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04/02/1999 | CANADA | N°[1999]_1_R.C.S._265

Canada | Sail Labrador Ltd. c. Challenge One (Le), [1999] 1 R.C.S. 265 (4 février 1999)


Sail Labrador Ltd. c. Challenge One (Le), [1999] 1 R.C.S. 265

Sail Labrador Limited Appelante

c.

Les propriétaires, Navimar Corporation Ltée et toutes

autres personnes ayant un droit sur le navire Challenge One,

son équipement, ses soutes et le fret, et le navire

Challenge One, son équipement, ses soutes et le fret Intimés

Répertorié: Sail Labrador Ltd. c. Challenge One (Le)

No du greffe: 26083.

Audition et jugement: 9 octobre 1998.

Motifs déposés: 4 février 1999.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juge

s Gonthier, Cory, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de ...

Sail Labrador Ltd. c. Challenge One (Le), [1999] 1 R.C.S. 265

Sail Labrador Limited Appelante

c.

Les propriétaires, Navimar Corporation Ltée et toutes

autres personnes ayant un droit sur le navire Challenge One,

son équipement, ses soutes et le fret, et le navire

Challenge One, son équipement, ses soutes et le fret Intimés

Répertorié: Sail Labrador Ltd. c. Challenge One (Le)

No du greffe: 26083.

Audition et jugement: 9 octobre 1998.

Motifs déposés: 4 février 1999.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges Gonthier, Cory, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale, [1997] 3 C.F. 154, 212 N.R. 256, [1997] A.C.F. no 451 (QL), qui a annulé un jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale, [1996] 3 C.F. 821, 115 F.T.R. 128, [1996] A.C.F. no 919 (QL), qui avait accordé un jugement déclarant qu’une option d’achat pouvait être levée. Pourvoi accueilli.

Elizabeth M. Heneghan, c.r., pour l’appelante.

Alain R. Pilotte et Julie Bergevin, pour les intimés.

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Gonthier, Cory, Iacobucci, Major et Bastarache rendu par

//Le juge Bastarache//

1 LE JUGE BASTARACHE — La principale question litigieuse que soulève le présent pourvoi est de savoir quel est l’effet de l’exécution défectueuse des modalités d’un contrat de location sur le droit du propriétaire d’annuler l’option d’achat dont la levée dépend expressément de l’exécution de toutes les modalités du contrat.

Les faits

2 L’intimée Navimar est le propriétaire du navire Challenge One. Le 21 juin 1985, l’appelante Sail Labrador a conclu une charte‑partie avec l’intimée afin d’affréter ce navire pendant cinq ans. L’article 30 de la charte‑partie accordait à l’appelante l’option d’acheter le Challenge One à l’expiration de la période de cinq ans, à la condition qu’elle ait exécuté toutes les obligations que la charte‑partie lui imposait. Voici les dispositions pertinentes de la charte‑partie:

[traduction]

Affrètement

10. L’affréteur verse chaque année au propriétaire du navire la somme de 85 000 $ en devises canadiennes à titre de frais d’utilisation, à compter de la date de livraison du navire, ou du 10 juin 1985, selon la plus tardive de ces dates. L’affrètement durera jusqu’à la date de la remise du navire au propriétaire. En cas de perte du navire, le loyer d’affrètement payable pour l’année pendant laquelle la perte survient est proportionnel au nombre de jours pendant lesquels le navire était disponible, sur une base de 208 jours. En cas de perte du navire après le premier décembre de toute année d’exploitation (qui se termine le 3 janvier de l’année civile suivante), le loyer d’affrètement annuel pour cette année d’exploitation est payable en entier.

Échéancier annuel

11. Le loyer annuel d’affrètement est payable en sept (7) mensualités chaque année que dure la charte‑partie conformément à l’échéancier suivant:

Première année de la charte‑partie (1985)

1. 1985 10 août 12 142,85 $

2. 1985 10 septembre 12 142,85 $

3. 1985 10 octobre 12 142,85 $

4. 1985 10 novembre 12 142,85 $

5. 1985 10 décembre 12 142,85 $

6. 1986 10 janvier 12 142,85 $

7. 1986 10 février 12 142,90 $

Deuxième année de la charte‑partie (1986)

1. 1986 10 août 12 142,85 $

2. 1986 10 septembre 12 142,85 $

3. 1986 10 octobre 12 142,85 $

4. 1986 10 novembre 12 142,85 $

5. 1986 10 décembre 12 142,85 $

6. 1987 10 janvier 12 142,85 $

7. 1987 10 février 12 142,90 $

Troisième année de la charte‑partie (1987)

1. 1987 10 août 12 142,85 $

2. 1987 10 septembre 12 142,85 $

3. 1987 10 octobre 12 142,85 $

4. 1987 10 novembre 12 142,85 $

5. 1987 10 décembre 12 142,85 $

6. 1988 10 janvier 12 142,85 $

7. 1988 10 février 12 142,90 $

Quatrième année de la charte‑partie (1988)

1. 1988 10 août 12 142,85 $

2. 1988 10 septembre 12 142,85 $

3. 1988 10 octobre 12 142,85 $

4. 1988 10 novembre 12 142,85 $

5. 1988 10 décembre 12 142,85 $

6. 1989 10 janvier 12 142,85 $

7. 1989 10 février 12 142,90 $

Cinquième année de la charte‑partie (1989)

1. 1989 10 juin 12 142,85 $

2. 1989 10 juillet 12 142,85 $

3. 1989 10 août 12 142,85 $

4. 1989 10 septembre 12 142,85 $

5. 1989 10 octobre 12 142,85 $

6. 1989 10 novembre 12 142,85 $

7. 1989 10 décembre 12 142,90 $

Les versements précités sont payables aux propriétaires, à Québec, en espèces et en devises canadiennes sous forme de virement bancaire ou de chèques certifiés déposés dans le compte suivant:

Navimar Corporation Limitée

. . .

Dans le cas où l’un des versements ne serait pas déposé conformément aux modalités susmentionnées, le propriétaire peut sur‑le‑champ faire cesser l’exploitation du navire ou retirer celui‑ci à l’affréteur sans préjudice des réclamations que le propriétaire peut avoir contre l’affréteur en vertu de la présente charte‑partie et sans préjudice des autres droits et réclamations que le propriétaire peut posséder en vertu de toute garantie accessoire consentie par la Sail Labrador Ltd. ou l’un de ses actionnaires, administrateurs ou cautions.

. . .

Rapports

25. L’affréteur tient le propriétaire au courant des arrivées du navire aux autres ports d’attache que ceux qui sont mentionnés à l’article 3 et de ses départs de ceux‑là. À la fin de chaque mois, à la demande du propriétaire, l’affréteur remet les journaux de bord du pont et de la salle des machines.

. . .

Option d’achat

30. À la condition qu’il exécute toutes les obligations que la présente charte‑partie met à sa charge, et notamment qu’il fasse les versements prévus promptement et en conformité avec l’échéancier de l’article 10 pendant toute la durée du contrat, l’affréteur a l’option d’acheter le navire à l’expiration de la période de cinq (5) ans de la présente charte‑partie moyennant la somme de deux cent mille dollars (200 000 $) en espèces, s’il avise le propriétaire par écrit de son intention de se porter acquéreur du navire au plus tard le 31 mars 1990.

Cette option ne peut être levée que pendant les quinze (15) jours suivant l’envoi par l’affréteur de l’avis précité au propriétaire et doit faire l’objet d’un paiement en espèces.

3 En vertu de l’article 11 de la charte‑partie, l’appelante devait verser en tout 35 mensualités à l’intimée, soit sept versements par année pendant les cinq années que durerait la charte‑partie. Les parties ont convenu que l’appelante remettrait à l’intimée sept chèques postdatés non certifiés au début de chaque saison d’exploitation. Les chèques n’ont posé aucun problème pendant les quatre premières années. Cependant, le chèque couvrant le premier versement de la cinquième année, exigible le 10 juin, a été refusé pour provision insuffisante. Le juge de première instance a conclu que le refus de la banque d’honorer le chèque de l’appelante était dû à une erreur de la part d’un employé de la banque.

4 Dans une lettre datée du 28 juin 1989, l’intimée a avisé l’appelante que son chèque avait été refusé. Elle a informé l’appelante que l’option d’achat était devenue nulle et sans effet en raison de l’omission de cette dernière d’effectuer le versement requis le 10 juin 1989. Dans cette même lettre, l’intimée donnait aussi des directives à l’appelante sur la façon dont celle‑ci pourrait remédier à son versement tardif. L’appelante s’est alors empressée de faire le versement et de payer les intérêts courus, conformément aux directives de l’intimée. Tous les versements ultérieurs ont été faits à temps.

5 Le 31 octobre 1989, l’appelante a écrit à l’intimée pour lui dire qu’elle considérait que l’option d’achat demeurait en vigueur. L’appelante a souligné que le défaut avait résulté d’une erreur de la banque, et qu’il avait été rapidement remédié à cette erreur conformément aux directives de l’intimée.

6 En vertu de l’article 25 de la charte‑partie, l’intimée pouvait demander que lui soient remis les journaux de bord du pont et de la salle des machines. Avant le versement tardif de juin 1989, l’intimée n’avait jamais présenté une telle demande. La première demande de l’intimée fondée sur l’article 25 figurait dans une lettre en date du 13 juillet 1989 adressée à l’appelante. L’intimée a soutenu en première instance que l’appelante avait contrevenu à l’article 25 en omettant de lui fournir toutes les copies demandées des journaux de bord.

7 Le 5 janvier 1990, l’appelante a avisé l’intimée de son intention de lever l’option. Le 19 janvier, l’appelante a offert la somme de 200 000 $ à l’intimée. L’intimée a alors refusé de signer un contrat de vente pour le motif que l’appelante avait contrevenu à plusieurs articles de la charte‑partie, ce qui avait rendu l’option nulle.

8 L’appelante a intenté une action contre l’intimée devant la Section de première instance de la Cour fédérale, en vue d’obtenir un jugement déclarant qu’elle avait le droit de lever l’option. Le juge de première instance a accordé le jugement déclaratoire. La Cour d’appel fédérale n’était pas du même avis et a accueilli l’appel de l’intimée. L’appelante a obtenu l’autorisation de se pourvoir devant notre Cour relativement aux contraventions aux articles 11 et 25 de la charte‑partie.

9 Le 9 octobre 1998, notre Cour annulait l’arrêt de la Cour d’appel fédérale avec dépens dans toutes les cours, en indiquant qu’elle ferait ultérieurement connaître ses motifs, que voici.

Historique des procédures judiciaires

Cour fédérale, Section de première instance, [1996] 3 C.F. 821

10 En réponse à l’action intentée par l’appelante, l’intimée a fait valoir que celle‑ci avait contrevenu à huit articles de la charte‑partie. Le juge Nadon a conclu que l’appelante avait contrevenu à deux articles de la charte‑partie, soit les articles 11 et 25.

11 En déterminant s’il avait été contrevenu à la charte‑partie, le juge Nadon a tiré des conclusions de fait pertinentes à l’égard des articles 11 et 25. Par exemple, en ce qui concerne l’article 11, il a statué que le versement tardif de l’appelante était dû à une erreur de la banque. Il a également conclu que l’appelante avait rapidement remédié à la situation en effectuant le versement en plus de payer les intérêts courus, conformément aux directives de l’intimée. Quant à l’article 25, le juge Nadon a conclu que le fait que l’appelante ne disposait pas de photocopieurs commerciaux avait contribué à son omission de fournir des copies de ses journaux de bord, comme l’exigeait cet article. La conclusion du juge Nadon que l’appelante avait effectivement contrevenu aux articles 11 et 25 n’était précédée d’aucune analyse de l’effet des actes de l’appelante.

12 Après avoir conclu que l’appelante avait contrevenu à deux articles de la charte‑partie, le juge Nadon a entrepris d’analyser les principes juridiques qui lui permettraient de déterminer si l’option d’achat était toujours exécutoire. Il a commencé par affirmer que les chartes‑parties sont régies par les principes ordinaires du droit des contrats. Il a ensuite cité l’art. 3 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7, pour conclure que la Cour fédérale avait compétence pour accorder une réparation en equity.

13 Le juge Nadon a examiné les caractéristiques générales des contrats d’option. À cette fin, il a cité les arrêts de notre Cour Canadian Long Island Petroleums Ltd. c. Irving Industries (Irving Wire Products Division) Ltd., [1975] 2 R.C.S. 715, et Mitsui & Co. (Canada) Ltd. c. Banque Royale du Canada, [1995] 2 R.C.S. 187.

14 Il a alors abordé le principe de minimis non curat lex. Il a jugé que ce principe empêche de considérer comme des contraventions les dérogations mineures ou de peu d’importance aux modalités d’un contrat. Il a cité la décision Margaronis Navigation Agency, Ltd. c. Henry W. Peabody & Co., of London, Ltd., [1964] 2 Lloyd’s Rep. 153 (C.A.), selon laquelle il n’y a pas lieu de tenir compte des entorses négligeables aux clauses du contrat pour déterminer s’il y a eu contravention à une obligation contractuelle.

15 Le juge Nadon a ensuite renvoyé à la théorie de la «contravention périmée». Il a cité une jurisprudence britannique selon laquelle le droit britannique exige que soient rigoureusement remplies toutes les conditions préalables des contrats unilatéraux, y compris les contrats d’option. Il a fait remarquer, cependant, que les tribunaux anglais ont reconnu que la théorie de la contravention périmée constitue une exception à l’exigence d’observation rigoureuse dans les affaires mettant en cause des contrats d’option. Selon cette théorie, si la levée de l’option est conditionnelle à l’exécution de certains engagements, on n’empêchera pas le bénéficiaire de l’option de lever celle‑ci en raison de contraventions antérieures si les contraventions sont «périmées», en ce sens qu’elles ne donnent pas ouverture à un droit de recours qui peut encore être exercé au moment où le bénéficiaire cherche à lever l’option.

16 Le juge Nadon a statué que le droit canadien reconnaît lui aussi l’obligation de respecter rigoureusement toutes les conditions préalables avant de pouvoir lever une option d’achat. Il a toutefois conclu que le droit canadien n’exclut pas l’application des théories fondées sur l’equity qui permettent de dispenser le bénéficiaire d’une option de cette exigence d’observation rigoureuse. Pour étayer cette conclusion, le juge Nadon a cité les propos du juge en chef Duff dans l’arrêt Pierce c. Empey, [1939] R.C.S. 247, à la p. 252:

[traduction] Il est de jurisprudence constante que le demandeur qui réclame l’aide du tribunal pour obtenir l’exécution forcée d’une option d’achat d’un bien‑fonds doit démontrer qu’il a rigoureusement observé les modalités de l’option, et notamment les modalités relatives aux délais à respecter. Le propriétaire n’est nullement tenu de vendre tant que les conditions préalables ne sont pas remplies ou que, en raison de sa conduite, le titulaire de l’option n’est pas dispensé de les remplir rigoureusement pour un motif reconnu en equity . . . [Je souligne.]

17 Le juge Nadon a ensuite cité de nombreux arrêts voulant que la théorie de la contravention périmée soit reconnue en droit canadien. En conséquence, il a décidé qu’on ne refusera pas à une partie le droit de lever une option s’il a été remédié à une contravention antérieure au moment de la levée de l’option.

18 Il a par la suite analysé l’article 30 de la charte‑partie, la clause d’option. Il a statué que cet article obligeait seulement l’appelante à exécuter de façon substantielle les obligations qu’elle avait contractées aux termes de la charte‑partie.

19 En ce qui concerne les contraventions aux articles 11 et 25, le juge Nadon a conclu que, puisque l’appelante avait remédié à sa contravention à l’article 11 avant la levée de l’option, cette contravention «périmée» ne pouvait pas l’empêcher de lever l’option. Le juge Nadon n’a tiré aucune conclusion de fait sur la question de savoir quand il avait été remédié à la contravention à l’article 25 par l’appelante, ou encore s’il y avait été effectivement remédié. Il a simplement conclu qu’il ne serait pas équitable de priver l’appelante de son droit de lever l’option en raison de cette contravention de peu d’importance.

20 Le juge Nadon a donc conclu que l’appelante avait le droit de lever l’option d’achat prévue à l’article 30, et il a rendu un jugement déclaratoire en ce sens.

Cour d’appel fédérale, [1997] 3 C.F. 154

21 Le principal moyen d’appel soulevé par l’intimée était que le juge Nadon avait commis une erreur en décidant que l’appelante pouvait lever l’option d’achat, même si elle ne s’était pas acquittée des obligations qui lui incombaient en vertu des articles 11 et 25 de la charte‑partie.

22 Le juge Décary a rendu le jugement unanime de la cour. Il s’est fondé sur les conclusions du juge Nadon que l’appelante avait contrevenu aux articles 11 et 25.

23 Le juge Décary a conclu que le juge Nadon avait appliqué incorrectement le principe de minimis. À son avis, ce principe n’est qu’un principe d’interprétation qui sert à déterminer si une contravention a été commise. En d’autres termes, ce principe ne s’applique que pour empêcher qu’on ne conclue qu’il y a eu contravention eu égard au fait que les parties ont implicitement convenu que l’exécution substantielle des obligations équivaudrait à une exécution rigoureuse. Il ne peut pas être appliqué pour qualifier de minime une contravention. En conséquence, le juge Décary a statué que le juge Nadon, après avoir conclu qu’il y avait eu contravention, ne pouvait plus s’appuyer sur le principe de minimis pour conclure qu’elle était négligeable au point de ne pas constituer une contravention.

24 Le juge Décary a également laissé entendre que le juge Nadon avait mal interprété les propos du juge en chef Duff dans l’arrêt Pierce. À son avis, il ne ressort pas de cet arrêt que, de façon générale, le droit canadien permet d’appliquer des théories fondées sur l’equity pour dispenser le bénéficiaire d’une option de l’exigence d’observation rigoureuse. Au contraire, l’arrêt Pierce ne permet de remédier au défaut de remplir les conditions préalables que s’il est possible d’établir un rapport entre le défaut et la conduite du propriétaire. Selon le juge Décary, aucun rapport de cette nature n’a été établi en l’espèce.

25 Le juge Décary a conclu que le juge Nadon avait commis une erreur en associant la théorie de la «contravention périmée» à des considérations fondées sur l’equity. Selon lui, même si les tribunaux ont tenté d’adoucir les conséquences dures de l’exigence d’observation rigoureuse en vérifiant si le libellé de l’entente pouvait appuyer l’interprétation selon laquelle toutes les conditions doivent avoir été remplies au moment où l’option est levée plutôt qu’au moment où elles devaient initialement l’être, le principe fondamental de l’observation rigoureuse demeure une règle de droit valable. La question de savoir si l’observation rigoureuse est requise à un moment donné avant la levée de l’option ressortit à l’interprétation de chaque contrat, et la théorie de la contravention périmée n’est pas une exception à ce principe.

26 Le juge Décary a décidé que les termes employés par les parties revêtent une importance clé en matière d’interprétation des contrats, étant donné que les tribunaux doivent mettre à exécution l’intention de celles‑ci. Il a statué que, si les parties ont insisté pour qu’une condition préalable soit remplie à un certain moment, il ne devrait pas être loisible aux tribunaux de décider que cette obligation peut être remplie à une date ultérieure, car cela équivaudrait à un remaniement du contrat. À cette fin, le juge Décary a cité les propos du lord juge Cairns dans Tenax Steamship Co. c. The Brimnes (Owners), [1975] Q.B. 929 (C.A.), à la p. 971: [traduction] «Bien qu’on puisse valablement affirmer qu’une personne qui a payé après l’échéance a remédié à son défaut de payer, on ne saurait affirmer qu’elle a remédié à son défaut de payer de façon ponctuelle.»

27 En ce qui concerne l’article 30, la Cour d’appel a jugé que l’inclusion des mots [traduction] «promptement», «en conformité avec l’échéancier» et «pendant toute la durée du contrat» amenait inéluctablement à conclure que l’appelante ne pouvait obtenir l’exécution forcée de l’option que si elle avait fait chaque versement le jour même où il devait l’être en vertu de l’article 11. Je fais remarquer que le renvoi, par la Cour d’appel, à la clause d’option, comprend la mention «[sic]» après les mots «article 10». Il semble ressortir du raisonnement du juge Décary qu’il a tenu pour acquis que le renvoi à l’article 10 dans la clause d’option était une erreur typographique et qu’il aurait fallu y lire les mots «article 11», bien qu’une telle conclusion n’ait pas été tirée par le juge de première instance.

28 Le juge Décary a accueilli l’appel en fonction de la contravention de l’appelante à l’article 11. Il n’a donc pas jugé nécessaire d’aborder la question de la contravention à l’article 25.

Analyse

La nature du contrat

29 Une grande partie de l’argumentation écrite et orale présentée en l’espèce visait à déterminer si l’option constituait un contrat indépendant de la charte‑partie sous‑jacente ou si elle n’en était qu’une simple modalité. En d’autres termes, la question soulevée était de savoir si, d’après les faits de la présente affaire, il existait un seul contrat ou encore deux contrats distincts, mais connexes.

30 L’intimée a invité notre Cour à conclure que la clause d’option crée un contrat distinct de la charte‑partie. Selon l’intimée, l’option est un «contrat dans le contrat». Pour comprendre la raison pour laquelle l’intimée a adopté ce point de vue, il est utile d’examiner l’exécution des contrats de façon plus générale. Pour ce faire, je me référerai à deux ouvrages bien connus en matière contractuelle, soit The Law of Contract (9e éd. 1995) de G. H. Treitel, et The Law of Contracts (3e éd. 1993) de S. M. Waddams.

31 Treitel et Waddams reconnaissent tous les deux qu’en règle générale les parties à un contrat doivent remplir les obligations qu’il leur impose expressément. Cependant, si l’exécution est défectueuse, par exemple sur le plan de la qualité, de la quantité ou de l’échéance, on reconnaît que le défaut d’exécution doit avoir un minimum de gravité pour que la partie non fautive puisse résilier le contrat. L’inexécution doit priver d’une façon substantielle l’autre partie de ce qu’elle a négocié. Ce concept est décrit comme l’inexécution substantielle ou l’exigence que la contravention touche à «l’essence même» du contrat. Dans la doctrine anglaise, on trouve l’expression «substantial failure» («défaut grave»). S’il n’est pas satisfait à cette norme minimale, la partie non fautive ne peut pas résilier le contrat et ne peut obtenir que des dommages‑intérêts. Les tribunaux s’intéressent donc aux conséquences de l’exécution défectueuse et à la nature du préjudice causé à la partie non fautive lorsque vient le temps de décider si la résiliation peut être demandée (Treitel, aux pp. 685 et 686; Waddams, aux pp. 394 à 396). Il ressort de l’arrêt Hongkong Fir Shipping Co. c. Kawasaki Kisen Kaisha Ltd., [1962] 2 Q.B. 26 (C.A.), que les tribunaux appliqueront ce type de critère d’inexécution substantielle pour déterminer si la résiliation peut être demandée dans des affaires où il est question de chartes‑parties comme celle qui est en cause.

32 Ce qu’il importe de souligner aux fins de la présente affaire, c’est que, dans le passé, les tribunaux ont établi une distinction entre l’exécution défectueuse en matière de contrats bilatéraux et la levée défectueuse d’options, qui ont généralement été qualifiées de contrats unilatéraux. Il peut être pertinent d’examiner brièvement les principes fondamentaux du droit des contrats.

33 Un contrat bilatéral est un contrat par lequel les deux parties souscrivent à des obligations au moyen d’un échange de promesses. En général, l’acceptation d’un contrat bilatéral a lieu lorsque le destinataire de l’offre communique sa contre‑promesse à l’offrant. En revanche, un contrat unilatéral est un contrat par lequel une partie fait une promesse en contrepartie de l’exécution ou de la non‑exécution d’un acte. Il n’y a aucune contre‑promesse d’exécuter ou de ne pas exécuter cet acte. Ainsi, un contrat unilatéral est un contrat par lequel une seule partie fait une promesse. Cette promesse prend la forme d’une offre qui ne peut être acceptée qu’au moyen de l’exécution ou de la non‑exécution de l’acte visé. Une telle exécution donne à l’autre partie une contrepartie lui permettant de faire exécuter la promesse originale (Treitel, aux pp. 35 et 36; Waddams, à la p. 111; United Dominions Trust (Commercial), Ltd. c. Eagle Aircraft Services, Ltd., [1968] 1 All E.R. 104 (C.A.)).

34 Comme nous l’avons vu, les tribunaux ont généralement qualifié les options de contrats unilatéraux. Dans Mitsui, précité, le juge Major a énuméré, aux pp. 200 et 201, les trois principales caractéristiques des options: (1) exclusivité et irrévocabilité de l’offre de vente à l’intérieur d’un délai précis, (2) spécification de la façon dont le contrat de vente peut être créé par le titulaire de l’option, et (3) obligation des parties de conclure un contrat de vente si l’option est levée. À la page 201, le juge Major cite, en les approuvant, les propos suivants de lord Diplock dans Sudbrook Trading Estate Ltd. c. Eggleton, [1983] 1 A.C. 444 (H.L.), aux pp. 476 et 477:

[TRADUCTION] La clause d’option ne saurait être qualifiée de simple «engagement à conclure un accord». Il ne reste aucune condition sur laquelle les parties doivent s’entendre. En langage moderne, elle doit être qualifiée de contrat unilatéral ou conditionnel. Bien qu’elle crée, dès le départ, pour les locataires un droit qu’ils pourront, sans y être obligés, opposer aux bailleurs à une date ultérieure, elle ne donne naissance à aucune obligation légale pour ni l’une ni l’autre des parties tant et aussi longtemps que les locataires n’avisent pas par écrit les bailleurs, dans le délai imparti, de leur désir d’acheter la réversion de propriétaire franc relative au bail. Cette notification change toutefois le contrat conditionnel en un contrat synallagmatique ou bilatéral qui crée des droits et des obligations juridiques réciproques entre les bailleurs et les locataires.

35 Dans Canadian Long Island Petroleums Ltd., précité, à la p. 732, le juge Martland affirme:

En d’autres mots, la nature d’une option d’achat est de donner à l’optant, après que l’option a été accordée, le privilège d’exiger qu’on lui transfère la propriété si certains faits, dont il a seul le contrôle, se produisent.

36 Il est donc clair qu’une option peut prendre la forme d’un contrat unilatéral. En accordant l’option, le donneur d’option promet d’en respecter les modalités si elle est levée par l’optant. Par contre, l’optant n’a aucune obligation correspondante de lever l’option. Cependant, pour lever l’option, l’optant n’aura qu’à remplir les conditions préalables requises.

37 Par opposition à la théorie de l’inexécution substantielle qu’ils ont appliquée aux contrats bilatéraux, les tribunaux ont eu tendance, dans le passé, à exiger que les conditions préalables à la levée d’options soient rigoureusement respectées pour que la responsabilité du donneur d’option soit engagée. Par exemple, dans Pierce, précité, un débiteur hypothécaire en défaut avait signé un acte de renonciation au terrain hypothéqué en faveur du créancier hypothécaire, qui en avait la possession à la suite de procédures de forclusion. Par lettre de l’avocat du créancier hypothécaire à celui du débiteur hypothécaire qui était jointe à l’acte de renonciation, le débiteur hypothécaire s’est vu conférer, pour une période de trois mois, le droit de racheter le terrain en payant le montant intégral de la créance hypothécaire. Notre Cour a conclu, aux pp. 250 et 251, que, même si l’option faisait partie de l’entente par laquelle le droit de rachat était abandonné, les parties avaient clairement exprimé la volonté que le créancier hypothécaire demeure en possession du terrain, libre du droit de rachat. Il est évident que l’option constituait un contrat unilatéral distinct et que les conditions préalables à sa levée devaient être rigoureusement respectées. Selon le juge en chef Duff (à la p. 252):

[traduction] Il est de jurisprudence constante que le demandeur qui réclame l’aide du tribunal pour obtenir l’exécution forcée d’une option d’achat d’un bien‑fonds doit démontrer qu’il a rigoureusement observé les modalités de l’option, et notamment les modalités relatives aux délais à respecter. Le propriétaire n’est nullement tenu de vendre tant que les conditions préalables ne sont pas remplies ou que, en raison de sa conduite, le titulaire de l’option n’est pas dispensé de les remplir rigoureusement pour un motif reconnu en equity . . . [Je souligne.]

38 De même, dans West Country Cleaners (Falmouth) Ltd. c. Saly, [1966] 1 W.L.R. 1485 (C.A.), le lord juge Danckwerts a souligné, à la p. 1489, que [traduction] «une option de cette nature est un privilège -- un droit qui a toujours été considéré sur le plan légal comme exigeant le respect complet des modalités selon lesquelles l’option doit être levée». Selon la cour, ce principe s’applique même si la condition est l’exécution d’une obligation prévue par une autre modalité du contrat dont l’option fait partie (aux pp. 1489 et 1490).

39 La raison apparente de l’inapplicabilité de la théorie de l’inexécution substantielle aux conditions préalables à la levée d’options est l’absence de promesses réciproques dans les contrats unilatéraux. Autrement dit, étant donné que l’optant n’a fait aucune contre‑promesse, le donneur d’option n’a aucun recours en cas d’exécution défectueuse, si ce n’est le refus de remplir sa promesse. L’impossibilité d’invoquer la théorie de l’inexécution substantielle ne repose donc pas sur une exigence de certitude (Treitel, à la p. 723). La conséquence ultime est que l’exécution défectueuse d’une condition préalable à la levée d’une option permettra au donneur d’option de refuser d’accepter la levée de l’option sans démontrer l’existence d’une inexécution substantielle. Par contre, si l’exécution en cause était une modalité expresse d’un contrat bilatéral, telle une charte‑partie, la théorie de l’inexécution substantielle s’appliquerait pour limiter le droit de résiliation de la partie non fautive. Ainsi, le droit actuel paraît empêcher la théorie de l’inexécution substantielle de remédier à l’exécution défectueuse de conditions préalables de contrats d’option, car il les qualifie automatiquement d’unilatéraux par nature.

40 On comprend donc pourquoi l’intimée invite notre Cour à conclure que l’option est un contrat distinct de la charte‑partie bilatérale sous‑jacente. Elle cherche à faire qualifier l’option de contrat unilatéral indépendant pour empêcher l’appelante d’invoquer l’argument qu’elle a exécuté le contrat de façon substantielle. Toutefois, bien qu’une option puisse être un contrat unilatéral, ce n’est pas toujours le cas. L’arrêt Pierce, précité, a été interprété comme établissant que toutes les options sont des contrats unilatéraux. Je ne suis pas de cet avis et j’ajouterais qu’il ne faut pas suivre la jurisprudence antérieure qui restreint ainsi l’interprétation des options. Le fait qu’une option puisse constituer un élément du contrat bilatéral dont elle fait partie plutôt qu’un contrat unilatéral indépendant est étayé par l’arrêt de notre Cour Monk Corp. c. Island Fertilizers Ltd., [1991] 1 R.C.S. 779, dans lequel il a été reconnu qu’un seul contrat peut contenir des modalités relatives à différents objets.

41 La question de savoir si un contrat comportant une clause d’option constitue un seul contrat bilatéral ou deux contrats distincts, l’un bilatéral et l’autre unilatéral, est une question d’interprétation. Les tribunaux doivent examiner le libellé du contrat et le contexte dans lequel il s’inscrit pour déterminer l’intention des parties, tout en ayant à l’esprit que notre Cour a déjà approuvé la tendance des tribunaux à considérer que les offres commandent une exécution bilatérale plutôt qu’unilatérale dans tous les cas où il est vraiment possible de donner une telle interprétation au contrat: Dawson c. Helicopter Exploration Co., [1955] R.C.S. 868, à la p. 874, le juge Rand.

42 En l’espèce, l’option et la charte‑partie qui la contient sont intimement liées. Par exemple, un examen de la question de la contrepartie révèle l’existence d’un tel lien. Une option qui n’a pas de contrepartie est considérée comme une simple offre. Dans un tel cas, l’offrant peut retirer l’option à tout moment avant l’acceptation, ce qui constitue un pouvoir qui va nettement à l’encontre de la nature même de l’option. Voir, par exemple, Annotation, «The Law of Options», [1930] 1 D.L.R. 1, à la p. 2; M. J. Cozzillio, «The Option Contract: Irrevocable Not Irrejectable» (1990), 39 Cath. U. L. Rev. 491; P. M. Perell, «Options, Rights of Repurchase and Rights of First Refusal as Contracts and as Interests in Land» (1991), 70 R. du B. can. 1, à la p. 3; V. Di Castri, The Law of Vendor and Purchaser (feuilles mobiles), vol. 1, aux pp. 6‑16.1 à 6-18. Dans son article, loc. cit., Cozzillio note que, dans le cas d’options faisant partie de contrats de location, les tribunaux américains étaient disposés à présumer que les loyers versés aux termes de tels contrats servent de contrepartie aux options qui y sont prévues (à la p. 509). Dans son ouvrage, op. cit., Di Castri fait remarquer que, à l’instar des tribunaux américains, les tribunaux canadiens sont eux aussi disposés à présumer que les loyers versés aux termes d’un contrat de location servent de contrepartie aux options qu’il contient (à la p. 6‑17). Dans son article plus récent, loc. cit., Perell confirme que cette pratique a cours au Canada (à la p. 4). En ce qui concerne la jurisprudence canadienne où il a été conclu que le versement des loyers prévus au contrat servent de contrepartie aux options prévues dans les contrats de location, voir notamment Daku c. Daku (1964), 49 W.W.R. 552 (C.A. Sask.); Friesen c. Bomok (1979), 95 D.L.R. (3d) 446 (B.R. Sask.); Nieckar c. Sliwa (1976), 67 D.L.R. (3d) 378 (B.R. Sask.); Nilsson c. Romaniuk (1984), 59 A.R. 39 (B.R.).

43 L’option en l’espèce requiert une contrepartie pour lier les deux parties, mais il est possible de présumer qu’elle est fondée sur la même contrepartie que le contrat de location sous‑jacent, soit les loyers à verser. De cette façon, il y a un lien spécial entre la charte‑partie et l’option dont il est question en l’espèce.

44 L’option et la charte‑partie sont également liées du fait qu’il est précisé que la levée de l’option dépend du respect des modalités de la charte‑partie. Il n’est pas toujours prévu que la levée d’une option dépend de l’exécution du contrat sous‑jacent. Dans Re Kennedy & Beaucage Mines Ltd., [1959] O.R. 625 (C.A.), une entente accordait à la partie défenderesse un bail d’un bien‑fonds d’une durée de 99 ans qui comprenait une option d’achat du bien‑fonds à tout moment pendant la durée du bail. Cette entente ne prévoyait pas expressément que la levée de l’option dépendrait du respect des stipulations du contrat sous‑jacent. Le donneur d’option a néanmoins intenté une action en vue d’obtenir un jugement déclarant que l’optant n’avait pas le droit de lever l’option, vu qu’il avait contrevenu aux stipulations du bail. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le bail et l’option étaient deux contrats distincts et indépendants, même s’ils faisaient partie du même document. L’une des raisons pour lesquelles la cour est parvenue à cette conclusion était qu’il n’était pas prévu que la levée de l’option dépendrait du respect des stipulations du bail sous-jacent.

45 La présente affaire comporte un autre lien important: l’option et la charte‑partie portent sur le même bien, soit le navire Challenge One. Dans Daku, le demandeur avait intenté une action en vue d’obtenir l’exécution en nature d’une option contenue dans un bail. L’entente accordait au demandeur un bail d’un bien‑fonds d’une durée de trois ans et une option d’achat de ce bien‑fonds. La Cour d’appel a accueilli l’appel à l’unanimité. Dans ses motifs concordants, le juge Brownridge a dit, à la p. 557: [traduction] «Il est vrai, bien entendu, qu’un bail et une option peuvent constituer deux ententes distinctes même s’ils font partie d’un seul document».

46 Cependant, le juge Brownridge a ensuite conclu que l’option et le bail n’étaient pas séparables selon les faits de l’affaire. Il a conclu que le document dans son ensemble devait être maintenu ou rejeté intégralement (à la p. 557). Ainsi, comme le bail était maintenu, l’option l’était elle aussi.

47 Par contre, dans l’affaire Davis c. Shaw (1910), 21 O.L.R. 474 (C. div.), un document contenait une convention d’achat‑vente d’une parcelle de terrain, de même qu’une option d’achat d’une autre parcelle de terrain. Dans cette affaire, le demandeur sollicitait l’exécution en nature de l’option en faisant valoir que la vente de la première parcelle de terrain constituait la contrepartie de l’option d’achat de la deuxième parcelle. La cour a rejeté cet argument. Selon elle, l’option d’achat de la deuxième parcelle de terrain n’était pas suffisamment liée à la vente de la première parcelle pour qu’elle puisse conclure que le prix de vente constituait également une contrepartie de l’option. La cour a donc conclu que les deux ententes (la vente et l’option) constituaient deux ententes indépendantes même si elles faisaient partie du même document.

48 L’incompatibilité apparente des arrêts Davis et Daku peut être aplanie par le fait que, dans un cas, le contrat sous‑jacent et l’option s’appliquaient à deux parcelles de terrain distinctes, alors que, dans l’autre cas, le contrat sous‑jacent et l’option s’appliquaient au même bien. Ainsi, dans l’arrêt Davis, où le contrat sous‑jacent et l’option s’appliquaient à deux parcelles de terrain distinctes, la cour a conclu à l’existence de deux contrats distincts quoique faisant partie du même document. Dans l’arrêt Daku, où le contrat sous‑jacent et l’option s’appliquaient au même bien, la cour a conclu à l’existence d’un seul contrat.

49 Compte tenu des faits de la présente affaire, je suis d’avis que le contrat de location et l’option constituent un seul contrat bilatéral. Ce seul et unique contrat contient de nombreuses modalités dont certaines ont trait au contrat de location, et d’autres, à l’option. L’option elle‑même constitue un élément de la contrepartie consentie par l’intimée à l’appelante en vertu de ce contrat bilatéral.

L’interprétation du contrat

50 Après avoir conclu que l’option en cause dans la présente affaire est une clause de la charte‑partie bilatérale, il faut ensuite décider si les parties ont expressément prévu l’exécution rigoureuse et à la lettre de l’ensemble ou d’une partie des modalités de ce contrat. Les tribunaux mettent généralement à exécution l’intention des parties en confirmant toute disposition contractuelle claire qui prévoit que le moindre défaut de respecter une modalité donnée justifiera la résiliation de tout le contrat par la partie non fautive (Waddams, op. cit., aux pp. 400 et 401; Treitel, op. cit., aux pp. 694 et 695; Lombard North Central Plc. c. Butterworth, [1987] Q.B. 527 (C.A.)). Si les parties n’ont rien prévu en ce sens, notre Cour devra appliquer la théorie de l’inexécution substantielle en raison de la nature bilatérale du contrat en l’espèce.

51 L’un des éléments d’exécution que les parties peuvent souhaiter voir interpréter strictement est le délai d’exécution. Dans United Scientific Holdings Ltd. c. Burnley Borough Council, [1978] A.C. 904, la Chambre des lords a établi la façon de traiter le délai d’exécution en common law et en equity. En common law, à l’époque des Judicature Acts, le respect des délais était généralement présumé constituer une condition essentielle de tous les contrats. Toutefois, comme les lords Diplock et Simon of Glaisdale le font remarquer dans United Scientific, aux pp. 927 et 928 et aux pp. 940 et 941 respectivement, même à cette époque, des exceptions à cette approche restrictive de common law étaient reconnues et établies. À la même époque, en equity, le respect des délais n’était pas généralement présumé constituer une condition essentielle. Dans Parkin c. Thorold (1852), 16 Beav. 59, 51 E.R. 698, le maître des rôles lord Romilly a souligné que [TRADUCTION] «le respect des délais n’est considéré comme une condition essentielle du contrat en equity que dans les cas de stipulation expresse ou de déduction nécessaire» (p. 65). De même, dans Stickney c. Keeble, [1915] A.C. 386 (H.L.), lord Parker of Waddington a dit, aux pp. 415 et 416:

[TRADUCTION] Lorsqu’en [equity] il était possible de le faire sans commettre d’injustice à l’égard des parties contractantes, l’exécution en nature était ordonnée malgré le défaut de respecter le délai fixé par le contrat pour la fin des travaux et, à titre d’accessoire de l’exécution en nature, la partie en défaut était exonérée par une restriction des recours fondés sur son défaut.

Il s’agit vraiment de la seule signification et de la seule conséquence de la maxime qui veut qu’en equity le délai fixé pour la fin des travaux n’est pas une condition essentielle du contrat; mais cette maxime n’a jamais été appliquée dans les cas où on ne pouvait passer outre au délai fixé sans créer d’injustice envers les parties, soit lorsque, par exemple, les parties avaient stipulé, pour des raisons qui leur étaient propres, que le délai fixé devait être essentiel ou lorsqu’un élément dans la nature des biens ou dans les faits en cause faisait en sorte qu’il ne serait pas équitable de considérer cette stipulation comme n’étant pas une modalité essentielle du contrat.

52 Dans United Scientific, précité, lord Diplock a réitéré ainsi, à la p. 927, la façon dont l’equity a abordé, par le passé, la question du respect du délai d’exécution:

[TRADUCTION] . . . en vertu des règles de l’equity, dans la mesure où la Cour de la chancellerie les avait établies, jusqu’en 1873, en tant que système distinct des règles de la common law, les stipulations des contrats relatives au délai dans lequel les parties devaient prendre certaines mesures n’étaient pas considérées comme des conditions essentielles du contrat, à moins que le libellé du contrat, la nature de son objet ou les circonstances l’entourant fassent en sorte qu’il serait inéquitable de ne pas considérer que le défaut d’une partie de se conformer à la lettre à la stipulation en cause dégageait l’autre partie de son devoir d’exécuter ses obligations en vertu du contrat. [Je souligne.]

53 En conséquence, à l’époque des Judicature Acts, il était présumé, en equity, que le respect des délais n’était pas une condition essentielle, sauf si les parties l’avaient expressément stipulé ou si la nature du bien ou des circonstances en cause permettait une telle présomption. Depuis l’adoption des Judicature Acts, la règle d’equity prévaut au Canada, de sorte qu’il n’existe aucune présomption générale que le respect des délais est une condition essentielle. Voir, par exemple, en Alberta, Judicature Act, R.S.A. 1980, ch. J‑1, art. 22; en Colombie‑Britannique, Law and Equity Act, R.S.B.C. 1996, ch. 253, art. 31; au Manitoba, Loi modifiant le droit commercial, C.P.L.M., ch. M120, art. 5; au Nouveau‑Brunswick, Loi sur l’organisation judiciaire, L.R.N.‑B. 1973, ch. J‑2, art. 32; à Terre‑Neuve, Judicature Act, R.S.N. 1990, ch. J‑4, art. 91; en Nouvelle‑Écosse, Judicature Act, R.S.N.S. 1989, ch. 240, par. 43(8); en Ontario, Loi modifiant le droit commercial, L.R.O. 1990, ch. M.10, art. 15; à l’Île‑du‑Prince‑Édouard, Supreme Court Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. S‑10, par. 29(2); en Saskatchewan, Queen’s Bench Act, R.S.S. 1978, ch. Q‑1, par. 45(6). De même, dans United Scientific, lord Simon a souligné, à la p. 940, [TRADUCTION] «qu’en droit anglais contemporain, le respect des délais n’est pas à première vue une condition essentielle du contrat». Voir Law of Property Act, 1925 (R.‑U.), 15 & 16 Geo. 5. ch. 20, art. 41.

54 Notre Cour doit donc partir de la présomption que le respect des délais n’est pas une condition essentielle du contrat en l’espèce. Cependant, en ayant à l’esprit que les parties à un contrat commercial sont libres de faire du respect des délais une condition essentielle de l’exécution de toute obligation contractuelle (United Scientific, à la p. 923; Scandinavian Trading Tanker Co AB c. Flota Petrolera Ecuatoriana — The Scaptrade, [1983] 2 All E.R. 763 (H.L.), à la p. 768), je dois vérifier si les parties en ont fait expressément une condition essentielle du présent contrat par l’insertion d’une clause de rigueur des délais. Même si elles ne l’ont pas fait, notre Cour peut toujours conclure que le respect des délais est une condition essentielle si la nature du bien en cause ou les circonstances de la présente affaire requièrent une telle interprétation.

L’article 30 est‑il une clause de rigueur des délais?

55 Notre Cour doit se référer aux termes mêmes utilisés par les parties à l’article 30, soit la clause d’option, pour déterminer si elles ont voulu faire expressément du respect des délais une condition essentielle. L’intimée soutient que, vu qu’il s’agit d’un contrat commercial conclu par deux parties égales, le libellé de l’article 30 doit recevoir une interprétation stricte. Elle fait également valoir que l’expression [traduction] «promptement et en conformité avec l’échéancier» fait du versement à temps des loyers une condition essentielle. En conséquence, suivant cet argument, le seul versement tardif de l’appelante, bien qu’il résulte d’une erreur de la banque et qu’il y ait rapidement été remédié par le paiement de la somme due et des intérêts courus, permet à l’intimée de mettre fin à l’option.

56 Avant de discuter de l’interprétation stricte préconisée par l’intimée, je tiens à souligner que des parties qui font du commerce devraient avoir une connaissance suffisante du droit applicable pour savoir qu’elles doivent utiliser des mots très précis pour exprimer leur intention de faire du respect des délais une condition essentielle d’un contrat. Cela va de soi, étant donné que l’inclusion d’une telle clause vise avant tout à établir, au sujet des conséquences d’un défaut d’exécution, une certitude que ne peut établir la théorie de l’inexécution substantielle. De plus, en raison de la possibilité réelle d’enrichissement sans cause, les tribunaux doivent être certains que les parties ont voulu permettre que tout manquement aux délais d’exécution, peu importe qu’il soit mineur ou non préjudiciable, soit suffisant pour justifier la résiliation de tout le contrat.

57 À mon avis, les mots utilisés à l’article 30 ne sont simplement pas assez précis pour convaincre notre Cour que les parties avaient l’intention de faire du versement à temps des loyers une condition essentielle du contrat. Le mot «promptement» n’ajoute rien aux mots «en conformité avec l’échéancier». Interprétés conjointement, ces mots exigent que les versements soient effectués à intervalles réguliers. On ne peut rien en déduire d’exceptionnel à l’égard des obligations des parties. Cette conclusion est étayée par l’admission de l’intimée, lors des plaidoiries, que les contrats utilisés dans ce secteur comprennent souvent l’expression [traduction] «le respect des délais est une condition essentielle» lorsque les parties ont, en fait, l’intention de subordonner l’exécution du contrat à une clause de rigueur des délais.

58 Le juge Binnie, dans des motifs distincts, attache une grande importance aux mots [traduction] «exécute toutes les obligations» de l’article 30. Il ressort d’un examen de l’utilisation de ces mots, non techniques semble-t-il, dans la jurisprudence qu’ils ont trait à l’obligation de faire tout ce que le contrat demande de faire, et non pas à la façon d’exécuter cette obligation; voir LeMesurier c. Andrus (1984), 31 R.P.R. 143 (H.C. Ont.), à la p. 168, infirmé pour d’autres motifs (1986), 54 O.R. (2d) 1 (C.A.). Ce point de vue est également préconisé aux États-Unis; voir, par exemple, Jacob & Youngs, Inc. c. Kent, 129 N.E. 889 (N.Y. 1921), à la p. 890 (le juge Cardozo). Dans Halsbury’s Laws of England, que cite le juge Binnie, on parle d’exécution «à la lettre» («exact» performance) au moment d’aborder la question examinée en l’espèce, mais on y affirme que même l’exécution à la lettre est atténuée par la théorie de l’inexécution substantielle dans des cas appropriés; voir Halsbury’s Laws of England (4e éd. 1998), vol. 9(1), au par. 921. Je suis donc d’avis de conclure que l’utilisation par les présentes parties des mots «exécute toutes les obligations» n’était pas suffisante pour changer leurs obligations, étant donné particulièrement que l’exécution à temps, qui est en cause en l’espèce, est généralement considérée comme une question distincte.

59 Même si on pouvait affirmer que les mots utilisés à l’article 30 sont suffisants pour faire du respect des délais une condition essentielle en matière de versements de loyer, le libellé de cet article pourrait seulement étayer une conclusion que le respect des délais est une condition essentielle en ce qui concerne l’article 10, étant donné qu’il parle de faire «les versements prévus promptement et en conformité avec l’échéancier de l’article 10 pendant toute la durée du contrat». L’intimée invite notre Cour à statuer que le renvoi à l’article 10 dans la clause d’option est une erreur typographique et qu’il aurait plutôt fallu y lire «l’article 11». La Cour d’appel fédérale paraît avoir examiné l’affaire en fonction de cette supposition, car en renvoyant à la clause d’option, elle a inséré la mention «[sic]» après les mots «article 10». Comme nous l’avons vu, aucune conclusion de cette nature n’a été tirée par le juge de première instance. Tant l’article 10 que l’article 11 établissent un échéancier. De plus, un renvoi à l’article 10 dans la clause d’option est plus compatible avec ce que les parties auraient raisonnablement voulu si elles s’étaient penchées sur cette question en signant la charte‑partie. En fait, il est plus logique, du point de vue commercial, que l’intimée insiste davantage pour qu’une somme totale de 85 000 $ lui soit versée chaque année, plutôt que pour que chaque versement mensuel soit fait la journée même où il est dû. En outre, il est peu probable que les parties aient pu vouloir que, des 35 versements à faire sur une période de cinq ans, un seul versement tardif ne résultant pas d’une faute de l’appelante et ayant été rapidement fait par la suite, avec les intérêts courus, annule l’option, vu l’importance qu’elle revêt à l’égard du contrat dans son ensemble.

60 Vu que la clause d’option renvoie expressément à l’article 10 et non pas à l’article 11, il est logique de conclure que les parties ont forcément voulu assujettir l’article 10 à une clause de rigueur des délais, à supposer que les mots utilisés dans cet article soient effectivement suffisants pour déduire l’existence d’une telle clause. Le juge de première instance a décidé à bon droit qu’il n’a pas été contrevenu à l’article 10 vu que l’appelante, en faisant un seul versement tardif, n’a pas manqué à l’exigence de cet article qu’elle paie la somme de 85 000 $ pour l’année pendant laquelle elle a fait un tel versement. Comme l’a conclu le juge de première instance, le versement tardif constituait tout au plus une contravention à l’article 11, qui établit la journée à laquelle chaque versement mensuel devait être effectué.

61 Ayant conclu que le libellé de l’article 30 ne révèle aucune intention expresse de la part de ces parties de faire du versement à temps des loyers une condition essentielle de la levée de l’option par l’appelante, notre Cour doit maintenant déterminer si la nature du bien en cause ou les circonstances de la présente affaire commandent une telle interprétation.

La rigueur des délais peut‑elle s’inférer du bien en cause ou des circonstances de la présente affaire?

62 Le respect des délais sera présumé constituer une condition essentielle si l’objet du contrat est l’acquisition de biens périssables ou de quelque chose dont la valeur est susceptible de fluctuer rapidement. Voir, par exemple, Lang c. Provincial Natural Gas and Fuel Co. of Ontario (1908), 17 O.L.R. 262 (Ch. D.); Sprague c. Booth (1908), 21 O.L.R. 637 (C.A.), conf. par [1909] A.C. 576 (C.P.); Hare c. Nicoll, [1966] 2 Q.B. 130 (C.A.); United Scientific, précité, à la p. 950. Dans de tels cas, si le vendeur omet de livrer la marchandise dans le délai prévu, l’acheteur peut subir un préjudice grave. Aucun préjudice potentiel de cette nature n’existe en l’espèce. Le bien en cause est un navire. Il n’est pas périssable. De plus, on ne saurait prétendre que sa valeur fluctuera beaucoup, comme par exemple celle d’actions d’entreprise. De toute façon, le défaut de l’appelante de respecter les délais n’est d’aucune façon liée à la livraison du navire. En effet, l’appelante n’a effectué qu’un seul versement en retard et a omis de livrer les journaux de bord de la façon requise. En conséquence, je ne puis conclure que la nature du bien en cause en l’espèce ferait en sorte qu’il serait inéquitable de présumer que le respect des délais n’était pas une condition essentielle à la levée de l’option.

63 Enfin, je dois vérifier si les circonstances entourant ce contrat feraient en sorte qu’il serait inéquitable de la part de notre Cour de présumer que le respect des délais n’était pas une condition essentielle à la levée de l’option.

64 L’intimée insiste beaucoup sur la nature commerciale du présent contrat. Toutefois, il n’existe aucune règle générale voulant que le respect des délais constitue une condition essentielle des contrats commerciaux (United Scientific, précité, aux pp. 924 et 950). En fait, dans United Scientific, lord Diplock a refusé de conclure que l’échéancier établi dans une clause de révision de loyer était une condition essentielle, dans une affaire où le contrat ne comportait aucune clause précise de rigueur des délais. Comme dans d’autres cas, la cour s’est demandé si le défaut d’exécution revêtait une importance capitale compte tenu du contexte contractuel (Treitel, op. cit., à la p. 715).

65 Même si, dans Scandinavian Trading Tanker Co AB, précité, à la p. 768, il était saisi d’une charte‑partie qui ne comportait aucune option, lord Diplock y a tenu des propos qui s’appliquent en l’espèce:

[traduction] Les parties légitimes à première vue à un contrat commercial qui négocient d’égal à égal peuvent subordonner l’exécution de toutes les obligations principales prévues au contrat qu’elles veulent [. . .] à une clause de rigueur des délais. Lorsque le respect d’un délai est une condition essentielle d’une obligation principale, le défaut d’une partie d’exécuter l’obligation ponctuellement équivaut au non‑accomplissement d’une condition du contrat qui autorise l’autre partie à choisir de traiter le non‑accomplissement comme une extinction de toutes les obligations principales prévues au contrat qui n’ont pas déjà été exécutées.

66 Vu que les parties qui font du commerce sont libres de faire ou de ne pas faire du respect des délais une condition essentielle, cela confirme qu’il n’y a pas de règle générale voulant que le respect des délais soit une condition essentielle de tous les contrats commerciaux. En réalité, suivant une telle règle, la question fondamentale qui se poserait au sujet de la possibilité de résiliation serait de savoir si un contrat donné peut ou non être qualifié de «commercial». L’intention véritable des parties et les exigences du contexte contractuel perdraient toute pertinence. Les problèmes que causerait l’établissement d’une distinction fondée sur ce motif artificiel sont évidents; voir Treitel, à la p. 742.

67 L’intimée a également invité notre Cour à présumer que le respect des délais est une condition essentielle en l’espèce car il concerne la levée d’une option d’achat. Selon cet argument, le respect des délais est toujours une condition essentielle en matière de levée d’options. Voir, par exemple, Krause c. Bain Bros. Alta. Ltd. (1972), 29 D.L.R. (3d) 500 (C.S. 1re inst. Alb.); United Scientific, précité; P. M. Perell, «Putting Together the Puzzle of Time of the Essence» (1990), 69 R. du B. can. 417, à la p. 425; Di Castri, op. cit., à la p. 6‑12.

68 Je suis en désaccord avec l’affirmation que le respect des délais est toujours une condition essentielle des contrats d’option. La jurisprudence en matière d’option montre que les tribunaux n’ont pas adopté une approche aussi restrictive à l’égard du délai d’exécution. La théorie de la contravention périmée est un exemple de la souplesse des tribunaux relativement à l’exécution dans le cadre d’options. Cette théorie atténue la rigueur de la règle d’exécution stricte dans le cas des options en empêchant que l’exécution défectueuse des conditions préalables, à laquelle il a été remédié au moment où l’on se propose de lever l’option, annule cette dernière. Par exemple, dans Bass Holdings Ltd. c. Morton Music Ltd., [1987] 2 W.L.R. 397 (Ch. D.), un bail comportait une option de renouvellement sujette à la condition que le locataire ne contrevienne à aucun des engagements qu’il avait pris dans le contrat. À un moment donné, le locataire a contrevenu à cette condition en ne payant pas son loyer à temps. Cependant, il avait déjà remédié à cette contravention au moment où il cherchait à lever l’option. Dans son interprétation du contrat, la cour a conclu que de telles contraventions «périmées» n’empêchent pas la levée de l’option. Une certaine confusion peut résulter des termes utilisés en l’espèce. En réalité, cette théorie prévoit simplement que la clause d’option est interprétée comme signifiant que les conditions préalables sont remplies pourvu que les stipulations comportant obligation de faire du contrat sous-jacent aient été respectées au moment de la levée de l’option. Il n’y a donc aucune contravention même si des paiements ont été faits en retard. Il est possible de remédier à un paiement tardif du fait que cette possibilité ressort implicitement de l’interprétation de la clause d’option.

69 La théorie de la contravention périmée a également été reconnue par des cours d’appel canadiennes. Dans Birchmont Furniture Ltd. c. Loewen (1978), 84 D.L.R. (3d) 599 (C.A. Man.), un bail conférait une option d’achat [traduction] «à la condition que la locataire respecte chacune des clauses expresses ou implicites du bail» (p. 599). La locataire avait manqué à certains engagements prévus au bail, mais avait déjà remédié à la situation au moment de lever l’option. La Cour d’appel du Manitoba, sous la plume du juge Hall, a confirmé l’interprétation de la clause d’option donnée par le juge de première instance et a permis à la locataire de lever l’option parce qu’elle avait déjà remédié à l’exécution défectueuse du bail avant de la lever. Voir également Petrillo c. Nelson (1980), 114 D.L.R. (3d) 273 (C.A. Ont.).

70 Il ressort de mon examen de la théorie de la contravention périmée que les tribunaux n’ont pas présumé que le respect des délais est toujours une condition essentielle en matière d’options. L’argument de l’intimée voulant que le respect des délais soit nécessairement une condition essentielle en l’espèce du seul fait qu’une option est en cause doit donc échouer.

71 Aucune autre circonstance de la présente affaire n’étaye une présomption que les parties auraient voulu faire du moment où serait effectué chacun des 35 versements une condition essentielle, si elles s’étaient penchées sur cette question en signant la charte‑partie. Il m’apparaîtrait incroyable que les parties aient pu vouloir qu’un seul versement tardif sur les 35 versements effectués au cours d’une période de cinq ans, alors que l’appelante n’était pas responsable du retard et qu’elle y a rapidement remédié tout en payant les intérêts, lui fasse perdre l’option en cause, compte tenu de son importance relativement au contrat dans son ensemble. Cette conclusion est renforcée par le fait que l’intimée n’a pas insisté pour que le mode de paiement prévu à l’article 11 soit respecté à la lettre, une question qui fera l’objet d’une analyse plus complète plus loin.

72 Vu que la présomption que le respect des délais n’est pas une condition essentielle n’a pas été réfutée en l’espèce, la nature bilatérale du contrat oblige notre Cour à appliquer la théorie de l’inexécution substantielle.

Application de la théorie de l’inexécution substantielle

1. Contravention à l’article 25

73 En l’espèce, le juge de première instance a conclu qu’il y avait eu manquement minime à l’article 25 de la charte‑partie, notamment à l’obligation de fournir les journaux de bord. Je partage cette opinion, mais je souligne que cela ne doit pas être interprété comme une application du principe de minimis non curat lex. Néanmoins, vu que l’application de ce principe a fait l’objet d’un certain désaccord au sein des tribunaux d’instance inférieure, je profite de l’occasion pour l’aborder brièvement.

74 Le juge de première instance était d’avis que, après avoir constaté une divergence mineure d’exécution par rapport à ce qui était prévu expressément au contrat, un tribunal peut appliquer le principe de minimis afin d’empêcher que cette divergence soit considérée comme une contravention. Pour les fins de l’application de ce principe, il n’a fait aucune distinction entre les contrats unilatéraux et les contrats bilatéraux. Par contre, la Cour d’appel fédérale a estimé que le principe de minimis n’est qu’une règle d’interprétation des contrats utilisée pour déterminer si une contravention a eu lieu. Selon le juge Décary, ce principe ne peut s’appliquer que pour empêcher de conclure à l’existence d’une contravention du fait que les parties se sont entendues implicitement pour qu’une exécution substantielle soit considérée comme une exécution rigoureuse. Il a jugé que ce principe ne pouvait pas servir à qualifier de minime une contravention. En conséquence, le juge Décary a décidé qu’après avoir constaté l’existence d’une contravention le juge de première instance ne pouvait plus s’appuyer sur le principe de minimis pour conclure que la contravention était si négligeable qu’elle n’en constituait pas une. Toutefois, à l’instar du juge de première instance, le juge Décary ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si l’application du principe de minimis varierait selon que l’affaire porte sur un contrat unilatéral ou bilatéral.

75 Bien que peu de précédents portent expressément sur la façon d’appliquer le principe de minimis, il ressort de la jurisprudence existante que l’approche adoptée par le juge de première instance est correcte, pourvu qu’il soit précisé qu’une conclusion de manquement mineur signifie qu’il n’y a eu aucune contravention fondamentale justifiant la résiliation, et non pas qu’il n’y a eu aucune contravention donnant lieu à une action en dommages‑intérêts. Par exemple, dans l’arrêt Runnymede Iron & Steel Ltd. c. Rossen Engineering and Construction Co., [1962] R.C.S. 26, notre Cour s’est penchée sur l’exécution défectueuse d’un contrat de vente. Dans le contrat, l’intimée avait convenu de vendre et de livrer des rails en acier à l’appelante. Environ 20 à 25 pour 100 des rails livrés étaient défectueux. L’appelante a demandé la résiliation de tout le contrat. Aux fins du présent pourvoi, l’élément important de cette affaire est l’ordonnance dans laquelle notre Cour s’est prononcée sur la rupture du contrat. La Cour a d’abord conclu que l’intimée avait rompu le contrat en fournissant des biens entachés d’un vice. Ce n’est qu’à ce moment que notre Cour a affirmé que le principe de minimis ne pouvait pas s’appliquer étant donné qu’au moins 20 pour 100 des biens étaient entachés d’un vice. Cet arrêt appuie donc l’approche adoptée par le juge de première instance, à savoir qu’un tribunal doit d’abord constater une divergence par rapport à l’exécution prescrite au contrat pour ensuite déterminer si cette divergence est minime.

76 Dans Gillespie c. Wells (1912), 2 D.L.R. 519 (B.R. Man.), la demanderesse et le défendeur ont conclu un contrat de vente de terrain. Le défendeur a accepté de vendre son terrain à la demanderesse en contrepartie d’une promesse de cette dernière d’effectuer certains paiements pendant une période précise. Le défendeur a refusé de céder le terrain pour le motif que la demanderesse n’avait pas rempli complètement une condition préalable, soit le paiement intégral du montant dû selon l’échéancier prévu. La demanderesse a intenté une action visant à obtenir l’exécution en nature du contrat. La cour a décidé que l’exécution à laquelle avait procédé la demanderesse divergeait effectivement de celle requise par le contrat parce qu’il manquait 2,20 $ à son paiement final. La cour a néanmoins ordonné l’exécution en nature du contrat en appliquant le principe de minimis au léger défaut d’exécution de la demanderesse. Ainsi, c’est seulement après avoir constaté une divergence d’exécution que la cour a appliqué le principe de minimis. Nulle part dans le jugement la cour n’a laissé entendre que le principe de minimis l’empêchait de conclure à une contravention au départ. Le principe a simplement été utilisé pour qualifier de minime la contravention.

77 Quoique je partage l’opinion du juge de première instance sur la façon d’appliquer le principe de minimis, je ne suis pas d’accord pour dire qu’il y a lieu de l’appliquer en l’espèce. Je laisse le soin de déterminer la question de la portée du principe de minimis et plus particulièrement celle de savoir s’il s’applique aux contrats unilatéraux, dans un cas où il conviendra de le faire.

78 Au lieu de renvoyer au principe de minimis en interprétant l’article 25, le juge de première instance aurait dû interpréter cet article en fonction du par. 261(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S‑9, dont voici le libellé:

261. (1) Un journal de bord réglementaire doit être tenu, dans la forme appropriée pour ce navire et approuvée par le ministre, sur tout navire au long cours et tout navire de cabotage dont la jauge au registre est de cinquante tonneaux ou plus et qui est immatriculé au Canada.

79 Selon la charte‑partie, le Challenge One est un navire de cabotage au sens du par. 261(1). Il est décrit comme un navire d’environ 56,5 tonnes qui doit relier Harbour Deep à Jackson’s Arm White Bay, à Terre‑Neuve. En conséquence, l’art. 261 exige que les journaux de bord du Challenge One demeurent à son bord. En outre, l’article 25 ne mentionne ni le retrait des journaux de bord du navire, ni la préparation de copies de ces journaux. Il ne renvoie qu’aux journaux de bord eux‑mêmes. L’exigence de l’article 25 que l’appelante remette les journaux de bord à l’intimée à la demande de celle‑ci aurait donc dû être interprétée comme une exigence que les journaux de bord soient mis à la disposition de l’intimée à bord du navire. Je souligne cependant que le juge Nadon a probablement présumé que l’article 25 obligeait simplement l’appelante à remettre des copies des journaux de bord à l’intimée, car il connaissait l’exigence de la loi que les journaux de bord demeurent à bord du navire.

80 Vu les circonstances de la présente affaire, je suis d’avis de ne pas modifier la conclusion du juge de première instance que l’article 25 a été substantiellement respecté. Comme nous l’avons vu, la Cour d’appel ne s’est pas prononcée sur cet article.

2. Contravention à l’article 11

81 L’article 11 de la charte‑partie prévoit expressément que l’appelante doit faire les versements mensuels «en espèces et en devises canadiennes sous forme de virement bancaire ou de chèques certifiés». Pourtant, les parties avaient convenu que l’appelante remettrait sept chèques postdatés non certifiés à l’intimée au début de chaque saison d’exploitation. L’adoption de cet autre mode de paiement montre que l’intimée n’insistait pas pour que le mode de paiement établi à l’article 11 soit rigoureusement respecté. Il s’ensuit que l’intimée ne saurait désormais insister pour que l’article 11 soit rigoureusement appliqué. Dans A/S Tankexpress c. Compagnie Financière Belge Des Pétroles S/A (1948), 82 Lloyd’s L.R. 43 (H.L.), une charte‑partie donnait au propriétaire le droit de reprendre le navire si l’affréteur ne le payait pas [traduction] «[e]n espèces, chaque mois, à l’avance, à Londres». Cependant, les parties avaient adopté et accepté de concert une façon de procéder selon laquelle l’affréteur paierait le propriétaire au moyen de chèques expédiés par courrier. Ainsi, à l’instar de l’intimée en l’espèce, le propriétaire n’avait pas insisté pour que la méthode de paiement prévue dans l’entente soit rigoureusement respectée. Dans Tankexpress, l’affréteur avait effectué tous les versements conformément à la méthode adoptée par les parties mais, à une seule occasion, le chèque était arrivé en retard en raison de la guerre qui sévissait. La Chambre des lords a conclu à l’unanimité que le propriétaire n’avait pas le droit de reprendre le navire étant donné que l’affréteur avait fait le versement conformément à la méthode adoptée par les parties. Lord Uthwatt a dit, à la p. 57:

[traduction] Je ne vois pas comment cette entente particulière prévoit implicitement que les affréteurs courent le risque que le mécanisme convenu, qu’ils sont tenus d’observer, fasse défaut à une occasion en particulier.

. . . les affréteurs, ayant respecté l’entente conclue relativement à la méthode acceptée de paiement, n’ont pas violé le contrat.

82 Lord Du Parcq (lord Morton souscrivant à ses motifs) a dit, aux pp. 58 et 59:

[traduction] Je conclus donc que si les affréteurs, au moment où le versement est devenu exigible en septembre 1939, ont effectivement agi conformément à la «méthode acceptée», les propriétaires n’avaient pas le droit, pour le motif que le paiement leur était parvenu en retard même si les affréteurs n’avaient commis aucune faute, de se prévaloir de la réparation prévue seulement en cas «de défaut» du paiement stipulé au contrat.

. . .

Quelle que soit la forme de transmission adoptée, il existe une possibilité, même légère, de retard. Si une partie choisit de s’en remettre au service postal ou au messager de son choix, elle est responsable du retard de son mandataire; cependant, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, les deux parties ont convenu qu’un chèque sera envoyé par des moyens convenables et habituellement expéditifs et que le chèque est effectivement acheminé ainsi, le créancier doit courir, au même titre que le débiteur, le risque que le chèque arrive en retard. Il me semble inutile de prétendre que l’acceptation, par les propriétaires, de la méthode de paiement était assujettie à la condition, inexprimée mais implicite, que si le chèque n’arrivait pas à Londres le 27 septembre, les affréteurs, même s’ils n’étaient pas responsables du retard, seraient réputés avoir fait défaut et courraient donc le risque de perdre un contrat de grande valeur. Si une telle condition avait été expressément mentionnée, les affréteurs auraient fort bien pu croire qu’on leur demandait non pas de se conformer à une entente commerciale raisonnable, mais plutôt de se laisser prendre au piège.

83 Dans l’affaire Zim Israel Navigation Co. c. Effy Shipping Corp. — The «Effy», [1972] 1 Lloyd’s Rep. 18 (Q.B. Com. Ct.), la cour a appliqué le raisonnement de Tankexpress. Dans l’affaire The «Effy», une charte‑partie accordait au propriétaire le droit de reprendre le navire si l’affréteur omettait d’effectuer à l’avance des versements mensuels en espèces. Les parties avaient adopté et accepté de concert la façon de procéder suivant laquelle l’affréteur paierait en demandant à sa banque israélienne de transférer des fonds à la banque du propriétaire, à Londres, par l’entremise d’une banque américaine. Ainsi, comme dans l’affaire Tankexpress, précitée, le propriétaire n’avait pas insisté pour que le mode de paiement énoncé au contrat soit rigoureusement respecté. À une occasion, l’affréteur a demandé à sa banque de transférer les fonds pour qu’un crédit soit porté en temps utile au compte du propriétaire. Cependant, en raison d’une erreur de la banque, le transfert a été effectué en retard. La cour a conclu que l’affaire ne pouvait pas être distinguée de l’affaire Tankexpress.

84 De même, je suis d’avis que les faits entourant l’application de l’article 11 en l’espèce ne peuvent pas être distingués de ceux de Tankexpress. Là encore, je renvoie aux motifs exposés par lord Du Parcq dans cette affaire, à la p. 59:

[traduction] Un chèque risque toujours de se perdre pendant qu’il est en cours de compensation, surtout lorsqu’il doit franchir l’océan et, étant donné que tous les êtres humains, même les banques, sont susceptibles de commettre des erreurs, il se peut qu’à la suite d’une bévue quelconque le chèque ne soit pas honoré, même si des fonds sont disponibles pour le faire. Quoi qu’il advienne, il ne fait aucun doute que les affréteurs seraient toujours tenus de payer les frais d’affrètement applicables, mais dans l’un et l’autre cas, le retard du paiement ne justifierait pas l’annulation du contrat. [. . .] Le risque de courrier en retard n’était guère plus élevé que le risque de compensation tardive du chèque. Il n’est pas étonnant que les propriétaires doivent accepter ces risques. [Je souligne.]

85 L’acceptation par l’intimée du mode de paiement par chèques postdatés non certifiés est incompatible avec le fait qu’elle insiste maintenant pour que soit rigoureusement respectée l’exigence de l’article 11 que l’appelante la paye seulement en espèces ou par chèques certifiés, à une date déterminée. Les versements de loyer ont été faits conformément à une entente modifiée plutôt que selon les modalités strictes de l’article 11. Le mode de paiement modifié accepté par les parties comportait un risque de compensation tardive des chèques. En fait, un tel retard s’est produit en raison d’une erreur commise par un employé de banque. L’intimée doit assumer les conséquences de ce risque au même titre que l’appelante, car ce dernier s’est matérialisé à la suite d’une modification, acceptée par les deux parties, des modalités strictes de l’entente. L’intimée ne saurait désormais insister pour que la clause d’option, qui a assujetti la levée de l’option à l’exécution des modalités écrites de la charte‑partie, soit rigoureusement appliquée au versement tardif que l’appelante a fait en vertu de l’entente modifiée.

86 Dans Tankexpress, on a beaucoup insisté sur deux faits: il y avait suffisamment de fonds dans le compte pour couvrir le chèque à la date d’échéance, et l’affréteur n’avait aucune raison de s’attendre à ce que ces fonds tardent à parvenir au propriétaire. De même, en l’espèce, l’appelante avait suffisamment de fonds dans son compte pour couvrir son chèque, et elle n’avait aucune raison de s’attendre à ce qu’une erreur bancaire puisse retarder le versement de ces fonds à l’intimée. L’appelante a toujours eu l’intention de payer à temps et elle a pris toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle prenne, compte tenu de l’entente de paiement modifiée intervenue entre les parties. Qui plus est, après avoir été avisée par l’intimée que son chèque avait été refusé, l’appelante s’est empressée de verser à l’intimée la somme qu’elle lui devait, en plus des intérêts courus, conformément aux directives de celle‑ci. L’appelante a également fait à temps tous les versements qu’il lui restait à faire en vertu de la charte‑partie. Dans ces circonstances, je suis d’avis de conclure que l’appelante a exécuté substantiellement les obligations modifiées qui lui incombaient en vertu de l’article 11.

Conclusion

87 J’en suis venu à la conclusion que l’appelante a substantiellement exécuté les obligations qui lui incombaient en vertu de la charte‑partie. Il n’a pas été demandé au juge de première instance d’examiner l’application possible de recours contre la déchéance d’un droit, l’abstention de l’exercer et la préclusion promissoire. Je n’aborderai donc pas ces recours. Comme nous venons de le voir, l’intimée n’a, en l’espèce, aucun droit d’annuler l’option d’achat du navire par l’appelante. Cela est conforme à l’intention véritable de ces parties, qui ressort de l’ensemble des circonstances, ainsi qu’aux principes applicables. L’intimée a retiré un avantage important de l’exécution défectueuse de l’appelante, avantage qu’elle n’est pas en mesure de restituer. De plus, il n’y a aucune mesure entre l’effet de l’exécution défectueuse de l’appelante sur l’intimée et l’avantage que l’appelante perdra s’il est permis à l’intimée d’annuler l’option. L’exécution défectueuse n’a créé aucune incertitude car l’intimée n’avait aucune raison de croire qu’un seul paiement tardif, dû à l’erreur d’une banque plutôt qu’à la faute de l’appelante, aurait pour effet de remettre en cause les futurs versements de loyer. En l’espèce, notre Cour doit avoir un souci d’équité. Il ressort des faits de la présente affaire que l’intimée n’a tout simplement pas été privée de ce qu’elle avait négocié.

Dispositif

88 Le pourvoi a été accueilli avec dépens dans toutes les cours dans une décision rendue à l’audience du 9 octobre 1998.

Version française des motifs rendus par

//Le juge Binnie//

89 Le juge Binnie -- À l’instar de mes collègues, j’estime que le présent pourvoi doit être accueilli. En toute déférence, cependant, je n’invoque pas la théorie de l’exécution substantielle. Comme le juge Bastarache l’explique clairement dans ses motifs (aux par. 25 et 50), la question de savoir si une clause contractuelle est respectée par l’exécution substantielle, ou si l’exécution stricte (ou encore «complète» ou «à la lettre») est requise, est une question d’interprétation. Tout dépend de l’intention des parties qui est exprimée (en l’espèce) dans la charte-partie. La règle est énoncée de façon concise dans Halsbury’s Laws of England (4e éd. 1998), vol. 9(1), au par. 924: [traduction] «On a dit que, dans chaque cas, il s’agit de savoir si les parties ont voulu que cette théorie [de l’exécution substantielle] s’applique ou qu’il y ait exécution complète et à la lettre». En l’espèce, les parties contractantes ont stipulé que l’exécution de «toutes les obligations» serait une condition préalable à la levée de l’option:

[traduction]

Option d’achat

30. À la condition qu’il exécute toutes les obligations que la présente charte‑partie met à sa charge, et notamment qu’il fasse les versements prévus promptement et en conformité avec l’échéancier de l’article 10 pendant toute la durée du contrat, l’affréteur a l’option d’acheter le navire . . . [Je souligne.]

90 Les tribunaux devraient respecter la stipulation que l’option d’achat du Challenge One par l’appelante était assujettie «[à] la condition qu’[elle] exécute toutes les obligations que la présente charte-partie met à sa charge» (je souligne). Les mots «toutes les obligations» visent tout ce que prescrit le contrat, et les mots «exécute toutes les obligations» doivent donc viser le caractère suffisant de l’exécution de chacune d’elles. Si les parties contractantes avaient délibérément cherché à exclure la théorie de l’exécution substantielle de leur entente contractuelle, j’ignore quels mots elles auraient pu utiliser pour rendre leur intention plus claire. L’exécution substantielle est moindre que l’exécution de toutes les obligations, selon le sens ordinaire de ces mots.

91 Les parties ont précisé que toutes les obligations devraient être exécutées pour une bonne raison. Tant que l’option serait en vigueur, les propriétaires du navire ne pourraient le vendre à personne d’autre que l’affréteur, encore est-il que ce dernier n’avait aucune obligation réciproque de l’acheter, sauf si l’option était levée. Comme lord Diplock l’a précisé dans United Scientific Holdings Ltd. c. Burnley Borough Council, [1978] A.C. 904 (H.L.), à la p. 929, [traduction] «le donneur [de l’option] doit connaître avec certitude le moment où [l’incapacité de vendre le navire] prend fin». Je crois que c’est la raison d’être commerciale de l’interprétation stricte des options, approuvée par le juge en chef Duff dans Pierce c. Empey, [1939] R.C.S. 247, à la p. 252. Mon collègue laisse entendre que l’arrêt Pierce peut s’expliquer par le fait que l’option, dans cette affaire, pouvait être qualifiée de contrat unilatéral. Toutefois, une option est une obligation unilatérale, peu importe qu’elle figure dans un contrat unilatéral ou dans un contrat bilatéral: United Dominions Trust (Commercial), Ltd. c. Eagle Aircraft Services, Ltd., [1968] 1 All E.R. 104 (C.A.), le lord juge Diplock, à la p. 110:

[traduction] Bien que, pour simplifier l’analyse des différences pertinentes sur le plan de la nature juridique, j’aie parlé de contrats synallagmatiques [c.-à.-d., bilatéraux ou multilatéraux] et unilatéraux ou «conditionnels», il serait plus exact de parler d’obligations synallagmatiques et unilatérales, car ces deux catégories différentes d’obligations figurent souvent dans une seule entente, comme dans le cas d’un bail assorti d’une option de renouvellement. [En italique dans l’original; je souligne.]

C’est la nature unilatérale de l’obligation plutôt que la nature du contrat qui est la clé de l’interprétation stricte des options. Il n’est pas sans importance, en l’espèce, que les parties aient stipulé l’exécution de «toutes les obligations» relativement à la levée de l’option (c’est-à-dire en incluant cette stipulation dans la clause d’option même) plutôt que relativement à leur contrat en général. Les parties ont, de ce fait, précisé que peu importe les conséquences que l’exécution défectueuse des clauses en question pourrait avoir sur l’affrètement en cours du navire, ces clauses devraient être exécutées intégralement pour que l’option continue d’empêcher les propriétaires du navire de le vendre à des tiers.

92 Il y a de bonnes raisons de principe d’appuyer le point de vue adopté par le juge en chef Duff dans Pierce, et de respecter la décision des parties en l’espèce d’exiger l’exécution «de toutes les obligations» relativement à la levée de l’option. Les propriétaires ont besoin, sur le plan commercial, de connaître la situation dans laquelle ils se trouvent à cet égard, comme l’a souligné lord Diplock. Déterminer ce qui constitue l’exécution de «toutes les obligations» ne se fait pas sans difficulté, mais tenter de prédire ce qu’un tribunal considérera comme l’exécution «substantielle» d’une condition préalable, selon les faits d’une affaire particulière, augmente inutilement l’incertitude sur le plan commercial. Je conviens avec mes collègues que, dans certains contrats, il est possible de considérer que les parties ont accepté que les conditions préalables de l’option soient régies par le critère plus souple de l’exécution «substantielle». Elles ne l’ont pas fait en l’espèce.

93 Malgré ma divergence d’opinion quant à la bonne façon d’interpréter le contrat, je conviens que le pourvoi doit être accueilli. Quand les modalités de la charte‑partie, correctement interprétées, sont appliquées aux faits constatés par le juge de première instance, j’estime que les exigences formulées par le juge en chef Duff dans l’arrêt Pierce sont respectées, savoir que les conditions préalables à la levée de l’option ont été remplies ou que le [traduction] «titulaire de l’option [est] dispensé de les remplir rigoureusement pour un motif reconnu en equity» (p. 252).

94 Bien que, comme nous l’avons vu, j’accepte les conclusions de fait du juge de première instance, son interprétation des obligations légales créées par la charte-partie soulève des questions de droit ou des questions mixtes de droit et de fait qui peuvent être examinées, à juste titre, par notre Cour (voir: Dominion Grange Mutual Fire Insurance Association c. Bradt (1895), 25 R.C.S. 154, à la p. 161; Regina Industries Ltd. c. City of Regina, [1947] R.C.S. 345, à la p. 354). Je partage l’avis de mon collègue, pour les motifs qu’il expose au par. 59, que les tribunaux d’instance inférieure n’avaient pas le droit de récrire l’option de manière à ce qu’elle renvoie à l’article 11 plutôt qu’à l’article 10. Toutes les obligations prévues à l’article 10 ont été exécutées. Quoi qu’il en soit, les propriétaires n’étaient pas admis à invoquer l’inobservation de l’article 11, parce qu’ils avaient souscrit à une autre entente de paiement qui comportait nettement le genre même de risque d’erreur bancaire qui s’est effectivement matérialisé. La possibilité d’une telle préclusion a été expressément envisagée dans l’arrêt Pierce, précité. Enfin, en ce qui concerne l’article 25, les tribunaux d’instance inférieure ont eu tort de considérer qu’un article qui ne contenait aucune disposition en ce sens imposait l’obligation de fournir des copies des journaux de bord. Les journaux de bord étaient tenus à bord du navire conformément à l’art. 261 de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S‑9, et ils auraient été «remis» aux propriétaires à cet endroit si ces derniers s’y étaient présentés.

95 Suivant une interprétation correcte de la charte-partie, les conditions préalables à la levée de l’option étaient donc «toutes» remplies (ou, dans le cas des ententes bancaires, les propriétaires n’étaient pas admis à affirmer le contraire), et je souscris ainsi à la conclusion de mes collègues que les affréteurs avaient le droit de lever l’option. Par conséquent, le pourvoi doit être accueilli.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureur de l’appelante: Elizabeth M. Heneghan, St. John’s.

Procureur des intimés: Étude légale Alain R. Pilotte, Montréal.


Synthèse
Référence neutre : [1999] 1 R.C.S. 265 ?
Date de la décision : 04/02/1999
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Contrats - Option d’achat - Conditions préalables - Exécution substantielle - Charte-partie contenant une option d’achat d’un navire à l’expiration d’un bail - Option assujettie à l’exécution de toutes les obligations imposées par la charte‑partie -- Versement tardif d’un loyer résultant de l’erreur d’une banque - La théorie de l’exécution substantielle s’applique-t-elle? - L’option d’achat est-elle toujours valide?.

L’appelante a conclu une charte-partie avec l’intimée Navimar afin d’affréter un navire pendant cinq ans. L’article 30 de la charte‑partie accordait à l’appelante l’option d’acheter le navire à l’expiration de la période de cinq ans, à la condition qu’elle «exécute toutes les obligations que la [. . .] charte‑partie met à sa charge, et notamment qu’[elle] fasse les versements prévus promptement et en conformité avec l’échéancier de l’article 10 pendant toute la durée du contrat». L’article 10 prescrivait le loyer annuel d’affrètement, tandis que l’article 11 établissait un échéancier selon lequel ce loyer serait payable en sept mensualités chaque année. Les parties ont convenu que l’appelante remettrait à l’intimée sept chèques postdatés non certifiés au début de chaque saison d’exploitation. Les chèques n’ont posé aucun problème pendant les quatre premières années, mais le chèque couvrant le premier versement de la cinquième année a été refusé pour provision insuffisante. Le juge de première instance a conclu que le refus de la banque d’honorer le chèque de l’appelante était dû à une erreur de la part d’un employé de la banque. L’intimée a fait parvenir à l’appelante une lettre l’informant que l’option d’achat était devenue nulle et sans effet en raison de l’omission de cette dernière d’effectuer le versement requis. Dans cette même lettre, l’intimée donnait aussi des directives à l’appelante sur la façon dont celle‑ci pourrait remédier à son versement tardif. L’appelante s’est alors empressée de faire le versement et de payer les intérêts courus, conformément aux directives de l’intimée. Tous les versements ultérieurs ont été faits à temps. En vertu de l’article 25 de la charte‑partie, l’appelante devait fournir à l’intimée, à la demande de celle-ci, les journaux de bord du pont et de la salle des machines. L’intimée a présenté une telle demande après le versement tardif de l’appelante; elle a soutenu en première instance que l’appelante avait contrevenu à l’article 25 en omettant de lui fournir toutes les copies demandées des journaux de bord. À l’expiration du bail de cinq ans, l’appelante a avisé l’intimée de son intention de lever l’option d’achat et elle lui a offert une somme en guise de paiement. L’intimée a refusé de signer un contrat de vente. La Section de première instance de la Cour fédérale a fait droit à l’action intentée par l’appelante en vue d’obtenir un jugement déclarant qu’elle avait le droit de lever l’option. La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel de l’intimée.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Le juge en chef Lamer et les juges Gonthier, Cory, Iacobucci, Major et Bastarache: Bien qu’une option puisse être un contrat unilatéral, elle peut également constituer un élément du contrat bilatéral dont elle fait partie. La question de savoir si un contrat comportant une clause d’option constitue un seul contrat bilatéral ou deux contrats distincts, l’un bilatéral et l’autre unilatéral, est une question d’interprétation. Les tribunaux doivent examiner le libellé du contrat et le contexte dans lequel il s’inscrit pour déterminer l’intention des parties, tout en ayant à l’esprit que notre Cour a déjà approuvé la tendance des tribunaux à considérer que les offres commandent une exécution bilatérale plutôt qu’unilatérale dans tous les cas où il est vraiment possible de donner une telle interprétation au contrat. En l’espèce, le contrat de location et l’option constituent un seul contrat bilatéral. L’option et la charte‑partie qui la contient sont intimement liées. L’option requiert une contrepartie pour lier les deux parties, mais il est possible de présumer qu’elle est fondée sur la même contrepartie que le contrat de location sous‑jacent, soit les loyers à verser. L’option et la charte‑partie sont également liées du fait qu’il est précisé que la levée de l’option dépend du respect des modalités de la charte‑partie et que l’option et la charte‑partie portent sur le même bien. Ce seul et unique contrat contient de nombreuses modalités dont certaines ont trait au contrat de location, et d’autres, à l’option. L’option elle‑même constitue un élément de la contrepartie consentie par l’intimée à l’appelante en vertu de ce contrat bilatéral.

Le respect des délais n’est pas une condition essentielle d’un contrat, sauf si les parties l’ont expressément stipulé ou si la nature du bien ou des circonstances en cause permet une telle présomption. Des parties qui font du commerce devraient avoir une connaissance suffisante du droit applicable pour savoir qu’elles doivent utiliser des mots très précis pour exprimer leur intention de faire du respect des délais une condition essentielle d’un contrat. Les mots utilisés à la clause d’option ne sont simplement pas assez précis pour convaincre notre Cour que les parties avaient l’intention de faire du versement à temps des loyers une condition essentielle du contrat. Cette conclusion est étayée par l’admission de l’intimée que les contrats utilisés dans ce secteur comprennent souvent l’expression «le respect des délais est une condition essentielle» lorsque telle est, en fait, l’intention des parties. Même si on pouvait affirmer que les mots utilisés à la clause d’option sont suffisants pour faire du respect des délais une condition essentielle en matière de versements de loyer, le libellé de cette clause pourrait seulement étayer une conclusion que le respect des délais est une condition essentielle en ce qui concerne l’article 10. Le juge de première instance a décidé à bon droit qu’il n’a pas été contrevenu à l’article 10 vu que l’appelante, en faisant un seul versement tardif, n’a pas manqué à l’exigence de cet article qu’elle paie la somme de 85 000 $ pour l’année pendant laquelle elle a fait un tel versement. Vu que la présomption que le respect des délais n’est pas une condition essentielle n’a pas été réfutée en l’espèce, la nature bilatérale du contrat requiert l’application de la théorie de l’inexécution substantielle.

Il n’y a pas lieu de modifier la conclusion du juge de première instance que l’article 25 a été substantiellement respecté. Le navire en question est visé par le par. 261(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada, qui exige que les journaux de bord du navire demeurent à son bord. En outre, l’article 25 ne mentionne ni le retrait des journaux de bord du navire, ni la préparation de copies de ces journaux; il ne renvoie qu’aux journaux de bord eux‑mêmes. L’exigence de l’article 25 que l’appelante remette les journaux de bord à l’intimée à la demande de celle‑ci aurait donc dû être interprétée comme une exigence que les journaux de bord soient mis à la disposition de l’intimée à bord du navire.

Bien que l’article 11 de la charte‑partie prévoie expressément que l’appelante doit faire les versements mensuels «en espèces et en devises canadiennes sous forme de virement bancaire ou de chèques certifiés», l’acceptation par l’intimée du mode de paiement par chèques postdatés non certifiés montre que celle-ci n’insistait pas pour que le mode de paiement établi à l’article 11 soit rigoureusement respecté. Il s’ensuit que l’intimée ne saurait désormais insister pour que l’article 11 soit rigoureusement appliqué. Le mode de paiement modifié accepté par les parties comportait un risque de compensation tardive des chèques. L’intimée doit assumer les conséquences de ce risque au même titre que l’appelante, car ce dernier s’est matérialisé à la suite d’une modification, acceptée par les deux parties, des modalités strictes de l’entente. L’appelante avait suffisamment de fonds dans son compte pour couvrir son chèque, et elle n’avait aucune raison de s’attendre à ce qu’une erreur bancaire puisse retarder le versement de ces fonds à l’intimée. L’appelante a toujours eu l’intention de payer à temps et elle a pris toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle prenne, compte tenu de l’entente de paiement modifiée intervenue entre les parties. Après avoir été avisée par l’intimée que son chèque avait été refusé, l’appelante s’est empressée de verser à l’intimée la somme qu’elle lui devait, en plus des intérêts courus, conformément aux directives de celle‑ci. L’appelante a également fait à temps tous les versements qu’il lui restait à faire en vertu de la charte‑partie. Dans ces circonstances, l’appelante a exécuté substantiellement les obligations modifiées qui lui incombaient en vertu de l’article 11.

L’intimée n’a, en l’espèce, aucun droit d’annuler l’option d’achat du navire par l’appelante. Cela est conforme à l’intention véritable de ces parties, qui ressort de l’ensemble des circonstances, ainsi qu’aux principes applicables. L’intimée a retiré un avantage important de l’exécution défectueuse de l’appelante, avantage qu’elle n’est pas en mesure de restituer. De plus, il n’y a aucune mesure entre l’effet de l’exécution défectueuse de l’appelante sur l’intimée et l’avantage que l’appelante perdra s’il est permis à l’intimée d’annuler l’option. L’exécution défectueuse n’a créé aucune incertitude car l’intimée n’avait aucune raison de croire qu’un seul paiement tardif, dû à l’erreur d’une banque plutôt qu’à la faute de l’appelante, aurait pour effet de remettre en cause les futurs versements de loyer. En l’espèce, notre Cour doit avoir un souci d’équité. Il ressort des faits de la présente affaire que l’intimée n’a tout simplement pas été privée de ce qu’elle avait négocié.

Le juge Binnie: La question de savoir si une clause contractuelle est respectée par l’exécution substantielle, ou si l’exécution stricte (ou encore «complète» ou «à la lettre») est requise, est une question d’interprétation. Tout dépend de l’intention des parties qui est exprimée (en l’espèce) dans la charte-partie. En l’espèce, les parties contractantes ont stipulé que l’exécution de «toutes les obligations» serait une condition préalable à la levée de l’option, et les tribunaux devraient respecter cette stipulation. Les mots «toutes les obligations» visent tout ce que prescrit le contrat, et les mots «exécute toutes les obligations» doivent donc viser le caractère suffisant de l’exécution de chacune d’elles. L’exécution substantielle est moindre que l’exécution de toutes les obligations, selon le sens ordinaire de ces mots. Une option est une obligation unilatérale, peu importe qu’elle figure dans un contrat unilatéral ou dans un contrat bilatéral. Le point de vue général adopté dans l’arrêt Pierce c. Empey est donc accepté. Il n’est pas sans importance, en l’espèce, que les parties aient stipulé l’exécution de «toutes les obligations» relativement à la levée de l’option (c’est-à-dire en incluant cette stipulation dans la clause d’option même) plutôt que relativement à leur contrat en général. Bien que, dans certains contrats, il soit possible de considérer que les parties ont accepté que l’option soit régie par le critère plus souple de l’exécution «substantielle», elles ne l’ont pas fait en l’espèce. Cependant, selon une interprétation correcte de la charte-partie, les conditions préalables à la levée de l’option étaient «toutes» remplies (ou, dans le cas des ententes bancaires, les propriétaires n’étaient pas admis à affirmer le contraire), et les affréteurs avaient donc le droit de lever l’option.


Parties
Demandeurs : Sail Labrador Ltd.
Défendeurs : Challenge One (Le)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Bastarache
Arrêt appliqué: A/S Tankexpress c. Compagnie Financière Belge Des Pétroles S/A (1948), 82 Lloyd’s L.R. 43
distinction d’avec l’arrêt: Pierce c. Empey, [1939] R.C.S. 247
arrêts mentionnés: Canadian Long Island Petroleums Ltd. c. Irving Industries (Irving Wire Products Division) Ltd., [1975] 2 R.C.S. 715
Mitsui & Co. (Canada) Ltd. c. Banque Royale du Canada, [1995] 2 R.C.S. 187
Margaronis Navigation Agency, Ltd. c. Henry W. Peabody & Co., of London, Ltd., [1964] 2 Lloyd’s Rep. 153
Tenax Steamship Co. c. The Brimnes (Owners), [1975] Q.B. 929
Hongkong Fir Shipping Co. c. Kawasaki Kisen Kaisha Ltd., [1962] 2 Q.B. 26
United Dominions Trust (Commercial), Ltd. c. Eagle Aircraft Services, Ltd., [1968] 1 All E.R. 104
Sudbrook Trading Estate Ltd. c. Eggleton, [1983] 1 A.C. 444
West Country Cleaners (Falmouth) Ltd. c. Saly, [1966] 1 W.L.R. 1485
Monk Corp. c. Island Fertilizers Ltd., [1991] 1 R.C.S. 779
Dawson c. Helicopter Exploration Co., [1955] R.C.S. 868
Daku c. Daku (1964), 49 W.W.R. 552
Friesen c. Bomok (1979), 95 D.L.R. (3d) 446
Nieckar c. Sliwa (1976), 67 D.L.R. (3d) 378
Nilsson c. Romaniuk (1984), 59 A.R. 39
Re Kennedy & Beaucage Mines Ltd., [1959] O.R. 625
Davis c. Shaw (1910), 21 O.L.R. 474
Lombard North Central Plc. c. Butterworth, [1987] Q.B. 527
United Scientific Holdings Ltd. c. Burnley Borough Council, [1978] A.C. 904
Parkin c. Thorold (1852), 16 Beav. 59, 51 E.R. 698
Stickney c. Keeble, [1915] A.C. 386
Scandinavian Trading Tanker Co AB c. Flota Petrolera Ecuatoriana — The Scaptrade, [1983] 2 All E.R. 763
LeMesurier c. Andrus (1984), 31 R.P.R. 143, infirmé pour d’autres motifs (1986), 54 O.R. (2d) 1
Jacob & Youngs, Inc. c. Kent, 129 N.E. 889 (1921)
Lang c. Provincial Natural Gas and Fuel Co. of Ontario (1908), 17 O.L.R. 262
Sprague c. Booth (1908), 21 O.L.R. 637, conf. par [1909] A.C. 576
Hare c. Nicoll, [1966] 2 Q.B. 130
Krause c. Bain Bros. Alta. Ltd. (1972), 29 D.L.R. (3d) 500
Bass Holdings Ltd. c. Morton Music Ltd., [1987] 2 W.L.R. 397
Birchmont Furniture Ltd. c. Loewen (1978), 84 D.L.R. (3d) 599
Petrillio c. Nelson (1980), 114 D.L.R. (3d) 273
Runnymede Iron & Steel Ltd. c. Rossen Engineering and Construction Co., [1962] R.C.S. 26
Gillespie c. Wells (1912), 2 D.L.R. 519
Zim Israel Navigation Co. c. Effy Shipping Corp. — The «Effy», [1972] 1 Lloyd’s Rep. 18.
Citée par le juge Binnie
Arrêt appliqué: Pierce c. Empey, [1939] R.C.S. 247
arrêts mentionnés: United Scientific Holdings Ltd. c. Burnley Borough Council, [1978] A.C. 904
United Dominions Trust (Commercial), Ltd. c. Eagle Aircraft Services, Ltd., [1968] 1 All E.R. 104
Dominion Grange Mutual Fire Insurance Association c. Bradt (1895), 25 R.C.S. 154
Regina Industries Ltd. c. City of Regina, [1947] R.C.S. 345.
Lois et règlements cités
Judicature Act, R.S.A. 1980, ch. J‑1, art. 22.
Judicature Act, R.S.N. 1990, ch. J‑4, art. 91.
Judicature Act, R.S.N.S. 1989, ch. 240, art. 43(8).
Law and Equity Act, R.S.B.C. 1996, ch. 253, art. 31.
Law of Property Act, 1925 (R.‑U.), 15 & 16 Geo. 5. ch. 20, art. 41.
Loi modifiant le droit commercial, C.P.L.M., ch. M120, art. 5.
Loi modifiant le droit commercial, L.R.O. 1990, ch. M.10, art. 15.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 3.
Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S‑9, art. 261(1).
Loi sur l’organisation judiciaire, L.R.N.‑B. 1973, ch. J‑2, art. 32.
Queen’s Bench Act, R.S.S. 1978, ch. Q‑1, art. 45(6).
Supreme Court Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. S‑10, art. 29(2).
Doctrine citée
Annotation, «The Law of Options», [1930] 1 D.L.R. 1.
Cozzillio, Michael J. «The Option Contract: Irrevocable Not Irrejectable» (1990), 39 Cath. U. L. Rev. 491.
Di Castri, Victor. The Law of Vendor and Purchaser, vol. 1. Toronto: Carswell, 1988 (loose‑leaf updated July 1998, release 3).
Halsbury’s Laws of England, vol. 9(1), 4th ed. (reissue). By Lord Mackay of Clashfern. London: Butterworths, 1998.
Perell, Paul M. «Options, Rights of Repurchase and Rights of First Refusal as Contracts and as Interests in Land» (1991), 70 R. du B. can. 1.
Perell, Paul M. «Putting Together the Puzzle of Time of the Essence» (1990), 69 R. du B. can. 417.
Treitel, G. H. The Law of Contract, 9th ed. London: Sweet & Maxwell, 1995.
Waddams, S. M. The Law of Contracts, 3rd ed. Toronto: Canada Law Book, 1993.

Proposition de citation de la décision: Sail Labrador Ltd. c. Challenge One (Le), [1999] 1 R.C.S. 265 (4 février 1999)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1999-02-04;.1999..1.r.c.s..265 ?
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