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19/03/1998 | CANADA | N°[1998]_1_R.C.S._322

Canada | Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l'énergie), [1998] 1 R.C.S. 322 (19 mars 1998)


Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l’énergie), [1998] 1 R.C.S. 322

BC Gas Utility Ltd. Appelante

c.

Westcoast Energy Inc., l’Office national de l’énergie,

le procureur général du Canada et le

procureur général de la Colombie‑Britannique Intimés

et

Le procureur général de la Nouvelle‑Écosse,

le procureur général de la Saskatchewan

et le procureur général de l’Alberta Intervenants

Répertorié: Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l’énergie)

No du greffe: 2525

9.

1997: 12 novembre; 1998: 19 mars.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major et Bastarache.

en appel ...

Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l’énergie), [1998] 1 R.C.S. 322

BC Gas Utility Ltd. Appelante

c.

Westcoast Energy Inc., l’Office national de l’énergie,

le procureur général du Canada et le

procureur général de la Colombie‑Britannique Intimés

et

Le procureur général de la Nouvelle‑Écosse,

le procureur général de la Saskatchewan

et le procureur général de l’Alberta Intervenants

Répertorié: Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l’énergie)

No du greffe: 25259.

1997: 12 novembre; 1998: 19 mars.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major et Bastarache.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale, [1996] 2 C.F. 263, 134 D.L.R. (4th) 114, 193 N.R. 321, [1996] A.C.F. no 160 (QL), qui a accueilli l’appel interjeté contre une décision de l’Office national de l’énergie relativement à des questions de compétence. Pourvoi rejeté, le juge McLachlin est dissidente.

W. S. Martin et C. B. Johnson, pour l’appelante.

W. Ian C. Binnie, c.r., Robin M. Sirett et Bruce E. Pydee, pour l’intimée Westcoast Energy Inc.

Peter W. Noonan et Lori Ann B. Boychuk, pour l’intimé l’Office national de l’énergie.

Judith Bowers, c.r., et Simon Fothergill, pour l’intimé le procureur général du Canada.

George H. Copley, c.r., pour l’intimé le procureur général de la Colombie‑Britannique.

Argumentation écrite seulement par Michael S. McPhee, pour l’intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse.

Argumentation écrite seulement par Thomson Irvine, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

Robert J. Normey et Jill Page, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

//Les juges Iacobucci et Major//

Version française du jugement des juges L’Heureux-Dubé, Gonthier, Cory, Iacobucci, Major et Bastarache rendu par

Les juges Iacobucci et Major --

I. Introduction

1. La principale question soulevée par le présent pourvoi est de savoir si la canalisation de collecte de gaz naturel et les installations de traitement dont l’aménagement est projeté font partie d’une entreprise fédérale de transport de gaz naturel par pipeline visée à l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867. Le pourvoi soulève également les deux questions subsidiaires suivantes: premièrement, les usines de traitement du gaz naturel sont-elles visées par la définition de «pipeline» à l’art. 2 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N‑7? Deuxièmement, quel est le degré de retenue judiciaire dont il convient de faire montre à l’égard des décisions de l’Office national de l’énergie sur des questions touchant à sa compétence constitutionnelle?

II. L’historique des procédures judiciaires

2. L’intimée Westcoast Energy Inc. («Westcoast») possède et exploite un réseau intégré de gazoducs. Le gaz naturel brut, qui provient de gisements situés au Yukon, dans les Territoires du Nord‑Ouest, ainsi qu’en Alberta et en Colombie‑Britannique, est transporté dans des canalisations de collecte jusqu’à des usines où il est traité afin de le débarrasser de ses impuretés. Le gaz épuré est ensuite transporté dans la canalisation principale de Westcoast jusqu’à des points de livraison en Colombie‑Britannique, en Alberta et aux États‑Unis.

3. Le présent pourvoi fait suite à deux demandes distinctes présentées par Westcoast à l’Office national de l’énergie (l’«Office») en vue d’obtenir, conformément à la Loi sur l’Office national de l’énergie, des certificats d’exemption et des ordonnances à l’égard des projets d’agrandissement des installations de collecte et de traitement de Westcoast dans les régions de ressources Fort St. John et Grizzly Valley respectivement. Initialement, la demande de Westcoast relative au projet Grizzly Valley a été ajournée. À l’audition de la demande relative au projet Fort St. John par l’Office, l’appelante, BC Gas Utility Ltd. («BC Gas»), a contesté la compétence de l’Office, plaidant que les installations projetées à Fort St. John ne constituaient pas des ouvrages ou entreprises de nature fédérale au sens de l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867. Subsidiairement, BC Gas a prétendu que la Loi sur l’Office national de l’énergie ne s’appliquait pas aux installations de traitement du gaz naturel projetées parce que celles‑ci n’étaient pas visées par la définition de «pipeline» à l’art. 2 de la Loi. Dans une décision rendue à la majorité, la formation de trois membres de l’Office a statué que les installations projetées ne constituaient pas des ouvrages ou entreprises de nature fédérale au sens de l’al. 92(10)a) et a rejeté la demande de Westcoast pour absence de compétence.

4. Westcoast a interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale. Elle a également fait renaître sa demande concernant le projet Grizzly Valley et a demandé à l’Office de renvoyer à la Cour d’appel fédérale, conformément aux art. 18.3 et 28(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7, les questions de compétence soulevées par BC Gas. L’Office a rendu l’ordonnance no MO‑21‑95 qui fait état des conclusions de fait pertinentes à l’égard des questions suivantes, qui ont été renvoyées à la Cour d’appel fédérale:

(1) Les installations que se propose de construire et d’exploiter Westcoast Energy Inc. relèvent‑elles de la compétence du Parlement du Canada selon les Lois constitutionnelles de 1867 à 1982?

(2) Le cas échéant, ces installations sont‑elles visées par la définition de «pipeline» qui figure à l’article 2 de la Loi sur l’Office national de l’énergie?

5. La Cour d’appel fédérale a examiné simultanément l’appel relatif au projet Fort St. John et le renvoi concernant le projet Grizzly Valley, et elle a statué à l’unanimité que les installations projetées à Fort St. John et à Grizzly Valley faisaient partie d’une entreprise de transport fédérale unique relevant de la compétence reconnue au Parlement par l’al. 92(10)a). Elle a également conclu que les installations de traitement du gaz naturel projetées étaient visées par la définition de «pipeline» à l’art. 2 de la Loi. Elle a accueilli l’appel de la décision de l’Office concernant la demande portant sur le projet Fort St. John et elle a renvoyé l’affaire à l’Office afin qu’il se prononce sur le fond de la demande. Enfin, elle a répondu par l’affirmative aux deux questions soulevées dans le renvoi concernant le projet Grizzly Valley.

6. L’appelante, BC Gas, s’est pourvue devant notre Cour contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale. Le procureur général de la Colombie‑Britannique intimé et les intervenants, les procureurs généraux de l’Alberta, de la Nouvelle‑Écosse et de la Saskatchewan, ont comparu au soutien de l’appelante. Les intimés Westcoast et Procureur général du Canada ont comparu pour défendre l’arrêt de la Cour d’appel. L’Office national de l’énergie intimé n’a pas participé au présent pourvoi.

III. Les faits

7. Pour trancher la question constitutionnelle soulevée par le présent pourvoi, il est nécessaire d’examiner en détail les caractéristiques matérielles et fonctionnelles des activités de Westcoast. La description qui suit se fonde sur celle faite dans les motifs exposés par l’Office à l’égard de la demande relative au projet Fort St. John et de l’ordonnance no MO‑21‑95 dans le renvoi concernant le projet Grizzly Valley.

A. Les activités et les installations de Westcoast

8. Le réseau de gazoducs de Westcoast est essentiellement un réseau de canalisations de collecte qui acheminent le gaz naturel à quatre usines de traitement, qui à leur tour alimentent en gaz épuré la canalisation principale de transport interprovincial. Des producteurs indépendants extraient le gaz naturel de gisements situés au Yukon, dans les Territoires du Nord‑Ouest, en Colombie‑Britannique et en Alberta. Le gaz ainsi extrait, appelé «gaz brut», contient un mélange d’hydrocarbures gazeux et liquides constitués principalement de méthane ainsi que d’autres substances telles que l’eau, l’hydrogène sulfuré et le gaz carbonique. Pour éviter la corrosion et la formation d’hydrates susceptibles de gêner le déplacement du gaz, les producteurs enlèvent l’eau du gaz brut avant de l’envoyer dans les canalisations de collecte de Westcoast.

9. Le gaz brut est transporté par compression dans les canalisations de collecte jusqu’à l’une des quatre usines de traitement de Westcoast, où il est traité afin de le débarrasser de ses impuretés, notamment l’hydrogène sulfuré, le gaz carbonique et les hydrocarbures liquides. Ces impuretés doivent être extraites du gaz brut avant que les consommateurs ultimes puissent l’utiliser. Le gaz ainsi traité, qui est appelé «gaz résiduaire», «gaz marchand» ou «gaz épuré», est ensuite acheminé dans la canalisation principale pour être transporté, par compression, jusqu’aux marchés de ce produit en Colombie‑Britannique, en Alberta et aux États‑Unis. Le traitement du gaz brut génère plusieurs sous‑produits qui ont également une valeur commerciale. Par exemple, l’hydrogène sulfuré qui en est retiré est transformé en soufre élémentaire, qui est ensuite stocké ou vendu.

10. Il est nécessaire d’enlever l’hydrogène sulfuré et le gaz carbonique du gaz brut avant d’acheminer celui-ci dans la canalisation principale, et ce pour deux raisons. Premièrement, l’hydrogène sulfuré et le gaz carbonique ont, ensemble, un effet corrosif. Alors que l’acier utilisé pour les canalisations de collecte est conçu pour résister à la corrosion, celui utilisé pour la canalisation principale ne l’est pas. Deuxièmement, l’hydrogène sulfuré est un produit toxique qui crée des risques inacceptables tant du point de vue de la sécurité que de l’environnement. Par conséquent, le gaz contenant de l’hydrogène sulfuré ne peut être transporté à travers les secteurs à forte densité de population où passe la canalisation principale.

11. Les installations de Westcoast comptent environ 2 488 kilomètres de canalisations de collecte parcourant l’Alberta, la Colombie‑Britannique, le Yukon et les Territoires du Nord‑Ouest, et 17 stations de compression ou «stations auxiliaires»; cinq usines de traitement situées en Colombie‑Britannique, soit à Fort Nelson, Taylor (l’usine McMahon), Pine River, Aitken Creek et dans la région de Sikanni, au nord‑ouest de Fort St. John; et environ 2 576 kilomètres de canalisations principales parcourant l’Alberta et la Colombie‑Britannique, et 17 stations de compression.

12. La canalisation de transport principale de Westcoast commence à la frontière internationale, près de Huntingdon (Colombie‑Britannique), à l’est de Vancouver, où elle est raccordée au gazoduc que possède et exploite la Northwest Pipeline Corporation aux États‑Unis. À partir de Huntingdon, la canalisation principale de Westcoast se prolonge vers le nord jusqu’à la station de compression no 2, où elle se divise en trois branches. L’une de ces branches (la canalisation principale Fort Nelson) va vers le nord jusqu’à l’usine de Fort Nelson (Colombie‑Britannique). En chemin, près de la station de compression N4, des canalisations la relient aux usines Sikanni et Aitken Creek qui appartiennent à Westcoast. La canalisation principale Fort Nelson est également raccordée à l’usine Buckinghorse, qui appartient à Westcoast Gas Services Inc., filiale de Westcoast. La deuxième branche (la canalisation principale Pine River) se prolonge vers le sud‑est jusqu’à l’usine Pine River, près de Chetwynd (Colombie‑Britannique). La troisième branche (la canalisation principale Fort St. John) va en direction du nord‑est jusqu’à la station de compression no 1, qui est adjacente à l’usine McMahon, située à Taylor, près de Fort St. John (Colombie‑Britannique), où elle se divise en deux branches en Alberta. De ces deux branches, la branche nord (la canalisation principale Boundary Lake) pénètre en Alberta sur environ 1,6 km, où elle se raccorde au gazoduc de NOVA Gas Transmission Ltd. («NOVA»). La branche la plus au sud (la canalisation principale Alberta) pénètre en Alberta sur environ 6,6 km, où elle se raccorde alors à un gazoduc de Westcoast Transmission Company (Alberta) Ltd. («Westcoast Alberta»), filiale à part entière de Westcoast. Le gazoduc de Westcoast Alberta se raccorde ensuite au gazoduc de NOVA, à l’est de la frontière entre l’Alberta et la Colombie‑Britannique. Par ailleurs, le gazoduc de Westcoast Alberta raccorde les gisements de gaz de la région de Peace River (Alberta) aux installations de transport de gaz brut de Westcoast.

13. Westcoast possède et exploite trois réseaux de canalisations de collecte. Premièrement, les canalisations de collecte Fort Nelson, dans la région de ressources Fort Nelson, qui sont constituées d’environ 856 kilomètres de pipeline s’étendant au nord et à l’est de l’usine Fort Nelson, et d’installations de compression connexes. Deuxièmement, les canalisations de collecte Fort St. John, dans la région de ressources Fort St. John, qui se composent d’environ 1 372 kilomètres de pipeline s’étendant au nord de l’usine McMahon à Taylor (Colombie‑Britannique) et de l’usine Aitken Creek, et d’installations de compression connexes. Troisièmement, les canalisations de collecte Grizzly Valley, dans la région de ressources Grizzly Valley, qui sont constituées d’environ 179 kilomètres de pipeline allant de l’usine Pine River jusqu’aux champs gazifères de la région de ressources Grizzly Valley, au sud‑est de l’usine.

14. Les canalisations de collecte sont situées en amont de quatre des cinq usines de traitement de Westcoast: Aitken Creek, McMahon, Pine River et Fort Nelson. Les usines Aitken Creek et McMahon se trouvent dans la région Fort St. John, alors que l’usine Pine River est située dans la région de Grizzly Valley. Il n’existe pas de raccordement entre les canalisations de collecte des régions de Fort Nelson, Fort St. John et Grizzly Valley. Aucune des canalisations de collecte situées en amont des usines Pine River, Aitken Creek et McMahon ne traverse la frontière provinciale. Certaines des canalisations de collecte desservant l’usine Fort Nelson traversent la frontière provinciale. Les canalisations de collecte en amont de l’usine Sikanni appartiennent à des producteurs.

15. À part de petites quantités de gaz vendues par Westcoast dans le cadre de contrats de vente hors‑réseau à des distributeurs locaux du nord‑est de la Colombie‑Britannique, le gaz transporté grâce aux installations de Westcoast n’appartient pas à cette dernière. Il appartient plutôt à des producteurs, à des courtiers, à des distributeurs locaux, à des usagers industriels et à d’autres clients, pour lesquels Westcoast transporte ce gaz, en vertu de contrats de service. La collecte, le traitement ainsi que le transport par la canalisation principale nord et la canalisation principale sud sont des services distincts offerts par Westcoast et, en tant que tels, ils peuvent être offerts aux termes d’un ou de plusieurs contrats. La propriété du gaz peut changer de mains à divers points; une partie peut posséder le gaz brut avant le traitement, tandis que d’autres peuvent être les propriétaires du gaz résiduaire et d’autres produits -- tel le soufre -- obtenus à l’usine de traitement.

16. Le gaz résiduaire peut être traité dans une usine qui n’appartient pas à Westcoast et être ensuite transporté dans la canalisation principale de cette dernière, exactement comme s’il avait été traité dans une usine lui appartenant. Tout le gaz résiduaire traité à l’une ou l’autre des usines de traitement de Westcoast passe dans la canalisation de transport principale de cette dernière, sauf une certaine quantité de gaz résiduaire provenant de l’usine Pine River, qui est renvoyée aux producteurs de la région de ressources Grizzly Valley par la canalisation de transport du gaz combustible Sukunka, pour servir de combustible dans les installations de déshydratation et de compression qui s’y trouvent.

17. Les canalisations de transport principales et les canalisations de collecte de Westcoast sont exploitées par le même personnel. Les opérations pipelinières se déroulent dans deux régions géographiques: le district sud et le district nord. Le personnel du district sud assure le fonctionnement et l’entretien de la canalisation principale sud jusqu’à la station de compression no 2 inclusivement, ainsi que l’entretien et le fonctionnement de la station de compression N5 située sur la canalisation principale Fort Nelson. Le personnel du district nord assure le fonctionnement et l’entretien de la canalisation principale Fort Nelson au nord de la station de compression no 2, des canalisations de collecte Fort Nelson, de la canalisation principale Fort St. John, des canalisations de collecte Fort St. John, de la canalisation principale Boundary Lake, de la canalisation principale Alberta, de la canalisation principale Pine River et des canalisations de collecte Grizzly Valley. Des équipes, sous la direction des mêmes cadres de Westcoast, travaillent parfois aux canalisations de collecte et aux installations de compression connexes et parfois aux canalisations principales et aux installations de compression connexes. Un ensemble commun de bureaux locaux, de parcs de stockage des tuyaux, d’entrepôts, d’ateliers de réparation des appareils de compression et d’ateliers de mesure et d’entretien des pipelines desservent les canalisations principales et les canalisations de collecte de Westcoast. Le personnel qui assure le fonctionnement et l’entretien des pipelines ou des installations de compression de Westcoast peut aussi travailler pour des filiales de Westcoast. À l’occasion, certains employés effectuent des travaux liés à l’exploitation ou à l’entretien des usines de traitement de Westcoast. À l’échelle locale, le fonctionnement des usines de traitement de Westcoast est assuré par le personnel de chaque usine, sous la direction et la supervision du personnel cadre à Vancouver, sauf dans le cas de l’usine Aitken Creek, qui est exploitée par des employés de Unocal Canada Ltd. sous la direction et la supervision de Westcoast.

18. Le personnel du service de contrôle d’acheminement du gaz de Westcoast au Centre de contrôle d’acheminement du gaz à Vancouver est chargé de surveiller et de contrôler la circulation du gaz dans les canalisations de collecte et les canalisations principales de Westcoast pour faire en sorte que les expéditeurs puissent livrer du gaz dans les canalisations et en recevoir à partir de celles-ci. Ces personnes surveillent et contrôlent la pression dans les canalisations de collecte et les canalisations principales pour assurer que les expéditeurs maintiennent un équilibre entre les arrivages de gaz dans les canalisations de collecte et les livraisons de gaz à partir des canalisations principales. Le maintien de cet équilibre est essentiel à l’exploitation sûre et efficace des installations pipelinières. De plus, pour l’exploitation des pipelines et des usines de traitement de Westcoast, on dispose d’un vaste système de télécommunication intégré, qui comprend des voies téléphoniques spécialisées, un système mobile radio multivoies point à point et un système de radiocommunications bilatérales.

B. Le projet d’agrandissement des installations de Westcoast

1. Les installations projetées dans la région de Fort St. John

19. La demande relative au projet Fort St. John avait trait au projet de Westcoast d’agrandir ses installations dans les environs de l’usine Fort St. John par les mesures suivantes: (1) construction de quatre doublements et prolongement de canalisations de collecte existantes; (2) ajout de trois nouvelles installations de compression; (3) construction de la nouvelle usine Aitken Creek, qui doit être raccordée en amont aux canalisations de collecte et en aval à la canalisation principale de Westcoast grâce au prolongement du pipeline Aitken Creek; (4) construction d’un doublement du pipeline Aitken Creek raccordant la nouvelle usine Aitken Creek à la canalisation principale. Le coût estimatif du projet était d’environ 397 000 000 $ au moment du dépôt de la demande, dont environ 265 000 000 $ pour la construction de l’usine de traitement. Westcoast a demandé à l’Office: (1) de lui délivrer, conformément à l’art. 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, à l’égard des installations pipelinières projetées, un certificat d’utilité publique l’autorisant à construire et à exploiter ces installations; (2) de rendre, conformément à l’art. 58, une ordonnance soustrayant la nouvelle usine Aitken Creek, les installations de compression supplémentaires et certaines installations pipelinières supplémentaires à l’application des art. 30, 31, 33 et 47; (3) de rendre, conformément à l’art. 59, une ordonnance confirmant que les droits relatifs aux services qui seront fournis grâce aux installations projetées seront calculés selon la méthode de péréquation.

2. Les installations projetées dans la région de Grizzly Valley

20. La demande relative au projet Grizzly Valley avait trait au projet de Westcoast d’agrandir ses installations dans la région Grizzly Valley par les mesures suivantes: (1) construction d’un doublement du pipeline Grizzly existant afin d’augmenter sa capacité de transporter le gaz brut à l’usine Pine River; (2) construction de plusieurs canalisations de collecte; (3) agrandissement de l’usine Pine River afin d’accroître sa puissance; (4) construction d’un pipeline de transport de gaz combustible raccordé à la canalisation Sukunka afin de pouvoir livrer du gaz combustible aux producteurs de la région d’exploitation Highhat; (5) construction d’un doublement de la canalisation principale Pine River afin d’en augmenter la puissance; (6) amélioration d’un compresseur de la station de compression no 2. Le coût estimatif total des installations projetées dans la région de Grizzly Valley était d’environ 400 000 000 $ au moment du dépôt de la demande, dont environ 348 800 000 $ pour l’agrandissement de l’usine Pine River, 29 500 000 $ pour les installations de collecte de Grizzly Valley et 21 700 000 $ pour les canalisations principales. Westcoast a demandé à l’Office: (1) de rendre, conformément à l’art. 58, une ordonnance soustrayant les installations de traitement et de compression de même que les canalisations projetées à l’application des art. 30, 31 et 47; (2) de rendre, conformément à l’art. 59, une ordonnance confirmant que les droits relatifs aux services qui seront fournis aux installations projetées seront calculés selon la méthode de péréquation.

IV. Les dispositions constitutionnelles et législatives pertinentes

21. Voici les dispositions constitutionnelles et législatives pertinentes à l’égard du présent pourvoi:

Loi constitutionnelle de 1867

91. Il sera loisible à la Reine, sur l’avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes, de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets exclusivement assignés aux législatures des provinces par la présente loi mais, pour plus de certitude, sans toutefois restreindre la généralité des termes employés plus haut dans le présent article, il est par les présentes déclaré que (nonobstant toute disposition de la présente loi) l’autorité législative exclusive du Parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets énumérés ci‑dessous, à savoir:

. . .

29. les catégories de sujets expressément exceptés dans l’énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces.

Et aucune des matières ressortissant aux catégories de sujets énumérés au présent article ne sera réputée tomber dans la catégorie des matières d’une nature locale ou privée comprises dans l’énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces.

92. Dans chaque province, la législature pourra exclusivement légiférer relativement aux matières entrant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, à savoir:

. . .

10. les ouvrages et entreprises d’une nature locale, autres que ceux qui sont énumérés dans les catégories suivantes:

a) lignes de bateaux à vapeur ou autres navires, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres ouvrages et entreprises reliant la province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendant au‑delà des limites de la province;

92A. (1) La législature de chaque province a compétence exclusive pour légiférer dans les domaines suivants:

. . .

b) exploitation, conservation et gestion des ressources naturelles non renouvelables et des ressources forestières de la province, y compris leur rythme de production primaire;

c) aménagement, conservation et gestion des emplacements et des installations de la province destinés à la production d’énergie électrique.

. . .

(5) L’expression «production primaire» a le sens qui lui est donné dans la sixième annexe.

. . .

SIXIÈME ANNEXE

Production primaire tirée des ressources naturelles non renouvelables et des ressources forestières

1. Pour l’application de l’article 92A:

a) on entend par production primaire tirée d’une ressource naturelle non renouvelable:

(i) soit le produit qui se présente sous la même forme que lors de son extraction du milieu naturel,

(ii) soit le produit non manufacturé de la transformation, du raffinage ou de l’affinage d’une ressource, à l’exception du produit du raffinage du pétrole brut, du raffinage du pétrole brut lourd amélioré, du raffinage des gaz ou des liquides dérivés du charbon ou du raffinage d’un équivalent synthétique du pétrole brut; . . .

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7

18.3 (1) Les offices fédéraux peuvent, à tout stade de leurs procédures, renvoyer devant la Section de première instance pour audition et jugement toute question de droit, de compétence ou de pratique et procédure.

28. (1) La Cour d’appel a compétence pour connaître des demandes de contrôle judiciaire visant les offices fédéraux suivants:

. . .

f) l’Office national de l’énergie constitué par la Loi sur l’Office national de l’énergie;

. . .

(2) Les articles 18 à 18.5 s’appliquent, exception faite du paragraphe 18.4(2) et compte tenu des adaptations de circonstance, à la Cour d’appel comme si elle y était mentionnée lorsqu’elle est saisie en vertu du paragraphe (1) d’une demande de contrôle judiciaire.

Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N‑7

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

. . .

«pipeline» Canalisation servant ou destinée à servir au transport du pétrole ou du gaz, seul ou avec un autre produit, et reliant une province et une ou plusieurs autres provinces, ou s’étendant au‑delà des limites d’une province ou de la zone extracôtière, au sens de l’article 123, y compris les branchements, extensions, citernes, réservoirs, installations de stockage ou de chargement, pompes, rampes de chargement, compresseurs, systèmes de communication entre stations par téléphone, télégraphe ou radio, ainsi que les ouvrages, ou autres biens immeubles ou meubles, connexes.

29. (1) Seules les compagnies ont le droit de construire ou d’exploiter un pipeline.

(2) Le présent article n’a pas pour effet d’empêcher quiconque d’exploiter ou d’améliorer un pipeline construit avant le 1er octobre 1953, mais l’exploitation du pipeline doit se faire conformément à la présente loi.

(3) Pour l’application de la présente loi, sont assimilés aux compagnies:

a) le liquidateur, le séquestre ou le gérant des biens d’une compagnie, nommé par un tribunal compétent pour exercer les activités d’une compagnie;

b) le fiduciaire agissant pour le bénéfice des détenteurs de titres de créance d’une compagnie — notamment bons, obligations, débentures ou débentures‑actions — émis en vertu d’un acte de fiducie ou autre et grevant les biens de celle‑ci, pourvu qu’il soit autorisé par l’acte à exercer les activités de la compagnie;

c) la personne autre qu’une compagnie qui:

(i) soit exploite un pipeline construit avant le 1er octobre 1953,

(ii) soit construit ou exploite un pipeline soustrait à l’application du paragraphe (1) par ordonnance de l’Office rendue en vertu du paragraphe 58(1).

30. (1) La compagnie ne peut exploiter un pipeline que si les conditions suivantes sont réunies:

a) il existe un certificat en vigueur relativement à ce pipeline;

b) elle a été autorisée à mettre le pipeline en service aux termes de la présente partie.

(2) La compagnie doit exploiter le pipeline conformément aux conditions du certificat délivré à cet égard.

31. Sauf dispositions contraires de la présente loi, la compagnie ne peut commencer la construction d’une section ou partie de pipeline que si les conditions suivantes sont réunies:

a) l’Office l’a, par la délivrance d’un certificat, autorisée à construire la canalisation;

b) elle s’est conformée aux conditions dont le certificat est assorti;

c) les plan, profil et livre de renvoi de la section ou partie de la canalisation projetée ont été approuvés par l’Office;

d) des copies des plan, profil et livre de renvoi approuvés, certifiées conformes par le secrétaire, ont été déposées aux bureaux des directeurs de l’Enregistrement des districts ou comtés que doit traverser cette section ou partie du pipeline.

33. (1) Une fois le certificat délivré, la compagnie doit préparer et soumettre à l’Office les plan, profil et livre de renvoi du pipeline.

(2) Les plan et profil donnent les détails que l’Office peut exiger.

(3) Le livre de renvoi doit décrire la portion de terrain qu’il est prévu de prendre dans chaque parcelle à traverser, en donnant le numéro des parcelles et les longueur et largeur et superficie de la portion à prendre, ainsi que les noms des propriétaires et occupants, dans la mesure où il est possible de les constater.

(4) Les plan, profil et livre de renvoi doivent répondre aux exigences de l’Office; celui‑ci peut enjoindre à la compagnie de fournir tous renseignements complémentaires ou supplémentaires qu’il estime nécessaires.

47. (1) La compagnie ne peut mettre en service, pour le transport d’hydrocarbures ou d’autres produits, un pipeline ou une section de celui‑ci que si elle a obtenu de l’Office une autorisation à cette fin.

(2) L’Office ne délivre l’autorisation prévue au présent article que s’il est convaincu que le pipeline peut, sans danger, être mis en service pour le transport.

52. Sous réserve de l’agrément du gouverneur en conseil, l’Office peut, s’il est convaincu de son caractère d’utilité publique, tant pour le présent que pour le futur, délivrer un certificat à l’égard d’un pipeline; ce faisant, il tient compte de tous les facteurs qu’il estime pertinents, et notamment de ce qui suit:

a) l’approvisionnement du pipeline en pétrole ou gaz;

b) l’existence de marchés, réels ou potentiels;

c) la faisabilité économique du pipeline;

d) la responsabilité et la structure financières du demandeur et les méthodes de financement du pipeline ainsi que la mesure dans laquelle les Canadiens auront la possibilité de participer au financement, à l’ingénierie ainsi qu’à la construction du pipeline;

e) les conséquences sur l’intérêt public que peut, à son avis, avoir sa décision.

58. (1) L’Office peut, par ordonnance, soustraire totalement ou partiellement à l’application des articles 29 à 33 et 47:

a) les pipelines, ou embranchements ou extensions de ceux‑ci, ne dépassant pas quarante kilomètres de long;

b) les citernes, réservoirs, installations de stockage et de chargement, pompes, rampes de chargement, compresseurs, systèmes de communication entre stations par téléphone, télégraphe ou radio, ainsi que les ouvrages ou autres biens immeubles ou meubles connexes qu’il estime indiqués.

(2) [Abrogé, 1990, ch. 7, art. 22]

(3) L’Office peut assortir toute ordonnance qu’il rend aux termes du présent article des conditions qu’il estime indiquées.

59. L’Office peut prendre des ordonnances sur tous les sujets relatifs au transport, aux droits ou aux tarifs.

V. Les décisions rendues

A. Office national de l’énergie (motifs de décision dans la demande GH‑5‑94 concernant le projet Fort St. John)

1. A. Côté‑Verhaaf et K. W. Vollman

22. Les membres majoritaires de l’Office ont déclaré que la canalisation de transport principale de Westcoast relevait clairement de la compétence du fédéral. Ils ont fait état de l’arrêt Travailleurs unis des transports c. Central Western Railway Corp., [1990] 3 R.C.S. 1112, pour étayer leur proposition que les installations projetées à Fort St. John seraient également assujetties au pouvoir de légiférer du fédéral en vertu de l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 si elles faisaient partie de cette entreprise fédérale ou en constituaient un élément fondamental.

23. Dans l’examen de la question de savoir si les installations visées faisaient partie de l’entreprise fédérale, selon le premier volet du critère établi dans Central Western, précité, les membres majoritaires ont conclu que, dans les décisions où des tribunaux ont conclu à l’existence d’une entreprise unique, la nature des services locaux et interprovinciaux était la même. Ils ont ensuite conclu que les services de traitement et de transport du gaz offerts par Westcoast étaient différents (à la p. 9):

Dans la cause Flamborough, comme dans Winner et d’autres causes dans lesquelles les tribunaux ont conclu à une entreprise unique, la nature des services locaux et interprovinciaux était la même; dans Flamborough et Winner, par exemple, les services étaient le transport. Selon l’Office, le traitement du gaz et le transport du gaz sont des activités ou services fondamentalement différents. Le traitement est l’une des opérations qui aboutit à la production du gaz résiduaire, du soufre et de liquides, qui sont ensuite transportés jusqu’aux marchés par divers moyens. La collecte est une activité de transport, mais selon l’Office, elle est liée au processus de production plutôt qu’au transport par la canalisation principale. [Je souligne.]

24. Les membres de la majorité ont affirmé que les pratiques commerciales de Westcoast reflétaient les différents services offerts par celle-ci. Des clients peuvent passer des contrats visant ses services de transport, indépendamment de ses services de collecte et de traitement. Les droits applicables aux services de collecte, de traitement et de transport par la canalisation principale sont facturés séparément et suivant des méthodes différentes. Les membres majoritaires ont souligné que les installations de Westcoast étaient exploitées de façon coordonnée, mais ils ont conclu qu’il s’agissait d’une caractéristique universelle de l’industrie du gaz naturel, qui existerait entre des installations reliées, indépendamment de l’identité de leur propriétaire. Ils ont conclu que les installations projetées à Fort St. John ne feraient pas partie de l’entreprise fédérale de transport par canalisation principale de Westcoast, à l’exception du doublement proposé du pipeline Aitken Creek qui raccorderait la nouvelle usine Aitken Creek à la canalisation principale.

25. Les membres de la majorité ont poursuivi en concluant que les installations projetées ne seraient pas une partie intégrante de l’entreprise de transport par canalisation principale de Westcoast au sens du deuxième volet du critère établi dans Central Western, précité, parce que la dépendance de la canalisation principale à l’égard des usines de traitement et des canalisations de collecte était une caractéristique inévitable dans l’industrie. Ils ont conclu que les installations ne relevaient pas de la compétence du fédéral en vertu de l’al. 92(10)a) et ils ont rejeté la demande de Westcoast pour cause d’absence de compétence.

2. R. Illing (dissident)

26. Le membre dissident de l’Office a conclu que l’ensemble du réseau Westcoast constituait une entreprise fédérale unique visée à l’al. 92(10)a). Il a également conclu que, même prises individuellement, les installations de collecte et de traitement relevaient toujours de la compétence du fédéral. Le fait que certaines des canalisations de collecte traversent des frontières provinciales suffisait pour que l’ensemble des canalisations de collecte constituent une entreprise fédérale, car les canalisations de collecte interprovinciales ne peuvent être dissociées de celles situées entièrement en Colombie‑Britannique. Les usines de traitement relèvent de la compétence du fédéral parce qu’elles font partie intégrante de la canalisation principale et sont essentielles à son exploitation. Les services de traitement ne sont fournis qu’à ceux qui transportent du gaz dans la canalisation principale, et le gaz brut doit être traité avant d’être transporté dans la canalisation principale, en raison des propriétés métallurgiques de la canalisation et des préoccupations touchant la sécurité et l’environnement.

27. Après avoir conclu que les installations projetées dans la région de Fort St. John relevaient de la compétence du fédéral en vertu de l’al. 92(10)a), le membre dissident a poursuivi en statuant que les installations de traitement du gaz projetées étaient visées par la définition de «pipeline» à l’art. 2 de la Loi sur l’Office national de l’énergie en raison de l’expression «les ouvrages, ou autres biens immeubles ou meubles, connexes». Par conséquent, il était d’avis que l’Office avait compétence à l’égard des installations projetées à Fort St. John.

B. Cour d’appel fédérale, [1996] 2 C.F. 263

28. Comme il a été souligné précédemment, la Cour d’appel fédérale a examiné ensemble l’appel de Westcoast contre la décision de l’Office concluant qu’il n’avait pas compétence à l’égard des installations projetées à Fort St. John ainsi que le renvoi concernant la compétence de l’Office à l’égard des installations projetées à Grizzly Valley. Exprimant la décision unanime de la cour (les juges Pratte et Stone souscrivant à ses motifs), le juge Hugessen a dit que les activités de Westcoast consistaient à transporter pour autrui du gaz naturel par pipeline. Il a appliqué le premier volet du critère établi dans Central Western, précité, pour déterminer si les installations de Westcoast constituaient une entreprise fédérale unique visée à l’al. 92(10)a).

29. Le juge Hugessen a conclu que le fait que divers services ou activités pouvaient être fournis ou exercées, selon le cas, n’empêchait pas de conclure à l’existence d’une entreprise fédérale unique. Il a fait référence à la conclusion des membres majoritaires de l’Office que les installations de collecte et de traitement de Westcoast étaient des entreprises distinctes de la canalisation de transport principale parce que «le traitement du gaz et le transport du gaz sont des activités ou services fondamentalement différents», et il a déclaré, aux pp. 283 et 284:

Avec égards, j’estime que l’Office fait fausse route, car le fait que différentes activités soient exercées ou que différents services soient fournis ne peut en soi être déterminant quant à savoir si on a affaire à une ou à plusieurs entreprises. Ce n’est pas la différence entre les activités et les services, mais l’interaction entre ceux‑ci et le fait qu’ils relèvent ou non de la même direction et partagent ou non des objectifs communs qui permettent de déterminer s’ils font partie d’une entreprise unique.

30. Le juge Hugessen a également déclaré que c’était la mesure dans laquelle les activités étaient intégrées sur le plan fonctionnel ou commercial qui déterminait si elles formaient une seule et même entreprise. Il a ajouté que l’avis des membres majoritaires que la collecte et le traitement sont des activités ou services fondamentalement différents était simplement énoncé comme une conclusion et n’était pas appuyé par des conclusions de fait détaillées permettant de trancher rationnellement la question de savoir si l’on était en présence d’une entreprise ou de plusieurs. Il a reproduit la description détaillée faite dans l’ordonnance no MO‑21‑95 des installations de collecte et de traitement et de leurs liens les unes avec les autres et avec la canalisation de transport principale, et il a dit, à la p. 289, qu’il lui semblait impossible de lire cette description sans arriver à la conclusion «que Westcoast n’exploite qu’une seule entreprise englobant les activités de collecte, de traitement et de transport du gaz naturel».

31. En particulier, il a affirmé, aux pp. 290 et 291, que les faits suivants étayaient cette conclusion:

(1) Westcoast n’est qu’un fournisseur de services; elle ne fait pas le commerce du gaz dont elle assure le transport;

(2) Le traitement est nécessaire pour faciliter le transport assuré par Westcoast. Plus particulièrement,

a) il rend le transport sur de longues distances plus facile et plus sûr pour ce qui concerne les installations pipelinières elles‑mêmes et

b) il débarrasse le gaz brut des composés dont le transport, dans les régions habitées, serait inacceptable sur le plan de la sécurité et de la santé publiques;

(3) Le traitement est un service offert uniquement à l’expéditeur qui a recours aux canalisations principales de transport de Westcoast; bien qu’une certaine quantité de gaz brut soit acheminée dans certaines des installations de traitement de Westcoast au moyen de canalisations de collecte possédées et exploitées par d’autres, la totalité du gaz combustible provenant de ces usines de traitement est acheminée par Westcoast;

(4) Le gaz combustible qui est acheminé dans les canalisations principales de transport de Westcoast est de loin le principal composant (plus de 80 %) du gaz brut collecté et traité par Westcoast; le méthane n’est pas modifié pendant le traitement, si ce n’est qu’il est débarrassé des liquides d’hydrocarbures, de l’hydrogène sulfuré et d’autres substances qui rendent son transport difficile ou périlleux;

(5) Les installations de Westcoast sont non seulement reliées physiquement entre elles et interdépendantes, mais elles sont aussi parfois interchangeables; certains compresseurs peuvent être utilisés pour le gaz brut ou le gaz combustible dans les usines de traitement, et d’autres semblent être utilisés pour les deux;

(6) Le gaz combustible peut être acheminé, sur une base contractuelle, à l’extérieur de la province à partir de toutes les usines de traitement de Westcoast, y compris celles qui s’approvisionnent en gaz brut au‑delà des limites de la province;

(7) Le même personnel est affecté aux installations de collecte et aux canalisations principales de transport et, tout comme le personnel des usines de traitement, il relève d’un même centre de direction et de contrôle des opérations;

(8) Westcoast est propriétaire de toutes les installations en cause.

32. Le juge Hugessen a conclu que Westcoast exploitait une entreprise unique de transport interprovincial et international de gaz naturel en raison du fait qu’elle cumule propriété, direction et contrôle ainsi que de tous les autres facteurs dont il avait fait mention. En tant que telle, cette entreprise relevait de la compétence du fédéral en vertu de l’al. 92(10)a). Il a ajouté que l’art. 92A de la Loi constitutionnelle de 1867 n’avait pas d’incidence sur cette conclusion.

33. Le juge Hugessen a poursuivi en concluant que les usines de traitement du gaz étaient visées par la définition de «pipeline» à l’art. 2 de la Loi. Elles faisaient partie intégrante de la canalisation de transport principale à laquelle elles étaient reliées, et l’expression «ouvrages, ou autres biens immeubles ou meubles, connexes» était assez large pour les inclure. La cour a accueilli l’appel, annulé la décision de l’Office dans laquelle celui-ci déclinait toute compétence et lui a renvoyé l’affaire pour qu’il se prononce sur le fond de la demande. La cour a répondu par l’affirmative aux deux questions énoncées dans le renvoi.

VI. Les questions en litige

34. Le 4 avril 1997, le Juge en chef a énoncé la question constitutionnelle suivante:

Compte tenu du partage des pouvoirs législatifs établi par les Lois constitutionnelles de 1867 à 1982 entre le Parlement du Canada et les législatures des provinces, les art. 29, 30, 31, 33, 47, 52, 58 et 59 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N‑7, s’appliquent‑ils aux installations dont Westcoast Energy Inc. propose la construction dans le cadre:

a) de son projet d’expansion de Fort St. John, qui fait l’objet de la demande présentée dans l’instance no GH‑5‑94 devant l’Office national de l’énergie;

b) de son projet d’expansion de Grizzly Valley, qui est décrit dans l’ordonnance no MO‑21‑95 de l’Office national de l’énergie?

35. Le présent pourvoi soulève trois questions litigieuses:

1. Quel est le degré de retenue judiciaire dont il convient de faire montre à l’égard de la conclusion de l’Office que le traitement du gaz et le transport du gaz sont des activités fondamentalement différentes?

2. Les canalisations de collecte et installations de traitement du gaz projetées dans les régions de Fort St. John et de Grizzly Valley relèvent‑elles de la compétence du Parlement en vertu de l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867?

3. Si les installations projetées relèvent de la compétence du fédéral, les installations de traitement du gaz projetées sont‑elles visées par la définition de «pipeline» à l’art. 2 de la Loi sur l’Office national de l’énergie?

VII. L’analyse

A. Quel est le degré de retenue judiciaire dont il convient de faire montre à l’égard de la conclusion de l’Office que le traitement du gaz et le transport du gaz sont des activités fondamentalement différentes?

36. Avant d’aborder les questions de droit substantiel soulevées dans le cadre du présent pourvoi et en particulier la question constitutionnelle, il convient de répondre à la question préliminaire concernant la retenue judiciaire. Le procureur général de la Nouvelle‑Écosse intervenant avance l’argument que, en rendant sa décision, la Cour d’appel fédérale n’a pas fait montre de la retenue nécessaire à l’égard des conclusions de fait tirées par les membres majoritaires de l’Office dans le cadre de la demande concernant le projet Fort St. John. Il fait référence en particulier à la conclusion de l’Office, à la p. 9, que «le traitement du gaz et le transport du gaz sont des activités ou services fondamentalement différents», et à la déclaration suivante de la Cour d’appel fédérale, à la p. 284:

. . . l’avis de la majorité selon lequel la collecte et le traitement sont «des activités ou services fondamentalement différents» est simplement énoncé comme une conclusion et n’est pas appuyé de conclusions de fait détaillées qui permettraient de trancher rationnellement la question de savoir si on est en présence d’une seule entreprise ou de plusieurs.

37. L’essentiel de cet argument est que, en critiquant la façon dont l’Office a tiré sa conclusion quant à la nature des activités en cause, la cour a rejeté à tort cette «conclusion de fait». Selon cet argument, étant donné que l’Office est un tribunal spécialisé, la norme de contrôle applicable aux conclusions relevant de son expertise devrait être celle du caractère manifestement déraisonnable ou, du moins, de la décision raisonnable simpliciter. Voir Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748. La cour aurait donc commis une erreur de droit en substituant ses propres conclusions à celles de l’Office en l’absence d’erreur manifeste ou dominante. Si la cour était d’avis que les conclusions de droit de l’Office n’étaient pas suffisamment étayées par ses conclusions de fait, elle aurait dû renvoyer l’affaire à l’Office pour qu’il statue sur celle‑ci d’une manière conforme avec les motifs de la cour. Pour plusieurs raisons, nous ne pouvons accepter cet argument.

38. D’abord, il est nécessaire d’examiner plus en profondeur la nature de la conclusion litigieuse de l’Office. Alors que les cours d’appel font montre de retenue à l’égard des conclusions de fait d’un tribunal administratif, il n’en va pas autant à l’égard des conclusions de droit d’un tel tribunal. Cependant, lorsqu’il s’agit d’une question mixte de droit et de fait -- c’est‑à‑dire lorsqu’il faut déterminer si les faits satisfont aux critères juridiques applicables -- un certain degré de retenue s’impose. Les cours d’appel devraient hésiter à réexaminer les conclusions du tribunal sur de telles questions. Voir Southam, précité.

39. Bien que, à première vue, la conclusion sur laquelle porte la controverse puisse sembler une conclusion de fait, il ressort d’un examen sommaire de celle‑ci qu’il s’agit plutôt d’une question de droit et de fait. La clé de cette constatation consiste à se demander dans quel but on a tiré cette conclusion, c’est‑à‑dire à quelle question on voulait répondre. De toute évidence, le fait de qualifier d’activités indépendantes le traitement et la collecte du gaz ne constituait pas une conclusion de fait proprement dite, mais plutôt une inférence faite à partir d’autres conclusions détaillées concernant l’industrie du gaz naturel et les activités commerciales de Westcoast. Elle se voulait une réponse partielle à la question constitutionnelle fondamentale soulevée par le présent pourvoi, c’est-à-dire la question de savoir si les activités de Westcoast constituent une ou plusieurs entreprises. En conséquence, cette inférence n’était pas un simple exposé de faits concernant l’industrie du gaz naturel ou les activités de Westcoast. Elle allait un peu plus loin que cela, puisqu’il s’agissait d’une opinion sur l’importance constitutionnelle de ces faits ou, pour reprendre l’expression utilisée dans l’arrêt Southam, précité, au par. 35, d’un examen de la question de savoir «si les faits satisfont au critère juridique».

40. Comme il a été dit plus tôt, il faut faire montre d’un certain degré de retenue même à l’égard des questions mixtes de droit et de fait, mais pas dans tous les cas. Il serait particulièrement inapproprié, relativement à une question d’interprétation constitutionnelle, de faire montre de retenue à l’égard de la décision d’un tribunal tel l’Office, dont le champ d’expertise est tout à fait distinct du domaine de l’analyse juridique. Les tribunaux administratifs doivent répondre correctement aux questions de cette nature, à défaut de quoi leurs décisions sont susceptibles d’annulation par les cours de justice. Il semble raisonnable d’accepter la proposition que les cours sont mieux placées que les tribunaux administratifs pour statuer sur des questions constitutionnelles. Il est intéressant de souligner que les membres concernés de l’Office n’avaient pas de formation juridique. Ainsi, même si la question en cause était une question de droit et de fait, il s’ensuit qu’il n’était pas nécessaire de faire montre de retenue envers l’Office, compte tenu de la nature de la question de droit qui devait être tranchée.

41. Cependant, nous ne sommes pas convaincus que la cour a, dans les faits, rejeté la conclusion en cause. Comme nous l’expliquerons en détail plus loin, la jurisprudence indique clairement que des «activités ou services [. . .] différents» peuvent néanmoins faire partie de la même entreprise. La question de savoir si deux activités sont de nature différente et celle de savoir si elles constituent une ou plusieurs entreprises sont deux questions distinctes. Alors que la première question peut constituer une question de droit et de fait, la deuxième est strictement une question de droit. À ce sujet, nous faisons remarquer que la Cour d’appel fédérale ne semble pas avoir rejeté la conclusion de l’Office que les activités de collecte et de traitement de Westcoast constituaient «des activités ou services [. . .] différents». Elle a plutôt exprimé son désaccord avec l’Office à propos des conséquences juridiques de cette conclusion, aux pp. 283 et 284:

Comme nous l’avons vu, l’Office a estimé, à la majorité, que les installations de collecte et de traitement de Westcoast sont des entreprises distinctes de la canalisation principale de transport parce que «le traitement du gaz et le transport du gaz sont des activités ou services fondamentalement différents». Avec égards, j’estime que l’Office fait fausse route, car le fait que différentes activités soient exercées ou que différents services soient fournis ne peut en soi être déterminant quant à savoir si on a affaire à une ou à plusieurs entreprises. Ce n’est pas la différence entre les activités et les services, mais l’interaction entre ceux‑ci et le fait qu’ils relèvent ou non de la même direction et partagent ou non des objectifs communs qui permettent de déterminer s’ils font partie d’une entreprise unique.

42. Vu ce qui précède, il nous semble que la Cour d’appel fédérale n’a pas commis d’erreur dans la façon dont elle a traité les conclusions de l’Office. La cour a clairement accepté la conclusion de l’Office quant aux différentes activités exercées par Westcoast, mais elle a divergé d’opinion quant à l’effet de cette conclusion sur le plan constitutionnel. Elle n’avait pas à faire montre de retenue, puisqu’il s’agissait purement d’une question de droit ne relevant absolument pas du champ d’expertise par ailleurs considérable de l’Office. Par conséquent, nous concluons que la Cour d’appel fédérale a appliqué à la décision ultime de l’Office la norme de contrôle appropriée, soit la norme de la décision correcte.

B. Les canalisations de collecte et installations de traitement du gaz projetées dans les régions de Fort St. John et de Grizzly Valley relèvent‑elles de la compétence du Parlement en vertu de l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867?

43. Le paragraphe 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 indique de façon générale que les ouvrages et entreprises d’une nature locale qui se trouvent dans les limites d’une province relèvent de la compétence de celle-ci. Cependant, l’effet conjugué des art. 91(29) et 92(10)a) crée une exception conférant au Parlement la compétence exclusive sur les ouvrages et les entreprises visés par l’expression « lignes de bateaux à vapeur ou autres navires, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres ouvrages et entreprises reliant la province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendant au‑delà des limites de la province» qui figure à l’al. 92(10)a). Sous l’effet de l’al. 92(10)a), les ouvrages et entreprises de transport et de communications de nature interprovinciale relèvent de la compétence du fédéral. Voir l’analyse du professeur Hogg dans son ouvrage intitulé Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 1, aux pp. 22‑2 et 22‑3.

44. L’arrêt Campbell‑Bennett Ltd. c. Comstock Midwestern Ltd., [1954] R.C.S. 207, a confirmé qu’un pipeline qui franchit les limites d’une province -- comme le fait la canalisation de transport principale de Westcoast -- est une entreprise fédérale de transport visée à l’al. 92(10)a). Il est manifeste que la question de savoir si la construction et l’exploitation de la canalisation de collecte et des installations de traitement du gaz projetées dans les régions de Fort St. John et de Grizzly Valley relèvent de la compétence de l’Office aux termes de la Loi sur l’Office national de l’énergie dépend de celle de savoir si ces installations relèvent de la compétence du fédéral en vertu de l’al. 92(10)a).

45. Il est bien établi que les installations projetées peuvent, de l’une ou l’autre de deux façons, relever de la compétence du fédéral en vertu de l’al. 92(10)a). Premièrement, elles sont assujetties au pouvoir de légiférer du fédéral si la canalisation de transport principale, les canalisations de collecte et les usines de traitement de Westcoast, y compris les installations projetées, constituent ensemble une entreprise ou un ouvrage fédéral unique. Deuxièmement, dans le cas où les installations projetées ne feraient pas partie d’un tel ouvrage ou d’une telle entreprise, elles relèvent de la compétence fédérale si elles font partie intégrante de la canalisation de transport principale. Voir les propos du juge en chef Dickson, dans l’arrêt Central Western, précité, aux pp. 1124 et 1125:

Il y a deux façons dont Central Western peut être considérée comme relevant de la compétence fédérale et, partant, du Code canadien du travail. Premièrement, on peut considérer qu’il s’agit d’un chemin de fer interprovincial qui tombe en conséquence dans le champ d’application de l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 à titre d’ouvrage ou d’entreprise de compétence fédérale. Deuxièmement, si l’on peut à bon droit voir l’appelante comme faisant partie intégrante d’un ouvrage ou d’une entreprise à caractère fédéral qui existe déjà, elle relève de la compétence fédérale suivant l’al. 92(10)a). Par souci de clarté, je tiens à préciser que ces deux approches, en dépit de leur connexité, sont distinctes l’une de l’autre. Dans le premier cas, il s’agit surtout de déterminer si le chemin de fer constitue en lui‑même un ouvrage ou une entreprise de compétence fédérale. Dans le second cas, cependant, la compétence tient à une conclusion que la réglementation de la matière en question fait partie intégrante d’une entreprise fédérale principale. [Souligné dans l’original.]

46. La première question consiste donc à déterminer si la canalisation de transport principale, les canalisations de collecte et les usines de traitement de Westcoast, y compris les installations projetées, constituent ensemble un ouvrage ou une entreprise fédéral unique. Si la réponse est non, nous devons nous demander si la canalisation de collecte et les installations de traitement du gaz sont essentielles, vitales et fondamentales pour la canalisation de transport principale.

1. La canalisation de transport principale, les canalisations de collecte et les usines de traitement de Westcoast constituent‑elles ensemble une entreprise ou un ouvrage fédéral unique?

a) Les caractéristiques d’une entreprise fédérale unique

47. L’alinéa 92(10)a) fait état tant des «ouvrages» que des «entreprises». Le terme «ouvrages» a été défini dans l’arrêt City of Montreal c. Montreal Street Railway, [1912] A.C. 333 (C.P.), à la p. 342, comme [traduction] «des choses matérielles et non des services». Étant donné que la canalisation de collecte et les installations de traitement du gaz projetées sont situées entièrement en Colombie‑Britannique, il semble clair qu’ils constitueront des ouvrages d’une nature locale. Par conséquent, les arguments des parties ont porté principalement sur la question de savoir si Westcoast exploitait une entreprise fédérale unique. Dans l’arrêt Re Regulation & Control of Radio Communication, [1932] 2 D.L.R. 81 (C.P.), à la p. 86, on a défini le mot «entreprise» en disant que c’était non pas [traduction] «une chose matérielle, mais [. . .] un arrangement dans le cadre duquel [. . .] des choses matérielles sont utilisées». Le professeur Hogg conclut, dans son ouvrage intitulé Constitutional Law of Canada, op. cit., à la p. 22‑4, que le mot «undertaking» utilisé dans la version anglaise semble équivaloir aux mots «organization» ou «enterprise». Dans l’arrêt Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225 («A.G.T.»), le juge en chef Dickson a dit, à la p. 259, qu’«[i]l faut se préoccuper principalement non pas des structures matérielles ou de leur emplacement géographique, mais plutôt du service que l’entreprise fournit au moyen de ses installations matérielles.»

48. Il ressort des arrêts regroupés sous ce qu’il est convenu d’appeler le premier volet du critère établi dans Central Western, précité, que, pour l’application de l’al. 92(10)a), l’existence d’une entreprise fédérale unique dépend d’un certain nombre de facteurs. Il est clair que le simple fait qu’un ouvrage ou une entreprise de nature locale soit physiquement relié à une entreprise interprovinciale ne suffit pas à en faire une partie de cette dernière. Voir Central Western, précité, aux pp. 1128 et 1129. Le fait que les deux exploitations appartiennent à la même entité est également insuffisant. Dans A.G.T., précité, le juge en chef Dickson a déclaré, à la p. 263, que «[l]a Cour a clairement affirmé dans ce domaine du droit constitutionnel que ce sont les faits de l’espèce qui sont déterminants et non la structure commerciale que revêtent les entités visées» et, à la p. 265, que «[l]e fait d’être propriétaire n’est pas en soi décisif». Une seule entité peut posséder plus d’une entreprise. Voir Canadian Pacific Railway Co. c. Attorney-General for British Columbia, [1950] A.C. 122 (C.P.) (l’arrêt Empress Hotel), à la p. 143.

49. Pour être considérées comme une entreprise fédérale unique pour l’application de l’al. 92(10)a), les diverses activités visées doivent être intégrées sur le plan fonctionnel et être assujetties à une gestion, à une direction et à un contrôle communs. Le professeur Hogg affirme, à la p. 22‑10, que [traduction] «[c]’est la mesure dans laquelle les [diverses] activités sont intégrées sur le plan fonctionnel ou commercial qui détermine si elles forment ou non une seule et même entreprise». Il ajoute, à la p. 22‑11, que les diverses activités formeront une entreprise unique si elles sont [traduction] «de fait, exercées en commun en tant qu’exploitation unique». Autrement dit, outre un propriétaire unique, il doit y avoir intégration fonctionnelle et gestion commune. Le lien physique doit être assorti d’un lien opérationnel. L’existence de rapports commerciaux étroits ne suffit pas. Voir Central Western, précité, à la p. 1132.

50. L’existence d’une gestion et d’un contrôle des opérations communs a été déterminante dans Luscar Collieries, Ltd. c. McDonald, [1927] A.C. 925 (C.P.), alors que l’absence de ces facteurs a été décisive dans Central Western, précité. Dans Luscar, précité, le Conseil privé a conclu qu’une courte voie ferrée située entièrement en Alberta faisait partie de l’entreprise ferroviaire fédérale Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada («CN»). Même si la voie ferrée appartenait à l’appelante Luscar, lord Warrington s’est attaché, aux pp. 932 et 933, au fait qu’elle était exploitée par le CN conformément à plusieurs accords:

[traduction] Leurs Seigneuries conviennent, à l’instar du juge Duff, que le chemin de fer Mountain Park et l’embranchement Luscar, vu les circonstances de l’espèce, font partie d’un même réseau continu de chemins de fer exploité par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et qui relie la province d’Alberta aux autres provinces canadiennes. . .

Dans la présente affaire, considérant le mode d’exploitation du chemin de fer, leurs Seigneuries sont d’avis qu’il s’agit en fait d’un chemin de fer reliant la province d’Alberta avec d’autres provinces et, par conséquent, visé par l’al. 92(10)a) de l’Acte de 1867. Il existe une liaison ferroviaire continue entre le point de l’embranchement Luscar le plus éloigné de son point de jonction avec l’embranchement Mountain Park et certaines parties du Canada situées à l’extérieur de l’Alberta. Si, en vertu des accords susmentionnés, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada devait cesser d’exploiter l’embranchement Luscar, il se peut que, dans cette nouvelle situation, la question de savoir si le chemin de fer n’est plus visé par l’al. 92(10)a) doive être décidée, mais cette question ne se pose pas maintenant. [Je souligne.]

51. La question à laquelle n’a pas répondu le Conseil privé à la fin de cet extrait s’est posée dans l’affaire Central Western, précitée, qui portait elle aussi sur une petite voie ferrée située entièrement en Alberta. L’appelante, Central Western Railway Corporation, avait acheté la voie du CN, mais, contrairement à la situation dans l’affaire Luscar, précitée, le CN n’exploitait pas la voie en question. Le juge en chef Dickson a, sur ce fondement, distingué les affaires Luscar et Central Western, précitées, et il a statué que l’absence d’un lien opérationnel étroit dans l’affaire dont la Cour était saisie signifiait que la voie de Central Western ne faisait pas partie de l’entreprise ferroviaire fédérale du CN pour l’application de l’al. 92(10)a). Les rapports commerciaux étroits qui existaient entre Central Western et CN ne suffisaient pas. Il a résumé sa position ainsi, à la p. 1132:

À mon avis, si les facteurs mentionnés par les intimés révèlent l’existence de rapports commerciaux étroits entre les deux compagnies de chemin de fer, ils n’établissent pas que la voie de Central Western est exploitée par CN. Au contraire, la vente de cette voie a entraîné un changement fondamental dans la gestion de celle‑ci. Cette différence se manifeste principalement dans la gestion quotidienne des affaires reliées à la voie en question. En effet, c’est l’appelante qui s’occupe de la répartition des wagons à grain le long de la voie et les wagons de CN ne circulent pas sur le chemin de fer Central Western. De plus, la compagnie ferroviaire fédérale ne participe pas à la gestion des baux afférents aux biens‑fonds. Tout compte fait, CN n’exerce aucun contrôle sur l’exploitation du chemin de fer Central Western, tant et si bien qu’on peut difficilement considérer celui‑ci comme un ouvrage ou une entreprise de compétence fédérale.

52. Cette analyse de la question de savoir si diverses activités sont intégrées du point de vue fonctionnel et gérées en commun commande un examen minutieux des faits propres à chaque espèce. Dans Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115, la Cour a déclaré, à la p. 132, qu’«il faut considérer les activités normales ou habituelles de l’affaire en tant qu’«entreprise active», sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels». Comme l’a souligné le juge en chef Dickson dans A.G.T., précité, à la p. 258, le tribunal doit faire porter principalement son examen sur «la nature ou le caractère de l’entreprise qui est en fait exploitée». Il a poursuivi en disant ce qui suit, à la p. 258:

À mon avis, il est impossible de formuler en l’absence de contexte un seul critère qui soit complet et utile dans tous les cas relatifs à l’al. 92(10)a). Le dénominateur commun de ces arrêts est simplement que ce sont les faits particuliers de chaque cas qui doivent guider le tribunal [. . .] Il est possible de trouver des analogies utiles dans la jurisprudence, mais dans chaque cas, la réponse à cette question constitutionnelle variera selon les faits qui doivent être examinés soigneusement comme l’a fait le juge de première instance en l’espèce.

53. La façon dont l’entreprise aurait pu être structurée ou celle dont d’autres entreprises analogues sont exploitées ne sont pas pertinentes. Ce principe a été souligné par lord Porter dans l’arrêt Attorney-General for Ontario c. Winner, [1954] A.C. 541 (C.P.), aux pp. 581 et 582:

[traduction] La question n’est pas de savoir de laquelle de ses parties on peut dépouiller l’entreprise sans affecter l’ensemble de ses activités; c’est au contraire de savoir quelle est la nature de l’entreprise que l’on exploite. Y a‑t‑il une seule entreprise, et une partie de cette entreprise de l’intimé consiste‑t‑elle à transporter des voyageurs entre deux points qui se trouvent tous deux dans les limites de la province, ou y a‑t‑il deux entreprises?

. . .

Il s’agit, en l’instance, d’une entreprise unique et indivisible. Certes, on aurait pu l’exploiter de façon différente et en confiner l’activité soit dans les limites de la province, soit en dehors de celles‑ci, mais ce n’est pas le cas, et leurs Seigneuries ne peuvent admettre que la possibilité qu’une entreprise puisse être exercée d’une autre façon qu’elle ne l’est, puisse modifier, en tout ou en partie, son statut d’entreprise interprovinciale ou internationale.

54. Le fait que l’un des aspects des activités soit affecté exclusivement ou même principalement à l’exploitation de l’entreprise interprovinciale principale est un indice du type d’intégration fonctionnelle nécessaire à l’existence d’une entreprise unique. Voir l’arrêt Empress Hotel, précité, dans lequel le Conseil privé a statué que l’hôtel Empress à Victoria (Colombie‑Britannique) ne faisait pas partie de l’entreprise ferroviaire fédérale de l’appelante, suggérant toutefois, dans une remarque incidente, à la p. 144, qu’un hôtel construit par la compagnie ferroviaire exclusivement pour servir ses passagers pourrait en faire partie:

[traduction] Il ressort des faits énoncés dans l’ordonnance de renvoi que l’appelante a ainsi interprété ses pouvoirs et qu’elle exerce des activités hôtelières générales à l’hôtel Empress. Dans l’hypothèse où l’appelante a choisi d’exploiter un hôtel pour le seul ou pour le principal bénéfice des voyageurs utilisant son réseau, il est possible que cet hôtel fasse partie de son entreprise de chemin de fer. Fournir repas et repos aux voyageurs empruntant son réseau peut constituer, leurs Seigneuries n’en doutent pas, une fonction de l’entreprise de l’appelante, que ces services soient offerts dans les trains ou dans les gares; ils peuvent aussi l’être dans un hôtel. Toutefois, l’hôtel Empress diffère considérablement d’un tel hôtel. Très peu d’éléments, s’il en est, dans les faits énoncés permettent de le différencier d’un hôtel appartenant à un tiers dans une situation semblable. Il ne fait aucun doute que l’existence d’un grand hôtel bien tenu à Victoria contribue à l’affluence sur le réseau de l’appelante; il se peut que la composante ferroviaire et la composante hôtelière de l’appelante s’aident l’une l’autre, mais cela ne les empêche pas de constituer des activités ou des entreprises distinctes. [Je souligne.]

55. Ce raisonnement a été adopté dans Dome Petroleum Ltd. c. Office national de l’énergie (1987), 73 N.R. 135 (C.A.F.), arrêt dans lequel il a été jugé que des cavités d’emmagasinage faisaient partie d’une entreprise de transport interprovincial du gaz naturel. La cour a insisté sur le fait que les installations étaient fournies pour le seul bénéfice des expéditeurs, aux pp. 139 et 140:

Le lien existant entre les cavités d’emmagasinage et le Cochin diffère de façon marquée de celui qui existait entre l’hôtel Empress et le Canadien Pacifique.

Les installations du terminal d’un pipe‑line sont fournies, quel qu’en soit le fournisseur, pour le seul bénéfice des expéditeurs de produits, peu importe la destination finale de ceux‑ci. À mon avis, lorsqu’elles sont fournies par le propriétaire de l’entreprise de transport, elles font partie de cette entreprise. C’est le cas en l’espèce. Les cavités d’emmagasinage de l’entreprise en participation sont un élément essentiel du réseau Cochin et en font partie intégrante. [Je souligne.]

56. BC Gas a soutenu qu’une telle affectation n’indiquait pas nécessairement l’existence d’une entreprise fédérale unique. Elle s’est fondée sur l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Nor‑Min Supplies Ltd., [1977] 1 R.C.S. 322, dans lequel le juge en chef Laskin, s’exprimant pour la Cour, a conclu que le fait que la production d’une carrière située à proximité du chemin de fer de l’appelante soit exclusivement consacrée à l’approvisionnement en ballast de la voie ferrée ne signifiait pas que la carrière faisait partie de l’entreprise ferroviaire visée (aux pp. 332 et 333):

Si l’approvisionnement prévu en pierre pour le ballast d’une ligne de chemin de fer fait de cette entreprise d’extraction une partie de l’entreprise de chemin de fer, ne devrait‑on pas en venir à la même conclusion pour l’approvisionnement en carburant et pour les usines de fabrication de wagons, de locomotives ou de rails qui sont posés sur l’emprise? [. . .] Sans pour autant prétendre que la simple possession par le C.N. d’une entreprise ou de bien‑fonds suffise à les soustraire à la réglementation provinciale, l’avocat maintient que la production de la carrière étant destinée à la ligne de chemin de fer, l’entreprise et les biens‑fonds sur lesquels elle est exploitée font partie intégrante de l’entreprise de chemin de fer et du réseau de transport.

Nous ne sommes pas saisis en l’espèce d’une loi fédérale valide qui vise à empêcher l’application d’une loi provinciale comme la Mechanics’ Lien Act de l’Ontario. Il n’est pas question non plus, en dehors l’existence de pareille loi fédérale, d’une immunité soustrayant à l’application d’une loi provinciale, à moins que l’on démontre que la carrière est plus qu’une commodité, plus qu’une source d’approvisionnement aux fins du chemin de fer, mais forme en fait une partie essentielle de l’entreprise de transport dans son fonctionnement quotidien. Dans les circonstances présentes, je ne peux pas tirer cette conclusion. Le simple lien économique entre la carrière du C.N. et l’utilisation de la pierre concassée pour le ballast de la ligne de chemin de fer ne fait pas de la carrière un élément de l’entreprise de transport au sens où les hangars de chemin de fer ou les gares de triage en font partie. Le fait que la production de la carrière soit destinée exclusivement au chemin de fer convient au C.N., comme le ferait n’importe quelle autre relation économique pour l’approvisionnement en carburant, en équipement ou en matériel roulant, mais ceci ne fait pas entrer les raffineries de pétrole, les entrepôts ou les usines qui fabriquent l’équipement ou le matériel roulant dans le réseau de transport. [Je souligne.]

57. À notre avis, l’arrêt Nor‑Min n’est pas incompatible avec l’indication donnée dans les affaires Empress Hotel et Dome Petroleum, précitées, que le fait d’affecter exclusivement ou principalement une exploitation locale à l’entreprise interprovinciale principale étaye la conclusion qu’elles constituent ensemble une entreprise fédérale unique. Comme il a été discuté précédemment, cette affectation exclusive ou principale est une indication du type d’intégration fonctionnelle qu’exige l’al. 92(10)a). Cependant, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit seulement d’un des facteurs à considérer, et qui, par ailleurs, peut ne pas être suffisant à lui seul. Ce qu’il faut évaluer, c’est le degré général d’intégration fonctionnelle et de gestion commune. Voir l’arrêt Central Western, précité, dans lequel le fait que toute la marchandise de Central Western était livrée au CN en vue de son transport ultérieur a été jugé insuffisant.

58. À cet égard, il est important de souligner que, même si l’appelante dans Nor‑Min était propriétaire de la carrière, elle en avait confié à contrat l’exploitation à un tiers. Par conséquent le degré requis de contrôle des opérations était absent dans cette affaire, et les énoncés du juge en chef Laskin devraient être considérés sous cet éclairage. En conséquence il est possible, à notre avis, d’établir une distinction entre l’arrêt Nor‑Min et le présent cas. De toute façon, la question litigieuse dont notre Cour était saisie dans Nor‑Min n’était pas de savoir si la carrière faisait partie de l’entreprise ferroviaire de l’appelante pour l’application de l’al. 92(10)a), mais plutôt si les biens‑fonds sur lesquels se trouvait la carrière étaient assujettis à la législation provinciale sur le privilège des fournisseurs de matériaux. Le juge en chef Laskin a fait les énoncés en cause en réponse à la prétention de l’appelante que la carrière était visée par la définition de «chemin de fer» au par. 2(1) de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, ch. R‑2, et que, pour cette raison ou de toute manière, elle faisait partie intégrante du chemin de fer en tant que réseau de transport.

59. BC Gas et le procureur général de la Colombie‑Britannique intimé ont soutenu qu’il est inapproprié d’examiner, en application du premier volet du critère établi dans Central Western, précité, la question de savoir si les diverses activités sont intégrées sur le plan fonctionnel et exercées en commun en tant qu’entreprise unique, lorsque l’une des activités visées n’est pas une activité de transport ou de communication. La présentation de cet argument a sans doute été inspirée par la conclusion tirée par l’Office, dans la demande concernant le projet Fort St. John, que le traitement du gaz et le transport du gaz sont des activités fondamentalement différentes.

60. Ils ont souligné que l’al. 92(10)a) confère au Parlement compétence uniquement à l’égard des entreprises interprovinciales de transport et de communication, et ils ont plaidé que les activités qui ne sont pas de cette nature ne devraient pas être considérées comme faisant partie de telles entreprises. On a avancé que la jurisprudence reflète ce principe, puisqu’il n’existe aucune décision dans laquelle il a été jugé qu’une activité autre qu’une activité de transport ou de communication faisait partie d’une entreprise fédérale unique. Ils ont invoqué l’arrêt Empress Hotel, précité, dans lequel il a été jugé qu’un hôtel appartenant à la Compagnie de chemin de fer Canadien du Pacifique ne faisait pas partie de l’entreprise ferroviaire fédérale de cette dernière, ainsi que l’arrêt Nor‑Min, précité, dans lequel il a été décidé qu’une carrière utilisée pour approvisionner en ballast le chemin de fer interprovincial de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada ne faisait pas partie de l’entreprise ferroviaire fédérale de cette dernière. Ils ont également prétendu que tous les arrêts dans lesquels les tribunaux ont conclu à l’existence d’une entreprise fédérale unique concernaient des activités de transport ou de communication.

61. Le procureur général de la Colombie‑Britannique est allé plus loin et a prétendu que, dans les cas où une activité n’est pas une activité de transport ou de communication, le tribunal devrait passer directement au deuxième volet du critère établi dans Central Western, précité, et déterminer s’il s’agit d’une activité vitale, essentielle et fondamentale de l’entreprise fédérale principale de transport ou de communication. Il s’est fondé sur certains arrêts, notamment Reference re Industrial Relations and Disputes Investigation Act, [1955] R.C.S. 529, dans lequel des activités de débardage ont été jugées essentielles à une entreprise de transport maritime.

62. Ces arguments sont peu convaincants, et ce pour deux raisons. Premièrement, on n’a cité aucun arrêt ayant conclu à l’absence d’une entreprise fédérale unique pour le motif que l’une des activités visées n’était pas une activité de transport ou de communication. Dans l’arrêt Empress Hotel, précité, ainsi que le démontre l’extrait reproduit précédemment, la conclusion que l’hôtel constituait une entreprise distincte était fondée sur le fait qu’il n’était pas affecté principalement à l’entreprise ferroviaire. Il n’était pas différent de tous les autres hôtels. Dans Nor‑Min, précité, les extraits reproduits précédemment montrent qu’on a jugé que la carrière ne faisait pas partie de l’entreprise ferroviaire fédérale parce qu’elle était accessoire à l’exploitation du chemin de fer. Ni l’une ni l’autre de ces décisions n’étaye les prétentions de BC Gas et du procureur général de la Colombie‑Britannique sur ce point. Le fait que l’hôtel et la carrière n’étaient pas, pouvait-on soutenir, des activités «participant du transport» n’a pas été mentionné dans ces arrêts. De fait, on n’y a même pas fait allusion.

63. Deuxièmement, fait plus important encore, un certain nombre d’arrêts contredisent explicitement ces arguments, puisqu’on y dit qu’une entreprise unique peut constituer une entreprise fédérale unique même si elle exerce différentes activités et que l’une de ces activités n’est pas une activité de transport ou de communication. Dans l’arrêt Empress Hotel, précité, le Conseil privé a déclaré, dans une remarque incidente, qu’un hôtel établi exclusivement pour servir les passagers de la compagnie ferroviaire pourrait faire partie d’une entreprise ferroviaire fédérale. Dans The King c. Eastern Terminal Elevator Co., [1925] R.C.S. 434, le juge Duff a dit, dans une remarque incidente, à la p. 447, qu’un élévateur à grains pourrait faire partie d’une entreprise fédérale de transport ferroviaire ou maritime. Dans l’arrêt Dome Petroleum, précité, il a été jugé que des cavités d’emmagasinage faisaient partie d’une entreprise interprovinciale de transport par pipeline. C’est également l’avis qu’a exprimé Gérard V. La Forest, dans Water Law in Canada: The Atlantic Provinces (1973), aux pp. 49 et 50:

[traduction] . . . il peut y avoir des cas où une seule et même organisation commerciale exploite plusieurs entreprises. Cela ressort clairement de l’arrêt Canadian Pacific Railway c. Attorney-General of British Columbia, dans lequel on a jugé que l’hôtel Empress, que le CP exploitait comme tout autre grand hôtel, était une entreprise distincte des activités ferroviaires de cette compagnie. Cela n’indique aucunement que tous les aspects des activités d’une compagnie doivent être de même nature, comme dans les affaires Bell Telephone Co. et Winner, pour faire partie de la même exploitation. Dans l’arrêt Empress Hotel, la cour a reconnu qu’un hôtel ou un restaurant exploité de manière accessoire par une compagnie dans le cadre de son entreprise ferroviaire, pour le bénéfice des voyageurs utilisant son réseau, pouvait certainement faire partie de cette entreprise. [Je souligne.]

64. À notre avis, le fait qu’une activité ou un service ne participe pas du transport ou des communications n’empêche pas de conclure, dans le cadre du premier volet du critère établi dans l’arrêt Central Western, précité, que l’activité ou le service en question fait partie d’une entreprise fédérale unique pour l’application de l’al. 92(10)a). Le critère demeure fondé sur les faits propres à chaque espèce. Comme l’a dit clairement le juge en chef Dickson dans l’arrêt A.G.T., précité, à la p. 258:

À mon avis, il est impossible de formuler en l’absence de contexte un seul critère qui soit complet et utile dans tous les cas relatifs à l’al. 92(10)a). Le dénominateur commun de ces arrêts est simplement que ce sont les faits particuliers de chaque cas qui doivent guider le tribunal [. . .] Il est possible de trouver des analogies utiles dans la jurisprudence, mais dans chaque cas, la réponse à cette question constitutionnelle variera selon les faits qui doivent être examinés soigneusement . . .

65. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il est impossible de dégager certains indices qui seront utiles dans l’analyse fondée sur l’al. 92(10)a). À notre avis, le principal facteur à considérer est la question de savoir si les diverses activités visées sont intégrées sur le plan fonctionnel et si elles sont assujetties à une gestion, à une direction et à un contrôle communs. En toute probabilité, l’absence de ces facteurs établira que les activités visées ne font pas partie de la même entreprise interprovinciale, même si l’inverse ne sera pas nécessairement vrai. Parmi les autres questions pertinentes, quoique non déterminantes, mentionnons celles de savoir s’il n’existe qu’un seul propriétaire (peut‑être en tant qu’indice d’une gestion et d’un contrôle communs) et si les biens ou les services fournis dans le cadre d’une entreprise le sont pour le seul bénéfice de l’autre entreprise ou de ses clients, ou des deux à la fois, ou s’ils sont disponibles de façon générale.

66. En raison de la nature factuelle de cette détermination, la preuve de la pratique courante des affaires dans une industrie donnée ne sera pas particulièrement pertinente. Par conséquent, BC Gas a peut‑être tort de se fonder sur la preuve d’expert produite devant l’Office quant à la qualification typique de l’industrie du gaz naturel. Bien que, dans La Reine c. Nova, An Alberta Corporation, [1988] 2 C.T.C. 167, la Cour d’appel fédérale ait accepté que l’industrie est généralement divisée en quatre étapes distinctes, savoir l’exploration, la production et la mise en valeur du gaz (y compris l’extraction, la déshydratation et le transport, à l’aide des canalisations de collecte, jusqu’aux usines de traitement), le transport depuis les usines de traitement jusqu’aux régions consommatrices et la distribution aux utilisateurs ultimes —, et que l’Office ait qualifié le traitement du gaz et le transport du gaz d’«activités fondamentalement différentes», cela n’empêche pas ces deux activités de faire partie de la même entreprise interprovinciale pour l’application de l’al. 92(10)a). Même si une telle division peut être pratiquée à des fins industrielles, elle n’a aucune incidence sur le partage constitutionnel des compétences entre le Parlement et les législatures provinciales.

67. La question de savoir si les canalisations de collecte, les usines de traitement et la canalisation de transport principale de Westcoast constituent une entreprise unique dépend de la mesure dans laquelle ces activités sont intégrées sur le plan fonctionnel et gérées en commun en tant qu’entreprise unique. Ce qui importe, c’est la façon dont Westcoast exploite son entreprise dans les faits et non de quelle autre façon elle pourrait le faire ou comment d’autres acteurs de l’industrie du gaz naturel exploitent la leur: voir Winner, précité, aux pp. 581 et 582. Le fait que l’industrie du gaz naturel soit typiquement divisée en quatre secteurs -- qui ont été décrits précédemment -- n’a aucune importance, tout comme le fait que, en règle générale, les producteurs sont propriétaires de canalisations de collecte et d’usines de traitement. Comme nous le verrons plus loin, c’est précisément parce que les activités de Westcoast ont un caractère exceptionnel que nous concluons qu’elles constituent une entreprise fédérale unique. Nous soulignons également que la façon dont les participants de l’industrie du gaz naturel décrivent typiquement leur industrie ne saurait dicter la façon de la qualifier à des fins constitutionnelles. Enfin, le fait que cette description de l’industrie ait été adoptée dans l’arrêt Nova, précité, n’est pas pertinent aux fins du présent pourvoi, étant donné que cette affaire portait sur une question sans rapport avec le présent cas, savoir la détermination de la catégorie à laquelle appartenaient, aux fins de la déduction pour amortissement en matière d’impôt sur le revenu, certaines pièces de la tuyauterie extérieure, ainsi que la conduite de comptage et des soupapes.

b) L’application de ces principes aux activités de Westcoast

68. En ce qui concerne l’application des principes examinés précédemment, le fait que les canalisations de collecte et les usines de traitement de Westcoast soient physiquement reliées à sa canalisation de transport principale est insuffisant en soi pour permettre de conclure qu’elles constituent une entreprise fédérale unique. En outre, le fait que Westcoast soit propriétaire de toutes ces installations est également insuffisant. Cependant, nous sommes d’accord avec le juge Hugessen que la description des activités et des installations de Westcoast faite par l’Office dans ses motifs de décision concernant le projet Fort St. John et dans l’ordonnance no MO‑21‑95 concernant le renvoi sur le projet Grizzly Valley démontre que Westcoast gère celles‑ci en commun en tant qu’entreprise unique intégrée sur le plan fonctionnel.

69. Il appert que les installations et le personnel de Westcoast sont assujettis à une gestion, à une direction et à un contrôle communs et que l’entreprise est exploitée d’une manière coordonnée et intégrée. Le personnel de gestion de Westcoast contrôlent et dirigent, depuis Vancouver, le personnel local qui exploite les canalisations de collecte, les usines de traitement et la canalisation de transport principale. C’est le même personnel local qui exploite les canalisations de collecte et la canalisation de transport principale, de même que les installations de compression connexes. Des bureaux locaux, des parcs de stockage de tuyaux, des entrepôts, des ateliers de réparation des appareils de compression et des ateliers de mesure et d’entretien des pipelines communs desservent les deux ensembles d’installations pipelinières. Des employés de Vancouver ont la responsabilité de surveiller et de contrôler l’acheminement du gaz tant dans les canalisations de collecte que dans la canalisation de transport principale. Bien que chacune des usines de traitement soit exploitée par des personnes différentes, ces activités sont dirigées et supervisées par des gestionnaires qui se trouvent à Vancouver. Enfin, les installations de collecte, de traitement et de transport sont reliées entre elles par un système de télécommunication très perfectionné.

70. Cette intégration fonctionnelle est mise en évidence par le fait que l’objectif principal du traitement du gaz brut aux usines de traitement de Westcoast est de faciliter le transport de celui‑ci dans la canalisation principale de Westcoast. Comme il a été discuté plus tôt, le gaz brut extrait des gisements contient souvent des impuretés, notamment de l’hydrogène sulfuré et du gaz carbonique. Il faut débarrasser le gaz brut de ces impuretés avant de le faire passer dans la canalisation principale, et ce pour deux raisons. Premièrement, la combinaison de l’hydrogène sulfuré et du gaz carbonique est corrosive. Alors que l’acier utilisé pour les canalisations de collecte est conçu pour résister à la corrosion, celui dont on se sert pour la canalisation principale ne l’est pas. Deuxièmement, l’hydrogène sulfuré est une substance toxique, qui pose des risques inacceptables du point de vue de la sécurité et de l’environnement. En conséquence, le gaz contenant de l’hydrogène sulfuré ne peut être transporté à travers les secteurs à forte densité de population que traverse la canalisation principale.

71. BC Gas a plaidé que ces considérations étaient accessoires à l’objectif principal du traitement du gaz qui est, selon elle, de transformer le gaz brut en produits commerciaux utiles, notamment le gaz résiduaire et d’autres sous‑produits utiles tel le soufre. À notre avis, cet objectif n’est pas pertinent en ce qui concerne l’entreprise de Westcoast. Il est vrai que le gaz brut doit être traité afin d’en extraire les impuretés avant que les consommateurs ultimes puissent l’utiliser. Cependant, ce qui est important, du point de vue de Westcoast, c’est que le gaz soit traité avant d’être acheminé dans sa canalisation de transport principale, vu les problèmes de conception, de sécurité et d’environnement décrits précédemment.

72. En outre, le traitement fait par Westcoast vise presque exclusivement le gaz qui est acheminé par la suite dans sa canalisation de transport principale. Bien que certaines quantités de gaz brut soient livrées aux usines de traitement de Westcoast par des canalisations de collecte appartenant à d’autres compagnies et exploitées par celles‑ci, pratiquement tout le gaz résiduaire traité dans les usines de Westcoast est livré à la canalisation principale de cette dernière pour être transporté ensuite vers les marchés. Ce gaz résiduaire est constitué principalement de méthane, qui représente environ 80 pour 100 du gaz brut avant traitement. Westcoast ne fait pas -- à titre de service distinct -- le traitement du gaz qu’elle ne transporte pas dans sa canalisation de transport principale.

73. À notre avis, cette affectation des usines de traitement de Westcoast à l’exploitation de sa canalisation de transport principale est analogue à l’affectation des cavités d’emmagasinage à l’exploitation de l’entreprise de transport du gaz naturel dans l’arrêt Dome Petroleum, précité, et à l’affectation à l’exploitation de l’entreprise ferroviaire de l’hôtel hypothétique décrit par le Conseil privé dans l’arrêt Empress Hotel, précité. De plus, l’intégration fonctionnelle des canalisations de collecte et des usines de traitement de Westcoast, d’une part, et de la canalisation de transport principale de Westcoast, d’autre part, démontre que ces installations ne peuvent être comparées à la carrière et au chemin de fer dont il était question dans l’arrêt Nor‑Min, précité, et qui ont été discutés précédemment.

74. Il est significatif que, sauf pour de petites quantités de gaz naturel, Westcoast n’est pas propriétaire et ne fait pas le commerce du gaz qu’elle transporte. Le fait que le traitement du gaz transforme celui‑ci en une substance commercialement utile, en plus de générer des sous‑produits ayant eux aussi une valeur commerciale est peut-être pertinent du point de vue des propriétaires de ces substances, mais pas du point de vue de Westcoast. Le seul intérêt de cette dernière est de fournir des services de transport et de traitement aux propriétaires du gaz et des sous‑produits de celui‑ci.

75. Les membres majoritaires de l’Office ont conclu, en rejetant la demande concernant le projet Fort St. John, que les installations de Westcoast ne constituaient pas une entreprise unique pour l’application de l’al. 92(10)a), parce que le degré de coordination entre les installations était une caractéristique inévitable de l’industrie du gaz naturel et qu’une telle coordination existerait, que les installations appartiennent entièrement à Westcoast ou non. Ils ont dit ceci, à la p. 9:

Les installations de Westcoast sont exploitées de façon coordonnée, mais selon l’Office, il s’agit là d’une caractéristique universelle de l’industrie du gaz naturel, qui surviendrait entre des installations reliées nonobstant la propriété.

76. L’Office a conclu à l’existence d’un pareil degré de coordination en ce qui concerne les usines de traitement qui appartiennent à d’autres compagnies, sont exploitées par celles-ci et livrent du gaz à la canalisation de transport principale de Westcoast, et les canalisations de collecte qui appartiennent à d’autres compagnies, sont exploitées par ces dernières et livrent du gaz aux usines de traitement de Westcoast. L’Office a réitéré cette conclusion dans l’ordonnance no MO‑21‑95 rendue dans le renvoi concernant le projet Grizzly Valley, au par. 38:

38. Cette interdépendance et cette coordination sont une facette essentielle de l’industrie du gaz naturel. Les diverses installations de production, de transport et de distribution du gaz naturel jusqu’à livraison aux utilisateurs ultimes sont reliées matériellement et doivent fonctionner de façon coordonnée. Peu en importe l’appartenance, les installations doivent toujours fonctionner de façon interdépendante et coordonnée.

77. À notre avis, cette conclusion de l’Office n’était pas un fondement valable pour conclure que Westcoast n’exploite pas une entreprise fédérale unique. Il ressort des faits que, au-delà de la coordination décrite précédemment, Westcoast exploite en commun, en tant qu’entreprise unique, les canalisations de collecte, les usines de traitement et la canalisation de transport principale. En termes simples, les installations sont assujetties à une gestion, à une direction et à un contrôle communs par Westcoast. C’est ce qui distingue l’entreprise de Westcoast d’autres entreprises au sein de l’industrie du gaz naturel. Il est possible que la coordination qui existe entre les installations de Westcoast soit une caractéristique inévitable de l’industrie du gaz naturel, mais il n’en va pas de même de la gestion commune de ces installations par Westcoast en tant qu’exploitation unique. Il ne s’agit manifestement pas d’une caractéristique des canalisations de collecte qui appartiennent à d’autres compagnies et alimentent les usines de traitement de Westcoast et des usines de traitement qui appartiennent à d’autres compagnies et alimentent la canalisation de transport principale de cette dernière. Westcoast n’exerce aucun contrôle sur ces installations. Nous sommes en désaccord avec la suggestion à l’effet contraire faite par l’Office dans ses motifs de décision concernant le projet Fort St. John, à la p. 10:

Certaines des usines qui sont actuellement exploitées par Westcoast appartenaient auparavant à d’autres compagnies relevant de la compétence provinciale, qui les exploitaient. Bien qu’«[un changement quant à la personne morale qui a le contrôle puisse . . . s’avérer important lorsque cela entraîne des modifications dans l’exploitation de l’entreprise en question]» (Central Western à la page 1131), rien ne montre que le transfert, à Westcoast, de la propriété et du contrôle de ces installations a notablement modifié la démarche générale d’exploitation de ces installations.

78. Cette distinction est analogue à celle qui existe entre la voie de chemin de fer exploitée par le CN dans Luscar, précité, et la voie de chemin de fer exploitée de façon indépendante dans Central Western, précité, sans compter que, dans le présent cas, les installations en cause appartiennent dans les faits à Westcoast. Ces aspects de l’exploitation des canalisations de collecte, des usines de traitement et de la canalisation de transport principale de Westcoast nous amènent à conclure que celles‑ci constituent une entreprise fédérale unique pour l’application de l’al. 92(10)a).

2. Les canalisations de collecte et les usines de traitement de Westcoast font-elles partie intégrante de sa canalisation de transport principale?

79. À la lumière de la conclusion qui précède, il est inutile que nous examinions la question de savoir si les installations projetées seraient un élément essentiel, vital et fondamental de la canalisation de transport principale, conformément au deuxième volet du critère établi dans Central Western, précité, et, par conséquent, nous ne nous prononçons pas sur cette question.

3. L’effet de l’art. 92A de la Loi constitutionnelle de 1867

80. Il demeure toutefois nécessaire de se demander si l’art. 92A de la Loi constitutionnelle de 1867 a un effet sur notre conclusion que Westcoast exploite une entreprise fédérale unique visée à l’al. 92(10)a). BC Gas et les procureurs généraux de la Colombie‑Britannique et de l’Alberta ont prétendu que l’art. 92A modifiait le partage des compétences établi par la Loi constitutionnelle de 1867. En particulier, ils ont plaidé que l’al. 92A(1)b), qui accorde à la législature de chaque province le pouvoir exclusif de légiférer dans les domaines suivants: «exploitation, conservation et gestion des ressources naturelles non renouvelables [. . .] de la province», limite la compétence du Parlement à l’égard des entreprises de transport interprovincial de gaz naturel visées à l’al. 92(10)a).

81. La portée de l’art. 92A a été examinée dans l’arrêt Ontario Hydro c. Ontario (Commission des relations de travail), [1993] 3 R.C.S. 327, dans lequel les juges de la majorité ont conclu que la législation fédérale en matière de relations de travail s’appliquait aux employés travaillant dans des centrales nucléaires provinciales. Le Parlement avait, en application de l’al. 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867, déclaré que les centrales étaient des ouvrages qui étaient à l’avantage général du Canada. L’une des questions litigieuses était de savoir si l’al. 92A(1)c), qui accorde à la législature de chaque province le pouvoir exclusif de légiférer dans les domaines suivants: «aménagement, conservation et gestion des emplacements et des installations de la province destinés à la production d’énergie électrique», avait pour effet de modifier la portée du pouvoir déclaratoire prévu à l’al. 92(10)c). Six des sept juges de notre Cour qui ont entendu l’affaire, ont conclu que non. Le juge Iacobucci, s’exprimant en son propre nom au nom des juges Sopinka et Cory, a fait les remarques suivantes, aux pp. 409 et 410:

Bien que le texte de l’art. 92A indique clairement que la gestion des installations destinées à la production d’énergie électrique relève de la compétence exclusive de la province, cette disposition ne précise pas qu’une réserve spéciale a été apportée en vue de soustraire ces installations au pouvoir déclaratoire fédéral. À mon avis, le Parlement n’a pas renoncé à son pouvoir déclaratoire sur les centrales nucléaires lorsque l’art. 92A de la Loi constitutionnelle de 1867 a été ajouté à la Constitution en 1982.

Je tiens aussi à préciser que ces conclusions sont compatibles avec les articles de doctrine portant sur l’art. 92A, selon lesquels la modification concernant les ressources, comme on l’appelle, a accru la compétence des provinces relativement à la collecte de revenus tirés des ressources et à la réglementation de l’aménagement et de la production des ressources, et ce, sans diminuer les pouvoirs fédéraux préexistants. [Je souligne.]

82. À notre avis, ces remarques s’appliquent tout autant à la compétence du Parlement sur les entreprises de transport interprovincial visées à l’al. 92(10)a). L’article 92A ne porte pas atteinte à la compétence conférée au Parlement par l’al. 92(10)a). La reconnaissance de la compétence du fédéral en vertu de l’al. 92(10)a) est tributaire de la conclusion préalable qu’il existe une entreprise de transport interprovincial. L’alinéa 92A(1)b), par contre, ne porte pas sur le transport des ressources naturelles au‑delà des limites de la province, mais plutôt sur l’«exploitation, [la] conservation et [la] gestion» de ces ressources dans les limites de la province. Comme il a été vu précédemment, les canalisations de collecte, les usines de traitement et la canalisation de transport principale de Westcoast constituent une entreprise interprovinciale unique, qui transporte du gaz naturel extrait de gisements situés au Yukon, dans les Territoires du Nord‑Ouest, en Alberta et en Colombie‑Britannique, jusqu’à des points de livraison en Alberta, en Colombie‑Britannique et aux États‑Unis. Nous ne voyons pas comment l’al. 92A(1)b) pourrait élargir la compétence de la province de manière à inclure la réglementation du transport du gaz naturel dans les installations situées au‑delà des frontières provinciales.

83. BC Gas et les procureurs généraux de la Colombie‑Britannique et de l’Alberta ont invoqué les commentaires faits par le juge La Forest, en son propre nom et au nom des juges L’Heureux‑Dubé et Gonthier, dans l’arrêt Ontario Hydro, précité, aux pp. 376 à 378, relativement à l’effet de l’al. 92A(1)c) sur la compétence du Parlement à l’égard des installations destinées à la production d’énergie électrique visées à l’al. 92(10)a):

Pour comprendre la situation, il est utile d’examiner le contexte dans lequel a été adopté l’art. 92A. De manière générale, les politiques interventionnistes que les autorités fédérales ont adoptées au cours des années 70 à l’égard des ressources naturelles, et notamment du pétrole et de ses dérivés, préoccupaient beaucoup les provinces. . .

C’est pour dissiper cette incertitude quant à la compétence provinciale sur les ressources -‑ un des pivots de la compétence provinciale ‑- qu’on a adopté l’art. 92A. Le paragraphe 92A(1) rassure en reformulant cette compétence en des termes contemporains et les dispositions qui suivent autorisent pour la première fois les provinces à légiférer sur l’exportation des ressources vers d’autres provinces, sous réserve de la compétence législative prépondérante du Parlement dans le domaine, et à taxer indirectement les ressources dans la mesure où ces taxes ne sont pas discriminatoires à l’égard d’autres provinces.

La plupart des auteurs ne font que mentionner ces questions lorsqu’ils décrivent le contexte dans lequel a été adopté l’art. 92A; toutefois, il y en a eu d’autres qui, particulièrement en ce qui concerne la production et l’exportation d’énergie électrique, ont dû être considérées comme une menace à l’autonomie provinciale dans ces domaines. Dans la plupart des provinces, tout au moins, la production et la distribution d’énergie électrique se font par la même entreprise. Il existe un réseau intégré et interconnecté qui va de la centrale jusqu’à la destination finale du produit. Il y a une décision qui indique que même un réseau interprovincial d’urgence pourrait créer, entre ces installations, une interconnexion suffisante pour faire de l’ensemble du réseau un ouvrage reliant la province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendant au‑delà des limites de la province, et le faire ainsi relever de la compétence fédérale au sens de l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 [. . .] Il existait alors un risque qu’au moins le réseau d’approvisionnement, et voire même peut‑être bien toute l’entreprise, depuis la production jusqu’à l’exportation, soit considéré comme une entreprise fédérale [. . .] L’attribution explicite de la compétence législative sur l’aménagement d’installations destinées à la production d’énergie électrique (al. 92A(1)c)), conjuguée à la compétence législative relativement à l’exportation de l’énergie électrique, appuie au moins le point de vue selon lequel, exception faite des autres chefs de compétence, l’aménagement, la conservation et la gestion des centrales électriques relèvent exclusivement de la compétence provinciale. On a dû apprécier la nature des réseaux provinciaux de production et de distribution d’énergie électrique au moment de l’adoption de l’art. 92A.

Il importe de souligner que le danger pour l’autonomie provinciale en matière de production d’énergie électrique ne découlait pas du pouvoir discrétionnaire que le Parlement avait exercé ou qu’il pourrait exercer à l’avenir en vertu de son pouvoir déclaratoire. Ce danger résidait plutôt dans la possibilité que ces entreprises deviennent des entreprises purement fédérales du fait de leur raccordement ou de leur extension au‑delà des limites de la province. L’article 92A garantit à la province la gestion des emplacements et des installations destinés à la production d’énergie électrique, y compris la réglementation des relations de travail, qui pourraient par ailleurs être menacés par l’al. 92(10)a). Toutefois, je ne puis croire que cette disposition visait à empiéter sur la compétence prépondérante dont jouit le Parlement en vertu de son pouvoir déclaratoire (ou, quant à cela, de son pouvoir de légiférer pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada) sur les «ouvrages et entreprises destinés à la production et aux applications et usages de l’énergie atomique». Ceci, comme nous l’avons vu, comprend la gestion de ces installations et écarte ainsi tout pouvoir de gestion que la province pourrait avoir par ailleurs en vertu de l’art. 92A. Une partie essentielle du pouvoir de gestion est celui de réglementer les relations de travail. [Je souligne.]

Ces parties ont soutenu que ces commentaires s’appliquaient tout autant à la compétence dont dispose le Parlement à l’égard des gazoducs en vertu de l’al. 92(10)a) et que, par conséquent, l’al. 92A(1)b) écartait la compétence de ce dernier sur les canalisations de collecte et les usines de traitement de Westcoast fondée sur l’al. 92(10)a).

84. Nous ne croyons pas que les propos du juge La Forest aient une portée aussi grande que celle qu’on leur attribue. D’abord, la question en litige dans l’arrêt Ontario Hydro, précité, était de savoir quel était l’effet de l’al. 92A(1)c) sur le pouvoir déclaratoire prévu à l’al. 92(10)c). La Cour n’était pas saisie de la question de l’effet de l’al. 92A(1)b) sur l’al. 92(10)a), et les commentaires du juge La Forest sur l’effet de l’art. 92A sur l’al. 92(10)a) constituaient des remarques incidentes. Mais, ce qui est plus important, l’al. 92A(1)c) porte précisément sur la compétence sur l’«aménagement, [la] conservation et [la] gestion des emplacements et des installations de la province destinés à la production d’énergie électrique». L’alinéa 92A(1)b), par contre, ne parle pas de la compétence à l’égard «des emplacements et des installations» mais plutôt, de façon plus générale, de la compétence sur l’«exploitation, [la] conservation et [la] gestion des ressources naturelles non renouvelables». Enfin, même en supposant que le par. 92A(1) a été édicté pour répondre aux inquiétudes suscitées par l’étendue potentielle de la compétence fédérale fondée sur l’al. 92(10)a), nous ne voyons pas comment l’al. 92A(1)b) modifierait le résultat dans le présent cas, compte tenu des motifs exposés précédemment. De fait, les trois dernières phrases de l’extrait précité des motifs du juge La Forest renforcent cette conclusion. L’article 92A ne visait d’aucune façon à réduire les pouvoirs préexistants du Parlement.

4. La conclusion

85. Nous concluons que les canalisations de collecte, les usines de traitement et la canalisation de transport principale de Westcoast -- dont feraient partie les installations projetées à Fort St. John et Grizzly Valley -- constituent une entreprise de transport fédérale unique, qui transporte du gaz naturel extrait de gisements situés au Yukon, dans les Territoires du Nord‑Ouest, en Alberta et en Colombie‑Britannique jusqu’à des points de livraison situés en Alberta, en Colombie‑Britannique et à la frontière internationale séparant le Canada et les États‑Unis. En conséquence, les installations projetées relèvent de la compétence exclusive du Parlement prévue à l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867.

C. Si les installations projetées relèvent de la compétence du fédéral, les installations de traitement du gaz projetées sont‑elles visées par la définition de «pipeline» à l’art. 2 de la Loi sur l’Office national de l’énergie?

86. BC Gas a prétendu que, même si les projets en cause relèvent de la compétence du fédéral, la Loi sur l’Office national de l’énergie n’accorde pas à l’Office compétence sur les usines de traitement du gaz, parce que ces usines ne sont pas visées par la définition suivante de «pipeline», qui figure à l’art. 2:

«pipeline» Canalisation servant ou destinée à servir au transport du pétrole ou du gaz, seul ou avec un autre produit, et reliant une province et une ou plusieurs autres provinces, ou s’étendant au‑delà des limites d’une province ou de la zone extracôtière, au sens de l’article 123, y compris les branchements, extensions, citernes, réservoirs, installations de stockage ou de chargement, pompes, rampes de chargement, compresseurs, systèmes de communication entre stations par téléphone, télégraphe ou radio, ainsi que les ouvrages, ou autres biens immeubles ou meubles, connexes. [Je souligne.]

87. Si les usines de traitement sont visées par cette définition, c’est en vertu de ses derniers mots: «ainsi que les ouvrages, ou autres biens immeubles ou meubles, connexes». Il est difficile d’imaginer comment les usines de traitement pourraient être considérées autrement que comme des ouvrages reliés aux canalisations de transport de Westcoast. BC Gas a prétendu que l’expression «servant ou destinée à servir au transport du pétrole ou du gaz» a pour effet de restreindre la portée de l’ensemble de la définition et que, comme les usines de traitement ne servent pas, à strictement parler, au transport, ces usines ne sont pas visées par la définition. Cependant, nous estimons que ni le libellé ni la structure de la définition n’étayent cette interprétation.

88. BC Gas a également plaidé que, selon la règle ejusdem generis appliquée en matière d’interprétation législative, les termes généraux utilisés à la fin de la définition doivent être considérés comme faisant référence à des choses analogues à celles énumérées de façon expresse. Nous ne sommes pas d’accord avec cet argument. Comme l’a dit le juge Hugessen, à la p. 302:

La deuxième partie de la définition, qui revêt un caractère inclusif, ne devrait pas être interprétée comme restreignant la portée des termes plus généraux qui la précèdent et de ceux qui la suivent. Ces termes sont en soi très généraux et tout à fait aptes à englober les usines de traitement. De plus, il me semble exister une bonne raison d’ordre constitutionnel pour laquelle les usines de traitement n’auraient pas pu figurer dans l’énumération. En effet, ces usines constituent habituellement des ouvrages de nature locale soumis à la compétence provinciale. Elles ne sont assujetties à la compétence fédérale que lorsqu’elles font partie d’une entreprise fédérale de transport interprovincial. Il serait inusité que le législateur inclue dans la définition des ouvrages qui ne sont habituellement pas soumis à la compétence fédérale et qui ne le deviennent qu’en raison de facteurs étrangers à la loi.

Nous souscrivons à ces propos et concluons que les usines de traitement de Westcoast sont assujetties à la compétence de l’Office par l’effet de l’économie générale de la Loi sur l’Office national de l’énergie et de la définition de «pipeline» figurant dans cette loi.

VIII. Le dispositif

89. Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens. La question constitutionnelle doit recevoir la réponse suivante:

Q. Compte tenu du partage des pouvoirs législatifs établi par les Lois constitutionnelles de 1867 à 1982 entre le Parlement du Canada et les législatures des provinces, les art. 29, 30, 31, 33, 47, 52, 58 et 59 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N‑7, s’appliquent‑ils aux installations dont Westcoast Energy Inc. propose la construction dans le cadre:

a) de son projet d’expansion de Fort St. John, qui fait l’objet de la demande présentée dans l’instance no GH‑5‑94 devant l’Office national de l’énergie;

b) de son projet d’expansion de Grizzly Valley, qui est décrit dans l’ordonnance no MO‑21‑95 de l’Office national de l’énergie?

R. a) Oui.

b) Oui.

//Le juge McLachlin//

Version française du jugement rendu par

Le juge McLachlin (dissidente) —

I. Introduction

1 Aux termes de la Constitution canadienne, l’exploitation et la gestion des ressources naturelles non renouvelables, dont les minéraux, le pétrole et le gaz, relèvent de la compétence exclusive des provinces. Chaque province a aussi le pouvoir de réglementer les ouvrages et les entreprises situés sur son territoire.

2 Il y a des exceptions à cette règle. Premièrement, l’al. 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867 habilite le Parlement à déclarer qu’un ouvrage de nature locale est «à l’avantage général du Canada, ou à l’avantage de deux ou plusieurs provinces». Deuxièmement, le Parlement peut s’attribuer compétence en vertu de la clause constitutionnelle concernant la paix, l’ordre et le bon gouvernement. Finalement, un ouvrage ou une entreprise de nature provinciale peut relever de la compétence fédérale par l’effet de l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867: «lignes de bateaux à vapeur ou autres navires, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres ouvrages et entreprises reliant la province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendant au‑delà des limites de la province».

3 La principale question dont est saisie notre Cour est de savoir si le gouvernement fédéral a le pouvoir de réglementer les deux usines de traitement du gaz ainsi que les installations de collecte connexes (ci‑après appelées les «usines de traitement») que Westcoast Energy Inc. («Westcoast») se propose de construire dans le nord de la Colombie‑Britannique: les projets «Fort St. John» et «Grizzly Valley». En tant qu’installations de production tirée d’une ressource situées dans la province, les usines de traitement relèvent à première vue de la compétence de la province en vertu des par. 92(10) (ouvrages et entreprises de nature locale), 92(13) (propriété et droits civils dans la province), 92(16) (matières de nature locale ou privée) ou 92A(1) (exploitation, conservation et gestion des ressources). Il s’agit de décider si l’une ou l’autre des règles d’exception qui autorisent le gouvernement fédéral à régir des activités provinciales s’applique. Le gouvernement fédéral n’a pas déclaré que les usines de traitement étaient à l’avantage général du Canada. Il n’a pas non plus été plaidé que le gouvernement fédéral a le droit de réglementer ces usines en vertu de son pouvoir concernant la paix, l’ordre et le bon gouvernement. La revendication de compétence fédérale repose uniquement sur l’argument selon lequel les usines de traitement sont visées par la clause résiduelle de l’al. 92(10)a): «autres ouvrages et entreprises reliant la province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendant au‑delà des limites de la province». Si l’on conclut à la compétence du gouvernement fédéral, il faut ensuite se demander si les usines de traitement sont visées par la définition donnée au mot «pipeline» dans la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N‑7. Dans la négative, ces usines échappent à la compétence de l’Office national de l’énergie.

4 Je ne saurais accepter l’argument que les usines de traitement relèvent de la compétence fédérale. Elles ne sont pas elles‑mêmes des ouvrages ou entreprises reliant la province à d’autres provinces, territoires ou pays. Si elles relèvent de la compétence fédérale, ce doit être de par leur association avec le pipeline interprovincial de Westcoast, qui est une entreprise de transport interprovincial. À mon avis, le lien entre les usines de traitement et le pipeline interprovincial qui acheminera la majeure partie de leur production est insuffisant pour les soustraire au contrôle de la province et les assujettir à celui du gouvernement fédéral. Une interprétation, fondée sur l’objet visé, du partage des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces étaye le point de vue selon lequel les usines continuent de relever de la compétence de la province. La jurisprudence corrobore ce point de vue. Affirmer le contraire reviendrait à modifier fondamentalement le partage des pouvoirs établi par la Constitution.

II. Les faits

5 Le nord‑est de la Colombie‑Britannique renferme d’immenses réserves de gaz naturel. De nombreuses entreprises ont effectué des travaux d’exploration et de forage dans cette région et y ont trouvé du gaz. Celles‑ci ou d’autres à qui elles ont cédé leurs droits vendent ce gaz. Mais avant d’être vendu, la majeure partie du gaz produit en Colombie‑Britannique est traitée.

6 Le traitement du gaz vise divers objectifs. Premièrement, il permet d’extraire un certain nombre de produits ayant une valeur commerciale, notamment les hydrocarbures liquides et le soufre. Deuxièmement, l’extraction de ces produits et d’autres substances permet de rendre le transport du gaz moins coûteux et plus sûr. Les canalisations de collecte qui acheminent le gaz brut aux usines sont faites d’acier résistant à la corrosion. Par contre, les canalisations qui acheminent le gaz traité à partir des usines n’ont pas à être en acier résistant à la corrosion parce que les produits chimiques corrosifs ont été enlevés. Le coût du transport du gaz traité est donc moindre. Le transport est aussi plus sûr car le traitement permet de retirer l’hydrogène sulfuré, qui est une substance toxique, avant que le gaz n’atteigne des secteurs à forte densité de population.

7 Westcoast n’est pas la seule entreprise de traitement du gaz en Colombie‑Britannique. Un certain nombre d’autres sociétés y exploitent de telles usines. Toutes relèvent à l’heure actuelle de la compétence de la province, même lorsque leur produit est transporté dans des pipelines interprovinciaux. Plusieurs usines de traitement appartiennent à des filiales de Westcoast. Elles sont elles aussi réglementées par la province, bien que leur produit soit acheminé par des pipelines interprovinciaux appartenant à Westcoast.

8 Une partie du gaz naturel et des autres produits provenant des usines est vendue en Colombie‑Britannique et une autre partie est exportée. Ces produits sont transportés vers le marché national ou étranger par divers moyens. Les liquides et le soufre extraits du gaz naturel sont transportés par camion et par train. Le gaz résiduaire — environ 80 pour 100 du gaz brut livré aux usines de traitement — est acheminé par pipeline dans toutes les régions de la province ainsi qu’à l’extérieur de celle-ci, dans d’autres provinces et aux États‑Unis.

9 Il arrive que les canalisations de collecte, les usines de traitement et les canalisations de transport appartiennent à des sociétés distinctes. Toutefois, dans la majeure partie du nord‑est de la Colombie‑Britannique, une société — Westcoast — exerce les activités de collecte, de traitement et de transport et possède les installations connexes. Westcoast coordonne les trois types d’activités depuis son siège à Vancouver et par l’intermédiaire de son personnel local.

III. Les dispositions constitutionnelles et législatives pertinentes

10 Loi constitutionnelle de 1867

91. Il sera loisible à la Reine, sur l’avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes, de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets exclusivement assignés aux législatures des provinces par la présente loi mais, pour plus de certitude, sans toutefois restreindre la généralité des termes employés plus haut dans le présent article, il est par les présentes déclaré que (nonobstant toute disposition de la présente loi) l’autorité législative exclusive du Parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets énumérés ci‑dessous, à savoir:

. . .

29. les catégories de sujets expressément exceptés dans l’énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces.

Et aucune des matières ressortissant aux catégories de sujets énumérés au présent article ne sera réputée tomber dans la catégorie des matières d’une nature locale ou privée comprises dans l’énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces.

92. Dans chaque province, la législature pourra exclusivement légiférer relativement aux matières entrant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, à savoir:

. . .

10. les ouvrages et entreprises d’une nature locale, autres que ceux qui sont énumérés dans les catégories suivantes:

a) lignes de bateaux à vapeur ou autres navires, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres ouvrages et entreprises reliant la province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendant au‑delà des limites de la province.

92A. (1) La législature de chaque province a compétence exclusive pour légiférer dans les domaines suivants:

. . .

b) exploitation, conservation et gestion des ressources naturelles non renouvelables et des ressources forestières de la province, y compris leur rythme de production primaire;

c) aménagement, conservation et gestion des emplacements et des installations de la province destinés à la production d’énergie électrique.

. . .

(5) L’expression «production primaire» a le sens qui lui est donné dans la sixième annexe.

. . .

SIXIÈME ANNEXE

Production primaire tirée des ressources naturelles non

renouvelables et des ressources forestières

1. Pour l’application de l’article 92A:

a) on entend par production primaire tirée d’une ressource naturelle non renouvelable:

(i) soit le produit qui se présente sous la même forme que lors de son extraction du milieu naturel,

(ii) soit le produit non manufacturé de la transformation, du raffinage ou de l’affinage d’une ressource, à l’exception du produit du raffinage du pétrole brut, du raffinage du pétrole brut lourd amélioré, du raffinage des gaz ou des liquides dérivés du charbon ou du raffinage d’un équivalent synthétique du pétrole brut; . . .

Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

. . .

«pipeline» Canalisation servant ou destinée à servir au transport du pétrole ou du gaz, seul ou avec un autre produit, et reliant une province et une ou plusieurs autres provinces, ou s’étendant au‑delà des limites d’une province ou de la zone extracôtière, au sens de l’article 123, y compris les branchements, extensions, citernes, réservoirs, installations de stockage ou de chargement, pompes, rampes de chargement, compresseurs, systèmes de communication entre stations par téléphone, télégraphe ou radio, ainsi que les ouvrages, ou autres biens immeubles ou meubles, connexes.

30. (1) La compagnie ne peut exploiter un pipeline que si les conditions suivantes sont réunies:

a) il existe un certificat en vigueur relativement à ce pipeline;

b) elle a été autorisée à mettre le pipeline en service aux termes de la présente partie.

(2) La compagnie doit exploiter le pipeline conformément aux conditions du certificat délivré à cet égard.

31. Sauf dispositions contraires de la présente loi, la compagnie ne peut commencer la construction d’une section ou partie de pipeline que si les conditions suivantes sont réunies:

a) l’Office l’a, par la délivrance d’un certificat, autorisée à construire la canalisation; . . .

47. (1) La compagnie ne peut mettre en service, pour le transport d’hydrocarbures ou d’autres produits, un pipeline ou une section de celui‑ci que si elle a obtenu de l’Office une autorisation à cette fin.

(2) L’Office ne délivre l’autorisation prévue au présent article que s’il est convaincu que le pipeline peut, sans danger, être mis en service pour le transport.

52. Sous réserve de l’agrément du gouverneur en conseil, l’Office peut, s’il est convaincu de son caractère d’utilité publique, tant pour le présent que pour le futur, délivrer un certificat à l’égard d’un pipeline; ce faisant, il tient compte de tous les facteurs qu’il estime pertinents, et notamment de ce qui suit:

a) l’approvisionnement du pipeline en pétrole ou gaz;

b) l’existence de marchés, réels ou potentiels;

c) la faisabilité économique du pipeline;

d) la responsabilité et la structure financières du demandeur et les méthodes de financement du pipeline ainsi que la mesure dans laquelle les Canadiens auront la possibilité de participer au financement, à l’ingénierie ainsi qu’à la construction du pipeline;

e) les conséquences sur l’intérêt public que peut, à son avis, avoir sa décision.

IV. Les décisions rendues

A. Office national de l’énergie, motifs de la décision GH‑5‑94 (A. Côté‑Verhaaf, K. W. Vollman et R. Illing)

11 L’Office national de l’énergie s’est demandé si le projet Fort St. John relevait de sa compétence. Il a décidé à la majorité que, même si le transport interprovincial du gaz naturel relève de la compétence du gouvernement fédéral, les usines de traitement n’en relèvent pas. Les membres majoritaires ont accepté que Westcoast exercerait ses activités de collecte, de traitement et de transport interprovincial en tant qu’entreprise intégrée. Mais, à leur avis, les aspects provinciaux de cette entreprise — la collecte et le traitement — ne relevaient pas pour autant de la compétence fédérale, parce que les trois secteurs de l’entreprise conservaient leur caractère distinctif. Le droit du gouvernement fédéral de réglementer un aspect de l’entreprise de Westcoast — le transport interprovincial — ne lui donnait pas le droit d’en réglementer tous les aspects.

12 Pour étayer ce point de vue, les membres majoritaires de l’Office national de l’énergie ont fait remarquer, à la p. 9, que la collecte, le traitement et le transport interprovincial, quoique effectués en l’espèce par la même compagnie, sont «des activités ou services fondamentalement différents». Ils ont souligné que les pratiques commerciales de Westcoast reflètent ces différences. Les clients peuvent passer des contrats visant ses services de transport, indépendamment de ses services de collecte et de traitement. Les droits applicables aux services de collecte, de traitement et de transport par la canalisation principale sont calculés séparément et suivant des méthodes différentes. Les membres majoritaires ont conclu que la coordination des trois activités est une caractéristique universelle de l’industrie du gaz naturel qui existerait même si des compagnies différentes exerçaient les diverses activités. Le simple fait que Westcoast exerce les trois activités ne devrait rien changer à la compétence constitutionnelle sur chacune de celles-ci. Le fait que le transport interprovincial dépende du traitement ne devrait rien changer non plus; cette dépendance découle de la nature de l’industrie. Il s’ensuivait, selon les membres majoritaires, que la collecte et le traitement du gaz ne constituaient pas une partie «intégrante» ou «essentielle» d’un ouvrage fédéral principal ou d’une entreprise fédérale principale selon le critère établi dans l’arrêt Travailleurs unis des transports c. Central Western Railway Corp., [1990] 3 R.C.S. 1112, et que les usines de traitement ne relevaient pas de la compétence fédérale en application de l’al. 92(10)a). L’Office national de l’énergie à la majorité a rejeté la demande de Westcoast pour le motif qu’il n’avait pas compétence.

13 Le membre dissident de l’Office a conclu que l’ensemble du réseau Westcoast constituait une entreprise unique relevant de la compétence fédérale. Les usines de traitement relevaient de la compétence fédérale parce qu’elles faisaient partie intégrante de la canalisation de transport principale et étaient essentielles à son exploitation. Il a aussi statué que les usines de traitement du gaz étaient visées par la définition du mot «pipeline» dans la Loi sur l’Office national de l’énergie. En conséquence, il a conclu que l’Office avait compétence à l’égard du projet Fort St. John.

B. Cour d’appel fédérale, [1996] 2 C.F. 263

14 La Cour d’appel fédérale a entendu l’appel de Westcoast contre la décision de l’Office national de l’énergie relative à Fort St. John, simultanément à un renvoi concernant la compétence de l’Office à l’égard du projet Grizzly Valley. Elle a dit être d’accord avec le membre dissident de l’Office que les activités intégrées de Westcoast faisaient de l’ensemble de ses activités dans le nord‑est de la Colombie‑Britannique une entreprise unique relevant de la compétence fédérale. La cour a conclu que l’Office avait commis une erreur en invoquant la nature distinctive des usines de traitement du gaz par rapport au pipeline interprovincial. Ce qui importait ce n’était pas de savoir si les usines différaient d’une entreprise de transport interprovincial, mais plutôt de savoir s’il existait un lien entre elles et si elles étaient interdépendantes. La cour a décidé que, en droit, en raison du lien qui existait entre elles et de leur interdépendance, toutes les activités de collecte, de traitement et de transport du gaz à l’extérieur de la province faisaient partie de l’entreprise de transport de Westcoast relevant du gouvernement fédéral par l’effet de l’al. 92(10)a). Elle a aussi décidé que l’Office national de l’énergie avait compétence à l’égard des usines de traitement étant donné qu’elles étaient visées par la définition du mot «pipeline» à l’art. 2 de la Loi sur l’Office national de l’énergie.

V. Les questions en litige

15 Le 4 avril 1997, le Juge en chef a énoncé la question constitutionnelle suivante:

Compte tenu du partage des pouvoirs législatifs établi par les Lois constitutionnelles de 1867 à 1982 entre le Parlement du Canada et les législatures des provinces, les art. 29, 30, 31, 33, 47, 52, 58 et 59 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N‑7, s’appliquent‑ils aux installations dont Westcoast Energy Inc. propose la construction dans le cadre:

a) de son projet d’expansion de Fort St. John, qui fait l’objet de la demande présentée dans l’instance no GH‑5‑94 devant l’Office national de l’énergie;

b) de son projet d’expansion de Grizzly Valley, qui est décrit dans l’ordonnance no MO‑21‑95 de l’Office national de l’énergie?

Pour répondre à la question, il faut décider quel est le critère approprié et comment il s’applique aux usines de traitement. Subsidiairement, il faut décider s’il y a lieu de faire montre de retenue envers la décision de l’Office national de l’énergie. Pour terminer, si les usines de traitement relèvent de la compétence fédérale, il sera nécessaire de décider si elles sont visées par la définition du mot «pipeline» dans la Loi sur l’Office national de l’énergie.

VI. Analyse

A. Le critère applicable pour décider si un ouvrage ou une entreprise d’une nature locale relève de la compétence fédérale par l’effet de l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867

16 Il se dégage de la décision de l’Office national de l’énergie et de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale deux critères juridiques différents pour déterminer si un ouvrage ou une entreprise de nature locale sera soumis à la compétence fédérale à cause de son lien avec un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale. Suivant le critère appliqué par les membres majoritaires de l’Office, tant que l’ouvrage ou l’entreprise d’une nature locale conserve son identité propre par rapport à l’ouvrage ou à l’entreprise de nature interprovinciale il ne relève pas de la compétence fédérale. Selon ce point de vue, il faut se demander, d’une part, si, considéré dans le contexte de ses activités quotidiennes et de l’industrie en général, l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale a un caractère dominant essentiellement identique à celui de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature interprovinciale, ou, d’autre part, si l’entreprise locale conserve un caractère provincial distinct. Par contre, selon le critère appliqué par le membre dissident et par la Cour d’appel fédérale, l’ouvrage ou l’entreprise de nature provinciale en cause relèvera de la compétence fédérale dans tous les cas où il existera un lien entre celui-ci et l’ouvrage ou l’entreprise de nature interprovinciale et où les ouvrages ou entreprises concernés seront interdépendants. J’estime que le premier critère — celui adopté par l’Office national de l’énergie — est le bon.

(1) Les deux façons dont un ouvrage ou une entreprise de nature locale peut relever de la compétence fédérale par l’effet de l’al. 92(10)a)

17 Le paragraphe 92(10) de la Constitution attribue aux provinces la compétence à l’égard des ouvrages et entreprises situés sur leur territoire. Cette attribution est faite sous réserve de l’exception suivante, énoncée à l’al. 92(10)a): «lignes de bateaux à vapeur ou autres navires, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres ouvrages et entreprises reliant la province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendant au‑delà des limites de la province». Comme les usines de traitement sont situées dans les limites de la province de la Colombie‑Britannique, elles ne relèveront de la compétence fédérale que s’il est démontré qu’elles sont visées par cette exception. Ces usines ne comptent pas parmi les ouvrages ou entreprises expressément désignés. Elles ne pourront être visées par cette exception que si elles relèvent de la clause résiduelle: «autres ouvrages et entreprises reliant la province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendant au‑delà des limites de la province».

18 Un ouvrage ou une entreprise peut relever de deux façons de la clause résiduelle: Central Western, précité. Premièrement, l’ouvrage ou l’entreprise en cause — qu’il s’agisse d’un chemin de fer, d’un hôtel ou d’une usine de traitement — peut être lui‑même un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale. Un pipeline interprovincial en est un exemple. Les pipelines interprovinciaux ne sont pas mentionnés expressément à l’al. 92(10)a). Mais un pipeline interprovincial est en soi un ouvrage qui relie une province à une autre ou à d’autres provinces. Par conséquent, les pipelines interprovinciaux sont visés par l’al. 92(10)a): Campbell‑Bennett Ltd. c. Comstock Midwestern Ltd., [1954] R.C.S. 207. Deuxièmement, un ouvrage ou une entreprise qui ne s’étend pas lui‑même au‑delà des limites de la province ou qui ne la relie pas à une ou plusieurs autres provinces peut être visé par l’al. 92(10)a) et relever de la compétence fédérale en raison de son lien avec un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale.

19 Mes collègues les juges Iacobucci et Major semblent avoir perçu différemment les deux volets du critère établi dans l’arrêt Central Western, précité. Ils affirment essentiellement que les deux manières dont un ouvrage ou une entreprise peut relever de la clause résiduelle de l’al. 92(10)a) sont les suivantes: (1) en faisant partie d’un ouvrage ou d’une entreprise unique et intégré de nature interprovinciale, (2) en faisant «partie intégrante» d’un ouvrage ou d’une entreprise de nature interprovinciale (voir le par. 45). En toute déférence, il me semble que cela revient au même. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit de décider si l’ouvrage ou l’entreprise fait partie d’un système intégré.

20 Selon moi, les motifs de notre Cour dans Central Western établissent une distinction entre un ouvrage ou une entreprise non énuméré à l’al. 92(10)a), qui est lui‑même de nature interprovinciale, et un ouvrage ou une entreprise qui n’est pas lui‑même de nature interprovinciale, mais qui relève de la compétence fédérale parce qu’il fait partie intégrante d’un ouvrage ou d’une entreprise de nature interprovinciale. C’est aussi l’interprétation que le juge MacGuigan a donnée dans l’arrêt Office national de l’énergie (Re), [1988] 2 C.F. 196 (C.A.), à la p. 216 (cité et approuvé dans Central Western, à la p. 1145), lorsqu’il a dit ceci:

Quelque langage qu’ils adoptent, les tribunaux affirment de façon répétée dans ces décisions qu’un ouvrage ou une entreprise, pour relever de la compétence fédérale selon l’alinéa 92(10)a), doit soit constituer un ouvrage ou une entreprise interprovinciale (la catégorie des ouvrages et entreprises principales) ou être attaché à un ouvrage ou une entreprise interprovinciale entretenant avec lui ou avec elle un lien nécessaire (la catégorie des ouvrages et entreprises accessoires). [Souligné dans l’original.]

En conséquence, il y a deux situations où l’al. 92(10)a) peut s’appliquer:

(i) si l’ouvrage ou l’entreprise en cause est lui‑même un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale (première situation);

(ii) si l’ouvrage ou l’entreprise en cause est fonctionnellement intégré à un ouvrage ou à une entreprise de nature interprovinciale (deuxième situation).

Vus sous cet angle, les deux volets du critère établi dans Central Western ne font pas double emploi et constituent un critère exhaustif permettant de déterminer dans quels cas un ouvrage ou une entreprise de nature provinciale peut relever de la compétence accordée au fédéral par l’al. 92(10)a).

(2) Première situation: Est-ce que les usines de traitement sont elles‑mêmes des ouvrages ou entreprises de nature interprovinciale?

21 À la différence des lignes de navigation, chemins de fer, canaux, télégraphes ou pipelines interprovinciaux, les usines de traitement ne sont pas en elles‑mêmes des ouvrages reliant une province à une autre. La fonction d’une usine de traitement est de séparer, raffiner et produire, et non pas de servir de moyen de transport ou de communication au‑delà des limites de la province. Sa seule fonction est de transformer le gaz brut en un certain nombre d’autres produits qui sont ensuite expédiés et transportés dans toutes les régions de la Colombie‑Britannique et à l’extérieur de la province par divers moyens, y compris par camion, par train et par pipeline. Le simple fait qu’une usine soit reliée à un réseau de transport interprovincial n’en fait pas un moyen de transport interprovincial: Central Western, précité. Il est tout simplement impossible d’affirmer que les usines elles‑mêmes sont des ouvrages ou entreprises interprovinciaux. Par conséquent, les usines de traitement ne relèvent pas de la compétence fédérale en application du premier volet du critère de l’arrêt Central Western.

(3) Deuxième situation: Les usines de traitement sont‑elles fonctionnellement intégrées à un ouvrage ou à une entreprise de nature interprovinciale?

22 La seconde façon dont un ouvrage ou une entreprise peut relever de la clause résiduelle de l’al. 92(10)a) consiste à faire «partie intégrante d’une entreprise fédérale principale»: Central Western, précité, à la p. 1125. Autrement dit, bien que l’ouvrage ou l’entreprise en cause ne soit pas lui-même de nature interprovinciale, il se peut qu’il ait un lien fonctionnel si étroit avec un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale qu’il puisse à juste titre être considéré comme ayant un caractère interprovincial. L’ouvrage ou l’entreprise de nature locale perd alors son caractère provincial distinct et passe de la compétence de la province à celle du fédéral. C’est la question qui est au c{oe}ur du présent pourvoi: comment établir qu’un ouvrage ou une entreprise qui n’est pas lui‑même de nature interprovinciale est relié à un ouvrage ou à une entreprise de nature interprovinciale d’une manière telle qu’il passe de la compétence de la province à celle du fédéral?

23 La jurisprudence tend à indiquer que la transformation, par l’effet de l’al. 92(10)a), d’un ouvrage ou d’une entreprise d’une nature locale en une entité réglementée par le gouvernement fédéral ne peut se faire que si l’entreprise locale constitue une partie «essentielle» ou «intégrante» d’un ouvrage ou d’une entreprise de nature interprovinciale. Certains précédents exigent une direction ou une exploitation communes. D’autres exigent par ailleurs que l’entreprise fédérale dépende de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature provinciale. La difficulté tient au sens à donner à ces termes et à leur application à une situation donnée. Plus concrètement, quels sont les facteurs qui établissent l’existence de l’intégration fonctionnelle requise pour qu’une entreprise provinciale relève de la compétence fédérale?

24 La réponse à cette question réside dans le cadre constitutionnel et le partage des pouvoirs qui y est établi entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Le critère applicable pour transférer un pouvoir de réglementation provincial au gouvernement fédéral par l’effet de l’al. 92(10)a) doit respecter ce cadre constitutionnel et non le déformer.

a) Le cadre constitutionnel

25 La Constitution répartit le pouvoir de légiférer sur le transport et les communications entre le gouvernement fédéral et les provinces. Les provinces peuvent réglementer le transport et les communications sur leur territoire. Le gouvernement fédéral a compétence à l’égard des systèmes de transport et de communication qui s’étendent au‑delà des limites des provinces et les relient entre elles ou à d’autres pays.

26 Le paragraphe 92(10) reflète ce partage. Il confirme d’abord le droit des provinces de réglementer les ouvrages et entreprises situés sur leur territoire. L’alinéa 92(10)a) crée ensuite une exception concernant les activités de transport et de communication interprovinciales — c’est‑à‑dire les «lignes de bateaux à vapeur ou autres navires, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres ouvrages et entreprises reliant la province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendant au‑delà des limites de la province». L’objet de ce pouvoir fédéral exceptionnel est évident: il permet au gouvernement fédéral d’assurer la circulation des personnes, des biens et de l’information dans toutes les régions du pays et ailleurs.

27 Ce pouvoir fédéral étant exceptionnel, il s’ensuit qu’il ne devrait être exercé que dans la mesure requise pour réaliser l’objet qui le sous-tend, et pas plus. Pour déroger au pouvoir des provinces de réglementer les ouvrages et entreprises de nature locale, il faut démontrer que cette dérogation est nécessaire pour permettre au gouvernement fédéral de maintenir un réseau de transport ou de communication interprovincial. Comme l’a dit lord Atkinson, en rejetant une revendication fédérale de compétence fondée sur l’al. 92(10)a) (City of Montreal c. Montreal Street Railway, [1912] A.C. 333 (C.P.), à la p. 346):

[traduction] De l’avis de Leurs Seigneuries, ce droit et ce pouvoir ne sont pas nécessairement incidents à l’exercice par le Parlement du Canada de sa compétence et de son autorité incontestées sur les réseaux fédéraux et ils constituent donc, dans leur esprit, une immixtion que rien n’autorise dans les droits de la législature de la province de Québec. [Je souligne.]

28 Cette interprétation -- fondée sur l’objet visé -- de l’al. 92(10)a) est essentielle pour conférer la précision nécessaire au critère applicable pour déterminer dans quels cas le pouvoir concernant les ouvrages ou entreprises de nature locale peut être exceptionnellement transféré au gouvernement fédéral. Le pouvoir du gouvernement fédéral de s’arroger une compétence essentiellement provinciale doit être strictement limité aux situations où cela est nécessaire pour réaliser l’objet de l’exception consacrée à l’al. 92(10)a). Voilà le principe qui doit gouverner l’interprétation de l’al. 92(10)a).

29 L’ajout récent de l’art. 92A à la Constitution confirme cet objet de l’al. 92(10)a) dans le contexte de la production primaire tirée des ressources provinciales. L’article 92A prévoit que «[l]a législature de chaque province a compétence exclusive pour légiférer dans les domaines suivants: [. . .] b) exploitation, conservation et gestion des ressources naturelles non renouvelables et des ressources forestières de la province, y compris leur rythme de production primaire; c) aménagement, conservation et gestion des emplacements et des installations de la province destinés à la production d’énergie électrique». L’expression «production primaire» s’entend notamment d’un produit «qui se présente sous la même forme que lors de son extraction du milieu naturel», et d’un «produit non manufacturé de la transformation, du raffinage ou de l’affinage d’une ressource [naturelle non renouvelable]». Le gaz naturel est visé par la définition de la production primaire, tant sous sa forme de produit traité qu’à l’état brut. Aux termes de l’art. 92A, la province a le pouvoir exclusif de légiférer relativement à l’exploitation et à la gestion des ressources naturelles non renouvelables. Il s’ensuit que la province a, en vertu de l’art. 92A, le pouvoir exclusif de légiférer relativement à l’aménagement des usines de traitement.

30 Dans Ontario Hydro c. Ontario (Commission des relations de travail), [1993] 3 R.C.S. 327, notre Cour à la majorité a décidé que l’art. 92A n’empêche pas le gouvernement fédéral d’exercer le pouvoir que lui confère l’al. 92(10)c) de déclarer qu’un ouvrage provincial est à l’avantage général du Canada. Toutefois, en ce qui concerne l’al. 92(10)a), le juge La Forest, s’exprimant en son propre nom et en celui des juges L’Heureux‑Dubé et Gonthier, a dit douter qu’il puisse être utilisé pour assujettir à la compétence fédérale les installations destinées à l’exploitation et à la transformation des ressources primaires. Il a fait remarquer que l’art. 92A a été adopté pour dissiper l’incertitude des provinces quant à leur compétence sur les ressources — qu’il a décrite comme «un des pivots de la compétence provinciale» (p. 376) — et, en particulier, la crainte que l’al. 92(10)a) puisse être interprété comme ayant pour effet d’autoriser le gouvernement fédéral à s’arroger la compétence à l’égard de l’exploitation et de la transformation des ressources du fait de leur lien avec des réseaux de distribution interprovinciaux et internationaux (à la p. 378). Même si les propos du juge La Forest concernaient la production d’énergie électrique, ils s’appliquent aussi à toutes les ressources primaires (aux pp. 377 et 378):

Dans la plupart des provinces, [. . .] la production et la distribution d’énergie électrique se font par la même entreprise. Il existe un réseau intégré et interconnecté qui va de la centrale jusqu’à la destination finale du produit. Il y a une décision qui indique que même un réseau interprovincial d’urgence pourrait créer, entre ces installations, une interconnexion suffisante pour faire de l’ensemble du réseau un ouvrage reliant la province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendant au‑delà des limites de la province, et le faire ainsi relever de la compétence fédérale au sens de l’al. 92(10)a) [. . .] Il existait alors un risque qu’au moins le réseau d’approvisionnement, et voire même peut‑être bien toute l’entreprise, depuis la production jusqu’à l’exportation, soit considéré comme une entreprise fédérale. [. . .] Bien qu’un certain nombre d’auteurs, y compris moi‑même, n’aient pas partagé cette conception du droit, le résultat sur la jurisprudence était loin d’être certain.

. . .

Ce danger résidait [. . .] dans la possibilité que ces entreprises deviennent des entreprises purement fédérales du fait de leur raccordement ou de leur extension au‑delà des limites de la province. L’article 92A garantit à la province la gestion des emplacements et des installations destinés à la production d’énergie électrique [. . .] qui pourraient par ailleurs être menacés par l’al. 92(10)a). [Je souligne.]

31 Les dispositions de la Constitution doivent s’interpréter conjointement de manière à créer un tout harmonieux. Si on interprète l’al. 92(10)a) conjointement avec l’art. 92A, en fonction de leur objet, il ne subsiste aucun doute que le gouvernement fédéral ne peut pas invoquer son pouvoir de réglementer les activités de transport et de communication interprovinciales et internationales pour avoir autorité sur l’exploitation des ressources primaires et la production qui en est tirée.

32 En résumé, la Constitution est claire. Ce sont les provinces qui ont l’autorité sur les ouvrages et entreprises situés sur leur territoire, y compris les installations liées à la production tirée des ressources. À titre exceptionnel, et seulement dans la mesure requise pour maintenir des réseaux de transport et de communication interprovinciaux, le gouvernement fédéral est investi par l’al. 92(10)a) du pouvoir de réglementer des ouvrages et entreprises de nature provinciale. Cette interprétation est renforcée et confirmée par l’art. 92A.

b) La jurisprudence

33 La jurisprudence concernant les cas où un ouvrage de nature locale peut relever de la compétence fédérale en raison de son lien avec un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale reflète le caractère exceptionnel de l’al. 92(10)a) et l’objet restreint qui le sous-tend — permettre au gouvernement fédéral de maintenir des réseaux de transport et de communication interprovinciaux et internationaux. Cette jurisprudence révèle l’existence d’une crainte que, si un critère trop large est adopté, une multitude d’ouvrages et d’entreprises de nature provinciale pourraient être soumis à la compétence fédérale d’une manière qui minerait le partage fondamental des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces.

34 Le critère qui se dégage de la jurisprudence récente est celui de l’«intégration fonctionnelle»: Central Western, précité, le juge en chef Dickson, aux pp. 1146 et 1147. Le Juge en chef clarifie le sens de cette expression dans les motifs qu’il a rédigés dans cette affaire. C’est plus qu’«un réseau unifié, étendu et important» (p. 1144, où il cite lord Reid dans l’arrêt Canadian Pacific Railway Co. c. Attorney‑General for British Columbia, [1950] A.C. 122 (C.P.), à la p. 140 (l’arrêt Empress Hotel)). Et il faut «davantage que l’existence d’un lien matériel et des relations commerciales mutuellement avantageuses» (p. 1147).

35 L’élément supplémentaire requis pour établir le degré d’intégration fonctionnelle nécessaire pour qu’un ouvrage ou une entreprise de nature locale relève de la compétence fédérale par l’effet de l’al. 92(10)a) se dégage d’arrêts tels que Empress Hotel et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Nor‑Min Supplies Ltd., [1977] 1 R.C.S. 322. L’ouvrage ou l’entreprise de nature locale doit, en raison de son lien avec l’ouvrage ou l’entreprise de nature interprovinciale, être essentiellement exploité en tant que partie de l’entité interprovinciale et perdre son caractère distinct. Dans le cas d’une entreprise de transport ou de communication interprovinciale, l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale doit, pour être fonctionnellement intégré, être de nature interprovinciale du point de vue de ses activités quotidiennes normales — c’est‑à‑dire constituer ce qu’on pourrait appeler une «entreprise interprovinciale ou internationale»: voir Attorney‑General for Ontario c. Winner, [1954] A.C. 541 (C.P.), à la p. 582. Si l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale a, sur le plan de son fonctionnement, un caractère dominant différent du transport interprovincial ou des communications interprovinciales, cet ouvrage ou cette entreprise continue de relever de la compétence provinciale. L’intégration fonctionnelle dans ce sens — lorsque les éléments constitutifs perdent leur identité propre — exige plus que la démonstration que l’ouvrage provincial fait partie d’un «réseau unifié» dont les éléments constitutifs conservent leur identité. Dans le premier cas, l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale relève de la compétence fédérale, dans le second, il n’en relève pas.

36 Bien que diverses décisions aient mis l’accent sur des facteurs différents, la plupart respectent assez facilement ce cadre conceptuel. Dans les affaires où la compétence fédérale a été reconnue, les tribunaux ont constaté un degré d’intégration suffisant pour faire de l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale une simple partie accessoire de l’entreprise de transport ou de communication interprovinciale. Par contre, les décisions où la compétence provinciale a été confirmée tendent à être des affaires où l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale, tout en étant lié ou associé à l’ouvrage ou à l’entreprise de nature fédérale sous d’importants aspects, avaient conservé son caractère distinct vis-à-vis de celui de l’entreprise de transport ou de communication interprovinciale.

37 Cette distinction — entre intégration fonctionnelle et maintien d’un caractère distinct — respecte le partage des pouvoirs prescrit par la Constitution. La logique et des raisons de principe portent à croire que si le lien entre l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale et l’entité fédérale est tel que le caractère dominant de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature locale est le transport interprovincial ou les communications interprovinciales, l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale doit alors être considéré comme une partie accessoire du réseau de transport ou de communication interprovincial et relever de la compétence fédérale. En revanche, si le caractère dominant de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature provinciale continue d’être autre chose que le transport interprovincial ou les communications interprovinciales et d’en être distinct, cet ouvrage ou cette entreprise doit continuer de relever de la compétence provinciale.

38 Pour décider si un ouvrage ou une entreprise de nature locale est fonctionnellement intégré à une entreprise de transport ou de communication interprovinciale fédérale, le tribunal doit examiner la substance de l’activité exercée: Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada (no 1), [1980] 1 R.C.S. 115, à la p. 132. Comme l’a dit le juge en chef Dickson (au nom des juges majoritaires) dans Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225, (A.G.T. c. C.R.T.C.), aux pp. 257 et 258, «la question essentielle dans tous les cas concerne la nature ou le caractère de l’entreprise qui est en fait exploitée». L’expression «caractère de l’entreprise» s’entend du caractère des activités normales ou habituelles de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature locale: Northern Telecom no1, à la p. 132. La méthode proposée consiste à identifier l’ouvrage principal ou l’entreprise principale de nature fédérale dont on dit que l’entité locale fait partie intégrante, puis à examiner le caractère matériel et opérationnel de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature provinciale, ainsi que son lien pratique ou fonctionnel avec l’activité principale ou le caractère principal de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature fédérale: voir, par exemple, les arrêts Northern Telecom no1, aux pp. 132 et 133, et Central Western, précité, aux pp. 1119 et 1140.

39 Il n’y a pas de critère simple et décisif comme celui du contrôle commun ou de la dépendance. Le critère applicable est celui plus subtil mais souple de l’intégration fonctionnelle: voir Central Western, précité, à la p. 1147. Pour décider si le caractère dominant de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature provinciale est le transport interprovincial ou les communications interprovinciales, il faut évaluer soigneusement ses activités dans le contexte de son lien avec l’ouvrage ou l’entreprise de nature fédérale et avec l’industrie dans son ensemble.

40 Il est peut‑être plus facile, dans certains cas que dans d’autres, de prouver qu’un ouvrage ou une entreprise de nature provinciale est, de par son caractère dominant, une entité interprovinciale. Si l’ouvrage ou l’entreprise de nature provinciale est lui‑même une société de transport ou de communication, la première étape consistant à démontrer que son caractère dominant est le transport ou les communications est alors franchie. Il ne reste plus qu’à prouver que les activités de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature locale, considérées dans le contexte de leur lien avec l’entreprise de transport ou de communication interprovinciale, revêtent un caractère interprovincial prédominant. C’est lorsque des services de télécommunications sont en cause qu’il est peut‑être le plus facile de satisfaire au critère. Du fait que les télécommunications sont, par nature, instantanées et ne connaissent pas de frontières, et en raison de la portée et de la complexité des accords de coopération entre les sociétés dans le domaine, il est difficile de distinguer une entreprise de communication provinciale de l’entreprise fédérale dont elle fait partie. L’identité provinciale distincte de l’entreprise de communication disparaît alors effectivement, ce qui amène à conclure que, considérée sur les plans fonctionnel et pratique, elle a pris le caractère d’une entreprise de communication interprovinciale: voir, par exemple, les arrêts City of Toronto c. Bell Telephone Company of Canada, [1905] A.C. 52 (C.P.) (services téléphoniques locaux); A.G.T. c. C.R.T.C., précité; Northern Telecom no 1, précité, et Northern Telecom Canada Ltée c. Syndicat des Travailleurs en communication du Canada (no 2), [1983] 1 R.C.S. 733 (services d’installation de matériel téléphonique).

41 Si les ouvrages et entreprises en cause ne participent pas des télécommunications, il peut être plus difficile de satisfaire au critère. Contrairement aux réseaux de télécommunications, des ouvrages et entreprises tels que les chemins de fer ou les pipelines peuvent être situés à l’intérieur des limites d’une province. Comme l’a affirmé le juge en chef Dickson dans l’arrêt Central Western, précité, à la p. 1146, lorsqu’il s’agit de pipelines ou de chemins de fer, «l’exploitation de l’entreprise se fait à l’intérieur de certaines limites géographiques, ce qui est moins facilement soutenable à l’égard de réseaux de radiodiffusion, pour lesquels les frontières territoriales ne sont pas vraiment déterminantes quant à la nature de l’entreprise». Voilà pourquoi les accords de coopération entre des entreprises de transport provinciales et des entreprises de transport fédérales ne sont pas suffisants pour transformer les premières en ouvrages ou entreprises de nature interprovinciale: voir, par exemple, les arrêts Montreal Street Railway, précité, British Columbia Electric Railway Co. c. Canadian National Railway Co., [1932] R.C.S. 161, Kootenay & Elk Railway Co. c. Compagnie du Chemin de Fer Canadien du Pacifique, [1974] R.C.S. 955, et Central Western, précité. Une remarque similaire peut être faite au sujet des pipelines: voir Office national de l’énergie (Re), précité.

42 Les précédents les plus utiles pour trancher le présent pourvoi sont les arrêts Empress Hotel et Nor‑Min, précités. Ils sont semblables à la présente affaire sous trois rapports: (1) l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale en cause n’était pas lui‑même une entreprise de transport ou de communication; (2) l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale et l’entreprise de chemin de fer fédérale qui, alléguait‑on, faisait relever le premier de la compétence fédérale appartenaient à la même société et, dans l’affaire Empress Hotel, étaient gérés par la même société; (3) contrairement aux affaires où il était question de radiodiffusion et de télécommunications, l’exploitation de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature locale se faisait uniquement à l’intérieur des limites géographiques de la province.

43 Dans l’affaire Empress Hotel, précitée, la question était de savoir si un hôtel construit, possédé et géré par une compagnie de chemins de fer relevait de la compétence fédérale. Le Comité judiciaire du Conseil privé a conclu par la négative. Leurs Seigneuries ont reconnu que si le chemin de fer fédéral avait exploité l’hôtel seulement ou principalement pour le bénéfice des voyageurs utilisant son réseau, cet hôtel aurait pu être considéré comme faisant partie de l’entreprise ferroviaire interprovinciale. Toutefois, l’hôtel n’était pas exploité en tant que simple partie accessoire de l’entreprise ferroviaire. C’était essentiellement un hôtel comme tous les autres hôtels. Il y avait [traduction] «peu de choses, si tant est qu’il y en a[vait], le distingu[ant] d’un hôtel indépendant» (p. 144). Cela ne faisait aucune différence que les entreprises ferroviaire et hôtelière s’entraident. Autrement dit, à la lumière de ses activités quotidiennes, le caractère dominant de l’hôtel n’était pas le transport interprovincial. Son caractère distinct l’empêchait de relever de la compétence fédérale.

44 Je ne vois aucune différence entre l’arrêt Empress Hotel et la présente affaire. Il est question, dans les deux cas, d’ouvrages ou d’entreprises de nature locale qui n’exercent pas eux-mêmes des activités de transport ou de communication interprovinciales. Dans l’un et l’autre cas, il y a un propriétaire unique et une gestion commune. Dans l’un et l’autre cas, même s’il a de solides liens économiques et rapports de coopération avec l’entreprise de transport fédérale, l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale en cause conserve une identité propre, qui n’est pas le transport. À l’instar de l’hôtel Empress, qui était dans une large mesure exploité comme tous les autres hôtels de la province, les usines de traitement seront exploitées comme les autres usines de traitement du gaz en Colombie‑Britannique ou dans d’autres provinces.

45 L’arrêt Nor‑Min, précité, de notre Cour repose sur un raisonnement analogue. Il s’agissait, dans cette affaire, de décider si une carrière qui appartenait à un chemin de fer interprovincial et était exclusivement consacrée à l’approvisionnement en gravier destiné à servir de ballast pour sa voie ferrée relevait de la compétence fédérale par l’effet de l’al. 92(10)a). Notre Cour a répondu par la négative. Encore une fois, malgré l’existence du lien économique entre la carrière et le chemin de fer, et le fait qu’il y avait un propriétaire unique et une gestion commune, le caractère de la carrière, considéré d’un point de vue pratique et substantiel, n’était pas le transport interprovincial. La carrière avait une fonction et une identité propres. Il n’y avait donc pas d’intégration fonctionnelle entre la carrière et l’entreprise ferroviaire interprovinciale. La Cour a tiré la conclusion suivante (à la p. 333):

Le simple lien économique entre la carrière du C.N. et l’utilisation de la pierre concassée pour le ballast de la ligne de chemin de fer ne font pas de la carrière un élément de l’entreprise de transport au sens où les hangars de chemin de fer ou les gares de triage en font partie. Le fait que la production de la carrière soit destinée exclusivement au chemin de fer convient au C.N., comme le ferait n’importe quelle autre relation économique pour l’approvisionnement en carburant, en équipement ou en matériel roulant, mais ceci ne fait pas entrer les raffineries de pétrole, les entrepôts ou les usines qui fabriquent l’équipement ou le matériel roulant dans le réseau de transport. [Je souligne.]

46 Comme dans le cas de l’arrêt Empress, précité, il est difficile d’établir une distinction entre l’arrêt Nor‑Min et la présente affaire. En fait, il y avait davantage lieu de conclure à la compétence fédérale dans Nor‑Min que dans la présente affaire, étant donné que toute la production de la carrière était consacrée à l’entreprise ferroviaire interprovinciale. En dépit de cela, et malgré l’existence d’un propriétaire unique, la carrière a continué de relever de la compétence provinciale.

c) Les facteurs sous‑jacents

47 Après avoir exposé le cadre constitutionnel et le critère fondamental proposé par la jurisprudence, j’aborde maintenant les facteurs invoqués au soutien de la thèse de la compétence fédérale. La Cour d’appel fédérale a proposé un critère basé sur l’existence d’un lien et d’une interdépendance, en soulignant la gestion commune du pipeline et des usines de traitement ainsi que l’existence du réseau de distribution du gaz qu’ils partagent. Sans affirmer que ces facteurs ne sont peut‑être pas pertinents pour déterminer si le caractère fonctionnel dominant d’un ouvrage ou d’une entreprise est de nature fédérale, c’est‑à‑dire interprovinciale, j’estime que l’on peut tout au plus dire qu’ils sont «pertinents».

48 Je vais d’abord étudier l’argument fondé sur l’existence d’une gestion commune. On soutient que, lorsque l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale et l’ouvrage ou l’entreprise de nature interprovinciale sont exploités en commun en tant qu’entreprise unique, l’entreprise locale relève de la compétence fédérale par l’effet de l’al. 92(10)a). Bien que notre Cour ait fait allusion, en passant, à la gestion commune comme étant un facteur, il y a peu d’exemples d’affaires dont l’issue dépendait réellement de ce facteur. Dans Luscar Collieries, Ltd. c. McDonald, [1927] A.C. 925, le Conseil privé a statué, dans des motifs ambigus, qu’un embranchement ferroviaire situé entièrement en Alberta, mais exploité par un chemin de fer interprovincial en vertu d’un accord de gestion, faisait partie de l’entreprise ferroviaire interprovinciale. Il est douteux que cet arrêt fasse autorité; il a été décidé, depuis lors, qu’un lien matériel et la coopération dans la gestion de la circulation en transit ne suffisent pas pour assujettir un embranchement ferroviaire à la compétence fédérale: voir les arrêts British Columbia Electric Railway et Central Western, précités. Toutefois, dans un autre arrêt parfois cité à l’appui de la thèse de la gestion commune, The Queen c. Board of Transport Commissioners, [1968] R.C.S. 118 (l’affaire du GO Train), la Cour a dit que l’arrêt Luscar pourrait s’expliquer par l’existence de la gestion commune (à la p. 128). Dans l’affaire du GO Train, notre Cour a décidé que le GO Train qui devait être exploité seulement en Ontario, qui devait utiliser les voies ferrées d’un chemin de fer interprovincial et qui devait être conduit par des équipes du chemin de fer interprovincial, en vertu d’un mandat accordé par la province d’Ontario, relevait de la compétence fédérale. L’affaire du GO Train ne saurait reposer sur la thèse de la gestion commune, puisque le GO Train devait être géré par le chemin de fer interprovincial non pas pour son propre compte, mais à titre de mandataire du gouvernement de la province.

49 Bien que la gestion commune puisse être un facteur à prendre en considération, elle ne peut faire passer de la compétence de la province à celle du fédéral un ouvrage ou une entreprise de nature locale que si elle lui fait perdre son caractère distinct et si elle a pour effet de le fusionner avec l’entité interprovinciale. Sous cet éclairage, le facteur de la gestion commune concorde avec le critère du caractère dominant énoncé précédemment. Dans le contexte du transport interprovincial, lorsque le caractère dominant de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature locale demeure distinct du transport interprovincial, cet ouvrage ou cette entreprise continue de relever de la compétence provinciale, malgré ses liens avec l’entreprise de transport interprovincial sur le plan de la gestion et de la coopération.

50 On avance également que la coordination des activités et la présence d’un propriétaire unique sont des indices de compétence fédérale. Une entreprise unique peut posséder à la fois des ouvrages ou entreprises de nature interprovinciale et des ouvrages ou entreprises de nature locale et en coordonner les activités. Le simple fait qu’il y ait un propriétaire unique et coordination des activités est insuffisant pour qu’un ouvrage ou une entreprise de nature provinciale relève du pouvoir de réglementation du fédéral. Selon les arrêts Empress Hotel et Nor‑Min, précités, il faut se poser une autre question: les deux entreprises sont‑elles complètement intégrées et gérées en tant qu’entreprise unique, de sorte que l’ouvrage ou l’entreprise de nature provinciale, considéré sur les plans fonctionnel et substantiel, perd son caractère propre et devient une partie accessoire de l’entreprise de transport interprovinciale? Tant dans Empress Hotel que dans Nor‑Min l’entreprise locale et l’entreprise interprovinciale avaient le même propriétaire, et il y avait un certain degré de coordination entre les deux entreprises. Mais ces facteurs ont été insuffisants pour transférer, de la province au gouvernement fédéral, le pouvoir de réglementer l’entreprise locale, parce que, dans les deux affaires, celle-ci avait conservé son identité propre, distincte de celle d’une entreprise interprovinciale. L’issue des arrêts Empress Hotel et Nor‑Min fait ressortir que c’est la substance et non la forme qui est déterminante en ce qui concerne la question de la compétence. Notre Cour a fait la mise en garde suivante dans l’arrêt A.G.T. c. C.R.T.C., précité, à la p. 263:

À la base de plusieurs arguments se trouve l’hypothèse injustifiée selon laquelle en choisissant une forme particulière de constitution en personne morale les divers intervenants sont en mesure de prévoir la réponse à la question constitutionnelle. La Cour a clairement affirmé dans ce domaine du droit constitutionnel que ce sont les faits de l’espèce qui sont déterminants et non la structure commerciale que revêtent les entités visées. [Je souligne.]

51 Je passe maintenant à l’argument fondé sur la dépendance. À l’instar de la gestion commune, la dépendance peut entrer en ligne de compte pour décider si l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale a perdu son identité propre et est essentiellement exploité en tant que partie accessoire complètement intégrée à l’entreprise interprovinciale. Toutefois, tout comme les autres facteurs étudiés précédemment, la dépendance n’est pas le critère décisif.

52 Pour avoir quelque pertinence que ce soit, la dépendance doit être permanente: Northern Telecom no 1, précité, à la p. 132. Il est également clair que la dépendance de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature locale à l’égard de l’entreprise interprovinciale n’est pas pertinente: voir les arrêts Central Western et Office national de l’énergie (Re), précités, de même qu’In re Cannet Freight Cartage Ltd., [1976] 1 C.F. 174 (C.A.), aux pp. 177 et 178. La dépendance n’est pertinente que dans les cas où l’ouvrage ou l’entreprise de nature interprovinciale dépend de l’entreprise locale en ce sens que cette dernière est essentielle à la prestation des services de l’entreprise interprovinciale.

53 Ainsi, dans Reference re Industrial Relations and Disputes Investigation Act, [1955] R.C.S. 529, le fait que l’entreprise de transport maritime interprovinciale était [traduction] «entièrement dépendante» (pour reprendre la formule employée par le juge Taschereau (plus tard Juge en chef), à la p. 543) de l’entreprise de débardage étayait la conclusion que cette dernière activité faisait [traduction] «partie intégrante» (selon la conclusion du juge en chef Kerwin, à la p. 537) de l’entreprise de transport maritime interprovinciale. De même, dans Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada, [1975] 1 R.C.S. 178, le juge Ritchie a statué, au nom de la Cour, que le travail exécuté par la compagnie privée qui assurait la distribution du courrier à titre de sous‑traitant des postes canadiennes était «essentiel» au fonctionnement du service postal (à la p. 183). Toutefois, il ne s’en est pas tenu là. Il a poursuivi en concluant, à la p. 186, que la compagnie «constitu[ait] une partie intégrante de l’exploitation efficace des postes canadiennes». Cela étaye le point de vue selon lequel le critère décisif consiste à se demander si, considérée du point de vue de son caractère dominant sur les plans fonctionnel et pratique, l’entreprise locale a, avec une entreprise de transport ou de communication interprovinciale, un lien qui la dépouille de son caractère distinct et en fait une partie accessoire intégrée de l’entreprise fédérale.

54 Même lorsque l’ouvrage ou l’entreprise de nature fédérale dépend en permanence d’un ouvrage ou d’une entreprise de nature provinciale, cette dépendance n’est pas encore une indication certaine de l’assujettissement de l’ouvrage ou de l’entreprise en cause à la compétence fédérale. Bien des formes de dépendance d’ouvrages ou d’entreprises interprovinciaux à l’égard d’ouvrages ou d’entreprises de nature locale n’ont que peu ou pas d’importance pour déterminer, en dernière analyse, si le caractère dominant ou la fonction dominante de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature provinciale ont été effacés de telle sorte qu’il est devenu une partie accessoire de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature interprovinciale. Par exemple, les fournisseurs de carburant ou de tout autre bien sans lequel l’ouvrage ou l’entreprise de nature interprovinciale ne pourrait pas fonctionner restent assujettis à la compétence provinciale: Nor‑Min, précité. Encore une fois, les sociétés qui expédient les marchandises et les messages sans lesquels une entreprise interprovinciale de transport ou de communication perdraient leur raison d’être et cesseraient d’être rentables ne deviennent pas assujetties à la compétence fédérale parce que l’entreprise interprovinciale dépend d’elles en bout de ligne. Comme l’a dit le juge en chef Jackett dans Cannet Freight Cartage, précité, à la p. 178, «l’expéditeur utilisant le chemin de fer pour le transport de marchandises d’une province à une autre ne devient pas, de ce fait, l’exploitant d’une entreprise interprovinciale». Dans l’arrêt Central Western, précité, le juge en chef Dickson, après avoir reproduit ce passage, a dit ceci (aux pp. 1146 et 1147):

Je suis d’accord. La conclusion contraire minerait complètement le partage des pouvoirs puisque, en l’absence d’une exigence d’intégration fonctionnelle, à peu près n’importe quelle activité pourrait être considérée comme «touchant» une entreprise interprovinciale relevant de la compétence fédérale. J’estime en outre que les opinions exprimées par notre Cour établissent uniformément qu’il en faut davantage que l’existence d’un lien matériel et des relations commerciales mutuellement avantageuses avec un ouvrage ou une entreprise à caractère fédéral pour qu’une compagnie soit assujettie à la compétence fédérale.

Autrement dit, même si les activités d’un expéditeur sont étroitement liées à l’entreprise interprovinciale, l’entreprise d’expédition continue de relever de la compétence provinciale dans la mesure où elle conserve son identité propre et, par voie de conséquence, n’est pas fonctionnellement intégrée à l’entreprise de transport interprovinciale.

55 J’en arrive finalement à l’argument fondé sur le lien entre les usines de traitement et le pipeline interprovincial. Les usines sont physiquement rattachées à un réseau qu’elles alimentent en gaz qui est ensuite acheminé vers d’autres provinces et les États‑Unis. Le lien matériel est une caractéristique universelle de l’industrie et il est dû à la nature du gaz. Ce lien matériel emporte que les usines doivent également être coordonnées sur les plans fonctionnel et commercial. La Cour d’appel fédérale a beaucoup insisté sur ce lien et sur le fait que, considérés ensemble, les canalisations de collecte, les usines de traitement et les pipelines acheminant le gaz résiduaire forment un réseau unifié de transport du gaz à l’intérieur et à l’extérieur de la Colombie‑Britannique.

56 La jurisprudence établit que l’existence d’un lien entre un ouvrage ou une entreprise de nature locale et un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale, conjuguée à l’existence de relations commerciales mutuellement avantageuses, n’est pas suffisant pour faire de l’entreprise locale une partie d’une entreprise interprovinciale: A.G.T. c. C.R.T.C. et Central Western, précités. Il en va ainsi même lorsque le lien est suffisant pour que les activités locales et interprovinciales soient considérées comme formant un réseau unifié, étendu et important: Empress Hotel, précité, à la p. 140. Il s’ensuit que l’existence d’un lien entre un ouvrage ou une entreprise de nature locale et un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale, et le fait qu’ils soient exploités sous forme de «réseau unifié» ne sont pas suffisants pour faire passer l’entreprise locale sous la compétence du fédéral. Adopter un critère aussi simple viderait de son contenu la compétence provinciale sur les ouvrages et entreprises de nature locale et déformerait sérieusement le partage des pouvoirs prévu par la Constitution. Appliqué à une société moderne, possédant une économie intégrée, un tel critère ferait relever de la compétence fédérale un large éventail d’ouvrages provinciaux. Il faut plus que cela. Pour qu’une entreprise locale relève de la compétence fédérale par l’effet de l’al. 92(10)a), il faut d’abord que l’intégration fonctionnelle soit telle qu’elle fasse perdre à l’ouvrage ou à l’entreprise de nature locale son caractère distinct.

57 Pour décider si le lien qui existe entre un ouvrage ou une entreprise de nature locale et un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale est suffisant (seul ou avec d’autres facteurs comme l’existence d’un propriétaire unique, d’une gestion commune ou d’une dépendance) pour priver l’entreprise locale de son caractère distinct et en faire une «partie intégrante» d’un ouvrage ou d’une entreprise interprovinciale (Central Western, précité, à la p. 1130), nous devons nous rappeler que certains liens, certaines activités coordonnées et certaines formes de dépendance peuvent être des caractéristiques de l’industrie en cause plutôt que des indices d’une intégration fonctionnelle à l’aspect interprovincial de l’industrie. Un haut degré de coopération et de coordination entre des entreprises locales et interprovinciales devrait être autorisé sans que les entreprises provinciales risquent d’être assujetties à la compétence fédérale par l’effet de l’al. 92(10)a).

d) Le critère

58 Pour qu’un ouvrage ou une entreprise de nature provinciale relève de la compétence fédérale, par l’effet de l’al. 92(10)a), en raison de son lien avec un ouvrage ou une entreprise de transport ou de communication de nature interprovinciale, il doit être intégré fonctionnellement à ce dernier. L’intégration fonctionnelle est établie si l’examen du caractère dominant de l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale, considéré sur un plan fonctionnel et dans le contexte de l’industrie, révèle que, en raison de son lien avec l’entreprise interprovinciale, l’ouvrage ou l’entreprise en cause a perdu son caractère local distinct pour prendre celui d’une entreprise de transport ou de communication interprovinciale.

59 Divers facteurs peuvent être pertinents pour décider si ce critère est respecté. Il est possible que, selon la nature de l’ouvrage ou de l’entreprise et de l’industrie, des facteurs différents se révèlent déterminants d’un cas à l’autre. En ce sens, il est difficile d’établir un critère exhaustif fondé sur l’application de facteurs donnés: voir A.G.T. c. C.R.T.C., précité, à la p. 258. La gestion commune, un propriétaire unique, la coordination des activités et la dépendance de l’entreprise interprovinciale à l’égard de l’entreprise locale sont certains des facteurs qui peuvent se révéler utiles. Il s’agit toutefois, en dernière analyse, de décider si, en raison de son lien avec l’entreprise interprovinciale, l’ouvrage ou l’entreprise de nature provinciale a vu son caractère fonctionnel dominant devenir celui d’une entreprise de transport ou de communication interprovinciale.

60 Ce critère reflète le partage des pouvoirs prescrit par la Constitution, y compris l’art. 92A. L’objet de l’al. 92(10)a), nous l’avons vu, est de permettre au gouvernement fédéral de maintenir des réseaux de transport et de communication entre les provinces et avec d’autres pays. Si l’on veut que cet objet soit réalisé, doivent alors être assujettis à la réglementation fédérale les ouvrages et entreprises de nature provinciale qui, lorsqu’ils sont considérés du point de vue de leur substance et dans le contexte de leurs activités, ont le caractère d’un «lien» interprovincial. En revanche, laisser à la compétence des provinces les ouvrages ou entreprises de nature locale dont le caractère dominant n’est pas de nature interprovinciale n’est pas un obstacle majeur à la réalisation de cet objet. Tout inconvénient ou coût que peut comporter la réglementation par les provinces d’ouvrages ou entreprises desservant des entreprises interprovinciales soumises à la réglementation fédérale doit être soupesé en fonction de l’atteinte qui serait portée au partage des pouvoirs si l’al. 92(10)a) était utilisé pour assujettir à la compétence fédérale les nombreuses entreprises locales qui fournissent des produits ou des services à des entreprises interprovinciales, ou qui sont liées d’une autre façon à celles‑ci. La même réponse peut être opposée à l’argument voulant que l’application de régimes différents de réglementation à divers aspects d’une industrie entraînent des inconvénients. Des organisations comme Westcoast, qui acquièrent des entreprises variées, doivent s’attendre à ce que les diverses parties de leurs activités soient soumises à des régimes de réglementation différents. Comme l’a dit le juge La Forest dans Ontario Hydro, précité, aux pp. 374 et 375:

Enfin, il y a l’argument fondé sur les inconvénients. La division de la compétence législative sur les relations de travail au sein d’Ontario Hydro, une entreprise unique, créerait, dit‑on, des difficultés pratiques. Deux ensembles de règles s’appliqueraient à des employés différents et il va sans dire qu’il est difficile de départager les questions de nature fédérale de celles de nature provinciale. Ces problèmes ne sont pas vraiment nouveaux. La corrélation entre la compétence du Parlement sur les ouvrages fédéraux et les activités provinciales s’y rattachant étroitement a toujours soulevé des difficultés pratiques. [. . .] Diverses techniques d’interdélégation administrative ont été conçues pour régler des problèmes d’intérêt commun à la suite de l’arrêt Winner, précité.

61 Jusqu’à maintenant, soucieux des préoccupations des provinces ainsi que des besoins du gouvernement fédéral, les tribunaux ont appliqué avec prudence l’al. 92(10)a), refusant d’assujettir à la compétence fédérale les ouvrages ou entreprises de nature provinciale qui remplissent une fonction nettement provinciale, sans jouer aucun rôle de lien interprovincial. À cet égard, je crois qu’ils ont fait preuve de sagesse.

B. Les usines de traitement relèvent‑elles de la compétence fédérale?

(1) Retenue à l’égard de la décision de l’Office national de l’énergie

62 Une question préliminaire doit être tranchée: quel est le degré de retenue dont il convient de faire montre à l’égard de la décision de l’Office national de l’énergie? La décision que l’Office a rendue touche directement à sa compétence. Pour répondre à une question de compétence concernant un tribunal administratif, il faut examiner «le libellé de la disposition législative qui confère la compétence au tribunal administratif, [. . .] l’objet de la loi qui crée le tribunal, la raison d’être de ce tribunal, le domaine d’expertise de ses membres, et la nature du problème soumis au tribunal»: voir U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, à la p. 1088, le juge Beetz. Il faut faire une analyse fonctionnelle et pragmatique qui vise, en fin de compte, à déterminer «quelle était l’intention du législateur lorsqu’il a conféré compétence au tribunal administratif»: voir Pezim c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, aux pp. 589 et 590, le juge Iacobucci.

63 L’Office national de l’énergie dispose d’une large compétence pour examiner les questions de droit ou de fait: art. 12, Loi sur l’Office national de l’énergie. Toutefois, la loi prévoit un droit d’appel contre une décision de l’Office, sur une question de droit ou de compétence: art. 22, Loi sur l’Office national de l’énergie, et al. 28(1)f) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7. L’obligation de l’Office national de l’énergie qui est en cause en l’espèce est la réglementation du transport interprovincial du gaz naturel. Aucun des membres de l’Office national de l’énergie qui ont examiné la demande concernant le projet Fort St. John n’était avocat.

64 La nature du problème et la question de savoir si celui-ci relève du champ d’expertise du tribunal administratif sont particulièrement pertinentes en l’espèce. La question ultime qui se pose dans le présent pourvoi est d’ordre constitutionnel et touche au c{oe}ur de la compétence de l’Office national de l’énergie. Pour ce qui est du critère juridique approprié, la norme est donc celle de la décision correcte et il n’y a pas lieu de faire montre de retenue. Toutefois, en ce qui concerne les questions de fait relevant du champ d’expertise de l’Office, les cours de justice peuvent avoir à faire montre de retenue à l’égard de ses décisions: voir Université de la Colombie‑Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353, aux pp. 369 et 370. Les tribunaux administratifs, particulièrement pour ce qui est de l’établissement du dossier factuel, peuvent jouer «un rôle très significatif dans la détermination de questions constitutionnelles», même lorsque leurs membres n’ont pas de formation juridique professionnelle: voir Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5, à la p. 17. Il n’y a pas lieu d’interpréter restrictivement l’«expertise [. . .] en matière d’appréciation des faits» que possèdent les tribunaux administratifs et «il [faut] l’apprécier en fonction des décisions qu’ils sont appelés à rendre»: voir Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, au par. 29, le juge La Forest (au sujet d’un tribunal des droits de la personne). Le juge La Forest a ajouté ceci:

Une conclusion à l’existence de discrimination repose essentiellement sur des faits que la commission d’enquête est la mieux placée pour évaluer. La commission a entendu un nombre considérable de témoignages sur l’allégation de discrimination et a dû apprécier la crédibilité des témoins et faire des déductions, à partir de la preuve factuelle qui lui était soumise, pour statuer sur l’existence de discrimination. Étant donné la complexité des déductions probatoires découlant des faits présentés à la commission d’enquête, il convient de faire preuve d’une certaine retenue envers la conclusion à l’existence de discrimination, vu l’expertise supérieure de la commission d’enquête en matière d’appréciation des faits. . .. [Je souligne.]

65 Dans Ross, le libellé de la loi constitutive du tribunal avait «un effet privatif limité» (par. 29). Quoiqu’on ne puisse pas en dire autant de la loi qui régit l’Office national de l’énergie, vu l’existence d’un droit d’appel sur des questions de droit ou de compétence, l’expertise de l’Office national de l’énergie est de nature beaucoup plus technique que celle d’un tribunal des droits de la personne, tout comme l’est la preuve qu’il doit examiner pour rendre ses décisions. Ce degré de complexité supplémentaire me semble justifier un degré de retenue équivalent à celui appliqué dans Ross.

66 Comme nous l’avons vu, lorsque la question en litige porte sur le pouvoir de légiférer à l’égard d’un ouvrage ou d’une entreprise qui n’est pas lui‑même un lien interprovincial, le critère qui se dégage de la Constitution et de la jurisprudence consiste à décider si l’ouvrage ou l’entreprise en cause est intégré, sur le plan fonctionnel, à un ouvrage ou à une entreprise de nature interprovinciale. Il y aura intégration fonctionnelle si l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale, considéré du point de vue de son caractère dominant, sur le plan fonctionnel et dans le contexte de l’ensemble de l’industrie, doit, en raison de son lien avec l’entreprise interprovinciale, perdre son caractère local distinct pour prendre celui d’une entreprise interprovinciale de transport ou de communication. Ce critère comporte divers aspects. Bien que l’Office doive rendre une décision correcte sur les aspects d’ordre strictement juridique, certains aspects techniques de son analyse exigent une connaissance approfondie de l’industrie. En ce qui concerne ces aspects, il y a lieu de faire montre de retenue.

67 Plus précisément, la détermination, en l’espèce, du caractère dominant des usines de traitement exige une connaissance approfondie de l’industrie du gaz naturel et du rôle que les usines de traitement y jouent. À l’instar d’une conclusion à l’existence de discrimination, la détermination du caractère dominant «repose essentiellement sur des faits». L’Office national de l’énergie est le mieux placé pour déterminer ce caractère. C’est lui qui connaît le mieux le secteur du transport interprovincial du gaz et des industries connexes, et qui est le mieux placé pour décider si les usines de traitement sont exploitées en tant que partie accessoire de l’entreprise interprovinciale de transport du gaz, ou si, au contraire, elles sont exploitées en tant qu’entreprise distincte et différente, si elles remplissent une fonction séparée et indépendante, et si, en conséquence, elles possèdent un caractère distinct, de nature autre qu’interprovinciale. Quant à cet aspect de l’analyse, j’adopterais l’approche retenue par notre Cour dans Ross, précité, au par. 29: «[é]tant donné la complexité des déductions probatoires [. . .], il convient de faire preuve d’une certaine retenue» à l’égard de la décision de l’Office sur la question de savoir si les faits satisfont aux exigences du critère juridique.

(2) Application du critère

68 Les ouvrages en cause sont les usines de traitement; l’entreprise interprovinciale en cause est le gazoduc interprovincial de Westcoast. La tâche consiste à déterminer le caractère principal des usines de traitement, considérées du point de vue de leur substance et à la lumière de leurs activités quotidiennes. Leur caractère dominant est‑il le transport interprovincial, ce qui en ferait essentiellement des parties accessoires du pipeline interprovincial? Ou ont‑elles un caractère distinct et séparé du pipeline interprovincial qu’elles alimentent en gaz naturel raffiné?

69 Dans l’examen de la question de savoir si les usines de traitement seraient exploitées comme des parties complètement intégrées du pipeline interprovincial, ou si, au contraire, elles conserveraient leur identité propre, malgré leur lien avec le pipeline, les membres majoritaires de l’Office national de l’énergie ont appliqué le bon critère juridique. Ils ont conclu que, bien que les usines de traitement et le pipeline interprovincial puissent être considérés comme un réseau unifié, les usines conservaient néanmoins leur identité propre, qui n’est pas le transport, et que, par conséquent, elles n’étaient pas une partie essentielle ou intégrante -- au sens requis par la Constitution -- de ce pipeline. En conséquence, les usines de traitement restaient assujetties à la compétence de la province.

70 La Cour d’appel fédérale a appliqué un critère différent. Au lieu de mettre l’accent sur la question du caractère dominant des usines, elle s’est simplement demandé si les usines et le pipeline pouvaient être considérés comme une entreprise unique. Essentiellement, la Cour d’appel fédérale a appliqué un critère d’intégration économique. Cette approche n’est pas conforme à la jurisprudence: voir Central Western, précité. Elle ne met pas non plus suffisamment l’accent sur l’objet limité de l’al. 92(10)a) — permettre au gouvernement fédéral de maintenir des réseaux de transport et de communication interprovinciaux. Il ne suffit pas que l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale et l’entreprise interprovinciale puissent être considérés comme un «réseau unifié, étendu et important»: voir Empress Hotel, précité, à la p. 140. Il faut davantage, à savoir une intégration fonctionnelle telle que le caractère dominant de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature locale devienne celui de l’entreprise de transport fédérale, enlevant ainsi à l’ouvrage ou à l’entreprise en cause son caractère local distinctif.

71 En n’analysant pas le caractère dominant des usines de traitement, la Cour d’appel fédérale n’a pas abordé la question véritable: celle de savoir si — malgré la coordination de leurs activités avec les activités de transport de l’industrie du gaz naturel — les aspects sous lesquels les usines de traitement diffèrent du transport interprovincial du gaz empêchent de conclure que leur caractère fonctionnel dominant est le transport interprovincial du gaz. Elle a rejeté la conclusion de l’Office que «le traitement du gaz et le transport du gaz sont des activités ou services fondamentalement différents», affirmant que «l’Office fai[sai]t fausse route» (p. 283). Puis, elle a ajouté, aux pp. 283 et 284, que «[c]e n’est pas la différence entre les activités et les services, mais l’interaction entre ceux‑ci et le fait qu’ils relèvent ou non de la même direction et partagent ou non des objectifs communs qui permettent de déterminer s’ils font partie d’une entreprise unique». La Cour n’a cité aucun précédent à l’appui de cette proposition. Cela n’est pas étonnant si on considère que ce sont les différences entre les activités et les services de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature locale et l’entreprise interprovinciale qui sont au c{oe}ur d’arrêts comme Empress Hotel et Nor‑Min, précités.

72 Dans une économie postindustrielle complexe, presque tous les ouvrages et toutes les entreprises sont liés par une multitude de réseaux de transport et de communication interprovinciaux et internationaux. Ils font nécessairement l’objet d’un degré élevé de coordination. Ils partagent aussi, au niveau le plus général, une direction ou un objectif, que ce soit la livraison de marchandises à une personne donnée, la distribution de l’électricité dans une région ou la transmission de messages à la population. Si, comme le propose la Cour d’appel fédérale, le critère applicable est l’existence d’activités interreliées et une direction et des objectifs communs, le gouvernement fédéral pourrait alors, grâce à son pouvoir sur les transports et les communications interprovinciaux et internationaux, s’arroger la compétence sur un large éventail d’ouvrages et d’entreprises de nature provinciale. Pour reprendre la mise en garde faite par le juge en chef Dickson dans Central Western, précité, à la p. 1146, une telle approche pourrait «mine[r] complètement le partage des pouvoirs».

73 Les membres majoritaires de l’Office national de l’énergie ont appliqué le bon critère juridique. Il reste à décider, en faisant montre de la retenue proposée par notre Cour dans des arrêts tels Berg et Ross, précités, s’il est possible d’affirmer qu’ils ont commis une erreur en appliquant ce critère aux faits. Rien dans le dossier n’étaye une telle prétention. Au contraire, le dossier étaye amplement la conclusion de l’Office que les usines de traitement ont conservé leur identité propre et ne sont pas devenues de simples parties accessoires du pipeline interprovincial.

74 Les usines de traitement font plus que «débarrasser» le gaz brut de ses impuretés. Elles exercent un certain nombre d’activités liées à un certain nombre d’objectifs qui n’ont rien à voir avec le transport interprovincial du gaz naturel. Leur fonction principale est le traitement du gaz brut en vue d’en séparer les éléments constitutifs, notamment le soufre, les hydrocarbures liquides et le gaz naturel non corrosif. Cette séparation ne peut se faire que par des moyens mécaniques et chimiques complexes. L’hydrogène sulfuré est séparé du gaz par un procédé chimique catalytique. L’eau est retirée au moyen d’un tamis moléculaire. Les hydrocarbures liquides sont séparés à l’aide d’un turbodétendeur, puis les hydrocarbures plus lourds sont séparés du mélange d’hydrocarbures liquides au moyen d’un déséthaniseur. Les hydrocarbures liquides sont à nouveau fractionnés et traités. Le mélange d’hydrogène sulfuré est transformé chimiquement en soufre élémentaire. D’autres composés sont extraits des divers mélanges au fur et à mesure qu’ils sont traités dans les usines. Les divers produits des usines — le gaz naturel non corrosif n’étant qu’un produit parmi d’autres — sont transportés dans toutes les régions de la Colombie‑Britannique et ailleurs par camion, par train et par pipeline. Ce fait étaye la conclusion que les usines de traitement sont beaucoup plus que de simples parties accessoires du pipeline interprovincial. Considéré sur les plans fonctionnel et substantiel, le caractère dominant des usines est le traitement du gaz brut et non le transport interprovincial du gaz non corrosif.

75 Westcoast elle‑même reconnaît le caractère distinct des usines en appliquant des méthodes distinctes de facturation et de passation des marchés pour le traitement du gaz brut et le transport de l’un de ses produits raffinés, le gaz non corrosif. Ce caractère indépendant se trouve renforcé par le fait que, pour paraphraser la remarque de lord Reid dans l’arrêt Empress Hotel, précité, à la p. 144: «[p]eu de choses, si tant est qu’il y en ait, [. . .] distinguent [les usines de traitement] d’[usines de traitement] indépendant[es]».

76 Le fait que Westcoast possède à la fois les usines et le pipeline ne saurait changer le tableau constitutionnel. Le fait que les usines et le pipeline soient exploités de façon coordonnée n’est pas non plus un facteur déterminant. Comme l’ont statué les membres majoritaires de l’Office national de l’énergie, la coordination des activités est une caractéristique universelle de l’industrie: toutes les usines de traitement du gaz doivent coordonner leur production avec les entreprises qui expédient leur produit. Pour ce qui est de la dépendance du pipeline interprovincial à l’égard des usines de traitement du gaz, il ne s’agit que de la dépendance du pipeline vis-à-vis des usines pour ce qui est du produit à expédier. Ce type de dépendance n’étaye pas la conclusion que les usines sont des transporteurs de gaz interprovinciaux et donc assujetties à la réglementation fédérale. L’argument voulant que les usines transforment le gaz de manière à en rendre le transport par pipeline moins coûteux et plus sûr ne change rien. Personne n’affirme que le fabricant qui embouteille son produit de manière à en rendre l’expédition par train facile et plus sûre est, de ce fait, assujetti à la compétence fédérale. Il en va de même de l’usine qui rend le transport du gaz par pipeline moins coûteux et plus sûr. Les expéditeurs ou les fabricants ne sont pas assujettis à la réglementation fédérale du fait qu’ils utilisent des moyens de transport interprovinciaux. L’objet de l’al. 92(10)a) est de permettre au gouvernement fédéral de maintenir les moyens de transport interprovinciaux et internationaux, et non pas d’assurer que les transporteurs interprovinciaux aient des produits à expédier.

77 L’article 92A de la Constitution étaye cette conclusion. Les usines font le traitement de ressources naturelles non renouvelables et leurs produits sont visés par la définition de «production primaire». La capacité de contrôler et de gérer les aspects de la production tirée des ressources naturelles est au c{oe}ur de la compétence provinciale. Comme l’a affirmé le juge La Forest dans Ontario Hydro, précité, l’un des objectifs de l’insertion de l’art. 92A dans la Constitution était précisément d’éviter le résultat qui est débattu en l’espèce — c’est‑à‑dire éviter que le gouvernement fédéral n’acquière, au moyen de l’al. 92(10)a), l’autorité sur l’exploitation et la transformation des ressources en intégrant à son pouvoir sur le transport interprovincial les installations destinées à l’exploitation et à la transformation des ressources.

78 En conclusion, je ne vois aucune erreur dans la décision des membres majoritaires de l’Office national de l’énergie. Ils ont appliqué le bon critère juridique. Ils ont examiné les faits pertinents relativement à la question qui leur était soumise et ont tiré des conclusions de ces faits pour décider, selon ce critère, si les usines de traitement relevaient de la compétence fédérale. Les conclusions qu’ils ont tirées sont tout à fait étayées par le dossier. Même en ne faisant pas montre de retenue, il n’y aurait aucun motif d’écarter la décision des membres majoritaires de l’Office.

79 J’ajouterai ceci. Devant notre Cour, Westcoast a fait valoir que tant les usines de traitement que les installations de collecte connexes relevaient de la compétence fédérale en tant que parties de son entreprise interprovinciale unique et intégrée. Westcoast n’a pas soutenu subsidiairement que, même si on concluait que ces usines sont soumises à la compétence de la province, les installations de collecte relèveraient quand même de la compétence fédérale. Je n’ai donc pas à étudier cette possibilité.

C. Les usines de traitement sont‑elles visées par la définition du mot «pipeline» dans la Loi sur l’Office national de l’énergie?

80 Vu ma conclusion que les usines de traitement ne relèvent pas de la compétence fédérale, il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.

VII. Dispositif

81 Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens et de rétablir la décision des membres majoritaires de l’Office national de l’énergie. Je répondrais ainsi à la question constitutionnelle:

Q. Compte tenu du partage des pouvoirs législatifs établi par les Lois constitutionnelles de 1867 à 1982 entre le Parlement du Canada et les législatures des provinces, les art. 29, 30, 31, 33, 47, 52, 58 et 59 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N‑7, s’appliquent‑ils aux installations dont Westcoast Energy Inc. propose la construction dans le cadre:

a) de son projet d’expansion de Fort St. John, qui fait l’objet de la demande présentée dans l’instance no GH‑5‑94 devant l’Office national de l’énergie;

b) de son projet d’expansion de Grizzly Valley, qui est décrit dans l’ordonnance no MO‑21‑95 de l’Office national de l’énergie?

R. a) Non.

b) Non.

Pourvoi rejeté avec dépens, le juge McLachlin est dissidente.

Procureurs de l’appelante: Russell & DuMoulin, Vancouver.

Procureurs de l’intimée Westcoast Energy Inc.: McCarthy, Tétrault, Vancouver.

Procureur de l’intimé l’Office national de l’énergie: L’Office national de l’énergie, Calgary.

Procureur de l’intimé le procureur général du Canada: Le procureur général du Canada, Ottawa.

Procureur de l’intimé le procureur général de la Colombie‑Britannique: Le procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.

Procureur de l’intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse: Le procureur général de la Nouvelle‑Écosse, Halifax.

Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan: Le procureur général de la Saskatchewan, Regina.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta: Le procureur général de l’Alberta, Edmonton.


Synthèse
Référence neutre : [1998] 1 R.C.S. 322 ?
Date de la décision : 19/03/1998
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté. la question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative

Analyses

Droit constitutionnel - Partage des compétences - Transport interprovincial - Ouvrages et entreprises de nature locale - Entreprise voulant agrandir son réseau de canalisations de collecte et ses installations de traitement - Gaz devant être traité avant d’être transporté dans la canalisation principale - Les canalisations de collecte et les installations de traitement relèvent‑elles de la compétence fédérale en vertu de l’art. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867? - Dans la négative, les canalisations de collecte et les installations de traitement font‑elles partie intégrante de la canalisation de transport principale? - Effet de l’art. 92A (modification concernant les ressources naturelles) - Si les installations projetées relèvent de la compétence fédérale, les installations de traitement du gaz projetées sont‑elles visées par la définition du mot «pipeline» dans la Loi sur l’Office national de l’énergie? - Loi constitutionnelle de 1867, art. 92(10)a), 92A - Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N‑7, art. 2.

Westcoast Energy Inc. («Westcoast») possède et exploite un réseau intégré de gazoducs transportant du gaz naturel brut dans des canalisations de collecte depuis des gisements situés dans plusieurs provinces et territoires jusqu’à des usines où il est traité pour le débarrasser de ses impuretés. L’acier utilisé pour les canalisations de collecte est conçu pour résister à la corrosion causée par les impuretés que contient le gaz brut. Le gaz épuré est ensuite transporté dans la canalisation principale de Westcoast jusqu’à des points de livraison en Colombie‑Britannique, en Alberta et aux États‑Unis. La canalisation principale est faite d’acier qui n’est pas conçu pour résister à la corrosion causée par le gaz non traité. Le gaz est également traité pour des raisons de sécurité concernant son transport à travers des secteurs à forte densité de population.

Deux demandes distinctes ont été présentées par Westcoast à l’Office national de l’énergie (l’«Office») en vue d’obtenir, conformément à la Loi sur l’Office national de l’énergie (la «Loi»), des certificats d’exemption et des ordonnances à l’égard des projets d’agrandissement des installations de collecte et de traitement de Westcoast dans les régions de ressources Fort St. John et Grizzly Valley. Initialement, la demande de Westcoast relative au projet Grizzly Valley a été ajournée. Dans une décision rendue à la majorité, la formation de trois membres de l’Office (dont le champ d’expertise n’était pas le droit) a statué que les installations projetées ne constituaient pas des ouvrages ou entreprises de nature fédérale au sens de l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 et a rejeté la demande pour absence de compétence. Dans leur décision, ils ont conclu que le traitement du gaz et le transport du gaz étaient des activités ou services fondamentalement différents.

Westcoast a interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale de la décision rendue relativement au projet Fort St. John. Elle a également fait renaître sa demande concernant le projet Grizzly Valley et a demandé à l’Office de renvoyer les questions de compétence à la Cour d’appel fédérale. La cour a examiné simultanément l’appel relatif au projet Fort St. John et le renvoi concernant le projet Grizzly Valley, et elle a statué à l’unanimité que les installations projetées dans les deux cas faisaient partie d’une entreprise de transport fédérale unique relevant de la compétence reconnue au Parlement par l’al. 92(10)a), et que ces installations étaient visées par la définition de «pipeline» à l’art. 2 de la Loi.

BC Gas a interjeté le présent pourvoi, appuyée par le procureur général de la Colombie‑Britannique. Les intervenants -- les procureurs généraux de l’Alberta, de la Nouvelle‑Écosse et de la Saskatchewan -- ont également comparu à son soutien. Les intimés Westcoast et procureur général du Canada ont comparu pour défendre l’arrêt de la Cour d’appel. L’Office intimé n’a pas participé au présent pourvoi. La question constitutionnelle soumise à la Cour était de savoir si, compte tenu du partage constitutionnel des pouvoirs législatifs, divers articles de la Loi s’appliquaient aux installations projetées dans les régions de a) Fort St. John et b) Grizzly Valley. Le présent pourvoi soulevait trois questions litigieuses: Quel est le degré de retenue judiciaire dont il convient de faire montre à l’égard de la conclusion de l’Office que le traitement du gaz et le transport du gaz sont des activités fondamentalement différentes? Les canalisations de collecte et les installations de traitement du gaz projetées relèvent‑elles de la compétence du Parlement en vertu de l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867? Dans l’affirmative, les installations de traitement du gaz projetées sont‑elles visées par la définition de «pipeline» à l’art. 2 de la Loi?

Arrêt (le juge McLachlin est dissidente): Le pourvoi est rejeté. La question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative.

Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, Iacobucci, Major et Bastarache: Il faut faire montre d’un certain degré de retenue à l’égard des questions mixtes de droit et de fait, mais pas dans tous les cas. Il serait particulièrement inapproprié, relativement à une question d’interprétation constitutionnelle, de faire montre de retenue à l’égard de la décision d’un tribunal dont le champ d’expertise est tout à fait distinct du domaine de l’analyse juridique. Les tribunaux administratifs doivent répondre correctement aux questions de cette nature, à défaut de quoi leurs décisions sont susceptibles d’annulation par les cours de justice.

En l’espèce, le fait de qualifier d’activités indépendantes le traitement et la collecte du gaz ne constituait pas une conclusion de fait proprement dite, mais plutôt une conclusion de droit et de fait, car une inférence a été faite à partir d’autres conclusions détaillées concernant l’industrie du gaz naturel et les activités commerciales de Westcoast. Elle se voulait une réponse partielle à la question constitutionnelle fondamentale en cause, savoir si les activités de Westcoast constituaient une ou plusieurs entreprises et, en conséquence, cette inférence n’était pas un simple exposé de faits concernant l’industrie du gaz naturel ou les activités de Westcoast. Il s’agissait plutôt d’une opinion sur l’importance constitutionnelle de ces faits. Il n’était pas nécessaire de faire montre de retenue envers l’Office, compte tenu de la nature de la question de droit qui devait être tranchée.

La Cour d’appel n’avait pas à faire montre de retenue à l’égard de la conclusion de l’Office quant à l’effet, sur le plan constitutionnel, de la conclusion de celui‑ci que Westcoast exerçait différentes activités, puisqu’il s’agissait purement d’une question de droit ne relevant absolument pas du champ d’expertise par ailleurs considérable de l’Office. La cour a à bon droit appliqué la norme de la décision correcte à la décision ultime de l’Office. Elle a cependant accepté la conclusion de fait de l’Office quant aux différentes activités exercées par Westcoast.

Les entreprises peuvent, de l’une ou l’autre de deux façons, relever de la compétence du fédéral: (1) elles constituent une entreprise ou un ouvrage fédéral unique, (2) dans le cas contraire, elles font partie intégrante de l’entreprise fédérale principale de transport ou de communication. Les canalisations de collecte, les usines de traitement et la canalisation de transport principale de Westcoast, dont feraient partie les installations projetées à Fort St. John et Grizzly Valley, constituent une entreprise de transport fédérale unique relevant de la compétence exclusive du Parlement prévue à l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867. Comme il a été satisfait au premier volet du critère, il est inutile d’examiner la question de savoir si les installations projetées seraient un élément essentiel, vital et fondamental de la canalisation de transport principale, conformément au deuxième volet du critère.

Pour être considérées comme une entreprise fédérale unique pour l’application de l’al. 92(10)a), les diverses exploitations visées, lesquelles s’adonnent à des activités différentes, doivent être intégrées sur le plan fonctionnel et assujetties à une gestion, à une direction et à un contrôle communs. Outre un propriétaire unique, il doit y avoir intégration fonctionnelle et gestion commune, et le lien physique doit être assorti d’un lien opérationnel. L’existence de rapports commerciaux étroits ne suffit pas. L’analyse de la question de savoir si diverses exploitations sont intégrées du point de vue fonctionnel et gérées en commun commande un examen minutieux des faits propres à chaque espèce. La façon dont l’entreprise aurait pu être structurée ou celle dont d’autres entreprises analogues sont exploitées ne sont pas pertinentes. Le fait que l’un des aspects des activités soit affecté exclusivement ou même principalement à l’exploitation de l’entreprise interprovinciale principale est un indice du type d’intégration fonctionnelle nécessaire à l’existence d’une entreprise unique. Cependant, il s’agit seulement d’un des facteurs à considérer et qui, par ailleurs, peut ne pas être suffisant à lui seul. Ce qu’il faut évaluer, c’est le degré général d’intégration fonctionnelle et de gestion commune.

Le fait qu’une activité ou un service ne participe pas du transport ou des communications n’empêche pas de conclure, dans le cadre du premier volet du critère, qu’il s’agit d’une entreprise fédérale unique. Bien qu’il puisse être impossible de formuler, en l’absence de contexte, un seul critère qui soit complet, il n’est pas impossible de dégager certains indices qui seront utiles dans l’analyse fondée sur l’al. 92(10)a). Le principal facteur à considérer est la question de savoir si les diverses activités visées sont intégrées sur le plan fonctionnel et si elles sont assujetties à une gestion, à une direction et à un contrôle communs. En toute probabilité, l’absence de ces facteurs établira que les activités visées ne font pas partie de la même entreprise interprovinciale, même si l’inverse ne sera pas nécessairement vrai. Parmi les autres questions pertinentes, quoique non déterminantes, mentionnons celles de savoir s’il n’existe qu’un seul propriétaire (peut‑être en tant qu’indice d’une gestion et d’un contrôle communs) et si les biens ou les services fournis dans le cadre d’une entreprise le sont pour le seul bénéfice de l’autre entreprise ou de ses clients, ou des deux à la fois, ou s’ils sont disponibles de façon générale. Vu la nature factuelle de cette détermination, la preuve de la pratique courante des affaires dans une industrie donnée ne sera pas particulièrement pertinente. En l’espèce, c’est précisément le caractère exceptionnel des activités de Westcoast qui amène la conclusion qu’elles constituent une entreprise fédérale unique.

Le fait que les canalisations de collecte et les usines de traitement de Westcoast soient physiquement reliées à sa canalisation de transport principale est insuffisant en soi pour permettre de conclure qu’elles constituent une entreprise fédérale unique. En outre, le fait que Westcoast soit propriétaire de toutes ces installations est également insuffisant. Cependant, la description des activités et des installations de Westcoast démontre qu’elle gère celles‑ci en commun en tant qu’entreprise unique intégrée sur le plan fonctionnel. Les installations et le personnel de Westcoast sont assujettis à une gestion, à une direction et à un contrôle communs, et l’entreprise est exploitée d’une manière coordonnée et intégrée. De plus, du point de vue de Westcoast, l’objectif principal du traitement du gaz brut est de faciliter le transport de celui‑ci dans la canalisation principale de Westcoast. Pratiquement tout le gaz résiduaire traité dans les usines de Westcoast est livré à cette canalisation.

La conclusion de l’Office que l’interdépendance et la coordination sont une facette essentielle de l’industrie du gaz naturel n’était pas un fondement valable pour conclure que Westcoast n’exploite pas une entreprise fédérale unique. Il ressort des faits que, au‑delà de la coordination décrite précédemment, Westcoast exploite en commun, en tant qu’entreprise unique, les canalisations de collecte, les usines de traitement et la canalisation de transport principale. En termes simples, les installations sont assujetties à une gestion, à une direction et à un contrôle communs par Westcoast. C’est ce qui distingue l’entreprise de Westcoast d’autres entreprises au sein de l’industrie du gaz naturel.

Le Parlement n’a pas renoncé à son pouvoir déclaratoire sur les entreprises de transport interprovincial visées à l’al. 92(10)a) lorsque l’art. 92A de la Loi constitutionnelle de 1867 a été ajouté à la Constitution en 1982. La modification concernant les ressources a accru la compétence des provinces relativement à la collecte de revenus tirés des ressources et à la réglementation de l’aménagement et de la production de ces dernières, et ce, sans diminuer les pouvoirs fédéraux préexistants. L’article 92A ne porte pas atteinte à la compétence conférée au Parlement par l’al. 92(10)a). La reconnaissance de la compétence du fédéral en vertu de l’al. 92(10)a) est tributaire de la conclusion préalable qu’il existe une entreprise de transport interprovincial, alors que l’al. 92A(1)b) ne porte pas sur le transport des ressources naturelles au‑delà des limites de la province, mais plutôt sur l’«exploitation, [la] conservation et [la] gestion» de ces ressources dans les limites de la province. L’alinéa 92A(1)b) ne peut élargir la compétence de la province de manière à inclure la réglementation du transport interprovincial du gaz naturel dans ces installations.

Les usines de traitement de Westcoast sont assujetties à la compétence de l’Office par l’effet de l’économie générale de la Loi sur l’Office national de l’énergie et de la définition de «pipeline» qui y figure. Les termes utilisés dans la définition sont très généraux et tout à fait aptes à englober les usines de traitement.

Le juge McLachlin (dissidente): Un ouvrage ou une entreprise peut relever de deux façons de l’al. 92(10)a): (1) l’ouvrage ou l’entreprise en cause peut être lui‑même un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale; (2) si l’ouvrage ou l’entreprise en cause n’est pas lui-même un lien interprovincial, il peut relever de la compétence du fédéral en raison de son lien avec un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale. Affirmer qu’un ouvrage ou une entreprise peut relever de la clause résiduelle de l’al. 92(10)a) (1) soit en faisant partie d’un ouvrage ou d’une entreprise unique et intégré de nature interprovinciale, (2) soit en faisant «partie intégrante» d’un ouvrage ou d’une entreprise de nature interprovinciale, revient au même lorsqu’il s’agit de décider, dans l’un ou l’autre cas, si l’ouvrage ou l’entreprise fait partie d’un système intégré. Cependant, les deux volets du critère ne font pas double emploi si la clause résiduelle de l’al. 92(10)a) s’applique à l’une ou l’autre des deux situations suivantes, savoir lorsque l’ouvrage ou l’entreprise en cause est (1) soit lui‑même un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale (la première situation), (2) soit fonctionnellement intégré à un ouvrage ou à une entreprise de nature interprovinciale (la deuxième situation).

Le présent cas ne relève pas de la première situation. Les usines de traitement ne sont pas elles‑mêmes des ouvrages reliant une province à une autre. Le simple fait que les usines aient pour fonction de séparer, raffiner et produire, et qu’elles soient reliées à un réseau de transport interprovincial ne fait pas d’elles un moyen de transport interprovincial.

L’intégration fonctionnelle requise dans la deuxième situation est fondée sur le cadre établi par la Constitution ainsi que sur le critère de l’intégration fonctionnelle et les autres facteurs indiqués par la jurisprudence.

La Constitution est claire. Ce sont les provinces qui ont l’autorité sur les ouvrages et entreprises situés sur leur territoire, y compris les installations liées à la production tirée des ressources. À titre exceptionnel, et seulement dans la mesure requise pour maintenir des réseaux de transport et de communication interprovinciaux, le gouvernement fédéral est investi par l’al. 92(10)a) du pouvoir de réglementer des ouvrages et entreprises de nature provinciale. Cette interprétation est renforcée et confirmée par l’art. 92A.

Le critère de l’intégration fonctionnelle exige que, en raison de son lien avec l’ouvrage ou l’entreprise de nature interprovinciale, l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale soit essentiellement exploité en tant que partie de l’entité interprovinciale et perde son caractère distinct. L’intégration fonctionnelle exige plus que la démonstration que l’ouvrage provincial fait partie d’un «réseau unifié» dont les éléments constitutifs conservent leur identité propre. L’intégration fonctionnelle est établie si l’examen du caractère dominant de l’ouvrage ou l’entreprise de nature locale en cause, considéré sur le plan fonctionnel et dans le contexte de l’industrie, révèle que, en raison de son lien avec l’entreprise interprovinciale, l’ouvrage ou l’entreprise en cause a perdu son caractère local distinct pour prendre celui d’une entreprise interprovinciale de transport ou de communication. Pour décider si le critère a été respecté, le tribunal doit examiner la substance de l’activité exercée. La méthode proposée consiste à identifier l’ouvrage principal ou l’entreprise principale de nature fédérale dont on dit que l’entité locale fait partie intégrante, puis à examiner le caractère matériel et opérationnel de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature provinciale, ainsi que son lien pratique ou fonctionnel avec l’activité principale ou le caractère principal de l’ouvrage ou de l’entreprise de nature fédérale.

Il est difficile d’établir un critère exhaustif fondé sur l’application de facteurs donnés. La gestion commune, un propriétaire unique, la coordination des activités et la dépendance de l’entreprise interprovinciale vis-à-vis de l’entreprise locale sont certains des facteurs qui peuvent se révéler utiles.

Étant donné que la question qui se pose dans le présent pourvoi touche au c{oe}ur de la compétence de l’Office, la norme est celle de la décision correcte et il n’y a pas lieu de faire montre de retenue. Les cours de justice peuvent néanmoins avoir à faire montre de retenue à l’égard des décisions de l’Office sur les questions de fait relevant de son champ d’expertise.

La détermination du caractère dominant des usines de traitement exige une connaissance approfondie de l’industrie du gaz naturel et du rôle que les usines de traitement y jouent. Les membres majoritaires de l’Office ont appliqué le bon critère juridique et ont à juste titre conclu que, bien que les usines de traitement et le pipeline interprovincial puissent être considérés comme un réseau unifié, les usines conservaient néanmoins leur identité propre, qui n’est pas le transport, et que, par conséquent, elles n’étaient pas une partie essentielle ou intégrante -- au sens requis par la Constitution -- du pipeline interprovincial. En conséquence, les usines de traitement restaient assujetties à la compétence de la province.

Il n’était pas nécessaire de se demander si les usines de traitement étaient visées par la définition de «pipeline» dans la Loi sur l’Office national de l’énergie.


Parties
Demandeurs : Westcoast Energy Inc.
Défendeurs : Canada (Office national de l'énergie)

Références :

Jurisprudence
Citée par les juges Iacobucci et Major
Arrêt appliqué: Travailleurs unis des transports c. Central Western Railway Corp., [1990] 3 R.C.S. 1112
arrêts examinés: Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225
Canadian Pacific Railway Co. c. Attorney‑General for British Columbia, [1950] A.C. 122
Luscar Collieries, Ltd. c. McDonald, [1927] A.C. 925
Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada (no 1), [1980] 1 R.C.S. 115
Attorney‑General for Ontario c. Winner, [1954] A.C. 541
Dome Petroleum Ltd. c. Office national de l’énergie (1987), 73 N.R. 135
Ontario Hydro c. Ontario (Commission des relations de travail), [1993] 3 R.C.S. 327
distinction d’avec l’arrêt: Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Nor‑Min Supplies Ltd., [1977] 1 R.C.S. 322
arrêts mentionnés: Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748
Campbell‑Bennett Ltd. c. Comstock Midwestern Ltd., [1954] R.C.S. 207
City of Montreal c. Montreal Street Railway, [1912] A.C. 333
Re Regulation & Control of Radio Communication, [1932] 2 D.L.R. 81
Reference re Industrial Relations and Disputes Investigation Act, [1955] R.C.S. 529
The King c. Eastern Terminal Elevator Co., [1925] R.C.S. 434
La Reine c. Nova, An Alberta Corporation, [1988] 2 C.T.C. 167.
Citée par le juge McLachlin (dissidente)
Travailleurs unis des transports c. Central Western Railway Corp., [1990] 3 R.C.S. 1112
Campbell‑Bennett Ltd. c. Comstock Midwestern Ltd., [1954] R.C.S. 207
Office national de l’énergie (Re), [1988] 2 C.F. 196
City of Montreal c. Montreal Street Railway, [1912] A.C. 333
Ontario Hydro c. Ontario (Commission des relations de travail), [1993] 3 R.C.S. 327
Canadian Pacific Railway Co. c. Attorney‑General for British Columbia, [1950] A.C. 122
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Nor‑Min Supplies Ltd., [1977] 1 R.C.S. 322
Attorney‑General for Ontario c. Winner, [1954] A.C. 541
Northern Telecom Ltée c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada (no 1), [1980] 1 R.C.S. 115
Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225
City of Toronto c. Bell Telephone Company of Canada, [1905] A.C. 52
Northern Telecom Canada Ltée c. Travailleurs en communication du Canada (no 2), [1983] 1 R.C.S. 733
British Columbia Electric Railway Co. c. Canadian National Railway Co., [1932] R.C.S. 161
Kootenay & Elk Railway Co. c. Compagnie du Chemin de Fer Canadien du Pacifique, [1974] R.C.S. 955
Luscar Collieries, Ltd. c. McDonald, [1927] A.C. 925
The Queen c. Board of Transport Commissioners, [1968] R.C.S. 118
In re Cannet Freight Cartage Ltd., [1976] 1 C.F. 174
Reference re Industrial Relations and Disputes Investigation Act, [1955] R.C.S. 529
Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada, [1975] 1 R.C.S. 178
U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048
Pezim c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557
Université de la Colombie‑Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353
Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5
Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825.
Lois et règlements cités
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(29), 92(10)a), c), (13), (16), 92A(1)b), c), (5), sixième annexe, art. 1.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 18.3(1) [aj. 1990, ch. 8, art. 5], 28(1)f) [abr. & rempl. 1990, ch. 8, art. 8], (2) [idem].
Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N‑7, art. 2 «pipeline» [abr. & rempl. ch. 28 (3e suppl.), art. 299], 12, 22, 29, 30, 31, 33, 47(1) [mod. 1996, ch. 10, art. 237.1], (2), 52 [abr. & rempl. 1990, ch. 7, art. 18], 58 [mod. 1990, ch. 7, art. 22], 59.
Doctrine citée
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, loose-leaf ed. Scarborough, Ont.: Carswell, 1992 (loose-leaf).
La Forest, Gerard V. Water Law in Canada: The Atlantic Provinces. Ottawa: Department of Regional Expansion, 1973.

Proposition de citation de la décision: Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l'énergie), [1998] 1 R.C.S. 322 (19 mars 1998)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1998-03-19;.1998..1.r.c.s..322 ?
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