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02/04/1998 | CANADA | N°[1998]_1_R.C.S._439

Canada | R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439 (2 avril 1998)


R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439

John David Lucas et Johanna Erna Lucas Appelants

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général de l’Ontario,

le procureur général du Manitoba et

l’Association canadienne des libertés civiles Intervenants

Répertorié: R. c. Lucas

No du greffe: 25177.

1997: 15 octobre; 1998: 2 avril.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Sopinka*, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major et Bastarache.

en

appel de la cour d’appel de la saskatchewan

POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan (1996), 137 Sask. R. 312, 107 W.A.C. ...

R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439

John David Lucas et Johanna Erna Lucas Appelants

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général de l’Ontario,

le procureur général du Manitoba et

l’Association canadienne des libertés civiles Intervenants

Répertorié: R. c. Lucas

No du greffe: 25177.

1997: 15 octobre; 1998: 2 avril.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Sopinka*, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major et Bastarache.

en appel de la cour d’appel de la saskatchewan

POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan (1996), 137 Sask. R. 312, 107 W.A.C. 312, 104 C.C.C. (3d) 550, [1996] S.J. No. 55 (QL), qui a confirmé les décisions dans lesquelles la Cour du Banc de la Reine avait statué sur des questions constitutionnelles (1995), 129 Sask. R. 53, 31 C.R.R. (2d) 92, [1995] S.J. No. 62 (QL), et déclaré les appelants coupables relativement à des accusations de libelle diffamatoire, [1995] S.J. No. 336 (QL). Pourvoi de John Lucas rejeté. Pourvoi de Johanna Lucas rejeté, les juges McLachlin et Major sont dissidents.

Clayton C. Ruby et John Norris, pour les appelants.

Graeme G. Mitchell, pour l’intimée.

Robert Frater, pour l’intervenant le procureur général du Canada.

M. David Lepofsky, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

Shawn Greenberg, pour l’intervenant le procureur général du Manitoba.

John B. Laskin et Sarah L. MacKenzie, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

//Le juge Cory//

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Gonthier, Cory, Iacobucci et Bastarache rendu par

1 Le juge Cory -- Les articles 298, 299 et 300 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, prescrivent des sanctions pour toute personne qui publie délibérément des mensonges diffamatoires qu’elle sait être faux. Il faut déterminer si ces dispositions portent atteinte au droit à la liberté d’expression garanti par l’al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l’affirmative, si cette atteinte peut être justifiée au sens de l’article premier de la Charte. Il faut également décider si les art. 298, 299 et 300 sont imprécis au point de violer les principes de justice fondamentale consacrés à l’art. 7 de la Charte. Si ces articles sont jugés constitutionnellement valides, il faudra alors examiner la nature de la mens rea requise.

Les faits

2 Un policier a enquêté sur des allégations d’agression sexuelle émanant de trois enfants, Michael R. et ses deux sœurs jumelles, Michelle R. et Kathleen R. Ces enfants prétendaient avoir été agressés sexuellement par leurs parents naturels, leurs parents de famille d’accueil (M. et Mme K.) et plusieurs membres de cette famille d’accueil. Les enfants ont d’abord parlé de ces agressions à leur thérapeute, Mme Bunko‑Ruys, et à M. et Mme T., qui dirigeaient un foyer d’accueil offrant des soins spéciaux où les enfants avaient été placés après avoir été retirés de la maison de M. et Mme K.

3 À la suite de l’enquête, des accusations criminelles ont été portées contre 16 personnes, dont les parents naturels des enfants, leurs parents de famille d’accueil (M. et Mme K.) et des membres de la famille élargie des K. À l’exception de Peter K., le père du père de famille d’accueil des plaignants, qui a plaidé coupable relativement aux accusations d’agression sexuelle, toutes les accusations portées contre la famille K. ont été retirées ou ont fait l’objet d’un arrêt de procédures. Les parents naturels des enfants ont été déclarés coupables, mais un nouveau procès a été ordonné en appel. Voir R. c. R. (D.), [1996] 2 R.C.S. 291.

4 Au cours de son enquête, le policier a été informé par M. et Mme T. que les enfants affichaient un comportement sexuel anormal évident. On lui a dit que les enfants se livraient à des activités sexuelles entre eux et que le chien de la famille avait fait l’objet d’actes sexuels. De plus, le policier avait été informé que Michael avait agressé sexuellement ses sœurs à maintes reprises et que, malgré leurs efforts, M. et Mme T. étaient incapables de l’arrêter. Les trois enfants ont également décrit les actes d’agression sexuelle au policier quand il les a interrogés. Cependant, parce qu’il se fiait à l’opinion de la thérapeute des enfants, le policier les a laissés ensemble dans le même foyer d’accueil offrant des soins spéciaux. Cela, croyait-on, faciliterait le traitement des enfants.

5 Monsieur Lucas était membre actif d’un groupe de défense des droits des détenus à Saskatoon. Quatre des personnes visées par un arrêt des procédures ont communiqué avec lui. Elles cherchaient à obtenir des conseils sur la façon de venir à bout de l’incidence que ces accusations avaient sur leur vie, même après un arrêt des procédures. Elles ont maintenu qu’elles étaient innocentes et ont consenti à fournir à John Lucas toute l’information et toute la documentation qu’elles possédaient au sujet des accusations, à savoir des transcriptions, des rapports de la thérapeute des enfants et des notes préparées par Mme T., qui décrivaient de façon très détaillée les activités sexuelles des trois enfants.

6 Sur la foi de ces documents, les appelants ont apparemment compris que Michael avait violé, sodomisé et torturé sa sœur Kathy et qu’il s’était livré, à maintes reprises, à des activités sexuelles avec son autre sœur, Michelle. Ils ont conclu que le policier savait ce qui se passait et qu’en sa qualité de policier il avait le devoir d’intervenir. Ils étaient donc incapables de comprendre pourquoi il ne l’avait pas fait. Plusieurs plaintes ont été adressées à la Commission de police, au bureau du Premier ministre de la province et au bureau du Procureur général, sans que les appelants n’obtiennent la réponse souhaitée.

7 En conséquence, le 20 septembre 1993, les appelants et un petit groupe d’autres personnes ont piqueté à l’extérieur de la Cour provinciale de la Saskatchewan et du quartier général de la police, où travaillait le policier. Madame Lucas portait une affiche préparée par M. Lucas, sur laquelle on pouvait lire d’un côté: [traduction] «Le [policier] a‑t‑il seulement permis qu’une enfant de 8 ans soit victime de viol ou de sodomie ou y a‑t‑il contribué?»; et de l’autre côté: [traduction] «Si tu reconnais cela, [le policier], tu pourras alors peut‑être obtenir de l’aide pour ton problème d’attouchement.» Madame Lucas a été arrêtée et accusée de libelle diffamatoire en vertu des art. 300 et 301 du Code. Monsieur Lucas a été prévenu que, s’il continuait à porter des affiches nommant des personnes, il ferait lui aussi l’objet d’accusations.

8 Le lendemain, M. Lucas piquetait encore devant la Cour provinciale et le quartier général de la police. Cette fois, il portait une affiche sur laquelle on pouvait lire d’un côté: [traduction] «Le [policier] a‑t‑il contribué ou participé au viol et à la sodomie dont a été victime une enfant de 8 ans? Les documents de T[] prouvent que [le policier] a permis à son témoin de commettre un viol»; et de l’autre côté: [traduction] «Les documents de T[] prouvent que [le policier] a permis que Mme Lucas soit arrêtée et détenue illégalement, sur la foi de renseignements falsifiés». Monsieur Lucas a subséquemment été arrêté et accusé en vertu des art. 300 et 301 du Code.

9 Au procès, les appelants ont fait valoir qu’il y avait eu violation de leur liberté d’expression garantie par l’al. 2b) de la Charte. Le juge du procès leur a donné raison, mais a conclu que l’art. 300 était sauvegardé par l’article premier de la Charte. Il a déclaré les deux appelants coupables de libelle diffamatoire au sens de l’art. 300 et a statué qu’ils auraient dû savoir que les déclarations inscrites sur leurs affiches étaient fausses. Monsieur Lucas a été condamné à deux ans d’emprisonnement moins un jour, et Mme Lucas, à 22 mois d’emprisonnement. Les appelants ont interjeté appel devant la Cour d’appel. Leurs appels contre les déclarations de culpabilité ont été rejetés, mais leurs appels contre les sentences ont été accueillis, et les sentences ont été réduites à 18 mois et à 12 mois respectivement.

Les dispositions législatives pertinentes

10 Les dispositions pertinentes du Code et de la Charte sont les suivantes:

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46

298. (1) Un libelle diffamatoire consiste en une matière publiée sans justification ni excuse légitime et de nature à nuire à la réputation de quelqu’un en l’exposant à la haine, au mépris ou au ridicule, ou destinée à outrager la personne contre qui elle est publiée.

(2) Un libelle diffamatoire peut être exprimé directement ou par insinuation ou ironie:

a) soit en mots lisiblement marqués sur une substance quelconque;

b) soit au moyen d’un objet signifiant un libelle diffamatoire autrement que par des mots.

299. Une personne publie un libelle lorsque, selon le cas:

a) elle l’exhibe en public;

b) elle le fait lire ou voir;

c) elle le montre ou le délivre, ou le fait montrer ou délivrer, dans l’intention qu’il soit lu ou vu par la personne qu’il diffame ou par toute autre personne.

300. Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque publie un libelle diffamatoire qu’il sait être faux.

Charte canadienne des droits et libertés

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:

. . .

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

. . .

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Les juridictions inférieures

Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan (1995), 129 Sask. R. 53

(i) Le voir‑dire sur la constitutionnalité des art. 298 à 300 du Code

11 Pendant leur procès, les appelants ont sollicité une ordonnance déclarant inconstitutionnels les art. 300 et 301 du Code. Le juge Hrabinsky a souligné, au départ, la différence entre ces deux articles, à savoir que, en vertu de l’art. 300, il fallait démontrer que l’accusé savait que le libelle diffamatoire publié était faux, alors que la fausseté n’était pas un élément requis à l’art. 301. Par conséquent, une personne pouvait être déclarée coupable de publication d’un libelle diffamatoire en vertu de l’art. 301 même si les déclarations faites étaient jugées véridiques. Les appelants ont allégué, et l’intimée a admis, que les art. 298 et 299, qui définissent le libelle diffamatoire, étaient trop généraux et visaient un large éventail de matières sans importance et inoffensives. Le juge Hrabinsky a accepté cet argument, mais il a fait remarquer que, dans Gleaves c. Deakin, [1979] 2 All E.R. 497 (H.L.), il avait été statué que les sanctions criminelles applicables au libelle diffamatoire devraient toujours pouvoir être imposées pour les libelles graves.

12 Il a noté que l’intimée reconnaissait que les art. 300 et 301 avaient pour but et pour effet de criminaliser une forme d’«expression» en raison de son contenu. Il a donc statué que, compte tenu de l’arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, il y avait nécessairement violation de l’al. 2b) de la Charte. Il s’est demandé si cette violation pouvait être justifiée en vertu de l’article premier de la Charte.

13 Le juge Hrabinsky a adopté une méthode contextuelle et a reconnu que la liberté d’expression ne peut pas être absolue, et qu’une liberté d’expression illimitée peut porter atteinte aux droits légitimes en matière de vie privée et de réputation. Il a fait observer que, pour déterminer si l’art. 300 pouvait être justifié comme constituant une restriction raisonnable prescrite par une règle de droit dans le cadre d’une société libre et démocratique, il devait prendre en considération toute expression qui pouvait être restreinte.

14 Commençant par ce qu’il a appelé le [traduction] «critère préliminaire», le juge Hrabinsky a entrepris de déterminer si l’art. 300 constituait une restriction prescrite «par une règle de droit». S’appuyant sur Irwin Toy, précité, il a conclu que l’art. 300 était formulé raisonnablement et établissait «une norme intelligible sur laquelle le pouvoir judiciaire doit se fonder pour exécuter ses fonctions» (p. 59). Il a en outre statué que l’art. 298 définissait le libelle diffamatoire d’une manière qui fixait une norme de conduite intelligible. Il a conclu que les art. 298, 299 et 300 constituent une restriction prescrite par une règle de droit.

15 Le juge Hrabinsky a décidé que l’art. 300 a pour objectif de protéger la vie privée et la réputation des personnes contre les attaques diffamatoires mensongères. Il s’agissait, selon lui, d’un objectif urgent et réel. La réputation d’une personne est une valeur fondamentale qui implique le respect de la dignité et de la valeur de tous et chacun, et des commentaires diffamatoires peuvent causer un préjudice psychologique.

16 Le juge Hrabinsky a affirmé qu’il faut établir un équilibre entre les valeurs que représentent la liberté d’expression et la réputation. L’interdiction de publier un faux libelle diffamatoire a un lien rationnel avec l’objectif de protection de la vie privée et de la réputation. Les articles 298, 299 et 300 portent une atteinte minimale au droit garanti à l’al. 2b). Le fait que le ministère public doive faire la preuve des éléments de la mens rea de l’infraction, dont la connaissance de la fausseté, confirmait sa conclusion que l’objectif de l’art. 300 porte atteinte le moins possible à la liberté d’expression. Le juge Hrabinsky a fait remarquer que l’expression diffamatoire est loin d’être au cœur des valeurs consacrées à l’al. 2b). La restriction imposée à la liberté d’expression par l’art. 300 est négligeable et ne l’emporte donc pas sur l’importance de l’objectif législatif. Il a statué qu’il y avait lieu de confirmer la validité de l’art. 300 en vertu de l’article premier de la Charte.

17 En ce qui a trait à l’art. 301 du Code criminel, le juge Hrabinsky a décidé que, à la différence de l’art. 300, le ministère public n’était nullement tenu d’établir la connaissance de la fausseté. Par conséquent, la restriction imposée à l’al. 2b) par l’art. 301 ne satisfaisait pas au volet «atteinte minimale» du critère de l’article premier, et il n’y avait pas non plus de proportionnalité entre les effets de la mesure législative restrictive et l’objectif en cause. Il a donc conclu que l’art. 301 est inconstitutionnel et cette conclusion n’a pas été portée en appel.

(ii) Le fond de l’affaire

18 Le juge Hrabinsky a souligné que l’art. 300 du Code exige que le ministère public démontre que la personne accusée savait que le libelle diffamatoire publié était faux. En l’espèce, M. Lucas a témoigné qu’il croyait que ce qui était publié était véridique, alors que Mme Lucas n’a pas témoigné du tout. En dépit de sa mention précédente de la nécessité d’appliquer un critère subjectif, le juge Hrabinsky a appliqué un critère objectif et a conclu que les messages sur les affiches étaient faux et que les appelants auraient dû le savoir. Par conséquent, M. et Mme Lucas ont tous les deux été déclarés coupables de libelle diffamatoire par insinuation et ont été condamnés à deux ans d’emprisonnement moins un jour et à 22 mois d’emprisonnement, respectivement.

Cour d’appel de la Saskatchewan (1996), 137 Sask. R. 312

19 La Cour d’appel a été saisie de deux questions qui doivent être examinées: premièrement, la question de la constitutionnalité de l’art. 300, et deuxièmement, celle de savoir si l’intimée a fait la preuve hors de tout doute raisonnable de tous les éléments de l’infraction.

20 La cour a conclu que la question de la constitutionnalité était réglée par l’arrêt de la Cour d’appel du Manitoba R. c. Stevens (1995), 96 C.C.C. (3d) 238, où il a été statué que l’art. 300 du Code criminel est constitutionnellement valide. Le premier moyen d’appel a donc été rejeté.

21 Quant au deuxième moyen, la cour a conclu qu’il incombait à l’intimée de prouver qu’il y avait eu publication d’une fausse déclaration diffamatoire et que les appelants avaient voulu publier, dans l’intention de diffamer, le libelle diffamatoire qu’ils savaient être faux. La cour était d’avis que l’intimée avait fait la preuve hors de tout doute raisonnable de tous les éléments essentiels de l’infraction relativement aux deux appelants. Par conséquent, ce moyen d’appel a aussi été rejeté.

Les questions en litige

22 1. Les articles 298, 299 et 300 du Code violent‑ils, séparément ou conjointement, l’al. 2b) de la Charte?

2. Les articles 298, 299 et 300 du Code violent‑ils, séparément ou conjointement, l’art. 7 de la Charte?

3. La validité des art. 298, 299 et 300 du Code peut‑elle être confirmée en vertu de l’article premier de la Charte?

4. Y a‑t‑il une preuve suffisante que les appelants avaient une connaissance subjective de la fausseté des déclarations diffamatoires qu’ils ont affichées, pour que leurs déclarations de culpabilité soient confirmées malgré l’application erronée d’un critère objectif par le juge du procès?

Analyse

23 Ce n’est pas la première fois que les dispositions du Code relatives au libelle diffamatoire sont contestées. Dans l’arrêt Stevens, précité, la Cour d’appel du Manitoba a conclu que l’art. 300 et ses dispositions définitionnelles étaient justifiés au sens de l’article premier de la Charte, même s’ils violaient l’al. 2b). Bien que je ne sois pas entièrement d’accord avec le raisonnement des juges majoritaires dans cet arrêt, les motifs du juge Twaddle comportent un examen complet de l’historique des dispositions en matière de libelle diffamatoire et une analyse poussée et fort utile de la question de la proportionnalité.

Les articles 298, 299 et 300 du Code violent‑ils, séparément ou conjointement, l’al. 2b) de la Charte?

24 Notre Cour a souligné, dans certains de ses arrêts, l’importance fondamentale et primordiale de la liberté d’expression dans notre société démocratique. En fait, dans Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, à la p. 1336, la Cour fait observer qu’«il ne peut y avoir de démocratie sans la liberté d’exprimer de nouvelles idées et des opinions sur le fonctionnement des institutions publiques». Ce droit doit être soigneusement protégé afin d’assurer qu’il ne puisse être restreint que lorsqu’il est clairement opportun de le faire.

25 L’intimée a reconnu, à très juste titre, que les art. 298, 299 et 300 du Code contreviennent à la garantie de liberté d’expression contenue à l’al. 2b) de la Charte, étant donné que l’objet même de ces articles est d’interdire une forme particulière d’expression. Le substitut du procureur général de l’Ontario a soutenu avec vigueur que le libelle diffamatoire ne mérite pas la protection de la Constitution. Cet argument ne saurait être retenu. Il va à l’encontre d’un long courant de jurisprudence qui remonte à l’arrêt Irwin Toy, précité, où il a été statué que la liberté d’expression doit recevoir une interprétation large et fondée sur l’objet visé. Notre Cour a constamment statué que toute expression est protégée, quel qu’en soit le contenu, à moins que la forme qu’elle revêt ne soit de nature à exclure la protection (comme, par exemple, un acte violent). Comme le juge en chef Dickson l’a écrit dans R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, à la p. 729:

Donc, sauf pour les rares cas où l’expression revêt la forme de la violence physique, la Cour a estimé qu’il découle de la nature fondamentale de la liberté d’expression que «si l’activité transmet ou tente de transmettre une signification, elle a un contenu expressif et relève à première vue du champ de la garantie» (p. 969). En d’autres termes, le mot «expression» à l’al. 2b) de la Charte vise tout contenu de l’expression, sans égard aux sens ou message particulier que l’on cherche à transmettre.

26 En outre, dans l’arrêt R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, il a été statué que même les faussetés et les mensonges délibérés sont protégés par l’al. 2b) de la Charte. Le juge McLachlin affirme, à la p. 753:

Pour déterminer si une communication est visée par l’al. 2b), notre Cour a régulièrement refusé de prendre en considération le contenu de la communication, adoptant le précepte selon lequel c’est souvent la déclaration impopulaire qui a le plus besoin d’être protégée en vertu de la garantie de la liberté d’expression . . .

De même, dans les motifs dissidents, à la p. 802, il est souligné que l’al. 2b) devrait recevoir une interprétation large:

. . . la protection constitutionnelle accordée par l’al. 2b) doit donc être étendue à la publication délibérée de déclarations que l’auteur sait être fausses et qui transmettent une signification sous une forme non violente. La liberté d’expression est si importante pour la démocratie au Canada qu’on doit faire entrer dans le champ d’application de l’al. 2b) même les déclarations à la limite extrême du droit protégé.

27 Cette façon libérale d’aborder l’al. 2b) a été confirmée dernièrement dans l’arrêt Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569, au par. 31:

À moins que l’expression ne soit communiquée d’une manière qui exclut la protection, telle la violence, la Cour reconnaît que toute activité ou communication qui transmet ou tente de transmettre un message est comprise dans la garantie de l’al. 2b) de la Charte canadienne.

28 Ces articles du Code visent à restreindre un certain type d’expression auquel s’applique la protection. Ils constituent une restriction de la liberté d’expression au sens de l’al. 2b) de la Charte. Avant de déterminer si ces articles peuvent être justifiés au sens de l’article premier de la Charte, il sera utile d’examiner maintenant si les articles contestés contreviennent à l’art. 7 de la Charte.

Les articles 298, 299 et 300 du Code violent‑ils, séparément ou conjointement, l’art. 7 de la Charte?

29 Les appelants ont fait valoir que les dispositions en matière de libelle diffamatoire sont si imprécises qu’elles violent l’art. 7 de la Charte. Je ne puis retenir cet argument. Deux principes s’appliquent pour déterminer s’il y a imprécision. Premièrement, une règle de droit est imprécise si elle ne formule pas «une norme intelligible sur laquelle le pouvoir judiciaire doit se fonder pour exécuter ses fonctions» (Irwin Toy, précité, à la p. 983). Deuxièmement, «[u]ne disposition imprécise ne constitue pas un fondement adéquat pour un débat judiciaire, c’est‑à‑dire pour trancher quant à sa signification à la suite d’une analyse raisonnée appliquant des critères juridiques. Elle ne délimite pas suffisamment une sphère de risque et ne peut donc fournir ni d’avertissement raisonnable aux citoyens ni de limitation du pouvoir discrétionnaire dans l’application de la loi» (R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, à la p. 639, je souligne). Au sujet de l’avertissement, le juge Gonthier affirme, au nom de la Cour, dans Nova Scotia Pharmaceutical, aux pp. 634 et 635:

Du point de vue du fond, l’avertissement raisonnable réside donc dans la conscience subjective de l’illégalité d’une conduite, fondée sur les valeurs qui forment le substrat du texte d’incrimination et sur le rôle que joue le texte d’incrimination dans la vie de la société.

. . . l’avertissement raisonnable donné aux citoyens porte aussi sur le fond, c’est‑à‑dire la conscience qu’une certaine conduite est assujettie à des restrictions légales.

Le texte des art. 298 à 300 précise très clairement quel genre de conduite est assujetti à des restrictions légales. L’article 298 énonce les types de matière publiée qui sont ciblés, alors que l’art. 299 limite la responsabilité à certains modes de publication.

30 L’exigence d’une restriction imposée au pouvoir discrétionnaire de la poursuite qui peut être exercé régulièrement pour appliquer la loi a aussi été examinée dans Nova Scotia Pharmaceutical, à la p. 642:

Ce qui fait plus problème, ce [. . .] sont [. . .] des termes qui ne donnent pas, quant au mode d’exercice de ce pouvoir [discrétionnaire], d’indication permettant de le contrôler. Encore une fois, une loi d’une imprécision inacceptable [. . .] ne donne pas suffisamment d’indication quant à la manière dont les décisions doivent être prises, tels les facteurs dont il faut tenir compte ou les éléments déterminants.

Une accusation de libelle diffamatoire requiert, comme élément de l’infraction, la publication matérielle de la matière que l’on prétend diffamatoire. L’article 299 exige que la matière que l’on prétend diffamatoire soit publiée de l’une ou l’autre de trois manières précises. En outre, le ministère public doit prouver que la matière en question était objectivement diffamatoire — c’est‑à‑dire qu’elle était «de nature à nuire à la réputation de quelqu’un en l’exposant à la haine, au mépris ou au ridicule», ou qu’elle était «destinée à outrager la personne contre qui elle [était] publiée» (par. 298(1)). Il doit aussi prouver que l’accusé savait que le libelle diffamatoire était faux et qu’il y avait intention de diffamer. Il ne fait aucun doute qu’avec ces exigences les art. 298 à 300 «donne[nt] [. . .] suffisamment d’indication quant à la manière dont les décisions [de la poursuite] doivent être prises». Selon moi, ces articles ne violent pas l’art. 7 de la Charte. Il convient maintenant d’examiner s’ils peuvent être justifiés en vertu de l’article premier de la Charte.

La validité des art. 298, 299 et 300 du Code peut‑elle être confirmée en vertu de l’article premier de la Charte?

31 La réponse à la question de savoir si une atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte peut être justifiée au sens de l’article premier ressortira d’une analyse fondée sur le critère proposé par le juge en chef Dickson dans R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Trois éléments doivent être examinés:

(i) La restriction est‑elle prescrite par une règle de droit?

(ii) L’objectif visé par l’adoption de la mesure législative est‑il suffisamment urgent et important pour justifier la suppression d’une liberté garantie par la Charte?

(iii) Y a‑t‑il proportionnalité entre les effets des mesures qui restreignent la liberté garantie par la Charte et l’objectif décrit comme étant «suffisamment important»?

32 La troisième question requiert l’examen d’un certain nombre de facteurs. Premièrement, y a-t-il un lien rationnel entre l’objectif de la mesure législative et les moyens choisis pour l’atteindre? Deuxièmement, les moyens choisis portent-ils une atteinte minimale au droit garanti par la Charte? Enfin, les effets préjudiciables de la restriction l’emportent-ils sur ses effets bénéfiques?

Contexte

33 Notre Cour a insisté sur l’importance de recourir à une méthode contextuelle pour établir l’équilibre approprié entre les droits individuels et les intérêts de l’État en vertu de l’article premier. Voir Edmonton Journal, précité, aux pp. 1355 et 1356. Il s’ensuit que, lorsque la liberté d’expression est en cause, il faut considérer la nature de la violation de l’al. 2b) pour déterminer si «la justification [de la restriction peut] se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique». Cela a été souligné dans Keegstra, précité, aux pp. 759 et 760, et sera examiné plus en profondeur dans l’analyse de la proportionnalité.

34 Tout simplement, la protection dont pourra bénéficier l’expression variera selon sa nature. Plus l’expression s’éloignera des valeurs centrales de ce droit, plus la capacité de justifier l’action restrictive de l’État sera grande. Ce point de vue a été approuvé par le juge La Forest dans l’arrêt Société Radio-Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480.

Prescrite par une règle de droit

35 Les appelants soutiennent que les art. 298, 299 et 300 du Code sont trop imprécis pour constituer une restriction prescrite par une règle de droit. Je ne suis pas d’accord.

36 Même s’il se peut que les articles en question ne soient pas parfaits sur le plan de la rédaction, il faut se rappeler que les mots et groupes de mots ne peuvent pas toujours être évalués avec une précision scientifique. Cette notion est habilement exposée par le juge Gonthier, dans Nova Scotia Pharmaceutical Society, précité, à la p. 639:

Le langage n’est pas l’instrument exact que d’aucuns pensent qu’il est. On ne peut pas soutenir qu’un texte de loi peut et doit fournir suffisamment d’indications pour qu’il soit possible de prédire les conséquences juridiques d’une conduite donnée. Tout ce qu’il peut faire, c’est énoncer certaines limites, qui tracent le contour d’une sphère de risque. Mais c’est une caractéristique inhérente de notre système juridique que certains actes seront aux limites de la ligne de démarcation de la sphère de risque; il est alors impossible de prédire avec certitude.

37 Il s’ensuit que ce n’est pas parce que leur interprétation peut donner lieu à des nuances différentes que les art. 298 à 300 sont d’une imprécision inacceptable.

38 En examinant ce point, le juge du procès a conclu que la définition de libelle diffamatoire, à l’art. 298, est formulée en termes d’usage courant qui peuvent faire l’objet d’une interprétation. Selon lui, l’article fournit «une norme intelligible sur laquelle le pouvoir judiciaire doit se fonder pour exécuter ses fonctions», selon le critère établi dans Irwin Toy, précité. Il a statué qu’il définit le libelle diffamatoire d’une manière fixant une norme de conduite intelligible. Selon moi, le juge du procès a appliqué les bons critères et est parvenu au bon résultat.

39 Le critère de proportionnalité permet de remédier correctement à toute imprécision que ces articles peuvent receler. Comme le juge Gonthier l’a fait remarquer dans Nova Scotia Pharmaceutical, à la p. 627, «[l]a Cour hésitera à décider qu’une disposition est imprécise au point de ne pas constituer une “règle de droit” au sens de l’article premier in limine et examinera plutôt la portée de la disposition sous l’éclairage du critère de l’“atteinte minimale”».

L’objectif est‑il urgent et réel?

L’objectif de l’infraction de libelle diffamatoire

40 Dès qu’il est établi que l’infraction constitue une restriction prescrite par une règle de droit, il faut déterminer si cette restriction est justifiable dans le cadre d’une société libre et démocratique. Pour ce faire, il faut d’abord déterminer le but ou l’objectif des articles contestés au moment de leur adoption. Dans l’arrêt Zundel, précité, à la p. 761, il a été souligné que l’application et l’interprétation d’objectifs peuvent varier avec le temps. Toutefois, une cour doit vérifier quelle était l’intention du législateur au moment de l’adoption de l’article, et ne peut attribuer des objectifs en fonction de la façon dont cet article est maintenant perçu.

41 Les dispositions relatives au libelle diffamatoire remontent aux premières versions du Code, qui ont codifié la règle de droit anglaise alors en vigueur. Cette règle de droit existait depuis plusieurs siècles. Il faut donc faire un bref historique de ces dispositions afin de découvrir leur objectif et l’intention que le législateur canadien avait en les adoptant.

42 Cette analyse a été effectuée de façon assez détaillée par la Cour d’appel du Manitoba dans Stevens, précité, et plus particulièrement dans les motifs du juge Twaddle, aux pp. 286 à 294. Ce dernier a conclu que, bien que l’infraction ait d’abord visé à éviter des duels auxquels des parties diffamées se livraient pour défendre leur honneur, et ainsi, à éviter des violations de la paix publique, cet objectif initial avait depuis longtemps été supplanté par un autre objectif: la protection de la réputation personnelle.

43 Cette conclusion reposait en grande partie sur le fait qu’au Canada l’infraction «moderne» de libelle diffamatoire découle d’une loi adoptée pour la première fois par le législateur en 1874 (Acte concernant le crime de libelle, S.C. 1874, ch. 38), qui ne faisait que reprendre la loi anglaise en vigueur à l’époque de la Confédération. L’infraction originale anglaise de libelle diffamatoire avait alors été remplacée par une loi de 1843 souvent désignée sous le nom de Lord Campbell’s Act. Son préambule précisait que la Loi visait à «protéger plus efficacement la réputation des personnes». Les commentaires de lord Campbell lui‑même, cités à la p. 105 du rapport du comité spécial de la Chambre des lords formulant les recommandations qui se sont reflétées en fin de compte dans la Lord Campbell’s Act, sont révélateurs:

[traduction] En principe, je pense que la diffamation est un crime au même titre que le vol ou les voies de fait contre une personne; elle cause un préjudice à un membre de la société qui a droit à la protection de la loi, et l’auteur de ce préjudice devrait être puni de manière à servir d’exemple à autrui afin d’empêcher la répétition de cette infraction.

44 Il est significatif que ce préambule ait été reproduit mot à mot dans la loi canadienne de 1874. Par ailleurs, l’examen attentif que le juge Twaddle a effectué des débats parlementaires qui ont entouré l’adoption de cette loi a révélé que le législateur avait l’intention précise d’adopter l’objectif de la loi anglaise, soit la protection de la réputation (Stevens, précité, aux pp. 291 et 292).

45 Il est clair que, à l’époque de l’adoption de la Lord Campbell’s Act, la prévention des violations de la paix n’était plus l’objectif sous‑jacent de l’infraction de libelle diffamatoire. Comme le juge Twaddle l’a reconnu, les tribunaux ont constamment eu tendance, au cours du XIXe siècle, à se référer à l’exigence relative à la violation de la paix (voir, par exemple, R. c. Holbrook (1878), 4 Q.B.D. 42). Toutefois, à la lumière de toutes les circonstances ayant entouré l’adoption de la loi en cause, ce ne pouvait pas avoir été l’intention du législateur britannique à l’époque. L’historique de cette loi est, en fait, relativement clair. C’est aussi l’avis que la Chambre des lords a exprimé dans Gleaves, précité.

46 Outre la preuve historique à l’appui du point de vue que la protection de la réputation était le principal objectif de la création de l’infraction de libelle diffamatoire, le Code lui‑même renferme d’autres éléments de preuve convaincants de cette intention initiale du législateur. L’article 300 actuel décrit essentiellement la même infraction que celle de libelle diffamatoire grave qui figurait dans le premier Code criminel, S.C. 1892, ch. 29. À l’époque, comme aujourd’hui, cette disposition figurait sous la rubrique «Crimes contre la personne et la réputation». En fait, l’inclusion du mot «réputation» dans la rubrique originale ne pouvait renvoyer qu’au libelle diffamatoire, étant donné que c’était la seule infraction de cette nature que contenait cette partie du premier Code.

47 Les rubriques d’une loi peuvent, à bon droit, être prises en considération pour déterminer les intentions du législateur (Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, à la p. 377; R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541). En réalité, on y a eu recours pour interpréter des dispositions du Code criminel (Skoke‑Graham c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 106, aux pp. 119 à 121; R. c. Kelly, [1992] 2 R.C.S. 170, à la p. 189). Le fait que l’art. 300 se trouve dans cette partie du Code peut être mis en contraste avec la disposition concernant la «diffusion de fausses nouvelles» qui, comme on l’a fait remarquer dans Zundel, précité, à la p. 763, se trouve sous la rubrique «Nuisances». Finalement, le fait qu’il existe, sous la rubrique «Infractions contre l’ordre public», une disposition précise interdisant les duels (art. 71) confirme que l’objectif premier que le législateur poursuivait en adoptant l’art. 300 était de protéger la réputation plutôt que d’empêcher les violations de la paix.

L’importance de l’objectif de protection de la réputation

48 La protection de la réputation est‑elle un objectif urgent et réel dans notre société? Je crois que oui. La protection de la réputation d’une personne contre les attaques mensongères délibérées reconnaît à la fois la dignité innée de la personne et le rapport intégral qui existe entre la réputation d’une personne et sa participation utile à la société canadienne. La prévention du préjudice qui serait causé à la réputation par le libelle diffamatoire est un but légitime du droit criminel.

49 Dans Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, la Cour a souligné l’importance fondamentale pour notre société démocratique de protéger la bonne réputation des gens. On fait observer, au nom de la Cour à l’unanimité, à la p. 1175:

Bien que de nombreux commentaires judicieux aient été formulés sur l’importance de la liberté d’expression, on ne peut en dire autant de la réputation. Pourtant, la plupart des gens tiennent plus que tout à leur bonne réputation, qui se rattache étroitement à la valeur et à la dignité innées de la personne. Elle est un attribut qui doit, au même titre que la liberté d’expression, être protégé par les lois de la société . . .

Les démocraties ont toujours reconnu et révéré l’importance fondamentale de la personne. Cette importance doit, à son tour, reposer sur la bonne réputation. [. . .] Une société démocratique a donc intérêt à s’assurer que ses membres puissent jouir d’une bonne réputation et la protéger aussi longtemps qu’ils en sont dignes.

50 Le fait qu’un certain nombre de conventions internationales, ratifiées par le Canada, imposent des restrictions explicites à la liberté d’expression afin de protéger les droits et la réputation des gens étaye davantage la conclusion qu’il s’agit d’un objectif urgent et réel. Par exemple, l’art. 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, R.T. Can. 1976 no 47, prévoit que chacun a droit à la protection de la loi contre les atteintes à son honneur et à sa réputation. De même, l’art. 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, A.G. Rés. 217 A (III), Doc. A/810 N.U., à la p. 71 (1948), affirme que «[n]ul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.» D’autres conventions, dont la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221, art. 10, et la Convention américaine relative aux droits de l’homme, O.A.S.T.S. no 36, à la p. 1, art. 13, prévoient expressément que la liberté d’expression est assujettie aux lois nécessaires à la protection de la réputation des personnes. L’existence de ces dispositions révèle qu’il y a un consensus au sein de la communauté internationale sur le fait que la protection de la réputation est un objectif suffisamment important pour justifier l’imposition de certaines restrictions à la liberté d’expression.

51 Finalement, il est significatif que de nombreuses autres sociétés libres et démocratiques aient des lois criminelles relatives à la diffamation, notamment l’Australie, la Belgique, le Danemark, la France, les Pays‑Bas, la Norvège, la Suède et la Suisse: Carter‑Ruck on Libel and Slander (5e éd. 1997), ch. 27 et 29 à 33. Il est clair que la protection de la réputation est largement reconnue comme une entreprise législative importante.

Proportionnalité

Le lien rationnel

52 Dans l’arrêt Oakes, précité, à la p. 139, le juge en chef Dickson a décrit l’exigence de lien rationnel, dans l’analyse fondée sur l’article premier, comme assurant que les mesures adoptées soient «soigneusement conçues pour atteindre l’objectif en question. Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considérations irrationnelles».

53 Comme le juge Iacobucci l’a pertinemment fait observer dans RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, à la p. 352, «[l]e lien rationnel doit être établi, selon la norme de preuve en matière civile, par la raison, la logique ou le simple bon sens». Une analyse, fondée sur le bon sens, de l’art. 300 et de ses dispositions définitionnelles révèle qu’il existe bel et bien un lien rationnel. Pour protéger les gens contre les attaques mensongères délibérées à leur réputation, le législateur a choisi d’adopter une loi qui interdit de publier des déclarations préjudiciables ou outrageantes au sujet d’une autre personne, que l’on sait être fausses. La disposition vise expressément un méfait bien précis.

54 Je suis d’accord avec la conclusion tirée par le juge Twaddle dans Stevens, précité, selon laquelle l’infraction de libelle diffamatoire a été soigneusement conçue. Il affirme, aux pp. 295 et 296:

[traduction] Je ne puis imaginer un moyen plus rationnel de protéger la réputation d’une personne contre toute attaque mensongère délibérée que la création de l’infraction grave conçue par le comité. Elle est définie étroitement et ne vise que les contrevenants les plus odieux. Elle offre pourtant une protection importante en dissuadant précisément ces contrevenants de commettre leurs infractions scandaleuses. La mesure contestée a donc un lien rationnel avec son objectif.

55 Les appelants ont allégué que les dispositions ne peuvent pas être un moyen efficace de réaliser l’objectif visé. Ils ont soutenu que cela ressortait du fait que les poursuites criminelles pour diffamation sont rares comparativement aux poursuites civiles. Toutefois, il a été statué que «[l]e nombre peu élevé [de poursuites intentées] ne témoigne pas nécessairement de la gravité du problème», mais qu’«[u]n certain nombre de facteurs peuvent influer [sur celui-ci], comme la priorité que les policiers et le ministère public accordent à l’application de la disposition» (R. c. Laba, [1994] 3 R.C.S. 965, à la p. 1007 (je souligne)). De nombreuses dispositions du Code sont rarement invoquées, comme celles relatives au vol dans une huîtrière défini à l’art. 323, ou à la haute trahison prévue à l’art. 46. Pourtant, la rareté des poursuites fondées sur ces dispositions ne les rend pas inconstitutionnelles ou inefficaces. Je suis d’accord pour dire que le petit nombre de poursuites fondées sur l’art. 300 peut bien résulter de son efficacité pour ce qui est de dissuader les gens de publier des libelles diffamatoires (Stevens, précité, à la p. 310).

56 À mon avis, l’art. 300 a un lien rationnel avec l’objectif législatif de protection de la réputation des personnes.

L’atteinte minimale

57 Pour décider s’il y a atteinte minimale, il faut déterminer si les art. 298 à 300 du Code restreignent le moins possible la liberté d’expression (Oakes, précité). À ce stade, il est particulièrement important de garder à l’esprit la valeur négligeable de l’expression diffamatoire. Cela réduit sensiblement l’obligation de l’intimée de démontrer que la disposition ne porte qu’une atteinte minimale.

L’exigence de mens rea

58 À première vue, l’art. 300 n’exige qu’une seule forme de mens rea, soit la connaissance de la fausseté. Il n’y a aucune exigence expresse que l’accusé ait l’intention de diffamer. Les appelants font valoir énergiquement qu’un tel défaut ne porterait pas atteinte le moins possible à la liberté d’expression et qu’il pourrait en fait constituer une autre atteinte injustifiable à l’art. 7, du fait qu’il étendrait déraisonnablement l’application de l’infraction aux personnes qui croient sincèrement que les propos qu’elles ont tenus ne sont pas diffamatoires et à celles qui répètent les propos diffamatoires d’autrui dans le but d’informer le public. Cependant, l’historique de l’application de la mens rea dans le contexte du libelle diffamatoire et l’application des principes traditionnels d’interprétation des lois amènent inévitablement à conclure qu’une telle intention est vraiment requise et que l’art. 300 devrait être interprété en conséquence.

59 Dans l’ancienne jurisprudence anglaise qui porte sur le libelle diffamatoire, on affirme clairement qu’il faut démontrer l’existence de l’intention de diffamer. Un examen approfondi de cette jurisprudence a été effectué par le juge Giesbrecht de la Cour provinciale du Manitoba, dans R. c. Stevens (1993), 82 C.C.C. (3d) 97, aux pp. 134 et suiv., et par le juge Twaddle, en appel. Dans R. c. Lord Abingdon (1794), 1 Esp. 226, 170 E.R. 337, à la p. 228, lord Kenyon, juge en chef du Banc du Roi, aurait affirmé au sujet d’une question de libelle diffamatoire:

[traduction] Pour qu’il y ait libelle, l’esprit doit être fautif et révéler une intention malicieuse de diffamer, parce que, s’il y avait publication par inadvertance, il n’y aurait pas libelle; mais lorsqu’aucune preuve ne vient expliquer la publication d’un libelle, le jury devrait juger d’après l’acte manifeste et, lorsque la publication contenait une attaque de nature diffamatoire, il devrait en déduire que l’intention était malicieuse.

60 Le juge Twaddle a souligné que la deuxième partie des commentaires de lord Kenyon pouvait expliquer pourquoi maintes décisions anglaises n’ont jamais traité expressément de l’intention de diffamer. Il a fait observer que [traduction] «[l]a présomption qu’une personne veut les conséquences naturelles de ses actes était considérée comme une présomption légale» (Stevens, précité, à la p. 300), et que ce n’est qu’à compter de 1967 que cette présomption a été [traduction] «reléguée au rang de conclusion de fait qu’un jury pourrait tirer sans être tenu de le faire». Il s’ensuit donc que, du moment qu’il était prouvé qu’une personne avait publié une matière diffamatoire, cette personne était présumée avoir eu l’intention de diffamer.

61 Dans d’autres décisions anglaises, il a été statué qu’il était nécessaire d’établir l’intention de diffamer (voir, par exemple, Holbrook, précité, à la p. 50, et R. c. Burdett (1820), 4 B. & Ald. 95, 106 E.R. 873, à la p. 126).

62 Il appert que, à la fin du XIXe siècle en Angleterre, la preuve de l’intention de diffamer était un élément essentiel de la diffamation criminelle (même si on en présumait souvent l’existence d’après la nature diffamatoire de la publication). Ce point de vue est étayé par des auteurs anglais. Par exemple, sir James Stephen, dans A History of the Criminal Law of England, vol. 2 (1883), aux pp. 358 et 359, écrit:

[traduction] Le Libel Act [Fox’s] et les discussions qui y ont abouti devait donc intégrer à la définition du crime de libelle séditieux l’existence d’une sorte de mauvaise intention chez le contrevenant. [. . .] [L]e Libel Act ne précise pas si les affirmations concernant les intentions particulières du défendeur en pareils cas sont pertinentes. Cependant, il ne fait aucun doute qu’il présume qu’elles le sont et l’application de la loi a toujours, depuis lors, été fondée sur la supposition qu’elles le sont.

De même, Glanville Williams, dans Criminal Law: The General Part (2e éd. 1961), affirme, à la p. 67, § 29, que:

[traduction] Le libelle exige la mens rea au moins en ce sens que le défendeur (ou, comme nous le verrons, son préposé) doit avoir eu l’intention de diffamer, ou s’être montré indifférent quant au sens diffamatoire de ses propos.

63 Au Canada, il y a relativement peu de jurisprudence concernant la mens rea requise pour l’infraction de libelle diffamatoire. Cependant, je trouve convaincante l’analyse historique de la mens rea à laquelle on a procédé en Angleterre. Il est aussi utile de prendre en considération les principes d’interprétation.

64 Lord Reid, dans Sweet c. Parsley, [1970] A.C. 132 (H.L.), à la p. 148, fournit des conseils judicieux et un excellent point de départ:

[traduction] Parfois, les mots de l’article créant une infraction particulière précisent clairement que la mens rea sous une forme ou sous une autre est nécessaire. Il est très fréquent qu’il en soit ainsi. Mais dans un très grand nombre de cas, il n’y a aucune indication précise dans un sens ou dans l’autre. Dans ces cas, on présume, depuis des siècles, que le législateur n’avait pas l’intention de qualifier de criminels des personnes qui ne pouvaient en aucune façon être blâmées pour ce qu’elles avaient fait. Cela signifie que, chaque fois qu’un article est muet quant à la mens rea, il y a présomption que, pour accomplir la volonté du législateur, nous devons lui donner une interprétation large exigeant la mens rea.

Les tribunaux canadiens ont statué qu’en l’absence d’une disposition législative expresse il y a lieu de présumer que la preuve de la mens rea subjective est un élément nécessaire d’une infraction criminelle (R. c. Sault Ste‑Marie (Ville), [1978] 2 R.C.S. 1299, le juge Dickson (plus tard Juge en chef); R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636). Ce principe est applicable en l’espèce. L’objectif de l’atteinte minimale à la liberté d’expression ne peut être réalisé sans l’imposition d’une exigence de mens rea consistant en l’intention de diffamer.

65 Comme le juge Twaddle l’a indiqué dans Stevens, précité, à la p. 303, il convient d’interpréter une loi criminelle de manière à ce qu’elle soit conforme aux principes de la Charte:

[traduction] Maintenant, ce n’est pas seulement pour des raisons de compétence qu’il faudrait interpréter une loi criminelle comme exigeant la mens rea; des préoccupations liées à la Charte le dicteraient aussi. Ainsi, dans Metropolitan Stores (MTS) Ltd. c. Manitoba Food & Commercial Workers, Local 832 (1987), 38 D.L.R. (4th) 321, à la p. 331, [1987] 1 R.C.S. 110, 87 C.L.L.C. ¶14,015, le juge Beetz, prononçant l’arrêt de la Cour, a dit:

Dans un autre sens, la «présomption de constitutionnalité» est la règle d’interprétation selon laquelle une loi contestée doit, autant que possible, être interprétée de manière qu’elle soit conforme à la Constitution.

66 De même, dans Nova Scotia Pharmaceutical, précité, à la p. 660, il a été statué que, lorsqu’il y a deux interprétations possibles d’une disposition, il y a lieu d’adopter celle qui incorpore les valeurs de la Charte. Il s’ensuit que le ministère public doit établir que l’accusé avait l’intention de diffamer.

67 Il serait contraire aux principes constitutionnels d’interpréter l’art. 300 comme exigeant moins qu’une intention subjective de diffamer. D’après la manière dont des dispositions semblables ont été traitées dans le passé, il est également facile de constater que cet article exige la preuve de l’intention de diffamer.

68 Par conséquent, le ministère public ne peut établir l’existence d’une infraction de libelle diffamatoire que s’il prouve hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait l’intention de diffamer la victime. Cette condition impose au ministère public une charge de preuve suffisamment lourde pour faire de l’aspect mens rea de l’infraction une atteinte minimale.

La dichotomie droit criminel/droit civil

69 La question suivante que les appelants soulèvent au sujet de l’atteinte minimale est de savoir si les dispositions du Code relatives au libelle diffamatoire sont trop générales en raison du recours civil qui protège aussi la réputation des personnes contre le libelle. Les appelants font valoir que la protection de la réputation peut adéquatement être réalisée grâce au droit civil, de sorte que le recours aux sanctions criminelles punitives ne constitue pas une atteinte minimale. Je ne puis retenir cet argument.

70 L’existence continue de lois civiles et de lois criminelles parallèles mais distinctes concernant le libelle diffamatoire reflète le point de vue du législateur selon lequel, tandis que les victimes de telles fautes peuvent bien mériter d’être indemnisées, les contrevenants qui publient délibérément et sciemment des mensonges méritent d’être punis pour leur inconduite grave. Le droit criminel et le droit civil servent des fins différentes. Il est vrai qu’ils ont en commun certains aspects dissuasifs. Cependant, le droit criminel a principalement pour objet de reconnaître l’aversion de la société pour les actes criminels et de punir les comportements criminels. Le droit civil vise principalement l’indemnisation, au moyen de dommages‑intérêts, du préjudice causé à une personne par une autre personne. En outre, bien que les victimes de nombreuses infractions criminelles soient des personnes, le droit criminel traite tous les crimes comme des infractions contre la société. C’est l’État qui intente une action publique contre le contrevenant. Les intérêts de l’État sont prépondérants, alors que ceux de la victime sont secondaires. Par contre, le processus civil voit la victime chercher elle‑même à faire valoir ses droits et à obtenir une indemnisation en affrontant la personne qui lui a causé du tort.

71 Il a été statué qu’il convient que différents domaines du droit reconnaissent différents types et degrés de préjudice découlant de la même faute. Dans l’arrêt Wigglesworth, précité, aux pp. 566 et 567, le juge Wilson a adopté, au nom de la Cour à la majorité, le passage suivant des motifs de la Cour d’appel:

[traduction] Il est possible qu’un acte unique comporte plus d’un aspect et entraîne plus d’une conséquence juridique. [. . .] Ainsi, un médecin qui commet une agression sexuelle contre un patient sera passible à la fois d’une condamnation au criminel à l’instigation de l’État, d’une poursuite en dommages‑intérêts sur les instances du patient, et d’une sanction disciplinaire à la demande du conseil d’administration de sa profession.

72 L’existence de sanctions criminelles pour des actes qui sont aussi considérés comme des délits civils garantit souvent que les auteurs d’actes jugés odieux par la société seront convenablement punis. Les dispositions en matière de négligence criminelle, par exemple, ont un effet important pour ce qui est de dissuader d’adopter un comportement négligent et maintiennent des normes sociales appropriées relativement à des activités comme la conduite automobile. Dans les cas de négligence criminelle, personne n’alléguerait que, parce que quelqu’un peut réclamer des dommages‑intérêts pour le préjudice résultant de la négligence d’autrui, il ne devrait y avoir aucune expression publique correspondante de la profonde désapprobation sociale d’une conduite grossièrement négligente. On peut en dire autant des voies de fait, des agressions sexuelles, de la fraude, de l’intrusion et, en réalité, du meurtre ou de l’homicide involontaire coupable: tous ces actes peuvent donner lieu à des procédures criminelles et à des procédures civiles.

73 Je crois qu’il en va de même pour le libelle diffamatoire. Bien qu’il soit important de reconnaître à la personne diffamée le droit d’intenter une action en dommages‑intérêts, il est tout aussi important, sinon plus, que la société dissuade les gens de publier intentionnellement des mensonges destinés à exposer quelqu’un à la haine et au mépris. Le préjudice visé par l’art. 300 est si grave que l’imposition de sanctions criminelles n’est pas excessive, mais constitue plutôt une réponse appropriée. Le libelle diffamatoire peut causer à la victime des préjudices durables ou permanents. La victime peut à jamais être avilie et diminuée aux yeux de sa collectivité. Les actes de diffamation criminelle qui nuisent à la réputation sont tout aussi répréhensibles que les autres actes aisément reconnus comme étant criminels, tels que les voies de fait délibérées ou les dommages causés aux biens. En outre, l’infraction exige l’intention de diffamer et la connaissance de la fausseté de ce qui est publié. Cet état d’esprit est tout aussi coupable et moralement répréhensible que celui de l’auteur de bien d’autres infractions. Le préjudice que peuvent causer les actes de diffamation criminelle est si odieux et l’objectif de l’article, qui est de protéger la réputation des gens, est si louable que l’infraction criminelle est d’une importance telle qu’elle devrait être maintenue.

74 L’autre raison de l’existence à la fois d’un recours civil et d’un recours criminel est la reconnaissance des problèmes et des faiblesses des procédures civiles dans notre société actuelle. Les procédures civiles peuvent comporter des coûts prohibitifs pour bien des Canadiens. Même si une victime peut se permettre d’intenter une action devant les tribunaux civils, son action ne pourra avoir que peu d’effet dissuasif sur les défendeurs impécunieux. Les gens qui, en raison de leur métier, sont particulièrement exposés à la diffamation criminelle, tels les travailleurs sociaux, les policiers ou les infirmiers, ont besoin de la protection que seul le droit criminel peut leur assurer. Lorsqu’ils sont victimes d’une personne qui n’a pas les moyens de verser des dommages‑intérêts accordés par un tribunal civil, le recours criminel peut être leur seul moyen de faire valoir leurs droits et de commencer à rétablir leur réputation dans la collectivité.

75 Dans son Defamation Report (1995), le Community Law Reform Committee du Territoire de la capitale de l’Australie a reconnu ce fait comme une raison importante de conserver l’infraction criminelle de diffamation:

[traduction] . . . on a eu recours à un certain nombre de subterfuges pour échapper à la responsabilité civile résultant d’une conduite diffamatoire. Finalement, la sanction criminelle est la seule véritable sanction contre la personne qui a fait d’elle une cible insolvable au civil ou qui diffame une autre personne ou un organisme dont on ne peut pas s’attendre qu’ils intenteront des procédures civiles.

De même, la Commission anglaise a conclu à la nécessité de l’existence d’une infraction criminelle de libelle diffamatoire:

[traduction] . . . il y a des cas où les publications diffamatoires peuvent causer un préjudice très grave à la vie d’une personne, ce qu’il est dans l’intérêt public d’empêcher ou, si la matière a déjà été publiée, de punir. Pourvu que toute nouvelle infraction ne soit pas rédigée de manière à porter atteinte à la véritable liberté d’expression et qu’elle soit conforme aux principes généraux du droit criminel, nous sommes d’avis que, non seulement il ne saurait y avoir d’opposition de principe, mais que l’existence de cette infraction est nécessaire.

(Cité dans Law Reform Commission (Irlande), Consultation Paper on the Crime of Libel (1991), à la p. 145.)

76 Il est vrai que les commissions canadiennes de réforme du droit ont tiré des conclusions différentes quant à l’utilité de dispositions criminelles en matière de diffamation. Toutefois, pour les raisons déjà exposées, je ne puis accepter leur point de vue selon lequel le droit civil protège adéquatement la réputation des personnes contre les attaques diffamatoires. En outre, accepter le point de vue selon lequel la conduite fautive qui peut faire l’objet de poursuites civiles ne saurait faire l’objet de poursuites criminelles minerait sérieusement le pouvoir du législateur de déterminer quelle conduite constitue un tort public. En ce qui concerne la diffamation, les procédures civiles et criminelles peuvent effectivement coexister. L’infraction criminelle n’est pas sans effet ou trop générale simplement parce qu’un recours civil existe.

Mots et groupes de mots contestés

77 Les appelants ont allégué que certains mots et groupes de mots de la version anglaise des art. 298, 299 et 300 donnent à ces dispositions une trop grande portée pour que les normes d’atteinte minimale prescrites par l’article premier de la Charte soit respectées.

(1) Article 298 — «designed to insult»

78 L’article 298 définit les modes d’expression qui peuvent être qualifiés de libelle diffamatoire. Cette définition comprend notamment, en anglais, les mots «matter published [. . .] that is designed to insult the person of or concerning whom it is published». Les appelants font valoir que ces mots visent toute une gamme d’expressions, dont bon nombre ne causeraient aucun préjudice réel à la réputation de la personne insultée. Comme les appelants l’indiquent, même le droit civil concernant le libelle ne punit pas les simples insultes.

79 Je suis d’accord pour dire que la disposition serait trop attentatoire si elle devait être interprétée de façon à ce que même les simples insultes constituent une infraction criminelle. Cependant, la disposition doit être interprétée dans le contexte de l’objectif de l’article, qui est de protéger la réputation des personnes. De même, cette disposition doit, à titre de mesure législative criminelle, être interprétée de manière à accorder à l’accusé la plus grande protection possible.

80 Pour interpréter les mots «designed to insult» à l’art. 298, il faut prendre en considération la version française de l’article. C’est la méthode que le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a soigneusement adoptée dans R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, à la p. 287. Dans cet arrêt, la version française du par. 24(2) de la Charte a été utilisée pour déterminer le seuil d’exclusion d’éléments de preuve. Bien que la version anglaise prescrive l’exclusion lorsque l’utilisation de la preuve «would bring the administration of justice into disrepute», il a conclu que la version française fixait un seuil plus bas par l’utilisation des mots «est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice». Pour mettre à exécution de manière appropriée l’objectif du par. 24(2), qui est de protéger le droit de l’accusé à un procès équitable, le juge Lamer a interprété ce paragraphe conformément au texte français moins exigeant et a conclu qu’il était nécessaire d’écarter des éléments de preuve dans tous les cas où leur utilisation pourrait déconsidérer l’administration de la justice.

81 En l’espèce, les mots du texte français indiquent un seuil plus élevé en ce qui concerne les insultes diffamatoires. La version française du Code définit le libelle diffamatoire comme étant une matière publiée qui est «destinée à outrager». L’utilisation du mot «outrager» plutôt que la traduction littérale du mot «insult» porte à croire qu’une insulte grave est requise et que rien de moins ne suffira pour déclencher l’application des dispositions relatives au libelle diffamatoire. Selon Le Nouveau Petit Robert (1996), «outrager» signifie «[o]ffenser gravement par un outrage (actes ou paroles)»; «outrage» est défini comme étant une «[o]ffense ou injure extrêmement grave (de parole ou de fait)». Il est clair que le mot «outrage» a un sens plus fort, si on regarde les autres endroits où il est utilisé dans la version française du Code. Par exemple, l’infraction de «contempt of court», à l’art. 708, est rendue en français par «outrage au tribunal». Le mot «outrage» apparaît aussi à l’al. 182b) («outrage [. . .] envers un cadavre»), qui interdit tout acte d’indignité envers des restes humains.

82 Lorsque l’art. 298 est interprété dans le contexte du but qu’il vise et que la version française est prise en considération, il appert que les mots «or that is designed to insult the person» devraient être interprétés comme requérant la preuve d’une insulte grave. Ainsi, la présence du mot «insult» dans la version anglaise de la définition du libelle diffamatoire constitue une atteinte minimale.

(2) Article 298 — «de nature à nuire»

83 Les appelants ont soutenu que l’exigence de l’art. 298 que la matière diffamatoire publiée n’ait qu’à être «de nature à nuire à la réputation de quelqu’un» n’est pas constitutionnellement valide étant donné que la preuve de l’existence d’un préjudice est généralement requise en droit criminel, particulièrement dans le domaine de la liberté d’expression. Je ne suis pas d’accord. Exiger la preuve d’un préjudice réel irait à l’encontre de ce que le juge en chef Dickson a décidé dans l’arrêt Keegstra, précité. Celui-ci a examiné attentivement la question et a conclu que le droit criminel pouvait être utilisé à bon droit pour prévenir le risque de préjudice grave. À la page 776, il a écrit:

Il est généralement reconnu que le Parlement peut se servir du droit criminel pour prévenir le risque de préjudices graves, l’un des principaux exemples étant les dispositions du Code criminel relatives à l’ivresse au volant.

(3) Article 299 — «par la personne qu’il diffame»

84 L’alinéa 299c) du Code prévoit que commet une infraction la personne qui publie un libelle diffamatoire lorsqu’elle le montre ou le délivre «dans l’intention qu’il soit lu ou vu par la personne qu’il diffame . . .». Bien que cela ne soit peut‑être pas essentiel pour trancher la présente affaire, il semblerait que l’al. 299c) ne peut satisfaire aux exigences de la Constitution. Je conviens avec les appelants que cette partie du régime de libelle diffamatoire est trop générale. Elle favorise peu la réalisation de l’objectif de protection de la réputation, étant donné que la réputation d’une personne ne sera pas entachée si la déclaration diffamatoire n’est montrée qu’à cette personne seulement. Il a récemment été statué dans Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440, au par. 56, que des déclarations désobligeantes communiquées seulement à la partie concernée ne peuvent nuire à la réputation. Ces déclarations peuvent bien être cruelles et causer un préjudice, mais leur inclusion dans la disposition n’est pas logiquement liée au but de protéger la réputation des personnes.

85 Selon moi, la common law en matière de libelle est utile non seulement pour déterminer le sens des articles contestés à des fins constitutionnelles, mais encore pour établir l’invalidité d’autres parties de l’article. Les articles 298, 299 et 300 du Code apparaissent sous la rubrique «Libelle diffamatoire». C’est là une bonne indication que les concepts et principes de common law en matière de libelle seront utiles pour interpréter ces articles. La définition de base du libelle, selon Gatley on Libel and Slander (9e éd. 1998), à la p. 6, est la publication destinée à un tiers de mots ou d’une matière contenant une fausse accusation contre la réputation d’une autre personne. C’est le principe qui a été adopté et qui est appliqué depuis des siècles. Il est clair que l’élément fondamental du libelle est la publication destinée à une personne autre que la personne diffamée. L’alinéa 299c) contrevient tellement à ce principe qu’il ne saurait être justifié.

86 Les mots «par la personne qu’il diffame ou» devraient donc être retranchés de l’al. 299c) de manière à pouvoir lire: «Une personne publie un libelle lorsque, selon le cas [. . .] elle le montre ou le délivre, ou le fait montrer ou délivrer, dans l’intention qu’il soit lu ou vu par toute autre personne». Il est évident que les mots «toute autre personne» ne s’appliqueront pas lorsque le libelle diffamatoire est montré uniquement à la personne diffamée.

87 Il ne s’agit pas d’un cas où «la dissociation de la partie fautive sera plus attentatoire à l’objectif législatif que l’annulation possible des dispositions qui ne sont pas fautives, mais qui sont étroitement liées à celles qui le sont» (Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, à la p. 697). Ce qui reste constitue une définition plus claire qui est conforme tant à l’objectif de l’article qu’à l’exigence d’atteinte minimale de l’article premier. En outre, la dissociation ou suppression du groupe de mots inconstitutionnel n’aura pas pour effet de priver la personne diffamée de la protection du droit criminel, que ce soit en vertu d’infractions existantes ou d’autres infractions correctement définies. Par exemple, une déclaration faite seulement à la personne diffamée peut constituer du harcèlement criminel (art. 264) ou de la profération de menaces (art. 264.1). Il est révélateur que le procureur général du Canada ait convenu que les mots «par la personne qu’il diffame ou» devraient être retranchés.

Effets préjudiciables

88 C’est à ce stade que l’on peut entreprendre de déterminer si un équilibre approprié a été établi entre les effets préjudiciables des dispositions législatives contestées sur le droit violé et leurs objectifs bénéfiques. Lorsque la liberté d’expression est en cause, il est logique de prendre en considération la nature de la violation dans ce processus de pondération délicat. L’importance de tenir compte de ce facteur est exprimée dans l’arrêt Keegstra, précité, à la p. 760:

. . . l’arrêt Irwin Toy, précité, donne à l’al. 2b) une interprétation qui protège une très large gamme d’expressions. Le contenu est en règle générale sans pertinence aux fins de cette interprétation, en raison de la grande importance accordée dans l’abstrait à la liberté d’expression. Cette façon d’interpréter l’al. 2b) a souvent pour conséquence qu’on ne se posera pas la question de savoir dans quelle mesure l’expression en cause dans une instance particulière sert à promouvoir les principes sous‑tendant la liberté d’expression. À mon avis, toutefois, l’analyse en vertu de l’article premier d’une restriction imposée à l’al. 2b) doit tenir compte de la nature de l’activité expressive que l’État cherche à restreindre. Si nous devons veiller à ne pas juger l’expression en fonction de sa popularité, il est tout aussi néfaste pour les valeurs inhérentes à la liberté d’expression, et pour les autres valeurs sous‑jacentes à une société libre et démocratique, de considérer que toutes les sortes d’expressions revêtent la même importance au regard des principes qui sont au cœur de l’al. 2b). [Souligné dans l’original.]

89 Dans l’arrêt Stevens, précité, à la p. 285, le juge Twaddle a souligné avec justesse que, compte tenu des motifs du juge La Forest dans États‑Unis d’Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469:

[traduction] Plus [l’]activité est louable, plus il est difficile de justifier qu’elle soit restreinte. Par contre, une restriction imposée à une activité qui est préjudiciable à autrui et qui s’écarte beaucoup des valeurs consacrées dans la liberté d’expression est plus facilement justifiable.

90 Dans l’arrêt Nouveau‑Brunswick, précité, à la p. 513, il a été statué que les valeurs qui sont au cœur de la liberté d’expression comprennent la recherche de la vérité dans les affaires politiques et dans les entreprises scientifiques et artistiques, la protection de l’autonomie et de l’épanouissement personnels et la promotion de la participation du public au processus démocratique. Il a été décidé que plus une forme d’expression particulière s’éloigne de ces valeurs sous‑jacentes, moins elle bénéficiera de la protection de la Constitution. Il est dit, à la p. 513:

. . . le degré de protection constitutionnelle dont bénéficie une activité d’expression varie selon la nature de cette activité. Plus précisément, la protection accordée à la liberté d’expression dépend du lien entre l’expression et les valeurs fondamentales que notre Cour a identifiées comme étant les valeurs sous-jacentes au «cœur» de l’al. 2b). [. . .] Notre Cour a fait «un examen rigoureux» des mesures étatiques qui menacent ces valeurs «fondamentales». En revanche, lorsque l’activité d’expression en question s’écarte beaucoup de l’«esprit même» de l’al. 2b), les mesures étatiques restreignant cette expression sont moins difficiles à justifier.

91 C’était un des aspects qui ont été spécifiquement examinés par les juges majoritaires dans Keegstra, précité, qui ont conclu que le par. 319(2) du Code, qui traite de la propagande haineuse, était justifiable en vertu de l’article premier. Au sujet de la valeur à accorder à une communication destinée à fomenter la haine contre des groupes identifiables, le juge en chef Dickson affirme, à la p. 765:

Compte tenu [. . .] de l’énergie inégalée avec laquelle la propagande haineuse répudie et mine les valeurs démocratiques, et conteste notamment l’idée que le respect égal et la dignité égale pour tous les citoyens sont requis pour assurer une participation réelle au processus politique, je ne puis voir la protection de cette expression comme faisant partie intégrante de l’idéal démocratique qui forme un élément tellement fondamental de la raison d’être de l’al. 2b). Cette conclusion, ainsi que mes observations concernant la faiblesse du lien entre les communications relevant du par. 319(2) et les autres valeurs constituant l’essence de la garantie de la liberté d’expression, m’amènent à exprimer mon désaccord avec l’opinion du juge McLachlin selon laquelle l’expression en cause dans le présent pourvoi commande la plus grande protection constitutionnelle. À mon avis, la propagande haineuse ne devrait pas peser très lourd dans l’analyse fondée sur l’article premier.

92 Dans l’arrêt Hill, précité, la Cour a tiré une conclusion similaire au sujet des déclarations diffamatoires. À la page 1174, on affirme que:

. . . les déclarations diffamatoires ont un lien très ténu avec les valeurs profondes qui sous‑tendent l’al. 2b). Elles s’opposent à toute recherche de la vérité. Les déclarations fausses et injurieuses ne peuvent contribuer à l’épanouissement personnel, et on ne peut pas dire qu’elles encouragent la saine participation aux affaires de la collectivité. En fait, elles nuisent à l’épanouissement de ces valeurs et aux intérêts d’une société libre et démocratique.

93 Il n’y a aucun doute que le libelle diffamatoire s’écarte beaucoup des valeurs qui sont au cœur de la liberté d’expression et qu’il leur est même contraire. La magnifique panoplie de droits garantis par la Charte serait banalisée et dépréciée si l’on accordait une valeur significative à la propagation délibérée de mensonges diffamatoires susceptibles d’exposer une personne à la haine, au ridicule ou au mépris.

94 Il est donc clair que le libelle diffamatoire s’écarte tellement des valeurs centrales de la liberté d’expression qu’il ne mérite qu’une faible protection. Cette faible protection peut également se justifier par l’objectif louable des articles contestés. Ceux-ci sont conçus pour protéger la réputation des gens. Il s’agit de la qualité que la plupart des gens recherchent, valorisent et prisent le plus. Une bonne réputation dans la société a une valeur inestimable.

95 Ces deux facteurs, la protection faible ou minimale qui doit être accordée aux mensonges diffamatoires et l’objectif louable des articles contestés, ont pour effet conjoint de faciliter la justification de la violation de l’al. 2b) de la Charte. Comme le juge Twaddle le dit si bien dans les motifs qu’il a exposés dans l’affaire Stevens, à la p. 299:

[traduction] Non seulement est‑il plus facile de justifier une atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte lorsque cette atteinte touche seulement un exercice peu prisé de ce droit ou de cette liberté, mais encore il est aussi plus facile de le faire lorsque l’objectif de la loi contestée a lui‑même une grande valeur. Ainsi, une interdiction de publier le compte rendu de procédures judiciaires est‑il plus facile à justifier lorsque l’objectif poursuivi est de permettre à un accusé de subir un procès équitable que si l’interdiction n’était destinée qu’à être une forme de censure. Dans la présente affaire, la valeur de la réputation d’une personne est assurément très élevée. Shakespeare décrit ainsi cette valeur: «Qui vole ma bourse vole une bagatelle [. . .] Mais, qui me fait perdre mon nom [. . .] fait de moi, à coup sûr, un pauvre homme» (Othello, III (iii), 157‑61, Iago).

96 À mon avis, l’objectif louable des dispositions concernant le libelle diffamatoire et leurs effets bénéfiques sur la protection de la réputation l’emportent largement sur toute incidence négative sur la liberté d’expression.

97 À la condition de supprimer les mots «par la personne qu’il diffame ou» à l’al. 299c), je conclus que la validité des art. 298 à 300 peut être confirmée pour le motif qu’ils constituent une restriction justifiable de la liberté d’expression. Il faut ensuite se demander si M. et Mme Lucas ont été déclarés coupables à juste titre.

Y a‑t‑il une preuve suffisante que les appelants avaient une connaissance subjective de la fausseté des déclarations diffamatoires qu’ils ont affichées, pour que leurs déclarations de culpabilité soient confirmées malgré l’application erronée d’un critère objectif par le juge du procès?

98 Les affiches de M. et Mme Lucas relèvent des passages constitutionnellement valides des art. 298 et 299: c’est‑à‑dire qu’elles ont été montrées en public et qu’elles étaient objectivement de nature à nuire à la réputation d’une personne.

99 L’intimée a admis que le juge du procès a commis une erreur en concluant que l’on avait satisfait à l’exigence de mens rea relative à l’art. 300 en établissant que les appelants auraient dû savoir que les déclarations qu’ils publiaient étaient fausses. Pour justifier une déclaration de culpabilité fondée sur l’art. 300 du Code, le ministère public doit prouver que l’accusé a publié un libelle diffamatoire «qu’il sait être faux». Dans R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55, il a été statué que la connaissance requise par une telle expression est subjective. Il s’ensuit que le juge du procès aurait dû déterminer si les accusés savaient que les déclarations publiées étaient fausses.

100 Il faut donc maintenant se demander si, malgré l’erreur du juge du procès, les déclarations de culpabilité prononcées contre M. et Mme Lucas doivent être maintenues. Les appelants ont fait valoir qu’ils devraient être acquittés parce que le ministère public n’a pas prouvé qu’ils avaient une connaissance subjective de la fausseté du contenu des affiches. Bien qu’elle n’ait pas procédé à un examen en profondeur de la preuve, la Cour d’appel a conclu que le ministère public avait réussi à faire la preuve hors de tout doute raisonnable de tous les éléments essentiels de l’infraction.

101 Les appelants affirment que le message qu’ils transmettaient n’était pas ce qu’une interprétation objective des affiches pourrait raisonnablement permettre de comprendre. Ils prétendent qu’ils avaient le sentiment que le policier était, à cause de son inaction, responsable des agressions commises contre les enfants et que c’était cela que les affiches indiquaient. Selon la preuve présentée au procès, M. et Mme Lucas croyaient tous les deux que le message qu’ils essayaient de transmettre était vrai.

102 Cependant, la compréhension subjective que les appelants avaient des déclarations inscrites sur les affiches ne devrait pas être déterminante. Si ce point de vue était adopté, un accusé pourrait toujours alléguer que ce qu’il croyait être le «vrai» sens était entièrement différent du sens que prêterait objectivement tout lecteur raisonnable. La question devrait plutôt être de savoir si les appelants savaient que le message, tel qu’il serait interprété par une personne raisonnable, était faux.

103 Pour déterminer si les appelants avaient la mens rea requise pour être déclarés coupables de libelle diffamatoire, il faut examiner la preuve. Monsieur et Madame Lucas ont subi leur procès ensemble. Monsieur Lucas s’est représenté lui‑même. Il a témoigné et a été contre‑interrogé par l’avocat de Mme Lucas et par le substitut du procureur général.

104 La question de la mens rea comporte deux aspects. Premièrement, les appelants avaient‑ils l’intention de diffamer le policier? Deuxièmement, savaient‑ils que les déclarations qu’ils publiaient étaient fausses? En ce qui a trait à la première question, il ne peut y avoir d’indication plus claire de leur intention de diffamer le policier que le témoignage de M. Lucas suivant lequel l’objectif qu’ils poursuivaient en publiant les déclarations était [traduction] «de le faire jeter en prison», «de lui faire perdre sa pension, son emploi» et «de le faire traduire en justice». Il est clair alors que leur intention était de nuire à la réputation du policier, et qu’elle relevait donc de la définition du libelle diffamatoire donnée à l’art. 298. Cette conclusion est renforcée à la fois par les propos incendiaires et provocants inscrits sur les affiches, et par le fait que les affiches ont été brandies là où l’on estimait qu’elles auraient l’effet le plus embarrassant et le plus nuisible pour le policier.

105 Les affiches accusaient le policier d’avoir réellement agressé physiquement une enfant, en déclarant: «Le [policier] a‑t‑il contribué ou participé au viol et à la sodomie dont a été victime une enfant de 8 ans?» De plus, l’une des affiches confectionnées par M. Lucas, mais que son épouse a demandé de porter, laissait entendre que le policier avait un «problème d’attouchement», un euphémisme évident pour traduire une tendance à attenter à la pudeur. On y lisait: «Si tu reconnais cela, [le policier], tu pourras alors peut‑être obtenir de l’aide pour ton problème d’attouchement.»

106 La preuve déposée au procès établit hors de tout doute raisonnable qu’ils savaient tous les deux que les propos inscrits sur les affiches que M. Lucas avait confectionnées étaient objectivement faux. Monsieur Lucas a témoigné que son épouse avait eu accès aux documents pertinents, et que lui et son épouse les avaient lus ensemble et en avaient discuté. Il a en outre affirmé que lui et son épouse étaient préoccupés par la tendance que le policier avait à qualifier de «problème d’attouchement» les activités sexuelles des enfants. Il appert aussi que les appelants savaient que le policier n’avait pas de «problème d’attouchement». À la lumière de cela, la preuve montre clairement et amplement que, d’après une norme subjective, les appelants savaient que la matière publiée sur l’affiche confectionnée par M. Lucas et portée par Mme Lucas était fausse. Pourtant, Mme Lucas a insisté pour porter cette affiche. Il n’y avait simplement aucune preuve, dans les documents que les appelants ont lus, que le policier avait tendance à attenter à la pudeur, ou autrement dit, un «problème d’attouchement».

107 En outre, il est raisonnable de déduire que, puisqu’elle avait lu les documents pertinents, Mme Lucas savait, aussi bien que son mari, que le policier n’avait pas contribué physiquement au viol et à la sodomie dont avait été victime une enfant de huit ans. La preuve amène inévitablement à conclure que l’existence des éléments moraux nécessaires de l’infraction a été établie hors de tout doute raisonnable quant aux deux appelants.

108 Les appelants savaient que le policier n’avait pas commis les actes méprisables sous-entendus par les affiches. Monsieur Lucas a admis qu’il n’y avait, dans les documents des T., aucune accusation d’agression sexuelle commise par le policier et qu’ils savaient que le policier n’avait commis aucune agression sexuelle. En outre, les appelants savaient que le policier n’avait pas de «problème d’attouchement» comme tel. Les appelants croyaient plutôt que le policier avait utilisé incorrectement le mot «attouchement». La preuve montre amplement que les appelants avaient la connaissance de la fausseté qui est requise pour confirmer leur déclaration de culpabilité fondée sur l’art. 300.

Conclusion

109 Les articles 298 à 300 du Code portent atteinte au droit à la liberté d’expression garanti par l’al. 2b) de la Charte. Cependant, sous réserve de l’interprétation que j’ai donnée au mot «insult» à l’art. 298 et de la suppression de la partie déjà indiquée de l’art. 299, il y a lieu de confirmer la validité de ces articles pour le motif qu’ils constituent une restriction dont la justification est démontrée au sens de l’article premier de la Charte.

Dispositif

110 En définitive, je suis d’avis de rejeter les pourvois de John David Lucas et de Johanna Erna Lucas.

//Le juge L’Heureux-Dubé//

Version française des motifs rendus par

111 Le juge L’Heureux-Dubé -- Bien que je sois d’accord avec l’analyse à laquelle le juge McLachlin procède en vertu de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, je souscris par ailleurs à l’analyse et aux conclusions de mon collègue le juge Cory.

//Le juge McLachlin//

Version française des motifs rendus par

112 Le juge McLachlin (dissidente en partie) -- Je suis d’accord avec le juge Cory pour dire que le libelle diffamatoire est protégé en vertu de l’al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, que déclarer des gens coupables de cette infraction est susceptible de violer leurs droits. Je partage également son avis que la restriction que la définition de l’infraction impose à des droits ne viole pas la Charte en fin de compte, parce qu’elle constitue une mesure raisonnable dont la justification est démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique: article premier de la Charte. Toutefois, j’aborderais l’analyse fondée sur l’article premier d’une façon différente de celle du juge Cory. J’arrive aussi à un résultat différent au sujet du pourvoi de Johanna Lucas. D’où les brefs motifs suivants.

113 Pour déterminer si une restriction imposée à un droit garanti par la Charte est justifiée au sens de l’article premier, nous devons suivre les étapes énoncées par notre Cour dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. La première question est de savoir si la restriction imposée au droit est justifiée par un objectif urgent et réel. Dans l’affirmative, une deuxième question se pose: la restriction est‑elle proportionnée à l’objectif? Cette deuxième étape nécessite une analyse coûts‑avantages, qui comporte trois sous‑questions: (1) La restriction imposée au droit a‑t‑elle un lien rationnel avec l’objectif, c.‑à‑d. en favorisera‑t‑elle vraiment la réalisation? (2) La restriction imposée au droit porte‑t‑elle atteinte le moins possible à ce droit, c’est‑à‑dire est-elle suffisamment modérée sans être trop générale? Et (3) les effets négatifs de la restriction imposée au droit sont‑ils proportionnés aux effets positifs de la réalisation de l’objectif visé par la restriction, ou sont-ils supplantés par ceux-ci?

114 Je suis en désaccord avec le juge Cory sur la place de la valeur de l’expression en cause dans l’analyse proposée dans l’arrêt Oakes. Le juge Cory aborde la question de la faible valeur du libelle diffamatoire au tout début de l’analyse fondée sur l’article premier, affirmant, au par. 34: «Tout simplement, la protection dont pourra bénéficier l’expression variera selon sa nature.» La faible valeur du libelle diffamatoire est ensuite utilisée pour guider, à divers stades, l’analyse fondée sur l’article premier. Par exemple, en examinant la question de l’atteinte minimale, le juge Cory affirme, au par. 57: «À ce stade, il est particulièrement important de garder à l’esprit la valeur négligeable de l’expression diffamatoire.» À l’étape finale de l’analyse proposée dans l’arrêt Oakes, le juge Cory conclut qu’en raison de sa faible valeur l’expression diffamatoire ne mérite qu’une faible protection. Il n’entreprend pas de soupeser systématiquement les effets bénéfiques et les effets préjudiciables de la mesure législative. Il faut présumer que sa faible valeur est déterminante.

115 Dans l’analyse fondée sur l’article premier, il peut être utile, au départ, d’examiner la relation de l’expression en cause avec les valeurs centrales de l’al. 2b), afin d’identifier le contexte de l’analyse qui suit. Il faut toutefois prendre soin d’éviter que l’examen du contexte supplante l’analyse elle-même. Si on permet que la faible valeur apparente de l’expression abaisse le seuil de justification dès le début de l’analyse fondée sur l’article premier, on court le risque que la rigueur intellectuelle du critère de l’arrêt Oakes soit minée par la conclusion subjective d’un juge que l’expression en cause a peu de valeur. L’analyse fondée sur l’article premier risque alors de porter uniquement sur ce que pense un juge donné de l’expression, court‑circuitant ainsi l’analyse coûts‑avantages proposée dans l’arrêt Oakes. Au lieu d’insister pour que la restriction imposée au droit soit justifiée par une préoccupation urgente, qu’elle ait un lien rationnel avec l’objectif visé et qu’elle soit suffisamment modérée, le juge peut au contraire estimer que la faible valeur de l’expression permet de remédier à toute lacune à ces égards et de justifier la restriction en cause. La conclusion initiale que l’expression n’a qu’une faible valeur est donc susceptible de dicter indirectement la conclusion à tirer lors des étapes subséquentes de l’analyse.

116 À mon avis, la justice est mieux servie si le ministère public doit démontrer l’existence d’un objectif urgent et réel, d’un lien rationnel et d’une atteinte minimale, indépendamment de la perception selon laquelle le contenu de l’activité expressive est offensant ou sans valeur, comme l’affirme le professeur Jamie Cameron, dans «The Past, Present, and Future of Expressive Freedom Under the Charter» (1997), 35 Osgoode Hall L.J. 1. À l’étape de l’objectif urgent et réel, il s’agit de savoir si la restriction imposée au droit a pour but ou objectif d’éliminer un préjudice ou risque de préjudice réel et important. Pour déterminer si l’objectif est urgent et réel, il peut être utile d’examiner la nature de l’expression en cause afin d’identifier le mal visé par la restriction. Hormis cela, la valeur de l’expression ne saurait être d’aucune utilité. À l’étape du lien rationnel, l’accent est mis sur la question de savoir s’il existe un lien fondé sur la raison ou la logique entre l’objectif et la restriction imposée au droit. Ici, la valeur de l’expression considérée n’est d’aucune utilité. L’examen relatif à l’atteinte minimale est axé sur la question de savoir si le législateur a restreint le droit garanti par la Charte aussi peu qu’il est raisonnablement possible de le faire pour réaliser l’objectif souhaité. Là encore, l’analyse porte sur la mesure législative en cause, c’est‑à‑dire sur sa portée ou son étendue, et non pas sur la valeur de l’expression restreinte.

117 Le contenu de l’expression et sa valeur n’entrent en ligne de compte qu’à l’étape finale de l’examen de la proportionnalité. C’est à ce stade que trouve sa place le point soulevé par le juge Wilson dans Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, à la p. 1355, à savoir qu’«une liberté ou un droit particuliers peuvent avoir une valeur différente selon le contexte». Notre Cour a confirmé, à l’unanimité, que c’est à la troisième et dernière étape de l’examen de la proportionnalité que le contexte de l’expression doit être pris en considération: Société Radio-Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480, à la p. 513.

118 La troisième étape de l’examen de la proportionnalité comporte la pondération des valeurs envisagées par la méthode contextuelle. À ce stade, le juge doit tenir compte à la fois des avantages et des inconvénients que comporte la restriction de l’expression en cause. Le ministère public a déjà dû démontrer la nature urgente et réelle de l’objectif législatif, l’existence d’un lien rationnel entre cet objectif et la restriction imposée au droit, ainsi que l’existence de l’atteinte minimale ou du caractère suffisamment modéré, indépendamment de toute perception subjective de la valeur de l’expression en cause. À cette dernière étape, il faut déterminer si les avantages de la restriction l’emportent sur ses effets préjudiciables.

119 Grâce à cette méthode, l’application de l’analyse fondée sur l’article premier demeure à la fois souple et contextuelle et tient compte des contextes divergents de la mesure législative et de l’expression, tout en garantissant une protection adéquate à toutes les formes d’expression. Les restrictions législatives imposées à l’expression qui s’écarte beaucoup des valeurs centrales de l’al. 2b) sont plus faciles à justifier non pas parce que la norme de justification est moins élevée, mais plutôt parce que les effets bénéfiques de la restriction l’emportent plus aisément sur les effets négatifs qui peuvent en découler.

Application à la présente affaire

120 La présente affaire démontre bien pourquoi il n’est pas nécessaire d’abaisser la norme de justification lorsqu’une expression s’écarte beaucoup des valeurs centrales de l’al. 2b). Les dispositions contestées ont pour objectif de protéger la réputation des gens contre toute attaque délibérée d’une personne qui fait des déclarations qu’elle sait être fausses. Cet objectif satisfait au premier volet de l’analyse fondée sur l’article premier non seulement parce que, comme le souligne le juge Cory, la bonne réputation a une plus grande valeur que la richesse, mais aussi parce que les attaques diffamatoires présentent un risque réel de préjudice dans notre société. Comme le juge Cory le fait remarquer au par. 73 de ses motifs: «[l]e libelle diffamatoire peut causer à la victime des préjudices durables ou permanents. La victime peut à jamais être avilie et diminuée aux yeux de sa collectivité.» La protection des gens contre un tel préjudice est un objectif urgent et réel dans le cadre d’une société libre et démocratique. Il est également indubitable que la restriction imposée à l’expression par les art. 298, 299 et 300 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, a un lien rationnel avec cet objectif urgent et réel. Il est logique et raisonnable de s’attendre à ce que le fait d’interdire aux gens de publier des déclarations diffamatoires qu’ils savent être fausses contribue à réduire la fréquence de telles déclarations. La restriction imposée à l’expression satisfait aussi au critère de l’atteinte minimale; je souscris à l’analyse du juge Cory, sauf que je ne partage pas son avis que la faible valeur de l’expression en cause est pertinente à cette étape de l’analyse.

121 Cela m’amène à la troisième étape de l’examen de la proportionnalité et à l’étude de la question de savoir si les avantages découlant de l’atteinte l’emportent sur ses effets négatifs. À cette étape, nous devons soupeser les avantages de la restriction du droit des gens de publier intentionnellement des déclarations diffamatoires qu’ils savent être fausses, en fonction des effets négatifs qui peuvent en découler. Le juge Cory a décrit avec justesse les avantages de la restriction du droit en cause: la protection de la réputation et la prévention d’une forme de préjudice grave. Les effets négatifs qui peuvent découler de la restriction imposée au droit se limitent à la possibilité que l’expression diffamatoire puisse attirer l’attention du public sur des questions d’intérêt public. Les articles 298, 299 et 300 du Code criminel peuvent donc interdire une forme d’expression qui a une certaine valeur, si faible soit-elle. Cette valeur potentielle est toutefois diminuée par le fait qu’il est possible d’attirer l’attention du public sur certaines questions sans qu’il soit nécessaire de nuire intentionnellement à la réputation d’autrui en publiant des déclarations dont on sait qu’elles sont mensongères. Le processus de pondération envisagé par le dernier volet du critère de l’arrêt Oakes mène donc inexorablement à la conclusion que les avantages tirés de la restriction l’emportent de beaucoup sur tout inconvénient qui peut en découler. Cette conclusion repose non pas sur la faible valeur de l’expression (quoique cela compte dans l’analyse), mais sur le fait que les avantages de la restriction du droit excèdent tout avantage susceptible de découler du fait de ne pas le restreindre.

122 Malgré les divergences de nos analyses, je suis d’accord avec le juge Cory pour dire que la violation de l’al. 2b), en l’espèce, est justifiée au sens de l’article 1 premier et que les art. 298, 299 et 300 du Code criminel sont constitutionnellement valides. À l’instar du juge Cory, je suis d’avis de rejeter le pourvoi de John David Lucas. Toutefois, je partage les craintes exprimées par le juge Major au sujet de la déclaration de culpabilité de Johanna Lucas. En conséquence, pour les raisons exposées par le juge Major, j’accueillerais le pourvoi de Johanna Erna Lucas.

//Le juge Major//

Version française des motifs rendus par

123 Le juge Major (dissident en partie) — J’ai pris connaissance des motifs du juge Cory et je suis d’accord avec lui sauf en ce concerne la façon dont il tranche le pourvoi de l’appelante Johanna Lucas.

124 Il est établi depuis longtemps qu’une cour d’appel doit agir avec prudence lorsqu’elle confirme une déclaration de culpabilité dans une situation où, comme en l’espèce, le juge du procès a commis une erreur en appliquant un critère de mens rea objectif alors que le Code criminel exige l’application d’un critère subjectif. En pareil cas, la cour qui procède à l’examen devrait évaluer soigneusement la preuve et les conclusions du juge du procès pour déterminer si le ministère public a prouvé hors de tout doute raisonnable l’existence de la connaissance subjective requise.

125 La Cour d’appel a conclu que le ministère public avait fait la preuve hors de tout doute raisonnable de tous les éléments essentiels de l’infraction relativement aux deux appelants, y compris le fait qu’ils avaient voulu publier, dans l’intention de diffamer, le libelle diffamatoire qu’ils savaient être faux. La Cour d’appel n’a pas indiqué sur quelle preuve elle s’appuyait pour conclure que les appelants avaient une connaissance subjective de la fausseté des déclarations publiées.

126 Il n’y avait aucune preuve directe que Mme Lucas avait une connaissance subjective de la fausseté du message inscrit sur l’affiche qu’elle portait. Elle n’a ni témoigné ni assigné des témoins pour sa défense. Au procès, le ministère public n’a produit aucune preuve quant à la connaissance qu’avait Mme Lucas. Deux témoins à charge ont dit ignorer si Mme Lucas savait que les messages étaient faux.

127 Même si le substitut du procureur général avait le droit de faire valoir une thèse fondée sur une preuve circonstancielle, la preuve circonstancielle en l’espèce n’établit pas que Mme Lucas savait que les messages inscrits sur l’affiche étaient faux. Dans les circonstances, le simple fait qu’elle portait une affiche sur laquelle figurait un faux message n’est pas suffisant pour établir hors de tout doute raisonnable l’existence d’une mens rea subjective.

128 Monsieur Lucas a témoigné que Mme Lucas avait accès aux documents pertinents et qu’ils les avaient lus et analysés ensemble. Si le juge du procès avait conclu que la connaissance qu’avait Mme Lucas était, en réalité, fondée uniquement sur les rapports obtenus par son mari, il aurait peut-être été possible de déduire qu’elle avait une connaissance subjective de la fausseté des messages. Cependant, le juge du procès n’a tiré aucune conclusion de fait en ce sens ni aucune conclusion sur la crédibilité de M. Lucas ou sur la mesure dans laquelle son témoignage était accepté.

129 Dans ses motifs concernant la sentence ((1995), 132 Sask. R. 71), le juge du procès a dit que [traduction] «John David Lucas était le meneur et Johanna Erna Lucas ne faisait que le suivre» (p. 74). Cette conclusion soulève la possibilité que la connaissance qu’avait Mme Lucas ait découlé, du moins en partie, de ce que lui avait dit M. Lucas, et elle peut donc avoir cru que le message était vrai même si, en réalité, il ne l’était pas.

130 Étant donné que le juge du procès n’a tiré aucune conclusion de fait relativement à la connaissance subjective, notre Cour ne dispose d’aucune preuve suffisante pour établir hors de tout doute raisonnable que Mme Lucas savait que les messages inscrits sur l’affiche qu’elle portait étaient faux. Sa déclaration de culpabilité doit donc être annulée.

131 Normalement, un nouveau procès serait ordonné. Cependant, vu que le ministère public a déclaré que, dans les circonstances, il n’entamerait pas un nouveau procès, j’ordonnerais l’acquittement de Mme Lucas.

Pourvois rejetés, les juges McLachlin et Major sont dissidents quant au pourvoi de Johanna Lucas.

Procureurs des appelants: Ruby & Edwardh, Toronto.

Procureur de l’intimée: Graeme G. Mitchell, Regina.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada: Robert Frater, Toronto.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario: M. David Lepofsky, Toronto.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Manitoba: Shawn Greenberg, Winnipeg.

Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles: Tory Tory DesLauriers & Binnington, Toronto.

* Le juge Sopinka n’a pas pris part au jugement.


Synthèse
Référence neutre : [1998] 1 R.C.S. 439 ?
Date de la décision : 02/04/1998
Sens de l'arrêt : Les pourvois sont rejetés

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Liberté d’expression - Accusés déclarés coupables de libelle diffamatoire - Les dispositions du Code criminel relatives au libelle diffamatoire portent‑elles atteinte au droit à la liberté d’expression? - Dans l’affirmative, cette atteinte est‑elle justifiable? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2b) - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 298, 299, 300.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Justice fondamentale - Imprécision - Accusés déclarés coupables de libelle diffamatoire - Les dispositions du Code criminel relatives au libelle diffamatoire sont‑elles imprécises au point de violer les principes de justice fondamentale? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 7 - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 298, 299, 300.

Droit criminel - Libelle diffamatoire - Mens rea - Infraction de libelle diffamatoire requérant la connaissance de la fausseté et l’intention de diffamer - Juge du procès commettant une erreur en concluant que l’on a satisfait à l’exigence de mens rea par la preuve que les accusés auraient dû savoir que les déclarations étaient fausses - Y a‑t‑il une preuve suffisante que les accusés avaient une connaissance subjective de la fausseté des déclarations diffamatoires pour que leurs déclarations de culpabilité soient confirmées?.

Un policier a enquêté sur des allégations d’agression sexuelle émanant de trois enfants. À la suite de l’enquête, des accusations criminelles ont été portées contre plusieurs personnes, mais bon nombre de ces accusations ont subséquemment été retirées ou ont fait l’objet d’un arrêt de procédures. Au cours de son enquête, le policier avait été informé que l’un des enfants avait agressé sexuellement ses sœurs à maintes reprises et que les gens qui dirigeaient le foyer d’accueil offrant des soins spéciaux, où les enfants avaient été placés, étaient incapables de l’arrêter. Cependant, parce qu’il se fiait à l’opinion de la thérapeute des enfants, le policier les a laissés ensemble dans le même foyer. L’appelant M. L était membre actif d’un groupe de défense des droits des détenus. Quatre des personnes visées par un arrêt des procédures lui ont fourni toute l’information et toute la documentation qu’elles possédaient au sujet des accusations. Sur la foi de ces documents, les appelants ont apparemment compris que l’un des enfants avait violé, sodomisé et torturé l’une de ses sœurs et qu’il s’était livré, à maintes reprises, à des activités sexuelles avec son autre sœur. Ils ont conclu que le policier savait ce qui se passait et qu’il avait le devoir d’intervenir. En conséquence, les appelants et un petit groupe d’autres personnes ont piqueté à l’extérieur de la cour provinciale et du quartier général de la police, où travaillait le policier. Madame L portait une affiche préparée par son mari, sur laquelle on pouvait lire d’un côté: «Le [policier] a‑t‑il seulement permis qu’une enfant de 8 ans soit victime de viol ou de sodomie ou y a‑t‑il contribué?»; et de l’autre côté: «Si tu reconnais cela, [le policier], tu pourras alors peut‑être obtenir de l’aide pour ton problème d’attouchement.» Elle a été arrêtée et accusée de libelle diffamatoire en vertu des art. 300 et 301 du Code criminel. Le lendemain, M. L piquetait encore devant la cour provinciale et le quartier général de la police. Cette fois, il portait une affiche sur laquelle était inscrite une déclaration similaire. Il a subséquemment été arrêté et accusé en vertu des art. 300 et 301. Au procès, les appelants ont fait valoir qu’il y avait eu violation de leur liberté d’expression garantie par l’al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Le juge du procès leur a donné raison, mais a conclu que l’art. 300 était sauvegardé par l’article premier de la Charte. Il a déclaré les deux appelants coupables de libelle diffamatoire au sens de l’art. 300 et a statué qu’ils auraient dû savoir que les déclarations inscrites sur leurs affiches étaient fausses. La Cour d’appel a confirmé les déclarations de culpabilité.

Arrêt (les juges McLachlin et Major sont dissidents quant au pourvoi de Mme L): Les pourvois sont rejetés.

Le juge en chef Lamer et les juges Gonthier, Cory, Iacobucci et Bastarache: Les dispositions en matière de libelle diffamatoire des art. 298, 299 et 300 du Code ne sont pas imprécises au point de violer l’art. 7 de la Charte. Le texte de ces articles précise très clairement quel genre de conduite est assujetti à des restrictions légales. L’article 298 énonce les types de matière publiée qui sont ciblés, alors que l’art. 299 limite la responsabilité à certains modes de publication. De même, les art. 298 à 300 donnent suffisamment d’indication quant à la manière dont les décisions de la poursuite doivent être prises. Les articles contestés ne sont pas non plus trop imprécis pour constituer une restriction prescrite par une règle de droit au sens de l’article premier de la Charte.

Même si, comme le ministère public l’a reconnu à juste titre, les art. 298, 299 et 300 du Code contreviennent à la garantie de liberté d’expression contenue à l’al. 2b) de la Charte, étant donné que l’objet même de ces articles est d’interdire une forme particulière d’expression, leur validité peut, sous réserve de la suppression d’une partie de l’al. 299c), être confirmée pour le motif qu’ils constituent une restriction justifiable au sens de l’article premier de la Charte.

L’objectif des dispositions contestées, soit la protection de la réputation des personnes, est un objectif urgent et réel dans notre société. La protection de la réputation d’une personne contre les attaques mensongères délibérées reconnaît à la fois la dignité innée de la personne et le rapport intégral qui existe entre la réputation d’une personne et sa participation utile à la société canadienne. De même, les mesures adoptées ont un lien rationnel avec l’objectif en question.

En ce qui concerne la question de l’atteinte minimale, il est particulièrement important, à ce stade, de garder à l’esprit la valeur négligeable de l’expression diffamatoire, ce qui réduit sensiblement l’obligation du ministère public de démontrer que la disposition en cause ne porte qu’une atteinte minimale. Bien qu’à première vue l’art. 300 n’exige qu’une seule forme de mens rea, soit la connaissance de la fausseté, et qu’il n’y ait aucune exigence expresse que l’accusé ait l’intention de diffamer, l’historique de l’application de la mens rea dans le contexte du libelle diffamatoire et l’application des principes traditionnels d’interprétation des lois amènent inévitablement à conclure qu’une telle intention est requise et que l’art. 300 devrait être interprété en conséquence. Le ministère public ne peut donc établir l’existence d’une infraction de libelle diffamatoire que s’il prouve hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait l’intention de diffamer la victime. Cette condition impose au ministère public une charge de preuve suffisamment lourde pour faire de l’aspect mens rea de l’infraction une atteinte minimale. Les dispositions du Code relatives au libelle diffamatoire ne sont pas trop générales en raison du recours civil qui protège aussi la réputation des personnes contre le libelle. Le préjudice visé par l’art. 300 est si grave que l’imposition de sanctions criminelles n’est pas excessive, mais constitue plutôt une réponse appropriée. Cependant, l’al. 299c) du Code prévoit qu’un libelle diffamatoire est publié lorsqu’il est montré ou délivré «dans l’intention qu’il soit lu ou vu par la personne qu’il diffame». Cette partie du régime de libelle diffamatoire est trop générale. Il est clair que l’élément fondamental du libelle est la publication destinée à une personne autre que la personne diffamée. L’alinéa 299c) contrevient tellement à ce principe qu’il ne saurait être justifié. Les mots «par la personne qu’il diffame ou» devraient donc être retranchés de l’al. 299c) de manière à pouvoir lire: «Une personne publie un libelle lorsque, selon le cas [. . .] elle le montre ou le délivre, ou le fait montrer ou délivrer, dans l’intention qu’il soit lu ou vu par toute autre personne». Il est évident que les mots «toute autre personne» ne s’appliqueront pas lorsque le libelle diffamatoire est montré uniquement à la personne diffamée.

Lorsque la liberté d’expression est en cause, il est logique de prendre en considération la nature de la violation pour déterminer si un équilibre approprié a été établi entre les effets préjudiciables des dispositions législatives contestées sur le droit violé et leurs objectifs bénéfiques. Plus une forme d’expression particulière s’éloigne des valeurs qui sous‑tendent la liberté d’expression, moins elle bénéficiera de la protection de la Constitution. Le libelle diffamatoire s’écarte tellement des valeurs centrales de la liberté d’expression qu’il ne mérite qu’une faible protection. L’objectif louable des dispositions concernant le libelle diffamatoire et leurs effets bénéfiques sur la protection de la réputation l’emportent largement sur toute incidence négative sur la liberté d’expression.

Les affiches des appelants relèvent des passages constitutionnellement valides des art. 298 et 299: c’est‑à‑dire qu’elles ont été montrées en public et qu’elles étaient objectivement de nature à nuire à la réputation d’une personne. Bien que le juge du procès ait commis une erreur en concluant que l’on avait satisfait à l’exigence de mens rea relative à l’art. 300 en établissant que les appelants auraient dû savoir que les déclarations qu’ils publiaient étaient fausses, la preuve montre amplement que ces derniers avaient la connaissance de la fausseté qui est requise pour confirmer leur déclaration de culpabilité fondée sur l’art. 300.

Le juge L’Heureux‑Dubé: Sous réserve d’un accord avec l’analyse à laquelle le juge McLachlin a procédé en vertu de l’article premier de la Charte, l’analyse et les conclusions du juge Cory sont acceptées.

Le juge Major (dissident en partie): Il y a accord avec les motifs du juge Cory, sauf en ce qui concerne la façon dont le pourvoi de Mme L est tranché. Il est établi depuis longtemps qu’une cour d’appel doit agir avec prudence lorsqu’elle confirme une déclaration de culpabilité dans une situation où, comme en l’espèce, le juge du procès a commis une erreur en appliquant un critère de mens rea objectif alors que le Code criminel exige l’application d’un critère subjectif. Il n’y avait aucune preuve directe que Mme L avait une connaissance subjective de la fausseté du message inscrit sur l’affiche qu’elle portait. Si le juge du procès avait conclu que la connaissance qu’avait Mme L était, en réalité, fondée uniquement sur les rapports obtenus par son mari, il aurait peut‑être été possible de déduire qu’elle avait une connaissance subjective de la fausseté des messages. Cependant, le juge du procès n’a tiré aucune conclusion de fait en ce sens. Il est possible que la connaissance qu’avait Mme L ait découlé, du moins en partie, de ce que lui avait dit M. L, et elle peut donc avoir cru que le message était vrai même si, en réalité, il ne l’était pas. Étant donné que le juge du procès n’a tiré aucune conclusion de fait relativement à la connaissance subjective, la Cour ne dispose d’aucune preuve suffisante pour établir hors de tout doute raisonnable que Mme L savait que les messages inscrits sur l’affiche qu’elle portait étaient faux. Sa déclaration de culpabilité doit donc être annulée et, vu que le ministère public a déclaré que, dans les circonstances, il n’entamerait pas un nouveau procès, l’acquittement doit être ordonné.

Le juge McLachlin (dissidente en partie): Il y a accord avec les motifs du juge Cory, sauf pour ce qui est de la place de la valeur de l’expression en cause dans l’analyse fondée sur l’article premier, et de la façon de trancher le pourvoi de Mme L, qui devrait être accueilli pour les raisons exposées par le juge Major. Le contenu de l’expression et sa valeur n’entrent en ligne de compte qu’à l’étape finale de l’examen de la proportionnalité. Si on permet que la faible valeur apparente de l’expression abaisse le seuil de justification dès le début, on court le risque que la rigueur intellectuelle du critère de l’arrêt Oakes soit minée par la conclusion subjective d’un juge que l’expression en cause a peu de valeur. La justice est mieux servie si le ministère public doit démontrer l’existence d’un objectif urgent et réel, d’un lien rationnel et d’une atteinte minimale, indépendamment de la perception selon laquelle le contenu de l’activité expressive est offensant ou sans valeur. À la troisième et dernière étape de l’examen de la proportionnalité, le juge doit tenir compte à la fois des avantages et des inconvénients que comporte la restriction de l’expression en cause. Les restrictions législatives imposées à l’expression qui s’écarte beaucoup des valeurs centrales de l’al. 2b) de la Charte sont plus faciles à justifier non pas parce que la norme de justification est moins élevée, mais plutôt parce que les effets bénéfiques de la restriction l’emportent plus aisément sur les effets négatifs qui peuvent en découler. En l’espèce, l’objectif des dispositions contestées, à savoir la protection de la réputation des gens contre toute attaque délibérée d’une personne qui fait des déclarations qu’elle sait être fausses, satisfait au premier volet de l’analyse fondée sur l’article premier. La restriction imposée à l’expression a aussi un lien rationnel avec cet objectif urgent et réel et satisfait au critère de l’atteinte minimale. Enfin, le processus de pondération envisagé par le dernier volet du critère de l’arrêt Oakes mène inexorablement à la conclusion que les avantages tirés de la restriction de l’expression l’emportent de beaucoup sur tout inconvénient qui peut en découler. Cette conclusion repose non pas sur la faible valeur de l’expression (quoique cela compte dans l’analyse), mais sur le fait que les avantages de la restriction du droit excèdent tout avantage susceptible de découler du fait de ne pas le restreindre.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Lucas

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Arrêts mentionnés: R. c. R. (D.), [1996] 2 R.C.S. 291
Gleaves c. Deakin, [1979] 2 All E.R. 497
Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927
R. c. Stevens (1995), 96 C.C.C. (3d) 238, conf. (1993), 82 C.C.C. (3d) 97
Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326
R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697
R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731
Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569
R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
Société Radio‑Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480
R. c. Holbrook (1878), 4 Q.B.D. 42
Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357
R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541
Skoke‑Graham c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 106
R. c. Kelly, [1992] 2 R.C.S. 170
RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199
R. c. Laba, [1994] 3 R.C.S. 965
R. c. Lord Abingdon (1794), 1 Esp. 226, 170 E.R. 337
R. c. Burdett (1820), 4 B. & Ald. 95, 106 E.R. 873
Sweet c. Parsley, [1970] A.C. 132
R. c. Sault Ste‑Marie (Ville), [1978] 2 R.C.S. 1299
R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636
R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265
Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440
Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679
États‑Unis d’Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469
Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130
R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55.
Citée par le juge McLachlin (dissidente en partie)
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326
Société Radio‑Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480.
Lois et règlements cités
Act to amend the Law respecting defamatory Words and Libel (R.‑U.), 6 & 7 Vict., ch. 96 [Lord Campbell’s Act].
Acte concernant le crime de libelle, S.C. 1874, ch. 38.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2b), 7.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 46, 71, 182b), 264 [abr. ch. 27 (1er suppl.), art. 37
aj. 1993, ch. 45, art. 2], 264.1, 298, 299, 300, 301, 323, 708.
Code criminel, S.C. 1892, ch. 29.
Convention américaine relative aux droits de l’homme, O.A.S.T.S. no 36, à la p. 1, art. 13.
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 213 R.T.N.U. 221, art. 10.
Déclaration universelle des droits de l’homme, A.G. Rés. 217 A (III), Doc. A/810 N.U., à la p. 71 (1948), art. 12.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, R.T. Can. 1976 no 47, art. 17.
Doctrine citée
Australian Capital Territory. Community Law Reform Committee. Defamation Report. Canberra: The Committee, 1995.
Cameron, Jamie. «The Past, Present, and Future of Expressive Freedom Under the Charter» (1997), 35 Osgoode Hall L.J. 1.
Carter‑Ruck on Libel and Slander, 5th ed. By Peter F. Carter-Ruck and Harvey N. A. Starte. London: Butterworths, 1997.
Gatley on Libel and Slander, 9th ed. By Patrick Milmo and W. V. H. Rogers. London: Sweet & Maxwell, 1998.
Ireland. Law Reform Commission. Consultation Paper on the Crime of Libel. Dublin: The Commission, 1991.
Nouveau Petit Robert. Paris: Le Robert, 1996, «outrage», «outrager».
Stephen, Sir James Fitzjames. A History of the Criminal Law of England, vol. 2. London: Macmillan, 1883.
Williams, Glanville. Criminal Law: The General Part, 2nd ed. London: Stevens & Sons, 1961.

Proposition de citation de la décision: R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439 (2 avril 1998)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1998-04-02;.1998..1.r.c.s..439 ?
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