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18/09/1997 | CANADA | N°[1997]_3_R.C.S._213

Canada | R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213 (18 septembre 1997)


R. c. Hydro‑Québec, [1997] 3 R.C.S. 213

Le procureur général du Canada, agissant pour le compte

de Sa Majesté la Reine Appelant

c.

Hydro‑Québec Intimée

et

Le procureur général du Québec Mis en cause

et

Le procureur général de la Saskatchewan, IPSCO Inc.,

Société pour vaincre la pollution inc. («S.V.P.»),

Pollution Probe, Great Lakes United (Canada),

Association canadienne du droit de l’environnement et

Sierra Legal Defence Fund Intervenants

Répertorié: R. c. Hydro‑Québec

No du greffe: 24652.

1997: 10 février; 1997: 18 septembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory,...

R. c. Hydro‑Québec, [1997] 3 R.C.S. 213

Le procureur général du Canada, agissant pour le compte

de Sa Majesté la Reine Appelant

c.

Hydro‑Québec Intimée

et

Le procureur général du Québec Mis en cause

et

Le procureur général de la Saskatchewan, IPSCO Inc.,

Société pour vaincre la pollution inc. («S.V.P.»),

Pollution Probe, Great Lakes United (Canada),

Association canadienne du droit de l’environnement et

Sierra Legal Defence Fund Intervenants

Répertorié: R. c. Hydro‑Québec

No du greffe: 24652.

1997: 10 février; 1997: 18 septembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [1995] R.J.Q. 398, 67 Q.A.C. 161, 17 C.E.L.R. (N.S.) 34, [1995] A.Q. no 143 (QL), confirmant un jugement de la Cour supérieure, [1992] R.J.Q. 2159, qui avait confirmé une décision du juge Babin de la Cour du Québec, [1991] R.J.Q. 2736, déclarant que certaines dispositions législatives excédaient la compétence du Parlement du Canada. Pourvoi accueilli, le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Iacobucci et Major sont dissidents.

Claude Joyal, James Mabbutt, c.r., Yves Leb{oe}uf et Jean Rhéaume, pour l’appelant.

François Fontaine, Sophie Perreault et Jean Piette, pour l’intimée.

Alain Gingras, pour le mis en cause.

Thomson Irvine, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

Robert G. Richards, pour l’intervenante IPSCO Inc.

Robert Astell, pour l’intervenante la Société pour vaincre la pollution inc.

Stewart A. G. Elgie et Paul R. Muldoon, pour les intervenants Pollution Probe, Great Lakes United (Canada), Association canadienne du droit de l’environnement et Sierra Legal Defence Fund.

Version française des motifs du juge en chef Lamer et des juges Sopinka, Iacobucci et Major rendus par

1. Le Juge en chef et le juge Iacobucci (dissidents) — Le présent pourvoi fait suite à un arrêté d’urgence pris en 1989 par le ministre de l’Environnement de l’époque, l’honorable Lucien Bouchard. L’arrêté limitait à 1 g par jour les émissions de biphényles chlorés (BPC). L’intimée Hydro‑Québec, accusée d’avoir contrevenu à cet arrêté d’urgence, a contesté les accusations portées contre elle en soutenant que l’arrêté d’urgence et les dispositions le sous‑tendant excédaient la compétence du Parlement, car ils envahissaient un domaine de compétence provinciale.

2. Nous avons pris connaissance des motifs limpides du juge La Forest. Bien que nous partagions son intérêt pour la protection de l’environnement, nous sommes d’avis que les dispositions contestées ne peuvent être justifiées en vertu de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 et qu’elles excèdent donc la compétence du gouvernement fédéral. Vu notre désaccord avec le point de vue adopté par notre collègue, nous allons exposer les contextes factuel et judiciaire pertinents.

1. Les faits

3. L’intimée Hydro‑Québec a été accusée de deux infractions en vertu de l’al. 6a) de l’Arrêté d’urgence sur les biphényles chlorés, C.P. 1989‑296 (ci‑après l’«arrêté d’urgence»), qui a été pris et mis à exécution conformément aux art. 34 et 35 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. (1985), ch. 16 (4e suppl.). L’intimée a été accusée des faits suivants:

[1] Du 1er janvier au 3 janvier 1990, a illégalement rejeté, dans l’environnement, plus d’un gramme par jour de biphényles chlorés contrairement à l’alinéa 6a) de l’Arrêté d’urgence sur les biphényles chlorés, C.P. 1989‑29[6] du 23 février 1989, commettant ainsi l’infraction prévue aux alinéas 113i) et o) de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. de 198[5], 4e suppl., c.16;

[2] Le ou vers le 8 janvier 1990, après le rejet dans l’environnement en violation de l’alinéa 6a) de l’Arrêté d’urgence sur les biphényles chlorés, C.P. 1989‑296 du 23 février 1989, d’une substance inscrite à l’annexe I de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. de 198[5], 4e suppl., c.16, à savoir: des biphényles chlorés [. . .] a omis de faire rapport de la situation à l’inspecteur dans les meilleurs délais possible, contrairement à l’alinéa 36(1)a) de ladite loi, commettant ainsi l’infraction prévue aux alinéas 113h) et o) de ladite Loi.

4. Le 23 juillet 1990, l’intimée a plaidé non coupable à ces deux accusations. Elle a déposé une requête devant la Cour du Québec en vue de faire déclarer inconstitutionnels les art. 34 et 35 de la Loi ainsi que l’al. 6a) de l’arrêté d’urgence, pour le motif qu’ils excédaient le champ de compétence du gouvernement fédéral. Le 12 août 1991, la cour a accueilli la requête et annulé les dispositions en question: [1991] R.J.Q. 2736. L’appel interjeté devant la Cour supérieure du Québec a été rejeté le 6 août 1992 ([1992] R.J.Q. 2159), et un autre appel interjeté devant la Cour d’appel du Québec a été rejeté le 14 février 1995 ([1995] R.J.Q. 398, 67 Q.A.C. 161, 17 C.E.L.R. (N.S.) 34, [1995] A.Q. no 143 (QL)). Le 12 octobre 1995, notre Cour a accordé l’autorisation de pourvoi ([1995] 4 R.C.S. vii) et formulé la question constitutionnelle reproduite plus loin.

2. Les dispositions législatives et constitutionnelles pertinentes

5. Arrêté d’urgence sur les biphényles chlorés, C.P. 1989‑296

6. La quantité de biphényles chlorés qui peut être rejetée, dans l’environnement, dans une région du Canada ne peut excéder 1 g par jour pour chaque pièce d’équipement ou contenant ou emballage d’équipement au cours de l’exploitation, de l’entretien, de la maintenance, de la mise hors service, du transport ou de l’entreposage de l’équipement suivant:

a) des condensateurs électriques ainsi que des transformateurs électriques et de l’équipement connexe, fabriqués ou importés au Canada avant le 1er juillet 1980;

Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. (1985), ch. 16 (4e suppl.)

Il est déclaré que la protection de l’environnement est essentielle au bien‑être de la population du Canada.

Attendu:

que la présence de substances toxiques dans l’environnement est une question d’intérêt national;

qu’il n’est pas toujours possible de circonscrire au territoire touché la dispersion de substances toxiques ayant pénétré dans l’environnement;

que le gouvernement fédéral, à titre de chef de file national en la matière, se doit d’établir des objectifs, des directives et des codes de pratiques nationaux en matière de qualité de l’environnement;

qu’il est nécessaire de limiter la dispersion des substances nutritives dans les eaux canadiennes;

que la législation régissant les terres, entreprises et ouvrages fédéraux ne prévoit pas toujours à leur égard de mesures de protection de l’environnement;

que le Canada se doit d’être en mesure de respecter ses obligations internationales en matière d’environnement,

3. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

. . .

«environnement» Ensemble des conditions et des éléments naturels de la terre, notamment:

a) l’air, l’eau et le sol;

b) toutes les couches de l’atmosphère;

c) toutes les matières organiques et inorganiques ainsi que les êtres vivants;

d) les systèmes naturels en interaction qui comprennent les éléments visés aux alinéas a) à c).

. . .

«substance» Toute matière organique ou inorganique, animée ou inanimée, distinguable. La présente définition vise notamment:

a) les matières susceptibles soit de se disperser dans l’environnement, soit de s’y transformer en matières dispersables, ainsi que les matières susceptibles de provoquer de telles transformations dans l’environnement;

b) les radicaux libres ou les éléments;

c) les combinaisons d’éléments à l’identité moléculaire précise soit naturelles, soit consécutives à une réaction chimique;

d) des combinaisons complexes de molécules différentes, d’origine naturelle ou résultant de réactions chimiques, mais qui ne pourraient se former dans la pratique par la simple combinaison de leurs composants individuels.

Elle vise aussi, sauf pour l’application des articles 25 à 32:

e) les mélanges combinant des substances et ne produisant pas eux‑mêmes une substance différente de celles qui ont été combinées;

f) les articles manufacturés dotés d’une forme ou de caractéristiques matérielles précises pendant leur fabrication et qui ont, pour leur utilisation finale, une ou plusieurs fonctions en dépendant, en tout ou en partie;

g) les matières animées ou les mélanges complexes de molécules différentes qui sont contenus dans les effluents, les émissions ou les déchets attribuables à des travaux, des entreprises ou des activités.

11. Pour l’application de la présente partie, est toxique toute substance qui pénètre ou peut pénétrer dans l’environnement en une quantité ou une concentration ou dans des conditions de nature à:

a) avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement;

b) mettre en danger l’environnement essentiel pour la vie humaine;

c) constituer un danger au Canada pour la vie ou la santé humaine.

15. Afin de déterminer si une substance est effectivement ou potentiellement toxique, d’apprécier s’il y a lieu de prendre des mesures de contrôle et, dans l’affirmative, de déterminer la nature de celles-ci, l’un ou l’autre ministre peut:

a) recueillir des données sur cette substance et mener des enquêtes sur:

(i) sa nature,

(ii) sa présence dans l’environnement et l’effet qu’elle a sur celui‑ci, la vie ou la santé humaine,

(iii) la mesure dans laquelle elle peut se disperser et persister dans l’environnement,

(iv) sa capacité d’infiltration et d’accumulation dans les tissus biologiques ainsi que sa capacité de nuire à des processus biologiques,

(v) les méthodes permettant de limiter sa présence dans l’environnement,

(vi) les méthodes de vérification des effets de sa présence dans l’environnement,

(vii) la mise au point et l’utilisation de substituts,

(viii) ses quantités, ses utilisations et son élimination,

(ix) les méthodes permettant de réduire la quantité utilisée, produite ou rejetée dans l’environnement;

b) corréler et analyser les données recueillies et publier le résultat des enquêtes effectuées;

c) fournir des services d’information et de consultation et faire des recommandations concernant les mesures à prendre pour limiter la présence de cette substance dans l’environnement.

34. (1) Sous réserve du paragraphe (3), le gouverneur en conseil peut, sur recommandation des ministres et après avoir donné au comité consultatif fédéro‑provincial la possibilité de formuler ses conseils dans le cadre de l’article 6, prendre des règlements concernant une substance inscrite sur la liste de l’annexe I, notamment en ce qui touche:

a) la quantité ou la concentration dans lesquelles elle peut être rejetée dans l’environnement, seule ou combinée à une autre substance émise par quelque source ou type de sources que ce soit;

b) les lieux ou zones de rejet;

c) les activités commerciales, de fabrication ou de transformation au cours desquelles le rejet est permis;

d) les modalités et conditions de son rejet, seule ou en combinaison avec une autre substance;

e) la quantité qui peut être fabriquée, transformée, utilisée, mise en vente ou vendue au Canada;

f) les fins pour lesquelles la substance ou un produit qui en contient peut être importé, fabriqué, transformé, utilisé, mis en vente ou vendu;

g) les modalités et conditions d’importation, de fabrication, de transformation ou d’utilisation de la substance ou d’un produit qui en contient;

h) la quantité ou la concentration dans lesquelles celle‑ci peut être utilisée;

i) la quantité ou la concentration dans lesquelles celle‑ci peut‑être importée;

j) les pays d’exportation ou d’importation;

k) les conditions, modalités et objets de l’importation ou de l’exportation;

l) l’interdiction totale, partielle ou conditionnelle de la fabrication, de l’utilisation, de la transformation, de la vente, de la mise en vente, de l’importation ou de l’exportation de la substance ou d’un produit qui en contient;

m) la quantité ou concentration de celle‑ci que peut contenir un produit fabriqué, importé, exporté ou mis en vente au Canada;

n) les modalités, les conditions et l’objet de la publicité et de la mise en vente de la substance ou d’un produit qui en contient;

o) les modalités et les conditions de stockage, de présentation, de transport, de manutention ou d’offre de transport soit de la substance, soit d’un produit ou d’une matière qui en contient;

p) l’emballage et l’étiquetage soit de la substance, soit d’un produit ou d’une matière qui en contient;

q) les modalités, lieux et méthodes d’élimination soit de la substance, soit d’un produit ou d’une matière qui en contient, notamment les normes de construction, d’entretien et d’inspection des sites d’élimination;

r) la transmission au ministre, sur demande ou au moment fixé par règlement, de renseignements concernant la substance;

s) la tenue de livres et de registres pour l’exécution des règlements d’application du présent article;

t) l’échantillonnage, l’analyse, l’essai, la mesure ou la surveillance de la substance et la transmission des résultats au ministre;

u) la transmission d’échantillons de la substance au ministre;

v) les méthodes et procédures à suivre pour les opérations mentionnées à l’alinéa t);

w) les cas ou conditions de modification par le ministre, pour l’exécution de la présente loi, soit des exigences imposées pour les opérations mentionnées à l’alinéa t), soit des méthodes et procédures afférentes;

x) toute autre mesure d’application de la présente partie.

(2) Sur recommandation des ministres, le gouverneur en conseil peut, par règlement, soustraire à l’application de la présente partie et de ses règlements:

a) l’importation, l’exportation, la fabrication, l’utilisation, la transformation, le transport, l’offre de transport, la manutention, l’emballage, l’étiquetage, la publicité, la vente, la mise en vente, la présentation, le stockage, l’élimination ou le rejet dans l’environnement soit d’une substance, soit d’un produit ou d’une matière qui en contient;

b) le rejet dans l’environnement d’une substance provenant d’une source donnée, ou d’un type de sources donné, pendant un certain temps.

(3) Les règlements prévus au paragraphe (1) ne peuvent toutefois être pris que si, selon le gouverneur en conseil, ils ne visent pas un point déjà réglementé sous le régime d’une autre loi fédérale.

(4) Les règlements d’application du paragraphe (1) peuvent modifier la liste de l’annexe I de manière à y préciser le type de règlement qui s’applique à la substance visée.

(5) Sauf à l’égard de Sa Majesté du chef du Canada, les règlements pris aux termes du paragraphe (1) ne s’appliquent pas dans la province visée par un décret pris aux termes du paragraphe (6).

(6) Sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil peut, par décret, déclarer que les règlements pris en application du paragraphe (1) ne s’appliquent pas dans la province lorsque le ministre et le gouvernement provincial sont convenus par écrit que sont en vigueur dans le cadre de la législation provinciale:

a) d’une part, des dispositions équivalentes à ces règlements;

b) d’autre part, des dispositions similaires aux articles 108 à 110 concernant les enquêtes pour infractions aux lois provinciales sur l’environnement.

(7) Le ministre rend public l’accord visé au paragraphe (6).

(8) Une partie à l’accord peut y mettre fin en donnant un préavis de six mois à l’autre partie.

(9) Sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil peut révoquer le décret d’exemption lorsqu’il a été mis fin à l’accord.

(10) Le ministre rend compte, dans le rapport annuel visé à l’article 138, de la mise en {oe}uvre des paragraphes (5) à (9).

35. (1) Le ministre peut prendre un arrêté d’urgence pouvant comporter les mêmes dispositions qu’un règlement d’application des paragraphes 34(1) ou (2), lorsque les conditions suivantes sont réunies:

a) la substance n’est pas inscrite sur la liste de l’annexe I et les ministres la croient toxique, ou bien elle y est inscrite et ils estiment qu’elle n’est pas réglementée comme il convient;

b) les ministres croient qu’une intervention immédiate est nécessaire afin de parer à tout danger appréciable soit pour l’environnement, soit pour la vie humaine ou la santé.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), l’arrêté prend effet dès sa prise comme s’il s’agissait d’un règlement pris en vertu de l’article 34.

(3) L’arrêté cesse toutefois d’avoir effet à défaut d’approbation par le gouverneur en conseil dans les quatorze jours qui suivent.

(4) Le gouverneur en conseil ne peut approuver l’arrêté d’urgence que si le ministre:

a) d’une part, dans les vingt‑quatre heures suivant la prise de l’arrêté, a offert de consulter tous les gouvernements des provinces concernées afin de déterminer s’ils sont disposés à prendre les moyens nécessaires pour parer au danger en question;

b) d’autre part, a consulté les autres ministres fédéraux afin de déterminer si des mesures peuvent être prises sous le régime de toute autre loi fédérale pour parer au danger en question.

(5) Dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent l’approbation par le gouverneur en conseil, les ministres recommandent à celui‑ci, à la fois:

a) la prise d’un règlement d’application de l’article 34 ayant le même effet que l’arrêté;

b) l’inscription, sous le régime de l’article 33, de la substance visée sur la liste de l’annexe I dans les cas où elle n’y figure pas.

(6) L’arrêté est soustrait à l’application des articles 3, 5 et 11 de la Loi sur les textes réglementaires et publié dans la Gazette du Canada dans les vingt‑trois jours suivant son approbation.

(7) Nul ne peut être condamné pour violation d’un arrêté d’urgence qui, à la date du fait reproché, n’était pas publié dans la Gazette du Canada dans les deux langues officielles, sauf s’il est établi qu’à cette date les mesures nécessaires avaient été prises pour porter la teneur de l’arrêté à la connaissance des personnes susceptibles d’être touchées par celui‑ci.

(8) L’arrêté cesse d’avoir effet à la prise du règlement visé au paragraphe (5) ou, au plus tard, deux ans après sa prise.

Loi constitutionnelle de 1867

91. Il sera loisible à la Reine, sur l’avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes, de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets exclusivement assignés aux législatures des provinces par la présente loi mais, pour plus de certitude, sans toutefois restreindre la généralité des termes employés plus haut dans le présent article, il est par les présentes déclaré que (nonobstant toute disposition de la présente loi) l’autorité législative exclusive du Parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets énumérés ci‑dessous, à savoir:

. . .

27. le droit criminel, sauf la constitution des tribunaux de juridiction criminelle, mais y compris la procédure en matière criminelle;

. . .

Et aucune des matières ressortissant aux catégories de sujets énumérés au présent article ne sera réputée tomber dans la catégorie des matières d’une nature locale ou privée comprises dans l’énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces.

3. L’historique des procédures judiciaires

A. Cour du Québec

6. Selon le juge Babin, la question fondamentale était de savoir si le Parlement avait le pouvoir de réglementer les émissions de substances nocives pour l’environnement lorsque l’environnement en cause se trouve à l’intérieur d’une province. Appliquant à la Loi les critères énoncés par notre Cour dans l’arrêt R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] 1 R.C.S. 401, il a conclu que la loi en question avait une portée large inacceptable, principalement en raison des définitions générales données aux mots «environnement» et «toxique». Le sujet visé par la Loi n’avait pas «l’unicité, la particularité et l’indivisibilité» requises par l’arrêt Crown Zellerbach. Étant donné qu’une substance pouvait être qualifiée de «toxique» sans même avoir nécessairement un effet nocif sur la santé humaine, il a conclu que la Loi avait une portée trop large pour être justifiée en vertu de la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement.

7. Pour des motifs similaires, il a conclu qu’elle ne pouvait pas non plus être maintenue comme étant du droit criminel. Vu qu’ il n’était pas nécessaire qu’il y ait un risque pour la santé humaine pour que le gouvernement fédéral intervienne et prescrive un règlement, il a décidé que la partie II de la Loi visait principalement à protéger l’environnement et non pas la santé. Appliquant le renvoi Reference re Validity of Section 5(a) of the Dairy Industry Act, [1949] R.C.S. 1 (ci‑après le «Renvoi sur la margarine»), il a conclu que les dispositions contestées étaient essentiellement de nature réglementaire, qu’elles comprenaient quelques «dispositions de nature criminelle» et qu’elles empiétaient sur des champs de compétence réservés aux provinces. Il a déclaré inconstitutionnel l’al. 6a) de l’arrêté d’urgence et l’a annulé.

B. Cour supérieure du Québec

8. Le juge Trottier a conclu qu’il ressortait clairement des définitions des mots «environnement» et «toxique», contenues dans la Loi, que la mesure législative en cause visait à réglementer les substances toxiques en général, et non pas seulement les cas où des effets pourraient se faire sentir au‑delà des frontières d’une seule province. Il a examiné les arrêts Crown Zellerbach, précité, et Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, et s’est dit d’accord avec le juge Babin pour affirmer que la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement ne justifiait pas la Loi. Il a statué que, pour que le rejet de substances toxiques n’importe où dans l’environnement constitue une question d’«intérêt national» au sens de l’arrêt Crown Zellerbach, il faudrait que les provinces soient incapables de régler elles‑mêmes le problème, qu’il s’agisse d’une question qui intéresse le Canada en entier et que l’incapacité d’une province ait des conséquences réelles au‑delà de ses propres frontières. Comme il n’avait pas le sentiment que ces critères étaient respectés en l’espèce, il ne pouvait pas justifier la Loi en vertu de la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement.

9. Il a également convenu que la Loi n’était pas justifiable en tant que droit criminel. Examinant les dispositions en cause, en particulier l’art. 34, il a conclu que leur véritable objet était de réglementer et non pas d’interdire, et qu’elles ne constituaient donc pas du droit criminel au sens de l’arrêt R. c. Sault Ste‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299. Vu que la Loi ne pouvait pas se justifier en vertu de l’un ou l’autre chef de compétence, il a rejeté l’appel.

C. Cour d’appel du Québec

10. Le juge Tourigny (avec l’appui des juges Nichols et Chamberland) a affirmé que les dispositions contestées visaient, de par leur caractère véritable, la protection de l’environnement. Appliquant l’arrêt Crown Zellerbach, précité, elle a conclu que les dispositions larges de la Loi n’avaient pas «l’unicité, la particularité et l’indivisibilité» requises pour constituer une question d’intérêt national. La Loi ne pouvait pas non plus être maintenue en vertu de la théorie de l’urgence nationale justifiant l’application de la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement. Il ne s’agissait pas d’une mesure temporaire et il n’a pas été prouvé qu’il s’agissait d’une matière «urgente» au sens du Renvoi sur la Loi anti‑inflation, [1976] 2 R.C.S. 373.

11. Le juge Tourigny a également conclu que les dispositions de la Loi dépassaient largement le champ légitime du droit criminel, même si elles formaient un ensemble d’interdictions assorties de peines. Comme elle ne pouvait confirmer la validité de la loi en cause ni en vertu de la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement, ni en vertu du par. 91(27), elle a, elle aussi, rejeté l’appel.

4. Les questions en litige

12. Le 21 décembre 1995, la question constitutionnelle suivante a été formulée:

L’alinéa 6a) de l’Arrêté d’urgence sur les biphényles chlorés, C.P. 1989‑296, ainsi que les dispositions législatives habilitantes, les art. 34 et 35 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. (1985), ch. 16 (4e suppl.), relèvent‑ils en tout ou en partie de la compétence du Parlement du Canada de légiférer pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada en vertu de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 ou de la compétence en matière criminelle suivant le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, ou autrement?

5. Analyse

13. Bien que la question constitutionnelle mentionne séparément l’arrêté d’urgence et ses dispositions habilitantes, il n’y a pas de doute que la question de la constitutionnalité de l’arrêté d’urgence ne se posera que si ses dispositions habilitantes sont jugées constitutionnelles. Autrement dit, s’il est jugé que les art. 34 et 35 de la Loi excèdent la compétence du Parlement, l’analyse de la constitutionnalité de l’arrêté d’urgence deviendra purement théorique. Voir P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (3e éd. 1992 (feuilles mobiles)), vol. 1, à la p. 14‑7, et D. C. Holland et J. P. McGowan, Delegated Legislation in Canada (1989), aux pp. 170 et 171. Par conséquent, les présents motifs seront axés sur la constitutionnalité des dispositions habilitantes, soit les art. 34 et 35.

14. Pour aborder les questions soulevées dans le présent pourvoi, il est nécessaire de comprendre le contexte législatif dans lequel se situent les dispositions contestées. Nous commencerons donc par un bref exposé de ce contexte.

A. La structure de la Loi

15. La Loi canadienne sur la protection de l’environnement a été adoptée par le Parlement en 1988. Elle réunissait et remplaçait plusieurs autres lois traitant de divers types de protection de l’environnement. La partie II de la Loi, qui contient les art. 34 et 35, s’intitule «Substances toxiques» et porte sur l’identification et la réglementation de substances susceptibles de présenter un risque pour l’environnement ou la santé humaine, ou pour les deux à la fois. Selon l’art. 11 de la Loi, est toxique toute substance «qui pénètre ou peut pénétrer dans l’environnement» dans des conditions «de nature à [. . .] avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement», à «mettre en danger l’environnement essentiel pour la vie humaine» ou à «constituer un danger au Canada pour la vie ou la santé humaine». L’article 3 donne une définition large du terme «substance» en la décrivant comme étant «[t]oute matière organique ou inorganique, animée ou inanimée, distinguable», et du terme «environnement», qu’il décrit comme étant l’«[e]nsemble des conditions et des éléments naturels de la terre». Les expressions «effet nocif» et «danger» ne sont pas définis.

16. En vertu de la Loi, les ministres de l’Environnement et de la Santé doivent établir et tenir quatre listes de substances: la liste intérieure, la liste extérieure, la liste prioritaire et la liste des substances toxiques. La liste intérieure comprend toutes les substances utilisées au Canada depuis 1986 (quelque 21 700 substances en janvier 1991). La liste extérieure énumère toutes les autres substances. À l’heure actuelle, cette dernière liste comprend plus de 41 000 substances. Voir E. A. Fitzgerald, «The Constitutionality of Toxic Substances Regulation Under the Canadian Environmental Protection Act» (1996), 30 U.B.C. L. Rev. 55, à la p. 70. Il existe une interdiction générale d’importer au Canada les substances figurant sur la liste extérieure aussi longtemps qu’elles ne sont pas approuvées (art. 26).

17. En vertu des art. 12 et 13 de la Loi, les ministres doivent établir une «liste prioritaire» qui énumère les substances pour lesquelles il est prioritaire de déterminer si elles doivent ou non être inscrites sur la liste des substances toxiques. L’article 15 prévoit que le ministre de l’Environnement ou le ministre de la Santé peut tenir des enquêtes afin de déterminer si une substance donnée est toxique. Les ministres peuvent examiner, notamment, la nature de la substance en question, ses effets sur des processus biologiques naturels, la mesure dans laquelle elle persistera dans l’environnement, sa capacité d’accumulation dans les tissus biologiques, les méthodes permettant d’en limiter la présence et celles permettant d’en réduire la quantité utilisée. L’article 16 prévoit que le ministre de l’Environnement peut exiger de simples citoyens qu’ils lui fournissent des renseignements sur les substances qu’il juge susceptibles d’être toxiques, ou des échantillons de ces substances, et, en vertu de l’art. 18, le Ministre peut ordonner que les personnes qui possèdent des renseignements sur une substance susceptible d’être toxique lui fournissent ces renseignements.

18. Dès qu’il est jugé qu’une substance figurant sur la liste prioritaire est toxique au sens de l’art. 11, les ministres peuvent recommander son ajout à la liste des substances toxiques. Après qu’un comité consultatif fédéro‑provincial (constitué en vertu de l’art. 6) a eu la possibilité de formuler ses conseils, le gouverneur en conseil peut ajouter la substance à la liste et la soumettre au contrôle réglementaire de l’art. 34.

19. L’article 34 prescrit la réglementation des substances inscrites sur la liste des substances toxiques. Le gouverneur en conseil est investi de pouvoirs considérables de prendre des règlements concernant tous les aspects imaginables de la substance inscrite sur la liste, dont la quantité ou la concentration dans lesquelles elle peut être rejetée, les activités commerciales ou de fabrication au cours desquelles son rejet est permis, la quantité de cette substance qui peut être fabriquée, importée, possédée, vendue ou utilisée -- y compris les interdictions absolues de la fabriquer, de l’importer, de la posséder, de l’utiliser ou de la vendre -- de même que les modalités et l’objet de la fabrication, de l’importation, de la transformation, de l’utilisation, de la mise en vente et de la vente de la substance, les modalités et les conditions de publicité, de stockage, de présentation, de manutention, de transport ou d’offre de transport de la substance, les modalités, lieux et méthodes d’élimination de la substance, la tenue de livres et de registres la concernant et la mesure dans laquelle des rapports doivent être faits au Ministre en ce qui concerne sa surveillance. L’alinéa 34(1)x) permet au gouverneur en conseil de prendre des règlements touchant «toute autre mesure d’application de la présente partie».

20. Si une substance n’est pas inscrite sur la liste des substances toxiques (ou si, bien qu’elle y soit inscrite, les ministres estiment qu’elle n’est pas convenablement réglementée) et si les ministres croient qu’une intervention immédiate est nécessaire à son égard, l’art. 35 permet de prendre des «arrêtés d’urgence» sans suivre la procédure habituelle. Ces arrêtés peuvent comporter les mêmes dispositions qu’un règlement pris aux termes de l’art. 34, mais ils ne demeurent en vigueur que pendant 14 jours, à moins d’être approuvés par le gouverneur en conseil. Cette approbation ne peut être donnée que si, notamment, les ministres ont offert de consulter le gouvernement de toute province concernée afin de déterminer s’il est disposé à prendre les moyens nécessaires pour parer à la menace que constitue la substance (par. 35(4)). Selon le par. 35(8), les arrêtés d’urgence cessent d’être en vigueur au bout de deux ans, même si une telle approbation est donnée.

21. Comme nous l’avons vu, le présent pourvoi fait suite à un arrêté d’urgence pris en 1989 par le ministre de l’Environnement de l’époque, l’honorable Lucien Bouchard. L’arrêté limitait à 1 g par jour les émissions de biphényles chlorés (BPC). L’intimée, accusée d’avoir contrevenu à cet arrêté d’urgence, a contesté les accusations portées contre elle en soutenant que l’arrêté d’urgence et les dispositions le sous‑tendant excédaient la compétence du Parlement.

22. Enfin, la Loi prescrit un certain nombre de peines civiles et criminelles. Selon l’al. 113f), par exemple, commet une infraction quiconque ne se conforme pas aux règlements pris sous le régime de l’art. 34. Cette infraction est punissable, par procédure sommaire, d’une amende maximale de 300 000 $ ou d’un emprisonnement maximal de six mois (ou des deux à la fois), ou, par mise en accusation, d’une amende maximale d’un million de dollars ou d’un emprisonnement maximal de trois ans (ou des deux à la fois). Une défense de diligence convenable ou raisonnable est permise pour toutes les infractions prévues à la Loi, sauf celles décrites à l’art. 114 (communiquer sciemment des renseignements faux ou trompeurs), à l’al. 115(1)a) (provoquer, intentionnellement ou par imprudence grave, une catastrophe environnementale) ou à l’al. 115(1)b) (faire preuve d’imprudence ou d’insouciance graves à l’endroit de la vie ou de la sécurité d’autrui). Ces infractions requièrent une norme plus stricte de culpabilité morale.

B. Le caractère véritable de la loi en cause

23. La méthode d’analyse des questions concernant le partage des compétences est bien établie: voir Hogg, op. cit., à la p. 15‑6. La loi en question doit d’abord être qualifiée en fonction de son «caractère véritable», c’est‑à‑dire de sa caractéristique dominante ou la plus importante. Il faut ensuite se demander si la loi, vue sous cet angle, relève à bon droit de l’un des chefs de compétence législative du gouvernement.

24. En l’espèce, la Cour d’appel du Québec a statué que, même si l’un des effets de la partie II de la Loi est de protéger la vie et la santé humaines, son caractère véritable réside dans la protection de l’environnement (à la p. 405):

L’étude attentive des dispositions en cause révèle que le législateur a choisi de réglementer le rejet de substances toxiques dans l’environnement dans le but déclaré de protéger la vie humaine et la santé. Il n’est certes pas douteux que l’un des effets des mesures adoptées soit de favoriser la protection de la vie humaine et de la santé. J’estime cependant que, dans leur caractère véritable, tant l’Arrêté d’urgence sur les biphényles chlorés que les dispositions habilitantes en vertu desquelles il a été pris visent la protection de l’environnement.

25. L’intimée Hydro-Québec et le mis en cause le procureur général du Québec acceptent cette qualification et affirment que le véritable objectif de la Loi est nettement la réglementation de la protection de l’environnement. L’appelant, pour sa part, soutient que le véritable objet de la partie II de la Loi est simplement le contrôle de la pollution causée par des substances toxiques (comme les BPC) qui peuvent se disperser dans l’environnement et dont le degré de toxicité est tel qu’elles présentent un risque grave pour l’environnement ainsi que la santé et la vie humaines. Plusieurs intervenants appuient cette prétention en soutenant que les dispositions contestées visent simplement à établir des normes nationales de contrôle des substances toxiques. Ils citent à cet égard divers rapports de ministères et de comités législatifs: voir, par exemple, Environnement Canada et Santé et Bien‑être social Canada, Rapport final du Comité consultatif sur les modifications à la Loi sur les contaminants de l’environnement (1986); Environnement Canada, Le droit à un environnement sain: Aperçu du projet de loi sur la protection de l’environnement (1987).

26. À notre avis, la caractéristique dominante de la loi contestée ressort à sa lecture même. La partie II de la Loi vise, à première vue, à protéger l’environnement ainsi que la santé et la vie humaines contre les effets nocifs du rejet de substances toxiques. Comme nous l’avons vu, elle cherche à réaliser cela par l’entremise d’une réglementation détaillée, voire exhaustive, de ces substances et des façons dont elles peuvent entrer en contact avec l’environnement. Cela dit, nous croyons qu’il est également nécessaire de tenir compte des définitions larges des expressions «environnement» et «substance toxique» contenues dans la Loi. Voici comment l’art. 3 définit le mot «environnement»:

3. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

. . .

«environnement» Ensemble des conditions et des éléments naturels de la terre, notamment:

a) l’air, l’eau et le sol;

b) toutes les couches de l’atmosphère;

c) toutes les matières organiques et inorganiques ainsi que les êtres vivants;

d) les systèmes naturels en interaction qui comprennent les éléments visés aux alinéas a) à c).

27. La définition du terme «substance» est encore plus large:

«substance» Toute matière organique ou inorganique, animée ou inanimée, distinguable. La présente définition vise notamment:

a) les matières susceptibles soit de se disperser dans l’environnement, soit de s’y transformer en matières dispensables, ainsi que les matières susceptibles de provoquer de telles transformations dans l’environnement;

b) les radicaux libres ou les éléments;

c) les combinaisons d’éléments à l’identité moléculaire précise soit naturelles, soit consécutives à une réaction chimique;

d) des combinaisons complexes de molécules différentes, d’origine naturelle ou résultant de réactions chimiques, mais qui ne pourraient se former dans la pratique par la simple combinaison de leurs composants individuels.

Elle vise aussi, sauf pour l’application des articles 25 à 32:

e) les mélanges combinant des substances et ne produisant pas eux‑mêmes une substance différente de celles qui ont été combinées;

f) les articles manufacturés dotés d’une forme ou de caractéristiques matérielles précises pendant leur fabrication et qui ont, pour leur utilisation finale, une ou plusieurs fonctions en dépendant, en tout ou en partie;

g) les matières animées ou les mélanges complexes de molécules différentes qui sont contenus dans les effluents, les émissions ou les déchets attribuables à des travaux, des entreprises ou des activités.

28. Contrairement à ce qu’a prétendu l’appelant, la Loi ne vise pas les substances chimiques en particulier; elle a plutôt pour objet de réglementer «[t]oute matière organique ou inorganique, animée ou inanimée, distinguable». L’article 11 définit la substance «toxique» qui, du fait même, est assujettie à la réglementation fédérale:

11. Pour l’application de la présente partie, est toxique toute substance qui pénètre ou peut pénétrer dans l’environnement en une quantité ou une concentration ou dans des conditions de nature à:

a) avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement;

b) mettre en danger l’environnement essentiel pour la vie humaine;

c) constituer un danger au Canada pour la vie ou la santé humaine.

29. Les alinéas 11a) à c) ne sont pas cumulatifs. Pour qu’une substance soit assujettie au contrôle réglementaire fédéral, il suffit qu’elle présente un risque pour la vie ou la santé humaine, pour une partie de l’environnement essentielle à la vie humaine, ou pour l’environnement même.

30. À cet égard, nous soulignons que nous ne pouvons pas, en toute déférence, être d’accord avec notre collègue le juge La Forest pour dire que les critères énoncés à l’art. 11 ne sont qu’un «moyen rédactionnel» ou qu’il est «trompeur» de qualifier de définition l’art. 11. L’objet de cet article est d’extraire de la catégorie des «substances» (définies à l’art. 3) celles qui peuvent être réglementées sous le régime des art. 34 et 35. Il le fait en précisant que les substances «toxiques» sont, aux fins de la partie II, celles qui sont susceptibles de constituer l’une des menaces énumérées plus haut. Il nous semble que cela constitue un énoncé clair des intentions du Parlement dans ce domaine. Comme il a été décidé dans l’arrêt Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, à la p. 1050:

[L]a première tâche du tribunal appelé à interpréter une disposition législative consiste à examiner le sens de ses mots dans le contexte global de la loi. Si le sens des mots examinés dans ce contexte est clair, il n’est pas nécessaire de poursuivre l’interprétation. Le fondement de cette règle générale est que lorsqu’il est ainsi possible d’identifier un sens clair, on peut généralement présumer que ce sens reflète l’intention du législateur.

31. Rien dans la Loi ne porte à croire que le terme «toxique» doit être défini selon des critères autres que ceux énoncés à l’art. 11. En outre, elle ne contient aucune définition particulière des expressions «effet nocif» et «danger». À notre avis, il ressort clairement du libellé de la Loi qu’on a voulu que, pour qu’une substance soit qualifiée de «toxique», elle doit satisfaire aux critères énoncés à l’art. 3 et aux al. 11a) à c). La substance (qui peut essentiellement être n’importe quoi) qui présente ou est susceptible de présenter un risque pour la vie ou la santé humaine, pour l’environnement essentiel à la vie humaine ou pour tout autre aspect de l’environnement lui-même, est toxique au sens de la Loi et elle peut faire l’objet d’une réglementation fédérale détaillée.

32. Nous ne sommes pas convaincus non plus que le processus de consultation fédéro‑provincial envisagé au par. 35(4) de la Loi a pour effet de modifier la nature des dispositions contestées. Bien que nous comprenions pourquoi le Parlement pourrait vouloir consulter des assemblées législatives provinciales avant de prendre un règlement ayant une incidence sur des domaines assujettis à leur contrôle, rien dans la Loi n’exige que ce processus soit de nature autre que consultative. Autrement dit, une fois qu’il a consulté les gouvernements provinciaux concernés, le Parlement est libre de prendre tout règlement qu’il juge nécessaire pour contrer la menace que constituent des substances qui présentent les caractéristiques requises pour être qualifiées de «toxiques».

33. Compte tenu de ces facteurs, nous estimons que le caractère véritable de la partie II de la Loi réside dans la réglementation systématique, par des organismes fédéraux, de toutes les substances susceptibles d’avoir un effet nocif sur un aspect de l’environnement, ou de présenter un danger pour la vie ou la santé humaine. En d’autres termes, les dispositions contestées visent, de par leur caractère véritable, à protéger l’environnement ainsi que la vie et la santé humaines contre les substances nocives en réglementant celles‑ci. Il reste à voir si cela peut être justifié en vertu de l’un ou l’autre des chefs de compétence énumérés à l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. À ce propos, nous allons commencer par examiner le par. 91(27), soit la compétence en matière de droit criminel.

C. La compétence en matière de droit criminel

34. Le paragraphe 91(27) a attribué au Parlement la compétence vaste et exclusive pour légiférer en matière de droit criminel: RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199; Scowby c. Glendinning, [1986] 2 R.C.S. 226. Cette compétence a traditionnellement été interprétée libéralement. Comme l’a souligné le juge La Forest dans l’arrêt RJR-MacDonald, à la p. 240, «[d]ans l’élaboration d’une définition du droit criminel, notre Cour a pris soin de ne pas geler la définition à une époque déterminée ni de la restreindre à un domaine d’activité fixe».

35. Néanmoins, la compétence en matière de droit criminel a toujours été assujettie à deux exigences: les lois censées être maintenues en vertu du par. 91(27) doivent contenir des interdictions assorties de peines et elles doivent viser «un objectif public légitime» (Scowby, à la p. 237). Comme le juge Rand l’a affirmé dans le Renvoi sur la margarine, précité, aux pp. 49 et 50:

[traduction] Le crime est l’acte que la loi interdit et auquel elle attache une peine; les interdictions portant sur quelque chose, l’on peut toujours trouver à leur base une situation contre laquelle le législateur veut, dans l’intérêt public, lutter. La situation que le législateur a voulu faire cesser ou les intérêts qu’il a voulu sauvegarder peuvent être autant du domaine social que du domaine économique ou politique; et la législature avait à l’esprit de supprimer le mal ou de sauvegarder les intérêts menacés.

. . .

La prohibition est‑elle alors adoptée en vue d’un objectif public qui peut la faire considérer comme relative au droit criminel? La paix publique, l’ordre, la sécurité, la santé, la moralité: ce sont là des buts habituels, bien que non exclusifs, que poursuit ce droit . . .

36. Ces deux critères ont été constamment appliqués: voir, par exemple, Boggs c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 49; Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Procureur général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 914; R. c. Wetmore, [1983] 2 R.C.S. 284; Scowby, précité; RJR-MacDonald, précité; voir également Knox Contracting Ltd. c. Canada, [1990] 2 R.C.S. 338, à la p. 348. Le droit criminel au sens du par. 91(27) doit tenter d’atteindre un objectif public en matière criminelle par l’imposition d’interdictions et de peines. Les tentatives déguisées d’empiéter sur des champs de compétence provinciale sous le couvert d’une loi criminelle seront déclarées inconstitutionnelles. Comme le juge La Forest l’a écrit dans l’arrêt RJR-MacDonald, à la p. 246:

Le fédéral possède une vaste compétence pour ce qui est de l’adoption de lois en matière criminelle relativement à des questions de santé, et cette compétence n’est circonscrite que par les exigences voulant qu’elles comportent une interdiction accompagnée d’une sanction pénale, et qu’elles visent un mal légitime pour la santé publique. Si une loi fédérale donnée possède ces caractéristiques et ne constitue pas par ailleurs un empiétement «spécieux» sur la compétence provinciale, c’est alors une loi valide en matière criminelle . . . [Je souligne.]

37. Ces commentaires ont été faits à l’égard d’une loi criminelle concernant la santé, mais nous ne voyons pas pourquoi ils ne devraient pas avoir une application générale en ce qui concerne le par. 91(27). Voir également R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463; R. c. Hauser, [1979] 1 R.C.S. 984.

38. La prochaine étape consiste donc à examiner les dispositions contestées pour déterminer si elles satisfont à ces critères. À notre avis, elles n’y satisfont pas. Bien que la protection de l’environnement soit un objectif public légitime qui pourrait justifier l’adoption d’une loi criminelle, nous croyons que les dispositions contestées de la Loi constituent plus une tentative de réglementer la pollution de l’environnement qu’une tentative de l’interdire ou de la proscrire. Pour cette raison, elles excèdent les limites du droit criminel et ne peuvent être justifiées en vertu du par. 91(27).

(i) Un objectif public légitime

39. L’appelant et plusieurs intervenants nous ont invités à confirmer la validité des dispositions pour le motif qu’elles avaient trait à la santé qui est l’un des objectifs publics en matière criminelle reconnus dans le Renvoi sur la margarine, précité. À cet égard, ils ont cité de nombreuses études exposant les effets nocifs des BPC, qui ont fait l’objet de l’arrêté d’urgence à l’origine du présent litige. Voir, par exemple, Conseil canadien des ministres des ressources et de l’environnement, La question des BPC (1986); Santé et Bien‑être social Canada, Examen de la toxicologie et des questions sanitaires relatives aux BPC (1978‑1982) (1985). En toute déférence, la toxicité des BPC, bien que manifestement importante en ce qui concerne l’environnement même, n’est pas directement pertinente relativement au présent pourvoi, étant donné que ce qui est en cause est non seulement l’arrêté d’urgence, mais encore les dispositions habilitantes en vertu desquelles il a été pris. Autrement dit, il ne s’agit pas de savoir si les BPC présentent un danger pour la santé humaine, ce qui semble être clairement le cas, mais plutôt de savoir si la Loi a pour effet d’accorder un pouvoir fédéral de réglementer des substances susceptibles de ne pas présenter un tel danger.

40. À notre avis, il ne fait aucun doute que tel est l’effet de la Loi. Voici le libellé de l’art. 11:

11. Pour l’application de la présente partie, est toxique toute substance qui pénètre ou peut pénétrer dans l’environnement en une quantité ou une concentration ou dans des conditions de nature à:

a) avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement;

b) mettre en danger l’environnement essentiel pour la vie humaine;

c) constituer un danger au Canada pour la vie ou la santé humaine.

41. Tel que souligné plus haut, ces exigences ne sont pas cumulatives. Il n’est pas nécessaire qu’une substance constitue un danger pour la vie ou la santé humaine pour qu’elle soit qualifiée de «toxique» et assujettie au contrôle fédéral; aux termes de l’al. 11a), il suffit qu’elle soit susceptible d’avoir un effet nocif sur l’environnement. Il n’est même pas nécessaire de démontrer que l’aspect de l’environnement menacé est essentiel à la vie humaine; cela fait l’objet d’une catégorie distincte prévue à l’al. 11b) et ne doit donc pas être considéré comme faisant partie de l’al. 11a). Une substance qui nuirait aux marmottes, par exemple, mais qui n’aurait aucun effet sur les gens pourrait être qualifiée de «toxique» aux termes de l’al. 11a) et être assujettie à une réglementation fédérale systématique.

42. En définissant ainsi le mot «toxique», le Parlement a pris des mesures expresses pour s’assurer qu’aucun risque direct ou indirect pour la vie ou la santé humaine ne devrait être établi pour pouvoir réglementer une substance donnée. Pour cette raison, nous ne voyons pas comment les dispositions en cause peuvent être maintenues en tant que mesures législatives concernant la santé. Leur portée dépasse largement les questions de santé humaine et s’étend au domaine de la protection écologique générale. Le Parlement avait manifestement l’intention de permettre au gouvernement fédéral d’intervenir en cas de risque pour l’environnement même, peu importe que les substances concernées constituent ou non une menace pour la santé humaine ou que l’aspect de l’environnement touché soit essentiel ou non à la vie humaine. Après avoir écarté expressément tant le danger direct qu’indirect pour la vie humaine en tant que condition préalable à l’application de ces dispositions, le Parlement ne peut maintenant affirmer qu’elles ont été adoptées afin de parer à de tels dangers.

43. Par conséquent, dans la mesure où le juge La Forest dit que la présente loi peut être justifiée en tant que loi concernant la santé, nous devons exprimer, en toute déférence, notre désaccord. Nous sommes cependant d’accord avec lui pour dire que la protection de l’environnement est en soi un objectif public légitime en matière criminelle, analogue à ceux mentionnés dans le Renvoi sur la margarine, précité. Sans vouloir ajouter quoi que ce soit à son raisonnement limpide sur ce point, nous tenons à préciser que cet objectif ne se fonde sur aucun des autres objectifs traditionnels du droit criminel (santé, sécurité, ordre public, etc.). Dans la mesure où il souhaite dissuader expressément de polluer l’environnement, par l’imposition de peines appropriées, le Parlement est libre de le faire sans avoir à démontrer que ces peines visent, en fin de compte, à atteindre l’un des objectifs «traditionnels» du droit criminel. La protection de l’environnement représente en soi une justification légitime d’une loi criminelle.

44. Toutefois, nous n’estimons pas que les dispositions contestées peuvent être qualifiées de droit criminel au sens du par. 91(27). Même si elles visent un objectif légitime en matière criminelle, elles ne satisfont pas à l’autre moitié du critère du Renvoi sur la margarine. Il ressort de la structure de la partie II de la Loi qu’elles visent non pas à interdire la pollution de l’environnement, mais simplement à la réglementer. Comme nous allons maintenant l’expliquer de manière plus détaillée, elles ne constituent donc pas du droit criminel: voir Hauser, précité, à la p. 999.

(ii) Interdictions assorties de peines

45. Vérifier si une loi particulière est de nature prohibitive ou réglementaire est souvent plus un art qu’une science. Comme le juge Cory l’a reconnu dans l’arrêt Knox Contracting, précité, ce qui constitue du droit criminel est souvent «plus facile à reconnaître qu’à définir» (p. 347). Un certain nombre de lignes directrices sont cependant ressorties de la jurisprudence.

46. La loi qui impose une interdiction et une peine n’est pas nécessairement de nature criminelle. En fait, il arrive souvent que les lois de nature réglementaire interdisent la violation de leurs dispositions ou de leurs règlements d’application et imposent des peines applicables en cas de violation. Une loi de nature réglementaire qui n’imposerait pas de telles interdictions et peines serait dénuée de sens. Cependant, comme le juge La Forest l’a lui‑même reconnu dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, aux pp. 508 à 517, et dans l’arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, à la p. 650, les peines prescrites dans un contexte de réglementation l’ont été pour des raisons «pragmatiques» ou «pratiques» et n’ont pas pour effet de transformer la loi en loi criminelle. (Voir également les arrêts Wetmore, Scowby, et Knox Contracting, précités.) En droit de l’environnement, tout comme en droit de la concurrence ou en droit fiscal, il n’est pas toujours possible d’assurer le respect de la loi au moyen des techniques habituelles d’application des règlements, telles les inspections périodiques ou imprévues, d’où la nécessité de disposer d’un élément dissuasif puissant, soit la menace de sanctions pénales, pour assurer le respect des normes prescrites par la loi. Le juge La Forest s’est fondé sur ce raisonnement pour conclure que les peines prévues dans la Loi sur la concurrence (dans Thomson Newspapers) et la Loi de l’impôt sur le revenu (dans McKinlay Transport) n’avaient aucune incidence sur la qualification de ces lois comme étant des lois de nature réglementaire pour les fins de l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés.

47. En même temps, une loi en matière criminelle n’a pas à être composée uniquement d’interdictions générales. Elle peut, comme le juge La Forest l’a souligné dans l’arrêt RJR-MacDonald, précité, aux pp. 263 et 264, «validement comporter des exemptions relativement à certaines conduites sans pour autant perdre son caractère». Voir également Lord’s Day Alliance of Canada c. Attorney General of British Columbia, [1959] R.C.S. 497; Morgentaler, précité; R. c. Furtney, [1991] 3 R.C.S. 89. Il se peut que ces exemptions aient pour effet d’établir des régimes «de réglementation» conférant une certaine mesure de pouvoir discrétionnaire sans pour autant modifier la nature de la loi, comme c’était le cas dans l’arrêt RJR-MacDonald.

48. Pour déterminer quand une loi passe du domaine criminel au domaine réglementaire, il faut, à notre avis, examiner la nature et la portée de la réglementation qu’elle crée, ainsi que le contexte dans lequel elle est censée s’appliquer. Par exemple, il ne sera pas possible de sauvegarder un régime essentiellement réglementaire en le qualifiant d’«exemption». Comme le professeur Hogg le laisse entendre, op. cit., à la p. 18‑26, [traduction] «plus [un] régime de réglementation est élaboré, plus il est probable que la cour qualifiera la dérogation ou l’exemption de réglementaire au lieu de criminelle». En même temps, il se peut que le sujet sur lequel porte la loi contestée indique la méthode qu’il convient d’adopter pour déterminer s’il s’agit d’une loi de nature criminelle ou réglementaire.

49. Après avoir examiné la loi en cause dans le présent pourvoi, nous ne doutons nullement qu’elle est essentiellement de nature réglementaire et qu’elle ne relève donc pas du par. 91(27). Pour qu’il y ait «exemption», il faut d’abord qu’il y ait une interdiction dans la loi dont découle cette exemption. Ainsi, la Loi réglementant les produits du tabac, L.C. 1988, ch. 20, dont il est question dans l’arrêt RJR-MacDonald, précité, imposait des interdictions générales en matière de publicité et de promotion des produits du tabac au Canada. L’article 4 de cette loi prévoyait que «[l]a publicité en faveur des produits du tabac mis en vente au Canada est interdite». Elle prescrivait aussi une exigence en matière d’étiquetage qui revêtait la forme d’une interdiction, en déclarant à l’art. 9 qu’il était interdit de vendre des produits du tabac sur lesquels n’était pas imprimé un message concernant leurs effets sur la santé. Toute exemption relative à ces interdictions générales constituaient précisément des exceptions à une règle générale.

50. De même, la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F‑27, dont la validité est confirmée dans Wetmore, précité, contient plusieurs interdictions au début de sa partie I. Elle interdit notamment de faire la publicité d’un aliment, d’une drogue, d’un cosmétique ou d’un instrument relativement à une liste établie de maladies, de désordres ou d’état physiques anormaux (art. 3), de vendre un aliment ou une drogue falsifiés ou préparés dans des conditions non hygiéniques (art. 4 et 8), d’étiqueter, d’emballer, de vendre un aliment, une drogue ou un instrument, ou d’en faire la publicité, de manière fausse, trompeuse ou mensongère (par. 5(1), 9(1) et 20(1)), de distribuer une drogue comme échantillon (art. 14), et de vendre un cosmétique susceptible de nuire à la santé de la personne qui en fait usage ou qui a été préparé dans des conditions non hygiéniques (art. 16). On trouve également un certain nombre d’interdictions relatives à des drogues contrôlées dans la partie III de la Loi et à des drogues d’usage restreint dans la partie IV.

51. Par contre, la loi faisant l’objet du présent pourvoi ne contient aucune interdiction de cette nature. Voici le libellé du par. 34(1) de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement:

34. (1) Sous réserve du paragraphe (3), le gouverneur en conseil peut, sur recommandation des ministres et après avoir donné au comité consultatif fédéro‑provincial la possibilité de formuler ses conseils dans le cadre de l’article 6, prendre des règlements concernant une substance inscrite sur la liste de l’annexe I, notamment en ce qui touche:

a) la quantité ou la concentration dans lesquelles elle peut être rejetée dans l’environnement, seule ou combinée à une autre substance émise par quelque source ou type de sources que ce soit;

b) les lieux ou zones de rejet;

c) les activités commerciales, de fabrication ou de transformation au cours desquelles le rejet est permis;

d) les modalités et conditions de son rejet, seule ou en combinaison avec une autre substance;

e) la quantité qui peut être fabriquée, transformée, utilisée, mise en vente ou vendue au Canada;

f) les fins pour lesquelles la substance ou un produit qui en contient peut être importé, fabriqué, transformé, utilisé, mis en vente ou vendu;

g) les modalités et conditions d’importation, de fabrication, de transformation ou d’utilisation de la substance ou d’un produit qui en contient;

h) la quantité ou la concentration dans lesquelles celle‑ci peut être utilisée;

i) la quantité ou la concentration dans lesquelles celle‑ci peut‑être importée;

j) les pays d’exportation ou d’importation;

k) les conditions, modalités et objets de l’importation ou de l’exportation;

l) l’interdiction totale, partielle ou conditionnelle de la fabrication, de l’utilisation, de la transformation, de la vente, de la mise en vente, de l’importation ou de l’exportation de la substance ou d’un produit qui en contient;

m) la quantité ou concentration de celle‑ci que peut contenir un produit fabriqué, importé, exporté ou mis en vente au Canada;

n) les modalités, les conditions et l’objet de la publicité et de la mise en vente de la substance ou d’un produit qui en contient;

o) les modalités et les conditions de stockage, de présentation, de transport, de manutention ou d’offre de transport soit de la substance, soit d’un produit ou d’une matière qui en contient;

p) l’emballage et l’étiquetage soit de la substance, soit d’un produit ou d’une matière qui en contient;

q) les modalités, lieux et méthodes d’élimination soit de la substance, soit d’un produit ou d’une matière qui en contient, notamment les normes de construction, d’entretien et d’inspection des sites d’élimination;

r) la transmission au ministre, sur demande ou au moment fixé par règlement, de renseignements concernant la substance;

s) la tenue de livres et de registres pour l’exécution des règlements d’application du présent article;

t) l’échantillonnage, l’analyse, l’essai, la mesure ou la surveillance de la substance et la transmission des résultats au ministre;

u) la transmission d’échantillons de la substance au ministre;

v) les méthodes et procédures à suivre pour les opérations mentionnées à l’alinéa t);

w) les cas ou conditions de modification par le ministre, pour l’exécution de la présente loi, soit des exigences imposées pour les opérations mentionnées à l’alinéa t), soit des méthodes et procédures afférentes;

x) toute autre mesure d’application de la présente partie.

52. Ce paragraphe n’est pas accessoire aux interdictions qui se trouvent ailleurs dans la Loi, ni aux exemptions relatives à ces interdictions. Il n’est pas lui-même de nature prohibitive. En fait, le mot «interdiction» n’est employé qu’une seule fois au par. 34(1), soit à l’al. 34(1)l), lequel prévoit que le gouverneur en conseil peut, à sa discrétion, interdire la fabrication, l’importation, l’utilisation ou la vente d’une substance particulière. De toute évidence, cela est différent des interdictions générales imposées dans les lois précitées.

53. Les seules autres mentions d’une interdiction concernant les dispositions contestées se trouvent aux al. 113f) et 113i) de la Loi, qui prévoient que l’omission de se conformer à un règlement pris sous le régime de l’art. 34 ou de l’art. 35 constitue une infraction. Les interdictions, telles qu’elles existent, sont accessoires au régime de réglementation, et non l’inverse. Cela laisse fortement entendre que la Loi est axée sur la réglementation plutôt que sur les interdictions.

54. En outre, comme le professeur Hogg le souligne, op. cit., à la p. 18‑24:

[traduction] Une loi criminelle consiste ordinairement en une interdiction à laquelle se soumettent d’elles‑mêmes les personnes qu’elle vise. Normalement, aucun organisme ni fonctionnaire administratif n’intervient avant l’application de la loi. La loi est «appliquée» par les personnes responsables de son application et les cours de juridiction criminelle uniquement en ce sens qu’elles peuvent déclencher le mécanisme de sanction après que la conduite interdite a eu lieu.

55. En l’espèce, il n’y a aucune infraction tant et aussi longtemps qu’un organisme administratif n’«intervient» pas. Les articles 34 et 35 ne définissent pas une infraction: il incombe, de manière continue, aux ministres de la Santé et de l’Environnement de définir les substances qui seront inscrites sur la liste des substances toxiques, de même que les normes de conduite relatives à ces substances. Ce serait un crime singulier dont la définition a été laissée à l’entière discrétion du pouvoir exécutif. Cela laisse aussi entendre que la véritable nature de la Loi est réglementaire et non criminelle et que les infractions créées par l’art. 113 sont de nature réglementaire et non des «crimes proprement dits»: voir R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, le juge Cory. Selon notre collègue le juge La Forest, le régime de la loi contestée est un moyen efficace d’éviter les interdictions inutilement générales et de cibler minutieusement des substances toxiques particulières. Le mécanisme de réglementation permet de modifier les régimes avec souplesse, au besoin. Il va sans dire que le simple fait qu’un régime soit efficace et souple ne signifie pas qu’il relève de la compétence du Parlement fédéral.

56. Cela est particulièrement vrai compte tenu de l’ampleur remarquable des dispositions contestées. Les 24 rubriques de compétence énumérées à l’art. 34 permettent la réglementation de tous les aspects imaginables des substances toxiques; en fait, au cas où il y aurait eu oubli, l’al. 34(1)x) prévoit la prise de règlements concernant «toute autre mesure d’application de la présente partie». Il est fort improbable, à notre avis, que le Parlement ait eu l’intention de laisser la criminalisation d’un aussi vaste domaine de comportement à la discrétion des ministres de la Santé et de l’Environnement.

57. De plus, les dispositions équivalentes mentionnées au par. 34(6) de la Loi rendent ce processus d’autant plus complexe. Aux termes de ce paragraphe, le gouverneur en conseil peut exempter une province de l’application des règlements pris en vertu des art. 34 et 35 lorsque des dispositions équivalentes à ces règlements y sont déjà en vigueur. Il s’agirait d’une disposition très inusitée pour une loi criminelle. Les provinces n’ont pas compétence pour adopter des lois criminelles et le gouvernement fédéral ne peut pas non plus leur déléguer une telle compétence: Attorney General of Nova Scotia c. Attorney General of Canada, [1951] R.C.S. 31. Toute loi en matière d’environnement adoptée par une province doit donc être de nature réglementaire. Le fait de s’en remettre aux régimes de réglementation provinciaux pour le motif qu’ils sont «équivalents» aux règlements fédéraux pris sous le régime du par. 34(1) laisse fortement présumer que les règlements fédéraux eux-mêmes sont aussi de nature réglementaire et non pas criminelle.

58. L’appelant se fonde sur l’arrêt RJR-MacDonald, précité, de notre Cour en soutenant que le régime législatif en l’espèce est analogue à celui qui y a été maintenu (pour des raisons de partage des pouvoirs). Nous estimons, en toute déférence, qu’il est déplacé de s’en remettre ainsi à cet arrêt. Comme nous l’avons vu, la loi en cause dans RJR-MacDonald contenait des interdictions générales tempérées par certaines exemptions. Par contre, les dispositions contestées en l’espèce ne comportent aucune interdiction générale de cette nature. À notre avis, elles peuvent seulement être qualifiées de délégation générale de pouvoir réglementaire au gouverneur en conseil. Ces dispositions visent non pas à interdire les substances toxiques ou encore l’un ou l’autre aspect de leur utilisation, mais simplement à contrôler la façon dont elles pourront interagir avec l’environnement.

59. À notre avis, il est possible d’établir une autre distinction d’avec l’arrêt RJR‑MacDonald. La Loi réglementant les produits du tabac portait sur un champ d’activités restreint: la publicité et la promotion des produits du tabac. Les dispositions contestées en l’espèce traitent d’un sujet de préoccupation beaucoup plus vaste: le rejet de substances dans l’environnement. Notre Cour a conclu, à l’unanimité, que l’environnement est un sujet de compétence partagée, c’est‑à‑dire que la Constitution ne l’attribue pas exclusivement aux provinces ou au Parlement: Oldman River, précité, à la p. 63; voir également Crown Zellerbach, précité, aux pp. 455 et 456, le juge La Forest. Une décision des rédacteurs de la Constitution de ne pas attribuer à un ordre de gouvernement le contrôle exclusif d’une matière devrait indiquer, à notre avis, que les deux ordres de gouvernement sont appelés à agir de concert à cet égard. On ne devrait pas permettre à un ordre de gouvernement d’investir le domaine de manière à éclipser totalement la présence de l’autre. Cela signifie non pas qu’aucune réglementation ne sera acceptable, mais qu’un pouvoir de réglementation systématique du genre prévu par la Loi est, à notre avis, incompatible avec la nature partagée de la compétence en matière d’environnement. Comme le juge La Forest l’a souligné dans ses motifs de dissidence, dans l’arrêt Crown Zellerbach, à la p. 455, «la pollution de l’environnement [c.‑à‑d. en tant que sujet de compétence législative] se fait elle‑même sentir partout. C’est le sous‑produit de tout ce que nous faisons. Dans les rapports qu’a l’être humain avec son environnement, les déchets sont une chose inévitable.»

60. Nous souscrivons entièrement à cet énoncé. Presque tout ce que nous faisons «pollue» l’environnement d’une façon ou d’une autre. Les dispositions contestées visent à accorder un pouvoir de réglementer tous les aspects d’une substance dont le rejet dans l’environnement «[a], immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement» (al. 11a)). On se demande bien quel rôle, s’il en est, sera laissé aux provinces relativement à la pollution de l’environnement si un contrôle aussi absolu du rejet de ces substances est accordé au gouvernement fédéral. En outre, les innombrables domaines d’activité humaine, aussi bien collective qu’individuelle, susceptibles d’être assujettis à la Loi sont manifestes. Un bon nombre d’entre eux relèvent de champs de compétence conférés aux provinces en vertu de l’art. 92. Le fait d’accorder au Parlement le pouvoir de réglementer de façon aussi complète le rejet de substances dans l’environnement par la détermination de leur nature «toxique» ou non éliminerait inévitablement non seulement la possibilité d’avoir une compétence partagée en matière d’environnement, mais encore empiéterait également de façon considérable sur d’autres chefs de compétence provinciale. À cet égard, nous ne pouvons que citer le professeur Gibson, qui a écrit ce qui suit dans son article intitulé «Constitutional Jurisdiction over Environmental Management in Canada» (1973), 23 U.T.L.J. 54, à la p. 85:

[traduction] [I]l est [. . .] évident que, la «gestion de l’environnement» ne pourrait jamais être considérée comme une matière constitutionnelle relevant d’un seul ordre de gouvernement en vertu d’une constitution se voulant fédérale, car aucun système dans lequel un gouvernement serait si puissant ne pourrait être fédéral.

61. Pour tous les motifs qui précèdent, nous ne pouvons confirmer la validité des dispositions contestées de la Loi en vertu de la compétence fédérale en matière de droit criminel. Cela dit, nous tenons à ajouter que les présents motifs ne doivent nullement être interprétés comme signifiant que toute tentative future du Parlement de concevoir une stratégie efficace nationale, voire internationale, en matière de protection de l’environnement sera vouée à l’échec. Nous sommes d’accord avec le juge La Forest pour dire que la conception d’une telle stratégie est un objectif public de la plus haute importance et l’un des principaux défis de notre époque. À cet égard, il est loisible au Parlement de prendre de nombreuses mesures qui ne contreviendront pas au partage des compétences énoncé dans la Constitution, notamment la création de crimes contre l’environnement. Rien, à notre avis, n’empêche le Parlement de proscrire certains types de conduite pour le motif qu’ils sont nocifs pour l’environnement. Toutefois, une telle mesure législative doit effectivement viser à proscrire la conduite en cause et non pas simplement à la réglementer.

62. Parmi les autres possibilités qui s’offrent, il y a le pouvoir de s’attaquer aux problèmes d’environnement interprovinciaux ou internationaux en vertu de la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement, qui est analysée plus loin. Le Parlement n’est pas dépourvu du pouvoir d’agir pour mettre en {oe}uvre des politiques nationales en matière de protection de l’environnement. Cependant, il doit agir conformément au partage des pouvoirs prévu aux art. 91 et 92. La protection de l’environnement doit être réalisée conformément à la Constitution et non malgré celle‑ci. Comme le professeur Bowden le conclut dans son commentaire de l’arrêt Oldman River, précité, (1992), Sask. L. Rev. 209, aux pp. 219 et 220, [traduction] «ce n’est qu’au moyen d’initiatives législatives et politiques au sein des deux ordres de gouvernement et entre ceux‑ci que des solutions satisfaisantes peuvent être trouvées».

63. Les dispositions contestées ne sont pas justifiées en vertu du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867. Nous allons maintenant examiner le deuxième argument de l’appelant, celui voulant qu’il soit possible de confirmer la validité des dispositions en cause en vertu de la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement.

D. La paix, l’ordre et le bon gouvernement

64. L’appelant soutient que les art. 34 et 35 de la Loi relèvent de la compétence résiduelle que le Parlement possède en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement pour légiférer à l’égard de questions d’intérêt national, prévue au paragraphe introductif de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Comme aucun argument n’a été avancé au sujet du volet «urgence nationale» de la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement, seule la théorie de l’intérêt national est en cause.

65. La jurisprudence de notre Cour en ce qui concerne la disposition constitutionnelle relative à la paix, à l’ordre et au bon gouvernement a été examinée minutieusement par le juge Le Dain, au nom des juges majoritaires, dans l’arrêt Crown Zellerbach, précité. Se fondant sur les commentaires du juge Beetz dans le Renvoi sur la Loi anti‑inflation, précité, le juge Le Dain adopte les critères suivants pour déterminer si une question est d’«intérêt national», aux pp. 431 et 432:

1. La théorie de l’intérêt national est séparée et distincte de la théorie de la situation d’urgence nationale justifiant l’exercice de la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement, qui peut se distinguer surtout par le fait qu’elle offre un fondement constitutionnel à ce qui est nécessairement une mesure législative provisoire;

2. La théorie de l’intérêt national s’applique autant à de nouvelles matières qui n’existaient pas à l’époque de la Confédération qu’à des matières qui, bien qu’elles fussent à l’origine de nature locale ou privée dans une province, sont depuis devenues des matières d’intérêt national, sans qu’il y ait situation d’urgence nationale;

3. Pour qu’on puisse dire qu’une matière est d’intérêt national dans un sens ou dans l’autre, elle doit avoir une unicité, une particularité et une indivisibilité qui la distinguent clairement des matières d’intérêt provincial, et un effet sur la compétence provinciale qui soit compatible avec le partage fondamental des pouvoirs législatifs effectué par la Constitution;

4. Pour décider si une matière atteint le degré requis d’unicité, de particularité et d’indivisibilité qui la distingue clairement des matières d’intérêt provincial, il est utile d’examiner quel effet aurait sur les intérêts extra‑provinciaux l’omission d’une province de s’occuper efficacement du contrôle ou de la réglementation des aspects intraprovinciaux de cette matière.

66. Tenant pour acquis que la protection de l’environnement et de la vie et de la santé humaines contre toutes les substances potentiellement nocives pourrait constituer une «nouvelle matière» relevant de la compétence concernant la paix, l’ordre et le bon gouvernement, nous devons déterminer si cette matière a l’«unicité, [la] particularité et [l’]indivisibilité [requises] qui la distinguent clairement des matières d’intérêt provincial» et si elle a un «effet sur la compétence provinciale qui soit compatible avec le partage fondamental des pouvoirs législatifs effectué par la Constitution». Ce n’est que si ces critères sont respectés que la matière sera d’intérêt national.

(i) Unicité, particularité et indivisibilité

67. Le critère applicable pour déterminer s’il y a unicité, particularité et indivisibilité est exigeant. Vu le risque élevé que la notion générale de l’«intérêt national» peut présenter pour le partage des compétences prévu par la Constitution, il est essentiel de pouvoir préciser exactement ce que la loi est censée régir. Autrement, l’«intérêt national» pourrait rapidement s’amplifier pour absorber tous les champs de compétence provinciale. Comme le juge Le Dain l’a souligné dans l’arrêt Crown Zellerbach, précité, à la p. 433, dès qu’une matière est qualifiée comme étant d’intérêt national, «le Parlement jouit d’une compétence exclusive et absolue pour légiférer sur cette matière, y compris sur ses aspects intraprovinciaux».

68. L’appelant soutient que l’objectif de la partie II de la Loi a une portée limitée en raison de l’existence d’une distinction nette entre les substances chimiques dont les effets polluants sont diffus et persistent dans l’environnement et les autres types de pollution dont les effets sont temporaires et de nature plus locale. En conséquence, comme elle constitue une forme de pollution unique, particulière et indivisible qui peut franchir les frontières provinciales, la pollution chimique requiert des mesures nationales particulières pour être contrôlée adéquatement. Cependant, comme nous l’avons déjà démontré, la partie II de la Loi s’applique à toute une gamme de substances et non seulement aux polluants chimiques. En outre, la loi contestée ne vise pas que les substances ayant des effets interprovinciaux.

69. La définition des «substances toxiques» à l’art. 11, conjuguée à celle du mot «substance» à l’art. 3, est une définition générale sans limites précises. Bien des activités humaines pourraient impliquer l’utilisation de matières visées par la définition de «substances toxiques» contenue dans la loi contestée. Comme nous l’avons vu, le mot «substance» est défini comme incluant «[t]oute matière organique ou inorganique, animée ou inanimée». Les alinéas a) à g) de la définition de l’art. 3 contribuent peu à restreindre cette large portée initiale. Il est concevable que, vu son libellé, l’al. g), qui renvoie aux «matières animées [. . .] qui sont contenu[es] dans les effluents, les émissions ou les déchets attribuables à des travaux, des entreprises ou des activités», porte également sur les effluents contenant des excréments humains ou animaux, des déchets contenant des restes de table ou d’autres objets similaires dont s’occupent communément les services municipaux d’élimination des déchets.

70. En outre, aux termes de l’al. 11a), une «substance toxique» peut être toute forme de matière distinguable de nature à avoir, «immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement». L’alinéa 11a) assimile «toxique» à «effet nocif». À notre avis, il s’agit là d’une définition très large du mot «toxique». Même s’il était difficile de ne pas admettre que «toxique» implique nécessairement «effet nocif», l’inverse, c’est‑à‑dire que «ce qui a un effet nocif est toxique» est plus discutable et excède complètement le sens ordinaire du mot «toxique». Le mot «toxique» reçoit une définition plus stricte dans Le Nouveau Petit Robert (1995), à la p. 2282: «1. [. . .] Poison. Toxiques gazeux ou volatiles, minéraux, organiques. 2. [. . .] Qui agit comme un poison. Substance toxique [. . .] Gaz toxiques. [. . .] Supprimer les effets toxiques. [. . .] Champignons toxiques . . .» Il faudrait que les art. 11 et 3 de la Loi donnent une définition plus circonscrite de l’expression «substances toxiques» pour étayer la prétention de l’appelant que cette loi vise une forme précise de pollution, savoir la pollution chimique.

71. L’article 15 énonce effectivement certains critères pour raffiner la notion de «substance toxique». Cependant, il ne restreint pas la définition large donnée à cette notion. L’article 15 ne fait qu’offrir des lignes directrices en matière d’enquête. Ni le ministre de l’Environnement ni le gouverneur en conseil ne sont liés légalement par un rapport d’enquête préparé conformément à l’art. 15. L’étendue du pouvoir de réglementer conféré au Ministre par les art. 34 et 35 n’est limitée que par les définitions larges des expressions «substance toxique» et «environnement» que l’on trouve aux art. 11 et 3. En outre, le processus d’enquête prévu à l’art. 15 peut être complètement évité en ce qui concerne la prise d’un arrêté d’urgence conformément à l’art. 35. En vertu des pouvoirs que lui confère le par. 35(1), le ministre de l’Environnement peut prendre un arrêté d’urgence ayant les mêmes portée et effet qu’un règlement d’application du par. 34(1) ou (2) lorsqu’il est convaincu qu’une «intervention immédiate est nécessaire afin de parer à tout danger appréciable soit pour l’environnement, soit pour la vie humaine ou la santé» (je souligne).

72. Somme toute, les lignes directrices en matière d’enquête envisagées à l’art. 15 n’ont pas pour effet de limiter les définitions larges données à l’expression «substances toxiques» aux art. 11 et 3, c’est‑à‑dire qu’elles ne garantissent pas que seules les substances toxiques les plus dangereuses, diffuses et persistantes seront assujetties au pouvoir de réglementation conféré par les art. 34 et 35.

73. Nous ne sommes pas non plus convaincus par l’argument des intervenants Pollution Probe et autres qu’il ressort de la pratique fédérale que la loi contestée vise uniquement les substances toxiques qui sont les plus nocives pour la santé humaine ou l’environnement. Il est vrai, comme le font remarquer les intervenants, que des quelque 21 000 substances figurant sur la liste intérieure, relativement peu (c.‑à‑d. 44) avaient été inscrites sur la liste prioritaire par le gouvernement fédéral en 1989. De ces 44 substances, seulement 25 ont été jugées toxiques et seul un sous‑ensemble de ces dernières a fait l’objet d’une réglementation. Cependant, la constitutionnalité d’une loi ne peut dépendre des aléas de la pratique gouvernementale existante ni de la façon dont des pouvoirs discrétionnaires semblent avoir été exercés jusqu’à maintenant. Ce sont les limites de l’exercice de ces pouvoirs discrétionnaires et l’étendue du pouvoir de réglementation créé par la loi contestée qui sont en cause ici. Il ne suffit pas de répondre qu’une loi est appliquée avec modération pour repousser une prétention qu’elle est inconstitutionnelle. Si la loi est inconstitutionnelle, elle ne peut pas du tout s’appliquer.

74. Quant aux limites géographiques, même si le préambule de la Loi laisse entendre qu’elle ne s’applique qu’aux substances «qu’il n’est pas toujours possible de circonscrire au territoire touché», ni la partie II ni les dispositions habilitantes en cause ne contiennent une véritable restriction fondée sur des considérations territoriales. La notion d’«environnement», définie à l’art. 3, comprend tous les environnements imaginables sans égard aux frontières provinciales. Ainsi, la partie II s’applique aussi bien aux «substances toxiques» qui se trouvent entièrement à l’intérieur d’une province ou dont les effets sont localisés ou se font ressentir exclusivement à l’intérieur de cette province qu’à celles qui franchissent les frontières interprovinciales ou internationales.

75. Notre Cour à la majorité a conclu, dans l’arrêt Crown Zellerbach, précité, aux pp. 436 et 437, que la pollution des mers constituait une matière unique, particulière et indivisible, compte tenu du fait que la Loi sur l’immersion de déchets en mer, S.C. 1974‑75‑76, ch. 55, établissait une distinction entre la pollution des eaux salées et celle des eaux douces, chacun de ces types d’eaux ayant une composition et des caractéristiques lui étant propres. La partie II de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement n’établit pas de distinction claire semblable entre des types de substances toxiques, que ce soit en fonction de leur degré de persistance et de diffusion dans l’environnement et de la sévérité de leur effet nocif, ou de leurs aspects extraprovinciaux. L’absence de distinctions semblables à celles qu’établissait la loi maintenue dans l’arrêt Crown Zellerbach signifie que la Loi a une portée réglementaire susceptible d’empiéter largement sur plusieurs chefs de compétence provinciale, notamment le par. 92(13) «la propriété et les droits civils», le par. 92(16) «les matières d’une nature purement locale ou privée» et le par. 92(10) «les ouvrages et entreprises d’une nature locale». À notre avis, il ressort de cette omission de circonscrire la portée de la Loi que les dispositions habilitantes n’ont pas l’unicité, la particularité et l’indivisibilité requises.

76. Un autre critère pouvant servir à déterminer si la matière que l’on cherche à réglementer peut être suffisamment distinguée des matières d’intérêt provincial consiste à se demander si l’omission d’une province d’adopter une réglementation efficace aurait des effets préjudiciables sur des intérêts à l’extérieur de celle‑ci. Cet indicateur a également été appelé le critère de l’«incapacité provinciale» (voir Crown Zellerbach, aux pp. 432 à 434). Si les dispositions contestées de la Loi portaient, en fait, uniquement sur des substances chimiques, tels les BPC, dont les effets sont diffus, persistants et sérieux, les conséquences graves de l’omission d’une province de réglementer efficacement leur rejet dans l’environnement pourraient être établies à première vue. Cependant, le seuil établi à l’al. 11a), selon lequel les substances doivent avoir, «immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement» vise également les substances dont les effets peuvent être seulement temporaires ou locaux. Par conséquent, la notion de «substances toxiques», définie dans la Loi, est divisible en soi. Les substances dont les effets nocifs ne sont que temporaires et localisés sembleraient sans contredit relever de la capacité des provinces en matière de réglementation. Dans la mesure où la partie II de la Loi inclut la réglementation de «substances toxiques» susceptibles de toucher uniquement la province où elles émanent, l’appelant a le lourd fardeau d’établir que les provinces elles‑mêmes seraient incapables de réglementer ces émissions toxiques. Il ne s’est pas acquitté de ce fardeau devant notre Cour.

77. La disposition relative aux dispositions équivalentes que l’on trouve au par. 34(6) mine aussi implicitement la prétention de l’appelant que les provinces sont incapables de réglementer les substances toxiques. Si les provinces étaient incapables de réglementer ces substances, le gouvernement fédéral serait d’autant plus justifié de refuser de se retirer de ce domaine. Le paragraphe 34(6) démontre que le large sujet de la réglementation des substances toxiques, défini dans la Loi, est fondamentalement ou potentiellement divisible.

78. Les présents motifs confirment que la matière n’a pas l’unicité, la particularité et l’indivisibilité requises pour être qualifiée de question d’intérêt national.

(ii) Effet sur la compétence provinciale

79. Ayant conclu qu’il n’a pas été satisfait à l’exigence d’unicité, de particularité et d’indivisibilité, il est inutile d’examiner le deuxième volet du critère de l’intérêt national. La matière visée en l’espèce ne peut être qualifiée de question d’intérêt national et, comme on n’a pas laissé entendre qu’il pourrait s’agir d’une question d’urgence nationale, elle n’est donc pas justifiée par la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement.

E. La compétence en matière d’échanges et de commerce

80. Les intervenants Pollution Probe et autres soutiennent subsidiairement que les art. 34 et 35 de la Loi de même que l’arrêté d’urgence peuvent être maintenus en tant qu’exercice de la compétence fédérale en matière d’échanges et de commerce prévue au par. 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867. Plus précisément, ils prétendent que la «compétence générale en matière d’échanges et de commerce» reconnue dans l’arrêt General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, peut justifier la réglementation fédérale, qui vise à contrôler l’utilisation et le rejet de substances toxiques dans le cadre d’activités commerciales.

81. Les intervenants Pollution Probe et autres renvoient aux commentaires du juge en chef Laskin dans Wetmore, précité, à la p. 288, selon lesquels la partie de la Loi des aliments et drogues qui réglementait l’étiquetage, l’empaquetage et la fabrication de produits alimentaires et pharmaceutiques «emporte [. . .] l’application de la compétence en matière d’échanges et de commerce». Ces commentaires, prétendent‑ils, devraient s’appliquer de la même façon aux parties de l’arrêté d’urgence et du par. 34(1) qui traitent de la fabrication, de la vente et de l’utilisation à des fins commerciales de BPC et d’autres substances toxiques.

82. Nous rejetons ces arguments principalement pour deux raisons. Premièrement, il est clair que le «caractère véritable» de la loi contestée ne concerne pas les échanges et le commerce, même si ceux-ci peuvent être touchés par l’application de ces dispositions. Les intervenants Pollution Probe et autres semblent reconnaître cela dans la mesure où ils soutiennent que la compétence en matière d’échanges et de commerce ne constitue qu’une [traduction] «raison supplémentaire» de confirmer la validité de l’arrêté d’urgence et des dispositions habilitantes.

83. Deuxièmement, même s’il pouvait être tenu pour acquis que certaines parties du par. 34(1) de la Loi visaient la réglementation des échanges et du commerce (par exemple, les alinéas traitant de l’importation et de l’exportation), le reste du par. 34(1), selon les arguments présentés plus haut, excéderait la compétence du Parlement et devrait être annulé. À supposer que les éléments «échanges et commerce» puissent être sauvegardés, ils devraient, par conséquent, être «dissociés» des alinéas du par. 34(1) qui seraient annulés. Il n’est pas absolument certain que cela serait possible, étant donné, en particulier, que la partie restante de la Loi doit pouvoir exister indépendamment de la partie retranchée. En l’espèce, les alinéas sont trop [traduction] «inextricablement liés» pour pouvoir subsister indépendamment (voir Hogg, op. cit., à la p. 15-21). Pour ces motifs, nous ne pouvons souscrire à l’argument des intervenants que la loi contestée peut se justifier en tant qu’exercice de la compétence fédérale en matière d’échanges et de commerce.

6. Conclusion et dispositif

84. Pour les motifs qui précèdent, nous concluons que les dispositions contestées ne sont pas justifiées en vertu de l’un ou l’autre des chefs de compétence attribués au Parlement par l’art. 91. En conséquence, nous sommes d’avis de les déclarer inconstitutionnelles, de rejeter le pourvoi de l’appelant, avec dépens, et de répondre à la question constitutionnelle de la façon suivante:

L’alinéa 6a) de l’Arrêté d’urgence sur les biphényles chlorés, C.P. 1989‑296, ainsi que les dispositions législatives habilitantes, les art. 34 et 35 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. (1985), ch. 16 (4e suppl.), relèvent‑ils en tout ou en partie de la compétence du Parlement du Canada de légiférer pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada en vertu de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 ou de la compétence en matière criminelle suivant le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, ou autrement?

Réponse: Non.

Version française du jugement des juges La Forest, L’Heureux-Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin rendu par

85. Le juge La Forest — Au cours des dernières années, on a demandé de plus en plus à notre Cour d’examiner l’interaction entre les pouvoirs législatifs du Parlement et ceux des législatures provinciales en ce qui concerne la protection de l’environnement. Qu’elles soient considérées positivement comme des stratégies en vue de maintenir un environnement propre, ou négativement comme des dispositions prises en vue de combattre les maux engendrés par la pollution, il ne fait pas de doute que ces mesures visent un objectif public d’une importance supérieure, objectif que tous les niveaux de gouvernement et les nombreux organismes de la communauté internationale ont entrepris de plus en plus de poursuivre. Au tout début des motifs de notre Cour dans ce qui est peut‑être l’arrêt de principe, Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, aux pp. 16 et 17, la question est exposée succinctement de la manière suivante:

La protection de l’environnement est devenue l’un des principaux défis de notre époque. Pour y faire face, les gouvernements et les organismes internationaux ont participé à la création d’un éventail important de régimes législatifs et de structures administratives.

1 Le devoir de la plus haute importance que le Parlement et les législatures provinciales ont d’utiliser pleinement les pouvoirs législatifs qui leur ont été respectivement conférés en matière de protection de l’environnement a inévitablement imposé aux tribunaux l’obligation de définir progressivement la mesure dans laquelle ces pouvoirs peuvent être utilisés à cette fin. Pour s’acquitter de cette tâche, il incombe aux tribunaux d’établir l’équilibre fondamental entre les deux niveaux de gouvernement envisagés par la Constitution. Toutefois, pour ce faire, ils doivent se rappeler que la Constitution doit être interprétée de manière à tenir compte pleinement des nouvelles réalités et de la nature du sujet que l’on veut réglementer. En raison du caractère omniprésent et diffus de l’environnement, cette réalité pose des difficultés particulières dans le présent contexte.

2 La présente affaire, qui est la plus récente dans laquelle on demande à notre Cour de définir la nature des pouvoirs législatifs en matière d’environnement, revêt une importance majeure. Il s’agit strictement de savoir dans quelle mesure et de quelle manière le législateur fédéral peut régir la quantité de biphényles chlorés (BPC) — substances reconnues comme étant très dangereuses pour les humains et l’environnement en général — qui peut pénétrer dans l’environnement, et les conditions dans lesquelles leur rejet peut se faire. Cependant, la contestation du pouvoir fédéral de réaliser cette fin ne vise pas vraiment les dispositions particulières concernant les BPC. Elle met plutôt en question la constitutionnalité de ses dispositions législatives habilitantes. Ce qui est vraiment en cause, c’est de savoir si la partie II («Substances toxiques») de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. (1985), ch. 16 (4e suppl.), qui habilite les ministres fédéraux de la Santé et de l’Environnement à déterminer quelles substances sont toxiques et à interdire le rejet de ces substances dans l’environnement à moins que certaines conditions particulières soient respectées, relève de la compétence constitutionnelle du Parlement.

Les faits

3 L’affaire a pris naissance de la façon suivante. L’intimée Hydro‑Québec aurait déversé des biphényles polychlorés (BPC) dans la rivière St‑Maurice au Québec, au début de 1990. Le 5 juin 1990, elle a été accusée d’avoir commis les deux infractions suivantes en vertu de l’al. 6a) de l’Arrêté d’urgence sur les biphényles chlorés, C.P. 1989‑296 (ci‑après l’«arrêté d’urgence»), qui a été pris et mis à exécution conformément aux art. 34 et 35 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement:

[1] Du 1er janvier au 3 janvier 1990, a illégalement rejeté, dans l’environnement, plus d’un gramme par jour de biphényles chlorés contrairement à l’alinéa 6a) de l’Arrêté d’urgence sur les biphényles chlorés, C.P. 1989‑29[6] du 23 février 1989, commettant ainsi l’infraction prévue aux alinéas 113i) et o) de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. de 198[5], 4e suppl., c.16;

[2] Le ou vers le 8 janvier 1990, après le rejet dans l’environnement en violation de l’alinéa 6a) de l’Arrêté d’urgence sur les biphényles chlorés, C.P. 1989‑296 du 23 février 1989, d’une substance inscrite à l’annexe I de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. de 198[5], 4e suppl., c.16, à savoir: des biphényles chlorés [. . .] a omis de faire rapport de la situation à l’inspecteur dans les meilleurs délais possible, contrairement à l’alinéa 36(1)a) de ladite loi, commettant ainsi l’infraction prévue aux alinéas 113h) et o) de ladite Loi.

Le 23 juillet 1990, l’intimée a plaidé non coupable relativement aux deux accusations devant la Cour du Québec.

4 Le 4 mars 1991, l’intimée Hydro‑Québec a déposé une requête devant le juge Michel Babin en vue de faire déclarer que les art. 34 et 35 de la Loi ainsi que l’al. 6a) de l’arrêté d’urgence lui‑même excèdent la compétence du Parlement du Canada pour le motif qu’ils ne relèvent d’aucun chef de compétence fédérale énoncé à l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le procureur général du Québec est intervenu à l’appui de la position de l’intimée. Le juge Babin a accueilli la requête le 12 août 1991([1991] R.J.Q. 2736), et le juge Trottier a rejeté, le 6 août 1992, un appel interjeté devant la Cour supérieure du Québec ([1992] R.J.Q. 2159). Un autre appel interjeté devant la Cour d’appel du Québec a été rejeté le 14 février 1995: [1995] R.J.Q. 398, 67 Q.A.C. 161, 17 C.E.L.R. (N.S.) 34, [1995] A.Q. no 143 (QL). L’autorisation de pourvoi devant notre Cour a été accordée le 12 octobre 1995: [1995] 4 R.C.S. vii.

Historique des procédures judiciaires

A. Cour du Québec

5 Devant le juge Babin, l’intimée a principalement soutenu que l’al. 6a) de l’arrêté d’urgence ainsi que les dispositions habilitantes de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, conformément auxquelles il a été adopté, excèdent la compétence du Parlement pour le motif qu’ils ne peuvent pas être justifiés à titre de question d’«intérêt national» en vertu de la clause de l’art. 91 concernant «la paix, l’ordre et le bon gouvernement», ou de la compétence en matière de droit criminel (par. 91(27)), ou encore en vertu de tout autre chef de compétence fédérale énoncé à l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. L’appelant a fait valoir que les dispositions en cause pouvaient être justifiées à titre de question d’intérêt national, ainsi qu’en vertu de la compétence en matière de droit criminel. Le juge Babin a considéré que la principale question en litige concernant l’un ou l’autre chef de compétence était de savoir si le Parlement a le pouvoir d’adopter des dispositions relatives au rejet de substances toxiques dans l’environnement lorsque l’«environnement» en question se trouve exclusivement à l’intérieur d’une seule province.

6 Commençant par la question de savoir si les dispositions en cause sont visées par la théorie de l’«intérêt national» justifiant l’application de la clause concernant la paix, l’ordre et le bon gouvernement, le juge Babin a appliqué les critères énoncés par notre Cour dans l’arrêt R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] 1 R.C.S. 401, pour déterminer quand une question peut être considérée à juste titre comme relevant de ce pouvoir. Il a conclu que, compte tenu particulièrement des définitions larges qui ont été données des mots «environnement» et «toxique» aux art. 3 et 11 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, les dispositions en question avaient une portée large inacceptable du fait qu’on ne pouvait pas les considérer comme limitées à un sujet ayant «l’unicité, la particularité et l’indivisibilité» requises en vertu du critère de l’arrêt Crown Zellerbach. Pour à peu près les mêmes raisons, il a conclu que l’attribution exclusive au Parlement du sujet visé par les dispositions reviendrait à empiéter sensiblement sur divers domaines de compétence provinciale et à perturber de manière inacceptable le partage des pouvoirs entre le Parlement et les législatures provinciales.

7 Le juge Babin a également statué que les dispositions en cause ne relevaient pas de la compétence en matière de droit criminel. Il a conclu précisément que, bien que ces dispositions visent clairement à protéger la vie et la santé humaines, elles visent aussi à protéger l’environnement en général, et que, même si le premier objectif constitue un «objectif public du droit criminel» au sens donné à cette expression dans Reference re Validity of Section 5(a) of the Dairy Industry Act, [1949] R.C.S. 1 (le Renvoi sur la margarine), à la p. 50, le dernier n’en constitue pas un. De même, il a décidé que le simple fait que la loi en question ici contienne des dispositions énonçant des peines pour sa violation ne modifie pas en soi sa «nature réglementaire». Ayant conclu que les dispositions en cause ne relevaient ni de la théorie de l’«intérêt national» justifiant l’application de la clause concernant la paix, l’ordre et le bon gouvernement, ni de la compétence en matière de droit criminel (ou de tout autre chef de compétence fédérale), le juge Babin a statué que l’al. 6a) de l’arrêté d’urgence excédait la compétence du Parlement.

B. Cour supérieure du Québec

8 Lors de l’appel interjeté devant la Cour supérieure, le juge Trottier a commencé par expliquer que, conformément aux motifs de notre Cour dans Oldman River, précité, l’environnement ne constitue pas en soi un domaine particulier de compétence législative en vertu des art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Concluant, à peu près de la même manière que le juge Babin, que les définitions des mots «toxique» et «environnement» sont extrêmement larges, le juge Trottier a statué qu’il n’était pas possible de confirmer que les dispositions en cause sont constitutionnelles en vertu de la théorie de l’intérêt national. De même, il a conclu que les dispositions ne pouvaient pas être justifiées en vertu de la compétence en matière de droit criminel parce que leur véritable objectif était non pas d’interdire une activité, mais de la réglementer. Estimant qu’aucun autre chef de compétence n’était applicable, il a rejeté l’appel.

C. Cour d’appel du Québec

9 Lors de l’appel interjeté devant la Cour d’appel du Québec, le juge Tourigny a, au nom de la cour, commencé ses motifs en disant que, même si l’un des effets de la loi en question est de protéger la vie et la santé humaines, tant l’al. 6a) de l’arrêté d’urgence que les dispositions habilitantes de la Loi en vertu desquelles il a été adopté visent, de par leur «caractère véritable», «la protection de l’environnement». Suivant l’arrêt de notre Cour Oldman River, le juge Tourigny a reconnu que ni le Parlement ni les provinces ne sont investis du pouvoir de légiférer au sujet de l’environnement lui-même et que les lois en matière d’environnement ne relèveront donc de la compétence de l’un ou l’autre niveau de gouvernement que si elles sont subordonnées à un chef de compétence énuméré à l’art. 91 ou à l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

10 Appliquant ce principe à l’affaire dont il était saisi, le juge Tourigny s’est d’abord demandé s’il était possible de dire que les dispositions en cause relevaient de la compétence fédérale en vertu de la théorie de l’intérêt national. Compte tenu de l’arrêt de notre Cour Crown Zellerbach, précité, elle a conclu que ces dispositions ne pouvaient pas être constitutionnelles pour cette raison. Puis, elle a examiné l’argument de l’appelant selon lequel les dispositions pouvaient être fondées en vertu de la théorie de l’«urgence nationale» justifiant l’application de la clause concernant la paix, l’ordre et le bon gouvernement. Elle a aussi rejeté cet argument, concluant qu’il n’y a aucune «urgence» justifiant l’adoption des dispositions et que, de toute façon, celles‑ci ne sont pas suffisamment de nature temporaire pour satisfaire aux exigences strictes de la théorie de l’urgence nationale.

11 Enfin, le juge Tourigny a analysé l’argument de l’appelant selon lequel les dispositions contestées relèvent de la compétence du Parlement en matière de droit criminel. Tout en reconnaissant que ce pouvoir a, dans le passé, reçu une interprétation assez large, elle a conclu que ces dispositions excèdent grandement ce qui peut être considéré à juste titre comme du droit criminel. Elle a donc jugé que les dispositions en cause ne relèvent pas de ce pouvoir fédéral même si la Loi interdit effectivement un certain comportement et prévoit la mise en {oe}uvre de ces interdictions au moyen de peines.

D. Question constitutionnelle

12 Le 21 décembre 1995, le juge en chef Lamer a formulé la question constitutionnelle suivante:

L’alinéa 6a) de l’Arrêté d’urgence sur les biphényles chlorés, C.P. 1989‑296, ainsi que les dispositions législatives habilitantes, les art. 34 et 35 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. (1985), ch. 16 (4e suppl.), relèvent‑ils en tout ou en partie de la compétence du Parlement du Canada de légiférer pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada en vertu de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 ou de la compétence en matière criminelle suivant le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, ou autrement?

13 Comme on peut le constater, la question constitutionnelle soulève d’abord la question de la constitutionnalité de l’al. 6a) de l’arrêté d’urgence, qui est rédigé ainsi:

6. La quantité de biphényles chlorés qui peut être rejetée, dans l’environnement, dans une région du Canada ne peut excéder 1 g par jour pour chaque pièce d’équipement ou contenant ou emballage d’équipement au cours de l’exploitation, de l’entretien, de la maintenance, de la mise hors service, du transport ou de l’entreposage de l’équipement suivant:

a) des condensateurs électriques ainsi que des transformateurs électriques et de l’équipement connexe, fabriqués ou importés au Canada avant le 1er juillet 1980;

Cependant, elle soulève également la question de la validité des dispositions habilitantes de la Loi, plus précisément les art. 34 et 35. Bien qu’il soit possible de contester directement la constitutionnalité de l’arrêté d’urgence, la véritable question, qui ressort des motifs des tribunaux dont les décisions ont été portées en appel, concerne la validité des dispositions habilitantes, citées plus loin, et les présents motifs porteront principalement sur cette question. Il est évident que l’arrêté d’urgence sera inopérant si les dispositions habilitantes conformément auxquelles il a été adopté sont elles‑mêmes jugées inconstitutionnelles. Comme l’affirme le professeur Hogg: [traduction] «L’invalidité d’une loi qui excède la compétence du corps législatif qui l’a adoptée annihilera naturellement tout pouvoir que cette loi était censée déléguer au gouvernement» (P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (3e éd. 1992 (feuilles mobiles)), vol. 1, à la p. 14‑7); voir également D. C. Holland et J. P. McGowan, Delegated Legislation in Canada (1989), aux pp. 170 et 171.

Aperçu de la structure de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement

14 La Loi canadienne sur la protection de l’environnement a été adoptée par le Parlement, en 1988, afin de réunir et de remplacer plusieurs autres lois traitant de différents types de protection de l’environnement. Les articles 34 et 35 figurent à la partie II, intitulée «Substances toxiques». Cette partie est, dans une large mesure, une adaptation de la Loi sur les contaminants de l’environnement, L.R.C. (1985), ch. E-12 (qui a été abrogée lorsque la présente loi est entrée en vigueur). Il ne faudrait toutefois pas oublier que d’autres parties de la Loi ont trait aux substances toxiques. La question des substances toxiques est présentée dans le préambule où, après avoir déclaré que la protection de l’environnement est essentielle au bien‑être de la population du Canada, on énonce les clauses suivantes qui sont directement applicables en l’espèce:

Attendu:

que la présence de substances toxiques dans l’environnement est une question d’intérêt national;

qu’il n’est pas toujours possible de circonscrire au territoire touché la dispersion de substances toxiques ayant pénétré dans l’environnement;

que le gouvernement fédéral, à titre de chef de file national en la matière, se doit d’établir des objectifs, des directives et des codes de pratiques nationaux en matière de qualité de l’environnement;

. . .

que le Canada se doit d’être en mesure de respecter ses obligations internationales en matière d’environnement,

De même, l’art. 2, qui est la première disposition de fond de la Loi, impose, à son al. j), l’obligation suivante au gouvernement canadien:

2. Pour l’exécution de la présente loi, le gouvernement fédéral doit, compte tenu de la Constitution et des lois du Canada:

. . .

j) s’efforcer d’agir avec diligence en vue de déterminer si des substances en usage au Canada sont toxiques ou susceptibles de le devenir.

15 En outre, l’annexe I de la Loi énonçait initialement, sous la rubrique intitulée «Liste des substances toxiques», neuf de ces substances en plus du type de règlement qui leur était applicable.

16 La partie II de la Loi traite d’abord de l’identification d’autres substances susceptibles de mettre en danger l’environnement ou la vie et la santé humaines, et elle établit ensuite la procédure à suivre pour les ajouter à la liste des substances toxiques de l’annexe I, et pour imposer, par voie de règlement, les conditions à respecter pour que les substances ainsi énumérées puissent être rejetées dans l’environnement.

17 La partie II commence par l’art. 11, qui est libellé ainsi:

11. Pour l’application de la présente partie, est toxique toute substance qui pénètre ou peut pénétrer dans l’environnement en une quantité ou une concentration ou dans des conditions de nature à:

a) avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement;

b) mettre en danger l’environnement essentiel pour la vie humaine;

c) constituer un danger au Canada pour la vie ou la santé humaine.

Il y a lieu de noter deux choses au sujet de cette disposition. Premièrement, son application se limite à la partie II. Deuxièmement, bien qu’elle ait été qualifiée de «définition» au cours des plaidoiries, cette disposition n’est nullement une véritable définition, une question que je commenterai davantage plus loin. Pour savoir si une substance peut avoir les effets nocifs ou présenter les dangers réels ou potentiels, énoncés aux al. a) à c), il faut effectuer une évaluation ou un test pour déterminer si la quantité ou concentration de la substance rejetée dans l’environnement, ou les conditions dans lesquelles le rejet a eu lieu, sont suffisantes pour qu’elle soit toxique. C’est ce que précise le par. 12(1) qui, en prévoyant l’établissement d’une liste de substances d’intérêt prioritaire, autorise les ministres de la Santé et de l’Environnement à «énum[érer] les substances pour lesquelles ils jugent prioritaire de déterminer si elles sont effectivement ou potentiellement toxiques» (je souligne). Cette expression, ainsi que je l’ai remarqué, revient tout au long de la partie II dans les dispositions concernant les évaluations.

18 La façon dont les ministres peuvent mener des enquêtes pour déterminer si une «substance» donnée est «toxique» ou non est exposée à l’art. 15. Ils peuvent examiner, notamment, la nature de la substance en question, ses effets sur des processus biologiques naturels, la mesure dans laquelle elle persistera dans l’environnement, les méthodes permettant d’en limiter la présence et d’en réduire la quantité utilisée. L’article 15 était ainsi rédigé à l’époque pertinente:

15. En vue de déterminer si une substance est effectivement ou potentiellement toxique ou d’apprécier s’il y a lieu de prendre des mesures pour en contrôler la présence dans l’environnement, l’un ou l’autre ministre peut:

a) recueillir des données sur cette substance et mener des enquêtes sur:

(i) sa nature,

(ii) sa présence dans l’environnement et l’effet qu’elle a sur celui‑ci, la vie ou la santé humaine,

(iii) la mesure dans laquelle elle peut se disperser et persister dans l’environnement,

(iv) sa capacité d’infiltration et d’accumulation dans les tissus biologiques ainsi que sa capacité de nuire à des processus biologiques,

(v) les méthodes permettant de limiter sa présence dans l’environnement,

(vi) les méthodes de vérification des effets de sa présence dans l’environnement,

(vii) la mise au point et l’utilisation de substituts,

(viii) ses quantités, ses utilisations et son élimination,

(ix) les méthodes permettant de réduire la quantité utilisée, produite ou rejetée dans l’environnement;

b) corréler et analyser les données recueillies et publier le résultat des enquêtes effectuées;

c) fournir des services d’information et de consultation et faire des recommandations concernant les mesures à prendre pour limiter la présence de cette substance dans l’environnement.

Aux termes de l’art. 16, le ministre de l’Environnement peut exiger des simples citoyens qu’ils lui fournissent des renseignements concernant les substances qu’ils jugent susceptibles d’être toxiques, ou des échantillons de ces substances, et, en vertu de l’art. 18, le Ministre peut ordonner que les personnes qui possèdent des renseignements au sujet d’une substance qui peut être toxique fournissent ces renseignements.

19 Les articles 12 et 13 de la Loi exigent que les ministres de l’Environnement et de la Santé établissent une «liste de substances d’intérêt prioritaire» indiquant les substances pour lesquelles il serait prioritaire de déterminer si elles sont toxiques ou non. Une fois que les ministres ont évalué une substance inscrite sur une liste prioritaire, ils peuvent décider de recommander ou non qu’elle soit ajoutée à la liste des substances toxiques de l’annexe I. Lorsque les ministres font une telle recommandation, le gouverneur en conseil peut, en vertu de l’art. 33, après avoir donné à un comité consultatif fédéro‑provincial (constitué en vertu de l’art. 6) la possibilité de formuler ses conseils, prendre un décret d’inscription de la substance à la liste des substances toxiques. Cela fait, le gouverneur en conseil est habilité, en vertu de l’art. 34, à prendre des règlements détaillés en ce qui touche la manière de traiter toute substance inscrite sur la liste de l’annexe I. L’omission de se conformer à ces règlements est punissable d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement (al. 113f), o) et p)). Comme l’art. 34 (dont le premier paragraphe est de toute première importance) est contesté en l’espèce, je vais le citer au complet:

34. (1) Sous réserve du paragraphe (3), le gouverneur en conseil peut, sur recommandation des ministres et après avoir donné au comité consultatif fédéro‑provincial la possibilité de formuler ses conseils dans le cadre de l’article 6, prendre des règlements concernant une substance inscrite sur la liste de l’annexe I, notamment en ce qui touche:

a) la quantité ou la concentration dans lesquelles elle peut être rejetée dans l’environnement, seule ou combinée à une autre substance émise par quelque source ou type de sources que ce soit;

b) les lieux ou zones de rejet;

c) les activités commerciales, de fabrication ou de transformation au cours desquelles le rejet est permis;

d) les modalités et conditions de son rejet, seule ou en combinaison avec une autre substance;

e) la quantité qui peut être fabriquée, transformée, utilisée, mise en vente ou vendue au Canada;

f) les fins pour lesquelles la substance ou un produit qui en contient peut être importé, fabriqué, transformé, utilisé, mis en vente ou vendu;

g) les modalités et conditions d’importation, de fabrication, de transformation ou d’utilisation de la substance ou d’un produit qui en contient;

h) la quantité ou la concentration dans lesquelles celle‑ci peut être utilisée;

i) la quantité ou la concentration dans lesquelles celle‑ci peut‑être importée;

j) les pays d’exportation ou d’importation;

k) les conditions, modalités et objets de l’importation ou de l’exportation;

l) l’interdiction totale, partielle ou conditionnelle de la fabrication, de l’utilisation, de la transformation, de la vente, de la mise en vente, de l’importation ou de l’exportation de la substance ou d’un produit qui en contient;

m) la quantité ou concentration de celle‑ci que peut contenir un produit fabriqué, importé, exporté ou mis en vente au Canada;

n) les modalités, les conditions et l’objet de la publicité et de la mise en vente de la substance ou d’un produit qui en contient;

o) les modalités et les conditions de stockage, de présentation, de transport, de manutention ou d’offre de transport soit de la substance, soit d’un produit ou d’une matière qui en contient;

p) l’emballage et l’étiquetage soit de la substance, soit d’un produit ou d’une matière qui en contient;

q) les modalités, lieux et méthodes d’élimination soit de la substance, soit d’un produit ou d’une matière qui en contient, notamment les normes de construction, d’entretien et d’inspection des sites d’élimination;

r) la transmission au ministre, sur demande ou au moment fixé par règlement, de renseignements concernant la substance;

s) la tenue de livres et de registres pour l’exécution des règlements d’application du présent article;

t) l’échantillonnage, l’analyse, l’essai, la mesure ou la surveillance de la substance et la transmission des résultats au ministre;

u) la transmission d’échantillons de la substance au ministre;

v) les méthodes et procédures à suivre pour les opérations mentionnées à l’alinéa t);

w) les cas ou conditions de modification par le ministre, pour l’exécution de la présente loi, soit des exigences imposées pour les opérations mentionnées à l’alinéa t), soit des méthodes et procédures afférentes;

x) toute autre mesure d’application de la présente partie.

(2) Sur recommandation des ministres, le gouverneur en conseil peut, par règlement, soustraire à l’application de la présente partie et de ses règlements:

a) l’importation, l’exportation, la fabrication, l’utilisation, la transformation, le transport, l’offre de transport, la manutention, l’emballage, l’étiquetage, la publicité, la vente, la mise en vente, la présentation, le stockage, l’élimination ou le rejet dans l’environnement soit d’une substance, soit d’un produit ou d’une matière qui en contient;

b) le rejet dans l’environnement d’une substance provenant d’une source donnée, ou d’un type de sources donné, pendant un certain temps.

(3) Les règlements prévus au paragraphe (1) ne peuvent toutefois être pris que si, selon le gouverneur en conseil, ils ne visent pas un point déjà réglementé sous le régime d’une autre loi fédérale.

(4) Les règlements d’application du paragraphe (1) peuvent modifier la liste de l’annexe I de manière à y préciser le type de règlement qui s’applique à la substance visée.

(5) Sauf à l’égard de Sa Majesté du chef du Canada, les règlements pris aux termes du paragraphe (1) ne s’appliquent pas dans la province visée par un décret pris aux termes du paragraphe (6).

(6) Sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil peut, par décret, déclarer que les règlements pris en application du paragraphe (1) ne s’appliquent pas dans la province lorsque le ministre et le gouvernement provincial sont convenus par écrit que sont en vigueur dans le cadre de la législation provinciale:

a) d’une part, des dispositions équivalentes à ces règlements;

b) d’autre part, des dispositions similaires aux articles 108 à 110 concernant les enquêtes pour infractions aux lois provinciales sur l’environnement.

(7) Le ministre rend public l’accord visé au paragraphe (6).

(8) Une partie à l’accord peut y mettre fin en donnant un préavis de six mois à l’autre partie.

(9) Sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil peut révoquer le décret d’exemption lorsqu’il a été mis fin à l’accord.

(10) Le ministre rend compte, dans le rapport annuel visé à l’article 138, de la mise en {oe}uvre des paragraphes (5) à (9).

20 L’article 35 est accessoire à l’art. 34. Il prévoit que, lorsqu’une substance n’est pas inscrite sur la liste de l’annexe I (ou lorsqu’elle y est inscrite mais que les ministres croient qu’elle n’est pas réglementée comme il convient) et que les ministres croient qu’une intervention immédiate est nécessaire à l’égard de cette substance, le ministre de l’Environnement peut prendre, relativement à la substance en question, un «arrêté d’urgence» pouvant comporter les mêmes dispositions qu’un règlement d’application des par. 34(1) et (2). Ces dispositions peuvent notamment établir des limites relativement à la quantité et à la concentration des émissions de la substance, restreindre les secteurs où il peut y avoir rejet de la substance, contrôler les activités commerciales de fabrication ou de transformation au cours desquelles il y a rejet de la substance, prescrire les modalités de la publicité et de la mise en vente de la substance et réglementer l’emballage et l’étiquetage de la substance ou d’un produit qui la contient. L’arrêté d’urgence cesse de s’appliquer dans les 14 jours, à défaut d’approbation par le gouverneur en conseil (par. 35(3)), et une telle approbation ne doit être donnée que si, dans les 24 heures de la prise de l’arrêté, le Ministre a consulté les gouvernements provinciaux concernés afin de déterminer s’ils sont disposés à prendre les moyens nécessaires pour parer au danger appréciable et s’il a également consulté les autres ministres fédéraux afin de déterminer s’il est possible de régler la question en recourant à une autre loi fédérale. L’arrêté d’urgence cesse d’avoir effet, au plus tard, deux ans après qu’il a été pris (par. 35(8)). L’article 35 est rédigé ainsi:

35. (1) Le ministre peut prendre un arrêté d’urgence pouvant comporter les mêmes dispositions qu’un règlement d’application des paragraphes 34(1) ou (2), lorsque les conditions suivantes sont réunies:

a) la substance n’est pas inscrite sur la liste de l’annexe I et les ministres la croient toxique, ou bien elle y est inscrite et ils estiment qu’elle n’est pas réglementée comme il convient;

b) les ministres croient qu’une intervention immédiate est nécessaire afin de parer à tout danger appréciable soit pour l’environnement, soit pour la vie humaine ou la santé.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), l’arrêté prend effet dès sa prise comme s’il s’agissait d’un règlement pris en vertu de l’article 34.

(3) L’arrêté cesse toutefois d’avoir effet à défaut d’approbation par le gouverneur en conseil dans les quatorze jours qui suivent.

(4) Le gouverneur en conseil ne peut approuver l’arrêté d’urgence que si le ministre:

a) d’une part, dans les vingt‑quatre heures suivant la prise de l’arrêté, a offert de consulter tous les gouvernements des provinces concernées afin de déterminer s’ils sont disposés à prendre les moyens nécessaires pour parer au danger en question;

b) d’autre part, a consulté les autres ministres fédéraux afin de déterminer si des mesures peuvent être prises sous le régime de toute autre loi fédérale pour parer au danger en question.

(5) Dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent l’approbation par le gouverneur en conseil, les ministres recommandent à celui‑ci, à la fois:

a) la prise d’un règlement d’application de l’article 34 ayant le même effet que l’arrêté;

b) l’inscription, sous le régime de l’article 33, de la substance visée sur la liste de l’annexe I dans les cas où elle n’y figure pas.

(6) L’arrêté est soustrait à l’application des articles 3, 5 et 11 de la Loi sur les textes réglementaires et publié dans la Gazette du Canada dans les vingt‑trois jours suivant son approbation.

(7) Nul ne peut être condamné pour violation d’un arrêté d’urgence qui, à la date du fait reproché, n’était pas publié dans la Gazette du Canada dans les deux langues officielles, sauf s’il est établi qu’à cette date les mesures nécessaires avaient été prises pour porter la teneur de l’arrêté à la connaissance des personnes susceptibles d’être touchées par celui‑ci.

(8) L’arrêté cesse d’avoir effet à la prise du règlement visé au paragraphe (5) ou, au plus tard, deux ans après sa prise.

21 C’est l’interaction des art. 34 et 35 qui est à l’origine de l’arrêté d’urgence ayant abouti au présent litige. En 1989, le ministre de l’Environnement de l’époque, l’honorable Lucien Bouchard, a commencé à craindre que le règlement régissant les BPC, pris en vertu de l’ancienne loi, ne soit plus en vigueur une fois que l’ancienne loi aurait été abrogée. Exerçant les pouvoirs que lui conférait l’art. 35, il a adopté l’arrêté d’urgence susmentionné qui prévoyait la réglementation des BPC conformément aux dispositions de l’art. 34. L’intimée conteste les accusations portées contre elle en vertu de l’arrêté d’urgence, en alléguant que cet arrêté ainsi que les art. 34 et 35 excèdent la compétence du Parlement.

22 Mais l’essentiel de son argumentation n’est pas tout à fait évident à la lecture des seuls art. 34 et 35. Il faut également lire ces dispositions à la lumière des définitions générales des mots «environnement» et «substance», qui se lisent ainsi:

3. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

. . .

«environnement» Ensemble des conditions et des éléments naturels de la terre, notamment:

a) l’air, l’eau et le sol;

b) toutes les couches de l’atmosphère;

c) toutes les matières organiques et inorganiques ainsi que les êtres vivants;

d) les systèmes naturels en interaction qui comprennent les éléments visés aux alinéas a) à c).

. . .

«substance» Toute matière organique ou inorganique, animée ou inanimée, distinguable. La présente définition vise notamment:

a) les matières susceptibles soit de se disperser dans l’environnement, soit de s’y transformer en matières dispersables, ainsi que les matières susceptibles de provoquer de telles transformations dans l’environnement;

b) les radicaux libres ou les éléments;

c) les combinaisons d’éléments à l’identité moléculaire précise soit naturelles, soit consécutives à une réaction chimique;

d) des combinaisons complexes de molécules différentes, d’origine naturelle ou résultant de réactions chimiques, mais qui ne pourraient se former dans la pratique par la simple combinaison de leurs composants individuels.

Elle vise aussi, sauf pour l’application des articles 25 à 32:

e) les mélanges combinant des substances et ne produisant pas eux‑mêmes une substance différente de celles qui ont été combinées;

f) les articles manufacturés dotés d’une forme ou de caractéristiques matérielles précises pendant leur fabrication et qui ont, pour leur utilisation finale, une ou plusieurs fonctions en dépendant, en tout ou en partie;

g) les matières animées ou les mélanges complexes de molécules différentes qui sont contenus dans les effluents, les émissions ou les déchets attribuables à des travaux, des entreprises ou des activités.

L’intimée s’intéresse surtout au mot «toxique» utilisé à l’art. 11, qui, conjugué aux définitions qui viennent d’être citées, constitue, selon elle, un empiétement grave et inacceptable sur les pouvoirs législatifs des provinces.

Les questions en litige

23 Devant notre Cour, l’appelant le procureur général du Canada cherche à fonder les dispositions contestées de la Loi sur la théorie de l’intérêt national justifiant l’application de la clause de l’art. 91 concernant la paix, l’ordre et le bon gouvernement, ou sur la compétence en matière de droit criminel conférée au par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867. L’intimée Hydro‑Québec et le mis en cause le procureur général du Québec contestent cela. De façon générale, ils affirment que ces dispositions empiètent tellement sur les pouvoirs des provinces qu’il est impossible de les justifier par la théorie des dimensions nationales ou la compétence en matière de droit criminel. La contestation de la validité des dispositions en vertu de cette dernière compétence est également appuyée fort explicitement par l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan, pour le motif qu’elles sont essentiellement de nature réglementaire et non prohibitive. Enfin, je répète que, bien que l’arrêté d’urgence ait précipité le litige, il n’y a pas de doute que l’intimée et le mis en cause ainsi que les intervenants qui les appuient visent une cible plus importante — les dispositions habilitantes.

24 Bien qu’on ait prêté attention à la théorie de l’intérêt national et à la compétence en matière de droit criminel au cours des plaidoiries, on peut affirmer à juste titre que, devant notre Cour, l’accent a été mis principalement sur la question de l’intérêt national. C’est peut‑être dû au fait que l’arrêt le plus récent de notre Cour portant largement sur la compétence en matière de droit criminel, RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, n’avait pas été rendu lorsque la présente affaire a été portée devant les tribunaux dont les décisions font l’objet du présent pourvoi. Quelle qu’en soit la raison, bon nombre des arguments et des préoccupations semblaient parfois avoir trait aux deux pouvoirs législatifs, et cela a généralement eu pour effet de fausser et parfois, selon moi, de dénaturer la façon dont, à mon avis, il conviendrait d’aborder la compétence en matière de droit criminel. J’ai donc conclu qu’une bonne partie de l’analyse portant sur le caractère véritable de la loi en cause, ainsi que d’autres questions auxquelles je me reporterai plus tard, n’étaient absolument pas pertinentes pour examiner la compétence en matière de droit criminel.

25 Je formule ces remarques parce que, selon moi, les dispositions contestées sont valides en vertu de la compétence en matière de droit criminel — le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867. Il devient ainsi inutile de traiter la théorie de l’intérêt national, qui soulève inévitablement de graves questions concernant la structure fédérale de notre Constitution qui ne se posent pas avec la même intensité au sujet de la compétence en matière de droit criminel.

26 Pour analyser les questions se rapportant à la compétence en matière de droit criminel, je compte procéder de la façon suivante. Je vais d’abord formuler des observations préliminaires sur la façon dont notre Cour a abordé les questions environnementales qui se posent en vertu du partage des pouvoirs prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867. Je passerai ensuite à l’analyse de la compétence fédérale en matière de droit criminel en vertu du par. 91(27) de cette loi. Viendra ensuite un examen plus approfondi de la partie II de la Loi, intitulée «Substances toxiques». Cela nous amènera à nous demander si les art. 34 et 35 ainsi que l’arrêté d’urgence constituent des exercices valides de la compétence en matière de droit criminel.

Analyse

Introduction

27 En examinant la façon dont devrait être abordée la question de la constitutionnalité d’un texte législatif concernant l’environnement, notre Cour a précisé dans l’arrêt Oldman River, précité, que l’environnement n’est pas, comme tel, un domaine de compétence législative en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867. Comme il y est affirmé, «la Loi constitutionnelle de 1867 n’a pas conféré le domaine de l’“environnement” comme tel aux provinces ou au Parlement» (p. 63). Il s’agit plutôt d’un sujet diffus qui touche plusieurs domaines différents de responsabilité constitutionnelle, dont certains sont fédéraux et d’autres provinciaux (pp. 63 et 64). Le Parlement ou une législature provinciale peut, en alléguant l’économie ou l’objet d’une loi, adopter des dispositions qui réduisent au minimum ou empêchent l’effet préjudiciable que cette loi peut avoir sur l’environnement, interdire la pollution, et ainsi de suite. En conséquence, pour évaluer la constitutionnalité d’une disposition relative à l’environnement, il faut d’abord consulter la liste des pouvoirs législatifs figurant dans la Loi constitutionnelle de 1867, pour vérifier si la disposition relève d’un seul ou de plusieurs des pouvoirs attribués au corps législatif (le Parlement ou une législature provinciale) qui a adopté la mesure législative en cause (ibid., à la p. 65). Si, de par son caractère véritable, la disposition relève essentiellement de l’un de ces pouvoirs, elle est alors constitutionnellement valide.

28 Bien que le caractère véritable puisse être décrit de différentes façons, les expressions «objet principal» ou «idée maîtresse» utilisées dans l’arrêt R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, aux pp. 481 et 482, ou l’expression «la caractéristique principale ou la plus importante de la loi contestée», utilisée dans les arrêts Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273, à la p. 1286, et Oldman River, précité, à la p. 62, évoquent correctement le sens qu’il faut donner à cette notion. Si une disposition concernant l’environnement vise réellement à promouvoir l’objectif principal de la loi ou à s’attaquer à l’effet d’un régime législatif, et si ce régime est lui‑même valide, alors la disposition le sera également.

29 Il faut souligner que, lorsqu’on examine la validité d’une loi de cette façon, il faut également examiner la nature des pouvoirs législatifs pertinents. Différents types de pouvoirs législatifs peuvent justifier différents types de dispositions relatives à l’environnement. La manière dont de telles dispositions doivent se rapporter à un régime législatif a été étudiée, au moyen d’un exemple, dans l’arrêt Oldman River relativement aux chemins de fer, aux eaux navigables et aux pêches. Une disposition relative à l’environnement peut validement viser à freiner les dommages causés à l’environnement, mais, dans certains cas, ces dommages peuvent être liés directement au pouvoir lui‑même. Il existe une énorme différence entre la réglementation d’ouvrages et d’activités comme les chemins de fer, et celle d’une ressource comme les pêches, et, par conséquent, entre les dispositions relatives à l’environnement qui se rapportent à chacun d’eux. Les dispositions relatives à l’environnement doivent être rattachées à la bonne source constitutionnelle.

30 Certains chefs de compétence législative peuvent justifier un type tout à fait différent de dispositions relatives à l’environnement. En vertu notamment du pouvoir général d’adopter des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement, le Parlement peut adopter un large éventail de lois sur l’environnement afin de répondre à une urgence d’une ampleur suffisante pour justifier le recours à ce pouvoir. Mais il faudrait naturellement prouver qu’il y a urgence. Il en est de même en ce qui concerne la théorie de l’«intérêt national», qui constituait le principal point sur lequel on s’est concentré en l’espèce. Un domaine distinct de compétence législative en matière d’environnement peut relever de cette théorie, pourvu qu’il satisfasse aux critères établis dans le Renvoi sur la Loi anti‑inflation, [1976] 2 R.C.S. 373, et ainsi énoncés dans l’arrêt Crown Zellerbach, précité, à la p. 432:

3. Pour qu’on puisse dire qu’une matière est d’intérêt national dans un sens ou dans l’autre, elle doit avoir une unicité, une particularité et une indivisibilité qui la distinguent clairement des matières d’intérêt provincial, et un effet sur la compétence provinciale qui soit compatible avec le partage fondamental des pouvoirs législatifs effectué par la Constitution;

Dans le dernier cas, notre Cour a donc jugé que la pollution de la mer satisfaisait à ces critères et relevait ainsi de la compétence législative exclusive que le Parlement possède en vertu de la clause concernant la paix, l’ordre et le bon gouvernement. Bien que tous les juges de la Cour aient reconnu la nécessité constitutionnelle de qualifier certaines activités comme excédant la portée de la loi provinciale et relevant du domaine national, le danger d’adopter trop facilement cette ligne de conduite n’a pas échappé aux juges dissidents. Décider qu’un sujet particulier est une question d’intérêt national fait en sorte que cette question relève de la compétence exclusive et prépondérante du Parlement et a manifestement une incidence sur l’équilibre du fédéralisme canadien. Dans l’arrêt Crown Zellerbach, les juges dissidents (à la p. 453) ont exprimé l’avis que la protection de l’environnement est une matière qui touche à tout et que, si elle était reconnue comme relevant de la compétence législative générale du Parlement en vertu de la théorie de l’intérêt national, elle pourrait modifier radicalement le partage des compétences législatives au Canada.

31 La position des juges dissidents sur ce point (qui n’a pas été abordé par les juges formant la majorité) a été ultérieurement acceptée par la Cour au complet dans l’arrêt Oldman River, précité, à la p. 64. D’après l’orientation générale de cet arrêt, il faudrait interpréter la Constitution de façon à accorder aux deux niveaux de gouvernement de vastes moyens de protéger l’environnement, tout en maintenant la structure générale de la Constitution. Cela est difficilement compatible avec l’adoption enthousiaste de la théorie des «dimensions nationales». Cette théorie peut, il est vrai, être adoptée lorsqu’il a été satisfait aux critères énoncés dans l’arrêt Crown Zellerbach, de sorte que le sujet en question peut, à juste titre, être dissocié des domaines de compétence provinciale.

32 J’en suis venu jusque-là pour démontrer simplement que la validité d’une disposition législative (y compris une disposition relative à la protection de l’environnement) doit être examinée en fonction des caractéristiques particulières du chef de compétence par lequel on propose de la justifier. En effet, chaque chef de compétence constitutionnelle a ses propres caractéristiques particulières et soulève des questions qui lui sont propres lorsqu’on l’évalue au regard du fédéralisme canadien. Cela peut sembler évident, voire même banal, mais il n’est que trop facile (voir Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213) d’oublier les caractéristiques d’un pouvoir particulier et de dépasser les bornes ou, encore une fois, en évaluant l’applicabilité d’un chef de compétence, de mettre à exécution des intérêts propres à un autre chef de compétence lorsque ce n’est ni approprié ni conforme au droit énoncé par notre Cour en ce qui concerne l’étendue et les limites de cet autre pouvoir. En l’espèce, me semble‑t‑il, c’était le cas de certaines propositions qui nous ont été soumises relativement à l’étendue et à l’application de la compétence en matière de droit criminel. On a manifestement tenté de soulever des questions propres à la théorie de l’intérêt national justifiant l’application de la clause concernant la paix, l’ordre et le bon gouvernement à la compétence en matière de droit criminel, et ce, d’une manière qui, à mon avis, est tout à fait incompatible avec la nature et l’étendue de cette compétence qui ont été établies très tôt par notre Cour et qui ont été constamment réitérées depuis, notamment dans des déclarations précises contenues dans la jurisprudence la plus récente en la matière.

La compétence en matière de droit criminel

33 Le paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement le pouvoir exclusif d’adopter des lois en matière de droit criminel. La nature et l’étendue de ce pouvoir ont récemment fait l’objet d’une analyse historique approfondie dans l’arrêt RJR‑MacDonald, précité, où ce pouvoir a de nouveau été décrit (p. 240), comme c’était le cas depuis de nombreuses années, comme étant «de nature plénière» (je souligne). Je ne tenterai ni de reprendre l’analyse détaillée si récente de notre Cour ni de mentionner à fond toute la doctrine et toute la jurisprudence qui y ont été citées, mais je me contenterai plutôt de souligner les conclusions de cet arrêt qui sont les plus marquantes en ce qui concerne les questions soulevées en l’espèce. J’ajoute que, dans un excellent article intitulé «Aperçu des virtualités de la compétence fédérale en droit criminel dans le contexte de la protection de l’environnement» (1996), 27 R.G.D. 137, le professeur Leclair analysait très récemment toute la jurisprudence pertinente et qu’il en est venu à la même conclusion au sujet de la portée générale de la compétence en matière de droit criminel et de son application à l’environnement, et, en particulier, de la loi dont il est question en l’espèce.

34 Ce qui ressort de l’analyse effectuée dans l’arrêt RJR-MacDonald est que, dès 1903, dans l’arrêt Attorney-General for Ontario c. Hamilton Street Railway Co., [1903] A.C. 524, aux pp. 528 et 529, le Conseil privé avait précisé que le pouvoir conféré au Parlement par le par. 91(27) a trait au [traduction] «droit criminel dans son sens le plus large» (je souligne). Conformément à cette interprétation, le Conseil privé a, dans l’arrêt Proprietary Articles Trade Association c. Attorney-General for Canada, [1931] A.C. 310 (ci‑après PATA), à la p. 324, défini la compétence en matière de droit criminel comme comprenant tout acte interdit assorti de conséquences pénales. Comme il l’affirme, à la p. 324: [traduction] «La qualité criminelle d’un acte ne peut se discerner [. . .] qu’en se référant à une norme unique: l’acte est‑il interdit et assorti de conséquences pénales?» Cette interprétation a été constamment suivie depuis et, comme on le rapporte dans l’arrêt RJR-MacDonald, elle a été appliquée par les tribunaux dans toute une gamme de contextes. Par conséquent, il relève entièrement du pouvoir discrétionnaire du Parlement de décider quel mal il désire supprimer au moyen d’une interdiction pénale et quel intérêt menacé il souhaite ainsi sauvegarder, pour reprendre les termes du juge Rand dans le Renvoi sur la margarine, précité, à la p. 49, cité plus loin.

35 Contrairement à l’argument de l’intimée, aux termes du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, il relève également du pouvoir discrétionnaire du Parlement de déterminer le degré de culpabilité qu’il souhaite attacher à une interdiction criminelle. Il peut ainsi déterminer la nature de l’élément moral relatif à divers crimes, telle que la défense de diligence raisonnable comme celle qui figure au par. 125(1) de la loi en cause. Cela découle du fait que le Parlement a été investi du plein pouvoir d’adopter des règles de droit criminel au sens le plus large du terme. Ce pouvoir est assujetti, naturellement, aux exigences de la «justice fondamentale» prescrites à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui peuvent dicter un degré plus élevé de mens rea dans le cas des crimes graves ou «proprement dits»; voir R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, et R. c. Rube, [1992] 3 R.C.S. 159, mais cette question ne se pose pas en l’espèce.

36 La Charte mise à part, le plein pouvoir du Parlement en matière de droit criminel a été assorti d’une seule réserve. Ce pouvoir ne peut pas être utilisé de façon déguisée. Comme d’autres pouvoirs législatifs, il ne peut pas, comme le dit le juge Estey dans l’arrêt Scowby c. Glendinning, [1986] 2 R.C.S. 226, à la p. 237, «permettr[e] au Parlement, simplement en légiférant de la manière appropriée, d’empiéter spécieusement sur des domaines de compétence législative provinciale exclusive». Pour déterminer si on est en présence d’une telle tentative, il convient, naturellement, d’examiner l’objectif que poursuivait le Parlement en adoptant la loi en cause. Comme le juge Estey le fait remarquer dans l’arrêt Scowby, à la p. 237, depuis le Renvoi sur la margarine, on a «accepté que l’interdiction doit se fonder sur un objectif public légitime». Le juge Estey cite ensuite les propos du juge Rand dans le Renvoi sur la margarine (à la p. 49):

[traduction] Le crime est l’acte que la loi interdit et auquel elle attache une peine; les interdictions portant sur quelque chose, l’on peut toujours trouver à leur base une situation contre laquelle le législateur veut, dans l’intérêt public, lutter. La situation que le législateur a voulu faire cesser ou les intérêts qu’il a voulu sauvegarder peuvent être autant du domaine social que du domaine économique ou politique; et la législature avait à l’esprit de supprimer le mal ou de sauvegarder les intérêts menacés.

J’ajoute simplement que l’analyse effectuée dans Scowby et le Renvoi sur la margarine a été appliquée tout récemment par notre Cour dans l’arrêt RJR-MacDonald, précité, aux pp. 240 et 241.

37 Dans le Renvoi sur la margarine, précité, à la p. 50, le juge Rand expose de façon utile les objectifs les plus courants d’une interdiction criminelle, dans le passage suivant:

[traduction] La prohibition est‑elle [. . .] adoptée en vue d’un objectif public qui peut la faire considérer comme relative au droit criminel? La paix publique, l’ordre, la sécurité, la santé, la moralité: ce sont là des buts habituels, bien que non exclusifs, que poursuit ce droit . . . [Je souligne.]

Voir aussi Morgentaler, précité, à la p. 489; RJR-MacDonald, à la p. 241. Comme l’indique la dernière phrase du passage que je viens de citer, il ne s’agit nullement d’une liste exhaustive des objectifs sur lesquels une loi criminelle valide peut se fonder légitimement. Non seulement cela ressort‑il clairement de ce passage, mais, à la suite du Renvoi sur la margarine, il appert des remarques du juge Rand dans l’arrêt Lord’s Day Alliance of Canada c. Attorney General of British Columbia, [1959] R.C.S. 497, aux pp. 508 et 509, qu’il ne s’écartait nullement de l’énoncé de lord Atkin dans l’arrêt PATA, précité (il a cité le passage pertinent en l’approuvant). Ce qui l’intéressait dans le Renvoi sur la margarine, comme il l’indique dans l’arrêt Lord’s Day (à la p. 509), c’était que [traduction] «dans un régime fédéral, il convient de faire des distinctions selon l’objet, le but, la nature ou le caractère de chaque texte législatif». Bref, dans un cas comme en l’espèce, tout ce qui nous intéresse, c’est la question de la législation déguisée. Sinon, on ferait, en réalité, revivre l’idée abandonnée qu’il existe un «domaine» de droit criminel, quelque chose que le juge Rand, à l’instar de lord Atkin avant lui, n’était pas disposé à faire. Il va sans dire que tout cela est compatible avec le point de vue réitéré tout récemment dans l’arrêt RJR-MacDonald, aux pp. 259 à 261, que le droit criminel n’est pas figé dans le temps.

38 Toutefois, durant les plaidoiries en l’espèce, on a parfois senti une tendance, même chez l’appelant et les intervenants qui l’appuyaient, à chercher seulement à justifier de l’objectif de protection de la santé décrit expressément par le juge Rand. Maintenant je n’ai aucun doute que cet objectif servira manifestement de fondement à un grand nombre de mesures législatives relatives à l’environnement, comme peut‑être également le motif de sécurité. Mais je ne doute nullement que la protection d’un environnement propre est un objectif public, au sens de ce qu’a exprimé le juge Rand dans le Renvoi sur la margarine, précité, qui est suffisant pour justifier une interdiction criminelle. C’est sûrement un [traduction] «intérêt menacé» que le Parlement peut légitimement «sauvegarder» ou, en d’autres mots, la pollution est un «mal» que le Parlement peut légitimement chercher à supprimer. En fait, comme je l’ai indiqué au début des présents motifs, c’est un objectif public d’une importance supérieure; il constitue l’un des principaux défis de notre époque. Il serait, en effet, surprenant que le Parlement ne puisse pas exercer son plein pouvoir en matière de droit criminel pour protéger cet intérêt et supprimer les maux qui lui sont associés au moyen d’interdictions pénales appropriées.

39 Ce point de vue est en totale harmonie avec l’arrêt récent de notre Cour Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, où le juge Gonthier affirme au nom des juges majoritaires, au par. 55:

Il est clair qu’au cours des deux dernières décennies, les citoyens se sont fortement sensibilisés à l’importance d’assurer la protection de l’environnement et au fait que des conséquences pénales peuvent découler d’une conduite qui nuit à l’environnement. [. . .] Nous savons tous que, individuellement et collectivement, nous sommes responsables de la préservation de l’environnement naturel. J’abonde dans le sens de la Commission de réforme du droit du Canada qui, dans son document Les crimes contre l’environnement, op. cit., a conclu, à la p. 10:

. . . certains faits de pollution représentent effectivement la violation d’une valeur fondamentale et largement reconnue, valeur que nous appellerons le droit à un environnement sûr.

Cette valeur paraît relativement nouvelle, encore que dans la mesure où elle s’inscrit dans le prolongement d’un ensemble traditionnel et bien établi de droits et de valeurs déjà protégés par le droit pénal, son existence et ses modalités soient facilement perceptibles. Parmi les nouvelles composantes de cette valeur fondamentale, on peut sans doute compter la qualité de la vie et la responsabilité de l’être humain envers l’environnement naturel. D’autre part, les valeurs plus traditionnelles ont simplement évolué et pris une certaine ampleur pour embrasser l’environnement à titre de sujet d’intérêt et de préoccupation en soi. Font partie des valeurs fondamentales qui sous‑tendent les objets et les mécanismes de protection du droit pénal, le caractère sacré de la vie, l’inviolabilité et l’intégrité de la personne et la protection de la vie et de la santé humaines. L’on s’entend de plus en plus pour dire que la pollution de l’environnement, sous certaines formes et à certains degrés, peut, directement ou indirectement, à court ou à long terme, être gravement dommageable ou dangereuse pour la vie et la santé humaines.

Non seulement la protection de l’environnement est‑elle devenue une valeur fondamentale au sein de la société canadienne, mais ce fait est maintenant reconnu dans des dispositions législatives telles que l’al. 13(1)a) LPE. [En italique dans l’original; je souligne.]

40 Il est à noter que, à la suite du document de travail 44 (1985), dont le juge Gonthier cite un passage, la Commission de réforme du droit du Canada a, dans un rapport ultérieur au Parlement (Pour une nouvelle codification du droit pénal, rapport 31 (1987)), fait part de son opinion qu’il était souhaitable de mettre en relief par le droit criminel l’importance du respect de l’environnement lui‑même. Elle affirme, aux pp. 105 et 106:

Dans le document de travail no 44 [. . .], nous proposions [. . .] l’instauration d’un nouveau crime portant spécifiquement sur les atteintes à l’environnement parce que certains actes menacent à ce point les valeurs fondamentales qu’ils justifient le recours au droit pénal. Plus précisément, le crime était défini comme une conduite dommageable pour l’environnement et, de ce fait, gravement dommageable ou dangereuse pour la vie ou la santé humaines.

Nous avons toutefois changé d’avis depuis. En premier lieu, nous en sommes venus à la conclusion qu’il était inutile de créer une infraction contre l’environnement telle que nous l’avions proposée parce que le dommage écologique gravement dommageable ou dangereux pour la vie et la sécurité est réprimé par les crimes de négligence contre la personne et par le nouveau crime de mise en danger (paragraphe 10(1)). En second lieu, les consultations tenues au sujet du document de travail no 44 et la série de catastrophes écologiques qui ont eu lieu dans les années qui ont suivi la publication du document ont convaincu la majorité des commissaires de la nécessité de mettre en relief par le droit pénal l’importance du respect de l’environnement lui‑même et de stigmatiser les conduites qui provoquent des dommages écologiques d’ampleur catastrophique amenant à long terme une perte des ressources naturelles. [Je souligne.]

41 Naturellement, cela est conforme à la pensée de divers organismes internationaux. Dans son rapport intitulé Notre avenir à tous (1988) (voir aux pp. 261 et 262 et aux pp. 267 et 268 la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (la commission Brundtland) a recommandé, depuis longtemps, l’adoption de lois appropriées pour protéger l’environnement contre les substances toxiques et chimiques, y compris l’établissement de normes nationales qui pourraient être complétées par des mesures législatives locales. Aux pages 251 et 252, elle affirme:

Il devient de plus en plus évident que les sources et causes de pollution sont beaucoup plus diffuses, complexes et reliées — et les effets de la pollution plus répandus, plus cumulatifs et plus chroniques — qu’on ne le croyait précédemment. Les problèmes de pollution qui avaient naguère un caractère local se posent maintenant à l’échelle régionale, voire même mondiale. La contamination des sols, des eaux souterraines et des êtres humains par des produits agrochimiques, s’élargit et la pollution chimique s’est étendue aux quatre coins de la planète. Les incidences de grands accidents impliquant des produits chimiques toxiques se sont aggravées. Les découvertes de décharges de déchets dangereux — à Love Canal aux États‑Unis, par exemple, ainsi qu’à Lekkerkek aux Pays‑Bas, à Vac en Hongrie et à Georgswerder en République fédérale d’Allemagne — a appelé l’attention sur un autre grave problème.

Compte tenu de ce qui précède et des projections estimées de la croissance pour le siècle prochain, il est manifeste qu’il faudra renforcer considérablement les mesures visant à réduire, à maîtriser et à prévenir la pollution industrielle. Autrement les dommages causés à la santé par la pollution pourraient devenir intolérables dans certaines villes et les menaces aux biens et aux écosystèmes continueraient de s’amplifier.

Plus loin, aux pp. 261 et 262, elle ajoute:

Pour faire face à la pollution industrielle et à la dégradation des ressources, il est essentiel que l’industrie, les gouvernements et l’opinion publique disposent de critères bien définis. Lorsque les ressources humaines et financières le permettent, les gouvernements nationaux devraient définir clairement les objectifs en matière d’environnement et obliger les entreprises industrielles à mettre en application les lois, les règlements, les mesures incitatives et les normes dans ce domaine. En élaborant ces politiques, ils devraient donner la priorité aux problèmes d’ordre sanitaire liés à la pollution industrielle et aux déchets dangereux. Et ils devraient améliorer, du point de vue de l’environnement, leurs statistiques et leurs fonds de données se rapportant à des activités industrielles.

Les règlements et les normes devraient régir des aspects tels que la pollution de l’air et de l’eau, la gestion des déchets, l’hygiène industrielle et la sécurité des travailleurs, l’efficacité des produits ou des processus du point de vue de la consommation d’énergie et de ressources, ainsi que la fabrication, la commercialisation, l’utilisation, le transport et l’élimination des substances toxiques. Cela devrait normalement se faire à l’échelon national, les autorités locales étant habilitées à renforcer, mais non pas à libéraliser, les normes nationales. [Je souligne.]

Voir également le Programme des Nations Unies sur l’environnement, intitulé Global Environmental Issues (1982), aux pp. 55 à 60.

42 Les passages précédents viennent souligner ce que j’ai mentionné au début, c’est‑à‑dire que la protection de l’environnement est un défi majeur de notre époque. C’est un problème international qui exige une action des gouvernements de tous les niveaux. Et, comme il est déclaré dans le préambule de la Loi visée par le présent examen, «le Canada se doit d’être en mesure de respecter ses obligations internationales en matière d’environnement». Je suis persuadé que le Canada peut, en recourant à la compétence en matière de droit criminel, respecter ses obligations internationales en ce qui concerne les substances toxiques dont la Loi cherche à interdire le rejet dans l’environnement. Le droit criminel a pour objectif de mettre en relief et de protéger nos valeurs fondamentales. Bien que des sanctions pénales puissent être attachées à beaucoup de questions relatives à l’environnement en ce qui concerne la protection de la vie ou de la santé humaine, je ne puis accepter que le droit criminel se limite à cela parce que «la pollution de l’environnement, sous certaines formes et à certains degrés, peut, directement ou indirectement, à court ou à long terme, être gravement dommageable ou dangereuse pour la vie et la santé humaines», comme on le fait remarquer dans le document que le juge Gonthier cite et approuve dans l’arrêt Ontario c. Canadien Pacifique, précité. Mais le stade auquel cela peut être découvert n’est pas facile à identifier, et je suis d’accord avec le document pour dire que la responsabilité de l’être humain envers l’environnement est une valeur fondamentale de notre société, et que le Parlement peut recourir à sa compétence en matière de droit criminel pour mettre cette valeur en relief. Le droit criminel doit pouvoir s’adapter à nos nouvelles valeurs et les protéger.

43 Lorsqu’on a dit que le Parlement peut recourir à sa compétence en matière de droit criminel dans le but de protéger l’environnement ou de prévenir la pollution, il semble de nouveau y avoir eu de la confusion, durant les plaidoiries, entre la façon d’aborder la théorie de l’intérêt national et la compétence en matière de droit criminel. La théorie de l’intérêt national a pour effet d’attribuer au Parlement le plein pouvoir de réglementer un domaine. Le droit criminel ne fonctionne pas ainsi. Il cherche plutôt, au moyen d’interdictions distinctes, à prévenir des maux relevant d’un objectif général, comme, par exemple, la protection de la santé. Dans le domaine du droit criminel, le renvoi à des objectifs de principe généraux n’est qu’un moyen d’assurer que l’interdiction vise légitimement un certain mal public que le Parlement veut supprimer et ne constitue pas une tentative déguisée de traiter une matière relevant exclusivement d’un domaine de compétence législative provinciale.

44 Le recours légitime au droit criminel, que je viens de décrire, ne constitue nullement un empiétement sur la compétence législative provinciale, bien qu’il puisse toucher à des matières qui en relèvent. Cela ressort clairement du passage suivant de l’arrêt Standard Sausage Co. c. Lee, [1933] 4 D.L.R. 501 (C.A.C.‑B.), aux pp. 506 et 507, cité et approuvé dans RJR-MacDonald, précité, aux pp. 254 et 255:

[traduction] . . . si le Parlement fédéral, pour protéger la santé publique contre un danger réel ou appréhendé, apporte des restrictions aux agents de conservation qui peuvent être utilisés et en limite le nombre, il peut le faire en vertu du par. 91(27) de l’A.A.N.B. Ce n’est pas par essence une intrusion dans la propriété et les droits civils. Cela peut en découler accessoirement mais le vrai but (qui n’est pas déguisé, ni seulement un appui à ce qui est en substance un empiétement) est de prévenir un dommage réel ou appréhendé ou la probabilité d’un dommage de la plus grande gravité pour tous les habitants du Dominion.

. . .

L’objet premier de cette loi est la sécurité du public, en protégeant celui‑ci contre un dommage appréhendé. Si c’est là son but principal — et non un simple prétexte pour s’ingérer dans le domaine des droits civils — sa validité n’est pas amoindrie . . .

J’aurai quelque chose à ajouter à ce sujet plus loin.

45 Je conclus que le Parlement peut, en vertu de sa compétence en matière de droit criminel, édicter validement des interdictions relatives à des actes précis en vue de prévenir la pollution ou, autrement dit, le rejet de certaines substances toxiques dans l’environnement. Je comprends très bien qu’une interdiction particulière pourrait être générale ou globale au point d’être considérée, de par son caractère véritable, comme visant réellement à réglementer un domaine relevant des provinces et non pas exclusivement à protéger l’environnement. Une interdiction absolue comme celle‑là (et ce serait également le cas de toute interdiction visant généralement à protéger la santé) serait de toute façon probablement impossible à appliquer. Mais, en l’espèce, on s’attaque en fin de compte au fait que les dispositions contestées accordent au gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire si vaste qu’il permet de rendre des ordonnances qui excèdent la compétence fédérale. J’imagine que certains types de mesures législatives peuvent soulever de très belles questions à ce sujet, même si, dans un tel cas, on avait tendance à interpréter strictement le texte législatif en cause ne serait‑ce que pour le garder dans les limites fixées par la Constitution. Mais il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin en l’espèce, car, me semble‑t‑il, comme nous le verrons, lorsqu’on lit attentivement la Loi, il devient assez évident que le Parlement a bel et bien agi conformément à sa compétence.

46 Même si je traiterai cette question plus en détail une fois que j’en serai venu à examiner la Loi, il convient à ce moment‑ci de se rappeler que le recours à la compétence fédérale en matière de droit criminel n’empêche nullement les provinces d’exercer les vastes pouvoirs que leur confère l’art. 92 pour réglementer et limiter la pollution de l’environnement de façon indépendante ou pour compléter les mesures fédérales. La situation ne diffère vraiment pas de celle qui a trait à la protection de la santé, dans laquelle le Parlement exerce depuis longtemps un vaste contrôle sur des matières comme les aliments et drogues au moyen d’interdictions fondées sur la compétence en matière de droit criminel. Cela n’a pas empêché les provinces de réglementer et d’interdire largement beaucoup d’activités relatives à la santé. Les deux niveaux de gouvernement travaillent souvent ensemble pour satisfaire des intérêts communs. Les mesures de coopération concernant l’usage du tabac sont relatées intégralement dans RJR-MacDonald, précité. Bien qu’elle ait un fondement technique différent, la situation n’est pas non plus différente, pour l’essentiel, dans le cas des interdictions fédérales de pollution de l’eau qui visent à protéger les pêches. Ici encore, il y a une vaste mesure de coopération entre les autorités fédérales et provinciales pour réaliser des fins communes ou complémentaires. C’est également le cas dans de nombreux autres domaines. La crainte que la loi contestée en l’espèce perturbe l’équilibre fédéral‑provincial me semble exagérée.

47 Un dernier point nécessite des remarques. La mesure même qui est contestée en l’espèce, l’arrêté d’urgence, me semblerait justifiée en tant qu’interdiction criminelle visant à protéger la vie et la santé humaines seulement (un objectif dont la validité a été confirmée tout récemment dans RJR-MacDonald). De prime abord, cela paraîtrait également être le cas d’un bon nombre des usages interdits des substances inscrites sur la liste des substances toxiques de l’annexe I. Donc, si la protection de l’environnement n’équivaut pas à un objectif public valide pour justifier des sanctions criminelles, il s’agirait simplement de dissocier du reste des dispositions habilitantes les parties de l’art. 11 de la Loi qui traitent seulement de l’environnement, afin de garantir la validité de l’arrêté d’urgence. Après tout, la protection de l’environnement, comme nous l’avons déjà vu, est étroitement assimilée, directement ou indirectement, à la protection de la santé. Mais, quant à moi, je juge cet exercice tout à fait inutile. La protection de l’environnement, au moyen d’interdictions concernant les substances toxiques, me semble constituer un objectif public tout à fait légitime dans l’exercice de la compétence en matière de droit criminel. L’intérêt qu’ont les êtres humains dans l’environnement va sûrement au‑delà de leurs propres vie et santé.

Les dispositions concernant les substances toxiques

48 L’intimée, le mis en cause et les intervenants qui les appuient contestent principalement les art. 34 et 35 de la Loi, en faisant valoir qu’ils constituent un empiétement sur les pouvoirs de réglementation conférés aux provinces par la Constitution. Ce faisant, ils soutiennent que le pouvoir de réglementer une substance est vaste au point d’empiéter sur la compétence législative des provinces. Il en est ainsi en raison de ce qu’ils appellent la «définition» large que l’on donne des substances toxiques à l’art. 11 et tout particulièrement à son al. a), qui, rappelons‑le, prévoit que:

11. Pour l’application de la présente partie, est toxique toute substance qui pénètre ou peut pénétrer dans l’environnement en une quantité ou une concentration ou dans des conditions de nature à:

a) avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement;

Cette définition, conjuguée aux définitions larges des termes «substance» et «environnement» au par. 3(1), permet en fait, disent‑ils, de réglementer toute substance qui peut de quelque façon s’avérer nocive pour l’environnement.

49 Je ne suis pas d’accord avec cet argument. À mon sens, il porte trop strictement sur une disposition précise de la Loi et, à ce sujet, uniquement sur certains de ses aspects, et applique ensuite cette disposition d’une manière qui, selon moi, n’est pas justifiée selon un examen des dispositions de la Loi dans son ensemble et compte tenu de l’historique et de l’objet de cette loi. Je vais d’abord traiter le dernier point. Avant de ce faire, cependant, je commenterai brièvement la crainte exprimée au sujet du caractère général du libellé de la Loi. Comme le juge Gonthier l’a fait observer dans l’arrêt Ontario c. Canadien Pacifique, précité, cette formulation large est inévitable dans une loi sur la protection de l’environnement en raison de l’ampleur et de la complexité du sujet, et il faut en tenir compte en interprétant les dispositions législatives pertinentes. Voici qu’il disait, au par. 43:

Il ressort clairement de cette brève revue des interdictions relatives à la pollution au Canada que nos législateurs ont préféré adopter une démarche générale, évitant ainsi une codification exhaustive de chaque situation entraînant l’interdiction de polluer. Une telle démarche dans le domaine de la protection de l’environnement ne surprend pas, étant donné que la nature de l’environnement (sa complexité et la vaste gamme des activités qui peuvent en causer la dégradation) ne se prête pas à une codification précise. Les lois sur la protection de l’environnement ont donc été rédigées d’une façon qui permette de répondre à une vaste gamme d’atteintes environnementales, y compris celles qui n’ont peut‑être même pas été envisagées par leurs rédacteurs.

Compte tenu de cela, il a conclu qu’il n’y a pas lieu d’aborder les lois sur la protection de l’environnement avec la même rigueur que celles qui traitent de questions moins complexes, en appliquant la théorie de l’imprécision établie en vertu de l’art. 7 de la Charte. Exiger une plus grande précision aurait pour effet de faire échouer la législature dans sa tentative de protéger le public contre les dangers découlant de la pollution. Il résume ainsi son point de vue, au par. 58:

Dans le contexte environnemental, chacun d’entre nous est menacé par la dégradation de la santé et des biens que cause la pollution. Lorsque le législateur prévoit des mesures de protection au moyen de lois de nature réglementaire comme la LPE, il convient que les tribunaux fassent preuve d’une plus grande retenue quand ils examinent les infractions prévues dans ces lois au regard de la Charte.

À partir de là, le juge Gonthier est passé à l’examen de termes semblables à ceux utilisés dans la loi en cause dans la présente affaire. Il était alors saisi d’une loi provinciale de nature réglementaire, mais la même nécessité sous‑jacente de protéger les personnes vulnérables et le public en général est inhérente aux infractions criminelles du genre en question ici. Le juge Cory a reconnu cela dans l’arrêt Wholesale Travel Group Inc., précité. Cette affaire concernait des infractions à la Loi sur la concurrence (auparavant Loi relative aux enquêtes sur les coalitions) jugée depuis longtemps constitutionnellement justifiable en vertu de la compétence du Parlement en matière de droit criminel. Le juge Cory a soigneusement établi une distinction entre le genre d’infractions dont il était question dans cette affaire, qu’il a qualifiées d’infractions réglementaires, et des «crimes proprement dits» comme le meurtre. Dans un passage, à la p. 233, sur lequel s’est fondé le juge Gonthier (au par. 57), il affirme ceci:

Les réalités et les complexités d’une société industrielle moderne associées au besoin réel de protéger tous les membres de la société et, en particulier, ceux qui sont vulnérables font ressortir l’importance cruciale des infractions réglementaires au Canada aujourd’hui. Notre pays ne pourrait tout simplement pas fonctionner sans réglementation très étendue. La protection fournie par de telles mesures est une seconde justification du traitement différent des infractions réglementaires et des infractions criminelles aux fins de la Charte.

50 Je passe maintenant à l’historique et à l’objet des dispositions visées par le présent examen. La partie II ne traite pas de la protection de l’environnement en général. Elle traite simplement du contrôle de substances toxiques qui peuvent être rejetées dans l’environnement dans certaines circonstances limitées, et elle le fait au moyen d’une série d’interdictions assorties de sanctions pénales. Elle remplace la Loi sur les contaminants de l’environnement adoptée en 1975 (S.C. 1974‑75‑76, ch. 72), qui visait à contrôler les substances pénétrant ou risquant de pénétrer dans l’environnement en une quantité ou concentration suffisante pour mettre en danger la santé ou l’environnement; voir l’art. 4. La continuité de la politique ressort clairement du fait que les substances toxiques contrôlées en vertu de la loi antérieure, qui comprenaient les BPC, ont été incluses automatiquement à l’annexe I de la loi actuelle, intitulée «Liste des substances toxiques».

51 L’objet sous‑jacent de la loi actuelle, en ce qui concerne les substances toxiques, ressort clairement d’une série de rapports émanant d’études effectuées au milieu des années 80; voir Environnement Canada, L’intégral système de gestion des produits chimiques (1986); Environnement Canada et Santé et Bien‑être social Canada, Rapport final du Comité consultatif sur les modifications à la Loi sur les contaminants de l’environnement (1986). Ces rapports révèlent que la loi antérieure ne suffisait manifestement pas à identifier les substances susceptibles d’être toxiques et qu’il fallait vraiment établir un régime permettant au gouvernement d’évaluer les matières qui pourraient être nocives pour la santé et l’environnement avant qu’elles soient utilisées.

52 Cela ressort plus clairement d’un document publié par Environnement Canada en 1987, qui expose les raisons pour lesquelles une nouvelle loi sur l’environnement était requise; voir Environnement Canada, Le droit à un environnement sain: Aperçu du projet de loi sur la protection de l’environnement. La publication précisait que les mesures existantes n’avaient pas été adéquates et que l’utilisation négligente de produits chimiques avait engendré la situation suivante: «Les résidus de produits chimiques sont partout: dans nos maisons, dans nos bureaux et dans nos usines, dans les villes et sur les fermes, dans les régions sauvages très éloignées des sources de contamination» (p. 1). On ajoutait (à la p. 1):

Le fait qu’on puisse déceler, chez la plupart des humains, la présence de produits chimiques synthétiques constitue une preuve évidente de l’insouciance avec laquelle nous utilisons ces produits. Dans le Bulletin d’évaluation sur l’état de l’environnement en 1986, le ministre de l’Environnement, Tom McMillan, accordait au Canada la note (F) pour la compétence dont nous faisons preuve dans la gestion des substances toxiques.

53 La Loi visait non pas à interdire l’utilisation, l’importation ou la fabrication de tous les produits chimiques, mais plutôt à ne toucher que les substances qui sont dangereuses pour l’environnement, et seulement si elles ne sont pas réglementées par la loi. Le rapport reconnaissait qu’«[u]ne large part de notre puissance industrielle et de notre croissance économique est fondée sur l’utilisation de substances chimiques» (p. 2) et que seulement une fraction d’entre elles étaient «considérées comme dangereuses, mais très peu de celles‑ci ont fait l’objet de tests permettant de s’en assurer» (p. 2).

54 La méthode d’évaluation traditionnelle — axée sur la crainte de «pollution apparente, de celle que l’on peut voir à l’{oe}il nu, toucher, sentir, goûter», et sur le «nettoyage des dégâts, après coup» (pp. 3 et 4) — ne convenait plus. Comme l’explique le rapport (à la p. 4):

La lutte contre la contamination par les substances toxiques ne peut se faire de cette manière. La perception habituelle par les sens ne permet pas de constater cette contamination parce qu’elle reste invisible jusqu’au moment où les dommages, quelquefois irréversibles, sont un fait accompli. Vu que la pollution chimique existe à l’état moléculaire, il n’est pas possible de la traiter dans l’environnement, de la circonscrire ou de l’éliminer. Et vu également que ses effets sont diffus et durables, plutôt que circonscrits et immédiats, des mesures ponctuelles sont impraticables. [Je souligne.]

55 Comme on pouvait s’y attendre, le rapport insistait sur la nécessité d’améliorer les procédures servant à établir si les substances chimiques étaient dangereuses; voir, par exemple, aux pp. 10 et 11. La Loi dresserait une liste de produits chimiques, dont «une liste des substances chimiques dangereuses visées par les règlements de la [Loi]» (p. 18).

56 La loi contestée me semble satisfaire exactement à ces objectifs. Le sujet des substances toxiques est traité principalement à la partie II de la Loi. Elle commence, nous l’avons vu, par l’art. 11 qui a été qualifié de «définition» pendant les plaidoiries. Bien que cette disposition présente certaines caractéristiques d’une définition, la qualifier ainsi est trompeur et ne rend pas pleinement justice à son objet et à sa fonction. Il y a lieu de souligner qu’elle n’a pas pour objet de définir une «substance toxique» de la façon dont l’art. 3 définit diverses notions, notamment «polluant atmosphérique» ou «polluant», «pollution atmosphérique», etc., article qui décrit de façon péremptoire le sens de la notion définie. Elle prévoit plutôt qu’une substance ne peut être toxique, pour l’application de la partie II, que si elle pénètre ou peut pénétrer dans l’environnement en une quantité ou une concentration ou dans des conditions qui ont un effet nocif sur l’environnement ainsi que sur la vie et la santé humaines, tel que prévu aux al. a) à c). Autrement dit, on ne peut pas considérer un passage comme «avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement» séparément du terme «toxique» (c.‑à‑d. «délétère»; voir Le Nouveau Petit Robert (1995)). De plus, la disposition souligne que le mot «toxique» utilisé dans la Loi comprend des substances qui ne sont pas toxiques en soi, mais qui peuvent le devenir lorsqu’elles sont rejetées dans l’environnement en une certaine quantité ou concentration ou dans certaines circonstances. Le plomb, par exemple, qui figure à l’annexe I, intitulée «Liste des substances toxiques» n’est pas toxique en soi, mais il peut le devenir lorsqu’il pénètre dans l’environnement au cours de son utilisation. (Ce point de vue est grandement renforcé par la nature de l’annexe I, que j’examinerai plus loin.) En d’autres termes, le passage en question décrit la nature de la toxicité en fonction de laquelle les substances doivent être analysées ou évaluées.

57 J’ajoute qu’il n’est nullement facile de déterminer si les divers éléments de l’art. 11 sont respectés relativement à certaines substances. La question de savoir si des substances pénètrent ou peuvent pénétrer dans l’environnement en une quantité ou concentration ou dans des conditions suffisantes pour produire les effets mentionnés à cet article n’est pas un fait notoire. Ce sont plutôt des questions qui doivent être vérifiées au moyen des évaluations ou des tests mentionnés à l’art. 15 et conformément à une procédure qui requiert des consultations avec les provinces, les citoyens avertis et le public en général afin de déterminer si certaines substances «sont effectivement ou potentiellement toxiques», pour reprendre l’expression utilisée dans les dispositions de la partie II traitant de la vérification, à commencer par l’élimination par les ministres de la plupart des substances au moyen d’une liste des substances d’intérêt prioritaire à vérifier. Je souligne ici qu’une expression similaire est utilisée à l’al. 2j), qui est en dehors de la partie II, où, en décrivant les tâches administratives que la Loi confie au gouvernement, il est prévu que, conformément à la Constitution, ce dernier doit agir avec diligence pour évaluer «si des substances en usage au Canada sont toxiques ou susceptibles de le devenir». Il ressort aussi de la partie du préambule de la Loi, citée plus haut, que les substances toxiques destinées à être visées par la Loi sont les substances toxiques au sens ordinaire qui peuvent polluer sensiblement l’environnement. Compte tenu de cela, il est difficile de croire qu’on ne donne pas au mot «toxique» son sens ordinaire dans la Loi et que l’art. 11 n’est donc qu’un moyen rédactionnel de délimiter les aspects de la toxicité qu’il faut prendre en considération dans les vérifications requises dans les articles suivants.

58 Les évaluations décrites dans la partie II visent la sélection de nouvelles matières à ajouter à la liste des substances toxiques de l’annexe I. Ainsi, l’art. 11 est la première d’une série de dispositions concernant la vérification ou l’évaluation de la toxicité. La première étape du processus d’évaluation est l’art. 12, qui exige des ministres qu’ils établissent une liste de substances d’intérêt prioritaire énumérant les substances pour lesquelles ils jugent prioritaire de déterminer si elles sont effectivement ou potentiellement toxiques; cette liste et ses modifications sont publiées dans la Gazette du Canada, et les provinces ainsi que les autres parties intéressées en sont informées (par. 12(2) et (3)). Le processus de vérification est un processus détaillé qui consiste notamment à informer les provinces de même que les autres groupes intéressés et le public à toutes les étapes; voir, par exemple, l’art. 13. Dans l’exercice de leurs fonctions, les ministres sont investis de vastes pouvoirs de recueillir des données, de mener des enquêtes et de corréler et analyser les données ainsi obtenues (voir, par exemple, l’art. 15). Le processus de vérification aboutit à une décision des ministres de recommander ou non l’ajout d’une substance à la liste des substances toxiques de l’annexe I de la Loi et, en cas de recommandation, à une décision de leur part quant au règlement qui devrait être pris en vertu de l’art. 34 relativement à la substance en cause.

59 La recommandation des ministres marque la fin de la phase de vérification et le début d’une nouvelle phase du processus, c.‑à‑d. la phase de réglementation. Dès lors, comme il ressort nettement de la terminologie de la Loi, la partie II ne porte que sur les substances inscrites sur la liste des substances toxiques de l’annexe I. Cela commence par l’art. 33, en vertu duquel le gouverneur en conseil peut, s’il est convaincu qu’une substance est toxique, sur recommandation des ministres, prendre un arrêté ajoutant une substance à la liste des substances toxiques de l’annexe I. Il est important de souligner que ce que prescrit la partie II de la Loi, c’est une procédure de contrôle des substances toxiques en général au moyen de la vérification des nombreuses substances chimiques en usage au Canada. Il est conforme à l’obligation imposée au gouvernement, par l’al. 2j), de faire ces évaluations en accord avec la Constitution. Si une telle substance est jugée toxique, elle peut être ajoutée à la liste des substances toxiques de l’annexe I de la Loi. Vu que cette liste (comme l’al. 2j) est en dehors de la partie II, il faut présumer que le mot «toxique» signifie ici toxique au sens réel, ce qui, ainsi que je l’ai affirmé antérieurement, vient étayer l’argument selon lequel la description figurant à l’art. 11 fait la même chose, puisqu’on penserait que les substances que le gouverneur en conseil permettrait d’ajouter à une loi auraient le même caractère général. J’ajoute ici qu’il convient de répéter l’assertion de Driedger selon laquelle [traduction] «il faut interpréter les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur»; voir E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87.

60 Il est nécessaire d’en dire plus sur ce point. Lorsqu’on examine l’annexe initiale, telle qu’elle apparaissait dans la Loi, il est évident qu’elle comprend un nombre très limité de substances, soit neuf, et il appert également qu’elle inclut l’amiante, le plomb et le mercure, des substances dont, même le profane, reconnaît la toxicité dans certaines circonstances lorsqu’elles pénètrent dans l’environnement. De même, comme je l’ai déjà noté, les substances énumérées dans la Loi sont tirées de la législation antérieure, notamment la Loi sur les contaminants de l’environnement, en vertu de laquelle elles ont été sélectionnées parce que les ministres avaient des «motifs raisonnables» de croire qu’elles «constituent un risque important pour la santé ou l’environnement» (par. 7(2)). Je me suis déjà reporté plus généralement à la continuation d’une politique lorsque la nouvelle loi a été adoptée et j’ai fait remarquer que le changement visé particulièrement par cette nouvelle loi était le renforcement de la méthode de contrôle des substances toxiques par l’amélioration des moyens de les identifier. Pour toutes ces raisons, je conclus que, lorsque le gouverneur en conseil prend un arrêté qui ajoute une substance à la liste des substances toxiques de l’annexe I, cela implique une décision que la substance ajoutée s’apparente à celles qui figurent déjà sur la liste de l’annexe I.

61 En résumé, j’estime que la partie II a généralement pour objet et pour effet de prescrire une procédure permettant d’évaluer si, parmi les nombreuses substances qui peuvent, en théorie, être visées par l’art. 11, certaines devraient être ajoutées à la liste des substances de l’annexe I, et de déterminer, lorsqu’on prend un arrêté en ce sens, s’il y a lieu d’interdire, sous peine de sanction, l’utilisation de la substance ainsi ajoutée de la manière prévue dans le règlement pris en vertu du par. 34(1). Ces substances inscrites sur la liste, toxiques au sens ordinaire du terme, sont celles que la Loi interdit, en fin de compte, d’utiliser d’une manière contraire au règlement. C’est une interdiction limitée qui s’applique à un nombre limité de substances. L’interdiction est assortie d’une peine en cas de non‑respect et s’appuie sur un objectif pénal valide et est donc une mesure législative pénale valide.

62 À mon sens, cela est conforme aux termes de la Loi, à son objet et, en fait, au bon sens. C’est précisément ce qu’on attendrait d’une loi sur l’environnement — une procédure permettant d’éliminer, parmi le très grand nombre de substances potentiellement nocives pour l’environnement ou la vie humaine, celles qui posent des risques importants de ce genre. Le ciblage précis de substances toxiques fondé sur une évaluation individuelle évite de recourir à des interdictions inutilement larges et à leur incidence sur l’exercice de pouvoirs provinciaux. Compte tenu de la nature et des exigences particulières d’une loi efficace en matière de protection de l’environnement, je ne partage pas la crainte de mes collègues que l’interdiction prenne naissance dans un règlement dont la violation donne lieu à une sanction criminelle. Le ciblage minutieux de substances toxiques est justifié par la pratique. Les avocats des intervenants Pollution Probe et autres nous ont informés que, sur plus de 21 000 substances enregistrées et utilisées de façon commerciale au Canada (voir Liste intérieure des substances, TR/91‑148, Gazette du Canada, partie I suppl.; Liste intérieure des substances, DORS/94‑311, mod. DORS/95‑517), seulement 44 ont été inscrites sur la Liste des substances d’intérêt prioritaire et évaluées scientifiquement en vertu de la Loi (Liste des substances d’intérêt prioritaire, Gazette du Canada, partie I (11 février 1989), p. 543). De ce nombre, seulement 25 ont été jugées toxiques au sens de l’art. 11 (Notre santé en dépend!: Vers la prévention de la pollution, Rapport du Comité permanent de l’environnement et du développement durable, aux pp. 70 et 71), et parmi celles‑ci, seules quelques-unes ont fait l’objet d’un règlement pris en vertu de l’art. 34; voir le Règlement sur les dioxines et les furannes chlorés dans les effluents des fabriques de pâtes et papiers, DORS/92‑267; le Règlement sur les additifs antimousse et les copeaux de bois utilisés dans les fabriques de pâtes et papiers, DORS/92‑268.

63 Je devrais peut‑être souligner ici qu’il convient parfaitement d’avoir recours à des documents extrinsèques du genre de ceux que je viens de mentionner et de ceux que j’ai déjà mentionné en examinant la constitutionnalité de la Loi, notamment quand il est question de législation déguisée, comme c’est le cas en l’espèce. Je me reporte au Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297, dans lequel le juge McIntyre affirme ceci, au sujet de la jurisprudence antérieure, à la p. 318:

Je suis d’accord avec la Cour d’appel qu’en l’espèce les éléments de preuve extrinsèques sont recevables pour montrer le contexte dans lequel la législation a été adoptée. Je suis également d’accord que ces éléments de preuve ne sont pas recevables pour aider à interpréter la Loi. Je suis toutefois d’avis que dans les affaires constitutionnelles, notamment lorsqu’il y a allégation de législation déguisée, on peut tenir compte d’éléments de preuve extrinsèques pour vérifier non seulement l’application et l’effet de la loi contestée, mais aussi son objet véritable. C’est également l’avis exprimé par le juge Dickson dans le renvoi Re Loi de 1979 sur la location résidentielle, précité, à la p. 721 . . . [Je souligne dans la troisième phrase.]

64 Je passe maintenant à un examen plus détaillé des dispositions de la loi contestée en l’espèce, c.‑à‑d. les art. 34 et 35. J’ai mentionné précédemment que la phase de vérification prévue à la partie II se termine à l’art. 32. Jusqu’à ce point, la partie II traite de la vérification de substances qui peuvent être toxiques lorsqu’elles sont rejetées dans l’environnement, tel que décrit à l’art. 11. Cependant, le reste de la partie II, à commencer par l’art. 33, ne vise plus les substances qui peuvent être toxiques dans ce sens large du terme. Il vise plus strictement les substances inscrites précisément sur la liste des substances toxiques de l’annexe I de la Loi. En particulier, l’art. 34 autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements énonçant les restrictions imposées à ceux qui utilisent ou traitent de telles substances. Le défaut de se conformer à l’une de ces restrictions constitue une infraction et est punissable, par procédure sommaire, d’une amende maximale de 300 000 $ et d’un emprisonnement maximal de six mois, ou de l’une de ces peines, ou, par mise en accusation, d’une amende maximale d’un million de dollars et d’un emprisonnement maximal de trois ans, ou de l’une de ces peines (al. 113f), o) et p)).

65 Sans tenter de reprendre l’art. 34 au complet, je vais simplement donner un aperçu de la nature des interdictions créées par ses règlements d’application. En général, l’art. 34 comprend des règlements prescrivant ou imposant des exigences concernant la quantité ou la concentration d’une substance inscrite sur la liste de l’annexe I, qui peut être rejetée dans l’environnement seule ou avec d’autres substances provenant de quelque source que ce soit, les endroits où ces substances peuvent être rejetées, les activités de fabrication ou de traitement au cours desquelles la substance peut être rejetée, la manière et les conditions du rejet, et ainsi de suite. Bref, l’art. 34 définit précisément des situations où l’utilisation d’une substance inscrite sur la liste des substances toxiques de l’annexe I est interdite et où ces interdictions sont assorties de conséquences pénales. Cela ressemble aux techniques que le Parlement a utilisées pour prescrire et imposer des exigences et des normes fort détaillées en matière d’aliments et drogues, qui servent à en contrôler l’importation, la vente, la fabrication, l’étiquetage, l’emballage, le traitement et l’entreposage (voir la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F‑27). Dans un certain nombre d’affaires dont plusieurs instruites par notre Cour, ces techniques ont été maintenues comme constituant du droit criminel valide; voir Standard Sausage, précité, particulièrement aux pp. 506 et 507; R. c. Wetmore, [1983] 2 R.C.S. 284, à la p. 289; RJR-MacDonald, précité. Parmi d’autres lois prévoyant le contrôle général de produits dangereux, qui peuvent se justifier en totalité ou en partie en vertu de la compétence en matière de droit criminel, il y a la Loi sur les produits dangereux, L.R.C. (1985), ch. H‑3 (voir R. c. Cosman’s Furniture (1972) Ltd. (1976), 32 C.C.C. (2d) 345 (C.A. Man.)), et la Loi sur les explosifs, L.R.C. (1985), ch. E‑17.

66 Ce que fait le Parlement à l’art. 34, c’est créer une disposition qui permette de bien adapter l’action interdite aux substances mentionnées qui sont utilisées ou traitées dans certaines circonstances. Ce genre d’adaptation est manifestement requis pour définir l’étendue d’une interdiction criminelle et relève, naturellement, de la compétence du Parlement. Comme le juge en chef Laskin l’a fait observer dans l’arrêt Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616, à la p. 627: «Je n’ai pas besoin de citer de précédents pour affirmer que le Parlement peut déterminer ce qui n’est pas criminel aussi bien que ce qui l’est». Plus récemment, le juge Stevenson, dans l’arrêt R. c. Furtney, [1991] 3 R.C.S. 89, aux pp. 106 et 107, a dit, au sujet de la décriminalisation des loteries dans certaines circonstances:

Elle constitue une définition de l’acte criminel, qui fixe la portée de l’infraction, un exercice constitutionnellement acceptable du pouvoir en matière de droit criminel, qui réduit le champ de l’interdiction du droit criminel lorsqu’il existe certaines conditions. Je ne puis qualifier cela d’empiétement sur les pouvoirs des provinces, pas plus que les appelants n’ont eux‑mêmes été en mesure de le faire.

67 Comme le juge Stevenson le souligne, ce genre de mesure législative ne constitue pas un empiétement sur le pouvoir de réglementation des provinces; voir également les arrêts Attorney-General for British Columbia c. Attorney-General for Canada, [1937] A.C. 368 (C.P.), aux pp. 375 et 376; Boggs c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 49, aux pp. 60 et 61. C’est aussi vrai dans le cas d’une loi détaillée comme celle dont il est question en l’espèce, comme permet de le constater l’énoncé du juge Macdonald dans l’arrêt Standard Sausage, précité, aux pp. 506 et 507 (confirmé dans Wetmore, précité, et invoqué expressément dans RJR-MacDonald, précité). Cela repose sur des principes encore plus fondamentaux. Comme nous l’avons vu, il est question ici d’interdictions assorties de sanctions pénales, de sorte que ce qui nous intéresse vraiment est de savoir non pas si elles peuvent influer incidemment sur la propriété et les droits civils, mais si elles visent à remédier à un mal public. La question est exposée ainsi dans l’arrêt RJR-MacDonald, aux pp. 241 et 242:

Ces interdictions sont assorties de sanctions pénales en vertu de l’art. 18 de la Loi, lesquelles, comme le précise lord Atkin dans l’arrêt PATA, précité, à la p. 324, créent une indication du moins à première vue que la loi est de droit criminel. Cependant, l’autre question importante est de savoir si la Loi a également un objectif public sous‑jacent du droit criminel au sens où le décrit le juge Rand dans le Renvoi sur la margarine, précité. Comme le précise le juge Rand, la question est de savoir si l’interdiction assortie de sanctions pénales est dirigée contre un «mal» ou un effet nuisible pour le public.

68 À vrai dire, c’est un vaste champ de concurrence entre les pouvoirs du gouvernement fédéral et ceux des provinces dans des domaines assujettis à des interdictions criminelles, et les tribunaux ont été conscients de la nécessité de réserver un espace adéquat pour que les deux niveaux de gouvernement puissent exercer leur compétence. Le juge Dickson s’exprime ainsi dans l’arrêt Schneider c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 112, à la p. 134:

La ligne de démarcation entre le droit criminel et les lois provinciales qui pourraient être considérées comme des empiétements sur la compétence fédérale en matière de droit criminel n’a pas été tracée avec précision. Le professeur Hogg souligne, au chapitre 16 de son ouvrage intitulé Constitutional Law of Canada, que la jurisprudence a tendance à confirmer les lois provinciales de nature pénale; les arrêts récents sont favorables au pouvoir des provinces et [traduction] «Il s’ensuit qu’une bonne partie du domaine qu’on pourrait plus ou moins considérer comme relevant de la compétence législative en matière de droit criminel est de compétence concurrente» (à la p. 292).

Ce genre d’approche est essentiel pour traiter de sujets vagues comme la santé et l’environnement. Dans les motifs de dissidence que j’ai rédigés dans l’arrêt Crown Zellerbach, précité, (abordant une question que la Cour à la majorité n’avait pas analysée), voici ce que j’ai dit à ce sujet dans le contexte de la pollution de l’environnement (à la p. 455):

. . . la pollution de l’environnement se fait [. . .] sentir partout. C’est le sous‑produit de tout ce que nous faisons. Dans les rapports qu’a l’être humain avec son environnement, les déchets sont une chose inévitable. Le problème n’est donc pas nouveau, bien que ce ne soit que récemment que la vaste quantité de résidus déversés dans l’atmosphère ou dans l’eau ait commencé à excéder la capacité de l’atmosphère et de l’eau de les absorber et de les assimiler, à l’échelle planétaire. Il y a donc là un sujet de préoccupation et les gouvernements de tous paliers ont commencé à s’intéresser aux nombreuses activités qui causent la pollution. Au Canada, tant le gouvernement fédéral que ceux des provinces jouissent de pouvoirs étendus pour traiter ces problèmes. Les deux paliers de gouvernement ont adopté des programmes globaux et spécifiques de contrôle de la pollution et de protection de l’environnement. Certains problèmes de pollution de l’environnement intéressent plus directement le gouvernement fédéral, d’autres le gouvernement provincial. Mais beaucoup sont intimement liés et tous les paliers de gouvernement coopèrent activement pour régler ces problèmes d’intérêt mutuel; pour un exemple de cela, voir l’étude sur les Grands Lacs dans le rapport de la Commission mixte internationale, op. cit.

Je remarque que, en adoptant la loi en question dans la présente affaire, le Parlement était conscient du besoin de coopération et de coordination entre les autorités fédérales et provinciales. Cela est manifeste partout dans la Loi. Plus particulièrement, aux par. 34(2), (5) et (6), le Parlement a précisé que les dispositions de cette partie ne doivent pas s’appliquer lorsqu’une matière est, par ailleurs, réglementée en vertu d’une autre loi fédérale ou provinciale équivalente.

69 Dans l’arrêt Crown Zellerbach, j’ai exprimé des craintes au sujet de la possibilité d’accorder exclusivement au Parlement la compétence législative en matière de pollution de l’environnement. Je serais tout aussi craintif si on donnait une interprétation de la Constitution qui accorderait effectivement aux provinces, en vertu de pouvoirs généraux comme ceux relatifs à la propriété et aux droits civils, un contrôle sur l’environnement d’une manière qui empêcherait le Parlement d’exercer le leadership que la communauté internationale attend de lui et son rôle de protecteur des valeurs fondamentales des Canadiens en ce qui concerne l’environnement, au moyen de sa compétence en matière de droit criminel. Il faut faire preuve d’une grande perspicacité dans ce domaine car, comme le professeur Lederman l’a fait observer à juste titre, la pollution de l’environnement [traduction] «n’est pas un sujet limité, c’est un vaste sujet dont l’incidence législative se fait sentir presque partout»; voir W. R. Lederman, «Unity and Diversity in Canadian Federalism: Ideals and Methods of Moderation» (1975), 53 R. du B. can. 597, à la p. 610.

70 Quant à l’art. 35, j’ai mentionné qu’il est accessoire à l’art. 34. Il traite de situations d’urgence. La disposition, me semble‑t‑il, indique encore plus clairement l’existence d’un objectif de droit criminel et renseigne davantage sur le but de l’art. 34 et de la Loi en général. Il ne peut entrer en jeu que lorsque les ministres croient qu’une substance n’est pas inscrite sur la liste de l’annexe I ou y est inscrite sans toutefois être assujettie au contrôle fondé sur l’art. 34. En pareil cas, ils peuvent prendre un arrêté d’urgence relativement à la substance en cause s’ils croient qu’une «intervention immédiate est nécessaire afin de parer à tout danger appréciable soit pour l’environnement, soit pour la vie humaine ou la santé».

71 Somme toute, je suis donc d’avis que la partie II de la Loi, interprétée correctement, fournit simplement un moyen d’évaluer des substances en vue de déterminer si elles sont suffisamment toxiques pour être ajoutées à l’annexe I de la Loi (qui contient une liste de substances dangereuses provenant d’un texte législatif antérieur), qu’elle prescrit, par règlement pris en vertu de l’art. 34, les conditions auxquelles elles peuvent être utilisées et qu’elle comporte, à l’art. 35, des dispositions permettant de contourner les dispositions ordinaires de la partie II, relatives à la vérification et à la réglementation, dans les cas où une intervention immédiate est requise. J’ai adopté ce point de vue indépendamment de la présomption légale qu’un législateur entend se limiter aux matières relevant de sa compétence; voir Reference re Farm Products Marketing Act, [1957] R.C.S. 198, à la p. 255; Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1978] 2 R.C.S. 662, à la p. 688. Cependant, il s’ensuit que le point de vue que j’ai adopté supplanterait, en vertu de cette présomption, une interprétation éventuelle de la Loi qui la rendrait inconstitutionnelle.

72 Comme j’ai conclu que les dispositions habilitantes, les art. 34 et 35, sont constitutionnelles, la seule contestation dont pourrait faire l’objet toute action intentée en vertu de celles-ci consisterait à affirmer que cette action a excédé le pouvoir accordé par ces dispositions; dans la présente affaire, par exemple, elle pourrait consister à alléguer que les BPC ne posaient pas un «danger appréciable soit pour l’environnement, soit pour la vie humaine ou la santé» qui justifiait la prise d’un arrêté d’urgence. Ce serait, me semble-t-il, demander un peu trop. Il ne devrait pas être nécessaire de démontrer que les BPC sont des substances très toxiques. Ce fait est bien connu du grand public et est étayé par un nombre impressionnant d’études scientifiques tant au niveau national qu’au niveau international. J’énumère ici simplement des exemples d’études qui nous ont été cités: Organisation mondiale de la Santé, Programme des Nations Unies pour l’environnement et Organisation internationale du travail (rapport conjoint), Polychlorinated Biphenyls (PCBs) and Polychlorinated Terphenyls (PCTs) Health and Safety Guide (1992); S. Dobson et G. J. van Esch, Polychlorinated Biphenyls and Terphenyls (2e éd. 1993), Critères d’hygiène de l’environnement 140, Organisation mondiale de la Santé; R. J. Norstrom (Environnement Canada) et D. C. G. Muir (Ministère des Pêches et des Océans), «Chlorinated Hydrocarbon Contaminants in Arctic Marine Mammals», The Science of the Total Environment 154 (1994) 107 à 128; Programme des Nations Unies pour l’environnement, Global Environmental Issues, op. cit.; Environnement Canada, Ministère des Pêches et des Océans, Santé et Bien‑être social Canada, Les produits chimiques toxiques dans les Grands Lacs et leurs effets connexes (1991); J. L. et S. W. Jacobson, «A 4-year Followup Study of Children Born to Consumers of Lake Michigan Fish», Journal of Great Lakes Research, 19(4) (1993): 776 à 783; M. Gilbertson et autres, «Great Lakes Embryo Mortality, Edema, and Deformities Syndrome (GLEMEDS) in Colonial Fish‑eating Birds: Similarity to Chick-Edema Disease», Journal of Toxicology and Environmental Health, 33 (1991): 455 à 520; Conseil canadien des ministres des ressources et de l’environnement, La question des BPC (1986); Environnement Canada et Santé et Bien‑être social Canada, Background to the Regulation of Polychlorinated Biphenyls (PCB) in Canada: A report of the Task Force on PCB, April 1 1976 to the Environmental Contaminants Committee of Environment Canada and Health and Welfare Canada; Santé et Bien‑être social Canada, Examen de la toxicologie et des questions sanitaires relatives aux BPC (1978‑1982) (1985); OCDE, Protection of the Environment by Control of Polychlorinated Biphenyls (1973).

73 Selon ce qui ressort de ces études, on peut conclure que les BPC sont non seulement très toxiques, mais encore qu’ils durent longtemps et se décomposent très lentement dans l’eau, l’air ou le sol. Toutefois, ils se dissolvent facilement dans les tissus adipeux et autres composés organiques, de sorte qu’ils remontent la chaîne alimentaire grâce aux oiseaux et aux autres animaux pour éventuellement atteindre les êtres humains. Ils posent des risques importants de préjudice grave pour les animaux et les humains. De même, ils sont extrêmement mobiles. Ils s’évaporent du sol et de l’eau et franchissent de grandes distances dans l’atmosphère. On a trouvé des concentrations élevées de BPC chez divers animaux de l’Arctique qui vivent à des milliers de kilomètres de toute source majeure de BPC. L’ampleur des dangers qu’ils posent est illustrée par le fait qu’ils constituent la première substance qu’on a cherché à contrôler au Canada en vertu de la Loi sur les contaminants de l’environnement, qui a précédé la loi actuelle. Ils ont aussi été la première substance à être réglementée aux États‑Unis en vertu de la Toxic Substances Control Act, 15 U.S.C. § 2605c). Et en raison de la nature transfrontalière de la menace, ce sont les premières substances ciblées par une action conjointe du Canada, des États‑Unis et du Mexique par l’intermédiaire de la Commission de coopération environnementale établie en vertu de l’Accord de libre‑échange nord‑américain; voir Conseil des ministres de la C.C.E., résolution # 95-5 «Sound Management of Chemicals», oct. 1995; Bulletin du Secrétariat de la C.C.E., vol. 2, no 3, hiver-printemps 1996.

74 Je tiens à préciser que l’intimée et le mis en cause ne contestent pas la toxicité des BPC, mais soutiennent simplement que leur contrôle ne devrait pas relever exclusivement de la compétence fédérale. Ils soulignent aussi qu’il existe une étude (G. J. Farquhar et J. Sykes, PCB Behavior in Soils (1978), aux pp. 7, 8, 22, 23, 26, 33 et 34) qui indique que les BPC sont absorbés, demeurent stables et ne sont pas mobiles. J’ai déjà analysé la question de la concurrence. Quant à la mobilité, quel que soit le poids qu’on puisse attacher au rapport relativement à la question de l’intérêt national, il n’a rien à voir avec l’examen de la compétence fédérale en vertu du pouvoir en matière de droit criminel.

75 Je conclus donc que l’arrêté d’urgence est également valide en vertu du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867.

Dispositif

76 Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel du Québec et d’ordonner que l’affaire soit renvoyée au tribunal des poursuites sommaires pour qu’elle soit instruite conformément à la Loi. Je suis d’avis de répondre à la question constitutionnelle de la façon suivante:

Q. L’alinéa 6a) de l’Arrêté d’urgence sur les biphényles chlorés, C.P. 1989‑296, ainsi que les dispositions législatives habilitantes, les art. 34 et 35 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. (1985), ch. 16 (4e suppl.), relèvent‑ils en tout ou en partie de la compétence du Parlement du Canada de légiférer pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada en vertu de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 ou de la compétence en matière criminelle suivant le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, ou autrement?

R. Oui. Ils relèvent entièrement du pouvoir du Parlement de légiférer en vertu du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867. Il n’est pas nécessaire d’examiner la première partie de la question.

Pourvoi accueilli avec dépens, le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Iacobucci et Major sont dissidents.

Procureur de l’appelant: George Thomson, Montréal.

Procureurs de l’intimée: Ogilvy Renault, Montréal.

Procureur du mis en cause: Alain Gingras, Sainte‑Foy.

Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan: W. Brent Cotter, Regina.

Procureurs de l’intervenante IPSCO Inc.: MacPherson Leslie & Tyerman, Regina.

Procureurs de l’intervenante la Société pour vaincre la pollution inc.: Astell & Monette, Montréal.

Procureurs des intervenants Pollution Probe, Great Lakes United (Canada), Association canadienne du droit de l’environnement et Sierra Legal Defence Fund: Stewart A. G. Elgie et Paul R. Muldoon, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : [1997] 3 R.C.S. 213 ?
Date de la décision : 18/09/1997
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli. Les dispositions contestées sont valides en vertu de la compétence en matière de droit criminel

Analyses

Droit constitutionnel - Partage des compétences législatives - Protection de l’environnement - Loi fédérale habilitant des ministres à déterminer quelles substances sont toxiques et à interdire le rejet de ces substances dans l’environnement à moins que certaines conditions particulières soient respectées - La loi fédérale est‑elle valide? - Relève‑t‑elle de la compétence du Parlement de légiférer pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada? - Relève‑t‑elle de la compétence du Parlement en matière de droit criminel? - Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. (1985), ch. 16 (4e suppl.), art. 3 «environnement», «substance», 11, 34, 35 - Arrêté d’urgence sur les biphényles chlorés, C.P. 1989‑296, art. 6a) - Loi constitutionnelle de 1867, art. 91 (préambule), 91(27).

L’intimée aurait déversé des biphényles polychlorés (BPC) dans une rivière, au début de 1990. Elle a été accusée d’avoir commis deux infractions en vertu de l’al. 6a) de l’Arrêté d’urgence sur les biphényles chlorés, qui a été pris et mis à exécution conformément aux art. 34 et 35 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement. Les articles 34 et 35 figurent à la partie II de la Loi, intitulée «Substances toxiques». La partie II traite d’abord de l’identification de substances susceptibles de mettre en danger l’environnement ou la vie et la santé humaines, et elle établit ensuite la procédure à suivre pour les ajouter à la liste des substances toxiques de l’annexe I (qui contient une liste de substances dangereuses provenant d’un texte législatif antérieur), et pour imposer, par voie de règlement, les conditions à respecter pour que les substances ainsi énumérées puissent être rejetées dans l’environnement. Selon l’art. 11 de la Loi, est toxique toute substance «qui pénètre ou peut pénétrer dans l’environnement» dans des conditions «de nature à [. . .] avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement», à «mettre en danger l’environnement essentiel pour la vie humaine» ou à «constituer un danger au Canada pour la vie ou la santé humaine». L’article 3 définit le terme «substance» comme étant «[t]oute matière organique ou inorganique, animée ou inanimée, distinguable» et le terme «environnement» comme étant l’«[e]nsemble des conditions et des éléments naturels de la terre». L’article 34 prescrit la réglementation des substances inscrites sur la liste des substances toxiques. L’article 35 est accessoire à l’art. 34. Il prévoit que, lorsqu’une substance n’est pas inscrite sur la liste de l’annexe I (ou lorsqu’elle y est inscrite mais que les ministres de l’Environnement et de la Santé croient qu’elle n’est pas réglementée comme il convient) et que les ministres croient qu’une intervention immédiate est nécessaire, un «arrêté d’urgence» peut être pris relativement à celle‑ci. Ces arrêtés peuvent comporter les mêmes dispositions qu’un règlement pris aux termes de l’art. 34, mais ils ne demeurent en vigueur que pendant 14 jours, à moins d’être approuvés par le gouverneur en conseil. Le défaut de se conformer à un règlement pris sous le régime de l’art. 34 ou à un arrêté pris aux termes de l’art. 35 constitue une infraction en vertu de l’art. 113 de la Loi. L’intimée a déposé une requête en vue de faire déclarer que les art. 34 et 35 de la Loi ainsi que l’art. 6a) de l’arrêté d’urgence lui‑même excèdent la compétence du Parlement du Canada pour le motif qu’ils ne relèvent d’aucun chef de compétence fédérale énoncé à l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le procureur général du Québec est intervenu à l’appui de la position de l’intimée. La requête a été accueillie par la Cour du Québec et un appel interjeté devant la Cour supérieure a été rejeté. Un autre appel interjeté devant la Cour d’appel a, lui aussi, été rejeté.

Arrêt (le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Iacobucci et Major sont dissidents): Le pourvoi est accueilli. Les dispositions contestées sont valides en vertu de la compétence en matière de droit criminel.

Les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin: L’environnement n’est pas, comme tel, un domaine de compétence législative en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867. Il s’agit plutôt d’un sujet diffus qui touche plusieurs domaines différents de responsabilité constitutionnelle, dont certains sont fédéraux et d’autres provinciaux. Si une disposition relative à l’environnement relève, de par son caractère véritable, de l’un des pouvoirs attribués au corps législatif qui l’a adoptée, elle est alors constitutionnellement valide.

En vertu du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement a été investi du plein pouvoir d’adopter des règles de droit criminel au sens le plus large du terme. Il relève entièrement du pouvoir discrétionnaire du Parlement de décider quel mal il désire supprimer au moyen d’une interdiction pénale et quel intérêt menacé il souhaite ainsi sauvegarder. Aux termes du par. 91(27), il relève également du pouvoir discrétionnaire du Parlement de déterminer le degré de culpabilité qu’il souhaite attacher à une interdiction criminelle. Ce pouvoir est assujetti, naturellement, aux exigences de la «justice fondamentale» prescrites à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui peuvent dicter un degré plus élevé de mens rea dans le cas des crimes graves ou «proprement dits». La Charte mise à part, la seule réserve dont a été assorti le plein pouvoir du Parlement en matière de droit criminel est qu’il ne peut pas être utilisé de façon déguisée. Comme d’autres pouvoirs législatifs, il ne peut pas permettre au Parlement, simplement en légiférant de la manière appropriée, d’empiéter spécieusement sur des domaines de compétence législative provinciale exclusive. Pour déterminer si on est en présence d’une telle tentative, il convient de déterminer si l’interdiction se fonde sur un objectif public légitime

La protection de l’environnement, au moyen d’interdictions concernant les substances toxiques, constitue un objectif public tout à fait légitime dans l’exercice de la compétence en matière de droit criminel. La protection de l’environnement est un problème international qui exige une action des gouvernements de tous les niveaux. Le recours légitime au droit criminel ne constitue nullement un empiétement sur la compétence législative provinciale, bien qu’il puisse toucher à des matières qui en relèvent. Le Parlement peut, en vertu de sa compétence en matière de droit criminel, édicter validement des interdictions relatives à des actes précis en vue de prévenir la pollution. Cela ne constitue pas un empiétement sur les compétences législatives d’une province. Le recours à la compétence fédérale en matière de droit criminel n’empêche nullement les provinces d’exercer les vastes pouvoirs que leur confère l’art. 92 pour réglementer et limiter la pollution de l’environnement de façon indépendante ou de concert avec des mesures fédérales.

La formulation large est inévitable dans une loi sur la protection de l’environnement en raison de l’ampleur et de la complexité du sujet. Exiger une plus grande précision aurait pour effet de faire échouer la législature dans sa tentative de protéger le public contre les dangers découlant de la pollution. La partie II de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement traite non pas de la protection de l’environnement en général, mais simplement du contrôle de substances toxiques qui peuvent être rejetées dans l’environnement dans certains circonstances limitées, au moyen d’une série d’interdictions assorties de sanctions pénales. La Loi visait non pas à interdire l’utilisation, l’importation ou la fabrication de tous les produits chimiques, mais plutôt à ne toucher que les substances qui sont dangereuses pour l’environnement, et seulement si elles ne sont pas par ailleurs réglementées par la loi. La partie II a généralement pour objet et pour effet de prescrire une procédure permettant d’évaluer si, parmi les nombreuses substances qui peuvent, en théorie, être visées par l’art. 11, certaines devraient être ajoutées à la liste des substances toxiques de l’annexe I, et de déterminer, lorsqu’on prend un arrêté en ce sens, s’il y a lieu d’interdire, sous peine de sanction, l’utilisation de la substance ainsi ajoutée de la manière prévue dans le règlement pris en vertu du par. 34(1). Ces substances inscrites sur la liste, toxiques au sens ordinaire du terme, sont celles que la Loi interdit, en fin de compte, d’utiliser d’une manière contraire au règlement. C’est une interdiction limitée qui s’applique à un nombre limité de substances. L’interdiction est assortie d’une peine en cas de non‑respect et s’appuie sur un objectif pénal valide et est donc une mesure législative pénale valide. Le ciblage précis de substances toxiques fondé sur une évaluation individuelle évite de recourir à des interdictions inutilement larges et à leur incidence sur l’exercice de pouvoirs provinciaux.

L’arrêté d’urgence est également valide en vertu du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867. Les BPC sont non seulement très toxiques, mais encore ils durent longtemps et se décomposent très lentement dans l’eau, l’air ou le sol. Ils sont aussi extrêmement mobiles. De même, ils se dissolvent facilement dans les tissus adipeux et autres composés organiques, de sorte qu’ils remontent la chaîne alimentaire. Ils posent des risques importants de préjudice grave pour les animaux et les humains.

Il n’est pas nécessaire de déterminer si les dispositions contestées relèvent de la compétence du Parlement pour légiférer relativement à la paix, à l’ordre et au bon gouvernement du Canada.

Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Iacobucci et Major (dissidents): Le caractère véritable de la partie II de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement réside dans la réglementation systématique, par des organismes fédéraux, de toutes les substances susceptibles d’avoir un effet nocif sur un aspect de l’environnement, ou de présenter un danger pour la vie ou la santé humaine. Même si le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 a attribué au Parlement la compétence vaste et exclusive pour légiférer en matière de droit criminel, la compétence en matière de droit criminel a toujours été assujettie à deux exigences: les lois censées être maintenues en vertu du par. 91(27) doivent contenir des interdictions assorties de peines et elles doivent viser un objectif public légitime. Bien qu’il ait été déterminé que la protection de la santé humaine constitue un objectif public légitime, la mesure législative contestée va bien au-delà de cet objectif. Cependant, la protection de l’environnement constitue également un objectif valide du droit criminel.

Même si les dispositions contestées visent un objectif légitime en matière criminelle, elles ne satisfont pas à l’autre moitié du critère. Elles visent non pas à interdire la pollution de l’environnement, mais simplement à la réglementer et ne peuvent donc pas être qualifiées de droit criminel au sens du par. 91(27). Bien qu’une loi en matière criminelle puisse validement comporter des exemptions relativement à certaines conduites sans pour autant perdre son caractère, pour qu’il y ait exemption, il faut d’abord qu’il y ait une interdiction dans la loi dont découle cette exemption. La loi faisant l’objet du présent pourvoi ne contient aucune interdiction de cette nature. Les articles 34 et 35 ne définissent pas une infraction. Ils établissent plutôt un régime de réglementation en vertu duquel les ministres de la Santé et de l’Environnement peuvent, de manière continue, inscrire des substances sur la liste des substances toxiques et définir les normes de conduite relatives à ces substances. Ce serait un crime singulier dont la définition a été laissée à l’entière discrétion du pouvoir exécutif. Les interdictions prévues à l’art. 113, telles qu’elles existent, sont accessoires au régime de réglementation, et non l’inverse. Cela laisse fortement entendre que la Loi est axée sur la réglementation plutôt que sur les interdictions. L’article 34 permet la réglementation de tous les aspects imaginables des substances toxiques. Il est fort improbable que le Parlement ait eu l’intention de laisser la criminalisation d’un aussi vaste domaine de comportement à la discrétion des ministres. De plus, les dispositions équivalentes mentionnées au par. 34(6) de la Loi, selon lequel une province peut être exemptée de l’application des règlements lorsque des dispositions équivalentes à ces règlements y sont déjà en vigueur, laissent fortement présumer que les règlements fédéraux sont de nature réglementaire et non pas criminelle, puisque toute loi en matière d’environnement adoptée par une province doit être de nature réglementaire. Enfin, le fait d’accorder au Parlement le pouvoir de réglementer de façon aussi complète le rejet de substances dans l’environnement par la détermination de leur nature «toxique» ou non éliminerait inévitablement la possibilité d’avoir une compétence partagée en matière d’environnement et empiéterait de façon considérable sur d’autres chefs de compétence provinciale.

Tenant pour acquis que la protection de l’environnement et de la vie et de la santé humaines contre toutes les substances potentiellement nocives pourrait constituer une «nouvelle matière» relevant de la compétence concernant la paix, l’ordre et le bon gouvernement, cette matière n’a pas l’unicité, la particularité et l’indivisibilité requises qui la distinguent clairement des matières d’intérêt provincial. La définition des «substances toxiques» à l’art. 11, conjuguée à celle du mot «substance» à l’art. 3, est une définition générale sans limites précises. Même si l’art. 15 énonce effectivement certains critères pour raffiner la notion de «substance toxique», il ne restreint pas la définition large donnée à cette notion, mais ne fait qu’offrir des lignes directrices en matière d’enquête. En outre, le processus d’enquête prévu à l’art. 15 peut être complètement évité lorsqu’un arrêté d’urgence est pris conformément à l’art. 35. Quant aux limites géographiques, même si le préambule de la Loi laisse entendre qu’elle ne s’applique qu’aux substances «qu’il n’est pas toujours possible de circonscrire au territoire touché», ni la partie II ni les dispositions habilitantes en cause ne contiennent une véritable restriction fondée sur des considérations territoriales. Le fait que la partie II n’établisse aucune distinction entre des types de substances toxiques, que ce soit en fonction de leur degré de persistance et de diffusion dans l’environnement et de la sévérité de leur effet nocif, ou de leurs aspects extraprovinciaux, démontre que les dispositions habilitantes n’ont pas l’unicité, la particularité et l’indivisibilité requises. Dans la mesure où la partie II de la Loi inclut la réglementation de «substances toxiques» susceptibles de toucher uniquement la province où elles émanent, l’appelant a le lourd fardeau d’établir que les provinces elles‑mêmes seraient incapables de réglementer ces émissions toxiques, fardeau dont il ne s’est pas acquitté.

La loi contestée ne peut pas se justifier en tant qu’exercice de la compétence fédérale en matière d’échanges et de commerce.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Hydro-Québec

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge La Forest
Arrêts mentionnés: Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3
R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] 1 R.C.S. 401
Reference re Validity of Section 5(a) of the Dairy Industry Act, [1949] R.C.S. 1
RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199
R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463
Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273
Renvoi sur la Loi anti‑inflation, [1976] 2 R.C.S. 373
Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213
Attorney‑General for Ontario c. Hamilton Street Railway Co., [1903] A.C. 524
Proprietary Articles Trade Association c. Attorney‑General for Canada, [1931] A.C. 310
R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154
R. c. Rube, [1992] 3 R.C.S. 159
Scowby c. Glendinning, [1986] 2 R.C.S. 226
Lord’s Day Alliance of Canada c. Attorney General of British Columbia, [1959] R.C.S. 497
Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031
Standard Sausage Co. c. Lee, [1933] 4 D.L.R. 501
Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297
R. c. Cosman’s Furniture (1972) Ltd. (1976), 32 C.C.C. (2d) 345
Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616
R. c. Wetmore, [1983] 2 R.C.S. 284
R. c. Furtney, [1991] 3 R.C.S. 89
Attorney‑General for British Columbia c. Attorney‑General for Canada, [1937] A.C. 368
Boggs c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 49
Schneider c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 112
Reference re Farm Products Marketing Act, [1957] R.C.S. 198
Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1978] 2 R.C.S. 662.
Citée par le juge en chef Lamer et le juge Iacobucci (dissidents)
R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] 1 R.C.S. 401
Reference re Validity of Section 5(a) of the Dairy Industry Act, [1949] R.C.S. 1
Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3
R. c. Sault Ste‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299
Renvoi sur la Loi anti‑inflation, [1976] 2 R.C.S. 373
Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031
RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199
Scowby c. Glendinning, [1986] 2 R.C.S. 226
Boggs c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 49
Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Procureur général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 914
R. c. Wetmore, [1983] 2 R.C.S. 284
Knox Contracting Ltd. c. Canada, [1990] 2 R.C.S. 338
R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463
R. c. Hauser, [1979] 1 R.C.S. 984
Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425
R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627
Lord’s Day Alliance of Canada c. Attorney General of British Columbia, [1959] R.C.S. 497
R. c. Furtney, [1991] 3 R.C.S. 89
R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154
Attorney General of Nova Scotia c. Attorney General of Canada, [1951] R.C.S. 31
General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641.
Lois et règlements cités
Arrêté d’urgence sur les biphényles chlorés, C.P. 1989‑296, art. 6a).
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 8.
Liste des substances d’intérêt prioritaire, Gazette du Canada, partie I, 11 février 1989, p. 543.
Liste intérieure des substances, DORS/94‑311 [mod. DORS/95‑517].
Liste intérieure des substances, TR/91‑148, Gazette du Canada, partie I suppl., 26 janvier 1991.
Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. (1985), ch. 16 (4e suppl.), préambule, art. 2j), 3 «environnement», «substance», 6, 11, 12, 13, 15 [mod. 1992, ch. 1, art. 35], 16, 18, 26, 32, 33, 34 [mod. 1989, ch. 9, art. 2
mod. 1992, ch. 1, art. 15], 35, 113f), i), o), p), 114, 115(1)a), b), 125(1).
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91 (préambule), 91(27), 92.
Loi réglementant les produits du tabac, L.C. 1988, ch. 20, art. 4, 9.
Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F‑27, art. 3, 4, 5(1), 8, 9(1), 14, 16, 20(1).
Loi sur les contaminants de l’environnement, L.R.C. (1985), ch. E‑12 [abr. ch. 16 (4e suppl.), art. 147], art. 4, 7(2).
Loi sur les explosifs, L.R.C. (1985), ch. E‑17.
Loi sur les produits dangereux, L.R.C. (1985), ch. H‑3.
Règlement sur les additifs antimousse et les copeaux de bois utilisés dans les fabriques de pâtes et papiers, DORS/92‑268.
Règlement sur les dioxines et les furannes chlorés dans les effluents des fabriques de pâtes et papiers, DORS/92‑267.
Toxic Substances Control Act, 15 U.S.C. § 2605c).
Doctrine citée
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Proposition de citation de la décision: R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213 (18 septembre 1997)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1997-09-18;.1997..3.r.c.s..213 ?
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