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12/02/1998 | CANADA | N°[1998]_1_R.C.S._220

Canada | Hall c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [1998] 1 R.C.S. 220 (12 février 1998)


Hall c. Québec (Sous‑ministre du Revenu), [1998] 1 R.C.S. 220

Mary Margaret Hall Appelante

c.

Le sous‑ministre du Revenu du Québec Intimé

Répertorié: Hall c. Québec (Sous‑ministre du Revenu)

No du greffe: 25369.

Audition et jugement: 3 décembre 1997.

Motifs déposés: 12 février 1998.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci et Bastarache.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [1996] R.D.F.Q. 41, 96 D.T.C.

6538, [1996] A.Q. no 942 (QL), qui a confirmé un jugement de la Cour du Québec, [1991] R.D.F.Q. 194. Pourvoi accueilli.

J. L. Marc Boi...

Hall c. Québec (Sous‑ministre du Revenu), [1998] 1 R.C.S. 220

Mary Margaret Hall Appelante

c.

Le sous‑ministre du Revenu du Québec Intimé

Répertorié: Hall c. Québec (Sous‑ministre du Revenu)

No du greffe: 25369.

Audition et jugement: 3 décembre 1997.

Motifs déposés: 12 février 1998.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci et Bastarache.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [1996] R.D.F.Q. 41, 96 D.T.C. 6538, [1996] A.Q. no 942 (QL), qui a confirmé un jugement de la Cour du Québec, [1991] R.D.F.Q. 194. Pourvoi accueilli.

J. L. Marc Boivin, pour l’appelante.

Pierre Séguin et Martine Bergeron, pour l’intimé.

Le jugement de la Cour a été rendu par

//Le juge Gonthier//

1 Le juge Gonthier -- Suite à l'audition de cette affaire, l'appel a été accueilli séance tenante avec motifs à suivre. Voici ces motifs. Deux questions fondamentales touchant au droit des successions au Québec sont soulevées par le présent pourvoi. Premièrement, il traite de la nature et des effets de la saisine de l’exécuteur testamentaire. Deuxièmement, la question se pose de savoir si les fruits et revenus générés par un bien après le décès du testateur sont assujettis à l’administration de l’exécuteur ou si lesdits fruits et revenus passent, sans condition, aux héritiers et légataires testamentaires.

I. Faits

2 Le 3 mai 1985, George W. Hall, mari de l’appelante, décède. Aux termes de son testament, il désigne cette dernière légataire résiduaire de tous les biens de la succession.

3 La succession est composée, entre autres biens, d’un portefeuille de valeurs mobilières. Le testament désigne l’appelante et son fils, Me James Douglas Hall, comme exécuteurs testamentaires. Compte tenu de l’âge avancé de l’appelante et de son manque d’expérience en affaires, c’est Me Hall qui s’occupe de régler la succession. Le testament énumère et précise les pouvoirs des exécuteurs testamentaires et les étend au-delà de l’an et jour prévus à l’art. 918 du Code civil du Bas Canada. Plus précisément, la clause 8 du testament stipule en partie:

[traduction]

. . .

Mes exécuteurs testamentaires et fiduciaires auront la saisine et la possession de tous mes biens, meubles et immeubles, réels et personnels ainsi que les pouvoirs y afférents au‑delà de l’an et jour prévus par la loi, jusqu’à la complète exécution de mon testament et jusqu’à l’entier partage du capital de ma succession.

Outre tous les autres pouvoirs qui leurs sont accordés par la loi, mes exécuteurs testamentaires et fiduciaires auront, sans formalité de justice et sans le consentement de tout bénéficiaire, les pouvoirs suivants qu’ils pourront exercer à leur entière discrétion:

a) vendre, hypothéquer et aliéner, au besoin, en tout ou en partie, les biens meubles et immeubles de ma succession, recevoir le produit et la contrepartie découlant de leur vente, en donner quittance et mainlevée et aussi abandonner ou donner tout bien, meuble ou immeuble, qu’ils considèrent sans valeur;

b) investir et investir de nouveau toutes les sommes d’argent de ma succession . . .

. . .

f) déterminer si toute somme d’argent reçue ou déboursée sera imputable au principal ou au revenu ou aux deux et dans quelles proportions, de même que trancher toutes les autres questions de nature similaire pouvant se poser dans le cadre de leur administration;

. . .

j) reporter la vente, la réalisation, le rappel et la conversion, en tout ou en partie, de l’actif de ma succession, sans être responsables de toute perte découlant d’un tel report, particulièrement en ce qui concerne toute action de la Royal Trust Company que je posséderai au moment de mon décès, ma volonté étant que mes exécuteurs testamentaires et fiduciaires puissent les conserver aussi longtemps qu’ils le jugeront souhaitable;

. . .

n) de façon générale, accomplir tous les actes d’administration et autres actes de propriété comme ils le feraient et avec les mêmes effets que s’ils étaient les propriétaires absolus des biens de ma succession et trancher toutes les questions pouvant se poser dans le cadre de l’administration, de la réalisation, du partage ou de la liquidation qu’ils feront de ma succession et leurs décisions, qu’elles soient faites par écrit ou qu’elles découlent implicitement de leurs actes, seront définitives et lieront tous les bénéficiaires. [Je souligne.]

4 Durant sa première année fiscale se terminant le 3 mai 1986, la succession touche la somme de 38 329 $ en revenus d’intérêts et dividendes provenant du portefeuille de valeurs mobilières. Cette somme est déposée au nom de la succession dans un compte de banque ouvert à cette fin. Au cours de cette première année fiscale, la succession acquitte les dettes du testateur, paie une partie des legs particuliers et distribue à l’appelante la somme de 10 910 $. Dans sa déclaration de revenus relative à cette année fiscale, la succession s’impose sur des revenus de placements d’environ 27 580 $, alors que l’appelante s’impose sur la somme de 10 910 $ qui lui a été distribuée.

5 Le 14 décembre 1987, le ministère du Revenu du Québec délivre un certificat de distribution en vertu de l’art. 14 de la Loi sur le ministère du Revenu, L.R.Q., ch. M‑31. Peu après, la succession termine son administration, verse le résidu à l’appelante et transfère les valeurs mobilières à son nom.

6 Le 15 avril 1988, le ministère du Revenu envoie à l’appelante un nouvel avis de cotisation concernant l’année d’imposition 1986 afin d’ajouter à son revenu une somme de 30 329,76 $. L’intimé prétend que ce montant, qui représente les intérêts et les dividendes non versés à l’appelante, était «payable» à l’appelante par la succession aux termes de l’art. 652 de la Loi sur les impôts, L.R.Q., ch. I-3 («L.I.»), et était donc imposable entre ses mains. Le 16 décembre 1988, l’appelante dépose en Cour du Québec un avis d’appel à l’encontre de ce nouvel avis de cotisation. Le 19 juillet 1991, l’appel est rejeté par le juge Louis Robichaud de la Cour du Québec (chambre civile). Cette décision est ensuite confirmée unanimement par la Cour d’appel, le 17 avril 1996.

II. Dispositions législatives pertinentes

7 Les articles 646, 652 et 663 L.I. se lisaient ainsi à l’époque:

646. Dans la présente partie, une fiducie, quel que soit l’endroit de sa création, ou une succession, désignées dans le présent titre par l’expression «fiducie», comprennent également le fiduciaire, l’exécuteur testamentaire, l’administrateur, l’héritier ou tout autre représentant légal ayant la propriété ou le contrôle des biens de la fiducie ou de la succession.

De même, un bénéficiaire comprend toute personne ayant un droit dans une fiducie.

652. Aux fins du paragraphe a de l’article 657 et des articles 663, 667 et 672 à 676, un montant n’est considéré payable dans une année d’imposition que s’il a été effectivement payé dans l’année à la personne à laquelle il était payable ou que si cette personne avait le droit d’en exiger le paiement dans cette année.

663. Le revenu d’une fiducie pour une année d’imposition avant toute déduction en vertu de l’article 130.1, des paragraphes a et b de l’article 657 et des règlements adoptés en vertu du paragraphe a de l’article 130, doit également être inclus dans le calcul du revenu, dans le cas d’une fiducie qui n’est pas régie par un régime de prestations aux employés, d’un bénéficiaire pour l’année dans la mesure où il est devenu à payer à ce dernier dans l’année, qu’il lui soit versé ou non, et ne doit pas l’être pour une année subséquente où le paiement est effectué, et, dans le cas d’une fiducie régie par un tel régime, d’une personne qui a contribué au régime à titre d’employeur dans la mesure où il a été payé dans l’année à cette personne. [Je souligne.]

8 Les articles 409, 871, 891, 918 et 921 C.c.B.C. énoncent:

409. Les fruits naturels ou industriels de la terre, les fruits civils, le croît des animaux, appartiennent au propriétaire par droit d’accession.

871. Les fruits et intérêts de la chose léguée courent au profit du légataire à compter du décès, lorsque le testateur a expressément déclaré sa volonté à cet égard dans le testament.

La rente viagère ou pension léguée à titre d’aliments court également du jour du décès.

Dans les autres cas les fruits et intérêts ne courent que de la demande en justice ou de la mise en demeure.

891. Le légataire à quelque titre que ce soit est par le décès du testateur ou par l’événement qui donne effet au legs, saisi du droit à la chose léguée dans l’état où elle se trouve, et des accessoires nécessaires qui en forment partie, ou du droit d’obtenir le paiement, et d’exercer les actions qui résultent de son legs, sans être obligé d’obtenir la délivrance légale.

918. L’exécuteur testamentaire est saisi comme dépositaire légal, pour les fins de l’exécution du testament, des biens meubles de la succession, et peut en revendiquer la possession même contre l’héritier ou le légataire.

Cette saisine dure pendant l’an et jour à compter du décès du testateur, ou du temps où l’exécuteur a cessé d’être empêché de se mettre en possession.

Lorsque ses fonctions ont cessé, l’exécuteur testamentaire doit rendre compte à l’héritier ou au légataire qui recueillent la succession, et leur payer ce qui lui reste entre les mains.

Si, en vertu du testament, la durée de ses fonctions se prolonge au delà de l’an et jour, l’exécuteur testamentaire est tenu, à la demande de l’héritier ou du légataire, ou de l’un des héritiers ou légataires, de rendre de temps à autre un compte sommaire de sa gestion et de l’administration des biens de la succession s’il en est chargé, lequel compte doit être fourni sans frais ni formalité de justice.

921. Le testateur peut modifier, restreindre, ou étendre les pouvoirs, les obligations et la saisine de l'exécuteur testamentaire, et la durée de sa charge. Il peut constituer l'exécuteur testamentaire administrateur des biens en tout ou en partie, et même lui donner pouvoir de les aliéner, avec ou sans l'intervention de l'héritier ou du légataire, en la manière et pour les fins par lui établies.

III. Jugements des instances inférieures

A. Cour du Québec, chambre civile, [1991] R.D.F.Q. 194

9 Dans son jugement, le juge Robichaud s’attarde à la notion de «saisine». Il constate que cette notion revêt une importance primordiale puisqu’à la lumière de la loi, de la doctrine et du testament, il faut distinguer deux types de saisines, soit celle dévolue au légataire par l’effet de l’art. 891 C.c.B.C., et celle de l’exécuteur testamentaire énoncée à l’art. 918 C.c.B.C.

10 Le juge Robichaud estime que la saisine du légataire universel a priorité sur celle de l’exécuteur testamentaire (à la p. 196):

Le Tribunal est d’opinion, suivant la doctrine de Mignault, que la saisine du légataire universel a priorité sur celle des exécuteurs testamentaires, qui ne sont considérés que comme dépositaires, ayant une possession ne conférant aucun attribut afférent au droit de propriété, tel qu’il est reconnu dans notre droit, surtout celui de la jouissance des fruits produits par le capital.

11 Il rejette l’argument de l’appelante à l’effet que l’art. 646 L.I. assimile la succession à une fiducie et que par voie de conséquence, «on devrait conclure que c’est la succession qui serait devenue propriétaire — encore que temporaire — de l’actif successoral» (p. 196). Selon le juge, l’art. 646 doit être lu à la lumière des autres dispositions de la Loi sur les impôts, y compris l’art. 663 qui précise que le revenu d’une fiducie, ou d’une succession, doit être inclus dans le calcul du revenu du bénéficiaire dans la mesure où il est devenu «payable» à ce dernier, ce qui serait le cas en l’espèce.

12 Enfin, le juge Robichaud conclut que les fruits et intérêts produits par les biens légués à l’appelante ne font pas partie de la saisine légale de l’exécuteur testamentaire étant donné qu’ils ont été générés après le décès du testateur et ne faisaient donc pas partie du patrimoine successoral. Il ajoute que, par ailleurs, le testament ne confie aucun pouvoir de gestion aux exécuteurs sur les fruits et revenus produits par les biens légués.

B. Cour d’appel du Québec, [1996] R.D.F.Q. 41

13 Le juge Forget (ad hoc) (aux motifs duquel souscrivent les juges LeBel et Tourigny) note d’abord que le testament du de cujus crée une simple succession testamentaire, régie par les art. 863 et suiv. C.c.B.C., et non pas une fiducie au sens des art. 981a et suiv. C.c.B.C. Le juge Forget rejette également la prétention de l’appelante selon laquelle l’art. 646 L.I. assimile entièrement la simple succession testamentaire à la fiducie.

14 Bien qu’une succession puisse, en vertu de l’art. 647 L.I., être un contribuable distinct et constituer une entité imposable dès le décès du testateur, l’art. 663 L.I. crée une exception en stipulant que «le revenu d’une fiducie — et par voie de conséquence d’une succession — doit être inclus dans le calcul du revenu d’un bénéficiaire — en l’espèce de la légataire universelle résiduaire — dans la mesure où il “est devenu à payer” à ce dernier dans l’année, qu’il lui soit versé ou non» (p. 44). Pour sa part, l’art. 652 L.I. édicte qu’une somme devient «à payer» dans l’année si elle a été effectivement payée à la personne à laquelle elle était payable, ou si cette personne avait le droit d’en exiger le paiement.

15 Il s’agit donc de déterminer si l’appelante pouvait exiger le paiement des revenus durant la première année fiscale de la succession. L’intimé répond par l’affirmative, alors que l’appelante prétend qu’il appartenait aux exécuteurs testamentaires de choisir le moment où cette somme serait payée, à la fin de l’administration de la succession. Le juge Forget précise que puisque la Loi sur les impôts ne déroge pas expressément au droit commun, il faut recourir aux principes du droit civil concernant les successions et les droits des légataires pour répondre à cette question.

16 La Cour d’appel poursuit son raisonnement en notant que le testament crée au bénéfice de l’appelante un legs universel résiduaire sur les biens meubles et immeubles du testateur. Ainsi, l’appelante est devenue propriétaire des biens légués dès le jour du décès sans aucune formalité. En vertu de l’art. 891 C.c.B.C. portant sur la saisine des légataires, et du droit d’accession prévu à l’art. 409 C.c.B.C., l’appelante a aussi acquis au décès de son époux la propriété des fruits des biens légués, le droit d’en obtenir paiement et d’exercer les actions qui en découlent. Quant à l’art. 871 C.c.B.C., qui pourrait restreindre le droit de l’appelante aux fruits et intérêts des biens légués, le juge Forget conclut que cet article ne trouve pas application dans le cas d’un légataire universel, puisque le testateur, ayant légué à ce dernier la totalité de son patrimoine, n’a pas besoin de lui accorder expressément les intérêts sur les biens légués.

17 Quant aux exécuteurs testamentaires, le juge Forget réitère qu’ils n’ont sur la succession qu’une possession de fait, par opposition à la possession de droit des légataires. De plus, selon le juge, la saisine de fait des exécuteurs ne couvre pas les fruits et revenus des biens légués puisque ces derniers sont postérieurs au décès du testateur et n’ont jamais fait partie du patrimoine successoral. Enfin, puisque le testament de feu George Hall ne fait aucune référence aux revenus des biens meubles de la succession, il faut bien conclure que ceux-ci «ont été dévolus» à l’appelante en même temps que les biens légués. Par conséquent, le juge Forget conclut que l’appelante avait en droit le contrôle des revenus de la succession dès le décès de son mari et était donc en droit d’en exiger le paiement. Il ajoute que la position de l’appelante pourrait mener à toutes sortes d’abus, tel le fractionnement de revenus.

IV. Questions en litige

18 1. En quoi consistent les saisines des légataires et exécuteurs testamentaires, et comment coexistent-elles?

2. La saisine de l’exécuteur testamentaire s’étend-elle aux revenus de placements générés après la mort du testateur?

V. Analyse

19 Avant d’aborder les questions principales, il faut d’abord déterminer si le testament de feu George W. Hall créait une véritable fiducie ou s’il créait simplement une succession testamentaire. L’importance de cette distinction vient du fait que les deux institutions juridiques ne sont pas régies par les mêmes dispositions du Code civil du Bas Canada et donnent lieu à différentes conséquences juridiques.

20 Dans son testament, le testateur réfère à ses [traduction] «exécuteurs testamentaires et fiduciaires», ce qui peut laisser croire à une intention de créer une fiducie. Toutefois, l’absence d’une cession ou d’un transport des biens à un fiduciaire ne permet pas une telle conclusion. En effet, le testateur, par l’effet de la clause 4 de son testament, a transmis ses biens à l’appelante en ces termes:

[traduction] Je lègue à ma femme, en propriété absolue, tout le reste de mes biens, meubles et immeubles, réels et personnels, qui composeront ma succession au moment de mon décès.

Il est donc évident que le testateur n’avait pas l’intention de créer une fiducie; il s’agissait tout simplement d’une succession testamentaire.

21 De plus, la Cour d’appel avait raison de conclure que l’art. 646 L.I. n’a pas pour effet d’assimiler la simple succession testamentaire à une fiducie. Comme elle l’affirme, le législateur a simplement voulu employer une technique particulière de rédaction en utilisant le terme «fiducie» pour différents concepts, et ce, afin d’alléger le texte de loi.

A. La coexistence des saisines des légataires et des exécuteurs testamentaires

22 En vertu des art. 652 et 663 L.I., le revenu d’une succession doit être inclus dans le calcul du revenu imposable d’une personne qui avait le droit d’en exiger le paiement lors de l’année d’imposition, que ce revenu lui ait été versé ou non. Toutefois, la Loi sur les impôts ne se prononce pas sur le droit d’un légataire d’exiger le paiement des biens légués; il faut alors se référer aux principes de droit civil, et plus particulièrement, à la notion de saisine afin de déterminer à partir de quel moment une personne a le droit d’en exiger le paiement: Royal Trust c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [1990] R.D.F.Q. 36 (C.A.). Il convient alors de considérer dans un premier temps la nature même des saisines de la légataire et de l’exécuteur testamentaire et, dans un deuxième temps, de déterminer si une a préséance sur l’autre.

(1) La saisine du légataire

23 La source de la saisine du légataire est l’art. 891 C.c.B.C., qui édicte que celui-ci «est par le décès du testateur ou par l’événement qui donne effet au legs, saisi du droit à la chose léguée». Il s’agit d’un concept imprécis et souvent mal compris. Le terme «saisine» trouve son origine dans l’expression d’origine germanique qui signifiait «possession» (G. Brière, Précis du droit des successions (3e éd. 1993), à la p. 64). Sans faire l’histoire de ce concept ancien, on peut rappeler que sous la Coutume de Paris, la saisine distinguait l’héritier légitime du légataire universel qui n’était pas «saisi de plein droit» et devait s’adresser à l’héritier pour obtenir délivrance de son legs, pour être envoyé en possession (Traité de droit civil du Québec, t. 5, par H. Roch, 1953, à la p. 441).

24 Au Bas Canada, suite à la décision de la Cour d’appel dans Blanchet c. Blanchet (1861), 11 L.C.R. 204, et à sa codification en 1866, tout légataire, même un légataire particulier ou un incapable, est par l’événement qui donne effet au legs, saisi des biens du défunt auxquels il a droit. Dans le cas du legs d’une chose non déterminée, telle une somme d’argent, le légataire est saisi du droit d’obtenir paiement. Ainsi, le droit québécois reconnaît expressément depuis 1866 que la saisine existe pour les héritiers et les légataires. Le légataire est donc assimilable à un héritier testamentaire qui, comme l’héritier légal, est saisi du legs dès l’ouverture de la succession (J. C. Smyth, «Seizin in the Quebec Law of Successions» (1956-57), 3 McGill L.J. 171, à la p. 182).

25 Selon certains auteurs, la saisine est le phénomène de la transmission de la propriété des biens qui passent du défunt à ses légataires. À cet effet, Mignault exprime que la saisine est «une disposition de la loi en vertu de laquelle les droits et les dettes d’un défunt passent, dès l’instant de sa mort, de sa personne dans celle de ses héritiers, [. . .] C’est, en d’autres termes, une investiture légale et instantanée des droits actifs et passifs du défunt» (P. B. Mignault, Le droit civil canadien, t. 3, 1897, aux pp. 269 et 270 (en italique dans l’original)). Selon l’opinion majoritaire, cependant, la saisine ne décrit aucunement la transmission de propriété, cette transmission s’opérant de plein droit en vertu de la loi et du testament (art. 596 C.c.B.C.). De même, la saisine ne signifie pas, non plus, la transmission de la possession puisque la possession constitue une situation de fait. La saisine est plutôt «l’autorisation légale de se comporter de plano en possesseur de l’hérédité, ou, mieux encore, l’habilitation légale à exercer les droits et actions du défunt sans avoir besoin d’accomplir aucune formalité préalable» (Brière, op. cit., aux pp. 65 et 66). C’est aussi l’opinion d’Albert Mayrand qui décrit la saisine comme étant «le droit “de prétendre à la situation possessoire du défunt”» (Les successions ab intestat (1971), à la p. 42). Par conséquent, la saisine des légataires décrit plutôt leur vocation à exercer la possession des biens dont ils sont par ailleurs propriétaires. Comme l’affirmait Toullier (Le droit civil français (5e éd. 1830), t. 4, no 80, à la p. 93):

La saisine que produit la maxime le mort saisit le vif, est le droit de possession du défunt, qui continue dans la personne de l’héritier. Ce droit, à l’instant même de la mort, et par la seule opération de la loi, passe à la personne qu’elle appelle à la succession; il passe immédiatement et sans interruption aussi bien que le droit de posséder, indépendamment du fait de la possession, avant même que l’hériter connaisse l’ouverture de la succession.

26 La saisine a donc pour effet d’éviter une lacune dans la possession. Elle confère les droits reliés à la possession au légataire et cela, sans qu’il soit nécessaire que celui-ci soit, de fait, en possession des biens légués. En effet, il peut arriver que le légataire n’ait même pas l’intention nécessaire à la possession, par exemple, s’il ignore même le décès du testateur. Par conséquent, la saisine constitue «le droit que l’on a d’entrer en possession effective du patrimoine du de cujus et d’exercer passivement et activement les actions qu’il avait» (Mayrand, op. cit., à la p. 42). En plus d’avoir une saisine qui confère les droits reliés à la possession, il est incontestable que le légataire est propriétaire des biens légués depuis le décès du testateur.

(2) La saisine de l’exécuteur

27 L’article 918 C.c.B.C. édicte que l’exécuteur testamentaire «est saisi comme dépositaire légal, pour les fins de l’exécution du testament, des biens meubles de la succession, et peut en revendiquer la possession même contre l’héritier ou le légataire». Ainsi, la saisine de l’exécuteur diffère de celle des légataires par le fait qu’elle est accordée afin que l’exécuteur puisse veiller à l’exécution du testament. L’article 921 C.c.B.C. précise que cette saisine peut être augmentée par le testament. Il est donc nécessaire de se rapporter au testament afin de déterminer l’étendue de la saisine. Une fois l’exécution du testament terminée, la saisine prend fin, peu importe que le testateur ait prolongé la saisine au-delà de cette période.

28 Il appert donc que par l’effet de la saisine, l’exécuteur est, en quelque sorte, mandaté d’exécuter et de donner effet à la volonté du testateur. Comme l’affirme Mignault, la saisine de l’exécuteur est «le moyen d’accomplir ce mandat et le but de l’exécution est de donner effet aux dispositions du testament» (Mignault, op. cit., t. 4, 1899, à la p. 464).

29 L’article 918 laisse croire que la saisine de l’exécuteur est compatible avec la notion de dépositaire. Cependant, la comparaison entre l’exécution testamentaire et le dépôt n’est pas entièrement heureuse puisque l’exécuteur peut ne pas garder les choses alors que le dépositaire doit les conserver jusqu’à la fin du dépôt (R. Comtois, «L’exécuteur testamentaire» (1967), 2 R.J.T. 533, à la p. 538). L’exécuteur se trouve donc à être un mandataire dont le mandat est d’exécuter le testament; c’est par le biais de la saisine que cette exécution peut se faire.

(3) La coexistence des deux saisines

30 Selon le libellé même de l’art. 918 C.c.B.C., l’exécuteur testamentaire peut, pendant la durée de sa saisine, revendiquer la possession des biens meubles même contre l’héritier et le légataire. Par cet article, le codificateur a clairement voulu accorder à l’exécuteur testamentaire plus de pouvoirs qu’une simple possession de fait. Ainsi, pendant la durée de l’administration de la succession, la saisine de l’exécuteur testamentaire aurait une certaine priorité sur celle de l’héritier. Le notaire Comtois, loc. cit., à la p. 538, s’exprime ainsi sur le sujet:

La saisine de l’exécuteur n’exclut pas celle des successeurs. Il y a ici, en quelque sorte, juxtaposition de saisines, à cause de l’objet de chacune de ces saisines. Les successeurs, bien qu’ils soient saisis des biens, ne peuvent exercer les avantages de leur saisine tant que l’exécuteur est en fonction, tant que l’exécuteur est lui-même en saisine. [Je souligne.]

31 Le fondement de ce raisonnement découle de la lecture combinée des art. 891 et 918 C.c.B.C. L’exécuteur testamentaire, pendant la durée de sa saisine, a le droit de revendiquer les biens mobiliers de la succession, même entre les mains du légataire et ce, parce qu’il doit veiller à la bonne exécution du testament. Il faut donc reconnaître une certaine priorité de la saisine de l’exécuteur testamentaire sur celle du légataire pour fins d’administration. Malgré le fait que le légataire universel soit le véritable propriétaire des biens légués, l’art. 918 C.c.B.C. précise que la saisine de l’exécuteur a préséance sur celle du légataire. Le légataire ne peut donc pas exercer ses droits sur les biens légués tant que la saisine de l’exécuteur n’a pas pris fin. Smyth, loc. cit., à la p. 184, affirme à cet effet que:

[traduction] [D]’une façon, la saisine de l’exécuteur a préséance, car elle accorde à celui-ci le droit de revendiquer la possession des biens meubles même contre l’héritier ou le légataire.

32 Par conséquent, une lecture plus juste des dispositions pertinentes de la Loi sur les impôts et du Code civil du Bas Canada, et surtout une lecture conjointe des art. 891 et 918 C.c.B.C., mène à la conclusion qu’un légataire a le droit d’exiger le paiement de ce qui lui est dû par l’exécuteur testamentaire, sans égard au montant qui lui a été versé ou non, une fois seulement que la saisine de l’exécuteur testamentaire aura pris fin. L’appelante cite Me Marc Jolin, dans Les impôts sur le revenu et le décès (1978 (feuilles mobiles)), partie II, à la p. 1-4-7, auquel je souscris:

Le Code civil et la doctrine québécoise sont beaucoup plus précis sur le moment à partir duquel les légataires ont droit aux fruits et revenus que sur le moment à partir duquel ils peuvent en exiger le paiement. En l’absence de texte précis sur le sujet, les légataires n’auraient droit d’exiger le paiement des fruits et revenus des biens qui leur sont légués qu’à partir du moment où les formalités administratives du règlement de la succession sont terminées. En effet, ce moment correspond généralement à celui à partir duquel un légataire a droit à l’action en revendication contre l’héritier ou l’exécuteur qui refuse de lui remettre le bien légué. [Je souligne.]

En l’espèce, le droit à l’action en revendication contre l’exécuteur n’avait pas encore pris naissance vu que le testateur avait étendu la saisine de l’exécuteur au-delà de l’an et jour prévus par la loi et qu’en 1986 l’administration de la succession n’était pas encore complétée.

33 La Cour d’appel, dans son jugement, a apparemment omis, d’une part, de prendre en considération cet aspect de la juxtaposition, pendant un certain laps de temps, de la saisine de l’exécuteur testamentaire et de celle de l’héritier et, d’autre part, que la saisine du premier avait priorité sur celle du second. Avec égards, je suis donc d’avis qu’elle a conclu de façon erronée que la légataire pouvait exiger le paiement des revenus des biens meubles dès la première année de la succession.

34 Si on acceptait la décision de la Cour d’appel, tout légataire aurait le droit d’exiger les biens légués pendant la liquidation même de la succession. Cela aurait pour effet de priver l’exécuteur de tout pouvoir d’administration sur le patrimoine successoral, ce qui n’était certes pas l’intention du législateur. La saisine de l’exécuteur testamentaire accorde à celui-ci un contrôle du patrimoine successoral, et le légataire ne peut exiger sa part qu’à l’expiration de cette saisine. Les droits du légataire sont secondaires à ceux de l’exécuteur testamentaire, qui contrôle les biens de la succession selon les directives du testament.

35 Par ailleurs, les dispositions du nouveau Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, semblent avoir clarifié le droit québécois quant au fonctionnement des saisines. Le nouvel art. 777 C.c.Q., qui remplace l’art. 918 C.c.B.C., précise que pendant l’administration de la succession, c’est le liquidateur qui a priorité sur les légataires et héritiers:

777. Le liquidateur exerce, à compter de l’ouverture de la succession et pendant le temps nécessaire à la liquidation, la saisine des héritiers et des légataires particuliers.

Il peut même revendiquer les biens contre ces héritiers et légataires. [Je souligne.]

36 La Cour d’appel a également conclu que, de toute façon, les revenus des biens meubles légués ne faisaient pas partie de la saisine de l’exécuteur testamentaire car ils étaient «postérieurs» au décès du testateur. Il faut donc analyser cette deuxième question.

B. Les revenus générés après la mort du testateur sont-ils inclus dans la saisine de l’exécuteur testamentaire?

37 Il convient d’abord de noter que l’art. 871 C.c.B.C. qui pourrait, à première vue, laisser croire que les fruits et intérêts des biens légués ne courent automatiquement au profit du légataire que si le testateur a expressément déclaré sa volonté à cet égard dans son testament, ne semble pas avoir application en l’espèce. Puisque la présente cause traite d’une légataire universelle à qui le testateur a donc légué la presque totalité de son patrimoine — distinction faite des autres legs — il s’ensuit que les fruits et intérêts y sont compris. (Voir: Mignault, op. cit., t. 4, à la p. 345; D’Aoust-Rudenko c. Bédard, C.S. Hull, no 550-05-000073-893, 16 février 1989.) La question dont il faut traiter est donc de savoir si les intérêts et dividendes générés par les valeurs mobilières étaient assujettis à la saisine de l’exécuteur de sorte que l’appelante n’avait pas le droit d’en exiger le paiement.

38 La Cour d’appel, dans son jugement, a conclu que la saisine des exécuteurs ne couvrait pas les fruits et revenus des biens légués à l’appelante. Se basant sur le principe que le légataire universel devient propriétaire des biens légués dès le jour du décès sans aucune formalité, la Cour d’appel a conclu que l’appelante, en vertu du droit d’accession prévu à l’art. 409 C.c.B.C., a acquis à ce moment tous les droits sur les fruits et intérêts produits par lesdits biens. Cependant, avec respect, je suis d’avis que la Cour d’appel a erré dans son application du principe d’accession prévu à l’art. 409 C.c.B.C. Plus précisément, la Cour d’appel a appliqué l’art. 409 C.c.B.C. à la saisine de l’héritier mais non à celle de l’exécuteur testamentaire. L’argument de la Cour d’appel serait valable seulement dans la mesure où on écarterait totalement l’effet de la saisine de l’exécuteur testamentaire. Toutefois, selon les principes de droit civil, bien que l’exécuteur n’ait qu’une possession de fait, l’art. 918 C.c.B.C. l’autorise à revendiquer la possession des biens entre les mains des héritiers et des légataires pendant l’administration de sa saisine. En l’espèce, les termes du testament étendent la saisine de l’exécuteur testamentaire aux biens meubles et immeubles:

[traduction] Mes exécuteurs testamentaires et fiduciaires auront la saisine et la possession de tous mes biens, meubles et immeubles, réels et personnels ainsi que les pouvoirs y afférents au-delà de l’an et jour prévus par la loi, jusqu’à la complète exécution de mon testament et jusqu’à l’entier partage du capital de ma succession. [Je souligne.]

39 Donc, l’art. 409 C.c.B.C. devrait également s’appliquer à la saisine de l’exécuteur testamentaire; les fruits et revenus (accessoires) suivront ainsi le bien principal (valeurs mobilières en l’espèce) entre les mains de l’exécuteur testamentaire.

40 On peut se demander si la position de l’intimé ne repose pas sur une certaine confusion doctrinale quant à l’application de la saisine de l’exécuteur aux revenus produits par les immeubles d’un testateur après son décès. Mignault (op. cit., t. 4, à la p. 461) écrit que:

Dans notre droit ce sera plus prudent de suivre l’avis qui a réuni les suffrages de la plupart des auteurs, tant dans l’ancien droit que dans le droit moderne, et de décider que l’exécuteur testamentaire n’est pas saisi, en vertu de la saisine légale, du revenu des immeubles échu pendant l’année de la saisine, et cela pour entre autres motifs la raison péremptoire que ce revenu n’est pas compris dans la succession du testateur, mais au contraire est la propriété de ses héritiers et légataires. [Je souligne.]

(Voir aussi: Smyth, loc. cit., à la p. 185; Brière, op. cit., aux pp. 279 et 280; Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français (2e éd. 1957), t. 5, no 686.)

41 Il n’est pas surprenant que majoritairement les doctrines québécoise et française aient conclu que les revenus générés par les immeubles après le décès du testateur ne sont pas inclus dans la saisine de l’exécuteur. Il s’agit d’une application du principe de l’accession prévu à l’art. 409 C.c.B.C. Puisque les exécuteurs ne sont pas saisis des immeubles (à moins que le testament ne prévoie le contraire), il s’ensuit qu’en vertu du principe d’accession, l’exécuteur n’est pas saisi des revenus post mortem non plus. Inversement, puisque l’exécuteur testamentaire est saisi légalement des biens meubles, il résulte que les revenus générés par ces biens sont assujettis à la saisine de l’exécuteur.

42 Il y a, cependant, un courant minoritaire qui prétend que l’exécuteur testamentaire a le droit de percevoir les revenus provenant même des immeubles durant la période de l’administration. À cet effet, Demolombe témoignait que l’usage s’était introduit, au Châtelet de Paris, de laisser à l’exécuteur testamentaire tous les revenus échus durant la saisine (Mignault, op. cit., t. 4, à la p. 461). Cependant, Mignault nous enseigne que dans le droit français moderne, l’exécuteur testamentaire n’a la saisine que si le testateur l’accorde expressément. Au Québec, le notaire Comtois favorise l’opinion que les revenus des immeubles pouvaient être perçus par l’exécuteur pendant la période de l’administration (loc. cit., à la p. 539). On cite aussi à cet effet le jugement de la Cour supérieure dans Saint-Aubin c. Crevier (1905), 28 C.S. 392.

43 Au sommaire de ce jugement, on lit: [traduction]«[l]a saisine des biens meubles de la succession conférée aux exécuteurs testamentaires, en application de l’art. 918 C.c., emporte le droit de percevoir pendant sa durée, soit un an et un jour, les revenus provenant des immeubles». Cependant, cet énoncé ne trouve pas appui dans le jugement. Après avoir conclu que la doctrine est à l’effet que les revenus générés par les immeubles d’un testateur avant son décès font partie de sa succession, le juge Davidson a conclu (à la p. 393):

[traduction] Les opinions sont partagées sur la question de savoir si ce principe s’étend aux loyers de même nature qui deviennent exigibles après l’ouverture de la succession. [. . .] La revendication de la partie demanderesse comprend un loyer devenu exigible alors que dame Hebert était vivante. En outre, il importe de noter que la revendication comprend également une demande de dommages-intérêts. L’exécuteur testamentaire est donc maître à l’égard de deux éléments de la revendication. Certaines des allégations ont directement trait à la cause d’action dans son ensemble, mais il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi pour toutes. J’estime que les éléments contenus dans les paragraphes contestés sont entièrement pertinents. L’inscription en droit doit être rejetée avec dépens. [Je souligne.]

44 Il est clair de cet extrait que le juge Davidson n’a jamais conclu que l’exécuteur est saisi des revenus générés par les immeubles après le décès du testateur. Il semble plutôt avoir précisé que les fruits et revenus générés pendant la vie du testateur y sont assujettis.

45 Le droit d’accession a pour effet d’assujettir les fruits et revenus aux mêmes règles que le bien principal. Ainsi, le légataire universel devient ipso jure propriétaire des fruits et revenus produits par les biens auxquels il a droit. Toutefois, ce droit de propriété est soumis aux mêmes conditions que le principal, c’est-à-dire, les fruits et revenus des biens visés par la saisine de l’exécuteur y sont aussi compris et ne sont «payables» au légataire universel qu’une fois la succession administrée. On ne peut appliquer aux revenus produits par les meubles la règle de non-inclusion des revenus générés par les immeubles, ces derniers étant exclus de la saisine.

46 La conclusion qui précède est d’ailleurs tout à fait conforme à l’intention du testateur. Il est reconnu en droit québécois que le testateur règle à son gré la saisine qu’il veut conférer à son exécuteur testamentaire (Mignault, op. cit., t. 4, à la p. 463). Par la clause 8 du testament, le testateur a accordé une saisine dans des termes des plus larges. Il est difficile de concevoir comment le de cujus aurait pu ajouter à la saisine de ses exécuteurs. Les exécuteurs avaient, inter alia, le pouvoir [traduction] «[d’]investir et [d’]investir de nouveau toutes les sommes d’argent», «[de] déterminer si toute somme d’argent reçue ou déboursée sera imputable au principal ou au revenu ou aux deux et dans quelles proportions, de même que [de] trancher toutes les autres questions de nature similaire pouvant se poser dans le cadre de leur administration»; et «[d’]accomplir tous les actes d’administration et autres actes de propriété comme ils le feraient et avec les mêmes effets que s’ils étaient les propriétaires absolus des biens de ma succession». (Je souligne.) Il serait illogique d’accorder de tels pouvoirs sans avoir anticipé que l’exécuteur aurait le pouvoir d’administrer les fruits et revenus générés par les biens légués. Il semble donc que le testateur ait bien compris qu’il n’y avait aucune obligation de préciser que les fruits et revenus tombaient dans la saisine des exécuteurs puisqu’ils en faisaient partie par le seul effet de la loi. Ce n’est que lorsque le testateur désire soustraire les fruits et revenus des biens visés par la saisine des exécuteurs qu’il faut le prévoir expressément.

47 Pareillement, il existe aussi une obligation de préciser si les immeubles tombent dans la succession puisque l’art. 918 C.c.B.C. les exclut à moins d’indication contraire. Toutefois, une fois les immeubles inclus, comme dans le présent cas, les revenus produits par ces immeubles tombent aussi dans la saisine des exécuteurs en vertu du principe d’accession.

48 Compte tenu de ce qui précède, il est clair que la Cour d’appel a erré en jugeant que la saisine des exécuteurs ne s’étendait pas aux fruits et revenus des biens qu’ils administrent. Il s’agissait pourtant d’une simple application du principe d’accession. Une conclusion contraire amènerait l’effet injuste d’imposer un légataire pour des revenus dont il ne bénéficie pas.

49 Quant à la crainte exprimée en Cour d’appel que la position de l’appelante aurait pour effet de donner ouverture à toutes sortes d’abus, tel le fractionnement des revenus, je partage l’avis de l’appelante qu’un tel fractionnement est intégral à l’économie de l’imposition des successions et n’a rien de répréhensible en soi. D’ailleurs, le fractionnement a toujours été possible par l’entremise d’une fiducie. Ce qui pourrait constituer un abus, c’est le maintien pour une période déraisonnable de l’existence de la succession comme contribuable distinct de l’héritier pour les seules fins de diminuer les impôts. Ce n’est toutefois pas l’art. 652 L.I. qui va empêcher un tel abus. C’est plutôt un contrôle de la diligence des exécuteurs à accomplir leur charge qui constitue la meilleure mesure de prévention de l’évasion fiscale.

VI. Conclusion

50 Je conclus donc que la légataire n’avait pas le droit d’exiger le paiement des fruits et revenus générés par les biens légués avant la fin de l’administration de la succession. Par conséquent, sur le plan fiscal, ces montants visés par la cotisation du 15 avril 1988 pour l’année 1986 n’étaient pas «payables» ou «à payer» à l’appelante et n’étaient donc pas imposables de son chef. C’est pour ces motifs que le pourvoi est accueilli ainsi que l’avis d’appel de l’appelante et que la cotisation par avis numéro 5088-MU181418C01 du 15 avril 1988 est annulée, le tout avec dépens devant toutes les cours.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureur de l’appelante: Marc Boivin, Montréal.

Procureurs de l’intimé: Veillette & Associés, Montréal.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli. le nouvel avis de cotisation concernant l’année d’imposition 1986 est annulé

Analyses

Successions - Saisine - Exécuteur testamentaire et légataire universel - Nature et effet des saisines de l’exécuteur testamentaire et du légataire - Coexistence des deux saisines - La saisine de l’exécuteur a‑t‑elle préséance sur celle du légataire? - La saisine de l’exécuteur testamentaire s’étend‑elle aux fruits et revenus générés après la mort du testateur? - Code civil du Bas Canada, art. 409, 891, 918.

Droit fiscal - Succession - Légataire universel - Disposition fiscale prévoyant que le revenu d’une succession doit être inclus dans le calcul du revenu imposable d’une personne qui avait le droit d’en exiger le paiement lors de l’année d’imposition - À quel moment cette personne a‑t‑elle le droit d’en exiger le paiement? - Loi sur les impôts, L.R.Q., ch. I‑3, art. 652, 663 -- Code civil du Bas Canada, art. 891, 918.

En 1985, le mari de l’appelante décède. Aux termes de son testament, il la désigne légataire résiduaire de tous les biens de la succession, composée notamment d’un portefeuille de valeurs mobilières. Durant sa première année fiscale, la succession touche 38 329 $ en revenus d’intérêts et dividendes provenant du portefeuille de valeurs mobilières. Dans cette année fiscale, la succession déclare des revenus de placements d’environ 27 580 $, alors que l’appelante déclare la somme de 10 910 $ qui lui a été distribuée par la succession. En 1987, l’exécuteur testamentaire termine son administration, verse le résidu de la succession à l’appelante et transfère les valeurs mobilières à son nom. L’année suivante, le ministère du Revenu envoie à l’appelante un nouvel avis de cotisation concernant l’année d’imposition 1986 afin d’ajouter à son revenu 30 329 $. Il prétend que ce montant, qui représente les intérêts et dividendes non versés à l’appelante, était «payable» à celle‑ci par la succession en vertu de l’art. 652 de la Loi sur les impôts («L.I.») et était donc imposable entre ses mains. L’appelante dépose en Cour du Québec un avis d’appel à l’encontre de ce nouvel avis de cotisation. Cet appel est rejeté et la décision de la Cour du Québec est confirmée par la Cour d’appel.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli. Le nouvel avis de cotisation concernant l’année d’imposition 1986 est annulé.

Bien que, dans son testament, le testateur réfère à ses «exécuteurs testamentaires et fiduciaires», ce qui peut laisser croire à une intention de créer une fiducie, l’absence d’une cession ou d’un transport des biens à un fiduciaire ne permet pas une telle conclusion. Le testament crée simplement une succession testamentaire. De plus, l’art. 646 L.I. n’a pas pour effet d’assimiler la simple succession testamentaire à une fiducie. Le législateur a employé une technique particulière de rédaction et utilisé le terme «fiducie» pour différents concepts, et ce, afin d’alléger le texte de loi.

En vertu des art. 652 et 663 L.I., le revenu d’une succession doit être inclus dans le calcul du revenu imposable d’une personne qui avait le droit d’en exiger le paiement lors de l’année d’imposition, que ce revenu lui ait été versé ou non. Il faut toutefois recourir aux principes de droit civil, et plus particulièrement à la notion de saisine, pour déterminer à quel moment cette personne a le droit d’en exiger le paiement. Une lecture combinée des art. 891 et 918 C.c.B.C. mène à la conclusion qu’un légataire a le droit d’exiger le paiement de ce qui lui est dû par l’exécuteur testamentaire, sans égard au montant qui lui a été versé ou non, une fois seulement que la saisine de l’exécuteur aura pris fin. La saisine dévolue au légataire par l’effet de l’art. 891 C.c.B.C. lui confère les droits reliés à la possession des biens qui lui ont été légués. Malgré le fait que le légataire soit également le propriétaire de ces biens depuis le décès du testateur, la saisine de l’exécuteur a préséance sur celle du légataire. Bien que l’exécuteur n’ait qu’une possession de fait, l’art. 918 C.c.B.C. l’autorise, pendant la durée de sa saisine, à revendiquer les biens mobiliers de la succession, même entre les mains de l’héritier ou du légataire. C’est par le biais de sa saisine qu’il contrôle le patrimoine successoral et veille à l’exécution du testament. Une fois cette exécution terminée, la saisine prend fin, peu importe que le testateur ait prolongé la saisine au-delà de cette période. L’exécuteur se trouve donc à être un mandataire chargé d’exécuter le testament. Ainsi, tant que la saisine de l’exécuteur n’a pas pris fin, les droits du légataire sont secondaires à ceux de l’exécuteur et le légataire ne peut exercer ses droits sur les biens légués. Puisqu’en l’espèce le droit à l’action en revendication contre l’exécuteur n’avait pas encore pris naissance en 1986 — l’administration de la succession n’était pas encore complétée et la saisine de l’exécuteur était toujours en vigueur —, l’appelante ne pouvait exiger le paiement des revenus des biens meubles dès la première année de la succession.

Les intérêts et dividendes générés par les valeurs mobilières léguées à l’appelante étaient assujettis à la saisine de l’exécuteur testamentaire. Le droit d’accession prévu à l’art. 409 C.c.B.C. a pour effet d’assujettir les fruits et revenus aux mêmes règles que le bien principal. Ainsi, le légataire universel devient ipso jure propriétaire des fruits et revenus produits par les biens auxquels il a droit. Toutefois, ce droit de propriété est soumis aux mêmes conditions que le principal, c’est‑à‑dire, les fruits et revenus des biens visés par la saisine de l’exécuteur y sont aussi compris et ne sont «payables» au légataire universel qu’une fois l’administration de la succession complétée. En l’espèce, en conférant à l’exécuteur une saisine dans des termes aussi larges que ceux prévus au testament, le testateur a anticipé que l’exécuteur aurait le pouvoir d’administrer les fruits et revenus générés par les biens légués. Le testateur n’avait aucune obligation de préciser que ces fruits et revenus tombaient dans la saisine de l’exécuteur puisqu’ils en faisaient partie par le seul effet de la loi. Ce n’est que lorsqu’un testateur désire soustraire les fruits et revenus des biens visés par la saisine des exécuteurs qu’il faut le prévoir expressément. De plus, on ne peut appliquer aux revenus produits par les meubles la règle de non‑inclusion des revenus générés par les immeubles, ces derniers étant exclus de la saisine. Toutefois si, comme ici, le testateur précise que les immeubles tombent dans la succession, les revenus produits par ces immeubles tombent aussi dans la saisine des exécuteurs en vertu du principe d’accession.


Parties
Demandeurs : Hall
Défendeurs : Québec (Sous-ministre du Revenu)

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés: Royal Trust c. Québec (Sous‑ministre du Revenu), [1990] R.D.F.Q. 36
Blanchet c. Blanchet (1861), 11 L.C.R. 204
D’Aoust-Rudenko c. Bédard, C.S. Hull, no 550‑05‑000073‑893, 16 février 1989
Saint‑Aubin c. Crevier (1905), 28 C.S. 392.
Lois et règlements cités
Code civil du Bas Canada, art. 409, 596, 863 et suiv., 871, 891, 918, 921, 981a et suiv.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 777.
Loi sur le ministère du Revenu, L.R.Q., ch. M‑31, art. 14.
Loi sur les impôts, L.R.Q., ch. I‑3, art. 646, 647, 652, 663 [rempl. 1984, ch. 15, art. 143].
Doctrine citée
Brière, Germain. Précis du droit des successions, 3e éd. Montréal: Wilson & Lafleur, 1993.
Comtois, Roger. «L’exécuteur testamentaire» (1967), 2 R.J.T. 533.
Jolin, Marc. Les impôts sur le revenu et le décès. Montréal: Association québécoise de planification successorale, 1978 (feuilles mobiles mises à jour en décembre 1994, envoi no 19).
Mayrand, Albert. Les successions ab intestat. Montréal: Presses de l’Université de Montréal, 1971.
Mignault, Pierre Basile. Le droit civil canadien, t. 3 et 4. Montréal: Théoret, 1897‑1899.
Planiol, Marcel, et Georges Ripert. Traité pratique de droit civil français, t. 5, 2e éd. par André Trasbot et Yvon Loussouarn. Paris: L.G.D.J., 1957.
Smyth, Jerome C. «Seizin in the Quebec Law of Successions» (1956‑57), 3 McGill L.J. 171.
Toullier, Charles Bonaventure Marie. Le droit civil français, t. 4, 5e éd. Paris: J. Renouard, 1830.
Traité de droit civil du Québec, t. 5, par Hervé Roch. Montréal: Wilson & Lafleur, 1953.

Proposition de citation de la décision: Hall c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [1998] 1 R.C.S. 220 (12 février 1998)


Origine de la décision
Date de la décision : 12/02/1998
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1998] 1 R.C.S. 220 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1998-02-12;.1998..1.r.c.s..220 ?
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