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27/05/1999 | CANADA | N°[1999]_2_R.C.S._290

Canada | R. c. Stone, [1999] 2 R.C.S. 290 (27 mai 1999)


R. c. Stone, [1999] 2 R.C.S. 290

Bert Thomas Stone Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et entre

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Bert Thomas Stone Intimé

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général de l’Ontario et

le procureur général de l’Alberta Intervenants

Répertorié: R. c. Stone

Nos du greffe: 25969, 26032.

1998: 26 juin; 1999: 27 mai.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarac

he et Binnie.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1997), 86 B.C.A.C...

R. c. Stone, [1999] 2 R.C.S. 290

Bert Thomas Stone Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et entre

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Bert Thomas Stone Intimé

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général de l’Ontario et

le procureur général de l’Alberta Intervenants

Répertorié: R. c. Stone

Nos du greffe: 25969, 26032.

1998: 26 juin; 1999: 27 mai.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1997), 86 B.C.A.C. 169, 142 W.A.C. 169, 113 C.C.C. (3d) 158, 6 C.R. (5th) 367, [1997] B.C.J. No. 179 (QL), qui a rejeté l’appel de l’accusé contre sa déclaration de culpabilité d’homicide involontaire coupable prononcée par le juge Brenner. Pourvoi rejeté, le juge en chef Lamer et les juges Iacobucci, Major et Binnie sont dissidents.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1997), 89 B.C.A.C. 139, 145 W.A.C. 139, [1997] B.C.J. No. 694 (QL), qui a rejeté l’appel du ministère public contre la peine infligée à l’accusé par le juge Brenner. Pourvoi rejeté.

David G. Butcher et Derek A. Brindle, pour Bert Thomas Stone.

Gil D. McKinnon, c.r., Ujjal Dosanjh, c.r., et Marion Paruk, pour Sa Majesté la Reine.

Graham Garton, c.r., pour l’intervenant le procureur général du Canada.

Gary T. Trotter, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

Argumentation écrite seulement par Jack Watson, c.r., pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

Version française des motifs du juge en chef Lamer et des juges Iacobucci, Major et Binnie rendus par

//Le juge Binnie//

1 Le juge Binnie (dissident quant au pourvoi contre la déclaration de culpabilité) — Le principe voulant qu’une action ou une omission ne puisse constituer une infraction criminelle que si elle est volontaire est un principe fondamental du droit criminel. En l’espèce, l’appelant reconnaît avoir tué son épouse. Il l’a poignardée de manière particulièrement violente à 47 reprises. Il a fait valoir comme moyen de défense qu’il avait eu une perte de conscience provoquée subitement par une violence verbale que le psychiatre de la défense a qualifiée de [traduction] «exceptionnellement cruelle» et de «psychologiquement sadique». Le juge du procès a décidé, en faveur de l’appelant, que [traduction] «il est établi [. . .] qu’il y a eu perte de conscience tout au long de la perpétration du crime», et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a convenu ((1997), 86 B.C.A.C. 169, à la p. 173) que [traduction] «un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement pourrait constater une certaine forme d’automatisme».

2 L’appelant a choisi de subir son procès devant un jury. Il affirme qu’il avait droit à ce que la question du caractère volontaire, ainsi soulevée à juste titre, soit tranchée par le jury. Selon lui, les tribunaux de la Colombie-Britannique n’étaient nullement justifiés, en droit, de l’empêcher de bénéficier d’une décision en matière de preuve qui mettait en doute la capacité du ministère public d’établir l’actus reus de l’infraction reprochée.

3 Le juge du procès a décidé que la preuve du caractère involontaire n’était pertinente (si tant est qu’elle le fût) que relativement à une défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux (NRCTM). Cette décision a été maintenue par la Cour d’appel. Quand on constate que tous les experts ont convenu que l’appelant ne souffrait d’aucune affection pouvant être médicalement considérée comme une maladie mentale, il n’est peut‑être pas étonnant que le jury l’ait jugé sain d’esprit. Il a été déclaré coupable d’homicide involontaire coupable. Le jury n’a jamais été saisi de l’argument de l’appelant selon lequel son geste meurtrier, même s’il n’était pas le fruit d’un esprit troublé, n’en était pas moins involontaire.

4 L’appelant soutient que le raisonnement des tribunaux qui a eu pour effet de soustraire à l’appréciation du jury la question du caractère volontaire viole la présomption d’innocence et le droit de bénéficier d’un procès avec jury, que lui garantissent les al. 11d) et f) de la Charte canadienne des droits et libertés, et qu’il n’est pas sauvegardé par l’article premier de cette dernière.

5 L’appelant s’oppose également à la communication forcée au ministère public du rapport d’expert de son psychiatre, qui, selon lui, serait contraire à sa revendication de privilège. Il fait valoir que cette communication a eu pour résultat de tourner contre lui la description des faits qu’il a lui‑même donnée au psychiatre de la défense, et a ainsi porté atteinte à son droit de garder le silence.

6 À mon avis, il s’ensuit des conclusions concordantes des tribunaux d’instance inférieure (selon lesquelles l’appelant a réussi à mettre en doute qu’il était conscient au moment de l’infraction) qu’il avait droit au verdict du jury quant à savoir si son comportement, quoique sensé, était involontaire. Étant donné que cette question n’a pas été soumise à l’appréciation du jury et que le ministère public a ainsi échappé à la seule véritable contestation de sa preuve, l’appelant a droit à un nouveau procès.

I. Les faits

7 Je ne compte reprendre le résumé des faits du juge Bastarache que là où ce sera nécessaire pour expliquer notre divergence quant au résultat.

8 L’agression à coups de couteau a été précédée d’un trajet d’une journée en voiture, depuis la vallée de l’Okanagan jusqu’à Vancouver, pendant lequel la violence verbale de l’épouse de l’appelant a, d’après celui-ci, créé une situation explosive. L’appelant avait prévu emmener ses fils au restaurant et au cinéma, mais il a abandonné cette idée parce que son épouse s’y opposait. Il a plutôt rendu une brève visite à ses fils, pendant que son épouse l’attendait dans le camion. Selon lui, cette dernière a accentué ses attaques lorsqu’il a repris place derrière le volant. Elle lui a lancé sarcastiquement que son ex-épouse avait [traduction] «couché avec tous mes amis» (pendant leur mariage) et que «[mes fils] n’étaient pas de moi». Au fur et à mesure que la violence verbale se poursuivait, a-t-il dit, [traduction] «je pouvais voir qu’elle perdait la boule», et il s’est alors garé dans un terrain vague, et «elle continuait de me crier que je n’étais rien d’autre qu’un tas de merde». Son épouse lui aurait alors appris qu’elle avait déclaré à la police qu’il la maltraitait et qu’il était sur le point d’être arrêté, et elle l’aurait menacé d’aller chercher une ordonnance judiciaire en vue de le faire expulser du domicile conjugal, de garder la maison et d’obtenir une pension alimentaire pour elle et pour ses enfants. Elle lui aurait dit qu’il la dégoûtait chaque fois qu’il la touchait, qu’il était [traduction] «nul au lit» avec son petit pénis et qu’elle ne coucherait plus jamais avec lui. Comme nous l’avons vu, dans le rapport psychologique déposé par la défense au procès, les propos attribués à Mme Stone étaient qualifiés [traduction] «d’extrêmement cruel[s], de psychologiquement sadique[s] et comme exprimant un rejet profond».

9 L’appelant a finalement quitté la route à Burnaby et s’est garé dans un terrain vague. Il a déclaré qu’il était resté assis dans le camion, la tête baissée, à écouter son épouse et à penser que ses garçons et lui ne méritaient pas d’être traités ainsi, puis [traduction] «tout semble s’estomper». À partir de ce moment, il dit ne se rappeler que de la sensation «d’être emporté» par une vague le submergeant des pieds à la tête. Selon sa relation des faits, lorsqu’il a repris ses sens, il regardait droit devant lui et a senti quelque chose dans sa main. Il a aperçu son épouse affaissée sur le siège. Il tenait le couteau de chasse qu’il conservait dans le camion. Son épouse était morte, atteinte de 47 coups de couteau. L’appelant affirme qu’il ne se souvenait pas alors d’avoir poignardé son épouse.

10 Après 10 ou 15 minutes, l’appelant a placé le corps de son épouse dans une boîte à outils située à l’arrière du camion, et est retourné à la maison. Le lendemain, il a vendu quelques biens, réglé des dettes et s’est envolé pour le Mexique. Au procès, l’appelant a raconté qu’un matin (pendant son séjour au Mexique) il s’était réveillé en proie à la sensation qu’on lui tranchait la gorge. En essayant de se remémorer le rêve qu’il avait fait, il s’est souvenu que son épouse avait été poignardée à la poitrine. Bien qu’il ait maintenu, dans son témoignage principal, qu’il ne se rappelait pas s’être emparé du couteau ni l’avoir sorti de son étui, il a reconnu en contre‑interrogatoire, lorsqu’il a été confronté à des déclarations antérieures que lui attribuait le rapport du psychiatre, se rappeler vaguement, à cause de son rêve, avoir poignardé son épouse à la poitrine à deux reprises avant d’éprouver la sensation [traduction] «d’être emporté». Son psychiatre, le Dr Paul Janke, a témoigné en outre que l’appelant lui avait dit que, pendant son séjour au Mexique, [traduction] «lui était revenu le souvenir d’avoir eu un couteau à la main et d’avoir poignardé Donna Stone à la poitrine à deux reprises avant d’avoir la sensation «d’être emporté» [. . .] chaque fois que nous parlions de l’agression à coups de couteau, il était question de deux coups suivis de cette sensation» (je souligne). L’une des tâches du Dr Janke consistait à séparer les effets de l’amnésie postérieure à l’épisode en cause de la présumée perte de conscience pendant le déroulement de l’épisode lui‑même. En effet, comme l’a signalé lord Denning dans Bratty c. Attorney-General for Northern Ireland, [1963] A.C. 386, à la p. 409: [traduction] «La perte de mémoire après coup ne constitue jamais un moyen de défense en soi dans la mesure où la personne était consciente sur le coup».

11 Environ six semaines après l’agression à coups de couteau, l’appelant est revenu au Canada et s’est livré à la police.

12 Au procès, le Dr Janke appelé à témoigner par la défense a affirmé qu’au moment de l’agression à coups de couteau l’appelant se trouvait dans un état de dissociation résultant de chocs psychologiques [traduction] «très graves»:

[traduction]

Q Mais les propos échangés entre M. et Mme Stone, que vous avez examinés et qui ont été soumis en preuve, ne sont pas, n’est‑ce‑pas, si exceptionnels qu’on pourrait raisonnablement présumer qu’ils affecteraient une personne ordinaire?

R Nous — je serais étonné si des hommes me disaient, après avoir appris qu’ils sont sur le point de perdre leur foyer et toutes leurs possessions, que les enfants issus d’un précédent mariage, qu’ils croyaient être les leurs, sont en réalité le fruit d’aventures que leur épouse a eues, et qui finissent par se faire dire qu’ils ont un petit pénis et qu’ils sont nuls au lit, ils considéreraient, pour la plupart, qu’il s’agit d’un choc terrible. Si quelqu’un me disait qu’il n’est pas bouleversé par de tels propos, je m’en inquiéterais.

Q Il n’y a pas de doute —

R C’est très grave —

Q — qu’il était bouleversé.

R Non, ce sont des chocs très graves.

13 La défense était confrontée à l’arrêt de notre Cour Rabey c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 513, qui, disait-on, voulait qu’à moins que la preuve ne permette d’attribuer un état d’automatisme à une cause externe sans rapport avec l’esprit de l’accusé, cet état doit être relié à une défense d’aliénation mentale.

14 L’appelant a tenté d’invoquer simultanément la défense d’automatisme sans aliénation mentale et la défense d’automatisme avec aliénation mentale, ainsi que la provocation. Il a soutenu, en se fondant sur une remarque incidente de Rabey, précité, que le «choc psychologique» qu’il avait subi était si grave qu’il aurait fait perdre la raison à une personne ordinaire, de sorte qu’il pouvait être qualifié d’automatisme provoqué par un élément «externe», qui n’avait rien à voir avec une maladie mentale au sens organique ou dans tout autre sens médical. Il a allégué subsidiairement que si, en dépit de la preuve psychiatrique, les tribunaux devaient insister pour qualifier son état de maladie mentale, un verdict de NRCTM serait alors compatible avec le témoignage du Dr Janke selon lequel la nature inconsciente de son comportement excluait la capacité d’en «juger» les conséquences.

II. Les jugements

A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique

(1) La décision en matière de preuve rendue en faveur de l’appelant

15 Le juge Brenner estimait que la «défense» d’automatisme ne peut être invoquée que lorsqu’il est établi qu’il y a eu perte de conscience tout au long de la perpétration du crime. Tout en reconnaissant que la cour était saisie d’une certaine preuve que l’appelant se rappelait avoir poignardé son épouse à la poitrine à deux reprises, le juge Brenner a finalement conclu que ce moyen de défense peut être invoqué même si l’accusé a un certain souvenir de ce qui s’est passé. Après avoir tiré cette conclusion, il a décidé, en s’appuyant, semble‑t‑il, sur l’ensemble du témoignage de la défense, qu’il était prouvé qu’il y avait eu perte de conscience tout au long de la perpétration de l’infraction et que l’accusé avait réussi à établir les fondements d’une défense d’automatisme. Voici la partie pertinente de sa décision:

[traduction] Je suis d’avis qu’il est établi, en l’espèce, qu’il y a eu perte de conscience tout au long de la perpétration du crime. La seule preuve concernant la mémoire est celle du souvenir qui est revenu à l’accusé à la suite d’un rêve qu’il a fait pendant son séjour au Mexique, quelques jours plus tard.

Cela étant, il me semble que la défense a rempli la condition préliminaire et que je dois donc, à tout le moins, examiner si le moyen de défense fondé sur l’automatisme, avec ou sans aliénation mentale, devrait être soumis à l’appréciation du jury. [Je souligne.]

(2) L’omission de soumettre à l’appréciation du jury la question de l’automatisme sans aliénation mentale

16 Le juge Brenner a considéré qu’en l’absence de preuve contraire la cause de l’automatisme (à supposer qu’il y ait eu automatisme) devait avoir été «dans» la tête de l’appelant. Pour ce motif, il a conclu qu’en raison de l’arrêt R. c. MacLeod (1980), 52 C.C.C. (2d) 193, il devait s’abstenir de soumettre à l’appréciation du jury la défense d’«automatisme sans aliénation mentale». Dans MacLeod, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique avait appliqué l’analyse de l’arrêt Rabey au cas d’un accusé qui prétendait que c’est pendant qu’il se trouvait dans un état de «dissociation» causé par l’accumulation de stress dans sa vie familiale qu’il avait agressé sexuellement une enfant de cinq ans atteinte de paralysie cérébrale. Selon la cour, ou bien l’accusé souffrait d’aliénation mentale ou bien il devrait être tenu criminellement responsable de ses actes, nonobstant l’automatisme allégué.

(3) L’exposé au jury

17 Le juge Brenner a mentionné au jury les éléments de preuve qui sont particulièrement utiles pour examiner la défense d’automatisme. Ce faisant, il a souligné la preuve de dissociation:

[traduction] Le Dr Janke, le psychiatre légiste qui a témoigné pour la défense, a exprimé l’opinion que l’accusé se trouvait dans un état de dissociation quand il a tué son épouse, alors que le Dr Murphy, le psychiatre légiste du ministère public, s’est dit d’avis qu’il était fort improbable que l’accusé ait alors été dans un tel état.

Rappelez-vous que le Dr Janke vous a expliqué ce qu’était la dissociation. Il a décrit ce phénomène comme une situation dans laquelle la pensée et le discernement d’une personne sont séparés de son corps et de ses actions. Il vous a expliqué que cet état s’accompagnait habituellement d’une perte de mémoire et j’ai déduit de son témoignage que le degré de cette perte de mémoire dépend souvent de la gravité de la dissociation.

. . .

Il affirme, dans son opinion, qu’au moment où l’accusé a tué son épouse il n’avait pas la maîtrise de ses actes, et une personne dans cet état est incapable, selon le Dr Janke, de juger de la nature et de la qualité de l’acte qu’elle accomplit. [Je souligne.]

18 Le juge Brenner a conclu ses directives sur ce point en expliquant la série de questions que le jury devrait aborder:

[traduction] Si vous êtes convaincus, selon la prépondérance des probabilités, que la preuve démontre que l’accusé souffrait d’une maladie mentale, vous devez déterminer si cette maladie le rendait incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte qu’il accomplissait, ou de savoir qu’il était mauvais.

Nous ignorons, bien sûr, relativement à quels aspects de ces questions à volets multiples l’accusé n’a pas convaincu le jury. Nous savons seulement qu’à la clôture des délibérations du jury, les propos suivants ont été échangés:

[traduction]

LA GREFFIÈRE: Membres du jury, êtes-vous parvenus à un verdict?

LE PRÉSIDENT: Oui, Votre Honneur.

LA COUR: Monsieur le président, déclarez‑vous l’accusé criminellement responsable ou non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux?

LE PRÉSIDENT: Nous déclarons le défendeur criminellement responsable.

LA COUR: Madame la greffière, posez la prochaine question.

LA GREFFIÈRE: Déclarez‑vous l’accusé coupable ou non coupable de meurtre au deuxième degré?

LE PRÉSIDENT: Non coupable.

LA COUR: Merci, Monsieur le président.

Compte tenu de ce verdict, je vais ordonner l’inscription d’un verdict de culpabilité d’homicide involontaire coupable . . .

Le jury n’a pas été informé que, même s’il concluait que l’accusé n’était pas atteint d’une maladie mentale, il pourrait néanmoins décider que ses actes n’étaient pas volontaires, et qu’une telle décision commanderait, le cas échéant, l’acquittement. En fait, on lui a dit que, même si le juge du procès avait conclu à l’absence de preuve d’une [traduction] «perte de conscience tout au long de la perpétration du crime», le verdict minimal qui devrait être prononcé était celui d’homicide involontaire coupable.

(4) La communication forcée du rapport d’expert au ministère public

19 À la fin de l’exposé initial de la défense, le ministère public a demandé au juge du procès d’ordonner à la défense de lui remettre un exemplaire du rapport du Dr Janke. L’avocat de la défense s’est opposé à cette demande, en prétendant qu’il n’était nullement tenu de communiquer le rapport avant que le Dr Janke ait été appelé à la barre.

20 Le juge Brenner a ordonné la production du rapport parce que [traduction] «le ministère public devrait être en mesure d’étudier, lors du contre‑interrogatoire de l’accusé, toute déclaration sur laquelle le Dr Janke a pu ou non s’appuyer dans son rapport».

B. Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1997), 86 B.C.A.C. 169

(1) La question de l’automatisme

21 Le juge en chef McEachern a commencé par souligner, à la p. 173, que, pour décider s’il convient de soumettre un moyen de défense possible à l’appréciation du jury, le juge du procès doit se demander si la preuve est suffisante pour conférer une «vraisemblance» à ce moyen de défense. Il a statué que le juge du procès avait conclu à la «vraisemblance» de l’allégation d’automatisme de l’appelant mais que sa conclusion s’appliquait à la notion générale d’automatisme et non à une forme particulière de cet état.

22 Malgré une preuve quelque peu contradictoire, le tribunal de première instance et la Cour d’appel ont tous deux jugé qu’il y avait preuve de l’existence d’un état de dissociation tout au long de l’attaque de l’appelant contre son épouse.

23 Mentionnant l’arrêt Rabey, précité, le juge en chef McEachern a expliqué, à la p. 173, que le juge du procès devait ensuite déterminer s’il existait une preuve [traduction] «qui permettrait au jury de conclure raisonnablement que l’état de dissociation n’a pas été causé par une maladie mentale» (je souligne). Il a statué qu’en l’absence d’une telle preuve la dissociation ne pouvait qu’être le fruit d’une maladie mentale.

24 En procédant par élimination, le juge en chef McEachern a fait remarquer que le comportement de Stone ne pouvait s’expliquer que par l’incidence de la violence verbale de son épouse. Il a considéré que de tels chocs psychologiques sont généralement insuffisants pour causer l’«automatisme sans aliénation mentale». Cela amenait à conclure que la réaction violente à un traumatisme psychologique devait être attribuée principalement à la propre faiblesse psychologique ou émotive de l’individu. Il a statué, à la p. 175, que le juge Brenner avait correctement appliqué le critère de l’arrêt Rabey en déterminant que l’état de dissociation dans lequel pouvait s’être éventuellement trouvé l’appelant était principalement lié à sa réaction à la violence verbale, [traduction] «qui représente plus une cause interne qu’une cause externe, et qui constitue donc une maladie mentale» (je souligne). Il a ainsi décidé que le juge du procès avait eu raison de refuser de soumettre à l’appréciation du jury la défense «d’automatisme sans aliénation mentale».

25 Le juge en chef McEachern a fait observer que l’arrêt R. c. Parks, [1992] 2 R.C.S. 871, de notre Cour peut justifier le recours à autre chose que la théorie de la cause interne ou externe pour déterminer s’il y a «maladie mentale». Il a mentionné expressément un extrait des motifs majoritaires du juge La Forest, où on explique que la distinction, dans Rabey, entre les causes internes et les causes externes n’est établie qu’à titre d’instrument d’analyse et non pas de méthode universelle.

26 Malgré cela, le juge en chef McEachern a préféré la méthode de l’arrêt Rabey. Selon lui, il s’agissait en l’espèce d’une affaire où [traduction] «n’était-ce la présence d’un élément interne mal défini mais facilement compréhensible de l’état psychologique d’une personne, le fonctionnement ordinaire d’un esprit conscient empêcherait normalement une réaction aussi violente à la critique et aux insultes» (p. 176). Considérant qu’il s’agissait d’un problème de fragilité mentale exceptionnelle, le juge en chef McEachern a conclu que le juge du procès avait eu raison de ne pas donner au jury des directives sur l’«automatisme sans aliénation mentale».

(2) La communication forcée du rapport d’expert au ministère public

27 Le juge en chef McEachern a reconnu que, même si la communication du rapport avait permis de contre‑interroger méthodiquement l’appelant, qui était inévitablement la seule source factuelle des opinions psychiatriques, le juge du procès n’aurait pas dû ordonner la production du rapport du Dr Janke avant que celui‑ci ait été appelé à témoigner. Il s’est appuyé, à cet égard, sur un long courant de jurisprudence, dont Brouillette c. R., [1992] R.J.Q. 2776 (C.A.), et Hodgkinson c. Simms (1988), 33 B.C.L.R. (2d) 129 (C.A.), confirmant que le rapport d’expert préparé pour aider un avocat est protégé tant et aussi longtemps que l’accusé n’a pas témoigné.

28 Cela dit, le juge en chef McEachern a confirmé la déclaration de culpabilité en se fondant sur le sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Il a statué qu’aucune erreur judiciaire n’avait résulté de la communication prématurée du rapport. Dans son exposé initial, l’avocat de l’accusé s’était engagé à faire témoigner le Dr Janke. Il aurait été nécessaire de communiquer le rapport dès que le Dr Janke aurait commencé à témoigner car, en l’appelant à la barre, la défense aurait renoncé à tout privilège rattaché au rapport. Si le rapport n’avait pas été communiqué en temps opportun, le ministère public aurait eu le choix d’interrompre le contre‑interrogatoire de l’accusé pour le reprendre après le témoignage du Dr Janke et la communication du rapport. Le résultat final aurait donc été le même.

III. Analyse

A. La question de l’automatisme

29 Le présent pourvoi soulève des questions au sujet de la répartition entre le juge et le jury des points litigieux dans le domaine épineux de l’automatisme. Le problème découle en partie du fait que certains juges craignent que le jury accepte trop facilement la prétention d’un accusé qu’il ne se souvient pas de ce qui s’est passé ou que sa conduite était «incontrôlable», ou toute autre version simulée des faits. Dans R. c. Szymusiak, [1972] 3 O.R. 602 (C.A.), à la p. 608, le juge Schroeder fait observer que l’automatisme est:

[traduction] . . . un moyen de défense qui, dans un cas qui s’y prête vraiment, peut être le seul dont dispose un honnête homme, mais il peut tout aussi bien être le dernier recours d’une canaille. C’est pourquoi il incombe au juge qui préside le procès de séparer l’ivraie du bon grain.

On pourrait également citer, dans le même sens, les propos sarcastiques que G. Williams tient dans son Textbook of Criminal Law (2e éd. 1983), aux pp. 673 et 674:

[traduction] . . . lorsqu’une personne parfaitement lucide fuit la police ou attaque une autre personne dans un accès de jalousie ou de colère, il est difficile d’ajouter foi à une défense de dissociation, peu importe le nombre d’experts qui défilent à la barre pour témoigner de son bien‑fondé. Comme il est étrange, peut dire le profane, et comme cela tombe bien pour le défendeur qu’il ait été plongé dans ce prétendu état de dissociation au moment même où il avait tout lieu de fuir la police ou lorsqu’il s’est trouvé face à face avec une personne qu’il avait de fortes raisons d’attaquer. L’explication la plus prosaïque du «rétrécissement du champ de conscience» du défendeur est qu’il résulte simplement d’une passion irrépressible qui l’a amené à faire fi des considérations ordinaires de morale ou de prudence; cela n’est pas incompatible avec la supposition qu’il était parfaitement conscient de ce qu’il faisait, en dépit de la preuve psychiatrique contraire.

Tout en tenant compte de cette sage expression de scepticisme, les tribunaux doivent néanmoins respecter l’attribution par le législateur au jury de la tâche d’évaluer la crédibilité et de tirer des conclusions de fait. La crainte de voir le jury commettre une erreur n’est pas une raison de lui retirer une partie de sa compétence. Le nœud du présent pourvoi est la conclusion du juge du procès, acceptée par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, qu’il était [traduction] «établi [. . .] qu’il y a eu perte de conscience tout au long de la perpétration du crime». L’appelant affirme qu’il avait droit à ce que le jury examine ses arguments à la lumière de cette preuve.

(1) La décision en matière de preuve

30 Le juge du procès s’est bien instruit du droit relativement à la charge de présentation. Il a appliqué le critère énoncé par le juge Dickson, plus tard Juge en chef, dans l’arrêt Rabey, précité, à la p. 552:

En principe, l’automatisme devrait être un moyen de défense chaque fois qu’est établie une perte de conscience tout au long de la perpétration du crime et qu’on ne peut l’imputer à la faute ou à la négligence de l’accusé. Une telle preuve doit être étayée par le témoignage d’un médecin portant que l’accusé n’a pas simulé une perte de mémoire et qu’il n’existe pas d’état pathologique sous‑jacent qui indique une maladie nécessitant une détention et des traitements.

Même si l’énoncé que le juge Dickson a fait de la charge de présentation était contenu dans des motifs de dissidence, notre Cour à la majorité l’a adopté et appliqué ultérieurement dans l’arrêt Parks, précité.

31 Le juge du procès a correctement appliqué le critère. Rien n’indique que la prétendue perte de conscience de l’appelant, à supposer qu’elle soit bel et bien survenue, a résulté de sa propre faute ou négligence. Le témoignage de l’appelant voulant qu’il ait été inconscient «tout au long de la perpétration du crime» était appuyé par l’opinion d’un expert en médecine, le Dr Janke, qui a affirmé qu’une [TRADUCTION] «partie essentielle» de son évaluation médicolégale avait consisté à déterminer si l’appelant «inventait une histoire». Le Dr Janke ne s’est pas contenté de rapporter simplement ce que l’appelant lui avait dit. L’opinion professionnelle du Dr Janke était que l’appelant n’inventait pas une histoire, que son allégation de perte de conscience était corroborée dans une certaine mesure par sa constitution psychologique et qu’il lui serait très difficile (quoique non impossible) de présenter une histoire de dissociation [TRADUCTION] «d’une manière subtile au point de berner un psychiatre légiste expérimenté». Le Dr Janke a témoigné que l’appelant ne souffrait d’aucun état pathologique sous‑jacent qui indiquait une maladie nécessitant une détention et des traitements.

32 La preuve concernant la perte de conscience était quelque peu équivoque, selon l’examen que j’en ai fait, mais comme je n’ai eu l’avantage de voir et d’entendre ni l’appelant ni le Dr Janke, je ne saurais mettre en doute la conclusion suivante du juge du procès:

[traduction] Je suis d’avis qu’il est établi, en l’espèce, qu’il y a eu perte de conscience tout au long de la perpétration du crime. La seule preuve concernant la mémoire est celle du souvenir qui est revenu à l’accusé à la suite d’un rêve qu’il a fait pendant son séjour au Mexique, quelque jours plus tard.

Cela étant, il me semble que la défense a rempli la condition préliminaire . . . [Je souligne.]

Je partage l’opinion exprimée par le juge Bastarache, au par. 192 de ses motifs, qu’il serait préférable de disposer d’autres éléments de preuve corroborants, comme la déposition de gens qui ont observé le fait ou des antécédents documentés d’états de dissociation apparentés à l’automatisme. Toutefois, l’absence d’une telle corroboration ne saurait dégager la cour de son obligation d’examiner à la loupe la défense qui est en fait présentée. Dans notre système, il appartient au jury d’évaluer la crédibilité de la défense, dès qu’il est satisfait à la charge de présentation.

(2) La preuve de l’infraction

33 Dans l’arrêt Parks, précité, à la p. 896, notre Cour à la majorité a fait observer, par l’intermédiaire du juge La Forest, que le «caractère volontaire» peut être considéré comme une composante de l’exigence de l’actus reus en matière de responsabilité criminelle:

L’automatisme occupe une place très particulière dans notre système de droit pénal. Bien que qualifié de «défense», il forme essentiellement une composante de l’exigence concernant la volonté, qui fait elle‑même partie de l’élément actus reus de la responsabilité criminelle. [Je souligne.]

34 Le juge en chef Lamer et le juge La Forest ont fait la même remarque dans R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 63. Voir également les motifs du juge McLachlin dans R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5 (cités par le juge Cory dans Daviault, à la p. 74), où elle fait observer, à la p. 17:

Le terme mens rea, interprété correctement, n’inclut pas tous les éléments moraux d’un crime. L’actus reus comporte son propre élément moral; pour qu’il y ait actus reus, l’acte de l’accusé doit être volontaire. Par ailleurs, la mens rea renvoie à l’intention coupable, illégale, de l’accusé. En droit criminel, son rôle consiste à éviter que la personne moralement innocente — qui ne comprend ni ne souhaite les conséquences de ses actes — soit déclarée coupable. Habituellement, la mens rea porte sur les conséquences de l’actus reus prohibé. [Je souligne.]

35 Dans l’arrêt Daviault, aux pp. 75 et 102, le juge Cory a souligné que l’automatisme peut aussi se rapporter à la mens rea dans certaines circonstances. Voir également R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303. Pour les fins du présent pourvoi, il suffit cependant de souligner qu’une défense d’automatisme met en cause la capacité du ministère public de prouver hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l’infraction.

(3) Dégager le ministère public d’une partie de sa charge de persuasion

36 Le ministère public appuie la décision des tribunaux de la Colombie‑Britannique pour un certain nombre de motifs:

a) la présomption de caractère volontaire;

b) l’arrêt Rabey, précité, de notre Cour;

c) l’argument que les dispositions du Code criminel relatives aux troubles mentaux permettaient de régler la question de l’automatisme selon les faits de la présente affaire.

Je vais examiner à tour de rôle chacun de ces arguments du ministère public.

a) Premier motif: la présomption de caractère volontaire

37 Le droit criminel est fondé sur la responsabilité des personnes saines d’esprit à l’égard de leurs actes ou omissions volontaires. L’expérience nous enseigne que les actes d’une personne apparemment consciente sont habituellement volontaires. Toutefois, la question qui se pose en l’espèce est de savoir s’il est possible de faire une telle déduction de caractère volontaire après que le juge du procès a décidé qu’il y a une preuve crédible que l’accusé était inconscient tout au long de la perpétration de l’infraction.

38 L’expérience quotidienne de la plupart d’entre nous ne nous enseigne pas si les actes accomplis par une personne se trouvant dans un état de conscience gravement diminué, comme dans le cas du somnambulisme ou de la crise d’épilepsie, sont volontaires. Le juge Dickson, dissident, affirme dans Rabey, précité, à la p. 545: «La conscience est une condition sine qua non de la responsabilité criminelle.»

(i) Relation entre caractère volontaire et conscience

39 Les notions de perte de conscience et de caractère involontaire sont liées dans la définition d’automatisme proposée par la Haute Cour de justice de l’Ontario dans R. c. K. (1970), 3 C.C.C. (2d) 84, à la p. 84, et adoptée par notre Cour à la majorité dans l’arrêt Rabey, précité, à la p. 518:

[traduction] L’automatisme désigne un comportement qui se produit à l’insu de la conscience et qui échappe à la volonté. C’est l’état d’une personne qui, tout en étant capable d’agir, n’est pas consciente de ce qu’elle fait. Il désigne un acte inconscient et involontaire, où l’esprit ne sait pas ce qui se produit. [Je souligne.]

Le lien entre le caractère volontaire et la conscience a également été abordé par le juge en chef Mason et les juges Brennan et McHugh, dans R. c. Falconer (1990), 50 A. Crim. R. 244 (H.C. Austr.), à la p. 250:

[TRADUCTION] Bien qu’il lui incombe, en définitive, de prouver hors de tout doute raisonnable qu’un acte constituant un élément de l’infraction reprochée était voulu ou, en common law, a été accompli volontairement [. . .], la poursuite peut, pour s’acquitter de cette obligation, s’appuyer sur la déduction qu’un acte accompli par une personne apparemment consciente est voulu ou volontaire, sauf s’il y a des motifs de croire que l’accusé était incapable de le maîtriser. [Je souligne.]

De même que la Haute Cour était prête à déduire le caractère volontaire de la conscience, la preuve de l’absence de conscience peut étayer une allégation d’automatisme (c’est‑à‑dire, qu’il y avait absence de caractère volontaire). La question est de savoir ce qu’on entend par «absence de conscience» dans ce contexte. En l’espèce, le psychiatre du ministère public a prétendu qu’on ne pouvait pas considérer que l’appelant était inconscient au sens médical:

[traduction]

R Je ne suis pas certain du sens juridique du mot «inconscient», mais —

Q Au sens médical.

R Il n’était pas inconscient au sens médical. Inconscient signifie «être étendu complètement sur le sol». Selon les renseignements dont nous disposons, il n’était manifestement pas inconscient dans ce sens.

40 Sur le plan juridique, l’expression «perte de conscience» est utilisée dans le sens qu’il est démontré que l’accusé, comme le somnambule, [traduction] «ne savait pas ce qu’il faisait». (Voir Parks, précité, et R. c. Tolson (1889), 23 Q.B.D. 168, à la p. 187.) Cela exclut la personne qui agit sous le coup de la provocation et dit «Je n’ai pas pu m’en empêcher», ou qui affirme simplement qu’elle est incapable d’expliquer un comportement qui ne lui ressemble pas: voir, de manière générale, les motifs de lord Denning dans Bratty, précité, à la p. 409, qui renferment la définition suivante de l’automatisme:

[traduction] . . . une activité musculaire qui échappe au contrôle de l’esprit, tel un spasme, un réflexe ou une convulsion; ou un acte accompli par une personne qui n’a pas conscience de ce qu’elle fait, tel un acte accompli alors qu’elle souffre d’une commotion ou qu’elle est dans un état de somnambulisme. [Je souligne.]

L’acte volontaire suppose un degré de maîtrise consciente. Dans l’arrêt Rabey, précité, à la p. 522, le juge Dickson a reconnu que, «[e]n common law, une personne dont la conduite serait par ailleurs criminelle n’est pas coupable d’un acte criminel si elle a agi dans un état d’inconscience ou de demi‑conscience» (je souligne). Dans cette affaire, toutefois, la «demi‑conscience» était un état de lucidité amoindrie qui annulait toute maîtrise. Je crois que les observations faites par le substitut du procureur général au cours de sa plaidoirie étaient compatibles avec ce point de vue. Il a fait valoir que l’automatisme décrit [TRADUCTION] «un comportement involontaire qui se produit en l’absence de l’élément mental minimum nécessaire pour que l’acte soit voulu», et qu’«[i]l s’agit de l’état d’une personne qui, bien qu’elle soit capable d’agir, est incapable de savoir qu’elle est en train d’accomplir son acte» (je souligne). Ses définitions englobaient les notions de lucidité et de maîtrise. Je retiens les observations du ministère public sur ce point. Le Dr Janke, psychiatre de la défense, a employé le mot [traduction] «conscience» dans le sens de lucidité ou de maîtrise, comme l’indiquent clairement les extraits suivants de son témoignage:

[traduction] Il se peut qu’[une personne] ait des bribes de mémoire, une mémoire fragmentaire, comme dans le cas de M. Stone, même avant l’agression, l’agression même de Donna Stone, et qu’elle ne soit, qu’elle n’ait aucune maîtrise de l’acte qu’elle est en train d’accomplir. [Je souligne.]

. . .

Compte tenu de la description des faits donnée par M. Stone et de la compréhension des circonstances que j’ai acquise grâce aux autres documents, je dirais qu’il n’avait pas la maîtrise de ses actes. [Je souligne.]

En même temps, la preuve que l’appelant s’était souvenu, quelques semaines après l’homicide, de [traduction] «deux coups [de couteau] suivis de la sensation [d’être emporté]» posait un grave problème au juge du procès. Si on prétendait l’appelant a subi une «perte momentanée» de conscience et qu’il était incapable d’avoir la moindre maîtrise consciente de ses actes, la question du caractère volontaire entrerait en jeu. L’appelant aurait une explication de son absence de maîtrise, à savoir qu’il était alors inconscient. Toutefois, si l’appelant était conscient, ne serait‑ce qu’au moment où il a asséné les premiers coups de couteau, la présomption de caractère volontaire relativement à cette période jouerait contre lui. Le juge du procès s’est prononcé sur ce point en ces termes:

[TRADUCTION] Au cours des observations des avocats, j’ai indiqué qu’il ressortait de mon examen de la jurisprudence que la défense d’automatisme ne pouvait être invoquée que lorsqu’il est établi qu’il y a eu perte de conscience tout au long de la perpétration du crime, pour reprendre les termes du juge en chef Dickson. En l’espèce, il est établi jusqu’à un certain point que l’accusé était lucide et n’était pas inconscient tout au long de la perpétration du crime. Il a été en mesure de témoigner devant le tribunal qu’il se souvenait avoir poignardé son épouse à la poitrine à deux reprises. Il s’agit maintenant de savoir si, en droit, cette preuve empêche d’invoquer la défense d’automatisme en l’espèce.

. . .

Selon mon interprétation de la jurisprudence, je conclus qu’elle n’écarte pas la possibilité d’invoquer la défense d’automatisme du fait que l’accusé a un certain souvenir de ce qui s’est passé.

Je suis d’avis qu’il est établi, en l’espèce, qu’il y a eu perte de conscience tout au long de la perpétration du crime. La seule preuve concernant la mémoire est celle du souvenir qui est revenu à l’accusé à la suite d’un rêve qu’il a fait pendant son séjour au Mexique, quelques jours plus tard.

Cela étant, il me semble que la défense a rempli la condition préliminaire . . .

Le juge du procès a donc décidé, au terme d’une analyse minutieuse, qu’un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement pourrait conclure que l’appelant était inconscient [traduction] «tout au long de la perpétration du crime». Il a conclu que cette preuve était susceptible (si on y ajoutait foi) de satisfaire à la définition de l’automatisme donnée par le juge Dickson dans Rabey. Dans ces circonstances, «l’automatisme devrait être un moyen de défense» (Rabey, précité, le juge Dickson, à la p. 552). La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique n’a pas modifié cette décision initiale. Notre Cour se trouve donc devant deux conclusions concordantes sur ce point crucial. Il reste à examiner s’il y avait une raison, en droit, de priver l’appelant du bénéfice de cette décision en matière de preuve, et de soustraire à l’appréciation du jury la question de l’automatisme.

(ii) Provocation et automatisme

41 L’appelant a invoqué à la fois l’automatisme et la provocation. Il importe de distinguer ces deux notions. L’automatisme n’est pas une nouvelle version améliorée apprêtée à la sauce médicale de la défense de provocation, même si la provocation est parfois invoquée comme solution de secours dans le cas où l’automatisme est rejeté. Comme nous l’avons vu, la défense d’automatisme met en cause la capacité du ministère public de faire sa preuve. La provocation, au sens de l’art. 232 du Code, a pour effet de réduire à un homicide involontaire coupable un cas prouvé d’«homicide coupable qui autrement serait un meurtre». Ce sont deux notions tout à fait distinctes, dont l’application dépend de l’incidence qu’a eu l’élément déclencheur sur l’accusé.

42 Dans l’affaire Parnerkar c. La Reine, [1974] R.C.S. 449, l’accusé, qui était né en Inde, avait poignardé à mort la femme qu’il voulait épouser. Il avait fait le voyage de Toronto à Regina pour voir la victime, une mère divorcée d’origine hongroise avec qui il entretenait une relation amoureuse intermittente depuis environ sept ans. Mais les sentiments de la victime s’étaient refroidis. Elle voulait que l’accusé sorte de sa maison et de sa vie. Son fils a témoigné (à la p. 459) qu’avant l’attaque à coups de couteau sa mère avait dit à l’accusé [traduction] «Je ne t’épouserai pas parce que tu es noir», mais ce dernier niait avoir entendu cette remarque. L’accusé a remis aux enfants de la victime deux ou trois lettres qu’il avait reçues d’elle. Celle‑ci a déchiré une enveloppe, mettant symboliquement fin à la relation. Les événements se sont précipités. La victime a été poignardée. Notre Cour a statué, dans une décision partagée, que la défense d’automatisme avec aliénation mentale avait été soumise à bon droit à l’appréciation du jury (qui l’a rejetée) et que le comportement déclencheur ne constituait pas de la provocation parce qu’il ne s’agissait pas d’«[une] action injuste ou d’[une] insulte» au sens du Code (p. 473). La Cour n’a pas permis au jury d’examiner la défense d’automatisme sans aliénation mentale. Parnerkar était précurseur de l’arrêt Rabey à cet égard.

43 On craignait nettement qu’un comportement insuffisant pour constituer de la provocation puisse justifier une défense d’automatisme sans aliénation mentale (ou pour utiliser l’expression courante, une défense d’automatisme sans troubles mentaux), qui peut évidemment mener à l’acquittement complet au lieu de réduire un meurtre à un homicide involontaire coupable. La distinction fondamentale entre les deux notions est que l’automatisme est lié à l’absence de caractère volontaire chez l’accusé, qui constitue un élément essentiel de l’infraction, alors que la provocation est une reconnaissance que l’accusé qui a accompli «volontairement» tous les éléments d’un meurtre peut néanmoins avoir été provoqué par un acte injuste ou une insulte qui auraient été objectivement suffisants pour priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser. Ainsi, une contestation constitutionnelle des éléments «objectifs» de la défense de provocation a été rejetée, à juste titre selon moi, dans R. c. Cameron (1992), 71 C.C.C. (3d) 272 (C.A. Ont.), pour le motif que la provocation n’avait été invoquée qu’après que le ministère public eut fait la preuve hors de tout doute raisonnable de tous les éléments «subjectifs» d’un homicide illégal. La défense de provocation n’enlevait rien à la preuve que devait faire le ministère public. La provocation a seulement pour effet, le cas échéant, de réduire le meurtre à un homicide involontaire coupable. Par conséquent, bien que la preuve des événements qui ont précédé la perpétration de l’infraction puisse soulever des questions tant sur l’automatisme que sur la provocation, une preuve des faits très différente est requise pour que l’un ou l’autre de ces questions puisse être soumise à l’appréciation du jury.

(iii) La charge de preuve

44 Mon collègue le juge Bastarache propose, au par. 179 de ses motifs, que la Cour saisisse l’occasion pour ajouter à la charge de présentation qui incombe à l’accusé un second obstacle plus difficile à franchir, savoir la charge de persuasion ou charge ultime consistant à établir l’automatisme selon la prépondérance des probabilités. La question de la charge de preuve ne se pose pas vraiment d’après les faits du pourvoi. La question de l’automatisme sans troubles mentaux n’a pas du tout été soumise à l’appréciation du jury et il est inutile d’examiner ce qui aurait dû être dit au sujet de la charge de preuve si le juge du procès avait fait ce qu’il n’a pas fait et, comme le pourvoi doit être rejeté, ce qu’il n’aura jamais à faire en l’espèce.

45 Qui plus est, superposer la charge de persuasion à la charge de présentation représente une modification du droit établi, il y a seulement sept ans, par notre Cour dans l’arrêt Parks, précité. Dans les motifs majoritaires qu’il a rédigés dans cet arrêt, le juge La Forest a reproduit, en l’approuvant, à la p. 897, une partie de la dissidence antérieure du juge Dickson dans Rabey. Dans cet extrait, le juge Dickson a pris soin de souligner que l’imposition, pour des raisons d’ordre public, d’une charge de présentation destinée à exclure les allégations futiles n’indique nullement que l’accusé assume une partie de la charge de persuasion, selon la prépondérance des probabilités ou autrement. Voir Rabey, à la p. 545:

La poursuite doit prouver chacun des éléments de l’acte criminel imputé. Un de ces éléments est l’état mental de l’accusé, démontrant que l’acte est volontaire. En temps normal, les circonstances sont telles qu’elles permettent de présumer la volonté et la capacité mentale. Ce n’est pas le cas lorsqu’un accusé, comme en l’espèce, produit devant la cour, par le contre‑interrogatoire des témoins de la poursuite ou par l’interrogatoire de ses propres témoins ou les deux à la fois, des éléments de preuve suffisants pour qu’on se demande s’il savait ce qu’il faisait lorsqu’il a commis l’infraction alléguée. La charge de la preuve qui incombe à un accusé qui fait valoir ce moyen de défense ne consiste qu’à souligner des faits qui indiquent l’existence d’un tel état . . . [Je souligne.]

Dans l’arrêt Parks, précité, à la p. 897, le juge La Forest ajoute l’explication suivante:

. . . [le juge] doit déterminer si le dossier renferme une preuve justifiant la présentation de la défense au jury. C’est ce qu’on appelle parfois établir les fondements de la défense; voir Bratty, précité, aux pp. 405 et 413. Ainsi, [une charge de présentation] incombe à l’accusé qui ne peut se contenter de faire valoir la défense; voir Bratty, à la p. 414. [Je souligne.]

46 La notion de charge de présentation est le [traduction] «fruit du système de jury» (J. Sopinka, S. Lederman et A. Bryant, The Law of Evidence in Canada (1992), à la p. 61). Les auteurs opposent ainsi la charge de présentation à la charge de persuasion, à la p. 58:

[traduction] L’importance de la charge de présentation ressort lorsqu’il s’agit de savoir quelle partie a le droit ou l’obligation de commencer à produire sa preuve. Elle ressort également lorsqu’il s’agit de savoir si la preuve produite est suffisante pour soulever une question devant être tranchée par le juge des faits. La charge de persuasion entre normalement en jeu une fois terminée la présentation de la preuve, et il s’agit de savoir si le juge des faits est convaincu en ce qui concerne le fait ou le point litigieux, selon la norme de preuve applicable en matière civile ou criminelle. La charge de persuasion intervient normalement après qu’une partie s’est acquittée de sa charge de présentation relativement à ce fait ou à ce point litigieux.

La «charge de présentation» n’oblige nullement que l’accusé à convaincre ensuite le jury, selon la prépondérance des probabilités ou autrement, de l’existence des faits en cause — le juge en chef Dickson dans R. c. Schwartz, [1988] 2 R.C.S. 443, à la p. 467:

La partie à laquelle incombe la charge de présentation n’est pas tenue de convaincre le juge des faits de quoi que ce soit, elle n’a qu’à faire ressortir les éléments de preuve qui suggèrent l’existence de certains faits.

47 Dans les arrêts Rabey et Parks, on n’a nullement laissé entendre, et encore moins décidé, que l’accusé doit assumer une partie de la charge de persuasion. Au contraire, la charge de présentation a été présentée dans les deux cas comme un moyen d’éviter de confier, trop rapidement ou trop à la légère, au ministère public la tâche de s’acquitter de la charge de persuasion.

48 Cette répartition des responsabilités ne fait pas l’unanimité. Dans sa Proposition de modification du Code criminel (principes généraux) de 1993, le ministre de la Justice a recommandé que, dans tous les cas, la partie qui invoque l’automatisme soit tenue d’en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Le législateur n’a pas jugé bon de donner suite à cette recommandation. En toute déférence, je ne crois pas que la Cour devrait prendre l’initiative d’inverser la charge de persuasion au détriment de l’accusé pour la seule raison qu’elle estime qu’une mesure d’ordre public d’origine non législative est plus attrayante que le droit établi. Le législateur a choisi d’imposer une charge de persuasion selon la prépondérance des probabilités dans le cas des troubles mentaux, qui incluent l’automatisme avec troubles mentaux. Il ne l’a pas fait dans le cas de l’automatisme sans troubles mentaux. L’imposition d’une telle charge devrait être justifiée au sens de l’article premier de la Charte. Dans le présent pourvoi cependant, ni l’intimée ni aucun des procureurs généraux intervenants (Canada, Ontario et Alberta) n’a laissé entendre qu’un tel changement de la charge de preuve était souhaitable ou nécessaire.

49 À mon avis, les arrêts Chaulk et Daviault, précités, de notre Cour ne justifient pas l’inversion de la charge de persuasion. Une telle inversion créerait un risque d’injustice dans le cas où un jury est tenu de déclarer coupable un accusé qui a soulevé à juste titre la question de l’automatisme, même s’il a un doute raisonnable quant au caractère volontaire de la conduite de ce dernier. Dans Chaulk, la Cour a examiné l’inversion de la charge de preuve que le par. 16(4) du Code prescrivait dans le contexte de l’aliénation mentale. Ce paragraphe prévoyait, à l’époque, que «[j]usqu’à preuve du contraire, chacun est présumé être et avoir été sain d’esprit». La Cour a convenu que l’imposition à l’accusé d’une charge de preuve l’obligeant à convaincre le jury, selon la prépondérance des probabilités, qu’il souffrait d’aliénation mentale violait la présomption d’innocence garantie par l’al. 11d) de la Charte (le juge en chef Lamer, aux pp. 1330 et 1331):

Or, le par. 16(4) permet que l’existence d’un facteur essentiel de culpabilité soit présumée, au lieu d’être prouvée par le ministère public hors de tout doute raisonnable. Par surcroît, il oblige l’accusé à réfuter qu’il était sain d’esprit (ou à démontrer l’aliénation) selon la prépondérance des probabilités; il viole par conséquent la présomption d’innocence parce qu’il permet une déclaration de culpabilité malgré l’existence d’un doute raisonnable dans l’esprit du juge des faits quant à la culpabilité de l’accusé. [Souligné dans l’original.]

La Cour à la majorité s’est fondée sur la preuve et les observations (p. 1337) démontrant la «charge écrasante de prouver l’inexistence de l’aliénation», pour sauvegarder l’inversion de la charge de preuve en vertu de l’article premier. Dans la présente affaire, aucune démonstration équivalente n’a été faite en vertu de l’article premier.

50 Par ailleurs, dans Daviault, la Cour à la majorité a reconnu une exception à la règle de common law établie dans Leary c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 29, selon laquelle la mens rea requise dans le cas d’une infraction d’intention générale ne pouvait pas être annulée même par une preuve d’ivresse extrême. La Cour craignait que la règle de common law ne viole la Charte. Comme le juge Cory l’a affirmé dans l’arrêt Daviault, à la p. 73:

À mon avis, les principes inscrits dans la Charte canadienne des droits et libertés, et plus précisément à l’art. 7 et à l’al. 11d), exigent qu’on apporte une exception limitée, ou une certaine flexibilité, à l’application de la règle de l’arrêt Leary. [Je souligne.]

Le prix de l’«exception limitée» à la règle de l’arrêt Leary était que l’accusé, qui s’était enivré progressivement, était tenu d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’ivresse avait entraîné une absence de conscience voisine de l’aliénation ou de l’automatisme. À la page 101, le juge Cory explique:

Dans l’arrêt R. c. Chaulk [. . .], notre Cour a reconnu qu’une telle charge, même si elle constituait une violation des droits de l’accusé en vertu de l’al. 11d) de la Charte, pouvait être justifiée en vertu de l’article premier. En l’espèce, j’estime que cette charge peut être justifiée. L’ivresse au degré extrême nécessaire pour constituer un facteur pertinent ne se produira qu’en de rares occasions. Seul l’accusé est en mesure de témoigner quant à la quantité d’alcool qu’il a consommée et aux effets que cela lui a causés.

La Cour a ainsi conclu qu’il y avait justification au sens de l’article premier. L’ivresse est une affaire de degrés. C’est un phénomène raisonnablement courant dans ses manifestations bénignes. Sous sa forme extrême, elle peut engendrer une possibilité de défense voisine de l’automatisme, qui obéit à des règles particulières. L’arrêt Daviault ne propose pas l’inversion de la charge de persuasion chaque fois que l’état d’esprit de l’accusé est mis en doute avec succès comme, par exemple, dans le cas de la provocation (art. 232, Linney c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 646, R. c. Thibert, [1996] 1 R.C.S. 37) ou de la légitime défense (art. 34, R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852, R. c. Malott, [1998] 1 R.C.S. 123), ou encore dans celui de la croyance de l’accusé quant au consentement à des voies de fait (par. 265(4), Latour c. The King, [1951] R.C.S. 19, R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, aux pp. 682 et 683); dans tous ces cas (et bien d’autres), le ministère public doit s’acquitter de la charge de persuasion consistant à établir l’inexistence de l’état d’esprit allégué par l’accusé, même si l’accusé est souvent mieux placé que le ministère public pour clarifier son état d’esprit au moment de la perpétration du crime reproché. Il se peut que l’accusé soit mieux placé pour clarifier la plupart des éléments de l’infraction. Le ministère public n’a pas demandé l’inversion de la charge de preuve dans le cas où l’automatisme sans aliénation mentale est en cause, et n’a donc pas avancé des arguments en faveur de l’application de l’article premier. Je ne crois pas que notre Cour devrait entreprendre de monter sa propre justification en vertu de l’article premier alors qu’aucun des procureurs généraux n’a même jugé bon de proposer le déplacement de la charge de persuasion, et encore moins de tenter de le justifier.

51 Seule une charge de présentation est imposée à l’accusé par les tribunaux de la plupart des autres ressorts, dont ceux du Royaume‑Uni, des États‑Unis, de l’Australie et de la Nouvelle‑Zélande. La charge de persuasion continue d’incomber au ministère public — Royaume‑Uni: voir Bratty, précité, le lord chancelier le vicomte Kilmuir, à la p. 406, lord Denning, à la p. 413, et lord Morris of Borth‑y‑Gest, à la p. 416, et voir Halsbury’s Laws of England (4e éd. 1990), vol. 11(1), au par. 6; États‑Unis: voir State c. Hinkle, 489 S.E.2d 257 (W. Va. 1996), et voir W. LaFave et A. Scott, Substantive Criminal Law (1986), vol. 1, à la p. 545:

[traduction] Il existe des précédents selon lesquels la preuve de la défense d’automatisme incombe au défendeur. Le point de vue dominant veut toutefois que le défendeur ne soit tenu que de présenter une preuve suscitant un doute concernant la conscience qu’il avait au moment de la perpétration du crime reproché. Si la défense se préoccupe vraiment de la question de savoir si le défendeur a accompli un acte volontaire, un élément essentiel du crime, il semblerait alors que, sur le plan constitutionnel, la charge de preuve devrait incomber à la poursuite.

Voir également Australie: Falconer, précité, à la p. 250, et Hawkins c. The Queen (1994), 72 A. Crim. R. 288 (H.C.), aux pp. 292 et 293; Nouvelle‑Zélande: R. c. Cottle, [1958] N.Z.L.R. 999, aux pp. 1007 et 1008, et Police c. Bannin, [1991] 2 N.Z.L.R. 237 (H.C.), à la p. 242.

52 L’importance de cette pratique en matière criminelle dans des ressorts comparables fait en sorte qu’un procureur général pourrait difficilement faire valoir que la justification d’une inversion de la charge de preuve en l’espèce peut se démontrer «dans le cadre d’une société libre et démocratique» au sens de l’article premier de la Charte, mais, comme nous l’avons vu, aucun des procureurs généraux qui ont comparu devant nous n’a même tenté d’avancer cet argument.

53 De toute façon, je ne suis pas convaincu que la charge de preuve serait déterminante suivant les faits de la présente affaire. Seuls deux témoins sont venus étayer l’automatisme, l’accusé et son expert en médecine. Si on ne les avait pas crus, le ministère public n’aurait eu aucune difficulté à s’acquitter de sa charge de persuasion. En revanche, si on les avait crus, le fait de transférer à la défense la charge de persuasion n’aurait pas empêché la poursuite d’échouer.

b) Deuxième motif: l’arrêt Rabey, précité, de notre Cour

54 Le deuxième argument principal du ministère public est que, même si on devait conclure que le comportement de l’appelant était involontaire, il reste que, dans l’arrêt Rabey, précité, notre Cour à la majorité a décidé que l’automatisme qui n’est pas attribuable à une cause externe, comme un coup à la tête, devrait être qualifié de maladie mentale. Le ministère public affirme qu’on pourrait présumer qu’une «personne ordinaire» est capable d’absorber un «choc psychologique» comme celui qui a été infligé à l’appelant par son épouse, sans sombrer dans un état de dissociation. La cause de la «dissociation» de l’appelant, si tant est qu’il y a eu dissociation, devrait donc être attribuée à une maladie mentale. Il a été reconnu que le régime de classification établi dans Rabey n’est pas emprunté à la médecine, mais le ministère public soutient qu’il peut se justifier par l’idée que l’expression «maladie mentale» est une notion juridique et non pas médicale. Il s’ensuit, d’affirmer le ministère public, qu’étant donné que le jury a rejeté la défense de NRCTM il était régulièrement tenu de déclarer l’accusé coupable sans examiner la preuve du caractère involontaire du comportement (jugée raisonnablement digne de foi par la cour).

55 Bien que j’aie utilisé jusqu’à maintenant les termes traditionnels automatisme «avec aliénation mentale» et automatisme «sans aliénation mentale», il sera désormais plus approprié de parler d’automatisme «avec troubles mentaux» et d’automatisme «sans troubles mentaux». Cela est dû au fait que les modifications apportées en 1991 (L.C. 1991, ch. 43) à l’art. 16 du Code ont retranché du Code toute mention de l’expression «aliénation mentale», de sorte que les expressions utilisées en common law devraient être mises à jour en conséquence afin de réduire les risques de confusion.

56 Il importe de noter attentivement les faits de l’arrêt Rabey, précité. L’accusé, un étudiant à l’Université de Toronto, était «immature sur le plan affectif». Il s’était épris d’une étudiante séduisante et sociable, qui ne partageait pas ses sentiments. En fait, elle avait tenu, à son sujet, des propos plutôt méprisants et humiliants dans un billet adressé à une amie, qui ne devait pas être lu par l’accusé mais sur lequel il était tombé, et dont la lecture l’avait profondément blessé. Par la suite, l’accusé et la jeune fille s’étaient trouvés seuls ensemble dans un pavillon universitaire et l’accusé, souffrant de ce qu’il a appelé une «perte momentanée de conscience», a sauvagement battu la femme qu’il disait aimer plus que toute autre personne. Le témoignage de l’expert appelé à la barre par la défense étayait la thèse d’une «perte momentanée de conscience» provoquée par un choc psychologique et non associée à une «maladie mentale». Le juge du procès a soumis la défense d’automatisme sans troubles mentaux à l’appréciation du jury, qui a acquitté l’accusé. La Cour d’appel de l’Ontario a infirmé cette décision ((1997), 17 O.R. (2d) 1). Après avoir procédé à un examen exhaustif de la jurisprudence, le juge Martin a conclu, à la p. 22, que l’étudiant avait simplement connu [traduction] «le stress et les contrariétés courantes de la vie qui sont le lot commun de l’humanité» et qu’il ne pouvait pas invoquer l’automatisme sans troubles mentaux. Selon le juge Martin, le prétendu «choc» n’aurait pas provoqué de perte momentanée de conscience chez une personne ordinaire. S’il a eu cet effet chez l’accusé, c’est que celui‑ci devait souffrir d’une fragilité mentale qui, en droit, serait considérée comme une maladie mentale. Le juge Martin semblait avoir le sentiment qu’il était simplement impossible de croire qu’une rebuffade aussi légère puisse provoquer une perte momentanée de conscience en l’absence d’une maladie mentale. Il était manifestement troublé par le fait que le jury avait prononcé l’acquittement en se fondant sur une telle preuve. La Cour d’appel a annulé le verdict d’acquittement et ordonné la tenue d’un nouveau procès, dans le cadre duquel l’accusé ne pourrait invoquer que la défense d’aliénation mentale. Notre Cour à la majorité a adopté la décision et le raisonnement du juge Martin.

57 Un élément crucial de l’analyse du juge Martin était l’idée que la «perte momentanée de conscience» était imputable à l’une des trois causes suivantes: (1) une cause externe comme un coup à la tête, auquel cas l’accusé pourrait invoquer la défense d’automatisme sans troubles mentaux, (2) une cause interne susceptible d’avoir une incidence psychologique semblable sur une personne dotée d’une sensibilité et d’une constitution psychologique ordinaires, comme la personne qui assiste au meurtre de son propre enfant, laquelle cause pourrait être assimilée à une cause «externe» et permettre (cette question n’ayant toutefois pas été réglée) à l’accusé d’invoquer l’automatisme sans troubles mentaux, ou (3) une cause interne qui a été déclenchée tout au plus par «le stress et les contrariétés courantes de la vie». En l’absence de toute autre explication crédible, la cause de l’automatisme, dans le troisième scénario, serait réputée être une «maladie mentale». Il a été statué, dans Rabey, que c’était le troisième scénario qui s’appliquait dans le cas de l’accusé puisque le juge Martin a conclu qu’une personne ordinaire n’aurait pas sombré dans un état de dissociation dans de telles circonstances. Par conséquent, selon le modèle à trois volets, la seule défense d’automatisme que Rabey pouvait invoquer était celle de l’automatisme avec troubles mentaux. Un facteur pertinent était le sentiment que [traduction] «[l]es influences externes que subit l’accusé sont perçues comme moins susceptibles que les influences internes de présenter un risque à l’avenir» (I. Grant, D. Chunn et C. Boyle, The Law of Homicide (feuilles mobiles), à la p. 6‑118).

58 Le juge Martin n’était manifestement pas impressionné par l’idée que l’amour non partagé d’un étudiant universitaire pouvait étayer la thèse du choc psychologique ayant provoqué un état de dissociation à l’origine d’une agression brutale. Selon lui, ou Rabey était atteint d’une maladie mentale ou il ne fallait pas ajouter foi à sa description des faits.

(i) La notion de maladie mentale

59 L’analyse faite dans l’arrêt Rabey situe la notion de «maladie mentale» au cœur de l’examen de l’automatisme. En élargissant la définition de «maladie mentale», les tribunaux ont élargi le rôle de la NRCTM et ont réduit le champ des comportements humains qui peuvent mener à l’acquittement complet en raison de l’omission du ministère public d’établir l’actus reus de l’infraction. Compte tenu de ce rôle décisif, il n’est pas étonnant que les tribunaux aient insisté pour que la définition de «maladie mentale» soit une question de droit et ne soit pas dictée par des experts en médecine.

60 Il est évident que l’apport médical est néanmoins un élément essentiel. Comme le juge La Forest l’a affirmé dans Parks, précité, à la p. 898, en citant les propos tenus par le juge Martin dans Rabey, précité, à la p. 12:

[traduction] «Maladie mentale» est une expression juridique, non une expression du vocabulaire médical; bien que ce soit une notion juridique, elle renferme un élément médical important ainsi qu’un élément juridique ou d’ordre public.

Le juge Martin a expliqué dans Rabey, à la p. 12, que la fonction d’ordre public se rapportait:

[traduction] . . . a) à la mesure dans laquelle le trouble mental permet d’échapper à la responsabilité criminelle, et b) à la protection du public par la surveillance et le traitement des personnes qui ont causé des préjudices graves pendant qu’elles étaient dans un état de trouble mental.

Quant à l’élément d’ordre public, le juge Martin a ensuite démontré, à la p. 14, que la notion juridique de «maladie» mentale englobe des troubles qui ne sont pas d’origine organique ou physique, ainsi que des [traduction] «troubles purement fonctionnels qui, pour autant qu’on le sache, n’ont pas de cause physique», et qui peuvent être «chroniques ou temporaires, curables ou incurables [. . .] récurrents ou non». En l’espèce, les experts en médecine ne s’entendaient pas sur la question de savoir si l’appelant avait la maîtrise consciente de ses actes au moment de l’homicide, mais ils ont convenu à l’unanimité que l’appelant ne souffrait d’aucune affection que la médecine qualifierait de «maladie mentale».

(ii) L’arrêt Parks rendu ultérieurement par notre Cour

61 L’arrêt Rabey de notre Cour doit maintenant être interprété à la lumière de la tentative ultérieure d’appliquer son cadre analytique au cas d’un somnambule dans Parks, précité. Dans ce dernier arrêt, le juge La Forest a paru accepter un bon nombre des considérations d’ordre public qui préoccupaient notre Cour dans Rabey, mais il a rejeté toute application automatique des critères de Rabey pour classer les affaires dans ce que nous appellerions maintenant la catégorie de l’automatisme avec troubles mentaux ou celle de l’automatisme sans troubles mentaux.

62 Dans Parks, l’accusé, en état de somnambulisme, a tué sa belle‑mère et blessé grièvement son beau‑père. Le jury a accepté le témoignage d’expert selon lequel les actes accomplis par l’accusé pendant qu’il dormait étaient involontaires. Le ministère public en a appelé de l’acquittement devant la Cour d’appel de l’Ontario, qui a confirmé le verdict, puis devant notre Cour, qui a rejeté son pourvoi à l’unanimité.

63 Dans Parks, le ministère public s’est appuyé sur son analyse de Rabey pour prétendre que le somnambulisme est une cause «interne» d’automatisme et que l’accusé, qui était somnambule, devrait donc prouver selon la prépondérance des probabilités qu’il était non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux. En rejetant cet argument dans Parks, le juge La Forest a mentionné deux considérations d’ordre public, soit la théorie du «risque subsistant» et celle de la «cause interne» (à la p. 901):

La théorie du risque subsistant dit que tout état comportant vraisemblablement la récurrence d’un danger pour le public devrait être traité comme une aliénation mentale. La théorie de la cause interne dit qu’un état dont l’origine tient à la constitution psychologique ou émotionnelle de l’accusé, par opposition à un facteur externe, devrait entraîner une conclusion d’aliénation mentale. Les deux théories révèlent une même préoccupation à l’égard de la récurrence, la deuxième disant qu’une faiblesse interne est plus susceptible d’entraîner une violence récurrente que l’automatisme provoqué par une cause externe.

64 Le somnambulisme ne cadrait pas avec l’analyse de Rabey. Bien qu’il puisse être associé à certains stimuli externes, le somnambulisme est le fruit du fonctionnement cérébral interne et devrait, par conséquent, être classé comme une «maladie mentale» par les tenants de la théorie de la cause interne. Peu de gens, toutefois, assimilent le somnambulisme à l’aliénation mentale. Le juge Martin a tenté de nuancer son analyse en affirmant qu’il constituait une [traduction] «catégorie distincte» (à la p. 17), mais, dans l’arrêt Parks, le juge La Forest a considéré que cet état minait l’utilité de la théorie même de la cause interne, qu’il a donc reléguée au rang d’«instrument d’analyse» (à la p. 902).

65 Je crois que, dans Parks, notre Cour a eu raison de se dissocier d’une application automatique de l’analyse de Rabey. En premier lieu, une application trop rigide de la théorie de la «cause interne» engendre des distinctions anormales. Dans R. c. Quick, [1973] 3 All E.R. 347 (C.A.), l’accusé avait agressé sa victime sous l’influence d’une injection d’insuline, et le lord juge Lawton a eu recours à la notion de cause externe (c’est‑à‑dire l’injection) pour nier l’existence d’une maladie mentale. Par ailleurs, dans R. c. Hennessy (1989), 89 Cr. App. R. 10 (C.A.), il a été jugé que la conduite involontaire d’un diabétique qui avait omis de s’administrer son insuline constituait une cause interne (en raison de son diabète) et devait donc être considérée comme une manifestation d’aliénation mentale. Ce traitement différent du diabète, selon des facteurs qui n’ont rien à voir avec la nature sous‑jacente de l’affection, démontre la facticité potentielle de l’analyse et, ainsi, ses limites.

66 En deuxième lieu, la notion élastique de «maladie mentale» peut être étirée au point de perdre toute utilité à des fins de classification. L’utilisation élastique ne se limite pas à la profession juridique. E. Tollefson et B. Starkman soulignent, dans Mental Disorder in Criminal Proceedings (1993), à la p. 53, le point de vue de l’Association des psychiatres du Canada, selon lequel toutes les causes d’automatisme sont des troubles mentaux. Du point de vue juridique, toutefois, la classification d’un problème comme étant un «trouble mental» doit avoir un fondement, sinon l’art. 16 et la partie XX.1 du Code (et ses critères émanant des règles de M‘Naghten (M‘Naghten’s Case (1843), 10 Cl. & Fin. 200, 8 E.R. 718)) risquent d’être appliqués à tort. Comme l’a souligné Williams, op. cit., à la p. 676:

[traduction] Les tribunaux devraient éviter de s’efforcer de décourager le recours à la défense de dissociation en l’interprétant comme une preuve d’aliénation mentale ou en refusant de soumettre une preuve psychiatrique à l’appréciation du jury. Ce sont les juges des faits qui devraient se prononcer sur ce moyen de défense, s’il est étayé d’une preuve médicale et, si le moyen est accepté, il devrait entraîner un acquittement ordinaire. Mais ce qui est le plus instamment nécessaire, c’est que les psychiatres qui témoignent à l’appui de la défense de dissociation dans des circonstances improbables soient habilement contre‑interrogés avec beaucoup de scepticisme et que le ministère public présente, si possible, une preuve contraire.

J’estime que la description de la charge de présentation faite par le juge Dickson, dans Rabey, règle la préoccupation exprimée par Williams au sujet de la preuve à soumettre.

67 En troisième lieu, le fondement jurisprudentiel de la théorie de la «cause interne» est douteux. D’après l’arrêt Rabey, cette théorie remonte à l’arrêt Quick, mais, comme l’a également souligné Williams, op. cit., à la p. 675:

[traduction] Affirmer que l’existence d’une cause externe de troubles mentaux empêche d’imputer la démence à une personne, comme il a été conclu dans Quick, n’implique pas que l’absence de cause externe signifie nécessairement qu’elle était démente.

68 En quatrième lieu, l’arrêt Rabey prévoit que certains chocs psychologiques pouvaient être classés parmi les causes internes et d’autres parmi les causes externes. Ainsi, à la p. 520 de cet arrêt, le juge Ritchie adopte l’observation suivante exprimée par le juge Martin de la Cour d’appel de l’Ontario, à la p. 22:

[traduction] . . . le stress et les contrariétés courantes de la vie qui sont le lot commun de l’humanité ne constituent pas une cause externe qui peut servir d’explication à un déséquilibre mental et le sortir de la catégorie «maladie mentale». Conclure en sens contraire équivaudrait à enlever toute signification à la notion du facteur externe.

Néanmoins, un choc psychologique suffisant pour faire perdre la raison à une personne ordinaire pourrait donner ouverture à une défense d’automatisme sans troubles mentaux (le juge Martin, à la p. 22, cité par le juge Ritchie, à la p. 520):

[TRADUCTION] Je laisse de côté, jusqu’à ce qu’ils se présentent, les cas où l’état de dissociation résulte d’un choc émotionnel sans blessures physiques: par exemple le fait d’avoir été impliqué dans un accident grave sans avoir subi de blessures physiques, d’avoir été victime d’un assaillant brandissant un couteau tout en ayant échappé à des blessures physiques, d’avoir vu un être cher assassiné ou gravement agressé, etc. On peut à juste titre présumer qu’une personne normale ordinaire puisse être affectée par ce genre d’événement externe extraordinaire, sans qu’intervienne la constitution subjective de la personne exposée à pareille expérience. [Je souligne.]

L’adoption d’un critère de la «personne normale ordinaire» est susceptible d’insuffler une norme de faute objective dans l’obligation du ministère public d’établir l’actus reus et la mens rea, et, par conséquent, de créer des problèmes de Charte: voir R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633, et Cameron, précité, aux pp. 273 et 274, le juge Doherty. La remarque que fait le juge Dickson, dissident, dans l’arrêt Rabey, à la p. 548, est encore plus pertinente aux fins du présent pourvoi:

Je ne vois pas clairement pourquoi, en droit, un choc émotionnel, qui peut être dévastateur, devrait être considéré dans certains cas comme une cause externe d’automatisme et dans d’autres cas comme une cause interne . . .

Bref, les problèmes conceptuels liés à la théorie de la «cause interne» justifient amplement de n’y voir qu’un «instrument d’analyse» (Parks, p. 902). Une création jurisprudentielle comme la théorie de la «cause interne» ne justifie pas de soustraire à l’appréciation du jury tous les cas d’«absence de conscience tout au long de la perpétration de l’infraction», pour la seule raison que l’accusé est incapable d’identifier une «cause externe» précise. Un tel accusé, qui s’est acquitté de la charge de présentation consistant à démontrer que son comportement était inconscient et involontaire, ne devrait pas toujours se retrouver au centre de ce qui, dans son cas, serait un débat artificiel, émanant du contexte d’un comportement conscient, sur la question de savoir s’il était incapable de juger «de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais».

69 L’autre fondement philosophique de l’analyse de Parks est la théorie du «risque subsistant». Le droit en matière d’automatisme se soucie à juste titre de la sécurité du public, et un problème est de savoir comment évaluer la probabilité de récurrence du comportement violent. Comme le juge Devlin l’a mentionné dans Hill c. Baxter, [1958] 1 Q.B. 277, aux pp. 285 et 286:

[traduction] On distingue aux fins du droit pénal deux catégories d’irresponsabilité mentale, celle où les troubles mentaux sont provoqués par la maladie et celle où ils ne le sont pas. La distinction n’est pas arbitraire. Si la cause n’est pas la maladie, s’il y a accidentellement une perte temporaire de conscience, il est raisonnable d’espérer qu’il n’y aura pas de rechute et qu’il sera sans danger de remettre en liberté absolue une personne qui a été acquittée. Mais s’il y a maladie, la même chose peut encore se reproduire et c’est pourquoi depuis 1800 [depuis la Criminal Lunatics Act, 1800], la loi prévoit la détention des personnes acquittées pour ce motif. [Je souligne.]

70 Le danger de récurrence a également été mentionné par lord Denning dans Bratty, précité, à la p. 410:

[traduction] Supposons qu’un homme commette un crime alors qu’il est dans un état d’automatisme ou que sa conscience est troublée à cause d’un nouvel accès de maladie mentale. Il ne fait aucun doute que cet acte est involontaire, mais il reste qu’il ne peut donner lieu à un acquittement inconditionnel car cela signifierait le laisser en liberté et lui permettre de recommencer. Le seul verdict valable est celui qui garantit la détention, dans un hôpital, de la personne qui souffre de la maladie afin qu’elle soit protégée dans son intérêt et dans celui des autres. [Je souligne.]

71 Dans Rabey, le juge Dickson a également cherché à lier à la «théorie du risque subsistant» la préoccupation d’ordre public relative à l’aliénation mentale. Même si les règles de M‘Naghten et l’art. 16 du Code ne parlent pas expressément du danger de récurrence, il reste qu’un cas isolé de comportement violent, si grave soit‑il, soulève des questions d’ordre public différentes de celles qu’un comportement résultant de la faiblesse d’esprit ou d’une autre maladie mentale organique qui s’est manifestée à une occasion et qui est susceptible de provoquer un autre acte de violence à l’avenir. Le risque de récurrence fait donc légitimement partie de l’«élément d’ordre public» de l’analyse juridique de la «maladie mentale».

72 Aux pages 906 et 907 de l’arrêt Parks, le juge La Forest cite, en les approuvant, les propos tenus par la Cour d’appel d’Angleterre (Division criminelle) dans R. c. Burgess, [1991] 2 All E.R. 769, à la p. 774:

[traduction] Il nous semble que l’existence du danger de récurrence fournit un motif supplémentaire de qualifier l’état en cause de maladie mentale. Par ailleurs, l’absence de danger de récurrence ne permet pas d’affirmer qu’il ne peut s’agir d’une maladie mentale.

Le juge La Forest a donc conclu, à la p. 905, que la théorie du «risque subsistant» ne constitue qu’un «facteur intervenant à l’étape de l’étude des questions d’ordre public». En l’espèce, ni l’un ni l’autre psychiatre n’a considéré que la récurrence représentait un risque important.

73 Dans ces circonstances, je ne crois pas que l’arrêt majoritaire rendu dans Rabey justifiait les tribunaux de la Colombie‑Britannique d’empêcher l’appelant de bénéficier de la décision en matière de preuve rendue en sa faveur sur la question du caractère involontaire. Lorsque le juge du procès conclut, comme c’est le cas en l’espèce, qu’il existait une preuve raisonnablement digne de foi que l’accusé était en fait inconscient tout au long de la perpétration de l’infraction, il n’y aura aucune conséquence fatidique si ce dernier omet ensuite d’établir l’existence d’une cause de la perte alléguée de conscience, susceptible d’être qualifiée d’«externe» par les tribunaux. Vu qu’il est rare qu’un accusé s’acquitte même d’une charge de présentation dans ce type d’affaire, il n’est pas réaliste de parler d’un problème de «raz de marée». Le psychiatre de la défense, qui a la formation voulue pour déceler des symptômes simulés, affirme qu’à son avis le témoignage de l’appelant est crédible, et juge plausible que les symptômes décrits par l’appelant soient liés à la perte alléguée de conscience. Il est évident que l’incapacité de décrire, autrement que de la façon très générale dont s’y est pris le Dr Janke, le mécanisme cérébral qui aurait fait perdre conscience à l’appelant est susceptible de miner la crédibilité de son récit qu’il a perdu conscience au départ. Toutefois, il incombait à l’appelant de démontrer le fait de la perte de conscience (au sens d’absence de lucidité et de maîtrise). Il n’était pas tenu de convaincre le tribunal relativement à la cause de son état sous peine de perdre le bénéfice de la décision en matière preuve. En fait, l’arrêt Rabey remplace la défense du caractère involontaire que l’accusé cherche à invoquer par une défense d’aliénation mentale que ni l’accusé ni les experts en médecine ne sont en mesure d’étayer plausiblement. À ce stade, il vaut la peine de se rappeler les propos tenus par le juge Cory, à la p. 91 de l’arrêt Daviault:

À mon avis, l’élément moral du caractère volontaire est un aspect fondamental du crime qui ne peut être retiré par une politique élaborée par les tribunaux.

74 Il s’ensuit, d’après moi, qu’une fois que le juge eut exercé sa fonction de gardien pour déceler les allégations futiles ou simulées, il appartenait au jury de se faire une opinion sur la crédibilité de la défense d’automatisme. Cette compétence ne devrait pas être retirée par une «politique élaborée par les tribunaux». Il faut s’attendre à ce que le jury examine de façon appropriée la preuve du caractère involontaire. Dans Rabey, il a été question de la nécessité de maintenir la crédibilité du système judiciaire. J’estime que le jury est aussi bien placé que quiconque dans ce système pour en maintenir la crédibilité. Après tout, il reste que c’est au jury que le législateur a confié la tâche d’évaluer la crédibilité de tels moyens de défense. Notre Cour devrait respecter cette attribution de responsabilité.

c) Troisième motif: l’argument que les dispositions du Code criminel relatives aux troubles mentaux permettaient de régler la question de l’automatisme selon les faits de la présente affaire

75 Le troisième argument principal avancé pour le compte du ministère public était que, tout à fait indépendamment de l’arrêt Rabey de notre Cour, la présente affaire a été assujettie à bon droit à l’application des dispositions de l’art. 16 du Code relatives à la NRCTM. Le ministère public affirme qu’en l’espèce la cause déterminante de la dissociation était une «maladie mentale», au plein sens juridique de l’expression, et qu’en pareil cas les questions du caractère involontaire sont subsumées à bon droit sous l’analyse de la NRCTM, et ce, malgré le fait qu’en l’espèce les experts ont tous convenu que l’appelant ne souffrait d’aucune «maladie mentale» médicalement connue. Comme je l’ai déjà dit, je conviens que la «maladie mentale» est une notion juridique; néanmoins, une dissociation importante du droit et de la médecine sur ce point impose souvent une certaine facticité pour créer ce qui revient, en médecine, à tenter d’établir la quadrature du cercle.

76 En l’espèce, il ne s’agit pas de savoir si, pour des raisons d’ordre public, le droit peut élargir sa notion de «maladie mentale» de manière à inclure un comportement traditionnellement considéré comme de l’automatisme sans aliénation mentale. Il peut le faire. C’est une tout autre question qui se pose en l’espèce. On nous demande de dire que, même si la défense de NRCTM échoue, la Cour recourra à une politique de son cru pour dégager le ministère public de la charge de prouver l’élément le plus litigieux de l’actus reus en soustrayant à l’appréciation du jury la question du caractère volontaire.

77 Il est vrai que si l’on appliquait sans réfléchir les affirmations qui relient le caractère volontaire à l’actus reus, même un accusé violent atteint d’une maladie mentale [traduction] «où l’esprit ne sait pas ce qui se produit» (Rabey (C.S.C.), précité, à la p. 518, où l’on cite R. c. K., précité, à la p. 84) pourrait exiger l’acquittement absolu ou pur et simple. Tel était le point de vue de la common law, selon le juge Devlin, dans R. c. Kemp, [1956] 3 All E.R. 249, à la p. 251:

[traduction] En common law, si un homme n’est pas responsable de ses actes, il a le droit d’être acquitté selon le mode normal d’acquittement; il importe peu que son absence de responsabilité découle de l’aliénation mentale ou d’une autre cause.

En raison du danger qu’une telle issue présentait pour le public et de l’évolution de la compréhension de la maladie mentale, les tribunaux se sont engagés dans une voie qui les a finalement amenés à subsumer la notion de comportement involontaire sous celle d’aliénation mentale où le comportement involontaire pouvait être décrit comme résultant d’une maladie mentale. Si elle était acceptée, la défense d’aliénation mentale menait à un verdict de «non‑culpabilité pour cause d’aliénation mentale» qui pouvait entraîner la détention pour une durée indéterminée selon le bon plaisir de l’État.

78 Le problème est que, même si l’art. 16 du Code peut établir un régime approprié pour résoudre les cas où il est question de «maladies mentales» au sens médical, il ne répond peut‑être pas aux véritables questions qui se posent dans les cas où la désignation de «maladie mentale» est juridique plutôt que médicale. Le point de vue de l’Association des psychiatres du Canada, selon lequel l’automatisme résulte toujours d’une maladie mentale, n’était pas assorti d’une acceptation claire et nette que l’art. 16 du Code fournit un cadre analytique approprié dans tous ces cas. Le point de mire des dispositions du Code relatives à la NRCTM diffère nettement de celui de l’automatisme. Dans ce dernier cas, on se demande si le comportement était volontaire, alors que, dans le premier cas, on examine une cause possible d’automatisme et on s’interroge sur l’incidence de la maladie mentale sur des aspects juridiquement pertinents de la capacité mentale.

79 L’existence d’une «maladie mentale» est une question préliminaire à l’art. 16. Pour paraphraser lord Diplock dans R. c. Sullivan, [1984] A.C. 156 (H.L.), à la p. 172, la véritable question est de savoir si [TRADUCTION] «une maladie a pour effet de diminuer ces facultés [mentales] au point d’entraîner l’une ou l’autre des conséquences mentionnées» au par. 16(1), à savoir notamment si la maladie a rendu l’accusé «incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais».

80 En d’autres termes, il est clair que «les conséquences mentionnées» à l’art. 16 visent des questions autres que le caractère volontaire. Il y a beaucoup à dire à l’appui de l’observation du professeur D. Stuart dans Canadian Criminal Law: A Treatise (3e éd. 1995), à la p. 108:

[traduction] Une «maladie mentale» n’est que l’une des exigences du moyen de défense fondé sur l’aliénation mentale. Si ce moyen échoue, pour une raison quelconque, la justice exige sûrement que le jury puisse examiner l’automatisme sans aliénation mentale. L’arrêt MacLeod [R. c. MacLeod (1980), 52 C.C.C. (2d) 193 (C.A.C.‑B.)] établit que les étiquettes psychiatriques pourraient bien empêcher d’invoquer la défense d’automatisme sans aliénation mentale même si elle n’est pas le seul baromètre de l’aliénation au sens juridique. [En italique dans l’original.]

81 L’examen de l’art. 16 du Code soulève deux autres points. Premièrement, le législateur n’a pas fait allusion à la question de savoir si le comportement est volontaire ou non. Il suffit que l’acte ou l’omission soient survenus alors que l’accusé souffrait de «troubles mentaux» (expression définie comme «[t]oute maladie mentale» à l’art. 2). Deuxièmement, le législateur a abordé la question de la capacité de l’accusé, et non celle de la preuve de l’existence ou de l’absence d’une mens rea particulière selon les faits en cause. La constatation de troubles mentaux supplante donc les règles ordinaires de la responsabilité criminelle, y compris le caractère volontaire, et soumet l’accusé à un régime légal établi à l’intention des personnes que le droit décrivait auparavant comme des «criminels atteints d’aliénation mentale».

82 La difficulté qu’il y a à subsumer la question du caractère volontaire sous la question différente des troubles mentaux dans des cas comme la présente affaire a été soulignée, il y a 40 ans, par le président Gresson de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Zélande dans l’arrêt Cottle, précité, à la p. 1009. Dans une décision amplement commentée par des membres de la Chambre des lords dans Bratty, précité, le président Gresson a dit craindre, à la p. 1009, l’application des règles de M‘Naghten à un accusé qui était simplement dépourvu de volonté:

[traduction] Nous devons accepter tel quel ce point de vue, mais nous ne pouvons échapper au problème que les règles de M’Naghten n’ont jamais été destinées à s’appliquer à un cas où l’acte en cause a été accompli involontairement ou inconsciemment. La formule M’Naghten ne tient compte que des facultés cognitives et présuppose que l’auteur de l’acte était conscient de ce qu’il faisait. On a néanmoins pris l’habitude de considérer qu’une personne était «incapable de comprendre la nature et la qualité» de son acte alors qu’à vrai dire elle n’était même pas consciente d’avoir agi, et de juger que la formule était applicable aux cas d’automatisme [. . .] Il est malheureux que les règles de M’Naghten aient été appliquées de cette façon trop libérale. [Je souligne.]

83 La question de l’art. 16 semble factice dans le cas d’une personne qui allègue avoir été inconsciente au moment pertinent. Si son allégation est véridique, elle a non seulement omis de juger «de la nature et de la qualité de l’acte», mais encore elle ne s’est même pas rendu compte qu’il était accompli. Si elle est fausse, cette personne ne dit simplement pas la vérité. Néanmoins, l’existence d’une «maladie mentale» déclenche l’application de l’art. 16, et l’accusé dont l’automatisme résulte d’une telle maladie devrait être déclaré non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux au lieu d’être acquitté. La notion de «maladie mentale» est et devrait continuer d’être régie par des considérations juridiques plutôt que par des considérations purement médicales.

84 En même temps, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, les experts en médecine de la poursuite et ceux de la défense s’entendent sur l’absence de «maladie mentale» médicalement connue, et que la seule justification offerte pour imputer le comportement en cause à des troubles mentaux est l’incapacité de l’accusé d’identifier une cause «externe», j’estime que ce n’est pas suffisant (i) pour transférer à la défense la charge de persuasion du ministère public, en vertu de l’art. 16, ni (ii) pour soustraire à l’appréciation du jury la question de l’automatisme sans troubles mentaux.

85 L’appelant fait remarquer qu’il se peut que le jury ait rejeté la défense d’automatisme avec troubles mentaux parce qu’il n’a pas ajouté foi à sa version des faits, ou parce qu’il a cru que ses actes, bien qu’involontaires, n’étaient pas le fruit d’une maladie mentale. Par conséquent, l’omission de soumettre la défense d’automatisme sans troubles mentaux l’a privé de la possibilité d’être acquitté sur une question dont il avait établi les fondements, selon le juge du procès. C’est pour ce motif que l’appelant soutient que la règle jurisprudentielle porte atteinte à la présomption d’innocence que lui garantit l’al. 11d) de la Charte et l’a privé d’un élément important du droit que lui reconnaît l’al. 11f) de la Charte à ce que le jury décide de son sort. J’estime que la conclusion que la question de l’automatisme sans troubles mentaux aurait dû être soumise à l’appréciation du jury en l’espèce est compatible avec les observations de la Haute Cour d’Australie à la majorité dans Falconer, précité, et, en particulier, avec l’opinion des juges Deane et Dawson (p. 266), du juge Toohey (pp. 273 et 281) et du juge Gaudron (p. 285), selon laquelle la preuve qui met en doute de façon plausible le caractère volontaire des actes de l’accusé (c.‑à‑d., qui soulève la question de savoir si l’acte ou l’omission sont survenus indépendamment de sa volonté) doit être soumise à l’appréciation du jury.

86 Il est loisible au ministère public ou à la défense d’établir l’existence de troubles mentaux selon la prépondérance des probabilités. Il va sans dire que le ministère public doit suivre la règle établie dans R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, selon laquelle la preuve dont il dispose relativement à des troubles mentaux ne pourra être admise que si la défense met en doute la capacité mentale de l’accusé de former une intention criminelle, comme l’explique le juge en chef Lamer, à la p. 976:

Ainsi, bien que le droit d’un accusé de contrôler sa défense soit un principe de justice fondamentale, ce droit n’est pas «absolu». Si un accusé choisit de mener sa défense de telle manière que sa capacité mentale de former une intention criminelle est d’une manière ou d’une autre mise en doute, le ministère public aura alors le droit de «compléter le tableau» en présentant sa propre preuve d’aliénation mentale et le juge du procès sera fondé à donner au jury des directives relativement à l’art. 16. [Je souligne.]

Le juge La Forest fait la même remarque relativement à l’automatisme, dans l’arrêt Parks, précité, à la p. 898:

Si l’accusé plaide l’automatisme, le ministère public peut soulever la question de l’aliénation mentale, mais c’est alors à ce dernier de prouver que l’état en question découle d’une maladie mentale; voir Rabey, précité, aux pp. 544 et 545.

Si le jury était convaincu que les exigences de l’art. 16 ont été respectées, la question serait réglée: l’appelant serait jugé non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux. Il ne pourrait pas faire abstraction de sa NRCTM et demander l’acquittement complet pour cause d’absence de caractère volontaire. J’estime, cependant, que si le jury rejetait la NRCTM, il devrait tout de même disposer de la directive élémentaire selon laquelle l’accusé a droit à l’acquittement si le ministère public n’établit pas hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l’infraction, y compris le caractère volontaire.

(4) La compétence du jury

87 Pour ces motifs, je suis d’avis qu’étant donné que le juge du procès a conclu que l’appelant avait réussi à s’acquitter de la charge de présentation, ce dernier avait droit à ce que la question du caractère volontaire soit soumise à l’appréciation du jury. En tirant cette conclusion, je n’ai pas oublié l’observation sceptique susmentionnée que Williams fait, aux pp. 673 et 674:

[traduction] Comme il est étrange, peut dire le profane, et comme cela tombe bien pour le défendeur qu’il ait été plongé dans ce prétendu état de dissociation au moment même où il avait tout lieu de fuir la police ou lorsqu’il s’est trouvé face à face avec une personne qu’il avait de fortes raisons d’attaquer. [Je souligne.]

Il est révélateur que l’auteur mentionne explicitement «le profane» et qu’il laisse entendre que le bon sens du profane résoudrait rapidement les complexités juridiques évoquées par la jurisprudence au sujet de l’automatisme. Je n’ai pas oublié non plus la préoccupation que le juge Dickson a exprimée dans Rabey, à la p. 546, au sujet de la possibilité des défenses d’automatisme simulé:

Il faut sans doute tenir compte de considérations d’ordre public. L’automatisme en tant que moyen de défense est facilement simulé. On affirme que la crédibilité de notre système de justice pénale risque d’être sérieusement mise à l’épreuve si une personne qui a commis un acte violent bénéficie d’un verdict d’acquittement absolu sur un plaidoyer d’automatisme provoqué par un choc psychologique. On fait valoir que le succès de ce moyen de défense dépend de l’habilité d’expression des psychiatres appelés à tracer l’étroit sentier entre les deux écueils de la responsabilité criminelle et du verdict d’aliénation mentale. À tout cela on ajoute l’argument menaçant du raz de marée si la défense d’automatisme provoqué par un choc psychologique est reconnue en droit.

Une partie de la solution envisagée par le juge Dickson pour dissiper cette préoccupation consistait à préciser en quoi consiste la charge de présentation qui incombe à l’accusé, en exigeant (à la p. 552) que la preuve de l’accusé soit

. . . étayée par le témoignage d’un médecin portant que l’accusé n’a pas simulé une perte de mémoire et qu’il n’existe pas d’état pathologique sous‑jacent qui indique une maladie nécessitant une détention et des traitements.

Selon la méthode du juge Dickson, l’expert en médecine doit répondre de la crédibilité de la preuve de la perte de conscience et ainsi du caractère involontaire, présentée par l’accusé.

88 Toutefois, je crois que, si on l’examine plus attentivement, la solution du juge Dickson consistait à sanctionner le rôle du jury envisagé par le législateur, compte tenu notamment du fait qu’il a affirmé dans R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670, à la p. 693:

Bien entendu, il est tout à fait possible de concevoir un argument qui attaque la théorie du procès avec jury. Les jurys sont capables de commettre des erreurs énormes et ils peuvent parfois sembler mal adaptés aux exigences d’un droit criminel de plus en plus compliqué et subtile. Mais tant que le législateur n’aura pas modifié le modèle existant, la cour devra s’abstenir de mettre en doute la capacité des jurys d’accomplir la tâche qui leur est assignée.

Ajoutant, aux pp. 693 et 694:

Nous devrions conserver notre foi dans les jurys qui, comme l’a affirmé sir William Holdsworth, [traduction] «depuis des centaines d’années n’ont cessé d’appliquer les règles de droit en fonction du bon sens contemporain (Holdsworth, A History of English Law (7th ed. 1956), vol. I, à la p. 349).

89 Le bon sens des membres du jury est une partie fondamentale et cruciale de notre système de justice criminelle. Comme le juge Cory l’a dit dans l’arrêt Osolin, précité, à la p. 683: «En général, le système de jury fonctionne exceptionnellement bien. Son importance est confirmée par l’al. 11f) de la Charte.» Plus précisément, dans le contexte de l’intoxication et de la mens rea, le juge en chef Dickson fait remarquer, dans R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833, à la p. 848, en citant R. c. Hill, [1986] 1 R.C.S. 313, à la p. 334:

«J’ai la plus grande confiance dans le niveau d’intelligence et de simple bon sens du jury canadien moyen qui siège dans une affaire criminelle. Les jurys sont parfaitement capables d’évaluer la question.»

Par exemple, le jury était saisi en l’espèce du témoignage du psychiatre du ministère public, selon lequel la réaction violente de l’appelant à l’attaque verbale de son épouse était vraiment trop réfléchie et sa perte de mémoire, trop commode, pour être jugées «involontaires». Je crois qu’on pouvait s’attendre à ce que les membres du jury démontrent un puissant scepticisme au sujet d’une telle preuve. Quiconque pense qu’un jury formé de chauffeurs d’autobus, d’employés de bureau et d’autres gens pratiques sera moins sceptique qu’un juge ou un professeur de droit n’a peut-être pas passé assez de temps dans les autobus ou autour des machines à café dans les bureaux.

(5) Conclusion sur la question de l’automatisme

90 En définitive, je crois que, compte tenu de la décision du juge du procès relative à la preuve, selon laquelle il était établi que l’appelant était inconscient tout au long de la perpétration de l’infraction, ce dernier avait droit à ce que la défense d’automatisme sans troubles mentaux soit soumise à l’appréciation du jury, pour les motifs suivants.

91 Premièrement, je n’accepte pas l’argument du ministère public selon lequel la classification jurisprudentielle des situations dans les catégories de l’automatisme avec troubles mentaux et de l’automatisme sans troubles mentaux peut le dégager de l’obligation de prouver tous les éléments de l’infraction, y compris le caractère volontaire. Comme nous l’avons vu, une telle interprétation suscite de fortes objections fondées sur l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte, et il n’y a eu, en l’espèce, aucune tentative de fournir une justification au sens de l’article premier.

92 Deuxièmement, imposer à l’appelant une charge de persuasion consistant à établir le «caractère involontaire» selon la prépondérance des probabilités, au lieu de la charge de présentation actuelle, soulève les mêmes problèmes de Charte, et le dossier n’indique aucune tentative de justification à cet égard.

93 Troisièmement, la théorie de la «cause interne», qui sous‑tend l’argumentation du ministère public, ne saurait, sans risquer de porter atteinte à l’al. 11f) de la Charte, servir à priver l’appelant du bénéfice de voir le jury apprécier le caractère volontaire de son acte, une fois qu’il s’est acquitté de la charge de présentation. La façon dont la théorie de la cause interne est traitée dans Rabey doit être examinée à la lumière de l’arrêt Parks, précité, dans lequel notre Cour a exprimé de sérieuses réserves au sujet de l’utilité de la théorie de la «cause interne», sauf en tant qu’«instrument d’analyse». L’arrêt Rabey, qui est clarifié dans Parks, n’impose aucune présomption que l’absence de caractère volontaire doit être attribuée à l’existence de troubles mentaux chaque fois qu’aucune cause externe convaincante n’est identifiée. En l’espèce, une fois qu’il s’était acquitté de sa charge de présentation, l’appelant avait droit à ce que la question du caractère volontaire soit soumise à l’appréciation du jury.

94 Quatrièmement, les tribunaux ont eu tort d’obliger l’appelant à substituer à la défense du caractère involontaire qu’il avait choisie la défense d’aliénation mentale qui est tout à fait différente sur le plan conceptuel. L’un des rares points sur lesquels s’entendaient les experts de la défense et du ministère public au procès était que l’appelant ne souffrait de rien qui pouvait être décrit comme une maladie mentale au sens médical. Ou bien il était inconscient au moment de l’homicide, ou bien il ne disait pas la vérité au procès. C’est une question qu’il appartenait au jury de trancher. L’examen, prévu par la loi, de la question de savoir s’il était «attein[t] de troubles mentaux» qui le rendaient «incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais» est de nature qualitative et ne règle pas vraiment son allégation qu’il n’était même pas conscient d’avoir agi.

95 Enfin, la preuve établissait qu’il existe des états d’automatisme dans lesquels des personnes parfaitement saines d’esprit perdent la maîtrise consciente de leurs actes. Il appartenait alors au jury, et non pas au juge, de décider si l’appelant avait sombré dans un tel état physique et mental. Comme le juge en chef Dickson le fait observer dans l’arrêt Bernard, précité, à la p. 848, les jurés étaient «parfaitement capables d’évaluer la question».

B. La communication forcée du rapport d’expert au ministère public

96 L’appelant a soulevé un deuxième point dans l’appel interjeté contre sa déclaration de culpabilité, affirmant que le juge du procès avait commis une erreur justifiant annulation en ordonnant la production au ministère public du rapport du Dr Janke dès le début de la plaidoirie de la défense. Le juge en chef McEachern a convenu qu’un rapport préparé par un expert de la défense est normalement protégé et ne peut faire l’objet d’une ordonnance de communication. Il a toutefois statué que, compte tenu des commentaires de l’avocat de la défense à l’ouverture de sa preuve et du fait que le rapport du Dr Janke aurait de toute façon été communiqué dès qu’il se serait présenté à la barre des témoins, sa communication prématurée n’avait engendré aucune erreur judiciaire.

97 J’estime qu’il était inutile, en l’espèce, d’invoquer la disposition réparatrice de l’art. 686. L’appelant a, par l’intermédiaire de son avocat, renoncé au privilège rattaché au rapport, à l’ouverture de la preuve de la défense. À ce moment, l’avocat avait évoqué en ces termes le contenu du témoignage escompté du Dr Janke:

[traduction] Comme je l’ai déjà indiqué, vous avez appris ce qui s’est passé, pendant la présentation de la preuve de la poursuite. Vous allez maintenant entendre M. Stone et un psychiatre légiste, le Dr Janke, dire pourquoi c’est arrivé. Le Dr Janke vous expliquera que l’état d’esprit de M. Stone au moment de l’homicide est connu, en psychiatrie, comme un état de dissociation.

. . .

Le Dr Janke exerce la psychiatrie en cabinet privé, comme consultant auprès du gouvernement, et il enseigne à UBC. Son témoignage expliquera en termes psychiatriques son diagnostic concernant l’état d’esprit de M. Stone au moment de l’attaque. Il vous dira que M. Stone était dans un état de dissociation ou qu’il agissait comme un automate, c’est‑à‑dire comme quelqu’un qui agit inconsciemment. Il dira que puisque M. Stone n’agissait pas de façon consciente, il ne pouvait avoir eu l’intention de tuer son épouse. [Je souligne.]

98 En divulguant ce qu’il comptait utiliser en faveur de l’accusé dans le rapport du Dr Janke, l’avocat de la défense ne pouvait dissimuler les autres parties du document susceptibles de contredire ou mettre en contexte ce qui avait été révélé. Il est vrai que le rapport du Dr Janke comprenait non seulement son diagnostic, mais encore une relation des faits fournie par l’appelant sur laquelle l’expert fondait son opinion. C’est grâce à la communication de ce rapport, par exemple, que le ministère public a appris que l’accusé, contrairement à ce qu’il avait déclaré dans son témoignage initial, semblait, à cause d’un rêve, avoir un certain souvenir du début de l’agression fatale. L’avocat de la défense connaissait bien sûr le contenu du rapport, y compris les déclarations attribuées à l’appelant, lorsqu’il a choisi de le communiquer au jury. Il n’était pas loisible à l’appelant de choisir les parties d’un rapport d’expert qui seraient soumises au juge des faits. C’est donc à bon droit que le juge du procès a ordonné la production du rapport du Dr Janke à la fin de l’exposé initial de la défense.

99 Toutefois, si cela s’avérait nécessaire, je donnerais également suite au moyen subsidiaire retenu par le juge en chef McEachern. Le fait d’appeler le Dr Janke à la barre constituait sûrement une renonciation à tout privilège rattaché à son rapport. Comme le juge en chef McEachern l’a souligné, dès qu’un témoin se présente à la barre, on ne peut plus considérer qu’il donne des conseils confidentiels à une partie. Il donne une opinion pour assister le tribunal. Pour cette raison, la partie adverse doit avoir accès aux fondements de telles opinions pour en vérifier adéquatement l’exactitude. Étant donné que le rapport aurait dû être communiqué après l’interrogatoire principal du Dr Janke, on ne saurait dire que sa communication antérieure a eu un effet important sur l’issue du procès. Si cette communication antérieure n’avait pas eu lieu, le ministère public aurait eu le droit d’interrompre son contre‑interrogatoire de l’appelant et de le reprendre après avoir obtenu la possibilité d’examiner le contenu du rapport. Par conséquent, même si l’exposé initial de l’avocat de la défense avait été insuffisant pour entraîner la communication, le sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code permettrait de réparer l’erreur commise.

IV. Dispositif

100 En définitive, j’aurais accueilli le pourvoi, annulé l’ordonnance de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Si j’avais partagé la décision du juge Bastarache de rejeter le pourvoi contre la déclaration de culpabilité, j’aurais également souscrit, pour les raisons qu’il donne, au rejet du pourvoi du ministère public contre la peine infligée.

Version française du jugement des juges L’Heureux-Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin et Bastarache rendu par

//Le juge Bastarache//

101 Le juge Bastarache — Il est question en l’espèce d’automatisme et, plus précisément, d’automatisme «provoqué par un choc psychologique». L’appelant prétend que les seules paroles prononcées par son épouse l’ont plongé dans un état d’automatisme tel que les actes qu’il a alors accomplis étaient involontaires, y compris les 47 coups de couteau qu’il lui a assénés. Comment un accusé peut‑il démontrer que de simples paroles l’ont fait sombrer dans un état d’automatisme tel que ses actes étaient involontaires et ne justifient donc pas une sanction pénale? Telle est la question soulevée dans le présent pourvoi.

I. Les faits

102 L’appelant a été accusé du meurtre de son épouse, Donna Stone. Au procès, il a admis l’avoir tuée. Pour sa défense, il a invoqué l’automatisme avec aliénation mentale, l’automatisme sans aliénation mentale, l’absence d’intention et, subsidiairement, la provocation.

103 L’appelant a rencontré Donna Stone au printemps 1993. Ils se sont mariés le 8 mai de la même année. Ils ont habité Winfield (Colombie‑Britannique), dans la vallée de l’Okanagan. Il s’agissait du troisième mariage de l’appelant. Deux fils, aujourd’hui adolescents, sont issus de son deuxième mariage. Ils vivent avec leur mère à Surrey (Colombie‑Britannique), en banlieue de Vancouver.

104 En mars 1994, l’appelant a planifié un voyage d’affaires à Vancouver. Il a décidé de rendre visite à ses fils pendant qu’il se trouverait dans cette région. Il a communiqué avec sa seconde épouse et a pris les dispositions nécessaires pour emmener ses fils au restaurant et au cinéma. L’appelant n’a pas informé Donna Stone de son intention d’aller à Vancouver et de rendre visite à ses fils parce que cette dernière ne s’entendait pas bien avec eux.

105 Selon l’appelant, Donna Stone a appris qu’il avait l’intention d’aller à Vancouver. Elle a exigé de l’accompagner ajoutant qu’elle le suivrait dans un autre véhicule s’il refusait qu’elle soit du voyage. L’appelant a consenti à l’emmener avec lui à Vancouver.

106 L’appelant a témoigné que Donna Stone l’avait réprimandé pendant tout le trajet jusqu’à Vancouver et qu’elle s’opposait à ce qu’il rende visite à ses fils. Il s’est néanmoins rendu chez sa seconde épouse pour rendre visite à ses fils comme prévu. La visite n’a duré que 15 minutes parce que Donna Stone menaçait d’ [traduction] «appuyer sur le klaxon jusqu’à ce que la police arrive».

107 L’appelant a témoigné que, après la brève visite faite à ses fils, lui et Donna Stone s’étaient dirigés vers Vancouver. Selon l’appelant, Donna Stone lui a demandé s’il voulait divorcer. Il a répondu qu’il serait préférable qu’ils divorcent si elle ne le laissait pas voir ses fils. Cette réponse a mis la victime en colère et celle‑ci a recommencé à engueuler l’appelant.

108 L’appelant a témoigné qu’il s’était garé dans un terrain vague et qu’il avait éteint le moteur pendant que Donna Stone continuait de vociférer contre lui:

[traduction] . . . je suis resté assis là la tête baissée pendant qu’elle continuait de me crier que je n’étais rien d’autre qu’un tas de merde, que lorsqu’elle avait parlé aux policiers, elle leur avait menti en leur disant que je la maltraitais, qu’ils étaient en train de préparer les documents nécessaires pour me faire arrêter et que tout ce qu’elle avait à faire était de leur téléphoner; et qu’une fois qu’ils m’auraient arrêté, elle obtiendrait une ordonnance de la cour qui m’empêcherait de retourner à la maison, de sorte que je devrais aller vivre chez ma mère et exploiter mon entreprise depuis cet endroit, qu’elle arrêterait de travailler et resterait simplement à la maison avec ses enfants, et que je devrais lui verser une pension alimentaire, pour elle et pour ses enfants.

. . . Bien, elle n’arrêtait pas et a simplement dit qu’elle ne pouvait pas edurer m’entendre siffler, que je la dégoûtais chaque fois que je la touchais, que j’étais nul au lit, que j’avais un petit pénis et qu’elle ne coucherait plus jamais avec moi; et j’étais juste assis là, la tête baissée, et, à ce moment‑là, elle était à genoux sur le siège et me lançait cela au visage . . .

109 L’appelant a témoigné que la voix de la victime avait commencé à baisser. Il se rappelle s’être demandé pourquoi elle les traitait ainsi, lui et ses enfants. Il se souvient également avoir pensé à la façon dont les gens de la petite ville où il habitait le jugeraient si son épouse le faisait arrêter. L’appelant se rappelle ensuite avoir eu la sensation «d’être emporté» par une vague le submergeant des pieds à la tête. Selon l’appelant, lorsqu’il a repris ses sens, il regardait droit devant lui et a senti quelque chose dans sa main. Il tenait le couteau de chasse de six pouces qu’il conservait dans le camion. Il a levé les yeux et a aperçu Donna Stone affaissée sur le siège. Il savait qu’elle était morte. Il a été établi, par la suite, que Donna Stone était morte au bout de son sang après avoir été poignardée à 47 reprises.

110 L’appelant a témoigné qu’il avait ouvert la portière du passager et que le corps de Donna Stone était tombé sur le sol. Entre cinq et dix minutes plus tard, l’appelant a placé le corps de son épouse dans une boîte à outils à l’arrière de son camion. Il a alors lavé ses mains ensanglantées dans une flaque d’eau, puis a retiré ses vêtements tachés de sang pour enfiler des vêtements de rechange qu’il gardait dans le camion. L’appelant a ensuite quitté le terrain vague et s’est rendu à un motel situé tout près où il a demandé des indications sur l’itinéraire à suivre pour retourner chez lui et a acheté un carton de six bières pour se calmer les nerfs.

111 Selon sa relation des faits, l’appelant est arrivé chez lui vers 3 heures du matin. Il n’est pas entré immédiatement car les lumières étaient allumées et il craignait que quelqu’un ne soit pas encore couché. Il est resté stationné dans la rue jusqu’à 6 heures du matin, après quoi il a conduit son camion dans le garage et est entré dans la maison, où il a fait du ménage et mis quelques chemises dans une valise. Il a laissé un mot à sa belle‑fille, la fille de la victime:

[traduction] Désolé, Nicole, mais elle n’arrêtait pas de crier après moi. Le prêt que j’ai à la banque, à la caisse populaire, est assuré au cas où je mourrais. Affectueusement, Bert

112 L’appelant a témoigné qu’il avait loué une chambre d’hôtel pour prendre une douche et se raser. Ensuite, il a perçu une somme qui lui était due, vendu une auto lui appartenant et pris un taxi en direction de l’aéroport, où il s’est envolé pour le Mexique. Pendant son séjour dans ce pays, l’appelant s’est réveillé un matin, en proie à la sensation qu’on lui tranchait la gorge. En essayant de se remémorer le rêve qu’il avait fait, il s’est souvenu avoir poignardé Donna Stone à la poitrine à deux reprises avant d’avoir la sensation «d’être emporté».

113 Le corps de Donna Stone a été découvert dans la boîte à outils du camion de l’appelant deux jours après sa mort.

114 L’appelant est revenu au Canada environ six semaines plus tard, soit le 2 mai 1994. Le lendemain, il a parlé à un avocat et s’est ensuite livré à la police.

II. La preuve psychiatrique

115 Deux psychiatres ont témoigné dans la présente affaire. Le Dr Janke, psychiatre de la défense, s’est entretenu à deux reprises avec l’appelant environ 18 mois après l’homicide. Le Dr Murphy, psychiatre du ministère public, a rencontré l’appelant pendant une heure le septième jour du procès.

A. Le témoignage du Dr Janke

116 Le Dr Janke a témoigné qu’un «épisode de dissociation» est une expression médicale qui désigne une situation où la pensée d’une personne, y compris son discernement et sa capacité de savoir ce qu’elle fait, se sépare de son corps. Selon le Dr Janke, la dissociation peut être causée par un choc psychologique et s’accompagne souvent d’une perte de mémoire partielle ou totale. À sa connaissance, il n’était jamais arrivé qu’un épisode de dissociation accompagné de violence se répète.

117 Le Dr Janke a témoigné que les faits relatés par l’appelant en l’espèce pouvaient laisser croire à l’existence d’un épisode de dissociation causé par une série de chocs psychologiques. Il a notamment souligné que les faits suivants pouvaient laisser croire à l’existence d’un état de dissociation: les paroles de Donna Stone juste avant l’homicide étaient outrancières; la seconde épouse de l’appelant a raconté que, deux ou trois heures avant l’homicide, l’appelant lui avait semblé ne pas être le même homme; l’appelant a relaté avoir eu la sensation «d’être emporté», et avoir ensuite repris conscience; l’appelant a dit avoir eu une perte de concentration et de mémoire, ainsi que du mal à suivre les indications routières qui lui avaient été données; enfin l’agression a été particulièrement violente et acharnée.

118 Selon le Dr Janke, l’appelant était dans un état de dissociation au moins pendant la majeure partie de l’agression à laquelle il s’est livré sur Donna Stone. À son avis, cet état a résulté des graves injures proférées par la victime, qui doivent être considérées dans le contexte du stress que l’appelant avait subi pendant toute la journée. Toutefois, le Dr Janke a nuancé son opinion en soulignant qu’elle reposait en grande partie sur l’exactitude et la fidélité de la relation des faits de l’appelant.

119 Selon le Dr Janke, il n’y avait aucune preuve que l’appelant souffrait d’un trouble psychiatrique ou physique susceptible de déclencher un épisode de dissociation. Le seul facteur psychologique qui pouvait avoir déclenché un épisode de dissociation chez l’appelant était sa tendance à être inconscient de son état émotif. Le Dr Janke considérait que ce facteur faisait partie du comportement humain normal.

120 Le Dr Janke a convenu que l’appelant lui avait raconté que, pendant son séjour au Mexique, [traduction] «lui était revenu le souvenir d’avoir eu un couteau à la main et d’avoir poignardé Donna Stone à la poitrine à deux reprises avant d’avoir la sensation “d’être emporté”» (je souligne). Cependant, le Dr Janke a fait remarquer que la personne qui a connu un épisode de dissociation est généralement incapable de rétablir exactement le déroulement chronologique des faits ayant entouré cet épisode.

B. Le témoignage du Dr Murphy

121 Le Dr Murphy s’est dite d’accord avec une bonne partie du témoignage du Dr Janke portant sur la dissociation en général. Par exemple, elle a accepté sa définition de ce phénomène. Elle a également convenu que la dissociation était souvent accompagnée d’une perte de mémoire et de l’incapacité de rétablir exactement le déroulement chronologique des faits ayant entouré l’épisode de dissociation. Comme le Dr Janke, elle ne connaissait aucun cas où un épisode de dissociation accompagné de violence s’était répété.

122 Quant à l’argument de la dissociation avancé par l’appelant, le Dr Murphy a témoigné qu’il se pouvait que celui‑ci ait été dans un tel état lorsqu’il a tué Donna Stone. Elle a toutefois ajouté qu’il n’existe aucun moyen scientifique d’écarter totalement un tel argument une fois qu’il est avancé. En outre, elle a exprimé l’avis que, même s’il se pouvait que l’appelant se soit trouvé dans un état de dissociation lorsqu’il a tué son épouse, il était fort improbable qu’il en ait été ainsi. Son scepticisme était dû à plusieurs facteurs. Elle a souligné que la perte de concentration et de mémoire, ainsi que la difficulté à suivre les indications routières, relatées par l’appelant étaient des phénomènes courants qui, bien que susceptibles de laisser croire à l’existence d’un état de dissociation, pouvaient facilement être attribués à un certain nombre d’autres facteurs. Notamment, la perte de mémoire mentionnée par l’appelant n’est pas déterminante en soi étant donné que jusqu’à la moitié des gens qui sont accusés de crimes graves disent ne pas se souvenir de les avoir commis. Le Dr Murphy a aussi fait observer que le caractère particulièrement violent et acharné de l’agression pouvait autant être attribué à la rage qu’à un état de dissociation.

123 Le Dr Murphy a souligné que l’esprit et le corps d’une personne en état de dissociation sont séparés. Pour cette raison, elle s’attendrait à ce qu’il n’y ait habituellement aucun lien entre les actes liés à la dissociation et le contexte social qui les a précédés immédiatement. Par exemple, une personne qui regarde la télévision avec un groupe de gens pourrait se lever et uriner devant eux. Selon le Dr Murphy, le fait que Donna Stone a été à la fois l’élément déclencheur de l’état de dissociation et la victime de la violence de l’appelant alors qu’il était dans cet état jette un doute sur l’argument de la dissociation avancé par ce dernier.

124 Enfin, le Dr Murphy a fait remarquer que l’opinion du Dr Janke, selon laquelle l’appelant avait connu un épisode de dissociation, était fondée presque uniquement sur la relation des faits de ce dernier. Elle a témoigné que les psychiatres doivent se méfier des arguments de dissociation avancés dans un contexte judiciaire où leur auteur a manifestement intérêt à ce qu’ils soient acceptés. Dans de tels cas, le témoignage d’observateurs qui peuvent corroborer l’explication des faits par le demandeur et fournir des renseignements sur son apparence au moment où ces faits se sont déroulés est important pour confirmer la validité d’un argument de dissociation.

125 Le Dr Murphy partageait l’avis du Dr Janke qu’il n’y avait aucune preuve que l’appelant souffrait d’un trouble psychiatrique médicalement reconnu, qui pouvait avoir provoqué un épisode de dissociation.

III. Historique des procédures judiciaires

A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique — le juge Brenner

(1) La décision concernant l’opportunité de donner au jury des directives sur l’automatisme

126 Le juge Brenner s’est demandé s’il y avait lieu de soumettre la défense d’automatisme à l’appréciation du jury, dans le cadre d’un voir‑dire. Selon lui, sa première tâche consistait à décider si, en droit, la défense avait présenté une preuve suffisante du caractère involontaire pour que le moyen de défense général fondé sur l’automatisme puisse être soumis à l’appréciation du jury.

127 Le juge Brenner a alors abordé la définition de l’automatisme. Il a cité celle donnée en dissidence par le juge Dickson, plus tard Juge en chef, dans Rabey c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 513, à la p. 552:

En principe, l’automatisme devrait être un moyen de défense chaque fois qu’est établie une perte de conscience tout au long de la perpétration du crime et qu’on ne peut l’imputer à la faute ou à la négligence de l’accusé.

128 Faisant remarquer que cette définition avait été approuvée par le juge La Forest au nom de notre Cour à la majorité, dans l’arrêt R. c. Parks, [1992] 2 R.C.S. 871, à la p. 905, le juge Brenner a conclu que l’automatisme comme moyen de défense ne peut être invoqué que lorsqu’est établie une perte de conscience tout au long de la perpétration du crime. Toutefois, la preuve révélait en l’espèce que, pendant son séjour au Mexique, l’appelant s’était souvenu avoir poignardé Donna Stone à la poitrine à deux reprises avant d’avoir la sensation «d’être emporté». Néanmoins, vu que la défense d’automatisme avait été soumise à l’appréciation du jury dans d’autres affaires en Colombie‑Britannique où les accusés avaient un souvenir partiel du crime qui leur était reproché, le juge Brenner a conclu que la jurisprudence n’empêchait pas d’invoquer ce moyen simplement parce que l’appelant avait un certain souvenir de ce qui s’était produit.

129 Le juge Brenner a décidé qu’il était établi en l’espèce qu’il y avait eu perte de conscience tout au long de la perpétration du crime, car le seul souvenir que l’appelant avait des faits lui était revenu au cours d’un rêve, plusieurs jours après qu’il eut tué Donna Stone. Il a donc conclu que la défense avait établi les fondements de la défense générale d’automatisme. Le juge Brenner a ensuite correctement énoncé la deuxième question dont il était saisi, celle de savoir si la défense d’automatisme avec aliénation mentale ou d’automatisme sans aliénation mentale devrait être soumise à l’appréciation du jury.

130 Le juge Brenner a conclu qu’aucune distinction ne pouvait être faite d’avec l’arrêt R. c. MacLeod (1980), 52 C.C.C. (2d) 193 (C.A.C.‑B.). Dans cette affaire, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique avait appliqué l’arrêt Rabey, précité, de notre Cour pour conclure que, lorsque la seule cause possible de l’état de dissociation était l’angoisse, c’est-à-dire un facteur interne, il fallait que l’accusé ait souffert d’une maladie mentale au sens juridique, de sorte que seule la défense d’automatisme avec aliénation mentale devait être soumise à l’appréciation du jury.

131 Appliquant l’arrêt MacLeod, le juge Brenner a conclu que la seule forme d’automatisme que l’appelant pouvait invoquer était l’automatisme avec aliénation mentale. En conséquence, il a donné au jury des directives sur l’automatisme avec aliénation mentale, l’intention relative au meurtre au deuxième degré et la provocation. Il lui a ensuite cité trois verdicts possibles: non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux, coupable ou non coupable de l’infraction de meurtre au deuxième degré, et coupable de l’infraction incluse d’homicide involontaire coupable. Le jury a déclaré l’appelant criminellement responsable mais non coupable de meurtre au deuxième degré. Le juge Brenner a imposé un verdict de culpabilité de l’infraction incluse d’homicide involontaire coupable.

(2) La décision concernant la communication du rapport d’expert de la défense au ministère public

132 Dans ses remarques préliminaires, l’avocat de la défense a déclaré que le témoignage du Dr Janke, psychiatre de la défense, étayerait le moyen de défense fondé sur l’automatisme. À la fin de ces remarques, le ministère public a demandé la production d’un exemplaire du rapport préparé par le Dr Janke. Il a soutenu qu’il en aurait besoin pour contre‑interroger l’appelant au sujet de ses déclarations au Dr Janke. Il a ajouté que cela était nécessaire pour aider le jury à déterminer l’importance à accorder à l’évaluation du Dr Janke. La défense a rejeté la demande du ministère public sous prétexte qu’elle n’avait pas à produire ce rapport. Elle a cependant admis qu’elle lui en remettrait néanmoins un exemplaire à la fin du témoignage de l’appelant. La défense n’a invoqué aucun privilège.

133 Le juge Brenner a ordonné à la défense de produire immédiatement le rapport du Dr Janke, en affirmant que [traduction] «le ministère public devrait être en mesure d’étudier, lors du contre‑interrogatoire de l’accusé, toute déclaration sur laquelle le Dr Janke a pu ou non s’appuyer dans son rapport». Le ministère public s’est appuyé sur ce rapport pour contre‑interroger l’appelant.

(3) La détermination de la peine

134 L’audience relative à la détermination de la peine a eu lieu devant le juge Brenner le 1er décembre 1995. L’avocat de la défense a soutenu qu’il convenait d’infliger une peine d’une à deux années d’emprisonnement, en sus des 18 mois déjà purgés par l’appelant. Le ministère public a proposé une peine allant de 15 années à l’emprisonnement à vie. Il a convenu que les 18 mois déjà purgés par l’appelant devaient être pris en considération pour déterminer une peine appropriée.

135 Le juge Brenner a commencé par souligner que le jury avait accepté la défense de provocation, de sorte que l’appelant avait été déclaré coupable d’homicide involontaire coupable au lieu de meurtre au deuxième degré. Après avoir examiné les circonstances de l’infraction et les antécédents de l’appelant, il a conclu que la dissuasion générale était le principal objectif de la détermination de la peine en l’espèce, faisant expressément remarquer qu’il s’agissait d’une infraction de violence familiale.

136 Selon le juge Brenner, la peine devait être déterminée en fonction de l’acceptation de la défense de provocation par le jury, mais compte tenu aussi de la brutalité de l’infraction commise. Après avoir analysé un certain nombre de précédents, parmi lesquels il en a jugé deux particulièrement pertinents — R. c. Archibald (1992), 15 B.C.A.C. 301, et R. c. Eklund, [1985] B.C.J. No. 2415 (QL) (C.A.) — , le juge Brenner a infligé à l’appelant une peine de quatre années supplémentaires d’emprisonnement, considérant que sa détention de 18 mois antérieure au procès équivalait à une peine de trois ans.

B. Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1997), 86 B.C.A.C. 169 (déclaration de culpabilité), et (1997), 89 B.C.A.C. 139 (détermination de la peine)

(1) L’automatisme sans aliénation mentale aurait‑il dû être soumis à l’appréciation du jury?

137 Le juge en chef McEachern (avec l’appui des juges Cumming et Braidwood) a commencé par examiner les faits. Il a ensuite abordé le premier moyen d’appel: le juge du procès a‑t‑il commis une erreur en ne soumettant pas à l’appréciation du jury l’automatisme sans aliénation mentale?

138 Le juge en chef McEachern a analysé la procédure en deux étapes que le juge du procès doit suivre lorsqu’il examine une allégation d’automatisme. D’abord, le juge doit se demander si l’accusé a présenté une preuve suffisante pour conférer une vraisemblance à la défense générale d’automatisme. Ensuite, si ces fondements ont été établis, le juge du procès doit décider s’il y a lieu de soumettre à l’appréciation du juge des faits la défense d’automatisme avec aliénation mentale ou la défense d’automatisme sans aliénation mentale, ce qui oblige à trancher la question de savoir si l’automatisme découlait ou non d’une maladie mentale. Selon le juge en chef McEachern, à la p. 173, [traduction] «la défense doit présenter une preuve qui permettrait au jury de conclure raisonnablement que l’état de dissociation n’a pas été causé par une maladie mentale. En l’absence d’une telle preuve, la dissociation ne pourrait être que le fruit d’une maladie mentale.»

139 Après avoir expressément indiqué que seules les critiques et les insultes de Donna Stone pouvaient expliquer l’état d’automatisme allégué, le juge en chef McEachern a cité l’arrêt Rabey, précité, de notre Cour à l’appui de la proposition selon laquelle une réaction violente à un traumatisme psychologique est généralement attribuée à la propre constitution psychologique de l’acteur et est ainsi qualifiée de maladie mentale, ce qui donne lieu à une défense d’automatisme avec aliénation mentale plutôt qu’à une défense d’automatisme sans aliénation mentale.

140 Le juge en chef McEachern a ensuite examiné (à la p. 175) l’arrêt Parks de notre Cour et, en particulier, les propos suivants du juge La Forest, à la p. 902:

«. . . on entend appliquer cette théorie [de la cause interne] simplement à titre d’instrument d’analyse, et non à titre de méthodologie universelle. Comme l’a souligné le juge Watt dans ses motifs à l’appui de son exposé au jury en l’espèce, la dichotomie [traduction] “constitue un régime général de classification de la ‘maladie mentale’ qui n’est toutefois ni constant ni universel”.»

141 Le juge en chef McEachern a conclu que les observations du juge La Forest dans Parks doivent être interprétées à la lumière du fait qu’il était question de somnambulisme dans cette affaire, ce qui fait intervenir des considérations particulières. Il a donc rejeté l’argument que l’arrêt Parks pouvait être cité à l’appui de la proposition selon laquelle le juge du procès a commis une erreur en appliquant aux faits de la présente affaire la théorie de la cause interne énoncée dans l’arrêt Rabey. Selon lui, l’arrêt Parks ne fait que reconnaître que les tribunaux ont raison de délaisser la théorie de la cause interne lorsque les faits exceptionnels d’une affaire donnée ne se prêtent pas à une analyse fondée sur cette théorie.

142 Le juge en chef McEachern a fait remarquer à juste titre que la jurisprudence en matière de «maladie mentale» avait évolué au‑delà de l’application stricte de la théorie de la cause interne, prescrite dans Rabey. Il ressort notamment de la jurisprudence subséquente qu’il faut aussi tenir compte de considérations d’ordre public pour évaluer si l’automatisme découle d’une maladie mentale.

143 L’examen de la jurisprudence pertinente n’a pas convaincu le juge en chef McEachern que le juge du procès avait eu tort de conclure que la théorie de la cause interne constituait le meilleur guide d’analyse vu l’étrangeté des faits de la présente affaire. À la différence de l’affaire Parks, aucune circonstance n’exigeait de s’écarter de cette théorie. De plus, des raisons valables, y compris des préoccupations d’ordre public, étayaient la décision du juge du procès de rejeter la preuve d’expert selon laquelle l’appelant ne souffrait pas d’une maladie mentale au sens médical. Rien n’indiquait que le juge du procès avait omis de tenir compte de ces facteurs d’ordre public pour décider de ne soumettre à l’appréciation du jury que la défense d’automatisme avec aliénation mentale, d’autant plus qu’il avait rendu sa décision à une étape du procès où l’on ne s’attend pas à ce que les juges exposent tous leurs motifs. Au contraire, le renvoi du juge du procès à l’arrêt Parks indiquait qu’il était conscient de son obligation de tenir compte de considérations d’ordre public pour déterminer quels types d’automatisme devaient être soumis à l’appréciation du jury.

144 Le juge en chef McEachern a conclu que le juge du procès avait examiné attentivement l’ensemble de la preuve et qu’il avait eu raison de ne pas soumettre à l’appréciation du jury l’automatisme sans aliénation mentale. Il a donc refusé de modifier cette décision.

(2) L’ordonnance de communication du rapport d’expert de la défense au ministère public

145 Le juge en chef McEachern (avec l’appui des juges Cumming et Braidwood) a commencé par examiner les faits entourant la communication du rapport du Dr Janke, notamment l’usage que le ministère public en avait fait en contre‑interrogeant l’appelant.

146 Se fondant sur les arrêts Brouillette c. R., [1992] R.J.Q. 2776 (C.A.), et Hodgkinson c. Simms (1988), 33 B.C.L.R. (2d) 129 (C.A.), le juge en chef McEachern a conclu que le rapport du Dr Janke était protégé par le secret professionnel de l’avocat. Même si la défense n’avait pas invoqué ce privilège, le juge du procès aurait dû l’appliquer étant donné que le rapport aurait bien pu contenir des renseignements préjudiciables n’ayant rien à avoir avec l’automatisme. Le juge en chef McEachern a donc conclu qu’il devait retenir ce moyen d’appel, à moins qu’il n’y ait eu absence d’erreur judiciaire grave au sens du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

147 En se demandant s’il y avait eu absence d’erreur judiciaire grave, le juge en chef McEachern a fait remarquer que la défense avait le droit de changer de stratégie et de ne pas faire témoigner le Dr Janke malgré ses remarques préliminaires. Il a ajouté que l’affirmation d’un avocat qu’un témoin sera entendu ne constitue pas une renonciation à un privilège. Cependant, le ministère public avait le droit de contre‑interroger l’appelant sur les déclarations qu’il avait faites au Dr Janke. Selon le juge en chef McEachern, si la défense refusait de produire le rapport à cette fin, le ministère public pouvait interrompre le contre‑interrogatoire de l’appelant et le reprendre après le témoignage du Dr Janke. Dès que le Dr Janke était appelé à la barre, le ministère public avait le droit d’obtenir un exemplaire de son rapport, car il y a renonciation à la protection du rapport d’expert quand l’expert se présente à la barre. Si l’analyse du rapport et le contre‑interrogatoire du Dr Janke permettaient de constater une contradiction entre le témoignage de l’appelant et les déclarations qu’il avait faites au médecin selon le rapport, le ministère public pouvait reprendre son contre‑interrogatoire de l’appelant pour le questionner au sujet de ses déclarations contradictoires antérieures.

148 Le juge en chef McEachern a conclu à l’absence d’erreur judiciaire grave en l’espèce, parce que le ministère public aurait pu arriver au même résultat en recourant à la procédure plus complexe susmentionnée. Il a donc rejeté ce moyen d’appel.

(3) La détermination de la peine

149 Le ministère public a invoqué, en Cour d’appel, deux moyens principaux relativement à la question de la détermination de la peine. Premièrement, il a fait valoir que le juge du procès avait commis une erreur en considérant la provocation comme un facteur atténuant en matière de détermination de la peine, après que le verdict de meurtre eut été réduit à un verdict d’homicide involontaire coupable en vertu de l’art. 232 du Code. Deuxièmement, il a soutenu que la peine de sept ans infligée par le juge du procès était manifestement déraisonnable.

150 Le juge Finch (avec l’appui des juges Esson et Donald) a commencé par examiner les circonstances de l’infraction, la preuve psychiatrique et les antécédents de l’appelant. Il a ensuite cité les arrêts de notre Cour R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227, et R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, relativement à la norme de contrôle de la sentence en appel.

151 Le juge Finch a rejeté l’argument du double emploi avancé par le ministère public relativement à la provocation. Il a conclu que le juge du procès avait eu raison de considérer la provocation comme un facteur atténuant au moment de déterminer la peine de l’appelant. Il a estimé que la preuve de provocation était probante quant à l’état d’esprit de l’appelant au moment de l’homicide, de sorte qu’elle était pertinente relativement à la question de sa culpabilité morale. Selon lui, l’examen de cet élément tiré de l’ensemble de la preuve pertinente n’avait pas conféré à l’appelant un avantage supplémentaire ou inéquitable.

152 Le juge Finch a décidé que la peine n’était pas manifestement déraisonnable. Elle reflétait adéquatement la gravité de l’infraction et la culpabilité morale de l’appelant. Elle respectait en outre les limites fixées par la jurisprudence. En conséquence, l’appel du ministère public relativement à la peine a été rejeté.

IV. Les questions en litige

153 1. La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en confirmant la décision du juge du procès de refuser de soumettre à l’appréciation du jury la «défense» d’automatisme sans aliénation mentale?

2. La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’aucune erreur judiciaire n’a été commise lorsque la communication au ministère public du rapport préparé pour la défense par le Dr Janke a été ordonnée?

3. a) La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur de principe en décidant que le juge qui a infligé la peine pouvait considérer la provocation comme un facteur atténuant relativement à l’homicide involontaire coupable, alors que cette même provocation avait déjà permis, en vertu de l’art. 232 du Code criminel, de réduire de meurtre à homicide involontaire coupable le stigmate et la sanction liés à un homicide volontaire?

b) La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en confirmant une peine manifestement inappropriée qui ne reflétait pas correctement la gravité de l’infraction ni la culpabilité morale de son auteur?

V. Les dispositions législatives pertinentes

154 Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46

16. (1) La responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais.

(2) Chacun est présumé ne pas avoir été atteint de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle sous le régime du paragraphe (1); cette présomption peut toutefois être renversée, la preuve des troubles mentaux se faisant par prépondérance des probabilités.

(3) La partie qui entend démontrer que l’accusé était affecté de troubles mentaux de nature à ne pas engager sa responsabilité criminelle a la charge de le prouver.

232. (1) Un homicide coupable qui autrement serait un meurtre peut être réduit à un homicide involontaire coupable si la personne qui l’a commis a ainsi agi dans un accès de colère causé par une provocation soudaine.

(2) Une action injuste ou une insulte de telle nature qu’elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser, est une provocation pour l’application du présent article, si l’accusé a agi sous l’impulsion du moment et avant d’avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid.

(3) Pour l’application du présent article, les questions de savoir:

a) si une action injuste ou une insulte déterminée équivalait à une provocation;

b) si l’accusé a été privé du pouvoir de se maîtriser par la provocation qu’il allègue avoir reçue,

sont des questions de fait, mais nul n’est censé avoir provoqué un autre individu en faisant quelque chose qu’il avait un droit légal de faire, ou en faisant une chose que l’accusé l’a incité à faire afin de fournir à l’accusé une excuse pour causer la mort ou des lésions corporelles à un être humain.

(4) Un homicide coupable qui autrement serait un meurtre n’est pas nécessairement un homicide involontaire coupable du seul fait qu’il a été commis par une personne alors qu’elle était illégalement mise en état d’arrestation; le fait que l’illégalité de l’arrestation était connue de l’accusé peut cependant constituer une preuve de provocation pour l’application du présent article.

687. (1) S’il est interjeté appel d’une sentence, la cour d’appel considère, à moins que la sentence n’en soit une que détermine la loi, la justesse de la sentence dont appel est interjeté et peut, d’après la preuve, le cas échéant, qu’elle croit utile d’exiger ou de recevoir:

a) soit modifier la sentence dans les limites prescrites par la loi pour l’infraction dont l’accusé a été déclaré coupable;

b) soit rejeter l’appel.

718.2 Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants:

a) la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant; sont notamment considérées comme des circonstances aggravantes des éléments de preuve établissant:

. . .

(ii) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un mauvais traitement de son conjoint ou de ses enfants;

Charte canadienne des droits et libertés

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

11. Tout inculpé a le droit:

. . .

d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable;

VI. Analyse

1. La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en confirmant la décision du juge du procès de refuser de soumettre à l’appréciation du jury la «défense» d’automatisme sans aliénation mentale?

A. La nature de l’automatisme

155 Le terme juridique «automatisme» a été défini à maintes reprises par de nombreux tribunaux. Dans l’arrêt Rabey, précité, à la p. 518, le juge Ritchie, s’exprimant au nom de notre Cour à la majorité, a adopté la définition suivante donnée par la Haute Cour de justice de l’Ontario dans R. c. K. (1970), 3 C.C.C. (2d) 84, à la p. 84:

[traduction] L’automatisme désigne un comportement qui se produit à l’insu de la conscience et qui échappe à la volonté. C’est l’état d’une personne qui, tout en étant capable d’agir, n’est pas consciente de ce qu’elle fait. Il désigne un acte inconscient et involontaire, où l’esprit ne sait pas ce qui se produit.

156 La mention de la perte de conscience dans la définition de l’automatisme a suscité certaines critiques. Dans son article intitulé «Automatism and Criminal Responsibility» (1982‑83), 25 Crim. L.Q. 95, W. H. Holland signale que cette mention indique que le droit présume qu’une personne est nécessairement consciente ou inconsciente. Cependant, les publications médicales parlent de différents degrés de conscience (p. 96). En fait, la preuve d’expert soumise en l’espèce révèle que, du point de vue médical, «inconscient» signifie [traduction] «être étendu complètement sur le sol», c’est-à-dire être dans un état de type comateux. Je préfère donc définir l’automatisme comme étant un état de conscience diminué, plutôt qu’une perte de conscience, dans lequel la personne, quoique capable d’agir, n’a pas la maîtrise de ses actes.

157 Le droit reconnaît deux formes d’automatisme: l’automatisme avec aliénation mentale et l’automatisme sans aliénation mentale. L’acte involontaire qui n’est pas le fruit d’une maladie mentale donne ouverture à la défense d’automatisme sans aliénation mentale. Si ce moyen de défense est retenu, l’accusé a droit à l’acquittement. Dans l’arrêt Parks, précité, à la p. 896, le juge La Forest cite, en l’approuvant, l’extrait suivant des motifs de dissidence du juge Dickson dans Rabey, précité, à la p. 522:

Malgré l’introduction tardive du terme «automatisme» dans le domaine juridique, il demeure un principe fondamental que l’absence de volonté à l’égard de l’acte visé constitue toujours un moyen de défense à un acte criminel. Alléguer en défense que l’acte est involontaire donne à l’accusé le droit d’être complètement et inconditionnellement acquitté. Il ne fait aucun doute que la défense fondée sur l’automatisme constitue un moyen terme entre la responsabilité criminelle et l’aliénation mentale au sens de la loi.

158 Par ailleurs, l’acte involontaire qui, en droit, est jugé résulter d’une maladie mentale donne ouverture à la défense d’automatisme avec aliénation mentale. Il est reconnu depuis longtemps que ce moyen est subsumé sous la défense des troubles mentaux auparavant appelée «défense d’aliénation mentale». Par exemple, dans Rabey, précité, le juge Ritchie a adopté le raisonnement du juge Martin de la Cour d’appel de l’Ontario. Dans R. c. Rabey (1977), 17 O.R. (2d) 1, le juge Martin affirme, à la p. 12:

[traduction] L’automatisme causé par une maladie mentale est subsumé sous la défense d’aliénation mentale, qui mène au verdict particulier de non‑culpabilité pour cause d’aliénation mentale, tandis que l’automatisme ne résultant pas d’une maladie mentale mène à l’acquittement absolu ou pur et simple . . .

159 De même, dans l’arrêt Rabey (C.S.C.), le juge Dickson, dissident, fait remarquer ce qui suit, à la p. 524:

Dans le cadre d’une défense fondée sur l’aliénation mentale, l’automatisme peut être subsumé dans les cas où l’action inconsciente de l’accusé provient ou tire son origine d’une maladie mentale. Dans un tel cas, la défense d’aliénation mentale prévaut.

160 Plus récemment, dans l’arrêt Parks, précité, le juge La Forest a confirmé que l’automatisme avec aliénation mentale relève de la défense de troubles mentaux énoncée à l’art. 16 du Code, lorsqu’il a souligné que, dans le cas où l’automatisme découle d’une maladie mentale, l’accusé a droit à un verdict d’aliénation mentale plutôt qu’à l’acquittement (p. 896). Voir également R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303, à la p. 1321. Cette classification est conforme au libellé de l’art. 16 qui n’établit aucune distinction entre les actes volontaires et les actes involontaires. En outre, l’inclusion de l’automatisme avec troubles mentaux dans le champ d’application de l’art. 16 fournit aux tribunaux un cadre adéquat pour protéger le public contre les contrevenants dont les actes criminels involontaires résultent d’une maladie mentale. Les tribunaux d’autres pays du Commonwealth ont aussi reconnu que l’automatisme avec aliénation mentale est subsumé sous la défense de troubles mentaux ou d’aliénation mentale. Voir, par exemple, Bratty c. Attorney‑General for Northern Ireland, [1963] A.C. 386 (H.L.), aux pp. 410 et 414; R. c. Falconer (1990), 50 A. Crim. R. 244 (H.C.), aux pp. 255 et 256, 265, 273 et 274; R. c. Cottle, [1958] N.Z.L.R. 999, à la p. 1007.

161 En conséquence, lorsque la défense d’automatisme avec aliénation mentale est retenue, l’art. 16 du Code s’applique et un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux est rendu. Donc, même si, jusqu’à maintenant, les tribunaux ont parlé d’«automatisme» avec aliénation mentale et d’«automatisme» sans aliénation mentale pour des raisons d’uniformité, il importe de reconnaître qu’en réalité le véritable «automatisme» vise uniquement le comportement involontaire qui ne découle pas d’une maladie mentale. Le comportement involontaire résultant d’une maladie mentale est qualifié à plus juste titre de trouble mental au sens de l’art. 16 que d’automatisme avec aliénation mentale. Pour des raisons d’uniformité, je vais continuer de qualifier les deux d’«automatisme». Toutefois, je crois que les expressions automatisme «avec troubles mentaux» et automatisme «sans troubles mentaux» reflètent mieux les modifications récentes de l’art. 16 du Code et l’ajout de la partie XX.1 du Code, que les expressions automatisme «avec aliénation mentale» et automatisme «sans aliénation mentale».

B. L’établissement d’une seule méthode applicable à toutes les affaires où l’automatisme est allégué

162 L’automatisme peut survenir dans différents contextes. Par exemple, dans Parks, précité, notre Cour était saisie d’une allégation d’automatisme imputable à un état de somnambulisme. Dans R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 63, notre Cour a examiné la question de l’intoxication extrême s’apparentant à un état d’automatisme. Dans la présente affaire, l’appelant soutient que les seules paroles de son épouse l’ont plongé dans un état d’automatisme. Cet argument est connu sous le nom d’automatisme «provoqué par un choc psychologique». Cette forme d’automatisme était au cœur de l’arrêt Rabey, précité, de notre Cour.

163 L’application de critères juridiques d’automatisme qui diffèrent selon le contexte dans lequel serait survenu l’automatisme pose un problème, car il peut y avoir des cas où les faits ne se prêtent tout simplement pas à une classification aussi rigoureuse. On peut penser au cas où l’on ne s’entend pas sur la cause de l’automatisme allégué. Il est évident que la solution de ce problème consiste à établir un critère général applicable à toutes les affaires où l’automatisme est allégué. C’est ce que je vais faire dans les présents motifs. Je souligne donc que l’analyse qui suit devrait s’appliquer à toute allégation d’automatisme, et non seulement aux cas où l’automatisme «provoqué par un choc psychologique» est allégué. À mon avis, le critère général le plus efficace comportera divers éléments des énoncés les plus récents de notre Cour sur le comportement apparenté à l’automatisme: voir Daviault, Parks et Rabey.

164 Dans l’arrêt Parks, précité, le juge La Forest a énoncé deux tâches distinctes que le juge du procès doit remplir pour décider s’il y a lieu de soumettre l’automatisme à l’appréciation du juge des faits. Premièrement, le juge du procès doit déterminer si les fondements d’une défense d’automatisme ont été établis. Comme je vais l’expliquer plus loin, établir les fondements de l’automatisme revient à s’acquitter de la charge de présentation applicable à ce moyen de défense. Une simple allégation de caractère involontaire ne suffira pas. Une fois les fondements établis, le juge du procès doit ensuite déterminer si l’état allégué par l’accusé constitue un automatisme avec ou sans troubles mentaux (p. 897).

165 Selon moi, le caractère pratique de cette procédure en deux étapes est évident et justifie d’en étendre l’application à toute affaire où l’automatisme est allégué. Cette procédure ne représente cependant qu’un point de départ pour établir une façon générale, en droit, d’aborder l’automatisme. Je vais maintenant donner les détails de l’analyse juridique qui doit être entreprise à chacune des étapes de la procédure.

C. Première étape: établir les fondements de la défense d’automatisme

166 Il ressort de la jurisprudence que les tribunaux, y compris notre Cour, ont fourni peu d’indications sur ce qu’un accusé doit faire exactement pour établir les fondements d’une défense d’automatisme. Souvent, à cette étape de l’analyse à deux volets, les tribunaux se contentent de faire observer que le dossier renferme une preuve suffisante. Ceux-ci ont accordé beaucoup plus d’attention à la deuxième étape de l’analyse de l’automatisme, c’est‑à‑dire à la question de savoir s’il y a lieu de soumettre la défense d’automatisme avec ou sans troubles mentaux à l’appréciation du juge des faits. J’estime que notre Cour doit fournir au juge du procès plus de détails sur les éléments requis pour établir les fondements d’une défense d’automatisme. En premier lieu, toutefois, il est nécessaire d’examiner comment l’exigence de l’établissement des fondements s’inscrit dans le cadre général de notre droit criminel.

167 Tel que mentionné plus haut, établir les fondements de l’automatisme revient à s’acquitter de la charge de présentation applicable à ce moyen de défense. Dans leur ouvrage intitulé The Law of Evidence in Canada (1992), J. Sopinka, S. Lederman et A. Bryant établissent la distinction suivante entre la charge de présentation et la charge de persuasion (à la p. 53):

[traduction] L’expression «charge de preuve» sert à décrire deux notions distinctes concernant l’obligation en matière de preuve qui incombe à une partie à des procédures. Prise dans son premier sens, l’expression désigne l’obligation d’une partie de prouver ou de réfuter un fait ou un point litigieux. Dans son deuxième sens, elle désigne l’obligation d’une partie de présenter une preuve de manière satisfaisante au juge, afin de soulever un point litigieux.

168 Dans le premier sens que lui donnent Sopinka, Lederman et Bryant, l’expression «charge de preuve» est connue sous le nom de charge de persuasion ou charge ultime, alors que, dans son deuxième sens, elle est connue sous le nom de charge de présentation (p. 54). La première étape de l’analyse de l’automatisme, celle de l’établissement des fondements, désigne ce qu’un accusé doit faire pour s’acquitter de la charge de présentation relative à l’automatisme. Comme nous le verrons plus loin, cette charge est directement liée à la nature de la charge de persuasion en matière d’automatisme. La question de savoir si l’accusé s’est acquitté de la charge de présentation qui lui incombe est une question mixte de droit et de fait qu’il appartient au juge du procès de trancher. Il y a lieu de noter que, jusqu’à récemment, cette question était considérée comme une question de droit seulement: voir Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, aux par. 35 et 36. Pour déterminer si l’on s’est acquitté de la charge de présentation, le juge du procès doit donc évaluer la preuve dont le tribunal est saisi. Selon le vicomte Kilmuir, dans Bratty, précité, à la p. 406:

[traduction] . . . pour qu’une défense d’automatisme soit «invoquée à juste titre», il doit y avoir une preuve qui permettrait à un jury de conclure à l’existence d’un état d’automatisme. J’entends, par là, que la défense doit pouvoir signaler des éléments de preuve, émanant de ses propres témoins ou de ceux du ministère public, qui permettraient au jury de conclure raisonnablement à l’existence d’un état d’automatisme. La question de savoir si de tels éléments de preuve existent est une question de droit qu’il incombe au juge de trancher.

D. Nature et origine des charges de preuve applicables dans les cas où l’automatisme est allégué

169 Notre Cour a affirmé, à maintes reprises, que, selon un principe fondamental de notre droit criminel, seul l’acte volontaire justifie une déclaration de culpabilité. Voir, par exemple, Daviault, précité, aux pp. 74 et 75, le juge Cory; Rabey (C.S.C.), précité, aux pp. 522 et 545, le juge Dickson; Parks, précité, à la p. 896, le juge La Forest; Rabey (C.A. Ont.), précité, le juge Martin, à la p. 24, dont les propos ont été adoptés par le juge Ritchie. Dans R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5, le juge McLachlin a qualifié le caractère volontaire d’élément moral de l’actus reus d’un crime (p. 17). Dans Daviault, le juge Cory a lui aussi reconnu que le caractère volontaire peut être lié à l’actus reus (p. 102). Voir également Chaulk, précité, à la p. 1321, le juge en chef Lamer.

170 Dans l’arrêt Parks, précité, le juge La Forest a qualifié l’automatisme de composante de l’exigence de caractère volontaire, qui, également selon lui, fait elle‑même partie de l’élément actus reus de la responsabilité criminelle (p. 896). Je partage cet avis et j’ajouterais que c’est le caractère volontaire, et non la conscience, qui constitue l’élément juridique principal du comportement automatique, puisqu’une défense d’automatisme revient à nier l’existence de la composante de l’actus reus, qu’est le caractère volontaire.

171 Le droit présume que les gens agissent volontairement. En conséquence, étant donné que la défense d’automatisme revient à prétendre qu’un acte n’était pas volontaire, l’accusé doit réfuter la présomption de caractère volontaire. L’accusé se voit, de ce fait, imposer une charge de présentation dont la nature dépend de la charge de persuasion requise dans les cas où l’automatisme est allégué. Dans ces cas, la charge de persuasion incombe généralement au ministère public qui doit alors prouver hors de tout doute raisonnable l’existence du caractère volontaire, qui est un élément de l’actus reus, d’où l’affirmation du juge Dickson, dans Rabey, que, pour réfuter la présomption de caractère volontaire, l’accusé qui allègue l’automatisme a seulement besoin de présenter une preuve suffisante pour permettre à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure à l’existence d’un doute raisonnable. La charge de persuasion qui incombe alors au ministère public consiste à prouver hors de tout doute raisonnable au juge des faits l’existence du caractère volontaire. L’accusé sera acquitté si le ministère public ne s’acquitte pas de cette charge.

172 Mon collègue le juge Binnie se fonde considérablement sur l’interprétation du juge Dickson quant à la nature des charges de preuve applicables dans les cas où l’automatisme est allégué. Je ne suis pas d’accord pour dire que les motifs du juge Dickson justifient le refus d’examiner l’opportunité d’imposer ces charges en fonction de leur bien-fondé dans le présent pourvoi. De plus, je dois, en toute déférence, exprimer mon désaccord avec mon collègue en ce qui concerne la façon dont le juge La Forest traite, dans Parks, le point de vue du juge Dickson à cet égard. Je souligne que, dans Parks, l’opportunité d’imposer la charge de présentation à la défense, à l’étape de l’établissement des fondements, n’était pas directement en cause devant notre Cour. C’est pourquoi le juge La Forest n’a pas estimé nécessaire de déterminer la nature précise de l’une ou l’autre des charges de preuve énoncées par le juge Dickson dans Rabey.

E. Quelles devraient être les charges de preuve applicables à l’automatisme?

173 En raison du lien qui existe entre les charges de preuve applicables à l’automatisme, tout changement de la charge de persuasion liée à l’automatisme entraîne nécessairement un changement de la charge de présentation ou d’établissement des fondements liée à ce moyen de défense. La charge de présentation consistera à produire soit une preuve suffisante pour établir le caractère volontaire hors de tout doute raisonnable, comme le propose le juge Binnie, soit, comme nous le verrons plus loin, une preuve suffisante pour établir le caractère involontaire selon la prépondérance des probabilités. À mon avis, un examen de la charge de persuasion applicable dans les cas où l’automatisme est allégué s’impose. Mon collègue le juge Binnie estime que notre Cour ne devrait pas examiner la charge de persuasion ou la charge de présentation énoncées dans les motifs dissidents du juge Dickson dans Rabey. Le juge Binnie affirme, à l’appui de ce point de vue, que ni l’intimée ni les procureurs généraux intervenants n’ont sollicité un tel examen. En toute déférence, je ne suis pas de cet avis. Dans son argumentation écrite, l’intimée invite notre Cour à reconsidérer la conclusion du juge du procès que la défense d’automatisme était fondée. Elle a aussi demandé à notre Cour de rendre plus stricte l’étape de l’analyse de l’automatisme consistant à établir les fondements de cette défense. Comme nous l’avons vu, on ne saurait entreprendre la détermination de la nature d’une charge de présentation ou d’établissement des fondements indépendamment de la charge de persuasion connexe.

174 Dans sa Proposition de modification du Code criminel (principes généraux) de 1993, le ministre de la Justice a recommandé que, dans tous les cas, la charge de persuasion selon la prépondérance des probabilités incombe à la partie qui invoque l’automatisme. C’est cette même charge de persuasion que notre Cour a appliquée à une allégation d’intoxication extrême s’apparentant à un état d’automatisme, dans Daviault, précité. C’est également la charge de persuasion que le législateur a imposée relativement à la défense de troubles mentaux prévue à l’art. 16 du Code, qui, nous l’avons vu, s’applique également aux actes volontaires et involontaires découlant d’une maladie mentale, et donc à l’automatisme avec troubles mentaux. Comme je l’ai expliqué plus haut, le recours, sur le plan juridique, à différentes façons d’aborder les allégations d’automatisme, peu importe qu’elles reposent sur le contexte dans lequel l’automatisme allégué est survenu ou sur la distinction entre l’automatisme avec troubles mentaux et l’automatisme sans troubles mentaux, pose un problème et devrait être évité. C’est, en fait, ce que l’avocat de l’appelant en l’espèce a reconnu dans sa plaidoirie devant notre Cour:

[traduction] Non, je crois que le — le conflit survient dans une situation légèrement différente, à laquelle je vais en venir dans un instant, c’est-à-dire que, lorsqu’il est question d’aliénation mentale, l’accusé doit s’acquitter d’une charge de présentation consistant à en établir l’existence selon la prépondérance des probabilités.

Maintenant, conformément à l’arrêt Daviault de notre Cour, lorsqu’il est question d’ivresse s’apparentant à l’automatisme, là encore l’obligation incombe à l’accusé, de même que la charge de présentation.

Par contre, dans le cas de l’automatisme sans aliénation mentale, la défense est seulement tenue de soulever ce moyen, et le ministère public doit ensuite le réfuter hors de tout doute raisonnable pour l’essentiel.

Ainsi, c’est là que je reconnais qu’il existe une contradiction et que l’application d’un seul critère et du même processus à chacun des différents types de troubles mentaux, au sens large, peut être fondée jusqu’à un certain point.

175 Une charge de persuasion applicable à tous les cas où l’automatisme est allégué doit refléter les préoccupations d’ordre public qui entourent les allégations d’automatisme, ce qui rappelle les propos du juge Schroeder dans R. c. Szymusiak, [1972] 3 O.R. 602 (C.A.), à la p. 608:

[traduction] . . . un moyen de défense qui, dans un cas qui s’y prête vraiment, peut être le seul dont dispose un honnête homme, mais il peut tout aussi bien être le dernier recours d’une canaille.

176 Ce n’est pas la première fois qu’on reconnaît la pertinence des considérations d’ordre public dans ce domaine du droit criminel. Dans l’arrêt Rabey (C.A. Ont.), précité, le juge Martin, dont les motifs ont été adoptés par notre Cour à la majorité, a reconnu que l’expression «maladie mentale» renferme à la fois un élément médical et un élément juridique ou d’ordre public (p. 12). Le juge Dickson, dissident, dans Rabey (C.S.C.) a souligné, à la p. 546, que des considérations d’ordre public particulières entrent en jeu lorsqu’il s’agit de déterminer si l’automatisme allégué devrait être qualifié ou non de troubles mentaux:

Il faut sans aucun doute tenir compte de considérations d’ordre public. L’automatisme en tant que moyen de défense est facilement simulé. On affirme que la crédibilité de notre système de justice pénale risque d’être sérieusement mise à l’épreuve si une personne qui a commis un acte violent bénéficie d’un verdict d’acquittement absolu sur un plaidoyer d’automatisme provoqué par un choc psychologique. On fait valoir que le succès de ce moyen de défense dépend de l’habileté d’expression des psychiatres appelés à tracer l’étroit sentier entre les deux écueils de la responsabilité criminelle et du verdict d’aliénation mentale. À tout cela, on ajoute l’argument menaçant du raz de marée si la défense d’automatisme provoqué par un choc psychologique est reconnue en droit.

177 De même, dans l’arrêt Parks, précité, le juge La Forest a conclu que l’ordre public était une considération pertinente pour le juge du procès lorsqu’il s’agissait de distinguer l’automatisme avec troubles mentaux de l’automatisme sans troubles mentaux (pp. 896, 907 et 908).

178 Dans les arrêts Rabey et Parks, les considérations d’ordre public ont été reléguées à la deuxième étape de l’analyse, qui consiste à déterminer si l’état allégué par l’accusé en est un d’automatisme avec troubles mentaux ou d’automatisme sans troubles mentaux. Ni l’un ni l’autre arrêt n’indique que notre Cour a voulu empêcher de tenir compte de l’ordre public pour définir une charge de persuasion appropriée dans les cas où l’automatisme est allégué.

179 Je conclus de ce qui précède que la charge de persuasion, dans les cas où l’automatisme est allégué, incombe à la défense qui doit alors prouver au juge des faits le caractère involontaire selon la prépondérance des probabilités. C’est la même charge de preuve que préconise lord Goddard, dissident, dans Hill c. Baxter, [1958] 1 Q.B. 277, aux pp. 282 et 283, et qui est imposée dans certains ressorts américains; voir, par exemple, State c. Caddell, 215 S.E.2d 348 (N.C. 1975); Fulcher c. State, 633 P.2d 142 (Wyo. 1981); Polston c. State, 685 P.2d 1 (Wyo. 1984); State c. Fields, 376 S.E.2d 740 (N.C. 1989).

180 Dans les arrêts Chaulk et Daviault, précités, notre Cour a reconnu que l’imposition à la défense d’une charge de preuve selon la prépondérance des probabilités relativement à un élément de l’infraction peut être justifiée au sens de l’article premier, même si elle restreint les droits garantis à l’accusé par l’al. 11d) de la Charte. J’estime que cette charge de preuve est aussi justifiée en l’espèce. Le droit présume que les gens agissent volontairement afin d’éviter d’imposer au ministère public la lourde charge de prouver hors de tout doute raisonnable le caractère volontaire. À l’instar de l’ivresse extrême s’apparentant à l’automatisme, les vrais cas d’automatisme sont extrêmement rares. Cependant, du fait que l’automatisme est facilement simulé et que c’est l’accusé lui‑même qui est en mesure de savoir qu’il a été plongé dans un tel état, il est nécessaire, pour atteindre l’objectif qui sous-tend la présomption de caractère volontaire, d’imposer à l’accusé la charge de persuasion consistant à prouver le caractère involontaire selon la prépondérance des probabilités. Par contre, imposer au ministère public la charge de persuasion consistant à prouver hors de tout doute raisonnable le caractère volontaire va, en réalité, à l’encontre de l’objet de la présomption de caractère volontaire. Donc, l’imposition à l’accusé de la charge de persuasion consistant à prouver le caractère involontaire selon la prépondérance des probabilités est justifiée au sens de l’article premier. Il n’y a donc aucune violation de la Constitution. Sur ce dernier point, je tiens à souligner les propos que le juge en chef Lamer a tenus dans R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, aux pp. 996 et 997:

J’aimerais également souligner que, tout au long de mes motifs sur cette question, j’ai pris soin de dire que l’ancienne règle de common law restreignait le droit garanti par l’art. 7 de la Charte et ce n’est qu’après avoir conclu que la restriction n’était pas justifiée en vertu de l’article premier de la Charte que j’ai dit que la règle violait la Constitution. Ce choix de terme est délibéré mais ne repose pas sur le fait que ce pourvoi porte sur la contestation, en vertu de la Charte, d’une règle de common law plutôt que d’une disposition législative. Peu importe qu’il s’agisse d’une disposition législative ou d’une règle de common law, j’estime qu’il est faux d’affirmer qu’une règle de droit viole une disposition donnée de la Charte (comme l’art. 7) avant d’avoir procédé à l’examen de l’article premier. La Charte garantit les droits et libertés qui y sont énoncés, sous réserve de limites raisonnables dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique en vertu de l’article premier. Ainsi, une règle de droit qui restreint un droit énoncé dans la Charte ne violera la Constitution que si elle n’est pas justifiée en vertu de l’article premier. Dans un tel cas, les parties incompatibles de la règle de droit seront abrogées en vertu du par. 52(1) ou reformulées de façon à ne pas violer la Constitution. Si une règle de droit qui restreint un droit énoncé dans la Charte est justifiée en vertu de l’article premier, elle ne viole pas la Constitution.

181 Il convient de faire une dernière remarque sur la question de la justification. Mon collègue le juge Binnie distingue l’analyse fondée sur l’article premier en l’espèce de celle effectuée dans Daviault, en raison de l’état du droit avant un changement apporté par notre Cour. En toute déférence, je ne puis accepter que la question de savoir si l’état antérieur du droit était plus ou moins avantageux pour l’accusé est utile pour justifier le droit subséquent. Dans les deux cas, la question pertinente est de savoir si une violation existante est justifiable en tant que limite raisonnable dans le cadre d’une société libre et démocratique. L’objet pertinent de l’analyse fondée sur l’article premier est donc l’état actuel du droit au lieu de la nature comparative du droit antérieur.

182 Comme je l’ai expliqué plus haut, ce qu’un accusé doit faire pour s’acquitter de la charge de présentation ou d’établissement des fondements dans les cas où l’automatisme est allégué dépend directement de la nature de la charge de persuasion dans ces cas. Par conséquent, un changement de la charge de présentation applicable à l’automatisme s’impose. Pour s’acquitter de cette charge, la défense doit convaincre le juge du procès de l’existence d’une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement. Selon moi, cette charge de présentation est compatible avec la méthode en deux étapes adoptée par le juge La Forest dans l’arrêt Parks, précité. Comme nous l’avons vu, l’opportunité de la charge de présentation imposée à la défense à l’étape de l’établissement des fondements n’était pas directement en cause devant notre Cour dans Parks. Cela explique pourquoi le juge La Forest n’a pas estimé utile de préciser les charges de preuve liées à l’automatisme autant que j’ai dû le faire en l’espèce. Quelle preuve sera donc requise pour satisfaire à cette nouvelle charge de présentation ou d’établissement des fondements?

183 Il ressort d’un examen de la jurisprudence que, pour s’acquitter de la charge de présentation applicable à l’automatisme, l’accusé doit alléguer qu’il a agi involontairement au moment pertinent. Comme je l’ai dit précédemment, une simple allégation de caractère involontaire ne suffit pas. Voir, par exemple, Bratty, précité, aux pp. 406, 413 et 414; Rabey (C.A. Ont.), précité, aux pp. 24 et 25, le juge Martin, dont les propos ont été adoptés par le juge Ritchie; Parks, précité, à la p. 897, le juge La Forest; Falconer, précité, aux pp. 250, 251 et 266.

184 En plus d’alléguer le caractère involontaire, la défense doit présenter une preuve d’expert en psychiatrie à l’appui de son allégation. Voir, par exemple, Bratty, précité, à la p. 413; Falconer, précité, aux pp. 250 à 257, ainsi que 266; Daviault, précité, aux pp. 101 et 103; Rabey (C.S.C.), précité, à la p. 552, le juge Dickson. En l’espèce, même l’appelant concède qu’en l’absence d’une telle preuve psychiatrique il est peu probable qu’il pourrait s’acquitter de sa charge de présentation ou d’établissement des fondements.

185 Le droit oblige souvent les juges à prendre des décisions subtiles et complexes au sujet de la méthode scientifique utilisée et de la preuve d’expert produite. Les affaires dans lesquelles l’automatisme est allégué ne font pas exception. Pourtant, comme le juge Breyer de la Cour suprême des États‑Unis l’a pertinemment reconnu dans l’affaire General Electric Co. c. Joiner, 118 S.Ct. 512 (1997), le juge n’est généralement pas un scientifique, de sorte qu’il n’a pas la formation scientifique qui faciliterait la prise de ces décisions. C’est pourquoi lorsque le droit et la science s’entrecroisent, le juge doit exercer ses fonctions avec une diligence particulière (p. 520).

186 Bien que, dans les affaires où l’automatisme est allégué, il ne soit pas question de réactions chimiques complexes ou d’autres phénomènes du genre, le juge du procès doit néanmoins évaluer une preuve psychiatrique déroutante et souvent contradictoire. Plus particulièrement, au moment de déterminer si l’on s’est acquitté de la charge de présentation applicable à l’automatisme, le juge du procès doit prendre soin de reconnaître que l’importance à accorder à une preuve d’expert peut varier d’une affaire à l’autre. Il faut attribuer plus d’importance au témoignage d’expert qui établit l’existence d’antécédents documentés d’états de dissociation apparentés à l’automatisme qu’à celui qui ne fait que confirmer la plausibilité de l’automatisme allégué. Dans le premier cas, l’expert donne en fait une opinion médicale au sujet de l’accusé. Dans le dernier cas, il se prononce seulement sur les circonstances entourant l’allégation d’automatisme, qui lui ont été relatées par l’accusé. Le juge du procès doit se rappeler que ce dernier type d’opinion d’expert dépend entièrement de l’exactitude et de la véracité des faits relatés à l’expert par l’accusé. En réalité, dans la présente affaire, le Dr Janke, psychiatre de la défense, a nuancé son opinion en faisant remarquer qu’elle reposait presque exclusivement sur l’exactitude et la véracité de la relation des faits de l’appelant:

[traduction] Je crois que, que lorsque, en présentant l’opinion [d’expert en psychiatrie], elle est, dans le présent cas, elle est subordonnée à l’exactitude de la relation, par la personne, du souvenir qu’elle a de cet épisode. Il y a des cas où il y a d’autres témoins qui peuvent vous donner des éléments de preuve à l’appui, mais dans le cas qui nous occupe, vous devez vous en remettre à une personne. Si elle ne dit pas la vérité, l’opinion n’a alors aucune valeur.

187 Pour satisfaire à la charge de présentation ou d’établissement des fondements, une allégation de caractère involontaire appuyée d’une preuve psychiatrique est nécessaire dans tous les cas. Toutefois, cette charge exigera généralement plus qu’une allégation de caractère involontaire de la part de l’accusé, confirmée par une preuve d’expert que l’automatisme est plausible en supposant que les faits relatés à l’expert par l’accusé sont exacts et véridiques. Ce point de vue est appuyé par le fait que, dans The Law of Evidence in Canada, op. cit., à la p. 129, Sopinka, Lederman et Bryant reconnaissent que [traduction] «[d]es considérations d’ordre public sont importantes pour décider du caractère suffisant de la preuve requise pour satisfaire [aux charges de preuve] tant en matière criminelle qu’en matière civile». Je vais maintenant tenter de fournir certaines indications sur la nature des autres éléments de preuve pertinents requis pour décider si la défense a soumis une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement. Les facteurs analysés ici ne sont exposés qu’à titre d’exemple destiné à illustrer le genre de raisonnement que le juge du procès devrait adopter en évaluant la preuve présentée au procès.

188 Dans l’arrêt Rabey, précité, de notre Cour, tant les juges majoritaires que les juges dissidents ont reconnu qu’un choc psychologique «traumatisant» était nécessaire pour que l’automatisme sans troubles mentaux, au lieu de l’automatisme avec troubles mentaux, puisse être soumis à l’appréciation du juge des faits. Même si, dans cette affaire, il était précisément question d’automatisme «provoqué par un choc psychologique», j’estime qu’il convient dans tous les cas que le juge du procès examine la nature de l’élément déclencheur de l’automatisme allégué pour déterminer si la défense a soumis une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement. En ce qui concerne particulièrement l’automatisme provoqué par un choc psychologique, je reconnais que la défense devra généralement prouver l’existence d’un élément déclencheur équivalant à un «choc» pour s’acquitter de sa charge de présentation.

189 L’existence ou l’inexistence d’une preuve corroborant l’automatisme allégué par l’accusé sera également pertinente pour déterminer si un jury ayant reçu des directives appropriées pourrait conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement. Cette preuve peut revêtir différentes formes. Deux exemples sont dignes de mention ici. Premièrement, la preuve composée d’antécédents médicaux documentés d’états de dissociation apparentés à l’automatisme aiderait sûrement la défense à convaincre le juge du procès qu’un jury ayant reçu des directives appropriées pourrait conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement. En outre, plus les états de dissociation antérieurs s’apparenteront à celui allégué, plus la preuve du caractère involontaire sera convaincante. Par exemple, des antécédents documentés de dissociation provoquée par l’élément déclencheur en cause dans une affaire particulière constitueraient une preuve solide que le même élément déclencheur a de nouveau provoqué une réaction involontaire. Même si je ne vais pas jusqu’à dire que des antécédents médicaux de dissociation sont nécessaires pour que la défense s’acquitte de la charge de présentation qui lui incombe à l’étape de l’établissement des fondements, je tiens à souligner que l’absence d’une telle preuve constitue aussi un facteur pertinent pour déterminer si la défense s’est acquittée de cette charge.

190 Le témoignage d’un observateur qui corrobore que, contrairement à son habitude, l’accusé avait le regard vitreux, n’avait aucune réaction ou semblait distant immédiatement avant, pendant ou après l’acte involontaire allégué sera également pertinent pour déterminer si la défense a présenté une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement. Comme nous l’avons vu, c’est ce que confirme en l’espèce le témoignage d’expert du Dr Murphy, le psychiatre du ministère public. En fait, comme les juges ont l’habitude de relever les observations des témoins concernant l’apparence de l’accusé au moment pertinent, cela indique qu’il peut déjà s’agir d’un facteur qui est pris en considération pour déterminer si la défense s’est acquittée de sa charge de présentation dans un cas où l’automatisme est allégué. Je tiens cependant à prévenir qu’il faut aborder avec beaucoup de prudence le témoignage d’observateurs étant donné qu’automatisme et rage peuvent souvent être confondus par le profane.

191 Le mobile est un autre facteur que le juge du procès devrait prendre en considération pour déterminer si la défense a présenté une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement. Un acte gratuit confère généralement une plausibilité à une allégation de caractère involontaire par l’accusé. En réalité, dans la présente affaire, le Dr Murphy, psychiatre du ministère public, a témoigné que, puisque l’esprit et le corps d’une personne en état de dissociation sont séparés, elle s’attendrait à ce qu’il n’y ait habituellement aucun lien entre les actes involontaires accomplis en état d’automatisme et le contexte social qui les a précédés immédiatement. Elle a également fait observer que, lorsqu’une même personne est à la fois l’élément déclencheur de l’automatisme allégué et la victime de la violence qui en a résulté, il y a lieu de mettre en doute l’allégation de caractère involontaire. Je conviens qu’une allégation d’automatisme sera moins plausible si l’accusé avait un motif de commettre le crime en cause ou si l’«élément déclencheur» de l’automatisme allégué est la victime elle‑même. Par ailleurs, si l’acte involontaire est accompli au hasard et sans motif, l’allégation d’automatisme sera davantage plausible. En conséquence, pour déterminer si la défense a présenté une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement, le juge du procès devrait se demander si le crime en cause peut s’expliquer indépendamment de l’automatisme allégué. S’il est possible de répondre à cette question par la négative, la plausibilité de l’allégation de caractère involontaire par l’accusé sera accrue. Tel était le cas, par exemple, dans Parks, précité, où aucune autre raison que l’automatisme causé par un état de somnambulisme n’expliquait pourquoi l’accusé avait agressé ses beaux‑parents, avec qui il était par ailleurs en bons termes. Par contre, s’il est possible de répondre à la question par l’affirmative, l’allégation de caractère involontaire sera moins plausible.

192 Somme toute, pour s’acquitter de la charge de présentation ou d’établissement des fondements dans un cas où l’automatisme est invoqué, la défense doit présenter une allégation de caractère involontaire, confirmée par le témoignage d’expert d’un psychiatre ou d’un psychologue. Toutefois, conclure que la défense s’est acquittée de cette charge simplement parce qu’elle a satisfait à ces deux exigences est une erreur de droit. Elle ne s’en sera acquittée que si le juge du procès conclut qu’il existe une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement. Pour tirer cette conclusion, le juge du procès commence par analyser la preuve psychiatrique ou psychologique, et examiner le fondement et la nature de l’opinion d’expert. Il analyse également tout autre élément de preuve disponible. Les facteurs pertinents ne sont pas exhaustifs et peuvent notamment inclure l’intensité de l’élément déclencheur, le témoignage corroborant d’observateurs, les antécédents médicaux corroborants d’états de dissociation apparentés à l’automatisme, la question de savoir s’il y a preuve de l’existence d’un mobile du crime et celle de savoir si la personne qui aurait déclenché l’état d’automatisme est également la victime de la violence qui en a résulté. Je précise qu’aucun facteur ne se veut déterminant à lui seul. En fait, il peut y avoir des cas où la preuve psychiatrique ou psychologique fait plus que simplement corroborer la relation des faits de l’accusé, par exemple, en établissant l’existence d’antécédents documentés d’états de dissociation apparentés à l’automatisme. En outre, l’avancement constant des connaissances médicales peut amener à conclure que d’autres types d’éléments de preuve indiquent également l’absence de caractère volontaire. Je m’en remets à la discrétion et à l’expérience du juge du procès pour ce qui est de soupeser toute la preuve disponible dans chaque affaire, et de décider si un jury ayant reçu des directives appropriées pourrait conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement.

F. Deuxième étape: déterminer s’il y a lieu de soumettre à l’appréciation du juge des faits l’automatisme avec ou sans troubles mentaux

193 Ce n’est qu’une fois que l’accusé a établi les fondements d’une défense d’automatisme que le juge du procès doit décider s’il y a lieu de soumettre à l’appréciation du juge des faits l’automatisme avec ou sans troubles mentaux. S’il conclut que ces fondements n’ont pas été établis, la présomption de caractère volontaire s’applique et aucune des défenses d’automatisme ne peut être soumise à l’appréciation du juge des faits. En pareil cas cependant, l’accusé peut toujours invoquer une défense indépendante de troubles mentaux fondée sur l’art. 16.

194 La question de savoir si le juge des faits devrait être saisi d’une défense d’automatisme avec ou sans troubles mentaux doit être tranchée avec beaucoup de prudence, étant donné les graves répercussions qui en résulteront à la fois sur l’accusé lui-même et sur la société en général. Comme nous l’avons vu, l’automatisme avec troubles mentaux est subsumé sous la défense des troubles mentaux prévue par le Code. Par conséquent, l’acceptation d’une défense d’automatisme avec troubles mentaux entraînera un verdict de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux, conformément à l’art. 672.34 du Code. Aux termes de l’art. 672.54, l’accusé qui fait l’objet d’un tel verdict peut être libéré inconditionnellement, libéré conditionnellement ou détenu dans un hôpital. Par contre, l’acceptation d’une défense d’automatisme sans troubles mentaux entraînera toujours l’acquittement pur et simple.

195 Décider de la forme d’automatisme qui devrait être soumise à l’appréciation du juge des faits revient à déterminer si l’état allégué par l’accusé correspond à des troubles mentaux. L’expression «troubles mentaux» est une expression juridique définie à l’art. 2 du Code comme étant une «maladie mentale». Dans l’arrêt Parks, précité, aux pp. 898 et 899, notre Cour à la majorité a adopté les motifs du juge Martin, dans Rabey (C.A. Ont.), précité, qui comprenaient l’explication suivante du terme «maladie mentale», aux pp. 12 et 13:

[traduction] Bien qu’il soit impossible de définir avec précision le terme «maladie mentale», je crois qu’on peut faire valoir certaines propositions à cet égard. «Maladie mentale» est une expression juridique, non une expression du vocabulaire médical; bien que ce soit une notion juridique, elle renferme un élément médical important ainsi qu’un élément juridique ou d’ordre public.

. . .

Le témoignage des experts médicaux sur la cause, la nature et les symptômes de l’état mental anormal dont aurait souffert l’accusé, et la façon dont cet état est considéré et qualifié du point de vue médical sont très utiles aux tribunaux qui doivent déterminer si un tel état peut constituer une «maladie mentale». L’opinion des experts médicaux sur la question de savoir si un état mental anormal constitue ou non une maladie mentale n’est toutefois pas déterminante puisqu’il s’agit là d’une question de droit . . .

196 Dans Rabey (C.A. Ont.), le juge Martin a décrit ainsi la tâche qui incombe au juge du procès de trancher la question de la maladie mentale (à la p. 13):

[traduction] Je considère que le véritable principe est le suivant: il appartient au juge de déterminer quels états mentaux sont englobés par l’expression «maladie mentale», et s’il existe une preuve que l’accusé se trouvait dans un état mental anormal visé par cette expression.

197 Prise isolément, la question de savoir quels états mentaux sont englobés par l’expression «maladie mentale» est une question de droit. Toutefois, le juge du procès doit également déterminer si l’état dans lequel l’accusé prétend s’être trouvé satisfait au critère juridique de la maladie mentale. Il lui faut alors évaluer la preuve présentée dans l’affaire dont il est saisi, au lieu d’un principe général de droit, de sorte qu’il s’agit d’une question mixte de droit et de fait. Voir Southam, précité, aux par. 35 et 36. La question de savoir si l’accusé souffrait véritablement d’une maladie mentale est une question de fait qui doit être tranchée par le juge des faits. Voir Rabey (C.S.C.), précité, à la p. 519, le juge Ritchie; Parks, précité, à la p. 897, le juge La Forest; Bratty, précité, à la p. 412, lord Denning.

198 Réagissant à la proposition susmentionnée de modifier le Code en ce qui concerne l’automatisme, l’Association des psychiatres du Canada a présenté un mémoire au Comité permanent de la justice et du Solliciteur général de la Chambre des communes. Dans ce mémoire, l’Association, qui compte 2 400 membres à l’échelle du pays, a laissé entendre que, du point de vue médical, tout automatisme découle nécessairement de troubles mentaux. Elle a donc recommandé la suppression de l’automatisme sans troubles mentaux et de classer tout automatisme allégué comme étant un trouble mental.

199 Vu que l’expression «troubles mentaux» est une expression juridique, l’opinion de l’Association, quoique pertinente, n’est pas déterminante quant à savoir s’il y a toujours lieu, en droit, de reconnaître deux formes distinctes d’automatisme, c’est‑à‑dire l’automatisme avec troubles mentaux et l’automatisme sans troubles mentaux. J’estime que notre Cour ne devrait pas aller jusqu’à supprimer la défense d’automatisme sans troubles mentaux, comme le suggère l’Association. Je reconnais cependant d’office qu’il est très rare que l’automatisme ne découle pas de troubles mentaux. En fait, étant donné que le juge du procès aura déjà décidé qu’il existe une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement, il se posera une sérieuse question quant à l’existence d’un état d’esprit conscient au moment d’examiner la question de la maladie mentale. Ce qui précède permet d’établir la règle selon laquelle le juge du procès part du principe que l’état dans lequel l’accusé allègue avoir été constitue une maladie mentale. Il doit ensuite déterminer si la preuve soumise fait sortir l’état allégué de la catégorie de la maladie mentale. Ce point de vue est compatible avec l’arrêt Rabey, précité.

200 Dans Rabey, notre Cour a adopté la «théorie de la cause interne» du juge Martin comme critère principal pour déterminer si l’automatisme provoqué par un choc psychologique découle d’une maladie mentale. Voici un extrait de l’explication de cette théorie par le juge Martin, que notre Cour à la majorité a cité, en l’approuvant, à la p. 519:

[traduction] De façon générale, on fait une distinction entre le déséquilibre mental découlant d’une cause essentiellement interne, dont l’origine tient à la constitution psychologique ou émotionnelle de l’accusé ou à une maladie organique, et le déséquilibre mental momentané provoqué par un facteur spécifiquement externe, par exemple, une commotion cérébrale. Tout déséquilibre ou trouble mental résultant d’un état ou d’une faiblesse subjective propre à l’accusé (qu’elle soit ou non tout à fait comprise) peut constituer une «maladie mentale» s’il empêche l’accusé de savoir ce qu’il fait. Par ailleurs, des troubles momentanés de la conscience dus à des facteurs externes spécifiques ne relèvent pas du concept de la maladie mentale.

201 Il ressort des motifs du juge Martin que la théorie de la cause interne suppose, a priori, que l’état dont l’accusé prétend avoir souffert est une maladie mentale. Il dit ce qui suit aux pp. 21 et 22 de son jugement:

[traduction] Le déséquilibre mental dont l’accusé a souffert, même s’il a été temporaire, constitue une «maladie mentale», sauf s’il peut être considéré comme un état momentané résultant d’une cause externe au sens de la jurisprudence et de la doctrine.

À mon avis, le stress et les contrariétés courantes de la vie qui sont le lot commun de l’humanité ne constituent pas une cause externe qui peut servir d’explication à un déséquilibre mental et le sortir de la catégorie «maladie mentale». [Je souligne.]

202 Les motifs du juge La Forest dans l’arrêt Parks, précité, sont parfois interprétés comme infirmant l’idée exprimée dans Rabey que l’examen de la question de la maladie mentale devrait partir du principe que l’état dans lequel l’accusé allègue avoir été constitue une maladie mentale. Toutefois, le juge La Forest a clairement indiqué, à la p. 898, que «notre Cour a établi, dans l’arrêt Rabey, la façon de distinguer entre l’automatisme avec aliénation mentale et l’automatisme sans aliénation mentale». De plus, en procédant à la seconde étape de l’analyse de l’automatisme, le juge La Forest s’est demandé si des facteurs d’ordre public empêchaient de conclure à l’automatisme sans troubles mentaux (p. 908). En somme, vu la démarche factuelle particulière que notre Cour a adoptée dans Parks, je suis d’avis de conclure que cet arrêt ne peut être interprété comme infirmant Rabey sur ce point.

G. Déterminer si l’état dans lequel l’accusé allègue avoir été constitue une maladie mentale

203 Dans l’arrêt Parks, le juge La Forest a reconnu l’existence de deux théories distinctes en matière d’examen de la question de la maladie mentale: la théorie de la cause interne et celle du risque subsistant. Il a reconnu que la théorie de la cause interne est la théorie dominante dans la jurisprudence canadienne, mais il a conclu, à la p. 902, «qu’on entend appliquer cette théorie simplement à titre d’instrument d’analyse, et non à titre de méthodologie universelle». Cette conclusion découlait d’une constatation que le somnambulisme, le prétendu élément déclencheur de l’automatisme dans Parks, soulève des problèmes uniques qui se prêtent mal à une analyse fondée sur la théorie de la cause interne. Je conviens que cette dernière théorie ne saurait être considérée comme un régime universel de classification de la «maladie mentale». Dans certains cas, elle n’est d’aucune utilité car, pour reprendre les termes du juge La Forest, à la p. 903, «la dichotomie entre les causes internes et externes s’estompe». Une nouvelle façon d’aborder l’examen de la question de la maladie mentale s’impose donc. Comme je vais l’expliquer plus loin, le juge du procès doit disposer d’une méthode plus globale, comme celle conçue par le juge La Forest dans Parks, pour trancher la question de la maladie mentale. Cette méthode doit s’inspirer de la théorie de la cause interne, de la théorie du risque subsistant et des préoccupations d’ordre public soulevées dans les arrêts Rabey et Parks de notre Cour.

(1) La théorie de la cause interne

204 La théorie de la cause interne a été conçue dans le contexte de l’automatisme provoqué par un choc psychologique. Suivant cette théorie, pour déterminer si l’état dans lequel l’accusé allègue avoir été constitue une maladie mentale, le juge du procès doit comparer la réaction automatique de l’accusé au choc psychologique avec la réaction à laquelle on s’attendrait de la part d’une personne normale dans la même situation. Comme le souligne K. L. Campbell dans son article intitulé «Psychological Blow Automatism: A Narrow Defence» (1980-81), 23 Crim. L.Q. 342, à la p. 354: comment peut-on définir l’anormalité autrement que par rapport à ce qui est normal? Les propos que le juge Martin a tenus dans Rabey (C.A. Ont.), précité, et que notre Cour a adoptés à la majorité, à la p. 520, mettent en évidence cette façon comparative d’aborder la question de la maladie mentale:

[traduction] À mon avis, le stress et les contrariétés courantes de la vie qui sont le lot commun de l’humanité ne constituent pas une cause externe qui peut servir d’explication à un déséquilibre mental et le sortir de la catégorie «maladie mentale». [. . .] Je laisse de côté, jusqu’à ce qu’ils se présentent, les cas où l’état de dissociation résulte d’un choc émotionnel sans blessures physiques: par exemple le fait d’avoir été impliqué dans un accident grave sans avoir subi de blessures physiques, d’avoir été victime d’un assaillant brandissant un couteau tout en ayant échappé à des blessures physiques, d’avoir vu un être cher assassiné ou gravement agressé, etc. On peut à juste titre présumer qu’une personne normale ordinaire puisse être affectée par ce genre d’événement externe extraordinaire, sans qu’intervienne la constitution subjective de la personne exposée à pareille expérience.

205 La nature du prétendu élément déclencheur de l’automatisme est au cœur de la comparaison que doit effectuer le juge du procès. Par exemple, dans le cas d’un automatisme provoqué par un choc psychologique, tant les juges majoritaires que les juges dissidents ont reconnu, dans l’arrêt Rabey de notre Cour, qu’un choc psychologique «traumatisant» était nécessaire pour que l’automatisme sans troubles mentaux, au lieu de l’automatisme avec troubles mentaux, soit soumis à l’appréciation du juge des faits. À cette fin, les juges majoritaires ont adopté les propos précités du juge Martin. Quant au juge Dickson, dissident, il a formulé l’observation suivante, à la p. 549:

Je partage l’opinion qu’il doit y avoir un choc à même de provoquer l’état d’automatisme. On ne peut, à juste titre, prétendre qu’un état de dissociation causé par un seuil peu élevé de tolérance au stress et par une non‑résistance à l’angoisse puisse résulter d’un choc psychologique.

206 En conséquence, dans l’arrêt Rabey, notre Cour a appuyé à l’unanimité l’idée qu’il y a, dans l’examen de la question de la maladie mentale, un point de comparaison qui implique une évaluation de la nature de l’élément déclencheur de l’automatisme allégué. En fait, le juge du procès doit examiner la nature de l’élément déclencheur et décider si ce dernier était susceptible de plonger une personne normale, se trouvant dans la même situation, dans l’état d’automatisme dans lequel l’accusé allègue avoir sombré. Bien que je reconnaisse que cette méthode ne sera pas utile dans certains cas, je crois qu’elle conserve son utilité dans d’autres cas. C’est pourquoi la théorie de la cause interne est un facteur dont le juge du procès doit tenir compte dans les cas où il estime utile de le faire. Il peut être utile de donner certaines indications sur la façon d’effectuer la comparaison que comporte la théorie de la cause interne. Je vais le faire dans le contexte de l’automatisme provoqué par un choc psychologique, car je crois que la théorie de la cause interne est des plus utiles dans les cas où un tel automatisme est allégué.

207 Dans son article précité, Campbell fait remarquer qu’en évaluant, dans Rabey, les éléments déclencheurs de l’automatisme provoqué par un choc psychologique, notre Cour à la majorité a tracé la ligne de démarcation entre la situation stressante et l’événement extrêmement traumatisant. Selon cette méthode, ce n’est qu’en présence d’un élément déclencheur qui, pour une personne normale, serait extrêmement traumatisant qu’on peut conclure que l’état allégué n’est pas une maladie mentale et qu’il peut donc étayer une défense d’automatisme sans troubles mentaux. On présume que le caractère involontaire dû à un traumatisme moins grave ou au simple stress est déclenché par un facteur propre à l’accusé et qu’il s’agit donc d’une maladie mentale qui ne donne ouverture qu’à une défense d’automatisme avec troubles mentaux (p. 357). Le juge Dickson, dissident, a tracé la ligne de démarcation entre la situation stressante et l’événement légèrement traumatisant. Selon ce point de vue, tout traumatisme, peu importe sa gravité, peut permettre de conclure qu’un état donné ne constitue pas une maladie mentale. Seul l’épisode qui ne peut être considéré comme un traumatisme quelconque est tenu pour interne et donc pour une maladie mentale ne donnant ouverture qu’à la défense d’automatisme avec troubles mentaux (p. 358).

208 Étant donné qu’il est question, en l’espèce, d’automatisme provoqué par un choc psychologique, je crois opportun d’indiquer que le point de vue adopté à cet égard par les juges majoritaires dans l’arrêt Rabey me semble préférable. La comparaison vise à déterminer si une personne normale aurait réagi au prétendu élément déclencheur en sombrant dans l’état d’automatisme allégué par l’accusé. Dans les affaires où l’automatisme provoqué par un choc psychologique est allégué, la preuve d’un élément déclencheur extrêmement traumatisant sera requise pour établir qu’une personne normale aurait réagi à l’élément déclencheur en sombrant dans l’état d’automatisme allégué par l’accusé.

209 Lorsqu’on entreprend de faire la comparaison avec une personne normale, la première difficulté qui se pose est de déterminer l’importance du contexte dans lequel la comparaison est faite. Je suis d’accord avec les observations suivantes que la Haute Cour d’Australie a formulées à ce sujet dans Falconer, précité, à la p. 264:

[traduction] Pour déterminer si le traumatisme physique ou psychologique subi par l’accusé aurait causé un déséquilibre mental chez une personne ordinaire, l’état psychotique, névrotique ou émotif de l’accusé au moment en question est sans importance. On présume que la personne ordinaire a une maîtrise de soi et un tempérament normaux. En conséquence, n’aurait pas été pertinente, pour déterminer la réaction d’une personne ordinaire, la preuve que, durant la semaine ayant précédé la fusillade, [l’accusée] s’était montrée craintive, dépressive et bouleversée et avait apparemment subi un changement de personnalité. De même, la preuve du stress qu’elle a subi lorsqu’elle a découvert que son mari avait agressé sexuellement leurs deux filles n’aurait pas été pertinente pour déterminer comment aurait réagi une personne ordinaire face aux événements qui se sont produits le jour de la fusillade. Par contre, une preuve des circonstances objectives de la relation entre les parties aurait été utile à cet égard, puisque ce n’est qu’en examinant les circonstances pertinentes de cette relation que le jury était en mesure de déterminer si une personne ordinaire aurait été plongée dans un état de dissociation semblable à celui dans lequel [l’accusée] prétend avoir sombré ce jour-là. En général, la question que devrait trancher le jury relativement à cet aspect de l’affaire serait de savoir si une femme ordinaire, du même âge et dans la même situation que [l’accusée] — c’est-à-dire, qui aurait subi dans le passé la violence alléguée, qui aurait récemment découvert que son mari avait agressé sexuellement leurs filles, qui aurait su que des accusations criminelles avaient été portées contre son mari à cet égard et qui se serait séparée de son mari à cause de la liaison de ce dernier avec une autre femme — , aurait été plongée dans un état de dissociation en raison des événements qui se sont produits le jour de la fusillade.

210 La comparaison qui doit être effectuée lors de l’examen de la question de la maladie mentale est donc un critère contextuel objectif. La réaction automatique de l’accusé au prétendu élément déclencheur doit être évaluée du point de vue d’une personne qui se serait trouvée dans la même situation. Cela exige de prendre en considération les circonstances de l’affaire. Je souligne toutefois qu’il ne s’agit pas d’un critère subjectif.

211 L’appelant fait valoir que l’élément objectif de la théorie de la cause interne viole l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte. Selon lui, la Charte exige que l’examen de la question de la maladie mentale soit axé sur la réaction subjective véritable de l’accusé plutôt que sur celle de la personne normale. En toute déférence, cet argument ne tient pas compte du fait que l’examen objectif de la question de savoir si l’état allégué par l’accusé est une maladie mentale n’est entrepris qu’après que le juge du procès a procédé à un examen subjectif de la question de savoir s’il existe une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement. Autrement dit, la norme objective touche uniquement la classification du moyen de défense, et non pas l’analyse de la question de savoir si l’actus reus de l’infraction a été établi. Une norme objective semblable a été appliquée à la défense de provocation dans l’arrêt R. c. Cameron (1992), 71 C.C.C. (3d) 272, où la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que la norme objective applicable à la défense de provocation ne viole ni l’art. 7 ni l’al. 11d), car elle ne diminue pas la mens rea requise pour établir le meurtre. Je tiens à faire remarquer ici que l’élément objectif de la théorie de la cause interne ne modifie en rien la charge de preuve relative à la question de savoir si l’accusé a commis volontairement l’infraction. De plus, l’effet de la comparaison objective est limité, même en ce qui concerne l’examen de la question de la maladie mentale. Comme je l’ai souligné précédemment, je partage l’opinion exprimée par le juge La Forest dans l’arrêt Parks que la théorie de la cause interne n’est qu’un instrument d’analyse. Cette théorie n’est pas présentée comme la réponse définitive à la question de la maladie mentale. Le juge du procès doit décider, dans chaque cas, si et dans quelle mesure la théorie est utile selon les faits de l’affaire. En réalité, il lui est loisible de ne pas en tenir compte si son application n’est pas conforme aux préoccupations d’ordre public qui sous‑tendent l’examen de la question de la maladie mentale. De cette façon, la théorie de la cause interne tente d’établir un équilibre approprié entre l’objectif d’exonérer de la responsabilité criminelle les contrevenants moralement innocents et celui de protéger le public. Dans ces circonstances, l’élément objectif de la théorie de la cause interne n’impose aucune restriction à l’art. 7 ou à l’al. 11d) de la Charte. J’ajouterais que prendre en considération la condition psychologique subjective de l’accusé dans le cadre de cette théorie irait à l’encontre de l’objet même de la comparaison, qui est naturellement de déterminer si l’accusé souffrait d’une maladie mentale au sens juridique.

(2) La théorie du risque subsistant

212 Comme nous l’avons vu, les juges majoritaires et les juges dissidents de notre Cour dans Rabey, de même que le juge La Forest dans Parks, ont reconnu que des considérations d’ordre public sont pertinentes pour déterminer si l’automatisme allégué résulte d’une maladie mentale. Un facteur d’ordre public qui est au cœur de l’examen de la question de la maladie mentale est la nécessité d’assurer la sécurité du public. Ainsi, comme je l’ai déjà mentionné, le juge La Forest a reconnu, dans Parks, que la deuxième façon dominante d’aborder la question de la maladie mentale est la théorie du risque subsistant. Suivant cette théorie, tout état comportant vraisemblablement la récurrence d’un danger pour le public devrait être considéré comme une maladie mentale. En d’autres termes, la probabilité de récurrence de la violence est un facteur qui doit être considéré dans l’examen de la question de la maladie mentale. Cette théorie doit être nuancée de manière à reconnaître que, même si un risque subsistant est un indice de maladie mentale, la conclusion à l’absence de risque subsistant n’empêche pas de conclure à l’existence d’une maladie mentale. Voir Rabey, précité, à la p. 15 (C.A. Ont.), le juge Martin, et aux pp. 533 et 551 (C.S.C.), le juge Dickson; Parks, précité, à la p. 907, le juge La Forest.

213 Selon moi, le juge du procès devrait continuer de considérer la théorie du risque subsistant comme un facteur à prendre en considération pour décider si un état donné devrait être qualifié de maladie mentale. Je souligne toutefois que le facteur du risque subsistant ne doit pas être considéré comme une façon subsidiaire ou mutuellement exclusive d’aborder le facteur de la cause interne. Bien qu’elles soient différentes, ces deux méthodes sont des facteurs pertinents dans l’examen de la question de la maladie mentale. C’est pourquoi le juge du procès, dans une affaire donnée, peut estimer utiles les deux méthodes, ou l’une ou l’autre de celles-ci. Pour refléter cette façon unifiée et globale d’aborder la question de la maladie mentale, il est donc plus approprié de parler du facteur de la cause interne et du facteur du risque subsistant plutôt que de la théorie de la cause interne et de la théorie du risque subsistant.

214 En examinant le facteur du risque subsistant, le juge du procès peut tenir compte de tout élément de preuve dont il est saisi pour évaluer la probabilité de récurrence de la violence. Deux questions seront cependant particulièrement pertinentes quant au facteur du risque subsistant: les antécédents psychiatriques de l’accusé et la probabilité que l’élément qui aurait déclenché l’épisode d’automatisme se présente de nouveau.

215 Comme nous l’avons vu, la défense doit présenter une preuve d’expert en psychiatrie pour établir les fondements d’une défense d’automatisme. L’importance à accorder à une telle preuve, à l’étape de l’établissement des fondements, variera selon qu’elle établit l’existence d’antécédents documentés d’états de dissociation apparentés à l’automatisme ou qu’elle ne fait que confirmer qu’une allégation d’automatisme est plausible à la condition que les faits relatés à l’expert par l’accusé soient exacts et véridiques. La même distinction est également pertinente lorsqu’il s’agit d’évaluer le facteur du risque subsistant pour déterminer si l’état dans lequel l’accusé allègue avoir été plongé constitue une maladie mentale. La preuve psychiatrique qui révèle des antécédents documentés d’états de dissociation apparentés à l’automatisme indique que l’état allégué par l’accusé est récurrent et accroît donc la probabilité de récurrence de l’automatisme. La probabilité de récurrence de la violence est, à son tour, accrue du fait qu’au moins un des épisodes d’automatisme de l’accusé comportait de la violence. Dans un tel cas, le facteur du risque subsistant indique que l’état dans lequel l’accusé allègue avoir été plongé est susceptible d’être qualifié de maladie mentale. Je tiens à souligner que l’absence d’antécédents d’états de dissociation apparentés à l’automatisme n’indique nullement qu’il n’y aura aucune récurrence de violence. Le cas échéant, le juge du procès devra trancher la question de la récurrence de violence par d’autres moyens, dont l’évaluation de la probabilité de récurrence de l’élément qui aurait déclenché l’automatisme.

216 Dans leur commentaire de l’arrêt R. v. Parks (1993), 72 R. du B. can. 224, I. Grant et L. Spitz soulignent que les tribunaux posent la mauvaise question en évaluant la probabilité de récurrence de la violence. Les tribunaux se concentrent sur la question de savoir si l’accusé est susceptible d’adopter un comportement violent s’il se retrouve en présence de l’élément qui aurait déclenché l’épisode d’automatisme en cause. Selon Grant et Spitz, il convient davantage de se demander simplement si l’élément déclencheur est susceptible de se présenter de nouveau. Elles estiment qu’il n’y a aucun moyen de prédire exactement si la violence se répétera ou non. En fait, la première manifestation de violence dans un état d’automatisme est généralement inopinée et, par conséquent, difficile à prévoir. Par contre, il est plus facile d’évaluer la probabilité de récurrence des circonstances qui auraient déclenché l’automatisme (voir pp. 235 et 236).

217 La logique du raisonnement de Grant et Spitz est difficile à nier. En effet, elle révèle que l’évaluation de la probabilité que l’accusé en question se retrouve en présence de l’élément qui aurait déclenché l’état d’automatisme dans lequel il a été plongé, ou d’un élément semblable tout au moins aussi grave, peut aider le juge à jauger le facteur du risque subsistant. Plus élevée est la fréquence prévue de l’élément déclencheur dans la vie de l’accusé, plus grand est le risque couru par le public, et, par conséquent, plus il est probable que l’état allégué par l’accusé est une maladie mentale.

(3) Autres facteurs d’ordre public

218 Il peut y avoir des cas où l’examen des facteurs de la cause interne et du risque subsistant ne permet pas, à lui seul, de répondre de façon définitive à la question de la maladie mentale. Il en est ainsi, par exemple, lorsque le facteur de la cause interne n’est d’aucune utilité parce qu’il est impossible de qualifier d’interne ou d’externe la cause alléguée de l’automatisme, et lorsque le facteur du risque subsistant n’est pas concluant parce qu’il n’y a aucun risque subsistant de violence. Par conséquent, une façon globale d’aborder la question de la maladie mentale doit aussi permettre au juge du procès de tenir compte des autres préoccupations d’ordre public qui sous‑tendent cet examen. Comme nous l’avons vu, notre Cour a, dans Rabey et Parks, exposé certaines préoccupations d’ordre public au sujet de l’automatisme. Je les ai déjà mentionnées expressément dans les présents motifs. Je répète que je ne considère pas que ces préoccupations sont exhaustives. Il se peut que, dans un cas donné d’automatisme, le juge du procès décèle un facteur d’ordre public que notre Cour n’a pas expressément reconnu. Le juge du procès peut tenir compte de toute préoccupation valable de cette nature pour déterminer si l’état dans lequel l’accusé allègue avoir été est une maladie mentale. En tranchant cette question, des préoccupations d’ordre public aident le juge du procès à répondre à la question fondamentale de droit et de fait fondamentale qui est au cœur de l’examen de la question de la maladie mentale: celle de savoir si la société a besoin d’être protégée contre l’accusé et, par conséquent, si ce dernier devrait faire l’objet d’une évaluation selon le régime établi dans la partie XX.1 du Code.

H. Moyens de défense susceptibles d’être invoqués à la suite d’une décision sur la question de la maladie mentale

219 Si le juge du procès conclut que l’état dans lequel l’accusé allègue avoir été n’est pas une maladie mentale, seule la défense d’automatisme sans troubles mentaux pourra être soumise à l’appréciation du juge des faits, car le juge du procès aura déjà conclu qu’il existe une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement. Il appartient alors au juge des faits de décider si la défense a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement. S’il répond à cette question par l’affirmative, la défense d’automatisme sans troubles mentaux sera alors retenue, entraînant ainsi l’acquittement pur et simple.

220 Je tiens à faire remarquer que, dans ses directives au jury sur la question du caractère volontaire dans les cas d’automatisme sans troubles mentaux, le juge du procès devrait commencer par examiner en profondeur les facteurs importants d’ordre public qui entourent l’automatisme, y compris les préoccupations relatives à la possibilité de simulation et à la considération dont l’administration de la justice doit jouir. Il sera également utile au juge du procès de renvoyer expressément à la preuve pertinente relativement à la question du caractère involontaire, comme l’intensité de l’élément déclencheur, le témoignage corroborant d’observateurs, les antécédents médicaux corroborants d’états de dissociation apparentés à l’automatisme, la question de savoir s’il y a preuve de l’existence d’un mobile du crime et celle de savoir si la personne qui aurait déclenché l’état d’automatisme est également la victime de la violence qui en a résulté.

221 Par contre, si le juge du procès conclut que l’état allégué est une maladie mentale, seule la défense d’automatisme avec troubles mentaux sera soumise à l’appréciation du juge des faits. L’affaire sera dès lors instruite comme toute autre cause comportant l’application de l’art. 16, et il appartiendra au juge des faits de trancher la question de savoir si la défense a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé était atteint de troubles mentaux qui le rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte reproché. Comme nous l’avons vu, l’art. 16 fournit un cadre dans lequel la protection du public est assurée lorsque l’automatisme avec troubles mentaux est établi.

222 En décidant si l’accusé a allégué avec succès l’automatisme avec troubles mentaux, le juge des faits se prononcera par la même occasion sur la question de savoir si celui-ci a effectivement agi involontairement. En d’autres termes, dans le cas où le juge du procès conclut que l’automatisme allégué, en supposant qu’il a été allégué à juste titre, ne peut avoir résulté que d’une maladie mentale, la conclusion du juge des faits que l’accusé n’était pas atteint de troubles mentaux invalide nécessairement toute allégation de caractère involontaire par l’accusé. Le vicomte Kilmuir exprime cela en ces termes dans Bratty, précité, à la p. 403:

[traduction] Lorsque la possibilité d’un acte inconscient dépend, et ce uniquement, de l’existence d’une défaillance de la raison découlant d’une maladie mentale selon les règles de M’Naughten, le rejet par le jury de la défense d’aliénation mentale implique nécessairement le rejet de cette possibilité.

Voir également Bratty, précité, aux pp. 404, 415, 417 et 418, et Rabey (C.A. Ont.), précité, aux pp. 24 et 25, le juge Martin.

I. Application à la présente affaire

223 Au procès, l’appelant a allégué à la fois l’automatisme avec troubles mentaux et l’automatisme sans troubles mentaux. Le juge du procès a conclu que l’appelant avait établi les fondements d’une défense d’automatisme, mais que seul l’automatisme avec troubles mentaux devait être soumis à l’appréciation du jury. Quand il a tiré ces conclusions, le juge du procès ne bénéficiait pas des présents motifs pour le guider. Ce n’est toutefois pas une raison d’accueillir le pourvoi, car, comme je vais l’expliquer plus loin, la méthode suivie par le juge du procès n’a pas nui à la position de l’appelant.

224 En déterminant si l’appelant avait établi les fondements d’une défense d’automatisme, le juge du procès a affirmé qu’il devait y avoir une preuve de perte de conscience tout au long de la perpétration du crime. Comme je l’ai déjà expliqué, l’automatisme est mieux défini comme un état de conscience diminué que comme une perte de conscience. En outre, c’est l’absence de caractère volontaire, et non la perte de conscience, qui constitue l’élément juridique principal de l’automatisme. Par conséquent, le juge du procès aurait dû se demander s’il y avait une preuve que l’appelant s’était trouvé dans un état de conscience diminué où il n’avait pas la maîtrise de ses actes, au lieu de se demander s’il existait une preuve que l’appelant avait été inconscient tout au long de la perpétration du crime. De toute évidence, la perte de conscience définie par le juge du procès suppose l’absence de caractère volontaire. Toutefois, il se peut que sa conclusion qu’il y avait une preuve de perte de conscience tout au long de la perpétration du crime ait été fondée sur une méprise quant à la nature de la charge de présentation qui incombe à l’accusé à l’étape de l’établissement des fondements.

225 Conformément à une bonne partie de la jurisprudence de l’époque, le juge du procès a pu conclure que les fondements de l’automatisme avaient été établis parce que la défense s’était acquittée d’une charge de présentation qui ne correspondait à rien de plus que l’allégation de caractère involontaire par l’appelant, confirmée par la preuve d’expert d’un psychiatre. Rien n’indique qu’il s’est demandé si la défense avait soumis une preuve qui aurait permis à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant avait agi involontairement. De même, rien n’indique que le juge du procès a reconnu l’importance limitée à accorder à la preuve psychiatrique en l’espèce, qui ne faisait que confirmer que l’automatisme allégué par l’appelant était plausible à la condition que les faits qu’il avait relatés au Dr Janke soient exacts et véridiques. Le juge du procès n’a pas non plus analysé la pertinence du mobile ni celle de la preuve corroborante en concluant que les fondements de l’automatisme avaient été établis.

226 Abordant maintenant l’étape de l’analyse de l’automatisme concernant la maladie mentale, je souligne qu’une seule cause d’automatisme était alléguée en preuve dans la présente affaire, à savoir les paroles de Donna Stone. Compte tenu de cette preuve, le juge du procès a décidé que seul l’automatisme avec troubles mentaux devait être soumis à l’appréciation du jury. Cette décision reposait essentiellement sur la conclusion que la présente affaire ne peut pas être distinguée de l’affaire MacLeod, précitée. Le fait de s’en remettre ainsi à un précédent ne révèle pas la nature de l’incidence que le facteur de la cause interne, le facteur du risque subsistant et d’autres facteurs d’ordre public ont pu avoir sur la décision de ne soumettre à l’appréciation du jury que la défense d’automatisme avec troubles mentaux. Cela est incompatible avec la façon globale, exposée dans les présents motifs, d’aborder la question de la maladie mentale. Toutefois, les facteurs de la cause interne et du risque subsistant, de même que les autres facteurs d’ordre public énoncés dans les arrêts Rabey et Parks de notre Cour, appuient tous la conclusion du juge du procès que l’état dans lequel l’appelant allègue avoir été plongé est une maladie mentale au sens juridique. En particulier, l’élément déclencheur en l’espèce n’était pas, pour reprendre les termes du juge Martin cités dans l’arrêt Rabey de notre Cour, à la p. 520, un [TRADUCTION] «événement externe extraordinaire» qui, en l’absence de maladie mentale, équivaudrait à un traumatisme extrême ou à un choc psychologique qui provoquerait un état de dissociation chez une personne normale dans la situation de l’accusé. En conséquence, je conclus que le juge du procès est néanmoins arrivé au bon résultat sur la question de la maladie mentale. Comme je l’ai souligné précédemment, seul l’automatisme avec troubles mentaux doit être soumis à l’appréciation du jury dans un tel cas. Il n’y a aucune raison d’aller au-delà des faits de la présente affaire en appliquant les règles analysées plus haut.

227 Finalement, je me dois de conclure qu’aucun tort important ni aucune erreur judiciaire grave ne se sont produits en l’espèce. Même si j’avais conclu que le juge du procès a commis une erreur en appliquant la charge de présentation à l’étape de l’analyse de l’automatisme consistant à en établir les fondements, cette erreur n’aurait pu que bénéficier à l’appelant. Bien que le juge du procès n’ait pas adopté la façon globale, établie dans les présents motifs, d’aborder la question de la maladie mentale, il est arrivé au bon résultat à cet égard. Il n’y a aucune possibilité raisonnable que le verdict eût été différent en l’absence des erreurs commises; voir R. c. Bevan, [1993] 2 R.C.S. 599. Je suis donc d’avis de rejeter ce moyen d’appel.

2. La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’aucune erreur judiciaire n’a été commise lorsque la communication au ministère public du rapport préparé pour la défense par le Dr Janke a été ordonnée?

228 Je souscris aux motifs du juge Binnie quant à ce moyen d’appel.

3. a) La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur de principe en décidant que le juge qui a infligé la peine pouvait considérer la provocation comme un facteur atténuant relativement à l’homicide involontaire coupable, alors que cette même provocation avait déjà permis, en vertu de l’art. 232 du Code criminel, de réduire de meurtre à homicide involontaire coupable le stigmate et la sanction liés à un homicide volontaire?

b) La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en confirmant une peine manifestement inappropriée qui ne reflétait pas correctement la gravité de l’infraction ni la culpabilité morale de son auteur?

J. La norme de contrôle de la sentence en appel

229 L’appel interjeté par le ministère public contre la peine de sept ans d’emprisonnement infligée en l’espèce par le juge du procès doit être examiné à la lumière de la jurisprudence de notre Cour portant sur la norme de contrôle de la sentence en appel. Le paragraphe 687(1) du Code prévoit un droit d’appel de la sentence:

687. (1) S’il est interjeté appel d’une sentence, la cour d’appel considère, à moins que la sentence n’en soit une que détermine la loi, la justesse de la sentence dont appel est interjeté et peut, d’après la preuve, le cas échéant, qu’elle croit utile d’exiger ou de recevoir:

a) soit modifier la sentence dans les limites prescrites par la loi pour l’infraction dont l’accusé a été déclaré coupable;

b) soit rejeter l’appel.

230 Dans l’arrêt Shropshire, précité, notre Cour a étudié la norme de contrôle en appel permise par le par. 687(1). Le juge Iacobucci a conclu, au nom de la Cour à l’unanimité, aux pp. 249 et 250, qu’une cour d’appel n’a pas toute latitude pour modifier une ordonnance relative à la détermination de la peine simplement parce qu’elle aurait elle-même infligé une peine différente. Au contraire, il n’y a lieu de modifier la peine que si la cour d’appel est convaincue qu’elle n’est «pas indiquée» ou qu’elle est «nettement déraisonnable» (p. 249). Cette norme de contrôle en appel fondée sur la retenue doit être appliquée dans la mesure où le juge du procès n’a commis aucune erreur de principe, n’a pas omis de prendre en considération un facteur pertinent ni trop insisté sur les facteurs appropriés. Dans l’arrêt M. (C.A.), précité, le juge en chef Lamer a confirmé, également au nom de la Cour, l’application de cette norme de contrôle des peines en appel, fondée sur la retenue, soulignant, à la p. 567:

Pour ces motifs, conformément à la norme générale de contrôle que nous avons formulée dans Shropshire, je crois qu’une cour d’appel ne devrait intervenir afin de réduire au minimum la disparité entre les peines que dans les cas où la peine infligée par le juge du procès s’écarte de façon marquée et substantielle des peines qui sont habituellement infligées à des délinquants similaires ayant commis des crimes similaires. [Je souligne.]

Voir aussi R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948, aux par. 15 à 17.

231 Gardant à l’esprit cette norme de contrôle de la sentence en appel, je vais maintenant soupeser les arguments du ministère public en fonction de la peine de sept ans infligée en l’espèce par le juge du procès.

K. Erreur de principe

(1) La provocation comme facteur atténuant en matière d’homicide involontaire coupable

232 Le ministère public et l’intervenant, le procureur général de l’Ontario, soutiennent que le juge qui a infligé la peine a commis une erreur de principe en considérant la provocation comme un facteur atténuant, une fois le verdict de meurtre réduit à un verdict d’homicide involontaire coupable en application de l’art. 232 du Code, que je reproduis ci-dessous pour en faciliter la consultation:

232. (1) Un homicide coupable qui autrement serait un meurtre peut être réduit à un homicide involontaire coupable si la personne qui l’a commis a ainsi agi dans un accès de colère causé par une provocation soudaine.

(2) Une action injuste ou une insulte de telle nature qu’elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser, est une provocation pour l’application du présent article, si l’accusé a agi sous l’impulsion du moment et avant d’avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid.

(3) Pour l’application du présent article, les questions de savoir:

a) si une action injuste ou une insulte déterminée équivalait à une provocation;

b) si l’accusé a été privé du pouvoir de se maîtriser par la provocation qu’il allègue avoir reçue,

sont des questions de fait, mais nul n’est censé avoir provoqué un autre individu en faisant quelque chose qu’il avait un droit légal de faire, ou en faisant une chose que l’accusé l’a incité à faire afin de fournir à l’accusé une excuse pour causer la mort ou des lésions corporelles à un être humain.

(4) Un homicide coupable qui autrement serait un meurtre n’est pas nécessairement un homicide involontaire coupable du seul fait qu’il a été commis par une personne alors qu’elle était illégalement mise en état d’arrestation; le fait que l’illégalité de l’arrestation était connue de l’accusé peut cependant constituer une preuve de provocation pour l’application du présent article.

233 Comme l’a expliqué le juge en chef Fraser, dans R. c. Laberge (1995), 165 A.R. 375 (C.A.), même dans le cas des homicides impulsifs, il existe différents degrés de culpabilité morale. Notre Cour a reconnu que la vaste gamme de peines qui, en vertu de l’art. 236 du Code, peuvent être infligées dans le cas d’un homicide involontaire coupable est conforme au principe que la peine doit être imposée en fonction du degré de culpabilité morale du délinquant; voir R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633, à la p. 647, le juge en chef Lamer, et R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3, aux pp. 48 et 49, le juge McLachlin.

234 Pour fixer une peine qui reflète fidèlement la culpabilité morale d’un délinquant, le juge qui l’inflige doit tenir compte de toutes les circonstances de l’infraction, y compris la question de savoir s’il y a eu provocation. En fait, je partage l’avis exprimé par le juge Finch de la Cour d’appel dans la présente affaire, selon lequel ne pas tenir compte de la défense de provocation retenue par le jury, et de la preuve sur laquelle elle reposait, reviendrait à ne pas tenir compte d’une preuve probante de l’état d’esprit du contrevenant au moment de l’homicide.

235 Le ministère public et le procureur général de l’Ontario soutiennent toutefois que, dans les cas d’homicide involontaire coupable visés par l’art. 232 du Code, la provocation ne devrait pas entrer en ligne de compte pour fixer la peine parce qu’elle a déjà entraîné une réduction de la qualification juridique du crime, de meurtre à homicide involontaire coupable. Selon cet argument, considérer la provocation à l’étape de la détermination de la peine dans ces cas aurait pour effet de réduire la culpabilité morale du contrevenant et, par le fait même, la peine qui lui serait infligée. Cela, soutient‑on, conférerait au contrevenant un «double avantage» du fait que l’homicide a résulté d’une provocation. Le ministère public s’appuie principalement sur des arrêts manitobains où la Cour d’appel a refusé de considérer l’intoxication et la provocation comme des facteurs atténuants lorsque ces éléments avaient déjà contribué à réduire une déclaration de culpabilité de meurtre à une déclaration de culpabilité d’homicide involontaire coupable; voir, par exemple, R. c. Campbell (1991), 70 Man. R. (2d) 158 (C.A.), et R. c. Woermann (1992), 81 Man. R. (2d) 255 (C.A.).

236 La défense de provocation s’applique uniquement à l’infraction de meurtre. Historiquement, ce moyen de défense limité visait à écarter l’imposition injuste de la peine de mort. Bien que la peine capitale ne soit plus imposée dans le cas d’un meurtre, le moyen de défense limité fondé sur la provocation conserve son utilité. Étant donné que les infractions de meurtre au premier degré et de meurtre au deuxième degré comportent une peine minimale d’emprisonnement à perpétuité en vertu de l’art. 235 du Code, les juges n’ont pas le pouvoir discrétionnaire de considérer la provocation comme un facteur atténuant dans la détermination de la peine appropriée pour ces infractions. L’article 232 remédie à ce problème. Dans le cas où il y a eu provocation, l’art. 232 permet de réduire un verdict de meurtre à un verdict d’homicide involontaire coupable qui n’est assorti d’aucune peine minimale, sauf si une arme à feu a été utilisée pour perpétrer l’infraction (art. 236), ce qui permet de tenir compte de la provocation pour apprécier la culpabilité morale du contrevenant et, partant, pour déterminer la peine appropriée. C’est le législateur qui a choisi d’accorder une attention particulière à la provocation.

237 Il s’ensuit qu’un accusé ne bénéficie pas d’un «double avantage» si la provocation est prise en considération lors de la détermination de sa peine, une fois qu’il a été déclaré coupable d’homicide involontaire coupable en application de l’art. 232. Cet article accorde plutôt à l’accusé un seul avantage que l’on peut décrire comme la réduction d’un verdict de meurtre à un verdict d’homicide involontaire coupable, afin de permettre la prise en considération du fait que l’homicide a été causé par une provocation pour déterminer la peine appropriée. En conséquence, pour appliquer pleinement l’art. 232, il faut tenir compte de la provocation pour fixer la peine dans les cas où cette disposition du Code a été invoquée. Le juge qui a infligé la peine a donc eu raison de considérer la provocation comme un facteur atténuant en l’espèce. L’argument que le facteur de la provocation était épuisé parce qu’il avait déjà contribué à réduire la qualification juridique du crime ne tient pas compte de l’objet de l’art. 232 et il doit donc être rejeté.

(2) Omission de tenir compte des facteurs appropriés

238 Le ministère public et les procureurs généraux du Canada et de l’Ontario font valoir que la peine de sept ans infligée, en l’espèce, par le juge du procès ne reflète pas la sensibilisation de la société au problème de la violence faite aux femmes, en général, et à celui de la violence familiale, en particulier, ni la compréhension qu’elle en a actuellement. Ils soutiennent plus précisément que le juge qui a infligé la peine n’a pas reconnu que l’homicide sur la personne d’un conjoint est considéré comme étant un facteur aggravant en matière de détermination de la peine conformément au sous-al. 718.2a)(ii) du Code, que voici:

718.2 Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants:

a) la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant; sont notamment considérées comme des circonstances aggravantes des éléments de preuve établissant:

. . .

(ii) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un mauvais traitement de son conjoint ou de ses enfants;

Les procureurs généraux du Canada et de l’Ontario demandent à notre Cour de reconnaître expressément que l’homicide sur la personne d’un conjoint constitue un facteur aggravant en matière de détermination de la peine en vertu du sous-al. 718.2a)(ii).

239 Il incombe à la magistrature d’harmoniser le droit aux valeurs sociales contemporaines. Cela est également vrai en ce qui concerne la détermination de la peine. À cet égard, le juge en chef Lamer a tenu les propos suivants, dans M. (C.A.), précité, au par. 81:

Pour sa part, l’objectif de réprobation commande que la peine indique que la société condamne la conduite de ce contrevenant. Bref, une peine assortie d’un élément réprobateur représente une déclaration collective, ayant valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu’elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont constatées dans notre droit pénal substantiel. [. . .] Notre droit criminel est également un système de valeurs. La peine qui exprime la réprobation de la société est uniquement le moyen par lequel ces valeurs sont communiquées. En résumé, en plus d’attacher des conséquences négatives aux comportements indésirables, les peines infligées par les tribunaux devraient également être infligées d’une manière propre à enseigner de manière positive la gamme fondamentale des valeurs communes que partagent l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes et qui sont exprimées par le Code criminel. [Souligné dans l’original.]

Il ressort aussi de la jurisprudence de notre Cour que le droit doit évoluer de manière à refléter les valeurs sociales changeantes en matière de rapports entre hommes et femmes; voir Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219; R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852; R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577.

240 Dans Weatherall c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 872, notre Cour a reconnu la «tendance historique à la violence des hommes envers les femmes» (p. 877). Plus précisément, dans l’arrêt Lavallee, précité, à la p. 872, la Cour a reconnu la sensibilisation accrue de la société au problème de la violence familiale. Selon moi, ces arrêts indiquent que les valeurs sociales contemporaines exigent que la responsabilité morale des contrevenants soit appréciée dans le contexte de l’égalité des hommes et des femmes, en général, et des conjoints, en particulier. Il est clair que l’homicide sur la personne d’un conjoint implique un abus de la confiance reconnue et valorisée par la société et doit être reconnu comme un important facteur aggravant en vertu du sous-al. 718.2a)(ii).

241 Pour revenir au présent pourvoi, je tiens à souligner que le sous-al. 718.2a)(ii) du Code n’est entré en vigueur que le 3 septembre 1996, soit environ neuf mois après le prononcé de la sentence en l’espèce. Étant donné que le Code ne peut pas s’appliquer rétroactivement au détriment d’un accusé, la façon dont le juge qui a infligé la peine a traité le fait qu’il s’agissait d’un homicide sur la personne d’un conjoint doit être évaluée en fonction de la façon dont la common law traitait ce facteur avant l’entrée en vigueur du sous-al. 718.2a)(ii). Selon moi, une abondante jurisprudence appuie la thèse voulant que les tribunaux aient considéré le lien conjugal entre le contrevenant et la victime comme un facteur aggravant en matière de détermination de la peine en common law; voir R. c. Doyle (1991), 108 N.S.R. (2d) 1 (C.A.); R. c. Brown (1992), 13 C.R. (4th) 346 (C.A. Alb.); R. c. Pitkeathly (1994), 29 C.R. (4th) 182 (C.A. Ont.); R. c. Jackson (1996), 106 C.C.C. (3d) 557 (C.A. Alb.); R. c. Edwards (1996), 28 O.R. (3d) 54 (C.A.).

242 En l’espèce, le juge Brenner, qui a infligé la peine, a eu l’avantage de présider également l’instruction de l’affaire. Il pouvait difficilement ne pas être au courant de l’existence d’un lien conjugal entre le contrevenant et la victime en l’espèce. De plus, il a entendu les observations du ministère public sur la peine, qui décrivaient expressément l’infraction comme une infraction de violence familiale. Dans ses observations, le ministère public a porté à l’attention du juge le taux alarmant de cas de violence familiale et le besoin de dissuasion générale. Il a également souligné que les femmes sont particulièrement vulnérables à la violence familiale et que la société se préoccupe de plus en plus de ce problème. Dans ses motifs à l’appui de la peine infligée, le juge Brenner a expressément décrit l’infraction comme étant une infraction de violence familiale et a fait remarquer qu’il considérait que la dissuasion générale était le but principal de la peine en l’espèce. De plus, dans les deux arrêts les plus pertinents selon lui, à savoir Archibald et Eklund, précités, il était question d’homicide involontaire coupable sur la personne d’un conjoint. J’estime que le ministère public n’a pas établi que le juge du procès a omis de prendre dûment en considération le caractère familial de l’infraction en décidant de la peine. Ce moyen d’appel doit donc être rejeté.

(3) Caractère indiqué de la peine

a) L’échelle des peines pour l’homicide involontaire coupable sur la personne d’un conjoint, causé par une provocation

243 Le ministère public et les intervenants, les procureurs généraux du Canada et de l’Ontario, prétendent que la peine infligée en l’espèce n’est pas indiquée parce que le juge du procès s’est appuyé sur une échelle de peines inappropriée que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a établie, dans l’arrêt Archibald, relativement à l’homicide involontaire coupable sur la personne d’un conjoint, causé par une provocation. Dans Archibald, le juge en chef McEachern affirme, à la p. 304:

[traduction] En ce qui concerne ce genre d’homicide involontaire coupable, la jurisprudence qui nous a été soumise et l’expérience que j’ai acquise, comme juge, en matière de détermination de la peine me convainquent que l’échelle moderne des peines va de la condamnation avec sursis jusqu’à un peu moins de huit ans, bien qu’il soit incorrect de présumer qu’il existe une échelle précise applicable à tous les cas.

244 L’une des tâches des cours d’appel est réduire au minimum la disparité des peines infligées à des contrevenants similaires pour des infractions similaires; voir M. (C.A.), précité, au par. 92, et McDonnell, précité, au par. 16, le juge Sopinka. En s’acquittant de cette tâche, les cours d’appel peuvent établir des échelles de peines relatives à certaines catégories d’infractions, en vue de guider les tribunaux d’instance inférieure. Toutefois, les cours d’appel ne doivent pas, au nom de l’uniformité, modifier l’obligation qu’ont les juges de prendre en considération toutes les circonstances pertinentes en infligeant la peine; voir McDonnell, précité, au par. 43, le juge Sopinka, et au par. 66, le juge McLachlin. Dans Archibald, le juge en chef McEachern a clairement affirmé, à la p. 304, qu’il serait incorrect de présumer l’existence d’une «échelle précise applicable à tous les cas». Selon moi, cette réserve montre que la Cour d’appel, dans Archibald, a voulu à juste titre que les juges du procès établissent un équilibre entre l’uniformité des peines et leur obligation de prendre en considération les circonstances de chaque affaire.

245 L’arrêt McDonnell, précité, de notre Cour fait ressortir le besoin de précision de la part des cours d’appel lorsqu’elles établissent des échelles de peines pour des infractions. Plus particulièrement, le juge McLachlin a affirmé dans ses motifs de dissidence que les cours d’appel doivent préciser clairement à quelles catégories d’infractions s’appliquera un point de départ (par. 104). Bien que la Cour à la majorité, sous la plume du juge Sopinka, n’ait pas expressément noté ce besoin de précision dans la classification des infractions, elle a convenu que les cours d’appel peuvent établir des points de départ pour guider les tribunaux d’instance inférieure. À mon avis, il faut considérer que ce pouvoir des cours d’appel comporte une exigence de précision, car de telles indications seraient inutiles sans une description claire de la catégorie créée et de la logique sous-jacente au point de départ qui lui est propre. Les cours d’appel sont tenues à la même précision lorsqu’elles établissent des échelles de peines. Toutefois, dans Archibald, à la p. 304, le juge en chef McEachern mentionne simplement [traduction] «ce genre d’homicide involontaire coupable». De plus, les faits de l’affaire ne permettaient pas de savoir de quel «genre» d’homicide involontaire coupable parlait le juge en chef McEachern. Dans Archibald, les questions de l’intoxication et de la provocation ont été soumises à l’appréciation du jury. Celui‑ci a prononcé un verdict d’homicide involontaire coupable, sans toutefois préciser lequel de ces facteurs avait influencé son verdict. Par conséquent, on ne sait pas clairement à quelle catégorie d’infractions le juge en chef McEachern entendait appliquer l’échelle de peines susmentionnée. En fait, il a précisé, dans ses motifs, que le juge du procès s’était dit d’avis, sans le conclure expressément, qu’il était plus probable que le jury s’était fondé sur l’état d’ivresse plutôt que sur la provocation (p. 303). En conséquence, on ne saurait affirmer avec certitude que l’échelle établie dans Archibald s’applique à l’homicide involontaire coupable sur la personne d’un conjoint, causé par une provocation, comme c’est le cas dans le présent pourvoi. Il est donc inutile d’évaluer le caractère raisonnable de cette échelle de peines en l’espèce.

246 Vu l’absence d’échelle applicable établie par la Cour d’appel, il faut déterminer si des facteurs étrangers aux principes reconnus de détermination de la peine ont eu une influence négative sur le choix de la peine et si tous les facteurs appropriés ont été examinés. En l’espèce, je dois cependant commencer par examiner l’argument du ministère public et du procureur général de l’Ontario, selon lequel, si l’échelle des peines pour l’homicide involontaire coupable sur la personne d’un conjoint, causé par une provocation, se retrouve à l’extrémité inférieure de l’éventail des peines qui peuvent être infligées pour un homicide involontaire coupable, c’est en raison de la [traduction] «double prise en considération» de la provocation, qui est donc à l’origine de la peine insuffisante qui a été infligée.

247 L’argument voulant que la «double prise en considération» de la provocation soit à l’origine de l’échelle des peines pour l’homicide involontaire coupable sur la personne d’un conjoint, causé par une provocation, ne tient pas compte du fait que la provocation ne constitue que l’un des facteurs à considérer pour déterminer à quelle extrémité de l’échelle des peines pour homicide involontaire coupable il faut se référer selon les faits particuliers de l’affaire. Les caractéristiques personnelles du contrevenant et les autres circonstances entourant l’infraction, telle la façon dont elle a été commise et le moyen utilisé pour la commettre, doivent aussi entrer en ligne de compte. Les propos tenus par le juge en chef Fraser, dans l’arrêt Laberge, précité, à la p. 382, sont pertinents à cet égard:

[traduction] En conséquence, la cour doit non seulement examiner la qualification physique de l’acte même, mais encore évaluer toute une gamme d’autres facteurs, dont le choix de l’arme utilisée pour accomplir l’acte illégal, la force utilisée par le contrevenant pour l’accomplir, l’importance des blessures causées à la victime, le degré de violence ou de brutalité, l’existence d’autres actes de violence gratuite, le caractère plus ou moins délibéré de l’acte, la mesure dans laquelle cet acte se révèle prémédité ou planifié, la complexité de l’acte, les éléments qui l’ont provoqué, le cas échéant, le temps pris pour accomplir l’acte en question et le fait que le décès puisse être le fruit du hasard.

248 Il est clair que la provocation n’est que l’un des nombreux facteurs qui seront pris en considération pour évaluer la peine qu’il convient d’infliger pour un homicide involontaire coupable en vertu de l’art. 232. On ne peut donc pas affirmer que les cas où il est question de provocation mènent toujours à une conclusion de culpabilité morale négligeable ni que les peines moins sévères résultent uniquement du facteur de la provocation.

b) Peine insuffisante

249 Le dernier argument du ministère public veut que la peine de sept ans infligée en l’espèce soit tout simplement insuffisante et donc manifestement déraisonnable. Le ministère public évoque un certain nombre de facteurs aggravants à l’appui de ce moyen d’appel. Il soutient également que le juge qui a infligé la peine a tiré des conclusions de fait déraisonnables. Même si j’avais pu être enclin à imposer une peine légèrement plus lourde, compte tenu de la nature de l’infraction commise, cela ne justifie pas notre Cour de modifier la peine infligée. J’estime que le ministère public ne s’est pas acquitté de son obligation de démontrer le caractère manifestement déraisonnable de l’évaluation des faits de l’affaire et de la jurisprudence pertinente par le juge qui a infligé la peine. Ce moyen d’appel doit donc être rejeté.

VII. Conclusions et dispositif

250 En ce qui concerne le premier pourvoi, j’ai conclu qu’aucun tort important ni aucune erreur judiciaire grave ne se sont produits. Je suis donc d’avis de confirmer la déclaration de culpabilité et de rejeter le pourvoi.

251 Quant au second pourvoi, je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le juge qui a infligé la peine était conscient des facteurs aggravants et atténuants en cause dans la présente affaire et qu’il a pris en considération les principes pertinents de détermination de la peine pour décider de la peine à infliger. En conséquence, je suis d’avis de rejeter le pourvoi du ministère public contre la peine et de confirmer la peine infligée par le juge du procès.

Pourvoi contre la déclaration de culpabilité rejeté, le juge en chef Lamer et les juges Iacobucci, Major et Binnie sont dissidents. Pourvoi contre la peine infligée rejeté.

Procureurs de Bert Thomas Stone: Singleton Urquhart Scott, Vancouver.

Procureur de Sa Majesté la Reine: Gil D. McKinnon, Vancouver.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada: Le sous‑procureur général du Canada, Ottawa.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario: Le procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta: Le procureur général de l’Alberta, Edmonton.


Synthèse
Référence neutre : [1999] 2 R.C.S. 290 ?
Date de la décision : 27/05/1999
Sens de l'arrêt : Le pourvoi de l’accusé contre sa déclaration de culpabilité est rejeté. Le pourvoi du ministère public contre la peine infligée est également rejeté

Analyses

Droit criminel - Moyens de défense - Automatisme avec aliénation mentale et sans aliénation mentale - Accusé tuant son épouse à la suite d’une présumée agression verbale de la part de cette dernière - Accusé reconnu coupable d’homicide involontaire coupable et condamné à sept ans d’emprisonnement - L’accusé a‑t‑il droit à ce que l’une ou l’autre défense d’automatisme, ou les deux à la fois, soient soumises à l’appréciation du jury? -- Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 2, 16.

Tribunaux - Production de documents —Privilège - Document de la défense mentionné lors des remarques préliminaires - Ordonnance de production du document au ministère public - La production a-t‑elle été ordonnée à juste titre? - Une erreur judiciaire a-t-elle résulté de l’ordonnance de production?.

Détermination de la peine - Verdict - Jury recevant des directives sur le meurtre et la provocation - Accusé reconnu coupable d’homicide involontaire coupable et condamné à sept ans d’emprisonnement - La provocation est-elle dûment prise en compte pour réduire un verdict de meurtre et est‑elle considérée à bon droit comme un facteur atténuant au moment de déterminer la peine? - La peine est‑elle indiquée et reflète‑t‑elle correctement la gravité de l’infraction et la culpabilité morale de l’accusé? -- Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 232, 687, 718.2.

L’accusé a admis avoir poignardé son épouse à 47 reprises, mais il a prétendu l’avoir fait alors qu’il se trouvait dans un état d’automatisme provoqué par les seules paroles injurieuses de celle-ci. L’accusé a témoigné qu’il avait eu la sensation «d’être emporté». Lorsqu’il a repris ses sens, il regardait droit devant lui et a senti quelque chose dans sa main. Il tenait un couteau de chasse de six pouces. Il a levé les yeux et a aperçu son épouse affaissée sur le siège. Il a placé le corps dans la boîte à outils de son camion, s’est lavé, s’est rendu chez lui, a rédigé un mot destiné à sa belle‑fille et a loué une chambre d’hôtel. Ensuite, il a perçu une somme qui lui était due, vendu une auto et s’est envolé pour le Mexique. Pendant son séjour dans ce pays, l’accusé s’est réveillé un matin, en proie à la sensation qu’on lui tranchait la gorge. En essayant de se remémorer le rêve qu’il avait fait, il s’est souvenu avoir poignardé son épouse à la poitrine à deux reprises avant d’avoir la sensation «d’être emporté». Il est revenu au Canada environ six semaines plus tard, a parlé à un avocat et s’est livré à la police. Il a été accusé de meurtre.

Pour sa défense, l’accusé a invoqué l’automatisme avec aliénation mentale, l’automatisme sans aliénation mentale, l’absence d’intention et, subsidiairement, la provocation. Le juge du procès a décidé que la défense avait établi les fondements de la défense d’automatisme avec aliénation mentale, mais non ceux de la défense d’automatisme sans aliénation mentale. En conséquence, il a donné au jury des directives sur l’automatisme avec aliénation mentale, l’intention relative au meurtre au deuxième degré et la provocation. L’accusé a été reconnu coupable d’homicide involontaire coupable et condamné à sept ans d’emprisonnement.

Dans ses remarques préliminaires au procès, l’avocat de la défense a déclaré que le témoignage du psychiatre de la défense étayerait le moyen de défense fondé sur l’automatisme. La défense n’a mis ce rapport d’expert à la disposition du ministère public qu’après que ce dernier eut présenté avec succès une requête en communication.

La Cour d’appel a confirmé la déclaration de culpabilité de l’accusé et a rejeté l’appel interjeté par le ministère public relativement à la peine infligée. L’accusé et le ministère public se pourvoient tous les deux devant notre Cour. Il s’agit en l’espèce de décider 1) si la «défense» d’automatisme sans aliénation mentale aurait dû être soumise à l’appréciation du jury, 2) si la communication du rapport du psychiatre de la défense au ministère public a été ordonnée à juste titre, (3)a) si le juge qui a infligé la peine pouvait considérer la provocation comme un facteur atténuant relativement à l’homicide involontaire coupable, alors que cette même provocation avait déjà été prise en considération pour réduire l’accusation portée à une accusation d’homicide involontaire coupable, et b), si la peine était indiquée et reflétait correctement la gravité de l’infraction et la culpabilité morale de son auteur.

Arrêt (le juge en chef Lamer et les juges Iacobucci, Major et Binnie sont dissidents quant au pourvoi contre la déclaration de culpabilité): Le pourvoi de l’accusé contre sa déclaration de culpabilité est rejeté. Le pourvoi du ministère public contre la peine infligée est également rejeté.

(1) La «défense» d’automatisme sans aliénation mentale

Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin et Bastarache: Le droit reconnaît deux formes d’automatisme. L’automatisme sans aliénation mentale peut être invoqué dans le cas d’un acte involontaire qui n’est pas le fruit d’une maladie mentale, et il donne à l’accusé droit à l’acquittement. Par ailleurs, l’automatisme avec aliénation mentale peut être invoqué dans le cas d’un acte involontaire qui, en droit, est jugé résulter d’une maladie mentale, et il est subsumé sous la défense des troubles mentaux. Lorsque la défense d’automatisme avec aliénation mentale est retenue, l’art. 16 du Code criminel s’applique et un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux est rendu.

Le droit présume que les gens agissent volontairement. Étant donné que la défense d’automatisme revient à prétendre qu’un acte n’était pas volontaire, l’accusé doit établir les fondements de ce moyen de défense pour qu’il puisse être soumis à l’appréciation du juge des faits. Cela revient à s’acquitter de la charge de présentation applicable à l’automatisme. Une fois ces fondements établis, le juge du procès doit déterminer si l’état allégué par l’accusé constitue un automatisme avec ou sans troubles mentaux.

Il y a donc lieu d’appliquer une méthode en deux étapes dans toute affaire où l’automatisme est allégué. En premier lieu, la défense doit établir les fondements de l’automatisme. Elle ne se sera acquittée de cette charge que si le juge du procès conclut qu’il existe une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement. Dans tous les cas, la défense devra présenter une allégation de caractère involontaire, confirmée par le témoignage d’un psychiatre. Parmi les autres facteurs pertinents qui doivent être pris en considération pour déterminer si la défense s’est acquittée de cette charge, il y a l’intensité de l’élément déclencheur, le témoignage corroborant d’observateurs, les antécédents médicaux corroborants d’états de dissociation apparentés à l’automatisme, la question de savoir s’il y a preuve de l’existence d’un mobile du crime et celle de savoir si la personne qui aurait déclenché l’état d’automatisme est également la victime de la violence qui en a résulté. Aucun facteur n’est déterminant à lui seul. Le juge du procès doit soupeser toute la preuve disponible dans chaque affaire. L’imposition à la défense de cette charge de preuve est justifiée au sens de l’article premier, même si elle restreint les droits garantis à l’accusé par l’al. 11d) de la Charte.

En deuxième lieu, une fois que les fondements d’une défense d’automatisme ont été établis, le juge du procès doit décider si l’état allégué par l’accusé constitue de l’automatisme avec ou sans troubles mentaux. Décider de la forme d’automatisme qui devrait être soumise à l’appréciation du juge des faits revient à déterminer si l’état allégué correspond à des troubles mentaux. L’expression «troubles mentaux» est une expression juridique définie dans le Code comme étant une «maladie mentale». La question de savoir quels états sont englobés par cette expression est une question mixte de droit et de fait, car elle comporte une évaluation de la preuve soumise dans l’affaire en cause plutôt que celle d’un principe général de droit. Le juge du procès doit partir du principe que l’état allégué constitue une maladie mentale pour ensuite déterminer si la preuve soumise fait sortir cet état de la catégorie de la maladie mentale.

Il y a deux théories distinctes en matière d’examen de la question de la maladie mentale. Suivant la première théorie, celle de la cause interne, pour déterminer si l’état dans lequel l’accusé allègue avoir été constitue une maladie mentale, le juge du procès doit comparer la réaction automatique de l’accusé avec la réaction à laquelle on s’attendrait de la part d’une personne normale. Le juge du procès doit examiner la nature de l’élément qui aurait déclenché l’automatisme et décider s’il était susceptible de plonger une personne normale dans un état d’automatisme. Cette comparaison est de nature contextuelle et objective. La preuve d’un élément déclencheur extrêmement traumatisant sera requise pour établir qu’une personne normale y aurait réagi en sombrant dans l’état d’automatisme allégué par l’accusé.

L’élément objectif de la théorie de la cause interne ne viole ni l’art. 7 (les principes de justice fondamentale) ni l’al. 11d) (le droit d’être présumé innocent) de la Charte. L’examen objectif de la question de savoir si l’état allégué par l’accusé est une maladie mentale n’est entrepris qu’après que le juge du procès a procédé à un examen subjectif de la question de savoir s’il existe une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement. La norme objective touche uniquement la classification du moyen de défense, et non pas l’analyse de la question de savoir si l’actus reus de l’infraction a été établi. Autrement dit, l’élément objectif ne modifie en rien la charge de preuve relative à la question de savoir si l’accusé a commis volontairement l’infraction. De plus, l’effet de la comparaison objective est limité, même en ce qui concerne l’examen de la question de la maladie mentale, car la théorie de la cause interne n’est qu’un instrument d’analyse. Prendre en considération la condition psychologique subjective de l’accusé dans le cadre de cette théorie irait à l’encontre de l’objet même de la comparaison, qui est de déterminer si l’accusé souffrait d’une maladie mentale au sens juridique.

Suivant la deuxième théorie, celle du risque subsistant, tout état comportant vraisemblablement la récurrence d’un danger pour le public devrait être considéré comme une maladie mentale. Même si un risque subsistant est un indice de maladie mentale, la conclusion à l’absence de risque subsistant n’empêche pas de conclure à l’existence d’une maladie mentale. Le juge du procès peut prendre en considération tout élément de preuve dont il est saisi pour évaluer la probabilité de récurrence de la violence, notamment les antécédents psychiatriques de l’accusé et la probabilité que l’élément qui aurait déclenché l’épisode d’automatisme se présente de nouveau.

Les théories de la cause interne et du risque subsistant ne devraient pas être considérées comme des façons subsidiaires ou mutuellement exclusives d’aborder l’examen de la question de la maladie mentale. Au contraire, il y a lieu d’adopter une méthode globale en vertu de laquelle le juge du procès peut tenir compte de l’une ou l’autre façon d’aborder cet examen, ou des deux à la fois. Il est donc plus approprié de parler du facteur de la cause interne et du facteur du risque subsistant. Outre ces deux facteurs, des facteurs d’ordre public peuvent également être considérés pour déterminer si l’état dans lequel l’accusé allègue avoir été est une maladie mentale.

Si le juge du procès conclut que l’état dans lequel l’accusé allègue avoir été n’est pas une maladie mentale, seule la défense d’automatisme sans troubles mentaux pourra être soumise à l’appréciation du juge des faits, car le juge du procès aura déjà conclu qu’il existe une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement. Il appartient alors au juge des faits de décider si la défense a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé a agi involontairement. Une réponse affirmative à cette question entraînera l’acquittement pur et simple. Par contre, si le juge du procès conclut que l’état allégué est une maladie mentale, seule la défense d’automatisme avec troubles mentaux sera soumise à l’appréciation du juge des faits. L’affaire sera dès lors instruite comme toute autre cause comportant l’application de l’art. 16, et il appartiendra au juge des faits de trancher la question de savoir si la défense a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé était atteint de troubles mentaux qui le rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte reproché. En tranchant cette question, le juge des faits se prononcera par la même occasion sur la question de savoir si l’accusé a effectivement agi involontairement.

Aucun tort important ni aucune erreur judiciaire grave ne se sont produits en l’espèce.

Le juge en chef Lamer et les juges Iacobucci, Major et Binnie (dissidents): La défense d’automatisme sans troubles mentaux n’aurait pas dû être soustraite à l’appréciation du jury, compte tenu de la décision du juge du procès relative à la preuve, selon laquelle il était établi que l’accusé était inconscient tout au long de la perpétration de l’infraction. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a confirmé l’exactitude de cette décision.

L’automatisme forme essentiellement une composante de l’exigence concernant la volonté, qui fait elle‑même partie de l’actus reus, et il met donc en cause la capacité du ministère public de prouver hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l’infraction. Bien que les personnes saines d’esprit soient présumées être responsables de leurs actes ou omissions volontaires, il n’est pas possible de faire une telle déduction de caractère volontaire si l’accusé soumet une preuve crédible, étayée par un témoignage d’expert, qu’il était inconscient tout au long de la perpétration de l’infraction. La classification jurisprudentielle des situations dans les catégories de l’automatisme avec troubles mentaux et de l’automatisme sans troubles mentaux ne saurait dégager le ministère public de l’obligation de prouver tous les éléments de l’infraction, y compris le caractère volontaire. Le contraire susciterait de fortes objections fondées sur l’art. 7 (principes de justice fondamentale) et l’al. 11d) (présomption d’innocence) de la Charte, et il n’y a eu, en l’espèce, aucune tentative de fournir une justification au sens de l’article premier. Des objections similaires fondées sur la Charte s’appliquent à toute tentative d’ajouter à la charge de présentation qui incombe à l’accusé la charge de persuasion, ou charge ultime, consistant à établir l’automatisme selon la prépondérance des probabilités.

Le droit en matière d’automatisme se soucie à juste titre de la sécurité du public. Le risque de récurrence fait légitimement partie de l’«élément d’ordre public» de l’analyse juridique de la «maladie mentale». En l’espèce, ni l’un ni l’autre psychiatre n’a considéré que la récurrence représentait un risque important.

Les dispositions du Code criminel relatives aux troubles mentaux ne permettaient pas de régler la question de l’automatisme en l’espèce. Les tribunaux ont eu tort d’obliger l’accusé à substituer à la défense du caractère involontaire qu’il avait choisie la défense d’aliénation mentale qui est tout à fait différente sur le plan conceptuel. Le psychiatre du ministère public et celui de la défense s’entendaient pour dire que l’accusé ne souffrait pas d’une maladie mentale au sens médical. Ou bien il était inconscient au moment de l’homicide, ou bien il ne disait pas la vérité au procès. C’est une question qu’il appartenait au jury de trancher. L’examen, prévu par la loi, de la question de savoir s’il était «attein[t] de troubles mentaux» qui le rendaient «incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais» est de nature qualitative et ne règle pas vraiment son allégation qu’il n’était même pas conscient d’avoir agi. Même si l’art. 16 du Code peut établir un régime approprié pour résoudre les cas où il est question de «maladies mentales» au sens médical, il ne répond peut‑être pas aux véritables questions qui se posent dans les cas où la désignation de «maladie mentale» est juridique plutôt que médicale. Si le jury était convaincu que les exigences de l’art. 16 ont été respectées, la question serait réglée: l’accusé serait jugé non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux. Il ne pourrait pas faire abstraction de sa non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux et demander l’acquittement complet pour cause d’absence de caractère volontaire. Cependant, si le jury rejetait la non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, il devrait tout de même disposer de la directive élémentaire selon laquelle l’accusé a droit à l’acquittement si le ministère public n’établit pas hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l’infraction, y compris le caractère volontaire.

La preuve établissait qu’il existe des états d’automatisme dans lesquels des personnes parfaitement saines d’esprit perdent la maîtrise consciente de leurs actes. Une fois que le juge eut exercé sa fonction de gardien pour déceler les allégations futiles ou simulées, il appartenait au jury de se faire une opinion sur la crédibilité de la défense d’automatisme. Cette compétence ne devrait pas être retirée par une «politique élaborée par les tribunaux». Il faut s’attendre à ce que le jury examine de façon appropriée la preuve du caractère involontaire. Dans Rabey c. La Reine, il a été question de la nécessité de maintenir la crédibilité du système judiciaire. Le jury est aussi bien placé que quiconque dans ce système pour en maintenir la crédibilité. Après tout, il reste que c’est au jury que le législateur a confié la tâche d’évaluer la crédibilité de tels moyens de défense. Notre Cour devrait respecter cette attribution de responsabilité.

(2) La communication

La Cour: La défense a renoncé au privilège rattaché au rapport du psychiatre, à l’ouverture de sa preuve, lorsque l’avocat a divulgué les éléments du rapport qui étaient favorables à son client. De toute manière, même si la communication avait été prématurée, l’accusé n’aurait subi aucun préjudice. Dès qu’un témoin se présente à la barre, il donne non plus des conseils confidentiels à une partie, mais plutôt une opinion pour assister le tribunal. La partie adverse doit avoir accès aux fondements de ces opinions pour en vérifier adéquatement l’exactitude. Donc, même si l’exposé initial de l’avocat de la défense avait été insuffisant pour constituer une renonciation, le sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code permettrait de réparer l’erreur commise.

(3) Le pourvoi contre la peine infligée

La Cour: Le juge qui inflige la peine doit tenir compte de toutes les circonstances de l’infraction, y compris la question de savoir s’il y a eu provocation. Un accusé ne bénéficie pas d’un «double avantage» si la provocation est prise en considération pour réduire un verdict de meurtre à un verdict d’homicide involontaire coupable en vertu de l’art. 232 du Code. Cet article accorde plutôt à l’accusé un seul avantage et, pour l’appliquer pleinement, il faut aussi tenir compte de la provocation pour fixer la peine.

La magistrature doit harmoniser le droit aux valeurs sociales contemporaines. Le lien conjugal entre le contrevenant et la victime est reconnu comme étant un facteur aggravant en matière de détermination de la peine en vertu du sous‑al. 718.2a)(ii) et de la common law. En l’espèce, le ministère public n’a pas établi que le juge du procès a omis de prendre dûment en considération le caractère familial de l’infraction en décidant de la peine.

Pour réduire au minimum la disparité des peines infligées à des contrevenants similaires pour des infractions similaires, les cours d’appel peuvent établir des échelles de peines relatives à certaines catégories d’infractions, en vue de guider les tribunaux d’instance inférieure, pourvu qu’elles décrivent clairement la catégorie créée et la logique sous‑jacente à l’échelle qui lui est propre. Elles ne doivent toutefois pas modifier l’obligation qu’ont les juges de prendre en considération toutes les circonstances pertinentes en infligeant la peine.

Il n’y a lieu de modifier la peine que si la cour d’appel est convaincue qu’elle n’est «pas indiquée» ou qu’elle est «nettement déraisonnable», pourvu que le juge du procès n’ait commis aucune erreur de principe et qu’il n’ait pas omis de prendre en considération un facteur pertinent ni trop insisté sur les facteurs appropriés. Ce n’était pas le cas en l’espèce.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Stone

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Bastarache
Arrêt appliqué: R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227
arrêts examinés: Rabey c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 513, conf. (1977), 17 O.R. (2d) 1
R. c. Parks, [1992] 2 R.C.S. 871
R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 63
arrêts mentionnés: R. c. MacLeod (1980), 52 C.C.C. (2d) 193
R. c. Archibald (1992), 15 B.C.A.C. 301
R. c. Eklund, [1985] B.C.J. No. 2415 (QL)
Brouillette c. R., [1992] R.J.Q. 2776
Hodgkinson c. Simms (1988), 33 B.C.L.R. (2d) 129
R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500
R. c. K. (1970), 3 C.C.C. (2d) 84
R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303
Bratty c. Attorney‑General for Northern Ireland, [1963] A.C. 386
R. c. Falconer (1990), 50 A. Crim. R. 244
R. c. Cottle, [1958] N.Z.L.R. 999
Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748
R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5
R. c. Szymusiak, [1972] 3 O.R. 602
Hill c. Baxter, [1958] 1 Q.B. 277
State c. Caddell, 215 S.E.2d 348 (1975)
Fulcher c. State, 633 P.2d 142 (1981)
Polston c. State, 685 P.2d 1 (1984)
State c. Fields, 376 S.E.2d 740 (1989)
R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933
General Electric Co. c. Joiner, 118 S.Ct. 512 (1997)
R. c. Cameron (1992), 71 C.C.C. (3d) 272
R. c. Bevan, [1993] 2 R.C.S. 599
R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948
R. c. Laberge (1995), 165 A.R. 375
R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633
R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3
R. c. Campbell (1991), 70 Man. R. (2d) 158
R. c. Woermann (1992), 81 Man. R. (2d) 255
Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219
R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852
R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577
Weatherall c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 872
R. c. Doyle (1991), 108 N.S.R. (2d) 1
R. c. Brown (1992), 13 C.R. (4th) 346
R. c. Pitkeathly (1994), 29 C.R. (4th) 182
R. c. Jackson (1996), 106 C.C.C. (3d) 557
R. c. Edwards (1996), 28 O.R. (3d) 54.
Citée par le juge Binnie (dissident)
Bratty c. Attorney‑General for Northern Ireland, [1963] A.C. 386
Rabey c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 513, conf. (1977), 17 O.R. (2d) 1
R. c. MacLeod (1980), 52 C.C.C. (2d) 193
R. c. Parks, [1992] 2 R.C.S. 871
Brouillette c. R., [1992] R.J.Q. 2776
Hodgkinson c. Simms (1988), 33 B.C.L.R. (2d) 129
R. c. Szymusiak, [1972] 3 O.R. 602
R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 63
R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5
R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303
R. c. K. (1970), 3 C.C.C. (2d) 84
R. c. Falconer (1990), 50 A. Crim. R. 244
R. c. Tolson (1889), 23 Q.B.D. 168
Parnerkar c. La Reine, [1974] R.C.S. 449
R. c. Cameron (1992), 71 C.C.C. (3d) 272
R. c. Schwartz, [1988] 2 R.C.S. 443
Leary c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 29
Linney c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 646
R. c. Thibert, [1996] 1 R.C.S. 37
R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852
R. c. Malott, [1998] 1 R.C.S. 123
Latour c. The King, [1951] R.C.S. 19
R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595
State c. Hinkle, 489 S.E.2d 257 (1996)
Hawkins c. The Queen (1994), 72 A. Crim. R. 288
R. c. Cottle, [1958] N.Z.L.R. 999
Police c. Bannin, [1991] 2 N.Z.L.R. 237
R. c. Quick, [1973] 3 All E.R. 347
R. c. Hennessy (1989), 89 Cr. App. R. 10
M‘Naghten’s Case (1843), 10 Cl. & Fin. 200, 8 E.R. 718
R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633
Hill c. Baxter, [1958] 1 Q.B. 277
R. c. Burgess, [1991] 2 All E.R. 769
R. c. Kemp, [1956] 3 All E.R. 249
R. c. Sullivan, [1984] A.C. 156
R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933
R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670
R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833
R. c. Hill, [1986] 1 R.C.S. 313.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 11d), f).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 2 («troubles mentaux») [aj. 1991, ch. 43, art. 1], 16 [abr. ibid., art. 2], 232, 235, 236, partie XX.1, 672.34 [aj. 1991, ch. 43, art. 4], 672.54 [aj. idem], 686(1)b)(iii), 687(1), 718.2 [aj. 1995, ch. 22, art. 6], a) [aj. idem], (ii) [mod. 1997, ch. 23, art. 17].
Doctrine citée
Campbell, Kenneth L. «Psychological Blow Automatism: A Narrow Defence» (1980‑81), 23 Crim. L.Q. 342.
Canada. Ministère de la Justice. Proposition de modification du Code criminel (principes généraux). Ottawa: Ministère de la Justice Canada, 1993.
Canadian Psychiatric Association. Brief to the House of Commons Standing Committee on Justice and the Solicitor General. RE: Proposed Revisions for Automatism as Contained in the Draft, «Toward a New General Part for the Criminal Code of Canada». Prepared by Drs. Maralyn MacKay and Nizar Ladha. Ottawa: 1992.
Grant, Isabel, Dorothy Chunn and Christine Boyle. The Law of Homicide, loose-leaf ed. Scarborough, Ont.: Carswell, 1994 (updated 1998, release 1).
Grant, Isabel and Laura Spitz. Case Comment on R. v. Parks (1993), 72 R. du B. can. 224.
Halsbury’s Laws of England, vol. 11(1), 4th ed. (reissue). London: Butterworths, 1990.
Holland, Winnifred H. «Automatism and Criminal Responsibility» (1982‑83), 25 Crim. L.Q. 95.
LaFave, Wayne R. and Austin W. Scott. Substantive Criminal Law, vol. 1. St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1986.
Sopinka, John, Sidney N. Lederman and Alan W. Bryant. The Law of Evidence in Canada. Toronto: Butterworths, 1992.
Stuart, Don. Canadian Criminal Law: A Treatise, 3rd ed. Scarborough, Ont.: Carswell, 1995.
Tollefson, Edwin A. and Bernard Starkman. Mental Disorder in Criminal Proceedings. Scarborough, Ont.: Carswell, 1993.
Williams, Glanville. Textbook of Criminal Law, 2nd ed. London: Stevens, 1983.

Proposition de citation de la décision: R. c. Stone, [1999] 2 R.C.S. 290 (27 mai 1999)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1999-05-27;.1999..2.r.c.s..290 ?
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