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03/09/1998 | CANADA | N°[1998]_2_R.C.S._371

Canada | R. c. Cuerrier, [1998] 2 R.C.S. 371 (3 septembre 1998)


R. c. Cuerrier, [1998] 2 R.C.S. 371

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Henry Gerard Cuerrier Intimé

et

Le procureur général de l’Ontario,

British Columbia Civil Liberties Association,

la Société canadienne du sida,

Persons with AIDS Society of British Columbia et

Réseau juridique canadien VIH/sida Intervenants

Répertorié: R. c. Cuerrier

No du greffe: 25738.

1998: 27 mars; 1998: 3 septembre.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Major, Bastarache et Binnie.

e

n appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1996), 83 B.C.A.C. 295...

R. c. Cuerrier, [1998] 2 R.C.S. 371

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Henry Gerard Cuerrier Intimé

et

Le procureur général de l’Ontario,

British Columbia Civil Liberties Association,

la Société canadienne du sida,

Persons with AIDS Society of British Columbia et

Réseau juridique canadien VIH/sida Intervenants

Répertorié: R. c. Cuerrier

No du greffe: 25738.

1998: 27 mars; 1998: 3 septembre.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1996), 83 B.C.A.C. 295, 136 W.A.C. 295, 141 D.L.R. (4th) 503, 111 C.C.C. (3d) 261, 3 C.R. (5th) 330, [1996] B.C.J. No. 2229 (QL), qui a rejeté l’appel du ministère public contre l’acquittement de l’accusé relativement à deux accusations de voies de fait graves (1995), 26 W.C.B. (2d) 378. Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné.

William F. Ehrcke, c.r., pour l’appelante.

Douglas J. Stewart et Todd A. McKendrick, pour l’intimé.

Renee M. Pomerance, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

John G. Dives et Harbans K. Dhillon, pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.

Marlys Edwardh et Richard Elliott, pour les intervenants Société canadienne du sida, Persons with AIDS Society of British Columbia et Réseau juridique canadien VIH/sida.

Version française des motifs rendus par

1 Le juge L’Heureux‑Dubé -- Ce pourvoi nous oblige à déterminer si, dans la présente affaire, les fausses représentations de l’accusé quant à sa séropositivité peuvent annuler le consentement apparent des plaignantes à des rapports sexuels, de sorte que l’activité sexuelle en cause soit une infraction de voies de fait graves au sens du Code criminel. J’ai pris connaissance des divers motifs de mes collègues les juges Cory et McLachlin, et, bien que je sois d’accord avec le résultat auquel ils arrivent, je ne partage pas les voies que chacun emprunte pour y parvenir. En particulier, je ne partage pas la conclusion du juge McLachlin que le législateur n’a pas voulu s’écarter de la façon stricte dont la common law aborde la viciation du consentement par la fraude dans le contexte des voies de fait. De même, bien que je souscrive à la conclusion du juge Cory que le législateur a bel et bien voulu ce changement, je ne puis accepter le nouveau critère qu’il formule pour déterminer les autres circonstances dans lesquelles la fraude viciera le consentement.

2 La question centrale qui se pose, dans le présent pourvoi, est celle de l’interprétation à donner au mot «fraude» employé à l’al. 265(3)c) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Comme le mot «fraude» n’est pas défini dans le régime des voies de fait établi par le Code criminel, il appartient aux tribunaux de l’interpréter au regard du consentement à l’emploi de la force. Conformément aux principes établis en matière d’interprétation législative, l’interprétation du mot «fraude» employé à l’al. 265(3)c) doit refléter l’intention du législateur et reposer sur une appréciation du contexte du Code criminel, de ses objets et des objectifs particuliers du régime des voies de fait visé par la disposition relative à la fraude.

3 Contrairement à l’interprétation que le juge McLachlin donne de l’intention du législateur, je souscris à la conclusion du juge Cory que la modification apportée au Code criminel en 1983, qui a remanié les dispositions relatives au viol et à l’attentat à la pudeur de façon à créer l’infraction d’agression sexuelle, et qui a supprimé les mots «fausses et frauduleuses représentations sur la nature et le caractère de l’acte», démontre l’intention du législateur de s’écarter de la façon excessivement stricte dont la common law aborde la viciation du consentement par la fraude.

4 Pour appuyer davantage la conclusion du juge Cory, il importe également d’apprécier les objectifs plus généraux des modifications de 1983. Les pressions du public fondées sur le mécontentement à l’égard des infractions d’attentat à la pudeur et de viol, et de la façon dont la loi traitait ces questions, ont conduit aux modifications de 1983: C. Boyle, Sexual Assault (1984), aux pp. 27 à 29. Ces modifications ne consistent pas seulement à remplacer les infractions d’attentat à la pudeur et de viol par l’infraction d’agression sexuelle, comme le laisse entendre le juge McLachlin, mais visent de façon beaucoup plus générale à moderniser et à adapter aux circonstances la façon dont le droit aborde les infractions d’ordre sexuel, qui sont surtout commises par des hommes contre des femmes. Elles comportent une disposition abrogeant les règles de preuve concernant la plainte spontanée dans les cas d’agression sexuelle (art. 275), une disposition prévoyant que la corroboration du témoignage d’un plaignant n’est plus nécessaire pour obtenir une déclaration de culpabilité dans ces cas (art. 274), des dispositions limitant l’utilisation en preuve du comportement sexuel passé du plaignant (art. 276) et de la réputation sexuelle (art. 277), ainsi qu’une disposition abolissant l’exception du conjoint en matière d’agression sexuelle (art. 278).

5 L’importante refonte entreprise par le législateur au moyen des modifications de 1983 laisse supposer qu’il était mécontent de la façon traditionnelle d’aborder les infractions d’ordre sexuel, qui s’inspirait de la common law et des codifications législatives antérieures. Dans ce contexte de mécontentement à l’égard de la façon dont le droit avait, dans le passé, traité les victimes d’infraction d’ordre sexuel, et compte tenu de la suppression des mots «fausses et frauduleuses représentations sur la nature et le caractère de l’acte», il est évident que le législateur a voulu s’écarter de la façon traditionnelle d’aborder la fraude liée au consentement en matière d’agression sexuelle.

6 La nouvelle rédaction, en particulier, de la disposition relative au consentement, en 1983, étaye davantage la conclusion que le législateur a voulu que l’on adopte une autre façon d’aborder la question de la fraude et du consentement. Voici comment se lisait, immédiatement avant 1983, la disposition générale en matière de voies de fait (S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 244):

244. Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque, quiconque

a) sans le consentement d’autrui, ou avec son consentement, s’il est obtenu par fraude, d’une manière intentionnelle, applique, directement ou indirectement, la force ou la violence contre la personne d’autrui;

La disposition concernant le viol (art. 143) se lisait ainsi:

143. Une personne de sexe masculin commet un viol en ayant des rapports sexuels avec une personne du sexe féminin qui n’est pas son épouse,

a) sans le consentement de cette personne du sexe féminin, ou

b) avec le consentement de cette dernière, si le consentement

(i) est arraché par des menaces ou par la crainte de lésions corporelles,

(ii) est obtenu en se faisant passer pour son époux, ou

(iii) est obtenu par de fausses et frauduleuses représentations sur la nature et le caractère de l’acte.

Le texte de la disposition relative à l’attentat à la pudeur (art. 149) était le suivant:

149. (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de cinq ans, quiconque attente à la pudeur d’une personne du sexe féminin.

(2) Un prévenu inculpé d’une infraction visée par le paragraphe (1) peut être déclaré coupable si la preuve établit que le prévenu a fait, à la personne du sexe féminin, avec son consentement, une chose qui, sans ce consentement, aurait constitué un attentat à la pudeur, lorsque son consentement a été obtenu par de fausses et frauduleuses représentations sur la nature et le caractère de l’acte.

La nouvelle disposition générale relative aux voies de fait, applicable à toutes les infractions de voies de fait, a intégré les divers moyens de vicier le consentement, qui faisaient partie des dispositions qu’elle a remplacées:

265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas:

a) d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

. . .

(3) Pour l’application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison:

a) soit de l’emploi de la force envers le plaignant ou une autre personne;

b) soit des menaces d’emploi de la force ou de la crainte de cet emploi envers le plaignant ou une autre personne;

c) soit de la fraude;

d) soit de l’exercice de l’autorité.

7 L’examen du contenu du par. 265(3) est particulièrement révélateur quand on le compare aux dispositions qu’il remplace. Premièrement, il est évident que le législateur a voulu élargir les circonstances dans lesquelles le consentement est vicié. Désormais, en matière de voies de fait ou d’infractions d’ordre sexuel, le Code criminel considère comme des facteurs viciant le consentement tant l’exercice de l’autorité (al. 265(3)d)) que l’emploi de la force ou la menace d’emploi de la force envers une autre personne que le plaignant (al. 265(3)a) et b)). Il est tout à fait compatible avec la portée générale du par. 265(3) de présumer qu’en adoptant l’al. 265(3)c) sans l’assortir de réserves, le législateur a voulu permettre une interprétation plus large du concept de «fraude».

8 Deuxièmement, il faut accorder une certaine importance à la nouvelle façon dont le par. 265(3) conçoit la viciation du consentement. Suivant les anciennes dispositions, il y avait infraction même lorsqu’il y avait consentement, si ce consentement avait été obtenu d’une façon particulière, c.-à-d. par de fausses et frauduleuses représentations sur la nature et le caractère de l’acte. Le paragraphe 265(3), toutefois, ne prévoit pas simplement que des actes sont illégaux si le consentement a été obtenu dans des circonstances qui ont pour effet de le vicier. Il précise plutôt que «ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister» en raison de l’un des facteurs énumérés. (Je souligne.) Dans Mewett & Manning on Criminal Law (3e éd. 1994), les auteurs affirment, à la p. 789, que ce changement est crucial et comporte [traduction] «un virage fondamental dans la portée de la fraude qui a un effet sur le consentement», et n’est pas simplement une perpétuation de la façon traditionnelle d’aborder la fraude en matière d’agression sexuelle:

[traduction] [I]l ne s’agit plus de se demander s’il y a consentement ni de savoir s’il a été vicié; il s’agit plutôt de savoir s’il y a eu soumission ou absence de résistance, et de chercher à savoir si cette soumission ou absence de résistance est due à la fraude. Cela indique que, en vertu des nouvelles dispositions, il s’agit non pas, comme c’était le cas auparavant, de se demander s’il existe un facteur qui annule tout consentement à cet acte, mais s’il y a eu soumission ou absence de résistance en raison d’une fraude quelconque. [. . .] [C]e qui importe, ce n’est pas de savoir s’il y a eu une fraude touchant la nature et le caractère de l’acte, mais plutôt s’il y a eu une fraude qui a amené la victime à se soumettre ou à ne pas résister, et ce sont sûrement deux choses fort différentes. [En italique dans l’original.]

9 Le juge McLachlin minimise ces changements législatifs importants vu l’«absence de preuve que le législateur a débattu ou étudié la question» (par. 51), et affirme, en conséquence, que toute modification de la common law existante qui va au‑delà d’un changement progressif équivaut à une immixtion injustifiée des tribunaux dans le rôle du législateur. Il existe, au contraire, une preuve amplement suffisante pour conclure que le législateur a modifié la façon d’aborder la fraude liée au consentement en matière de voies de fait, ce qui permet aux tribunaux d’exercer leur fonction légitime de rechercher l’intention du législateur pour interpréter cette nouvelle disposition législative. Bien qu’il accepte jusqu’à un certain point que le législateur a voulu alléger la notion de fraude en supprimant le qualificatif de la nature et du caractère de l’acte, le juge Cory refuse de considérer que ce changement est aussi important et fondé sur des principes que l’affirment notamment Mewett et Manning. Par conséquent, je ne saurais être d’accord avec le juge Cory en ce qui a trait à cette nouvelle forme libérée de disposition en matière de fraude. Un examen plus poussé de l’ensemble du régime des voies de fait et des objectifs visés par ces dispositions du Code criminel fait ressortir, à mon avis, les raisons qui justifient d’aborder différemment l’interprétation de l’al. 265(3)c).

10 L’article 265 du Code criminel décrit les éléments généraux qui sous‑tendent toutes les infractions de voies de fait, y compris les voies de fait simples, les voies de fait causant des lésions corporelles, les voies de fait graves, l’agression sexuelle et l’agression sexuelle grave. L’emploi intentionnel de la force, sans le consentement de la victime, ou la menace d’un tel emploi de la force constituent, comme le précise l’art. 265, l’essence de toutes les formes de voies de fait. La «force» peut comprendre tout attouchement, quel que soit la force ou la puissance utilisée, et n’est donc pas limitée aux actes physiques destinés à mutiler ou à causer des blessures. Lorsque l’emploi de la force est consensuel, il n’y a pas de voies de fait (sauf dans des circonstances limitées comme celles expliquées dans l’arrêt R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714, qui ne s’applique pas en l’espèce). Cependant, dans certaines situations, le par. 265(3) a pour effet de déterminer quand, contrairement aux apparences, aucun consentement n’a été obtenu, écartant ainsi tout moyen de défense fondé sur le consentement.

11 Comme il ressort d’un examen des éléments sous‑jacents des voies de fait, qui sont à la base de toutes les dispositions relatives aux voies de fait, l’interdiction au Code criminel de l’emploi intentionnel et non consensuel de la force est interprétée de façon très large. Tout attouchement non souhaité, quelque minime que soit la force employée, est criminel. Les actes physiques interdits par le régime des voies de fait comprennent non seulement le coup de poing au visage ou les rapports sexuels obtenus à la pointe d’un couteau, mais encore l’imposition de la main sur la cuisse de la personne qui occupe la place voisine dans un autobus: voir R. c. Burden (1981), 25 C.R. (3d) 283 (C.A.C.‑B.). L’objectif du régime des voies de fait est nettement beaucoup plus large que la simple protection des personnes contre les blessures graves. Le régime des voies de fait vise, de façon plus générale, à protéger l’intégrité physique des gens.

12 Le régime des voies de fait vise aussi, de façon connexe, à protéger et à promouvoir l’intégrité physique des gens en reconnaissant le pouvoir de chacun de consentir ou non à un attouchement. La signification du droit de consentir et, partant, du droit de préciser à quelles conditions une personne souhaite être touchée, est également protégée par le par. 265(3). De façon générale, le par. 265(3) énumère des facteurs qui ont pour effet de rendre le consentement d’une personne à l’emploi de la force sans aucune signification. Lorsque ces facteurs sont présents, l’expression véritable du libre arbitre d’un plaignant ne peut pas être obtenue. En adoptant le par. 265(3), le législateur a reconnu que, pour maximiser la protection de l’intégrité physique et de l’autonomie personnelle, seul le consentement obtenu avec la participation volontaire de la personne touchée est juridiquement valide.

13 Compte tenu de ces objectifs du régime des voies de fait établi dans le Code criminel et des protections importantes inhérentes au pouvoir d’une personne de donner ou de refuser son consentement, comment devrait‑on interpréter la «fraude» que l’al. 265(3)c) oppose au consentement? Lorsqu’on interprète l’al. 265(3)c), il est important de garder à l’esprit qu’il s’applique au consentement à toutes formes de voies de fait, et non pas, par exemple, uniquement à l’agression sexuelle ou aux voies de fait causant réellement ou pouvant causer des blessures graves. L’interprétation de la disposition relative à la fraude devrait donc être fondée sur des principes compatibles avec tous les différents contextes dans lesquels surviennent des voies de fait. À cet égard, je ne saurais être d’accord avec l’approche de mon collègue le juge Cory. Selon moi, son interprétation de la disposition relative à la fraude est incompatible avec cette méthode d’interprétation législative fondée sur des principes.

14 Le juge Cory affirme que, indépendamment de la conception traditionnelle de la common law suivant laquelle la fraude concerne «la nature et le caractère de l’acte», la fraude ne viciera le consentement en matière d’agression sexuelle que si l’acte objectivement malhonnête d’un accusé a «pour effet d’exposer la personne consentante à un risque important de lésions corporelles graves» (par. 128 (je souligne)). Nonobstant le fait qu’en l’espèce l’accusé a été inculpé de voies de fait graves, et non pas d’agression sexuelle ou d’agression sexuelle grave, j’estime que le test que propose mon collègue a pour effet de créer une interprétation différente de la «fraude» qui dépend de la nature sexuelle de l’infraction particulière pour laquelle un accusé a été mis en accusation. À mon avis, l’interprétation de mon collègue a pour effet d’abolir ce que le législateur a accompli en modifiant le Code criminel en 1983; elle réintroduit, dans le contexte de l’agression sexuelle, des restrictions artificielles dépendant des cas où la fraude annulera le consentement à un contact physique. En toute déférence, je ne puis accepter que ces restrictions soient correctes ni appuyer un retour, une fois de plus, au traitement particulier et différent de l’agression sexuelle.

15 Comme je l’ai expliqué, le régime des voies de fait a des objectifs très larges de protection de l’intégrité physique des gens contre les contacts physiques non souhaités, et de protection de leur autonomie personnelle de décider à quelles conditions ils consentiront à être touchés. Le paragraphe 265(3) offre une protection supplémentaire pour assurer que le consentement obtenu reflète vraiment le libre arbitre de la personne en cause. Lorsqu’il y a fraude, le juge Cory en limiterait les effets de nature à vicier le consentement à la conception traditionnelle de la common law, et aux contextes des voies de fait où il y a un «risque important de lésions corporelles graves». Mais l’effet causal de la fraude sur le consentement et les objectifs du régime des voies de fait font partie intégrante d’une interprétation de la fraude, qui soit fondée sur des principes. Par conséquent, il convient de définir la fraude en fonction de son lien avec le consentement de même qu’avec toutes les formes de voies de fait, et non pas seulement en fonction de la proximité et de la gravité des risques associés aux actes visés par le consentement.

16 À mon avis, compte tenu du texte de l’al. 265(3)c), ainsi que des objectifs et du contexte du Code criminel et du régime des voies de fait, il y a fraude simplement si l’acte malhonnête en cause a incité une autre personne à consentir à un acte physique, peu importe que cet acte ait comporté ou non des risques ou des dangers particuliers. L’examen visant à déterminer si la fraude a vicié le consentement de manière à rendre non consensuel un certain contact physique devrait être axé sur la question de savoir si la nature et l’exécution de la supercherie ont privé le plaignant de la capacité d’exercer sa volonté relativement à son intégrité physique en ce qui concerne l’activité en question. Comme l’expliquent Mewett et Manning, op. cit., à la p. 789: [traduction] «Il doit y avoir un lien de causalité entre la fraude et la soumission» à l’acte. Dans tout débat relatif à la fraude, le ministère public serait tenu de prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé a agi malhonnêtement de manière à inciter le plaignant à se soumettre à une activité précise, et qu’en l’absence de malhonnêteté le plaignant ne se serait pas soumis à l’activité en cause, considérant ainsi l’acte reproché comme étant un emploi non consensuel de la force. Voir C. Boyle, «The Judicial Construction of Sexual Assault Offences», dans J. V. Roberts et R. M. Mohr, dir., Confronting Sexual Assault: A Decade of Legal and Social Change (1994), 136, à la p. 146; et Grande-Bretagne, Law Commission Consultation Paper No. 134, Criminal Law: Consent and Offences against the Person (1994), aux pp. 51 et 52. La malhonnêteté de l’acte qui incite à la soumission serait évaluée en fonction de la norme objective de la personne raisonnable. Le ministère public serait aussi tenu de prouver que l’accusé savait ou était conscient que ses actes malhonnêtes inciteraient le plaignant à se soumettre à l’activité en cause. Pour un énoncé similaire des éléments de la fraude, voir R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5, aux pp. 25 et 26.

17 À l’examen de la présente affaire, les faits suivants seraient suffisants pour établir la malhonnêteté objective des actes de l’accusé et pour déduire que ce dernier savait que ses actes inciteraient la plaignante à se soumettre à des rapports sexuels non protégés: l’accusé savait qu’il était séropositif, il était conscient que cette maladie était contagieuse et mettait la vie d’autrui en danger, les infirmières hygiénistes lui ont conseillé de toujours porter le condom et d’informer ses partenaires de sa séropositivité, il s’est dit inquiet que la divulgation de son état de santé ne mette fin à sa vie sexuelle, il a menti à l’une des plaignantes au sujet sa séropositivité et ne l’a pas divulguée à l’autre plaignante dans des circonstances où il aurait dû le faire.

18 J’estime que cette interprétation de la fraude relative au consentement a pour effet de maximiser le droit d’un individu de déterminer à quelles conditions il consentira à un contact physique et avec qui ce contact aura lieu. Ce point de vue respecte également le contexte législatif parce qu’il peut s’appliquer avec la même logique à toutes les infractions de voies de fait visées par la disposition relative à la fraude.

19 Une interprétation de la fraude qui se concentre exclusivement sur le contexte de l’agression sexuelle et qui la confine aux seules situations où il existe manifestement un «risque important de lésions corporelles graves» est restrictive de façon injustifiable. On ne trouve nulle part dans le régime des voies de fait pareilles particularisation et restriction parce que le législateur a supprimé toute qualification de la disposition relative à la fraude dans la mesure où elle a trait à l’agression sexuelle. Il faut souligner qu’en matière d’agression sexuelle les personnes qui bénéficient de la protection du Code criminel sont en très grande majorité des femmes. Restreindre la définition de la fraude en matière d’agression sexuelle de la façon proposée par le juge Cory, c’est peut‑être tomber dans le même piège que les gens qui croient que le viol n’est pas un crime grave lorsqu’il n’y a pas de «violence» physique, c’est‑à‑dire lorsque la plaignante est simplement restée figée et ne s’est pas débattue ou était inconsciente. Comme je l’ai dit, l’essence de l’infraction est non pas l’existence de violence physique ou d’un risque de lésions corporelles graves, mais la violation de la dignité physique de la plaignante d’une façon contraire à son libre arbitre. Cette violation de la dignité physique et de l’autonomie personnelle est ce qui justifie et a toujours justifié une sanction pénale, indépendamment du risque ou de la gravité des lésions corporelles en cause. Pourquoi la définition de la fraude devrait-elle être plus large dans le contexte commercial où il est question de protéger des droits de propriété, qu’elle ne l’est pour l’agression sexuelle qui est l’une des pires atteintes à la dignité humaine?

20 Enfin, les exemples que cite mon collègue de types de conduite anodine qui seraient englobés par cette approche sont extrêmement exagérés. Le juge Cory minimise l’effet restrictif de l’obligation de prouver, suivant la norme criminelle exigeante, l’existence d’un lien de causalité entre l’acte malhonnête de l’accusé et son intention d’inciter le plaignant à se soumettre. À titre d’exemple, une simple déclaration inexacte quant au statut professionnel d’un homme, sans preuve que celui-ci savait que la plaignante se soumettait à des rapports sexuels avec lui en raison de son mensonge, ne constituerait pas une agression sexuelle. Voir Mewett et Manning, op. cit., aux pp. 789 et 790. La question de savoir si un plaignant s’est réellement soumis à des rapports sexuels en raison de la fraude commise par un accusé dépendra nécessairement de l’examen de tous les facteurs et ne pourra être tranchée qu’en fonction des faits de chaque affaire.

21 Les prédictions du juge McLachlin sont encore plus catastrophiques. Contrairement à son affirmation au par. 52, ce n’est pas «toute tromperie ou malhonnêteté» qui sera criminalisée par cette approche. Le juge McLachlin fait valoir que, suivant mon approche de la notion de fraude, le «consentement implicite inhérent à une rencontre sociale -- poignée de main ou bise -- est transformé par décision judiciaire en crime». Ma façon d’aborder la fraude ne s’appliquera aucunement à une telle conduite innocente. La notion même du consentement implicite à un attouchement, qui est inhérente à la rencontre sociale et, en fait, à de si nombreux aspects de la vie quotidienne, repose sur la compréhension des réalités sociales et la nécessité de tolérer un degré raisonnable de contacts fortuits et anodins. Qu’un homme porte ou non une fausse moustache ou une femme, un maquillage attrayant, il est inconcevable que le ministère public, fût-il assez insensé pour intenter des poursuites pour voies de fait fondées sur une poignée de main ou une bise, puisse établir hors de tout doute raisonnable à la fois qu’un plaignant n’a consenti au contact physique que sous l’effet de la tromperie, et que l’auteur de la tromperie l’a utilisée sciemment dans le but d’amener le plaignant à se soumettre. En outre, le principe de minimis non curat lex, selon lequel «la loi ne s’occupe pas de choses insignifiantes», pourrait s’appliquer dans un tel cas: voir R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128, au par. 69, le juge L’Heureux-Dubé. De plus, je ne saurais accepter la critique du juge McLachlin suivant laquelle le test est imprécis et incertain du fait que la malhonnêteté de l’acte doive être appréciée suivant une norme objective. Notre Cour à la majorité a déjà accepté une telle façon d’aborder l’appréciation de la malhonnêteté de l’acte dans le contexte d’une fraude criminelle: voir Théroux, précité, à la p. 16, le juge McLachlin.

22 Puisque le législateur a, au moyen des dispositions en matière de voies de fait, accordé une vaste protection à l’autonomie individuelle et à l’intégrité physique afin de sauvegarder le droit de chacun de décider à quelles conditions il peut être touché par autrui, il n’appartient pas à notre Cour de restreindre cette protection de crainte qu’elle aille trop loin dans la vie privée des gens. Un aspect de cette vie privée appartient à un plaignant dont le sentiment d’avoir été violé physiquement et privé frauduleusement du droit de refuser son consentement justifie la protection et la condamnation prévues par le Code criminel.

23 Sous réserve des présents motifs, je souscris à la décision de mes collègues d’accueillir le pourvoi et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.

Version française des motifs des juges Gonthier et McLachlin rendus par

Le juge McLachlin --

I. Introduction

24 L’intimé Cuerrier est accusé de voies de fait graves au sens de l’art. 268 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Les accusations reposent sur des allégations que Cuerrier a eu des rapports sexuels non protégés avec deux femmes qu’il avait induites en erreur au sujet de sa séropositivité. Le ministère public allègue que cela constitue une fraude qui a vicié le consentement de ces femmes et transformé en voies de fait des rapports sexuels consensuels.

25 Depuis plus d’un siècle, il est bien établi, en droit, que la fraude ne vicie le consentement à des voies de fait que si l’erreur porte sur la nature de l’acte ou sur l’identité du partenaire. La fraude relative à des aspects secondaires de relations consensuelles, comme la possibilité de contracter de graves maladies vénériennes, ne vicie pas le consentement. Dans le présent pourvoi, le ministère public nous demande de modifier le droit établi en décidant que le fait qu’une personne induise son partenaire en erreur sur sa séropositivité vicie le consentement donné et transforme les rapports sexuels consensuels en voies de fait.

26 Mes collègues les juges L’Heureux‑Dubé et Cory proposent de nouvelles règles qui criminaliseraient l’obtention malhonnête de rapports sexuels dans toute une gamme de circonstances. Je comprends leurs objectifs. La maladie vénérienne du VIH et le sida qu’elle cause entraînent des souffrances terribles et la mort. La personne qui, à la suite d’un mensonge au sujet de la séropositivité, est amenée à avoir des rapports sexuels non protégés peut subir un tort incalculable. Toutefois, j’estime, en toute déférence, que le point de vue qu’ils préconisent est trop large et qu’il excède le pouvoir des tribunaux de modifier progressivement la common law. Je propose un élargissement plus restreint, limité au défaut de divulguer l’existence d’une maladie vénérienne.

II. Les dispositions législatives

27 Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46

265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas:

a) d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

. . .

(2) Le présent article s’applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles, les agressions sexuelles armées, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles et les agressions sexuelles graves.

(3) Pour l’application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison:

a) soit de l’emploi de la force envers le plaignant ou une autre personne;

b) soit des menaces d’emploi de la force ou de la crainte de cet emploi envers le plaignant ou une autre personne;

c) soit de la fraude;

d) soit de l’exercice de l’autorité.

268. (1) Commet des voies de fait graves quiconque blesse, mutile ou défigure le plaignant ou met sa vie en danger.

(2) Quiconque commet des voies de fait graves est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans.

III. Les questions litigieuses

28 La première question qui se pose en l’espèce est de savoir si, en adoptant le par. 265(3) du Code criminel, le législateur a voulu criminaliser la conduite sexuelle trompeuse. Dans la négative, une seconde question se pose, celle de savoir si les tribunaux peuvent à bon droit apporter la modification sollicitée? Je vais examiner ces questions à tour de rôle.

IV. Analyse

1. Le législateur a‑t‑il voulu modifier la règle de la fraude en matière d’agression sexuelle?

29 Mes collègues les juges L’Heureux‑Dubé et Cory concluent qu’en modifiant le par. 265(3) du Code criminel, en 1983, le législateur a voulu supprimer les limites de la common law relativement à la fraude en matière de voies de fait. En toute déférence, je ne suis pas d’accord.

30 Jusqu’en 1983, le Code criminel prévoyait que le consentement à des rapports sexuels était vicié s’il était obtenu «par de fausses et frauduleuses représentations sur la nature et le caractère de l’acte». Cela reflétait la common law qui limitait la fraude en matière de voies de fait à la nature de l’acte (c’est‑à‑dire s’il était sexuel ou autre) ou à l’identité du partenaire: J. Smith et B. Hogan, Criminal Law (4e éd. 1978), à la p. 355; Halsbury’s Laws of England (4e éd. 1990), vol. 11(1), au par. 494; voir aussi R. c. Clarence (1888), 22 Q.B.D. 23.

31 En 1983, le législateur a modifié le Code criminel. Les anciennes infractions de viol et d’attentat à la pudeur ont été remplacées par l’infraction d’agression sexuelle. Une nouvelle disposition concernant le consentement, applicable à tous les types de voies de fait, sexuelles et non sexuelles, a été adoptée.

32 Il s’agit de décider si, en apportant cette modification, le législateur a voulu élargir l’infraction de voies de fait de sorte que commet un crime la personne qui, atteinte d’une grave maladie vénérienne comme le VIH, a des rapports sexuels non protégés sans divulguer cette maladie à son partenaire.

33 À l’appui de l’argument que le législateur a voulu s’écarter radicalement de la définition traditionnelle de common law de la fraude en matière de voies de fait, l’appelante invoque le texte de l’al. 265(3)c) (la fraude simplement) et l’arbitraire de la limitation de la fraude à la nature et au caractère de l’acte. À l’encontre de cet argument, l’intimé fait valoir que le changement de formulation s’explique par l’intention de fondre toutes les voies de fait en une seule notion, qu’en l’absence de langage clair on ne saurait présumer que le législateur a voulu élargir radicalement l’infraction de voies de fait, et qu’il y a eu dans le passé et il y a encore aujourd’hui de solides raisons de principe de limiter la fraude en matière de voies de fait et d’agression sexuelle, de sorte qu’il est très improbable que le législateur aurait modifié le droit sans débattre la question.

34 Je suis d’accord avec les tribunaux d’instance inférieure (en fait, avec tous ceux qui, depuis l’adoption de la nouvelle définition de la fraude, ont jusqu’à présent étudié la question) pour dire qu’il faut rejeter l’argument selon lequel le législateur voulait, par les modifications de 1983, élargir radicalement le crime des voies de fait. Mon point de vue sur la question repose sur la conviction que la criminalisation d’une conduite est un sujet sérieux. La création d’un crime doit être exprimée en termes clairs. Il peut s’agir de la définition d’un nouveau crime ou de la redéfinition des éléments d’un ancien crime. Quand les tribunaux abordent la définition des éléments d’un ancien crime, ils doivent prendre garde de ne pas les élargir au point de créer un nouveau crime. Seul le législateur peut créer de nouveaux crimes et transformer une conduite légale en une conduite criminelle. Il est permis aux tribunaux de donner à d’anciennes dispositions une interprétation reflétant des changements sociaux, afin d’assurer que l’intention du législateur continue d’être réalisée à l’époque contemporaine. Il est inacceptable qu’ils écartent la common law pour créer de nouveaux crimes que le législateur n’a jamais voulu créer.

35 Dans ce contexte, je vais examiner quelle était l’intention du législateur lorsqu’il a adopté une nouvelle définition de la fraude applicable aux voies de fait, y compris l’agression sexuelle, en 1983. L’intention d’élargir radicalement le crime des voies de fait peut‑elle se déduire du fait que le législateur a omis les anciens mots «la nature et le caractère de l’acte»? Je ne le crois pas.

36 Premièrement, les mots «la nature et le caractère de l’acte» ne représentaient pas l’état du droit même avant 1983. Le droit criminel en matière de voies de fait est un amalgame des dispositions codifiées du Code criminel et de la common law non codifiée. Avant 1983, la mention de l’attentat à la pudeur dans le Code décrivait la notion de fraude pertinente comme étant la fraude concernant «la nature et le caractère de l’acte». Il n’y était pas question d’«identité». Pourtant, pendant plus d’un siècle, les tribunaux canadiens ont admis que la fraude relative à l’identité pouvait annihiler le consentement, compte tenu de la règle applicable en common law. En 1983, le législateur a retiré du Code la mention de l’autre cas où la common law reconnaissait que la fraude viciait le consentement à des rapports sexuels -- la fraude relative à la nature et au caractère de l’acte. Il est raisonnable de déduire que le législateur a supposé que, tout comme ils avaient considéré que l’«identité» était englobée dans le droit criminel relatif à l’agression sexuelle, les tribunaux continueraient d’interpréter la loi comme incluant «la nature et le caractère de l’acte» même s’il n’en était pas fait mention. Autrement dit, il faut supposer que le législateur s’attendait que les tribunaux continueraient d’interpréter les dispositions du Code concernant l’agression sexuelle en fonction de la common law, à moins qu’il n’ait utilisé des mots indiquant clairement qu’il modifiait la common law. Rien dans l’art. 265 du Code criminel n’indique l’intention de supprimer les limites de la common law relativement à la fraude en matière de voies de fait.

37 Cette conclusion est étayée par le par. 45(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, qui prévoit que la modification d’un texte législatif n’implique pas une déclaration que le droit existant a été modifié. Ce paragraphe se lit ainsi:

45. . . .

(2) La modification d’un texte ne constitue pas ni n’implique une déclaration portant que les règles de droit du texte étaient différentes de celles de sa version modifiée ou que le Parlement, ou toute autre autorité qui l’a édicté, les considérait comme telles.

Aussi la modification apportée en 1983 aux dispositions relatives aux voies de fait, qui a supprimé les mots «la nature et le caractère de l’acte» qui limitaient le type de fraude suffisant pour vicier le consentement, ne devrait pas, en l’absence de preuve contraire, être interprétée comme modifiant le droit applicable en matière de voies de fait.

38 Cette conclusion est également étayée par la règle voulant que, lorsqu’une loi en matière criminelle est ambiguë, il faille préférer l’interprétation favorable à l’accusé: R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, aux par. 29 et 60. Cette règle ne s’applique pas si l’intention du législateur peut être déterminée de manière assez précise: R. c. Deruelle, [1992] 2 R.C.S. 663, aux pp. 676 et 677. Toutefois, si, comme en l’espèce, il existe des ambiguïtés réelles ou des doutes sérieux, cette règle d’interprétation reconnue s’applique: Marcotte c. Sous‑procureur général du Canada, [1976] 1 R.C.S. 108, à la p. 115.

39 La jurisprudence, sans exception, appuie le point de vue selon lequel le législateur a voulu conserver la définition de common law de la fraude en matière de voies de fait. Notre Cour s’est exprimée en ces termes sur le nouveau libellé de la disposition relative à la fraude, dans R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714, à la p. 739:

Le législateur ne s’est pas engagé dans un domaine vierge lorsqu’il a énuméré, au par. 265(3), les quatre facteurs qui vicient le consentement. Au contraire, nous verrons qu’en majeure partie cette liste a simplement concrétisé, et rendu plus explicites, les limites fondamentales de l’effet juridique du consentement que reconnaissaient depuis des siècles, le droit criminel en Angleterre et au Canada. Les dispositions du Code à ce sujet n’exprimaient pas l’intention de supprimer l’ensemble des règles de common law qui décrivaient déjà ces limites et leur portée respective. Le Code se contentait de les énoncer plus clairement, d’une manière générale. [Je souligne.]

La question en litige dans l’arrêt Jobidon était de savoir si les tribunaux pouvaient compléter la liste que donne le par. 265(3) des facteurs susceptibles de vicier le consentement, pour des raisons d’intérêt public reconnues en common law mais non reflétées dans le libellé du Code. La Cour a décidé que le par. 265(3) n’était pas exhaustif et devait s’interpréter conjointement avec la common law. L’arrêt Jobidon permet d’affirmer que la common law peut compléter les dispositions du Code. Il permet aussi d’affirmer que le par. 265(3) du Code criminel reprend la common law sans toutefois l’élargir. Il n’étaye pas le point de vue selon lequel la définition donnée par la common law à la fraude en matière de voies de fait peut être écartée au profit de la définition large de la fraude utilisée dans le contexte commercial.

40 D’autres cours qui ont étudié le sens du mot «fraude» employé au par. 265(3) depuis les modifications de 1983 ont conclu que l’on ne saurait considérer que le législateur a voulu modifier la règle existante de la fraude en matière d’agression sexuelle: R. c. Petrozzi (1987), 35 C.C.C. (3d) 528 (C.A.C.-B.); R. c. Ssenyonga (1993), 81 C.C.C. (3d) 257 (C. Ont. (Div. gén.)). Les juges des tribunaux d’instance inférieure qui ont examiné cette question en l’espèce ont tous exprimé le même avis.

41 Je conclus que les modifications apportées au Code criminel en 1983 n’ont pas écarté la common law applicable à la fraude en matière de voies de fait. La notion de fraude figurant à l’al. 265(3)c) du Code criminel continue de s’inspirer de la common law.

2. Convient‑il que notre Cour modifie le droit applicable?

42 Le législateur n’a pas modifié la définition de common law de la fraude en matière de voies de fait. Il reste à savoir si notre Cour devrait le faire.

43 Notre Cour a établi une règle pour décider dans quels cas elle va modifier la common law. Elle ne le fera que lorsque ces modifications représentent une évolution progressive d’un principe existant et que leurs conséquences sont circonscrites et prévisibles: Watkins c. Olafson, [1989] 2 R.C.S. 750; R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654; R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577; Office des services à l’enfant et à la famille de Winnipeg (région du Nord‑Ouest) c. G. (D.F.), [1997] 3 R.C.S. 925; Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. Saint John Shipbuilding Ltd., [1997] 3 R.C.S. 1210. Comme l’a affirmé le juge Iacobucci dans l’arrêt Salituro, à la p. 670:

. . . en régime de démocratie constitutionnelle comme le nôtre, c’est le législateur et non les tribunaux qui assume, quant à la réforme du droit, la responsabilité principale; et tout changement qui risquerait d’entraîner des conséquences complexes devrait, aussi nécessaire ou souhaitable soit‑il, être laissé au législateur. Le pouvoir judiciaire doit limiter son intervention aux changements progressifs nécessaires pour que la common law suive l’évolution et le dynamisme de la société.

Il s’agit de décider si le changement de la common law sollicité dans le présent pourvoi satisfait à ce critère.

a) Les tribunaux ne devraient pas apporter au droit en matière d’agression sexuelle les modifications générales proposées par les juges L’Heureux‑Dubé et Cory

44 En toute déférence, j’estime que les modifications générales proposées par les juges L’Heureux‑Dubé et Cory ne constituent pas un changement progressif de la common law. Elles représentent plutôt un remplacement de la règle de common law par de nouveaux principes.

45 Tant le juge L’Heureux‑Dubé que le juge Cory tiennent pour acquis, au départ, que le législateur a voulu abroger, en 1983, la définition de common law de la fraude en matière de voies de fait. Leurs opinions divergent nettement, toutefois, sur ce que le législateur entendait lui substituer. Pour le juge Cory, le législateur a voulu que la définition de la fraude commerciale s’applique, sous certaines réserves. Par contre, le juge L’Heureux‑Dubé affirme que le législateur avait à l’esprit toute supercherie qui incite à consentir. Cette divergence montre que, lorsque les juges dérogent à la règle du changement progressif de la common law, ils s’exposent non seulement au risque de se voir reprocher de s’écarter de la fonction constitutionnelle légitime des tribunaux, mais encore à la difficulté pratique de remplacer la règle de common law par un nouveau principe. Souvent le nouveau principe est difficile à trouver et une fois trouvé, s’avère inadéquat. Cela a des conséquences complexes tant sur le plan théorique que sur le plan pratique. La présente affaire ne fait pas exception.

46 Selon le concept de la fraude commerciale que préconise le juge Cory, le consentement à tout contact est en principe vicié s’il y a (1) tromperie entraînant (2) privation. Il y a tromperie s’il y a omission de divulguer. Il y a privation s’il y a exposition au risque de préjudice.

47 Le problème que pose cette thèse c’est que l’omission de divulguer pratiquement n’importe quel risque connu de préjudice serait susceptible de vicier le consentement à des rapports sexuels. La thèse de la fraude commerciale en matière de consentement n’offre aucune raison fondée sur des principes de permettre que certains risques vicient le consentement à des rapports sexuels, mais non d’autres. Par exemple, la grossesse peut être considérée comme une privation dans certaines circonstances, tout comme l’obligation de subvenir aux besoins d’un enfant. Il s’ensuit que le mensonge au sujet de la stérilité ou de l’efficacité d’un moyen de contraception peut constituer une fraude viciant le consentement. De même, les mensonges au sujet de l’éventualité d’un mariage ou les fausses déclarations d’amour incitant à consentir risquent d’entraîner des souffrances morales, la dépression et d’autres conséquences pouvant facilement être qualifiées de privation. La règle proposée est donc susceptible de criminaliser une large gamme de comportements sexuels. Des tromperies mineures et parfois majeures accompagnent, de temps immémorial, les idylles et les relations sexuelles. Elles comportent souvent un risque de préjudice pour la personne trompée. Jusqu’à ce jour dans l’histoire des civilisations, ces tromperies, si tristes soient‑elles, ont inspiré des chansons, des poèmes et la réprobation sociale. Maintenant, si la thèse du ministère public est acceptée, on en fait des crimes.

48 Reconnaissant la portée excessive de la thèse sur laquelle reposent ses motifs, le juge Cory essaie de la limiter en ajoutant une réserve particulière: il doit y avoir un «risque important de lésions corporelles graves» pour que le consentement soit vicié. Cette restriction, loin de régler le problème, soulève de nouvelles difficultés. Premièrement, elle contredit la thèse générale selon laquelle la tromperie conjuguée au risque de privation suffit pour vicier le consentement. Une autre thèse est nécessaire pour expliquer pourquoi seulement certains types de fraude transforment des rapports sexuels consensuels en voies de fait. Pourtant aucune n’est présentée. Deuxièmement, cette restriction cause une incertitude. Dans quels cas le risque est‑il assez important pour qu’une conduite soit qualifiée de criminelle? Aux yeux de qui l’«importance» doit‑elle être déterminée -- ceux de la victime, de l’accusé ou du juge? Quelle est la portée des mots «lésions corporelles graves»? Est-il possible d’établir une ligne de démarcation claire entre le préjudice psychologique et les lésions corporelles, compte tenu du fait que le premier peut entraîner la dépression, un comportement autodestructeur et, dans certains cas extrêmes, le suicide? La certitude est essentielle au droit criminel. S’il est incertain, il ne peut pas dissuader d’adopter un comportement inapproprié et perd sa raison d’être. Et ce qui est tout aussi grave, il devient inéquitable. Des personnes qui croient agir conformément à la loi peuvent se retrouver poursuivies, déclarées coupables, emprisonnées et étiquetées comme criminels. Des conséquences aussi sérieuses ne doivent pas dépendre de l’interprétation de mots vagues comme «important» et «grave». Finalement, en limitant le nouveau crime aux cas comportant un risque important de préjudice, le juge Cory fait un choix particulier quant à savoir où devrait être tracée la ligne de démarcation entre ce qui est légal et ce qui est illégal. Notre Cour, par l’intermédiaire du juge en chef Lamer, a prévenu qu’il appartient au législateur et non aux tribunaux de faire des choix particuliers: Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, à la p. 707.

49 Un autre sujet de préoccupation réside dans le fait que l’élargissement du droit criminel en matière de voies de fait, proposé par le juge Cory, représente une réduction de la liberté individuelle suffisante pour nécessiter la sanction du législateur. L’assimilation de la non‑divulgation à l’absence de consentement simplifie à l’extrême la nature complexe et variée du consentement. Dans leur vie sexuelle, il peut arriver et il arrive que les gens fassent fi de toute prudence. Quand le partenaire consentant accepte le risque, la non‑divulgation ne peut pas logiquement vicier le consentement. La non‑divulgation ne peut vicier le consentement que dans les cas où l’on suppose qu’il y aurait divulgation et que le consentement serait refusé si la séropositivité était divulguée. Quand une personne consent à courir un risque au départ, la non‑divulgation n’est pas pertinente pour ce qui est du consentement. Le critère proposé criminaliserait néanmoins la non‑divulgation. Cela a pour effet d’écarter le consentement comme moyen de défense contre l’accusation d’agression sexuelle en pareil cas. L’infraction d’agression sexuelle est remplacée par une nouvelle infraction -- l’infraction d’omission de divulguer un risque grave.

50 Autrement dit, la solution du juge Cory ne tient pas compte de l’exigence que la fraude incite à consentir. En common law, la fraude concernant la nature de l’acte ne vicie le consentement que si elle incite à consentir. Si l’on dit que la non‑divulgation est suffisante en soi pour vicier le consentement, l’exigence de causalité est supprimée. Le défendeur serait coupable même dans le cas où le plaignant aurait consenti de toute façon. L’autre problème qui résulterait serait l’absence apparente de la privation, requise en matière de fraude commerciale, sur laquelle la thèse du juge Cory est censée reposer. La responsabilité criminelle n’est généralement imputée que pour la conduite qui cause ou risque de causer des blessures à autrui. Pourtant, selon la thèse du juge Cory concernant la responsabilité criminelle pour les rapports sexuels sans divulgation, une telle responsabilité pourrait être imputée pour une conduite n’ayant aucun lien de causalité avec un préjudice ou un risque de préjudice. Cela engendre, à son tour, des problèmes de mens rea et soulève la possibilité que le nouveau crime viole la Charte canadienne des droits et libertés.

51 Le juge L’Heureux‑Dubé souligne à juste titre qu’il est indéfendable, sur les plans théorique et pratique, de recourir à des notions de fraude commerciale, pour ensuite les limiter en fonction de chaque cas particulier. Ayant conclu que le législateur a voulu abroger la règle de common law selon laquelle seule la fraude concernant la nature et le caractère de l’acte viciait le consentement en matière de voies de fait, elle prône une nouvelle conception qui n’est assortie d’aucune réserve et selon laquelle toute supercherie incitant à consentir à un contact constitue une fraude. Cette nouvelle définition de la fraude est basée, dit‑elle, sur les «objectifs et [le] contexte [. . .] du régime des voies de fait» établi par le Code criminel, malgré l’absence de preuve que le législateur a débattu ou étudié la question. En supposant que le législateur a voulu élargir les dispositions -- voire en supprimer toute limite --, elle conclut qu’«il y a fraude simplement si l’acte malhonnête en cause a incité une autre personne à consentir à un acte physique» (par. 16).

52 La première difficulté que soulève ce point de vue est qu’il suppose notamment que le législateur a voulu changer la common law régissant la fraude en matière de voies de fait, laquelle supposition n’est pas valide, comme je l’ai fait valoir antérieurement. La deuxième difficulté réside dans le fait que ce point de vue élargit considérablement l’infraction de voies de fait. Désormais, toute tromperie ou malhonnêteté destinée à inciter à consentir à un attouchement sexuel ou autre vicie le consentement et en fait un crime. L’attouchement social qui, jusque-là, était non criminel en raison du consentement implicite inhérent à une rencontre sociale -- poignée de main ou bise -- est transformé par décision judiciaire en crime, pourvu qu’il soit possible de démontrer que l’accusé a agi malhonnêtement de manière à inciter à consentir et que le contact a, objectivement parlant, résulté de la tromperie. Il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’un risque et la nature de la tromperie ne fait pas non plus l’objet d’une restriction. Le maquillage attrayant ou la fausse moustache suffiront‑ils pour criminaliser un acte social fortuit? La fausse promesse d’un manteau de fourrure destinée à inciter à avoir des rapports sexuels fera‑t‑elle de l’acte résultant un crime? Ces exemples ne sont pas superficiels, étant donné l’absence de toute restriction attachée à la tromperie. Une troisième difficulté réside dans le fait que cette solution, à l’instar de celle du juge Cory, est imprécise et incertaine. On dit que ce critère est objectif. Or, la tromperie est, de par sa nature même, très subjective. Ce qui est flatterie pour une personne est supercherie pour une autre personne, et un crime, selon cette thèse.

53 Non seulement l’élargissement du droit proposé est‑il radical, mais encore il est sans précédent. On ne nous a mentionné aucun tribunal ni aucune assemblée législative de notre pays ou d’ailleurs qui soit allé aussi loin. Dans la mesure où le droit canadien a criminalisé la tromperie, c’est seulement dans les cas où elle cause un préjudice réel ou un risque de préjudice. La règle proposée par le juge L’Heureux‑Dubé éliminerait la nécessité de prouver le risque de préjudice et ferait de la tromperie l’unique condition de la responsabilité criminelle relative à un contact sexuel. Aucune action administrative ne peut corriger une portée aussi excessive. La retenue dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de poursuivre ne peut pas compenser l’élargissement excessif du droit criminel; elle ne fait que substituer à la portée excessive et à l’incertitude au niveau judiciaire la portée excessive et l’incertitude à la fois au niveau de l’engagement des poursuites et au niveau judiciaire.

54 Aux difficultés théoriques que soulèvent les deux propositions avancées par mes collègues s’ajoutent les problèmes pratiques qu’elles poseraient. Les changements proposés ont de graves conséquences. Selon l’état actuel du droit, ne constitue pas une infraction le fait d’avoir un contact sexuel sans en divulguer les risques possibles à son partenaire, comme le propose le juge Cory. Ne constitue pas non plus un crime toute tromperie incitant à consentir à un contact physique, comme le propose le juge L’Heureux‑Dubé. D’après ce que nous savons sur la propagation du VIH et d’autres maladies vénériennes, il ressort que, chaque jour, des milliers de personnes adoptent précisément cette conduite. Désormais, si les changements radicaux proposés sont acceptés, ces personnes seront des criminels susceptibles de faire l’objet d’une enquête, d’être poursuivis et d’être emprisonnés. Littéralement, des millions d’actes qui, jusqu’ici, n’ont pas été tenus pour criminels seront désormais criminalisés. La liberté individuelle sera restreinte. Les répercussions sur la police, les poursuivants, les tribunaux et les prisons seront dramatiques. Il vaut mieux que pareil changement, s’il est nécessaire, soit apporté par le législateur à la suite d’une discussion complète des conséquences et des coûts.

55 Les élargissements importants du droit proposés par mes collègues risquent également de nuire à la lutte contre la propagation du VIH et des autres maladies graves transmissibles sexuellement. Les travailleurs du secteur de l’hygiène publique font valoir qu’encourager les gens à subir un test de dépistage et à se faire traiter est la clef de la prévention de la propagation du VIH et de maladies similaires, et que des sanctions pénales générales seront vraisemblablement inefficaces: J. D. McGinnis, «Law and the Leprosies of Lust: Regulating Syphilis and AIDS» (1990), 22 R.D. Ottawa 49, à la p. 59. Criminaliser un large éventail de comportements liés au VIH ne fera que nuire à ces efforts. De plus, comme ce sont les homosexuels, les toxicomanes qui se piquent, les personnes qui se livrent à la prostitution, les prisonniers et les personnes handicapées qui risquent le plus d’être infectés par le VIH, c’est surtout chez les membres de ces groupes déjà marginalisés que se fera sentir le fardeau des sanctions pénales. D’après la documentation soumise à la Cour, il ressort qu’une obligation générale de divulguer est susceptible de pousser à la clandestinité les personnes atteintes de cette maladie: voir, par exemple, R. Elliot, Droit criminel et VIH/sida: rapport final (mars 1997); J. M. Dwyer, «Legislating AIDS Away: The Limited Role of Legal Persuasion in Minimizing the Spread of the Human Immunodeficiency Virus» (1993), 9 J. Contemp. Health L. & Pol’y 167; S. V. Kenney, «Criminalizing HIV Transmission: Lessons from History and a Model for the Future» (1992), 8 J. Contemp. Health L. & Pol’y 245; T. W. Tierney, «Criminalizing the Sexual Transmission of HIV: An International Analysis» (1992), 15 Hastings Int’l & Comp. L. Rev. 475.

56 Ces considérations donnent à penser que les importants changements que les juges L’Heureux‑Dubé et Cory proposent d’apporter au droit criminel auront des conséquences complexes. Le législateur est, plus que les tribunaux, en mesure de prévoir les conséquences de changements aussi radicaux et de faire les choix de valeur requis. Il peut débattre la question. Il peut commander des études. Il peut tenir des audiences publiques dans toutes les régions du pays, s’il le juge utile. Par ces moyens il peut décider, de manière réfléchie, s’il y a lieu d’apporter ces changements radicaux.

57 Je conclus que, aussi attrayante que puisse paraître à première vue la criminalisation générale de la non‑divulgation du risque, ou de la supercherie incitant à consentir à un contact, les difficultés théoriques et pratiques que soulève un élargissement d’une telle ampleur empêchent les tribunaux d’agir. La version de la nouvelle infraction adoptée par le juge Cory viole la thèse sur laquelle elle repose; si le consentement est révoqué par la fraude au sens de ce terme dans le contexte commercial, à savoir la tromperie engendrant un risque de privation, rien ne justifie de limiter le vice de consentement au risque important de lésions corporelles graves, quel que soit le sens de cette expression. La version préconisée par le juge L’Heureux‑Dubé évite ce piège logique, mais au prix d’un élargissement excessif. En toute déférence, ni l’une ni l’autre de ces versions n’offre de raison suffisante pour imputer une responsabilité criminelle, et les deux versions introduiraient des changements ayant des conséquences graves pour les individus, les organismes chargés d’appliquer la loi et ceux qui livrent la lutte contre le VIH. Pareils changements excèdent la compétence des tribunaux au chapitre de la réforme du droit.

b) Un changement progressif moins important est possible

58 J’ai conclu que les propositions générales de changement du droit que formulent mes collègues vont beaucoup plus loin que le changement progressif de la common law que les tribunaux sont autorisés à réaliser. Toutefois, il ne s’ensuit pas que toute modification du droit en matière de voies de fait est interdite. Il est loisible aux tribunaux de réaliser des changements progressifs en élargissant les notions de common law de la nature de l’acte et de l’identité, à la condition que les conséquences de ces changements ne soient pas trop complexes. Il est nécessaire d’examiner si cela peut être fait avant de pouvoir rejeter le pourvoi.

59 Il convient que les tribunaux procèdent, à l’occasion, à la mise à jour de la common law pour qu’elle suive l’évolution des besoins et des mœurs de la société: Salituro, précité. Cela s’applique à la notion de common law de la fraude en matière de voies de fait. Dans R. c. Maurantonio, [1968] 1 O.R. 145, la Cour d’appel de l’Ontario a décidé, à la majorité, qu’un homme qui avait obtenu un contact sexuel en se faisant passer pour un médecin avait commis une fraude concernant la nature et le caractère de l’acte. Repoussant une interprétation stricte de l’expression «la nature et le caractère de l’acte» contenue dans le Code criminel, le juge Hartt (ad hoc) a affirmé, à la p. 153:

[traduction] . . . les mots «la nature et le caractère de l’acte» [. . .] ne devraient pas être interprétés strictement au point de ne viser que l’acte concret qui a été accompli, mais devraient plutôt être interprétés comme englobant les circonstances concomitantes qui donnent un sens à l’acte en cause.

60 Pour déterminer la portée de la common law concernant le consentement à un contact et, en particulier, à un contact sexuel, il est nécessaire d’examiner l’historique de la common law relative au consentement en matière de voies de fait et l’origine de l’expression «la nature de l’acte».

61 Avant la décision Clarence, précitée, il était reconnu en common law que la supercherie quant au fait qu’une personne avait une maladie vénérienne était susceptible de vicier le consentement à des rapports sexuels. Les décisions R. c. Bennett (1866), 4 F. & F. 1105, 176 E.R. 925, et R. c. Sinclair (1867), 13 Cox C.C. 28, avaient établi que le consentement à des relations sexuelles pouvait être vicié par l’omission de divulguer une maladie vénérienne. Dans la décision Bennett, le juge Willes dit ceci (à la p. 925 E.R.):

[traduction] Mais bien que la jeune fille puisse avoir consenti à coucher et donc à avoir des rapports avec son oncle, il reste que, si elle n’a pas consenti aux circonstances aggravantes, c’est-à-dire les rapports sexuels avec un homme malade, et qu’elle a été victime d’une fraude, l’acte accompli par l’accusé constituera des voies de fait en raison de cette fraude. Les voies de fait sont visées par la règle selon laquelle la fraude vicie le consentement, et par conséquent, si l’accusé, qui savait qu’il avait cette maladie honteuse, a incité sa nièce à coucher avec lui dans le but de la posséder, et l’a infectée alors qu’elle ignorait son état, tout consentement qu’elle peut avoir donné sera vicié, et l’accusé sera coupable d’attentat à la pudeur.

Dans la décision Sinclair, à la p. 29, le juge Shee a appliqué la décision Bennett et donné au jury les directives suivantes:

[traduction] S’il savait qu’il était atteint de cette maladie et qu’il la transmettrait probablement à la jeune fille, qui, ignorant ce fait, a consenti à la relation, et que vous êtes convaincus qu’elle n’aurait pas donné son consentement si elle avait connu ce fait, alors son consentement est vicié par la supercherie dont elle a été victime, et l’accusé sera coupable de voies de fait . . .

62 Outre la supercherie concernant une maladie vénérienne, la common law a reconnu que la supercherie concernant l’identité (R. c. Dee (1884), 14 L.R. Ir. 468), ainsi que la supercherie touchant la question de savoir si l’acte était un acte médical au lieu d’un acte sexuel, étaient susceptibles de vicier le consentement à des rapports sexuels (R. c. Flattery (1877), 2 Q.B.D. 410).

63 Les décisions Bennett et Sinclair ont été critiquées dans Hegarty c. Shine (1878), 14 Cox C.C. 145. Dans Hegarty, il était question d’une action civile pour voies de fait et rupture de promesse de mariage. Après avoir eu, pendant un an, des rapports sexuels en dehors des liens du mariage et être devenue enceinte, la demanderesse avait découvert qu’elle et son bébé avait contracté la syphilis du défendeur, qui avait dissimulé son état de santé. La Cour d’appel a rejeté l’action de la demanderesse sur la base de la règle ex turpi causa parce qu’elle a considéré que les actes étaient immoraux et illégaux. Les juges ont conclu, en particulier, qu’il n’existait aucune obligation de divulguer dans une telle relation immorale. Le juge Ball a fait observer ce qui suit, à la p. 147:

[traduction] Il n’est pas question ici de supercherie quant à la nature de l’acte devant être accompli, comme cela s’est produit dans le cas, cité au cours des plaidoiries, de la jeune fille innocente qui a été amenée à croire qu’une intervention chirurgicale était pratiquée. Il y a eu, en l’espèce, une longue cohabitation des parties, un consentement délibéré à l’acte ou aux actes ayant donné naissance à la cause d’action. Si une supercherie de la part d’une des parties quant à son état de santé suffit à modifier l’ensemble de la relation qui existait par ailleurs entre elles, de manière à transformer leurs rapports sexuels en voies de fait de la part du défendeur, pourquoi toute autre supercherie n’aurait-elle pas le même effet? Supposons qu’une femme vive avec son amant, qui lui a clairement promis, à maintes reprises, de l’épouser sans remplir sa promesse ni même peut-être avoir eu l’intention de la remplir, chaque rapport sexuel constitue-il des voies de fait? [. . .] Personne, à mon avis, ne serait disposé à répondre par l’affirmative à ces questions.

64 Soulignant ces commentaires formulés dans la décision Hegarty, les juges majoritaires dans l’affaire Clarence, précitée, ont renversé les décisions où il avait été conclu que la supercherie au sujet d’une maladie vénérienne était susceptible de vicier le consentement. Selon les juges formant la majorité, la maladie vénérienne ne touchait pas la nature de l’acte. Cette expression ne concernait que la question de savoir si l’acte était sexuel ou non, comme dans les affaires d’«actes médicaux»: Flattery, précité; R. c. Case (1850), 1 Den. 580, 69 E.R. 381. Le juge Stephen a dit craindre que, dès que le droit irait au-delà du type d’acte (c’est‑à‑dire sexuel ou non sexuel) et de l’identité du contrevenant, aucune ligne de démarcation nette ne puisse être tracée entre les tromperies qui ne devraient pas déclencher à juste titre l’application du droit criminel et celles qui pourraient le faire. L’opinion des juges majoritaires représente essentiellement depuis lors l’état du droit. Lorsque le législateur a adopté le Code criminel en 1892, les rédacteurs ont ajouté le «caractère» de l’acte à sa «nature» pour décrire le type de fraude susceptible de vicier le consentement: Code criminel, S.C. 1892, ch. 29, art. 259 et 266. Toutefois, il n’est pas clair que cela ait ajouté quoi que ce soit à l’expression initiale de common law «la nature de l’acte».

65 Dans ce contexte, je reviens aux conditions auxquelles les tribunaux peuvent effectuer un changement. La condition préalable fondamentale d’un tel changement est qu’il soit nécessaire pour que le droit suive l’évolution des besoins de la société. Une fois cette nécessité établie, il doit s’agir d’un changement progressif de la common law qui n’aura pas de conséquences imprévisibles et complexes.

66 Dans la présente affaire, je suis persuadée que l’état actuel du droit ne reflète pas les valeurs de la société canadienne. Il est irréaliste, voire scandaleux, de penser que le consentement à des rapports sexuels donné parce que le partenaire est séronégatif n’est pas touché par une tromperie flagrante à ce sujet. Autrement dit, peu de gens estimeraient que le droit devrait pardonner à la personne qui, s’étant fait demander si elle était séropositive, a menti à ce sujet afin d’obtenir un consentement. Il semble logique et juste d’affirmer que cette personne commet une fraude viciant le consentement, transformant ainsi le contact en voies de fait.

67 Avant la décision Clarence, la common law reconnaissait que la tromperie quant à une maladie transmissible sexuellement et très contagieuse constituait une fraude viciant le consentement à des rapports sexuels. Revenir à cette position représenterait un changement progressif du droit. Si le renversement de la règle antérieure de common law voulant que la supercherie concernant une maladie vénérienne puisse vicier le consentement représentait un changement progressif, l’infirmation de cette décision et le retour à l’état antérieur du droit ne représenteraient pas un changement progressif plus grand. Ce changement est, en outre, compatible avec la modification que le législateur a apportée au Code criminel en 1983 lorsqu’il a supprimé l’expression «la nature et le caractère de l’acte», qui porte à croire que, même s’il a conservé la common law régissant la fraude relative au consentement qui permet de réfuter les voies de fait, le législateur n’a pas voulu figer le moule restrictif de la décision Clarence.

68 La dernière question, qui est la plus difficile, est de savoir si le changement apporterait le genre de modifications complexes et imprévisibles qu’il serait préférable de laisser au législateur le soin d’apporter. La première objection à ce chapitre est celle soulevée par le juge Stephen dans Clarence, à savoir l’impossibilité de tracer une ligne de démarcation nette entre la conduite criminelle et la conduite non criminelle une fois que le droit aura abandonné la certitude du double critère de la nature de l’acte -- au sens de savoir s’il était sexuel ou non -- et de l’identité du contrevenant. On fait valoir qu’aller au‑delà de ce critère reviendrait à ouvrir la porte à une déclaration de culpabilité de voies de fait dans le cas, par exemple, où un homme promet un manteau de fourrure à une femme si elle accepte d’avoir des rapports sexuels avec lui: Fifteenth Report of the Criminal Law Revision Committee on Sexual Offences (Cmnd 9213), cité et approuvé dans R. c. Linekar, [1995] 3 All E.R. 69 (C.A.).

69 C’est là une grave difficulté. Les tribunaux ne devraient pas élargir le droit criminel pour qu’il vise une conduite que la société considère en général comme non criminelle. Si un tel élargissement s’impose, il appartient au législateur de l’effectuer. De plus, le droit criminel doit être clair. Je souscris au principe fondamental de la jurisprudence anglaise voulant qu’il doive absolument exister une démarcation nette entre la conduite criminelle et la conduite non criminelle. En l’absence d’une telle démarcation, le droit criminel perd son effet dissuasif et devient injuste. C’est pour ces motifs que je me suis antérieurement prononcée contre l’imputation, proposée par le juge Cory, d’une responsabilité criminelle pour non‑divulgation dans les cas de «risque important de préjudice grave», et contre la solution du juge L’Heureux-Dubé consistant à qualifier de fraude toute tromperie incitant à consentir.

70 Il s’agit de savoir s’il est possible d’effectuer un changement progressif plus restreint qui ne viserait que le préjudice en cause dans le présent pourvoi tout en traçant la ligne de démarcation nette requise. À mon avis, c’est possible. Le retour à la conception de la common law antérieure à la décision Clarence permettrait de tracer une ligne de démarcation nette entre la conduite criminelle et la conduite non criminelle. Comme je l’ai expliqué, selon l’état du droit antérieur à la décision Clarence, la fraude pouvait vicier le consentement à un contact s’il y avait a) tromperie quant au caractère sexuel de l’acte, b) tromperie quant à l’identité du contrevenant, ou c) tromperie quant à l’existence d’une maladie transmissible sexuellement qui comportait une probabilité ou un risque importants d’infection pour le plaignant (Sinclair, précité). Cette règle est claire et circonscrite. Elle s’appliquerait à la conduite en cause en l’espèce, tout en évitant qu’une personne soit déclarée coupable de voies de fait pour avoir eu recours à des incitations comme les fausses promesses de mariage ou d’achat de manteau de fourrure. Le critère applicable à la tromperie serait objectif et axé sur la question de savoir si l’accusé a faussement déclaré au plaignant qu’il n’était pas malade alors qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il y avait un risque élevé d’infecter son partenaire. Le critère applicable à l’incitation serait subjectif en ce sens que le juge ou le jury devrait être convaincu hors de tout doute raisonnable que la fraude a réellement incité à consentir.

71 Du point de vue théorique, le changement proposé respecte la méthode consacrée du changement progressif de la common law. Cela est toutefois insuffisant. L’ajout d’une nouvelle catégorie de common law devrait refléter un principe sous-jacent qui la rattache à la logique et à la politique qui sous-tendent la règle existante, et qui permette d’effectuer tout changement éventuel de manière rationnelle et fondée sur des principes. Si le principe sous-jacent est général au point de permettre un élargissement dans des domaines contestables ou peu souhaitables, alors il n’y a pas lieu d’apporter le changement proposé. C’est l’incapacité de déceler un tel principe qui semble avoir inspiré la décision de resserrer la règle dans Clarence, et la récente décision de la Cour d’appel anglaise, dans Linekar, de ne pas étendre l’application de la règle à la supercherie quant au paiement de services sexuels.

72 En toute déférence pour les juges qui ont siégé dans ces affaires, il est possible de proposer une explication de la raison pour laquelle la supercherie quant à une maladie vénérienne peut vicier le consentement, et non pas la supercherie relative à d’autres incitations comme les promesses de mariage ou d’achat de manteau de fourrure. Consentir à des relations sexuelles non protégées c’est consentir à l’accouplement avec une certaine personne et à la transmission des fluides corporels de cette personne. Si la personne affirme qu’elle n’est pas malade, et que le consentement est donné sur la foi de cette affirmation, la tromperie à ce sujet touche l’acte même des voies de fait. La plaignante ne consent pas à la transmission de fluides malsains dans son corps. Cette tromperie touche véritablement la nature de l’acte sexuel qui, d’un acte entraînant certaines conséquences naturelles (que ce soit le plaisir, la douleur ou la grossesse), devient une condamnation potentielle à la maladie ou à la mort. Elle diffère fondamentalement de la tromperie relative à la contrepartie offerte en échange du consentement, tels le mariage, l’argent ou un manteau de fourrure, du fait qu’elle concerne l’acte physique lui-même. Elle en diffère, par surcroît, d’une manière extrêmement grave qui mérite la sanction pénale.

73 Cela suffit à justifier la position de la common law antérieure à la décision Clarence voulant que la tromperie concernant une maladie vénérienne soit susceptible de vicier le consentement. Il est préférable de remettre à une autre occasion l’examen de la question de savoir si l’on pourrait logiquement ajouter d’autres catégories de fraude pour le motif que la supercherie y ayant trait modifie elle aussi fondamentalement la nature de l’acte physique lui-même. Il est douteux que des conséquences naturelles, telle la grossesse, puissent remplir les conditions voulues étant donné qu’elles sont naturellement concomitantes à l’acte sexuel et qu’elles n’en changent pas fondamentalement la nature. De même, comme nous l’avons vu, les promesses de conduite future destinées à inciter à consentir ne changent pas fondamentalement la nature de l’acte physique. Là encore, les relations sexuelles protégées ne seraient pas visées, la common law antérieure à la décision Clarence exigeant qu’il y ait une probabilité ou un risque importants de transmission de la maladie: Sinclair, précité. Ces observations contribuent largement à dissiper la crainte d’élargissement excessif et non fondé sur des principes, qui, dans Clarence, a poussé les juges majoritaires à exclure la supercherie quant à une maladie transmissible sexuellement du domaine de la fraude susceptible de vicier le consentement.

74 Il reste à examiner l’argument selon lequel l’élargissement du droit, même de cette façon limitée, aura des conséquences imprévisibles, complexes et peu souhaitables. Aussi regrettable que cela puisse être, il se peut que la criminalisation de la supercherie au sujet d’une maladie sexuellement transmissible, qui incite à consentir, empêche certaines personnes de subir un test de dépistage et un traitement de crainte que le résultat ne les force à choisir de s’abstenir d’avoir des relations sexuelles non protégées ou de devenir des criminels. Par contre, cela peut favoriser une plus grande divulgation. Le message selon lequel les gens doivent faire preuve d’honnêteté à propos de leurs maladies transmissibles est important. Une conduite comme celle dont il est question en l’espèce heurte la conscience et devrait pouvoir entraîner un recours au criminel. En outre, l’élargissement proposé du droit est relativement restreint, visant uniquement la supercherie quant à une maladie vénérienne dans les cas où il est établi hors de tout doute raisonnable qu’il y avait un risque élevé d’infection et que le défendeur savait ou aurait dû savoir que la fraude inciterait réellement à consentir à des relations sexuelles non protégées. Enfin, je souligne que l’art. 221 du Code criminel (négligence criminelle causant des lésions corporelles) prévoit déjà que la personne qui a des relations sexuelles non protégées, sans avoir divulgué sa séropositivité, commet un crime lorsque son partenaire contracte de ce fait le VIH: R. c. Mercer (1993), 84 C.C.C. (3d) 41 (C.A.T.-N.). Il n’y a aucune preuve que l’application de l’art. 221 a eu un effet négatif sur le dépistage en étendant la responsabilité criminelle aux cas où les partenaires du défendeur ont eu la malchance d’être infectés. Par rapport à cette infraction, l’élargissement que je propose ne représente qu’un petit pas de plus. Compte tenu de toutes ces considérations, je suis persuadée que ce changement limité n’aura pas de conséquences profondes, imprévisibles ou non souhaitables.

75 Je conclus qu’il y a lieu de modifier la common law de façon à permettre que la supercherie au sujet d’une maladie transmissible sexuellement, qui incite à consentir, soit considérée comme une fraude viciant le consentement, au sens de l’art. 265 du Code criminel.

V. Conclusion

76 Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.

Version française du jugement des juges Cory, Major, Bastarache et Binnie rendu par

77 Le juge Cory -- Le consentement d’une plaignante à des rapports sexuels non protégés est‑il vicié par une fraude lorsque son partenaire sait qu’il est séropositif et qu’il ne le lui dit pas ou l’induit délibérément en erreur à ce sujet? Si le consentement est obtenu frauduleusement dans ces circonstances, l’art. 268 (voies de fait graves) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, est‑il applicable? L’application du Code criminel compromettrait‑elle les politiques adoptées en matière de santé publique relativement au sida? Voilà les questions qui doivent être examinées dans le cadre du présent pourvoi.

I. Les faits

78 En août 1992, l’intimé a subi un test de dépistage du VIH qui a révélé qu’il était séropositif. Une infirmière hygiéniste lui a alors explicitement conseillé d’utiliser des condoms chaque fois qu’il aurait des rapports sexuels et d’informer de sa séropositivité tous ses partenaires sexuels éventuels. L’intimé a repoussé avec colère ce conseil. Il s’est plaint qu’il ne pourrait jamais avoir de vie sexuelle s’il disait à qui que ce soit qu’il était séropositif.

79 Trois semaines plus tard, l’intimé a rencontré la plaignante KM et une liaison de 18 mois a commencé. Le couple a eu des rapports sexuels, pour la plupart non protégés, au moins une centaine de fois. Peu après le début de cette liaison, KM a discuté avec l’intimé des maladies transmissibles sexuellement et, même si elle ne lui a pas posé précisément de questions au sujet du VIH ou du sida, l’intimé lui a assuré que les résultats d’un test de dépistage du VIH qu’il avait subi huit ou neuf mois auparavant étaient négatifs. KM a développé une hépatite et s’est vu conseiller de subir un test de dépistage du VIH. La plaignante et l’intimé ont tous les deux subi un test en janvier 1993. En février, une infirmière a informé KM que les résultats de son test étaient négatifs, mais que le test subi par l’intimé révélait qu’il était séropositif. Elle a recommandé à KM de subir d’autres tests plus tard afin de déterminer si elle avait été infectée par le virus.

80 L’intimé s’est encore une fois fait dire qu’il devait utiliser des condoms et informer ses partenaires sexuels qu’il était séropositif. Il a répondu que, pour éviter d’utiliser des condoms, il attendrait pendant quelques mois pour savoir si KM était séropositive et, dans la négative, il la quitterait et chercherait une compagne séropositive.

81 KM a continué pendant plusieurs mois d’avoir des rapports sexuels non protégés avec l’intimé, et ce, parce qu’elle l’aimait et ne voulait pas mettre en danger la santé d’une autre femme. Les parties ont mis fin à leur liaison en mai 1994. KM a témoigné que si elle avait su que l’intimé était séropositif, elle n’aurait jamais eu de rapports sexuels non protégés avec lui.

82 Après avoir appris que KM et l’intimé ne se fréquentaient plus, une infirmière hygiéniste a fait parvenir à l’intimé des lettres dans lesquelles elle lui enjoignait d’informer ses futures partenaires qu’il était séropositif et d’utiliser des condoms. Peu après, l’intimé a commencé à avoir des rapports sexuels avec BH. Ils ont eu des rapports sexuels une dizaine de fois, la plupart du temps sans utiliser un condom. Même si BH lui avait dit qu’elle avait peur des maladies, l’intimé ne l’a pas informée qu’il était séropositif. À la fin de juin, BH a découvert que l’intimé était séropositif. Elle lui a demandé de s’expliquer et il s’est excusé de lui avoir menti. BH a témoigné que si elle avait su que l’intimé était séropositif, elle n’aurait jamais eu de rapports sexuels non protégés avec lui.

83 L’intimé a fait l’objet de deux chefs d’accusation de voies de fait graves. Au moment du procès, aucune des plaignantes n’était séropositive selon les tests qu’elles avaient subis. Le juge du procès a inscrit un verdict imposé d’acquittement de l’intimé. La Cour d’appel a refusé d’annuler les acquittements.

II. Les jugements des tribunaux d’instance inférieure

A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique

84 Le juge du procès a examiné le texte des dispositions pertinentes du Code. Il a conclu que les termes «met sa vie en danger», au par. 268(1), s’appliquent si un accusé expose quelqu’un à un danger, à un tort ou à un risque (R. c. Thornton, [1993] 2 R.C.S. 445). Il est évident qu’en ayant des rapports sexuels non protégés avec les plaignantes alors qu’il savait qu’il était séropositif, l’accusé a mis leur vie en danger, au sens du par. 268(1).

85 Il a fait remarquer que les questions en litige en l’espèce avaient déjà été examinées dans R. c. Ssenyonga (1993), 81 C.C.C. (3d) 257 (C. Ont. (Div. gén.)). Il a souligné que, dans Ssenyonga, le ministère public avait soutenu, comme en l’espèce, que le consentement des plaignantes aux rapports sexuels était vicié parce qu’on en avait excédé la portée à la suite d’une fraude, ou encore pour des raisons d’intérêt public.

86 Il a souscrit au raisonnement du juge du procès dans l’affaire Ssenyonga, suivant lequel on n’excède le consentement donné que lorsque la force employée dépasse celle à laquelle on s’attendrait normalement pendant des rapports sexuels. En l’espèce, toutefois, il n’y a pas eu emploi d’une force exceptionnelle. Le juge a aussi rejeté l’argument du ministère public suivant lequel la notion de consentement éclairé devrait être incorporée au droit criminel.

87 Le juge du procès a conclu qu’il ne pouvait pas accepter l’argument selon lequel le consentement des plaignantes était vicié par une fraude. Il était d’avis que, malgré la modification du texte du Code, le seul type de fraude qui vicie le consentement à des rapports sexuels est celui qui touche la nature et le caractère de l’acte ou l’identité du contrevenant (R. c. Petrozzi (1987), 35 C.C.C. (3d) 528 (C.A.C.‑B.)).

88 Enfin, il a examiné l’argument du ministère public suivant lequel, en raison de la gravité du risque couru par les plaignantes, leur consentement devrait être vicié pour des raisons d’intérêt public. Cet argument reposait sur l’arrêt R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714, où il a été statué que la liste des facteurs susceptibles de vicier le consentement, au par. 265(3), n’est pas exhaustive et qu’il y a des motifs limités sur lesquels une cour peut s’appuyer pour conclure que le consentement est vicié pour des raisons de principe. Le même argument a été avancé dans l’affaire Ssenyonga, précitée, où il a été jugé, à la p. 265, que les dispositions du Code relatives aux voies de fait visaient non pas à freiner la propagation du sida, mais plutôt à [traduction] «réprimer l’emploi direct ou indirect de la force par une personne contre une autre personne sans son consentement».

89 Le juge du procès a conclu que, même si les actes de l’accusé étaient répugnants et méritaient d’être punis, on élargirait indûment la portée des infractions de voies de fait ou de voies de fait graves si on les appliquait en l’espèce. Il a donc accueilli la demande de verdict imposé et a acquitté l’accusé.

B. Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1996), 141 D.L.R. (4th) 503

90 Le juge Prowse a d’abord fait l’historique législatif et jurisprudentiel de la disposition relative à la fraude, et a fait remarquer qu’avant la suppression des termes «la nature et le caractère de l’acte», la jurisprudence avait défini étroitement les types de fraude susceptibles de vicier le consentement. De plus, elle a conclu que les modifications du Code ne visaient pas à élargir les catégories de fraude qui vicieraient le consentement, et que le juge du procès avait eu raison de suivre l’arrêt Petrozzi, précité.

91 Le juge Prowse s’est ensuite demandé si, pour être valide, le consentement à des rapports sexuels devait être éclairé. Elle a rejeté, pour deux motifs, l’argument selon lequel il y avait lieu d’appliquer en l’espèce la règle du consentement éclairé établie dans Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226. Premièrement, elle n’a pas considéré que l’inégalité qui existait entre les plaignantes et l’intimé, sur le plan des renseignements dont ils disposaient, avaient engendré l’inégalité du rapport de force ou l’exploitation envisagées dans Norberg. Deuxièmement, elle hésitait à incorporer dans le droit criminel les principes du consentement éclairé applicables en matière de responsabilité délictuelle.

92 Le juge Prowse a aussi rejeté l’argument du ministère public selon lequel le comportement de l’intimé excédait ce à quoi les plaignantes avaient consenti. Elle a conclu que les actes sexuels auxquels s’étaient livrés l’intimé et les plaignantes n’avaient pas comporté plus de force que celle qui est naturellement inhérente à un acte sexuel.

93 Enfin, le juge Prowse s’est demandé si le consentement des plaignantes devait être invalidé pour des raisons d’intérêt public. Elle a jugé important le fait que les plaignantes, en l’espèce, n’aient subi aucune blessure, mais n’aient été exposées qu’à un risque de blessure. Cela était très différent de la situation dans l’arrêt Jobidon, précité, où notre Cour a invalidé le consentement du plaignant à se livrer à une bagarre à coups de poing où la force employée avait causé un préjudice grave. Le juge Prowse a statué que le droit criminel en matière de voies de fait n’est pas le mécanisme juridique approprié pour régler le problème de la transmission du VIH ou du sida, et elle a refusé d’établir une autre catégorie de comportement qui vicierait le consentement.

III. Les dispositions législatives pertinentes

94 Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46

265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas:

a) d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

. . .

(2) Le présent article s’applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles, les agressions sexuelles armées, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles et les agressions sexuelles graves.

(3) Pour l’application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison:

a) soit de l’emploi de la force envers le plaignant ou une autre personne;

b) soit des menaces d’emploi de la force ou de la crainte de cet emploi envers le plaignant ou une autre personne;

c) soit de la fraude;

d) soit de l’exercice de l’autorité.

268. (1) Commet des voies de fait graves quiconque blesse, mutile ou défigure le plaignant ou met sa vie en danger.

(2) Quiconque commet des voies de fait graves est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans.

IV. Analyse

95 L’intimé a fait l’objet de deux chefs d’accusation de voies de fait graves. Une telle accusation exige que le ministère public prouve, premièrement, que les actes de l’accusé ont mis en danger la vie du plaignant (par. 268(1)) et, deuxièmement, que l’accusé a, d’une manière intentionnelle, employé la force contre le plaignant sans son consentement (al. 265(1)a)). Je conviens avec la Cour d’appel et le juge du procès que la première condition est remplie. Il n’y a pas de doute que l’intimé a mis en danger la vie des plaignantes en les exposant au risque d’être infectées par le VIH en ayant avec elles des rapports sexuels non protégés. Aucune autre conclusion n’est possible compte tenu des conséquences potentiellement mortelles d’une telle infection. De plus, il n’est pas nécessaire d’établir que les plaignantes ont effectivement été infectées par le virus. Il n’y a pas d’exigence préalable qu’un préjudice ait réellement résulté. Le risque important auquel les rapports sexuels non protégés ont exposé la vie des plaignantes satisfait à la première condition du par. 268(1).

96 La deuxième condition, savoir l’emploi de la force sans le consentement des plaignantes, soulève plus de difficultés. Les deux plaignantes ont consenti à des rapports sexuels non protégés avec l’intimé. Cela doit comprendre le consentement à l’emploi de la force inhérente à cette activité. Le ministère public soutient que le consentement des plaignantes était sans effet en droit puisqu’il avait été obtenu par fraude. Les plaignantes ont témoigné que, si elles avaient su que l’intimé était séropositif, elles n’auraient jamais consenti à avoir des rapports sexuels non protégés avec lui.

A. L’interprétation de la fraude viciant le consentement après la décision R. c. Clarence

97 Jusqu’en 1983, les dispositions du Code relatives à l’attentat à la pudeur prévoyaient que le consentement était vicié s’il était obtenu «par de fausses et frauduleuses représentations sur la nature et le caractère de l’acte». La condition que la fraude concerne «la nature et le caractère de l’acte» reflétait la façon dont la common law abordait le consentement dans les cas d’agression sexuelle, depuis la décision R. c. Clarence (1888), 22 Q.B.D. 23. Dans cette affaire, la cour à la majorité avait statué que l’omission du mari de révéler à son épouse qu’il avait la gonorrhée n’avait pas vicié le consentement de cette dernière à des rapports sexuels. La cour affirme, à la p. 44, que

[traduction] les seules sortes de fraude qui, jusqu’à maintenant, annihilent le consentement d’une femme de manière à transformer en un viol des rapports auxquels elle a consenti sont celles qui ont trait à la nature de l’acte lui‑même ou à l’identité de la personne qui l’accomplit.

98 La décision Clarence a été citée et approuvée dans Bolduc c. The Queen, [1967] R.C.S. 677. Dans cet arrêt, des accusations d’attentat à la pudeur avaient été portées à la suite d’un examen médical par un interne dûment qualifié. L’examen avait été effectué en présence d’un ami de l’interne. On avait fait croire à la plaignante que l’ami était lui aussi un interne, alors qu’il était en réalité un voyeur. La Cour a statué que la plaignante avait consenti à l’examen et que la fraude ne concernait pas la nature et le caractère de l’acte.

99 Dans l’arrêt R. c. Maurantonio, [1968] 1 O.R. 145 (C.A.), un homme s’est fait passer pour un médecin et a prétendu effectuer des examens gynécologiques sur plusieurs femmes. Il a été jugé que les victimes avaient consenti à un examen médical, mais qu’elles avaient subi quelque chose de tout à fait différent. La cour a statué que la fraude était liée à la nature et au caractère de l’acte et qu’elle avait ainsi vicié leur consentement. Elle affirme, à la p. 152, que

[traduction] [e]n règle générale, si la tromperie provoque un malentendu quant à la nature de l’acte lui‑même, il n’y a pas de consentement reconnu en droit puisque ce qui s’est produit n’est pas ce à quoi on a consenti . . .

Toutefois, dans une opinion incidente, le juge Hartt (ad hoc) a judicieusement laissé entendre qu’il conviendrait dans certains cas de donner une interprétation large à l’expression «la nature et le caractère de l’acte». Ainsi, dès 1968, il y avait certaines indications que les restrictions archaïques de la méthode de la décision Clarence pourraient être assouplies.

100 En 1983, le Code criminel a été modifié. Les dispositions relatives au viol et à l’attentat à la pudeur ont été remplacées par l’infraction d’agression sexuelle. L’article 265 concernant les voies de fait a été adopté sous sa forme actuelle et, en vertu du par. 265(2), il s’applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles.

101 L’alinéa 265(3)c) prévoit simplement que ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison de la «fraude». Aucune restriction ou réserve n’est apportée au mot «fraude». Il y a eu, néanmoins, une certaine controverse quant à savoir si le texte apparemment clair de ce nouvel article supprimait la condition que la fraude viciant le consentement concerne «la nature et le caractère de l’acte».

102 Dans l’arrêt Petrozzi, précité, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a jugé que, malgré le nouveau libellé de l’al. 265(3)c) (alors l’al. 244(3)c)), l’ancienne règle de common law voulant que la fraude doive concerner «la nature et le caractère de l’acte» s’appliquait encore. Elle a statué que rien n’indiquait qu’en modifiant les dispositions du Code le législateur avait voulu élargir les types de fraude susceptibles de vicier le consentement. L’accusé avait accepté de verser 100 $ à la plaignante pour des services sexuels, mais il n’avait pas l’intention de payer. La Cour d’appel a décidé qu’on ne pouvait pas dire que ce type de fraude concernait la nature et le caractère de l’acte, et qu’elle était insuffisante pour vicier le consentement de la plaignante. Pour tirer cette conclusion, la cour s’est fondée largement sur le raisonnement de la décision Clarence, précitée.

103 Il ne faut pas oublier que la décision Clarence repose sur une conception rigoureuse et dépassée du mariage, à savoir qu’un mari ne pouvait pas être coupable du viol de sa femme puisque les relations matrimoniales impliquaient, en droit, le consentement de l’épouse à tous les rapports sexuels. De plus, l’interprétation très restrictive de la fraude reposait sur l’idée qu’il ne serait pas souhaitable de traiter la fraude, dans un cas de voies de fait ou d’agression sexuelle, de la même manière que dans un contexte criminel ou commercial.

104 Dans son article intitulé «HIV/AIDS and the Criminal Law» (1994), 36 Crim. L.Q. 279, aux pp. 297 et 298, le professeur W. H. Holland soulève deux points importants au sujet de la décision Petrozzi. Premièrement, ni le ministère public ni la défense ne croyaient que la question de la fraude se posait et ils ont tous deux formulé des objections lorsque le juge du procès l’a soumise au jury. L’affaire avait été entendue comme s’il s’agissait uniquement de décider laquelle de la prétention de la plaignante qu’il y avait eu viol, ou de la thèse de l’accusé, selon laquelle il y avait eu consentement à l’acte, devait être retenue. Il semble douteux que l’affaire Petrozzi ait été appropriée pour déterminer l’interprétation à donner au mot «fraude» utilisé à l’al. 265(3)c). Deuxièmement, le juge Craig a fait remarquer, dans Petrozzi, à la p. 542, qu’il n’y avait aucune raison de principe de restreindre la fraude, dans les affaires de voies de fait et d’agression sexuelle, aux cas où il est question de la nature et du caractère de l’acte. Il a néanmoins conclu que le législateur avait voulu confirmer les anciennes interprétations. Il n’a toutefois cité aucun précédent à l’appui de cette affirmation. Il a écrit:

[traduction] Je ne vois pas pourquoi nous devrions, en principe, restreindre la fraude, dans la mesure où elle se rapporte au consentement dans des affaires de voies de fait simples et d’agression sexuelle, aux cas où il est question de nature et du caractère de l’acte ou aux cas où il est question de l’identité du contrevenant. Malgré cette conviction, j’ai conclu qu’en adoptant l’art. 244 actuel, en particulier l’al. 244(3)c), le législateur a voulu confirmer l’interprétation que les tribunaux avaient donnée au type de fraude susceptible de vicier le consentement dans des affaires de sexe ou de voies de fait.

105 En toute déférence, je ne suis pas d’accord avec cette conclusion du juge Craig. Je ne puis non plus accepter le raisonnement et la conclusion du juge McDermid dans Ssenyonga, précité, qui reposait sur des faits presque identiques à ceux de la présente affaire. À mon avis, autant l’historique que le texte clair de cette disposition portent à croire que le législateur a voulu s’écarter de la rigidité de la condition de common law que la fraude soit liée à la nature et au caractère de l’acte. L’abrogation du texte législatif qui imposait cette condition et son remplacement par la mention de la fraude sans plus indiquent l’intention du législateur de prévoir une notion plus souple de la fraude dans les cas de voies de fait et d’agression sexuelle.

106 Ce point de vue est compatible avec celui de plusieurs commentateurs. Par exemple, C. Boyle, dans Sexual Assault (1984), à la p. 66, a écrit ceci peu après l’adoption des modifications:

[traduction] Le législateur semble avoir laissé tomber la version du viol pour adopter de façon générale l’ancienne façon d’aborder les voies de fait.

. . . s’il est maintenant reconnu qu’on se prépare à prendre une décision de principe sur ce qui est coupable dans le contexte d’une fraude, alors la loi peut être améliorée considérablement.

De même, A. W. Mewett et M. Manning ont écrit, dans Criminal Law (2e éd. 1985), aux pp. 596 et 597:

[traduction] Cependant, les nouvelles dispositions ne mentionnent que la «fraude», sans réserve quant à la nature et au caractère de l’acte. Cette modification apparemment anodine peut en réalité avoir de lourdes conséquences. . .

Tout ce que les nouvelles dispositions semblent exiger, toutefois, c’est l’existence d’une fraude et d’un lien de causalité entre cette fraude et la soumission ou l’omission de résister.

(Voir aussi D. Watt, The New Offences Against the Person (1984), aux pp. 216 à 220, et Holland, loc. cit., aux pp. 297 à 299.)

107 Je n’oublie pas les observations prudentes du juge Gonthier dans l’arrêt Jobidon, précité, selon lesquelles l’adoption du par. 265(3) «n’exprim[ait] pas l’intention de supprimer l’ensemble des règles de common law qui décrivaient déjà ces limites et leur portée respective» (p. 739). Dans Jobidon, il s’agissait toutefois de savoir si des facteurs non énumérés explicitement au par. 265(3), qui avaient été considérés antérieurement comme viciant le consentement en common law, étaient toujours applicables. Le juge Gonthier a conclu que le par. 265(3) n’était pas exhaustif et que le consentement pouvait être vicié pour des raisons d’intérêt public dans un nombre limité de circonstances. Par contre, l’affaire dont nous sommes saisis requiert une interprétation de la notion de fraude qui est explicitement incluse, sans réserve, au par. 265(3). Il s’agit donc de décider si des limites qui existaient antérieurement en common law et dans le Code devraient continuer de s’appliquer. Le raisonnement de l’arrêt Jobidon indique qu’il conviendrait de donner une interprétation large à la fraude dans ces circonstances où les mots limitatifs ont été expressément retirés de cette disposition.

108 En conséquence, je suis d’avis de conclure que, pour déterminer si le consentement a été vicié par une fraude dans des affaires de voies de fait ou d’agression sexuelle, il n’est plus nécessaire de se demander si la fraude était liée à la nature et au caractère de l’acte. Il est préférable d’adopter une interprétation fondée sur des principes qui s’harmonise avec le texte clair de cette disposition et une interprétation appropriée du consentement dans les cas d’agression sexuelle. À cette fin, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas utiliser les principes qui, dans le passé, ont été appliqués relativement à la fraude en droit criminel, après leur avoir apporté les modifications appropriées.

109 Il est maintenant nécessaire d’examiner la nature de la fraude et la façon dont elle devrait s’appliquer selon la formulation actuelle de l’art. 265.

B. Comment la fraude a‑t‑elle été définie?

110 La notion de fraude criminelle a toujours comporté deux éléments constitutifs. Dans A History of the Criminal Law of England (1883), vol. 2, Stephen les décrit en ces termes, aux pp. 121 et 122:

[traduction] . . . on peut affirmer sans trop risquer de se tromper que, chaque fois que les mots «fraude», «intention de frauder» ou «frauduleusement» figurent dans la définition d’un acte criminel, au moins deux éléments sont essentiels à la perpétration de cet acte criminel, à savoir, en premier lieu, la supercherie ou l’intention de tromper ou, dans certains cas, la dissimulation, et en deuxième lieu, le préjudice réel ou possible, ou l’intention d’exposer quelqu’un à un préjudice réel ou à un risque de préjudice au moyen de cette supercherie ou de cette dissimulation.

111 C’est le point de vue qui a été adopté dans In re London and Globe Finance Corp., [1903] 1 Ch. 728. Le juge Buckley y décrit la fraude en ces termes, aux pp. 732 et 733:

[traduction] Frauder, c’est déposséder par supercherie: c’est recourir à la supercherie pour induire quelqu’un à agir à son détriment. De façon plus concise, on peut dire que tromper c’est recourir au mensonge pour susciter un état d’esprit, alors que frauder c’est recourir à la supercherie pour provoquer une façon d’agir.

112 Une définition plus large de la fraude a été donnée dans Scott c. Metropolitan Police Commissioner, [1975] A.C. 819 (H.L.). La définition de la fraude adoptée dans cet arrêt n’incluait pas la supercherie comme élément essentiel. On considérait plutôt la malhonnêteté et la privation comme des éléments fondamentaux de cette notion.

113 Dans l’arrêt R. c. Olan, [1978] 2 R.C.S. 1175, la Cour a adopté le raisonnement suivi dans Scott et a conclu que les deux éléments de la fraude sont la malhonnêteté et la privation. Elle s’est exprimée en ces termes (à la p. 1182):

Les tribunaux ont de bonnes raisons d’hésiter à définir de façon exhaustive le mot «frauder» (frustrer), mais on peut sans crainte dire que, selon la jurisprudence, deux éléments sont essentiels: la «malhonnêteté» et la «privation». Pour avoir gain de cause, le ministère public doit donc prouver la privation malhonnête.

De même, l’exigence de privation a été élargie de sorte que le risque de privation est suffisant en soi. Ainsi, la victime de la fraude n’est pas tenue de prouver que les actes de l’accusé lui ont réellement causé un préjudice ou une perte (à la p. 1182):

On établit la privation si l’on prouve que les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un dommage ou un préjudice ou qu’il y a risque de préjudice à leur égard. Il n’est pas essentiel que la fraude mène à une perte pécuniaire réelle.

114 Le point de vue de l’arrêt Olan a été approuvé dans R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5, où on a souligné l’importance de définir l’infraction de fraude en fonction de l’objectif sous‑jacent de promotion de l’honnêteté dans les opérations commerciales. Le juge McLachlin a décrit en ces termes les éléments nécessaires de la fraude criminelle, aux pp. 25 et 26:

Pour établir l’actus reus de la fraude, le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé a eu recours à la supercherie ou au mensonge, ou qu’il a accompli quelque autre acte frauduleux. [. . .] [I]l faudra démontrer que l’acte reproché en est un qu’une personne raisonnable considérerait comme malhonnête. Il faut ensuite démontrer qu’il y a effectivement eu privation ou risque de privation. Pour établir la mens rea de la fraude, le ministère public doit démontrer que l’accusé a sciemment employé le mensonge, la supercherie ou un autre moyen dolosif alors qu’il savait qu’une privation pouvait en résulter.

La Cour a conclu que la simple déclaration inexacte faite par négligence ne constitue pas un acte frauduleux. Toutefois, «les actes frauduleux accomplis délibérément qui, à la connaissance de l’accusé, mettent vraiment en péril le bien d’autrui» devraient faire l’objet d’une sanction pénale (p. 26).

115 Il faut ensuite déterminer si la non‑divulgation ou dissimulation peut constituer de la fraude. Les tribunaux étaient traditionnellement d’avis que la fraude ne comprend pas la non-divulgation (R. c. Brasso Datsun (Calgary) Ltd. (1977), 39 C.R.N.S. 1 (C.S. 1re inst. Alb.)). Toutefois, dans les arrêts Olan et Théroux, précités, la Cour a approuvé une interprétation plus large de la fraude, qui peut comprendre la dissimulation dans des circonstances où elle serait considérée comme malhonnête par une personne raisonnable. Ce point de vue a été confirmé dans R. c. Zlatic, [1993] 2 R.C.S. 29. Le juge McLachlin a statué, au nom de la majorité, à la p. 44, que si les moyens employés pour commettre la fraude alléguée peuvent être qualifiés objectivement de malhonnêtes, ils sont dolosifs. Elle a fait observer que cela peut comprendre la dissimulation de faits importants.

116 En résumé, on peut constater que les éléments essentiels de la fraude sont la malhonnêteté, qui peut comprendre la non-divulgation de faits importants, et la privation ou le risque de privation.

117 Les principes établis pour résoudre le problème de la fraude dans le contexte commercial peuvent, sous réserve de modifications appropriées, servir de point de départ utile pour déterminer le type de fraude qui viciera le consentement à des relations sexuelles dans des poursuites pour voies de fait graves. Il est maintenant nécessaire d’examiner quel type de fraude ou de conduite frauduleuse vicie le consentement dans des affaires d’agression sexuelle.

C. Quel type de fraude peut vicier le consentement dans des affaires d’agression sexuelle?

118 On peut accepter, au départ, que la fraude ayant trait à la nature et au caractère de l’acte ou à l’identité du partenaire continuera de pouvoir être considérée comme une fraude viciant le consentement. Quels autres actes de malhonnêteté engendrant un risque de privation peuvent avoir le même effet?

119 Les tribunaux américains ont reconnu, dès 1917, que le consentement d’une femme à des rapports sexuels est vicié par la dissimulation frauduleuse par l’homme du risque de transmission d’une maladie vénérienne. Voir State c. Lankford, 102 A. 63 (Del. Ct. Gen. Sess. 1917). Ce principe a été confirmé dans Kathleen K. c. Robert B., 198 Cal.Rptr. 273 (Ct. App. 1984). Il est énoncé en ces termes, aux pp. 276 et 277:

[traduction] . . . toute relation intime comporte une certaine confiance, à tout le moins dans la mesure où un partenaire sexuel déclare à l’autre qu’il n’est pas atteint d’une maladie vénérienne ou d’une autre maladie contagieuse grave. Le principe qui sous‑tend ces anciennes décisions -- le consentement à des rapports sexuels vicié par la dissimulation frauduleuse par l’un des partenaires du risque de transmission d’une maladie vénérienne -- est tout aussi applicable aujourd’hui, peu importe que les partenaires soient ou non unis par les liens du mariage.

120 Avant la décision Clarence, précitée, c’était également le point de vue des tribunaux anglais. Dans R. c. Bennett (1866), 4 F. & F. 1105, 176 E.R. 925, un homme avait attenté à la pudeur de sa nièce de 13 ans et lui avait alors transmis une maladie vénérienne. Même si elle a jugé que la nièce avait consenti à la relation sexuelle avec son oncle, la cour a conclu que l’omission par l’accusé de divulguer qu’il était atteint d’une maladie vénérienne constituait une fraude qui viciait ce consentement. Dans ses directives au jury, le juge Willes a souligné (à la p. 925 E.R.):

[traduction] Les voies de fait sont visées par la règle selon laquelle la fraude vicie le consentement, et par conséquent, si l’accusé, qui savait qu’il avait cette maladie honteuse, a incité sa nièce à coucher avec lui dans le but de la posséder, et l’a infectée alors qu’elle ignorait son état, tout consentement qu’elle peut avoir donné sera vicié, et l’accusé sera coupable d’attentat à la pudeur.

121 Le principe de la décision Bennett selon lequel la non‑divulgation d’une maladie vénérienne est un type de fraude qui vicie le consentement à des rapports sexuels a été appliqué dans R. c. Sinclair (1867), 13 Cox C.C. 28. Sinclair avait eu des rapports sexuels avec une jeune fille de 12 ans, à qui il avait alors transmis la gonorrhée. Il a été accusé d’avoir infligé des lésions corporelles. La cour a souligné que, si la victime avait consenti aux rapports sexuels, l’omission de l’accusé de l’informer qu’il était atteint de cette maladie vénérienne vicierait ce consentement. Le juge Shee a donné au jury les directives suivantes, à la p. 29:

[traduction] S’il savait qu’il était atteint de cette maladie et qu’il la transmettrait probablement à la jeune fille, qui, ignorant ce fait, a consenti à la relation, et que vous êtes convaincus qu’elle n’aurait pas donné son consentement si elle avait connu ce fait, alors son consentement est vicié par la supercherie dont elle a été victime, et l’accusé sera coupable de voies de fait . . .

122 La décision Clarence a rejeté l’interprétation large donnée à la fraude dans Bennett et Sinclair. La cour y a statué que la non‑divulgation d’une maladie vénérienne n’avait aucun lien avec la nature des rapports sexuels et que, par conséquent, la fraude ne viciait pas le consentement. Pour les raisons mentionnées plus haut, ni le raisonnement suivi, ni la conclusion tirée dans la décision Clarence ne sont acceptables.

123 Les conséquences fatales que la non-divulgation du risque d’infection par le VIH peut avoir pour la victime tenue dans l’ignorance rendent impérieuse l’adoption, à titre de principe, du point de vue plus général préconisé dans la jurisprudence antérieure à la décision Clarence et dans les décisions américaines, selon lequel la fraude vicie le consentement. Il ne faut pas oublier non plus que le Code criminel a évolué de façon à refléter l’attitude de la société à l’égard de la véritable nature du consentement. L’exception du viol commis par un conjoint a été abrogée au Canada en 1983. Le moyen de défense fondé sur la croyance erronée au consentement a été restreint par les modifications de 1992. L’alinéa 273.2b) a éliminé le consentement comme moyen de défense contre une accusation d’agression sexuelle lorsque l’accusé n’a pas pris les mesures raisonnables pour s’assurer du consentement du plaignant.

124 À mon avis, il y a maintenant lieu de considérer que le fait pour l’accusé de dissimuler ou de ne pas divulguer sa séropositivité peut constituer une fraude susceptible de vicier le consentement à des rapports sexuels.

D. Le consentement sera‑t‑il valide en l’absence de divulgation?

125 Les personnes qui, sachant qu’elles sont séropositives, ont des rapports sexuels sans aviser leur partenaire de leur maladie peuvent être considérées comme satisfaisant aux conditions traditionnelles de l’existence d’une fraude, à savoir la malhonnêteté et la privation. Cette fraude peut vicier le consentement d’un partenaire à des rapports sexuels.

126 La première condition pour qu’il y ait fraude est la preuve de la malhonnêteté. Selon les dispositions de l’art. 265, l’acte ou le comportement malhonnête doit avoir trait à l’obtention du consentement aux rapports sexuels, en l’occurrence des rapports non protégés. Les actes de l’accusé doivent être appréciés objectivement afin d’établir s’ils seraient considérés comme malhonnêtes par une personne raisonnable. L’acte malhonnête est soit une supercherie délibérée concernant la séropositivité, soit la non‑divulgation de cet état de santé. Il ne faut pas oublier que les relations sexuelles sont habituellement plus qu’une simple manifestation de l’instinct de reproduction. Elles peuvent être le point culminant d’une démonstration d’amour, d’admiration et de respect. Elles représentent les relations physiques les plus intimes, et les actions et réactions à l’origine du consentement mutuel à s’y livrer sont complexes et difficiles à saisir rétrospectivement. Il ne servirait à rien de conjecturer sur la question de savoir si le consentement résulterait plus facilement de mensonges délibérés que de l’omission de divulguer. La mort est la conséquence possible de rapports sexuels non protégés avec un partenaire séropositif. Dans ces circonstances, il n’y a aucune raison d’établir une distinction entre les mensonges et l’omission délibérée de divulguer.

127 Sans divulgation de la séropositivité, il ne peut y avoir de consentement véritable. Le consentement ne peut se limiter uniquement aux rapports sexuels. Il doit plutôt s’agir d’un consentement à des rapports sexuels avec un partenaire séropositif. Il ne peut y avoir de consentement véritable s’il n’y a pas eu divulgation par l’accusé de sa séropositivité. Le consentement qui n’est pas fondé sur la connaissance d’importants facteurs pertinents n’est pas valide. L’obligation de divulguer augmentera avec les risques que comportent les rapports sexuels. En matière de fraude par exemple, plus le risque de privation est élevé, plus l’obligation de divulguer est grande. L’omission de divulguer la séropositivité peut conduire à une maladie dévastatrice ayant des conséquences mortelles. Dans ces circonstances, il existe une obligation absolue de divulguer. La nature et l’étendue de l’obligation de divulguer, s’il en est, devront toujours être examinées en fonction des faits en présence.

128 La deuxième condition de l’existence d’une fraude est que la malhonnêteté entraîne une privation sous forme de préjudice réel ou, simplement, de risque de préjudice. Un préjudice ou risque de préjudice insignifiant ne satisfera pas toutefois à cette condition dans les cas d’agression sexuelle où l’activité aurait été consensuelle si le consentement n’avait pas été obtenu par fraude. Par exemple, le risque de subir de légères égratignures ou d’attraper un rhume ne suffirait pas pour établir la privation. Que faudrait‑il alors? À mon avis, le ministère public devra établir que l’acte malhonnête (les mensonges ou l’omission de divulguer) a eu pour effet d’exposer la personne consentante à un risque important de lésions corporelles graves. Le risque de contracter le sida par suite de rapports sexuels non protégés satisferait clairement à ce critère. En l’espèce, les plaignantes étaient exposées à un risque important pour leur santé. En fait, leur survie même était menacée. Il est difficile d’imaginer un risque plus grand ou des lésions corporelles plus graves. Comme l’a écrit Holland, loc. cit., à la p. 283:

[traduction] Les conséquences de la transmission sont graves: à l’heure actuelle, il n’existe aucun «remède», la personne infectée par le VIH est considérée comme infectée pour la vie. Le point de vue le plus pessimiste est que, sans la découverte d’un remède, toutes les personnes infectées par le virus développeront éventuellement le sida et décéderont prématurément.

129 Les relations sexuelles avec une personne séropositive comporteront toujours des risques. Il se peut que les relations sexuelles qui ne comportent absolument aucun risque soient impossibles. Toutefois, on pourrait juger que l’utilisation prudente de condoms réduit tellement le risque de préjudice que celui‑ci ne serait plus considéré comme important, de sorte qu’il se pourrait qu’il n’y ait plus de privation ou de risque de privation. Encore une fois, dans des circonstances comme celles de la présente affaire, il doit y avoir un risque important de lésions corporelles graves pour qu’il soit satisfait aux exigences de l’article. En l’absence de ces critères, il n’y aura aucune obligation de divulguer.

130 Dans des situations comme celle qui se présente en l’espèce, il faut souligner que le ministère public sera toujours tenu de prouver hors de tout doute raisonnable que la plaignante aurait refusé d’avoir des relations sexuelles non protégées avec l’accusé si elle avait été informée qu’il était séropositif. Aussi improbable que cela puisse paraître, il s’agit là d’une possibilité réelle. Pour reprendre les termes d’autres décisions, cette question se pose toujours.

131 Depuis la rédaction des présents motifs, j’ai pris connaissance de ceux que le juge L’Heureux-Dubé a rédigés avec sa clarté habituelle. Elle considère (au par. 16) que toute fraude destinée «à inciter le plaignant à se soumettre» à l’acte vicie le consentement donné et constitue des voies de fait. Se contenter de moins reviendrait, selon elle, à établir une norme distincte pour la fraude dans les affaires d’agression sexuelle. En toute déférence, cela semble ajouter une exigence de mens rea applicable à la fraude et, qui plus est, cette position pourrait avoir de fâcheuses conséquences. Elle banaliserait le processus criminel en entraînant une prolifération de poursuites mineures engagées sans lignes directrices ni directives judiciaires.

132 Il faut se rappeler que ce qui est examiné c’est une activité sexuelle consensuelle qui ne constituerait pas des voies de fait n’était-ce de la fraude. Manifestement, si les rapports ou autres actes sexuels étaient consensuels, il ne pourrait s’agir de voies de fait. Ce n’est que parce que le consentement a été obtenu par fraude qu’il est vicié. Les voies de fait graves sont une infraction très sérieuse. En fait, la déclaration de culpabilité d’agression sexuelle a de lourdes conséquences. En raison de la gravité de ces infractions, il est essentiel de s’assurer que la conduite en cause mérite les conséquences de la déclaration de culpabilité.

133 En l’espèce, l’omission de divulguer la séropositivité a exposé les victimes à un risque important de lésions corporelles graves. Les dispositions du Code criminel relatives aux voies de fait s’appliquent et sont conçues pour punir ce type de comportement dangereux et déplorable, et pour dissuader les gens de l’adopter. Affirmer que toute fraude qui incite à consentir vicie le consentement donné aurait pour effet d’assujettir aux dispositions du Code relatives à l’agression sexuelle un comportement qui n’a pas le caractère répréhensible d’un acte criminel. Examinons certaines des situations qui deviendraient criminelles si ce point de vue était adopté.

134 Dans les exemples qui suivent, je vais présumer que c’est plus souvent l’homme qui ment, mais la déclaration de culpabilité et les conséquences seraient les mêmes si c’était la femme qui mentait. Supposons qu’un seul ou plusieurs actes sexuels consensuels aient été accomplis après que l’homme eut menti au sujet de son âge. La plaignante établit dans son témoignage que, n’eût été ce mensonge, elle n’aurait jamais donné son consentement et qu’elle a subi un préjudice sous forme de souffrances morales. Il y aurait alors fraude en raison de la malhonnêteté et du préjudice et, même s’il n’y avait pas eu de risque important de lésions corporelles graves, une déclaration de culpabilité s’ensuivrait.

135 On arriverait nécessairement au même résultat si l’homme avait menti au sujet de son poste de responsabilité dans une compagnie, de son salaire, de sa fortune, de son affection pour l’autre, de ses prouesses sexuelles, ou encore en affirmant qu’il ne regarderait ou ne rechercherait jamais une autre partenaire sexuelle. Le témoignage de la plaignante établirait, dans chaque cas, que l’acte sexuel a résulté du mensonge en question et qu’un préjudice a été subi. Dans chaque cas, le consentement aurait été obtenu par fraude et une déclaration de culpabilité s’ensuivrait nécessairement. Les mensonges étaient immoraux et répréhensibles, mais devraient-ils entraîner une déclaration de culpabilité d’infraction criminelle grave? J’espère que non. C’est sans doute à cause de ce risque de banalisation que les dispositions antérieures du Code exigeaient que la fraude ait trait à la nature et au caractère de l’acte. Cette exigence était trop restrictive. Pourtant, il est clairement nécessaire d’apporter certaines restrictions à la notion de fraude applicable à l’al. 265(3)c), si on veut éviter l’engorgement des tribunaux et des déclarations de culpabilité fondées sur ces dispositions, qui soient contraires au bon sens. L’existence d’une fraude ne devrait vicier le consentement que s’il y a un risque important de préjudice grave. La fraude qui amène à consentir à un acte sexuel mais qui ne comporte pas ce risque important pourrait justifier des poursuites civiles. Cependant, elle ne devrait pas servir de fondement à une déclaration de culpabilité d’agression sexuelle. La fraude requise pour vicier le consentement relativement à cette infraction doit comporter un risque de préjudice grave. Telle est la norme qui convient, à mon avis, et qui établit un équilibre raisonnable entre un point de vue qui rendrait impossible l’application de l’article aux cas de fraude viciant le consentement donné et celui qui favoriserait la prolifération de poursuites mineures en prévoyant que toute fraude qui incite à consentir vicie le consentement ainsi donné.

136 Ce n’est pas non plus au pouvoir discrétionnaire de poursuivre qu’il faut songer ou recourir pour limiter le nombre de poursuites semblables. Dans R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013, il a été statué que «le titulaire d’un droit constitutionnel n’a pas, pour jouir de la protection de ce droit, à compter que le ministère public fera montre de retenue dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de poursuivre» (p. 1063). Le même principe est applicable à la présente situation. Il existe une saine réticence à approuver l’exercice du pouvoir discrétionnaire de poursuivre comme moyen légitime de restreindre l’applicabilité d’une disposition en matière de droit criminel.

137 Il s’ensuit que, dans des circonstances comme celles qui se présentent en l’espèce, il doit y avoir un risque important de préjudice grave pour que la fraude découlant d’une non‑divulgation vicie le consentement à des rapports sexuels. Aux fins de la présente affaire, il n’est pas nécessaire d’examiner chaque ensemble de circonstances susceptible de relever des lignes directrices proposées. La norme est suffisante pour viser non seulement le risque d’infection par le VIH, mais aussi celui de contracter d’autres maladies transmissibles sexuellement qui constituent un risque important de préjudice grave. Cependant, elle n’est pas large au point de banaliser une infraction grave.

138 En résumé, d’après les faits de la présente affaire, il serait loisible au juge des faits de conclure que l’omission de l’intimé de divulguer sa séropositivité était malhonnête et qu’elle a entraîné une privation en exposant les plaignantes à un risque important de lésions corporelles graves. Si une telle conclusion est tirée, on pourrait, à juste titre, conclure que le consentement des plaignantes aux rapports sexuels a été vicié par une fraude. On peut constater que l’application de la norme proposée règle effectivement la question en l’espèce. Toutefois, on dit que ce critère est trop vague. Pourtant, on ne saurait oublier que tous les critères ou toutes les définitions reposent sur des mots. Ils sont les composantes de base du droit.

139 L’expression «risque important de préjudice grave» doit être appliquée aux faits de chaque cas pour décider si le consentement donné dans les circonstances en cause était vicié. Il est évident que le consentement peut et devrait être vicié dans des circonstances appropriées. Encore est-il que cela ne devrait pas être fait trop aisément. Cette expression devrait être interprétée en fonction de la gravité des conséquences d’une déclaration de culpabilité d’agression sexuelle et de manière à éviter la banalisation de l’infraction. Il est difficile de tracer des lignes claires et précises lorsqu’il s’agit de définir des rapports humains, particulièrement ceux de nature sexuelle consensuelle. L’application d’un critère pour déterminer si le consentement à des actes sexuels devrait être vicié doit être marquée par une certaine souplesse. Le critère proposé peut permettre aux tribunaux d’atteindre un juste équilibre en examinant, si d’après les faits en présence, le consentement donné à l’acte sexuel devrait être vicié.

E. L’intérêt public exige‑t‑il que seules soient appliquées les dispositions des lois et règlements sur la santé publique, à l’exclusion du Code criminel?

140 Des intervenants ont fait valoir que le droit criminel n’est pas le meilleur moyen de régler le problème de la transmission du VIH. Ils ont prétendu que les initiatives en matière de santé publique sont plus appropriées pour freiner la propagation du VIH et du sida. Ils ont soutenu que les provinces ont établi un vaste réseau de services de dépistage, d’éducation, de consultation et de soutien pour les personnes infectées par le VIH ou atteintes du sida. Ils ont ajouté que toutes les provinces canadiennes ont adopté une législation complète en matière de santé publique qui confère aux autorités sanitaires de larges pouvoirs pour assurer la protection de la santé publique. Ces lois prescrivent aussi la surveillance de la propagation du VIH ou du sida ainsi que d’autres maladies, l’obligation de signaler les maladies et le traitement ou dépistage obligatoire des personnes soupçonnées d’être atteintes d’une maladie transmissible.

141 On a prétendu avec vigueur que ces efforts pourraient bien se révéler plus efficaces que n’importe quelle sanction pénale pour freiner la maladie. Le droit criminel a toutefois un rôle à jouer à la fois pour dissuader les personnes infectées par le VIH de mettre en danger la vie d’autrui et pour protéger le public contre les individus irresponsables qui refusent de se conformer aux ordonnances en matière de santé publique leur enjoignant d’éviter les activités à risques élevés. La présente affaire est un exemple classique des limites du régime de soins de santé. L’intimé a été informé qu’il était séropositif et s’est vu conseiller, à trois reprises, d’avertir sa partenaire de ce fait et d’éviter les relations sexuelles non protégées. Il a néanmoins passé outre à ces conseils et a mis en danger la vie de deux partenaires.

142 Lorsque les efforts en matière de santé publique ne permettent pas d’assurer une protection adéquate à des personnes comme les plaignantes, le droit criminel peut être efficace. Il fournit une mesure de protection nécessaire sous forme de dissuasion et reflète l’aversion de la société à l’égard de l’insouciance égocentrique et de l’indifférence grossière de l’intimé et de ceux qui agissent pareillement. Le risque d’infection et de mort qui menace les partenaires des personnes séropositives est une réalité cruelle et permanente. En fait, les conséquences potentiellement fatales sont beaucoup plus odieuses et graves que celles de bien d’autres actes prohibés par le Code criminel. Les risques d’infection sont si dévastateurs qu’il existe un besoin réel et urgent d’assurer une certaine protection aux personnes qui se trouvent dans la situation des plaignantes. Si la dissuasion assurée par les sanctions pénales a sa place, c’est bien dans les présentes circonstances. Elle peut bien avoir l’effet souhaité, qui est d’assurer que le risque soit divulgué et que les précautions qui s’imposent soient prises.

143 L’un des arguments avancés contre la criminalisation est qu’elle dissuadera les membres de groupes à risques élevés ou de communautés marginalisées de recourir au dépistage. Je ne puis retenir cet argument. Il est peu probable que des personnes soient dissuadées de recourir au dépistage en raison de la possibilité de sanctions pénales ultérieures. Les personnes qui demandent à subir un test de dépistage demandent essentiellement un traitement. Il est improbable qu’elles renonceront au dépistage par crainte de faire l’objet de poursuites criminelles si jamais elles ne tiennent pas compte des conseils d’employés des services de santé publique. Bien que des opinions contraires aient été mentionnées, je préfère celle de Holland, loc. cit., qui écrit à la p. 288:

[traduction] Les gens ne seront pas dissuadés de recourir au dépistage en raison du seul risque d’être éventuellement tenus criminellement responsables. [. . .] Les gens veulent savoir s’ils sont infectés ou non et s’il existe un traitement. La crainte de poursuites ultérieures pour quelque chose qui n’a pas encore eu lieu n’est vraisemblablement pas susceptible de dissuader qui que ce soit de subir un test de dépistage.

144 On a aussi fait valoir que la criminalisation de la non‑divulgation de la séropositivité minera le message éducatif selon lequel chaque personne a la responsabilité de se protéger contre le VIH. Encore est‑il que cet argument a peu de poids. Il est certain que les personnes qui savent qu’elles sont séropositives ont la responsabilité fondamentale d’aviser leur partenaire de leur séropositivité et de s’assurer que leurs rapports sexuels présentent le moins de risques possible. Il est vrai que tous les membres de la société devraient être conscients du danger et prendre des mesures pour éviter ce risque. Toutefois, la responsabilité première de la divulgation doit incomber aux personnes qui savent qu’elles sont infectées. J’ose espérer que chaque membre de la société, quel que soit son degré de «marginalisation», est suffisamment responsable pour aviser son partenaire des risques en cause. En pareil cas, selon moi, on devrait pouvoir s’attendre à ce que la personne infectée avise son partenaire de son infection. Cette responsabilité ne peut être transmise à la légère à des membres de la société, tenus dans l’ignorance, que des personnes infectées courtisent, poursuivent et encouragent à devenir leur partenaire sexuel.

145 On a également prétendu que la criminalisation stigmatiserait encore davantage toutes les personnes infectées par le VIH ou atteintes du sida. Il faut toutefois se rappeler que la stigmatisation accrue découle d’une agression sexuelle et non de la maladie. Ainsi, la personne séropositive qui est déclarée coupable de vol à main armée sera stigmatisée davantage, mais cela n’aura rien à voir avec son état de santé. Procéder par voie d’accusation criminelle de voies de fait n’est pas «criminaliser» les activités de l’intimé. Au contraire, c’est simplement appliquer les dispositions du Code à une conduite susceptible de constituer un crime de voies de fait et d’enfreindre ainsi l’art. 265.

146 Comme l’a si bien dit Benjamin Disraeli, il y a les mensonges, les maudits mensonges et les statistiques. Les statistiques peuvent pourtant être utiles dans certaines circonstances. Il n’y a aucun doute que les statistiques peuvent réconforter les deux parties lorsque la question de l’intérêt public est en cause. Les statistiques suivantes peuvent de toute façon être importantes. Premièrement, on constate la faiblesse alarmante du pourcentage de personnes utilisant le condom aux États-Unis et au Canada, malgré la menace du VIH et du sida. Selon les Centers for Disease Control and Prevention du U.S. Department of Health and Human Services, en 1995, seulement 13,1 pour 100 des femmes âgées entre 15 et 44 ans utilisaient le condom (National Center for Health Statistics, Vital and Health Statistics: Fertility, Family Planning, and Women’s Health -- New Data From the 1995 National Survey of Family Growth, Series 23, No. 19 (mai 1997)). Au Canada, on rapporte qu’avant 1990 seulement 24,8 pour 100 des hommes et 15,6 pour 100 des femmes fréquentant les collèges ou universités utilisaient régulièrement le condom (Santé Canada, «Utilisation des contraceptifs oraux et du condom», dans Actualités en épidémiologie sur les MTS (novembre 1997)). Le plus désolant est peut‑être le fait que le taux de nouveaux cas de séropositivité au Canada continue d’augmenter régulièrement. On a estimé qu’il y a eu, en 1996, entre 3 000 et 5 000 nouveaux cas d’infection, alors qu’il y en avait eu entre 2 500 et 3 000 par année de 1989 à 1994 (Santé Canada, «VIH et le sida au Canada», dans Actualités en épidémiologie sur le VIH/sida (novembre 1997)). Cela semble indiquer que l’éducation du public n’a pas réussi, à elle seule, à modifier le comportement des individus susceptibles de contracter le sida. Il s’ensuit que, si la dissuasion qu’offre le droit criminel est applicable, elle peut bien aider à protéger les gens et devrait être utilisée.

147 En résumé, la personne qui sait qu’elle est séropositive et qui a des rapports sexuels non protégés sans divulguer son état de santé à son partenaire peut être déclarée coupable de violation des dispositions de l’art. 265 du Code criminel. Cet article protège, par voie de dissuasion, les personnes qui se trouvent dans la situation des plaignantes. À l’instar de tant de dispositions du Code, cet article vise à protéger la société et ce rôle de protection doit être reconnu et respecté. C’est bien le moins que les autorités en matière de santé publique soient soucieuses d’éviter que leur lutte contre le sida ne soit pas entravée. Le Code criminel a toutefois un rôle à jouer. Grâce à la dissuasion, il protégera et contribuera à encourager l’honnêteté, la franchise et les pratiques sexuelles moins risquées. Si l’application du Code criminel nuit effectivement à la lutte contre le sida, il appartiendra au législateur de déterminer s’il y a lieu de réduire la protection accordée par le Code et de miser exclusivement sur les mesures en matière de santé publique pour lutter contre ce fléau.

V. Dispositif

148 En définitive, le pourvoi est accueilli, les ordonnances de la Cour d’appel et du juge du procès sont annulées et un nouveau procès est ordonné.

Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné.

Procureur de l’appelante: Le ministère du Procureur général, Vancouver.

Procureur de l’intimé: Douglas J. Stewart, Vancouver.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario: Le ministère du Procureur général, Toronto.

Procureurs de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association: Bull, Housser & Tupper, Vancouver.

Procureurs des intervenants Société canadienne du sida, Persons with AIDS Society of British Columbia et Réseau juridique canadien VIH/sida: Goodman & Carr, Toronto; Iler, Campbell, Klippenstein, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : [1998] 2 R.C.S. 371 ?
Date de la décision : 03/09/1998
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné

Analyses

Droit criminel - Voies de fait graves - Consentement - Fraude - Non‑divulgation de séropositivité - Accusé ayant eu des rapports sexuels non protégés tout en sachant qu’il était séropositif - La non‑divulgation de la séropositivité peut‑elle constituer une fraude viciant le consentement d’un partenaire à des rapports sexuels? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 265(3)c), 268.

L’accusé a fait l’objet de deux chefs d’accusation de voies de fait graves portés en vertu de l’art. 268 du Code criminel. Même si une infirmière hygiéniste lui avait explicitement conseillé d’informer de sa séropositivité tous ses partenaires sexuels éventuels et d’utiliser des condoms chaque fois qu’il aurait des rapports sexuels, l’accusé a eu des rapports sexuels non protégés avec les deux plaignantes sans les informer qu’il était séropositif. Les deux plaignantes avaient consenti à des rapports sexuels non protégés avec l’accusé, mais elles ont témoigné au procès que, si elles avaient su qu’il était séropositif, elles n’auraient jamais eu de rapports sexuels non protégés avec lui. Au moment du procès, aucune des plaignantes n’était séropositive selon les tests qu’elles avaient subis. Le juge du procès a inscrit un verdict imposé d’acquittement de l’accusé. La Cour d’appel a confirmé les acquittements.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné.

Les juges Cory, Major, Bastarache et Binnie: Pour prouver l’existence d’une infraction de voies de fait graves, le ministère public doit établir (1) que les actes de l’accusé ont mis en danger la vie du plaignant (par. 268(1)), et (2) que l’accusé a, d’une manière intentionnelle, employé la force contre le plaignant sans son consentement (al. 265(1)a)). En l’espèce, le risque important auquel les rapports sexuels non protégés ont exposé la vie des plaignantes satisfait à la première condition. Il n’est pas nécessaire d’établir que les plaignantes ont effectivement été infectées par le virus. Quant à la deuxième condition, pour déterminer si le consentement a été vicié par une fraude au sens de l’al. 265(3)c), dans des affaires de voies de fait ou d’agression sexuelle, il n’est plus nécessaire de se demander si la fraude était liée à «la nature et [au] caractère de l’acte». L’abrogation, en 1983, du texte législatif qui imposait cette condition et son remplacement par la mention de la «fraude» sans plus indiquent l’intention du législateur de prévoir une notion plus souple de la fraude dans les cas de voies de fait et d’agression sexuelle. À cette fin, on peut utiliser les principes qui, dans le passé, ont été appliqués relativement à la fraude en droit criminel, après leur avoir apporté les modifications appropriées.

Selon la formulation de l’art. 265, l’omission par un accusé de divulguer sa séropositivité est un type de fraude qui peut vicier le consentement à des rapports sexuels. Les éléments essentiels de la fraude en droit pénal commercial sont la malhonnêteté, qui peut comprendre la dissimulation de faits importants, et la privation ou le risque de privation. L’acte ou le comportement malhonnête doit avoir trait à l’obtention du consentement aux rapports sexuels, en l’occurrence des rapports non protégés. Les actes de l’accusé doivent être appréciés objectivement afin d’établir s’ils seraient considérés comme malhonnêtes par une personne raisonnable. L’acte malhonnête est soit une supercherie délibérée concernant la séropositivité, soit la non‑divulgation de cet état de santé. Sans divulgation de la séropositivité, il ne peut y avoir de consentement véritable. Le consentement ne peut se limiter uniquement aux rapports sexuels. Il doit plutôt s’agir d’un consentement à des rapports sexuels avec un partenaire séropositif. L’obligation de divulguer augmentera avec les risques que comportent les rapports sexuels. L’omission de divulguer la séropositivité peut conduire à une maladie dévastatrice ayant des conséquences mortelles et, dans ces circonstances, il existe une obligation absolue de divulguer. La nature et l’étendue de l’obligation de divulguer, s’il en est, devront toujours être examinées en fonction des faits en présence. Pour établir que la malhonnêteté entraîne une privation sous forme de préjudice réel ou, simplement, de risque de préjudice, le ministère public doit prouver que l’acte malhonnête a eu pour effet d’exposer la personne consentante à un risque important de lésions corporelles graves. Le risque de contracter le sida par suite de rapports sexuels non protégés satisfait à ce critère. En outre, dans des cas comme la présente affaire, le ministère public est toujours tenu de prouver hors de tout doute raisonnable que la plaignante aurait refusé d’avoir des relations sexuelles non protégées avec l’accusé si elle avait été informée qu’il était séropositif. Par conséquent, on peut, à juste titre, conclure que le consentement d’une plaignante à des rapports sexuels est vicié par une fraude au sens de l’art. 265, si l’omission de l’accusé de divulguer sa séropositivité est malhonnête et entraîne une privation en exposant la plaignante à un risque important de lésions corporelles graves.

Interpréter la notion de fraude visée à l’al. 265(3)c) du Code comme incluant toute supercherie incitant à consentir à un contact aurait pour effet d’assujettir aux dispositions du Code relatives à l’agression sexuelle un comportement qui n’a pas le caractère répréhensible d’un acte criminel, et de banaliser le processus criminel en entraînant une prolifération de poursuites mineures engagées sans lignes directrices ni directives judiciaires. Il est nécessaire d’apporter certaines restrictions à la notion de fraude applicable à cet article. La fraude requise pour vicier le consentement relativement à une agression sexuelle doit comporter un risque de préjudice grave. Cette norme est suffisante pour viser non seulement le risque d’infection par le VIH, mais aussi celui de contracter d’autres maladies transmissibles sexuellement qui constituent un risque important de préjudice grave. Cependant, elle n’est pas large au point de banaliser une infraction grave.

Lorsque les efforts en matière de santé publique ne permettent pas d’assurer une protection adéquate à des personnes comme les plaignantes, le droit criminel peut être efficace. Le droit criminel a un rôle à jouer à la fois pour dissuader les personnes infectées par le VIH de mettre en danger la vie d’autrui et pour protéger le public contre les individus irresponsables qui refusent de se conformer aux ordonnances en matière de santé publique leur enjoignant d’éviter les activités à risques élevés.

Le juge L’Heureux‑Dubé: En adoptant, en 1983, les modifications du Code criminel relatives aux infractions d’ordre sexuel, le législateur a voulu à la fois inclure ces infractions dans le régime général des voies de fait, et moderniser et adapter aux circonstances la façon dont le droit les aborde. Ces facteurs, de même que la nouvelle rédaction, en particulier, de la disposition relative au consentement, étayent la conclusion que le législateur a voulu, par ces modifications, s’écarter de la façon traditionnelle d’aborder la fraude liée au consentement en matière d’agression sexuelle. Le régime des voies de fait établi en 1983 vise à protéger l’intégrité physique des gens contre les contacts physiques non souhaités, ainsi que leur autonomie personnelle de décider à quelles conditions ils consentiront à être touchés. Le paragraphe 265(3) assure que le consentement obtenu reflète vraiment le libre arbitre de la personne en cause.

Il y a donc fraude si l’acte malhonnête en cause a incité une autre personne à consentir à un acte physique, peu importe que cet acte ait comporté ou non des risques ou des dangers particuliers. L’examen visant à déterminer si la fraude a vicié le consentement de manière à rendre non consensuel un certain contact physique devrait être axé sur la question de savoir si la nature et l’exécution de la supercherie ont privé le plaignant de la capacité d’exercer sa volonté relativement à son intégrité physique en ce qui concerne l’activité en question. Il doit y avoir un lien de causalité entre la fraude et la soumission à l’acte. Dans tout débat relatif à la fraude, l’acte reproché est considéré comme étant un emploi non consensuel de la force si le ministère public prouve hors de tout doute raisonnable que l’accusé a agi malhonnêtement de manière à inciter le plaignant à se soumettre à une activité précise, et qu’en l’absence de malhonnêteté le plaignant ne se serait pas soumis à l’activité en cause. La malhonnêteté de l’acte qui incite à la soumission serait évaluée en fonction de la norme objective de la personne raisonnable. Le ministère public est aussi tenu de prouver que l’accusé savait ou était conscient que ses actes malhonnêtes inciteraient le plaignant à se soumettre à l’activité en cause.

Cette interprétation de la fraude relative au consentement a pour effet de maximiser le droit d’un individu de déterminer à quelles conditions il consentira à un contact physique et avec qui ce contact aura lieu. Ce point de vue respecte également le contexte législatif parce qu’il peut s’appliquer avec la même logique à toutes les infractions de voies de fait visées par la disposition relative à la fraude. Une interprétation de la fraude qui se concentre exclusivement sur le contexte de l’agression sexuelle et qui la confine aux seules situations où il existe manifestement un «risque important de lésions corporelles graves» est restrictive de façon injustifiable. Le Code criminel n’établit aucune distinction de ce genre entre l’agression sexuelle et les autres formes de voies de fait, et le maintien de pareilles distinctions serait contraire au but des modifications de 1983.

Les juges Gonthier et McLachlin: Depuis la décision Clarence, en 1888, il est bien établi, en droit, que la fraude ne vicie le consentement à des voies de fait que si l’erreur porte sur la nature de l’acte ou sur l’identité du partenaire. La fraude relative à des aspects secondaires de relations consensuelles, comme la possibilité de contracter de graves maladies vénériennes, ne vicie pas le consentement. En modifiant le Code criminel en 1983 et en adoptant une nouvelle définition de la fraude applicable aux voies de fait, y compris l’agression sexuelle, le législateur n’a pas voulu supprimer les limites de la common law. La suppression par le législateur des mots «la nature et le caractère de l’acte» ne permet pas de déduire l’existence d’une intention d’élargir radicalement le crime des voies de fait. Il faut plutôt supposer que le législateur s’attendait que les tribunaux continueraient d’interpréter les dispositions du Code concernant l’agression sexuelle en fonction de la common law, à moins qu’il n’ait utilisé des mots indiquant clairement qu’il modifiait la common law. Rien dans l’art. 265 n’indique pareille intention. Cette conclusion est étayée par le par. 45(2) de la Loi d’interprétation, qui prévoit que la modification d’un texte législatif n’implique pas une déclaration que le droit existant a été modifié. Elle est également étayée par la règle d’interprétation voulant que, lorsqu’une loi en matière criminelle est ambiguë comme en l’espèce, il faille préférer l’interprétation favorable à l’accusé. De même, la jurisprudence, sans exception, appuie le point de vue selon lequel le législateur a voulu conserver la définition de common law de la fraude en matière de voies de fait. Il faut donc continuer d’interpréter le par. 265(3) en fonction de la common law.

Il est bien établi que les tribunaux ne modifieront la common law que si ces modifications représentent une évolution progressive d’un principe existant et si leurs conséquences sont circonscrites et prévisibles. En l’espèce, les modifications générales proposées quant à la notion de common law de la fraude en matière de voies de fait ne satisfont pas à ce critère. L’application de la notion de fraude commerciale, limitée par la réserve particulière de la nécessité d’un «risque important de lésions corporelles graves», et l’application d’une conception de la fraude dépourvue de toute réserve et incluant toute supercherie incitant à consentir à un contact représentent un remplacement de la règle de common law par de nouveaux principes. Non seulement les élargissements du droit proposés sont‑ils radicaux, mais encore ils sont sans précédent. De plus, aux difficultés théoriques que soulèvent les deux propositions avancées s’ajoutent les problèmes pratiques qu’elles poseraient. Le législateur est, plus que les tribunaux, en mesure de prévoir les conséquences de changements aussi radicaux et de faire les choix de valeur requis.

Il est cependant loisible aux tribunaux de réaliser des changements progressifs en élargissant les notions de common law de la nature de l’acte et de l’identité, à la condition que les conséquences de ces changements ne soient pas trop complexes. Il convient que les tribunaux procèdent, à l’occasion, à la mise à jour de la common law pour qu’elle suive l’évolution des besoins de la société. Cela s’applique à la notion de common law de la fraude en matière de voies de fait. En l’espèce, l’état actuel du droit ne reflète pas les valeurs de la société canadienne. Il est irréaliste de penser que le consentement à des rapports sexuels donné parce que le partenaire est séronégatif n’est pas touché par une tromperie flagrante à ce sujet. Si une personne affirme qu’elle n’est pas malade, et que le consentement est donné sur la foi de cette affirmation, la tromperie à ce sujet touche la nature même de l’acte sexuel. Il semble logique et juste d’affirmer que cette personne commet une fraude viciant le consentement, transformant ainsi le contact en voies de fait. Le retour à la conception de la common law antérieure à la décision Clarence, selon laquelle la tromperie concernant une maladie vénérienne peut vicier le consentement, s’appliquerait à la conduite en cause en l’espèce, tout en évitant qu’une personne soit déclarée coupable de voies de fait pour avoir eu recours à d’autres incitations, et permettrait de tracer une ligne de démarcation nette entre la conduite criminelle et la conduite non criminelle. Cet élargissement proposé du droit est relativement restreint, visant uniquement la supercherie quant à une maladie vénérienne dans les cas où il est établi hors de tout doute raisonnable qu’il y avait un risque élevé d’infection et que le défendeur savait ou aurait dû savoir que la fraude inciterait réellement à consentir à des relations sexuelles non protégées. Ce changement limité n’aura pas de conséquences profondes, imprévisibles ou non souhaitables. Il y a donc lieu de modifier la common law de façon à permettre que la supercherie au sujet d’une maladie transmissible sexuellement, qui incite à consentir, soit considérée comme une fraude viciant le consentement, au sens de l’art. 265 du Code criminel.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Cuerrier

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Arrêts non suivis: R. c. Clarence (1888), 22 Q.B.D. 23
R. c. Ssenyonga (1993), 81 C.C.C. (3d) 257
R. c. Petrozzi (1987), 35 C.C.C. (3d) 528
arrêts examinés: State c. Lankford, 102 A. 63 (1917)
Kathleen K. c. Robert B., 198 Cal.Rptr. 273 (1984)
R. c. Bennett (1866), 4 F. & F. 1105, 176 E.R. 925
R. c. Sinclair (1867), 13 Cox C.C. 28
arrêts mentionnés: R. c. Thornton, [1993] 2 R.C.S. 445
R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714
Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226
Bolduc c. The Queen, [1967] R.C.S. 677
R. c. Maurantonio, [1968] 1 O.R. 145
In re London and Globe Finance Corp., [1903] 1 Ch. 728
Scott c. Metropolitan Police Commissioner, [1975] A.C. 819
R. c. Olan, [1978] 2 R.C.S. 1175
R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5
R. c. Brasso Datsun (Calgary) Ltd. (1977), 39 C.R.N.S. 1
R. c. Zlatic, [1993] 2 R.C.S. 29
R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013.
Citée par le juge L’Heureux‑Dubé
Arrêts mentionnés: R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714
R. c. Burden (1981), 25 C.R. (3d) 283
R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5
R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128.
Citée par le juge McLachlin
Arrêts appliqués: R. c. Bennett (1866), 4 F. & F. 1105, 176 E.R. 925
R. c. Sinclair (1867), 13 Cox C.C. 28
arrêt non suivi: R. c. Clarence (1888), 22 Q.B.D. 23
arrêts mentionnés: R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686
R. c. Deruelle, [1992] 2 R.C.S. 663
Marcotte c. Sous‑procureur général du Canada, [1976] 1 R.C.S. 108
R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714
R. c. Petrozzi (1987), 35 C.C.C. (3d) 528
R. c. Ssenyonga (1993), 81 C.C.C. (3d) 257
Watkins c. Olafson, [1989] 2 R.C.S. 750
R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654
R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577
Office des services à l’enfant et à la famille de Winnipeg (région du Nord‑Ouest) c. G. (D.F.), [1997] 3 R.C.S. 925
Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. Saint John Shipbuilding Ltd., [1997] 3 R.C.S. 1210
Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679
R. c. Maurantonio, [1968] 1 O.R. 145
R. c. Dee (1884), 14 L.R. Ir. 468
R. c. Flattery (1877), 2 Q.B.D. 410
Hegarty c. Shine (1878), 14 Cox C.C. 145
R. c. Case (1850), 1 Den. 580, 169 E.R. 381
R. c. Linekar, [1995] 3 All E.R. 69
R. c. Mercer (1993), 84 C.C.C. (3d) 41.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés.
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 143 [abr. 1980‑81‑82‑83, ch. 125, art. 6], 149 [mod. 1972, ch. 13, art. 70
abr. du 82 1980-83, ch. 125, art. 8], 244 [abr. & rempl. 1974‑75‑76, ch. 93, art. 21].
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 221, 265, 268, 273.2b) [aj. 1992, ch. 38, art. 1], 274 à 278 [auparavant S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 246.4 à 246.8].
Code criminel, S.C. 1892, ch. 29, art. 259, 266.
Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 45(2).
Doctrine citée
Boyle, Christine. «The Judicial Construction of Sexual Assault Offences». In Julian V. Roberts and Renate M. Mohr, eds., Confronting Sexual Assault: A Decade of Legal and Social Change. Toronto: University of Toronto Press, 1994, 136.
Boyle, Christine L. M. Sexual Assault. Toronto: Carswell, 1984.
Canada. Santé Canada. Laboratoire de lutte contre la maladie. Actualités du Bureau du VIH/sida et des MTS. «VIH et le sida au Canada», dans Actualités en épidémiologie sur le VIH/sida, novembre 1997.
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Proposition de citation de la décision: R. c. Cuerrier, [1998] 2 R.C.S. 371 (3 septembre 1998)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1998-09-03;.1998..2.r.c.s..371 ?
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