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04/06/1998 | CANADA | N°[1998]_1_R.C.S._982

Canada | Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 (4 juin 1998)


Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982

Veluppillai Pushpanathan

(Pushpanathan Veluppillai) Appelant

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration Intimé

et

Le Conseil canadien pour les réfugiés Intervenant

Répertorié: Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)

No du greffe: 25173.

1997: 9 octobre; 1998: 4 juin.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Sopinka*, Gonthier, Cory, McLachlin, Major et Bastarache.

en app

el de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale, [1996] 2 C.F. 49, 191 N.R. 247, [1995] A.C.F. no...

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982

Veluppillai Pushpanathan

(Pushpanathan Veluppillai) Appelant

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration Intimé

et

Le Conseil canadien pour les réfugiés Intervenant

Répertorié: Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)

No du greffe: 25173.

1997: 9 octobre; 1998: 4 juin.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Sopinka*, Gonthier, Cory, McLachlin, Major et Bastarache.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale, [1996] 2 C.F. 49, 191 N.R. 247, [1995] A.C.F. no 1716 (QL), qui a confirmé une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale, [1993] A.C.F. no 870 (QL), qui avait rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelant en vue de faire annuler la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, [1993] D.S.S.R. no 12 (QL) (sub nom. D. (N.U.) (Re)), rejetant sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Pourvoi accueilli, les juges Cory et Major sont dissidents.

Lorne Waldman et Jaswinder Singh Gill, pour l’appelant.

Urszula Kaczmarczyk et Bonnie Boucher, pour l’intimé.

David Matas et Sharryn Aiken, pour l’intervenant.

Version française du jugement des juges L’Heureux-Dubé, Gonthier, McLachlin et Bastarache rendu par

//Le juge Bastarache//

1 Le juge Bastarache — Le présent pourvoi soulève deux questions importantes concernant l’admissibilité des réfugiés au Canada. Premièrement, quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié? Deuxièmement, quel sens faut‑il donner aux mots «coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies» appliqués aux personnes exclues du statut de réfugié? Cette exclusion prévue à la section Fc) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies, R.T. Can. 1969 no 6, est incorporée au droit canadien par le par. 2(1) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2. Son interprétation doit donc être faite par rapport au droit interne du Canada.

I. Contexte factuel

2 Les faits pertinents du présent pourvoi ne sont pas contestés. L’appelant, Veluppillai Pushpanathan, a quitté son pays natal, le Sri Lanka, en 1983 et a passé un certain temps en Inde et en France avant son arrivée au Canada, via l’Italie, le 21 mars 1985. Il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention, conformément à la Loi sur l’immigration (anciennement Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52), en faisant valoir qu’il avait déjà été détenu par les autorités sri lankaises en raison de ses activités politiques et qu’il risquait vraisemblablement d’être persécuté s’il était renvoyé dans son pays de citoyenneté. Cette revendication n’a cependant été l’objet d’aucune décision, car en mai 1987, l’appelant s’est vu reconnaître le statut de résident permanent en application d’un programme administratif et il avait le droit de rester au Canada pour cette raison.

3 En décembre 1987, l’appelant et sept autres individus ont été arrêtés pour complot en vue de faire le trafic d’un stupéfiant, infraction prévue par l’al. 423(1)d) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, et par le par. 4(1) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, ch. N‑1. L’appelant a plaidé coupable; quatre autres membres du groupe ont en outre été déclarés coupables. Lui même avait, au moins trois fois, vendu de l’héroïne brune à un agent de la GRC; au moment de son arrestation, le groupe dont M. Pushpanathan faisait partie avait en sa possession une quantité d’héroïne d’une valeur marchande d’une dizaine de millions de dollars. Monsieur Pushpanathan a été condamné à la prison pour huit ans, tandis que ses coïnculpés ont écopé de peines allant de quatre à dix ans d’emprisonnement.

4 Le 23 septembre 1991, l’appelant, qui bénéficiait d’une libération conditionnelle, a renouvelé sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention en vertu de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies (la «Convention»), mise en œuvre par la Loi sur l’immigration (la «Loi»). Je parle de renouvellement parce qu’il n’est pas certain que la revendication initiale de mars 1985 ait jamais été abandonnée. Le 22 juin 1992, une mesure d’expulsion conditionnelle a été prise à son endroit par Emploi et Immigration Canada en vertu de l’al. 27(1)d) et du par. 32.1(2) de la Loi, qui disposent qu’un résident permanent déclaré coupable d’une infraction prévue par une loi fédérale pour laquelle une peine d’emprisonnement de plus de six mois a été imposée peut être expulsé. Comme l’expulsion est subordonnée au rejet de la demande de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention, la revendication de M. Pushpanathan a été déférée à la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La Commission a décidé que l’appelant n’était pas un réfugié au sens de la Convention. Saisies d’une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance de la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont refusé d’infirmer cette décision. Monsieur Pushpanathan se pourvoit devant notre Cour.

II. Cadre législatif

5 Le paragraphe 2(1) de la Loi définit le terme «réfugié au sens de la Convention»:

Toute personne:

a) qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

. . .

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l’application de la Convention par les sections E ou F de l’article premier de celle‑ci dont le texte est reproduit à l’annexe de la présente loi.

6 Cet article de la Convention est ainsi conçu:

Article premier

Définition du terme «réfugié»

. . .

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:

a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

c) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

7 Les personnes visées par ces dispositions ne sauraient bénéficier d’aucune des protections de la Convention. Elles sont exclues d’emblée du statut de réfugié.

8 Pour comprendre l’importance des exclusions énoncées à l’article premier, il faut les placer dans le contexte d’autres dispositions de la Convention qui précisent les conditions restreintes auxquelles le bénéfice du statut peut être refusé aux réfugiés authentiques:

Article 33

Défense d’expulsion et de refoulement

1. Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté seraient menacées en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.

9 Les circonstances précises qui satisfont au par. 33(2) sont définies plus en détail dans la Loi:

53. (1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3) [qui traitent du pouvoir d’expulsion conféré au ministre], la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, [. . .] ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si elle appartient à l’une des catégories non admissibles visées:

a) à l’alinéa 19(1)c) ou au sous‑alinéa 19(1)c.1)(i) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada;

b) aux alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour la sécurité du Canada.

10 L’alinéa qui pourrait s’appliquer à la situation de l’appelant est l’al. 19(1)c):

exclusion et renvoi

Catégories non admissibles

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:

. . .

c) celles qui ont été déclarées coupables, au Canada, d’une infraction qui peut être punissable, aux termes d’une loi fédérale, d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans;

11 Parmi les autres motifs justifiant le refoulement d’un réfugié que prévoit l’art. 19, signalons: la déclaration de culpabilité à l’étranger pour une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans (19(1)c.1)(i)); la commission antérieure d’actes de terrorisme, d’espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques, ou l’existence de motifs de croire que de tels actes seront commis (19(1)e) et f)); l’existence de motifs de croire qu’une personne commettra des actes de violence au Canada (19(1)g)); la commission de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité (19(1)j)); les personnes qui constituent un danger pour la sécurité du Canada (19(1)k)); l’appartenance ou la participation à un gouvernement qui se livre au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou à des crimes de guerre ou contre l’humanité (19(1)l)).

12 S’il conclut à l’existence de l’un de ces motifs, alors, pour justifier le refoulement, le ministre doit en outre décider, en vertu des al. 53(1)a) ou b) selon le cas, que la personne constitue un danger pour le public au Canada ou qu’elle constitue un danger pour la sécurité du Canada.

13 Par contraste, les personnes visées par la section F de l’article premier de la Convention sont automatiquement exclues des protections de la Loi. Non seulement peuvent‑elles être refoulées dans le pays qu’elles ont fui sans que le ministre ait déterminé qu’elles constituaient un danger pour le public ou pour la sécurité du pays, mais encore leur revendication du statut de réfugié ne sera pas examinée au fond. Les conséquences pratiques d’une telle exclusion automatique, par rapport aux garanties prévues par l’art. 19, sont profondes.

14 Voilà le contexte dans lequel il faut étudier l’interprétation de l’exclusion énoncée à la section Fc) de l’article premier de la Convention.

III. Historique judiciaire

A. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié

15 La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a décidé que M. Pushpanathan n’était pas un réfugié en raison de l’exclusion prévue à la section Fc) de l’article premier: [1993] D.S.S.R. no 12 (QL) (sub nom. D. (N.U.) (Re)). Elle a également conclu qu’en faisant le trafic de stupéfiants, l’appelant avait commis un crime contre l’humanité, cas visé à la section Fa) de l’article premier. Les parties sont convenues que cette conclusion était erronée et n’ont débattu ce point dans aucun des appels.

16 Citant plusieurs conventions des Nations Unies, la Commission a estimé que ces documents expliquent «clairement que, depuis de nombreuses années, les Nations Unies ont consacré beaucoup de temps et d’énergie à l’élimination du trafic illicite des stupéfiants». La Commission a admis l’argument selon lequel la suppression de ce trafic était l’un des buts et principes des Nations Unies et que le trafic de l’héroïne était un acte contraire à ces buts et principes. Elle a en outre repoussé l’affirmation voulant que la section Fc) de l’article premier ne s’applique qu’aux représentants de l’État, ou seulement dans le cas des crimes perpétrés en dehors du pays d’accueil.

B. Demande de contrôle judiciaire devant la Section de première instance de la Cour fédérale

17 La Cour fédérale a été saisie d’une demande de contrôle judiciaire en conformité avec le par. 82.1(1) de la Loi. Elle a rejeté la demande: [1993] A.C.F. no 870 (QL). Le juge McKeown a estimé que la Commission avait «raisonnablement conclu» que l’appelant était exclu par la section Fc) de l’article premier de la Convention et que de «sérieuses raisons justifi[ai]ent» cette conclusion. Premièrement, il était raisonnablement permis de conclure que les mesures prises pour mettre un frein au trafic des drogues pouvaient être considérées comme faisant partie des buts et principes des Nations Unies, encore que dans certains cas, l’article puisse ne pas s’appliquer en raison de la nature de la violation. Deuxièmement, la cour a rejeté l’argument voulant que la section Fc) de l’article premier ne s’applique qu’aux représentants de l’État. Troisièmement, elle a conclu que cette section n’autorisait pas l’évaluation relative de la nature de l’infraction perpétrée et du risque de persécution auquel le requérant était exposé.

18 Malgré ces conclusions, la cour a certifié «que l’affaire soul[evait] une question grave de portée générale», accordant ainsi au requérant le droit de se pourvoir devant la Cour d’appel fédérale en application du par. 83(1) de la Loi. La Cour a énoncé la question comme suit: «La section du statut de réfugié [de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié] commet‑elle une erreur de droit en interprétant l’alinéa c) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de manière à exclure du statut de réfugié un individu coupable d’une grave infraction visée par la Loi sur les stupéfiants qui a été commise au Canada?»

C. Question certifiée en Cour d’appel fédérale

19 À l’unanimité, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la Section de première instance: [1996] 2 C.F. 49. Elle a décomposé la question en quatre éléments (à la p. 57):

1) La section Fc) de l’article premier de la Convention s’applique‑t‑elle aux actes que commet un revendicateur du statut de réfugié au sein du pays d’accueil après son arrivée dans ce dernier?

2) La section Fc) de l’article premier peut‑elle s’appliquer à une personne déjà reconnue coupable de tels actes?

3) La section Fc) de l’article premier s’applique‑t‑elle à une personne à l’égard d’actes non commis pour le compte d’un État ou d’un gouvernement?

4) L’acte consistant à comploter en vue de faire le trafic de stupéfiants est‑il contraire aux buts et aux principes des Nations Unies?

20 S’exprimant au nom de la cour, le juge Strayer s’est d’abord arrêté aux règles d’interprétation qu’il convient d’appliquer pour déterminer la portée de la section Fc) de l’article premier. Il a fait observer que le recours aux règles d’interprétation des traités à titre d’aides explicatives est admis lorsque, comme en l’espèce, une loi intègre un traité. Il a estimé que, de toute façon, vu que cette disposition a été adoptée textuellement dans la loi, les règles d’interprétation des traités s’appliquent certainement. S’appuyant sur cette norme, il a décidé que ces règles, «plus souples pourrait‑on soutenir», permettent de tenir compte d’autres facteurs, notamment les autres dispositions du traité, même celles qui ne sont pas mises en œuvre ni intégrées par la loi, et les travaux préparatoires. Cependant, le juge Strayer a fait observer qu’«aucune des règles d’interprétation des lois ou des traités n’autorise une cour à faire entièrement abstraction du libellé exprès qui est finalement adopté dans le traité ou la loi, en faveur de vagues déclarations d’intention tirées de sources extrinsèques qui ne font pas ressortir d’ambiguïté dans le texte du traité ou de la loi d’adoption» (pp. 59 et 60). Jugeant que les travaux préparatoires étaient difficiles à comprendre et ne reflétaient que l’intention d’une petite partie des signataires, le juge a refusé de se guider sur ces travaux, préférant se «concentrer davantage sur le texte définitif approuvé» (p. 60). De plus, il a présumé que, comme toute loi, chaque disposition d’un traité est conçue pour avoir un objet et un sens particuliers, à moins qu’il soit impossible d’en attribuer un. Enfin, le juge Strayer a affirmé, eu égard à la manière convenable d’interpréter les exclusions du statut de réfugié, qu’il n’y avait pas lieu de privilégier l’interprétation étroite simplement parce que le traité est un instrument de défense des droits de l’homme. Il convient plutôt de donner l’interprétation «la plus conforme à la justice et à la raison» aux exceptions prévues au «droit extraordinaire d’accueil» (p. 61).

21 Après avoir exposé ces principes, la cour a conclu que, premièrement, la section Fc) de l’article premier peut s’appliquer aux actes commis dans le pays d’accueil; deuxièmement, elle peut s’appliquer aux personnes déjà reconnues coupables des actes mentionnés; troisièmement, elle peut s’appliquer à une personne qui n’a pas agi pour le compte d’un État ou d’un gouvernement; quatrièmement, le fait de comploter en vue de faire le trafic de stupéfiants est un acte contraire aux buts et aux principes des Nations Unies. L’appelant n’était donc pas un réfugié, étant exclu du bénéfice de la Convention en vertu de la section Fc) de l’article premier.

IV. Questions en litige

22 Il faut trancher trois questions pour statuer sur le présent pourvoi. Premièrement, quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié? Deuxièmement, quel est le rôle des règles d’interprétation des traités dans l’interprétation de la section Fc) de l’article premier? Troisièmement, le trafic des drogues auquel s’est livré l’appelant entre‑t‑il dans les «agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies»?

V. Analyse

A. Norme de contrôle

23 Ni dans les jugements des instances inférieures, ni dans l’argumentation écrite soumise à notre Cour la question de la norme de contrôle appropriée à l’égard des décisions de la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié n’a été examinée. Le juge McKeown de la Section de première instance a bien estimé que la Commission avait «raisonnablement conclu» que l’appelant était exclu par la section Fc) de l’article premier de la Convention et que «de sérieuses raisons justifi[ai]ent» cette conclusion; il semble donc avoir appliqué la norme du caractère raisonnable. Toutefois, en certifiant la question à soumettre à la Cour d’appel, il a parlé d’«erreur de droit», donnant à penser que la norme à appliquer est celle de la décision correcte. La Cour d’appel s’est contentée de répondre à la question certifiée. Elle ne s’est pas penchée sur la norme de contrôle appliquée par les tribunaux inférieurs, ni sur l’opportunité de l’application de cette norme.

24 Pourtant, le par. 83(1) commande un tel examen. Il est ainsi conçu:

83. (1) Le jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale rendu sur une demande de contrôle judiciaire [. . .] ne peut être porté en appel devant la Cour d’appel fédérale que si la Section de première instance certifie dans son jugement que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle‑ci. [Je souligne.]

25 Sans la certification d’une «question grave de portée générale», l’appel ne serait pas justifié. L’objet de l’appel est bien le jugement lui‑même, et non simplement la question certifiée. L’un des éléments nécessaires pour trancher la demande de contrôle judiciaire est la norme de contrôle applicable au jugement du tribunal administratif qui fait l’objet du contrôle, et cette question est de toute évidence en cause dans le présent pourvoi. Quoique notre Cour soit peu disposée à statuer sur des questions qui n’ont pas été débattues à fond devant elle, le présent pourvoi ne saurait être tranché sans détermination préalable de la norme de contrôle applicable.

26 La détermination de la norme de contrôle que la cour de justice doit appliquer est centrée sur l’intention du législateur qui a créé le tribunal dont la décision est en cause. Plus précisément, la cour appelée à exercer le contrôle judiciaire doit se demander: «La question soulevée par la disposition est‑elle une question que le législateur voulait assujettir au pouvoir décisionnel exclusif de la Commission?» (Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers’ Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890, au par. 18, le juge Sopinka).

27 Depuis l’arrêt U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, notre Cour a décidé que l’interprétation des lois exige la prise en compte de plusieurs facteurs différents dont aucun n’est décisif mais qui fournissent chacun une indication s’inscrivant sur le continuum du degré de retenue judiciaire approprié pour la décision en cause. C’est ce qu’on a appelé l’analyse «pragmatique et fonctionnelle». Cette méthode plus nuancée pour déterminer l’intention du législateur se reflète aussi dans l’éventail des normes de contrôle possibles. Traditionnellement, la norme de la «décision correcte» et la norme du «caractère manifestement déraisonnable» étaient les deux seules méthodes à la disposition de la cour appelée à exercer le contrôle judiciaire. Mais dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, la norme de la «décision raisonnable simpliciter» a été appliquée, étant jugée la plus fidèle à l’intention du législateur quant à la compétence conférée au tribunal. En effet, la Cour a affirmé que l’éventail des normes existantes était un spectre dont l’une des extrémités exige «le moins de retenue» et l’autre en exige «le plus» (par. 30).

28 Bien que la terminologie et la méthode de la question «préalable», «accessoire» ou «de compétence» aient été remplacées par cette analyse pragmatique et fonctionnelle, l’accent est tout de même mis sur la disposition particulière invoquée et interprétée par le tribunal. Certaines dispositions d’une même loi peuvent exiger plus de retenue que d’autres, selon les facteurs qui seront exposés plus en détail plus loin. Voilà pourquoi il convient toujours, et il est utile, de parler des «questions de compétence» que le tribunal doit trancher correctement pour ne pas outrepasser sa compétence. Mais il faut bien comprendre qu’une question qui «touche la compétence» s’entend simplement d’une disposition à l’égard de laquelle la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte, en fonction du résultat de l’analyse pragmatique et fonctionnelle. Autrement dit, une «erreur de compétence» est simplement une erreur portant sur une question à l’égard de laquelle, selon le résultat de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, le tribunal doit arriver à une interprétation correcte et à l’égard de laquelle il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue.

(1) Facteurs à prendre en considération

29 Les facteurs à prendre en considération pour déterminer la norme de contrôle ont été étudiés à fond dans un certain nombre d’arrêts récents de notre Cour. On peut les répartir dans quatre catégories.

(i) Clauses privatives

30 L’absence de clause privative n’implique pas une norme élevée de contrôle, si d’autres facteurs commandent une norme peu exigeante. Toutefois, la présence d’une telle clause «intégrale» atteste persuasivement que la cour doit faire montre de retenue à l’égard de la décision du tribunal administratif, sauf si d’autres facteurs suggèrent fortement le contraire en ce qui a trait à la décision en cause. La clause privative intégrale est «celle qui déclare que les décisions du tribunal administratif sont définitives et péremptoires, qu’elles ne peuvent pas faire l’objet d’un appel et que toute forme de contrôle judiciaire est exclue dans leur cas» (Pasiechnyk, précité, au par. 17, le juge Sopinka). Sauf indication contraire de la clause privative, l’emploi des termes «final et sans appel» est suffisant, mais d’autres mots pourraient suffire, s’ils sont tout aussi explicites (Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, aux pp. 331 et 333). À l’autre extrémité du spectre se situe la clause d’une loi permettant les appels, facteur qui suggère une norme de contrôle plus stricte.

31 Certaines lois sont muettes ou équivoques quant à la norme de contrôle voulue par le législateur. La Cour a conclu dans Bradco que la disposition prévoyant la soumission, pour «règlement final», à l’arbitrage «se situe quelque part entre une clause privative intégrale et une clause prescrivant un examen complet par voie d’appel» (pp. 331 et 333). Le juge Sopinka a examiné ensuite d’autres facteurs pour décider qu’il y avait lieu de faire preuve de retenue à l’égard de la décision de l’arbitre. Essentiellement, une clause privative partielle ou équivoque est une clause qui s’inscrit dans le processus d’ensemble d’appréciation des facteurs selon lesquels est déterminée l’intention du législateur quant au degré de retenue judiciaire, et qui n’a pas l’effet d’exclusion de la clause privative intégrale.

(ii) Expertise

32 Pour reprendre les paroles du juge Iacobucci dans l’arrêt Southam, précité, au par. 50, il s’agit du «facteur le plus important qu’une cour doit examiner pour arrêter la norme de contrôle applicable». Ce facteur englobe plusieurs aspects. Si le tribunal est doté d’une certaine expertise quant à la réalisation des objectifs d’une loi, que ce soit en raison des connaissances spécialisées de ses membres, de sa procédure spéciale ou de moyens non judiciaires d’appliquer la loi, il y a lieu de faire preuve de plus de retenue. Dans Southam, la Cour a estimé qu’il fallait accorder beaucoup d’importance à la composition et à l’expertise du tribunal visé par la Loi sur la concurrence qui le rendent plus à même qu’une cour de justice de trancher des questions concernant la compétitivité, en général, et la définition du marché pertinent pour ce qui est du produit, en particulier.

33 Néanmoins, l’expertise doit être tenue pour une notion relative et non absolue. Comme l’a expliqué le juge Sopinka dans Bradco, précité, à la p. 335: «Par contre, lorsque, comparativement au tribunal d’examen, le tribunal administratif manque d’expertise relative en ce qui concerne la question dont il a été saisi, cela justifie de ne pas faire preuve de retenue» (je souligne). L’évaluation de l’expertise relative comporte trois dimensions: la cour doit qualifier l’expertise du tribunal en question; elle doit examiner sa propre expertise par rapport à celle du tribunal; et elle doit identifier la nature de la question précise dont était saisi le tribunal administratif par rapport à cette expertise. De nombreux arrêts ont conclu que le législateur a voulu accorder une vaste marge de manœuvre pour la prise de décision relativement à certaines questions tandis que d’autres sont régulièrement assujetties à la norme de la décision correcte. Ces arrêts sont analysés plus loin, dans la quatrième section intitulée «Nature du problème». Le critère de l’expertise et la nature du problème sont étroitement liés.

34 Toutefois, une fois établie l’expertise relative, la Cour est parfois disposée à faire preuve de beaucoup de retenue même dans des cas faisant jouer des questions très générales d’interprétation de la loi, si le texte en cause est la loi constitutive du tribunal. Dans Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, la définition donnée par la British Columbia Securities Commission à la notion très générale de «changement important» au sens de la Securities Act a été appréciée selon la norme du caractère déraisonnable. Le juge Iacobucci a dit que «[l]es tribunaux ont également formulé un principe de retenue judiciaire qui s’applique à l’égard non seulement des faits constatés par le tribunal, mais aussi des questions de droit dont le tribunal est saisi en raison de son rôle et de son expertise» (p. 590). Cela peut inclure l’interprétation d’une loi qui exige le recours au traité mis en œuvre par cette loi, comme dans National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, où la norme du caractère manifestement déraisonnable a été appliquée à l’interprétation d’une disposition d’un traité parce que la nature réglementaire et économique de la décision engageait à la retenue, en dépit du caractère général de son application.

35 Bref, une décision qui comporte jusqu’à un certain point l’exercice d’une expertise hautement spécialisée milite en faveur d’un degré élevé de retenue, et donc de la norme du caractère manifestement déraisonnable à l’une des extrémités de la gamme.

(iii) Objet de la loi dans son ensemble et de la disposition en cause

36 Comme le juge Iacobucci l’a fait remarquer dans l’arrêt Southam, précité, au par. 50, l’objet et l’expertise se confondent souvent. L’objet de la loi est souvent indiqué par la nature spécialisée du régime législatif et du mécanisme de règlement des différends, et la nécessité de l’expertise se dégage souvent autant des exigences énoncées dans la loi que des qualités des membres du tribunal. Lorsque les objectifs de la loi et du décideur sont définis non pas principalement comme consistant à établir les droits des parties, ou ce qui leur revient de droit, mais bien à réaliser un équilibre délicat entre divers intérêts, alors l’opportunité d’une supervision judiciaire diminue. Ainsi, dans l’arrêt National Corn Growers, précité, à la p. 1336, le juge Wilson a décrit la fonction du tribunal en termes de «gestion», en partie en raison de la connaissance spécialisée des membres du tribunal, mais aussi en raison de l’éventail des réparations possibles, dont l’imposition de droits compensateurs par le ministre (p. 1346). Dans l’arrêt Southam, la Cour a conclu, au par. 48, que les «objectifs visés par la Loi sont davantage “économiques” que strictement “juridiques”», parce que les objectifs généraux de la Loi «sont des questions que les gens d’affaires et les économistes sont plus à même de comprendre que les juges en général». Elle a appuyé cette conclusion sur le fait que la loi avait créé un tribunal dont les membres avaient une connaissance spécialisée dans ces domaines. Présentent aussi une importance la gamme des mesures administratives que peut prendre le tribunal administratif, le fait qu’il joue un «rôle protecteur» vis‑à‑vis du public investisseur et qu’il joue aussi un rôle en matière d’établissement des politiques; arrêt Pezim, précité, à la p. 596. Si les principes juridiques sont vagues, non limitatifs, ou font intervenir un critère de pondération comptant de multiples facteurs, cela peut également militer en faveur d’une norme de contrôle moins exigeante (arrêt Southam, au par. 44). Ce sont tous là des manifestations concrètes du principe général de la «polycentricité» que les universitaires connaissent bien et qui, d’après eux, justifie le mieux la retenue dont les tribunaux judiciaires doivent faire preuve à l’endroit des organismes non judiciaires. Une [traduction] «question polycentrique fait intervenir un grand nombre de considérations et d’intérêts entremêlés et interdépendants» (P. Cane, An Introduction to Administrative Law (3e éd. 1996), à la p. 35). Certes, la procédure des tribunaux judiciaires repose fondamentalement sur l’opposition bipolaire des parties, des intérêts et sur l’établissement des faits, mais certains problèmes exigent la prise en compte de nombreux intérêts simultanément et l’adoption de solutions de nature à assurer en même temps un équilibre entre les coûts et les bénéfices pour de nombreuses parties distinctes. Quand un régime administratif ressemble davantage à ce modèle, les cours de justice feront preuve de retenue. Le principe de polycentricité est utile lorsqu’il s’agit de saisir la diversité des critères élaborés sous la rubrique de l’«objet de la loi».

(iv) Nature du problème: question de droit ou de fait?

37 Je le répète, il peut convenir de faire preuve d’un degré élevé de retenue même à l’égard de pures questions de droit, si d’autres facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle semblent indiquer que cela correspond à l’intention du législateur, comme notre Cour l’a décidé dans l’arrêt Pasiechnyk, précité. Toutefois, en cas d’ambiguïté des autres facteurs, les cours de justice doivent faire preuve de moins de retenue à l’égard des décisions qui portent sur de pures questions de droit. Le fondement de cette assertion est lié à la question de l’expertise relative mentionnée précédemment. Il n’y a pas de démarcation nette entre les questions de droit et les questions de fait et, de toute façon, nombre de décisions ont trait à des questions mixtes de droit et de fait. Le juge Iacobucci a énoncé un critère décisif pertinent dans l’arrêt Southam, précité, au par. 37:

Il va de soi qu’il n’est pas facile de dire avec précision où doit être tracée la ligne de démarcation; quoique, dans la plupart des cas, la situation soit suffisamment claire pour permettre de déterminer si le litige porte sur une proposition générale qui peut être qualifiée de principe de droit ou sur un ensemble très particulier de circonstances qui n’est pas susceptible de présenter beaucoup d’intérêt pour les juges et les avocats dans l’avenir.

Ce principe a également été formulé dans Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, par le juge L’Heureux-Dubé qui, aux pp. 599 et 600, a cherché à clarifier les limites des distinctions fondées sur ce critère:

Les cours de justice font généralement preuve de retenue à l’égard des questions de fait en raison de «l’avantage capital» dont jouit le juge des faits. Toutefois, elles font preuve d’une moins grande retenue relativement à des questions de droit, notamment parce que le juge des faits n’a peut‑être pas acquis une connaissance particulière des questions de droit. Bien qu’il existe une distinction entre les questions de fait et de droit, cette distinction n’est pas toujours évidente. Les organismes spécialisés sont souvent appelés à se prononcer sur des questions de fait et de droit difficiles. Il arrive que les deux soient inextricablement liées. En outre, l’interprétation «juste» d’un terme peut dépendre du mandat de l’organisme et de la jurisprudence homogène qu’il a élaborée. Dans certains cas, même si une cour de justice n’est pas d’accord avec une interprétation donnée, l’intégrité de certains mécanismes administratifs pourrait bien exiger qu’elle fasse preuve de retenue relativement à cette interprétation du droit.

Sa dissidence dans cet arrêt était essentiellement fondée sur sa désapprobation des opinions des juges majoritaires qui qualifiaient le tribunal des droits de la personne de tribunal n’ayant aucune expertise par rapport aux cours de justice en matière de compréhension et d’interprétation des lois sur les droits de la personne. Néanmoins, les principes analysés dans la citation qui précède exposent correctement le droit. Cela a été confirmé dans Pasiechnyk, aux par. 36 à 42, où l’expertise de la commission des accidents du travail pour déterminer tous les aspects de «l’admissibilité» sous ce régime a été considérée suffisamment vaste pour qu’elle puisse statuer que le mot «employeur» visait les réclamations dirigées contre le gouvernement pour négligence dans la réglementation des travaux de deux compagnies qui avaient résulté en des blessures à des travailleurs. Les réclamations contre le gouvernement à titre d’organisme de réglementation n’étaient donc pas admissibles en vertu de la décision en question. Accueillir une telle réclamation «minerait les objectifs du régime» qui étaient de «résoudre [le problème] de l’insolvabilité des employeurs à la suite de l’attribution de dommages-intérêts élevés» (par. 42). Une telle conclusion cadre tout à fait avec la description d’une question de droit que donne le juge Iacobucci: une conclusion revêtant une grande importance, voire une importance déterminante, pour les décisions qu’auront à prendre juges et avocats. La création d’un «régime» législatif jointe à la constitution d’un tribunal administratif hautement spécialisé, de même que la présence d’une clause privative stricte étaient suffisantes pour que la Cour fasse preuve d’une retenue étendue, même sur des questions de droit extrêmement générales.

38 Gardant à l’esprit que tous les facteurs analysés ici doivent être pris ensemble pour que l’on obtienne une image de la norme de contrôle appropriée, la généralité de la proposition tranchée sera un facteur militant en faveur de l’imposition de la norme de la décision correcte. Ce facteur recoupe nécessairement les critères déjà décrits, qui peuvent aller à l’encontre d’une telle présomption, comme l’a conclu notre Cour à la majorité dans Pasiechnyk, précité. Habituellement, cependant, plus les propositions avancées sont générales, et plus les répercussions de ces décisions s’écartent du domaine d’expertise fondamental du tribunal, moins il est vraisemblable qu’on fasse preuve de retenue. En l’absence d’une intention législative implicite ou expresse à l’effet contraire manifestée dans les critères qui précèdent, on présumera que le législateur a voulu laisser aux cours de justice la compétence de formuler des énoncés de droit fortement généralisés.

(2) La Loi sur l’immigration

39 La Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié tient sa compétence des dispositions suivantes:

67. (1) La section du statut a compétence exclusive, en matière de procédures visées aux articles 69.1 et 69.2, pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait, y compris des questions de compétence.

82.1 (1) La présentation d’une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale ne peut, pour ce qui est des décisions ou ordonnances rendues, des mesures prises ou de toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d’application -- règlements ou règles -- se faire qu’avec l’autorisation d’un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale.

83. (1) Le jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale rendu sur une demande de contrôle judiciaire relative à une décision ou ordonnance rendue, une mesure prise ou toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d’application — règlements ou règles — ne peut être porté en appel devant la Cour d’appel fédérale que si la Section de première instance certifie dans son jugement que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle‑ci.

(3) Jurisprudence concernant la norme de contrôle

40 C’est la première fois que notre Cour est appelée à statuer sur la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Chose étonnante, on trouve peu de décisions de la Cour fédérale portant sur ce point. Dans la plupart des cas, la norme du caractère manifestement déraisonnable ou de la conclusion «tirée de façon abusive ou arbitraire» a été appliquée. Il s’agissait de décisions relatives au contrôle des conclusions de la Commission sur la crédibilité des témoins: Yuen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1045 (QL) (C.A.); Franco c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1011 (QL) (C.A.); Sornalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 107 F.T.R. 128, le juge MacKay; Vetter c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 89 F.T.R. 17, le juge Gibson; Ismaeli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 573 (QL) (1re inst.), le juge Cullen. La norme de la décision correcte a été appliquée dans une seule affaire: Connor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 95 F.T.R. 66, le juge Reed.

41 Toutefois, dans l’affaire Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), qui portait directement sur la question soumise à notre Cour, le juge Richard a traité de ce point en profondeur. Il s’agissait d’une décision de la Commission selon laquelle les requérants n’étaient pas des réfugiés parce qu’il existait une «possibilité de refuge intérieur». Le juge Richard a étudié l’art. 82.1 de la Loi sur l’immigration et l’art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, en application desquels peut être présentée une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission, ainsi que les motifs justifiant l’infirmation d’une telle décision. Il a examiné divers précédents faisant alors autorité dont les arrêts Pezim et Bradco. Tout en reconnaissant que le par. 67(1) de la Loi sur l’immigration n’est pas une clause privative stricte, il a souligné que dans bien des jugements, la cour s’était appuyée davantage sur la nature spécialisée du tribunal en cause que sur la présence ou l’absence d’une clause privative; puis, il a signalé les éléments suivants: a) les possibilités de demande de contrôle judiciaire sont limitées; b) les décisions de la Section de première instance ne peuvent être portées en appel que s’il est certifié, conformément à l’art. 83(1) de la Loi sur l’immigration, que l’affaire soulève «une question grave de portée générale»; c) le processus de détermination du statut de réfugié n’est généralement pas contradictoire par nature, et les membres de la Commission sont investis de larges pouvoirs en matière de présentation de la preuve et de recherche des faits; d) il n’y a aucune partie adverse; e) le contexte, à savoir le droit international et la mise en œuvre de la Convention relative au statut des réfugiés en droit interne canadien, est fort complexe et nécessite en conséquence des connaissances spécialisées; f) les membres de la Commission sont des experts dans leur sphère d’activité et ils tirent profit des rapports détaillés et fouillés du Centre de documentation d’Emploi et Immigration Canada. Il cite un long extrait des observations du professeur James Hathaway sur la Section du statut de réfugié, dont le passage qui suit, à la p. 758:

En raison du contexte et des diverses considérations ayant trait à la preuve, il est impérieux de s’écarter des mécanismes ordinaires de prise de décision. En effet, les décideurs dont nous avons besoin doivent être à la fois des experts, des activistes et des personnes engagées, qui chercheront à assurer l’équité substantielle plutôt que l’application technocratique de la justice. Nous ne devons pas voir dans les personnes qui revendiquent le statut de réfugié des adversaires ou une menace, mais plutôt des personnes qui invoquent un droit qui leur est reconnu par le droit international. C’est en raison de sa détermination à faire montre d’une telle souplesse et d’une telle sensibilité que le Parlement a aboli l’ancienne cour d’archives qui était chargée de statuer sur les revendications du statut de réfugié et lui a substitué un tribunal spécialisé doté des pourvois d’enquête et d’une procédure non contradictoire.

Enfin, il a estimé que l’arrêt Mossop, précité, rendu par notre Cour, pouvait faire l’objet d’une distinction, car la position d’un tribunal des droits de la personne est différente, étant donné que sa «décision n’est pas liée à des questions d’expertise ou de connaissances spéciales et n’exige pas un degré élevé de retenue». Il a ajouté: «Les questions qui se posent en l’espèce ne sont pas des questions générales mettant en cause des principes généraux d’interprétation de la loi et un raisonnement juridique, mais se rapportent à l’interprétation d’une définition légale dans un cadre réglementaire précis et dans le contexte du droit international.» Vu toutes ces considérations, il a conclu que la norme à appliquer était celle du caractère manifestement déraisonnable, et que cette norme devait s’appliquer même aux «questions de droit dont [la Section du statut de réfugié] était saisie» (p. 761). Pour ces motifs, le juge Richard a rejeté la demande de contrôle judiciaire, estimant que la décision selon laquelle il existait une «possibilité de refuge intérieur» n’était pas manifestement déraisonnable.

(4) La norme qu’il convient d’appliquer: celle de la décision correcte

42 La décision du juge Richard dans Sivasamboo, exposée précédemment de manière assez détaillée, constitue un plaidoyer admirable pour un degré élevé de retenue judiciaire à l’égard de la décision de la Commission. À mon sens, cependant, il appert d’une analyse pragmatique et fonctionnelle de la Loi qu’il y a lieu en l’espèce d’apprécier la décision de la Commission selon la norme de la décision correcte.

43 Premièrement, le par. 83(1) serait incohérent si la norme de contrôle était autre chose que celle de la décision correcte. L’élément clef de l’intention du législateur quant à la norme de contrôle est l’utilisation des mots «une question grave de portée générale» (je souligne). La portée générale de la question, c’est‑à‑dire son applicabilité à un grand nombre de cas dans le futur, justifie son examen par une cour de justice. Cet examen aurait‑il une utilité quelconque si la Cour d’appel était tenue de déférer aux décisions incorrectes de la Commission? Se peut-il que le législateur ait prévu un appel exceptionnel devant la Cour d’appel sur des questions de «portée générale», mais ait exigé qu’en dépit de la «portée générale» de la question, la cour accepte les décisions de la Commission qui sont erronées en droit, voire clairement erronées en droit, mais non manifestement déraisonnables? Il n’est possible de respecter la portée du par. 83(1), telle qu’explicitement formulée, qu’en autorisant la Cour d’appel -- et, par déduction, la Section de première instance de la Cour fédérale -- à substituer sa propre opinion à celle de la Commission sur les questions d’importance générale. Cette assertion s’accorde avec les observations du juge Iacobucci dans Southam, précité, au par. 36, selon lesquelles le fait qu’une décision est «susceptible de s’appliquer à un grand nombre de cas» doit jouer au moment de décider s’il y a lieu de faire montre de retenue. Bien que certaines décisions antérieures de la Cour fédérale, dont, on pourrait le soutenir, Sivasamboo, aient tranché d’importantes questions de fait, ou à la limite des questions de fait et de droit ayant peu ou pas de valeur comme précédent, le cas qui nous occupe a pour sujet principal un motif d’exclusion qui, en tant que question de droit, risque d’affecter un grand nombre de futurs demandeurs de statut. En réalité, la décision de la Commission en l’espèce restreindrait de façon importante son propre rôle comme juge des faits dans de nombreuses affaires.

44 Bref, le par. 83(1) de la Loi accorde un droit d’appel fondé sur le critère de la «généralité». Le principe décrit dans Southam et appliqué dans de nombreux autres arrêts, qui n’est en réalité rien de plus qu’une hypothèse quant à l’intention du législateur, est renforcé par l’inclusion explicitement prévue dans la loi.

45 Au surplus, la Commission ne semble avoir aucune expertise relative quant à la question de droit qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Notre Cour a conclu à la majorité dans plusieurs arrêts que les cours de justice ne devraient pas faire preuve de retenue envers les tribunaux des droits de la personne relativement aux «questions générales de droit» (Mossop, précité, à la p. 585), ni même relativement à des règles de droit incontestablement au cœur du processus décisionnel en matière de droits de la personne. Des observations faites dans d’autres arrêts ont cependant atténué la nature impérative de cette règle. Comme l’a dit le juge La Forest pour la Cour siégeant au complet dans Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, au par. 29:

Cela dit, je ne crois pas qu’il y ait lieu d’interpréter restrictivement l’expertise des tribunaux des droits de la personne en matière d’appréciation des faits, et qu’il faille l’apprécier en fonction des décisions qu’ils sont appelés à rendre. [. . .] Une conclusion à l’existence de discrimination repose essentiellement sur des faits que la commission d’enquête est la mieux placée pour évaluer. [. . .] Étant donné la complexité des déductions probatoires découlant des faits présentés à la commission d’enquête, il convient de faire preuve d’une certaine retenue envers la conclusion à l’existence de discrimination, vu l’expertise supérieure de la commission d’enquête en matière d’appréciation des faits, laquelle conclusion est étayée par la présence de mots qui confèrent à la loi constituante un effet privatif limité. [Je souligne.]

Les juges majoritaires ont adopté une approche semblable dans Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353, à la p. 370.

46 Bien que le degré précis de retenue dont il faudrait faire preuve envers un tribunal des droits de la personne puisse toujours être sujet à controverse, les facteurs militant contre la retenue dans ces affaires s’appliquent avec beaucoup plus de force aux questions en l’espèce. Dans ces affaires, le rapport pertinent quant à l’examen de la norme de contrôle appropriée était celui qui existe entre un tribunal possédant une expertise et une expérience particulières dans la prise de décision en matière de droits de la personne, et les dispositions qui ont pour objectif la protection des droits de la personne. La disposition en cause ici partage cet objectif. Dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la p. 733, le juge La Forest a conclu que l’objectif sur lequel repose la Convention est «l’engagement qu’a pris la communauté internationale de garantir, sans distinction, les droits fondamentaux de la personne». Comme je l’expliquerai dans la prochaine section, la section Fc) de l’article premier est au cœur de cet objectif en matière de droits de la personne.

47 Mais l’expertise de la Commission en matière de droits de la personne est beaucoup moins étendue que celle des tribunaux des droits de la personne. L’expertise de la Commission consiste à apprécier de façon exacte si les critères nécessaires pour obtenir le statut de réfugié ont été respectés et, plus particulièrement, à apprécier la nature du risque de persécution auquel sera confronté le requérant s’il est renvoyé dans son pays d’origine. Contrairement à la situation d’un tribunal des droits de la personne, le lien entre l’expertise et la disposition en cause ici est faible. Seulement 10 pour 100 des membres de la Commission sont obligatoirement des avocats (par. 61(2)) et il n’est pas nécessaire que chaque formation comprenne un avocat. Bien que cela puisse ne pas nuire à l’appréciation du risque de persécution contre la personne d’un requérant s’il est renvoyé dans son pays de nationalité, cela rend impensable que l’on confie exclusivement à la Commission la définition générale d’une garantie fondamentale en matière de droits de la personne. Et rien n’indique que l’expérience acquise par la Commission en matière de détermination factuelle du risque de persécution lui donne quelque connaissance supplémentaire du sens ou de l’évolution souhaitable de la disposition en cause ici. Contrairement à de nombreuses affaires mettant en cause des décisions rendues par des tribunaux des droits de la personne, dans la présente affaire, le principe de droit n’est pas «imprégné» de faits, comme le démontre la facilité avec laquelle la cour appelée à exercer le contrôle judiciaire a pu extraire une question de portée générale pour l’application du par. 83(1). En l’espèce, le principe de droit peut aisément être séparé des faits non contestés de l’affaire et aurait sans aucun doute une grande valeur comme précédent. Il vaut la peine de répéter que, au moyen de cette décision, le tribunal cherche en fait à restreindre l’application de sa propre expertise, plutôt qu’à l’exercer. L’expertise factuelle dont jouit ce tribunal administratif ne lui est d’aucun secours pour l’interprétation de ce principe de droit général.

48 On ne peut affirmer non plus que la Commission accomplit une fonction de «gestion» ou de «surveillance» comme la Cour l’a dit dans les arrêts Southam et National Corn Growers. La Commission elle‑même n’est pas responsable de l’élaboration des politiques. L’objectif de la Convention -- et en particulier celui des exclusions énoncées à la section Fc) de l’article premier -- n’est, de toute évidence, pas la gestion des flux de personnes, mais bien l’instauration d’un régime de protection minimale des droits de la personne. Le contexte dans lequel la fonction juridictionnelle est exercée n’est pas «polycentrique»; il ne s’agit pas de concilier les intérêts de différents groupes, mais plutôt de donner effet à un ensemble de droits de la personne assez statiques et d’assurer la protection des personnes qui appartiennent aux catégories définies.

49 Il faut ajouter à ces indications quant à l’intention du législateur touchant l’élaboration de principes de droit généraux l’absence d’une clause privative stricte. En effet, il ressort nettement du rapprochement de la clause privative dans sa formulation actuelle et du par. 83(1), que la première est annulée pour ce qui est des questions de «portée générale». Comme cela a déjà été souligné, l’analyse «pragmatique et fonctionnelle» permet des normes de retenue distinctes même entre les dispositions d’une même loi et même entre les types de décisions prises par le tribunal en cause. En l’espèce, le libellé de la clause privative va de pair avec le quatrième facteur de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, à savoir que les décisions sur des principes abstraits d’application générale représentent un facteur militant contre la retenue judiciaire.

50 Je conclus que la norme de la décision correcte s’applique aux décisions rendues sur des points de droit par la Commission. La décision Sivasamboo comportait une analyse de nature bien différente et je tiens à souligner que je ne me prononce pas sur le caractère correct de cette décision, qui reposait sur les faits propres de l’espèce.

B. Principes d’interprétation des traités: détermination de l’objet de la section Fc) de l’article premier

51 Quoique certains organismes non gouvernementaux aient préconisé que l’application de l’exclusion prévue par la section Fc) de l’article premier de la Convention soit déterminée par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, il a finalement été décidé qu’il incomberait à chaque État contractant de déterminer quels demandeurs du statut de réfugié étaient visés par la clause d’exclusion (J. C. Hathaway, The Law of Refugee Status (1991), aux pp. 214 et 215). Comme l’objet de la Loi incorporant la section Fc) de l’article premier est de mettre en œuvre la Convention sous‑jacente, la Cour doit adopter une interprétation compatible avec les obligations du Canada en vertu de la Convention. On aura donc recours au texte de la Convention et aux règles d’interprétation des traités pour déterminer le sens de la section Fc) de l’article premier en droit interne (Ward, précité, aux pp. 713 à 716).

52 Ces règles sont énoncées succinctement dans la Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37 («Convention de Vienne»):

Article 31

Règle générale d’interprétation

1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.

2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus:

a) tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité;

b) tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité.

3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte:

a) de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions;

b) de toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité;

c) de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties.

4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties.

Article 32

Moyens complémentaires d’interprétation

Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l’application de l’article 31, soit de déterminer le sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’article 31:

a) laisse le sens ambigu ou obscur; ou

b) conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable.

53 Ces règles ont été appliquées par notre Cour dans deux arrêts récents, l’un portant sur l’incorporation directe des dispositions d’un traité (Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551) et l’autre, sur un article de la Loi sur l’immigration conçu pour mettre à exécution les obligations du Canada en vertu de la Convention (Ward, précité). Dans celui‑ci, le juge La Forest a utilisé divers moyens d’interprétation: l’historique de la rédaction et les travaux préparatoires en ce qui concerne la disposition en cause; le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés («Guide du HCNUR»); les commentaires antérieurs de la jurisprudence relatifs au but et à l’objet du traité. En effet, à la p. 713, le juge La Forest s’est montré disposé à tenir compte des propositions des divers délégués exposées dans les travaux préparatoires, encore qu’il ait reconnu que, selon leur teneur et leur contexte, ces textes «ne permet[tent] peut‑être pas vraiment» de privilégier l’une ou l’autre interprétation.

54 Bien que ces règles d’interprétation aient été acceptées de façon générale par les juridictions inférieures et par les parties, un désaccord important subsiste au sujet du sens précis de ces règles dans le contexte de la section Fc) de l’article premier de la Convention telle qu’incorporée par le par. 2(1) de la Loi. Pour déterminer le poids relatif à accorder aux diverses sources concernant l’interprétation qui sont admises en application de la Convention de Vienne, le juge Strayer a décidé que les mots «buts et principes des Nations Unies» étaient assez clairs. Il a également émis l’avis que les travaux préparatoires étaient confus, ambigus et non représentatifs, et donc «tout à fait inutiles». Quant au Guide du HCNUR, tenu pour être une source valable sous le régime de la section 3b) de l’art. 31 de la Convention de Vienne, il a jugé qu’il était «loin d’être catégorique» sur la question du sens de la section Fc) de l’article premier. Finalement, l’affirmation voulant que l’objet de la Convention en fasse un «instrument de défense des “droits de l’homme”» ne jouait pas en faveur du requérant. En effet, le juge Strayer a refusé tacitement de considérer que cet objet pouvait aider à interpréter la clause en faisant siens les propos du juge Robertson dans l’arrêt Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), à la p. 307:

Quelque convaincants que puissent être les commentaires, je suis tenu de considérer l’application de la disposition d’exclusion en tenant compte, tout d’abord, de la jurisprudence de cette Cour, puis de l’intention manifeste des signataires de la Convention. Lorsque, par contre, il existe une ambiguïté ou une question non résolue, l’interprétation la plus conforme à la justice et à la raison doit prévaloir.

55 À mon avis, la Cour d’appel fédérale a commis une erreur en rejetant les objets et les buts du traité, et en n’accordant presque aucun poids aux indications fournies par les travaux préparatoires. Comme nous le verrons plus loin, l’historique de la section F de l’article premier révèle que les signataires de la Convention voulaient que les mots «buts et principes des Nations Unies» soient entendus dans un sens particulier. Dans Ward, le juge La Forest a minutieusement utilisé chacune de ces aides explicatives pour comprendre les objets et les buts de la Convention dans son ensemble et les dispositions particulières en cause. Le langage très général employé à la section Fc) de l’article premier n’est pas clair au point d’interdire tout examen des autres indications quant au sens à donner à cette disposition. L’examen de l’objet et du contexte du traité dans son ensemble, ainsi que de l’objet de la disposition en cause tel qu’il ressort des travaux préparatoires, peut nous guider utilement dans notre interprétation.

56 Le point de départ de toute interprétation consiste, tout d’abord, à définir l’objet de la Convention dans son ensemble, et ensuite, à déterminer l’objet et la place de la section Fc) de l’article premier au sein du régime que la Convention établit. Dans Ward, le juge La Forest a exprimé au nom de la Cour unanime l’opinion suivante, à la p. 709:

Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu’on s’attend à ce que l’État fournisse à ses ressortissants. Il ne devait s’appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement. La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s’adresser à leur État d’origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d’autres États ne soit engagée. C’est pourquoi James Hathaway qualifie le régime des réfugiés de [traduction] «protection auxiliaire ou supplétive» fournie uniquement en l’absence de protection nationale; voir The Law of Refugee Status (1991), à la p. 135.

Procédant à l’analyse textuelle de la Convention et prenant en considération les vues des commentateurs, le juge La Forest définit, aux pp. 733 et 734, l’objet de la Convention par rapport à la question expresse de la définition du mot «réfugié», qui est aussi précisément la question visée par le présent pourvoi:

La Convention repose sur l’engagement qu’a pris la communauté internationale de garantir, sans distinction, les droits fondamentaux de la personne. C’est ce qu’indique le préambule du traité:

Considérant que la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme approuvée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale ont affirmé ce principe que les êtres humains, sans distinction, doivent jouir des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Ce thème donne un aperçu des limites des objectifs que les délégués cherchaient à atteindre et dont ils avaient convenu. Il énonce, d’une façon générale, l’intention des rédacteurs et fixe de ce fait une limite inhérente aux cas visés par la Convention. Hathaway, op. cit., à la p. 108, explique ainsi l’incidence de ce ton général du traité sur le droit relatif aux réfugiés:

[traduction] Toutefois, le point de vue dominant est que le droit relatif aux réfugiés devrait s’appliquer aux actions qui nient d’une manière fondamentale la dignité humaine, et que la négation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne est la norme appropriée.

Ce thème fixe les limites de bien des éléments de la définition de l’expression «réfugié au sens de la Convention».

57 Le caractère de la Convention en tant qu’instrument de défense des droits de la personne est en outre étayé par l’article de la Loi définissant les «objectifs»:

3. La politique canadienne d’immigration ainsi que les règles et règlements pris en vertu de la présente loi visent, dans leur conception et leur mise en œuvre, à promouvoir les intérêts du pays sur les plans intérieur et international et reconnaissent la nécessité:

. . .

g) de remplir, envers les réfugiés, les obligations imposées au Canada par le droit international et de continuer à faire honneur à la tradition humanitaire du pays à l’endroit des personnes déplacées ou persécutées; [Je souligne.]

Ces objets et ces buts généraux, nettement en rapport avec les droits de la personne, constituent le contexte dans lequel doit s’inscrire l’interprétation à donner aux diverses dispositions.

58 L’objet de l’article premier est de définir le terme réfugié. Puis, la section F de l’article premier établit les catégories de personnes expressément exclues de la définition. L’objet de l’art. 33 de la Convention, par contraste, n’est pas d’établir qui a la qualité de réfugié, mais bien de permettre le refoulement d’un réfugié authentique vers son pays natal s’il constitue un danger pour le pays d’accueil ou pour la communauté dudit pays. Cette distinction fonctionnelle est reflétée dans la Loi, laquelle, d’une part, intègre la section F de l’article premier à l’art. 2, l’article définitoire, et d’autre part, confère au ministre, à l’art. 53, où sont reprises généralement les dispositions de l’art. 33, le pouvoir d’expulser un réfugié admis comme tel. Par conséquent, l’objet général de la section F de l’article premier n’est pas de protéger le pays d’accueil contre les réfugiés dangereux, que ce soit en raison d’actes commis avant ou après la présentation de la revendication du statut de réfugié; c’est l’art. 33 de la Convention qui vise cet objectif. Il est plutôt d’exclure ab initio ceux qui ne sont pas des réfugiés authentiques au moment de la présentation de leur revendication. Bien que tous les actes visés à la section F de l’article premier puissent vraisemblablement être assimilés aux motifs de refoulement visés à l’art. 33, ce sont des dispositions distinctes. Il faut également appliquer ce raisonnement lorsqu’il s’agit de décider si les actes visés à la section Fc) de l’article premier doivent être des actes commis en dehors du pays d’accueil, comme le soutient l’appelant. À mon avis, les dispositions concernant le refoulement ne peuvent pas être invoquées pour introduire une telle limitation dans la section Fc) de l’article premier. Là où des limitations géographiques étaient nécessaires, la Convention les a prévues, comme en fait foi la section Fb) de l’article premier. Le critère pertinent en l’occurrence est le moment où le statut de réfugié a été reconnu. Autrement dit, la section Fc) de l’article premier se rapportant à la reconnaissance du statut de réfugié, tout acte accompli avant qu’une personne ait obtenu ce statut doit être tenu pour pertinent au regard de la section Fc) de l’article premier.

59 Les travaux préparatoires et le sens attribué aux termes employés à l’époque de ces travaux peuvent servir à préciser l’objet de la section Fc) de l’article premier par opposition aux sections Fa) et Fb) de l’article premier. La section F de l’article premier, dans sa version antérieure, était ainsi conçue:

Article I

Définition du terme «Réfugié»

D. Aucun des États contractants ne fera bénéficier des dispositions de la présente Convention une personne qu’il considère avoir commis un crime défini dans l’article VI du Statut du Tribunal militaire international approuvé à Londres, ou tout autre acte contraire aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies. [Je souligne.]

(NU Doc. E/L.82)

L’insertion des mots soulignés, qui ont fini par être intégrés au texte de la section Fc) de l’article premier, a suscité de longs débats au sein du Comité social du Conseil économique et social où a été négociée la Convention. Les délégués canadien, chilien et pakistanais ont tous exprimé leur inquiétude à propos du caractère vague et de la portée peut‑être excessive de la clause d’exclusion qui risquaient de miner l’objectif principal de la Convention et de donner aux États un moyen de refuser facilement des personnes méritant d’être protégées. Le délégué de la France a répondu que la disposition visait «certains individus qui, sans avoir commis des crimes de guerre, ont pu commettre des actes d’une gravité semblable contre les principes des Nations Unies, c’est-à-dire, en fait, des crimes contre l’humanité» (Doc. NU E/AC.7/SR.166, 22 août 1950, à la p. 4). Sa préoccupation était que les actes criminalisés par le Statut du Tribunal militaire international, 82 R.T.N.U. 281, approuvé à Londres, ne seraient constatés que dans les cas où une guerre avait eu lieu. Toutes sortes d’atrocités pourraient ainsi être commises sans violation du Statut de Londres simplement à cause de l’absence de conflit militaire interétatique. La seule mention du Statut de Londres n’aurait donc pas pour effet d’inclure

[les] tyrans qui auront [. . .] commis des actes contraires aux buts et principes de la Charte et contribué ainsi à créer cette crainte devant laquelle fuient les réfugiés. Le fait de devenir suspects à leurs propres chefs et de subir cette crainte qu’ils ont fait régner [ne] leur vaudra [. . .] certainement pas le bénéfice automatique de la protection internationale pour les réfugiés.

(E/AC.7/SR.166, à la p. 6)

60 Quoiqu’une telle proposition soit loin de faire autorité pour ce qui est de déterminer l’objet de la section Fc) de l’article premier actuel, elle m’autorise à faire deux remarques. Premièrement, en plus des crimes contre la paix et des crimes de guerre, le Statut de Londres visait les «crimes contre l’humanité» tels [traduction]«l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux lorsque ces actes ou persécutions ont été commis pour perpétrer tout crime relevant de la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime» (cité dans H. M. Kindred et autres, International Law Chiefly as Interpreted and Applied in Canada (1993)), à la p. 448 (je souligne). Selon le Statut de Londres, le crime contre l’humanité était donc lié au châtiment des crimes de guerre et des crimes commis en temps de paix. Bien que dans sa version définitive, la section Fa) de l’article premier énumère les crimes contenus dans le Statut de Londres, dont «un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes», le délégué français s’est clairement dit inquiet — et il a persuadé les autres délégations — de ce que les crimes contre l’humanité visés par le Statut de Londres étaient limités à ceux relatifs à l’état de guerre. Bien qu’il ait été initialement l’un des opposants qui jugeaient la disposition dangereusement vague, le délégué canadien a fini par convenir que les personnes tombant sous le coup de la section Fc) de l’article premier et non visées par ailleurs par le Statut de Londres étaient les «personnes qui auraient abusé de leur autorité pour commettre des crimes contre l’humanité autre que des crimes de guerre» (E/AC.7/SR.166, à la p. 10 (je souligne)). Bref, les délégués qui se sont ravisés à la suite de l’intervention du délégué français croyaient que la clause à l’étude concernait les crimes contre l’humanité non liés à la guerre et qu’il s’agissait d’un concept distinct justifiant une clause séparée, même si les actes visés par cette catégorie ne pouvaient pas être clairement énumérés à ce moment‑là.

61 Il faut également remarquer que le principe de l’exclusion en raison d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies se trouvait à l’état embryonnaire dans la Constitution de l’Organisation internationale pour les réfugiés qui tendait aussi à exclure [traduction] «ceux qui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, avaient fait partie d’une organisation cherchant à renverser par la force armée le gouvernement d’un État membre des Nations Unies, ou avaient fait partie d’une organisation terroriste; ou qui étaient à la tête de mouvements hostiles à leur gouvernement ou qui dirigeaient des mouvements encourageant les réfugiés à ne pas retourner dans leur pays d’origine» (G. S. Goodwin‑Gill, The Refugee in International Law (2e éd. 1996), à la p. 108). Cela concorde avec la position du délégué britannique qui a dit que les agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies englobaient la subversion et le renversement des régimes démocratiques. D’autres participants ont cependant contesté cette interprétation, parce qu’ils estimaient qu’elle allait à l’encontre du droit à l’autodétermination (Hathaway, op. cit., à la p. 228). La confusion explique probablement pourquoi le Guide du HCNUR indique, aux par. 162 et 163, que la section Fc) de l’article premier n’introduit «concrètement aucun élément nouveau».

62 Bien entendu, les buts et principes des Nations Unies sont énoncés dans le préambule et dans les art. 1 et 2 de la Charte des Nations Unies, R.T. Can. 1945 no 7. Mais l’énoncé qu’on y trouve est principalement d’ordre organisationnel; sa teneur générale autorise en outre une interprétation dynamique des obligations des États, qui doivent s’adapter au contexte international changeant. Les principes énoncés dans la Charte des Nations Unies sont en fait souvent expliqués dans d’autres instruments internationaux et dans les décisions de la Cour internationale de justice, de même que dans la jurisprudence des pays signataires. Hathaway, op. cit., à la p. 227, conclut que les interprétations multiples de la section Fc) de l’article premier [traduction] «reflètent l’historique confus de sa rédaction». Il s’agit d’une clause supplétive qui, d’après le Guide du HCNUR, «en raison de son caractère très général, ne doit être appliquée qu’avec circonspection» (par. 163). À lire les travaux préparatoires, on se laisse facilement convaincre que les délégués aux réunions du Comité social entendaient donner aux mots «buts et principes des Nations Unies» un sens plus étroit et plus précis que celui que permettrait naturellement d’inférer la Charte des Nations Unies. Les travaux du sous‑comité de rédaction et les résolutions de divers organismes qui en ont résulté témoignent d’un effort pour dégager un consensus sur la signification particulière à donner aux termes utilisés à la section Fc) de l’article premier.

63 Ce qui est crucial, à mon sens, c’est la manière dont la logique qui sous‑tend l’exclusion prévue à la section F de l’article premier en général, et à la section Fc) de l’article premier en particulier, se rattache à l’objet de la Convention dans son ensemble. La raison d’être de la clause est que ceux qui sont responsables d’une persécution qui crée des réfugiés ne doivent pas pouvoir invoquer à leur profit une Convention conçue pour protéger ces réfugiés. Comme l’a dit le juge La Forest dans l’arrêt Ward, précité, aux pp. 733 et 734, ce thème, à savoir des «actions qui nient d’une manière fondamentale la dignité humaine» et «la négation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne [. . .] fixe les limites de bien des éléments de la définition de l’expression “réfugié au sens de la Convention”». Dans Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433, la Cour d’appel fédérale a explicitement reconnu cet objet dans le contexte des motifs énumérés de façon précise à la section Fa) de l’article premier, sous la plume du juge Linden, à la p. 445: «Lorsque par un juste retour des choses, les persécuteurs deviennent les persécutés, ils ne pourront pas revendiquer le statut de réfugié. Les criminels internationaux, de quelque côté qu’ils se trouvent dans les conflits, sont ainsi privés à juste titre du statut de réfugié.»

64 J’en viens maintenant à la seconde remarque suscitée par les déclarations du délégué français précitées. Étant donné les objectifs généraux de la Convention tels qu’énoncés dans l’arrêt Ward, précité, et dans d’autres sources, ainsi que les indications tirées des travaux préparatoires quant à la portée relative des sections Fa) et Fc) de l’article premier, l’objet de la section Fc) de l’article premier peut être ainsi énoncé: exclure les personnes responsables de violations graves, soutenues ou systémiques des droits fondamentaux de la personne qui constituent une persécution dans un contexte qui n’est pas celui de la guerre.

C. Quels agissements sont «contraires aux buts et aux principes des Nations Unies»?

65 Il est beaucoup plus facile de déterminer la signification précise de ces mots une fois qu’on a défini l’objet particulier que la section Fc) de l’article premier était censé viser dans le cadre de la structure et des objets de la Convention. Les parties dans le présent pourvoi nous ont proposé divers contenus possibles — très détaillés — pour cette clause. À mon avis, tenter de dresser une liste précise ou exhaustive est contraire à l’objet de cette disposition et aux intentions des parties à la Convention. Toutefois, divers types d’actes tombent clairement sous le coup de cette clause. Le principe directeur est le suivant: s’il y a consensus en droit international sur des agissements particuliers qui sont tenus pour être des violations suffisamment graves et soutenues des droits fondamentaux de la personne pour constituer une persécution, ou qui sont explicitement reconnus comme contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, la section Fc) de l’article premier est alors applicable.

66 Plusieurs catégories d’agissements sont visées par ce principe. Premièrement, lorsqu’un accord international généralement accepté ou une résolution des Nations Unies déclare explicitement que certains agissements sont contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, cela constitue une forte indication que ces agissements sont visés par la section Fc) de l’article premier. La Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (Rés. AG 47/133, 18 décembre 1992, par. 1(1)), la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Rés. AG 3452 (XXX), 9 décembre 1975, art. 2) et la Déclaration complétant la Déclaration de 1994 sur les mesures visant à éliminer le terrorisme international (Rés. AG 51/210, 16 janvier 1997, annexe, art. 2) désignent toutes des agissements qui sont contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Lorsque de telles déclarations ou résolutions représentent un consensus raisonnable de la communauté internationale, il convient de considérer pareille désignation comme décisive.

67 De même, d’autres sources du droit international peuvent influer sur la décision du tribunal appelé à préciser si des agissements sont visés par la section Fc) de l’article premier. Par exemple, les décisions de la Cour internationale de justice peuvent s’imposer. Dans l’affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, C.I.J. Recueil 1980, p. 3, au par. 91, la cour a statué:

Le fait de priver abusivement de leur liberté des êtres humains et de les soumettre dans des conditions pénibles à une contrainte physique est manifestement incompatible avec les principes de la Charte des Nations Unies et avec les droits fondamentaux énoncés dans la déclaration universelle des droits de l’homme.

La Cour internationale de justice a employé un langage encore plus énergique dans l’avis consultatif concernant les Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, C.I.J. Recueil 1971, p. 16, au par. 131, déclarant que la politique d’apartheid «constitu[e] un déni des droits fondamentaux de la personne humaine, [et] est une violation flagrante des buts et principes de la Charte».

68 Un autre aspect important de l’exclusion prévue à la section Fc) de l’article premier est l’inférence voulant que les violateurs des principes et des buts des Nations Unies doivent être des personnes exerçant le pouvoir. Cette inférence se trouve énoncée dans le Guide du HCNUR, aux par. 162 et 163 et c’est l’opinion exposée, en particulier, par le délégué du Canada aux réunions du Comité social en 1950 et 1951. Bien que nombre de commentateurs partagent ce point de vue (Hathaway, op. cit., à la p. 229; A. Grahl‑Madsen, The Status of Refugees in International Law (1966), vol. 1, à la p. 286; Kälin, Köfner et Nicolaus, dans Goodwin‑Gill, op. cit., à la p. 110, renvoi 162), la jurisprudence des États signataires ne va pas dans le même sens. Dans son traité, à la p. 113, Goodwin‑Gill signale que la décision Téhéran a servi à justifier l’exclusion, par les autorités de l’immigration australiennes, d’un réfugié en application de la section Fc) de l’article premier, ce qui indique qu’il se pourrait que des violateurs autres que des représentants de l’État soient exclus aux termes de cette clause. Il contraste cette position avec celle prise par la France et l’Allemagne qui semblent exiger que les agissements soient revêtus de l’autorité de l’État. Quoiqu’il soit plus difficile pour qui n’agit pas au nom de l’État de perpétrer des violations des droits de la personne à une échelle suffisante pour constituer une persécution sans la complaisance implicite de l’État, il ne faut pas écarter cette possibilité a priori. Je le répète, la Cour doit aussi tenir compte du fait que certains crimes expressément déclarés contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ne sont pas limités aux personnes qui agissent au nom de l’État.

69 La présente espèce porte sur le trafic des drogues. Rien n’indique qu’en droit international, ce trafic à quelque échelle que ce soit doive être considéré comme contraire aux buts et aux principes des Nations Unies. L’intimé a présenté des éléments de preuve établissant que la communauté internationale avait mis en train un effort coordonné pour arrêter le trafic des drogues illicites par l’entremise de nombreux traités, déclarations et institutions des Nations Unies. Il n’a toutefois pas pu citer de déclaration explicite énonçant que le trafic des drogues était contraire aux buts et aux principes des Nations Unies ou que pareils agissements devraient être pris en compte au moment de décider d’accorder l’asile à un réfugié. Par une telle déclaration explicite, la communauté internationale ferait savoir qu’elle estime que de tels agissements doivent être tenus pour équivalents à des violations graves, soutenues et systémiques des droits fondamentaux de la personne constituant une persécution.

70 La deuxième catégorie d’agissements visés par la section Fc) de l’article premier comprend ceux qu’un tribunal peut lui‑même reconnaître comme des violations graves, soutenues et systémiques des droits fondamentaux de la personne constituant une persécution. Cette analyse comporte un élément factuel et un élément juridique. Le tribunal doit déterminer la nature de la règle qui a été violée. Si cette règle est assimilable aux principes fondamentaux les plus sacrés des droits de la personne et que sa transgression soit reconnue comme immédiatement sujette à la réprobation et au châtiment de la communauté internationale, alors même une violation isolée peut entraîner une exclusion fondée sur la section Fc) de l’article premier. Le fait que la violation soit considérée comme une infraction justiciable des tribunaux dans tous les États serait une indication persuasive que même une violation isolée constitue une persécution. À cet égard, si la communauté internationale devait adopter l’avant‑projet de statut d’une cour internationale de justice pénale, Doc. NU A/CN.4/L.491/Rev.2, qui, dans sa version actuelle, attribue à ce tribunal une compétence sur le trafic de stupéfiants, en plus des crimes de guerre, de la torture et du génocide, il y aurait alors beaucoup plus de chances qu’un tribunal puisse conclure à une violation grave des droits de la personne en raison de ces activités.

71 Une violation grave et soutenue des droits de la personne constituant une persécution peut se dégager en outre d’une situation de fait particulièrement flagrante, y compris de l’importance de la complicité du requérant. L’appréciation des circonstances de fait d’une violation des droits de la personne et de la nature du droit violé permettrait au tribunal national, par exemple, de décider lui‑même que les faits de la prise d’otages à Téhéran justifient l’exclusion fondée sur la section Fc) de l’article premier.

72 Dans le présent pourvoi, rien n’indique que le trafic des drogues se rapproche du cœur ni même du corpus des droits fondamentaux de la personne. L’intimé a soumis à la Cour une nouvelle catégorie d’infractions internationales appelée par M. C. Bassiouni, [traduction] «crimes d’intérêt international» (International Criminal Law, vol. 1, Crimes (1986), aux pp. 135 à 163). Ces «crimes» présentent certaines caractéristiques indiquant que la communauté internationale considère bel et bien leur perpétration comme particulièrement grave et sujette à sanction immédiate; toutefois, la barre semble avoir été placée trop bas, la définition incluant certains types d’infractions telles le «sabotage de câbles sous‑marins», des infractions en matière de «protection de l’environnement», ainsi que le trafic des drogues et huit autres catégories.

73 Il est nécessaire de prendre aussi en considération le chevauchement possible des sections Fc) et Fb) de l’article premier en ce qui concerne le trafic des drogues. De toute évidence, la section Fb) est généralement censée empêcher que des criminels de droit commun susceptibles d’extradition en vertu d’un traité puissent revendiquer le statut de réfugié, mais cette exclusion est limitée aux crimes graves commis avant l’entrée dans le pays d’accueil. Goodwin‑Gill, op. cit., à la p. 107, dit ceci:

[traduction] En vue de favoriser l’uniformité des décisions, le HCNUR a proposé que, lorsqu’aucun facteur politique ne joue, une présomption de crime grave puisse découler de la preuve de la perpétration de l’une ou l’autre des infractions suivantes: l’homicide, l’agression sexuelle, l’attentat à la pudeur d’un enfant, les coups et blessures, le crime d’incendie, le trafic des drogues et le vol qualifié.

Les parties ont voulu s’assurer que les criminels de droit commun ne puissent pas se soustraire à l’extradition et aux poursuites en demandant le statut de réfugié. Vu la portée bien définie de la section Fb) de l’article premier, celle‑ci étant limitée aux «crimes graves de droit commun» commis en dehors du pays d’accueil, on doit inévitablement en inférer que les crimes graves de droit commun ne sont pas visés par le libellé général et catégorique de la section Fc) de l’article premier. La section Fb) de l’article premier vise des crimes de droit commun commis en dehors du pays d’accueil, alors que le par. 33(2) traite des crimes ou délits de droit commun perpétrés dans le pays d’accueil. La section Fb) de l’article premier renferme un mécanisme de pondération dans la mesure où il faut que soient remplies les conditions exprimées par les termes «grave» et «de droit commun», tandis que le par. 33(2), mis en œuvre par les art. 53 et 19 de la Loi, oblige à peser la gravité du danger pour la société canadienne par rapport au danger de persécution en cas de refoulement. Cette approche reflète l’intention des États signataires de réaliser un équilibre des considérations humanitaires entre, d’une part, la personne qui craint la persécution et, d’autre part, l’intérêt légitime des États dans la répression de la criminalité. L’existence de la section Fb) de l’article premier semble indiquer que même un crime grave de droit commun tel le trafic des drogues ne doit pas être inclus à la section Fc) de l’article premier. Cette affirmation est conforme aux avis émis par les délégués tels qu’ils ressortent des Collected Travaux Préparatoires of the 1951 Geneva Convention Relating to the Status of Refugees (1989), vol. III, à la p. 89.

74 Il n’y a aucun lien rationnel entre les objectifs de la Convention et les objectifs de la limitation prévue à la section Fc) de l’article premier que propose l’intimé. Tant que la communauté internationale n’aura pas dit clairement qu’elle estime que le trafic des drogues, sous une forme ou une autre, est une violation grave des droits fondamentaux de la personne constituant une persécution, rien ne justifie qu’il soit considéré comme un motif d’exclusion. Le lien entre la persécution et le problème international des réfugiés est ce qui justifie les définitions portant exclusion énoncées aux sections Fa) et Fc) de l’article premier. Les agissements qui ne constituent pas une persécution peuvent fort bien justifier le refoulement en application de l’art. 33, et la Loi prévoit une procédure pour déterminer s’il y a lieu d’appliquer cette disposition. Le refus a priori d’accorder les protections fondamentales d’un traité dont l’objet est la protection des droits de la personne est une exception radicale aux objets de la Convention tels que définis dans l’arrêt Ward, précité, et ne peut être justifié que lorsque l’exclusion favorise la protection de ces droits.

VI. Dispositif

75 Même si le trafic international des drogues constitue un problème extrêmement grave que les Nations Unies ont tenté de résoudre en prenant des mesures extraordinaires, en l’absence d’indications claires que ce trafic est considéré par la communauté internationale comme une violation suffisamment grave et soutenue des droits fondamentaux de la personne pour constituer une persécution, soit parce qu’il a été désigné expressément comme un acte contraire aux buts et aux principes des Nations Unies (la première catégorie) ou parce qu’il est visé par des instruments internationaux précisant par ailleurs que ce trafic est une violation grave des droits fondamentaux de la personne (la seconde catégorie), des personnes ne doivent pas être privées du bénéfice des protections essentielles contenues dans la Convention pour avoir commis de tels actes. L’article 33 et les dispositions de la Loi qui lui font pendant prévoient l’expulsion des personnes qui constituent un danger pour la société canadienne, et les motifs justifiant cette mesure ont une portée plus large et sont formulés plus clairement. À l’évidence, ma décision quant à la portée de la section Fc) de l’article premier de la Convention, incorporée au droit national par le par. 2(1) de la Loi, n’empêche donc pas le ministre de prendre les mesures qui s’imposent pour assurer la sécurité des Canadiens.

76 À mon avis, le complot en vue de faire le trafic d’un stupéfiant commis par l’appelant n’est pas une violation visée par la section Fc) de l’article premier.

77 Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de renvoyer le tout à la Section du statut de réfugié pour examen sous le régime de l’art. 33 de la Convention et des art. 19 et 53 de la Loi, si l’intimé choisit d’aller plus loin.

Version française des motifs des juges Cory et Major rendus par

78 Le juge Cory (dissident) — Monsieur Pushpanathan faisait partie d’un groupe de personnes reconnues coupables du trafic d’une quantité d’héroïne évaluée sur le marché à 10 millions de dollars. Il s’agissait manifestement d’un trafic pratiqué sur une vaste échelle. Il s’est vu infliger une peine d’emprisonnement de huit ans qui tenait compte de son rôle de meneur.

79 Selon les Nations Unies, l’héroïne est la plus dangereuse des drogues illicites. Son trafic constitue à n’en pas douter un crime abject. Il sera établi ici que la consommation d’héroïne mène presque inexorablement à la criminalité en raison de la dépendance qui en résulte. Les profits susceptibles d’être réalisés sont si élevés que le trafic mène souvent à l’activité criminelle et au recyclage de l’argent et peut entraîner la corruption de fonctionnaires des douanes, de policiers et d’officiers de justice. Les conséquences de ce crime sont si graves que le tissu social en est altéré.

80 Manifestement, M. Pushpanathan a été déclaré coupable d’un crime très grave aux répercussions dévastatrices. La gravité du crime ne saurait être aisément minimisée et oubliée. Néanmoins, même le criminel le plus vil a des droits et peut les exercer pleinement.

81 Il est nécessaire d’examiner les effets du trafic des stupéfiants au Canada et dans le monde, mais avant toute chose, je souhaite exprimer mon accord avec la conclusion du juge Bastarache selon laquelle la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

I. Norme de contrôle

82 Pour l’application de la Convention relative au statut des réfugiés, R.T. Can. 1969 no 6, la question de savoir ce qui constitue un agissement contraire aux buts et aux principes des Nations Unies est une question de droit. Bien qu’il faille faire preuve d’une certaine retenue à l’égard des conclusions de fait de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, il n’en va pas de même à l’égard de ses conclusions de droit. La Commission ne jouit pas d’une expertise particulière sur le plan juridique. Par conséquent, la question qui se pose est de savoir si la décision que la Commission a rendue relativement à la question de droit était correcte.

II. Trafic des drogues illicites: Contexte

A. Incidence au Canada

(1) Conséquences de la consommation et du trafic des drogues illicites au Canada

83 La consommation et le trafic des drogues illicites sont un grave problème au Canada, et ceux qui se livrent au trafic des drogues dangereuses doivent susciter des inquiétudes bien réelles chez tous les Canadiens. Les données récentes indiquent une hausse tant de la consommation des drogues illicites que de la perpétration d’infractions liées à la drogue. Un rapport du Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies révèle qu’en 1994 la consommation des drogues illicites a considérablement augmenté par rapport à 1993, celle du cannabis passant de 4,2 à 7,4 pour 100, celle de la cocaïne de 0,3 à 0,7 pour 100 et celle du LSD, du speed ou de l’héroïne de 0,3 à 1,1 pour 100 (D. McKenzie, Profil canadien: l’alcool, le tabac et les autres drogues (1997), à la p. 91).

84 Le nombre d’affaires liées à la drogue signalées au cours de chacune des dernières années a augmenté. En 1993, on a dénombré 56 811 affaires liées à la drogue (Centre canadien de la statistique juridique, Statistique de la criminalité au Canada 1993, à la p. 52); en 1994, ce nombre est passé à 60 594 (Centre canadien de la statistique juridique, Statistique de la criminalité au Canada 1994, à la p. 18). Les données les plus récentes montrent que ce nombre s’est encore accru entre 1995 et 1996. En effet, on comptait 65 106 affaires liées à la drogue en 1996, soit une augmentation de 4,4 pour 100 par rapport à l’année précédente (Juristat, vol. 17, no 8, 1997, à la p. 12). À la fin de 1996, il y avait 2 899 délinquants incarcérés dans des établissements fédéraux pour des infractions liées à la drogue et ils représentaient 21,3 pour 100 de tous les délinquants sous responsabilité fédérale (L. L. Motiuk et R. L. Belcourt, Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada, Délinquants condamnés pour un homicide, une infraction sexuelle, un vol qualifié ou une infraction liée à la drogue dans le système correctionnel fédéral: revue de fin d’année 1996, à la p. 15).

(2) Drogue et criminalité

85 Les infractions liées à la drogue comme la possession et le trafic ne sont qu’un maillon de la chaîne reliant le commerce de la drogue à la criminalité. On a établi l’existence d’un lien entre une consommation importante de drogues et le crime motivé par le besoin de se procurer de l’argent pour satisfaire de coûteuses habitudes de consommation (Juristat, vol. 14, no 6, 1994, à la p. 5). Selon une étude canadienne, 40 pour 100 des détenus sous responsabilité fédérale consomment de la drogue, et la moitié d’entre eux ont perpétré un acte criminel pour s’en procurer. Dans le cas des détenues, le pourcentage est encore supérieur, 25 pour 100 d’entre elles ayant commis l’acte criminel qui leur est imputé à la seule fin d’obtenir de la drogue (ibid., p. 12).

86 En outre, il est reconnu que, dans le commerce illicite de la drogue, la violence constitue un moyen de règlement des différends et une mesure disciplinaire (ibid., p. 9). Les autorités policières estiment qu’en 1996, 56 homicides, soit un sur dix, étaient liés à la drogue; elles précisent que ces données recoupent les moyennes d’autres années (Juristat, vol. 17, no 9, 1997, à la p. 11).

87 Enfin, il est bien établi que la consommation de drogues licites et illicites accroît la criminalité en général, et non seulement le nombre d’infractions directement liées à la drogue. À partir d’un échantillon, on a déterminé que dans les établissements fédéraux, plus de la moitié des détenus de sexe masculin étaient sous l’influence de l’alcool ou d’une autre drogue lorsqu’ils ont commis au moins un de leurs crimes (Juristat, vol. 14, op. cit., à la p. 11). Soixante et onze pour cent de ceux qui avaient consommé de la drogue ont affirmé qu’ils n’auraient pas commis le crime s’ils n’avaient pas consommé de drogue (ibid., p. 12). Il n’est donc pas étonnant que des études américaines révèlent que les toxicomanes sont plus susceptibles d’être à nouveau arrêtés que les non‑toxicomanes (Bureau of Justice Statistics, Drugs and Crime Facts, 1994, à la p. 26). Selon les recherches, de 30 à 50 pour 100 des personnes reconnues coupables d’une infraction liée à la drogue récidivent (ibid.; Centre canadien de la statistique juridique, Étude sur la récidive en fonction des antécédents criminels et des profils des contrevenants (1993), à la p. 22).

88 Devant tous ces éléments de preuve, il est impossible de méconnaître le mal que fait le trafic des drogues illicites à la société canadienne sous forme d’activité criminelle, souvent empreinte de violence. Malheureusement, il y a encore d’autres coûts liés au trafic et à la consommation des drogues illicites qui reflètent l’ampleur des dévastations causées par cette activité.

(3) Coût social et économique de la consommation de drogues illicites

89 Le coût social de la toxicomanie et du trafic des drogues illicites est important, voire consternant. Il englobe les coûts directs tels les soins de santé et l’application de la loi, ainsi que les coûts indirects engendrés par la perte de productivité.

90 Au Canada, le coût social total de la toxicomanie est évalué à 18,45 milliards de dollars par année (Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies, Les coûts de l’abus de substances au Canada: Points saillants (1996), à la p. 2). De cette somme, 1,4 milliard de dollars sont imputables aux drogues illicites (McKenzie, op. cit., à la p. 227). En 1992, 732 décès, 7 095 hospitalisations et 58 571 jours d’hospitalisation au Canada étaient attribuables aux drogues illicites (ibid., p. 91). La mortalité imputable aux drogues illicites est moindre que celle attribuable à la consommation d’alcool et de tabac, mais les victimes sont généralement plus jeunes (Les coûts de l’abus de substances au Canada, op. cit., à la p. 6).

91 Ces conséquences importantes et souvent tragiques montrent que les méfaits du trafic des drogues illicites suscitent à juste titre de graves inquiétudes au Canada et dans le monde entier.

B. Incidence à l’échelle internationale

(1) Ampleur du problème

92 Il est difficile de chiffrer globalement la consommation des drogues illicites vu l’absence d’un système international de collecte des renseignements et la difficulté de comparer les données nationales. Toutefois, il est clair que la consommation illicite de drogues dans le monde a augmenté au cours des années 80 et 90, et on estime que la tendance à la hausse devrait se poursuivre (Commission des stupéfiants, Conséquences économiques et sociales de l’abus et du trafic illicite des drogues: Rapport intérimaire, Doc. NU E/CN.7/1995/3, 9 novembre 1994, à la p. 16). Le problème de la toxicomanie a également pris de l’ampleur en termes de gravité et d’étendue. On constate non seulement un accroissement du nombre absolu de toxicomanes, mais également une augmentation de la consommation d’héroïne et d’amphétamines ainsi que de drogues absorbées par voie intraveineuse. L’héroïne, l’opium et la cocaïne sont de plus en plus utilisés en injections, avec tous les risques sanitaires que comporte cette pratique (Commission des stupéfiants, Réduction de la demande illicite de drogues: Stratégies de prévention, y compris la participation communautaire -- Situation mondiale en matière d’abus de drogues: Rapport du Secrétariat, Doc. NU E/CN.7/1995/5, 10 janvier 1995, aux pp. 3 et 4). Environ 20 pour 100 des personnes séropositives dans le monde s’injectent de la drogue (Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues, World Drug Report (1997), à la p. 91). Le fait qu’un nombre croissant de jeunes consomment de la drogue est particulièrement troublant. Par exemple, au Pakistan, la proportion de toxicomanes ayant commencé à consommer de l’héroïne entre 15 et 20 ans a doublé et atteint presque 24 pour 100; aux États‑Unis, le nombre d’élèves de 8e année faisant usage de marijuana et de cocaïne aurait doublé de 1991 à 1994 (ibid., p. 86).

93 La production de drogues illicites a augmenté substantiellement au cours des 10 ou 15 dernières années. Les pays traditionnellement associés à cette production sont également devenus de grands consommateurs et participent désormais à l’expansion mondiale du marché des drogues illicites (Situation mondiale en matière d’abus de drogues, op. cit., à la p. 3). On estime à plus de 300 tonnes la quantité d’héroïne produite annuellement depuis le début des années 90 et, en 1996, la récolte des feuilles de coca a permis de produire 1 000 tonnes de cocaïne (World Drug Report, op. cit., à la p. 18).

94 Selon les estimations les plus modérées, les ventes annuelles de drogues illicites à l’échelle mondiale oscillent entre 400 et 500 milliards de dollars américains, ce qui représente environ un dixième de l’ensemble du commerce international et sept à huit fois les sommes consacrées chaque année à l’aide publique au développement (Conséquences économiques et sociales de l’abus et du trafic illicite des drogues, op. cit., à la p. 9). Le commerce de la drogue, en particulier celui de la cocaïne et de l’héroïne, est de plus en plus organisé et il est dirigé par des groupes structurés et, dans certains cas, par des cartels. Aux échelons les plus élevés, le pouvoir est extrêmement centralisé (World Drug Report, op. cit., à la p. 123).

(2) Coûts économiques et sociaux de la consommation et du trafic de drogues illicites

95 Les coûts économiques du trafic de la drogue et de la toxicomanie sont encore plus élevés à l’étranger qu’au Canada. Ils englobent les frais occasionnés par la répression de la criminalité, la prévention et la réhabilitation, ainsi que les frais de justice et de santé. Partout dans le monde, la toxicomanie réduit la productivité (Conséquences économiques et sociales de l’abus et du trafic illicite des drogues, op. cit., à la p. 23). Dans les pays producteurs de drogues, des emplois sont créés, mais moins qu’on ne le croit généralement (ibid.). Les narcodollars sont souvent investis dans des secteurs qui créent ou maintiennent des emplois improductifs (ibid., p. 25).

96 Parmi les autres coûts économiques, mentionnons la hausse du prix des denrées alimentaires et des prix fonciers imputable à la culture de la drogue et à l’investissement des profits illicites dans l’immobilier (ibid., p. 29). Cette inflation accentue les difficultés auxquelles se heurtent les collectivités locales. Par ailleurs, la production et la consommation de drogues accroissent les écarts de revenus dans la société. Vu la nature hiérarchique de l’industrie des drogues illicites, les profits sont répartis parmi un petit nombre de personnes. Au sommet, toute l’industrie est aux mains de quelques individus (ibid.).

97 À court terme, l’exportation de drogues semble bénéfique à certains pays parce qu’elle leur permet d’obtenir des devises étrangères dont ils ont grand besoin, ces dernières représentant parfois jusqu’à la moitié des exportations illicites totales. Malgré ses effets bénéfiques à court terme sur l’économie locale, l’exportation de la drogue est néfaste à long terme. L’absence d’exportations de rechange crée une dépendance vis‑à‑vis des drogues illicites et rend l’économie vulnérable (ibid., pp. 30 et 31).

98 On estime que de 300 à 500 milliards de dollars américains provenant chaque année du trafic des drogues illicites sont susceptibles d’être recyclés à l’échelle internationale. Il s’agit de sommes faramineuses par rapport au produit national brut de bon nombre de pays en développement (ibid., p. 32). L’investissement et le recyclage des narcodollars créent d’importants déséquilibres au sein des économies nationales. Dans les États en transition qui privatisent rapidement des biens publics, des difficultés se présentent lorsque ces biens deviennent la cible de la finance criminelle. Partout dans le monde, l’investissement de quantités considérables de narcodollars dans l’économie rend la politique et la gestion macroéconomiques extrêmement difficiles. Le trafic des drogues et la violence liée à la drogue obligent l’État à augmenter le budget qu’il consacre à l’application de la loi aux dépens des autres besoins sociaux et mettent en péril l’investissement étranger en créant de l’insécurité (ibid., pp. 33 et 34).

99 Les répercussions sociales de la consommation et du trafic des drogues illicites sont aussi importantes. Il s’établit une interrelation entre la toxicomanie et l’éclatement des familles et des collectivités qui aboutit à la ruine. La désintégration familiale contribue à la toxicomanie et celle‑ci, à son tour, met les familles à rude épreuve et tend à les rendre dysfonctionnelles (ibid., p. 35). Dans les régions productrices, les collectivités sont victimes d’intimidation et de brutalité de la part des organisations criminelles et de la police ou de l’armée; les regroupements tribaux, communautaires et coopératifs ruraux éclatent sous la pression des trafiquants et des groupes terroristes associés aux trafiquants (Département de l’information des Nations Unies, Drug Trafficking and the World Economy (1990); cité dans M. C. Bassiouni, «Critical Reflections on International and National Control of Drugs» (1990), 18 Denv. J. Int’l L. & Pol’y 311, à la p. 327).

100 Les incidences négatives de la toxicomanie sur la santé, notamment une mortalité accrue et une variété de problèmes de santé liés à l’usage des drogues, représentent un autre coût important pour la société (Conséquences économiques et sociales de l’abus et du trafic illicite des drogues, op. cit., aux pp. 36 et 37). Le lien établi entre la toxicomanie, le partage des seringues, la prostitution, le sida et d’autres maladies ajoute aux risques pour la santé à l’échelle mondiale (ibid., p. 37).

101 L’usage de la drogue a un effet préjudiciable sur l’éducation et crée là aussi un cercle vicieux: il diminue le rendement scolaire, et les problèmes qui en découlent, comme la perte d’estime de soi imputable à l’absence de résultats scolaires gratifiants, incitent à la consommation des stupéfiants (ibid., p. 39).

102 Enfin, il semble de plus en plus que la culture et la transformation des plantes cultivées en drogue (par exemple, l’emploi et le déversement de produits chimiques dangereux), ainsi que les mesures prises pour faire échec à ces activités (comme la pulvérisation d’herbicides afin de détruire les cultures illicites) ont des effets très néfastes sur l’environnement (ibid., pp. 40 et 41).

(3) Liens avec l’activité criminelle et la corruption

103 La criminalité liée à la drogue constitue un problème grave tant dans les pays producteurs que dans les pays consommateurs. La toxicomanie fait progresser la criminalité, les toxicomanes commettant des crimes contre les biens et s’adonnant à la prostitution pour se procurer l’argent nécessaire à la satisfaction de leurs besoins en drogue. Dans certaines régions, les conflits qui opposent les groupes de trafiquants accroissent sensiblement l’incidence de la violence (ibid., pp. 42 et 43).

104 Les conséquences de la consommation et du trafic des drogues illicites sur la répression de la criminalité sont doubles. Premièrement, il y a détournement du temps, de l’énergie et des ressources qui pourraient être consacrés à d’autres activités. Deuxièmement, surtout dans les milieux bien organisés, il y a un risque de corruption policière. La criminalité et les fonds liés au trafic de la drogue ont aussi un effet corrupteur plus général sur les gouvernements et la société civile. Dans certains pays, les fonds tirés du commerce de la drogue minent sérieusement le processus démocratique parce qu’ils permettent d’acheter protection, influence et votes. Il existe aussi des risques évidents de corruption du système judiciaire. En outre, la mise en circulation de quantités considérables de fonds provenant d’activités illicites est susceptible de déstabiliser les économies nationales, ce qui entraîne la vulnérabilité et la dépendance du système politique (ibid., p. 44).

(4) Mise en péril de la stabilité politique et économique à l’échelle internationale

105 Les liens établis entre le crime organisé, les groupes terroristes, le trafic d’armes et le trafic des stupéfiants multiplient les risques pour la sécurité dans chaque pays et au sein de la communauté internationale. Selon le Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues, [traduction] «[e]n situation de conflit armé, les revenus provenant du trafic des drogues illicites ‑- ou les drogues elles‑mêmes ‑- servent régulièrement à l’achat d’armes» (World Drug Report, op. cit., à la p. 17). Dans certains pays, tel le Pérou, les trafiquants ont conclu des alliances avec des groupes de guérilleros pour garantir leur approvisionnement en matériel de transformation (ibid., p. 128). La puissance financière et militaire de ces organisations menace la stabilité politique et économique de nombreux pays et, en fait, de la communauté internationale dans son ensemble.

106 Les effets combinés du commerce des drogues illicites amènent un auteur à conclure que les profits tirés de ce commerce [traduction] «contribuent plus à la corruption des systèmes sociaux, à la détérioration des économies et à l’affaiblissement des valeurs morales et éthiques que les effets combinés de toutes les autres formes de criminalité. [. . .] L’étendue de la corruption au sein des gouvernements, des milieux politiques et des milieux d’affaires compromet en outre la stabilité des sociétés et le fonctionnement des États et elle menace ultimement la stabilité politique, voir l’ordre mondial» (Bassiouni, loc. cit., aux pp. 323 et 324).

C. Les Nations Unies et la lutte contre les drogues illicites

(1) Activité des Nations Unies dans le domaine du contrôle des drogues

107 La profonde inquiétude de la communauté internationale au sujet de l’usage et du trafic des drogues illicites est antérieure à la création de l’Organisation des Nations Unies, et depuis l’établissement de cet organisme, les activités de contrôle des drogues se sont poursuivies. Au début du siècle, les répercussions du trafic de l’opium ont suscité une coopération à l’échelle internationale en vue d’y mettre un frein. La Convention internationale de l’opium, 8 R.T.S.N. 187, a été adoptée en 1912. Depuis, plus d’une douzaine d’instruments multilatéraux, de nombreux accords bilatéraux et d’innombrables autres documents ont été établis par la communauté internationale, tout d’abord sous les auspices de la Société des Nations, puis sous l’égide des Nations Unies. Des mesures visant à lutter contre le trafic de la drogue ont été prises dès la fondation des Nations Unies.

108 L’activité récente des Nations Unies dans ce domaine dénote une préoccupation croissante en ce qui a trait au trafic des drogues illicites et aux maux qui y sont associés. Trois organes importants des Nations Unies s’occupent du contrôle des drogues. La Commission des stupéfiants («CS»), établie par le Conseil économique et social en 1946, est l’organe directeur des Nations Unies pour les questions relatives aux drogues. Le Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues est l’organisme des Nations Unies responsable des activités de coordination dans ce domaine. L’Organe international de contrôle des stupéfiants, créé en 1968, s’occupe de l’administration des traités se rapportant au contrôle international des drogues, veille à leur mise en œuvre et promeut leur observation.

109 Avant 1980, les instruments internationaux les plus importants étaient la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, 30 mars 1961, 520 R.T.N.U. 205, modifiée par un protocole en 1972 (Protocole portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, 25 mars 1972, 976 R.T.N.U. 3) et la Convention sur les substances psychotropes, 21 février 1971, 1019 R.T.N.U. 175. La Convention unique sur les stupéfiants de 1961 reprenait la plupart des traités multilatéraux antérieurs relatifs aux drogues. La Convention unique sur les stupéfiants de 1961 et la Convention sur les substances psychotropes mettaient toutes deux l’accent sur l’offre et la circulation des drogues et leur objectif était d’établir un réseau de contrôles administratifs. Ces conventions visent plus de 116 stupéfiants et 111 substances psychotropes. Le Canada est signataire des deux conventions (Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, Nations Unies, New York (ST/LEG/SER.E), disponible sur http://www.un.org/Depts/Treaty le 4 décembre 1997).

110 Dès les années 80, cependant, il est devenu apparent que le problème continuait de s’aggraver et que les mesures prises jusqu’alors étaient inadéquates:

[traduction] . . . les cartels de la drogue devenant plus puissants et leurs méthodes se raffinant de plus en plus, la nécessité de nouvelles mesures internationales plus vigoureuses s’est imposée. Au sein des Nations Unies, la Commission des stupéfiants est devenue l’instrument privilégié pour formuler et adopter une démarche à long terme plus globale face au problème de la drogue à l’échelle internationale.

(D. P. Stewart, «Internationalizing The War on Drugs: The UN Convention Against Illicit Traffic in Narcotic Drugs and Psychotropic Substances» (1990), 18 Denv. J. Int’l L. & Pol’y 387, à la p. 390.)

En 1981, une stratégie internationale de lutte contre l’abus des drogues et un programme d’action ont été adoptés (Rés. AG 36/168, 16 décembre 1981) pour s’attaquer tant à l’usage qu’au trafic des drogues. En 1984, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté à l’unanimité une résolution demandant à la CS d’entreprendre la rédaction d’une nouvelle convention (Rés. AG 39/141, 14 décembre 1984). La CS a commencé à travailler à un projet de convention l’année suivante (Stewart, loc. cit., à la p. 390) et, avec l’appui de l’Assemblée générale, elle a poursuivi ses travaux au cours des années qui ont suivi (voir par exemple, Rés. AG 40/120, 13 décembre 1985).

111 En 1987, à Vienne, des délégués de 138 États ont participé à une Conférence internationale sur l’abus et le trafic illicite des drogues (Rapport de la Conférence internationale sur l’abus et le trafic illicite des drogues, Doc. NU A/CONF.133/12, à la p. 99). Deux documents importants ont été adoptés à cette conférence: la Déclaration et le Schéma multidisciplinaire complet pour les activités futures de lutte contre l’abus des drogues (ibid., pp. 90 et 3). Le schéma énonce des lignes directrices non obligatoires à l’usage des États et des organisations membres en vue d’une solution globale aux problèmes de l’abus et du trafic des drogues (ibid., p. 7). Il traite de la prévention et de la réduction de la demande, du contrôle de l’offre, de la suppression du trafic illicite, ainsi que du traitement et de la réhabilitation. La Déclaration fait état d’inquiétudes au sujet des effets de la toxicomanie et elle appelle à l’adhésion universelle à la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 et à la Convention sur les substances psychotropes, de même qu’à la rédaction finale et à l’adoption de la nouvelle convention.

112 L’année suivante, la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, Doc. NU E/Conf.82/15, 19 décembre 1988 («Convention contre le trafic illicite»), en était aux étapes finales de la négociation et de la rédaction. Une conférence a eu lieu en vue de son adoption, et des représentants de 106 États y ont participé (Acte final de la Conférence des Nations Unies pour l’adoption d’une convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, Doc. NU E/Conf.82/14, au par. 7). La Convention contre le trafic illicite a été adoptée le 19 décembre 1988, et 44 États, dont le Canada, y ont immédiatement apposé leur signature (D. W. Sproule et P. St‑Denis, «The UN Drug Trafficking Convention: An Ambitious Step», dans l’Annuaire canadien du Droit international 1989, t. XXVII, 263, à la p. 263); elle est entrée en vigueur en novembre 1990. En décembre 1997, 88 États étaient signataires de la Convention contre le trafic illicite (Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, Nations Unies, New York (ST/LEG/SER.E), disponible sur http://www.un.org/Depts/Treaty le 4 décembre 1997).

113 La Convention contre le trafic illicite a été saluée comme [traduction] «l’un des instruments les plus détaillés et les plus ambitieux jamais adoptés dans le domaine du droit pénal international» (Stewart, loc. cit., à la p. 388). Son préambule reconnaît «que le trafic illicite est une activité criminelle internationale dont l’élimination exige une attention urgente et le rang de priorité le plus élevé» et que sa suppression «relève de la responsabilité collective de tous les États» (je souligne). Elle renferme des dispositions concernant l’établissement d’infractions criminelles liées au trafic et aux activités connexes, l’exercice de la compétence, la saisie des drogues, d’autres biens et des produits tirés de l’activité illicite, l’extradition, l’entraide juridique et d’autres formes de coopération, le contrôle des substances, du matériel et de l’équipement utilisés pour fabriquer des drogues illicites, l’éradication des cultures et diverses autres questions se rapportant à la lutte contre le trafic. Elle s’applique aux stupéfiants et aux substances psychotropes énumérés dans la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 et la Convention sur les substances psychotropes, ainsi qu’aux substances couramment utilisées dans la fabrication illicite de ces drogues.

114 Les préoccupations et les activités des Nations Unies liées à la lutte contre le trafic des drogues illicites ont continué de s’intensifier au cours de la dernière décennie. Divers organes et organismes des Nations Unies se sont penchés sur le problème des drogues illicites et sur des questions connexes, comme le crime organisé, le recyclage de l’argent et le terrorisme. Une session extraordinaire de l’Assemblée générale doit avoir lieu du 8 au 10 juin 1998 (Rés. AG 51/64, 28 janvier 1997) pour examiner le problème des drogues illicites, et on propose à cette occasion l’adoption d’une déclaration au plus haut niveau politique (Communiqué de presse, AG/SHC/313, 27 octobre 1997).

115 Selon le nouveau programme de réformes (Rénover l’Organisation des Nations Unies: Un programme de réformes, Doc. NU A/51/950, 14 juillet 1997, au par. 144), le contrôle des drogues, la prévention du crime et la lutte contre le terrorisme international constituent des domaines prioritaires des Nations Unies pour les prochaines années. Le Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues et la Division de la prévention du crime et de la justice pénale (rebaptisée Centre de la prévention de la criminalité internationale) doivent être restructurés afin de consolider les activités des NU dans ce domaine (ibid., par. 144 et 145). Le programme de réformes reconnaît que «les réseaux transnationaux de la criminalité, des stupéfiants, du blanchiment de l’argent et du terrorisme» constituent une menace à l’autorité des gouvernements, à la société civile et à l’ordre public et qu’il s’agit d’un problème de plus en plus préoccupant sur le plan international (ibid., par. 143).

(2) Déclarations des Nations Unies concernant le trafic des drogues illicites

116 Au cours des années 80 et 90, des mesures internationales de lutte contre le trafic des drogues illicites ont figuré à l’ordre du jour de chacune des sessions de l’Assemblée générale, et chaque fois, l’Assemblée générale a adopté des résolutions à ce sujet. Ces résolutions ne s’imposent pas légalement aux États Membres, mais elles énoncent clairement et vigoureusement le point de vue des Nations Unies et de ses membres. Les résolutions relatives à la lutte contre le trafic de la drogue font toutes état d’une vive préoccupation à l’égard du problème et condamnent ceux qui en assurent la continuité et la progression.

117 Les extraits suivants d’une résolution de 1986 sur la Campagne internationale contre le trafic des drogues, Rés. AG 41/127, 4 décembre 1986, donnent une idée du ton et de la teneur de ces déclarations:

Consciente de l’angoisse commune que les peuples du monde éprouvent quant aux effets dévastateurs de l’abus et du trafic illicite des drogues, qui mettent en péril la stabilité des institutions démocratiques et le bien‑être de l’humanité et constituent donc une grave menace pour la sécurité et un obstacle au développement de nombreux pays,

. . .

Considérant que, malgré les efforts faits, la situation continue de se dégrader à cause, notamment, du lien de plus en plus étroit entre le trafic des drogues et les organisations criminelles transnationales qui sont, pour une large part, à l’origine du trafic des drogues et de l’abus des stupéfiants et des substances psychotropes, comme de l’aggravation de la violence, de la corruption et du mal fait à la société,

Constatant une fois de plus que l’élimination de ce fléau implique la reconnaissance d’une responsabilité partagée . . .

1. Condamne sans équivoque tous les aspects du trafic illicite des drogues: production, transformation, commercialisation et consommation, en tant qu’activité criminelle, et demande à tous les États de proclamer leur volonté politique de mener une lutte concertée et universelle en vue d’éliminer complètement et définitivement ce trafic . . . [Je souligne.]

Des déclarations subséquentes expriment également l’inquiétude que suscitent les répercussions néfastes sur la jeunesse de sa participation à la production et au trafic de la drogue, le nombre croissant de toxicomanes parmi les enfants et les jeunes (par exemple, Rés. AG 43/121, 8 décembre 1988; Rés. AG 44/141, 15 décembre 1989; Rés. AG 46/103, 16 décembre 1991; Rés. AG 49/168, 24 février 1995), ainsi que les liens croissants entre le trafic de la drogue et le terrorisme (par exemple, Rés. AG 44/142, 15 décembre 1989; Rés. AG 45/149, 18 décembre 1990; Rés. AG 46/103, 16 décembre 1991; Rés. AG 47/102, 16 décembre 1992; Rés. AG 48/112, 20 décembre 1993).

118 En 1990, une Déclaration politique et un Programme d’action mondial ont été adoptés à la dix‑septième session extraordinaire de l’Assemblée générale consacrée à la lutte contre l’abus et le trafic des drogues illicites. La Déclaration politique énonce:

Nous, États Membres de l’Organisation des Nations Unies,

Prenant part à la dix‑septième session extraordinaire de l’Assemblée générale, consacrée à la question de la coopération internationale contre la production, l’offre, la demande, le trafic et la distribution illicites de stupéfiants et de substances psychotropes,

Profondément alarmés par l’ampleur toujours croissante prise par la demande, la production, l’offre, le trafic et la distribution illicites de stupéfiants et de substances psychotropes, qui font peser une menace grave et persistante sur la santé et le bien‑être de l’humanité, la stabilité des nations, les structures politiques, économiques, sociales et culturelles de toutes les sociétés et la vie et la dignité de millions d’êtres humains, tout spécialement les jeunes,

. . .

Profondément préoccupés par la violence et la corruption qu’engendrent la demande, la production, le trafic et la distribution illicites de stupéfiants et de substances psychotropes, ainsi que par le coût humain, politique, économique et social élevé de la toxicomanie et de la lutte contre le problème de la drogue, qui détourne de la réalisation d’autres priorités nationales, y compris les activités de développement dans le cas des pays en développement, une part des ressources limitées disponibles à ce titre,

. . .

Conscients des liens qui existent entre la toxicomanie et toute une série de conséquences néfastes pour la santé, y compris la transmission du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et la propagation du syndrome de l’immunodéficience acquise (SIDA),

Considérant également que le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes est une activité criminelle dont l’élimination ne saurait être assurée que si tous les États y assignent un rang de priorité élevé et s’y consacrent de façon concertée . . .

Notant que les profits considérables qu’elles tirent du trafic illicite de drogues et des activités criminelles dont il s’accompagne permettent aux organisations criminelles transnationales de s’infiltrer dans les gouvernements, dans les activités commerciales légitimes et dans la société à tous les niveaux, ainsi que d’en altérer et d’en corrompre les structures, viciant ainsi le développement économique et social, faussant le fonctionnement du droit et sapant les fondements des États,

. . .

Alarmés par les liens de plus en plus étroits existant entre le trafic illicite de stupéfiants et les activités terroristes, à quoi s’ajoutent l’insuffisance du contrôle exercé sur le commerce d’armes, les transferts illicites ou clandestins d’armes et les activités illégales de mercenaires,

. . .

Sommes convenus de ce qui suit:

1. Nous sommes résolus à protéger l’humanité du fléau de la toxicomanie et du trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes;

2. Nous affirmons que les gouvernements et toutes les organisations internationales et régionales compétentes se doivent d’assigner un rang de priorité élevé à la lutte contre la toxicomanie et le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes;

. . .

8. Nous condamnons sous toutes ses formes le délit que constitue le trafic illicite de la drogue et réaffirmons notre volonté politique de mener une action internationale concertée . . . [Je souligne.]

(Rés. AG S‑17/2, 23 février 1990, annexe)

Plus récemment, dans une résolution adoptée en janvier 1998, l’Assemblée générale dit ce qui suit:

Constatant avec une vive préoccupation que, en dépit des efforts redoublés des États et des organismes internationaux compétents, on voit augmenter mondialement la demande, la production et le trafic illicites de stupéfiants et de substances psychotropes, y compris de drogues synthétiques et d’analogues de substance illicite, qui, partout dans le monde, menacent la santé, la sécurité et le bien‑être de millions de personnes, en particulier les jeunes, ainsi que les systèmes socio-économiques et politiques et la stabilité, la sécurité nationale et la souveraineté d’un nombre croissant d’États,

Vivement alarmée par la violence et le pouvoir économique croissants qu’exercent les organisations criminelles et les groupes terroristes se livrant au trafic de drogues et à d’autres activités criminelles telles que le blanchiment de l’argent et le trafic d’armes et de précurseurs et produits chimiques essentiels ainsi que par le développement des relations transnationales entre ces organisations et groupes . . .

. . .

Se rendant pleinement compte que les États, les organismes des Nations Unies compétents et les banques multilatérales de développement doivent faire preuve d’une plus grande volonté politique et attribuer un plus haut rang de priorité à la lutte contre ce fléau qui compromet le développement, la stabilité économique et politique et les institutions démocratiques, entraîne pour les gouvernements qui le combattent une charge économique de plus en plus lourde et cause des pertes irréparables en vies humaines . . . [Je souligne.]

(Rés. AG 52/92, 26 janvier 1998)

119 Faire le trafic de drogues illicites dangereuses c’est commettre un crime très grave dont les conséquences sociales sont dévastatrices au Canada et partout dans le monde. Vu les graves répercussions de ce fléau à l’échelle internationale, il serait légitime de s’attendre à ce que les Nations Unies aient examiné la question. L’exposé qui précède montre que ces attentes n’ont pas été déçues. Les études réalisées par les Nations Unies confirment la gravité du crime et les conséquences désastreuses qu’il continue d’engendrer. Ces études et déclarations des Nations Unies concernant le trafic de la drogue indiquent que ce crime peut, à n’en pas douter, être tenu pour contraire aux buts et aux principes des Nations Unies.

D. Application à la présente espèce: le trafic des drogues illicites est‑il contraire aux buts et aux principes des Nations Unies?

(1) Comment une cour de justice ou un tribunal devrait‑il déterminer ce qui constitue un agissement contraire aux buts et aux principes des Nations Unies?

120 À l’occasion, l’Organisation des Nations Unies a elle‑même déclaré expressément qu’une activité donnée était contraire à ses buts et à ses principes. En pareil cas, selon la portée juridique de la déclaration, le tribunal national peut être tenu de conclure que l’acte est contraire aux buts et aux principes des Nations Unies ou, à tout le moins, être convaincu qu’il convient de tirer une telle conclusion. Tel est le cas en matière de disparition forcée, de torture et de terrorisme international. La Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Rés. AG 3452 (XXX), 9 décembre 1975, art. 2), dit que «[t]out acte de torture ou tout autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant est un outrage à la dignité humaine et doit être condamné comme un reniement des buts de la Charte des Nations Unies . . .»

121 La Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (Rés. AG 47/133, 18 décembre 1992, par. 1(1)) renferme une disposition similaire en ce qui concerne la disparition forcée. La Déclaration sur les mesures visant à éliminer le terrorisme international (Rés. AG 49/60, 17 février 1995, annexe, art. 2) et la Déclaration complétant la Déclaration de 1994 sur les mesures visant à éliminer le terrorisme international (Rés. AG 51/210, 16 janvier 1997, annexe, art. 2) énoncent toutes deux que les actes, méthodes et pratiques terroristes sont contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Ces déclarations établissent de façon éloquente que les agissements déclarés contraires aux buts ou aux principes des Nations Unies devraient être considérés comme tels, notamment pour l’application de la Convention relative au statut des réfugiés.

122 Il ne s’ensuit cependant pas que la catégorie des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies doive être limitée à ceux qui font expressément l’objet d’une déclaration en ce sens. Le tribunal national peut, après examen des éléments pertinents, conclure que d’autres types d’agissements sont visés. Dans le cadre du présent pourvoi, deux autres catégories ont été évoquées pour illustrer le genre d’agissements qui devraient être tenus pour contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, notamment le crime international et le «crime d’intérêt international». Bien que ces catégories puissent mettre sur la voie lorsqu’il s’agit de déterminer quels agissements devraient être visés, elles ne devraient pas être tenues pour concluantes, selon moi.

123 La catégorie des actes dont on convient qu’il s’agit de véritables crimes internationaux est, du moins pour le moment, très restreinte. Ces crimes seraient tenus pour être des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, mais je ne crois pas que ce soit les seuls actes qui contreviennent à ces buts et principes. En revanche, la catégorie des «crimes d’intérêt international», qui engloberait les crimes visés par les conventions internationales prévoyant une coopération internationale aux fins de la poursuite des contrevenants, est une catégorie très générale (voir, par exemple, M. C. Bassiouni, International Criminal Law, vol. 1, Crimes (1986), aux pp. 135 et 136). Cet auteur inclurait certaines activités qu’il ne conviendrait pas de qualifier de «contraires aux buts et aux principes des Nations Unies». Les actes qui sont de fait visés par cette expression ont de graves conséquences. Il s’ensuit que pour déterminer l’étendue des exclusions prévues par la Convention relative au statut des réfugiés, ces actes ne doivent pas être définis d’une façon trop générale.

124 De même, chaque mesure des Nations Unies ne saurait être si essentielle à la réalisation de ses buts et de ses principes que tout acte y contrevenant ou en réduisant l’efficacité soit «contraire aux buts et aux principes des Nations Unies». Il est vrai que l’un des buts des Nations Unies, selon sa Charte, est de «[r]éaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux» (Charte des Nations Unies, R.T. Can. 1945 no 7, par. 1(3)). Toutefois, vu le nombre considérable et croissant de domaines dans lesquels les organismes des Nations Unies interviennent, il serait inapproprié de renvoyer à cette gamme étendue d’activités pour définir l’exclusion visée en l’espèce.

125 Néanmoins, certaines questions suscitent de telles inquiétudes et donnent lieu à une activité tellement intense et constante qu’on peut conclure qu’elles sont fondamentalement liées aux objectifs des NU. Ce n’est pas seulement l’ampleur des inquiétudes et des activités qui permettent de déterminer qu’une mesure est essentielle à la réalisation des buts et principes des Nations Unies, mais également la nature du problème et son lien avec les buts et les principes énoncés dans la Charte. La communauté internationale a reconnu que certains problèmes, en raison de leur gravité et de leur nature, constituent une menace pour l’ensemble de la communauté internationale et de l’ordre public international. Le comportement qui exerce une action directe ou importante sur ces problèmes ou qui porte atteinte à des obligations ou à des principes recueillant l’adhésion générale devrait, dans les cas qui s’y prêtent, être tenu pour contraire aux buts et aux principes des Nations Unies. À mon avis, le trafic d’une drogue dangereuse comme l’héroïne, pratiqué sur une vaste échelle, devrait entrer dans cette catégorie de comportement.

126 Même si je conviens avec le juge Bastarache qu’une violation grave ou systématique des droits de la personne constituerait un comportement contraire aux buts et aux principes des Nations Unies, en tout déférence, je ne crois pas qu’il s’agisse du seul comportement qui doive être pris en considération pour interpréter la section Fc) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés. Certes, la promotion du respect des droits de la personne est l’un des buts fondamentaux des Nations Unies. Il existe cependant d’autres buts et principes auxquels les actes d’un particulier ou d’un État peuvent porter atteinte. Il peut être utile d’examiner les buts et les principes des Nations Unies énoncés dans la Charte:

Article 1

Les Buts des Nations Unies sont les suivants:

1. Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin: prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix;

2. Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux‑mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde;

3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion;

4. Être un centre où s’harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes.

Article 2

L’Organisation des Nations Unies et ses Membres, dans la poursuite des Buts énoncés à l’article 1, doivent agir conformément aux Principes suivants:

1. L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses Membres.

2. Les Membres de l’Organisation, afin d’assurer à tous la jouissance des droits et avantages résultant de leur qualité de Membre, doivent remplir de bonne foi les obligations qu’ils ont assumées aux termes de la présente Charte.

3. Les Membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger.

4. Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les Buts des Nations Unies.

5. Les Membres de l’Organisation donnent à celle‑ci pleine assistance dans toute action entreprise par elle conformément aux dispositions de la présente Charte et s’abstiennent de prêter assistance à un État contre lequel l’Organisation entreprend une action préventive ou coercitive.

6. L’Organisation fait en sorte que les États qui ne sont pas Membres des Nations Unies agissent conformément à ces Principes dans la mesure nécessaire au maintien de la paix et de la sécurité internationales.

7. Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État ni n’oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte; toutefois ce principe ne porte en rien atteinte à l’application des mesures de coercition prévues au chapitre VII.

Ces principes sont réitérés et précisés dans la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies (Rés. AG 2625 (XXV), 24 octobre 1970, annexe).

127 L’analyse effectuée pour déterminer ce qu’est un agissement contraire à ces buts et à ces principes ne doit pas forcément porter sur un seul but, la protection des droits de la personne, bien qu’il s’agisse d’un but important et que la Convention relative au statut des réfugiés soit un instrument de défense des droits de la personne. Même si le but d’un instrument est pris en considération pour en interpréter les dispositions, je ne pense pas qu’en l’espèce, il doive restreindre la portée de l’exclusion de manière qu’elle vise seulement le comportement lié directement aux droits de la personne. Il doit être tenu compte de tous les buts et de tous les principes. En outre, certains types de comportement peuvent concourir indirectement, mais substantiellement, à la violation des droits de la personne; la participation au trafic des drogues illicites pratiqué sur une vaste échelle entre selon moi dans cette catégorie.

128 La Convention relative au statut des réfugiés devrait être interprétée de façon à protéger le mieux possible les droits de la personne. Cependant, l’interprétation d’une exclusion ne saurait être enfermée à jamais dans des limites. Le sens donné à des termes tels «agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies» devrait pouvoir suivre l’évolution du droit international. Certes, il ne faut pas étendre à la légère la portée de l’exclusion prévue à la section Fc) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, mais lorsque des éléments de preuve probants indiquent qu’elle devrait être interprétée d’une certaine façon, le tribunal ne devrait pas être empêché de retenir cette interprétation.

129 Le droit international évolue constamment. Les tribunaux devraient reconnaître que les indications fournies par les outils d’interprétation que sont les travaux préparatoires et la pratique ultérieurement suivie doivent être considérées à la lumière de l’état actuel du droit et des ententes internationales. Il convient de tenir compte des travaux préparatoires, mais cela ne signifie pas que les tribunaux soient tenus de les interpréter strictement. Il y a lieu plutôt de tenir compte des principes et des préoccupations qui les sous‑tendent en vue de leur donner un sens adapté au contexte contemporain. De même, en ce qui concerne la pratique étatique, il convient d’assurer une certaine harmonisation avec l’interprétation établie par la pratique suivie par les États, mais cette interprétation doit être adaptée selon l’évolution des notions et des principes du droit international. L’interprétation des instruments juridiques internationaux est un processus dynamique qui doit tenir compte des circonstances actuelles. En d’autres termes, l’interprétation doit s’adapter au contexte contemporain.

(2) Un particulier peut‑il se rendre coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies?

130 Le point de vue selon lequel les activités liées au trafic des drogues illicites peuvent constituer des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies suppose qu’un particulier peut se rendre coupable de tels agissements. Bien que certaines personnes impliquées dans le trafic des drogues illicites soient titulaires d’une charge publique ou occupent un poste d’autorité, il est peu probable qu’elles se livrent à ce trafic illicite en leur qualité de représentants de l’État. Généralement, le trafiquant est un particulier qui n’a aucun lien direct avec les autorités publiques.

131 Soutenir qu’un particulier qui n’agit pas pour le compte d’un État, notamment à titre de représentant, peut se livrer à des agissements contraires aux buts et aux principes d’une organisation internationale regroupant des États nationaux va, je le reconnais, à l’encontre de la thèse traditionnelle selon laquelle les buts et les principes des Nations Unies, tout comme le droit international en général, ne visent que les États et ne peuvent être violés que par leurs représentants. C’est ce qui ressort des extraits des travaux préparatoires et du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés cités par l’appelant.

132 Toutefois, ces dernières années, la situation du particulier a évolué en droit international. Désormais, il est généralement admis que le particulier agissant à titre privé peut accomplir des actes qui portent atteinte aux règles du droit international. Bien qu’elle soit limitée, la responsabilité pénale internationale du particulier existe. Certains des actes visés à la section Fa) de l’article premier peuvent être le fait d’un particulier n’agissant pas en tant que représentant ou mandataire d’un État. La section Fc) de l’article premier peut donc s’appliquer également au particulier. Ainsi, les actes terroristes incluant le rapt ou le meurtre, la vente illicite d’armes par un marchand d’armes ou le trafic d’héroïne pratiqué sur une vaste échelle susceptible de financer les activités d’un terroriste ou d’un marchand d’armes peuvent tous contrevenir aux buts et aux principes des Nations Unies.

133 Par ailleurs, certains des agissements expressément reconnus comme étant contraires aux buts et aux principes des Nations Unies sont également imputés, à tout le moins dans certains cas, à des particuliers. Selon la Déclaration sur les mesures visant à éliminer le terrorisme international, des actes terroristes peuvent être perpétrés avec ou sans la participation officielle d’un État. C’est ce qui ressort du préambule qui renvoie aux «actes de terrorisme international, y compris ceux dans lesquels des États sont impliqués directement ou indirectement» (je souligne).

134 La position adoptée par mon collègue le juge Bastarache selon laquelle les «agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies» devraient s’entendre, pour l’application de la Convention relative au statut des réfugiés, de violations graves des droits de la personne ou de la persécution, suppose également qu’un particulier peut se rendre coupable de tels agissements. Notre Cour a de fait statué dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, que la persécution pouvait, dans certains cas, englober les actes d’un particulier, à l’exclusion de toute participation de l’État (aux pp. 713 à 717).

(3) Le trafic des drogues illicites est‑il un agissement contraire aux buts et aux principes des Nations Unies?

135 Je suis d’avis que le trafic d’une drogue illicite dangereuse, pratiqué sur une vaste échelle, peut constituer un agissement contraire aux buts et aux principes des Nations Unies. Il justifierait donc l’exclusion du statut de réfugié suivant la section Fc) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés. Je suis d’accord avec le résultat auquel parviennent les tribunaux d’instance inférieure et que propose l’intimé, mais j’arrive à ce résultat en suivant un raisonnement quelque peu différent.

136 Tout d’abord, il importe d’exposer les propositions qui ne fondent pas ma position. D’entrée de jeu, je ne considère pas que le statut de réfugié constitue un privilège ou un droit exceptionnel de manière que tout doute puisse être interprété contre le demandeur éventuel. Dans la mesure où les motifs du juge Strayer de la Cour d’appel sont fondés sur cette assertion, je ne peux donner mon adhésion à ce point de vue. Le droit de revendiquer le statut de réfugié constitue un droit important, et toute exclusion doit être interprétée conformément aux principes établis.

137 Ensuite, s’il y a lieu de conclure que le trafic des drogues illicites est visé à la section Fc) de l’article premier, ce n’est pas parce que le Canada devrait pouvoir exclure du processus de reconnaissance du statut de réfugié les personnes jugées «indésirables» ou ayant commis un crime au Canada, sans plus. Ces affaires doivent être traitées, le cas échéant, conformément aux dispositions relatives au refoulement qui sont intégrées à la Loi sur l’immigration, L.R.C (1985), ch. I-2.

138 Il ne s’agit pas non plus, comme le laisse entendre l’intimé, de soutenir d’une certaine manière la «guerre contre la drogue». Les obligations du Canada n’exigent pas qu’il refuse le statut de réfugié à ceux qui participent au commerce de la drogue. C’est plutôt qu’en concluant que la disposition portant exclusion s’applique au trafic de la drogue, l’on tient compte de cette dure réalité que, tant sur le plan juridique que pratique, cette activité est reconnue non seulement comme un acte criminel à l’échelle nationale, mais comme une source de maux très graves et très importants infligés à la communauté internationale. C’est en raison de la gravité de ses conséquences que cette activité peut et devrait justifier l’exclusion. Cette conclusion résulte de l’examen et de l’application des mêmes principes qui ont amené la communauté internationale à déterminer que certaines personnes ne devraient pas, en raison de la nature de leurs actes, être autorisées à demander la reconnaissance du statut de réfugié, qu’elles auraient autrement le droit de revendiquer.

(4) Le trafic des drogues illicites en tant que crime international

139 Le trafic des drogues illicites est manifestement un «crime d’intérêt international». La Convention contre le trafic illicite reconnaît expressément que «le trafic illicite est une activité criminelle internationale dont l’élimination exige une attention urgente et le rang de priorité le plus élevé» (préambule). Tous les États parties sont tenus de collaborer à la prévention et à la répression des infractions liées au trafic de la drogue. Les résolutions de l’Assemblée générale qualifient également le trafic des drogues illicites d’activité criminelle dont l’élimination exige une coopération internationale (par exemple, Rés. AG 39/141, 14 décembre 1984, annexe; Rés. AG 41/127, 4 décembre 1986).

140 Sur le plan juridique, il est moins évident que le trafic illicite soit un «crime international», surtout parce qu’on ne s’entend pas sur la définition du véritable crime international (J. F. Murphy, «International Crimes» dans C. C. Joyner, éd., The United Nations and International Law (1997), 362, aux pp. 362 et 363.) Selon un auteur, [traduction] «[la Convention contre le trafic illicite] et d’autres actions multilatérales antérieures permettent de soutenir que le trafic de la drogue international constitue un crime en droit international coutumier» (ibid., pp. 369 et 370). Toutefois, il ne semble pas encore établi qu’il existe une compétence universelle à l’égard des crimes liés au trafic de la drogue. La plus récente version du Projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante‑huitième session, Doc. NU A/51/10, ch. 2) de la Commission du droit international ne renferme aucune disposition sur le trafic des stupéfiants, contrairement à une ébauche antérieure (Projet d’articles du Projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, Doc. NU A/46/405, 11 septembre 1991, à la p. 25). Le commentaire de la plus récente version indique cependant que cette omission ne doit pas être interprétée comme faisant obstacle à d’autres discussions ni même à l’éventuelle inclusion de ces dispositions (Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante‑huitième session, op. cit., au par. 40).

141 Tous ces éléments peuvent être pris en considération pour déterminer si le trafic des drogues illicites est contraire aux buts et aux principes des Nations Unies. Toutefois, le fait qu’un acte constitue un crime international ou un crime d’intérêt international n’est pas déterminant, selon moi, pour trancher la question. Il faut plutôt examiner celle‑ci en tenant compte de tous les facteurs pertinents.

(5) Nature et gravité des méfaits du trafic des drogues illicites

142 L’appelant et l’intervenant ont tenté d’établir, dans le cadre du présent pourvoi, certains principes permettant de déterminer quels «crimes d’intérêt international» ou activités contraires à un programme ou à une mesure des Nations Unies sont susceptibles d’être qualifiés d’«agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies». À mon avis, le facteur supplémentaire qui distingue le trafic des drogues illicites d’autres «crimes d’intérêt international» ou des mesures des Nations Unies est la nature et la gravité des maux infligés aux populations dans le monde et à la communauté internationale dans son ensemble. L’analyse de la nature et de la gravité de ces maux permet de dégager certains principes afin d’établir les distinctions nécessaires.

143 Les effets insidieux et profonds de l’usage et du trafic de la drogue ont déjà été décrits. Il ne fait aucun doute que les méfaits du trafic illicite de la drogue sont d’une gravité extrême. Il n’épargne ni la vie des personnes, ni celles des familles et des collectivités. Il déstabilise des nations et des régions entières et en retarde le développement. Manifestement, la profonde préoccupation constamment exprimée par la communauté internationale est justifiée. Il ne fait aucun doute non plus que le problème s’aggrave, tout comme s’accroît dans le monde l’inquiétude que suscitent ses conséquences.

144 Tout au long du présent siècle, le trafic de la drogue a constitué une activité internationale et, par conséquent, un problème international. Cependant, l’ampleur toujours croissante du trafic, l’apparente efficacité de l’organisation et des méthodes, les sommes considérables en jeu et les liens de plus en plus étroits entre le crime organisé transnational et les organisations terroristes constituent une menace toujours plus grande de par sa nature et son étendue. Le trafic des drogues illicites menace désormais la paix et la sécurité à l’échelon national et international. Il porte atteinte à la souveraineté de certains États, au droit à l’autodétermination et à un gouvernement démocratique, à la stabilité économique, sociale et politique, ainsi qu’aux droits de la personne. Bon nombre des buts et des principes énoncés dans la Charte des Nations Unies sont directement ou indirectement minés par le commerce international des drogues illicites: par exemple, le maintien de la paix et la sécurité internationales (par. 1(1)), le droit des peuples à disposer d’eux‑mêmes (par. 1(2)), le règlement des problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire (par. 1(3)), le respect des droits de l’homme (par. 1(3)), l’égalité souveraine des membres (par. 2(1)) et l’exclusion du recours à l’emploi de la force (par. 2(4)). J’en conclus que les agissements d’au moins certaines des personnes qui participent à cette activité doivent être tenus pour contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

(6) Déclarations explicites des Nations Unies concernant le trafic des drogues illicites

145 Les déclarations de la communauté internationale sur le sujet, y compris les conventions et les résolutions de l’Assemblée générale pertinentes, dénotent une sensibilisation aiguë à la nature et à la gravité du problème et une condamnation sévère des activités qui sont à l’origine de ce problème. L’intervenant, le Conseil canadien pour les réfugiés, a soutenu que le silence de l’Organisation des Nations Unies sur le trafic des drogues illicites, par opposition, notamment, à son attitude à l’égard de la torture et du terrorisme international, indique que ce trafic ne devrait pas être tenu pour contraire à ses buts et à ses principes. Mais, dans les faits, l’Organisation des Nations Unies n’a pas cessé d’exprimer son inquiétude au sujet du trafic international des drogues illicites et de ses effets.

146 Il est vrai que l’Organisation des Nations Unies n’a jamais expressément déclaré que le trafic de la drogue était «contraire aux buts et aux principes des Nations Unies». Toutefois, elle a clairement et fréquemment reconnu et dénoncé les méfaits de ce commerce illicite. Voir par exemple:

Le trafic de stupéfiants ou de substances psychotropes est un crime international grave contre l’humanité.

(Projet de convention contre le trafic des stupéfiants et des substances psychotropes et les activités connexes, Rés. AG 39/141, 14 décembre 1984, annexe, art. 2)

[L’Assemblée générale] [c]ondamne sans équivoque tous les aspects du trafic illicite des drogues . . .

(Rés. AG 41/127, 4 décembre 1986, art. 1)

Nous condamnons sous toutes ses formes le délit que constitue le trafic illicite de la drogue . . .

(Déclaration politique, Rés. AG S‑17/2, 23 février 1990, annexe, art. 8)

[L’Assemblée générale] [c]ondamne énergiquement le trafic de drogues sous toutes ses formes . . .

(Rés. AG 45/149, 18 décembre 1990, partie I, art. 1; Rés. AG 46/103, 16 décembre 1991, partie I, art. 2)

[L’Assemblée générale] [c]ondamne de nouveau le trafic de drogues sous toutes ses formes . . .

(Rés. AG 47/102, 16 décembre 1992, partie I, art. 2; Rés. AG 48/112, 20 décembre 1993, partie II, art. 1)

147 En outre, de nombreuses déclarations dénotent une sensibilisation au fait que le trafic des drogues menace des aspects essentiels des buts et des principes des Nations Unies, notamment:

la santé et le bien‑être (par exemple, Rés. AG 36/132, 14 décembre 1981; Rés. AG 39/141, 14 décembre 1984, annexe; Rés. AG 40/122, 13 décembre 1985; Rés. AG 41/127, 4 décembre 1986; Rés. AG 44/142, 15 décembre 1989; Rés. AG S‑17/2, 23 février 1990, annexe; Rés. AG 49/168, 24 février 1995; Rés. AG 51/64, 28 janvier 1997; Rés. AG 52/92, 26 janvier 1998);

les structures politiques, économiques, sociales et culturelles (par exemple, Rés. AG 42/113, 7 décembre 1987; Rés. AG 43/122, 8 décembre 1988; Rés. AG 44/141, 15 décembre 1989; Rés. AG 44/142, 15 décembre 1989; Rés. AG S‑17/2, 23 février 1990, annexe; Rés. AG 45/149, 18 décembre 1990; Rés. AG 49/168, 24 février 1995; Rés. AG 51/64, 28 janvier 1997; Rés. AG 52/92, 26 janvier 1998);

le développement (par exemple, Rés. AG 38/122, 16 décembre 1983; Rés. AG 39/141, 14 décembre 1984, annexe; Rés. AG 40/122, 13 décembre 1985; Rés. AG 41/127, 4 décembre 1986; Rés. AG S‑17/2, 23 février 1990, annexe; Rés. AG 49/168, 24 février 1995; Rés. AG 52/92, 26 janvier 1998);

la stabilité politique et économique (par exemple, Rés. AG 40/122, 13 décembre 1985; Rés. AG 44/142, 15 décembre 1989; Rés. AG 45/149, 18 décembre 1990; Rés. AG 49/168, 24 février 1995; Rés. AG 51/64, 28 janvier 1997; Rés. AG 52/92, 26 janvier 1998);

la sécurité nationale (par exemple, Rés. AG 36/132, 14 décembre 1981; Rés. AG 38/122, 16 décembre 1983; Rés. AG 40/122, 13 décembre 1985; Rés. AG 41/127, 4 décembre 1986; Rés. AG 42/113, 7 décembre 1987; Rés. AG 43/122, 8 décembre 1988; Rés. AG 44/142, 15 décembre 1989; Rés. AG 45/149, 18 décembre 1990; Rés. AG 49/168, 24 février 1995; Rés. AG 51/64, 28 janvier 1997; Rés. AG 52/92, 26 janvier 1998);

la souveraineté (par exemple, Rés. AG 39/141, 14 décembre 1984, annexe; Rés. AG 40/121, 13 décembre 1985; Rés. AG 44/142, 15 décembre 1989; Rés. AG 45/149, 18 décembre 1990; Rés. AG 49/168, 24 février 1995; Rés. AG 51/64, 28 janvier 1997; Rés. AG 52/92, 26 janvier 1998);

les droits de l’homme (par exemple, Rés. AG 44/39, 4 décembre 1989; Rés. AG 49/168, 24 février 1995);

et

les institutions démocratiques (par exemple, Rés. AG 40/121, 13 décembre 1985; Rés. AG 41/127, 4 décembre 1986; Rés. AG 42/113, 7 décembre 1987; Rés. AG 43/122, 8 décembre 1988; Rés. AG 44/141, 15 décembre 1989; Rés. AG 49/168, 24 février 1995; Rés. AG 51/64, 28 janvier 1997).

148 À des fins de comparaison, rappelons que l’article de la Déclaration sur les mesures visant à éliminer le terrorisme international qui énonce que les actes, méthodes et pratiques terroristes violent gravement les buts et principes des Nations Unies ajoute qu’ils «peuvent constituer une menace pour la paix et la sécurité internationales, compromettre les relations amicales entre les États, entraver la coopération internationale et viser à l’anéantissement des droits de l’homme, des libertés fondamentales et des bases démocratiques de la société» (art. 2). Les Nations Unies ayant expressément reconnu que le trafic des drogues illicites peut constituer une menace du même ordre, je crois qu’il est raisonnable de conclure que cette activité est également contraire à ses buts et à ses principes.

149 Cette conclusion est renforcée en outre par la reconnaissance du fait que le trafic des drogues illicites est de plus en plus lié à d’autres agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. L’Organisation des Nations Unies a déclaré que le trafic des drogues illicites est directement et indirectement à l’origine de graves violations des droits de l’homme. Les liens de plus en plus étroits entre ce trafic et le terrorisme international indiquent clairement que les narcodollars servent à financer l’activité terroriste. La communauté internationale l’a récemment reconnu dans la Déclaration complétant la Déclaration de 1994 sur les mesures visant à éliminer le terrorisme international en affirmant ce qui suit:

2. Les États Membres de l’Organisation des Nations Unies réaffirment que les actes, méthodes et pratiques terroristes sont contraires aux buts et aux principes des Nations Unies; ils déclarent que sont également contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, pour les personnes qui s’y livrent sciemment, le financement et la planification d’actes de terrorisme et l’incitation à de tels actes . . . [Je souligne.]

150 Les déclarations des Nations Unies et de la communauté internationale mènent inexorablement à la conclusion que ceux qui se livrent au trafic des drogues illicites sont responsables, directement ou indirectement, de maux d’une ampleur telle et d’une gravité telle qu’ils sapent les buts et les principes mêmes sur lesquels se fondent les Nations Unies. Il s’ensuit que leurs actes doivent être considérés comme des «agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies» et ils sont donc visés par l’exclusion prévue à la section Fc) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés.

151 Reste la difficulté de déterminer quels actes, au sein de la catégorie générale du trafic des drogues illicites, constituent des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. L’Assemblée générale des Nations Unies a condamné «tous les aspects du trafic illicite des drogues», y compris la production, la transformation, la commercialisation et la consommation (par exemple, Rés. AG 41/127, 4 décembre 1986). Je crois toutefois qu’il est nécessaire d’établir certaines distinctions en fonction de la nature et de l’ampleur des activités. Ce sont les personnes qui se livrent de fait au trafic de la drogue qui touchent la plus grande partie des profits, causent les dommages les plus importants et donc sont responsables au premier chef de la perpétuation de ce commerce illicite. Les simples consommateurs sont souvent eux‑mêmes des victimes et ne sauraient se voir imputer la même responsabilité. La Convention contre le trafic illicite reprend cette distinction en traitant la production, la transformation, la distribution et la vente différemment de la détention, de l’achat ou de la culture destinés à la consommation personnelle lorsqu’il s’agit des infractions et des sanctions (art. 3).

152 La Convention contre le trafic illicite contient également certains éléments permettant de discerner des infractions particulièrement graves liées au trafic. Le paragraphe (5) de l’art. 3 énonce un certain nombre de «circonstances factuelles conférant une particulière gravité aux infractions établies conformément au paragraphe 1 du présent article»:

a) La participation à la commission de l’infraction d’une organisation de malfaiteurs à laquelle l’auteur de l’infraction appartient;

b) La participation de l’auteur de l’infraction à d’autres activités criminelles organisées internationales;

c) La participation de l’auteur de l’infraction à d’autres activités illégales facilitées par la commission de l’infraction;

d) L’usage de la violence ou d’armes par l’auteur de l’infraction;

e) Le fait que l’auteur de l’infraction assume une charge publique et que l’infraction est liée à ladite charge;

f) La victimisation ou l’utilisation de mineurs;

g) Le fait que l’infraction a été commise dans un établissement pénitentiaire, dans un établissement d’enseignement, dans un centre de services sociaux ou dans leur voisinage immédiat ou en d’autres lieux où des écoliers et des étudiants se livrent à des activités éducatives, sportives ou sociales;

h) Dans la mesure où le droit interne d’une Partie le permet, les condamnations antérieures, en particulier pour des infractions analogues, dans le pays ou à l’étranger.

153 J’ajouterais à cette liste de facteurs à prendre en considération la nature et la quantité des drogues en cause. Le projet de code de la Commission du droit international qui qualifie le trafic illicite des stupéfiants de crime international (Projet d’articles du Projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, par. 25(1)) renvoie au trafic pratiqué sur une vaste échelle. Évidemment, la question de savoir si, dans un cas donné, le trafic est pratiqué sur «une vaste échelle» est une question d’interprétation. Dans le commentaire relatif à cet article, la Commission du droit international établit une distinction entre «des activités isolées ou individuelles de petits revendeurs» et «des opérations bien organisées, d’une grande envergure» (Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante‑deuxième session, Doc. NU A/45/10, dans l’Annuaire de la Commission du droit international 1990, vol. II, Partie 2, 1, à la p. 30).

154 Dans la présente espèce, l’appelant faisait partie d’un groupe organisé se livrant au trafic de l’un des stupéfiants illicites les plus nocifs, l’héroïne (World Drug Report, op. cit.). De toute évidence, la consommation et le trafic de cette substance suscitent des inquiétudes particulièrement graves. Au moment des arrestations, le groupe auquel l’appelant était associé avait en sa possession une quantité d’héroïne dont la valeur marchande était d’environ 10 millions de dollars. Il s’agissait manifestement d’une opération d’envergure, et l’appelant y jouait un rôle important. Selon moi, ces faits établissent nettement la gravité du crime perpétré par l’appelant. En conséquence, même si toutes les infractions liées aux stupéfiants incriminées par la loi canadienne ne permettront pas d’invoquer l’exclusion prévue à la section Fc) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, les actes commis par l’appelant, eux, devraient justifier son exclusion. L’appelant a pratiqué sur une vaste échelle le trafic de l’une des drogues les plus débilitantes. Il a abusé de son statut au Canada et a mis en danger la vie, la santé et le bien‑être de nombreuses personnes. Aucun motif ne justifie que les Canadiens souffrent plus longtemps sa présence. Il a fait la preuve du danger qu’il représente pour la société canadienne, ainsi que pour la communauté internationale. Il ne devrait pas demeurer au Canada.

(7) Recours susceptibles d’être exercés avant l’expulsion

155 Pendant l’audition du pourvoi, on a dit craindre que l’appelant, ou toute autre personne exclue en application de la section F de l’article premier, ne soit exposé à la torture ou ne risque l’exécution ou d’autres violations graves des droits de la personne s’il est expulsé vers son pays d’origine. On a affirmé qu’aucun recours efficace ne pouvait être exercé pour empêcher l’expulsion si l’appelant était exposé à un tel risque. On a laissé entendre que l’absence de tout recours causerait une grave injustice et emporterait la violation, par le Canada, de ses obligations juridiques aux termes de divers instruments internationaux. Plus particulièrement, le Canada manquerait à l’obligation qu’il a contractée aux termes de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, R.T. Can. 1987 no 36, de ne pas expulser une personne vers un autre État lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture (par. 3(1)), ainsi qu’à des obligations semblables prévues par les Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions (E/RES/1989/65, 24 mai 1989, art. 5) et la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées des Nations Unies, art. 8.

156 Bien que ces questions suscitent à juste titre de vives inquiétudes, elles ne font pas directement l’objet du présent pourvoi. On a soutenu que notre Cour pourrait en tenir compte en adoptant une méthode dite de «pondération» pour interpréter l’exclusion prévue à la section F de l’article premier. Le recours à une telle méthode ne serait pas approprié en l’espèce vu la nature et le libellé de cette disposition.

157 Dans le cadre du présent pourvoi, il n’est ni nécessaire ni souhaitable d’examiner en détail les recours que peut actuellement exercer la personne susceptible d’être expulsée ni de suggérer quelle forme devrait prendre un tel recours. Cependant, il serait impensable qu’une audience équitable n’ait pas lieu devant un arbitre impartial pour déterminer s’il y a des «motifs sérieux de croire» que la personne visée par la mesure d’expulsion risque la torture, l’exécution arbitraire, la disparition ou une autre violation grave des droits de la personne. Vu la gravité des conséquences de l’expulsion dans un tel cas, l’intéressé doit avoir l’occasion d’être entendu avant son expulsion, et l’audience doit être tenue conformément aux principes de la justice naturelle. De même, l’intéressé a droit au contrôle judiciaire de la décision rendue pour s’assurer qu’elle est bien conforme à ces principes. Ces garanties devraient s’appliquer que l’intéressé soit exclu du statut de réfugié ou non, afin d’éviter que l’exclusion n’ait des conséquences sévères inadmissibles.

III. Conclusion

158 En définitive, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi accueilli, les juges Cory et Major sont dissidents.

Procureurs de l’appelant: Waldman & Associates, Toronto.

Procureur de l’intimé: George Thomson, Toronto.

Procureur de l’intervenant: David Matas, Winnipeg.

* Le juge Sopinka n’a pas pris part au jugement.


Synthèse
Référence neutre : [1998] 1 R.C.S. 982 ?
Date de la décision : 04/06/1998
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit administratif - Norme de contrôle - Commission de l’immigration et du statut de réfugié - Norme de contrôle applicable à une décision de la Commission.

Immigration - Convention relative au statut des réfugiés - Exclusion - Inapplication de la Convention relative au statut des réfugiés aux personnes qui «se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies» - Revendication du statut de réfugié par une personne reconnue coupable au Canada d’une grave infraction liée aux stupéfiants - La revendication du statut de réfugié devrait‑elle être rejetée? - Sens des mots «coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies» - Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies, R.T. Can. 1969 no 6, art. 1Fc).

En 1985, l’appelant a revendiqué le statut de réfugié aux termes de la Convention relative au statut des réfugiés des NU («Convention»), mise en œuvre par la Loi sur l’immigration, mais sa demande n’a été l’objet d’aucune décision car il s’est vu reconnaître le statut de résident permanent en application d’un programme administratif. L’appelant a ultérieurement été arrêté au Canada et accusé de complot en vue de faire le trafic d’un stupéfiant. Au moment de son arrestation, il faisait partie d’un groupe qui avait en sa possession une quantité d’héroïne dont la valeur marchande était d’environ 10 millions de dollars. Il a plaidé coupable et a été condamné à huit années d’emprisonnement. En 1991, l’appelant, qui bénéficiait alors d’une libération conditionnelle, a renouvelé sa demande de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention. Subséquemment, Emploi et Immigration Canada a pris une mesure d’expulsion conditionnelle à son endroit en vertu de l’al. 27(1)d) et du par. 32.1(2) de la Loi. Comme l’expulsion visée par ces dispositions est subordonnée au rejet de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, la demande de l’appelant a été déférée à la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La Commission a décidé que l’appelant n’était pas un réfugié en raison de l’exclusion prévue à la section Fc) de l’article premier de la Convention, qui prévoit que les dispositions de la Convention ne s’appliquent pas aux personnes qui «se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies». La Section de première instance de la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelant et elle a certifié ce qui suit comme question grave de portée générale à être examinée par la Cour d’appel: La Section du statut de réfugié commet‑elle une erreur de droit en interprétant la section Fc) de l’article premier de la Convention de manière à exclure du statut de réfugié un individu coupable d’une grave infraction liée aux stupéfiants qui a été commise au Canada? La Cour d’appel fédérale a répondu par la négative et elle a confirmé le jugement de la Section de première instance.

Arrêt (les juges Cory et Major sont dissidents): Le pourvoi est accueilli.

Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, McLachlin et Bastarache: Il appert d’une analyse pragmatique et fonctionnelle de la Loi sur l’immigration qu’il y a lieu en l’espèce d’apprécier la décision de la Commission selon la norme de la décision correcte. L’élément clé de l’intention du législateur quant à la norme de contrôle est l’utilisation, au par. 83(1) de la Loi, des mots «une question grave de portée générale». La portée générale de la question, c’est‑à‑dire son applicabilité à un grand nombre de cas dans le futur, justifie son examen par une cour de justice. Au surplus, la section Fc) de l’article premier de la Convention a pour objectif la protection des droits de la personne, et la Commission ne semble avoir aucune expertise relative dans ce domaine. L’expertise de la Commission consiste à apprécier de façon exacte si les critères nécessaires pour obtenir le statut de réfugié ont été respectés et, plus particulièrement, à apprécier la nature du risque de persécution auquel sera confronté le demandeur s’il est renvoyé dans son pays d’origine. Le lien entre l’expertise de la Commission et la section Fc) de l’article premier est donc ténu. Et rien n’indique que l’expérience acquise par la Commission en matière de détermination factuelle du risque de persécution lui donne quelque connaissance supplémentaire du sens ou de l’évolution souhaitable de cette disposition. En l’espèce, le principe de droit peut aisément être séparé des faits non contestés de l’affaire et aurait sans aucun doute une grande valeur comme précédent. L’expertise factuelle dont jouit la Commission ne lui est d’aucun secours pour l’interprétation de ce principe de droit général. En outre, la Commission elle‑même n’est pas responsable de l’élaboration des politiques. Enfin, l’absence d’une clause privative stricte est un autre facteur qui milite contre la retenue judiciaire.

Comme l’objet de l’intégration de la section Fc) de l’article premier à la Loi sur l’immigration est de mettre en œuvre la Convention sous‑jacente, il convient d’adopter une interprétation compatible avec les obligations du Canada en vertu de la Convention. On aura donc recours au texte de la Convention et aux règles d’interprétation des traités pour déterminer le sens de la section Fc) de l’article premier en droit interne. En raison de leur généralité, les mots «aux buts et aux principes des Nations Unies» employés à la section Fc) de l’article premier ne sont pas clairs au point d’interdire tout examen des autres indications quant au sens à donner à cette disposition. L’examen de l’objet et du contexte de la Convention dans son ensemble, ainsi que de l’objet de la disposition en cause tel qu’il ressort des travaux préparatoires, peut guider utilement l’interprétation.

La Convention est un instrument de défense des droits de la personne. Bien que l’article premier de la Convention définisse le terme «réfugié», l’objet général de la section F de l’article premier est d’exclure ab initio ceux qui ne sont pas des réfugiés authentiques au moment de la présentation de leur revendication. À l’opposé, l’objet de l’art. 33 de la Convention est de permettre le refoulement d’un réfugié authentique vers son pays natal s’il constitue un danger pour le pays d’accueil ou pour la communauté. Bien que tous les actes visés à la section F de l’article premier puissent vraisemblablement être assimilés aux motifs de refoulement visés à l’art. 33, ce sont des dispositions distinctes. La section Fc) de l’article premier ne s’applique pas qu’aux actes commis en dehors du pays d’accueil. Le critère pertinent en ce qui concerne la section Fc) de l’article premier est le moment où le statut de réfugié a été reconnu, et tout acte accompli avant qu’une personne ait obtenu ce statut doit être tenu pour pertinent au regard de la section Fc) de l’article premier. La raison d’être de la section F de l’article premier de la Convention est que ceux qui sont responsables d’une persécution qui crée des réfugiés ne doivent pas pouvoir invoquer à leur profit une convention conçue pour protéger ces réfugiés. Étant donné les objectifs généraux de la Convention et les indications tirées des travaux préparatoires quant à la portée relative des sections Fa) et Fc) de l’article premier, l’objet de la section Fc) de l’article premier est d’exclure les personnes responsables de violations graves, soutenues ou systémiques des droits fondamentaux de la personne qui constituent une persécution dans un contexte qui n’est pas celui de la guerre. La section Fc) de l’article premier peut s’appliquer à une personne qui n’agit pas au nom de l’État. Quoiqu’il soit plus difficile pour celui qui n’agit pas au nom de l’État de perpétrer des violations des droits de la personne à une échelle suffisante pour constituer une persécution sans la complaisance implicite de l’État, il ne faut pas écarter cette possibilité a priori.

La section Fc) de l’article premier s’applique donc lorsqu’il y a consensus en droit international sur des agissements particuliers qui sont tenus pour être des violations suffisamment graves et soutenues des droits fondamentaux de la personne pour constituer une persécution, ou qui sont explicitement reconnus comme contraires aux buts et aux principes des NU. Premièrement, lorsqu’un accord international généralement accepté ou une résolution des NU déclare explicitement que certains agissements sont contraires aux buts et aux principes des NU, cela constitue une forte indication que ces agissements sont visés par la section Fc) de l’article premier. Lorsque de telles déclarations ou résolutions représentent un consensus raisonnable de la communauté internationale, il convient de considérer pareille désignation comme décisive. La deuxième catégorie d’agissements visés par la section Fc) de l’article premier comprend ceux qu’un tribunal peut lui‑même reconnaître comme des violations graves, soutenues et systémiques des droits fondamentaux de la personne constituant une persécution. Lorsque la règle violée est assimilable aux principes fondamentaux les plus sacrés des droits de la personne et que sa transgression est reconnue comme immédiatement sujette à la réprobation et au châtiment de la communauté internationale, alors même une violation isolée peut entraîner une exclusion fondée sur la section Fc) de l’article premier. Le fait que la violation soit considérée comme une infraction justiciable des tribunaux dans tous les États serait une indication persuasive que même une violation isolée constitue une persécution. Une violation grave et soutenue des droits de la personne constituant une persécution peut se dégager en outre d’une situation de fait particulièrement flagrante, y compris de l’importance de la complicité du demandeur.

Le complot en vue de faire le trafic d’un stupéfiant n’est pas une violation visée par la section Fc) de l’article premier. Même si le trafic international des drogues constitue un problème extrêmement grave que les NU ont tenté de résoudre en prenant des mesures extraordinaires, en l’absence d’indications claires que ce trafic est considéré par la communauté internationale comme une violation suffisamment grave et soutenue des droits fondamentaux de la personne pour constituer une persécution, soit parce qu’il a été désigné expressément comme un acte contraire aux buts et aux principes des NU, ou parce qu’il est visé par des instruments internationaux précisant par ailleurs que ce trafic est une violation grave des droits fondamentaux de la personne, des personnes ne doivent pas être privées du bénéfice des protections essentielles contenues dans la Convention pour avoir commis de tels actes. L’article 33 de la Convention et les dispositions de la Loi sur l’immigration qui lui font pendant, les art. 53 et 19, prévoient l’expulsion des personnes qui constituent un danger pour la société canadienne, et les motifs justifiant cette mesure ont une portée plus large et sont formulés plus clairement. Le ministre n’est donc pas empêché de prendre les mesures qui s’imposent pour assurer la sécurité des Canadiens. Enfin, l’existence de la section Fb) de l’article premier, qui exclut de la protection de la Convention les personnes qui ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant leur admission dans ce pays à titre de réfugié, semble indiquer que même un crime grave de droit commun, tel le trafic des drogues, ne doit pas être inclus dans la section Fc) de l’article premier.

Les juges Cory et Major (dissidents): La question de savoir ce qui constitue un agissement contraire «aux buts et aux principes des Nations Unies» pour l’application de la Convention est une question de droit. Bien qu’il faille faire preuve d’une certaine retenue à l’égard des conclusions de fait de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, il n’en va pas de même à l’égard de ses conclusions de droit. La Commission ne jouit pas d’une expertise particulière sur le plan juridique. Par conséquent, la question qui se pose est de savoir si la décision que la Commission a rendue relativement à la question de droit était correcte.

La catégorie des agissements contraires aux buts et aux principes des NU ne devrait pas être limitée aux seuls agissements qui font expressément l’objet d’une déclaration en ce sens. Un tribunal national peut, après examen des éléments pertinents, conclure que d’autres types d’agissements sont visés. Bien que chaque mesure des NU ne saurait être si essentielle à la réalisation de ses buts et de ses principes que tout acte y contrevenant ou en réduisant l’efficacité soit contraire aux buts et aux principes des NU, la communauté internationale a reconnu que certains problèmes, en raison de leur gravité et de leur nature, constituent une menace pour l’ensemble de la communauté internationale et l’ordre public international. Le comportement qui exerce une action directe ou importante sur ces problèmes ou qui porte atteinte à des obligations ou à des principes recueillant l’adhésion générale devrait, dans les cas qui s’y prêtent, être tenu pour contraire aux buts et aux principes des NU.

Certes, une violation grave ou systématique des droits de la personne constituerait un comportement contraire aux buts et aux principes des NU, mais il ne s’agit pas du seul comportement qui doive être pris en considération pour interpréter la section Fc) de l’article premier de la Convention. L’analyse effectuée pour déterminer ce qu’est un agissement contraire aux buts et aux principes des NU ne doit pas forcément porter sur un seul but, même s’il s’agit d’un but important et que la Convention est un instrument de défense des droits de la personne. Même si le but d’un instrument est pris en considération pour en interpréter les dispositions, il ne doit pas restreindre la portée de l’exclusion de manière qu’elle vise seulement le comportement lié directement aux droits de la personne. Il doit être tenu compte de tous les buts et de tous les principes des NU. En outre, certains types de comportement peuvent concourir indirectement, mais substantiellement, à la violation des droits de la personne.

La Convention devrait être interprétée de façon à tenir compte du contexte contemporain. Le sens donné à des termes tels «agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies» devrait pouvoir suivre l’évolution du droit international. Les tribunaux devraient reconnaître que les indications fournies par les outils d’interprétation que sont les travaux préparatoires et la pratique ultérieurement suivie doivent être considérées à la lumière de l’état actuel du droit et des ententes internationales. Il convient de tenir compte des travaux préparatoires, mais cela ne signifie pas que les tribunaux soient tenus de les interpréter strictement. Il y a lieu plutôt de tenir compte des principes et des préoccupations qui les sous‑tendent en vue de leur donner un sens adapté au contexte contemporain. De même, en ce qui concerne la pratique étatique, il convient d’assurer une certaine harmonisation avec l’interprétation établie par la pratique suivie par les États, mais cette interprétation doit être adaptée selon l’évolution des notions et des principes du droit international.

Bien que, suivant la thèse traditionnelle, les buts et les principes des NU, tout comme le droit international en général, ne visent que les États et ne peuvent être violés que par leurs représentants, il est généralement admis, désormais, que le particulier agissant à titre privé peut accomplir des actes qui portent atteinte aux règles du droit international.

Le trafic d’une drogue illicite dangereuse, pratiqué sur une vaste échelle, peut constituer un agissement contraire aux buts et aux principes des NU et justifierait donc l’exclusion du statut de réfugié suivant la section Fc) de l’article premier. La raison pour laquelle la section Fc) de l’article premier devrait s’appliquer au trafic des drogues illicites est que, tant sur le plan juridique que pratique, cette activité est reconnue non seulement comme un acte criminel à l’échelle nationale, mais aussi comme une source de maux très graves et très importants infligés à la communauté internationale. Le fait qu’un acte constitue un crime international ou un crime d’intérêt international n’est pas déterminant pour trancher la question. Le facteur supplémentaire qui distingue le trafic des drogues illicites d’autres «crimes d’intérêt international» ou des mesures des NU est la nature et la gravité des maux infligés aux populations dans le monde et à la communauté internationale dans son ensemble. Les méfaits du trafic illicite de la drogue sont d’une gravité extrême. Il n’épargne ni la vie des personnes, ni celles des familles et des collectivités. Il déstabilise des nations et des régions entières et en retarde le développement. Le trafic des drogues illicites menace désormais la paix et la sécurité à l’échelon national et international. Il porte atteinte à la souveraineté de certains États, au droit à l’autodétermination et à un gouvernement démocratique, à la stabilité économique, sociale et politique, ainsi qu’aux droits de la personne. Bon nombre des buts et des principes des NU sont directement ou indirectement minés par le commerce international des drogues illicites. C’est pourquoi il y a lieu de conclure que les agissements d’au moins certaines des personnes qui participent à cette activité doivent être tenus pour contraires aux buts et aux principes des NU.

Les déclarations de la communauté internationale sur le sujet, y compris les conventions et les résolutions de l’Assemblée générale pertinentes, dénotent une sensibilisation aiguë à la nature et à la gravité du problème et une condamnation sévère des activités qui sont à l’origine de ce problème. Il est vrai que les NU n’ont jamais expressément déclaré que le trafic de la drogue était contraire à leurs buts et à leurs principes, mais elles ont clairement et fréquemment reconnu et dénoncé les méfaits de cette activité. En outre, de nombreuses déclarations dénotent une sensibilisation au fait que le trafic des drogues menace des aspects essentiels des buts et des principes des NU. Les déclarations des NU et de la communauté internationale mènent inexorablement à la conclusion que ceux qui se livrent au trafic des drogues illicites sont responsables, directement ou indirectement, de maux d’une ampleur telle et d’une gravité telle qu’ils sapent les buts et les principes mêmes sur lesquels sont fondées les NU. Il s’ensuit que leurs actes doivent être considérés comme des «agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies» et ils sont donc visés par l’exclusion prévue à la section Fc) de l’article premier. Cependant, tous les actes compris dans la catégorie générale du trafic des drogues illicites ne constituent pas des agissements contraires aux buts et aux principes des NU. Il est nécessaire d’établir certaines distinctions en fonction de la nature et de l’ampleur des activités. Ce sont les personnes qui se livrent de fait au trafic de la drogue qui touchent la plus grande partie des profits, causent les dommages les plus importants et donc sont responsables au premier chef de la perpétuation de ce commerce illicite. Les simples consommateurs sont souvent eux‑mêmes des victimes et ne sauraient se voir imputer la même responsabilité.

Dans la présente espèce, l’appelant a joué un rôle important dans le cadre d’une opération d’envergure menée par un groupe organisé se livrant au trafic de l’héroïne. Il a pratiqué sur une vaste échelle le trafic de l’une des drogues les plus débilitantes. Même si toutes les infractions liées aux stupéfiants qui sont perpétrées au pays ne permettront pas d’invoquer l’exclusion prévue à la section Fc) de l’article premier, compte tenu de la gravité du crime de l’appelant, il y a lieu de l’exclure en raison des actes qu’il a commis.


Parties
Demandeurs : Pushpanathan
Défendeurs : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Bastarache
Arrêt examiné: Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 741
arrêts mentionnés: Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers’ Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890
U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048
Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748
Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316
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Franco c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1011 (QL)
Sornalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 107 F.T.R. 128
Vetter c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 89 F.T.R. 17
Ismaeli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 573 (QL)
Connor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 95 F.T.R. 66
Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825
Université de la Colombie‑Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353
Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689
Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551
Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298
Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433
Personnel diplomatique et consulaire des États‑Unis à Téhéran, arrêt, Rec. C.I.J. 1980, p. 3
Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud‑Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, Rec. C.I.J. 1971, p. 16.
Citée par le juge Cory (dissident)
Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.
Lois et règlements cités
Charte des Nations Unies, R.T. Can. 1945 no 7, préambule, art. 1, 2.
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Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37, art. 31, 32.
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Convention internationale de l’opium, 8 R.T.S.N. 187.
Convention relative au statut des réfugiés, R.T. Can. 1969 no 6, art. 1F, 33.
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Draft Statute of the International Criminal Court, UN Doc. A/CN.4/L.491/Rev.2.
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rempl. 1995, ch. 15, art. 2], e) [abr. & rempl. 1992, ch. 49, art. 11], f) [idem], g), j) [aj. ch. 30 (3e suppl.), art. 3], k) [aj. 1992, ch. 49, art. 11], l) [idem], 27(1)d), 32.1(2) [aj. ch. 28 (4e suppl.), art. 12], 53(1) [abr. & rempl. 1992, ch. 49, art. 43], 61(2) [aj. ch. 10 (2e suppl.), art. 3
abr. & rempl. ch. 28 (4e suppl.), art. 18
abr. & rempl. 1992, ch. 49, art. 50], 67(1) [abr. & rempl. ch. 28 (4e suppl.), art. 18], 82.1(1) [aj. idem, art. 19
abr. & rempl. 1990, ch. 8, art. 53
abr. & rempl. 1992, ch. 49, art. 73], 83(1) [abr. & rempl. ch. 28 (4e suppl.), art. 19
abr. & rempl. 1992, ch. 49, art. 73].
Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, ch. N‑1, art. 4(1).
Projet d’articles du Projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, Doc. NU A/46/405, 11 septembre 1991, art. 25(1).
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Doctrine citée
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Proposition de citation de la décision: Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 (4 juin 1998)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1998-06-04;.1998..1.r.c.s..982 ?
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