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26/06/1997 | CANADA | N°[1997]_2_R.C.S._630

Canada | R. c. Mara, [1997] 2 R.C.S. 630 (26 juin 1997)


R. c. Mara, [1997] 2 R.C.S. 630

Patrick Mara et Allan East Appelants

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Mara

No du greffe: 25159.

Audition et jugement quant au pourvoi de East: 12 mars 1997.

Motifs et jugement quant au pourvoi de Mara: 26 juin 1997.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Cory, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1996), 27 O.R. (3d) 643, 88 O.A.C. 358, 1

33 D.L.R. (4th) 201, 105 C.C.C. (3d) 147, 46 C.R. (4th) 167, 35 C.R.R. (2d) 152, qui a annulé les acquittements des accusés et...

R. c. Mara, [1997] 2 R.C.S. 630

Patrick Mara et Allan East Appelants

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Mara

No du greffe: 25159.

Audition et jugement quant au pourvoi de East: 12 mars 1997.

Motifs et jugement quant au pourvoi de Mara: 26 juin 1997.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Cory, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1996), 27 O.R. (3d) 643, 88 O.A.C. 358, 133 D.L.R. (4th) 201, 105 C.C.C. (3d) 147, 46 C.R. (4th) 167, 35 C.R.R. (2d) 152, qui a annulé les acquittements des accusés et inscrit des déclarations de culpabilité relativement à des accusations d’avoir permis la présentation d’un spectacle indécent. Le pourvoi de East est rejeté. Le pourvoi de Mara est accueilli.

Heather A. McArthur, pour les appelants.

David Butt et Christine Bartlett‑Hughes, pour l’intimée.

//Le juge Sopinka//

Version française du jugement de la Cour rendu par

1. Le juge Sopinka — Le présent pourvoi concerne la responsabilité criminelle des appelants pour avoir permis la présentation d’un spectacle indécent. Les spectacles en question comprenaient, à divers degrés, des contacts sexuels entre les «danseuses» et les clients de la taverne Cheaters, à Toronto. Le juge du procès a acquitté les deux appelants, statuant que l’appelant Mara n’avait pas eu l’intention criminelle requise et que, de toute façon, les spectacles n’étaient pas indécents: [1994] O.J. No. 264 (QL). La Cour d’appel a infirmé, à l’unanimité, les acquittements et inscrit des déclarations de culpabilité: (1996), 27 O.R. (3d) 643, 88 O.A.C. 358, 133 D.L.R. (4th) 201, 105 C.C.C. (3d) 147, 46 C.R. (4th) 167, 35 C.R.R. (2d) 152. Le pourvoi en ce qui concerne l’appelant East a été rejeté à l’audience, avec motifs à suivre, alors que le pourvoi en ce qui concerne l’appelant Mara a été mis en délibéré.

2. Selon moi, sur le plan du droit, les spectacles en cause ont outrepassé les normes sociales de tolérance et étaient donc indécents. Cette conclusion suffit pour rejeter le pourvoi en ce qui concerne l’appelant East. Quant à l’appelant Mara, j’estime toutefois que le juge du procès a tiré une conclusion de fait claire qu’il n’avait pas eu la mens rea requise pour justifier une déclaration de culpabilité. Cette conclusion ne peut pas faire l’objet d’un examen en appel et, par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi en ce qui a trait à l’appelant Mara.

I. Les faits

3. La taverne Cheaters, située dans un quartier intermédiaire de Toronto, détenait un permis de vente de boissons alcoolisées et de nourriture et présentait des «divertissements pour adultes». L’appelant Patrick Mara était le propriétaire exploitant de la taverne, et l’appelant Allan East était le gérant responsable des divertissements.

4. Des policiers en civil se sont rendus à la taverne plusieurs fois en mars et en avril 1991. Ceux-ci ont témoigné au sujet des divertissements pour adultes qui y étaient présentés. Des femmes exécutaient des danses exotiques sur une scène, pour lesquelles il n’y avait aucuns frais à payer. En échange d’une somme d’argent, l’exécutante, nue à l’exception d’une longue blouse déboutonnée, exécutait une «danse à la table». La danseuse se penchait et permettait au client de lui sucer et lécher les seins. Pour une somme plus importante, la danseuse exécutait une «danse spéciale» appelée «danse‑contact». La danseuse s’assoyait sur les genoux du client, lui tournant le dos, ses fesses nues appuyées sur le bas‑ventre du client. Le juge du procès a résumé l’activité sexuelle dans les termes suivants:

[traduction] La conduite de chaque danseuse avec le client est clairement décrite dans la preuve, et consiste notamment a) à être nue sauf pour une chemise ou blouse ouverte, b) à se caresser les seins, les fesses, les cuisses et les organes génitaux alors qu’elle se trouve près du client, c) à s’asseoir sur les genoux du client et à frotter ses fesses nues sur lui, d) à s’asseoir sur les genoux du client, à porter la main à son entrecuisse et, apparemment, à le masturber, e) à permettre au client de lui toucher et caresser les seins, les fesses, les cuisses et les organes génitaux, f) à permettre au client de lui embrasser, lécher et sucer les seins, g) à permettre de faire ce qui paraissait être un cunnilingus.

5. Les appelants ont été accusés, à titre de gérant, d’agent ou de personne ayant la charge des lieux, d’avoir permis la présentation d’un spectacle indécent en contravention du par. 167(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Au procès, les deux appelants ont été acquittés. Le ministère public a interjeté appel et une formation de cinq juges de la Cour d’appel de l’Ontario a, à l’unanimité, accueilli l’appel, annulé les acquittements et inscrit des déclarations de culpabilité contre les deux appelants.

II. La disposition législative pertinente

6. Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46

167. (1) Commet une infraction quiconque, étant le locataire, gérant ou agent d’un théâtre, ou en ayant la charge, y présente ou donne, ou permet qu’y soit présenté ou donné, une représentation, un spectacle ou un divertissement immoral, indécent ou obscène.

III. Les jugements antérieurs

A. Cour de justice de l’Ontario (Division provinciale)

7. Le juge Hachborn de la Division provinciale a conclu qu’il n’y avait aucun doute que la taverne Cheaters était un «théâtre» au sens de l’art. 167 du Code criminel, et que les activités en question constituaient des «spectacles» au sens du Code.

8. Le juge du procès a noté le témoignage de Mara selon lequel il avait délégué à East l’entière responsabilité des divertissements. Par exemple, toute plainte était renvoyée à East. East a témoigné dans le même sens. Le juge du procès a fait remarquer que l’art. 167 n’établit pas une responsabilité absolue et a conclu que Mara avait pris des mesures adéquates et appropriées en embauchant un directeur des divertissements chargé de surveiller tous les aspects des divertissements. Il n’y avait aucune preuve que Mara savait que les danseuses aux tables exécutaient généralement ou habituellement des danses qui pourraient être qualifiées d’indécentes. Après avoir conclu que Mara avait pris des mesures raisonnables pour se conformer à la loi, le juge du procès l’a acquitté.

9. Le juge du procès a examiné les activités observées par les policiers et décrites dans la partie sur les faits. Il a affirmé que la norme à appliquer en l’espèce consiste à déterminer si la conduite en question est allée au‑delà de ce qui est permis selon la norme de tolérance de la société canadienne. Ce point de vue a été confirmé par notre Cour dans l’arrêt R. c. Tremblay, [1993] 2 R.C.S. 932. Après avoir examiné les arrêts Tremblay et R. c. Hawkins (1993), 15 O.R. (3d) 549 (C.A.), le juge du procès a affirmé:

[traduction] La conduite reprochée en l’espèce est inoffensive en comparaison de celle examinée par la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel de l’Ontario.

N’eussent été ces arrêts, il n’aurait pas été difficile de conclure à l’indécence de la conduite des danseuses aux tables.

La conduite à la taverne Cheaters n’est pas indécente et l’accusation portée contre Allan East est rejetée. Un acquittement sera inscrit.

B. Cour d’appel de l’Ontario (le juge en chef Dubin)

10. La Cour d’appel a d’abord examiné l’argument selon lequel l’appel soulevait seulement une question de fait, ou une question mixte de droit et de fait, et, par conséquent, le ministère public ne soulevait pas un motif légitime d’en appeler de l’acquittement. La cour a conclu que l’arrêt Tremblay avait établi que la question de savoir si certaines activités sont indécentes est une question de droit.

11. La cour s’est ensuite demandé si l’art. 167 du Code criminel violait l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés pour cause d’imprécision. Les appelants n’ont pas soulevé cette question devant notre Cour, ni aucune autre question de Charte, de sorte que je ferai simplement observer que, à la suite d’une analyse complète de la règle de l’imprécision, la cour a conclu que, même s’ils n’étaient pas mathématiquement précis, les termes de l’art. 167 n’étaient pas imprécis d’une manière inacceptable.

12. Quant à ce qu’elle a qualifié de question principale de l’appel, soit l’indécence des activités des «danseuses», la cour a statué que, pour déterminer ce qui est indécent dans des circonstances données, il faut appliquer le critère de la «norme sociale de tolérance». Il s’agit non pas d’une question de goût personnel, mais plutôt de savoir si la conduite en question outrepasse la norme de tolérance de la société canadienne contemporaine. La cour a décidé que le préjudice résultant d’une attitude, particulièrement le renforcement des stéréotypes, est un type de préjudice que l’art. 167 vise à empêcher. La cour a conclu que la conduite en question dans la présente affaire est préjudiciable à la société à maints égards: elle dégrade et déshumanise les femmes; elle banalise la sexualité et est incompatible avec la dignité et l’égalité de tous les êtres humains; elle prédispose, en outre, les personnes à agir d’une manière antisociale. La cour a aussi jugé que les exécutantes couraient un risque réel de préjudice physique, un risque d’attouchements non souhaités et de contagion de maladies infectieuses. La cour a décidé que la conduite des danseuses était une forme de prostitution. Bien que la prostitution ne soit pas illégale au Canada, le législateur a clairement exprimé son intention de l’éradiquer en criminalisant les activités liées à la prostitution.

13. La cour a statué que la conduite en cause dans la présente affaire excédait ce qui est acceptable pour assurer le bon fonctionnement de la société, qu’elle outrepassait les normes sociales de tolérance et qu’elle était indécente. Elle a souligné que, lorsqu’on lui a demandé si diverses activités observées par les policiers, telle la masturbation des clients à travers leurs vêtements, étaient déplacées, East a témoigné qu’elles étaient très déplacées.

14. La Cour d’appel a décidé que le juge du procès avait commis une erreur en statuant que les arrêts Tremblay et Hawkins l’empêchaient de conclure à l’indécence de la conduite en cause — ces deux arrêts peuvent être distingués de la présente affaire.

15. La cour s’est ensuite demandé si Mara ou East, ou les deux à la fois, «avaient permis» la présentation des spectacles en question, au sens de l’art. 167. La cour a examiné les exigences de mens rea établies dans R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55, faisant observer que le défaut de se renseigner lorsqu’on se rend compte de la nécessité de le faire suffit pour établir que l’on a agi «sciemment». La cour a statué que, vu l’ampleur des activités en l’espèce, si les accusés n’étaient pas au courant de ce qui se passait, c’est qu’ils ont dû «se fermer les yeux» et avoir fait preuve d’ignorance volontaire. Le juge du procès a donc commis une erreur en concluant que Mara avait agi raisonnablement en déléguant la gestion des exécutantes à East sans prendre lui‑même des mesures pour empêcher la présentation de spectacles indécents.

16. De toute façon, le législateur n’a pas utilisé le terme «sciemment» à l’art. 167, ce qui indique une norme moins stricte de mens rea. Tout ce que le ministère public a à prouver, c’est que Mara et East ont permis la présentation d’un spectacle indécent.

17. La cour était convaincue qu’un nouveau procès n’était pas nécessaire et a déclaré coupables les deux accusés.

IV. Analyse

A. L’indécence à titre de question de droit seulement

18. Le ministère public ne peut en appeler d’un acquittement que sur une question de droit seulement. J’examinerai plus loin la question de compétence relativement à l’état d’esprit de l’appelant Mara, mais je vais d’abord analyser l’argument des appelants voulant que l’examen de la conclusion du juge du procès quant à l’indécence ne comporte pas une question de droit seulement, et que, par conséquent, la Cour d’appel ait commis une erreur en procédant à cet examen. Selon moi, la question de savoir si un ensemble particulier de faits donne lieu à une conclusion d’indécence est une question de droit. Cette conclusion est compatible avec les principes établis dans la jurisprudence relativement à la question générale de savoir quand une question de droit est soulevée, et est également compatible avec la façon particulière dont notre Cour a traité l’indécence et d’autres accusations semblables.

19. Dans R. c. Morin, [1992] 3 R.C.S. 286, la Cour a précisé le raisonnement suivi dans R. c. B. (G.), [1990] 2 R.C.S. 57, relativement à la question de savoir quand l’appréciation des conclusions de fait tirées par le juge du procès soulève des questions de droit. Voici ce que j’affirme, au nom de la Cour, à la p. 294:

Si un juge du procès conclut à l’existence de tous les faits nécessaires pour tirer une conclusion en droit et que, pour tirer cette conclusion, ces faits peuvent simplement être tenus pour avérés, une cour d’appel peut ne pas partager la conclusion tirée sans empiéter sur la fonction de recherche des faits conférée au juge du procès. Le désaccord porte sur le droit et non sur les faits ni sur les conclusions à tirer de ceux‑ci. Le même raisonnement s’applique si les faits sont acceptés ou incontestés. Dans ce cas, le tribunal peut arriver à la bonne conclusion en droit sans ordonner un nouveau procès puisque les questions factuelles ont été réglées. [Je souligne.]

20. Dans le contexte de la présente affaire, l’arrêt Morin indique que, si les faits concernant un spectacle sont incontestés, la question de savoir si le spectacle est indécent est une question de droit seulement. Cette conclusion est confirmée par la jurisprudence qui porte précisément sur l’indécence et des questions semblables.

21. L’arrêt Johnson c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 160, portait sur la question de savoir si une femme qui danse nue devant des spectateurs payants donne un spectacle immoral. Le juge Ritchie a statué, au nom de la Cour à la majorité, à la p. 170:

Avec le plus grand respect pour les vues de ceux dont l’avis est différent, il me semble que la question de savoir si, oui ou non, une certaine conduite constitue une infraction en vertu du Code criminel, est une question de droit au sens strict et que les cours d’instance inférieure étaient par conséquent compétentes pour entendre l’appel. La question soulevée par l’exposé de cause ne repose pas sur l’évaluation d’une preuve puisqu’elle est basée sur un fait qui n’est contesté d’aucune façon, à savoir, que l’appelante était nue lorsqu’elle a dansé dans un cabaret. [Je souligne.]

L’arrêt Johnson permet clairement de dire que la question de savoir si un spectacle donné est illégal est une question de droit seulement.

22. L’arrêt Tremblay, précité, portait sur l’accusation d’avoir tenu une maison de débauche à des fins de pratique d’actes d’indécence. Les appelants devant notre Cour avaient été acquittés à leur procès, mais la Cour d’appel avait statué que les actes en question étaient indécents et avait prononcé une déclaration de culpabilité. Notre Cour a rétabli les acquittements. Les juges majoritaires ont infirmé l’arrêt de la Cour d’appel en se fondant sur une application différente du critère des normes sociales. C’était la question sur laquelle était fondé l’appel du ministère public devant la Cour d’appel. Comme je l’ai dit, un appel du ministère public contre un acquittement ne peut être fondé que sur une question de droit seulement. Aucune question n’a été soulevée devant l’une ou l’autre cour quant à la compétence que la Cour d’appel possède pour entendre l’appel en fonction de ce moyen. En fait, le juge Cory a explicité cela, au nom des juges majoritaires, en adoptant, à la p. 958, le passage suivant de l’arrêt Towne Cinema Theatres Ltd. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 494, à la p. 508:

[I]l appartient à la cour de décider si [les actes en cause sont] tolérable[s] suivant les normes de la société canadienne . . .

23. Cette conclusion reçoit également un appui explicite dans les motifs de l’arrêt Tremblay. Le juge Gonthier, dissident, fait observer, à la p. 946:

La décision de la Cour d’appel d’infirmer la conclusion du juge du procès reposait à bon droit sur un réexamen de la preuve et une application du droit aux faits de l’espèce. La conclusion que certaines activités sont indécentes repose sur les faits, mais en fin de compte, c’est une question de droit puisque, comme le dit le juge Cory dans ses motifs à la p. 958, «il appartient à la cour de décider si (les actes en cause sont) tolérable(s) suivant les normes de la société canadienne».

L’approbation par le juge Cory de l’observation selon laquelle il appartient à la Cour de décider si la collectivité tolérerait les actes en cause, de même que le fait qu’il s’attribue compétence sur l’affaire, indique que les juges majoritaires dans l’arrêt Tremblay ont conclu que la question de savoir si un acte donné est indécent est une question de droit seulement.

24. De plus, tant la nature de l’examen que la politique générale soutiennent la conclusion que l’application du critère des normes sociales à un ensemble donné de faits est une question de droit aux fins d’un appel. La question de la nature de l’examen a été explicitée dans R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, à la p. 484:

Pour certains segments de la société, ces trois catégories de pornographie seraient nocives à la société parce qu’elles ont tendance à en ébranler la force morale. Pour d’autres, aucune de ces catégories de pornographie n’est nocive. Par ailleurs, il existe tout un éventail d’opinions quant à savoir ce qui constitue un traitement dégradant ou déshumanisant. [. . .] Parce qu’il ne s’agit pas d’une question dont la preuve peut être faite de façon traditionnelle et parce que nous ne voulons pas nous en remettre aux goûts de chacun des juges, nous devons disposer d’une norme qui fera fonction d’arbitre pour déterminer ce qui constitue une exploitation indue des choses sexuelles. Cet arbitre est l’ensemble de la société. [Je souligne.]

25. En outre, l’application de cette norme par les tribunaux ne dépend pas de l’existence d’éléments de preuve, quoique des éléments de preuve soient souvent présentés et examinés. Voir Butler, précité, à la p. 485, et Jorgensen, précité, à la p. 115. Cela distingue cet examen d’un examen de faits, où les éléments de preuve sont essentiels. L’extrait suivant de la p. 485 de l’arrêt Butler décrit ce que la Cour doit décider:

Les tribunaux doivent déterminer du mieux qu’ils peuvent ce que la société tolérerait que les autres voient en fonction du degré de préjudice qui peut en résulter.

Cette décision peut donc être prise en l’absence d’élément de preuve et n’est pas tributaire d’une preuve au sens traditionnel du terme. Il doit forcément s’agir d’une question de droit, sinon une démonstration fondée sur des éléments de preuve et conforme à la norme applicable en matière criminelle serait requise.

26. Enfin, il y a une saine politique générale qui appuie la conclusion que, au moins aux fins de l’examen en appel, la question de savoir si l’on doit conclure d’un spectacle en particulier qu’il est indécent soit une question de droit. L’arrêt Towne Cinema a confirmé que les «normes sociales» mentionnées dans les affaires d’obscénité et d’indécence devaient être les normes de la société canadienne en général, et non pas celles de la collectivité particulière où les actes ont été accomplis. Autrement dit, il existe une norme nationale. Selon moi, l’examen en appel est important pour assurer l’application uniforme dans tout le Canada d’un critère national des normes sociales. Si l’on considérait que l’indécence et l’obscénité soulèvent des questions de fait aux fins de la compétence en matière d’appel, l’examen en appel serait grandement miné.

27. On trouve aux États‑Unis une raison de principe semblable d’autoriser l’examen en appel. Aux États‑Unis, l’obscénité et l’indécence ne reposent pas sur une norme nationale; pourtant, on reconnaît l’importance de l’examen en appel pour déterminer la nature de la question litigieuse soumise à la cour. Pour permettre à la cour qui procède à l’examen de réviser une conclusion d’obscénité, les tribunaux américains ont qualifié de question de droit constitutionnel la question de savoir si quelque chose est obscène. Par exemple, dans l’arrêt Roth c. United States, 354 U.S. 476 (1957), le juge Harlan affirme, dans d’importants motifs, aux pp. 497 et 498:

[traduction] La cour semble présumer que l’«obscénité» est un genre particulier d’«expression et de presse» qui est aussi distinct, reconnaissable et classable que l’est l’herbe à puce parmi les autres plantes. Compte tenu de cela, la question constitutionnelle qui nous est soumise devient simplement, comme la cour le dit, une question de savoir si l’«obscénité», abstraitement, est protégée par le Premier ou par le Quatorzième amendement, et la question de savoir si un livre particulier peut être supprimé devient une simple question de classification, une question de «fait», à être confiée à un juge des faits et isolée de tout jugement indépendant sur le plan constitutionnel. Mais, il est certain que le problème ne peut pas être résolu de manière aussi générale. Toute communication a une individualité et une «valeur» propres. La suppression d’un écrit particulier ou d’une autre forme tangible d’expression est, par conséquent, une question individuelle, et il est dans la nature des choses qu’une telle suppression soulève un problème constitutionnel particulier, à l’égard duquel un tribunal d’examen doit décider, pour lui-même, si l’expression contestée peut être supprimée conformément à des normes constitutionnelles. Étant donné que ces normes ne se prêtent pas facilement à des définitions générales, le problème constitutionnel est, en dernière analyse, un problème de jugements particularisés que les cours d’appel doivent former pour elles-mêmes.

Je ne crois pas que les tribunaux d’examen puissent échapper à cette responsabilité en affirmant que le juge des faits, que ce soit un jury ou un juge, a qualifié d’«obscène» la question en litige, car si l’«obscénité» doit être supprimée, la question de savoir si un ouvrage particulier est de cette nature n’est pas vraiment une question de fait, mais une question de jugement constitutionnel la plus délicate qui soit. [En italique dans l’original; je souligne.]

Voir aussi Miller c. California, 413 U.S. 15 (1973), à la p. 25, qui confirme le point de vue du juge Harlan. Pour garantir l’uniformité de l’application de la Constitution, les tribunaux américains ont statué que les composantes factuelles de la question en litige ne devaient pas dissuader les cours d’appel d’examiner des conclusions d’obscénité.

28. Les appelants se sont fortement appuyés sur une affirmation, dans Jorgensen, précité, selon laquelle la question en cause dans cette affaire était une question mixte de fait et de droit. La question visée par cette affirmation était de savoir si les appelants pouvaient s’appuyer sur une décision de la Commission de contrôle cinématographique de l’Ontario pour justifier une erreur de fait. Après avoir souligné que la qualification d’une question à une certaine fin ne s’applique pas aux autres fins, la Cour a décrit la détermination de normes sociales comme étant une question mixte de fait et de droit, afin de la distinguer d’une simple question de fait. La Cour a ajouté qu’il n’était pas nécessaire, pour obtenir une déclaration de culpabilité, que le ministère public prouve ou que le tribunal conclue que les appelants savaient que le matériel contesté excédait les normes sociales. Il ne pouvait en être ainsi que si la connaissance de l’accusé portait sur une question de droit. Rien de ce qui a été dit dans Jorgensen n’est donc incompatible avec la qualification de la question dont nous sommes saisis comme étant une question de droit aux fins du pourvoi.

29. La question de savoir si des faits incontestés donnent lieu à une conclusion qu’il y a eu spectacle indécent est une question de droit. Par conséquent, la Cour d’appel avait compétence pour entendre l’appel contre les acquittements, et notre Cour a elle aussi compétence pour le faire. Les appelants soutiennent toutefois que, en concluant à l’indécence et à l’existence de mens rea, la Cour d’appel a modifié les conclusions de fait, ou tiré des conclusions supplémentaires des faits donnés, de sorte que son infirmation des acquittements ne reposait pas sur une question de droit seulement. J’examinerai ces arguments dans mon analyse de l’indécence, qui suit immédiatement, et de la mens rea, à laquelle je procéderai ensuite.

B. L’indécence

30. Le juge du procès a conclu que la taverne constituait un théâtre aux fins de l’art. 167, et que les «danses» en question constituaient des spectacles. Compte tenu de ces conclusions, mise à part la question de l’intention, la déclaration de culpabilité ou l’acquittement dépendent seulement de la question de savoir si les spectacles étaient indécents.

31. Comme il est précisé dans l’arrêt Tremblay, précité, à la p. 958, le critère à appliquer pour déterminer s’il y a indécence est la norme de tolérance de la société. Le juge en chef Dickson affirme dans l’arrêt Towne Cinema, précité, à la p. 508:

Tous les arrêts soulignent que la norme applicable est la tolérance et non le goût. Ce qui importe, ce n’est pas ce que les Canadiens estiment convenable pour eux‑mêmes de voir. Ce qui importe, c’est ce que les Canadiens ne souffriraient pas que d’autres Canadiens voient parce que ce serait outrepasser la norme contemporaine de tolérance au Canada que de permettre qu’ils le voient. [En italique dans l’original; je souligne.]

Comme nous l’avons vu, l’arrêt Butler établit que le préjudice est le principe qui sous‑tend la notion de ce que les Canadiens toléreraient. Les juges majoritaires affirment, à la p. 485 de cet arrêt:

Les tribunaux doivent déterminer du mieux qu’ils peuvent ce que la société tolérerait que les autres voient en fonction du degré de préjudice qui peut en résulter. Dans ce contexte, le préjudice signifie qu’il prédispose une personne à agir de façon antisociale comme, par exemple, le fait pour un homme de maltraiter physiquement ou mentalement une femme ou vice versa, ce qui peut être discutable. Le comportement antisocial en ce sens est celui que la société reconnaît officiellement comme incompatible avec son bon fonctionnement.

32. Alors que l’arrêt Butler concernait l’obscénité de matériel pornographique particulier, la présente affaire concerne l’indécence de spectacles sur scène. L’élément «tolérance» qui sous-tend le critère des normes sociales est le même dans le cas d’indécence que dans les cas d’obscénité (voir Tremblay), mais l’indécence, contrairement à l’obscénité, comporte une appréciation des circonstances lors de l’application du critère des normes sociales. Comme les juges majoritaires l’ont dit, à la p. 960 de l’arrêt Tremblay:

Pour déterminer si un acte est indécent, il faut tenir compte du contexte dans lequel il intervient, car un acte n’est jamais accompli dans le vide absolu. La norme de tolérance de la société est celle de l’ensemble de la société. Toutefois, ce que la société peut tolérer variera en fonction du lieu où l’acte se produit et de la composition de l’auditoire.

33. Si on conjugue les observations susmentionnées, il en ressort qu’un spectacle est indécent si le préjudice social qu’il engendre, compte tenu des circonstances dans lesquelles il a lieu, est tel que la collectivité ne tolérerait pas qu’il ait lieu. Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que les activités en l’espèce étaient telles que la société ne les tolérerait pas et qu’elles étaient donc indécentes.

34. Le préjudice social qui doit être examiné conformément à l’art. 167 est le préjudice résultant d’une attitude chez ceux qui assistent au spectacle, tel qu’il est perçu par l’ensemble de la société. En l’espèce, comme je l’ai mentionné dans la partie sur les faits, les clients de Cheaters pouvaient, en payant une somme d’argent, toucher et caresser des femmes, recevoir des caresses sexuelles intimes et se livrer à la masturbation mutuelle et apparemment au cunnilingus dans une taverne publique. En fait, en plus de leurs consommations, les hommes pouvaient se payer une aventure sexuelle publique pour leur propre plaisir et celui d’autrui. Selon moi, de telles activités causent un préjudice social qui dénote que ces spectacles étaient indécents. Je suis d’accord avec la Cour d’appel, qui a affirmé (à la p. 650 O.R.):

[traduction] La conduite en cause en l’espèce, dans le contexte où elle a eu lieu, est préjudiciable à la société à maints égards. Elle dégrade et déshumanise les femmes, les présente publiquement comme des êtres serviles dans des situations humiliantes, comme des objets sexuels, et leur font perdre leur dignité. Elle déshumanise et banalise la sexualité et est incompatible avec la reconnaissance de la dignité et de l’égalité de tous les êtres humains. Elle prédispose les personnes à agir d’une manière antisociale, comme si un tel traitement des femmes était socialement acceptable et constituait une conduite normale, et comme si nous vivions dans une société dépourvue de toute valeur morale.

35. Toute conclusion d’indécence doit reposer sur l’ensemble des circonstances. Je suis convaincu que les activités en l’espèce étaient indécentes dans la mesure où elles comportaient des attouchements sexuels entre les danseuses et les clients. Par conséquent, les caresses des seins des danseuses avec les mains ou la bouche, de même que les contacts d’organes génitaux entre danseuses et clients, dans des circonstances comme celles de la présente affaire, ont donné lieu à un spectacle indécent. Il est inacceptable et dégradant pour les femmes de permettre qu’un tel usage soit fait de leur corps au cours d’un spectacle public dans une taverne. Même si ces activités étaient consensuelles, comme le soulignent les appelants, cela ne change rien à leur caractère dégradant. De plus, comme je l’ai dit dans l’arrêt Butler, à la p. 479: «[p]arfois, l’apparence même de consentement rend les actes représentés encore plus dégradants ou déshumanisants».

36. Cette analyse, selon moi, suffit pour justifier la conclusion que les spectacles en cause étaient indécents. Toutefois, je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire qu’il est également pertinent de mentionner que la municipalité de la communauté urbaine de Toronto a récemment adopté un règlement interdisant tout contact ou attouchement quel qu’il soit sur toute partie du corps, entre une personne et toute autre personne qui offre, dans un lieu de divertissements pour adultes, des services qui font appel aux tendances ou aux appétits érotiques ou sexuels, et interdisant au propriétaire de permettre une telle conduite. Bien que le règlement ait été contesté sans succès comme outrepassant les pouvoirs de la municipalité, je suis d’accord avec la Cour d’appel que, outre sa validité, le règlement est intéressant, en l’espèce, en tant qu’élément de preuve confirmant que les activités en question outrepassaient les normes sociales de tolérance.

37. La Cour d’appel a pris en considération deux autres facteurs qui, d’après moi, ne sont que très peu pertinents pour décider s’il y a indécence. Pour conclure qu’un spectacle est indécent, il faut conclure que ceux qui y assistent subissent un préjudice perçu par l’ensemble de la société. La possibilité qu’un préjudice soit causé aux exécutantes mêmes, bien qu’elle soit évidemment regrettable, n’est pas un facteur essentiel aux fins de l’art. 167. La Cour d’appel paraît cependant avoir traité le risque de maladies transmises sexuellement et le préjudice lié à la prostitution comme des facteurs importants en concluant à l’indécence en l’espèce. Selon moi, le risque que les exécutantes subissent un préjudice n’est pertinent que s’il aggrave le préjudice social résultant de l’avilissement des femmes et de leur traitement comme des êtres objets. Ainsi, s’il y a accroissement de l’avilissement des femmes et, par conséquent, un risque accru de préjudice social parce que les spectacles en question font courir des risques aux exécutantes, alors ces facteurs sont pertinents. En l’espèce, je n’ai pas besoin de ces facteurs supplémentaires pour conclure que les spectacles en cause sont indécents. À part le risque de préjudice découlant de maladies transmises sexuellement et d’activités semblables à la prostitution, le préjudice social résultant des spectacles, dans le contexte où ils ont eu lieu, est suffisant pour conclure qu’ils étaient indécents. Les femmes étaient avilies et traitées comme des êtres objets d’une manière socialement inacceptable peu importe que les autres risques de préjudice lié à la prostitution et aux maladies transmises sexuellement aient été présents ou non lors de ces spectacles.

38. La conclusion que les spectacles en cause étaient indécents est étayée jusqu’à un certain point par les motifs du juge du procès. Ce dernier aurait conclu à l’indécence de ces spectacles n’eussent été les précédents établis par les arrêts Tremblay et Hawkins, précités. Il a affirmé:

[traduction] La conduite reprochée en l’espèce est inoffensive en comparaison de celle examinée par la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel de l’Ontario.

N’eussent été ces arrêts, il n’aurait pas été difficile de conclure à l’indécence de la conduite des danseuses aux tables.

La conduite à la taverne Cheaters n’est pas indécente et l’accusation portée contre Allan East est rejetée. Un acquittement sera inscrit.

À mon avis, le juge du procès a commis une erreur en se considérant lié par ces arrêts, comme je vais maintenant l’expliquer, ce qui veut dire que sa conclusion subsidiaire s’applique: les spectacles étaient indécents.

39. Pour distinguer la présente affaire des arrêts Tremblay et Hawkins, il est amplement suffisant de résumer l’analyse de la question par la Cour d’appel. Je note, toutefois, que notre Cour, dans Tremblay, et la Cour d’appel, en l’espèce, ont accordé une grande importance au risque d’agression sexuelle et de transmission de maladie, ce que je ne fais pas, mais il est important de se rappeler que Tremblay comportait une analyse de la question de savoir si des actes accomplis en privé étaient indécents, alors que la présente affaire comporte une analyse de la question de savoir si un spectacle était indécent. Dans Tremblay, l’accusation avait été portée en vertu du par. 193(1) du Code criminel (maintenant le par. 210(1)). L’élément essentiel de cette infraction est la tenue d’un lieu pour la pratique d’actes indécents. La présence de spectateurs et l’incidence sur ceux-ci est relativement sans importance. Par ailleurs, l’élément essentiel de l’infraction décrite à l’art. 167 est le fait de donner ou de permettre que soit donné un spectacle indécent. La présence de spectateurs et le fait qu’il y ait eu «spectacle» au sens du par. 167(1) ont grandement pour effet, dans la présente affaire, de mettre l’accent sur l’analyse de l’incidence sur les spectateurs plutôt que sur les exécutantes. Bien que je ne partage pas le point de vue de la Cour d’appel quant à l’importance du risque de maladies infectieuses pour pouvoir conclure à l’indécence d’un spectacle, je suis par ailleurs entièrement d’accord avec la façon admirable dont le juge en chef Dubin de l’Ontario a établi les différences entre la présente affaire et les arrêts Tremblay et Hawkins, et a expliqué pourquoi les activités dans la présente affaire étaient indécentes. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de répéter mot à mot ce qui a été dit, les principales distinctions peuvent être résumées de la façon suivante.

40. Les principaux éléments qui distinguent la présente affaire de l’arrêt Tremblay sont le contact physique entre clients et danseuses qui a eu lieu ici, mais qui était défendu dans Tremblay, et la nature publique de l’activité en l’espèce; cette activité s’est déroulée ouvertement dans une taverne, alors que dans Tremblay, les actes avaient été accomplis en privé. En ce qui concerne Hawkins, il était question d’images électroniques visionnées dans un salon privé, et non pas de danseuses en chair et en os accomplissant des actes sexuels dans une taverne. Ces caractéristiques distinctives ont une incidence profonde sur la conclusion d’indécence dans la présente affaire. La nature publique de l’activité et le contact physique créent un contexte factuel très différent des affaires précédentes. Étant donné que le juge du procès a commis une erreur en se considérant lié par les arrêts Tremblay et Hawkins, sa conclusion subsidiaire que les spectacles étaient indécents s’applique. Ses motifs étayent donc jusqu’à un certain point la conclusion que je tire dans le présent pourvoi.

41. En déterminant s’il y avait indécence, la Cour d’appel a offert un autre motif de conclure que les actes en question étaient indécents. Le juge en chef Dubin a fait observer ceci (aux pp. 651 et 652 O.R.):

[traduction] [Mara et East] ont nié tous les deux avoir eu connaissance des actes décrits. Cependant, l’échange suivant a eu lieu lors du contre‑interrogatoire de l’intimé East par le substitut du procureur général:

Q. Et jugeriez-vous déplacé qu’une femme se masturbe en présence et à la vue de clients masculins?

R. Déplacé, qu’elle le fasse à la vue ou non de tous. Très déplacé.

Q. Et cela justifierait‑il un congédiement, selon vous?

R. Oui, évidemment.

Q. Et que des clients caressent les seins des danseuses à Cheaters?

R. S’ils faisaient cela aussi, j’expulserais le client et la danseuse.

Q. Pourquoi?

R. Pourquoi?

Q. Pourquoi? Oui.

R. Parce que — je trouverais cela déplacé.

Q. Et que des danseuses masturbent les clients [masculins] à travers leurs vêtements?

R. Cela va de soi. Ce serait évidemment très déplacé. Congédiement instantané et à vie.

Donc, l’appelant East a reconnu lui‑même que les actes décrits par les policiers étaient «déplacés», ce qui renforce davantage la conclusion que les spectacles en question étaient indécents.

42. Somme toute, d’après les faits non contestés décrits par le juge du procès et relatés plus haut, les spectacles ici en question étaient indécents. En concluant qu’ils ne l’étaient pas, le juge du procès a, selon moi, commis une erreur de droit et la Cour d’appel a eu raison d’infirmer sa conclusion.

43. Les appelants soutiennent que, en faisant référence à des facteurs tels que le préjudice social et le risque de maladies transmises sexuellement, qui n’avaient pas été abordés au procès, la Cour d’appel a tiré des conclusions supplémentaires à partir des faits, indiquant ainsi que son désaccord avec le juge du procès était fondé sur une question mixte de droit et de fait, plutôt que sur une question de droit seulement. Les appelants ont soutenu de plus que, en proposant que ces facteurs soient examinés, le ministère public a, en fait, soumis une nouvelle théorie de la responsabilité pour la première fois en appel.

44. Selon moi, ni l’un ni l’autre de ces arguments n’est convaincant. Comme je l’ai fait remarquer ci‑dessus, le préjudice social n’est pas un fait susceptible d’être prouvé de façon traditionnelle, mais plutôt, lorsque les activités ou le matériel en question impliquent l’avilissement de femmes, ou peut‑être d’enfants ou d’hommes, et leur traitement comme des êtres objets, le droit déduit l’existence d’un préjudice simplement à partir de cet avilissement et de ce traitement. Par conséquent, l’examen du préjudice social résultant des faits survenus en l’espèce consiste non pas à examiner un fait «nouveau» ni à tirer une «nouvelle» conclusion de fait à partir de certains faits, mais plutôt à se pencher sur l’incidence juridique des faits.

45. Cela répond aussi à l’argument voulant que le ministère public ait soumis, en appel, une nouvelle théorie de la responsabilité. Le ministère public a évidemment soutenu au procès que les spectacles étaient indécents. L’indécence dépend de normes sociales, qui dépendent à leur tour en grande partie d’une analyse du préjudice social. En proposant, en appel, l’examen du préjudice social résultant des spectacles, le ministère public tentait simplement de persuader la cour que l’incidence juridique des faits constatés était que les spectacles avaient excédé les normes sociales de tolérance, contrairement à ce que le juge du procès avait conclu. Le ministère public ne soumettait pas une nouvelle théorie de la responsabilité, mais avançait plutôt un argument juridique au sujet des normes sociales et de l’indécence des spectacles en question.

46. Quant à la prise en considération du risque de maladies transmises sexuellement, étant donné que je n’accorde tout au plus que peu d’importance à ce facteur, je m’abstiendrai d’examiner s’il était approprié que la Cour d’appel tienne compte de ces risques pour déterminer s’il y avait indécence, même si ce facteur n’avait pas été analysé par le juge du procès. Selon moi, outre les maladies transmises sexuellement, les faits non contestés suffisaient pour justifier une conclusion d’indécence.

C. L’appelant Mara et la mens rea

47. Le présent pourvoi ne comporte aucune question relative à l’intention de l’appelant East. La conclusion d’indécence est suffisante pour rejeter le pourvoi à son égard. L’appelant Mara, toutefois, a fait valoir que la Cour d’appel a commis une erreur en modifiant la conclusion de fait du juge du procès selon laquelle il n’avait pas eu l’intention criminelle requise pour être déclaré coupable.

48. En ce qui concerne la mens rea de l’appelant Mara, le juge du procès a noté que Mara et East avaient témoigné que East était entièrement responsable des activités des danseuses à la taverne, et il a affirmé:

[traduction] L’infraction définie au par. 167(1) du Code criminel n’est pas une infraction de responsabilité absolue.

Patrick Mara a pris ce qui semble être des mesures adéquates et appropriées pour la présentation de danses exotiques aux tables des clients de la taverne, en embauchant un directeur des divertissements chargé de surveiller tous les aspects des divertissements.

Il n’y a aucune preuve que Patrick Mara savait que les danseuses aux tables exécutaient généralement ou habituellement des danses qui pourraient être qualifiées d’indécentes.

La cour conclut que Patrick Mara a pris des mesures raisonnables pour se conformer à la loi, et qu’il n’avait pas l’intention criminelle requise pour commettre l’infraction qui lui est reprochée. L’accusation contre Patrick Mara est rejetée, et un acquittement sera inscrit.

49. La Cour d’appel a écarté cette conclusion. Le juge en chef Dubin a d’abord fait remarquer que, même lorsque l’élément moral requis est «sciemment», il a été statué, dans l’arrêt Jorgensen, que l’ignorance volontaire satisfait à cette exigence. La cour a conclu (à la p. 657 O.R.):

[traduction] Vu l’ampleur des activités en l’espèce, si [Mara et East] n’étaient pas au courant de ce qui se passait, c’est qu’ils ont dû se «fermer les yeux» et avoir fait preuve d’ignorance volontaire. Il appert que, même après avoir été avertis par la police, ils n’ont pris aucune mesure pour mettre fin aux spectacles indécents.

Le juge du procès a commis une erreur, dans ces circonstances, en concluant que l’intimé Mara avait agi raisonnablement en déléguant la gestion des exécutantes à l’intimé East sans prendre lui-même des mesures pour empêcher la continuation des spectacles indécents.

La cour a ajouté que, de toute façon, le mot «sciemment» ne figurait pas à l’art. 167 et que, par conséquent, la norme de mens rea était moins stricte. La cour a infirmé l’acquittement de Mara et inscrit une déclaration de culpabilité.

50. J’estime que la cour a commis une erreur en écartant la conclusion de fait que le juge du procès avait tirée quant à la mens rea. L’article 167 exige que l’accusé «permette» la présentation du spectacle indécent. Je suis d’accord avec l’appelant Mara et l’intimée pour dire que l’art. 167 définit une infraction exigeant une mens rea complète. À mon avis, l’exigence que l’accusé «permette» la présentation d’un spectacle indécent implique, tout au moins, l’exigence d’acquiescement concerté ou d’ignorance volontaire de la part de l’accusé. En fait, je suis d’avis que «permet», dans le présent contexte, équivaut à «sciemment» dans le contexte de Jorgensen. Par conséquent, étant donné que la conclusion subsidiaire de la Cour d’appel est fondée sur une perception de la mens rea qui est moindre que l’idée de «sciemment», je ne l’accepte pas.

51. Quant à sa conclusion principale, la Cour d’appel a simplement, selon moi, exprimé son désaccord avec la conclusion de fait du juge du procès et y a substitué son propre point de vue. Le juge du procès a tenu pour avéré que l’accusé n’avait pas eu véritablement connaissance des activités en question. Cependant, le juge en chef Dubin paraît avoir conclu que, même si le juge du procès avait bel et bien examiné s’il y avait eu connaissance véritable, il n’a pas considéré la question de l’ignorance volontaire. Selon moi, il n’y a aucune raison de conclure que le juge du procès a commis une erreur dans son appréciation de la mens rea. Premièrement, il a fait plus que simplement affirmer que l’appelant Mara n’avait pas eu véritablement connaissance des activités en cause, ajoutant que Mara n’avait pas eu [traduction] l’«intention criminelle requise». Étant donné que l’intention criminelle requise comprend l’ignorance volontaire, cette conclusion suffisait pour tenir compte de cette possibilité. Deuxièmement, j’estime que la conclusion du juge du procès que l’appelant Mara avait pris des [traduction] «mesures raisonnables» pour se conformer à la loi empêche de conclure qu’il avait fait preuve d’ignorance volontaire. Si une personne prend des mesures raisonnables pour se conformer à la loi, cette personne n’a pas «chois[i] délibérément d’ignorer une chose lorsqu’[elle] a toutes les raisons de croire qu’un examen approfondi est nécessaire», comme la Cour l’a dit dans Jorgensen, au par. 102. Étant donné que le juge du procès a conclu que la délégation faite à l’appelant East équivalait à des mesures raisonnables pour se conformer à la loi, si East manquait à ses obligations, l’appelant Mara ne devait pas être tenu responsable.

52. Étant donné que le juge du procès n’avait commis aucune erreur de droit manifeste, la Cour d’appel n’avait pas compétence, dans l’appel interjeté contre l’acquittement de l’appelant Mara, pour écarter les conclusions de fait du juge du procès. La Cour d’appel a simplement substitué sa propre perception des faits à celle du juge du procès, ce qui est inacceptable.

53. Devant notre Cour, le ministère public intimé a prétendu que, bien que l’art. 167 exige une mens rea complète, la connaissance requise de la part de l’accusé qui est propriétaire du théâtre est limitée. Il a fait valoir que, dans la mesure où le propriétaire accusé a connaissance de la nature de l’entreprise qu’il exploite, il a une mens rea suffisante pour justifier une déclaration de culpabilité. Si l’accusé sait qu’il exploite une entreprise où il y a un risque que des spectacles indécents soient présentés, alors si de tels spectacles ont effectivement lieu, l’accusé aura un mens rea suffisante en vertu de l’art. 167. L’intimée appuie sa prétention en grande partie sur l’argument de politique générale suivant. Si les propriétaires peuvent se mettre à l’abri d’une déclaration de culpabilité simplement en déléguant leurs responsabilités, alors les personnes qui profitent le plus financièrement des spectacles indécents seront alors en mesure de faire de l’argent par la présentation de spectacles indécents, tout en ne courant aucun risque de démêlés avec la justice.

54. Je ne puis accepter l’argument de l’intimée. L’approche qu’elle propose ferait perdre tout son sens à l’exigence d’une mens rea complète que l’intimée a reconnue comme étant la norme à l’art. 167. En fait, cette approche reviendrait à imposer une responsabilité absolue à tous les propriétaires d’établissements pour adultes où un spectacle indécent a lieu. Tous les propriétaires d’établissements de divertissements pour adultes sont vraisemblablement au courant de la nature de l’entreprise qu’ils exploitent. Par conséquent, si jamais un spectacle indécent avait lieu, peu importe la diligence dont le propriétaire aurait fait preuve pour en empêcher la présentation, le fait même que le spectacle a eu lieu suffirait pour le déclarer coupable. Selon moi, cela s’apparente à la responsabilité absolue des propriétaires qui, le reconnaît‑on, n’est pas la norme à l’art. 167.

55. En ce qui concerne la préoccupation de politique générale selon laquelle les propriétaires pourraient simplement recourir à la délégation pour se protéger, j’ai deux réponses. Premièrement, si la politique générale est suffisamment impérieuse, le législateur pourrait peut‑être modifier l’art. 167 de manière à y décrire une infraction assortie d’une norme de mens rea moins stricte, au moins à l’égard des propriétaires. Deuxièmement, si le propriétaire délègue de mauvaise foi sa responsabilité, c’est‑à‑dire qu’il la délègue pour se protéger de la loi plutôt que pour s’y conformer, alors j’estime que cela pourrait équivaloir, dans certaines circonstances, à de l’ignorance volontaire. La délégation par un signe de tête et un clin d’{oe}il ne protégera pas le propriétaire contre une déclaration de culpabilité. En l’espèce, le juge du procès a conclu que la délégation de responsabilités par l’appelant Mara équivalait à des mesures raisonnables pour se conformer à la loi, de sorte que la question de l’ignorance volontaire, mentionnée plus haut, ne se pose pas.

56. En résumé, j’estime que la Cour d’appel a commis une erreur en écartant la conclusion de fait du juge du procès que l’appelant Mara n’avait pas eu une mens rea suffisante pour justifier une déclaration de culpabilité fondée sur l’art. 167. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi en ce qui concerne cet appelant.

V. Conclusion et dispositif

57. Selon moi, le juge du procès a commis une erreur de droit en concluant que les activités qui ont lieu en l’espèce ne constituaient pas des spectacles indécents. Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que les spectacles étaient indécents. Étant donné que la question de savoir si l’appelant East avait l’état d’esprit requis pour justifier une déclaration de culpabilité ne se posait pas, la Cour a, à la fin des plaidoiries, rejeté le pourvoi en ce qui concerne l’appelant East.

58. Par contre, en ce qui concerne l’appelant Mara, j’estime que le juge du procès n’a commis aucune erreur de droit en tirant sa conclusion de fait que Mara n’avait pas l’intention criminelle requise pour justifier une déclaration de culpabilité. En écartant cette conclusion, la Cour d’appel a irrégulièrement substitué sa perception des faits à celle du juge du procès. Compte tenu de la conclusion de fait du juge du procès quant à la mens rea, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi en ce qui concerne l’appelant Mara et de rétablir son acquittement.

Pourvoi de East rejeté. Pourvoi de Mara accueilli.

Procureur des appelants: Heather A. McArthur, Toronto.

Procureur de l’intimée: Le ministère du Procureur général, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi de e est rejeté. le pourvoi de m est accueilli

Analyses

Droit criminel - Appel - Question de droit - Indécence - Représentation théâtrale - La question de savoir si un spectacle donné est illégal est-elle une question de droit seulement?.

Droit criminel - Indécence - Représentation théâtrale - Danse‑contact - Contacts sexuels entre danseuses nues et clients d’une taverne - Propriétaire et gérant d’une taverne accusés d’avoir permis la présentation de spectacles indécents - Les spectacles étaient‑ils indécents? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 167(1).

Droit criminel - Indécence - Représentation théâtrale - Mens rea - Gérant engagé par le propriétaire d’une taverne pour surveiller tous les aspects des divertissements - Contacts sexuels entre danseuses nues et clients de la taverne - Propriétaire et gérant accusés d’avoir permis la présentation de spectacles indécents - La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en écartant la conclusion de fait du juge du procès que le propriétaire n’avait pas eu une mens rea suffisante? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 167(1).

M, le propriétaire d’une taverne, et E, son gérant responsable des divertissements, ont été accusés, en vertu du par. 167(1) du Code criminel, d’avoir permis la présentation de spectacles indécents. Les spectacles en question comprenaient à divers degrés, des contacts sexuels entre des «danseuses» nues et des clients de la taverne, notamment une conduite des clients consistant à caresser et à embrasser les seins d’une danseuse, à se livrer à la masturbation mutuelle et apparemment au cunnilingus. Au procès, les deux accusés ont été acquittés. Le juge du procès a statué que M n’avait pas eu l’intention criminelle requise pour justifier une déclaration de culpabilité. Il a conclu que M avait pris des mesures adéquates et appropriées en embauchant un directeur des divertissements chargé de surveiller tous les aspects des divertissements, et qu’il n’y avait aucune preuve que M savait que les danseuses aux tables exécutaient habituellement des danses qui pourraient être qualifiées d’indécentes. Quoi qu’il en soit, après avoir examiné les activités observées par les policiers dans la taverne, il a décidé que les spectacles n’outrepassaient pas la norme de tolérance de la société canadienne et n’étaient donc pas indécents. En appel, la Cour d’appel a annulé les acquittements et déclaré les deux accusés coupables.

Arrêt: Le pourvoi de E est rejeté. Le pourvoi de M est accueilli.

La Cour d’appel avait compétence pour entendre l’appel contre les acquittements. Le ministère public ne peut en appeler d’un acquittement que sur une question de droit seulement. La question de savoir si un ensemble particulier de faits donne lieu à une conclusion d’indécence est une question de droit aux fins d’un appel.

Mise à part la question de l’intention, la déclaration de culpabilité ou l’acquittement en l’espèce dépendent seulement de la question de savoir si les spectacles étaient indécents. Le critère à appliquer pour déterminer s’il y a indécence est la norme de tolérance de la société. Un spectacle est indécent si le préjudice social qu’il engendre, compte tenu des circonstances dans lesquelles il a lieu, est tel que la collectivité ne tolérerait pas qu’il ait lieu. Le préjudice social qui doit être examiné en vertu de l’art. 167 du Code criminel est le préjudice résultant d’une attitude chez ceux qui assistent au spectacle, tel qu’il est perçu par l’ensemble de la société. Ici, comme l’a conclu la Cour d’appel, la conduite outrepassait la norme de tolérance de la société canadienne contemporaine. Les activités étaient indécentes dans la mesure où elles comportaient des attouchements sexuels entre les danseuses et les clients. Ce type d’activité — les caresses des seins des danseuses par les clients avec les mains ou la bouche, de même que les contacts d’organes génitaux entre danseuses et clients — est préjudiciable à la société à maints égards: il dégrade et déshumanise les femmes; il banalise la sexualité et est incompatible avec la dignité et l’égalité de tous les êtres humains; il prédispose, en outre, les personnes à agir d’une manière antisociale. Cette analyse suffit pour justifier la conclusion que les spectacles en cause étaient indécents. La possibilité qu’un préjudice soit causé aux exécutantes mêmes — le risque de préjudice découlant de maladies transmises sexuellement et d’activités semblables à la prostitution — bien qu’elle soit évidemment regrettable, n’est pas un facteur essentiel aux fins de l’art. 167. Le risque que les exécutantes subissent un préjudice n’est pertinent que s’il aggrave le préjudice social résultant de l’avilissement des femmes et de leur traitement comme des êtres objets. Enfin, le contact physique entre clients et danseuses et la nature publique de l’activité en question sont les principaux éléments qui distinguent la présente affaire des arrêts Tremblay et Hawkins.

Étant donné que le présent pourvoi ne comporte aucune question relative à l’intention de E, la conclusion d’indécence est suffisante pour maintenir sa déclaration de culpabilité. La Cour d’appel a, toutefois, commis une erreur en modifiant la conclusion de fait du juge du procès selon laquelle M n’avait pas eu la mens rea requise pour justifier une déclaration de culpabilité. L’article 167 définit une infraction exigeant une mens rea complète. L’exigence que l’accusé «permette» la présentation d’un spectacle indécent implique, tout au moins, l’exigence d’acquiescement concerté ou d’ignorance volontaire de la part de l’accusé. Le mot «permet», dans le présent contexte, devrait être assimilé à «sciemment» dans le contexte du par. 163(2) du Code criminel. En l’espèce, le juge du procès a noté que E et M avaient témoigné que E était entièrement responsable des activités des danseuses à la taverne et il a tenu pour avéré que M n’avait pas eu véritablement connaissance des activités en question. En écartant cette conclusion, la Cour d’appel a irrégulièrement substitué sa perception des faits à celle du juge du procès. De plus, la question de l’ignorance volontaire ne se posait pas. Premièrement, le juge du procès a affirmé que M n’avait pas eu «l’intention criminelle requise», ce qui comprend l’ignorance volontaire. Deuxièmement, la conclusion du juge du procès que M avait pris des «mesures raisonnables» — la délégation de responsabilité à E — pour se conformer à la loi empêche de conclure qu’il avait fait preuve d’ignorance volontaire. La délégation effectuée de mauvaise foi pour se protéger de la loi plutôt que pour s’y conformer peut, dans d’autres circonstances, équivaloir à de l’ignorance volontaire. Compte tenu de la conclusion de fait du juge du procès quant à la mens rea, il y a lieu de rétablir l’acquittement de M.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Mara

Références :

Jurisprudence
Distinction faite d’avec les arrêts: R. c. Tremblay, [1993] 2 R.C.S. 932
R. c. Hawkins (1993), 15 O.R. (3d) 549
arrêts mentionnés: R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55
R. c. Morin, [1992] 3 R.C.S. 286
R. c. B. (G.), [1990] 2 R.C.S. 57
Johnson c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 160
Towne Cinema Theatres Ltd. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 494
R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452
Roth c. United States, 354 U.S. 476 (1957)
Miller c. California, 413 U.S. 15 (1973).
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 167.

Proposition de citation de la décision: R. c. Mara, [1997] 2 R.C.S. 630 (26 juin 1997)


Origine de la décision
Date de la décision : 26/06/1997
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1997] 2 R.C.S. 630 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1997-06-26;.1997..2.r.c.s..630 ?
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