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30/10/1997 | CANADA | N°[1997]_3_R.C.S._767

Canada | Gold c. Rosenberg, [1997] 3 R.C.S. 767 (30 octobre 1997)


Gold c. Rosenberg, [1997] 3 R.C.S. 767

Jeffrey Lorne Gold Appelant

c.

Primary Developments Limited et

la Banque Toronto‑Dominion Intimées

Répertorié: Gold c. Rosenberg

No du greffe: 25064.

1997: 21 mai; 1997: 30 octobre.

Présents: Les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1995), 25 O.R. (3d) 601, 129 D.L.R. (4th) 152, 86 O.A.C. 116, 9 E.T.R. (2d) 93, [1995] O.J. No. 3156 (QL), qu

i a infirmé la décision de la Cour de l’Ontario (Division générale), [1993] O.J. No. 2994 (QL), qui avait imposé à la banq...

Gold c. Rosenberg, [1997] 3 R.C.S. 767

Jeffrey Lorne Gold Appelant

c.

Primary Developments Limited et

la Banque Toronto‑Dominion Intimées

Répertorié: Gold c. Rosenberg

No du greffe: 25064.

1997: 21 mai; 1997: 30 octobre.

Présents: Les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1995), 25 O.R. (3d) 601, 129 D.L.R. (4th) 152, 86 O.A.C. 116, 9 E.T.R. (2d) 93, [1995] O.J. No. 3156 (QL), qui a infirmé la décision de la Cour de l’Ontario (Division générale), [1993] O.J. No. 2994 (QL), qui avait imposé à la banque défenderesse une fiducie par interprétation. Pourvoi rejeté, les juges La Forest, Cory et Iacobucci sont dissidents.

John D. Brownlie, c.r., et John J. Lucki, pour l’appelant.

Personne n’a comparu pour l’intimée Primary Developments Limited.

R. Ross Wells et Sherry A. Currie, pour l’intimée la Banque Toronto‑Dominion.

//Le juge Iacobucci//

Version française des motifs des juges La Forest, Cory et Iacobucci rendus par

1 Le juge Iacobucci (dissident) -- Le présent pourvoi soulève la question de savoir dans quel cas une personne sera responsable de réception en connaissance de cause de biens en fiducie.

1. Les faits

2 Abraham Rosenberg («le testateur») est décédé le 30 mars 1985. Il avait nommé son fils, Maurice Rosenberg («Rosenberg»), et son petit-fils, l’appelant Jeffrey Gold, exécuteurs et bénéficiaires à parts égales du reliquat de sa succession. Les biens de la succession consistaient principalement en des biens immeubles commerciaux détenus par deux compagnies: Primary Developments Ltd. et Existing Enterprises Ltd. (les «compagnies de la succession»).

3 Tant du vivant qu’après le décès du testateur, Rosenberg a participé de près à la gestion des compagnies de la succession. Gold n’avait cependant pas participé aux affaires de la succession.

4 En 1985, peu après le décès du testateur, Rosenberg a demandé à Gold de signer une procuration générale qui lui permettrait de continuer à gérer les compagnies de la succession. Gold a accepté.

5 Rosenberg avait d’autres intérêts commerciaux à part les compagnies de la succession. Il détenait, avec son épouse, toutes les actions de Trojan Self-Storage Mini‑Warehouse Ltd. («Trojan»).

6 Le testateur, les compagnies de la succession, Rosenberg et Trojan avaient tous un compte à la Banque Toronto-Dominion intimée. Un seul directeur des comptes s’occupait de tous ces comptes, Kenneth Slack. Monsieur Slack connaissait en détail le testament du testateur et possédait une copie de la procuration de Gold.

7 En juillet 1989, la banque tentait d’obtenir le remboursement d’un prêt personnel de 300 000 $ consenti à Rosenberg et d’un prêt de 130 000 $US consenti à l’une des compagnies de Rosenberg. À la même époque, Rosenberg voulait qu’on lui prête d’autres sommes considérables s’élevant à environ 3,9 millions de dollars. Lui et M. Slack ont fini par conclure un accord mutuellement satisfaisant, en vertu duquel les éléments d’actif des deux compagnies de la succession serviraient au remboursement des dettes personnelles de Rosenberg et à l’obtention du nouveau prêt. L’accord comportait les modalités suivantes, qui sont pertinentes en l’espèce:

La banque consentait à prêter 3,9 millions de dollars à Trojan à la condition de recevoir une garantie de 1,2 million de dollars de l’une des compagnies de la succession. Cette garantie serait assortie des éléments suivants:

(i) une hypothèque subsidiaire de deuxième rang de 1,2 million de dollars sur une propriété de Primary, sise au 156, rue Columbia, à Waterloo;

(ii) la cession de rang d’une hypothèque de 200 000 $ détenue par Existing sur une propriété de Trojan, en faveur d’une nouvelle hypothèque de 4 millions de dollars devant être consentie à la banque par Trojan.

8 Le cabinet d’avocats Sills, Madorin de Kitchener, qui était défendeur au procès (et qui n’a pas interjeté appel contre le jugement rendu contre lui), donnait des avis juridiques aux personnes suivantes: la succession, Primary, Existing, Rosenberg, Trojan et, sur certaines questions, la banque intimée.

9 Pour que la convention de prêt devienne exécutoire, il fallait la signature de Gold sur certains documents, plus particulièrement sur une résolution des administrateurs de Primary, qui autorisait la garantie. Le 28 juillet 1989, le cabinet d’avocats a préparé une résolution des administrateurs de Primary de même que le formulaire de garantie de 1,2 million de dollars. Rosenberg a signé les deux documents le 28 juillet 1989. Gold a signé la résolution des administrateurs entre le 13 septembre 1989 et le 20 octobre de la même année.

10 À l’égard de la garantie, le cabinet d’avocats a envoyé à la banque une lettre d’opinion datée du 1er août 1989. La lettre précisait:

[traduction] L’autorisation, l’exécution et la délivrance de ladite garantie par la compagnie ne contreviennent aux modalités, conditions ou dispositions d’aucune loi ou convention à laquelle la compagnie est assujettie ou est partie.

Dans la lettre qui accompagnait la lettre d’opinion, le cabinet d’avocats a indiqué que la résolution des administrateurs devait être signée par Gold et Rosenberg et que Gold ne l’avait pas encore signée.

11 La banque a néanmoins consenti les nouveaux prêts à Trojan. La résolution des administrateurs a été, par la suite, signée par Gold.

12 En novembre 1989, Gold a révoqué la procuration qu’il avait accordée à Rosenberg. Le 14 janvier 1993, Gold a déposé une déclaration contre Rosenberg, Primary, la banque et le cabinet d’avocats Sills, Madorin. Gold sollicitait un jugement déclarant que la garantie de 1,2 million de dollars donnée à la banque par Primary était invalide et inexécutoire. Subsidiairement, Gold demandait à être indemnisé de toute perte qu’il pourrait subir si la garantie était exécutée. La banque a présenté une demande entre défendeurs contre Primary en vue d’obtenir l’exécution de la garantie.

2. Les juridictions inférieures

A. Cour de justice de l’Ontario (Division générale), [1993] O.J. No. 2994 (QL)

13 Selon le juge Haley, la responsabilité de la banque dépend de la question de savoir si elle a sciemment aidé à commettre un manquement à une obligation fiduciaire. Citant l’arrêt MacDonald c. Hauer, [1977] 1 W.W.R. 51 (C.A. Sask.), le juge de première instance a affirmé que, pour obtenir des dommages-intérêts dans un cas d’aide apportée en connaissance de cause, le demandeur doit établir ce qui suit:

(1) l’existence d’une aide apportée par le défendeur à un fiduciaire nommé,

(2) en connaissance de cause,

(3) en vue de réaliser un dessein malhonnête et frauduleux du fiduciaire nommé.

En ce qui concerne le troisième élément susmentionné, le juge Haley a expliqué qu’il n’était pas nécessaire que le «dessein malhonnête et frauduleux» constitue un crime. Le critère était plutôt de savoir si, en equity, ce dessein serait considéré comme [traduction] «moralement répréhensible» (par. 12).

14 Quant aux faits de l’affaire, le juge Haley a conclu que le testament du testateur avait créé une fiducie et que Rosenberg était l’un des fiduciaires. Elle a aussi conclu que le rapport entre Rosenberg et Gold était de nature à imposer à Rosenberg des obligations fiduciaires (au par. 13):

[traduction] En agissant en vertu de la procuration que lui avait donnée Gold relativement à sa charge d’exécuteur testamentaire, Rosenberg avait une obligation fiduciaire envers Gold aux termes de cette procuration et aussi parce que ce dernier était bénéficiaire à 50 pour 100 de la succession.

15 Le juge de première instance a ensuite conclu que Rosenberg avait manqué à son obligation fiduciaire de trois façons:

(1) en amenant Primary à accorder une garantie de 1,2 million de dollars à la banque;

(2) en amenant Primary à assortir sa garantie d’une hypothèque subsidiaire de deuxième rang sur sa propriété du 156, rue Columbia, à Waterloo;

(3) en amenant Existing Developments à céder son rang quant à une hypothèque de 200 000 $ qu’elle détenait sur une propriété de Trojan, en faveur d’une hypothèque subsidiaire de deuxième rang détenue par la banque.

Selon le juge de première instance, ces opérations étaient [traduction] «frauduleuses et malhonnêtes» et l’affaire relevait donc du droit en matière d’aide apportée en connaissance de cause.

16 Examinant ensuite la question de la responsabilité de la banque, le juge Haley a conclu que la banque, en prenant toutes les dispositions pour que soient effectuées ces opérations de garantie, avait aidé Rosenberg à réaliser un dessein frauduleux et malhonnête. Par conséquent, il restait seulement à savoir si la banque avait offert son aide avec le degré de connaissance requis pour engager sa responsabilité. Le juge de première instance a déclaré (au par. 14):

[traduction] L’élément crucial qui doit être considéré est de savoir si la banque, lorsqu’elle a apporté son aide, avait la connaissance, de fait ou présumée, que:

a) le dessein était malhonnête et frauduleux;

b) elle aidait Rosenberg à réaliser ce dessein malhonnête et frauduleux.

17 Dans le cadre de cet examen, le juge de première instance a concentré son attention sur Kenneth Slack, le directeur des comptes de Toronto-Dominion. Elle a souligné plus particulièrement les éléments de preuve suivants:

(1) Slack connaissait en détail le testament du testateur.

(2) Il savait que Gold ne jouait aucun rôle dans la gestion de la succession.

(3) Il savait que Gold avait signé une procuration en faveur de Rosenberg.

(4) Il savait que la garantie et ses opérations connexes ne pouvaient absolument pas profiter à Gold.

Pour tous ces motifs, le juge de première instance a conclu que la banque avait eu la connaissance de fait du manquement frauduleux et malhonnête de Rosenberg à une obligation fiduciaire. Elle a dit (au par. 66):

[traduction] Compte tenu de tout ce que Slack savait en juillet 1989, lorsque la garantie a été donnée, et, par conséquent, de ce que la banque savait elle aussi, je conclus que la banque savait que ce que Rosenberg faisait à titre de fiduciaire était malhonnête et frauduleux . . .

18 Par conséquent, le juge Haley a imposé à la banque une fiducie par interprétation en faveur de Gold, en ces termes (au par. 75):

[traduction] . . . je conclus que, en equity, il devrait être imposé à la banque une fiducie par interprétation en faveur de Jeffrey Gold quant aux biens de la succession représentant son intérêt bénéficiaire de 50 pour 100, et je déclare que la garantie de 1,2 million de dollars donnée à la banque par Primary est inexécutoire de même que l’hypothèque subsidiaire de la banque sur la propriété sise au 156, rue Columbia, et la cession de rang de l’hypothèque subsidiaire de troisième rang d’Existing sur la propriété sise au 555, promenade Fairway, accordées dans le cadre de la garantie.

B. Cour d’appel de l’Ontario (1995), 25 O.R. (3d) 601

19 À l’instar du juge de première instance, la Cour d’appel a tenu pour acquis que la responsabilité dépendait seulement de la question de savoir si la banque défenderesse avait sciemment aidé Rosenberg à commettre un manquement frauduleux et malhonnête à une obligation fiduciaire. Le juge Laskin a appliqué, au nom de la Cour d’appel à l’unanimité, le critère de l’aide apportée en connaissance de cause établi dans l’arrêt Air Canada c. M & L Travel Ltd., [1993] 3 R.C.S. 787. Selon cet arrêt, pour que la Banque Toronto-Dominion se voit imposer une responsabilité fondée sur l’aide apportée en connaissance de cause, le demandeur doit prouver ce qui suit:

(1) que Rosenberg était un fiduciaire des biens de Primary;

(2) que, amenant Primary à donner la garantie, Rosenberg avait commis un manquement frauduleux et malhonnête à une obligation fiduciaire;

(3) que la banque avait participé à la dation de la garantie;

(4) que la banque était au courant de la fraude et de la malhonnêteté de Rosenberg, ou qu’elle avait fait preuve d’ignorance volontaire à ce sujet.

20 Le juge Laskin était d’accord avec le juge de première instance pour dire que le demandeur avait prouvé l’existence des premier et troisième éléments. Cependant, la Cour d’appel n’était pas d’accord avec la conclusion du juge de première instance quant à savoir si Rosenberg avait commis un manquement frauduleux et malhonnête à une obligation fiduciaire. Pour tirer sa conclusion, la Cour d’appel s’est appuyée sur le fait qu’en définitive Gold avait signé la résolution des administrateurs qui autorisait la garantie. En signant cette résolution, Gold avait effectivement consenti à donner la garantie, et ainsi consenti au manquement à l’obligation fiduciaire. Ce consentement, s’il avait été donné validement, annihilerait toute conclusion à l’existence d’un manquement malhonnête à une obligation fiduciaire. Le juge Laskin écrit (aux pp. 607 et 608):

[traduction] Le bénéficiaire qui consent validement au manquement à une obligation fiduciaire avant qu’il soit commis ne peut demander à être indemnisé par le fiduciaire relativement aux pertes qui peuvent subvenir ultérieurement. [. . .] Ce principe implique logiquement que le consentement du bénéficiaire annihile une conclusion à l’existence d’un manquement malhonnête à une obligation fiduciaire.

La Cour d’appel a examiné les faits entourant la signature de la résolution des administrateurs et a conclu que Gold comprenait la nature de la garantie et qu’il était conscient du risque que cela présentait quant à sa part de la succession. Le juge Laskin affirme (à la p. 607):

[traduction] [L]e dossier démontre que Gold savait ce qu’était une garantie, qu’il connaissait la raison de cette garantie et qu’il savait quelles étaient les conséquences possibles de son autorisation. Il n’a pas été induit en erreur quant à l’objet, à l’effet ou au risque de son approbation. En conséquence, le consentement de Gold était valide.

En raison de sa validité, le consentement de Gold empêchait de conclure que Rosenberg avait commis un manquement frauduleux et malhonnête à une obligation fiduciaire. Il ne s’agissait donc pas d’un cas d’aide apportée en connaissance de cause.

21 La conclusion susmentionnée (selon laquelle Rosenberg n’avait pas commis un manquement frauduleux et malhonnête à une obligation fiduciaire) était suffisante pour trancher l’action de Gold contre la banque. Néanmoins, le juge Laskin a entrepris d’examiner la question de savoir si la banque avait eu connaissance du manquement à une obligation fiduciaire.

22 Selon la Cour d’appel, le juge de première instance avait manifestement commis une erreur en concluant que la banque avait la connaissance de fait du manquement à une obligation fiduciaire. Plus particulièrement, le juge Laskin a statué que le juge de première instance n’avait pas accordé suffisamment d’importance à la lettre d’opinion de Sills, Madorin, qui précisait que la garantie était valide. Le juge Laskin dit (à la p. 610):

[traduction] [La lettre d’opinion] a sans doute rassuré la banque que la garantie n’était pas entachée de fraude. Cependant, le juge de première instance n’a pas mentionné la lettre d’opinion.

Vu la teneur de la lettre d’opinion, la Cour d’appel a conclu que, contrairement à ce que le juge de première instance avait conclu, la banque n’était pas au courant du manquement frauduleux et malhonnête de Rosenberg à une obligation fiduciaire et qu’elle n’avait pas non plus fait preuve d’ignorance volontaire à cet égard. Le juge Laskin affirme (à la p. 610):

[traduction] Même si Rosenberg avait induit Gold en erreur au sujet de l’effet de la garantie, la banque n’était pas au fait de leur discussion et il n’y a aucune autre preuve que la banque savait que Gold avait été induit en erreur. En l’absence de cette connaissance, la banque peut se dissocier de la malhonnêteté de Rosenberg.

23 Par conséquent, la Cour d’appel a accueilli l’appel et rejeté l’action de Gold contre la banque, avec dépens.

3. Les questions en litige

24 (1) La banque intimée est-elle responsable selon la règle de l’aide apportée en connaissance de cause?

(2) La banque intimée est-elle responsable selon la règle de la réception en connaissance de cause?

4. Analyse

25 Au départ, je tiens à souligner que j’ai pris connaissance des motifs de mon collègue le juge La Forest dans l’arrêt Citadelle (La), Cie d’assurances générales c. Banque Lloyds du Canada, [1997] 3 R.C.S. 805, et que je partage généralement son point de vue concernant la responsabilité pour réception en connaissance de cause. En fait, je crois, comme lui, que nos motifs adoptent un point de vue similaire.

26 Une personne qui n’a pas été nommée fiduciaire peut, dans certaines circonstances, se voir imputer les responsabilités du fiduciaire. Dans l’arrêt Barnes c. Addy (1874), L.R. 9 Ch. App. 244, le lord chancelier Selborne a expliqué qu’il existe trois cas où le manquement à une obligation fiduciaire peut engager la responsabilité d’un tiers à la fiducie. Premièrement, une personne peut être responsable à titre de fiduciaire «de son tort». Les faits de la présente affaire ne requièrent pas l’examen de cette catégorie de responsabilité. Deuxièmement, une personne sera responsable si elle a sciemment aidé à commettre un manquement frauduleux et malhonnête à une obligation fiduciaire. Ce type de responsabilité est connu sous le nom d’«aide apportée en connaissance de cause». Et, troisièmement, selon ce que l’on peut déduire quant à la connaissance, l’equity peut imposer une responsabilité si le défendeur a reçu de son propre chef un bien obtenu grâce à un manquement à une obligation fiduciaire. Cette dernière catégorie de responsabilité est connue sous le nom de «réception en connaissance de cause».

27 C’est dans l’arrêt Air Canada, précité, à la p. 810, que notre Cour a, le plus récemment, exprimé son approbation du système de classification de Barnes c. Addy:

Outre le cas du fiduciaire «de son tort», il y avait donc traditionnellement deux manières dont un tiers pouvait être tenu personnellement responsable envers les bénéficiaires à titre de participant à la violation d'une obligation fiduciaire: soit parce qu'il avait reçu des biens en fiducie et devait en rendre compte, soit parce qu'il avait sciemment aidé les fiduciaires à réaliser un dessein malhonnête et frauduleux. La première catégorie de fiducie par interprétation a été appelée «réception en connaissance de cause» ou «réception en connaissance de cause et gestion», tandis que la seconde a été appelée «aide apportée en connaissance de cause».

28 L’aide apportée en connaissance de cause et la réception en connaissance de cause comportent certaines ressemblances sur le plan factuel, quoiqu’elles représentent des catégories distinctes de responsabilité. L’omission de distinguer ces deux formes séparées de responsabilité a semé la confusion dans la jurisprudence. La principale source de confusion émane du désaccord quant au degré de «connaissance» requis pour engager la responsabilité dans chaque catégorie. Comme Charles Harpum l’écrit dans son article intitulé «The Stranger as Constructive Trustee» (1986), 102 L.Q.R. 114, à la p. 120, même si un degré de connaissance est requis pour engager la responsabilité dans les deux catégories de responsabilité:

[traduction] [l]a jurisprudence révèle une nette divergence d’opinions quant au degré de connaissance requis pour qu’une personne puisse être tenue responsable à titre de fiduciaire par interprétation et quant à savoir si le degré de connaissance requis en vertu d’une catégorie est nécessairement applicable à une autre catégorie.

29 En l’espèce, l’appelant allègue que l’intimée est responsable en raison tant de l’aide apportée en connaissance de cause que de la réception en connaissance de cause. Je vais examiner chaque catégorie de responsabilité à tour de rôle et j’accorderai une attention particulière au degré de connaissance requis pour justifier la responsabilité dans chaque catégorie.

La banque intimée est-elle responsable selon la règle de l’aide apportée en connaissance de cause?

30 Dans l’arrêt Air Canada, notre Cour a passé en revue la règle de l’aide apportée en connaissance de cause. Dans cet arrêt, nous avons adopté la définition donnée à l’expression «aide apportée en connaissance de cause» dans Barnes c. Addy, où le lord chancelier Selborne a affirmé qu’un tiers à la fiducie sera responsable s’il [traduction] «aid[e] sciemment les fiduciaires à réaliser un dessein malhonnête et frauduleux» (p. 252).

31 Un «dessein malhonnête et frauduleux» comprend «le fait de courir sciemment et de manière injustifiée un risque au détriment du bénéficiaire». Comme on l’affirme dans Air Canada (à la p. 826):

En conséquence, je (traduction) «consid[ère] applicable la définition suivante de la fraude: “le fait de courir un risque au détriment des droits d’autrui, lorsque l’on court ce risque sciemment et sans droit”».

32 Comme l’expression «aide apportée en connaissance de cause» l’indique, le demandeur doit prouver non seulement que le manquement à une obligation fiduciaire a été frauduleux et malhonnête, mais encore que le défendeur y a participé sciemment. Dans Air Canada, on dit (à la p. 811):

La connaissance requise pour ce type de responsabilité est la connaissance de fait; l’insouciance ou l’ignorance volontaire suffiront également.

33 Comme le juge Millett l’a expliqué dans Agip (Africa) Ltd. c. Jackson, [1990] 1 Ch. 265, à la p. 292, la responsabilité est engagée, dans les cas d’aide apportée en connaissance de cause, pour le motif que le défendeur a participé à une fraude, et la «participation», dans son acception pertinente, implique la connaissance de fait de la fraude que le fiduciaire perfide est en train de commettre. Le juge La Forest est arrivé à la même conclusion dans l’arrêt Citadelle lorsqu’il a décrit la responsabilité pour l’aide apportée en connaissance de cause comme une responsabilité «fondée sur la faute» (au par. 46). Par conséquent, le fondement de la responsabilité, la participation à une fraude, étaye le critère de responsabilité que j’ai établi dans Air Canada, la connaissance de fait de l’existence d’une obligation fiduciaire et le manquement frauduleux à cette obligation.

34 En l’espèce, afin d’obtenir des dommages-intérêts pour l’aide apportée en connaissance de cause, l’appelant doit démontrer ce qui suit:

(1) qu’il existait une obligation fiduciaire;

(2) que le fiduciaire nommé, Rosenberg, a commis un manquement malhonnête et frauduleux à cette obligation fiduciaire;

(3) que la banque intimée avait la connaissance de fait du manquement malhonnête et frauduleux de Rosenberg à l’obligation fiduciaire, et qu’elle y a participé.

35 Je me dois de noter, au départ, que les deux parties ont convenu qu’il existait vraiment une obligation fiduciaire.

36 À supposer, sans en décider, que Rosenberg ait commis un manquement malhonnête et frauduleux à une obligation fiduciaire et à supposer, sans en décider, que la banque ait participé à ce manquement, j’estime que l’action de l’appelant fondée sur l’aide apportée en connaissance de cause échoue en raison de l’absence de preuve que la banque avait une connaissance de fait de la fraude de Rosenberg. Comme je l’ai mentionné précédemment, la banque a reçu du cabinet d’avocats Sills, Madorin une lettre d’opinion dont le dernier paragraphe était ainsi rédigé:

[traduction] L’autorisation, l’exécution et la délivrance de ladite garantie par la compagnie ne contreviennent aux modalités, conditions ou dispositions d’aucune loi ou convention à laquelle la compagnie est assujettie ou est partie.

37 Vu cette lettre, j’estime qu’on ne peut pas affirmer que la banque avait une connaissance de fait que la garantie était obtenue en violation d’une obligation fiduciaire. Comme le juge Laskin l’a dit (à la p. 610), la lettre [traduction] «a sans doute rassuré la banque que la garantie n’était pas entachée de fraude», et je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le juge de première instance a commis une erreur manifeste en concluant le contraire.

38 Pour ce motif, il y a lieu, selon moi, de rejeter l’action de l’appelant fondée sur l’aide apportée en connaissance de cause.

39 Je vais maintenant examiner si l’intimée est responsable de réception en connaissance de cause de biens en fiducie.

La banque intimée est-elle responsable selon la règle de la réception en connaissance de cause?

40 Dans une affaire de réception en connaissance de cause, le demandeur poursuit pour récupérer son bien qui est tombé en la possession du défendeur par suite d’un manquement à une obligation fiduciaire. Comme le lord chancelier Selborne l’a dit dans Barnes c. Addy, le défendeur a [traduction] «reç[u] une partie des biens en fiducie et doi[t] en rendre compte» (aux pp. 251 et 252). Toutefois, la seule réception ou possession n’est pas une condition suffisante pour qu’il y ait responsabilité. Pour qu’il y ait obligation de «rendre compte» des biens en fiducie, le défendeur doit les avoir reçus de son propre chef et doit en avoir joui à titre bénéficiaire. Il n’y a donc aucune cause d’action fondée sur la réception en connaissance de cause contre une personne qui a en sa possession des biens en fiducie simplement à titre de mandataire d’un tiers. Telle était la raison invoquée pour rejeter l’action du demandeur fondée sur la réception en connaissance de cause dans Air Canada. Comme on l’y explique (aux pp. 810 et 811):

La [. . .] catégorie [de] la «réception en connaissance de cause» de biens en fiducie [. . .] est inapplicable en l’espèce parce qu’elle exige que le tiers ait reçu des biens en fiducie de son propre chef et non en qualité de mandataire des fiduciaires.

Voir aussi Agip (Africa) Ltd., à la p. 288.

41 L’action fondée sur la réception en connaissance de cause veut essentiellement que la réception des biens en fiducie ait enrichi le défendeur. Parce que les biens étaient sujets à une fiducie en faveur du demandeur, l’enrichissement du défendeur s’est fait aux dépens du demandeur. L’action relève donc du droit en matière de restitution. Comme le juge Denning l’a affirmé dans l’arrêt Nelson c. Larholt, [1948] 1 K.B. 339, à la p. 343:

[traduction] Le droit dont il est question en l’espèce n’est pas propre à l’equity, au droit des contrats ou au droit en matière de responsabilité délictuelle, mais relève naturellement de l’importante catégorie d’affaires où la cour ordonne la restitution . . .

De même, dans l’arrêt Royal Brunei Airlines Sdn. Bhd. c. Tan, [1995] 3 W.L.R. 64 (C.P.), à la p. 70, lord Nicholls of Birkenhead a affirmé que [traduction] «[l]a responsabilité de la partie qui reçoit est fondée sur la restitution». Je constate que le juge La Forest est arrivé à une conclusion semblable dans Citadelle, où il a décrit la responsabilité pour réception en connaissance de cause comme étant une responsabilité «fondée sur la réception» (au par. 46). C’est là que se situe la différence fondamentale entre la catégorie de l’aide apportée en connaissance de cause et celle de la réception en connaissance de cause. La participation à une fraude sous-tend la responsabilité dans les cas d’aide apportée en connaissance de cause; l’enrichissement sans cause constitue l’essence d’une action fondée sur la réception en connaissance de cause. Dans l’arrêt Agip (Africa) Ltd., le juge Millett a établi une distinction entre les deux catégories de responsabilité (aux pp. 292 et 293):

[traduction] Les actions où il est question de droit de suite et celles où il s’agit de «réception en connaissance de cause» concernent toutes des droits de priorité relativement à des biens dont le titulaire du droit de propriété s’est servi pour son propre profit; les cas d’«aide apportée en connaissance de cause» concernent l’aide apportée pour commettre une fraude.

42 Comme dans le cas de l’aide apportée en connaissance de cause, le demandeur doit établir l’existence d’un certain degré de connaissance chez le défendeur pour qu’il soit responsable de réception en connaissance de cause. À la différence de l’aide apportée en connaissance de cause, relativement à laquelle notre Cour a établi, dans Air Canada, un critère net pour déterminer l’existence du degré de connaissance requis, la jurisprudence ne précise pas quel degré de connaissance est requis pour engager la responsabilité dans les cas de réception en connaissance de cause. Harpum, loc. cit., affirme (à la p. 267):

[traduction] Si un fiduciaire transfère des biens en fiducie [en violation d’une obligation fiduciaire], la partie qui les reçoit doit prendre ces biens sous réserve des fiducies, à moins [qu’elle] ne soit un acquéreur de bonne foi qui n’a pas connaissance de ce fait.

Cependant, le sens exact du mot «connaissance» est à l’origine d’un certain désaccord dans la jurisprudence.

43 Il y a deux principales écoles de pensée en ce qui concerne le degré de connaissance requis pour engager la responsabilité fondée sur la réception en connaissance de cause. La première veut que le défendeur ne soit responsable, selon la règle de la réception en connaissance de cause, que s’il reçoit les biens en ayant une connaissance de fait (ce qui comprend l’ignorance volontaire) du manquement à une obligation fiduciaire. Par exemple, dans l’arrêt Carl Zeiss Stiftung c. Herbert Smith & Co., [1969] 2 Ch. 276, le lord juge Sachs a affirmé (à la p. 298):

[traduction] [Le demandeur doit prouver] à la fois la connaissance de fait de l’existence de la fiducie et la connaissance de fait du caractère répréhensible du manquement à la fiducie . . .

Cette perception du droit paraît avoir été approuvée dans l’arrêt In re Montagu’s Settlement Trusts, [1987] 1 Ch. 264, où le vice-chancelier Megarry a conclu que la connaissance de fait, l’ignorance volontaire ou l’insouciance étaient nécessaires pour engager la responsabilité dans les cas de réception en connaissance de cause.

44 Une école de pensée opposée veut qu’une cour puisse imposer la responsabilité pour réception en connaissance de cause même si le défendeur a agi sans vraiment avoir la connaissance de fait du manquement à une obligation fiduciaire. Selon ce point de vue, le défendeur ne peut garder les biens en question s’ils ont été acquis dans des circonstances qui auraient amené une personne raisonnable à soupçonner l’existence d’un manquement à une obligation fiduciaire. Dans l’arrêt Nelson c. Larholt, le juge Denning explique (à la p. 343):

[traduction] Si les circonstances étaient propres à inciter une personne raisonnable à demander des renseignements et qu’elle [c.‑à‑d. le défendeur] n’en a pas demandé, ou si elle s’est contentée d’une réponse qui n’aurait pas satisfait une personne raisonnable, [. . .] alors il faut présumer sa connaissance . . .

L’arrêt de notre Cour Carl B. Potter Ltd. c. Banque Mercantile du Canada, [1980] 2 R.C.S. 343, va dans le même sens. Dans cet arrêt, le juge Ritchie y a cité et approuvé l’extrait suivant des motifs de la Cour d’appel (à la p. 347):

[traduction] [Le défendeur] avait une connaissance suffisante de la nature particulière des fonds [. . .] pour éveiller sa méfiance et l’amener à en vérifier la nature exacte avant d’effectuer d’autres opérations avec eux.

Et, dans l’arrêt Cartwright c. Lyster, [1934] 2 D.L.R. 166 (C.A. Ont.), le juge Middleton a conclu, au nom de la cour à la majorité, que le défendeur était responsable parce qu’il [traduction] «avait la connaissance des faits et des circonstances qui l’incitaient à demander des renseignements» (p. 169). Finalement, dans la décision Canadian Pacific Air Lines Ltd. c. Canadian Imperial Bank of Commerce (1987), 27 E.T.R. 281 (H.C. Ont.), le juge Maloney a imposé la responsabilité pour le motif que les circonstances étaient de nature à éveiller les soupçons du défendeur.

45 Selon moi, ce dernier point de vue est préférable parce qu’il se prête davantage à l’idée de restitution qui est à la base d’une réclamation pour réception en connaissance de cause. Harpum affirme (à la p. 273):

[traduction] Parce que, dans les cas de réception en connaissance de cause, il est essentiellement question de droit de propriété, la partie qui reçoit des biens en fiducie peut être tenue responsable à titre de fiduciaire par interprétation si elle n’a pas demandé les renseignements qu’elle aurait dû demander, même si elle a agi de bonne foi. Il est tenu pour acquis, dans ces cas, que la connaissance présumée du caractère répréhensible du transfert suffit pour engager la responsabilité . . .

46 Le tiers qui reçoit des biens en fiducie s’enrichit injustement aux dépens du bénéficiaire de la fiducie. L’action du demandeur n’a rien à voir avec la participation à une violation frauduleuse. La responsabilité dépend essentiellement de la question de savoir si le défendeur s’est approprié des biens qui étaient assujettis à un droit d’equity en faveur du demandeur. La jurisprudence soutient depuis longtemps que, pour qu’il y ait appropriation assujettie à un droit d’equity, une personne n’a pas besoin d’avoir une connaissance de fait de l’existence de ce droit d’equity; la connaissance présumée suffit. J’estime que la même norme s’applique aux cas de réception en connaissance de cause.

47 Selon moi, le critère énoncé dans Carl Zeiss Stiftung et Montagu’s Settlement n’est pas approprié en matière de réception en connaissance de cause. Le fondement de la responsabilité dans ces deux cas est l’absence de probité (voir le jugement du lord juge Edmund Davies dans Carl Zeiss Stiftung, à la p. 301; voir également Montagu’s Settlement, à la p. 285). C’est pourquoi ces arrêts paraissent confondre réception en connaissance de cause et aide apportée en connaissance de cause.

48 Le jugement du lord juge Sachs dans Carl Zeiss Stiftung apporte une preuve supplémentaire de cette fusion des deux catégories distinctes de responsabilité, lorsqu’il qualifie de [traduction] «participant à une fraude» le défendeur dans les cas de réception en connaissance de cause (aux pp. 298 et 299). À mon avis, cette qualification est inexacte. Contrairement à l’aide apportée en connaissance de cause, la réception en connaissance de cause n’exige pas que le demandeur montre que le manquement à l’obligation fiduciaire était frauduleux. Et contrairement à la situation de l’aide apportée en connaissance de cause, le défendeur, dans un cas de réception en connaissance de cause, n’est aucunement impliqué dans un méfait perpétré par le fiduciaire perfide.

49 La cause d’action, dans un cas de réception en connaissance de cause, naît plutôt du simple fait que le défendeur a reçu irrégulièrement des biens appartenant au demandeur. L’action du demandeur revient simplement à dire: «Vous avez injustement en votre possession des biens qui m’appartiennent. Rendez-les-moi.» Contrairement aux cas d’aide apportée en connaissance de cause, aucune conclusion à l’existence d’une faute n’est tirée, aucune illégalité n’est commise par le défendeur et il n’y a aucune réclamation de dommages-intérêts. Il s’agit simplement, au fond, de savoir qui a davantage droit au bien contesté.

50 Dans Air Canada, notre Cour a correctement appliqué le raisonnement suivi dans Carl Zeiss Stiftung et dans Montagu’s Settlement pour justifier l’exigence de connaissance de fait pour que la responsabilité soit engagée dans un cas d’aide apportée en connaissance de cause. Je me dois d’ajouter que, comme je l’ai dit précédemment, Carl Zeiss Stiftung et Montagu’s Settlement exigeaient que le tiers ait une connaissance de fait pour que sa responsabilité soit engagée dans un cas de réception en connaissance de cause. Selon moi, la connaissance de fait n’est pas appropriée comme critère de responsabilité dans les cas de réception en connaissance de cause.

51 Étant donné les différences entre les deux causes d’action, je ne vois pas pourquoi la norme de connaissance nécessaire pour engager la responsabilité devrait être nécessairement la même. Comme le juge Millett l’a affirmé dans Agip (Africa) Ltd. (à la p. 292):

[traduction] Le fondement de la responsabilité dans les deux types de cas est complètement différent; il n’y a aucune raison pour que le degré de connaissance requis soit le même, et il y a de bonnes raisons pour qu’il ne le soit pas.

52 Harpum analyse les considérations de principe qui justifient l’application aux tiers qui reçoivent des biens en fiducie d’une norme plus stricte que celle appliquée aux tiers qui aident à commettre un manquement à une obligation fiduciaire (aux pp. 126 et 127):

[traduction] Dans un tel cas [de réception en connaissance de cause], le conflit entre le bénéficiaire et le tiers est à son point critique, parce que la cour a, en fait, à déterminer qui des deux a davantage droit aux biens en fiducie. Celui qui a gain de cause emporte tout et, à celui qui perd, il ne reste qu’une réclamation contre le fiduciaire, qui a de bonnes chances d’être sans valeur. Parce que le bénéficiaire risque de perdre au complet son droit bénéficiaire, l’equity impose la plus grande rigueur et exige le respect de sa norme la plus stricte.

Dans tous les autres cas, le tiers ne devrait être responsable que s’il a eu une connaissance de fait des conditions de la fiducie ou du dessein malhonnête et frauduleux du fiduciaire, ou s’il a fait preuve d’ignorance volontaire à cet égard. Aucune question ne se pose quant au droit de propriété des biens en fiducie. [. . .] Dans les cas d’incitation et d’aide apportée en connaissance de cause, il se peut que le tiers n’ait jamais reçu aucun des biens en fiducie. [. . .] Dans les affaires d’aide apportée en connaissance de cause, l’accent mis sur la participation du tiers à la fraude commise par le fiduciaire implique nécessairement que le tiers sera responsable seulement s’il agit de mauvaise foi. [Je souligne.]

53 Par conséquent, pour conclure mon analyse des principes juridiques applicables, le demandeur doit, pour récupérer les biens contestés, établir ce qui suit:

(1) que les biens étaient sujets à une fiducie en faveur du demandeur;

(2) que les biens que le défendeur a reçus ont été enlevés au demandeur en violation d’une obligation fiduciaire;

(3) que le défendeur n’a pas acquis les biens à titre d’acquéreur de bonne foi moyennant contrepartie et sans connaissance de cause. Le défendeur sera réputé avoir eu connaissance si les circonstances étaient propres à inciter une personne raisonnable à demander des renseignements et qu’elle n’en a pas demandé, ou si elle s’est contentée d’une réponse qui n’aurait pas satisfait une personne raisonnable.

54 Avant d’examiner si la garantie en question était sujette à une fiducie en faveur du demandeur, je dois d’abord analyser l’argument de l’intimée selon lequel les principes de la réception en connaissance de cause sont inapplicables en l’espèce parce que la banque n’a jamais reçu aucun bien de la fiducie. Plus précisément, la banque a soutenu que la garantie elle-même n’est pas un bien et que, par conséquent, en la recevant, la banque n’a acquis aucun bien qui pourrait faire l’objet d’une action fondée sur la réception en connaissance de cause. Je ne suis pas d’accord avec cet argument. Une certaine doctrine donne à entendre qu’une garantie ne constitue pas un titre d’une nature propriétale étant donné qu’il s’agit d’une garantie contractuelle et qu’elle diffère de l’hypothèque et du nantissement (K. P. McGuinness, The Law of Guarantee (2e éd. 1996), à la p. 5). Cependant, d’après les faits de la présente affaire, lorsque la banque a obtenu la garantie de Primary, elle a aussi obtenu, comme l’a constaté le juge Haley, une hypothèque subsidiaire de 1,2 million de dollars sur des biens immobiliers appartenant à Primary au soutien de la garantie. Par conséquent, la banque a reçu à la fois une promesse contractuelle d’acquitter les obligations de Trojan en cas de défaut de sa part, et un titre de nature propriétale au soutien de cette promesse. L’hypothèque, comme soutien de la garantie, conférait à la banque un droit de propriété sur les biens en fiducie. La garantie fournie par Primary, soutenue par une hypothèque subsidiaire sur des biens appartenant à Primary, constitue, selon moi, un bien qui peut faire l’objet d’une action fondée sur la réception en connaissance de cause. Même si l’on adopte le point de vue selon lequel la garantie n’est pas un bien en fiducie, la dation de la garantie confère à la banque un avantage précieux qui, à son tour, grève la succession et en diminue la valeur. L’avantage conféré à la banque et la perte de valeur qui s’ensuit pour la succession suffisent, à mon avis, pour faire entrer la garantie dans la catégorie de la responsabilité fondée sur la réception en connaissance de cause.

55 En outre, dans la présente action, la banque a tenté de faire exécuter la garantie par Primary. Si la garantie est exécutée, la banque recevra alors clairement des biens. Pour ces raisons et des motifs de principe, je suis d’avis que la garantie contestée peut faire l’objet d’une action fondée sur la réception en connaissance de cause.

56 Je vais maintenant examiner la question de savoir si la garantie était sujette à une fiducie en faveur de Gold. Le juge de première instance a conclu qu’une fiducie existait en vertu du testament du testateur. Gold était un bénéficiaire de cette fiducie. L’intimée ne conteste aucune de ces conclusions. Comme je l’ai indiqué précédemment, la garantie concerne des droits sur le capital de la fiducie. J’estime donc qu’elle constitue un bien de la fiducie. Ainsi, l’existence du premier élément de la réception en connaissance de cause est établie: le bien contesté était sujet à une fiducie en faveur de l’appelant.

57 La deuxième partie du critère de la réception en connaissance de cause exige que le demandeur montre que le défendeur a reçu des biens, de son propre chef, qui lui ont été enlevés sans droit. En l’espèce, il est clair que la banque a pris possession de la garantie de son propre chef et non comme mandataire d’un tiers. Quant à la question de savoir si la garantie a été donnée à la banque en violation d’une obligation fiduciaire, il faut examiner les circonstances qui ont entouré l’entente. Comme je l’ai noté précédemment, Gold était un bénéficiaire de la succession de son grand-père. Les actions de Primary faisaient partie de la succession. Rosenberg était un exécuteur de la succession. Le juge de première instance a conclu que Rosenberg avait une obligation fiduciaire envers Gold aux termes de la procuration donnée et aussi parce que Gold était bénéficiaire à 50 pour 100 de la succession. Le juge de première instance a aussi conclu qu’en donnant la garantie à la banque Rosenberg avait manqué à une obligation fiduciaire. Selon moi, il faut faire preuve de retenue à l’égard de toutes ces conclusions de fait. En outre, je souscris entièrement aux conclusions du juge Haley.

58 Rosenberg a grevé les biens de la succession dans le but d’obtenir lui-même un prêt. Seuls Rosenberg et la banque bénéficiaient des opérations entourant la garantie; l’appelant n’en tirait aucun avantage. En fait, la garantie représentait une diminution de la valeur de la succession. Ce genre d’opération entre initiés est clairement un manquement à une obligation fiduciaire. J’estime donc que la banque intimée a reçu des biens qui ont été enlevés à Gold en violation d’une obligation fiduciaire.

59 Enfin, l’appelant doit montrer qu’aucun motif juridique ne justifiait l’enrichissement de l’intimée. Étant donné que les parties n’ont pas débattu la question de savoir si la banque était un simple acquéreur à titre gratuit, je n’examinerai pas cette question, présumant au lieu de cela que la banque a fourni une contrepartie à la garantie. Par conséquent, compte tenu des faits de la présente affaire, l’appelant doit démontrer que la banque n’a pas acquis les biens à titre d’acquéreur de bonne foi moyennant contrepartie et sans connaissance de cause. Il faut alors se demander si les circonstances étaient de nature à inciter la banque à se renseigner.

60 Selon moi, les circonstances étaient assez suspectes pour que la banque soit tenu de s’assurer raisonnablement que Rosenberg n’agissait pas en violation d’une obligation fiduciaire. Dans l’arrêt Barclays Bank plc c. O’Brien, [1993] 4 All E.R. 417, la Chambre des lords a examiné les circonstances dans lesquelles une banque a l’obligation de demander des renseignements lorsqu’elle reçoit une garantie de la part du conjoint d’un débiteur. La Chambre des lords a statué que, lorsqu’une femme effectue ce qui est manifestement une opération désavantageuse, et qu’il y a un risque énorme que son époux ait contrevenu à l’equity ou à la common law (c’est-à-dire en commettant un abus d’influence ou en faisant des déclarations inexactes) pour obtenir son consentement à la garantie, la banque est dans une situation où elle doit se renseigner. Elle doit alors prendre des mesures raisonnables pour s’assurer que le consentement de l’épouse à servir de caution a été obtenu régulièrement.

61 Je souligne que l’arrêt Barclays Bank concernait précisément une situation où le débiteur et sa caution étaient mari et femme et cohabitaient, comme l’a relaté la cour. Cependant, la Chambre des lords a indiqué que l’obligation de se renseigner peut aussi naître dans le contexte de garanties mettant en cause parents et enfants (à la p. 431). Le commentaire suivant de lord Browne-Wilkinson donne à penser qu’une banque peut avoir l’obligation de se renseigner dans bien d’autres circonstances (à la p. 431):

[traduction] dans une affaire ou le créancier sait que la caution s’en remet en toute confiance au débiteur principal quant à ses affaires financières, le créancier est dans une situation où il doit se renseigner, exactement de la même manière que dans le cas d’un mari et de sa femme.

62 En outre, il a été jugé qu’une hypothèque obtenue d’un employé pour garantir une dette de l’employeur et de l’entreprise de l’employeur relevait de la règle établie dans Barclays Bank, même si les parties ne cohabitaient pas ou n’étaient pas membres d’une même famille (Credit Lyonnais Bank Nederland NV c. Burch, [1997] 1 All E.R. 144, à la p. 147).

63 Compte tenu de ce qui précède, j’estime que les faits de la présente affaire étaient assez suspects pour que la banque soit tenue de se renseigner. En tirant cette conclusion, je m’appuie particulièrement sur les faits suivants:

(1) Kenneth Slack, le directeur des comptes de Toronto-Dominion connaissait tous les détails pertinents du testament et de la succession d’Abraham Rosenberg, dans lesquels Rosenberg et Gold avaient des intérêts égaux.

(2) Slack savait que Gold avait confié toute la gestion de la succession à Rosenberg, et qu’en fait Gold avait signé une procuration en faveur de Rosenberg.

(3) À titre de directeur des comptes, Slack connaissait tous les détails des arrangements bancaires faits par Rosenberg en juillet 1989.

(4) Tel que mentionné plus haut, Slack savait que, à l’époque où les prêts ont été consentis à Trojan, Gold n’avait pas encore signé la résolution des administrateurs qui autorisait la garantie.

(5) Slack devait savoir que ces opérations n’étaient avantageuses ni pour la succession ni pour Gold. Comme le juge de première instance l’a dit (au par. 37):

[traduction] Il ne fait aucun doute qu’un banquier d’expérience comme M. Slack [. . .] aurait su que la situation financière du groupe de la succession avait été modifiée de façon désavantageuse. [. . .] Il savait que l’intérêt de 50 pour 100 de Gold dans la succession était dorénavant plus en péril qu’en novembre 1988, et il savait aussi qu’en agissant en vertu de la procuration Rosenberg était, sur le plan de son crédit, dans une bien meilleure position qu’avant la consolidation.

64 Ces faits sont assez inhabituels pour inciter la banque à demander des renseignements. Elle a omis de prendre des mesures raisonnables pour s’assurer que la garantie ne constituait pas un manquement à une obligation fiduciaire. Par conséquent, elle se voit donc attribuer la connaissance présumée du manquement à une obligation fiduciaire.

65 Il faut alors se demander si la banque s’est suffisamment renseignée ou, subsidiairement, si elle a reçu l’assurance qui aurait satisfait une personne raisonnable. À cet égard, l’intimée invoque la lettre d’opinion envoyée par Sills, Madorin, qui précise que la garantie était conforme à toutes les exigences légales. Toutefois, j’estime que cette lettre ne satisfait pas à l’obligation de la banque de s’informer raisonnablement. Ma conclusion sur ce point est étayée par l’arrêt Bertolo c. Bank of Montreal (1986), 57 O.R. (2d) 577 (C.A.). Madame Bertolo avait signé un billet à ordre et consenti une hypothèque sur sa maison en faveur de la banque afin de garantir la dette de son fils. Elle ne parlait pas l’anglais couramment et avait peu d’instruction. La banque a exigé qu’elle obtienne un avis juridique indépendant et s’est assurée qu’elle reçoive cet avis. Un associé de l’avocat qui agissait tant au nom de la banque qu’au nom du fils de Mme Bertolo a conseillé cette dernière; ces conseils ont satisfait la banque. La cour a conclu que la banque ne pouvait pas faire exécuter le billet à ordre par Mme Bertolo puisque celle‑ci n’avait saisi ni la nature des opérations ni l’étendue de sa responsabilité. La cour a statué qu’il n’y avait aucune relation fiduciaire entre le débiteur et la banque, mais que la banque (à la p. 587):

[traduction] savait, ou aurait dû savoir, que cette femme n’avait pas bénéficié d’un avis juridique indépendant quant à l’opération qui, du point des affaires, était manifestement désavantageuse pour elle.

66 En l’espèce, la banque savait que le cabinet d’avocats représentait toutes les parties, c’est-à-dire Rosenberg, Trojan, la succession et les compagnies de la succession. Par conséquent, elle savait que le cabinet ne pouvait pas avoir donné à Gold un avis indépendant quant à la signature de la résolution des administrateurs qui autorisait la garantie. Selon moi, la lettre d’opinion ne satisfait pas au «devoir» de la banque de se renseigner. Par conséquent, la banque se voit attribuer la connaissance présumée du manquement à une obligation fiduciaire et accepte donc la garantie sous réserve des droits de Gold en equity. Pour ces motifs, j’estime que la banque ne peut pas faire exécuter la garantie par Primary.

67 Devant notre Cour, l’avocat de l’intimée a allégué qu’attribuer la responsabilité à la banque en l’espèce aurait pour résultat d’imposer aux banques une obligation déraisonnable de s’assurer que chaque opération qu’elles facilitent ne comporte aucun manquement à une obligation fiduciaire. Je ne suis pas d’accord. Cette responsabilité ne sera engagée que si la banque reçoit des biens à titre bénéficiaire. À cet égard, la banque sera dans la même situation que toute personne qui reçoit un bien, un état du droit qui me semble parfaitement équitable.

68 Pour tous ces motifs, j’accueillerais le pourvoi, j’annulerais l’arrêt de la Cour d’appel et j’y substituerais une ordonnance selon laquelle on ne peut pas faire exécuter la garantie de 1,2 million de dollars par Primary. Je rendrais l’ordonnance qui précède avec dépens devant notre Cour et devant la Cour d’appel.

//Le juge Sopinka//

Version française du jugement des juges Sopinka, McLachlin et Major rendu par

69 LE JUGE SOPINKA — J’ai pris connaissance des motifs rédigés par mon collègue le juge Iacobucci dans le présent pourvoi, ainsi que de ceux du juge La Forest dans l’arrêt Citadelle (La), Cie d'assurances générales c. Banque Lloyds du Canada, [1997] 3 R.C.S. 805, motifs auxquels je souscris, sous réserve des commentaires ci-après. Bien que je sois d’accord avec la façon dont le juge Iacobucci aborde la responsabilité pour l’aide apportée en connaissance de cause, j’émets de sérieuses réserves quant à sa conclusion qu’il s’agit d’un cas de réception en connaissance de cause, mais en supposant qu’il en soit ainsi, je ne puis convenir que la banque est responsable d’un manquement à son devoir de se renseigner.

70 L’affaire a été présentée, en première instance et en appel, comme un cas d’aide apportée en connaissance de cause et elle y a été traitée comme telle. La thèse selon laquelle il s’agissait d’un cas de réception en connaissance de cause a été avancée devant notre Cour. Bien qu’il ne fasse aucun doute qu’elle a compétence pour le faire, notre Cour hésite à permettre à une partie de s’écarter de la thèse de la responsabilité qui a été soumise devant les tribunaux dont la décision est portée en appel. À supposer qu’il y ait lieu d’instruire la question, j’ai du mal à croire que, lorsqu’une banque reçoit une garantie assortie d’une hypothèque subsidiaire sur des biens en fiducie, elle reçoit ces biens à ses propres usage et profit. Le Nouveau Petit Robert (1995) donne la définition principale suivante du verbe «recevoir»:

I. [. . .] Se voir adresser (qqch.). 1. Être mis en possession de (qqch.) par un envoi, un don, un paiement, etc.

71 Dans les cas de réception en connaissance de cause, je dirais que la réception de biens en fiducie signifie, à tout le moins, le fait d’en prendre possession. La possession, ici, n’implique aucune forme de propriété. Elle n’implique que le contrôle physique de la chose.

72 La banque est‑elle mise en possession des biens simplement parce qu’elle détient une garantie assortie d’une hypothèque subsidiaire sur ceux‑ci? Je ne le crois pas. La garantie est un contrat dont l’exécution dépend du défaut du débiteur principal: K. P. McGuinness, The Law of Guarantee (2e éd. 1996), aux pp. 318 et 319. Voir également Halsbury’s Laws of England (4e éd. 1993), vol. 20, aux pp. 56 à 65, 115, 116, 123 et 124. La caution a la responsabilité de payer les dettes du débiteur principal. Si la caution assortit la garantie d’une hypothèque sur des biens immeubles, le créancier ne jouit, au mieux, que d’un droit éventuel sur ces biens. La garantie assortie d’une hypothèque n’est qu’une promesse contractuelle de la caution que, si le débiteur principal fait défaut et que la caution ne peut payer la dette au moyen de ses autres biens, le créancier recevra les biens en fiducie. L’hypothèque sert à cautionner la disposition contractuelle que constitue la garantie.

La banque a agi raisonnablement

73 Même si la présente affaire est considérée à bon droit comme un cas de réception en connaissance de cause, j’estime que la banque, compte tenu de ce qu’elle savait, a agi raisonnablement dans les circonstances. Elle ne peut donc être tenue responsable et le pourvoi doit être rejeté.

74 Pour établir que l’intimée a reçu les biens «en connaissance de cause», l’appelant doit prouver l’existence de l’un des éléments suivants:

[traduction] (i) la connaissance de fait, (ii) la volonté de ne pas se rendre à l’évidence, (iii) l’omission délibérée et insouciante de demander les renseignements que demanderait une personne honnête et raisonnable, (iv) la connaissance des circonstances qui indiqueraient l’existence des faits à une personne honnête et raisonnable, et (v) la connaissance de circonstances qui inciteraient une personne honnête et raisonnable à se renseigner.

Baden c. Société Générale pour Favoriser le Développement du Commerce et de l’Industrie en France SA, [1992] 4 All E.R. 161 (Ch.), à la p. 235.

75 Mon collègue conclut que la banque avait la connaissance décrite à l’article (v), c’est‑à‑dire la connaissance de circonstances qui inciteraient une personne honnête et raisonnable à se renseigner. Que savait donc la banque? La banque connaissait les circonstances suivantes:

(1) Gold s’est contenté de confier la gestion de la succession à Rosenberg et il avait signé à cette fin une procuration générale en faveur de Rosenberg.

(2) Une garantie assortie d’une hypothèque subsidiaire a été dûment signée par Primary.

(3) Le procureur de la succession (choisi par Gold et Rosenberg) et de la caution a rédigé la garantie et en a officiellement certifié la validité par lettre.

(4) Les comptables de la succession et la caution ont donné des conseils financiers concernant la garantie.

(5) Gold avait signé une résolution en sa qualité d’administrateur de Primary, dans le bureau de M. Sills, un associé principal du cabinet d’avocats qui représentait la succession et la caution.

(6) La valeur de la part de la succession qui revenait à Rosenberg excédait de loin le montant de la garantie.

76 À mon avis, la personne honnête au courant de ces faits n’aurait pas demandé d’autres renseignements. En réalité, il est difficile de déterminer à qui il faudrait demander de tels renseignements. Comme l’a dit le juge Laskin (25 O.R. (3d) 601, à la p. 610):

[traduction] Gold prétend que la banque avait l’obligation de vérifier la résolution et la lettre d’opinion pour se renseigner sur l’équité de l’opération. Mais à qui devait-elle s’adresser? Les avocats et comptables qui ont préparé l’opération auraient vraisemblablement affirmé qu’elle était équitable, si on le leur avait demandé. Et la banque pouvait raisonnablement supposer que Gold consentirait la garantie pour aider son oncle.

J’ajouterais que si l’on avait demandé à Gold ce qu’il pensait de la garantie, il ne l’aurait guère mise en question vu qu’il avait signé la résolution. Je souscris à l’opinion du juge Laskin (aux pp. 607 et 608) qu’à cette époque:

[traduction] . . . Gold savait ce qu’était une garantie, [. . .] il connaissait la raison de cette garantie et [. . .] il savait quelles étaient les conséquences possibles de son autorisation. Il n’a pas été induit en erreur quant à l’objet, à l’effet ou au risque de son approbation.

Ce n’est que plus tard, quand la situation a changé, qu’il a mis en question la garantie. Par conséquent, en s’enquérant auprès de Gold, la banque n’aurait pas appris l’existence de faits qui lui auraient fait douter de l’opération.

77 Si je comprends bien ses motifs, mon collègue ne répond pas à la question de savoir ce qu’une demande de renseignements aurait révélé, mais il laisse entendre que la banque aurait dû insister pour que Gold reçoive un avis juridique indépendant.

78 Dans certaines circonstances, un tiers dans la même position que la banque ne se sera acquitté de son obligation de se renseigner que si la caution s’est vu conseiller d’obtenir un avis juridique indépendant. Dans certains cas, la loi oblige le créancier à se renseigner lorsque l’opération est manifestement préjudiciable à la personne qui offre le cautionnement et que le lien qui existe entre cette personne et le débiteur principal est particulièrement étroit. En pareilles circonstances, la loi suppose qu’il y a eu abus d’influence de la part du débiteur principal. Le type de lien qui donne le plus clairement naissance à cette présomption est celui qui existe entre époux. Le juge Iacobucci cite l’arrêt Barclays Bank plc c. O’Brien, [1993] 4 All E.R. 417, dans lequel la Chambre des lords a étendu l’application de cette présomption aux personnes qui cohabitent. Dans cet arrêt, lord Browne‑Wilkinson a conclu que le créancier auquel s’adressent des personnes qui cohabitent, l’une étant le débiteur principal et l’autre la caution, a l’obligation de se renseigner lorsque l’opération projetée est manifestement désavantageuse pour la caution. Le créancier peut s’acquitter de cette obligation en expliquant à la caution, lors d’une rencontre à laquelle n’assiste pas le débiteur principal, le montant dont elle peut être responsable et les risques qu’elle court, et en lui conseillant d’obtenir un avis indépendant: Barclays, précité, aux pp. 431 et 432.

79 Dans un passage de ses motifs, lord Browne‑Wilkinson paraît étendre cette obligation au‑delà des couples qui cohabitent lorsqu’il qualifie ainsi, à la p. 431, les types de liens qui engendrent l’obligation de se renseigner:

[traduction] [D]ans une affaire ou le créancier sait que la caution s’en remet en toute confiance au débiteur principal quant à ses affaires financières, le créancier est dans une situation où il doit se renseigner, exactement de la même manière que dans le cas d’un mari et de sa femme.

En établissant l’exigence stricte d’une rencontre séparée avec la caution, lord Browne‑Wilkinson a, cependant, parlé de [traduction] «la pression émotive résultant de la cohabitation» (p. 431). Ailleurs, il a mentionné comment [traduction] «les liens sexuels et affectifs qui existent entre des parties [mariées] peuvent facilement donner lieu à un abus d’influence» (p. 424). Lorsqu’elle constate l’existence d’un tel lien entre les parties, la banque devrait reconnaître le risque d’abus d’influence (en supposant que l’opération est, à première vue, préjudiciable à la partie qui offre le cautionnement). Cependant, suivant la même logique, un lien plus éloigné éveillera moins de soupçons d’abus d’influence, même si l’opération est apparemment préjudiciable à la caution. En conséquence, il se peut qu’il soit plus facile de convaincre la personne honnête et raisonnable que la caution ou le garant connaît les conséquences juridiques de l’opération projetée.

80 À l’époque où il a signé la résolution, Gold avait déjà passé trois années à l’université, pendant lesquelles il avait suivi des cours en affaires, en économie et en comptabilité. Il travaillait à temps plein pour le University of Western Ontario Student Council, à titre de directeur des loisirs et de la production. L’objet de la garantie lui a été expliqué par Rosenberg. La déclaration sous serment suivante de Rosenberg a été considérée comme faisant partie de la preuve de Gold:

[traduction] En juillet 1989, j’ai avisé Jeffrey que la Banque Toronto‑Dominion m’avait demandé de fournir un autre cautionnement des dettes de Trojan et que, vu que je ne pouvais pas -- et je cite -‑ «toucher» -‑ fin de la citation ‑- ma moitié de la succession à l’époque, j’ai demandé que Primary garantisse la dette de 1 200 000 $ de Trojan, en grevant d’une hypothèque subsidiaire sa propriété sise au 186, rue Columbia. Les motifs de la garantie ont été entièrement communiqués à Jeffrey avant qu’il ne signe, en tant qu’administrateur de Primary, une résolution autorisant cette garantie.

Étant donné que la valeur de ma moitié de la succession était de loin supérieure à 1 200 000 $, il n’y avait pratiquement aucun risque que la garantie mette en péril la moitié de la succession revenant à Jeffrey.

La déclaration que la valeur de la part de la succession de Rosenberg dépassait de loin le montant de la garantie était exacte à l’époque.

81 Il ne faut pas oublier que la caution était non pas Gold mais Primary, une compagnie dont les actions faisaient partie de la succession.

82 Dans ces circonstances, je ne puis accepter que des explications ou un avis juridique supplémentaires étaient nécessaires, et que s’ils avaient été fournis, cela aurait changé quoi que ce soit. Je suis sûr que Gold aurait jugé tout à fait inutile un «entretien» avec M. Slack. En ce qui concerne l’avis juridique supplémentaire, je suis certain que si Gold avait cru nécessaire d’obtenir un avis juridique indépendant, il l’aurait obtenu. Il savait que les procureurs de la succession représentaient également son oncle et il n’était guère nécessaire que la banque l’avise qu’il pouvait consulter un autre avocat, s’il le souhaitait.

83 La banque n’est tenue que d’agir raisonnablement dans les circonstances. Les garanties offertes par une compagnie lorsque son administrateur peut être bénéficiaire d’une fiducie à l’égard des actions de la compagnie sont monnaie courante. La banque a‑t‑elle l’obligation de conseiller à chaque administrateur, dont le consentement est nécessaire pour obtenir la garantie, de demander un avis juridique indépendant? Je suis d’avis que, dans les circonstances, recommander à Gold d’obtenir un avis juridique indépendant peut représenter le conseil idéal, mais que cela dépasse ce à quoi l’on s’attend d’un banquier honnête et raisonnable. Pour citer le juge Gibson dans l’arrêt Baden, précité, à la p. 268, cela imposerait [traduction] «une obligation irréaliste de se renseigner» à une banque qui, par ailleurs, agit raisonnablement.

84 Mon collègue renvoie à l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario Bertolo c. Bank of Montreal (1986), 57 O.R. (2d) 577. Dans cette affaire, Mme Bertolo avait offert à la banque un billet à ordre et une hypothèque sur sa maison pour garantir un prêt consenti à son fils. Selon la politique de la banque, elle devait obtenir un avis juridique indépendant que, pour diverses raisons, elle n’a pas obtenu. Quand l’entreprise du fils a fait faillite, la banque a voulu exécuter la garantie. En première instance et en appel, Mme Bertolo a réussi à faire annuler le billet à ordre et l’hypothèque pour le motif qu’elle n’avait pas pleinement saisi les conséquences de ses actions. La banque ne pouvait exécuter la garantie parce qu’elle avait omis de s’assurer que Mme Bertolo avait reçu un avis juridique indépendant.

85 À mon avis, l’arrêt Bertolo n’est guère utile. La nécessité d’obtenir un avis juridique indépendant dans cette affaire peut s’expliquer par le fait que Mme Bertolo était incapable, sans un tel avis, de comprendre le moindre aspect de l’opération. Il me suffit de citer un extrait de la description qu’en a donnée la Cour d’appel (à la p. 579):

[traduction] Elle n’a aucune expérience en affaires et elle est peu instruite. Elle ne connaît pas bien l’anglais et [. . .] est incapable d’interpréter et de comprendre des documents comme des billets à ordre, des hypothèques subsidiaires et des états financiers.

Pour déterminer si quelqu’un a besoin d’un avis juridique indépendant, il faut se poser les deux questions principales suivantes: la personne comprend‑elle ce qu’on lui propose et est‑elle libre de prendre une décision de son propre gré? La première question a trait à l’information et à l’intelligence, alors que la deuxième dépend, notamment, de la question de savoir s’il y a abus d’influence. Si on écarte complètement la possibilité qu’il y ait abus d’influence de la part de son fils, ce qui n’a jamais été allégué, il est évident que, sans avis juridique indépendant, Mme Bertolo ne pouvait pas avoir compris ce à quoi elle consentait. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que Mme Bertolo aurait dû obtenir un avis juridique indépendant et qu’elle ne l’a pas fait, premièrement, parce que l’avocat qu’elle a rencontré faisait partie du cabinet qui représentait son fils et la banque et, deuxièmement, parce que la nature et les conséquences de l’opération ne lui ont pas été expliquées.

86 Il n’y a pas de comparaison possible entre Gold et Mme Bertolo ni entre les circonstances des deux affaires. En fait, le contraste sert à illustrer le type de cas dans lequel un avis juridique indépendant n’est pas une condition préalable.

87 Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

//Le juge Gonthier//

Version française des motifs rendus par

88 Le juge Gonthier — Bien que je sois d’accord avec le juge Iacobucci pour dire qu’il s’agit, en l’espèce, d’un cas de réception en connaissance de cause de biens en fiducie, je partage l’avis du juge Sopinka que, compte tenu de ce qu’elle savait, la banque a agi raisonnablement dans les circonstances. Je souscris à ses motifs sur ce point et à sa façon de trancher le pourvoi.

Pourvoi rejeté, les juges La Forest, Cory et Iacobucci sont dissidents.

Procureurs de l’appelant: Blake, Cassels & Graydon, Toronto.

Procureurs de l’intimée la Banque Toronto‑Dominion: Gowling, Strathy & Henderson, Kitchener (Ont.).


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Fiducies et fiduciaires - Manquement à une obligation fiduciaire - Responsabilité des tiers à la fiducie - Aide apportée en connaissance de cause - Réception en connaissance de cause - Client donnant à la banque une garantie d’emprunt assortie d’une hypothèque subsidiaire sur un bien en fiducie - La banque a‑t‑elle sciemment aidé à commettre un manquement à une obligation fiduciaire? - La banque est‑elle responsable de réception en connaissance de cause de biens en fiducie? - La banque a‑t‑elle reçu les biens en fiducie à ses propres usage et profit? - La banque a‑t‑elle manqué à son devoir de demander des renseignements?.

Un testateur, décédé en 1985, avait nommé son fils R et son petit‑fils, l’appelant G, exécuteurs et bénéficiaires à parts égales du reliquat de sa succession. Les biens de la succession consistaient principalement en des biens immeubles commerciaux détenus par deux compagnies. Peu après le décès du testateur, G a signé une procuration générale permettant à R de poursuivre la gestion des compagnies de la succession, à laquelle il avait participé de près. Le testateur, les compagnies de la succession, R et une compagnie d’entreposage appartenant à R avaient tous un compte à la banque intimée. Un seul directeur des comptes s’occupait de tous ces comptes, et il connaissait en détail le testament du testateur et possédait une copie de la procuration. En 1989, la banque a consenti un prêt à la compagnie d’entreposage à la condition de recevoir de P, l’une des compagnies de la succession, une garantie assortie d’une hypothèque subsidiaire de deuxième rang sur une propriété de P, et d’obtenir la cession de rang d’une hypothèque détenue par l’autre compagnie de la succession, en faveur d’une nouvelle hypothèque devant être consentie à la banque. Le cabinet d’avocats qui représentait la succession, les compagnies de la succession, R, la compagnie d’entreposage et, sur certaines questions, la banque, a préparé une résolution des administrateurs de P et un formulaire de garantie. R a signé les deux documents. Le cabinet d’avocats a envoyé à la banque une lettre d’opinion qui précisait que la garantie était conforme à toutes les exigences légales. La banque a consenti le prêt à la compagnie d’entreposage et la résolution des administrateurs a été, par la suite, signée par G. Ultérieurement, G a révoqué la procuration et déposé une déclaration contre R, P, la banque et le cabinet d’avocats, dans laquelle il sollicitait un jugement déclarant que la garantie donnée à la banque par P était invalide et inexécutoire. La banque a présenté une demande entre défendeurs contre P en vue d’obtenir l’exécution de la garantie. Le juge de première instance a imposé à la banque une fiducie par interprétation en faveur de G et a déclaré que la garantie, l’hypothèque subsidiaire et la cession de rang de l’hypothèque étaient inexécutoires. La Cour d’appel a accueilli l’appel de la banque et rejeté l’action de G contre celle-ci.

Arrêt (les juges La Forest, Cory et Iacobucci sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Les juges Sopinka, McLachlin et Major: À supposer qu’il y ait lieu d’instruire la thèse de la responsabilité fondée sur la réception en connaissance de cause même si l’affaire a été présentée et traitée, en première instance et en appel, comme un cas d’aide apportée en connaissance de cause, lorsqu’une banque reçoit une garantie assortie d’une hypothèque subsidiaire sur des biens en fiducie, elle ne reçoit pas ces biens à ses propres usage et profit. Dans les cas de réception en connaissance de cause, la réception de biens en fiducie signifie, à tout le moins, le fait d’en prendre possession. La garantie est un contrat dont l’exécution dépend du défaut du débiteur principal. Si la caution assortit la garantie d’une hypothèque sur des biens immeubles, le créancier ne jouit, au mieux, que d’un droit éventuel sur ces biens.

En outre, même si la présente affaire est considérée à bon droit comme un cas de réception en connaissance de cause, la banque, compte tenu de ce qu’elle savait, a agi raisonnablement dans les circonstances et ne peut donc être tenue responsable. La personne honnête au courant des faits de la présente affaire n’aurait pas demandé d’autres renseignements. Les avocats et comptables qui ont préparé l’opération auraient vraisemblablement affirmé qu’elle était équitable, si on le leur avait demandé. Si l’on avait demandé à G ce qu’il pensait de la garantie, il ne l’aurait guère mise en question vu qu’il avait signé la résolution.

Dans certaines circonstances, un tiers dans la même position que la banque ne se sera acquitté de son obligation de se renseigner que si la caution s’est vu conseiller d’obtenir un avis juridique indépendant. Lorsque l’opération est manifestement préjudiciable à la personne qui offre le cautionnement et que le lien qui existe entre cette personne et le débiteur principal est particulièrement étroit, la loi suppose qu’il y a eu abus d’influence de la part du débiteur principal. Un lien plus éloigné éveillera moins de soupçons d’abus d’influence, même si l’opération est apparemment préjudiciable à la caution. En conséquence, il se peut qu’il soit plus facile de convaincre la personne honnête et raisonnable que la caution ou le garant connaît les conséquences juridiques de l’opération projetée. À l’époque où il a signé la résolution, G avait déjà passé trois années à l’université, pendant lesquelles il avait suivi des cours en affaires, en économie et en comptabilité. L’objet de la garantie lui a été expliqué par R. Dans les circonstances, recommander à G d’obtenir un avis juridique indépendant dépasse ce à quoi l’on s’attend d’un banquier honnête et raisonnable.

Le juge Gonthier: Même si, comme l’a conclu le juge Iacobucci, il s’agit, en l’espèce, d’un cas de réception en connaissance de cause de biens en fiducie, la banque, compte tenu de ce qu’elle savait, a agi raisonnablement dans les circonstances, et ce, pour les motifs exposés par le juge Sopinka.

Les juges La Forest, Cory et Iacobucci (dissidents): Le manquement à une obligation fiduciaire peut engager la responsabilité d’un tiers à la fiducie selon la règle de l’«aide apportée en connaissance de cause». Comme cette expression l’indique, le demandeur doit prouver non seulement que le manquement à une obligation fiduciaire a été frauduleux et malhonnête, mais encore que le défendeur y a participé sciemment. La connaissance requise pour ce type de responsabilité est la connaissance de fait. À supposer, sans en décider, que R ait commis un manquement malhonnête et frauduleux à une obligation fiduciaire et que la banque ait participé à ce manquement, l’action de G fondée sur l’aide apportée en connaissance de cause échoue en raison de l’absence de preuve que la banque avait une connaissance de fait de la fraude de R. La lettre d’opinion a sans doute rassuré la banque que la garantie n’était pas entachée de fraude et, par conséquent, on ne peut pas affirmer que la banque avait une connaissance de fait que la garantie était obtenue en violation d’une obligation fiduciaire.

Selon ce que l’on peut déduire quant à la connaissance, l’equity peut aussi imposer une responsabilité si le défendeur a reçu de son propre chef un bien obtenu grâce à un manquement à une obligation fiduciaire. L’action fondée sur la «réception en connaissance de cause» veut essentiellement que la réception des biens en fiducie ait enrichi le défendeur aux dépens du demandeur. L’action relève donc du droit en matière de restitution. Une cour peut imposer la responsabilité pour réception en connaissance de cause même si le défendeur a agi sans vraiment avoir la connaissance de fait du manquement à une obligation fiduciaire. Le défendeur ne peut garder les biens en question s’ils ont été acquis dans des circonstances qui auraient amené une personne raisonnable à soupçonner l’existence d’un manquement à une obligation fiduciaire. La réclamation pour réception en connaissance de cause porte essentiellement sur un droit de propriété et la partie qui reçoit des biens en fiducie peut être tenue responsable à titre de fiduciaire par interprétation si, alors qu’elle savait qu’il pouvait y avoir manquement à une obligation fiduciaire, elle n’a pas demandé les renseignements appropriés.

Même si l’on adopte le point de vue selon lequel la garantie fournie par P et soutenue par une hypothèque subsidiaire sur un de ses biens n’est pas un bien en fiducie, l’avantage conféré à la banque et la perte de valeur qui s’ensuit pour la succession suffisent pour faire entrer la garantie dans la catégorie de la responsabilité fondée sur la réception en connaissance de cause. En outre, dans la présente action, la banque a tenté de faire exécuter la garantie par P. Si la garantie est exécutée, la banque recevra alors clairement des biens.

La garantie était sujette à une fiducie en faveur de G, et la banque en a pris possession de son propre chef et en violation d’une obligation fiduciaire. L’existence des deux premiers éléments de la réception en connaissance de cause est donc établie. Finalement, la banque n’a pas acquis les biens à titre d’acquéreur de bonne foi moyennant contrepartie et sans connaissance de cause, vu que les circonstances étaient assez suspectes pour qu’elle soit tenue de se renseigner. La lettre d’opinion qui précisait que la garantie était conforme à toutes les exigences légales ne satisfait pas à l’obligation de la banque de s’informer raisonnablement. Étant donné que la banque savait que le cabinet d’avocats représentait toutes les parties, elle savait que le cabinet ne pouvait pas avoir donné à G un avis indépendant quant à la signature de la résolution des administrateurs qui autorisait la garantie. Par conséquent, la banque se voit attribuer la connaissance présumée du manquement à une obligation fiduciaire et accepte donc la garantie sous réserve des droits de G en equity. Pour ces motifs, la banque ne peut pas faire exécuter la garantie par P.


Parties
Demandeurs : Gold
Défendeurs : Rosenberg

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Sopinka
Distinction d’avec l’arrêt: Bertolo c. Bank of Montreal (1986), 57 O.R. (2d) 577
arrêts mentionnés: Citadelle (La), Cie d'assurances générales c. Banque Lloyds du Canada, [1997] 3 R.C.S. 805
Baden c. Société Générale pour Favoriser le Développement du Commerce et de l’Industrie en France SA, [1992] 4 All E.R. 161
Barclays Bank plc c. O’Brien, [1993] 4 All E.R. 417.
Citée par le juge Iacobucci (dissident)
MacDonald c. Hauer, [1977] 1 W.W.R. 51
Air Canada c. M & L Travel Ltd., [1993] 3 R.C.S. 787
Citadelle (La), Cie d'assurances générales c. Banque Lloyds du Canada, [1997] 3 R.C.S. 805
Barnes c. Addy (1874), L.R. 9 Ch. App. 244
Agip (Africa) Ltd. c. Jackson, [1990] 1 Ch. 265
Nelson c. Larholt, [1948] 1 K.B. 339
Royal Brunei Airlines Sdn. Bhd. c. Tan, [1995] 3 W.L.R. 64
Carl Zeiss Stiftung c. Herbert Smith & Co., [1969] 2 Ch. 276
In re Montagu’s Settlement Trusts, [1987] 1 Ch. 264
Carl B. Potter Ltd. c. Banque Mercantile du Canada, [1980] 2 R.C.S. 343
Cartwright c. Lyster, [1934] 2 D.L.R. 166
Canadian Pacific Air Lines Ltd. c. Canadian Imperial Bank of Commerce (1987), 27 E.T.R. 281
Barclays Bank plc c. O’Brien, [1993] 4 All E.R. 417
Credit Lyonnais Bank Nederland NV c. Burch, [1997] 1 All E.R. 144
Bertolo c. Bank of Montreal (1986), 57 O.R. (2d) 577.
Doctrine citée
Halsbury’s Laws of England, vol. 20, 4th ed. London: Butterworths, 1993 (reissue).
Harpum, Charles. «The Stranger as Constructive Trustee» (1986), 102 L.Q.R. 114 and 267.
McGuinness, Kevin Patrick. The Law of Guarantee: A Treatise on Guarantee, Indemnity and the Standby Letter of Credit, 2nd ed. Scarborough, Ont.: Carswell, 1996.
Nouveau Petit Robert. Paris: Le Robert, 1995, «recevoir».

Proposition de citation de la décision: Gold c. Rosenberg, [1997] 3 R.C.S. 767 (30 octobre 1997)


Origine de la décision
Date de la décision : 30/10/1997
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1997] 3 R.C.S. 767 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1997-10-30;.1997..3.r.c.s..767 ?
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