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26/06/1997 | CANADA | N°[1997]_2_R.C.S._462

Canada | États-Unis d'Amérique c. Dynar, [1997] 2 R.C.S. 462 (26 juin 1997)


États‑Unis d’Amérique c. Dynar, [1997] 2 R.C.S. 462

États‑Unis d’Amérique et l’honorable

Allan Rock, ministre de la Justice du Canada Appelants

c.

Arye Dynar Intimé

Répertorié: États‑Unis d’Amérique c. Dynar

No du greffe: 24997.

1997: 28 janvier; 1997: 26 juin.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel

de l’Ontario (1995), 25 O.R. (3d) 559, 85 O.A.C. 9, 101 C.C.C. (3d) 271, qui a accueilli l’appel interjeté par l’intimé contre une décision de ...

États‑Unis d’Amérique c. Dynar, [1997] 2 R.C.S. 462

États‑Unis d’Amérique et l’honorable

Allan Rock, ministre de la Justice du Canada Appelants

c.

Arye Dynar Intimé

Répertorié: États‑Unis d’Amérique c. Dynar

No du greffe: 24997.

1997: 28 janvier; 1997: 26 juin.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1995), 25 O.R. (3d) 559, 85 O.A.C. 9, 101 C.C.C. (3d) 271, qui a accueilli l’appel interjeté par l’intimé contre une décision de la Cour de l’Ontario (Division générale), [1994] O.J. No. 3940 (QL), ordonnant son incarcération en vue de son extradition, ainsi que sa demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre de la Justice d’ordonner son extradition. Pourvoi accueilli et pourvoi incident rejeté.

Robert W. Hubbard et Croft Michaelson, pour les appelants.

Frank Addario, pour l’intimé.

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges La Forest, L’Heureux-Dubé, Gonthier, Cory et Iacobucci rendu par

1. Les juges Cory et Iacobucci — La question soulevée par le présent pourvoi est de savoir si la conduite de l’intimé aux États‑Unis constituerait un crime si elle avait eu lieu au Canada, de manière à satisfaire à l’exigence de la «double incrimination» qui est une condition préalable à l’extradition d’un fugitif canadien en vue de son procès à l’étranger. La Cour doit examiner l’étendue de la responsabilité en matière de tentative et de complot en droit pénal canadien et elle doit décider plus particulièrement si l’impossibilité constitue un moyen de défense contre une accusation de tentative ou de complot au Canada.

2. Le pourvoi incident de l’intimé soulève la question de savoir si, pour garantir le caractère équitable de l’audience tenue relativement à son incarcération, il fallait lui reconnaître le droit à la communication de tous les éléments recueillis pendant l’enquête et en la possession de l’État requérant ou des autorités canadiennes. Plus précisément, on demande à la Cour de décider s’il avait droit à la communication de l’information relative à la participation des autorités canadiennes à l’enquête afin d’établir qu’il y a eu violation de ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

I. Les faits

3. Le citoyen canadien Arye Dynar a été l’objet d’une opération d’infiltration menée sans succès par un agent du Federal Bureau of Investigation des États‑Unis. M. Dynar a été mis en accusation avec Maurice Cohen, également citoyen canadien, devant la cour de district des États‑Unis du Nevada. L’acte d’accusation américain comportait, à la fois contre M. Dynar et contre M. Cohen, un chef de tentative de recyclage des produits de la criminalité en contravention du par. 1956(a)(3) du titre 18 du United States Code, et un chef de complot en vue d’enfreindre le par. 1956(a)(3) du titre 18 du United States Code en contravention de l’art. 371 du titre 18 du United States Code. Le gouvernement des États‑Unis a demandé leur extradition par note diplomatique en date du 30 novembre 1992. Le présent pourvoi se rapporte à la demande présentée pour l’extradition de M. Dynar.

4. Les événements à l’origine de la mise en accusation ont débuté par l’appel téléphonique que M. Dynar a fait le 2 janvier 1990, du Canada, à Lucky Simone, un ancien associé qui vivait au Nevada. M. Dynar était apparemment à la recherche d’investisseurs pour une opération commerciale aux États‑Unis. Lucky Simone était devenu, à l’insu de M. Dynar, informateur de l’agent William Matthews du FBI. Mis au courant de l’appel de M. Dynar, l’agent Matthews a demandé à M. Simone de rappeler M. Dynar. M. Simone a consenti à ce que l’agent Matthews enregistre la conversation.

5. Selon la preuve par affidavit présentée par l’État requérant, au cours des années 80, M. Dynar avait été l’objet d’enquêtes aux États‑Unis relativement au recyclage de grosses sommes d’argent provenant du Nevada. La participation de l’agent Matthews à l’enquête sur les activités de M. Dynar a débuté en 1988. L’agent Matthews a témoigné que, lorsque M. Dynar a pris contact avec Lucky Simone en 1990, il a décidé de chercher à savoir si M. Dynar était toujours mêlé au recyclage des produits de la criminalité. Il a demandé à M. Simone de présenter à M. Dynar un autre informateur appelé «Anthony». Anthony devait demander à M. Dynar s’il accepterait de recycler de grosses sommes provenant d’un trafic illicite. M. Dynar a accepté avec empressement la demande d’Anthony.

6. Un très grand nombre de conversations entre les deux hommes ont été enregistrées au fil de quelques mois. À chaque fois, Anthony était à Las Vegas, au Nevada, et M. Dynar était au Canada. M. Dynar et Anthony ont finalement convenu d’une première rencontre. Elle devait permettre à Anthony de confier l’argent à recycler à M. Dynar, et amorcer une collaboration dans le cadre de laquelle M. Dynar devait recycler régulièrement de l’argent pour Anthony. Au cours de plusieurs de ces conversations, il a été clairement dit que l’argent à recycler provenait du trafic de stupéfiants. M. Dynar a insisté plus d’une fois pour que ce soit de grosses sommes afin que cela en vaille la peine. Les conversations ont aussi révélé que M. Dynar avait un associé appelé «Moe», qui a par la suite été identifié comme étant Maurice Cohen. L’agent Matthews a enregistré toutes les conversations à Las Vegas conformément aux règles de droit applicables aux États‑Unis où le consentement d’un seul interlocuteur suffit pour que l’interception soit légale. L’agent spécial Charles Pine, de l’Internal Revenue Service (IRS), a pu reconnaître la voix de Maurice Cohen en fond sonore de plusieurs des conversations.

7. Les autorités américaines avaient d’abord prévu que la remise des fonds à M. Dynar se ferait aux États‑Unis. Mais M. Dynar croyait qu’il était l’objet d’un acte d’accusation sous pli scellé aux États‑Unis, eu égard au recyclage de très grosses sommes d’argent, et que, s’il se rendait dans ce pays, il serait arrêté. Il a donc été convenu que l’associé de M. Dynar, Maurice Cohen, rencontrerait l’associé d’Anthony à Buffalo. M. Cohen devait apporter l’argent à Toronto, où M. Dynar devait le recycler. L’argent devait ensuite être rapporté à Buffalo par M. Cohen le jour suivant, après déduction de la commission versée à M. Dynar.

8. À Buffalo, M. Cohen a rencontré l’agent spécial Dennis McCarthy de l’IRS, qui s’est fait passer pour l’associé d’Anthony. Les conversations qui ont eu lieu entre eux en préparation de la remise des fonds ont été enregistrées par l’agent McCarthy. Elles comportent plusieurs affirmations selon lesquelles M. Cohen travaillait pour M. Dynar, de même que des explications sur l’organisation matérielle du recyclage d’argent. Finalement, l’argent n’a pas été remis à M. Cohen. Le FBI a interrompu l’opération en faisant semblant d’arrêter l’agent McCarthy juste avant la remise des fonds. Monsieur Cohen a été autorisé à rentrer au Canada.

9. L’audience relative à l’incarcération, prévue à l’art. 13 de la Loi sur l’extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, a été tenue devant le juge Keenan de la Cour de l’Ontario (Division générale). Au soutien de la demande d’extradition de MM. Dynar et Cohen, les États‑Unis, à titre d’État requérant, ont présenté les affidavits des enquêteurs et les transcriptions des enregistrements des conversations téléphoniques. La décision d’incarcérer M. Dynar en vue de son extradition est fondée sur cette preuve.

10. Présumant qu’il n’y avait eu aucune participation des autorités canadiennes à l’enquête, le juge Keenan a réprouvé la conduite de l’enquête par les autorités américaines. Par la suite, il est devenu évident que les autorités canadiennes avaient bien été consultées et informées au sujet des diverses étapes de l’enquête. Une lettre envoyée par un avocat du gouvernement fédéral américain au ministère de la Justice du Canada en réaction à la décision du juge Keenan indique que des mesures de coopération avaient été prises officiellement et avaient permis l’échange d’informations entre les autorités américaines et les autorités canadiennes au sujet des agissements de M. Dynar.

11. Dans des observations écrites adressées au ministre de la Justice avant qu’il ne décide d’extrader M. Dynar, l’avocat de M. Dynar s’est plaint du fait que la participation canadienne à l’enquête n’avait pas été divulguée. Il a aussi, à deux reprises, tenté d’obtenir du ministre la communication complète des documents rendant compte des rapports entre les autorités canadiennes et les autorités américaines. Dans les deux cas, la communication a été refusée pour le motif que le ministère de la Justice ne possédait pas l’information demandée et que, de toute façon, il n’y avait pas lieu de l’accorder dans le contexte de l’extradition. Dans les observations présentées au ministre, l’avocat de M. Dynar a aussi invoqué des motifs humanitaires liés à certains problèmes de santé de M. Dynar et il a soutenu que M. Dynar devrait être poursuivi au Canada. Toutes ces observations ont été écartées par le ministre, qui a refusé de reprendre l’audience d’extradition à la demande de M. Dynar et a ordonné qu’il soit extradé en vue de son procès aux États‑Unis.

12. M. Dynar a formé un appel devant la Cour d’appel de l’Ontario contre la décision du juge Keenan de l’incarcérer, et il a demandé le contrôle judiciaire de la décision du ministre d’ordonner son extradition. Le juge Galligan, au nom de la cour unanime, a accueilli l’appel et la demande de contrôle judiciaire pour le motif que les agissements de M. Dynar ne constitueraient pas une infraction criminelle au Canada, même s’ils étaient incriminés en vertu du droit applicable aux États‑Unis: (1995), 25 O.R. (3d) 559, 85 O.A.C. 9, 101 C.C.C. (3d) 271. M. Dynar a donc été libéré.

13. Le ministre de la Justice et les États‑Unis ont interjeté appel de la libération de M. Dynar, et ce dernier a formé un pourvoi incident.

II. Législation applicable

14. Les dispositions applicables ne sont pas les dispositions américaines en vertu desquelles M. Dynar a été mis en accusation, mais les dispositions du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, et de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. (1985), ch. N‑1. Ce sont ces dispositions qui déterminent si les agissements de M. Dynar aux États‑Unis constituaient des infractions au Canada; voir l’arrêt McVey (Re); McVey c. États-Unis d’Amérique, [1992] 3 R.C.S. 475.

15. La disposition du Code criminel qui crée l’infraction matérielle précise de «recyclage des produits de la criminalité» est libellée de la façon suivante:

462.31 (1) Est coupable d’une infraction quiconque — de quelque façon que ce soit — utilise, enlève, envoie, livre à une personne ou à un endroit, transporte, modifie ou aliène des biens ou leurs produits — ou en transfère la possession — dans l’intention de les cacher ou de les convertir sachant qu’ils ont été obtenus ou proviennent, en totalité ou en partie, directement ou indirectement:

a) soit de la perpétration, au Canada, d’une infraction de criminalité organisée ou d’une infraction désignée en matière de drogue;

b) soit d’un acte ou d’une omission survenu à l’extérieur du Canada qui, au Canada, aurait constitué une infraction de criminalité organisée ou une infraction désignée en matière de drogue.

16. La Loi sur les stupéfiants prévoit une infraction semblable:

19.2 (1) Commet une infraction quiconque — de quelque façon que ce soit — utilise, enlève, envoie, livre à une personne ou à un endroit, transporte, modifie ou aliène des biens ou leurs produits — ou en transfère la possession — dans l’intention de les cacher ou de les convertir sachant qu’ils ont été obtenus ou proviennent, en totalité ou en partie, directement ou indirectement:

a) soit de la perpétration, au Canada, d’une infraction prévue aux articles 4, 5 ou 6;

b) soit d’un acte ou d’une omission survenu à l’extérieur du Canada et qui, au Canada, aurait constitué une telle infraction.

17. Les dispositions du Code criminel relatives à la responsabilité pénale en matière de tentative et de complot sont les suivantes:

24. (1) Quiconque, ayant l’intention de commettre une infraction, fait ou omet de faire quelque chose pour arriver à son but est coupable d’une tentative de commettre l’infraction, qu’il fût possible ou non, dans les circonstances, de la commettre.

(2) Est une question de droit la question de savoir si un acte ou une omission par une personne qui a l’intention de commettre une infraction est ou n’est pas une simple préparation à la perpétration de l’infraction, et trop lointaine pour constituer une tentative de commettre l’infraction.

465. (1) Sauf disposition expressément contraire de la loi, les dispositions suivantes s’appliquent à l’égard des complots:

. . .

c) quiconque complote avec quelqu’un de commettre un acte criminel que ne vise pas l’alinéa a) ou b) est coupable d’un acte criminel et passible de la même peine que celle dont serait passible, sur déclaration de culpabilité, un prévenu coupable de cette infraction;

18. Finalement, la Loi sur l’extradition, modifiée par L.C. 1992, ch. 13, détermine le rôle du juge d’extradition à l’audience relative à l’incarcération. Les dispositions suivantes sont particulièrement pertinentes dans le présent pourvoi:

9. . . .

(3) Dans le cadre de la Loi constitutionnelle de 1982, un juge de cour supérieure ou de cour de comté conserve les compétences qu’il a en cette qualité, dans l’exercice des fonctions qu’il est tenu d’accomplir en appliquant la présente loi.

13. Le fugitif doit comparaître devant un juge; l’audition se déroule, dans la mesure du possible et sous réserve des autres dispositions de la présente partie, comme s’il comparaissait devant un juge de paix pour un acte criminel commis au Canada.

18. (1) Le juge délivre un mandat de dépôt portant incarcération du fugitif dans la prison appropriée la plus rapprochée en attendant la remise de celui‑ci à l’État étranger ou sa libération conformément à la loi:

. . .

b) dans le cas où le fugitif n’est qu’accusé d’un crime donnant lieu à l’extradition, lorsque les éléments de preuve produits justifieraient en droit canadien, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, sa citation à procès si le crime avait été commis au Canada.

III. Juridictions inférieures

A. La Cour de justice de l’Ontario (Division générale), [1994] O.J. No. 3940 (QL)

19. Le juge Keenan a décidé que la preuve recueillie par écoute électronique, [traduction] «si elle est admissible, suffit pour qu’un jury qui a reçu des directives appropriées conclu que Dynar et Cohen avaient convenu de participer à l’exécution d’un projet de recyclage de fonds obtenus illicitement et que la rencontre de Cohen avec McCarthy à Buffalo était un acte accompli en vue de la réalisation de ce complot» (par. 3). Il était aussi d’avis que les agissements de M. Dynar et de M. Cohen pouvaient constituer l’infraction de tentative de recyclage des produits de la criminalité.

20. Le juge Keenan a fait remarquer que l’interception des conversations au moyen de l’écoute électronique avait été faite [traduction] «sans motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction avait été commise» (par. 5). L’interception faisait partie d’une opération d’infiltration et il n’y avait pas de projet de recyclage d’argent. Il a noté que, si l’autorisation judiciaire de faire l’écoute électronique avait été demandée au Canada, elle n’aurait pas été obtenue. Par ailleurs, on ne pouvait exercer un recours fondé sur la Charte, parce que l’atteinte ne résultait pas de l’action de l’État canadien et que les autorités canadiennes n’y avaient pas collaboré. Il a conclu que le simple fait que la preuve ait été utilisée dans des procédures d’extradition canadiennes n’entraînait pas l’application de la Charte.

21. Le juge Keenan a affirmé que les modifications apportées en 1992 à la Loi sur l’extradition visaient à résoudre le problème des retards et de la multiplicité des procédures en matière d’extradition. Le paragraphe 9(3) de la Loi sur l’extradition supprime l’obligation faite au fugitif dans une instance d’extradition de présenter une demande d’habeas corpus pour obtenir une réparation fondée sur la Charte. Le juge d’extradition, à titre de juge d’une cour supérieure, est un «tribunal compétent» pour l’application de l’art. 24 de la Charte. Mais la disposition limite le pouvoir du juge d’extradition d’accorder cette réparation aux fonctions que le juge exerce en vertu de la Loi. Par conséquent, le juge Keenan était d’avis que la possibilité de demander une réparation fondée sur la Charte dans une procédure relative à l’incarcération est limitée aux atteintes qui affectent directement l’audience et les procédures établies par la Loi, et peut aussi inclure les retards abusifs. Cependant, étant donné qu’aucun représentant du gouvernement canadien n’avait enfreint la Charte, il n’était pas nécessaire d’examiner l’étendue des réparations fondées sur la Charte admises sous le régime du par. 9(3).

22. Le juge Keenan a reconnu que le rôle dévolu au juge d’extradition sous le régime de la Loi sur l’extradition est modeste. Il se limite à l’examen de la preuve produite pour s’assurer qu’elle est conforme aux exigences de la Loi et qu’elle suffit pour révéler une conduite qui constituerait une infraction si elle avait eu lieu au Canada. Bien que la preuve en l’espèce satisfaisait à ce critère, le juge Keenan a cru nécessaire de faire des commentaires, dans le cadre de son obligation de présenter un rapport en vertu de l’al. 19b) de la Loi sur l’extradition, sur la méthode utilisée par l’État requérant pour recueillir cette preuve.

23. Dans son rapport au ministre de la Justice, le juge Keenan s’est montré sévère à l’égard de la conduite des autorités américaines. Il a qualifié leur action dans l’enquête sur M. Dynar de «recherche à l’aveuglette» transfrontalière qui dénote un manque de respect pour la souveraineté du Canada. Il a condamné le FBI pour n’avoir pas invoqué les traités d’entraide judiciaire afin d’obtenir l’aide du Canada pour recueillir des éléments de preuve au Canada, et il a conclu que [traduction] «[d]élibérément ou accidentellement, les agents du FBI ont fait fi de la courtoisie entre nations et ont agi comme si le Canada relevait de leur compétence à des fins de recherche de la preuve» (par. 30). Il s’est dit d’avis que l’agent Matthews n’avait pas de motifs raisonnables de croire qu’une infraction était en train d’être commise ou le serait.

24. Néanmoins, le juge Keenan a conclu que toutes les conditions pour l’extradition de M. Dynar avaient été remplies et il a décerné un mandat de dépôt contre lui.

B. Le ministre de la Justice

25. Le ministre de la Justice a écrit à l’avocat de M. Dynar pour lui faire savoir que, bien que la participation des agents canadiens à l’enquête n’ait pas été divulguée préalablement à l’audience relative à l’incarcération, il n’était pas convaincu qu’il y avait lieu de rouvrir les débats. Bien que le juge Keenan ait fait des remarques, dans les motifs de la décision portant incarcération, sur l’absence de participation du Canada, [traduction] «cela ne constituait pas le fondement de sa conclusion voulant que la Charte ne s’applique pas au processus de recherche et de découverte de la preuve des autorités américaines en l’espèce».

26. Le ministre a souligné que les enquêtes avaient été menées aux États‑Unis et que c’est dans ce pays que les conversations de M. Dynar avaient été interceptées. Par conséquent, il était d’avis que le par. 24(2) de la Charte ne pouvait être appliqué de manière à écarter les éléments de preuve recueillis aux États‑Unis. Bien qu’il ait convenu que sa décision d’extrader M. Dynar devait être conforme aux dispositions de la Charte, et que l’extradition dans certaines circonstances puisse violer les principes de justice fondamentale, il a conclu qu’aucun des éléments du dossier de M. Dynar ne rendait son extradition inacceptable ou abusive.

27. Le ministre a rejeté l’allégation de l’avocat de M. Dynar selon laquelle l’âge et la santé de M. Dynar justifiaient le rejet de la demande d’extradition. Rien n’indiquait que M. Dynar était incapable de subir son procès, et aucune preuve n’a été présentée quant à une aggravation possible de son état de santé s’il était extradé. De plus, si un traitement était requis, il serait disponible aux États‑Unis.

28. Le ministre a signé les mandats d’extradition de M. Dynar.

C. La Cour d’appel de l’Ontario (1995), 25 O.R. (3d) 559

29. Le juge Galligan a énoncé la question soulevée en l’espèce. Le droit américain permet la condamnation des personnes impliquées dans le recyclage d’argent au terme d’une opération d’infiltration policière, mais le droit canadien ne le permet pas. Plus particulièrement, la constitution de l’infraction canadienne de recyclage des produits de la criminalité exige non seulement que l’argent recyclé soit effectivement le produit de la criminalité, mais aussi que l’accusé l’ait su. L’infraction américaine est consommée dès que la personne passe à l’action après avoir été informée que le bien est le produit de la criminalité. Il n’est pas nécessaire que l’argent soit effectivement le produit de la criminalité et la connaissance véritable des faits n’est pas nécessaire.

30. Le juge Galligan a reconnu que le critère permettant d’établir s’il y a eu perpétration d’un crime donnant lieu à l’extradition repose sur la conduite. Cependant, étant donné que le Code criminel et la Loi sur les stupéfiants font de la connaissance véritable des faits un élément de l’infraction de recyclage des produits de la criminalité, il était d’avis qu’ [traduction] «il serait manifestement injuste de se servir des règles du droit relatives aux tentatives et aux complots pour élever au rang de crime donnant lieu à l’extradition une conduite qui n’est pas de cette nature» (p. 567).

31. Le juge Galligan a conclu qu’il n’était pas nécessaire de prendre en considération la théorie des tentatives d’infractions impossibles, statuant que la vraie question était de savoir si l’élément moral de l’infraction de tentative ou de complot peut être différent de celui de l’infraction matérielle précise. Selon lui, la connaissance et la croyance sont des états d’esprit distincts en droit. L’intention de l’infraction de tentative doit être le reflet de l’intention de l’infraction matérielle précise correspondante. Étant donné que la connaissance est essentielle à la perpétration de l’infraction de recyclage des produits de la criminalité, la tentative de recyclage des produits de la criminalité ne peut être constituée que si l’accusé a l’intention d’utiliser de l’argent qu’il sait être d’origine criminelle.

32. En outre, le juge Galligan a indiqué que l’essence d’un complot au sens du Code criminel est l’entente en vue de commettre un acte criminel. L’accord conclu entre M. Dynar et M. Cohen était une entente en vue d’utiliser de l’argent qu’ils croyaient être le produit de la criminalité, ce qui ne constitue pas une infraction au Canada. Il ne pouvait pas justifier la substitution de l’élément moral, savoir le remplacement de la connaissance par la croyance, dans le cas d’une accusation de complot en vue de recycler des produits de la criminalité. Faute de connaissance, l’accord conclu entre M. Dynar et M. Cohen n’était pas un complot en vue de recycler des produits de la criminalité en vertu du Code criminel ni en vertu de la Loi sur les stupéfiants.

33. Par conséquent, le juge Galligan était d’avis que la conduite de M. Dynar ne constituait pas une infraction au Canada et que ce dernier ne pouvait être extradé. De plus, comme M. Dynar aurait dû être libéré en application du par. 18(2) de la Loi sur l’extradition, le ministre n’avait pas le droit d’ordonner son extradition. L’appel formé contre l’incarcération et la demande de contrôle judiciaire de la décision d’extradition prise par le ministre ont donc été accueillis, les deux décisions ont été annulées et M. Dynar a été libéré.

34. Finalement, le juge Galligan s’est dit en désaccord avec l’opinion du juge Keenan selon laquelle les autorités américaines avaient piégé M. Dynar. Il était d’avis qu’il y avait des motifs raisonnables de soupçonner qu’une infraction était en train d’être commise après que M. Dynar eut tenté pour la première fois de communiquer avec son associé de Las Vegas. En outre, l’agent américain s’est contenté de fournir à M. Dynar l’occasion de commettre l’infraction. Il n’y a eu aucune incitation indue. Finalement, le juge Galligan a conclu que la preuve ne comportait aucun élément permettant de critiquer la conduite des enquêteurs américains. Les autres éléments de preuve divulgués après l’audience ont révélé le respect voulu pour la souveraineté du Canada et une consultation adéquate des agents américains avec les agents canadiens chargés d’appliquer la loi.

IV. Les questions en litige

35. La principale question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si les agissements de M. Dynar auraient constitué une infraction en vertu du droit canadien s’ils avaient eu lieu au Canada. Cette question se divise en deux parties: l’accusé qui tente d’accomplir l’«impossible» peut-il être coupable de tentative et l’accusé qui complote avec un tiers en vue d’accomplir l’«impossible» peut-il être coupable de complot?

36. Quant au pourvoi incident, la question est de savoir si les autorités canadiennes ont porté atteinte au droit de M. Dynar à un procès équitable, lequel est garanti par la Constitution, en ne communiquant pas à M. Dynar des renseignements concernant la participation officielle du Canada à l’enquête que les É.‑U. menaient sur lui.

V. Analyse

A. Le caractère criminel des agissements de M. Dynar en droit canadien

(1) Introduction

37. À notre avis, les agissements de M. Dynar auraient constitué une tentative et un complot criminels en droit canadien.

38. L’accusé ne peut être extradé du Canada, sauf s’il apparaît que ses agissements, s’ils avaient eu lieu au Canada, auraient constitué un crime en droit canadien; voir la Loi sur l’extradition, al. 18(1)b). M. Dynar s’oppose à son extradition pour le motif qu’il n’a rien fait qui soit prohibé par le droit pénal canadien. Les appelants soutiennent que, si M. Dynar avait fait au Canada ce qu’il a fait (par téléphone) aux États‑Unis, il serait coupable des crimes de tentative et de complot.

39. Il est clair que, si M. Dynar avait mis à exécution au Canada, un projet comme celui dans lequel il s’est engagé aux États‑Unis, il n’aurait été coupable d’aucune infraction consommée connue en droit canadien. Le recyclage de sommes d’argent que l’on croit être des produits de la criminalité, mais qui dans les faits n’en sont pas, n’était pas, à l’époque en cause dans le présent pourvoi, une infraction au Canada.

40. Deux dispositions législatives (le par. 462.31(1) du Code criminel et le par. 19.2(1) de la Loi sur les stupéfiants) permettaient aux autorités canadiennes de poursuivre les auteurs de projets de recyclage d’argent du type de celui que M. Dynar a essayé de réaliser. Toutefois, pour que l’accusé puisse être déclaré coupable, l’une et l’autre nécessitaient que celui-ci ait su que l’argent à convertir était le produit de la criminalité:

462.31 (1) Est coupable d’une infraction quiconque — de quelque façon que ce soit — utilise, enlève, envoie, livre à une personne ou à un endroit, transporte, modifie ou aliène des biens ou leurs produits — ou en transfère la possession — dans l’intention de les cacher ou de les convertir sachant qu’ils ont été obtenus ou proviennent, en totalité ou en partie, directement ou indirectement [de la perpétration d’une infraction désignée].

19.2 (1) Commet une infraction quiconque — de quelque façon que ce soit — utilise, enlève, envoie, livre à une personne ou à un endroit, transporte, modifie ou aliène des biens ou leurs produits — ou en transfère la possession — dans l’intention de les cacher ou de les convertir sachant qu’ils ont été obtenus ou proviennent, en totalité ou en partie, directement ou indirectement [de la perpétration d’une infraction désignée]. [Nous soulignons.]

41. Parce que celui qui «sait» connaît forcément la vérité, nul ne commet ces infractions s’il convertit de l’argent qui n’est pas effectivement le produit de la criminalité. Cette conclusion ressort clairement du sens du mot «savoir». Dans la tradition juridique occidentale, la connaissance s’entend de la croyance conforme à la réalité: [traduction] «Le mot «savoir» renvoie exclusivement à la connaissance véritable; l’on ne peut affirmer «savoir» sans connaître la vérité» (Glanville Williams, Textbook of Criminal Law (2e éd. 1983), à la p. 160).

42. En accord avec la définition donnée au mot «connaissance» par le professeur Williams, notre Cour a dit précédemment que pour prouver la connaissance, il faut établir la réalité de l’objet «connu». Par exemple, dans l’arrêt R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, la Cour a examiné la validité d’une disposition incriminant la publication intentionnelle d’une déclaration que l’éditeur savait fausse. La Cour a interprété cette disposition comme exigeant du ministère public la preuve que l’accusé avait publié une déclaration qui était bel et bien fausse (à la p. 747).

43. D’autres décisions vont dans le même sens. Dans l’arrêt R. c. Vogelle and Reid, [1970] 3 C.C.C. 171, à la p. 177, la Cour d’appel du Manitoba a déclaré que [traduction] «[p]our qu’un accusé soit déclaré coupable du recel [. . .] de biens [sachant que ce sont des biens volés], il est essentiel que le ministère public prouve hors de tout doute raisonnable [. . .] [q]ue les biens sont des biens volés». Vingt‑cinq ans plus tard, la même cour a statué, dans l’arrêt R. c. Stevens (1995), 96 C.C.C. (3d) 238, à la p. 307, que pour établir la perpétration de l’infraction de «publication d’un libelle diffamatoire que l’on sait être faux», il faut absolument prouver que, de fait, le libelle est faux.

44. La seule note apparemment discordante est l’arrêt R. c. Irwin, [1968] 2 C.C.C. 50 (C.S.D.A. Alb.), où la cour a statué qu’un accusé qui avait vendu de la drogue à un policier en civil, en vue d’aider à provoquer l’avortement d’une femme, était coupable de l’infraction de «fourni[r] [. . .] une [. . .] substance délétère [. . .] sachant qu’elle est destinée à être employée ou utilisée pour obtenir l’avortement d’une personne du sexe féminin». La Division d’appel a tiré cette conclusion même si le policier en civil n’avait pas l’intention d’obtenir un avortement. En appel, notre Cour a confirmé l’arrêt de la division d’appel, mais pour le motif que les mots «sachant qu’elle est destinée à être employée ou utilisée pour obtenir l’avortement d’une personne du sexe féminin» renvoyaient à l’intention de la personne qui vendait la substance délétère, non à celle de la personne qui l’achetait. Puisque l’accusé connaissait certainement sa propre intention, qui était de vendre une substance délétère en vue de fournir à quelqu’un les moyens d’obtenir un avortement, la Cour a conclu que l’exigence en matière de connaissance avait été respectée; voir Irwin c. The Queen, [1968] R.C.S. 462, à la p. 465. En définitive, l’arrêt Irwin est compatible avec les autres décisions portant sur le sens du mot «sachant». La Cour n’a pas conclu dans Irwin qu’il était possible de savoir sans connaître la vérité. Elle a plutôt conclu que l’accusé savait bel et bien ce que la loi exigeait qu’il sache, soit sa propre intention.

45. Toujours à l’appui du point de vue voulant que la connaissance suppose la vérité, l’intimé invoque un projet de loi fédéral (Projet de loi C-17) visant à modifier les dispositions relatives au recyclage des produits de la criminalité de manière à remplacer le mot «sachant» par les mots «sachant ou croyant». Les modifications envisagées pourraient donner à penser que, dans l’esprit du législateur, les dispositions actuelles relatives au recyclage d’argent ne visent pas à punir celui qui croit simplement qu’il convertit les produits de la criminalité. Mais d’après nous, cet argument repose sur une erreur de raisonnement. Ce que les auteurs appellent l’«évolution législative subséquente» ne peut jeter aucune lumière sur l’intention du législateur, qu’il soit fédéral ou provincial. Tout au plus, les modifications législatives révèlent l’interprétation que le législateur actuel donne à l’{oe}uvre d’un prédécesseur. Et, en matière d’interprétation de la loi, c’est le jugement des tribunaux, et non celui des législateurs, qui importe. Il appartient aux juges de déterminer quelle était l’intention du législateur qui a adopté la loi.

46. Le législateur lui‑même l’a admis dans la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, au par. 45(3):

L’abrogation ou la modification, en tout ou en partie, d’un texte ne constitue pas ni n’implique une déclaration sur l’état antérieur du droit.

De plus, la consultation de l’«évolution législative subséquente» comme aide à l’interprétation de lois antérieures reviendrait à accorder aux lois adoptées subséquemment un effet rétroactif, et, comme notre Cour l’a fait observer à maintes reprises, les lois ne doivent pas être appliquées rétroactivement sauf dans les cas les plus clairs:

La situation est toute autre lorsque l’on est en présence d’une loi subséquente aux faits qui ont donné lieu au litige. La décision sur le sens de la législation antérieure est alors du ressort exclusif des tribunaux. En s’abstenant de donner au texte nouveau l’effet rétroactif ou déclaratoire, le législateur évite de se prononcer sur l’état antérieur du droit et laisse aux tribunaux le soin de le faire.

(Gravel c. Cité de St‑Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660, à la p. 667).

47. Étant donné que l’argent que les agents d’infiltration américains ont demandé à M. Dynar de recycler n’était pas réellement le produit de la criminalité, M. Dynar ne pouvait savoir qu’il s’agissait du produit de la criminalité. Par conséquent, même s’il avait pu réaliser son projet, il n’aurait été coupable d’aucune infraction consommée connue en droit canadien. Mais ce n’est pas tout.

48. Nous concluons que les efforts déployés par M. Dynar en vue de la réalisation de son projet de recyclage d’argent auraient constitué une tentative et un complot criminels en droit canadien si tous les agissements en question avaient eu lieu au Canada. Nous arrivons à cette conclusion en nous fondant sur le libellé des dispositions applicables du Code criminel, que nous interprétons à la lumière de la théorie sous‑jacente des tentatives d’infractions et des complots impossibles.

(2) Le droit applicable en matière de tentative

49. Le Code criminel incrimine la tentative d’infraction:

24. (1) Quiconque, ayant l’intention de commettre une infraction, fait ou omet de faire quelque chose pour arriver à son but est coupable d’une tentative de commettre l’infraction, qu’il fût possible ou non, dans les circonstances, de la commettre. [Nous soulignons.]

À première vue, le législateur ne s’intéresse pas au résultat. Par conséquent, il importe peu, de prime abord, qu’il soit impossible pour M. Dynar de recycler des sommes d’argent qu’il sait être les produits de la criminalité. Il suffit qu’il ait tenté de le faire pour être coupable d’un crime.

50. À notre avis, le par. 24(1) est clair: le crime de tentative consiste en l’intention de commettre l’infraction, constituée dans tous ses éléments, jointe à l’accomplissement d’actes dépassant le stade des actes simplement préparatoires à l’infraction. Cette proposition s’appuie sur de nombreuses décisions. Voir, p. ex., R. c. Cline (1956), 115 C.C.C. 18 (C.A. Ont.), à la p. 29; R. c. Ancio, [1984] 1 R.C.S. 225, à la p. 247; R. c. Deutsch, [1986] 2 R.C.S. 2, aux pp. 19 à 26; R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723, au par. 19. En l’espèce, suffisamment d’éléments de preuve ont été produits pour établir que M. Dynar avait l’intention de commettre l’infraction de recyclage des produits de la criminalité et qu’il a pris des moyens, qui ne sont pas simplement des actes préparatoires, pour concrétiser son intention. Cela suffit pour établir qu’il a tenté de recycler des produits de la criminalité en contravention du par. 24(1) du Code criminel.

51. Cependant, l’intimé soutient que le législateur n’avait pas l’intention, par l’adoption du par. 24(1), d’incriminer toutes les tentatives d’infractions impossibles, mais seulement celles que la common law a rangées dans la catégorie des «impossibilités de fait». Selon l’intimé, en cas d’impossibilité de fait, le projet criminel se heurte à un obstacle et pour cette raison, il échoue. Le voleur à la tire qui plonge la main dans la poche d’un passant avec l’intention d’en retirer le porte‑monnaie et découvre que la poche est vide, en est l’exemple typique.

52. Traditionnellement, ce genre d’impossibilité a été opposée à l’«impossibilité de droit». Selon ceux qui font cette distinction, dans ce cas, le projet criminel ne peut réussir car même si son exécution est achevée, aucun crime n’a été commis; voir Eric Colvin, Principles of Criminal Law (2e éd. 1991), aux pp. 355 et 356.

53. Selon l’intimé, le Code criminel ne réprime les tentatives d’infractions impossibles que dans les cas d’impossibilités de fait. La tentative d’infraction impossible en droit n’est pas un crime à moins que la loi ne renvoie expressément à ce type d’impossibilité.

54. Au soutien de cette interprétation, l’intimé avance deux arguments. Le premier veut que le législateur ait rédigé le par. 24(1) en s’inspirant d’une disposition anglaise qui visait à renverser un arrêt de la Chambre des lords qui avait consacré l’impossibilité de fait comme moyen de défense; voir Barry Brown, ««Th’ attempt, and not the deed, Confounds us»: Section 24 and Impossible Attempts» (1981), 19 U.W.O. L. Rev. 225, aux pp. 228 et 229. S’appuyant sur cet argument, la Cour d’appel de la Nouvelle‑Zélande a accepté l’idée que le pendant néo‑zélandais du par. 24(1) criminalise la tentative d’infraction impossible en fait, mais non la tentative d’infraction impossible en droit; voir R. c. Donnelly, [1970] N.Z.L.R. 980 (C.A.), aux pp. 984 et 988.

55. Le second argument de l’intimé est que le législateur, s’il avait voulu incriminer la tentative d’infraction impossible en droit, aurait utilisé les mots «qu’il fût possible ou non en fait ou en droit» au par. 24(1). À titre d’exemples de lois qui visent à criminaliser la tentative d’infraction impossible en droit, l’intimé invoque des dispositions législatives du Royaume‑Uni et des États‑Unis:

[traduction]

1. -- (1) Quiconque, ayant l’intention de commettre une infraction visée au présent article, accomplit un acte qui dépasse le stade de la simple préparation à la perpétration de l’infraction, est coupable d’une tentative de commettre l’infraction.

(2) Une personne peut être déclarée coupable de tentative de commettre une infraction visée par le présent article, même si les faits sont tels que la perpétration de l’infraction est impossible.

(3) Pour l’application du paragraphe (1), une personne est réputée avoir l’intention de commettre l’infraction lorsque les conditions suivantes sont réunies:

a) sans l’application du présent paragraphe, son intention ne serait pas considérée comme équivalent à l’intention de commettre l’infraction;

b) si les faits avaient été tels que la personne les croyait, son intention aurait été considérée comme équivalent à l’intention de commettre l’infraction.

(Criminal Attempts Act 1981 (R.‑U.), 1981, ch. 47.)

[traduction] Si la conduite d’une personne constitue par ailleurs une tentative de commettre un crime visé à l’article 110.00, cette personne ne peut opposer en défense que la perpétration du crime qu’elle est accusée d’avoir tenté de commettre était, en raison des circonstances, impossible en fait ou en droit, dans les cas où le crime aurait pu être commis si les circonstances avaient été telles qu’elle les croyait.

(N.Y. Penal Law, par. 110.10 (codification de 1984).)

56. Selon un troisième argument, que l’intimé n’a pas avancé, les mots «dans les circonstances» limitent l’application du par. 24(1) aux tentatives d’infractions impossibles en fait. Selon ce raisonnement, l’infraction impossible à commettre «dans les circonstances», doit nécessairement l’être dans d’autres circonstances. Sinon, il n’y aurait aucune raison de mentionner les circonstances — la seule mention de l’impossibilité suffirait. C’est précisément ce que le président North de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Zélande a avancé dans l’arrêt Donnelly, précité, à la p. 988:

[traduction] À mon avis, les mots significatifs du par. 72 (1) [le pendant néo‑zélandais du par. 24(1) du Code criminel] sont les termes «dans les circonstances», qui semblent indiquer que, dans d’autres circonstances, il serait possible de commettre l’infraction. Je crois qu’il est permis de conclure que le par. 72 (1) se borne à garantir que celui qui avait l’intention criminelle nécessaire et a effectivement agi pour réaliser son but est coupable de tentative, même si, dans les faits, il était impossible de consommer l’infraction.

57. Il y a encore une autre façon d’interpréter les mêmes mots à l’avantage de l’intimé. Dans le langage de tous les jours, les «circonstances» ce sont des faits. En revanche, les textes législatifs ne sont pas des circonstances. Par conséquent, en appliquant la règle expressio unius est exclusio alterius, on peut considérer que la mention, au par. 24(1), de la tentative d’infraction impossible en fait, qui résulte d’une impossibilité tenant aux circonstances ou aux faits, exclut la tentative d’infraction impossible en droit. Pour reprendre l’expression d’un auteur canadien, il s’agit de savoir si [traduction] ««dans les circonstances» auxquelles [le par. 24(1)] renvoie, il faut inclure la qualification juridique de la conduite de l’auteur»; Brown, op. cit., à la p. 229.

58. Il existe un autre argument favorable à la position de l’intimé, encore qu’il s’agirait davantage de l’application d’un principe jurisprudentiel que de l’exégèse du texte de loi, selon lequel, en cas d’ambiguïté, la loi pénale doit être interprétée de manière restrictive, d’une façon favorable aux droits de l’accusé. «[L]e principe suprême qui régit l’interprétation des dispositions pénales est que l’ambiguïté devrait être tranchée de la façon qui favorise le plus l’accusé»; R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, au par. 38.

59. Bien que certains de ces arguments ne soient pas dénués de valeur, leur force est grandement atténuée lorsqu’on se rend compte que la distinction conventionnelle entre l’impossibilité de fait et l’impossibilité de droit est indéfendable. La seule distinction utile pour l’application du par. 24(1) du Code criminel est celle qui différencie le crime imaginaire de la tentative d’infraction impossible en fait. En droit pénal canadien, il n’y a pas de catégorie intermédiaire fondée sur l’«impossibilité de droit». Comme M. Dynar a tenté de commettre une infraction impossible, mais n’a pas tenté de perpétrer un crime imaginaire, il ne peut qu’avoir tenté de commettre une infraction «impossible en fait». Pour ce motif, l’argument de M. Dynar selon lequel le par. 24(1) n’incrimine que la tentative d’infraction impossible en fait ne lui est d’aucun secours.

60. Nous l’avons dit, il y a tentative d’infraction impossible en fait lorsque la non-consommation résulte d’un simple hasard. Théoriquement, du moins, l’accusé qui tente de commettre une infraction impossible en fait pourrait réussir si ce n’était la présence d’une circonstance fortuite. Au contraire, dans la tentative d’infraction impossible en droit, même si les actes d’exécution étaient achevés, il n’y aurait toujours pas de crime. Un auteur a défini la tentative d’infraction impossible en proposant des distinctions entre les cas d’impossibilité:

[traduction] Trois principaux types d’impossibilité forment le cadre général du débat contemporain. En premier lieu, signalons l’impossibilité résultant de l’inefficacité des moyens employés (type I). Par exemple, A essaie d’abattre B en tirant un coup de feu à une distance trop grande ou en lui administrant une dose trop faible de poison; C essaie de s’introduire par effraction dans une maison sans le matériel nécessaire pour forcer une fenêtre ou une porte...

Dans le deuxième type d’impossibilité, l’agent ne réussit pas à commettre l’infraction faute d’un élément de l’actus reus nécessaire à la réalisation du projet criminel (type II). Par exemple, A essaie de tuer B en le tirant pendant qu’il dort mais B est déjà décédé de causes naturelles; C essaie de subtiliser le contenu d’un coffre-fort mais celui-ci est vide...

Le troisième type d’impossibilité se présente lorsque l’agent parvient à exécuter son projet sans toutefois commettre l’infraction parce qu’un élément de l’actus reus fait défaut (type III). Par exemple, A prend possession d’un bien croyant qu’il s’agit d’un bien volé alors que ce n’est pas le cas; B introduit une substance en contrebande contre rémunération croyant qu’il s’agit d’un stupéfiant alors que c’est du sucre...

(Colvin, loc. cit., aux pp. 355 et 356.)

61. Selon le professeur Colvin, la tentative d’infraction impossible en fait appartient à l’une ou l’autre des deux premières catégories. La tentative d’infraction impossible en droit est classée dans la troisième catégorie.

62. La classification proposée par Colvin est attrayante. Mais, de fait, elle établit des distinctions qui ne résistent pas à une analyse plus méticuleuse. Sur le plan juridique, il n’existe aucune différence pertinente entre le voleur à la tire qui glisse la main dans une poche vide et l’homme qui s’empare de son parapluie en croyant qu’il s’agit du parapluie d’un autre. Les deux ont la mens rea du voleur. Le premier a l’intention de prendre un porte‑monnaie qu’il croit ne pas être le sien. Le second a l’intention de prendre un parapluie qu’il croit ne pas être le sien. Chacun a accompli des actes dans le but de réaliser son projet. Et chacun est contrecarré par un concours de circonstances défavorables, par un fait objectif indépendant de sa volonté: le premier, par l’absence du porte‑feuille, le second, par le fait qu’il possède la chose qu’il cherche à voler. Il est vrai que ce dernier semble réaliser son projet sans pour autant consommer l’infraction; mais les apparences sont trompeuses. En vérité, le deuxième homme ne parvient pas à réaliser son projet, parce que son intention n’est pas simplement de prendre le parapluie qu’il prend, mais de s’emparer d’un parapluie qui ne lui appartient pas. Que son projet soit fondé sur une méconnaissance de la situation ne change rien au fait qu’il s’agit bien de son projet. La croyance erronée ne peut pas être éliminée de la description de l’état d’esprit simplement parce qu’elle est erronée.

63. S’il en était autrement, la défense de croyance erronée disparaîtrait de notre droit pénal. Si les croyances erronées ne faisaient pas partie intégrante de l’intention de l’auteur d’un acte — si l’intention de cet auteur était simplement de faire ce qu’il fait effectivement — alors, l’homme qui sincèrement, mais erronément, croit qu’une femme a consenti à des relations sexuelles et qui, se fondant sur cette croyance, a des relations sexuelles avec cette femme, n’aurait aucun moyen de défense contre l’accusation d’agression sexuelle. Suivant cette conception restrictive de l’intention, l’homme aurait eu l’intention de coucher avec la femme avec laquelle il a couché; et cette femme, par hypothèse, est une femme qui n’a pas consenti à coucher avec lui. Si l’on substitue la proposition («une femme qui n’a pas consenti à coucher avec lui») à l’autre («la femme avec laquelle il a couché»), il s’ensuit que son intention était de coucher avec une femme qui n’avait pas consenti à coucher avec lui. Mais, évidemment, comme nous l’avons déjà dit avec grande insistance, l’intention est une chose et la vérité en est une autre. L’intention se rapporte à l’image que chacun se fait du monde extérieur et elle ne correspond pas forcément à la réalité.

64. Par conséquent, il n’y a aucune différence entre l’acte infructueux en raison d’une «impossibilité matérielle» et l’acte infructueux «à l’issue de l’exécution». Les deux sont contrecarrés par un concours de circonstances, par un fait: par exemple, par le fait qu’il n’y a aucun porte‑monnaie à voler ou par le fait qu’il n’y a aucun parapluie à voler. La distinction établie entre les deux est une distinction sans fondement. Le professeur Colvin lui-même convient qu’il [traduction] «[v]aut mieux considérer que l’impossibilité d’exécution n’est jamais un moyen de défense en matière de responsabilité secondaire au Canada» (p. 358.)

65. Il y a toutefois une différence pertinente entre le crime manqué et le crime imaginaire. Voir Pierre Rainville, «La gradation de la culpabilité morale et des formes de risque de préjudice dans le cadre de la répression de la tentative» (1996), 37 C. de D. 909, aux pp. 954 et 955. C’est une chose de tenter de voler un porte‑monnaie, croyant qu’un tel vol est un crime, mais c’en est une autre de tenter d’introduire du sucre au Canada, croyant que l’importation de sucre est un crime. Dans le premier cas, le voleur potentiel possède la mens rea liée au vol. Dans le deuxième cas, le contrebandier potentiel n’a aucune mens rea connue en droit. Étant donné que le par. 24(1) prévoit clairement que «l’intention de commettre une infraction» est un élément constitutif de l’infraction de tentative, cette deuxième sorte de tentative n’est pas un crime.

66. Et c’est bien qu’il en soit ainsi. L’un des buts principaux des règles de droit applicables en matière de tentative est de décourager la perpétration subséquente d’infractions; voir l’ouvrage de Williams intitulé Textbook of Criminal Law, op. cit., aux pp. 404 et 405; voir également Brown, loc. cit., à la p. 232; Eugene Meehan, «Attempt — Some Rational Thoughts on its Rationale» (1976-77), 19 Crim. L.Q. 215, à la p. 238; Don Stuart, Canadian Criminal Law (3e éd. 1995), à la p. 594. Mais celui qui tente d’accomplir un acte qui n’est pas un crime, ou, même, celui qui accomplit effectivement un acte qui n’est pas un crime, croyant que ce qu’il a fait ou tenté de faire est un crime, ne montre aucune propension à la perpétration de crimes, sauf que sa conduite trahit peut‑être une vague volonté d’enfreindre la loi. La seule chose qu’il a peut‑être réussi à montrer, c’est qu’il pourrait être enclin à refaire la même chose un jour. Et d’un point de vue social, il n’y a pas lieu de s’inquiéter, parce que, par hypothèse, ce qu’il a tenté de faire est parfaitement légal.

67. Par conséquent, nous concluons que le par. 24(1) n’établit aucune distinction entre la tentative d’infraction possible à l’aide de moyens inefficaces, la tentative d’infraction impossible matériellement et la tentative d’infraction impossible «à l’issue de l’exécution». Ce sont toutes des tentatives d’infractions «impossibles en fait» et toutes sont des crimes. Seule la tentative de crime imaginaire échappe à l’application de la disposition. Comme ce que M. Dynar a tenté de faire relève carrément de l’impossibilité de fait — il a tenté de commettre des crimes connus en droit et n’a été déjoué que par le hasard — il s’agissait d’une tentative criminelle au sens du par. 24(1). La preuve montre que M. Dynar est un criminel visé par le droit canadien et, dès lors, la règle de la double incrimination ne devrait pas faire obstacle à son extradition aux États‑Unis.

68. Malgré les difficultés suscitées par la distinction classique établie entre l’impossibilité de fait et l’impossibilité de droit, certains hésitent encore à accepter notre conclusion. Il nous semble que cela est dû en partie à une méconnaissance des éléments constitutifs des infractions de recyclage des produits de la criminalité. Tant le par. 462.31(1) du Code criminel que le par. 19.2(1) de la Loi sur les stupéfiants exigent que l’auteur de l’infraction sache que l’argent à recycler est le produit de la criminalité. Il est tentant de penser que la connaissance est donc la mens rea de ces infractions. Mais la mens rea dénote un état d’esprit. C’est l’élément subjectif du crime; voir l’ouvrage de Williams ayant pour titre Textbook of Criminal Law, op. cit., à la p. 71. La connaissance n’est pas subjective, ou, pour être plus exact, elle n’est pas entièrement subjective.

69. Nous l’avons déjà dit, la connaissance en droit s’entend de la croyance conforme à la réalité. Elle a donc deux composantes — la vérité et la croyance — et de ces deux éléments, seule la croyance est subjective ou psychologique. La vérité est objective, ou du moins elle réside dans un rapport de concordance entre un énoncé ou un état d’esprit et la réalité objective. Par conséquent, la vérité, qui est un état du monde extérieur ne variant pas en fonction de l’intention de l’accusé, ne peut pas faire partie intégrante de la mens rea. Comme l’a dit un auteur canadien: «[l]a véracité de la croyance de l’accusé ne fait pas partie de la mens rea de l’article 24 (1) C.cr.». Voir Rainville, loc. cit., à la p. 963. La connaissance comme telle n’est donc pas la mens rea des infractions de recyclage des produits de la criminalité. C’est la croyance qui l’est.

70. La conformité avec la réalité de la croyance de l’auteur de l’infraction que certaines sommes d’argent sont les produits de la criminalité est distincte de la croyance elle‑même. Cette conformité avec la réalité est l’une des circonstances concomitantes exigées pour que l’actus reus soit exécuté. En d’autres termes, le recyclage des produits de la criminalité suppose l’existence d’une somme d’argent qui est effectivement le produit de la criminalité.

71. Sur ce plan, les infractions de recyclage des produits de la criminalité ne sont pas différentes des autres infractions. Le meurtre, c’est le fait de donner volontairement la mort à un être humain. Comme l’on ne peut donner la mort qu’à un être vivant, et parce que le meurtre est volontaire, il s’ensuit que le meurtrier, pour mener à bien son projet, doit croire que sa victime est vivante. Le déséquilibré qui tue une personne en croyant qu’il s’agit d’un mannequin ne possède pas la mens rea nécessaire à la perpétration d’un meurtre. Ainsi, la consommation du meurtre suppose à la fois la croyance que la victime est vivante juste avant le coup mortel et la vie de la victime à ce moment‑là. La croyance et sa conformité avec la réalité sont exigées toutes les deux. Par conséquent, la connaissance est exigée. Mais cela ne veut pas dire pour autant que la vie de la victime fasse partie de la mens rea du meurtre. C’est plutôt une circonstance concomitante qui rend possible la réalisation de l’actus reus, c’est-à-dire le fait de donner la mort à un être humain.

72. En général, la consommation d’une infraction suppose un certain concours de circonstances. Mais ces circonstances ne font pas partie de la mens rea de l’infraction. Comme un auteur le fait observer, il est important [traduction] «de distinguer l’intention de l’accusé et les circonstances telles qu’elles se sont réellement présentées» (Brown, loc. cit., à la p. 232).

73. L’absence d’une circonstance concomitante n’est pas pertinente du point de vue des règles de droit applicables à la tentative d’infraction. Un accusé est coupable de tentative s’il a eu l’intention de commettre un crime et s’il a pris des mesures suffisantes en droit pour le perpétrer. Puisqu’une tentative est par sa nature même une infraction matérielle précise non consommée, l’actus reus de l’infraction sera toujours imparfait, et, parfois, il en sera ainsi parce que la circonstance concomitante est absente. Dans l’arrêt Ancio, précité, aux pp. 247 et 248, le juge McIntyre a dit:

Comme dans le cas de tout autre crime, le ministère public doit prouver la mens rea, c’est‑à‑dire l’intention de commettre l’infraction en question, et l’actus reus, c’est‑à‑dire une mesure quelconque en vue de commettre l’infraction, autre que les simples actes de préparation. Le plus important de ces deux éléments est la mens rea . . .

En effet, comme le crime de tentative peut être complet sans la perpétration d’aucune autre infraction et même sans l’accomplissement d’un acte illégal en soi, il est très clair que l’élément criminel de l’infraction de tentative peut résider uniquement dans l’intention.

74. Par conséquent, il ne faudrait pas s’inquiéter de ce que les agissements de M. Dynar ne constituent pas l’actus reus des infractions de recyclage des produits de la criminalité. Si ses actes constituaient l’actus reus, il serait coupable des infractions prévues par l’art. 462.31 du Code criminel et l’art. 19.2 de la Loi sur les stupéfiants. Il ne serait même pas nécessaire de prendre en considération les règles de droit relatives à la tentative d’infraction. Ces règles s’appliquent seulement lorsque, comme en l’espèce, la mens rea de l’infraction consommée est présente et que l’exécution de l’actus reus n’est pas achevée mais dépasse le stade des simples actes préparatoires.

75. L’intimé allègue que, même en acceptant que la conformité avec la réalité de la croyance ne fasse pas partie intégrante de la mens rea, on ne peut affirmer qu’il avait la mens rea nécessaire. Plus particulièrement, l’intimé affirme que, pour déterminer si un accusé a la mens rea nécessaire à la tentative, le tribunal ne devrait prendre en considération que les états d’esprit qui ont poussé l’accusé à agir.

76. Cette affirmation est une façon de ne pas tenir compte des croyances erronées de l’accusé. Ainsi, l’intimé allègue qu’il n’avait pas la mens rea requise parce qu’il voulait seulement faire de l’argent en rendant service à Anthony, l’agent d’infiltration. Cela n’avait aucune importance pour M. Dynar que l’argent soit le produit de la criminalité ou non. Il aurait été tout aussi heureux de recycler des fonds pour le gouvernement américain que pour n’importe quel baron de la drogue. M. Dynar n’avait pas d’autres préoccupations que de recevoir une commission pour ses services.

77. Le fondement théorique de cette ligne de pensée apparaît dans l’argumentation présentée par le professeur George Fletcher au soutien de la distinction établie entre l’impossibilité de fait et l’impossibilité de droit (dans Rethinking Criminal Law (1978)). Fletcher, que l’intimé invoque, affirme que l’intention pertinente en droit comprend seulement les états d’esprit qui ont poussé l’accusé à agir comme il l’a fait (à la p. 161):

[traduction] [L]es croyances erronées sont pertinentes en ce qui concerne le but recherché par l’agent si elles l’ont incité à agir. On peut dire qu’elles l’incitent à agir dans les cas où, s’il avait su qu’il faisait erreur, il aurait changé ses plans.

Étant donné que la plupart des faits, du point de vue de l’accusé, n’ont pas d’importance, ce que l’accusé pense au sujet de la plupart des faits n’a pas de pertinence en droit.

78. Par conséquent, pour reprendre l’un des exemples que Fletcher donne, il importe peu que le criminel ait su quel jour c’était lorsqu’il a commis son crime, car il aurait agi de la même façon. Selon Fletcher, un raisonnement similaire explique pourquoi ce n’est pas un crime de faire le commerce d’un bien «légitimement acquis» en pensant qu’on utilise les produits de la criminalité (à la p. 162):

[traduction] [I]l semble assez clair que le fait que [les biens] ont été volés n’affecte pas la motivation du sujet de payer le prix auquel la police [les] lui a offert[s]. Le fait de savoir que les biens n’avaient pas été volés ne l’aurait pas incité à repousser l’offre. S’ils n’ont pas été volés, tant mieux. Il s’ensuit, par conséquent, qu’il est incorrect de qualifier sa conduite de tentative de recel de [biens] volé[s].

79. Mais ce point de vue confond mobile et intention. S’il fallait ne retenir que le premier, le nombre de crimes serait grandement réduit, même si ce n’est pas de façon très satisfaisante, parce que ce qui pousse de nombreux criminels à agir est un désir relativement plus anodin que le désir de commettre un crime. Nous croyons que seuls les criminels les plus endurcis commettent des crimes seulement pour le plaisir d’enfreindre la loi. Pour de nombreux malfaiteurs au moins, il doit être indifférent que leurs agissements constituent des crimes ou non. Probablement que la plupart des voleurs ne laisseraient pas filer l’occasion de piller une maison, simplement parce qu’elle a été abandonnée et que, par conséquent, elle n’appartient plus à personne. Le but est de s’enrichir vite, non de passer outre à la loi. Sur cette question, nous sommes à nouveau tout à fait d’accord avec Glanville Williams, qui affirme ce qui suit:

[traduction] Normalement, le mobile n’a pas d’incidence sur l’intention. Si on lui en donnait le choix, n’importe quel receleur de biens volés préférerait, pour le même prix, des biens qui n’ont pas été volés; mais s’il sait ou croit que les bien ont été volés, il a l’intention de receler des biens volés. Nous devons affirmer qu’une personne agit intentionnellement eu égard aux circonstances qu’elle sait ou croit exister. Ceci étant la règle pour les crimes consommés, aucune bonne raison ne justifie qu’il en soit différemment pour les tentatives.

(«The Lords and Impossible Attempts, or Quis Custodiet Ipsos Custodes?», [1986] Cambridge L.J. 33, à la p. 78.)

80. En l’espèce, il est presque certain que M. Dynar aurait été satisfait de recycler l’argent du gouvernement des États‑Unis même s’il avait su que cet argent n’était en rien lié au commerce de stupéfiants. On peut présumer qu’il n’avait pas d’autre préoccupation que de récolter sa commission. Pour lui, la provenance de l’argent devait être sans grande importance. Mais, du point de vue du droit pénal, ce qui est important, ce n’est pas ce qui a poussé M. Dynar à agir, mais ce que M. Dynar croyait qu’il faisait. [traduction] «Nous devons affirmer qu’une personne agit intentionnellement eu égard aux circonstances qu’elle sait ou croit exister.» Et il ressort clairement de la preuve que M. Dynar croyait participer à un projet de recyclage d’argent provenant du trafic de stupéfiants à New York.

81. Prendre en considération l’intention plutôt que le mobile concorde avec l’objectif du droit pénal en général et les règles de droit relatives à la tentative en particulier. La société impose des sanctions pénales afin de punir et de réprimer toute conduite indésirable. Dans son effort pour maintenir la paix sociale, la société ne se préoccupe pas du mobile de l’accusé, mais seulement de ce qu’il avait l’intention de faire. Pour qui s’est fait voler son automobile, ce n’est pas une consolation que de savoir que le voleur voulait la vendre en vue d’acheter de la nourriture pour une banque d’alimentation. De façon similaire, il est universellement reconnu que l’objet des règles de droit relatives à la tentative est de faire obstacle à la commission d’autres tentatives. Celui qui a eu l’intention d’accomplir un acte illicite et qui a pris effectivement les moyens pour y parvenir risque d’essayer à nouveau un jour; et il n’y a aucune assurance que la prochaine fois sa tentative échouera.

82. Appliquant ce raisonnement à la tentative d’infraction impossible, nous concluons que cette tentative n’est pas moins menaçante que les autres tentatives. Après tout, la seule différence entre la tentative d’infraction possible et la tentative d’infraction impossible est la chance. La personne qui s’introduit dans une chambre à coucher et poignarde un cadavre en pensant poignarder une personne vivante a la même intention que la personne qui entre dans une chambre à coucher et poignarde une personne vivante. Dans le premier cas, par une espèce de hasard, la victime avait expiré dans son sommeil peut‑être juste quelques instants avant que l’assassin potentiel ne porte le coup mortel. Il est difficile de concevoir pourquoi ce fait, qui survient à l’insu du tueur en retard et échappe à sa volonté, devrait de quelque façon atténuer sa culpabilité. La prochaine fois, la personne visée pourrait être vivante. De façon similaire, même si, cette fois‑ci, M. Dynar ne pouvait pas réellement recycler les produits de la criminalité, il n’est pas garanti que son prochain client sera un agent du gouvernement américain.

83. Il s’ensuit que M. Dynar a commis le crime de tentative et dès lors, il doit être extradé aux États‑Unis. Les faits révèlent une intention de recycler des produits de la criminalité et des actes accomplis en vue de réaliser ce projet. Le paragraphe 24(1) du Code criminel n’exige rien de plus.

(3) La conduite de M. Dynar pourrait‑elle justifier son extradition relativement à l’accusation de complot portée contre lui?

84. La demande d’extradition de M. Dynar se fonde aussi sur une accusation de complot. Le mandat de dépôt délivré par le juge Keenan expose les deux accusations portées contre M. Dynar dans l’acte d’accusation américain et il indique que les actes à l’origine de ces deux accusations constitueraient un crime au Canada. En conséquence, M. Dynar pouvait être extradé relativement à l’un et l’autre. La conduite susceptible d’établir prima facie la perpétration d’un complot est quelque peu différente de celle qui pourrait établir prima facie le bien‑fondé de l’accusation de tentative. Il faut donc déterminer si la conduite de M. Dynar, combinée à celle de M. Cohen, peut également constituer une infraction de complot en droit canadien. La question de savoir si la défense d’«impossibilité» peut être invoquée en droit pénal canadien se pose tout autant en ce qui concerne l’accusation de complot que l’accusation de tentative.

85. Il ne s’agit pas de déterminer si les agissements de M. Dynar peuvent fonder une déclaration de culpabilité à l’égard de l’accusation de complot (ou même de tentative), mais seulement si une preuve prima facie a été produite pour justifier son incarcération en vue d’un procès si les agissements qu’on lui reproche avaient eu lieu au Canada. Selon l’al. 465(1)c) du Code criminel, constitue une infraction le fait de comploter avec quelqu’un en vue de commettre un acte criminel, autre que les infractions de meurtre ou de poursuite injustifiée visées aux al. 465(1)a) et b). Au Canada, le recyclage des produits de la criminalité constitue sans conteste un acte criminel. Il reste toutefois à décider si un complot peut exister même si tous les éléments constitutifs ne sont pas réunis parce que les circonstances ne sont pas telles que l’accusé les croyait.

a) Qu’est‑ce qu’un complot criminel?

86. Dans l’arrêt R. c. O’Brien, [1954] R.C.S. 666, aux pp. 668 et 669, notre Cour a fait sienne la définition du complot énoncée dans l’arrêt anglais Mulcahy c. The Queen (1868), L.R. 3 H.L. 306, à la p. 317:

[traduction] Un complot ne réside pas seulement dans l’intention de deux ou plusieurs personnes, mais dans l’entente conclue entre deux ou plusieurs personnes en vue de commettre un acte illégal, ou d’accomplir un acte légal par des moyens illégaux. Tant qu’un tel projet reste au stade de l’intention, il ne peut faire l’objet de poursuites. Lorsque deux personnes conviennent de le mettre à exécution, le projet lui‑même devient un acte distinct, et l’acte de chaque partie [. . .] devient punissable s’il vise un but criminel . . .

L’intention de conclure une entente, la conclusion d’une entente et l’existence d’un projet commun sont essentiels. Dans l’arrêt O’Brien, précité, le juge Taschereau a ajouté, à la p. 668:

[traduction] Il n’est pas nécessaire qu’un acte manifeste soit accompli pour mettre le complot à exécution et commettre le crime, mais j’ai la certitude qu’il doit exister une intention de mettre le projet commun à exécution. Un projet commun implique nécessairement une intention. Ce sont des synonymes. L’intention ne peut consister qu’en la volonté de réaliser l’objet de l’entente. [En italique dans l’original.]

87. Dans l’arrêt Papalia c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 256, à la p. 276, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a qualifié l’infraction de complot de «crime incomplet ou préliminaire». En énonçant les éléments essentiels de l’infraction, il a noté, aux pp. 276 et 277:

Le mot «conspirer» vient de deux mots latins «con» et «spirare» qui signifient «souffler ensemble». Conspirer, c’est s’entendre. L’essence du complot criminel est la preuve de l’entente. Dans une accusation de complot, l’entente en soi est la substance de l’infraction: Paradis c. R., à la p. 168. L’actus reus est le fait de l’entente: D.P.P. v. Nock, à la p. 66. L’entente à laquelle parviennent les conspirateurs peut envisager plusieurs actes ou infractions. Le nombre de participants n’est pas limité. De nouvelles personnes peuvent se joindre au projet en cours alors que d’autres peuvent l’abandonner. Aussi longtemps qu’il existe un plan général ininterrompu, des changements peuvent intervenir quant aux méthodes, aux conspirateurs ou aux victimes, sans que le complot prenne fin. L’enquête importante ne porte pas sur les actes accomplis conformément à l’entente, mais plutôt sur la question de savoir s’il existe vraiment une entente commune dont les actes découlent et à laquelle participent tous les présumés responsables. [Nous soulignons.]

Le complot est en fait un crime plus «préliminaire» que la tentative, car cette infraction est considérée consommée avant l’accomplissement de tout acte qui dépasserait le stade des actes simplement préparatoires à la mise à exécution du projet commun. Le ministère public doit simplement prouver la rencontre des volontés concernant un projet commun en vue de l’accomplissement d’un acte illégal, plus précisément la perpétration d’un acte criminel. Voir l’al. 465(1)c) du Code criminel.

88. Un complot doit être le fait de plus d’une personne, même si tous les conspirateurs ne sont pas nécessairement connus ni susceptibles d’être déclarés coupables. Voir, par exemple, O’Brien, précité; Guimond c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 960. En outre, chaque conspirateur doit avoir l’intention réelle de participer à l’entente. Une personne ne peut être un conspirateur si elle ne fait que prétendre acquiescer à l’entente. Dans l’arrêt O’Brien, le juge Rand a décidé, à la p. 670, que

[traduction] pour qu’il y ait complot, il doit y avoir une intention réelle des deux parties au moment où elles s’entendent pour participer à l’acte projeté; de simples paroles emportant apparemment acquiescement à l’acte projeté, sans aucune intention de le commettre, ne suffisent pas.

Lorsque l’un des supposés conspirateurs est un informateur de police qui n’a jamais eu l’intention de mettre le projet commun à exécution, il ne saurait être partie au complot. Un complot peut toutefois exister entre d’autres parties à la même entente. C’est pour cette raison que l’allégation de complot vise en l’espèce M. Dynar et M. Cohen, et non l’informateur «Anthony».

89. Il est bien établi qu’un complot criminel constitue une infraction grave qui peut à juste titre entraîner l’extradition. Le traité de 1976 entre le Canada et les États‑Unis, qui était en vigueur au moment où a été menée l’opération d’infiltration, le reconnaît. Ce crime a une longue et sinistre histoire. Des conspirateurs ont comploté en vue de renverser des monarques depuis les temps bibliques jusqu’à l’époque des Plantagenêts et des Tudors. Guy Fawkes a comploté avec d’autres personnes pour faire exploser les édifices du Parlement. Aujourd’hui, les conspirateurs complotent en vue de commettre des actes de terrorisme ou des meurtres ou d’importer des drogues interdites. La société a raison de s’inquiéter car deux ou plusieurs personnes agissant de concert peuvent parvenir à des résultats nuisibles qu’une personne seule ne pourrait jamais obtenir. Il faut, par exemple, plusieurs personnes pour fabriquer et cacher des explosifs ou pour organiser l’achat, l’importation et la vente d’héroïne. Le fait même que plusieurs personnes s’entendent pour accomplir quelque chose est considéré depuis nombre d’années comme une «menace pour la société»: O’Brien, précité, à la p. 669. En fait, les préjudices susceptibles d’être causés au tissu social sont beaucoup plus importants lorsque deux ou plusieurs personnes complotent en vue de commettre un crime que lorsqu’une personne décide seule de perpétrer un acte illégal.

90. De toute évidence, la répression du complot intervient avant l’accomplissement d’un acte visant à réaliser l’objet illégal de l’entente, et par conséquent en vue d’y faire obstacle afin d’empêcher que ce grave préjudice ne soit causé. Voir Glanville Williams, Criminal Law -- The General Part (2e éd. 1961), à la p. 710. Il est également souhaitable de décourager toute conduite similaire pour l’avenir. Les personnes qui complotent en vue d’accomplir ce qui s’avère impossible démontrent leur propension et leur aptitude à commettre des actes criminels et rien ne permet de croire qu’après un premier échec, elles n’obtiendront pas les résultats escomptés la fois suivante. Les raisons invoquées pour justifier la punition des auteurs de tentatives de crimes peuvent également l’être pour justifier celle des conspirateurs. Non seulement l’infraction en soi est considérée néfaste pour la société, mais encore l’intérêt de la société commande que les personnes chargées de l’application de la loi puissent intervenir avant que le préjudice que causerait le complot ne se réalise ou, s’il est irréalisable, avant qu’un nouveau complot en vue de commettre une infraction semblable ne réussisse.

b) L’impossibilité peut‑elle être opposée à une accusation de complot?

91. Étant donné la nature «préliminaire» de l’infraction de complot criminel, le simple fait que l’argent n’a pas été remis à M. Cohen pour être recyclé par M. Dynar ne fait pas obstacle à une conclusion de complot. Leur responsabilité pénale sera retenue dans la mesure où l’existence d’une entente et d’une intention commune peut être prouvée. Le fait qu’il était impossible pour les conspirateurs de commettre l’infraction matérielle précise même en prenant toutes les mesures prévues a‑t‑il une incidence quelconque sur leur responsabilité éventuelle? Autrement dit, les conspirateurs devraient‑ils être exonérés parce que, pour des raisons totalement indépendantes de leur volonté, ils se sont trompés quant à l’existence d’une circonstance dont dépend le succès de leur entreprise? Pareil résultat défierait la logique et serait injustifiable.

92. Le recours à l’impossibilité comme moyen de défense à une accusation de complot a comparativement très peu retenu l’attention de la doctrine et de la jurisprudence. La décision Director of Public Prosecutions c. Nock, [1978] 2 All E.R. 654 (H.L.), est l’arrêt de principe en Angleterre sur la question de savoir si l’on peut opposer l’impossibilité à une accusation de complot. Dans cette affaire, le complot consistait en une entente en vue de produire de la cocaïne à une occasion donnée à partir d’une substance particulière. La mise à exécution de l’entente était impossible parce que la substance choisie ne pouvait pas produire de cocaïne. Le tribunal s’est fondé sur l’impossibilité de mettre l’entente à exécution pour conclure que la distinction entre l’impossibilité de fait et l’impossibilité de droit, que nous avons critiquée relativement à la tentative, devait s’appliquer au complot. L’intimé s’appuie sur l’arrêt Nock, et demande instamment à la Cour de reconnaître que l’impossibilité peut être invoquée à l’encontre d’une accusation de complot au Canada. Cet argument ne peut être retenu.

93. En Angleterre, l’arrêt Nock a été expressément écarté par la Criminal Attempts Act 1981, art. 5, qui permet maintenant que soient tenus pénalement responsables d’un complot les accusés qui se trompent quant à l’existence d’une circonstance nécessaire pour établir la consommation de l’infraction. Cette disposition interdit, de fait, d’invoquer en défense l’impossibilité de droit au sens de l’arrêt Nock, précité, mais elle préserve le moyen de défense pour le «crime imaginaire». Comme nous l’avons vu, cette dernière expression s’entend notamment des cas où l’agent accomplit des actes en croyant qu’il contrevient à la loi, alors qu’il n’en est rien. Par exemple, en Angleterre, le fait de comploter pour acheter du whisky écossais ne constitue pas un crime parce que l’achat de ce type de whisky ne constitue pas un crime connu en droit anglais.

94. L’alinéa 465(1)c) du Code criminel du Canada ne prévoit pas expressément qu’une personne peut être tenue pénalement responsable d’un complot lorsque la perpétration de l’infraction matérielle précise est impossible. Néanmoins, même si la loi n’énonce pas un tel principe, l’analyse effectuée par la Chambre des lords dans l’arrêt Nock ne devrait pas être retenue. Cet arrêt a été critiqué à juste titre par la doctrine et la jurisprudence. Dans la mesure où il repose sur la distinction établie entre l’impossibilité de fait et l’impossibilité de droit, qui a été appliquée en matière de tentative, il est tout aussi indéfendable sur le plan conceptuel.

95. En Angleterre, la reconnaissance de la défense d’impossibilité de droit invoquée à l’encontre d’une accusation de complot s’appuyait, dans l’arrêt Nock, sur la décision de la Chambre des lords de souscrire au même raisonnement en ce qui concerne la tentative: voir Haughton c. Smith, [1973] 3 All E.R. 1109. La Chambre des lords a maintenant expressément renversé l’arrêt Haughton dans l’arrêt R. c. Shivpuri, [1986] 2 All E.R. 334, pour le motif qu’abstraction faite des dispositions de la Criminal Attempts Act 1981, la distinction entre l’impossibilité de fait et l’impossibilité de droit ne saurait tenir en ce qui a trait à la tentative. L’application de la distinction établie dans l’arrêt Nock doit maintenant être remise elle aussi en question, même en l’absence de modification législative. Ainsi, l’opportunité d’appliquer au Canada les principes énoncés dans l’arrêt Nock a été mise en doute avec raison par le juge Cadsby de la Cour provinciale dans l’affaire R. c. Atkinson, [1987] O.J. No. 1930. La Cour d’appel de la Nouvelle‑Zélande a aussi rejeté l’arrêt Nock, sauf peut‑être dans le cas des «crimes imaginaires»: R. c. Sew Hoy, [1994] 1 N.Z.L.R. 257.

96. Un certain nombre d’auteurs canadiens ont aussi émis des critiques justifiées à l’endroit du recours à la distinction établie entre l’impossibilité de fait et l’impossibilité de droit en matière de complot; ils ont critiqué plus particulièrement l’arrêt Nock pour cette raison. La plupart des auteurs ont exprimé l’opinion que, s’il convient de rejeter la distinction entre l’impossibilité de fait et l’impossibilité de droit en ce qui a trait à la tentative, ce rejet s’impose à plus forte raison en ce qui a trait au complot. Par exemple, Colvin, dans Principles of Criminal Law, op. cit., à la p. 358, indique, dans un exposé qui porte principalement sur les règles applicables à la tentative, qu’il est favorable à l’idée que [traduction] «l’impossibilité d’exécution ne constitue jamais un moyen de défense en matière de responsabilité secondaire au Canada». Ce principe étant clairement exprimé relativement à la tentative dans le Code criminel, [traduction] «aucun motif valable ne justifie qu’on traite différemment le complot et d’autres formes de responsabilité secondaire».

97. Dans Canadian Criminal Law, op. cit., aux pp. 644 et 645, le professeur Stuart fait valoir de façon convaincante que le raisonnement suivi pour rejeter la distinction entre l’impossibilité de fait et l’impossibilité de droit en matière de tentative doit aussi s’appliquer en matière de complot. Voici l’explication qu’il donne (à la p. 644):

[traduction] Si le complot est considéré, tel qu’on l’a proposé, comme une infraction à vocation préventive parce qu’elle constitue une étape, bien que limitée, vers la perpétration d’une infraction parfaite, il est difficile d’imaginer pourquoi la question de l’impossibilité devrait être abordée différemment.

98. Selon les professeurs Alan Mewett et Morris Manning dans Mewett & Manning on Criminal Law (3e éd. 1994), à la p. 341, si ce n’était l’arrêt Nock, la question de savoir si l’impossibilité peut être invoquée en défense à l’encontre d’une accusation de complot ne se poserait même pas. Dans l’arrêt Nock, la Chambre des lords a statué que, comme l’infraction ne peut jamais se matérialiser, [traduction] «[i]l n’y a pas d’actus reus parce qu’il n’y a pas eu d’entente en vue de commettre une infraction». Mewett et Manning condamnent ce raisonnement, le jugeant mal fondé parce qu’il [traduction] «[e]st erroné de croire qu’il existe ce qu’on pourrait, dans l’abstrait, appeler l’actus reus». C’est l’entente qui constitue l’actus, et l’intention d’accomplir l’acte illégal (la mens rea) qui transforme l’entente en un actus reus, ou en un «acte coupable». Ces auteurs restreindraient le recours à la défense d’impossibilité aux cas d’impossibilité de droit «véritables» (que nous avons qualifiés de crimes imaginaires), lorsque des personnes complotent en vue de commettre des actes qui ne constituent pas un crime en droit, peu importe que les faits aient été tels que les accusés les croyaient.

99. Les tribunaux canadiens se sont rarement prononcés sur la question. Dans l’arrêt R. c. Chow Sik Wah, [1964] 1 C.C.C. 313, la Cour d’appel de l’Ontario a statué, dans une affaire de complot en vue de commettre un faux, à la p. 315, que [traduction] «[d]ans une poursuite pour complot, une déclaration de culpabilité ne peut être prononcée si l’opération visée par le complot allégué n’aurait pu, si elle avait été réalisée, entraîner la culpabilité de l’accusé au titre de l’infraction matérielle précise». L’intimé considère manifestement cet arrêt comme favorable à sa cause.

100. Bien que certains passages de l’arrêt Chow Sik Wah laissent croire à une reconnaissance plus générale de l’impossibilité de droit comme moyen de défense dans une affaire de complot, la décision a une portée beaucoup plus étroite. En l’occurrence, l’infraction matérielle précise a été définie comme le fait de créer un faux document en le sachant faux. L’affaire reposait sur la définition de l’expression «faux document». Le juge Kelly de la Cour d’appel a conclu que la photographie du faux document n’était pas en soi un faux document. En conséquence, le crime ne pouvait être commis, peu importe l’intention des accusés. La question de la croyance erronée à des circonstances particulières n’a pas été soulevée. Les accusés avaient simplement l’intention d’accomplir un acte non interdit par la loi. De plus, le juge Kelly de la Cour d’appel a conclu que le ministère public n’avait pas établi que la photographie était destinée à être utilisée pour inciter quelqu’un à croire que le document reproduit était authentique.

101. L’arrêt Chow Sik Wah ne devrait être invoqué pour affirmer que l’impossibilité peut être invoquée en défense à l’encontre d’une accusation de complot que si les conspirateurs avaient l’intention de commettre un «crime imaginaire». Cette façon d’aborder la question de l’impossibilité et du complot a été retenue dans la jurisprudence moins récente portant sur les complots économiques: voir, par exemple, Howard Smith Paper Mills Ltd. c. The Queen, [1957] R.C.S. 403, à la p. 406, où l’on cite R. c. Whitchurch (1890), 24 Q.B.D. 420.

102. Aucune de ces sources n’interdit de conclure que, sur le plan purement conceptuel, la distinction entre l’impossibilité de fait et l’impossibilité de droit n’est pas mieux fondée parce qu’il s’agit d’un complot plutôt que d’une tentative. Comme nous l’avons vu en analysant la tentative d’infraction impossible, la soi-disant impossibilité «de droit» est en réalité un cas d’impossibilité de fait et cette distinction ne vaut plus, sauf dans les cas de «crimes imaginaires». Un complot en vue de perpétrer une infraction aussi fantaisiste ne peut bien sûr pas engager la responsabilité pénale.

103. En outre, à l’instar de la tentative, le complot constitue un crime d’intention. L’élément matériel — ou actus reus — de l’infraction est établi par la preuve qu’il y a eu entente en vue de commettre l’infraction sous‑jacente. Cet élément matériel ne doit pas nécessairement correspondre aux éléments matériels de l’infraction matérielle précise. Le but de l’entente, c’est‑à‑dire la perpétration de l’infraction matérielle précise, fait partie de l’élément moral — ou mens rea — de l’infraction de complot.

104. Le complot allégué en l’espèce vise la perpétration d’une infraction dont l’un des éléments essentiels est la connaissance d’un fait. Lorsqu’une infraction matérielle précise exige la connaissance d’un fait particulier, le ministère public est tenu de prouver un élément subjectif, qu’on pourrait le mieux décrire comme la croyance en ce fait particulier. Il doit en outre établir un élément objectif, soit la réalité de ce fait. C’est l’existence de l’élément objectif qui transforme la croyance subjective en connaissance ou en «croyance conforme à la réalité».

105. Toutefois, comme l’infraction de complot exige seulement l’intention de commettre l’infraction matérielle précise, et non la perpétration de l’infraction même, il est indifférent, du point de vue objectif, que la perpétration de l’infraction puisse être impossible. C’est le point de vue subjectif qui importe et, de ce point de vue, les conspirateurs qui ont l’intention de commettre un acte criminel ont l’intention de prendre toutes les mesures nécessaires pour constituer l’infraction. L’impossibilité d’y parvenir parce qu’un fait objectif n’est pas tel qu’ils le croient n’a aucune incidence sur cette intention. L’intention des conspirateurs demeure la même, sans égard à l’absence du fait qui rendrait possible la réalisation de leur intention. Ce n’est que rétrospectivement qu’on pourra constater l’impossibilité de mettre à exécution leur projet commun.

106. S’il fallait considérer que l’échec d’un complot imputable à un concours de circonstances défavorables constitue une impossibilité «de droit» et peut de ce fait être invoqué à l’encontre d’une accusation de complot, l’innocence des conspirateurs serait le fruit du hasard et n’aurait aucun lien avec leur véritable intention. Ce résultat est inacceptable. Assurément, il serait conforme aux règles de droit applicables en matière de complot de décider que l’absence d’une circonstance particulière n’a aucun effet sur l’intention des parties et, partant, sur leur responsabilité.

107. Il est depuis longtemps admis que les conspirateurs sont punissables du fait de leur entente (actus reus) et de leur intention de commettre l’infraction (mens rea). Cela vaut même lorsque les policiers interviennent pour empêcher les conspirateurs de commettre l’infraction matérielle précise qu’ils complotaient de perpétrer. Il s’ensuit que la culpabilité des conspirateurs ne devrait pas être atténuée lorsque l’intervention des policiers rend la perpétration de l’infraction impossible, par exemple, parce que l’argent à recycler n’est pas d’origine criminelle. Les conspirateurs pourraient quand même être condamnés à bon droit parce que l’entente conclue en vue de réaliser l’objet illégal est jugée dangereuse pour la société et répréhensible en soi.

108. Ce raisonnement n’emporte pas, pour l’infraction de complot, la substitution d’un élément moral différent de celui qui est exigé pour l’infraction matérielle précise de recyclage des produits de la criminalité. S’agissant d’infractions exigeant la connaissance, l’élément moral est la croyance. En conséquence, l’état d’esprit subjectif requis de la personne qui recycle de l’argent est la croyance que l’argent provient d’une source illicite. De même, l’état d’esprit subjectif de la personne qui complote avec d’autres en vue de recycler de l’argent consiste à croire que l’argent provient d’une source illicite. Pour que l’infraction matérielle précise soit commise, le fait objectif — l’existence de produits de la criminalité — doit aussi exister. Mais il ne s’agit pas là de l’élément objectif de l’infraction de complot. L’élément essentiel du complot est l’existence d’une entente conclue en vue de mettre à exécution l’intention des conspirateurs.

109. Il s’ensuit qu’il est encore possible, au Canada, d’être tenu pénalement responsable d’un complot en vue de commettre un crime impossible à consommer parce qu’un fait objectif n’est pas tel qu’on le croit. La défense d’impossibilité de droit ne peut être invoquée à l’encontre de cette accusation.

c) Application de ces principes aux faits de l’espèce

110. L’unique motif pour lequel le complot qu’auraient tramé M. Dynar et M. Cohen a été considéré «impossible» est l’absence d’une circonstance extérieure, savoir l’existence de produits de la criminalité. Pourtant, l’absence de cette circonstance ne constitue pas un moyen de défense relativement à une accusation de complot.

111. Des éléments de preuve tendent à établir que M. Dynar était partie à un complot auquel participait M. Cohen. À plusieurs reprises, dans les communications interceptées entre Anthony et M. Dynar, M. Cohen a été impliqué à titre de proche associé de M. Dynar dans ses activités de recyclage d’argent. Au cours des conversations enregistrées entre M. Cohen et l’agent McCarthy, à Buffalo, M. Cohen a clairement indiqué qu’il travaillait pour M. Dynar et il a démontré qu’il connaissait la teneur générale des propos échangés entre M. Dynar et Anthony. Le simple fait que M. Cohen se soit rendu à Buffalo conformément aux arrangements pris par M. Dynar et Anthony nous permet de déduire que lui et M. Dynar agissaient de concert.

112. La preuve appuie nettement, à tout le moins, l’existence d’une entente en vue de recycler ce que les conspirateurs croyaient être des produits de la criminalité. En outre, des éléments de preuve tendent à établir que l’entente ne se limitait pas au scénario discuté dans le cadre de l’opération d’infiltration policière. Aux dires de M. Dynar, ses activités étaient solidement établies, avec le concours d’acolytes répartis dans le monde entier, et il était en mesure de recycler très rapidement de fortes sommes de provenance illégale. M. Cohen a démontré qu’il connaissait très bien l’organisation matérielle du recyclage d’argent au Canada, en raison, selon lui, de son association avec M. Dynar. Enfin, en se présentant au rendez-vous de Buffalo, conformément aux arrangements pris entre Anthony et M. Dynar, M. Cohen a accompli un acte manifeste qui laisse entendre que les prétentions de M. Dynar concernant ses capacités et son association avec M. Cohen ne relevaient pas de la pure vantardise et de l’exagération. Il est raisonnable de conclure que les prétentions de M. Dynar, conformément à l’entente conclue entre lui et M. Cohen, devaient être extériorisées par des actes.

113. Un agent de la GRC, ayant qualité d’expert en matière de crime organisé, a témoigné sur l’interprétation à donner aux différentes allusions faites par M. Dynar au sujet de la provenance de l’argent. Selon cet expert, M. Dynar pensait sans l’ombre d’un doute que l’argent qu’il devait recycler provenait du trafic de stupéfiants. La preuve révèle que M. Cohen le pensait aussi. Il l’a démontré par son désir de tout faire pour ne pas être repéré par les douaniers à la frontière canadienne lorsqu’il ferait entrer l’argent au Canada. On peut donc affirmer que les deux conspirateurs présumés avaient l’intention nécessaire pour commettre l’infraction matérielle précise de recyclage des produits de la criminalité.

114. À l’évidence, les éléments de preuve produits ont établi la preuve prima facie requise dans une procédure d’extradition, car ils justifieraient que M. Dynar et M. Cohen soient cités à procès pour complot au Canada si les actes en cause avaient été accomplis dans notre pays. Le juge Keenan a donc eu raison de décider que M. Dynar pouvait être extradé pour les deux infractions reprochées: la tentative de recyclage d’argent et le complot en vue de recycler l’argent.

B. La communication à l’audience d’extradition: le pourvoi incident

115. M. Dynar a formé un pourvoi incident contre l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario pour le motif qu’il n’a pas eu droit à un procès équitable. Il soutient ne pas avoir été suffisamment informé de la participation des enquêteurs canadiens aux mesures prises pour recueillir les éléments de preuve qui ont justifié la délivrance du mandat de dépôt. Il fait valoir que cette absence de communication justifie la tenue d’une nouvelle audience au cours de laquelle tous les éléments devraient lui être communiqués, ce qui pourra lui fournir des moyens pour justifier une demande de sursis d’instance.

116. Subsidiairement, il affirme qu’il soutiendra lors de la nouvelle audience, que son droit d’être protégé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, garanti par l’art. 8 de la Charte, n’a pas été respecté parce que l’interception des communications produites en preuve n’a pas été autorisée par un juge. Il prétend en outre qu’il y a eu atteinte aux droits que lui confère l’art. 7 parce qu’on lui a tendu un piège étant donné que l’opération d’infiltration policière aurait été menée en l’absence de motifs raisonnables de croire à la perpétration d’une infraction. L’intimé a admis dans sa plaidoirie orale que ces efforts visaient en bout de ligne à obtenir soit l’exclusion de la preuve recueillie grâce à l’opération policière, soit un sursis d’instance. Toutefois, la nature de l’audience d’extradition et la preuve invoquée par l’État requérant à l’audience relative à l’incarcération font ressortir qu’une nouvelle audience n’est pas justifiée.

(1) La nature de l’audience d’extradition

117. La procédure d’extradition au Canada est régie par la Loi sur l’extradition qui transpose en règles de droit interne les obligations internationales du Canada qui s’est engagé à extrader les fugitifs ayant commis des crimes à l’étranger: McVey, précité, à la p. 508. La loi établit une procédure en deux étapes pour déterminer si le fugitif doit être livré à un pays étranger pour y être jugé.

118. La première étape, l’audience relative à l’incarcération, constitue la phase judiciaire du processus au cours de laquelle le fugitif comparaît devant un juge pour que celui‑ci détermine si la preuve justifie son extradition. Si l’État requérant établit le bien‑fondé de sa demande, le fugitif est incarcéré. Dans le cas contraire, le fugitif est libéré. Si le fugitif est incarcéré en vue de son extradition, le mandat de dépôt, ainsi que tout rapport préparé par le juge qui a présidé l’audience relative à l’incarcération sont transmis au ministre de la Justice qui tranche alors de façon définitive la question de savoir si le fugitif doit être extradé. Cette deuxième phase du processus est de nature politique et n’est pas contestée dans le pourvoi incident. Le pourvoi incident porte plutôt sur l’étendue de la protection en matière de procédure à laquelle le fugitif a droit pendant la phase judiciaire du processus — l’audience relative à l’incarcération.

119. Aux termes de l’art. 13 de la Loi sur l’extradition, la procédure touchant l’incarcération «se déroule, dans la mesure du possible [. . .] comme [si le fugitif] comparaissait devant un juge de paix pour un acte criminel commis au Canada». Le but de l’audience d’extradition d’un fugitif accusé d’un crime commis à l’étranger est énoncé à l’al. 18(1)b):

18. (1) Le juge délivre un mandat de dépôt portant incarcération du fugitif dans la prison appropriée la plus rapprochée en attendant la remise de celui‑ci à l’État étranger ou sa libération conformément à la loi:

. . .

b) dans le cas où le fugitif n’est qu’accusé d’un crime donnant lieu à l’extradition, lorsque les éléments de preuve produits justifieraient en droit canadien, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, sa citation à procès si le crime avait été commis au Canada.

Le juge d’extradition doit déterminer s’il faut incarcérer le fugitif en vue de son extradition, c’est‑à‑dire qu’il décide si une preuve prima facie a été établie qui justifierait sa citation à procès si les actes qu’on lui reproche avaient été commis au Canada.

120. Les pouvoirs du juge d’extradition lui sont conférés exclusivement par la loi et le traité applicable. Aux termes de l’art. 3 de la loi, celle‑ci doit recevoir une interprétation favorable à la mise en {oe}uvre du traité applicable. Le juge La Forest a déclaré, au nom de la majorité, dans l’arrêt McVey, précité, à la p. 519, que les tribunaux doivent trouver un fondement législatif à chaque fonction particulière qu’ils attribuent à un juge d’extradition et que «les tribunaux ne devraient pas se déclarer compétents à l’égard de questions que la Loi ne leur a pas confiées». Il a notamment été décidé ce qui suit, dans l’affaire Argentine c. Mellino, [1987] 1 R.C.S. 536, à la p. 553:

. . . en l’absence d’une autorisation expresse découlant d’une loi ou d’un traité, l’unique but d’une audience d’extradition est de s’assurer que la preuve établit une apparence suffisante de la perpétration d’un crime donnant lieu à l’extradition. [Nous soulignons.]

En conséquence, le rôle du juge d’extradition a été jugé «modeste», limité à déterminer si la preuve est suffisante ou non pour justifier l’incarcération du fugitif en vue de son extradition: voir, par exemple, États‑Unis d’Amérique c. Lépine, [1994] 1 R.C.S. 286, à la p. 296; Mellino, précité, à la p. 553; McVey, précité, à la p. 526.

121. L’une des fonctions les plus importantes de l’audience d’extradition consiste à protéger la liberté individuelle. Elle garantit qu’une personne ne sera pas extradée pour subir son procès à l’étranger à moins que l’État requérant ne présente, tel qu’il a été expliqué précédemment, une preuve établissant une apparence suffisante de la commission à l’étranger par cette personne d’actes qui constitueraient un crime au Canada. Voir McVey, précité, à la p. 519; Commonwealth de Puerto Rico c. Hernandez, [1975] 1 R.C.S. 228, à la p. 245, le juge Laskin (plus tard Juge en chef); Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500, à la p. 515. Le juge d’extradition peut également être investi de pouvoirs limités concernant la Charte sous le régime du par. 9(3) de la Loi sur l’extradition, modifiée, mais il n’est pas nécessaire de préciser la portée de cette compétence pour trancher le présent pourvoi.

122. Le juge saisi d’une demande d’extradition a un rôle important à jouer. Pourtant, il ne faut pas oublier que l’audience doit être un processus accéléré, conçu pour maintenir les dépenses à leur niveau le plus bas et pour garantir l’exécution rapide des obligations internationales du Canada. Comme le juge La Forest l’a affirmé, au nom de la majorité dans l’arrêt McVey, précité, à la p. 551, «les procédures d’extradition ne sont pas des procès. Elles sont conçues comme des procédures expéditives pour déterminer s’il doit y avoir un procès». En fait, dans certains contextes, l’obligation de recourir à une procédure qui tient davantage du procès à l’étape de l’incarcération en vue de l’extradition pourrait «nuire au fonctionnement des procédures en matière d’extradition»: McVey, précité, à la p. 528. Voir aussi Schmidt, précité, à la p. 516.

(2) L’application de la Charte aux procédures d’extradition

123. Il est certain que la Charte s’applique aux procédures d’extradition. Néanmoins, l’art. 32 de la Charte précise qu’elle ne s’applique qu’aux représentants de l’État canadien. Du reste, en vertu des principes de la courtoisie internationale, la Charte ne saurait en règle générale recevoir d’application extraterritoriale: voir, par exemple, Schmidt, précité, aux pp. 518 et 527; États‑Unis c. Allard, [1987] 1 R.C.S. 564, à la p. 571; Mellino, précité, à la p. 552.

124. La Charte garantit donc le caractère équitable de l’audience relative à l’incarcération. Le pouvoir discrétionnaire du ministre d’extrader le fugitif peut également faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte. Dans les deux cas, l’art. 7 de la Charte, selon lequel il ne peut être porté atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale, sera le plus souvent invoqué. Il est évident que la liberté et la sécurité de la personne d’un fugitif sont en jeu dans une procédure d’extradition. Cette procédure doit donc se dérouler en conformité avec les principes de justice fondamentale: voir A. W. La Forest, La Forest’s Extradition to and from Canada (3e éd. 1991), à la p. 132; Schmidt, précité, aux pp. 520 et 521.

125. Même lorsque les autorités canadiennes participent suffisamment à la procédure pour justifier l’application de la Charte, les tribunaux doivent faire preuve de prudence. On a fait remarquer que «l’intervention des tribunaux doit se limiter aux cas où cela s’impose»: Schmidt, précité, à la p. 523. Agir autrement pourrait trop facilement placer le Canada dans une situation où il manquerait à ses obligations internationales: voir La Forest’s Extradition, op. cit., à la p. 25.

126. M. Dynar n’a pas prétendu que la situation dans laquelle il se retrouverait aux États‑Unis serait oppressive ou inacceptable à quelque égard. En fait, pour invoquer un tel argument avec succès, le fugitif devrait démontrer qu’il subirait un traitement inusité qui «choque la conscience» ou qui est «simplement inacceptable»: Schmidt, précité, à la p. 522; Allard, précité, à la p. 572. M. Dynar a plutôt fait porter l’essentiel de ses arguments sur les garanties procédurales en matière de communication que lui accorde la Charte relativement à l’audience d’extradition.

(3) Garanties procédurales applicables à l’audience d’extradition

a) Le droit à la communication des éléments en la possession de l’État requérant

127. Selon M. Dynar, il a droit à une communication très étendue dans le cadre de la procédure d’extradition afin de pouvoir présenter une défense pleine et entière en conformité avec les droits garantis par l’art. 7 de la Charte. Pour l’essentiel, M. Dynar soutient qu’une version assouplie des règles établies dans les arrêts R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, et R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727, doit s’appliquer. Bien qu’il ne soit pas nécessaire en l’espèce de trancher la question de l’étendue de la communication requise dans une procédure d’extradition, il y a lieu de formuler certaines remarques à ce sujet.

128. L’audience d’extradition doit respecter les principes de justice fondamentale, mais il ne s’ensuit pas que le fugitif a nécessairement droit à la communication la plus complète possible. Les principes de justice fondamentale garantis par l’art. 7 de la Charte varient selon le contexte de la procédure dans le cadre de laquelle ils sont soulevés. À l’évidence, il n’existe pas de droit à la procédure la plus favorable qu’on puisse imaginer: R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, aux pp. 361 et 362. Ainsi, on a jugé que des garanties procédurales moins strictes que celles applicables dans le cadre d’un procès criminel convenaient aux audiences en matière d’immigration. Voir Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711. Cette solution vaut également pour la procédure d’extradition. Certes, l’arrêt Idziak c. Canada (Ministre de la Justice), [1992] 3 R.C.S. 631, à la p. 658, précise que l’audience relative à l’incarcération dans la procédure d’extradition est «certainement judiciaire de par sa nature et justifie l’application de toute la gamme des garanties en matière de procédure», mais il dit aussi que l’étendue et la nature de la protection procédurale garantie par l’art. 7 de la Charte dans une procédure d’extradition dépendra du contexte dans lequel elle est réclamée (aux pp. 656 et 657).

129. Le contexte et l’objet de l’audience d’extradition déterminent l’importance de la protection accordée au fugitif en matière de procédure. Dans l’arrêt Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, à la p. 844, la Cour à la majorité s’est exprimée comme suit:

Bien que le processus d’extradition constitue une partie importante de notre système de justice pénale, il serait erroné de le faire correspondre au processus d’instance criminelle. Il est différent du processus criminel par son objet et sa procédure et, ce qui est le plus important, par les facteurs qui le rendent équitable. Contrairement à la procédure criminelle, la procédure en matière d’extradition est fondée sur des concepts de réciprocité, de courtoisie et de respect des différences dans d’autres ressorts.

Voir aussi Mellino, précité, à la p. 551.

130. Il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire ni indiqué de transposer simplement dans le processus d’extradition toutes les exigences en matière de communication mentionnées dans les arrêts Stinchcombe, Chaplin et O’Connor, précités. Ces concepts s’appliquent aux procédures pénales internes, dans le cadre desquelles le ministère public est à juste titre tenu de s’acquitter de lourdes obligations quant à la communication à la défense de tous les documents pertinents qu’il a en sa possession ou sur lesquels il exerce son autorité. C’est le corollaire du droit de l’accusé à une défense pleine et entière dans un procès tenu au Canada. La procédure d’extradition, elle, est régie par les stipulations d’un traité et par la loi. Le rôle du juge d’extradition est limité et l’étendue des garanties procédurales à respecter, notamment en matière de communication, doit être établie en fonction de ce contexte.

131. Les règles régissant la procédure dans une audience d’extradition sont nécessairement moins complexes et moins détaillées que dans une enquête préliminaire ou un procès en droit interne. Les décisions antérieures ont judicieusement évité d’assujettir l’audience relative à l’incarcération à des exigences procédurales qui gêneraient l’exécution par le Canada de ses obligations internationales. Ainsi, des réserves ont été exprimées dans l’arrêt Mellino, précité, à la p. 548, relativement aux règles de procédure qui feraient de l’audience d’extradition le cadre d’un examen minutieux des motifs du retard à demander l’extradition ou à engager une procédure d’extradition. Le juge La Forest a déclaré, au nom de la majorité, que cette fonction «ne conv[enait] guère à des procédures d’extradition».

132. Les pouvoirs conférés par la loi au juge d’extradition sont limités. Le juge qui préside l’audience peut recevoir sous serment les témoignages visant à établir la véracité de l’accusation ou l’existence de la condamnation (art. 14), recevoir les témoignages visant à établir que le crime en cause ne constitue pas un crime donnant lieu à l’extradition (art. 15) et tenir compte des dépositions ou déclarations faites sous serment dans un État étranger et dûment authentifiées (art. 16). L’État requérant doit simplement produire une preuve prima facie du bien‑fondé de l’extradition du fugitif, rien de plus. L’audience relative à l’incarcération n’a pas pour objet d’assurer la communication prévue dans une enquête préliminaire en droit interne et elle n’a pas été conçue à cette fin. Voir Philippines (Republic) c. Pacificador (1993), 14 O.R. (3d) 321 (C.A.), aux pp. 328 à 339, autorisation de pourvoi refusée, [1994] 1 R.C.S. x. Plus précisément, ni la loi ni le traité n’obligent l’État requérant à révéler les rapports entre les États‑Unis et les autorités canadiennes dans le cadre d’une enquête.

133. On a souligné, à la p. 555 de l’arrêt Mellino, précité, que l’une des difficultés pratiques à laquelle se heurterait le juge d’extradition appelé à trancher des questions telles le caractère déraisonnable d’un retard imputable aux fonctionnaires du Canada ou de l’État requérant est «le peu d’informations dont dispose un juge d’extradition et son défaut de compétence pour obtenir de plus amples renseignements». Toute obligation de communication que l’on considérerait comme prévue par la loi au nom de la justice fondamentale reconnue à l’art. 7 de la Charte serait donc nécessairement restreinte en raison du rôle limité attribué au juge d’extradition par la loi et de la nécessité d’éviter d’imposer les notions canadiennes relatives à l’équité procédurale aux autorités étrangères.

134. L’État requérant reconnaît au fugitif le droit d’être informé de la preuve qu’il devra réfuter. Voir United States of America c. Whitley (1994), 94 C.C.C. (3d) 99 (C.A. Ont.), conf. par [1996] 1 R.C.S. 467. Compte tenu de l’objet de l’audience, toutefois, le fugitif n’aurait droit qu’à la communication des éléments sur lesquels l’État requérant s’appuie pour établir sa preuve prima facie.

135. M. Dynar ne prétend pas avoir obtenu une communication incomplète des éléments invoqués à l’appui de la preuve prima facie présentée contre lui. Par conséquent, compte tenu de la nature limitée de l’audience d’extradition, aucune communication additionnelle n’était nécessaire et la prétention de M. Dynar voulant qu’il n’ait pas été traité équitablement à l’audience présidée par le juge Keenan est sans fondement.

b) Absence de question justiciable des tribunaux ayant trait à la Charte

136. Compte tenu de la preuve produite et de la nature de l’audience d’extradition, l’instance ne soulève tout simplement aucune question ayant trait à la Charte susceptible d’être tranchée par les tribunaux. M. Dynar s’est servi du réseau téléphonique pour exercer ses activités aux États‑Unis. Il a également envoyé M. Cohen à Buffalo pour prendre l’argent. Peu importe qu’il n’ait jamais quitté le Canada. Les agissements de M. Dynar et M. Cohen suffisaient pour les assujettir à la compétence des États‑Unis. L’affidavit produit par l’État requérant révèle que la preuve a été recueillie par les autorités américaines, en territoire américain, aux fins d’une enquête américaine. Tenter d’établir la participation des autorités canadiennes qui auraient agi de concert avec les autorités américaines n’y changera rien.

137. L’arrêt R. c. Terry, [1996] 2 R.C.S. 207, portait sur une coopération officieuse entre les personnes chargées de l’application de la loi au Canada et aux États‑Unis. Le Canada tentait d’obtenir le renvoi au Canada d’un Canadien accusé de meurtre qui se trouvait dans l’État de Californie. Le fugitif a été arrêté par les policiers de la Californie qui l’ont interrogé, à la demande des autorités canadiennes. L’enquête s’est déroulée en conformité avec le droit américain, mais les policiers n’ont pas informé le fugitif de son droit à l’assistance d’un avocat selon les exigences établies par la Charte. Le fugitif a fait valoir que la déclaration faite aux policiers de la Californie ne devait donc pas être admise en preuve dans le cadre de son procès au Canada. Le juge McLachlin, s’exprimant au nom de la Cour, a statué que pour conclure à l’existence d’une violation de la Charte, il fallait d’abord conclure que les policiers de la Californie étaient assujettis à la Charte. Pareille conclusion «irait à l’encontre de la règle bien établie selon laquelle un État n’a de compétence pour faire appliquer ses lois qu’à l’intérieur de ses propres frontières territoriales» (p. 215).

138. Le juge McLachlin a ajouté, à la p. 216, que «[l]a pratique de la coopération entre les policiers de différents pays ne rend pas les lois d’un pays applicables dans un autre». Elle a poursuivi son raisonnement, à la p. 217:

La Charte peut encore moins régir la conduite de policiers étrangers qui coopèrent officieusement avec la police canadienne. La décision personnelle d’un policier ou d’un organisme étranger d’aider la police canadienne ne peut diminuer l’exclusivité de la souveraineté d’un État étranger sur son territoire, où seules ses lois régissent le maintien de l’ordre. Les personnes qui recueillent des éléments de preuve dans un pays étranger sont tenues de respecter les règles de ce pays, et aucune autre règle. Par conséquent, toute enquête fondée sur la collaboration entre des autorités policières canadiennes et américaines sera régie par les lois du pays où l’activité en question se déroule . . .

Enfin, elle a conclu, à la p. 220, que «[m]ême s’ils pouvaient de quelque façon être qualifiés de «mandataires» de la police canadienne, dans la mesure où ils agissaient en Californie, ils étaient assujettis aux lois de la Californie». L’existence d’une coopération, officielle ou officieuse, entre les deux ressorts ne modifie pas ces principes.

139. Si les policiers étrangers ne sont pas assujettis à la Charte, la preuve qu’ils recueillent ne peut être exclue en vertu du par. 24(2) de la Charte. Certes, dans certaines circonstances, la preuve pourrait être exclue sans que soit invoqué le par. 24(2). Ce serait le cas si la preuve avait été recueillie par les autorités étrangères de façon si abusive que son admission serait en soi inéquitable au sens de l’art. 7 de la Charte. Voir R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562, aux pp. 571 et 572; Terry, précité, aux pp. 218 et 219. Mais les arrêts Harrer et Terry portent tous les deux sur la preuve recueillie par des autorités étrangères en vue d’un procès canadien. Cette exception n’est d’aucun secours à M. Dynar qui demande l’exclusion de la preuve dans le cadre d’une audience d’extradition.

140. Bien qu’un fugitif puisse faire valoir que l’admission d’une preuve quelconque dans le cadre d’une audience d’extradition est inéquitable en soi au sens de l’art. 7 de la Charte, M. Dynar n’aurait pu avoir gain de cause sur ce point. La preuve obtenue par écoute électronique a été recueillie au Nevada en conformité avec le droit américain, mais selon des modalités qui seraient inacceptables au Canada. Toutefois, le fait que la preuve a été obtenue dans un ressort étranger selon des modalités qui ne respectent pas la Charte canadienne ne suffit pas en soi pour rendre la procédure inéquitable à tel point que la preuve doive être exclue: Harrer, précité, à la p. 573. Des considérations de cette nature doivent toujours être soupesées en regard de la nécessité d’assurer le respect par le Canada de ses obligations internationales, afin de favoriser la coopération entre enquêteurs de ressorts différents et d’éviter de forcer indirectement les autorités étrangères à établir des garanties procédurales semblables aux nôtres pour obtenir l’extradition d’un fugitif.

141. M. Dynar prétend qu’en raison du manquement par l’État requérant à l’obligation de communiquer, il n’y a pas d’éléments de preuve au dossier sur lesquels il pourrait se fonder, ne serait‑ce que pour tenter d’invoquer la Charte. Or la preuve produite par l’État requérant révèle suffisamment de renseignements pour justifier que l’on conclue à l’absence de «vraisemblance» de la prétention selon laquelle M. Dynar pourrait établir que les fonctionnaires canadiens ont violé la Charte en recueillant la preuve. Parmi les éléments versés aux débats devant le juge Keenan figurait un affidavit de l’agent Matthews. Il révèle clairement que le FBI s’intéressait aux activités de M. Dynar depuis quelque temps, que l’agent Matthews lui‑même savait que M. Dynar avait déjà admis à d’autres occasions avoir recyclé d’importantes sommes d’argent dans l’État du Nevada et qu’il avait amorcé l’enquête en raison des soupçons qu’avait éveillés chez lui l’appel téléphonique de M. Dynar à Lucky Simone. Cet affidavit fournit suffisamment d’éléments pour étayer la conclusion que l’enquête, la preuve et la poursuite étaient essentiellement américaines. L’étendue de la coopération des autorités canadiennes n’y aurait pu rien changer.

142. Les faits à l’origine du présent pourvoi illustrent la justesse de l’arrêt Terry. S’il faut faire preuve d’une prudence extrême avant d’exclure une preuve étrangère pour des motifs fondés sur la Charte dans une procédure d’extradition, c’est parce qu’il est difficile d’imaginer comment on pourrait y parvenir sans assujettir indirectement le ressort étranger à la Charte en donnant à celle‑ci une portée extraterritoriale. Si ce problème se pose lorsque la preuve étrangère est utilisée dans un procès qui se déroule au Canada (Terry, précité), il doit à plus forte raison constituer un facteur très important, sinon déterminant, lorsque la preuve doit être utilisée dans un procès tenu à l’étranger.

143. Certes, le fugitif a le droit de n’être incarcéré que sur la foi d’une preuve légalement admissible en vertu du droit de la province dans laquelle a lieu l’audience relative à l’incarcération: voir La Forest’s Extradition, op. cit., à la p. 160. Mais d’après une jurisprudence constante et juste, la Charte ne reçoit pas, en règle générale, d’application extraterritoriale. Par conséquent, les tribunaux canadiens ne peuvent soumettre la preuve étrangère aux normes d’admissibilité élaborées par la jurisprudence portant sur le par. 24(2) de la Charte.

144. M. Dynar avait droit à un procès équitable devant le juge d’extradition et, selon nous, il l’a obtenu. Il n’avait pas droit à la communication d’autres éléments que ceux que l’État requérant a produits pour établir la preuve prima facie. Quoi qu’il en soit, la preuve fournie par l’État requérant comportait suffisamment de renseignements pour mener à la conclusion que la preuve a été recueillie entièrement aux États‑Unis, par des fonctionnaires américains, en vue d’un procès devant se dérouler aux États‑Unis. L’instance ne saurait donc soulever aucune question justiciable des tribunaux ayant trait à la Charte. Dans les circonstances, une nouvelle audience n’est tout simplement pas justifiée.

c) Divulgation des éléments en la possession des autorités canadiennes

145. M. Dynar a soutenu que, même s’il n’avait pas droit à la communication de renseignements additionnels de la part des autorités américaines, il avait le droit d’obtenir celle des éléments qui sont en la possession des autorités canadiennes. Étant donné qu’aucune question justiciable des tribunaux ayant trait à la Charte ne peut être soulevée par la participation potentielle des autorités canadiennes à l’obtention de la preuve en l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner l’étendue de la divulgation qui pourrait être exigée dans d’autres circonstances.

146. De même, il n’est pas nécessaire de trancher la question de l’étendue de la compétence conférée au juge d’extradition par le par. 9(3) de la Loi sur l’extradition, modifiée, dans un cas où une participation suffisante de l’État canadien pourrait être établie. Peut‑être suffit‑il de préciser qu’en conséquence de l’entrée en vigueur de cette disposition, le juge d’extradition est «un tribunal compétent» au sens de l’art. 24 de la Charte, à condition que le juge qui préside l’audience exerce normalement cette fonction. Avant de pousser l’analyse de cette question, il convient d’attendre que sa solution soit déterminante quant à l’issue d’un pourvoi.

147. Les faits exposés en l’espèce font obstacle à tout recours à la Charte

à l’audience relative à l’incarcération et le pourvoi incident doit être rejeté.

VI. Conclusion

148. Par ces motifs, le pourvoi est donc accueilli, l’arrêt de la Cour d’appel infirmé et le pourvoi incident rejeté. L’ordonnance portant incarcération du fugitif en vue de son extradition prononcée par le juge Keenan et la décision du ministre de la Justice d’extrader le fugitif sont rétablies.

Version française des motifs des juges Sopinka, McLachlin et Major rendus par

149. Le juge Major — Je suis d’accord avec les juges Cory et Iacobucci quant à la solution qu’ils proposent d’apporter au présent pourvoi, mais contrairement à mes collègues, j’estime que les faits de l’espèce ne permettent pas de conclure à la tentative d’infraction prévue à l’art. 24 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

150. Ce ne devrait pas être criminel que de tenter d’accomplir des actes qui, s’ils étaient menés à terme, ne constitueraient pas une infraction au Canada. Personnellement, tout comme la Cour d’appel de Nouvelle‑Zélande (R. c. Donnelly, [1970] N.Z.L.R. 980), la Chambre des lords (Haughton c. Smith, [1973] 3 All E.R. 1109), la Cour d’appel de New York (People c. Jaffe, 78 N.E. 169 (1906)) et la Cour d’appel de l’Ontario en l’espèce ((1995), 25 O.R. (3d) 559), je n’arrive pas à comprendre comment l’intention, jointe à des actes tenus pour criminels, suffit pour conclure que l’accusé est coupable de tentative, alors que ce qu’il a tenté de faire ne constitue pas une infraction visée par le Code criminel.

151. Mes collègues ont décrit soigneusement les différents éléments de l’erreur de fait et de l’erreur de droit et ils concluent qu’il n’existe aucune différence entre les deux lorsque l’erreur sert de fondement à la défense d’impossibilité opposée à une accusation criminelle. Selon eux, l’impossibilité ne peut être invoquée en défense qu’à l’encontre d’un crime imaginaire. Le débat sur la distinction entre la défense d’erreur de fait et la défense d’erreur de droit alimente la réflexion des juges, des universitaires et des législateurs depuis au moins 150 ans. La question en litige dans le présent pourvoi peut être tranchée sans que soit résolue la controverse sur la tentative des crimes qui, de par leur nature, sont impossibles à commettre. En effet, les éléments de l’infraction ne sont pas réunis en l’espèce.

152. L’hypothèse suivante illustre bien le problème. A achète des biens à B pour une fraction de leur juste prix. A croit qu’il peut les obtenir à si bon marché parce qu’ils ont été volés et il l’avoue à la police. Après enquête, la police découvre que les biens n’ont pas été volés et que A a simplement fait une bonne affaire. L’acheteur a‑t‑il néanmoins commis une infraction? Mes collègues disent que oui. Ils estiment que A a commis l’infraction de tentative de possession de biens volés. Je ne suis pas d’accord. Il ressort clairement de l’art. 24 que l’un des éléments de l’infraction est que le résultat recherché constitue une infraction.

I. La tentative d’infraction

153. Pour que le juge d’extradition puisse ordonner l’incarcération de l’intimé Dynar en vue de son extradition aux États‑Unis, la règle de la «double incrimination» doit être respectée. Le juge doit se demander si les agissements reprochés, s’ils avaient eu lieu au Canada, constitueraient une infraction criminelle. Le ministère public appelant soutient que Dynar, compte tenu des faits de l’espèce, pourrait être déclaré coupable de tentative de recyclage des produits de la criminalité ou de complot en vue de recycler des produits de la criminalité en droit canadien. Je doute que l’infraction de tentative puisse être établie à partir des faits de l’espèce, étant donné que les agissements de Dynar, conjugués à son intention, ne constituaient pas une tentative aux termes de l’art. 24.

154. La tentative est définie au par. 24(1) du Code criminel:

24. (1) Quiconque, ayant l’intention de commettre une infraction, fait ou omet de faire quelque chose pour arriver à son but est coupable d’une tentative de commettre l’infraction, qu’il fût possible ou non, dans les circonstances, de la commettre.

Indubitablement, il doit y avoir une infraction sous‑jacente susceptible d’être commise, avant que l’on puisse examiner les éléments de l’infraction de tentative. Mes collègues acceptent que, vu les faits, les agissements de Dynar ne constitueraient pas une infraction criminelle au Canada. Il en est ainsi parce que Dynar ne «savait» pas que l’argent à recycler était le produit de la criminalité, puisque ce n’était pas le cas. L’argent était un accessoire utilisé par la police au cours d’une opération d’infiltration. À mon avis, étant donné que Dynar n’a pas tenté en connaissance de cause de recycler les produits de la criminalité, on ne peut affirmer qu’il avait l’«intention de commettre une infraction» aux termes du par. 24(1).

155. L’article 462.31 du Code criminel définit l’infraction de recyclage des produits de la criminalité dans les termes suivants:

462.31 (1) Est coupable d’une infraction quiconque — de quelque façon que ce soit — utilise, enlève, envoie, livre à une personne ou à un endroit, transporte, modifie ou aliène des biens ou leurs produits — ou en transfère la possession — dans l’intention de les cacher ou de les convertir sachant qu’ils ont été obtenus ou proviennent, en totalité ou en partie, directement ou indirectement:

a) soit de la perpétration, au Canada, d’une infraction de criminalité organisée ou d’une infraction désignée en matière de drogue;

b) soit d’un acte ou d’une omission survenu à l’extérieur du Canada qui, au Canada, aurait constitué une infraction de criminalité organisée ou une infraction désignée en matière de drogue. [Je souligne.]

L’article 19.2 de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. (1985), ch. N-1, va dans le même sens:

19.2 (1) Commet une infraction quiconque — de quelque façon que ce soit — utilise, enlève, envoie, livre à une personne ou à un endroit, transporte, modifie ou aliène des biens ou leurs produits — ou en transfère la possession — dans l’intention de les cacher ou de les convertir sachant qu’ils ont été obtenus ou proviennent, en totalité ou en partie, directement ou indirectement:

a) soit de la perpétration, au Canada, d’une infraction prévue aux articles 4, 5 ou 6;

b) soit d’un acte ou d’une omission survenu à l’extérieur du Canada et qui, au Canada, aurait constitué une telle infraction. [Je souligne.]

L’infraction matérielle précise exige, tant dans le Code criminel que dans la Loi sur les stupéfiants, que l’accusé utilise des produits sachant qu’ils proviennent, en totalité ou en partie, directement ou indirectement, de la perpétration d’une infraction criminelle.

156. La connaissance est indissociable de la vérité. L’infraction de recyclage des produits de la criminalité ne peut pas être commise si les sommes à recycler ne sont pas effectivement des produits de la criminalité.

157. Le ministère public appelant a soutenu, cependant, que la Cour devrait donner au mot «sachant», employé à l’art. 462.31, le sens du mot «croyant», de manière à entraîner une déclaration de culpabilité quant à l’infraction matérielle précise lorsque l’accusé croit que ce qu’il recycle est le produit de la criminalité. L’appelant soutient que si Dynar avait effectivement reçu de l’argent propre d’un organisme chargé de l’application de la loi et qu’il l’avait recyclé, il aurait dû être déclaré coupable de recyclage des produits de la criminalité, malgré le fait qu’il n’aurait pas recyclé des produits de la criminalité. Pourtant, le sens ordinaire des mots «sachant» et «croyant» n’est pas le même. Le regretté professeur Glanville Williams dans Textbook of Criminal Law (2e éd. 1983), a affirmé à la p. 160:

[traduction] Le mot «savoir» renvoie exclusivement à la connaissance véritable; l’on ne peut affirmer «savoir» sans connaître la vérité. En revanche, une croyance peut être erronée, puisqu’il s’agit d’une conviction subjective, juste ou erronée.

158. Il est utile d’examiner le libellé de l’infraction matérielle précise dont Dynar a été accusé aux États‑Unis. Le par. 1956(a)(3) du titre 18 du United States Code porte que:

[traduction]

§1956. Recyclage d’instruments monétaires

(a) . . .

(3) Quiconque, avec l’intention

(A) de favoriser la poursuite d’une activité illégale désignée;

(B) de dissimuler ou de masquer la nature, le lieu, la provenance, la propriété ou le contrôle d’un bien qu’on croit être le produit d’une activité criminelle désignée;

(C) de se soustraire à l’obligation de présenter un rapport d’opération conformément à la loi d’un État ou à la loi fédérale,

mène ou tente de mener une opération financière concernant un bien présenté comme étant le produit d’une activité criminelle désignée, ou un bien utilisé pour mener ou faciliter une activité illégale désignée, sera condamné en vertu du présent titre à une amende ou à une peine d’emprisonnement maximale de 20 ans, ou à l’une et l’autre. Pour l’application du présent paragraphe et du paragraphe (2), le terme «présenté» signifie toute déclaration faite par un agent responsable de l’application de la loi ou par une autre personne à la demande ou avec l’approbation d’un agent fédéral autorisé à enquêter ou à exercer des poursuites en rapport avec les manquements au présent article. [Je souligne.]

Il est évident que l’infraction n’est pas définie de la même façon aux États‑Unis qu’ici au Canada. La première exigence n’est pas la «connaissance», mais la «croyance». De même, en incluant [traduction] «un bien présenté comme étant le produit d’une activité criminelle désignée» dans la définition des produits de la criminalité, le droit américain permet expressément le recours à la ruse pour faire croire à un projet de recyclage d’argent, afin de mener une enquête policière et d’exercer des poursuites. Notre article créant l’infraction de recyclage des produits de la criminalité n’est pas rédigé de cette façon.

159. Le législateur pourrait facilement adopter un texte qui fasse de la croyance l’élément moral d’un crime. Examinons le par. 4(1) de la Loi sur les stupéfiants:

4. (1) Le trafic de stupéfiant est interdit, y compris dans le cas de toute substance que le trafiquant prétend ou estime être tel.

En vertu de ce paragraphe, si une personne croit que la substance dont elle fait le trafic est un stupéfiant, elle est coupable, qu’il s’agisse ou non d’un stupéfiant. Il est évident que le législateur est conscient des options qui s’offrent à lui et le choix du mot «sachant» plutôt que du mot «croyant» pour indiquer une exigence quant à la perpétration de l’infraction visée à l’art. 462.31 du Code criminel ou à l’art. 19.2 de la Loi sur les stupéfiants devrait être respecté.

160. Des sens différents doivent implicitement être donnés à ces deux mots dans plusieurs articles du Code criminel. Pour l’utilisation des mots «sachant», «sciemment» et «sait» employés seuls, voir:

L’alinéa 163(2)a) (vente ou possession de publications obscènes), qui exige que l’accusé, «sciemment et sans justification ni excuse légitime», vende, expose à la vue du public ou ait en sa possession des publications obscènes;

L’article 181 (diffusion de fausses nouvelles), qui exige que l’accusé ait volontairement publié une déclaration «qu’il sait fausse» (noter que cet article a été déclaré inconstitutionnel par notre Cour dans l’arrêt R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731 («Zundel (no 2)»);

L’article 300 (libelle diffamatoire), qui exige que l’accusé publie «un libelle diffamatoire qu’il sait être faux»;

Le paragraphe 354(1) (possession de biens criminellement obtenus), qui exige que l’accusé ait en sa possession un bien ou une chose «sachant» que tout ou partie d’entre eux ont été obtenus ou proviennent directement ou indirectement de la perpétration d’un crime.

À comparer avec:

L’alinéa 495(1)a) (la norme applicable aux arrestations sans mandat), qui porte qu’un agent de la paix peut arrêter sans mandat une personne qui, «d’après ce qu’il croit pour des motifs raisonnables, a commis [. . .] un acte criminel».

Pour une utilisation disjonctive des mots «sachant» et «croyant», voir l’al. 196(4)a). Il est évident que le législateur avait l’intention de donner des sens différents à ces deux mots.

161. Les tribunaux canadiens ont statué péremptoirement que le mot «sachant» exige que l’objet de connaissance soit vrai pour être connu; voir l’arrêt R. c. Zundel (1987), 31 C.C.C. (3d) 97, où la Cour d’appel de l’Ontario a statué que l’art. 181 du Code criminel (diffuser une nouvelle que l’on sait fausse) exige la preuve que la déclaration publiée était réellement fausse. L’accusé ne pouvait «savoir» qu’il diffusait une fausse nouvelle que si cette nouvelle était réellement fausse. Dans Zundel (no 2), précité, le juge McLachlin a résumé les éléments de l’art. 181 à la p. 747:

[P]our avoir gain de cause, le ministère public doit prouver les propositions suivantes hors de tout doute raisonnable:

1. L’accusé a publié une déclaration, une histoire ou une nouvelle fausse;

2. L’accusé savait que la déclaration était fausse;

3. La déclaration cause, ou est de nature à causer, une atteinte ou du tort à quelque intérêt public. [Je souligne.]

Cet arrêt reconnaît que l’art. 181 exigeait que la déclaration en question soit réellement fausse.

162. Depuis longtemps la jurisprudence canadienne est fixée: le par. 354(1) (possession de biens, «sachant» qu’ils ont été volés) exige que les biens soient effectivement des biens volés pour qu’un accusé puisse «savoir» qu’ils le sont. Cela a été dit clairement dans l’arrêt R. c. Streu, [1989] 1 R.C.S. 1521. Le fait que l’accusé ait cru que les biens avaient été volés n’a pas suffi pour justifier une déclaration de culpabilité pour possession de biens, sachant qu’ils étaient volés. La Cour s’est reportée avec approbation à l’affirmation du juge Dickson (plus tard Juge en chef du Canada) dans l’arrêt R. c. Vogelle and Reid, [1970] 3 C.C.C. 171 (C.A. Man.), à la p. 177, selon laquelle [traduction] «[a]fin qu’un accusé soit déclaré coupable de l’infraction de receler des biens volés, il est essentiel que le ministère public prouve hors de tout doute raisonnable [. . .] [q]ue les biens sont des biens volés». Considérer maintenant que les mots «sachant» et «croyant» ont un sens équivalent renverserait une jurisprudence bien établie affirmant le contraire.

163. En outre, par le projet de loi C‑17, Loi de 1996 visant à améliorer la législation pénale, le législateur a entrepris de modifier l’art. 462.31 de manière à y faire figurer les mots «sachant ou croyant». Le projet de loi modifiera les deux lois dans le sens où l’appelant voudrait que notre Cour le fasse. Le Parlement est l’organe compétent pour décider de ces changements.

164. L’infraction de recyclage des produits de la criminalité, dans sa formulation actuelle, ne peut pas être perpétrée sans l’existence de produits de la criminalité. L’accusé ne peut pas «savoir» que ce qu’il recycle est le produit de la criminalité à moins que ce produit ne soit effectivement le produit de la criminalité. Celui qui «sait» connaît forcément la vérité. Sur ce point, je suis d’accord avec la conclusion tirée par mes collègues au par. 47:

Étant donné que l’argent que les agents d’infiltration américains ont demandé à M. Dynar de recycler n’était pas réellement le produit de la criminalité, M. Dynar ne pouvait savoir qu’il s’agissait du produit de la criminalité. Par conséquent, même s’il avait pu réaliser son plan, il n’aurait été coupable d’aucune infraction consommée connue en droit canadien.

165. Mes collègues, toutefois, font une seconde affirmation. Ils posent en principe que, même si les produits à recycler doivent être des produits de la criminalité pour qu’un accusé puisse les recycler en connaissance de cause, l’accusé peut être déclaré coupable de tentative de recyclage des produits de la criminalité lorsqu’il a recyclé ce qu’il croit être de tels produits. Je ne peux être d’accord. Il doit y avoir une infraction sous‑jacente pour qu’un accusé puisse tenter de commettre quoi que ce soit. Sans infraction, il ne peut y avoir de tentative d’infraction.

166. Mes collègues affirment que la connaissance exigée pour l’infraction de recyclage des produits de la criminalité ne constitue pas la mens rea de l’accusé. Pour ma part, je ne comprends pas la nécessité d’une division de la «connaissance» de l’accusé en une composante subjective et une composante objective, division sur laquelle mes collègues peinent aux par. 68 à 74 de leurs motifs. Le législateur, en vue peut-être d’éviter les abstractions de la métaphysique, a choisi de n’utiliser qu’un seul mot pour désigner l’élément moral de cette infraction. Nous n’avons pas besoin d’aller plus loin. Étant donné que l’accusé n’avait pas la connaissance, mens rea de l’infraction, on ne peut dire qu’il a tenté de la commettre.

167. Qui plus est, il n’est pas logique, compte tenu du sens ordinaire des mots, de dire que l’intimé a tenté de recycler des produits de la criminalité. L’intimé a seulement tenté de recycler ce que le FBI devait lui fournir. On peut supposer que cela l’indifférait que l’argent à recycler soit le produit de la criminalité ou le produit d’une activité légale. En fait, ce qu’il a tenté de faire, c’est de recycler de l’argent non entaché d’illégalité. Aucune infraction ne pouvait être commise. Le recyclage des produits d’une activité licite est un crime imaginaire.

168. Les modifications que le législateur se propose d’apporter (le projet de loi C‑17, mentionné ci‑dessus) se rapportent au recyclage d’argent seulement. Si mes collègues ont raison, leur décision conduirait à l’application d’une norme moins exigeante en matière de responsabilité pénale à toutes les infractions de tentative.

169. En l’absence de la défense d’impossibilité, certaines circonstances inhabituelles entraîneront des déclarations de culpabilité en matière pénale. Comme je l’ai fait remarquer précédemment, la personne qui possède des biens qu’elle croit volés sera déclarée coupable d’un crime, que ces biens aient été effectivement volés ou non. S’il ne s’agit pas de biens volés, l’accusé sera déclaré coupable en raison de son seul état d’esprit. Le droit pénal ne devrait pas scruter les consciences. Les tribunaux ecclésiastiques peuvent conclure à l’immoralité des intentions de l’accusé, mais le Code criminel n’en fait pas des infractions criminelles. D’autres tribunaux de common law ont convenu que de tels faits n’engagent pas la responsabilité pénale; voir Haughton c. Smith, précité; Jaffe, précité; Donnelly, précité (relativement à un texte de loi presque identique au par. 24(1)).

170. L’opinion de mes collègues mène à la conclusion que dans les nombreuses décisions mentionnées précédemment et dont l’arrêt Streu, précité, représente le point culminant, les mauvaises accusations ont été portées. Dans Streu, notre Cour a examiné en profondeur les éléments de preuve qui pouvaient être utilisés pour établir que les biens en possession de l’accusé avaient effectivement été volés. Toutefois, si mes collègues ont raison, c’était inutile étant donné que le ministère public n’a pas à prouver que les biens ont réellement été volés. L’accusé, dans des affaires comme celles‑là, pourrait être accusé de tentative de possession de biens volés au lieu de possession de biens volés. Alors, tout ce qui importe, c’est ce que croit l’accusé. Habituellement, on établit l’intention de l’accusé de posséder des bien volés en prouvant qu’il se les est procurés à une fraction de leur juste valeur. On en conclut que l’accusé croyait que les biens étaient des biens volés. Dispenser le ministère public de prouver que les biens ont effectivement été volés, c’est tout simplement s’exposer à de trop grands risques d’injustices. Les conditions minimales à remplir pour obtenir une déclaration de culpabilité pour possession de biens volés ne devraient pas être réduites à ce point.

171. L’article 163 du Code criminel réprime le fait de distribuer sciemment des publications obscènes. Supposons que la police arrête le propriétaire d’un club vidéo et qu’elle confisque tout le stock des enregistrements vidéo. Avant de visionner ces enregistrements, la police interroge le propriétaire quant à leur contenu. Le propriétaire affirme qu’ils montrent toutes sortes d’actes sexuels violents et dégradants. Bref, il admet qu’il est persuadé que les enregistrements qu’il offrait en location comportent «des choses obscènes ou une documentation obscène», selon la définition qui a été donnée à ces termes. La police visionne les enregistrements en question et découvre qu’ils ne comportent rien d’obscène. Le propriétaire du club vidéo s’était simplement fait une idée erronée de leur contenu. A‑t‑il quand même commis un crime? Si mes collègues ont raison, le propriétaire est coupable d’avoir tenté de distribuer des publications obscènes.

172. L’un des premiers arrêts portant sur les «tentatives d’infractions impossibles» a donné un exemple du résultat auquel conduit nécessairement l’opinion de mes collègues. Dans l’arrêt R. c. Collins (1864), 9 Cox C.C. 497 (C.C.A.), le baron Bramwell a notamment affirmé qu’il ne pouvait accepter une interprétation de la loi qui permettrait que l’accusé puisse être [traduction] «déclaré coupable d’avoir tenté de voler [son propre parapluie]». Il renvoie à l’hypothèse suivante: l’accusé prend, avec l’intention de le voler, un parapluie placé dans un porte-parapluies qui en contient plusieurs. Il s’avère ultérieurement que le parapluie que l’accusé croyait voler était en fait le sien, et qu’il avait oublié qu’il se trouvait là. Mes collègues déclareraient cet accusé coupable de tentative de vol. Je préfère la réponse que le baron Bramwell a donnée il y a 130 ans.

173. Le regretté professeur Glanville Williams, allié de mes collègues, s’oppose vivement, comme eux, au point de vue que j’adopte dans les présents motifs. Cependant, il a dû reconnaître que son analyse entraîne une déclaration de culpabilité dans les circonstances suivantes. Une personne qui croit sincèrement au vaudou enfonce une épingle dans une figurine, persuadée que cela entraînera la mort d’une personne. Le professeur Williams conclut qu’il s’agit d’une tentative de meurtre. Voir Criminal Law -- The General Part (2e éd. 1961) et «Attempting the Impossible -‑ A Reply» (1979-80), 22 Crim L.Q. 49, à la p. 52, où le professeur Williams affirme: [traduction] «La réponse à cette question précise est que l’acte vaudou est une cause immédiate de la mort de la victime dans l’esprit du vaudouisant» (en italique dans l’original). Je doute que les rédacteurs du Code criminel aient voulu qu’il y ait déclaration de culpabilité dans ces circonstances.

174. Je ne peux convenir avec mes collègues que de telles conséquences sont celles que recherchait le législateur en adoptant le par. 24(1). Je crois qu’aucune de ces circonstances de fait ne devrait aboutir à une déclaration de culpabilité. Le paragraphe 24(1) nécessite une infraction. Si, en fait, il n’y a pas d’infraction, peu importe ce que l’on croit, l’on ne peut y être partie puisqu’elle n’existe pas.

175. Le professeur Glanville Williams a aussi montré quelques‑unes des absurdités auxquelles peut mener, en matière de tentative, l’adoption de ce qu’il appelle l’approche des «faits putatifs». Il semble que ce soit l’approche adoptée par mes collègues, car elle donne lieu à une déclaration de culpabilité pour tentative sur la seule foi de ce que l’auteur de la tentative croyait être vrai. Dans «The Lords and Impossible Attempts, or Quis Custodiet Ipsos Custodes?», [1986] Cambridge L.J. 33, Williams indique quelles sont les conséquences les plus problématiques de cette théorie (aux pp. 81 et 82):

[traduction]

(1) L’approche des faits putatifs aurait en pratique pour conséquence d’annuler les limites temporelles et spatiales en matière de droit pénal. Supposons qu’une loi pénale entre en vigueur à minuit. Un homme peut penser qu’il accomplit un acte 5 minutes après minuit (donc après l’entrée en vigueur), alors qu’en fait, il a agi à 23 h 55 (soit avant l’entrée en vigueur). Est‑il coupable d’avoir tenté de commettre ce qui aurait été une infraction en vertu de la loi s’il avait eu l’heure juste? (À noter qu’il ne s’agit pas d’une erreur de droit, d’une erreur quant à ce que la loi dit; l’erreur porte sur les faits.) Un homme peut penser qu’il accomplit un acte à l’intérieur des limites territoriales d’un ressort, alors qu’en fait, il accomplit cet acte juste à l’extérieur de ces limites. Ou une personne qui n’est pas citoyen britannique, mais croit qu’elle l’est (par suite d’une erreur quant à son lieu de naissance), aide un ennemi à l’étranger. Est‑elle coupable de tentative de trahison? Si une personne n’est pas assujettie aux règles de droit relatives à la trahison, comment peut‑elle être coupable de tentative de trahison?

. . .

(2) Le deuxième genre de problèmes porte sur un type particulier de justification. Une loi peut sanctionner l’exercice sans permis d’une activité quelconque. Une personne peut accomplir un acte, croyant qu’elle n’a pas de permis, alors qu’elle en a un. Par exemple, un conducteur arrêté par la police peut faussement affirmer que son épouse conduisait; la police l’interroge de manière plus serrée et elle découvre qu’il conduisait alors qu’il croyait erronément en avoir perdu le droit. Est‑il coupable d’avoir tenté de conduire alors qu’il n’en avait pas le droit? Manifestement, une réponse affirmative serait étrange, encore que ce soit apparemment la réponse que le législateur a voulu donner (en théorie) en édictant la Criminal Attempts Act. [La Criminal Attempts Act adoptait la théorie des faits putatifs.]

(3) La troisième hypothèse est quelque peu semblable. Dans l’arrêt ancien Dadson [(1850), 2 Den. 5, 169 E.R. 407], le défendeur avait arrêté une personne parce qu’elle avait coupé et pris illégalement du bois, et il lui avait tiré dessus pour l’empêcher de fuir. La personne arrêtée avait été déclarée coupable deux fois déjà et l’arrestation (et, à cette époque, l’utilisation d’une arme à feu) aurait donc été légale si le défendeur l’avait su; mais il ne le savait pas et, par conséquent, l’arrestation (de même que l’utilisation d’une arme à feu) a été déclarée illégale. Des raisons valables permettraient d’affirmer que cette décision est erronée. Comme dans le cas du conducteur putativement sans droit de conduire, le défendeur était de fait légalement autorisé à agir comme il l’a fait, bien qu’il ne l’ait pas su. Selon toute apparence, ce qu’il a fait était légal, et sa méconnaissance des faits ne devrait pas transformer son acte à tous égards [légal] [dans l’article, le mot «illégal» est employé ici mais à l’évidence, Williams voulait dire «légal»] en un crime. La politique sous‑tendant cette règle a été incorporée par le Parlement dans le par. 2(2) de la Criminal Law Act 1967, qui prévoit que [traduction] «toute personne peut arrêter sans mandat une personne qui est, ou qu’il croit, pour des motifs raisonnables, être sur le point de commettre une infraction pour laquelle elle pourrait être arrêtée» [voir l’art. 27 de notre Code criminel]. Il ressort de la lecture de cette disposition qu’une personne qui commet une infraction pour laquelle elle est susceptible d’être arrêtée peut valablement être arrêtée même si la personne qui effectue l’arrestation n’a pas de motifs raisonnables d’avoir des soupçons ou même si elle ne la soupçonne pas. L’état d’esprit de la personne qui effectue l’arrestation n’est pas pertinent une fois que les faits objectifs justifiant l’arrestation ont été établis. Si c’est la règle qu’il faut appliquer, il devrait s’ensuivre que la personne qui a effectué l’arrestation est non seulement innocente des voies de fait et de l’emprisonnement fautif qui a suivi l’arrestation, mais qu’elle est (ou devrait être) innocente de tentative de ces crimes. Pourtant, suivant la théorie des faits putatifs en matière de tentative, elle serait coupable de tentative si, vu les faits, tels qu’elle les croyait, son acte était criminel. Un problème similaire peut se poser dans les affaires de légitime défense, où les actes d’une personne sont en fait nécessaires pour assurer sa défense, mais qu’elle ne s’en rend pas compte.

Il y a lieu de se montrer prudent à l’égard de la théorie adoptée par mes collègues. Le professeur Williams donne à entendre que ces problèmes suscités par l’élimination de l’«impossibilité» comme moyen de défense devraient être résolus par la législation. Les incertitudes notées par le professeur Williams m’amènent à conclure que toute la question des «tentatives d’infractions impossibles» est un problème dont la solution relève du législateur.

176. Mon point de vue est semblable à celui qu’a adopté la Commission de réforme du droit du Canada dans le Document de travail 45, intitulé La responsabilité secondaire: complicité et infractions inchoatives (1985), où est analysée l’hypothèse classique de l’homme qui a l’intention de voler un parapluie (aux pp. 37 et 38):

Si une personne tente de «voler» ce qui lui appartient, pourquoi ne devrait‑elle pas être responsable de tentative de vol? Tout comme le pickpocket dont la tentative est infructueuse, elle a l’intention de nuire et accomplit une action pour concrétiser cette intention. En revanche, tandis que le pickpocket a le dessein de commettre une infraction spécifique, notre «voleur», lui, n’a qu’une intention de nuire abstraite (le vol). Dans le premier cas, l’infraction peut être commise, alors que dans le second, elle ne peut absolument pas l’être. Bien sûr, on pourrait blâmer le «voleur» du fait qu’il était disposé à prendre le bien en question (peu importe à qui il appartenait) et donc, d’une manière générale, à violer la loi, mais d’après le droit en vigueur, il ne s’agit pas là d’une infraction. À moins que notre façon d’aborder le droit pénal ne change du tout au tout, sa responsabilité pénale ne sera jamais engagée.

La Commission a recommandé que le législateur ne modifie pas le Code criminel de manière à incriminer les «tentatives d’infractions impossibles en droit», affirmant qu’«[a]ucune responsabilité pénale ne devrait être imputée pour des actions tendant à la consommation d’une infraction qu’il est impossible de commettre, ou d’actes qui ne sont pas qualifiés d’infraction par le droit pénal» (à la p. 41).

II. Le complot

177. Je conviens avec mes collègues que les faits de l’espèce permettent d’établir l’infraction de complot en vue de recycler des produits de la criminalité. Le fondement de l’infraction de complot est l’entente en vue de commettre un crime. Il était loisible au juge d’extradition de conclure qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve d’une entente entre Dynar et Cohen en vue de commettre l’infraction de recyclage des produits de la criminalité.

178. Il est possible en l’espèce d’établir une distinction entre la tentative et le complot de la façon suivante. L’accusation de complot était fondée sur l’entente de commettre l’infraction générale de recyclage des produits de la criminalité, alors que l’accusation de tentative se limitait à la tentative de recycler l’argent qui aurait été fourni par les autorités lors d’une opération d’infiltration. Aucun produit, de la criminalité ou de toute autre activité, n’est nécessaire pour la perpétration de l’infraction de complot.

III. Conclusion

179. Étant donné qu’il est seulement nécessaire d’établir la probabilité de la perpétration d’une infraction donnant lieu à l’extradition, l’ordonnance d’extradition prononcée contre Dynar a été rendue à juste titre à l’égard de l’accusation de complot. En définitive, je suis d’accord avec la solution proposée par les juges Cory et Iacobucci et je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rejeter le pourvoi incident.

Pourvoi accueilli et pourvoi incident rejeté.

Procureurs des appelants: Robert Hubbard et Croft Michaelson, Toronto.

Procureurs de l’intimé: Sack, Goldblatt, Mitchell, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et le pourvoi incident est rejeté

Analyses

Extradition - Infractions - Recyclage de produits de la criminalité - Tentative - Complot - Fugitif accusé aux É.‑U. de tentative de recycler des produits de la criminalité et de complot pour recycler des produits de la criminalité - La conduite du fugitif aurait‑elle constitué une infraction en vertu du droit canadien si elle avait eu lieu au Canada? - La conduite aurait‑elle constitué une tentative criminelle ou un complot criminel en vertu du droit canadien? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 24(1), 462.31(1), 465(1)c) - Loi sur les stupéfiants, L.R.C. (1985), ch. N‑1, art. 19.2(1).

Droit criminel - Tentative - Complot - L’impossibilité constitue‑t‑elle un moyen de défense opposable à une accusation de tentative ou de complot en vertu du droit canadien? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 24(1), 465(1)c).

Extradition - Audience - Droit à un procès équitable - Divulgation - Garanties procédurales applicables à une audience d’extradition.

Le gouvernement des États‑Unis a demandé l’extradition de D, un citoyen canadien qui a fait l’objet d’une opération d’infiltration menée sans succès par le FBI. D avait fait un appel téléphonique, du Canada, à un ancien associé qui vivait au Nevada et qui était devenu un informateur d’un agent du FBI. D avait été l’objet d’enquêtes aux États‑Unis relativement au recyclage de grosses sommes d’argent provenant du Nevada. L’agent du FBI a demandé à l’informateur de présenter à D un autre informateur, qui devait demander à D s’il accepterait de recycler de grosses sommes provenant d’un trafic illicite. D a accepté la demande avec empressement. De nombreuses conversations entre les deux hommes ont été enregistrées au fil de quelques mois. Il a finalement été convenu qu’un associé de D irait chercher l’argent à recycler aux États‑Unis, mais le FBI a interrompu l’opération juste avant la remise de l’argent. D a été accusé aux États‑Unis de tentative de recyclage de produits de la criminalité et de complot en vue de recycler des produits de la criminalité. Après une audience tenue en vertu de la Loi sur l’extradition, il a été incarcéré en vue de son extradition. Il s’est plaint au ministre de la Justice du fait que la participation canadienne à l’enquête n’avait pas été divulguée, mais le ministre a refusé de reprendre l’audience d’extradition à la demande de D et a ordonné qu’il soit extradé en vue de son procès aux États‑Unis. La Cour d’appel a accueilli l’appel de D contre la décision de l’incarcérer ainsi que sa demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre d’ordonner son extradition. La principale question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si les agissements de D auraient constitué une infraction en vertu du droit canadien s’ils avaient eu lieu au Canada. Quant au pourvoi incident, la question est de savoir si les autorités canadiennes ont porté atteinte au droit de D à un procès équitable, lequel est garanti par la Constitution, en ne communiquant pas des renseignements concernant la participation officielle du Canada à l’enquête que les É.‑U. menaient sur lui.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli et le pourvoi incident est rejeté.

(1) Le pourvoi principal

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et Iacobucci: Si D avait mis à exécution au Canada, un projet comme celui dans lequel il s’est engagé aux États‑Unis, il n’aurait été coupable d’aucune infraction consommée connue en droit canadien puisque le recyclage de sommes d’argent que l’on croit être des produits de la criminalité, mais qui dans les faits n’en sont pas, n’était pas, à l’époque en cause dans le présent pourvoi, une infraction au Canada. Deux dispositions législatives permettaient aux autorités canadiennes de poursuivre les auteurs de projets de recyclage d’argent du type de celui que D a essayé de réaliser, mais, pour que l’accusé puisse être déclaré coupable, l’une et l’autre nécessitaient que celui‑ci ait su que l’argent à convertir était le produit de la criminalité. Étant donné que l’argent que les agents d’infiltration américains ont demandé à D de recycler n’était pas réellement le produit de la criminalité, D ne pouvait savoir qu’il s’agissait du produit de la criminalité.

Cependant, les efforts déployés par D en vue de la réalisation de son projet de recyclage d’argent auraient cependant constitué une tentative et un complot criminels en droit canadien si tous les agissements en question avaient eu lieu au Canada. En vertu du par. 24(1) du Code criminel, le crime de tentative consiste en l’intention de commettre l’infraction, constituée dans tous ses éléments, jointe à l’accomplissement d’actes dépassant le stade des actes simplement préparatoires à l’infraction. L’argument de D selon lequel le législateur n’avait pas l’intention, par l’adoption du par. 24(1), d’incriminer toutes les tentatives d’infractions impossibles, mais seulement celles que la common law a rangées dans la catégorie des «impossibilités de fait» ne lui est d’aucun secours puisque la distinction conventionnelle entre l’impossibilité de fait et l’impossibilité de droit est indéfendable. La seule distinction utile pour l’application du par. 24(1) est celle qui différencie le crime imaginaire de la tentative d’infraction impossible en fait. Seule la tentative de crime imaginaire échappe à l’application de la disposition. Comme ce que D a tenté de faire relève carrément de l’impossibilité de fait — il a tenté de commettre des crimes connus en droit et n’a été déjoué que par le hasard — il s’agissait d’une tentative criminelle au sens du par. 24(1).

Même si D ne «savait» pas que l’argent qu’il a tenté de convertir était le produit de la criminalité, il avait néanmoins la mens rea nécessaire pour commettre un crime. La connaissance n’est pas la mens rea des infractions de recyclage des produits de la criminalité. La connaissance a deux composantes — la vérité et la croyance — et de ces deux éléments, seule la croyance est subjective ou psychologique. La croyance est la mens rea des infractions de recyclage des produits de la criminalité. La conformité avec la réalité de la croyance est l’une des circonstances concomitantes exigées pour que l’actus reus soit exécuté. L’absence d’une circonstance concomitante n’est pas pertinente du point de vue des règles de droit applicables à la tentative d’infraction.

La conduite de D pourrait également justifier son extradition relativement à l’accusation de complot portée contre lui. Il ne s’agit pas de déterminer si les agissements de D peuvent fonder une déclaration de culpabilité à l’égard de l’accusation de complot, mais seulement si une preuve prima facie a été produite pour justifier son incarcération en vue d’un procès si les agissements qu’on lui reproche avaient eu lieu au Canada. Pour qu’il y ait complot criminel, l’intention de conclure une entente, la conclusion d’une entente et l’existence d’un projet commun de faire quelque chose d’illégal sont essentiels. Le complot est un crime plus «préliminaire» que la tentative, car cette infraction est considérée consommée avant l’accomplissement de tout acte qui dépasserait le stade des actes simplement préparatoires à la mise à exécution du projet commun. L’impossibilité ne peut pas être opposée à une accusation de complot. Les conspirateurs ne devraient pas être exonérés parce que, pour des raisons totalement indépendantes de leur volonté, ils se sont trompés quant à l’existence d’une circonstance dont dépend le succès de leur entreprise. Sur le plan purement conceptuel, la distinction entre l’impossibilité de fait et l’impossibilité de droit n’est pas mieux fondée parce qu’il s’agit d’un complot plutôt que d’une tentative. La soi‑disant impossibilité «de droit» est en réalité un cas d’impossibilité de fait et cette distinction ne vaut plus sauf dans les cas de «crimes imaginaires». En outre, à l’instar de la tentative, le complot constitue un crime d’intention. Comme l’infraction de complot exige seulement l’intention de commettre l’infraction matérielle précise, et non la perpétration de l’infraction elle‑même, il est indifférent, du point de vue objectif, que la perpétration de l’infraction puisse être impossible.

Les juges Sopinka, McLachlin et Major: L’intention jointe à des actes tenus pour criminels ne suffit pas pour conclure que l’accusé est coupable de tentative, alors que ce qu’il a tenté de faire ne constitue pas une infraction visée par le Code criminel. Il doit y avoir une infraction sous‑jacente susceptible d’être commise, avant que l’on puisse examiner les éléments de l’infraction de tentative. L’infraction de recyclage des produits de la criminalité, dans sa formulation actuelle, ne peut pas être perpétrée sans l’existence de produits de la criminalité. L’accusé ne peut pas “savoir” que ce qu’il recycle est le produit de la criminalité à moins que ce produit ne soit effectivement le produit de la criminalité. Étant donné que D n’avait pas la connaissance, mens rea de l’infraction, on ne peut dire qu’il a tenté de la commettre. Qui plus est, il n’est pas logique de dire que D a tenté de recycler des produits de la criminalité, alors qu’il a seulement tenté de recycler ce que le FBI devait lui fournir. Aucune infraction ne pouvait être commise; le recyclage des produits d’une activité licite est un crime imaginaire.

Les faits de l’espèce permettent d’établir l’infraction de complot en vue de recycler des produits de la criminalité. Le fondement de l’infraction est l’entente en vue de commettre un crime et il était loisible au juge d’extradition de conclure qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve d’une entente entre D et son associé en vue de commettre l’infraction de recyclage des produits de la criminalité. L’accusation de complot était fondée sur l’entente de commettre l’infraction générale de recyclage des produits de la criminalité, alors que l’accusation de tentative se limitait à la tentative de recycler l’argent qui aurait été fourni par les autorités lors d’une opération d’infiltration.

(2) Le pourvoi incident

Une nouvelle audience n’est pas justifiée en l’espèce. Le rôle du juge d’extradition est modeste car limité à déterminer si la preuve est suffisante ou non pour justifier l’incarcération du fugitif en vue de son extradition. L’audience d’extradition doit être un processus accéléré, conçu pour maintenir les dépenses à leur niveau le plus bas et pour garantir l’exécution rapide des obligations internationales du Canada. L’audience doit respecter les principes de justice fondamentale, mais il ne s’ensuit pas que le fugitif a nécessairement droit à la communication la plus complète possible. Les principes de justice fondamentale garantis par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés varient selon le contexte de la procédure dans le cadre de laquelle ils sont soulevés. Les règles régissant la procédure dans une audience d’extradition sont nécessairement moins complexes et moins détaillées que dans une enquête préliminaire ou un procès en droit interne. Puisque D a obtenu une communication complète des éléments invoqués à l’appui de la preuve prima facie présentée contre lui, aucune communication additionnelle n’était nécessaire. L’instance ne soulève aucune question ayant trait à la Charte susceptible d’être tranchée par les tribunaux puisque la preuve fournie par l’État requérant comportait suffisamment de renseignements pour mener à la conclusion que la preuve a été recueillie entièrement aux États‑Unis, par des fonctionnaires américains, en vue d’un procès devant se dérouler aux États‑Unis.


Parties
Demandeurs : États-Unis d'Amérique
Défendeurs : Dynar

Références :

Jurisprudence
Citée par les juges Cory et Iacobucci
Arrêt non suivi: Director of Public Prosecutions c. Nock, [1978] 2 All E.R. 654
arrêts mentionnés: McVey (Re)
McVey c. États-Unis d’Amérique, [1992] 3 R.C.S. 475
R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731
R. c. Vogelle and Reid, [1970] 3 C.C.C. 171
R. c. Stevens (1995), 96 C.C.C. (3d) 238
Irwin c. The Queen, [1968] R.C.S. 462, conf. [1968] 2 C.C.C. 50
Gravel c. Cité de St‑Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660
R. c. Cline (1956), 115 C.C.C. 18
R. c. Ancio, [1984] 1 R.C.S. 225
R. c. Deutsch, [1986] 2 R.C.S. 2
R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723
R. c. Donnelly, [1970] N.Z.L.R. 980
R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686
R. c. O’Brien, [1954] R.C.S. 666
Mulcahy c. The Queen (1868), L.R. 3 H.L. 306
Papalia c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 256
Guimond c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 960
Haughton c. Smith, [1973] 3 All E.R. 1109
R. c. Shivpuri, [1986] 2 All E.R. 334
R. c. Atkinson, [1987] O.J. No. 1930 (QL)
R. c. Sew Hoy, [1994] 1 N.Z.L.R. 257
R. c. Chow Sik Wah, [1964] 1 C.C.C. 313
Howard Smith Paper Mills Ltd. c. The Queen, [1957] R.C.S. 403
R. c. Whitchurch (1890), 24 Q.B.D. 420
Argentina c. Mellino, [1987] 1 R.C.S. 536
États‑Unis d’Amérique c. Lépine, [1994] 1 R.C.S. 286
Commonwealth de Puerto Rico c. Hernandez, [1975] 1 R.C.S. 228
Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500
États‑Unis c. Allard, [1987] 1 R.C.S. 564
R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326
R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411
R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727
R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711
Idziak c. Canada (Ministre de la Justice), [1992] 3 R.C.S. 631
Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779
Philippines (Republic) c. Pacificador (1993), 14 O.R. (3d) 321
United States of America c. Whitley (1994), 94 C.C.C. (3d) 99, conf. par [1996] 1 R.C.S. 467
R. c. Terry, [1996] 2 R.C.S. 207
R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562.
Citée par le juge Major
Arrêts mentionnés: R. c. Donnelly, [1970] N.Z.L.R. 980
Haughton c. Smith, [1973] 3 All E.R. 1109
People c. Jaffe, 78 N.E. 169 (1906)
R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731
R. c. Zundel (1987), 31 C.C.C. (3d) 97
R. c. Streu, [1989] 1 R.C.S. 1521
R. c. Vogelle and Reid, [1970] 3 C.C.C. 171
R. c. Collins (1864), 9 Cox C.C. 497.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 8, 24, 32.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 24, 27, 163(2)a), 181, 196(4)a) [abr. & rempl. 1993, ch. 40, art. 14(3)], 300, 354(1), 462.31(1) [aj. ch. 42 (4e suppl.), art. 2], 465(1), 495(1)a).
Criminal Attempts Act 1981 (R.‑U.), 1981, ch. 47, art. 1, 5.
Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 45(3).
Loi sur l’extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, art. 3, 9(3) [aj. 1992, ch. 13, art. 2], 13, 14, 15, 16, 18(1)b), (2), 19b).
Loi sur les stupéfiants, L.R.C. (1985), ch. N‑1, art. 4(1), 19.2(1) [aj. ch. 42 (4e suppl.), art. 12].
N.Y. Penal Law § 110.10 (Consol. 1984).
Projet de loi C‑17, Loi de 1996 visant à améliorer la législation pénale, 2e sess., 35e législ., 1996.
United States Code, Title 18, §§ 371, 1956(a)(3).
Doctrine citée
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Proposition de citation de la décision: États-Unis d'Amérique c. Dynar, [1997] 2 R.C.S. 462 (26 juin 1997)


Origine de la décision
Date de la décision : 26/06/1997
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1997] 2 R.C.S. 462 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1997-06-26;.1997..2.r.c.s..462 ?
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