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23/04/1999 | CANADA | N°[1999]_1_R.C.S._743

Canada | CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743 (23 avril 1999)


CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743

Le procureur général du Canada Appelant

c.

CanadianOxy Chemicals Ltd., CanadianOxy

Industrial Chemicals Limited Partnership

et Canadian Occidental Petroleum Ltd. Intimées

et

Le procureur général de l’Ontario Intervenant

Répertorié: CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général)

No du greffe: 25944.

Audition et jugement: 10 décembre 1998.

Motifs déposés: 23 avril 1999.

Présents: Le juge en chef Lamer et les j

uges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, Iacobucci, Major et Binnie.

en appel de la cour d’appel de la colombie-britannique

Droit criminel...

CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743

Le procureur général du Canada Appelant

c.

CanadianOxy Chemicals Ltd., CanadianOxy

Industrial Chemicals Limited Partnership

et Canadian Occidental Petroleum Ltd. Intimées

et

Le procureur général de l’Ontario Intervenant

Répertorié: CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général)

No du greffe: 25944.

Audition et jugement: 10 décembre 1998.

Motifs déposés: 23 avril 1999.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, Iacobucci, Major et Binnie.

en appel de la cour d’appel de la colombie-britannique

Droit criminel -- Fouilles, perquisitions et saisies -- Mandats de perquisition -- Délivrance des mandats de perquisition autorisée par le Code criminel en vue de rechercher des éléments de «preuve touchant la commission d’une infraction» -- La disposition législative autorise-t-elle la délivrance des mandats de perquisition pour rechercher en vue de les saisir des preuves de négligence se rapportant à la défense de diligence raisonnable?-- Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 487(1)b).

Une usine exploitée par les intimées a rejeté du chlore dans un cours d’eau adjacent, ce qui a provoqué la mort d’un certain nombre de poissons. L’incident s’est produit pendant une panne d’électricité à l’usine causée par un arbre qui a heurté une ligne d’alimentation en électricité. Les intimées ont signalé le rejet aux autorités et une enquête a été ouverte. Cinq mois après le rejet, un agent des pêches a fait une dénonciation sous serment et a obtenu un mandat pour faire une perquisition à l’usine afin d’y rechercher différents documents. Il a obtenu par la suite un nouveau mandat pour saisir à nouveau plusieurs pièces qui avaient été remises et qui étaient pertinentes relativement à l’enquête. Les intimées ont été accusées d’infractions à la Loi sur les pêches et à la Waste Management Act. Elles ont par la suite présenté une requête en annulation des mandats en faisant valoir que l’on avait outrepassé les limites du par. 487(1) du Code criminel, qui prévoit la délivrance de mandats de perquisition relativement à des éléments de «preuve touchant la commission d’une infraction». Le juge en chambre a statué que les documents saisis relativement à la question de la diligence raisonnable n’étaient pas des documents touchant la commission de l’infraction reprochée et il a annulé les deux mandats. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont maintenu la décision.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Les dispositions législatives doivent être interprétées de manière à donner aux mots leur sens ordinaire le plus évident qui s’harmonise avec le contexte et l’objet visé par la loi dans laquelle ils sont employés. D’après son sens ordinaire, l’expression «preuve touchant la commission d’une infraction» est compréhensive et englobe tous les éléments qui pourraient jeter la lumière sur les circonstances d’un événement qui paraît constituer une infraction. Est visé par le mandat tout ce qui a trait ou se rapporte logiquement à l’incident faisant l’objet de l’enquête, aux parties en cause et à leur culpabilité éventuelle. Nous pouvons présumer que le législateur a décidé de ne pas limiter le par. 487(1) à la preuve établissant un élément faisant partie de la preuve prima facie du ministère public. Parvenir à une autre conclusion reviendrait en réalité à retrancher le mot «touchant» de la disposition. Même amputé de ce mot, le par. 487(1) est suffisamment large pour autoriser la perquisition dont il est question, mais son insertion dans la disposition appuie manifestement la validité de ces mandats. Bien que le par. 487(1) fasse partie du Code criminel et puisse occasionner des atteintes importantes à la vie privée, l’intérêt public commande qu’une enquête prompte et approfondie soit menée s’il y a possibilité d’infraction. C’est par rapport à cet intérêt que tous les renseignements et éléments de preuve pertinents doivent être trouvés et conservés le plus rapidement possible. Cette interprétation est compatible avec les objets qui sous‑tendent le Code criminel et les exigences d’une administration de la justice prompte et équitable. De plus, refuser d’admettre que le ministère public peut rassembler des éléments de preuve en prévision de la présentation d’un moyen de défense aurait des conséquences graves sur le fonctionnement de notre système de justice. Bien que les pouvoirs étendus qui sont visés au par. 487(1) n’autorisent pas les recherches à l’aveuglette dans le cadre d’une enquête et ne diminuent pas le droit légitime à la vie privée des personnes physiques ou morales, dans la présente affaire, les modalités précises du mandat n’étaient pas en jeu, puisque les intimées ont uniquement contesté le pouvoir fondamental de décerner des mandats en vue de faire enquête sur l’existence d’une négligence. Le sens ordinaire de la disposition pertinente et la prise en compte du rôle et des obligations des enquêteurs de l’État appuient la conclusion que le par. 487(1) autorisait la délivrance des mandats en cause.

Jurisprudence

Arrêts mentionnés: Re Domtar Inc. (1995), 18 C.E.L.R. (N.S.) 106; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686; Re Church of Scientology and the Queen (No. 6) (1987), 31 C.C.C. (3d) 449; R. c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241; Nelles c. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170; R. c. Levogiannis, [1993] 4 R.C.S. 475; Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425; Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416.

Lois et règlements cités

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 487(1)b) [mod. ch. 27 (1er suppl.), art. 68; mod. 1994, ch. 44, art. 36].

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12.

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 36(3), 40(2).

Waste Management Act, S.B.C. 1982, ch. 41, art. 3(1.1) [aj. 1985, ch. 52, art. 96], 34(3).

Doctrine citée

Ontario. Commission sur les poursuites contre Guy Paul Morin. Rapport, t. 1. Toronto: Ministère du Procureur général de l’Ontario, 1998.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (1997), 145 D.L.R. (4th) 427, 90 B.C.A.C. 126, 147 W.A.C. 126, 114 C.C.C. (3d) 537, [1997] B.C.J. No. 724 (QL), qui a confirmé une décision rendue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique (1996), 138 D.L.R. (4th) 104, 108 C.C.C. (3d) 497, [1996] B.C.J. No. 1482 (QL), annulant certains mandats de perquisition. Pourvoi accueilli.

S. David Frankel, c.r., et Kenneth Yule, pour l’appelant.

Gary A. Letcher, Jonathan S. McLean et Eric B. Miller, pour les intimées.

Michal Fairburn, pour l’intervenant.

Version française du jugement de la Cour rendu par

//Le juge Major//

1 Le juge Major — Le présent pourvoi soulève la question de savoir si les mandats de perquisition décernés en vertu de l’al. 487(1)b) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, autorisent les enquêteurs à rechercher en vue de les saisir des preuves de négligence dans le cadre d’une enquête sur des infractions de responsabilité stricte. À la clôture des débats, il a été répondu à cette question par l’affirmative et le pourvoi a été accueilli, avec motifs à suivre.

I. Les faits

2 Le 13 octobre 1994, une usine de fabrication de chlore et de soude caustique exploitée par les intimées (collectivement appelées «CanadianOxy») à North Vancouver (Colombie‑Britannique) a rejeté du chlore dans les eaux du bras de mer Burrard, ce qui a provoqué la mort de nombreux poissons. L’incident s’est produit pendant une panne d’électricité de trois heures et demie à l’usine, causée par un arbre qui a heurté l’une des deux lignes d’alimentation en électricité de 60 kv de B.C. Hydro desservant l’usine.

3 L’entreprise a signalé le rejet aux autorités et une enquête a été ouverte par le ministère des Pêches et des Océans. S’étant rendu à l’usine le soir même, l’agent des pêches Robert Tompkins a parlé avec le chimiste de l’usine et il a saisi un certain nombre de documents. Il a également saisi des échantillons de poissons morts que le patrouilleur du directeur de port avait trouvés à proximité de l’usine. Il a informé le directeur de l’usine qu’il avait des motifs raisonnables de croire qu’une infraction à la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, avait été commise.

4 Sur une courte période, Tompkins s’est rendu à l’usine à trois autres reprises. Il a interrogé officiellement le chimiste de l’usine, il s’est fait montrer la valve que l’entreprise considérait comme la cause du rejet, et il s’est fait remettre certains documents. Il a demandé à rencontrer d’autres employés, ce qui lui a été refusé.

5 Tompkins a par la suite demandé par écrit à l’avocat de CanadianOxy d’autres renseignements techniques jugés utiles par la Direction de la dépollution d’Environnement Canada pour évaluer si le rejet aurait pu être évité. Seulement quelques questions ont fait l’objet d’une réponse.

6 Le 16 mars 1995, cinq mois après le rejet, Tompkins a fait une dénonciation sous serment et a obtenu un mandat pour faire une perquisition à l’usine des intimées afin d’y rechercher différents documents concernant les dossiers de fabrication, l’entretien de l’usine, la formation des employés, la discipline et les opérations générales de l’usine. Dans la dénonciation, Tompkins exposait les motifs de sa recherche de renseignements:

[traduction] Les dossiers de l’entreprise [. . .] sont nécessaires pour prouver que CanadianOxy Chemicals Ltd. [. . .] exploite une usine de fabrication de chlore et de soude caustique qui rejette des effluents dans les eaux du bras de mer Burrard près de North Vancouver (C.‑B.), qu’un rejet d’effluents ayant une concentration de chlore supérieure à 10 ppm, que je sais être extrêmement mortelle pour les poissons, s’est produit le 13 octobre 1994 et que l’entreprise aurait pu prendre des mesures raisonnables supplémentaires pour empêcher le rejet d’une substance nocive dans des eaux où vivent des poissons . . .

. . . J’ai des motifs raisonnables de croire que des lettres ont été envoyées par des employés de l’entreprise en janvier 1994 et que des travaux d’entretien ont été effectués en mars 1994, et à nouveau en octobre 1994, et que l’entreprise a mené sa propre enquête, a rédigé des rapports et a fourni des renseignements concernant l’incident jusqu’en février 1995...

Il est nécessaire d’examiner les registres de rejet d’effluents, les registres d’échantillonnage et d’analyse de la qualité des effluents, les registres d’entretien des instruments et d’entretien mécanique, les registres de contrôle de l’environnement, les registres de calibrage des instruments et les registres de calcul du débit sur une période prolongée avant et après le 13 octobre 1994. Cet examen [. . .] permettra d’analyser les programmes d’entretien de CanadianOxy Chemicals Ltd.

Il est nécessaire d’examiner les dossiers du personnel de l’entreprise concernant la période allant du 1er janvier 1994 au 28 février 1995 [. . .] pour décider si des employés de l’entreprise ont fait l’objet de mesures disciplinaires à la suite de cet incident. . . .

7 Le mandat a été exécuté le 17 mars 1995. Au total, les enquêteurs ont saisi 139 pièces en application du mandat et 73 autres en s’appuyant sur leur interprétation de la théorie des «objets bien en vue». Après la perquisition, Tompkins a appris par hasard qu’un juge de la Cour provinciale de la Colombie‑Britannique avait déclaré invalide une saisie similaire dans une autre affaire. Il a donc consulté un avocat relativement à un certain nombre des pièces saisies.

8 Le 26 avril 1995, Tompkins a présenté deux demandes à un juge de paix, l’une en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant de remettre les documents qui avaient été saisis irrégulièrement en vertu du premier mandat et l’autre en vue d’obtenir un nouveau mandat pour saisir à nouveau 13 des pièces remises qui étaient pertinentes relativement à l’enquête. Ces ordonnances ont été prononcées et exécutées le même jour.

9 Le 15 juin 1995, les intimées ont été accusées:

a) d’avoir immergé ou rejeté une substance nocive -- ou d’en avoir permis l’immersion ou le rejet -- dans des eaux où vivent des poissons, en contravention des par. 36(3) et 40(2) de la Loi sur les pêches;

b) d’avoir introduit des déchets dans l’environnement -- ou d’en avoir causé ou permis l’introduction --, en contravention des par. 3(1.1) et 34(3) de la Waste Management Act, S.B.C. 1982, ch. 41 (maintenant R.S.B.C. 1986, ch. 482).

10 Les intimées ont par la suite présenté une requête en annulation des mandats en faisant valoir que les limites du par. 487(1) du Code criminel avaient été outrepassées. La portée des mandats était assez large pour autoriser une perquisition pour rechercher des preuves de négligence qui, si elles étaient trouvées, feraient échouer une défense fondée sur la diligence raisonnable.

II. L’historique judiciaire

A. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique (1996), 138 D.L.R. (4th) 104

11 Le juge Sigurdson a estimé qu’il était lié par l’arrêt Re Domtar Inc. (1995), 18 C.E.L.R. (N.S.) 106 (C.S.C.‑B.), statuant qu’un mandat décerné en vertu de l’art. 487 ne pouvait pas être utilisé pour effectuer une perquisition en vue de saisir des preuves de négligence se rapportant à la défense fondée sur la diligence raisonnable. Il a donc statué que les documents saisis relativement à la question de la diligence raisonnable n’étaient pas des documents touchant la commission de l’infraction reprochée, et il a annulé les deux mandats.

B. Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1997), 145 D.L.R. (4th) 427

12 Pour rejeter l’appel, le juge Goldie de la Cour d’appel (avec l’appui du juge Carrothers) a statué que l’appelant n’avait pas établi, selon une interprétation raisonnable, que l’al. 487(1)b) autorisait la délivrance d’un mandat permettant notamment d’effectuer une perquisition pour rechercher des éléments de preuve touchant la diligence raisonnable dans le contexte d’une infraction réglementaire. Dans ses motifs dissidents, le juge Southin a conclu qu’un mandat pouvait, sur la foi d’éléments de preuve suffisants, être décerné pour effectuer une perquisition et saisir des choses se rapportant à la question de la diligence raisonnable.

III. Analyse

13 La question litigieuse est de savoir si les mandats de perquisition décernés en vertu du par. 487(1) du Code criminel se limitent uniquement à la preuve se rapportant à un élément de l’infraction faisant partie de la preuve prima facie du ministère public, ou s’ils visent la preuve pouvant se rapporter à des moyens de défense possibles, telle la diligence raisonnable, qui peuvent être invoqués au procès ou non. La disposition pertinente du Code est ainsi conçue:

487. (1) Un juge de paix qui est convaincu, à la suite d’une dénonciation faite sous serment selon la formule 1, qu’il existe des motifs raisonnables de croire que, dans un bâtiment, contenant ou lieu, se trouve, selon le cas:

. . .

b) une chose dont on a des motifs raisonnables de croire qu’elle fournira une preuve touchant la commission d’une infraction ou révélera l’endroit où se trouve la personne qui est présumée avoir commis une infraction à la présente loi, ou à toute autre loi fédérale;

. . .

peut à tout moment décerner un mandat sous son seing, autorisant une personne qui y est nommée ou un agent de la paix:

d) d’une part, à faire une perquisition dans ce bâtiment, contenant ou lieu, pour rechercher cette chose et la saisir;

14 Les dispositions législatives doivent être interprétées de manière à donner aux mots leur sens ordinaire le plus évident qui s’harmonise avec le contexte et l’objet visé par la loi dans laquelle ils sont employés; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, aux par. 21 et 22. C’est uniquement lorsque deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s’harmonisent chacune également avec l’intention du législateur, créent une ambiguïté véritable que les tribunaux doivent recourir à des moyens d’interprétation externes. Selon nous, le par. 487(1) ne contient pas semblable ambiguïté.

A. Le sens ordinaire des mots

15 D’après son sens ordinaire, l’expression «preuve touchant la commission d’une infraction» est compréhensive et englobe tous les éléments qui pourraient jeter la lumière sur les circonstances d’un événement qui paraît constituer une infraction. Selon le sens naturel et ordinaire de cette expression, est visé par le mandat tout ce qui a trait ou se rapporte logiquement à l’incident faisant l’objet de l’enquête, aux parties en cause et à leur culpabilité éventuelle.

16 Cette interprétation s’appuie sur le sens donné par le juge Dickson à une expression pratiquement identique dans l’arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la p. 39:

À mon avis, les mots «quant à» ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, «concernant», «relativement à» ou «par rapport à». Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c’est probablement l’expression «quant à» qui est la plus large. [Je souligne.]

17 Nous pouvons présumer que le législateur a décidé de ne pas limiter le par. 487(1) à la preuve établissant un élément faisant partie de la preuve prima facie du ministère public. Parvenir à une autre conclusion reviendrait en réalité à retrancher le mot «touchant» de la disposition. Même amputé de ce mot, le par. 487(1) est suffisamment large pour autoriser la perquisition dont il est question, mais son insertion dans la disposition appuie manifestement la validité de ces mandats.

18 Les intimées soutiennent avec insistance que le par. 487(1) doit recevoir une interprétation restrictive conformément au principe voulant qu’une disposition pénale ambiguë soit interprétée de la façon qui favorisera le plus l’accusé: voir R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, au par. 39. Nous avons rejeté cet argument parce que, selon nous, cette disposition n’est pas ambiguë et qu’il ne s’agit pas du type de dispositions pénales auquel ce principe doit s’appliquer. Il convient plutôt de donner à l’art. 487 une interprétation large et fondée sur l’objet visé; Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 12.

19 Bien que le par. 487(1) fasse partie du Code criminel et puisse occasionner des atteintes importantes à la vie privée, l’intérêt public commande qu’une enquête prompte et approfondie soit menée s’il y a possibilité d’infraction. C’est par rapport à cet intérêt que tous les renseignements et éléments de preuve pertinents doivent être trouvés et conservés le plus rapidement possible. Cette interprétation est compatible avec les objets qui sous‑tendent le Code criminel et les exigences d’une administration de la justice prompte et équitable.

B. Objet des dispositions relatives au mandat de perquisition du Code criminel

20 Le Code criminel, et les dispositions pénales en général, visent principalement, mais non exclusivement, à favoriser une société pacifique et intègre qui soit sûre. En vue de réaliser cet objectif, des lignes directrices interdisent les agissements inacceptables et prescrivent la poursuite et le châtiment justes de ceux qui transgressent ces normes. S’il y a possibilité d’infraction, une enquête prompte et approfondie est essentielle pour atteindre ce but. L’enquête vise à rassembler tous les éléments de preuve pertinents de manière à permettre une prise de décision judicieuse et éclairée sur l’opportunité de porter des accusations.

21 Au stade de l’enquête, il incombe aux autorités de trancher les points suivants: Que s’est‑il passé? Qui est responsable? La conduite reprochée est‑elle un comportement susceptible d’engager la responsabilité criminelle? Le mandat de perquisition est un instrument d’enquête de base qui permet de répondre à ces questions, et la disposition qui en autorise la délivrance doit être interprétée sous cet angle.

22 Le paragraphe 487(1) vise à permettre aux enquêteurs de découvrir et de conserver le plus d’éléments de preuve pertinents possible. Pour être en mesure d’exercer convenablement les fonctions qui leur ont été confiées, les autorités doivent pouvoir découvrir, examiner et conserver tous les éléments de preuve se rapportant à des événements susceptibles de donner lieu à une responsabilité criminelle. Il n’appartient pas aux policiers de mener une enquête pour décider si les éléments essentiels d’une infraction sont établis — cette décision relève des tribunaux. Le rôle des policiers et autres agents de la paix consiste à enquêter sur des incidents qui pourraient être criminels, à prendre une décision consciencieuse et éclairée sur l’opportunité de porter des accusations, puis à soumettre l’ensemble des faits sans les dénaturer aux autorités chargées des poursuites. À cette fin, une interprétation du par. 487(1) qui est restrictive et qui ne s’impose pas va à l’encontre du but recherché. Voir Re Church of Scientology and the Queen (No. 6) (1987), 31 C.C.C. (3d) 449, à la p. 475:

[traduction] Le travail des policiers ne devrait pas être gêné par l’examen minutieux des faits et du droit, exercice qui est pertinent dans le cadre d’un procès [. . .] La question de savoir si les faits déclarés constituent une infraction criminelle peut soulever d’importantes questions de droit [. . .] Toutefois, ces questions ne peuvent guère être tranchées tant que le ministère public n’a pas rassemblé ses éléments de preuve et qu’il n’est pas en mesure d’engager des poursuites.

23 De plus, des facteurs extrinsèques tel le mobile de l’accusé ou le défaut de faire preuve de diligence raisonnable sont souvent pertinents quant à la question de savoir si l’événement qui a déclenché l’enquête en premier lieu est de nature à engager la responsabilité criminelle. Toute personne, y compris le prévenu, qui est privée des moyens de recueillir et de conserver des éléments de preuve avant un procès a intérêt à ce que ces faits soient connus. Il ne serait pas souhaitable qu’une interprétation étroite du par. 487(1) entraîne la perte d’éléments de preuve inculpatoires ou disculpatoires parce que les enquêteurs ne peuvent les obtenir. Voir R. c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241, motifs du juge Cory, à la p. 254:

Le rôle de la police consiste essentiellement à faire enquête sur les crimes. C’est là une fonction qu’elle peut et devrait continuer à exercer après avoir effectué une arrestation légale. La continuation de l’enquête profitera à la société dans son ensemble et souvent aussi à la personne arrêtée. En effet, il est dans l’intérêt de la personne innocente arrêtée que l’enquête se poursuive afin que son innocence à l’égard des accusations puisse être établie dans les plus brefs délais.

24 Il est important que les enquêteurs découvrent le plus d’éléments de preuve possible. Admettre que les policiers, et d’autres autorités, ne doivent rechercher que les seuls éléments de preuve qui incriminent le suspect visé est incompatible avec notre système de justice. Un tel «manque d’objectivité» de la part du poursuivant serait inapproprié: voir Commission sur les poursuites contre Guy Paul Morin: Rapport, t. 1 (1998), le commissaire F. Kaufman, aux pp. 559 à 562.

25 Dans l’arrêt Nelles c. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170, le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a déclaré au nom des juges majoritaires:

Le procureur de la Couronne a traditionnellement été décrit comme un [traduction] «représentant de la justice» qui «devrait se considérer plus comme un fonctionnaire de la cour que comme un avocat». (Morris Manning, «Abuse of Power by Crown Attorneys», [1979] L.S.U.C. Lectures 571, à la p. 580, citant Henry Bull, c.r.) Sur le rôle qui est propre au procureur de la Couronne, il n’y a probablement aucun passage qui soit aussi souvent cité que cet extrait des motifs du juge Rand dans l’affaire Boucher v. The Queen, [1955] R.C.S. 16, aux pp. 23 et 24:

[traduction] On ne saurait trop répéter que les poursuites criminelles n’ont pas pour but d’obtenir une condamnation, mais de présenter au jury ce que la Couronne considère comme une preuve digne de foi relativement à ce que l’on allègue être un crime. Les avocats sont tenus de voir à ce que tous les éléments de preuve légaux disponibles soient présentés: ils doivent le faire avec fermeté et en insistant sur la valeur légitime de cette preuve, mais ils doivent également le faire d’une façon juste. Le rôle du poursuivant exclut toute notion de gain ou de perte de cause; il s’acquitte d’un devoir public, et dans la vie civile, aucun autre rôle ne comporte une plus grande responsabilité personnelle.

26 Les juges majoritaires de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ont conclu que l’emploi du mot «commission» au par. 487(1) limitait son application aux éléments de preuve établissant que l’accusé avait commis les actes ou avait permis les omissions qui constituent les éléments de l’infraction. Le système de justice pénale ne se préoccupe pas uniquement de la question de savoir si une preuve prima facie peut être établie contre un accusé, il s’intéresse aussi à la question de savoir si l’accusé est coupable en définitive. Les motifs dissidents du juge Southin sont convaincants en ce qui concerne tant l’objet que le sens du par. 487(1). Au paragraphe 63, elle dit:

[traduction] . . . je dirais que les mots en cause veulent dire «touchant la question de savoir si une violation de la loi entraînant une sanction pénale a été commise». La question de savoir si l’on peut affirmer ou non qu’une telle violation a été commise dépend de la question de savoir s’il peut y avoir une sanction pénale, et il ne saurait y avoir de sanction sans déclaration de culpabilité.

27 De plus, comme l’a souligné l’intervenant, le procureur général de l’Ontario, refuser d’admettre que le ministère public peut rassembler des éléments de preuve en prévision de la présentation d’un moyen de défense aurait des conséquences graves sur le fonctionnement de notre système de justice. Pour être équitable, le processus pénal doit «permettre au juge des faits “de découvrir la vérité et de rendre une décision équitable” tout en accordant à l’accusé la possibilité de présenter une pleine défense»; R. c. Levogiannis, [1993] 4 R.C.S. 475, à la p. 486. Cette équité réciproque commande que le ministère public soit en mesure de rechercher et d’obtenir régulièrement des éléments de preuve pour réfuter les moyens de défense invoqués par l’accusé. Si la thèse des intimées concernant l’interprétation du par. 487(1) était acceptée, il serait impossible d’obtenir un mandat de perquisition à cette fin. Cette interprétation étroite ferait échec à l’impératif fondamental de l’équité du procès et à la recherche de la vérité dans le processus pénal.

C. Questions touchant le droit à la vie privée

28 Il est certain que le mandat de perquisition est très envahissant, et une enquête portant sur la question de la diligence raisonnable pourrait, ainsi que le juge Shaw l’a fait remarquer dans l’arrêt Re Domtar, précité, à la p. 119, [traduction] «comporter un examen approfondi des affaires d’une société sur une période de plusieurs années». Notre Cour a reconnu l’importance du droit à la vie privée et la nécessité de restreindre les pouvoirs de perquisition dans des limites raisonnables: Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, à la p. 889; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, aux pp. 520 à 522; Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416, aux pp. 436 et 437.

29 Les pouvoirs étendus qui sont visés au par. 487(1) n’autorisent pas les recherches à l’aveuglette dans le cadre d’une enquête et ne diminuent pas le droit légitime à la vie privée des personnes physiques ou morales. C’est particulièrement vrai dans le cas des dossiers des employés, qui peuvent contenir une foule de renseignements très personnels n’ayant aucun rapport avec l’enquête qui est menée. Les juges et les magistrats doivent continuer d’appliquer les normes et garanties qui protègent la vie privée contre les perquisitions, les fouilles et les saisies abusives.

30 En l’espèce, toutefois, les modalités précises du mandat n’étaient pas en jeu, puisque les intimées ont uniquement contesté le pouvoir fondamental de décerner des mandats en vue de faire enquête sur l’existence d’une négligence. À notre avis, le sens ordinaire de la disposition pertinente et la prise en compte du rôle et des obligations des enquêteurs de l’État appuient la conclusion que le par. 487(1) autorisait la délivrance des mandats litigieux en l’espèce.

IV. Dispositif

31 Le pourvoi est accueilli sans dépens, ainsi que les avocats en ont convenu.

Pourvoi accueilli.

Procureur de l’appelant: Le procureur général du Canada, Vancouver.

Procureurs des intimées: Edwards, Kenny & Bray, Vancouver.

Procureur de l’intervenant: Le procureur général de l’Ontario, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : [1999] 1 R.C.S. 743 ?
Date de la décision : 23/04/1999

Parties
Demandeurs : CanadianOxy Chemicals Ltd.
Défendeurs : Canada (Procureur général)
Proposition de citation de la décision: CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743 (23 avril 1999)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1999-04-23;.1999..1.r.c.s..743 ?
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