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30/10/1998 | CANADA | N°[1998]_3_R.C.S._90

Canada | Degelder Construction Co. c. Dancorp Developments Ltd., [1998] 3 R.C.S. 90 (30 octobre 1998)


Degelder Construction Co. c. Dancorp Developments Ltd., [1998] 3 R.C.S. 90

Dancorp Developments Ltd. Appelante

c.

Société de Fiducie Métropolitaine du Canada

et Dunwoody Limited Intimées

et

Degelder Construction Co. Ltd. Intimée

et

Seaboard Life Insurance Company Intimée

et

Mike Degelder et William Little (Défendeurs

reconventionnels)

et

Société de Fiducie Métropolitaine du Canada,

Owen Bird, Seaboard Life Insurance Company,

Co‑operators, Compagnie d’assurance-vie, La ConfédÃ

©ration,

Compagnie d’assurance-vie, et Dunwoody Limited Intimés

Répertorié: Degelder Construction Co. c. Dancorp Developments Ltd.

No du greffe: 25355...

Degelder Construction Co. c. Dancorp Developments Ltd., [1998] 3 R.C.S. 90

Dancorp Developments Ltd. Appelante

c.

Société de Fiducie Métropolitaine du Canada

et Dunwoody Limited Intimées

et

Degelder Construction Co. Ltd. Intimée

et

Seaboard Life Insurance Company Intimée

et

Mike Degelder et William Little (Défendeurs

reconventionnels)

et

Société de Fiducie Métropolitaine du Canada,

Owen Bird, Seaboard Life Insurance Company,

Co‑operators, Compagnie d’assurance-vie, La Confédération,

Compagnie d’assurance-vie, et Dunwoody Limited Intimés

Répertorié: Degelder Construction Co. c. Dancorp Developments Ltd.

No du greffe: 25355.

1998: 23 mars; 1998: 30 octobre.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel de la colombie-britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (1996), 21 B.C.L.R. (3d) 112, 73 B.C.A.C. 45, 120 W.A.C. 45, [1996] B.C.J. No. 621 (QL), qui a confirmé une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (1994), 16 B.L.R. (2d) 188, [1994] B.C.J. No. 2051 (QL), qui avait rejeté l’action de l’appelante. Pourvoi rejeté.

Gary A. Nelson, pour l’appelante.

William C. Kaplan et Francis L. Lamer, pour l’intimée la Société de Fiducie Métropolitaine du Canada.

Robert Sewell, pour les intimées Seaboard Life Insurance Company, Co‑operators, Compagnie d’assurance-vie, et La Confédération, Compagnie d’assurance‑vie.

Version française du jugement de la Cour rendu par

//Le juge Major//

1 Le juge Major — Le présent pourvoi, qui est connexe au pourvoi Garland c. Consumers’ Gas Co., [1998] 3 R.C.S. 000, concerne l’interprétation de la disposition relative au taux d’intérêt criminel, contenue à l’art. 347 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

2 L’intimée, la Société de Fiducie Métropolitaine du Canada («La Métropolitaine»), a consenti un prêt hypothécaire à l’appelante pour financer la réalisation d’un projet de construction. Le contrat de prêt obligeait l’appelante à payer des frais et primes élevés en plus d’un taux d’intérêt conventionnel. La durée du contrat était de 11 mois, mais, en fait, plus de trois années se sont écoulées avant que le prêt soit remboursé.

3 L’appelante a, par la suite, contesté la validité du prêt en alléguant que l’intimée avait perçu des intérêts à un taux criminel, contrairement à l’al. 347(1)b) du Code. La question en litige est de savoir si le taux d’intérêt annuel effectif résultant des paiements devrait être calculé en fonction de la durée du prêt prévue au contrat ou en fonction de la période durant laquelle le prêt était réellement en cours.

I. Les faits

4 L’appelante, Dancorp Developments Ltd. («Dancorp»), était propriétaire et promoteur‑constructeur d’un ensemble d’habitations en copropriété situé à Coquitlam (Colombie‑Britannique). La Métropolitaine, lui a consenti au départ un prêt hypothécaire de 16 689 000 $ pour financer les travaux de construction. À la date de la signature de ce contrat de prêt, le 1er mai 1989, presque tous les condominiums avaient été vendus d’avance à des acquéreurs étrangers. Les contrats de prévente stipulaient qu’il y aurait achèvement des travaux et cession du titre de propriété aux acquéreurs dès le 31 décembre 1990.

5 Les travaux de construction ont commencé vers le milieu de 1989 et ont pris fin le 20 octobre 1990. Pendant l’été de 1989, un vice de conception a été découvert et l’immeuble partiellement construit a dû être démoli et reconstruit. Ce contretemps a eu pour effet d’augmenter les coûts de construction et de contraindre Dancorp à solliciter un financement supplémentaire. La Métropolitaine a d’abord refusé de lui fournir des fonds additionnels, notamment à cause du risque accru que les travaux ne soient pas terminés à la date prévue dans les contrats de prévente. Dancorp n’a pas trouvé d’autres sources de financement.

6 Le 10 janvier 1990, au terme de longues négociations, La Métropolitaine a accepté de fournir à Dancorp les fonds additionnels requis pour payer les frais supplémentaires et mener les travaux à terme. La convention entre les parties contenait les conditions suivantes:

(1) La Métropolitaine consentait à avancer jusqu’à 2,5 millions de dollars à Dancorp. Cette dernière était autorisée à utiliser la totalité ou une partie de ces fonds, ou à ne pas les utiliser du tout, selon ses besoins.

(2) Le prêt de 2,5 millions de dollars était garanti par une deuxième hypothèque d’une valeur nominale de 3,25 millions de dollars. La différence entre les deux montants représentait une prime de 30 pour 100 payable à La Métropolitaine, qui devait être déduite du montant brut de chaque avance. Autrement dit, chaque dollar avancé à Dancorp entraînerait une créance hypothécaire de 1,30 $.

(3) Une prime supplémentaire de 5 pour 100 était payable à l’égard de chaque dollar avancé au‑delà de 1,55 million de dollars. Cette prime devait aussi être déduite des avances brutes.

(4) L’intérêt couru sur le capital prêté devait être calculé au taux préférentiel de la Banque de Nouvelle‑Écosse majoré de 2 pour 100 par année, et devait être composé et payable à terme échu le premier jour de chaque mois.

(5) Dancorp consentait à payer des «frais de placement et de traitement» de 77 500 $, calculés une seule fois.

(6) Dancorp acceptait de payer les honoraires des avocats de La Métropolitaine se rapportant à l’hypothèque.

(7) L’hypothèque était remboursable intégralement le 31 décembre 1990.

7 Entre le 17 janvier et le 10 décembre 1990, Dancorp a touché des avances à peu près chaque mois. La Métropolitaine déduisait les intérêts, les primes et les frais juridiques de chaque avance brute. Aux termes du contrat de prêt, ces montants étaient réputés avoir été avancés à Dancorp avant d’être déduits et étaient inclus dans la dette hypothécaire de Dancorp. Toutefois, Dancorp n’a fait aucun paiement direct à La Métropolitaine au cours de cette période.

8 Le 27 décembre 1990, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le présent pourvoi, un séquestre a été nommé par La Métropolitaine pour prendre en charge le projet, et les travaux de construction ont été achevés sous le contrôle de ce séquestre. Le produit de la vente des condominiums a servi à payer la dette contractée en vertu du deuxième prêt hypothécaire. La Métropolitaine a reçu un premier paiement le 10 avril 1992, et le prêt a été remboursé intégralement le 29 janvier 1993, soit plus de deux ans après la date d’échéance prévue au contrat.

9 Dancorp a, par la suite, contesté la validité du deuxième prêt hypothécaire. Selon elle, les montants que La Métropolitaine avait déduits des avances étaient des intérêts à un taux illégal au sens de l’al. 347(1)b) du Code criminel. À l’appui de cet argument, Dancorp a déposé une attestation du taux d’intérêt annuel préparée par Ian Karp, un fellow de l’Institut canadien des actuaires. Monsieur Karp a pris en considération les montants du prêt réellement utilisés et il a basé ses calculs sur la durée du prêt mentionnée au contrat, c’est‑à‑dire qu’il a supposé que le montant intégral de la dette serait remboursé le 31 décembre 1990, comme le prévoyait le contrat de prêt. Suivant cette hypothèse, il a conclu que les primes, frais et intérêts perçus en vertu du deuxième prêt hypothécaire représentaient un taux d’intérêt effectif supérieur à 75 pour 100 par année. L’intimée a soumis en preuve que le taux effectif tombait à moins de 20 pour 100 par année lorsque l’intérêt était calculé en fonction de la période durant laquelle le prêt avait réellement été en cours. Pour les fins du présent pourvoi, ces chiffres sont présumés exacts.

10 L’action de Dancorp fondée sur l’art. 347 du Code a été rejetée au terme d’un procès sommaire. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a rejeté l’appel de Dancorp.

II. Les dispositions législatives pertinentes

11 Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46

Taux d’intérêt criminel

347. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale, quiconque, selon le cas:

a) conclut une convention ou une entente pour percevoir des intérêts à un taux criminel;

b) perçoit, même partiellement, des intérêts à un taux criminel,

est coupable:

c) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;

d) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’une amende maximale de vingt‑cinq mille dollars et d’un emprisonnement maximal de six mois, ou de l’une de ces peines.

(2) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

«capital prêté» L’ensemble des sommes d’argent et de la valeur pécuniaire globale de tous biens, services ou prestations effectivement prêtés ou qui doivent l’être dans le cadre d’une convention ou d’une entente, déduction faite, le cas échéant, du dépôt de garantie et des honoraires, agios, commissions, pénalités, indemnités et autres frais similaires résultant directement ou indirectement de la convention initiale ou de toute convention annexe.

. . .

«intérêt» L’ensemble des frais de tous genres, y compris les agios, commissions, pénalités et indemnités, qui sont payés ou payables à qui que ce soit par l’emprunteur ou pour son compte, en contrepartie du capital prêté ou à prêter. La présente définition exclut un remboursement de capital prêté, les frais d’assurance, les taxes officielles, les frais pour découvert de compte, le dépôt de garantie et, dans le cas d’un prêt hypothécaire, les sommes destinées à l’acquittement de l’impôt foncier.

«taux criminel» Tout taux d’intérêt annuel effectif, appliqué au capital prêté et calculé conformément aux règles et pratiques actuarielles généralement admises, qui dépasse soixante pour cent.

. . .

(3) Quiconque reçoit paiement, total ou partiel, d’intérêts à un taux criminel est présumé connaître, jusqu’à preuve du contraire, l’objet du paiement et le caractère criminel de celui‑ci.

(4) Dans toute poursuite intentée en vertu du présent article, l’attestation du taux annuel effectif applicable à un capital prêté, fait foi jusqu’à preuve du contraire si elle est faite par un Fellow de l’Institut canadien des actuaires avec chiffres et éléments justificatifs à l’appui; il n’est pas nécessaire de prouver l’authenticité de la signature qui y est apposée ou la qualité officielle du signataire.

III. Historique des procédures judiciaires

A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique (1994), 16 B.L.R. (2d) 188

12 Un procès sommaire a eu lieu devant le juge Preston conformément à l’art. 18A des règles de pratique de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. Dans ces procédures, Dancorp a fait valoir que La Métropolitaine avait violé l’al. 347(1)b) du Code criminel en percevant des intérêts à un taux criminel dans le cadre du deuxième prêt hypothécaire. La question cruciale soumise au juge de première instance était de savoir si, aux fins de l’al. 347(1)b), la date de remboursement pertinente pour calculer le taux d’intérêt du prêt était la date prévue au contrat (le 31 décembre 1990) ou la date à laquelle le remboursement avait réellement été complété (le 29 janvier 1993).

13 Le juge Preston a examiné l’arrêt Nelson c. C.T.C. Mortgage Corp. (1984), 16 D.L.R. (4th) 139 (C.A.C.-B.), conf. par [1986] 1 R.C.S. 749. Dans cette affaire, un débiteur avait exercé son droit de rembourser une hypothèque par anticipation, ce qui avait eu pour effet d’abréger la durée réelle du prêt et de hausser le taux d’intérêt annuel effectif. La cour dans l’arrêt Nelson a conclu que le taux d’intérêt devait être calculé en fonction de la durée du prêt hypothécaire prévue au contrat et non en fonction de la période durant laquelle le prêt avait réellement été en cours. Le juge Preston a souligné que le taux d’intérêt criminel dans cette affaire était attribuable à l’acte unilatéral que le débiteur avait posé en remboursant l’hypothèque avant l’échéance.

14 Le juge Preston a statué que les al. 347(1)a) et b) créaient deux infractions distinctes, la première étant la conclusion d’une convention pour percevoir des intérêts à un taux criminel et la seconde étant la perception réelle d’intérêts à ce taux. Il a conclu que la première infraction était commise dès la conclusion de la convention et est prouvable au moyen des clauses de la convention elle‑même. Par contre, l’actus reus de la deuxième infraction consiste à percevoir, même partiellement, des intérêts à un taux criminel. Le juge de première instance a souligné que Dancorp n’avait présenté aucune réclamation pour violation de l’al. (1)a) et que, de toute façon, on ne savait pas clairement si le prêt hypothécaire violait cette disposition étant donné que les montants devant être utilisés n’étaient pas prédéterminés. Quant à l’al. (1)b), le juge de première instance a conclu qu’il n’y avait eu aucune «perception» d’intérêts avant le 29 janvier 1993. Il a affirmé, à la p. 210:

[traduction] [L’avocat de La Métropolitaine] soutient que la perception d’intérêts par La Métropolitaine est prouvée par les écritures comptables qui portent des intérêts au crédit de La Métropolitaine à mesure que les fonds sont avancés à Dancorp. Ce ne saurait être le cas. La perception, même partielle, d’intérêts qui est prévue à l’al. b) doit recevoir son sens normal, soit un paiement d’intérêts à La Métropolitaine par Dancorp.

et a conclu que, dans les circonstances de la présente affaire, la période dont il fallait tenir compte pour calculer le taux d’intérêt visé à l’al. 347(1)b) était la période durant laquelle le prêt avait réellement été en cours. Le juge du procès a déclaré que, selon cette méthode de calcul, La Métropolitaine n’avait pas perçu d’intérêts à un taux criminel. L’action de Dancorp fondée sur l’art. 347 a été rejetée.

B. Cour d’appel de la Colombie-Britannique (1996), 21 B.C.L.R. (3d) 112

15 La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a rejeté l’appel. Le juge Newbury, s’exprimant au nom de la cour, a présumé, sans le décider, que les montants déduits des avances par La Métropolitaine étaient des intérêts au sens de l’al. 347(1)b). Elle s’est ensuite demandé quelle période devrait être prise en considération pour calculer le taux auquel ces intérêts avaient été perçus et a conclu que la période pertinente était celle durant laquelle le prêt avait été en cours. Elle a convenu avec le juge de première instance que La Métropolitaine n’avait pas perçu d’intérêts à un taux criminel.

IV. La question en litige

16 Pour les fins de l’al. 347(1)b) du Code criminel, le taux d’intérêt annuel effectif applicable à un prêt devrait‑il être calculé en fonction de la durée du prêt prévue au contrat ou en fonction de la période durant laquelle le prêt était réellement en cours?

V. Analyse

17 Dans l’arrêt Garland, précité, rendu en même temps que le présent arrêt, on trouve une analyse générale de l’art. 347 du Code criminel. Cet article prévoit qu’un taux d’intérêt qui dépasse 60 pour 100 par année est un «taux [d’intérêt] criminel». Deux infractions sont définies relativement à de tels intérêts: l’al. 347(1)a) prévoit qu’il est illégal de conclure une convention ou une entente pour percevoir des intérêts à un taux criminel, alors que l’al. 347(1)b) prévoit qu’il est illégal de percevoir, même partiellement, des intérêts à un taux criminel. Le présent pourvoi porte exclusivement sur la deuxième infraction. Il s’agit de savoir si la Cour d’appel a commis une erreur en concluant qu’un «taux d’intérêt criminel» pour les fins de l’al. (1)b) devrait être calculé en fonction de la période pendant laquelle le prêt a été réellement remboursé, par opposition à la durée du prêt prévue au contrat.

18 L’importance de la période de remboursement découle en partie de la définition large du terme «intérêt» à l’art. 347. Comme nous l’avons vu dans Garland, cette définition englobe non seulement l’intérêt en common law -- c’est‑à‑dire un montant qui représente le prix de l’argent qui s’accumule quotidiennement -- mais aussi des montants fixes, comme les frais, commissions et pénalités, qu’un emprunteur peut être appelé à payer en contrepartie d’un prêt. Le taux d’intérêt annuel effectif résultant de ces paiements est intrinsèquement lié à la période durant laquelle le prêt est réellement en cours. Des honoraires ou une commission payés sur une courte période entraîneront un taux d’intérêt beaucoup plus élevé que si le même montant était payé sur une plus longue période. Il en est de même pour un taux d’intérêt annuel résultant d’une prime ou de frais à pourcentage fixe.

19 Aux fins de l’al. 347(1)a), la période pertinente pour calculer un taux d’intérêt est la période de remboursement prévue dans le contrat de prêt. Si cette période engendre un taux d’intérêt criminel, tout le contrat est alors illégal à première vue en vertu de l’al. (1)a).

20 Il est toutefois plus difficile d’attribuer un taux d’intérêt à la perception, même partielle, d’intérêts au sens de l’al. (1)b). Dans certains cas, la période durant laquelle un prêt sera réellement remboursé n’est pas clairement définie à l’avance, par exemple lorsque le contrat accorde un droit de remboursement anticipé ou lorsque la période de remboursement diffère simplement, dans les faits, de ce que les parties avaient prévu. Dans les deux cas, la période durant laquelle le prêt est réellement en cours -- et, par conséquent, le taux auquel les intérêts sont réellement perçus ‑- peut entraîner une modification du taux prévu au contrat, surtout si, comme en l’espèce, l’opération comporte des frais, commissions ou pénalités élevés, ou des frais à pourcentage fixe telles des primes. La question est de savoir si la responsabilité fondée sur l’al. (1)b) devrait refléter ces variations de taux ou si, en droit, un «taux [d’intérêt] criminel» au sens de l’al. (1)b) devrait être fondé sur les mêmes clauses contractuelles qui régissent la responsabilité fondée sur l’al. (1)a).

A. L’arrêt Nelson

21 La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique s’est penchée sur l’interprétation de l’art. 347 dans l’arrêt Nelson, précité. Les Nelson étaient garants d’une hypothèque commerciale à l’égard de laquelle certains frais fixes étaient payables en plus d’un taux d’intérêt conventionnel. L’hypothèque était remboursable dans un délai de six mois, sous réserve du droit de l’emprunteur de la rembourser intégralement par anticipation, en tout temps avant l’échéance. Considérés conjointement, ces frais et intérêts auraient donné un taux d’intérêt annuel effectif de 52,5 pour 100 si l’hypothèque avait été remboursée au complet à la fin de la période de six mois prévue. En réalité, cependant, l’emprunteur a exercé son droit de remboursement par anticipation au début de la durée du contrat, et la période plus courte qui en est résulté a entraîné un taux d’intérêt annuel effectif de 84,1 pour 100. Les Nelson et l’emprunteur ont par la suite intenté une action contre le prêteur en alléguant que l’hypothèque imposait un taux d’intérêt criminel contrairement à l’art. 305.1 (maintenant l’art. 347) du Code criminel.

22 La question litigieuse dans l’arrêt Nelson, comme en l’espèce, était de savoir si le «taux d’intérêt annuel effectif» résultant d’une hypothèque devrait être calculé en fonction de la date de remboursement prévue au contrat ou de la date du remboursement réel. La Cour d’appel a rejeté l’appel, mais elle était partagée sur cette question. Les juges majoritaires ont statué, par l’intermédiaire du juge Seaton, que la période pertinente était la durée complète du prêt stipulée dans le contrat. Pour parvenir à ce résultat, ils ont accordé une importance particulière au fait que la période réelle de remboursement dans l’arrêt Nelson relevait du contrôle de l’emprunteur. Le juge Seaton a affirmé, à la p. 143:

[traduction]

(1) Toute autre interprétation donnerait un résultat absurde. Par exemple, dans le cas d’une hypothèque accordant un droit de remboursement anticipé au débiteur hypothécaire, si l’hypothèque était remboursée rapidement, les honoraires juridiques à eux seuls dépasseraient 60% dans bien des cas. Le législateur n’a pas pu vouloir qu’un créancier hypothécaire soit coupable d’un acte criminel en pareil cas.

(2) Il semble plus conforme à la raison de calculer le taux d’intérêt (y compris tous les éléments énumérés dans la définition de l’intérêt) en fonction de la durée de l’hypothèque. En d’autres termes, le taux d’intérêt devrait être déterminé par le document et non par l’acte que l’emprunteur accomplit en remboursant l’hypothèque.

Les juges majoritaires ont statué que, dans le contexte d’un remboursement anticipé par le débiteur, le calcul du taux d’intérêt devrait être le même que ce soit en vertu de l’al. (1)a) ou de l’al. (1)b) de la disposition législative. Le juge Seaton a écrit, aux pp. 144 et 145:

[traduction]

(4) L’interprétation proposée par les appelants voulant que le «taux d’intérêt annuel effectif» soit calculé en fonction de la période durant laquelle l’hypothèque est en cours, signifierait que l’expression «taux criminel» à [l’al. 347(1)a)] n’aurait pas le même sens que l’expression «taux criminel» à [l’al. 347(1)b)]. La «convention ou [l’]entente» prévue à [l’al. 347(1)a)] visait à percevoir des intérêts à un taux légal (les intérêts payables pendant la durée de l’hypothèque). Toutefois, si l’hypothèque était remboursée avant l’échéance prévue, comme en l’espèce, l’intimée recevrait un «paiement d’intérêts à un taux criminel». Le législateur n’a pas pu vouloir que l’expression «taux criminel» ait deux sens différents dans la même disposition, ni qu’un créancier hypothécaire de bonne foi qui a conclu un contrat parfaitement légal devienne coupable d’une infraction à [l’al. 347(1)b)] parce que le débiteur a volontairement remboursé l’hypothèque par anticipation.

[L’article 347] visait à rendre illégales les conventions ou ententes qui exigent de l’emprunteur qu’il paie des intérêts à un taux «criminel». L’hypothèque dont il est question en l’espèce n’exige pas le paiement d’intérêts à un taux illégal. L’exercice d’un choix par un emprunteur ne relève donc pas de [l’al. 347(1)a) ou b)].

[L’alinéa 347(1)b)] a été conçu pour s’appliquer aux personnes qui percevaient «des intérêts à un taux criminel» dans les cas où la convention exigeait de l’emprunteur qu’il paie des «intérêts à un taux criminel» et, ainsi, l’expression «taux criminel» a le même sens dans les deux alinéas. [En italique dans l’original.]

Les juges majoritaires ont reconnu qu’on n’arriverait peut‑être pas à la même conclusion dans le cas d’une hypothèque remboursable [traduction] «à vue ou à la demande du créancier hypothécaire lors de la réalisation d’une condition explicite», plutôt qu’au gré du débiteur (à la p. 145).

23 Le juge Hutcheon, dissident, a souligné la différence entre les al. (1)a) et (1)b) de l’art. 347. Selon lui, l’al. (1)a) interdit de conclure une convention qui, à première vue, exige le paiement d’intérêts illégaux. Il a reconnu qu’ils n’étaient pas saisis d’une telle situation. Il était toutefois en désaccord avec les juges majoritaires relativement à l’objet et à l’effet de l’al. (1)b), affirmant, aux pp. 150 et 151:

[traduction] [L]orsque le droit de remboursement par anticipation est exercé au moyen d’un paiement, comme c’était le cas en l’espèce, ou lorsqu’une demande de paiement est faite, je pense que [l’al. 347(1)b)] est applicable. La question qui se pose est la suivante: le créancier hypothécaire a‑t‑il perçu des intérêts à un taux criminel? Il faut répondre à cette question au moyen d’une analyse des montants qui ont été perçus dans les faits et d’un calcul fondé sur la période qui s’est écoulée depuis que l’argent a été prêté.

Le juge Hutcheon a conclu que le prêteur avait violé l’al. (1)b) en percevant des intérêts à un taux supérieur à 60 pour 100.

B. Nouvel examen de l’arrêt Nelson: Cadre d’interprétation de l’art. 347

24 Notre Cour a confirmé pour l’essentiel les motifs des juges majoritaires dans l’arrêt Nelson. Selon l’appelante, l’arrêt Nelson établit le principe qu’un «taux [d’intérêt] criminel» au sens de l’art. 347 doit toujours être calculé en fonction de la durée du prêt fixée dans le contrat. Par conséquent, elle soutient que l’arrêt Nelson est déterminant en l’espèce. L’interprétation de l’appelante est trop large. Dans l’arrêt Nelson, il a été statué qu’une opération qui était légale au moment où elle a été conclue ne peut pas devenir illégale, en vertu de l’art. 347, en raison d’un acte volontaire du débiteur. Cette conclusion a été confirmée par notre Cour. L’arrêt Nelson n’exclut pas la possibilité qu’un taux d’intérêt devienne criminel pendant la durée d’un prêt à cause du prêteur ou pour d’autres raisons. En fait, les juges majoritaires dans l’arrêt Nelson ont expressément reconnu l’existence d’une telle possibilité dans le contexte d’une hypothèque remboursable à vue.

25 L’arrêt Nelson ne constitue pas un cadre exhaustif pour interpréter l’art. 347. En particulier, il ne tient pas compte des conventions de prêt qui, bien que légales sur le plan de la forme, peuvent devenir usuraires en pratique. Pour bien comprendre l’art. 347, il faut examiner l’application de la disposition dans son ensemble et, en particulier, reconnaître les objectifs différents que visent les al. (1)a) et (1)b). Tel que souligné dans l’arrêt Garland, au par. 54:

Le lien entre ces deux dispositions a été amplement commenté devant les tribunaux d’instance inférieure et dans la doctrine. En particulier, il existe une controverse sur la question de savoir si une entente qui n’exige pas expressément le paiement d’intérêts à un taux criminel au moment où elle est conclue peut malgré tout entraîner un paiement réel d’intérêts à un taux illégal. De telles situations peuvent se présenter si des frais supplémentaires sont imposés pendant la durée du prêt ou si la période réelle de remboursement est abrégée à la suite d’un événement déterminant ou d’un acte accompli par l’une des parties.

26 L’appelante soutient que l’al. (1)b) interdit la perception d’intérêts si le contrat de prêt exige, à première vue, que ces intérêts soient payés à un taux criminel. Selon elle, les al. (1)a) et (1)b) définissent les deux éléments d’une même infraction, c’est‑à‑dire conclure un contrat illégal puis en recueillir les fruits. L’appelante soutient que le «taux [d’intérêt] criminel» qui sous‑tend ces deux actes doit être calculé de la même façon sous le régime de l’al. (1)a) et de l’al. (1)b), c’est‑à‑dire en fonction de la durée du prêt prévue au contrat. La méthode proposée par l’appelante aurait l’avantage de favoriser une application claire et uniforme de l’art. 347. Une opération de prêt qui est légale demeurerait légale quelle que soit la suite des événements, ce qui permettrait aux prêteurs de prévoir la responsabilité criminelle et d’y échapper avec certitude. En même temps, une opération qui viole l’al. (1)a) demeurerait illégale pendant toute sa durée, et la perception d’intérêts dans le cadre de cette opération engagerait immédiatement aussi la responsabilité en vertu de l’al. (1)b). Selon l’appelante, il serait anormal d’avoir à attendre le remboursement intégral d’un prêt avant de pouvoir considérer qu’un paiement d’intérêts est illégal au sens de l’al. (1)b).

27 Le défaut d’une telle méthode est qu’elle dépouillerait pratiquement de tout son sens l’al. (1)b) puisqu’un prêteur ne pourrait pas violer cette disposition sans avoir d’abord violé l’al. (1)a). En fait, la conclusion d’une convention de prêt illégale serait la condition sine qua non des deux crimes. Dans ces circonstances, les prêteurs seraient inévitablement incités à rédiger des conventions de prêt assorties de clauses générales ou ambiguës, de manière à précipiter le remboursement par anticipation du prêt ou à déclencher le paiement de la majeure partie des frais d’intérêt pendant la durée du prêt. À moins qu’il ne soit possible de les assujettir de quelque manière que ce soit à l’al. (1)a), ces opérations échapperaient complètement à l’application de l’art. 347. Un tel résultat irait à l’encontre du but fondamental de cette disposition, qui est d’interdire l’imposition de taux d’intérêt usuraires sans égard à la forme de l’opération. Voir Garland, précité, au par. 28; William E. Thomson Associates Inc. c. Carpenter (1989), 69 O.R. (2d) 545 (C.A.), aux pp. 548 et 549. Pour ce motif, l’interprétation de l’appelante échoue.

28 L’intimée soutient que les al. (1)a) et (1)b) sont des dispositions distinctes et indépendantes: le premier vise les opérations qui sont illégales en soi et le second, les opérations dont l’effet est illégal. Selon l’intimée, il peut y avoir violation de l’al. (1)b) même si le «taux criminel» auquel des intérêts sont perçus n’est pas vérifiable en tant que tel à la lecture du contrat de prêt. Cette interprétation a été adoptée par le juge de première instance, qui a conclu (aux pp. 209 et 210):

[traduction] [Le paragraphe] 347(1) crée deux infractions:

1. La conclusion d’une convention ou d’une entente pour percevoir des intérêts à un taux criminel. L’actus reus de cette infraction est la conclusion de la convention ou de l’entente. . .

2. Le fait de percevoir, même partiellement, des intérêts à un taux criminel. L’actus reus de cette infraction est le fait de percevoir, même partiellement, des intérêts.

Cette approche fournit un cadre logique pour interpréter l’art. 347. Pour l’application de l’al. (1)a), la question pertinente est la suivante: «quel est le taux d’intérêt exigé par le contrat?» Quant à l’al. (1)b), la question est la suivante: «à quel taux d’intérêt un paiement a‑t‑il réellement été reçu?» Comme le prétend l’intimée, un paiement d’intérêts peut être illégal en vertu de l’al. (1)b) même si le contrat de prêt en vertu duquel il est fait ne violait pas lui‑même l’al. (1)a) au moment de sa conclusion.

29 Il découle de ce qui précède que l’al. 347(1)a) devrait recevoir une interprétation stricte. L’infraction est complète dès la conclusion d’une convention ou d’une entente de prêt, et elle est prouvable au moyen des clauses qui y sont contenues. Comme le juge Borins, alors juge à la Cour de l’Ontario (Division générale), l’a fait remarquer dans Aectra Refining & Marketing Inc. c. Lincoln Capital Funding Corp. (1991), 6 O.R. (3d) 146, à la p. 150:

[traduction] . . . le moment décisif où un prêteur enfreint l’al. 347(1)a) [. . .] est celui où il «conclut une convention [. . .] pour percevoir des intérêts». C’est en fonction de ce moment que la cour doit décider si le taux d’«intérêt» ‑- l’intérêt étant défini en termes très larges au par. 347(2) ‑- qui est stipulé dans la convention constitue un «taux criminel», expression également définie au par. 347(2).

Il y a violation de l’al. (1)a) si un contrat de prêt impose expressément un taux d’intérêt annuel supérieur à 60 pour 100 ou exige le paiement de frais d’intérêt pendant une période qui entraîne nécessairement un taux annuel supérieur à la limite légale. Voir, par exemple, R. c. Duzan (1993), 79 C.C.C. (3d) 552 (C.A. Sask.). Toutefois, s’il existe simplement une possibilité que le taux d’intérêt devienne illégal dans le cadre du contrat, il n’y a aucune violation de l’al. (1)a). Cela peut se produire lorsque la période de remboursement est sujette à modification ou lorsque des frais d’intérêt considérables sont payables sur demande ou si un événement précis survient. À la lecture du contrat, aucun intérêt criminel n’est exigé en pareil cas; le taux d’intérêt annuel effectif demeure hypothétique tant qu’on ne connaît pas le montant véritable des intérêts et la période réelle de remboursement.

30 Le rôle de l’al. (1)b) est de s’appliquer aux violations de l’art. 347 commises dans ces circonstances. Il faut donner à cet alinéa une interprétation assez large pour tenir compte des intérêts que le prêteur perçoit réellement à un taux criminel. La période pertinente pour calculer le taux d’intérêt à ce stade de l’analyse est la période pendant laquelle le prêt est réellement remboursé. Comme l’a affirmé le juge Newbury au nom de la Cour d’appel, à la p. 133:

[traduction] Tout compte fait, [. . .] je suis convaincu que puisque la condition essentielle de [l’al. (1)b)] est la perception d’intérêts, qui est une question de fait, il ne serait pas raisonnable de tenir compte, dans le calcul du taux d’intérêt prévu à cet alinéa, d’une période qui ne correspondait pas, dans les faits, à la période durant laquelle le prêt était en cours. Aucune décision n’a été citée à l’appui d’une interprétation «hybride» de la disposition, qui combinerait l’aspect factuel de la perception d’intérêts et l’aspect hypothétique de la date de remboursement précisée dans les documents de prêt. [En italique dans l’original.]

Il est vrai que, dans certains cas, cette interprétation exigera qu’on adopte une attitude attentiste pour décider de la responsabilité du prêteur. L’appelante a soutenu qu’un tel résultat serait incompatible avec les principes de base du droit criminel. Je ne suis pas de cet avis. Un prêteur qui conclut une convention pour percevoir des intérêts à des conditions ambiguës court le risque que la convention entraîne, en fait, dans son application une violation de l’art. 347. Le principe de l’arrêt Nelson soustrait le prêteur à une telle responsabilité dans des circonstances sur lesquelles il n’a aucun contrôle. Comme nous l’avons vu, adapter l’al. (1)b) à la forme plutôt qu’à la nature d’une opération de prêt pourrait inciter les prêteurs à se livrer à la manipulation et irait à l’encontre de l’objet fondamental de l’art. 347.

31 Les alinéas 347(1)a) and b) créent des infractions séparées mais complémentaires. Ces dispositions ne s’excluent pas mutuellement. Une convention qui est illégale en vertu de l’al. (1)a) peut, dans bien des cas, engager également la responsabilité en vertu de l’al. (1)b). Il en sera toujours ainsi lorsque le taux d’intérêt ne dépend pas de la durée réelle du prêt. Le fait de percevoir «même partiellement» des intérêts en pareil cas constituerait dès lors une violation de l’al. (1)b).

32 Lorsqu’il y a un facteur temps, il est impossible de calculer un «taux [d’intérêt] criminel» au sens de l’al. (1)b) avant que le prêteur n’ait été remboursé intégralement et que la durée réelle du prêt n’ait alors été déterminée. Dans ces cas, les al. (1)a) et (1)b) s’appliquent indépendamment. Un prêt qui viole l’al. (1)a) viole aussi l’al. (1)b) si les paiements sont reçus de la manière prévue dans le contrat; toutefois, si la période réelle de remboursement est assez longue, l’opération, qui demeure malgré tout illégale en vertu de l’al. (1)a), ne déclenchera pas une responsabilité supplémentaire en vertu de l’al. (1)b).

33 Si un contrat de prêt permet le paiement d’intérêts à un taux illégal mais ne l’exige pas, il n’y a aucune violation de l’al. (1)a), et il s’agit alors de décider si le prêteur a effectivement perçu des intérêts à un taux illégal. La responsabilité en vertu de l’al. (1)b) peut être engagée pendant la durée du prêt, pourvu qu’elle ne résulte pas de l’acte volontaire de l’emprunteur. En même temps, le prêteur peut être exonéré de toute responsabilité dans les cas où des frais ont été payés sur une période si longue que le taux d’intérêt qui en résulte ne dépasse pas la limite criminelle.

C. Résumé des principes applicables

34 Pour les motifs qui précèdent, l’art. 347 devrait être interprété en fonction des principes généraux suivants:

(1) L’alinéa 347(1)a) doit être interprété restrictivement. La question de savoir si une convention ou une entente de prêt viole l’al. 347(1)a) est déterminée à la date à laquelle l’opération est effectuée. Si la convention ou l’entente permet le paiement d’intérêts à un taux criminel mais ne l’exige pas, il n’y a aucune violation de l’al. 347(1)a), quoique l’al. 347(1)b) puisse s’appliquer.

(2) L’alinéa 347(1)b) doit être interprété de façon libérale. La question de savoir si un paiement d’intérêts viole l’al. 347(1)b) est déterminée à la date à laquelle le paiement est reçu. Aux fins de l’al. 347(1)b), le taux d’intérêt annuel effectif résultant d’un paiement est calculé en fonction de la période pendant laquelle le prêt est réellement en cours.

(3) Il n’y a aucune violation de l’al. 347(1)b) lorsqu’un paiement d’intérêts à un taux criminel résulte d’un acte volontaire du débiteur, c’est‑à‑dire un acte qui relève entièrement de sa volonté et qui n’est pas imposé par le prêteur en raison d’un événement déterminant prévu dans la convention.

D. Application à la présente affaire

35 Comme nous l’avons vu, l’al. 347(1)a) n’a pas été invoqué dans le présent pourvoi et il n’est pas nécessaire de déterminer si le prêt hypothécaire l’aurait violé à première vue. Dancorp prétend que La Métropolitaine a violé l’al. 347(1)b) en percevant réellement des intérêts à un taux criminel dans le cadre du deuxième prêt hypothécaire. En supposant, comme l’a fait la Cour d’appel, que les montants que La Métropolitaine a déduits des sommes qu’elle a avancées à Dancorp équivalaient en réalité à des «intérêts» perçus au sens de l’al. (1)b), tous s’accordent pour dire que le taux d’intérêt résultant de ces montants perçus ne dépasserait le seuil criminel que s’il était calculé en fonction de la durée du prêt prévue au contrat, et non en fonction de la période réelle de remboursement. La période pertinente pour calculer le taux d’intérêt en vertu de l’al. (1)b) est la période durant laquelle le prêt est réellement en cours. Calculés en fonction de cette période — c’est-à-dire plus de trois ans — , les intérêts que Dancorp a payés à La Métropolitaine ne constituent pas des intérêts à un taux criminel.

36 Le principe du «caractère volontaire» énoncé dans l’arrêt Nelson ne s’applique pas en l’espèce. Il est vrai que, comme dans l’arrêt Nelson, le taux d’intérêt annuel effectif en l’espèce a été modifié par l’acte volontaire de l’emprunteur. Toutefois, la ressemblance s’arrête là. Le raisonnement de l’arrêt Nelson était qu’un prêteur qui a conclu une convention légale ne devrait pas être coupable d’une infraction criminelle en raison de l’acte volontaire du débiteur. Ce risque n’existe pas en l’espèce. Au contraire, l’acte volontaire du débiteur en l’espèce a eu pour effet d’exonérer le prêteur de toute responsabilité alors qu’il aurait autrement pu y avoir un taux d’intérêt illégal en vertu de l’al. (1)b). Tenter d’appliquer la règle de l’arrêt Nelson en l’espèce serait en nier le fondement.

37 Pour ces motifs, nous souscrivons à l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique et le pourvoi est rejeté avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Berger & Nelson, Vancouver.

Procureurs de l’intimée la Société de Fiducie Métropolitaine du Canada: Blake, Cassels & Graydon, Vancouver.

Procureurs des intimées Seaboard Life Insurance Company, Co‑operators, Compagnie d’assurance-vie, et La Confédération, Compagnie d’assurance-vie: McCarthy Tétrault, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : [1998] 3 R.C.S. 90 ?
Date de la décision : 30/10/1998
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Taux d’intérêt criminel - Code criminel définissant le taux d’intérêt criminel comme tout taux d’intérêt annuel effectif, appliqué au capital prêté, qui dépasse 60 pour 100 - Promoteur obtenant un prêt hypothécaire d’une société de fiducie pour financer la réalisation d’un projet de construction - Dette devant être remboursée après 11 mois mais ne l’ayant été, en fait, qu’après plus de trois ans - Le taux d’intérêt annuel effectif devrait-il être calculé en fonction de la durée du prêt prévue au contrat ou en fonction de la période durant laquelle le prêt était réellement en cours? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 347(1)b).

L’appelante a obtenu un prêt hypothécaire de la société de fiducie intimée pour financer la réalisation d’un projet de construction. Le contrat de prêt obligeait l’appelante à payer des frais et primes élevés en plus d’un taux d’intérêt conventionnel. La durée du contrat était de 11 mois, mais, en fait, plus de trois années se sont écoulées avant que le prêt soit remboursé. L’appelante a par la suite contesté la validité du prêt en alléguant que la société de fiducie avait perçu des intérêts à un taux criminel, contrairement à l’al. 347(1)b) du Code criminel. Aux termes du par. 347(2), un «taux criminel» est un taux d’intérêt annuel effectif, appliqué au capital prêté, qui dépasse 60 pour 100, et un «intérêt» est «[l]’ensemble des frais de tous genres [. . .] qui sont payés ou payables [. . .] en contrepartie du capital prêté ou à prêter». À l’appui de son argument, l’appelante a déposé une attestation que les primes, frais et intérêts perçus en vertu du prêt hypothécaire représentaient un taux d’intérêt effectif supérieur à 75 pour 100 par année. Ces calculs étaient basés sur la supposition que le montant intégral de la dette serait remboursé le 31 décembre 1990, comme le prévoyait le contrat de prêt. La société de fiducie a soumis en preuve que le taux effectif tombait à moins de 20 pour 100 par année lorsque l’intérêt était calculé en fonction de la période durant laquelle le prêt avait réellement été en cours. L’action de l’appelante a été rejetée au terme d’un procès sommaire. La Cour d’appel a confirmé cette décision.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Deux infractions sont définies à l’art. 347 du Code criminel: l’al. 347(1)a) prévoit qu’il est illégal de conclure une convention ou une entente pour percevoir des intérêts à un taux criminel, alors que l’al. 347(1)b) prévoit qu’il est illégal de percevoir, même partiellement, des intérêts à un taux criminel. Le présent pourvoi porte exclusivement sur l’al. 347(1)b). L’alinéa 347(1)a) devrait recevoir une interprétation stricte. L’infraction est complète dès la conclusion d’une convention ou d’une entente de prêt, et elle est prouvable au moyen des clauses qui y sont contenues. Il y a violation de l’al. 347(1)a) si un contrat de prêt impose expressément un taux d’intérêt annuel supérieur à 60 pour 100 ou exige le paiement de frais d’intérêt pendant une période qui entraîne nécessairement un taux annuel supérieur à la limite légale. L’alinéa 347(1)b) devrait être interprété de façon libérale. Un paiement d’intérêts peut être illégal en vertu de l’al. 347(1)b) même si le contrat de prêt en vertu duquel il est fait ne violait pas lui‑même l’al. 347(1)a) au moment de sa conclusion. La période pertinente pour calculer le taux d’intérêt à ce stade de l’analyse est la période pendant laquelle le prêt est réellement remboursé. Même si, dans certains cas, cette interprétation exigera qu’on adopte une attitude attentiste pour décider de la responsabilité du prêteur, un prêteur qui conclut une convention pour percevoir des intérêts à des conditions ambiguës court le risque que la convention entraîne, en fait, dans son application une violation de l’art. 347. De plus, le principe de l’arrêt Nelson, selon lequel une opération qui était légale au moment où elle a été conclue ne peut pas devenir illégale, en vertu de l’art. 347, en raison d’un acte volontaire du débiteur, soustrait le prêteur à une telle responsabilité dans des circonstances sur lesquelles il n’a aucun contrôle.

En supposant que les montants que la société de fiducie a déduits des sommes qu’elle a avancées à l’appelante équivalaient en réalité à des intérêts perçus au sens de l’al. 347(1)b), le taux d’intérêt résultant de ces montants perçus ne dépasserait le seuil criminel que s’il était calculé en fonction de la durée du prêt prévue au contrat, et non en fonction de la période réelle de remboursement. Si on les calcule en fonction de la période pertinente, qui est la période de plus de trois ans durant laquelle le prêt était réellement en cours, les intérêts que l’appelante a payés à la société de fiducie ne constituent pas des intérêts à un taux criminel. Le principe du caractère volontaire énoncé dans l’arrêt Nelson ne s’applique pas en l’espèce.


Parties
Demandeurs : Degelder Construction Co.
Défendeurs : Dancorp Developments Ltd.

Références :

Jurisprudence
Arrêt examiné: Nelson c. C.T.C. Mortgage Corp. (1984), 16 D.L.R. (4th) 139, conf. par [1986] 1 R.C.S. 749
arrêts mentionnés: Garland c. Consumers’ Gas Co., [1998] 3 R.C.S. 000
William E. Thomson Associates Inc. c. Carpenter (1989), 69 O.R. (2d) 545
Aectra Refining & Marketing Inc. c. Lincoln Capital Funding Corp. (1991), 6 O.R. (3d) 146
R. c. Duzan (1993), 79 C.C.C. (3d) 552.
Lois et règlements
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 347 [auparavant S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 305.1].

Proposition de citation de la décision: Degelder Construction Co. c. Dancorp Developments Ltd., [1998] 3 R.C.S. 90 (30 octobre 1998)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1998-10-30;.1998..3.r.c.s..90 ?
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