquence, il faut mettre à exécution également les objets qui sous-tendent ces deux lois. Comme l’affirme le juge en chef Isaac de la Cour d’appel, à la p. 217:

Il est évident que les deux lois doivent être lues ensemble, étant donné que l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information intègre par renvoi certaines dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Néanmoins, aucune disposition de l’une ou l’autre de ces lois ne donne à entendre que l’une est subordonnée à l’autre. Toutes deux ont la même importance et aucune ne doit l’emporter sur l’autre. Il est indéniable qu’elles sont complémentaires et doivent être interprétées de façon harmonieuse, conformément aux principes d’interprétation législative bien reconnus, de façon à donner effet à l’intention déclarée du Parlement et à assurer la réalisation des objectifs qu’il a énoncés.

52 Ce point de vue a été confirmé dans un certain nombre de décisions de la Cour fédérale. Dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), [1988] 3 C.F. 551 (1re inst.), le juge en chef adjoint Jerome dit ceci, aux pp. 556 et 557:

Pour déterminer quel objet doit régir l’interprétation de cette affaire, je ne crois pas qu’il faille accorder préséance à l’une des deux lois. Il est clair qu’en insérant un article de la Loi sur les renseignements personnels dans le paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information, le Parlement avait l’intention que les principes des deux lois entrent en jeu dans la décision de divulguer des renseignements personnels. Dans la décision Re Robertson et Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1987), 42 D.L.R. (4th) 552; 13 F.T.R. 120 (C.F. 1re inst.), j’ai tenu compte de l’objet des deux lois pour déterminer si les renseignements demandés devaient être protégés (aux pages 557 D.L.R.; 124 F.T.R.):

Les deux buts principaux de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels sont d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale et de protéger la vie privée des individus eu égard aux renseignements personnels qui les concernent. Il ne m’apparaît pas que ces principes exigent que l’on refuse la communication d’une opinion présentée par un organisme public à un autre organisme public au sujet d’un programme de financement public. La question qui se pose est de savoir si les susdites lois s’appliquent à une personne qui ajoute à l’opinion de l’organisme public sa propre opinion sur le sujet et sa signature.

De même, en l’espèce le rapport provient d’une étude, subventionnée par l’État, menée dans une institution dirigée par l’État, et le public doit pouvoir en obtenir communication à moins que le rapport ne soit visé par l’une des exceptions précises prévues dans la Loi sur l’accès à l’information. L’objectif du paragraphe 19(1), dans lequel se retrouve l’article 3 de la Loi sur les renseignements personnels, est clairement de protéger la vie privée ou l’identité des individus dont le nom peut être mentionné dans des documents qui peuvent par ailleurs être communiqués. Je constate que la définition de l’expression renseignements personnels est délibérément large. Elle illustre tout à fait les efforts considérables qui ont été déployés pour protéger l’identité des individus.

De même, dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Secrétaire d’État aux Affaires extérieures), [1990] 1 C.F. 395 (1re inst.), le juge Dubé note que les objets des deux lois devraient être interprétés ensemble. Il conclut, à la p. 401, que les deux lois, interprétées de façon conjointe, «prévoient la communication des renseignements au public à l’exception des renseignements personnels concernant les individus».

53 Certes, il y a, dans quelques décisions, des opinions incidentes qui portent à croire que l’accès à l’information devrait, dans certains cas, être préféré à la protection de la vie privée. Dans Commissaire à l’information c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1986), 5 F.T.R. 287, le juge en chef adjoint Jerome, à la différence des observations qu’il a formulées par la suite dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), précité, s’est fondé exclusivement sur la disposition exposant l’objet de la Loi sur l’accès à l’information pour conclure qu’en cas de doute il fallait opter pour la communication. Dans cette affaire, cependant, on ne contestait pas que les renseignements demandés étaient des «renseignements personnels» au sens de l’art. 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il s’agissait plutôt de savoir si le responsable d’une institution fédérale peut refuser de communiquer des renseignements personnels conformément au par. 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information, si la personne visée par ces renseignements consent à leur communication.

54 De même, dans Bland c. Commission de la capitale nationale, [1991] 3 C.F. 325 (1re inst.), à la p. 335, le juge Muldoon a cité les observations du juge Heald de la Cour d’appel dans Rubin c. Canada (Société canadienne d’hypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265, à la p. 274, à savoir que les exceptions au droit général d’accès devaient faire l’objet d’une interprétation «stricte». Comme dans l’affaire Commissaire à l’information c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, précitée, les observations du juge Muldoon portaient cependant sur la question de savoir si la responsable de la Commission de la capitale nationale avait exercé régulièrement son pouvoir discrétionnaire en refusant de communiquer les renseignements demandés conformément au par. 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information. De plus, il n’était même pas question de renseignements personnels dans l’affaire Rubin; il s’agissait de savoir si la Société canadienne d’hypothèques et de logement pouvait, conformément à l’al. 21(1)b) de la Loi sur l’accès à l’information, refuser de communiquer certains documents renfermant des comptes rendus de consultations ou délibérations où sont concernés des employés de l’État.

55 Somme toute, il est clair que la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels sont égales entre elles et que les tribunaux doivent tenir compte des objets des deux lois pour décider si les renseignements contenus dans un document de l’administration fédérale sont des «renseignements personnels». Certains auteurs ont affirmé que ce modèle d’interprétation «parallèle» accorde trop de latitude aux juges et a mené à l’incohérence et à la contradiction dans la jurisprudence. Voir, par exemple, Tom Onyshko, «The Federal Court and the Access to Information Act» (1993), 22 R.D. Man. 73, à la p. 106. Il y est dit qu’il y a lieu de considérer que les deux lois sont distinctes sur le plan conceptuel et que le droit d’accès doit être la préoccupation première sous le régime de la loi en matière d’accès à l’information.

56 Comme je l’ai indiqué, cependant, cette interprétation est contraire au texte, à la structure et à l’historique de ces lois. De plus, je ne crois pas que le modèle d’interprétation parallèle soit fondamentalement contradictoire ou qu’il entraîne nécessairement des résultats incohérents. La Loi sur l’accès à l’information prévoit clairement que les «renseignements personnels» ne doivent être communiqués que dans certains cas précis. Bien entendu, pour déterminer ce qui constitue des «renseignements personnels», il faut pondérer des valeurs opposées. Lorsqu’un tel processus de pondération est prescrit par la loi, on ne saurait s’y dérober pour la simple raison qu’il pourrait être plus facile d’appliquer une règle claire et nette qui favorise un droit aux dépens de l’autre. En recourant aux considérations énoncées dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, les tribunaux sont parfaitement en mesure d’établir une jurisprudence cohérente en principe.

57 Cela dit, je ne puis convenir avec l’intimé que, puisque la formulation de l’exemption des «renseignements personnels» est claire et dénuée d’ambiguïté, la question de l’interprétation du texte ne se pose pas en l’espèce. La détermination de ce qui constitue des «renseignements personnels» est un exercice d’interprétation qui requiert inéluctablement la prise en considération des valeurs opposées de l’accès à l’information et de la protection de la vie privée. Je vais examiner le sens de l’expression «renseignements personnels» compte tenu de ces valeurs.

Les noms figurant sur les feuilles de présences sont‑ils des «renseignements personnels»?

58 Avant de tenter de déterminer si les feuilles de présences demandées par l’appelant, en l’espèce, sont des «renseignements personnels» au sens de l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il sera utile d’analyser plus en détail les objectifs des deux lois.

59 Comme nous l’avons vu, selon le par. 2(1) de la Loi sur l’accès à l’information, cette loi a notamment pour objet de donner «accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication». L’idée que le public devrait avoir un droit opposable d’accès aux renseignements détenus par l’administration fédérale est, cependant, relativement nouvelle. La pratique du secret gouvernemental a de profondes racines dans la tradition parlementaire britannique; voir Patrick Birkinshaw, Freedom of Information: The Law, the Practice and the Ideal (1988), aux pp. 61 à 84.

60 À mesure que la société est devenue plus complexe, les gouvernements ont mis en place des structures bureaucratiques de plus en plus élaborées pour régler les problèmes sociaux. Cependant, plus le pouvoir gouvernemental est dispersé dans des organismes administratifs, moins les formes traditionnelles de responsabilité politique, tels les élections et le principe de la responsabilité ministérielle, sont aptes à garantir que les citoyens conservent un contrôle efficace sur ceux qui les gouvernent; voir David J. Mullan, «Access to Information and Rule‑Making», dans John D. McCamus, dir., Freedom of Information: Canadian Perspectives (1981), à la p. 54.

61 La loi en matière d’accès à l’information a donc pour objet général de favoriser la démocratie, ce qu’elle fait de deux manières connexes. Elle aide à garantir, en premier lieu, que les citoyens possèdent l’information nécessaire pour participer utilement au processus démocratique, et, en second lieu, que les politiciens et bureaucrates demeurent comptables envers l’ensemble de la population. Comme l’explique le professeur Donald C. Rowat dans son article classique, intitulé «How Much Administrative Secrecy?» (1965), 31 Can. J. of Econ. and Pol. Sci. 479, à la p. 480:

[traduction] Ni le Parlement ni le public ne sauraient espérer demander au gouvernement de rendre compte s’ils n’ont pas une connaissance suffisante de ce qui se passe; ils ne peuvent pas non plus espérer prendre part au processus décisionnel ni contribuer à l’établissement des politiques générales et des lois si ce processus est tenu secret.

Voir aussi Association du Barreau canadien, La liberté d’information au Canada: un projet de loi type (1979), à la p. 6.

62 Les lois sur l’accès à l’information présupposent que les renseignements pertinents sur le plan politique devraient faire l’objet d’une diffusion aussi large que raisonnablement possible. Le politologue John Plamenatz explique dans Democracy and Illusion (1973), aux pp. 178 et 179:

[traduction] Il y a deux masses de renseignements pertinents sur le plan politique, la plus importante étant partagée par les professionnels, c’est‑à‑dire les leaders et les conseilleurs à plein temps, et l’autre, beaucoup plus modeste, partagée par les citoyens ordinaires. Aucun leader ou conseilleur n’a en sa possession plus qu’une petite fraction des renseignements dont la collectivité doit disposer pour que le gouvernement soit efficace et responsable, et il en est de même du citoyen ordinaire. Ce qui compte, pour garantir la responsabilité gouvernementale, c’est que cette masse de renseignements soit distribuée entre les professionnels et les citoyens ordinaires de telle sorte que ceux qui se disputent le pouvoir, l’influence et le soutien populaire soient exposés à la critique pertinente et rigoureuse. [En italique dans l’original.]

63 Les droits aux renseignements détenus par l’État visent à améliorer les rouages du gouvernement, de manière à le rendre plus efficace, plus réceptif et plus responsable. En conséquence, bien que la Loi sur l’accès à l’information reconnaisse un droit d’accès général aux «documents des institutions fédérales» (par. 4(1)), il importe de tenir compte de l’objectif général de cette loi pour déterminer s’il y a lieu de reconnaître une exception à ce droit général.

64 L’objectif de la Loi sur la protection des renseignements personnels est double, comme l’indique son art. 2. Elle vise, en premier lieu, à «[protéger] [l]es renseignements personnels relevant des institutions fédérales» et, en second lieu, à assurer le «droit d’accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent». Le présent pourvoi a trait, bien entendu, au premier de ces objectifs.

65 La protection de la vie privée est une valeur fondamentale des États démocratiques modernes; voir Alan F. Westin, Privacy and Freedom (1970), aux pp. 349 et 350. Étant l’expression de la personnalité ou de l’identité unique d’une personne, la notion de vie privée repose sur l’autonomie physique et morale -- la liberté de chacun de penser, d’agir et de décider pour lui‑même; voir R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, à la p. 427, le juge La Forest; voir aussi Joel Feinberg, «Autonomy, Sovereignty, and Privacy: Moral Ideals in the Constitution?» (1982), 58 Notre Dame L. Rev. 445.

66 La vie privée est également reconnue au Canada comme étant digne d’être protégée par la Constitution, du moins dans la mesure où elle est incluse dans le droit à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives, garanti par l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés; voir Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145. Certains droits à la vie privée peuvent également être inclus dans le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, garanti par l’art. 7; voir R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, et R. c. Broyles, [1991] 3 R.C.S. 595.

67 Cependant, la vie privée est une notion générale quelque peu évanescente. Il est donc nécessaire de décrire avec plus de précision les droits à la vie privée garantis par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans l’arrêt Dyment, j’ai évoqué le document intitulé L’ordinateur et la vie privée, Rapport du groupe d’étude établi conjointement par le ministère des Communications et le ministère de la Justice (1972), et, plus particulièrement, les pp. 428 à 430 de ce texte. Ce «rapport répartit ainsi les revendications en matière de vie privée: celles qui comportent des aspects territoriaux ou spatiaux, celles qui ont trait à la personne et celles qui sont faites dans le contexte informationnel». C’est ce dernier type de droit à la vie privée qui nous intéresse en l’espèce. Comme je l’affirme dans Dyment, aux pp. 429 et 430:

Enfin il y a le droit à la vie privée en matière d’information. Cet aspect aussi est fondé sur la notion de dignité et d’intégrité de la personne. Comme l’affirme le groupe d’étude (à la p. 13): «Cette conception de la vie privée découle du postulat selon lequel l’information de caractère personnel est propre à l’intéressé, qui est libre de la communiquer ou de la taire comme il l’entend.» Dans la société contemporaine tout spécialement, la conservation de renseignements à notre sujet revêt une importance accrue. Il peut arriver, pour une raison ou pour une autre, que nous voulions divulguer ces renseignements ou que nous soyons forcés de le faire, mais les cas abondent où on se doit de protéger les attentes raisonnables de l’individu que ces renseignements seront gardés confidentiellement par ceux à qui ils sont divulgués, et qu’ils ne seront utilisés que pour les fins pour lesquelles ils ont été divulgués. Tous les paliers de gouvernement ont, ces dernières années, reconnu cela et ont conçu des règles et des règlements en vue de restreindre l’utilisation des données qu’ils recueillent à celle pour laquelle ils le font; voir, par exemple, la Loi sur la protection des renseignements personnels . . .

Voir également R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, à la p. 46 («la vie privée peut se définir comme le droit du particulier de déterminer lui‑même quand, comment et dans quelle mesure il diffusera des renseignements personnels le concernant»); R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, aux pp. 613 à 615 (le juge L’Heureux‑Dubé, dissidente); Westin, op. cit., à la p. 7 ([traduction] «[l]a vie privée est le droit du particulier [. . .] de décider lui‑même quand, comment et dans quelle mesure des renseignements le concernant seront communiqués à autrui»; Charles Fried, «Privacy» (1968), 77 Yale L.J. 475, à la p. 483 ([traduction] «[l]a vie privée de quelqu’un [. . .] est le contrôle de la connaissance que l’on peut avoir à son sujet»).

68 Gardant à l’esprit ces principes généraux, je vais maintenant examiner si les renseignements demandés par l’appelant sont des renseignements personnels au sens de l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La disposition liminaire de cet article définit l’expression «renseignements personnels» comme étant «[l]es renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment». Selon son sens clair, cette définition est indéniablement large. En particulier, elle précise que la liste des exemples particuliers qui suit la définition générale n’a pas pour effet d’en limiter la portée. Comme l’a récemment jugé notre Cour, cette phraséologie indique que la disposition liminaire générale doit servir de principale source d’interprétation. L’énumération subséquente ne fait que donner des exemples du genre de sujets visés par la définition générale; voir Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, aux pp. 289 à 291. En conséquence, si un document de l’administration fédérale est visé par cette disposition liminaire, il importe peu qu’il ne relève d’aucun des exemples donnés.

69 Comme l’a souligné le juge en chef adjoint Jerome dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), précité, à la p. 557, la formulation de cet article est «délibérément large» et «illustre tout à fait les efforts considérables qui ont été déployés pour protéger l’identité des individus». Elle semble destinée à viser tout renseignement sur une personne donnée, sous la seule réserve d’exceptions précises; voir J. Alan Leadbeater, «How Much Privacy for Public Officials?», allocution prononcée devant l’Association du Barreau canadien (Ontario), le 25 mars 1994, à la p. 17. Une telle interprétation s’accorde avec le texte clair de la Loi, avec son historique législatif et avec le statut privilégié et fondamental du droit à la vie privée dans notre culture sociale et juridique.

70 En l’espèce, les renseignements demandés par l’appelant révélaient les heures pendant lesquelles des employés du ministère des Finances se trouvaient à leur lieu de travail pendant la fin de semaine au cours d’une période d’un mois. Il appert manifestement que ce sont des «renseignements [. . .] concernant un individu identifiable» au sens de l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Par conséquent, je crois que ce sont, à première vue, des «renseignements personnels» au sens de l’art. 3. En particulier, il a été jugé que les renseignements concernant le nombre d’heures effectuées par un employé pendant une période donnée étaient des renseignements personnels au sens de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. F.31, et de la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. M.56, de l’Ontario: Order M‑35 (Re Corporation of the Township of Osprey, 4 septembre 1992), [1992] O.I.P.C. no 119 (QL); Order P‑718 (Re Ontario Science Centre, 6 juillet 1994), [1994] O.I.P.C. no 211 (QL). De même, il a été jugé que les renseignements qui révéleraient le nombre d’heures supplémentaires effectuées par un individu identifiable étaient des renseignements personnels: Order M‑438 (Re Town of Amherstburg Police Services Board, 30 décembre 1994), [1994] O.I.P.C. no 434 (QL). La définition générale de l’expression «renseignements personnels» au par. 2(1) des deux lois ontariennes est quasi identique à celle figurant à l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels du Canada.

71 Bien que ce ne soit pas strictement nécessaire pour effectuer mon analyse, je crois que les employés de l’intimé s’attendaient raisonnablement à ce que l’information contenue dans les feuilles de présences ne soit pas communiquée au grand public. Le principe de «l’attente raisonnable en matière de vie privée» est un outil utilisé, dans la jurisprudence en matière de fouilles, perquisitions et saisies, pour décider si une fouille ou perquisition est «raisonnable» au sens de la Constitution; voir Hunter c. Southam Inc., précité; Katz c. United States, 389 U.S. 347 (1967). Ce principe garantit que, sur le plan conceptuel, le droit à la dignité et à l’autonomie qui est au c{oe}ur du droit à la vie privée, ne puisse être compromis que si l’État a sérieusement intérêt à le faire.

72 À mon avis, une personne raisonnable ne s’attendrait pas à ce que des étrangers aient accès systématiquement à des renseignements détaillés concernant l’endroit où se trouve une personne en dehors des heures de travail, même si cet endroit est son lieu de travail. Le juge des requêtes a conclu, à la p. 60, que «le fait de révéler le nombre de personnes qui entrent dans un immeuble public et qui en sortent pendant un certain temps n’est guère assimilable au fait de révéler des renseignements personnels». Il y a, cependant, de nombreuses raisons pour lesquelles il se peut que des particuliers ne veuillent pas que le public ait accès au registre de leurs entrées au lieu de travail et de leurs sorties de cet endroit en dehors des heures d’ouverture. Prenons le cas d’un employé, victime de sévices corporels de la part de son conjoint, qui est autorisé par ses supérieurs à travailler après les heures normales de travail afin d’éviter d’être découvert et harcelé. Cette personne jugerait-elle inoffensive la communication de ses feuilles de présences? Voir Leadbeater, loc. cit., à la p. 18. Pour citer un exemple moins sinistre, est‑il juste de s’attendre à ce que les feuilles de présences d’employés de l’État qui travaillent régulièrement après les heures d’ouverture soient mises à la disposition de personnes morales qui ont intérêt à les cibler pour commercialiser certains produits ou services?

73 Dans le contexte de la Charte, notre Cour a reconnu que les particuliers ont droit à la protection contre toute forme de surveillance par l’État. Dans Duarte, précité, la Cour a conclu que l’enregistrement électronique de communications privées par les autorités étatiques portait atteinte au droit à la vie privée garanti par l’art. 8 de la Charte. Dans R. c. Wong, [1990] 3 R.C.S. 36, il a été jugé que l’enregistrement magnétoscopique d’activités se déroulant dans une chambre d’hôtel privée allait également à l’encontre du droit, garanti par l’art. 8, à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives. Et dans R. c. Wise, [1992] 1 R.C.S. 527, la Cour a conclu que l’attente raisonnable d’une personne en matière de vie privée s’étendait à la protection contre la surveillance électronique sans enregistrement de ses déplacements. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les droits que l’accusé tenait de l’art. 8 ont été violés par l’installation dans sa voiture d’un dispositif rudimentaire de surveillance électronique, bien que les juges majoritaires aient conclu que cette fouille ne constituait qu’une «intrusion [. . .] minimale» aux fins de déterminer si la preuve obtenue devait être écartée conformément au par. 24(2) de la Charte.

74 Il faut cependant se rappeler que, dans le contexte du droit criminel, l’intérêt qu’a l’État dans la surveillance peut être très grand. Dans Wise, par exemple, l’individu ciblé était le principal suspect d’une série de meurtres. En l’espèce, l’intérêt, s’il en est, qu’a l’État dans la communication des renseignements est certainement beaucoup moins impérieux que celui qui était en cause dans Wise. Il va sans dire que la consignation de la présence d’une personne à son travail peut être moins envahissante que le genre de surveillance électronique contrôlée par l’État dont il est question dans des affaires comme Wise, Duarte et Wong. Néanmoins, comme je l’ai fait observer dans mon opinion dissidente dans l’arrêt Wise, à la p. 557, «[c]hacun s’attend raisonnablement au respect de sa vie privée, non seulement dans ses communications, mais aussi dans ses déplacements».

75 Pour déterminer si un particulier a une attente raisonnable en matière de vie privée relativement à un renseignement donné, il est important de tenir compte du but dans lequel ce renseignement a été divulgué; voir Dyment, précité, aux pp. 429 et 430, le juge La Forest; R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281, aux pp. 292 et 293. En général, lorsqu’une personne divulgue des renseignements la concernant, elle le fait pour des raisons précises. Dans certains cas, on le fait pour recevoir un service ou bénéficier d’un avantage. Dans d’autres cas, on le fait parce qu’on est légalement tenu de le faire. Dans aucun de ces cas ne s’attend-on à ce que les renseignements divulgués soient rendus publics ou communiqués à des tiers sans qu’on y consente. Comme je l’ai fait remarquer dans Dyment, précité, aux pp. 429 et 430, «les cas abondent où on se doit de protéger les attentes raisonnables de l’individu que ces renseignements seront gardés confidentiellement par ceux à qui ils sont divulgués, et qu’ils ne seront utilisés que pour les fins pour lesquelles ils ont été divulgués».

76 En l’espèce, les renseignements consignés sur les feuilles de présences ont été recueillis afin de déterminer qui se trouvait dans l’immeuble si jamais un incendie ou une autre situation d’urgence survenait. Bien que ces feuilles aient parfois servi à d’autres fins, il n’y a aucune preuve qu’elles aient jamais servi à vérifier des demandes de rémunération d’heures supplémentaires. Qui plus est, il est évident que les personnes qui les ont signées ne se seraient pas attendues à ce qu’elles puissent être communiquées au grand public. À tout le moins, les employés du Ministère devraient avoir le droit de s’attendre à ce que leur employeur n’utilise les renseignements inscrits sur ces feuilles qu’aux seules fins légitimes de ses opérations.

77 Comme nous l’avons vu, une fois qu’il a été jugé qu’un document relève de la disposition liminaire de la définition de l’expression «renseignements personnels», figurant à l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il n’est pas nécessaire d’examiner s’il correspond aussi à l’un des exemples précis, mais non exhaustifs, donnés aux al. a) à i). Je note, toutefois, que les renseignements demandés par l’appelant en l’espèce sont nettement visés par l’al. i). Aux termes de cet alinéa, l’expression «renseignements personnels» concernant un particulier vise notamment:

i) son nom lorsque celui‑ci est mentionné avec d’autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet; . . .

78 La Cour d’appel a jugé que le nom des personnes figurant sur les feuilles de présences est visé par la première partie de l’al. i), en ce sens qu’il est «mentionné avec d’autres renseignements personnels le[s] concernant», à savoir la signature et le numéro d’identification des personnes qui y consignent leur présence. Elle a également conclu que la seule divulgation du nom révélerait des renseignements au sujet de la personne en cause, tel que prévu dans la seconde partie de cette disposition.

79 L’appelant affirme que les noms ne relèvent pas de la première partie de l’al. i), parce qu’il n’a pas demandé la divulgation des numéros d’identification et des signatures qui les accompagnent. L’intimé soutient, en revanche, que le par. 4(1) de la Loi sur l’accès à l’information confère un droit d’accès non pas à un renseignement spécifique, mais à un document, terme défini à l’art. 3 de cette loi. Pour décider s’il y a lieu de divulguer un nom, il faut, soutient‑il, prendre en considération la totalité, et non simplement une version tronquée, du document où figure le renseignement personnel en question.

80 L’argument de l’intimé sur ce point n’est pas convaincant. Bien qu’il soit vrai que la Loi parle d’accès à un «document», je ne crois pas que cela devrait s’entendre uniquement d’un document matériel en entier. Dans n’importe quelle définition pratique et contextuelle, «document» s’entendrait d’un renseignement donné qui relève d’une institution fédérale, peu importe qu’il figure dans un «document» plus gros. Si la nature matérielle du document est telle que des renseignements non personnels y côtoient des renseignements personnels, il devrait être généralement possible de n’en divulguer que les éléments non personnels. Comme le montrent les actes du Ministre, il était possible, en l’espèce, de simplement supprimer des feuilles de présences les numéros d’identification et les signatures. En fait, l’art. 25 de la Loi sur l’accès à l’information oblige le Ministre à communiquer toute partie d’un document, qui ne renferme pas des renseignements qu’il peut refuser de communiquer, dans la mesure où il est raisonnablement possible de la séparer de toute autre partie qui renferme de tels renseignements.

81 Bien que la Cour d’appel ait ainsi commis une erreur en concluant que les noms inscrits sur les feuilles de présences étaient des «renseignements personnels» du fait qu’ils y figuraient avec les signatures et les numéros d’identification, cela ne règle pas la question. L’appelant n’a pas seulement demandé le nom des employés en question. Il voulait aussi connaître leurs heures d’arrivée et de départ, des renseignements qui, croyait-il, l’aideraient à déterminer si des employés syndiqués faisaient des heures supplémentaires en violation de leur convention collective. Pour les raisons énoncées dans mon analyse de la définition générale de «renseignements personnels», les heures d’arrivée et de départ consignées sur les feuilles de présences constituent «d’autres renseignements personnels» au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

82 Comme je l’ai déjà noté, la Cour d’appel a également conclu que la divulgation même des noms figurant sur les feuilles de présences révélerait des renseignements au sujet des personnes concernées, en violation du second volet du critère établi à l’al. i). C’est ce qu’explique le juge en chef Isaac, aux pp. 223 et 224:

Il est bien certain que les noms figurant aux registres de signature indiqueraient que ces personnes se trouvaient à un endroit précis, à une date précise et à certaines heures précises. En d’autres termes, il s’agissait de renseignements au sujet des allées et venues des individus concernés à certains moments précis. [. . .] Je n’ai aucun doute sur le fait qu’il s’agit de renseignements personnels et qu’ils concernent des individus identifiables.

Sur le plan strictement formel, cette analyse est fallacieuse. La Cour d’appel semble avoir considéré la divulgation des noms avec les heures d’arrivée et de départ consignées sur les feuilles de présences. La seconde partie de l’al. i) parle, cependant, de la «seule divulgation du nom». Le passage précité se rapporte donc plutôt à la première partie de cet alinéa.

83 La question qu’il convient de se poser relativement à la seconde partie est de savoir si la seule divulgation des noms, c’est‑à‑dire sans les heures d’arrivée et de départ ni les signatures, révélerait des renseignements au sujet des personnes concernées. Pareille éventualité ressort des termes mêmes de la disposition en question. Dans sa demande d’accès à des renseignements, l’appelant a demandé une copie des feuilles signées par des employés à certaines dates. Même si le Ministre ne divulguait que le nom des employés inscrits sur ces feuilles, cette divulgation révélerait que certaines personnes identifiables se trouvaient à leur lieu de travail ces jours‑là. La divulgation des noms «révélerait [donc] des renseignements [au] sujet [de ces personnes]», au sens de la seconde partie de l’al. i).

84 L’appelant soutient toutefois que cette disposition devrait être interprétée de façon à exiger que la seule divulgation du nom révèle des renseignements personnels au sujet de la personne concernée. À son avis, une interprétation littérale de l’al. i) ne reconnaît pas que la communication d’un document révèle toujours des renseignements au sujet de la personne concernée en la liant à d’autres renseignements contenus dans ce document. Pareille interprétation, dit‑il, interdirait toute communication lorsque le nom révélerait des renseignements quelconques au sujet de la personne concernée. En fin de compte, les noms figurant dans les documents constitueraient immanquablement des «renseignements personnels».

85 Je ne puis retenir cet argument. L’alinéa i) prévoit clairement qu’un document contient des renseignements personnels si la seule divulgation du nom révélerait des renseignements au sujet de la personne concernée. Il n’exige pas que ces renseignements soient «personnels». En particulier, la première partie de l’al. i) mentionne effectivement les renseignements «personnels» qui figurent avec le nom de la personne en cause. Il est très improbable que les rédacteurs de l’al. i) aient, par inadvertance, omis d’y inclure le mot «personnels» dans la seconde partie, alors qu’ils l’ont fait dans la première.

86 Quoi qu’il en soit, il appert que la seule divulgation des noms révélerait des renseignements «personnels». Comme nous l’avons vu, même si les heures d’arrivée et de départ n’étaient pas communiquées, les noms révéleraient que certains employés se trouvaient à leur lieu de travail à certaines dates. Cela constitue des «renseignements [. . .] concernant un individu identifiable», au sens de l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. En fait, chacun des exemples cités aux al. a) à i) est simplement un exemple de renseignements concernant des individus identifiables, qui sont habituellement consignés dans les documents de l’administration fédérale.

87 L’objection de l’appelant à cette interprétation simple de l’al. i) repose sur l’idée que l’inclusion de documents renfermant les noms de personnes empêcherait la communication d’un éventail excessivement large de documents de l’administration fédérale. Comme nous le verrons plus loin, cependant, le sous‑al. 3j)(iv) de la Loi sur la protection des renseignements personnels exclut expressément de la définition des «renseignements personnels» «[le] nom [d’un individu] lorsque celui‑ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi». Il n’y a donc aucun risque que les noms de fonctionnaires soient tenus secrets du seul fait qu’ils figurent dans des documents qu’ils ont établis au cours de leur emploi.

Les renseignements demandés sont‑ils exclus de la définition de «renseignements personnels»?

88 L’appelant fait valoir que, même si les renseignements qu’il a demandés constituent des «renseignements personnels» à première vue, ils relèvent de l’exception prévue à l’al. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui se lit ainsi:

3. . . .

«renseignements personnels» . . .

. . . ne comprennent pas les renseignements concernant:

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment:

(i) le fait même qu’il est ou a été employé par l’institution,

(ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,

(iii) la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iv) son nom lorsque celui‑ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi,

(v) les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de son emploi; . . .

Plus particulièrement, l’appelant soutient que les feuilles de présences sont visées par la disposition liminaire de l’al. j) ainsi que par les exemples particuliers des sous‑al. (iii) et (iv).

89 Avant d’examiner le bien‑fondé de ces arguments, il est nécessaire d’examiner une question de procédure. En Cour d’appel, le juge en chef Isaac a jugé que, dès qu’il est décidé que les renseignements contenus dans un document sont des renseignements personnels à première vue, il incombe à la personne qui en demande communication de prouver qu’il y a application de l’une des exceptions. Des conclusions similaires ont été tirées dans Congrès juif canadien c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1996] 1 C.F. 268 (1re inst.), à la p. 283, Sutherland c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1994] 3 C.F. 527 (1re inst.), à la p. 539, Terry c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1994), 86 F.T.R. 266, à la p. 269, et MacKenzie c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1994), 88 F.T.R. 52, aux pp. 55 et 56.

90 Cependant, l’art. 48 de la Loi sur l’accès à l’information impose à l’administration fédérale l’obligation d’établir le bien‑fondé de son refus de communiquer un dossier. Cette loi n’établit aucune distinction entre le point de savoir si un document contient des renseignements personnels à première vue, et celui de savoir s’il est visé par l’une des exceptions. En conséquence, il est clair que, même dans le cas où on a démontré qu’un document contient des renseignements personnels à première vue, il incombe toujours à l’administration fédérale d’établir que ce document ne relève pas de l’une des exceptions prévues à l’al. 3j).

91 Cela dit, il reste à examiner si le Ministre s’est acquitté de la charge qui lui incombe de démontrer que les renseignements demandés ne relèvent pas de l’une des exceptions. Si on lit la disposition liminaire de l’al. j) conjointement avec le sous‑al. (iii), il appert que les renseignements concernant des employés de l’État et portant sur leur poste et leurs fonctions, y compris les attributions de leur poste, ne constituent pas des «renseignements personnels». L’appelant et l’intervenante qui est venue l’appuyer prétendent que l’information concernant les heures de travail porte sur le poste ou les fonctions des employés en question. Pareille information, affirment‑ils, révèle qu’une des conditions de leurs postes est qu’ils fassent des heures supplémentaires la fin de semaine.

92 En examinant cette question, il est utile de déterminer la nature précise des renseignements demandés. Les feuilles de présences révèlent la présence de certains employés pendant certaines heures, la fin de semaine. Elles n’indiquent pas si ces employés travaillaient alors ou s’ils faisaient des «heures supplémentaires». Au mieux, elles révèlent que certains individus devaient probablement, mais non nécessairement, travailler pendant un certain temps, la fin de semaine. Elles peuvent indiquer aussi que ces personnes faisaient probablement des heures supplémentaires.

93 À mon avis, ces renseignements ne portent pas sur le poste ou les fonctions de certains employés de l’État, ni sur les attributions de leur poste. Dans la décision Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Secrétaire d’État aux Affaires extérieures), précitée, la cour a établi une distinction entre les renseignements portant sur un poste et les renseignements portant sur une personne. Dans cette affaire, le responsable de l’institution fédérale avait révélé les noms de personnes figurant sur une liste d’employés temporaires. Le Commissaire à la protection de la vie privée a jugé que ces noms étaient des «renseignements personnels» et que leur divulgation allait donc à l’encontre de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Afin de ne pas aggraver cette erreur, le Ministère a refusé de divulguer des renseignements sur la cote de sécurité des postes que ces personnes occupaient. La cour a cependant jugé que les classifications de sécurité se rapportaient aux postes mêmes et non aux personnes qui les occupaient. Le juge Dubé affirme ceci, aux pp. 399 et 400:

Le Commissaire soutient que la classification de sécurité constitue une condition liée au poste et non à la personne et, à ce titre, ne constitue pas un renseignement personnel. Il s’agit simplement d’une exigence minimale et son inscription sur le formulaire de demande subséquente n’indique pas le niveau de la cote de sécurité que détient l’employé mais simplement que l’employé a satisfait à l’exigence minimale en matière de sécurité pour ce poste.

Le Ministère convient que la classification de sécurité en question constitue une condition liée au poste mais soutient qu’il s’agit également d’un renseignement personnel étant donné que les noms des personnes ont déjà été communiqués.

De toute évidence, la classification de sécurité se rattache à un poste et non à la personne qui a demandé ce poste ou qui l’a finalement occupé. Les renseignements personnels que définit l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels désignent les renseignements relatifs à une personne, que ce soit sa race, sa couleur, sa religion, son dossier personnel, ses opinions, etc. La classification de sécurité ne figure nulle part dans les rubriques relatives aux renseignements personnels énumérés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Même l’alinéa 3c) qui traite des numéros, symboles ou toute autre indication identificatrice restreint ces indications à la personne et non au poste occupé par celle‑ci. Donc, à mon avis, la classification de sécurité ne constitue pas un renseignement qui ne doit pas être divulgué pour le motif qu’il s’agit de «renseignements personnels».

94 Ce point de vue est fondamentalement logique et s’accorde parfaitement avec le texte et les objets respectifs des lois en cause. La même méthode, soit dit en passant, a été utilisée pour interpréter des termes semblables dans la Freedom of Information Act de Terre‑Neuve, R.S.N. 1990, ch. F‑25, al. 10(2)a); voir Thorne c. Newfoundland and Labrador Hydro Electric Corp. (1993), 109 Nfld & P.E.I.R. 233, à la p. 235. L’alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels exclut expressément les renseignements concernant une personne et portant sur son poste ou ses fonctions. De même, le sous‑al. (iii) mentionne «la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste». Il est clair que ces dispositions ont pour objet d’exempter seulement les renseignements relatifs aux postes et non ceux concernant telle ou telle personne. Les renseignements relatifs au poste ne sont donc pas des «renseignements personnels», bien qu’ils puissent incidemment révéler quelque chose au sujet des personnes nommées. Par contre, les renseignements qui concernent principalement des personnes elles‑mêmes ou la manière dont elles choisissent d’accomplir les tâches qui leur sont confiées sont des «renseignements personnels». Il a été jugé, par exemple, que si le rapport général sur la prestation des services alimentaires dans un centre psychiatrique régional devait être divulgué, l’opinion de l’auteur sur certaines personnes et leur formation, leur personnalité, leur expérience ou leur compétence étaient des «renseignements personnels» non visés par l’exception prévue à l’al. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels; voir Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), précité. De même, dans Rubin c. Greffier du Conseil privé (Can.) (1993), 62 F.T.R. 287, la cour a jugé que, tandis que l’échelle de traitement rattachée à un poste pouvait être divulguée conformément au sous‑al. 3j)(iii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, la rémunération quotidienne ou le salaire précis versés à un fonctionnaire donné ne pouvaient pas l’être.

95 En général, les renseignements concernant le poste, les fonctions ou les attributions d’une personne sont du genre de ceux qu’on trouve dans la description de travail. Ils comprennent les conditions liées au poste, dont les qualités requises, les attributions, les responsabilités, les heures de travail et l’échelle de traitement. (Pour un exemple de description de travail, voir Orth c. Macdonald Dettwiler & Associates Ltd. (1986), 16 C.C.E.L. 41 (C.A.C.‑B.), aux pp. 44 à 46). Les renseignements demandés en l’espèce ne concernent pas la nature d’un poste en particulier. Bien qu’ils puissent donner à l’appelant un vague aperçu des tendances de travail en fin de semaine, ils ne donnent aucune information exacte ou précise sur les attributions, fonctions ou heures de travail d’un employé en particulier. Ils révèlent plutôt les activités d’une personne donnée, qui peuvent être ou ne pas être liées à son travail. Comme nous l’avons vu, les feuilles de présences ne révèlent pas si un employé particulier fait des heures supplémentaires. Pour déterminer cela, il faudrait savoir si l’employé travaillait effectivement pendant qu’il se trouvait sur les lieux, et pendant combien d’heures il avait travaillé durant la semaine.

96 En tout état de cause, même si on peut dire que les feuilles en question font état avec exactitude des heures supplémentaires effectuées par un employé, j’estime que les renseignements concernant le moment où un employé fait des heures supplémentaires sont des «renseignements personnels». La question de savoir si une personne fait des heures supplémentaires, et combien, a trait à la façon dont elle exerce ses fonctions, et non pas aux attributions ou aux fonctions liées à son poste même. Une personne peut faire des heures supplémentaires pour différentes raisons qui tiennent, par exemple, à sa productivité pendant les heures normales de travail. Par conséquent, les heures effectuées par des employés ne révèlent rien sur la nature ou le volume de leur travail. Dans la lettre qu’il a adressée à l’appelant au sujet des résultats de son enquête sur la plainte que ce dernier avait déposée, le Commissaire à l’information tient les propos suivants, que j’approuve:

[traduction] Les renseignements auxquels vous demandez à avoir accès en l’espèce n’apprennent rien, à mon avis, sur les postes ou les fonctions des personnes dont le nom figure sur les feuilles de présences. Bien qu’ils puissent indiquer les heures pendant lesquelles ils étaient au travail à une date donnée, je ne pense pas que ce soit là le genre de renseignement auquel le législateur a voulu donner accès au public. Conclure le contraire signifierait que les conditions de travail d’un fonctionnaire — savoir s’il a un horaire normal, comprimé ou souple, quelles sont ses pauses‑café et pauses‑repas, s’il a bénéficié de congés de maladie et autres congés spéciaux — pourraient devenir notoires. Cela irait bien au‑delà de l’esprit et du but de cette dérogation qui, à mon avis, est d’assurer que le public puisse traiter avec des fonctionnaires identifiables et non pas anonymes. Les renseignements dont il est question en l’espèce ne concernent nullement la nature du travail des fonctionnaires nommés, mais concernent seulement le lieu où ils se trouvaient à un moment donné. Rien n’indique que le législateur a voulu que cette exception soit interprétée de manière à ce que les fonctionnaires soient soumis à une forme de surveillance matérielle grâce à la communication de documents.

97 Cette conclusion est compatible avec l’objet de la Loi sur l’accès à l’information et celui de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Comme nous l’avons vu, ces lois ont pour objet collectif d’assurer aux Canadiens l’accès aux renseignements sur les rouages de leur gouvernement sans qu’il soit porté indûment atteinte à la vie privée de particuliers. Comme l’a fait remarquer le juge en chef adjoint Jerome dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), précité, à la p. 557, l’al. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne soustrait pas les employés de l’État à l’application de cette règle générale de protection de la vie privée. Le fait que des gens soient des employés de l’État ne signifie pas que leurs activités personnelles devraient pouvoir faire l’objet d’un examen public. En limitant la divulgation de renseignements concernant certaines personnes à ceux qui portent sur leur poste, la Loi établit un juste équilibre entre les impératifs d’accès à l’information et de protection de la vie privée. De cette façon, les citoyens sont assurés de connaître les attributions, fonctions et responsabilités de fonctionnaires sans compromettre indûment leur vie privée.

98 L’intervenante, l’AFPC, soutient cependant qu’il y a de sérieuses raisons de principe de procéder à la divulgation en l’espèce. À son avis, la divulgation des renseignements relatifs au travail vise, en partie, à garantir que l’application de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels soit compatible avec le régime de négociation collective. La divulgation des renseignements demandés par l’appelant, dit‑elle, faciliterait l’exercice des droits des agents négociateurs et garantirait que le public soit en mesure de juger si les fonctionnaires sont rémunérés convenablement pour leur travail.

99 Je ne juge pas cet argument convaincant. Il est vrai qu’il existe un intérêt public général à ce que le processus de négociation collective se déroule de façon harmonieuse et à ce que les employeurs, y compris ceux du secteur public, respectent les obligations qu’ils ont contractées dans des conventions collectives. Je ne crois pas, cependant, que cet intérêt soit consacré dans les lois sur l’accès à l’information et sur la protection des renseignements personnels. Comme nous l’avons vu, la Loi sur l’accès à l’information vise à consacrer les valeurs de la participation et de la responsabilité dans le processus démocratique. Il va sans dire que la négociation collective joue un rôle important dans le système démocratique. Il s’agit cependant, à bien des égards, d’un régime autonome qui est doté de sa propre loi habilitante et d’un système complet de règlement des litiges. Ce système tente de régler le conflit entre les intérêts privés des employeurs et les intérêts privés et collectifs des employés. Sous ce rapport, l’intérêt qu’a un syndicat à obtenir des renseignements utiles auprès de l’employeur n’est pas plus grand que l’intérêt qu’a l’employeur d’obtenir des renseignements semblables. Les conflits relatifs à de tels renseignements devraient se résoudre à l’intérieur du système, c’est‑à‑dire au moyen des méthodes habituelles de règlement des conflits de travail -- négociation, arbitrage et contrôle administratif. Rien n’indique que la loi en matière d’accès à l’information ait visé à permettre à une partie à ce conflit d’obtenir des renseignements auxquels elle n’aurait pas eu droit, par ailleurs, sous le régime de la négociation collective. Cela est évidemment acceptable si la loi le permet de façon incidente, en autorisant notamment quelqu’un qui a un intérêt particulier à en bénéficier parce que la divulgation s’accorde avec les objectifs publics de la loi. Cependant, il ne faut pas interpréter cette loi en ayant expressément à l’esprit le régime de négociation collective. À mon avis, le fait que la communication des feuilles de présences en l’espèce serait utile au syndicat n’est pas pertinent pour décider si les renseignements en question portent sur le poste ou les fonctions d’un employé, au sens de l’al. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

100 L’appelant soutient également que les noms figurant sur les feuilles de présences relèvent du sous‑al. 3j)(iv), du fait que ces feuilles représentent un «document [que des individus ont] établi au cours de [leur] emploi». Cet argument n’est guère fondé. En premier lieu, il est fallacieux de dire que les feuilles de présences sont «établies» par les employés qui les signent. Il ressort de la preuve que les feuilles de présences relèvent de la responsabilité des agents de sécurité appartenant au Corps des commissionnaires. En second lieu, ces feuilles ne sont pas établies «au cours de [l’]emploi». Comme nous l’avons vu, elles sont établies à des fins de sécurité. Les employés sont tenus de les remplir pour pouvoir pénétrer dans l’immeuble. Ces feuilles n’ont rien à voir avec les attributions des postes des employés. Pour les mêmes raisons que ces feuilles ne portent pas sur les postes, fonctions ou attributions des employés en question, elles ne devraient pas être considérées comme ayant été établies «au cours de [leur] emploi».

Le Ministre a‑t‑il exercé régulièrement son pouvoir discrétionnaire?

101 L’appelant prétend que le Ministre n’a pas exercé régulièrement son pouvoir discrétionnaire en refusant de communiquer les renseignements demandés, conformément à l’al. 19(2)c) de la Loi sur l’accès à l’information et au sous‑al. 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Selon l’al. 19(2)c) de la Loi sur l’accès à l’information, le responsable d’une institution fédérale peut communiquer un document contenant des renseignements personnels dans le cas où la communication est conforme à l’art. 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La partie pertinente de l’art. 8 se lit ainsi:

8. . . .

(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants:

. . .

m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l’avis du responsable de l’institution:

(i) des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée, . . . [Je souligne.]

102 Selon l’appelant, rien ne prouve que le Ministre a soupesé le droit à la vie privée des employés dont le nom figurait sur les feuilles de présences, en fonction des raisons d’intérêt public qui en justifiaient la divulgation. Il fait valoir que si le Ministre avait exercé régulièrement son pouvoir discrétionnaire, il aurait conclu que les raisons d’intérêt public qui justifiaient la divulgation l’emportaient nettement sur l’atteinte minimale à la vie privée qui en aurait résulté.

103 La première étape de l’évaluation de cet argument consiste à décider de la norme de révision à appliquer à la décision du Ministre. L’appelant fait remarquer que, selon l’art. 2 de la Loi sur l’accès à l’information, les décisions en matière de communication de documents de l’administration fédérale sont «susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif». Il invoque aussi le fait que l’art. 48 de cette même loi précise que «la charge d’établir le bien‑fondé du refus de communication totale ou partielle d’un document incombe à l’institution fédérale concernée». Il fait valoir, à partir de cela, que l’exercice par le Ministre du pouvoir discrétionnaire qu’il tient de l’al. 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels devrait être strictement limité par les tribunaux.

104 La détermination de la norme de révision qu’il convient d’appliquer aux décisions discrétionnaires fondées sur la Loi sur l’accès à l’information est à l’origine d’une importante controverse en Cour fédérale. Dans un certains nombre de décisions, la cour a supposé que la norme de révision à appliquer aux décisions discrétionnaires est la norme de la décision correcte ou norme de révision de novo. Dans Rubin c. Canada (Société canadienne d’hypothèques et de logement), précité, la Cour d’appel fédérale a examiné l’incidence de l’al. 21(1)b) de la Loi sur l’accès à l’information. Cette disposition prévoit que le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication d’un document contenant «des comptes rendus de consultations ou délibérations» mettant en cause des cadres ou employés de l’État. La cour a jugé, à la p. 273, que ce pouvoir discrétionnaire «n’est pas absolu» et qu’il doit être exercé conformément aux «principes de droit reconnus» et «d’une manière compatible avec la loi habilitante». En examinant si les procès‑verbaux des réunions du conseil d’administration de la SCHL de 1975 à 1988 auraient dû être communiqués conformément à l’al. 21(1)b), la cour a conclu que le seul volume des documents en cause indiquait que la déléguée de la Société n’avait pas fait le nécessaire pour déterminer si l’un quelconque des renseignements demandés était visé par cette disposition. La cour a aussi jugé qu’il ressortait du point de vue adopté par l’avocate‑conseil générale et secrétaire de la SCHL que cette dernière avait conclu qu’elle pouvait refuser la communication des documents demandés sans même les avoir examinés. La cour a rejeté la conclusion tirée dans Canada (Commissaire à l’information) c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1986] 3 C.F. 413 (1re inst.), selon laquelle, une fois qu’on a jugé qu’un document relève de la catégorie visée au par. 21(1), le droit à la communication est subordonné au pouvoir discrétionnaire de le communiquer qu’a le responsable de l’institution fédérale. La cour a jugé que pareille conclusion ne tient pas compte de la directive de l’art. 2 de la Loi, voulant que les décisions concernant l’accès aux documents publics fassent l’objet d’un «recours indépendants du pouvoir exécutif». En conséquence, la cour a écarté la décision de ne pas communiquer les documents en cause et a renvoyé l’affaire devant la déléguée de la SCHL pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

105 Dans Bland, précité, l’arrêt Rubin a été invoqué par le juge Muldoon qui a examiné la disposition en cause dans la présente affaire, à savoir le sous‑al. 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans l’affaire Bland, un journaliste enquêtant sur des allégations de favoritisme dans l’attribution de loyers subventionnés par la Commission de la capitale nationale («CCN») s’est vu refuser l’accès à une liste d’adresses et de loyers de locataires de la CCN pour le motif qu’il s’agissait là de «renseignements personnels». Chose curieuse, quoiqu’il ait jugé que les renseignements demandés portaient sur des «avantages financiers facultatifs» au sens de l’al. 3l) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et n’étaient donc pas des «renseignements personnels», le juge Muldoon a aussi conclu que, quand bien même ils le seraient, ils auraient dû être communiqués conformément au sous‑al. 8(2)m)(i). En parvenant à cette conclusion, la cour a jugé, à la p. 340, qu’il ne suffisait pas d’affirmer que les raisons d’intérêt public justifiant la communication ne l’emportaient pas sur l’atteinte à la vie privée, car cette affirmation «ne montre nullement qu’[on] a mis dans la balance la violation de la vie privée et l’intérêt public dans la divulgation». Le juge a ensuite conclu que le droit à la vie privée des locataires était minime et que toute atteinte à ce droit était nettement justifiée par l’intérêt public dans la divulgation. Voir également Rubin c. Greffier du Conseil privé (Can.), précité, à la p. 291, et MacKenzie c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), précité, à la p. 57.

106 Dans la mesure où on peut affirmer que ces décisions permettent de dire que la décision du Ministre de refuser de communiquer un document conformément à l’exception des raisons d’intérêt public, prévue au sous‑al. 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, doit être examinée selon une norme de révision de novo, elles sont nettement erronées. Il est vrai que, aux termes du par. 2(1) la Loi sur l’accès à l’information, «les décisions quant à la communication [sont] susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif». Toutefois, si on envisage cette loi dans son ensemble, il est clair que cette exhortation ne prescrit pas l’examen de novo du pouvoir discrétionnaire visé au sous‑al. 8(2)m)(i). L’article 49 de la Loi sur l’accès à l’information énonce le pouvoir de la Cour fédérale d’ordonner la communication d’un document dans les circonstances qui nous intéressent en l’espèce:

49. La Cour, dans les cas où elle conclut au bon droit de la personne qui a exercé un recours en révision d’une décision de refus de communication totale ou partielle d’un document fondée sur des dispositions de la présente loi autres que celles mentionnées à l’article 50, ordonne, aux conditions qu’elle juge indiquées, au responsable de l’institution fédérale dont relève le document en litige d’en donner à cette personne communication totale ou partielle; la Cour rend une autre ordonnance si elle l’estime indiqué. [Je souligne.]

107 L’article 49 prescrit à la cour qui procède à la révision d’examiner si le responsable de l’institution fédérale qui a refusé communication d’un document était effectivement autorisé à la refuser. Comme nous l’avons vu, la Loi sur l’accès à l’information prévoit un droit général d’accès aux documents détenus par l’administration fédérale, sous réserve de certaines exceptions. Si les renseignements demandés ne relèvent pas de l’une de ces exceptions, le responsable de l’institution fédérale concernée n’est pas autorisé à en refuser la communication, et la cour peut en ordonner la communication conformément à l’art. 49 de la Loi. Il est clair que, dans cette décision, la cour qui procède à la révision peut substituer son opinion à celle du responsable de l’institution fédérale concernée. La situation est cependant différente une fois qu’on a jugé que le responsable de l’institution fédérale est autorisé à refuser la communication. Le paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information prévoit que, sous réserve du par. 19(2), le responsable de l’institution fédérale est tenu de refuser la communication de renseignements personnels. Il s’ensuit que l’art. 49 de la même loi n’autorise la cour à écarter la décision du responsable de l’institution fédérale que dans le cas où celui‑ci n’est pas autorisé à refuser la communication d’un document. Dans les cas où, comme en l’espèce, le document demandé contient des renseignements personnels, le responsable de l’institution fédérale est autorisé à en refuser la communication, et le pouvoir de révision de novo, énoncé à l’art. 49, est épuisé.

108 Bien entendu, le par. 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information prévoit que le responsable d’une institution fédérale peut divulguer des renseignements personnels dans certains cas. En général, l’emploi du terme «peut», en particulier lorsqu’il s’oppose, comme en l’espèce, à l’expression «est tenu de», indique qu’une instance décisionnelle administrative a la faculté, et non l’obligation, d’exercer un pouvoir qu’elle tient de la loi; voir McHugh c. Union Bank of Canada, [1913] A.C. 299 (C.P.); Smith & Rhuland Ltd. c. The Queen, on the relation of Brice Andrews, [1953] 2 R.C.S. 95; Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 11.

109 De surcroît, toute ambiguïté, en l’espèce, concernant l’emploi du terme «peut» est dissipée par le texte du sous‑al. 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cette disposition, qui est incorporée dans l’al. 19(2)c) de la Loi sur l’accès à l’information, prévoit que la communication de renseignements personnels est autorisée dans le cas où, de l’avis du responsable de l’institution, des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée. Il est difficile d’imaginer un texte législatif qui énonce un pouvoir discrétionnaire plus général. Les tribunaux ont jugé, à maintes reprises, que le recours à pareille phraséologie indique l’existence d’un pouvoir discrétionnaire; voir Boulis c. Ministre de la Main‑d’{oe}uvre et de l’Immigration, [1974] R.C.S. 875; Vancouver (Ville de) c. Simpson, [1977] 1 R.C.S. 71; Isinger c. Buckland (Rural Municipality No. 491) (1986), 48 Sask. R. 207 (C.A.); Re Michelin Tires Manufacturing (Canada) Ltd. (1975), 13 N.S.R. (2d) 587 (C.S., 1re inst.). Et dans une série de décisions, la Cour fédérale a expressément conclu que le pouvoir de divulguer des renseignements personnels pour des raisons d’intérêt public en application du sous‑al. 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels est un pouvoir discrétionnaire; voir Congrès juif canadien c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), précité; Sutherland c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), précité; Terry c. Canada (Ministre de la Défense nationale), précité; Grand Conseil des Cris (du Québec) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures et du Commerce international), [1996] A.C.F. no 903 (QL).

110 Dans Kelly c. Canada (Solliciteur général) (1992), 53 F.T.R. 147, le juge Strayer a analysé la méthode générale à adopter à l’égard des exemptions discrétionnaires prévues à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il affirme, à la p. 149:

Comme on peut le voir, ces exemptions exigent que le responsable d’un établissement prenne deux décisions: 1) une décision de fait sur la question de savoir si les renseignements en question correspondent à la description de renseignements susceptibles de ne pas être divulgués; et 2) une décision discrétionnaire sur la question de savoir s’il convient néanmoins de divulguer lesdits renseignements.

Le premier type de décision est, je crois, révisable par la Cour et celle‑ci peut y substituer sa propre conclusion, sous réserve, à mon avis, de la nécessité de faire preuve d’une certaine déférence envers les décisions des personnes qui, de par les responsabilités institutionnelles qu’elles assument, sont mieux placées pour juger la question . . .

Le second type de décision est purement discrétionnaire. À mon sens, en révisant une telle décision la Cour ne devrait pas tenter elle‑même d’exercer de nouveau le pouvoir discrétionnaire, mais plutôt examiner le document en question et les circonstances qui l’entourent et se demander simplement si le pouvoir discrétionnaire semble avoir été exercé de bonne foi et pour un motif qui se rapporte de façon logique à la raison pour laquelle il a été accordé.

J’estime qu’il s’agit de la bonne façon d’aborder la révision de l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au sous‑al. 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

111 Le fait qu’un pouvoir prévu par la loi soit discrétionnaire ne signifie pas, évidemment, qu’une décision fondée sur ce pouvoir échappe à la surveillance des tribunaux. On peut toujours alléguer qu’il y a eu abus du pouvoir discrétionnaire. La norme de contrôle à appliquer a été énoncée par le juge McIntyre dans Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pp. 7 et 8:

C’est [. . .] une règle bien établie que les cours ne doivent pas s’ingérer dans l’exercice qu’un organisme désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

Voir aussi Vancouver (Ville de) c. Simpson, précité.

112 L’appelant n’allègue pas la mauvaise foi, l’iniquité procédurale ou la prise en compte de questions non pertinentes. Il soutient plutôt que le Ministre n’a pas soupesé le droit à la vie privée des employés inscrits sur les feuilles de présences, en fonction des raisons d’intérêt public qui justifieraient la communication des renseignements demandés. Toutefois, il est clair que le Ministre a effectivement soupesé soigneusement les intérêts de principe qui s’opposaient en l’espèce. Voici comment l’appelant lui a demandé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de communiquer les renseignements personnels en question:

[traduction] La divulgation de ces noms est conforme à l’intérêt public puisqu’elle permet aux citoyens de savoir qui travaille, qui a autorisé le travail, et qu’elle empêche l’abus du personnel par des gestionnaires trop zélés, tout en assurant le respect de l’esprit de la convention collective. Il y a donc lieu de divulguer les noms figurant sur les feuilles de présences.

Ce à quoi le Ministre a répondu:

[traduction] Vous comprendrez, j’en suis certain, que toute renonciation à la protection que la Loi sur la protection des renseignements personnels assure aux particuliers ne peut se faire qu’après mûre réflexion et doit être soupesée en fonction de la menace de violation de la vie privée d’un particulier. Je ne pense pas que vous ayez démontré que, s’il y avait un intérêt public en jeu, il l’emporte clairement sur le droit du particulier à la protection de sa vie privée. [Je souligne.]

113 Rien ne prouve, comme c’était le cas dans l’affaire Rubin, précitée, que le Ministre n’a pas bien examiné la preuve. Il appert qu’il a examiné la demande de l’appelant visant à renoncer à invoquer l’intérêt public, à la lumière des objets des lois en cause, et qu’il en est venu à décider que des raisons d’intérêt public «ne justifiaient pas nettement» une éventuelle violation de la vie privée. Il s’agit là d’une conclusion qu’il était en droit de tirer. Si notre Cour écartait cette décision, cela reviendrait à substituer sa perception de l’affaire à celle que le Ministre en avait. Pareil résultat porterait gravement atteinte à l’objet de la loi en cause et constituerait une usurpation injustifiée du rôle dont elle a investi le Ministre.

114 Essentiellement, l’appelant s’oppose à la décision du Ministre pour le motif qu’elle n’est pas suffisamment motivée. En général cependant, une instance décisionnelle administrative n’est pas tenue de motiver ses décisions, en l’absence d’une disposition contraire expresse de la loi; voir Supermarchés Jean Labrecque Inc. c. Flamand, [1987] 2 R.C.S. 219, à la p. 233; Les Arsenaux Canadiens Ltée c. Conseil canadien des relations du travail, [1979] 2 C.F. 393 (C.A.); Macdonald c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 665; Northwestern Utilities Ltd. c. Ville d’Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684. Bien que l’on ait affirmé que l’omission de motiver une décision, même en l’absence d’exigence légale de le faire, peut, dans certains cas, constituer un manquement à l’obligation d’équité (David P. Jones et Anne S. de Villars, Principles of Administrative Law (2e éd. 1994), à la p. 299), l’omission du Ministre d’exposer des motifs complets et détaillés à l’appui de sa décision n’a causé aucune iniquité à l’appelant.

115 Enfin, il y a lieu de noter que, pendant sa plaidoirie devant notre Cour, l’intimé a, dit-on, soutenu qu’en affirmant qu’il [traduction] «ne pens[ait] pas que [l’appelant avait] démontré que, s’il y avait un intérêt public en jeu, il l’emporte clairement sur le droit du particulier à la protection de sa vie privée», le Ministre a erronément inversé la charge de preuve prescrite par l’art. 48 de la Loi sur l’accès à l’information. Cette disposition prévoit qu’il incombe au responsable d’une institution fédérale d’établir «le bien‑fondé du refus» de communiquer un document demandé. Comme nous l’avons vu au sujet de l’art. 49 de la même loi, le Ministre s’est acquitté de cette obligation en démontrant que les feuilles de présences constituaient des «renseignements personnels». Une fois cela établi, la décision du Ministre de refuser de communiquer en application du sous‑al. 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne peut être susceptible de révision que pour le motif qu’elle constitue un abus de pouvoir discrétionnaire. Il n’«incombe» pas au Ministre de démontrer que sa décision était correcte, parce que sa décision ne peut pas faire l’objet d’un examen judiciaire selon la norme de la décision correcte. Si on situe ces propos dans leur contexte, il est clair que le Ministre a soupesé les intérêts qui s’opposaient en l’espèce. Il est donc sans importance qu’il ait dit que l’appelant n’avait pas démontré que l’intérêt public devrait l’emporter sur les droits à la vie privée des employés inscrits sur les feuilles de présences.

Dispositif

116 J’ai conclu de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le pourvoi. Il reste à examiner la disposition spéciale relative aux frais et aux dépens, contenue au par. 53(2) de la Loi sur l’accès à l’information. On y prévoit que «[d]ans les cas où elle estime que l’objet des recours visés aux articles 41 et 42 a soulevé un principe important et nouveau quant à la présente loi, la Cour accorde les frais et dépens à la personne qui a exercé le recours devant elle, même si cette personne a été déboutée de son recours». Bien qu’il n’ait pas eu gain de cause en fin de compte, je crois que l’appelant a soulevé un certain nombre de questions de droit nouvelles et importantes. Dans ces circonstances, il conviendrait d’ordonner à l’intimé de lui payer ses dépens.

117 En conséquence, je suis d’avis de rejeter le pourvoi, mais d’ordonner à l’intimé de payer à l’appelant ses dépens.

Pourvoi accueilli, les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Gonthier et Major sont dissidents.

Procureurs de l’appelant: Soloway, Wright, Ottawa.

Procureur de l’intimé: Le procureur général du Canada, Ottawa.

Procureurs de l’intervenant le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada: Nelligan, Power, Ottawa.

Procureurs de l’intervenante l’Alliance de la fonction publique du Canada: Raven, Jewitt & Allen, Ottawa.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Accès à l’information -- Protection de la vie privée - Renseignements personnels - Demande de feuilles de présences d’un ministère gouvernemental - Éléments d’identification personnelle supprimés des renseignements remis - Les renseignements devraient‑ils être communiqués?— Peut-on refuser de communiquer une partie des renseignements pour le motif qu’il s’agit de «renseignements personnels»? - Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A‑1, art. 2, 4, 19(1), (2), 21(1)b), 25, 31, 41, 48, 49, 54 - Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P‑21, art. 2, 3i), j), 8(2)m).

L’appelant a déposé auprès du ministère des Finances une requête visant à obtenir des copies des feuilles indiquant les nom et numéro d’identification que les employés qui étaient entrés au travail, pendant certaines fins de semaine, avaient signées à leur arrivée et à leur départ. Ces feuilles de présences étaient tenues à des fins de sécurité par le personnel de sécurité, et non pas dans le but de vérifier des demandes de rémunération d’heures supplémentaires. L’appelant comptait soumettre ces renseignements au syndicat dans l’espoir que celui‑ci les jugerait utiles dans le processus de négociation collective et qu’il serait, par conséquent, disposé à retenir ses services. L’intimé a communiqué les feuilles pertinentes, après y avoir cependant supprimé les nom, numéro d’identification et signature des employés, pour le motif que ces renseignements étaient des renseignements personnels qui étaient ainsi exemptés de communication. L’appelant a demandé en vain au Ministre de réviser cette décision et a déposé une plainte auprès du Commissaire à l’information, en faisant valoir que les renseignements supprimés devraient être communiqués en vertu des exceptions relatives aux renseignements personnels, prévues dans la Loi sur la protection des renseignements personnels. Lors de la révision de la décision du Ministre, la Section de première instance de la Cour fédérale a conclu qu’il ne s’agissait pas de renseignements personnels, mais cette décision a été infirmée en appel. Il s’agit ici de savoir si les renseignements contenus dans les feuilles de présences sont des «renseignements personnels» au sens de l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, et si le Ministre a omis d’exercer régulièrement son pouvoir discrétionnaire en refusant de communiquer les renseignements demandés conformément à l’al. 19(2)c) de la Loi sur l’accès à l’information et au sous-al. 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Arrêt (les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Gonthier et Major sont dissidents): Le pourvoi est accueilli.

Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Cory, McLachlin et Iacobucci: Il y a accord avec la façon dont le juge La Forest aborde l’interprétation de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, en particulier avec son affirmation qu’elles doivent être interprétées ensemble. Il y a également accord avec la façon générale dont le juge La Forest aborde l’interprétation de l’al. 3 «renseignements personnels» j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels (ci-après l’al. 3j)).

Le nombre d’heures passées au travail est un renseignement «portant sur» le poste ou les fonctions de l’intéressé, en ce qu’il permet de se faire une idée générale de la quantité de travail requise relativement au poste ou aux fonctions d’un employé donné. Pour la même raison, les renseignements demandés portent sur «les attributions [du] poste [du cadre ou de l’employé]» et relèvent de l’exception particulière prévue au sous‑al. 3j)(iii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Ces renseignements donnent une indication générale de l’étendue des attributions du poste. Il n’y a aucun aspect subjectif ni aucun élément d’évaluation dans une feuille de présences d’une personne au lieu de travail en dehors des heures normales de travail. Cette feuille donne plutôt des renseignements génériques sur le poste lui‑même.

Les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Gonthier et Major (dissidents): La Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels sont égales entre elles et doivent être mises à exécution également. Les tribunaux doivent tenir compte des objets des deux lois pour décider si les renseignements contenus dans un document de l’administration fédérale sont des «renseignements personnels». Les deux lois reconnaissent que, dans la mesure où il est visé par la définition de «renseignements personnels», contenue à l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le droit à la vie privée l’emporte sur le droit d’accès à l’information.

La loi en matière d’accès à l’information a pour objet général de favoriser la démocratie en aidant à garantir que les citoyens possèdent l’information nécessaire pour participer utilement au processus démocratique, et que les politiciens et bureaucrates demeurent comptables envers l’ensemble de la population. Bien que la Loi sur l’accès à l’information reconnaisse un droit d’accès général aux documents des institutions fédérales, il faut tenir compte de l’objectif général de cette loi pour déterminer s’il y a lieu de reconnaître une exception à ce droit général. L’objectif de la Loi sur la protection des renseignements personnels est de protéger les renseignements personnels relevant des institutions fédérales et d’assurer le droit d’accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent.

La définition de «renseignements personnels» donnée à l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels — «[l]es renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment» — indique que la disposition liminaire générale doit servir de principale source d’interprétation. L’énumération subséquente ne fait que donner des exemples du genre de sujets visés par la définition générale. La formulation est délibérément large et illustre tout à fait les efforts considérables qui ont été déployés pour protéger l’identité des individus. Elle est destinée à viser tout renseignement sur une personne donnée, sous la seule réserve d’exceptions précises.

En l’espèce, les renseignements demandés par l’appelant révélaient les heures pendant lesquelles des employés du ministère des Finances se trouvaient à leur lieu de travail pendant la fin de semaine au cours d’une période d’un mois. Il appert manifestement que ce sont des «renseignements [. . .] concernant un individu identifiable» au sens de l’art. 3. Ce sont donc, à première vue, des «renseignements personnels» au sens de l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Bien qu’il ne soit pas strictement nécessaire de le conclure, il est pertinent de mentionner que les employés de l’intimé s’attendaient raisonnablement à ce que l’information contenue dans les feuilles de présences ne soit pas communiquée au grand public. Une personne raisonnable ne s’attendrait pas à ce que des étrangers aient accès systématiquement à des renseignements détaillés concernant l’endroit où se trouve une personne en dehors des heures de travail, même si cet endroit est son lieu de travail.

Une fois qu’il a été jugé qu’un document relève de la disposition liminaire de la définition de l’expression «renseignements personnels», figurant à l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il n’est pas nécessaire d’examiner s’il correspond aussi à l’un des exemples précis, mais non exhaustifs, donnés aux al. a) à i). Il y a lieu de noter, toutefois, que les renseignements demandés par l’appelant en l’espèce sont nettement visés par l’al. i) qui stipule que l’expression «renseignements personnels» concernant un particulier vise notamment «son nom lorsque celui‑ci est mentionné avec d’autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet». En l’espèce, l’appelant n’a pas seulement demandé le nom des employés en question. Il voulait aussi connaître leurs heures d’arrivée et de départ. Les heures d’arrivée et de départ constituent ainsi «d’autres renseignements personnels» au sens de la première partie de l’al. i).

Il est également clair que la divulgation des noms mêmes, c.‑à‑d. sans les heures d’arrivée et de départ ou les signatures, révélerait des renseignements au sujet des individus concernés, au sens de la deuxième partie de l’al. i). Dans sa demande d’accès à des renseignements, l’appelant a demandé une copie des feuilles signées par des employés à certaines dates. Même si le Ministre ne divulguait que le nom des employés inscrits sur ces feuilles, cette divulgation révélerait que certaines personnes identifiables se trouvaient à leur lieu de travail ces jours‑là.

L’article 48 de la Loi sur l’accès à l’information impose à l’administration fédérale l’obligation d’établir le bien‑fondé de son refus de communiquer un dossier. Cette loi n’établit aucune distinction entre le point de savoir si un document contient des renseignements personnels à première vue, et celui de savoir s’il est visé par l’une des exceptions. Même dans le cas où on a démontré qu’un document contient des renseignements personnels à première vue, il incombe toujours à l’administration fédérale d’établir que ce document ne relève pas de l’une des exceptions prévues à l’art. 3.

La disposition relative aux renseignements personnels, contenue à l’art. 3, exclut les renseignements relatifs aux postes, mais non ceux concernant telle ou telle personne. Les renseignements relatifs au poste ne sont donc pas des «renseignements personnels», bien qu’ils puissent incidemment révéler quelque chose au sujet des personnes nommées. Par contre, les renseignements qui concernent principalement des personnes elles‑mêmes ou la manière dont elles choisissent d’accomplir les tâches qui leur sont confiées sont des «renseignements personnels». En général, les renseignements concernant le poste, les fonctions ou les attributions d’une personne sont du genre de ceux qu’on trouve dans la description de travail.

Les renseignements demandés en l’espèce ne concernent pas la nature d’un poste en particulier. Bien qu’ils puissent donner à l’appelant un vague aperçu des tendances de travail en fin de semaine, ils ne donnent aucune information exacte ou précise sur les attributions, fonctions ou heures de travail d’un employé en particulier. Ils révèlent plutôt les activités d’une personne donnée, qui peuvent être ou ne pas être liées à son travail. Même si on peut dire que les feuilles en question font état avec exactitude des heures supplémentaires effectuées par un employé, ces renseignements sont des «renseignements personnels». Les heures effectuées par des employés ne révèlent rien sur la nature ou le volume de leur travail.

Les noms figurant sur les feuilles de présences ne constituent pas un «document [que des individus ont] établi au cours de [leur] emploi». Premièrement, ces feuilles ne sont pas «établies» par les employés qui les signent; elles relèvent de la responsabilité d’agents de sécurité. Deuxièmement, elles ne sont pas établies «au cours de [l’]emploi» et n’ont rien à voir avec les attributions des postes des employés.

Une révision de novo de la décision du responsable de l’institution, prise en vertu du sous‑al. 8(2)(m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et suivant laquelle les raisons d’intérêt public justifiant la communication l’emportaient clairement sur toute atteinte à la vie privée, n’est pas exigée par l’art. 2 de la Loi sur l’accès à l’information, qui prévoit que les décisions quant à la communication sont susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif. Aux termes de l’art. 49 de cette loi, la cour qui procède à la révision doit déterminer si le responsable de l’institution fédérale qui a refusé communication d’un document était autorisé à la refuser. Si les renseignements demandés ne relèvent pas de l’une des exceptions au droit général d’accès, le responsable de l’institution fédérale concernée n’est pas autorisé à en refuser la communication, et la cour peut en ordonner la communication conformément à l’art. 49. Dans cette décision, la cour qui procède à la révision peut substituer son opinion à celle du responsable de l’institution fédérale concernée. La situation est cependant différente une fois qu’on a jugé que le responsable de l’institution fédérale est autorisé à refuser la communication. Il s’ensuit que l’art. 49 de la Loi sur l’accès à l’information n’autorise la cour à écarter la décision du responsable de l’institution fédérale que dans le cas où celui‑ci n’est pas autorisé à refuser la communication d’un document. Dans les cas où le document demandé contient des renseignements personnels, le responsable de l’institution fédérale est autorisé à en refuser la communication, et le pouvoir de révision de novo, énoncé à l’art. 49, est épuisé.

Aux termes du par. 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information, le responsable d’une institution fédérale a le pouvoir discrétionnaire de divulguer des renseignements personnels dans certains cas. Une décision n’échappe pas à la surveillance des tribunaux simplement parce qu’elle est fondée sur un pouvoir discrétionnaire. On peut alléguer qu’il y a eu abus du pouvoir discrétionnaire, mais lorsque ce pouvoir a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

Le Ministre a bien examiné la preuve et soigneusement soupesé les intérêts de principe qui s’opposaient. Il était en droit de conclure que les raisons d’intérêt public ne l’emportaient pas sur le droit à la vie privée. Si notre Cour écartait cette décision, cela reviendrait non seulement à substituer sa perception de l’affaire à celle que le Ministre en avait, mais aussi à porter gravement atteinte à l’objet de la loi en cause. L’omission du Ministre d’exposer des motifs complets et détaillés à l’appui de sa décision n’a causé aucune iniquité à l’appelant.

Conformément à l’art. 48 de la Loi sur l’accès à l’information, il incombe au responsable d’une institution fédérale d’établir «le bien‑fondé du refus» de communiquer un document demandé. Le Ministre s’est acquitté de cette obligation en démontrant que les feuilles de présences constituaient des «renseignements personnels». Une fois cela établi, la décision du Ministre de refuser de communiquer en application du sous‑al. 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne peut être susceptible de révision que pour le motif qu’elle constitue un abus de pouvoir discrétionnaire. Il n’«incombe» pas au Ministre de démontrer que sa décision était correcte, parce que sa décision ne peut pas faire l’objet d’un examen judiciaire selon la norme de la décision correcte. Le Ministre a soupesé les intérêts qui s’opposaient en l’espèce. Il est donc sans importance qu’il ait dit que l’appelant n’avait pas démontré que l’intérêt public devrait l’emporter sur les droits à la vie privée des employés inscrits sur les feuilles de présences.


Parties
Demandeurs : Dagg
Défendeurs : Canada (Ministre des Finances)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Arrêts examinés: Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), [1988] 3 C.F. 551
Rubin c. Greffier du Conseil privé (Can.) (1993), 62 F.T.R. 287.
Citée par le juge La Forest (dissident)
R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463
Église luthérienne évangélique St. Peter d’Ottawa c. Ville d’Ottawa, [1982] 2 R.C.S. 616
Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), [1988] 3 C.F. 551
Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Secrétaire d’État aux Affaires extérieures), [1990] 1 C.F. 395
Commissaire à l’information c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1986), 5 F.T.R. 287
Bland c. Commission de la capitale nationale, [1991] 3 C.F. 325
Rubin c. Canada (Société canadienne d’hypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265
R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417
Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145
R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151
R. c. Broyles, [1991] 3 R.C.S. 595
R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30
R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595
Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254
Order M-35 (Re Corporation of the Township of Osprey, 4 septembre 1992), [1992] O.I.P.C. no 119 (QL)
Order P-718 (Re Ontario Science Centre, 6 juillet 1994), [1994] O.I.P.C. no 211 (QL)
Order M-438 (Re Town of Amherstburg Police Services Board, 30 décembre 1994), [1994] O.I.P.C. no 434 (QL)
Katz c. United States, 389 U.S. 347 (1967)
R. c. Wong, [1990] 3 R.C.S. 36
R. c. Wise, [1992] 1 R.C.S. 527
R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281
Congrès juif canadien c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1996] 1 C.F. 268
Sutherland c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1994] 3 C.F. 527
Terry c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1994), 86 F.T.R. 266
MacKenzie c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1994), 88 F.T.R. 52
Thorne c. Newfoundland and Labrador Hydro Electric Corp. (1993), 109 Nfld. & P.E.I.R. 233
Rubin c. Greffier du Conseil privé (Can.) (1993), 62 F.T.R. 287
Orth c. Macdonald Dettwiler & Associates Ltd. (1986), 16 C.C.E.L. 41
Canada (Commissaire à l’information) c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1986] 3 C.F. 413
McHugh c. Union Bank of Canada, [1913] A.C. 299
Smith & Rhuland Ltd. c. The Queen, on the relation of Brice Andrews, [1953] 2 R.C.S. 95
Boulis c. Ministre de la Main‑d’{oe}uvre et de l’Immigration, [1974] R.C.S. 875
Vancouver (Ville de) c. Simpson, [1977] 1 R.C.S. 71
Isinger c. Buckland (Rural Municipality No. 491) (1986), 48 Sask. R. 207
Re Michelin Tires Manufacturing (Canada) Ltd. (1975), 13 N.S.R. 587
Grand Conseil des Cris (du Québec) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures et du Commerce international), [1996] A.C.F. no 903 (QL)
Kelly c. Canada (Solliciteur général) (1992), 53 F.T.R. 147
Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2
Supermarchés Jean Labrecque Inc. c. Flamand, [1987] 2 R.C.S. 219
Les Arsenaux Canadiens Ltée c. Conseil canadien des relations du travail, [1979] 2 C.F. 393
Macdonald c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 665
Northwestern Utilities Ltd. c. Ville d’Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 24(2).
Freedom of Information Act, R.S.N. 1990, ch. F‑25, art. 10(2)a).
Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 11, 12.
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A‑1, art. 2, 4 [mod. L.C. 1992, ch. 1, art. 144 (ann. VII, art. 1] 13, 19(1), (2), 21(1)b), 25, 31, 41, 48, 49, 53(2), 54.
Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. F.31.
Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. M.56.
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P‑21, art. 2, 3 «renseignements personnels» i), j), 8(2)m).
Doctrine citée
Association du Barreau canadien. Comité spécial sur la liberté d’information. La liberté d’information au Canada: un projet de loi type. Ottawa: L’Association, 1979.
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Proposition de citation de la décision: Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403 (26 juin 1997)


Origine de la décision
Date de la décision : 26/06/1997
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1997] 2 R.C.S. 403 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1997-06-26;.1997..2.r.c.s..403 ?
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