La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/06/1999 | CANADA | N°[1999]_2_R.C.S._625

Canada | Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625 (17 juin 1999)


Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625

Joseph Ronald Winko Appelant

c.

Le directeur du Forensic Psychiatric Institute et

le procureur général de la Colombie-Britannique Intimés

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général de l’Ontario,

le procureur général du Québec,

l’Association canadienne pour la santé mentale,

Kenneth Samuel Cromie pour le compte de

Queen Street Patients’ Council et

Kevin George Wainwright Intervenants

Répertor

ié: Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute)

No du greffe: 25856.

1998: 15, 16 juin; 1999: 17 juin.

Présents: Le juge ...

Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625

Joseph Ronald Winko Appelant

c.

Le directeur du Forensic Psychiatric Institute et

le procureur général de la Colombie-Britannique Intimés

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général de l’Ontario,

le procureur général du Québec,

l’Association canadienne pour la santé mentale,

Kenneth Samuel Cromie pour le compte de

Queen Street Patients’ Council et

Kevin George Wainwright Intervenants

Répertorié: Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute)

No du greffe: 25856.

1998: 15, 16 juin; 1999: 17 juin.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel de la colombie-britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (1996), 84 B.C.A.C. 44, 137 W.A.C. 44, 112 C.C.C. (3d) 31, 4 C.R. (5th) 376, 40 C.R.R. (2d) 122, [1996] B.C.J. No. 2262 (QL), qui a conclu que l’art. 672.54 du Code criminel était constitutionnel. Pourvoi rejeté.

David Mossop, pour l’appelant.

Harvey M. Groberman et Lisa J. Mrozinski, pour les intimés.

Kenneth J. Yule et George G. Dolhai, pour l’intervenant le procureur général du Canada.

Eric H. Siebenmorgen et Riun Shandler, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

Pierre Lapointe, pour l’intervenant le procureur général du Québec.

Janet L. Budgell et Jennifer August, pour l’intervenante l’Association canadienne pour la santé mentale.

Paul Burstein et Leslie Paine, pour l’intervenant Kenneth Samuel Cromie.

Malcolm S. Jeffcock, pour l’intervenant Kevin George Wainwright.

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie rendu par

//Le juge McLachlin//

Le juge McLachlin --

I. Introduction

1 Dans toute société, il y a des gens qui commettent des actes criminels parce qu’ils souffrent d’une maladie mentale. Le droit criminel doit faire en sorte de traiter ces personnes de façon équitable tout en assurant la protection du public contre la récidive, ce qui n’est pas une tâche facile.

2 En 1991, le législateur a relevé le défi en adoptant la partie XX.1 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. L’appelant Winko prétend que cette partie porte atteinte aux droits à la liberté, à la sécurité de la personne et à l’égalité que lui garantit la Charte canadienne des droits et libertés. La même question est soulevée dans les pourvois connexes Bese c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 722, Orlowski c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 733, et R. c. LePage, [1999] 2 R.C.S. 744.

3 J’arrive à la conclusion que la partie XX.1 du Code criminel protège les droits à la liberté, à la sécurité de la personne et à l’égalité des accusés non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux en exigeant qu’ils soient libérés inconditionnellement à moins que le tribunal ou la commission d’examen ne soit en mesure de conclure qu’ils représentent un risque important pour la sécurité du public. La partie XX.1 ne prive donc pas de leur liberté ni de la sécurité de leur personne, d’une manière incompatible avec les principes de justice fondamentale, les accusés atteints de maladie mentale. Elle ne porte pas non plus atteinte à leur droit à l’égalité devant la loi.

II. Les faits

4 Lorsque la commission d’examen a rendu la décision contestée en l’espèce, M. Winko avait 47 ans, il était célibataire et sans emploi et il résidait à l’hôtel Hampton, au centre‑ville de Vancouver, en Colombie‑Britannique. Selon le diagnostic établi, il souffrait de schizophrénie chronique récurrente. Ce n’est pas d’hier qu’il est atteint de maladie mentale et qu’il est traité en milieu hospitalier. Le 6 juillet 1983, à l’âge de 35 ans, il a été arrêté après avoir agressé deux piétons avec un couteau, poignardant l’un d’eux derrière l’oreille. Avant cette agression, M. Winko avait entendu des voix, qu’il croyait être celles des piétons, lui disant [traduction] «pourquoi ne te jettes‑tu pas sur une femme pour lui faire du mal?», «tu te rends au West End pour tuer quelqu’un», «tu sais que tu ne peux pas tuer une femme» et «tu es un lâche». Monsieur Winko a été arrêté et emmené au Forensic Psychiatric Institute («FPI»), où il aurait continué d’avoir des hallucinations auditives et visuelles. Il a ensuite fait l’objet d’accusations de voies de fait graves, d’agression armée et de possession d’arme dans un dessein dangereux pour la paix publique. Un verdict de non‑responsabilité criminelle (NRC) a été prononcé à l’issue du procès.

5 Entre le prononcé du verdict de NRC en 1984 et le 7 août 1990, M. Winko a été détenu au FPI. On le considérait comme un interné. Une fois son congé obtenu, il a vécu successivement dans plusieurs hôtels de la zone est du centre-ville de Vancouver. Le 1er juin 1994, il ne s’est pas présenté à l’heure à l’audition à laquelle la commission d’examen l’avait convoqué. Il s’est toutefois rendu au bureau de la commission d’examen plus tard dans la journée. Il était sale, sentait mauvais et se disait harcelé par des gens dans la rue. Il a été réadmis au FPI le 6 juin 1994. Il s’est montré coopératif, a pris ses médicaments et s’est rétabli rapidement.

6 Monsieur Winko a été réinséré dans la collectivité le 5 juillet 1994. Cette fois, il est allé habiter à l’hôtel Hampton, tenu par la Mental Patients Association. Le personnel de l’hôtel, qui se compose de travailleurs spécialisés en santé mentale, encourage les résidants à mener une vie autonome. Il les incite en outre à prendre leurs médicaments et à faire part de toute inquiétude à l’équipe de traitement assignée à chaque patient.

7 En septembre 1994, M. Winko a omis une autre fois de se présenter pour une injection, en partie parce que son médecin n’a pas assuré le suivi des injections (de sorte que personne ne lui a rappelé la nécessité de se soumettre au traitement). Il a recommencé à entendre des voix et il est retourné volontairement au FPI en octobre 1994. Il s’est rétabli rapidement et est retourné peu après à l’hôtel Hampton, où il demeure depuis.

8 La présence de M. Winko à l’hôtel Hampton n’a jamais posé de problèmes particuliers. Il s’entend généralement bien avec les autres résidants. Malgré l’interruption occasionnelle et supervisée de la prise de ses médicaments à cause des effets secondaires (la plus récente datant de 1994 et ayant duré 18 mois), il ne s’est livré à aucune agression physique depuis les infractions perpétrées en 1983.

9 Le cas de M. Winko illustre plusieurs des éléments que le tribunal ou la commission d’examen doit souvent prendre en considération en examinant le cas d’un accusé non responsable criminellement: une inquiétude, souvent fondée sur des événements lointains, qui justifie que la sécurité du public soit assurée avant que l’accusé ne soit libéré inconditionnellement, un dossier faisant par ailleurs état de la conduite paisible de l’accusé au cours des dernières années, un dossier médical indiquant une inconstance dans la prise des médicaments et la possibilité de récurrence de la maladie en cas d’interruption, ainsi que le fait que, pendant presque toute sa vie d’adulte, M. Winko a vu sa liberté restreinte sans espoir de la recouvrer totalement dans un délai prévisible. Cela étant dit, les circonstances diffèrent d’un cas à l’autre. Parfois, l’acte qui est à l’origine du verdict de NRC est un simple vol à l’étalage. Parfois, il s’agit d’un crime grave, tel l’homicide. Il arrive aussi que l’accusé se conforme parfaitement aux directives de son médecin, y compris à la médication prescrite. Dans certains cas, le respect de ces directives constitue un problème. La justice exige que les accusés non responsables criminellement jouissent d’autant de liberté que la sécurité du public le permet. Il est toutefois difficile de concevoir une règle et un système qui permettent d’atteindre cet objectif dans tous les cas d’espèce.

III. Les jugements des juridictions inférieures

10 La commission d’examen s’est penchée sur le cas de M. Winko le 29 mai 1995. Elle était composée de trois personnes, soit N. J. Prelypchan, qui agissait à titre de président, Susan Irwin, et Dr A. Marcus, un psychiatre. À raison de deux voix contre une, la commission a rendu une décision portant libération conditionnelle. Le Dr Marcus s’est prononcé en faveur de la libération inconditionnelle, mais la majorité a estimé que M. Winko pouvait représenter un risque important pour la sécurité du public dans [traduction] «certaines circonstances» et s’est dite d’avis qu’une libération conditionnelle était compatible avec la décision rendue par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’affaire Orlowski c. British Columbia (Attorney-General) (1992), 75 C.C.C. (3d) 138 («Orlowski n° 1»). Madame Irwin a ajouté: [traduction] «. . . je reconnais certes qu’il n’y a pas eu d’autres incidents où l’intéressé a fait courir un risque à autrui». Après avoir souligné l’absence de toute preuve que M. Winko avait représenté un risque pour quiconque depuis la perpétration de l’infraction au dossier, le Dr Marcus a conclu que [traduction] «rien n’indique [. . .] qu’il rechutera et qu’il continuera de représenter un risque important ou qu’il commettra à nouveau un acte qui pourrait être ainsi qualifié».

11 Le 29 juillet 1996, les juges de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ont confirmé à la majorité le bien-fondé de la décision de la commission d’examen portant libération conditionnelle de M. Winko: (1996), 79 B.C.A.C. 1. Ce dernier a par la suite contesté devant une formation différente de la Cour d’appel la constitutionnalité des dispositions du Code criminel qui prévoient la tenue d’un examen relativement aux accusés non responsables criminellement. Cette formation a majoritairement conclu que les dispositions étaient constitutionnelles et ne violaient pas la Charte: (1996), 84 B.C.A.C. 44. Le juge Williams, dissident, a conclu que les dispositions faisaient reposer le fardeau de la preuve sur le demandeur, ce qui était contraire à l’art. 7 de la Charte et n’était pas justifié au sens de l’article premier. Monsieur Winko a interjeté appel devant notre Cour afin d’obtenir un jugement déclarant inconstitutionnelles les dispositions en cause et ordonnant sa libération inconditionnelle.

IV. Les dispositions législatives

12 Voici le texte des dispositions du Code criminel qui sont en cause:

16. (1) La responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais.

672.34 Le jury ou, en l’absence de jury, le juge ou le juge de la cour provinciale, qui détermine que l’accusé a commis l’acte ou l’omission qui a donné lieu à l’accusation mais était atteint, à ce moment, de troubles mentaux dégageant sa responsabilité criminelle par application du paragraphe 16(1) est tenu de rendre un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux.

672.38 (1) Une commission d’examen est constituée ou désignée pour chaque province; elle est constituée d’un minimum de cinq membres nommés par le lieutenant‑gouverneur en conseil de la province et est chargée de rendre ou de réviser des décisions concernant les accusés qui font l’objet d’un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux ou qui ont été déclarés inaptes à subir leur procès.

(2) La commission est réputée avoir été constituée en vertu du droit provincial.

(3) Les membres d’une commission d’examen ne peuvent être tenus personnellement responsables des actes accomplis de bonne foi dans l’exercice de leurs pouvoirs ou fonctions ou des manquements ou négligences survenus de bonne foi dans cet exercice.

672.39 Doivent faire partie d’une commission d’examen, au moins une personne autorisée par le droit d’une province à exercer la psychiatrie et, s’il n’y a qu’un seul psychiatre, au moins une personne dont la formation et l’expérience relèvent de la santé mentale et qui est autorisée par le droit d’une province à exercer la médecine ou la profession de psychologue.

672.4 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le président de la commission d’examen d’une province est un juge -- ou un juge à la retraite -- de la cour fédérale, d’une cour supérieure d’une province ou d’une cour de district ou de comté ou une personne qui remplit les conditions de nomination à un tel poste.

672.41 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le quorum d’une commission d’examen est constitué du président, d’un membre qui est autorisé par le droit d’une province à exercer la psychiatrie et d’un autre membre.

672.54 Pour l’application du paragraphe 672.45(2) ou de l’article 672.47, le tribunal ou la commission d’examen rend la décision la moins sévère et la moins privative de liberté parmi celles qui suivent, compte tenu de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale:

a) lorsqu’un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux a été rendu à l’égard de l’accusé, une décision portant libération inconditionnelle de celui‑ci si le tribunal ou la commission est d’avis qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public;

b) une décision portant libération de l’accusé sous réserve des modalités que le tribunal ou la commission juge indiquées;

c) une décision portant détention de l’accusé dans un hôpital sous réserve des modalités que le tribunal ou la commission juge indiquées.

672.81 (1) La commission d’examen qui a rendu une décision à l’égard d’un accusé tient une nouvelle audition au plus tard douze mois après la décision et à l’intérieur de chaque période de douze mois suivante si la décision rendue en vertu de ces alinéas est toujours en vigueur, à l’exception d’une libération inconditionnelle prononcée en vertu de l’alinéa 672.54a).

(2) La commission d’examen tient une audition pour réviser toute décision rendue en vertu des alinéas 672.54b) ou c) le plus tôt possible après qu’elle est avisée que la personne responsable du lieu où l’accusé est détenu ou doit se présenter:

a) soit a procédé à un resserrement important des privations de liberté de celui‑ci pendant une période supérieure à sept jours;

b) soit demande la révision de l’ordonnance.

13 Monsieur Winko et les appelants dans le cadre des pourvois connexes soutiennent que l’art. 672.54 porte atteinte aux droits à la liberté et à la sécurité de la personne et aux droits à l’égalité que leur garantissent respectivement l’art. 7 et le par. 15(1) de la Charte. Ils font valoir que cette atteinte n’est pas justifiée au sens de l’article premier. Les dispositions pertinentes de la Charte sont les suivantes:

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

V. Les questions en litige

14 Le Juge en chef a formulé les questions constitutionnelles suivantes le 16 septembre 1997:

1. L’article 672.54 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, porte-t‑il atteinte aux droits et libertés garantis par le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés pour le motif qu’il crée de la discrimination à l’endroit des personnes souffrant de troubles mentaux -- y compris celles atteintes de déficiences mentales -- qui, pour cette cause, font l’objet d’un verdict de non-responsabilité criminelle?

2. L’article 672.54 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, porte‑t‑il atteinte aux droits et libertés garantis par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés pour le motif que, d’une manière incompatible avec les principes de justice fondamentale, il prive de leur droit à la liberté et à la sécurité de leur personne les personnes faisant l’objet d’un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux?

3. Si oui, s’agit-il d’atteintes dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique en vertu de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

VI. Analyse

A. Les exigences de l’art. 672.54 du Code criminel

15 L’appelant prétend que l’art. 672.54 porte atteinte aux droits à la liberté, à la sécurité de la personne et à l’égalité que lui garantit la Charte. Avant d’examiner cet argument, nous devons déterminer avec précision la façon dont l’art. 672.54 agit sur ces droits. En réalité, le litige porte beaucoup moins sur l’application de la Charte que sur l’interprétation appropriée de l’art. 672.54. Monsieur Winko et les coappelants font valoir que cette disposition crée une présomption de dangerosité et impose indûment à l’accusé non responsable criminellement le fardeau de la réfuter, exposant ainsi ce dernier à une prolongation indéfinie des privations de liberté. Ils soutiennent que, par le passé, tribunaux et commissions d’examen ont conclu que ces dispositions du Code criminel établissaient une telle présomption.

16 Peu importe les conclusions tirées par les tribunaux et les commissions d’examen jusqu’à ce jour, je ne peux accepter l’interprétation de l’art. 672.54 que proposent les appelants. L’historique, l’objet et le libellé de cette disposition du Code indiquent que l’intention du législateur n’était pas d’imposer aux accusés non responsables criminellement le fardeau de réfuter une présomption de dangerosité, mais plutôt d’établir un système permettant d’évaluer ces personnes afin de déterminer si elles représentent un risque important pour la sécurité du public et de leur prodiguer des soins adéquats et ce, en restreignant le moins possible leur liberté, compte tenu de la situation personnelle de chaque personne. Je conclus que la mise en œuvre de ce régime réalise ces objectifs sans porter atteinte aux droits garantis aux appelants à l’art. 7 ou au par. 15(1) de la Charte.

1. L’historique, la structure et l’objet de la partie XX.1

17 Historiquement, en common law, la personne qui commettait un acte criminel alors qu’elle souffrait de maladie mentale était accusée et devait subir un procès comme tout autre contrevenant. À la fin du procès, elle était alors soit acquittée, soit déclarée coupable et condamnée à une peine. La common law n’autorisait aucun verdict ou mesure spécial. La seule dérogation prévue en raison de la maladie qui avait entraîné l’infraction était le droit de l’accusé d’invoquer la défense d’inaptitude à juger de la nature et de la qualité de l’acte; il s’agit des Règles M‘Naghten: voir M‘Naghten’s Case (1843), 10 Cl. & Fin. 200, 8 E.R. 718 (H.L.). Sur le plan juridique, cette inaptitude faisait en sorte que l’accusé affligé d’une maladie mentale ne pouvait avoir eu l’intention criminelle ou mens rea exigée à l’égard de l’infraction. La santé mentale était toutefois présumée, et il appartenait à l’accusé de prouver l’aliénation.

18 Jusqu’en 1990, les dispositions du Code criminel applicables à l’égard des actes criminels perpétrés à cause d’une maladie mentale reprenaient les principes de la common law selon lesquels les auteurs de tels actes devaient être considérés comme tous les autres contrevenants, sous réserve de la défense spéciale d’inaptitude à juger de la nature et de la qualité de l’acte commis. Les seuls verdicts possibles en application du Code criminel étaient la culpabilité ou l’acquittement. Toutefois, l’accusé, même s’il était acquitté pour cause d’aliénation mentale, n’était pas libéré, mais automatiquement détenu jusqu’à ce que le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur en conseil soit connu: Code criminel, par. 614(2) (auparavant par. 542(2)) (abrogé L.C. 1991, ch. 43, art. 3).

19 Ce système a été contesté pour la première fois sur le fondement de la Charte dans l’arrêt R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303. Notre Cour a alors statué à la majorité que l’exigence que l’accusé prouve son inaptitude à juger de la nature et de la qualité de ses actes violait son droit à la présomption d’innocence, mais qu’elle était sauvegardée au sens de l’article premier. Sa constitutionnalité a de nouveau été soulevée dans l’arrêt R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933. Notre Cour a alors invalidé, pour le motif qu’elle portait atteinte au droit à la liberté garanti à l’art. 7, la disposition prévoyant la détention automatique pendant une période indéterminée de l’accusé non responsable criminellement.

20 En 1991, pour donner suite à l’arrêt Swain, le Parlement a opéré une réforme en profondeur en adoptant la partie XX.1 du Code criminel: Loi modifiant le Code criminel (troubles mentaux) et modifiant en conséquence la Loi sur la défense nationale et la Loi sur les jeunes contrevenants, L.C. 1991, ch. 43. La partie XX.1 proposait une solution entièrement nouvelle au problème de la criminalité imputable à la maladie mentale en souscrivant à l’opinion de plus en plus répandue selon laquelle traiter le contrevenant atteint de troubles mentaux comme tout autre contrevenant ne tenait convenablement compte ni de ses droits ni de ceux du public. Le contrevenant atteint de troubles mentaux qui est incarcéré et privé de soins est lésé, car on le punit pour une infraction dont il ne devrait pas, en toute équité, être tenu moralement responsable. Par ailleurs, le public subit lui aussi un préjudice en ce que sa sécurité est menacée par la libération inconditionnelle du contrevenant sans que celui‑ci n’ait suivi quelque traitement. Un nouveau régime s’imposait donc afin de répondre au double objectif de traiter équitablement le contrevenant et d’assurer la sécurité du public.

21 La partie XX.1 se dissocie de la notion voulant que le malade mental accusé d’une infraction puisse seulement être déclaré coupable ou acquitté; elle propose une troisième voie. Désormais, une fois établi que, lorsqu’il a commis le crime, il souffrait d’une maladie mentale qui l’empêchait de juger de la nature de l’acte ou de savoir que celui‑ci était mauvais, l’accusé fait l’objet d’une procédure spéciale. Le tribunal ou une commission d’examen tient alors une audition pour déterminer si la personne devrait être détenue dans un établissement sécuritaire, libérée sous condition ou libérée inconditionnellement. L’accent est mis sur la réalisation des deux objectifs que sont la protection du public et le traitement juste et approprié du contrevenant atteint de troubles mentaux.

22 Daniel Préfontaine, alors sous‑ministre adjoint de la Justice, a résumé comme suit les objectifs de la partie XX.1 devant le Comité permanent de la Justice et du Solliciteur général:

Le projet de loi reflète notre objectif de longue date, à savoir protéger la population contre des personnes actuellement dangereuses qui ont commis des infractions ainsi que le principe de justice fondamentale depuis longtemps reconnu dans nos lois et qui nous interdit de condamner les personnes incapables d’apprécier ce qu’elles font.

Le projet de loi a un double objectif: assurer à la société une meilleure protection contre les quelques accusés atteints de troubles mentaux et qui sont dangereux et reconnaître que les contrevenants atteints de troubles mentaux doivent bénéficier d’une procédure équitable et de principes de justice fondamentale; ils ont besoin que l’on respecte les droits qui leur ont été accordés pour leur protection lorsqu’ils auront des démêlés avec le droit criminel.

(Chambre des communes, Procès‑verbaux et témoignages du Comité permanent de la Justice et du Solliciteur général, fascicule n° 7, 9 octobre 1991, à la p. 6.)

23 Le principe fondateur de la partie XX.1 du Code criminel est que la personne qui commet une infraction alors qu’elle est atteinte de troubles mentaux n’engage pas sa «responsabilité criminelle»: art. 16. Dans le cadre du nouveau régime, dès lors qu’un juge ou un jury rend un verdict de «non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux», la personne visée par ce verdict tombe sous le coup de la partie XX.1. Le tribunal peut d’office, et doit, à la demande du poursuivant ou de l’accusé non responsable criminellement, tenir une audition pour déterminer la décision à rendre: par. 672.45(1). Au cours de cette audition, le tribunal peut immédiatement rendre une décision à l’égard de l’accusé s’il est convaincu qu’une décision devrait être rendue sans délai et qu’il est en mesure de rendre une telle décision dans les circonstances: par. 672.45(2). Dans le cas où le tribunal ne rend pas de décision, les conditions de détention applicables au moment du verdict demeurent les mêmes jusqu’à ce qu’une audition soit tenue par la commission d’examen constituée dans la province en application de l’art. 672.38 du Code criminel: par. 672.46(1).

24 La commission d’examen est présidée par un juge ou un juge à la retraite de la Cour fédérale, d’une cour supérieure d’une province ou d’une cour de district ou de comté ou par une personne qui remplit les conditions de nomination à un tel poste: par. 672.4(1). Au moins un de ses membres doit être psychiatre, et s’il n’y en a qu’un seul, un autre membre au moins doit avoir une formation et de l’expérience dans le domaine de la santé mentale et être autorisé à exercer la médecine ou la profession de psychologue: art. 672.39 et 672.41.

25 Dans le cas où le tribunal ne rend pas de décision à l’égard de l’accusé après que le verdict de NRC a été rendu, la commission d’examen doit tenir une audition et rendre une décision le plus tôt possible après le verdict mais au plus tard 45 jours après le prononcé de celui‑ci (bien que le tribunal puisse prolonger ce délai jusqu’à un maximum de 90 jours dans des circonstances exceptionnelles): par. 672.47(1) et 672.47(2). Dans le cas où le tribunal a rendu une décision autre qu’une libération inconditionnelle, la commission d’examen doit tenir une audition et rendre une décision au plus tard à la fin de la période de validité de cette décision mais dans tous les cas avant l’expiration de la période de 90 jours qui suit la décision initiale du tribunal: par. 672.47(3) et 672.55(2).

26 Que l’audition soit tenue par le tribunal après le prononcé du verdict de NRC ou par la commission d’examen à un moment ultérieur, l’instance doit se dérouler conformément à l’art. 672.5. L’audition se déroule de façon informelle. Le ministère public n’y participe pas nécessairement. Le tribunal ou la commission d’examen peut accorder le statut de partie à toute personne qui possède un intérêt substantiel dans les procédures afin de protéger les intérêts de l’accusé non responsable criminellement: par. 672.5(4). L’accusé a le droit d’être représenté par avocat et celui d’être présent durant toute l’audition, sauf dans certains cas précis: par. 672.5(7), (9), (10). Toute partie peut présenter des éléments de preuve, faire des observations, oralement ou par écrit, appeler des témoins et contre‑interroger les témoins que les autres parties ont appelés et, si un rapport d’évaluation a été présenté par écrit au tribunal ou à la commission d’examen, peut, après en avoir demandé l’autorisation, en contre‑interroger l’auteur: par. 672.5(11). Si l’audition est tenue par une commission d’examen, cette dernière est investie des pouvoirs que les art. 4 et 5 de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, accordent aux commissaires: art. 672.43 et 672.5. Enfin, une partie peut demander au tribunal ou à la commission d’examen d’ordonner la présence d’un témoin à l’audition: par. 672.5(12).

27 Toute décision à l’égard d’un accusé non responsable criminellement doit être prise conformément à l’art. 672.54. Le tribunal ou la commission d’examen peut rendre une décision portant libération inconditionnelle de l’accusé non responsable criminellement, une décision portant libération de l’accusé sous réserve de modalités, ou une décision portant détention de l’accusé dans un hôpital sous réserve des modalités qu’il juge indiquées. Bien que le tribunal ou la commission d’examen dispose d’une grande latitude pour déterminer les modalités qu’il convient d’imposer, il ne peut ordonner que l’accusé non responsable criminellement se soumette à un traitement, notamment un traitement psychiatrique, que s’il estime que le traitement est raisonnable et nécessaire et si l'accusé y consent: par. 672.55(1).

28 La commission d’examen doit tenir une nouvelle audition au plus tard 12 mois après toute décision autre qu’une décision portant libération inconditionnelle, et à l’intérieur de chaque période de 12 mois suivante: par. 672.81(1). En outre, une nouvelle audition doit avoir lieu le plus tôt possible lorsque les privations de liberté de l’accusé non responsable criminellement ont fait l’objet d’un resserrement important ou que la personne responsable du lieu où l’accusé est détenu ou doit se présenter en fait la demande: par. 672.81(2). Outre ces nouvelles auditions obligatoires, la commission d’examen peut, en tout temps, tenir une audition à la demande de l’accusé ou de toute autre partie: par. 672.82(1). Toute partie aux procédures peut interjeter appel à la Cour d’appel d’une décision rendue par un tribunal ou une commission d’examen, pour tout motif de droit ou de fait, ou pour un motif mixte de droit et de fait: par. 672.72(1).

29 La partie XX.1 impose donc des obligations tant au tribunal qui prononce le verdict de NRC et qui peut alors décider qu’il est approprié de rendre immédiatement une décision, qu’à la commission d’examen qui, en définitive, aura une responsabilité constante à l’égard de l’accusé non responsable criminellement. Je conviens que les dispositions en cause insistent clairement sur le rôle que doit jouer la commission d’examen, organisme spécialisé, en ce qui concerne l’évaluation et le traitement périodiques de l’accusé et, en fait, il est probable qu’en pratique, la plupart des enquêtes seront menées par la commission d’examen. Le présent pourvoi, cependant, porte principalement sur l’interprétation de l’art. 672.54, lequel énumère les décisions que le tribunal ou la commission d’examen peuvent rendre. De façon à ce que les présents motifs soient compatibles avec le libellé du Code criminel, je continuerai d’utiliser l’expression «le tribunal ou la commission d’examen» pour renvoyer à l’instance décisionnelle.

30 Les procédures en cause et les principes qui les sous‑tendent s’écartent fondamentalement des principes de common law applicables au contrevenant atteint de troubles mentaux. Au lieu d’offrir une alternative entre deux extrêmes, la culpabilité ou l’innocence, tempérée seulement par les Règles M‘Naghten, la partie XX.1 prévoit une autre possibilité. L’accusé non responsable criminellement a droit à un traitement spécial dans le cadre d’un système conçu pour atteindre le double objectif de la protection du public et du traitement juste et approprié du contrevenant atteint de troubles mentaux. Ce dernier jouit désormais d’un statut particulier au sein du système de justice pénale en ce qu’il échappe à la pleine responsabilité criminelle, tout en faisant l’objet des restrictions nécessaires à la protection du public.

31 Comme je l’ai déjà signalé, le verdict de NRC rendu en application de la partie XX.1 du Code criminel ne constitue pas un verdict de culpabilité. Il reconnaît plutôt que la personne qui commet un acte criminel alors qu’elle est atteinte de troubles mentaux ne doit pas être tenue criminellement responsable de ses actes ou de ses omissions de la même manière qu’une personne saine d’esprit. La personne qui était aliénée d’un point de vue légal au moment de l’infraction ne doit pas être déclarée coupable: Swain, précité, à la p. 976. La responsabilité criminelle n’est appropriée que lorsque l’acteur est une personne douée de discernement moral, capable de choisir entre le bien et le mal: Chaulk, précité, à la p. 1397; G. Ferguson, «A Critique of Proposals to Reform the Insanity Defence» (1989), 14 Queen’s L.J. 135, à la p. 140. C’est pourquoi le par. 16(1) du Code criminel exclut la responsabilité criminelle de la personne atteinte de troubles mentaux qui la rendent incapable de juger de la nature ou de la qualité d’un acte ou d’une omission constituant une infraction, ou de savoir que l’acte ou l’omission est mauvais.

32 Le verdict de NRC n’équivaut pas non plus à un verdict d’acquittement. Bien que la personne qui commet une infraction alors qu’elle souffre de troubles mentaux puisse ne pas être tenue criminellement responsable de ses actes, il ne s’ensuit pas qu’elle a droit à une libération inconditionnelle. Le législateur peut à juste titre exercer sa compétence en droit criminel pour empêcher la perpétration d’autres actes criminels et protéger la société: Swain, à la p. 1001. Parce qu’il a commis un acte prohibé par le Code criminel, l’accusé non responsable criminellement ressortit au système de justice pénale. La question se pose dès lors de savoir quelle mesure, s’il en est, est susceptible de protéger la société contre la récidive. Comme le dit le professeur Colvin dans «Exculpatory Defences in Criminal Law» (1990), 10 Oxford J. Legal Stud. 381, à la p. 392:

[traduction] Quand l’aliénation mentale fournit une défense disculpatoire, l’acteur n’en demeure pas moins sous le coup du droit criminel. Les règles en matière d’aliénation mentale déterminent des états mentaux particuliers qui font qu’on ne peut s’attendre que les personnes atteintes puissent faire en sorte que leur conduite soit conforme aux exigences de la loi; par conséquent, le droit général en matière de responsabilité criminelle ne convient pas. L’acteur est acquitté de façon formelle parce que le trouble mental rend inadéquates les sanctions pénales ordinaires. D’autres mesures coercitives peuvent cependant être prises en raison du danger potentiel que comporte cet état mental.

33 La compétence en matière de prévention et de protection que confère le droit criminel à l’endroit des contrevenants non responsables criminellement ne vise que les personnes qui représentent un risque important pour la société. Comme l’a dit le juge en chef Lamer dans Swain, à la p. 1008: «À mesure que s’amenuise le danger que présente l’individu pour la société, le droit criminel perd progressivement son emprise». La détention d’une personne qui n’a pas été déclarée coupable (ou qui attend la tenue du procès où il sera statué sur sa culpabilité) n’est justifiée en application du droit criminel que si elle vise à assurer la sécurité du public. À partir du moment où l’accusé non responsable criminellement ne représente plus un risque important pour la sécurité du public, le système de justice pénale perd toute compétence à son égard.

34 Cela soulève une question d’ordre terminologique. Aux termes des anciennes dispositions du Code criminel fondées sur la règle établie en common law, l’accusé qui, pour cause d’aliénation mentale, n’était pas tenu criminellement responsable était considéré comme une «personne acquittée». Il en était ainsi parce que l’acquittement découlait de l’absence de mens rea ou intention criminelle: Chaulk et Swain, précités. Suivant la partie XX.1 en revanche, le contrevenant non responsable criminellement n’est pas acquitté. On considère seulement que sa responsabilité criminelle n’a pas été engagée. Les personnes auxquelles s’applique la partie XX.1 sont simplement appelées, à plus juste titre, accusés non responsables criminellement; ce sont les termes employés dans le Code, de même que dans les présents motifs.

35 S’il ne constitue pas un verdict de culpabilité ou d’acquittement, le verdict de NRC n’est pas non plus un verdict portant que l’accusé qui en fait l’objet représente un risque important pour la société. La partie XX.1 n’établit pas une présomption que l’accusé non responsable criminellement représente un tel risque. Elle prévoit plutôt que le tribunal ou la commission d’examen doit déterminer dans chaque cas si l’accusé représente un tel risque. Elle reconnaît donc, contrairement aux stéréotypes qui peuvent encore subsister chez certains, que la personne souffrant de maladie mentale n’est pas en soi dangereuse. Stéréotypes négatifs et préjugés sociaux fondés sur une présomption de dangerosité ont longtemps sévi dans notre société à l’égard des malades mentaux: Swain, précité, à la p. 994; Battlefords and District Co‑operative Ltd. c. Gibbs, [1996] 3 R.C.S. 566, à la p. 586. Comme l’écrit le Dr Paul Mullen:

[traduction] Il existe dans notre culture une croyance largement répandue voulant que les malades mentaux soient enclins à agir de façon violente et dangereuse [. . .]. Ce préjugé est profondément ancré. Les Grecs et les Romains estimaient que les caractéristiques fondamentales de la folie étaient la violence jumelée à la perte de contact avec la réalité et à la tendance à errer [. . .]. Cette croyance est probablement attribuable au malaise que créent chez ceux qui les côtoient les personnes atteintes de troubles mentaux sévères. Leur comportement imprévisible, étrange et souvent importun provoque aisément chez la plupart des gens une réaction de crainte. Lorsque l’on ressent de la peur, on l’attribue trop facilement à la dangerosité de l’objet qui la suscite, au lieu de se demander si notre réaction n’est pas excessive ou déplacée. Plus on a peur, plus on suppose que ce qui provoque la peur est dangereux.

(«The Dangerousness of the Mentally Ill and the Clinical Assessment of Risk», chapitre 4 dans Psychiatry and the Law: Clinical and Legal Issues, W. Brookbanks, dir. (1996), 93, à la p. 93.)

36 En 1975, la Commission de réforme du droit du Canada a reconnu que ces stéréotypes négatifs à l’égard des malades mentaux s’étaient insinués dans le système de justice pénale:

Cette crainte généralisée à l’égard du criminel dément rend acceptable la détention prolongée du prévenu souffrant de désordre mental dans des circonstances où un individu censément sain d’esprit serait l’objet de sanctions moins sévères ou bénéficierait d’une libération immédiate. Ces attitudes se reflètent dans l’élément de détention préventive inhérent aux dispositions du Code criminel relatives aux renvois et aux mesures adoptées envers le délinquant anormal mental. Elles se reflètent également dans le choix des procédures effectué par ceux qui ont à faire (sic) au malade mental au sein du processus pénal.

(Document de travail 14, Processus pénal et désordre mental, à la p. 15.)

37 La recherche a ébranlé le stéréotype du «criminel dément» et nous a appris que certains types seulement de troubles mentaux sont associés à un risque accru de comportement violent: J. Cocozza et H. Steadman, «The Failure of Psychiatric Predictions of Dangerousness: Clear and Convincing Evidence» (1976), 29 Rutgers L. Rev. 1084, aux pp. 1088 et 1089; S. Hodgins, Mental Disorder and Crime (1993); Commission de réforme du droit, op. cit., à la p. 19. Et en ce qui concerne ces troubles mentaux, on ne sait pas si le risque accru de comportement violent résulte de la maladie elle‑même ou des effets secondaires de l’exclusion sociale qu’elle entraîne. Je cite à nouveau le Dr Mullen, op. cit., à la p. 100, qui se penche sur la question du comportement violent observé chez les personnes souffrant de schizophrénie sévère:

[traduction] . . . la rupture sociale et le déclin économique qui accompagnent les formes les plus invalidantes de schizophrénie font peser sur le malade le risque de se retrouver parmi les plus démunis. L’errance, la pauvreté et l’isolement social sont trop souvent le lot des schizophrènes. Ces facteurs accroissent le risque de conflit avec autrui, notamment avec les policiers. Le risque d’affrontement avec autrui est amplifié par la consommation d’alcool et de drogue à laquelle s’adonnent souvent les schizophrènes pour échapper temporairement à leur maladie et à leur triste sort. Le risque accru de comportement violent pourrait donc être en partie imputable au mode de vie perturbé et chaotique auquel confine l’absence de ressources adéquates pour les schizophrènes.

La recherche révèle que l’accusé non responsable criminellement n’est pas plus susceptible, après sa libération, de commettre une infraction, encore moins une infraction violente, que les personnes déclarées coupables: M. E. Rice et autres, «Recidivism Among Male Insanity Acquittees» (1990), 18 J. Psychiatry & Law 379, aux pp. 393 à 395; G. T. Harris, M. E. Rice et C. A. Cormier, «Length of Detention in Matched Groups of Insanity Acquittees and Convicted Offenders» (1991), 14 Int’l J. L. & Psy. 223, à la p. 234; J. R. P. Ogloff et autres, «Empirical Research Regarding the Insanity Defense: How Much Do We Really Know?», chapitre 6, dans J. R. P. Ogloff, dir., Law and Psychology: The Broadening of the Discipline (1992), 171, à la p. 184.

38 Dans Swain, précité, notre Cour, par la voix du juge en chef Lamer, a reconnu, à la p. 1015, qu’aucune présomption de dangerosité ne s’appliquait à l’égard de l’accusé non responsable criminellement:

Le postulat voulant que les personnes déclarées non coupables en raison de leur aliénation mentale constituent une menace pour la société peut, certes, être rationnel, mais je m’empresse toutefois d’ajouter que je reconnais qu’il n’est pas toujours valable. Bien que la violence passée et les troubles mentaux antérieurs puissent accroître la possibilité de conduite dangereuse dans l’avenir, il n’en sera pas nécessairement ainsi. De plus, ce ne sont pas tous les individus déclarés non coupables en raison de leur aliénation mentale qui auront connu ce cheminement. [Souligné dans l’original.]

39 Pour rompre avec les vieux stéréotypes concernant les contrevenants atteints de troubles mentaux, la partie XX.1 ajoute à la traditionnelle dichotomie opposant culpabilité et innocence en droit criminel. Elle prévoit une nouvelle avenue, soit une évaluation visant à déterminer si l’accusé non responsable criminellement représente toujours un risque pour la société, tout en mettant l’accent sur le fait d’offrir à l’accusé des occasions de recevoir un traitement approprié. Les deux volets du nouveau système -- évaluation et traitement -- sont intimement liés. Des soins, et non une peine d’emprisonnement, s’imposent pour stabiliser l’état mental d’un accusé non responsable criminellement qui est dangereux et pour diminuer le risque que celui‑ci représente pour la sécurité du public en raison de son état. Le juge Macfarlane a dit ce qui suit au sujet de l’ancien système dans l’arrêt Re Rebic and The Queen (1986), 28 C.C.C. (3d) 154 (C.A.C.-B.), à la p. 171, ses propos ayant été cités et approuvés par le juge en chef Lamer dans Swain, à la p. 1004:

[traduction] L’objectif de la mesure législative est la protection de la société et de l’accusé jusqu’au rétablissement de la santé mentale de ce dernier. Le moyen choisi pour l’atteindre est le traitement du patient dans un hôpital, plutôt que dans un environnement carcéral. [Souligné par le juge en chef Lamer.]

40 La partie XX.1 protège la société. Si la société veut assurer sa sécurité à long terme, elle doit s’attaquer à la cause du comportement fautif -- la maladie mentale. Elle ne peut se contenter d’interner le contrevenant qui souffre d’une maladie pendant la durée d’une peine d’emprisonnement, puis de le libérer sans lui avoir fourni la possibilité de recevoir un traitement, psychiatrique ou autre. La sécurité du public ne peut être assurée qu’en stabilisant l’état mental de l’accusé non responsable criminellement qui est dangereux.

41 La partie XX.1 protège également le contrevenant non responsable criminellement. Le système d’évaluation et de traitement établi en application de la partie XX.1 du Code criminel est plus équitable pour ce dernier que le système traditionnel issu de la common law. Ce contrevenant n’est pas criminellement responsable, mais souffre d’une maladie. Lui fournir la possibilité de recevoir un traitement, et non le punir, constitue l’intervention juste qui s’impose. Comme l’a dit le juge Goldie dans Davidson c. British Columbia (Attorney-General) (1993), 87 C.C.C. (3d) 269 (C.A.C.-B.), à la p. 277:

[traduction] [L]e traitement d’une personne qui ne peut distinguer le bien du mal vise à remédier à cette incapacité. Ni son objet ni son effet ne revêtent un caractère pénal. Lorsque la détention d’une telle personne est ordonnée, elle vise à prévenir l’accomplissement d’actes antisociaux, et non à châtier.

Voir généralement D. Laberge et D. Morin, «The Overuse of Criminal Justice Dispositions: Failure of Diversionary Policies in the Management of Mental Health Problems» (1995), 18 Int’l J. L. & Psy. 389, à la p. 389. La nécessité de traiter plutôt que de châtier est encore plus criante du fait que le malade mental est souvent vulnérable et victimisé en milieu carcéral. En outre, nombreux sont ceux qui estiment que la réforme du système de soins de santé a fait en sorte qu’un plus grand nombre de malades mentaux sont entraînés dans l’engrenage de la procédure pénale. Voir S. Davis, «Assessing the "Criminalization" of the Mentally Ill in Canada», 37(8) Rev. can. psychiatrie, 37(8) (octobre 1992), aux pp. 532 à 538.

42 En ajoutant une option qui permet l’évaluation et le traitement du contrevenant atteint de troubles mentaux et en rompant avec la traditionnelle dichotomie du droit criminel opposant culpabilité et innocence, le législateur a voulu que l’accusé non responsable criminellement soit traité avec la plus grande dignité et jouisse de la plus grande liberté possible, compte tenu de son état. Cet accusé ne doit pas être puni. Il ne doit pas non plus, comme par le passé, être détenu indéfiniment selon le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur. Vu le double objectif de la protection du public et du traitement équitable du contrevenant, la décision rendue doit plutôt être «la moins sévère et la moins privative de liberté» possible, compte tenu de son état, qu’elle porte libération inconditionnelle, libération sous réserve de modalités ou détention: art. 672.54.

43 En résumé, l’objet de la partie XX.1 vise à remplacer le système établi en common law pour le traitement des personnes qui commettent des infractions alors qu’elles sont atteintes de troubles mentaux par un nouveau régime qui met l’accent sur l’évaluation individuelle et fournit la possibilité de recevoir un traitement approprié. Sous le régime de la partie XX.1, l’accusé non responsable criminellement n’est ni déclaré coupable ni acquitté. Le tribunal le déclare plutôt non criminellement responsable en raison des troubles mentaux dont il était atteint au moment de l’infraction. Il ne conclut pas à l’existence d’un danger potentiel, mais rend plutôt une décision qui entraîne l’évaluation pondérée du risque que peut représenter le contrevenant et la détermination des mesures thérapeutiques qui s’imposent à cet égard. Tout au long du processus, le contrevenant doit être traité avec dignité et jouir du maximum de liberté possible, compte tenu des objectifs de la partie XX.1, qui sont de protéger le public et de traiter équitablement l’accusé non responsable criminellement.

2. Le libellé et la fonction de l’art. 672.54

44 Selon son libellé, l’art. 672.54 vise explicitement la réalisation de l’objectif de la partie XX.1, qui est d’assurer la protection du public tout en restreignant le moins possible la liberté de l’accusé non responsable criminellement, grâce au modèle d’évaluation et de traitement établi. La question est de savoir si, malgré cet objectif, l’article a pour effet d’imposer indûment au contrevenant le fardeau de prouver qu’il n’est pas dangereux.

45 Les appelants reconnaissent que l’art. 672.54 ne fait pas expressément reposer sur l’accusé le fardeau de prouver qu’il n’est pas dangereux. Ils font cependant valoir que tel est son effet. Ils prétendent que cet article établit à tort une présomption de dangerosité, que l’accusé non responsable criminellement doit réfuter pour recouvrer sa liberté. À l’appui de cet argument, ils invoquent Orlowski n° 1, précité, à la p. 146, où la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a conclu que l’article ne contraint pas le tribunal ou la commission d’examen à se prononcer quant à savoir si l’accusé représente un risque important pour la sécurité du public. Si le tribunal ou la commission d’examen ne peut trancher la question ou s’il ne le fait pas, l’accusé non responsable criminellement continue d’être assujetti à des privations de liberté. Il s’ensuit dans les faits que s’il ne peut monter un dossier convaincant selon lequel il ne représente pas un danger pour la sécurité du public, l’accusé verra sa liberté restreinte. L’obstacle est d’autant plus grand que l’accusé non responsable criminellement est moins en mesure que d’autres, dans bien des cas, en raison de la maladie, de l’internement ou de la pauvreté, de constituer un dossier et de présenter des éléments de preuve convaincants à l’appui de sa libération inconditionnelle. Citant des études qui donnent à penser que les cliniciens seraient enclins à surestimer la dangerosité, les appelants soutiennent que ce fardeau est encore accru par la tendance naturelle des membres des tribunaux et des commissions d’examen à faire preuve de prudence excessive.

46 Je ne partage pas le point de vue selon lequel c’est ainsi que l’art. 672.54 devrait être interprété. À mon avis, cet article, correctement interprété, ne crée pas de présomption de dangerosité et n’a pas pour effet d’imposer à l’accusé non responsable criminellement le fardeau de prouver qu’il n’est pas dangereux.

47 La partie introductive de l’art. 672.54 exige que le tribunal ou la commission d’examen tienne compte de la nécessité de protéger le public contre les personnes dangereuses, ainsi que de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale. Le tribunal ou la commission d’examen doit ensuite rendre (l’idée d’obligation étant ici l’élément clé) la décision — libération inconditionnelle, libération conditionnelle ou détention dans un hôpital — «la moins sévère et la moins privative de liberté». Comme l’a signalé notre Cour dans Swain, précité, sur le plan constitutionnel, le droit criminel ne peut restreindre la liberté de l’accusé non responsable criminellement que pour protéger le public contre des risques importants en ce qui concerne sa sécurité. Lorsque cet accusé ne représente plus un risque important pour la société, le droit criminel perd son emprise: Swain, précité, à la p. 1008. Comme je l’ai fait remarquer, la partie XX.1 s’appuie sur ce principe. Par conséquent, lorsque le tribunal ou la commission d’examen ne conclut pas positivement, à partir de la preuve, que le contrevenant non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public, celui‑ci doit être libéré inconditionnellement. La prescription selon laquelle le tribunal ou la commission d’examen doit rendre la décision la moins sévère et la moins privative de liberté, compte tenu de la preuve, écarte tout doute à ce sujet.

48 Le libellé de l’al. a), qui traite du pouvoir du tribunal ou de la commission d’examen d’ordonner la libération inconditionnelle, est compatible avec cette interprétation du paragraphe introductif de l’art. 672.54. Il dispose que le tribunal ou la commission d’examen rend une décision portant libération inconditionnelle s’il est d’avis que l’accusé «ne représente pas un risque important pour la sécurité du public». L’alinéa a) doit être interprété en fonction de l’obligation faite au tribunal ou à la commission d’examen de rendre la décision la moins sévère et la moins privative de liberté possible. Il doit également être interprété en tenant compte du fait que, sur le plan constitutionnel, en l’absence d’une déclaration de culpabilité, le droit criminel n’a d’emprise sur l’accusé qu’à la seule fin de protéger le public. Il est clair, selon cette interprétation, que si, à partir de la preuve, il ne conclut pas positivement que l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public, le tribunal ou la commission d’examen doit ordonner sa libération inconditionnelle. Cette interprétation est compatible avec le principe qu’une loi doit être interprétée d'une manière conforme à la Charte: Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, à la p. 1078.

49 Ainsi interprété, l’art. 672.54 ne crée aucune présomption de dangerosité. Le tribunal ou la commission d’examen ne peut restreindre la liberté de l’accusé non responsable criminellement que sur la foi d’une preuve selon laquelle ce dernier représente un risque important pour la sécurité du public. Le tribunal ou la commission d’examen ne peut pas non plus refuser de libérer l’accusé inconditionnellement parce qu’il entretient des doutes à cet égard. Comme il doit conclure positivement à l’existence d’un risque important pour la sécurité du public pour que les dispositions du Code s’appliquent et pour que la liberté de l’accusé puisse être restreinte, rien de moins — c.‑à‑d. une incertitude — ne saurait lui conférer ce pouvoir. Je ne partage donc pas le point de vue qui aurait été adopté dans le jugement Orlowski n° 1, précité, selon lequel lorsque le tribunal ou la commission d’examen ne peut déterminer si l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public, il peut continuer d’imposer des privations de liberté en rendant une décision portant libération conditionnelle ou détention. S’il ne peut trancher la question, le tribunal ou la commission d’examen doit ordonner la libération inconditionnelle. Je le répète, en l’absence d’une conclusion que l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public, aucun fondement constitutionnel ne permet de restreindre sa liberté.

50 Depuis que j’ai rédigé ces motifs, j’ai eu l’occasion d’examiner les motifs du juge Gonthier. Mon collègue préfère une interprétation en deux étapes de l’art. 672.54 en vertu de laquelle une distinction serait faite entre un élément déterminant de «dangerosité» et la conclusion tirée par la suite selon laquelle l’accusé non responsable criminellement «ne représente pas un risque important pour la sécurité du public». À mon avis, les deux expressions se rapportent au même concept: la «dangerosité» équivaut à «un risque important pour la sécurité du public». En l’absence de dangerosité équivalant à un risque important pour la sécurité du public, il n’existe aucun fondement constitutionnel pour que l’on puisse en droit criminel restreindre la liberté d’un accusé non responsable criminellement.

51 Cette interprétation n’expose pas indûment la collectivité à des risques pour ce qui est de sa sécurité et de son bien‑être. Le rôle du tribunal ou de la commission d’examen consiste à déterminer si la preuve établit que la libération de l’accusé non responsable criminellement ferait courir à la collectivité un risque «important» ou véritable. Dans l’affirmative, l’accusé doit demeurer sous supervision, soit au sein de la collectivité, où il est libéré sous réserve de modalités, soit dans un hôpital, où il est détenu. Cela signifie, cependant, que peu importe le degré de difficulté de la tâche, le tribunal ou la commission d’examen ne peut se dégager de sa responsabilité de trancher cette question. Tout comme un jury est tenu d’en venir à une conclusion en ce qui concerne la culpabilité ou l’innocence d’un accusé, le tribunal ou la commission d’examen doit déterminer si la libération de l’accusé non responsable criminellement représenterait un «risque important» pour la sécurité du public. Si, en bout de ligne, le tribunal ou la commission d’examen ne peut tirer une telle conclusion, aucun fondement légal ne justifie la détention de l’accusé non responsable criminellement, et ce dernier doit être libéré.

52 Suivant cette interprétation de l’art. 672.54, l’accusé non responsable criminellement n’a pas à prouver l’absence de dangerosité et ne se voit imposer ni fardeau ultime ni fardeau de présentation. Lorsque la preuve ne permet pas de conclure qu’il représente un risque important, l’accusé n’est tenu à rien; seule une décision portant libération inconditionnelle est possible. L’article 672.54 se distingue des autres dispositions du Code criminel du Canada en ce qu’il n’impose aucun fardeau de la preuve à l’une ou l’autre des parties. Il n’établit pas de procédure de type contradictoire au sens habituel de ce terme: Davidson, précité, à la p. 277.

53 Les appelants établissent tout au plus que, dans le cas où la preuve appuie une conclusion selon laquelle l’accusé non responsable criminellement représente un risque important, il peut être dans l’intérêt de ce dernier de présenter des éléments de preuve supplémentaires pour convaincre le tribunal ou la commission d’examen du contraire. Toutefois, cet intérêt de nature stratégique n’opère pas de déplacement du fardeau ultime ou du fardeau de présentation vers l’accusé. «Il n’est pas tout à fait exact de parler d’un déplacement du fardeau vers le défendeur lorsqu’on veut dire que la preuve présentée par le demandeur peut avoir comme résultat une inférence défavorable au défendeur»: Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311, aux pp. 329 et 330, le juge Sopinka. Voir également J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (1992), aux pp. 77 et 78. Ce fardeau tactique existe dans toute instance judiciaire sans que cela ne porte atteinte à la présomption d’innocence garantie par la Charte: voir R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595.

54 La rupture du régime avec l’ancien modèle contradictoire souligne le rôle particulier des dispositions de la partie XX.1 dans le cadre du système de justice pénale. Il arrive souvent que le ministère public ne participe pas à l’audition. Bien qu’il assiste à celle‑ci et qu’il ait le droit d’être représenté par avocat, l’accusé non responsable criminellement ne se voit imposer aucun fardeau. Le système est de type inquisitoire. Il incombe au tribunal ou à la commission d’examiner tous les éléments de preuve pertinents de part et d’autre. Le tribunal ou la commission d’examen a en effet l’obligation de rechercher et d’évaluer non seulement les éléments qui sont favorables à la restriction de la liberté de l’accusé, mais aussi ceux qui militent en faveur de la libération inconditionnelle ou de la libération assujettie à des conditions minimales et ce, que l’accusé soit présent ou non. La procédure est équitable, car l’accusé non responsable criminellement n’est pas toujours en mesure de défendre sa propre cause. Le fardeau ultime et le fardeau de présentation en ce qui concerne l’établissement de la preuve que l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public, justifiant une décision de restreindre sa liberté, incombent en tout temps au tribunal ou à la commission d’examen. En cas d’incertitude de la part du tribunal ou de la commission d’examen, la partie XX.1 prévoit que tout doute doit être tranché en faveur de la mise en liberté de l’individu.

55 En pratique, il incombe au tribunal ou à la commission d’examen de réunir et d’examiner tous les éléments de preuve relatifs aux quatre facteurs prévus à l’art. 672.54: la protection du public, l’état mental de l’accusé, sa réinsertion sociale et ses autres besoins. Le tribunal et la commission d’examen sont habiles à s’acquitter de cette tâche. Ils peuvent ordonner la production de dossiers et assigner des témoins, y compris des experts pour étudier le cas et fournir les renseignements qu’ils demandent. En outre, particulièrement en ce qui concerne la commission d’examen, qui peut se charger de superviser de façon périodique l’accusé non responsable criminellement, le législateur a fait en sorte que ses membres aient l’expertise voulue pour bien évaluer tous les facteurs médicaux, juridiques et sociaux que présentent les cas dont ils sont saisis: art. 672.39. Lorsque, après examen de tous les éléments pertinents, le tribunal ou la commission d’examen ne peut conclure ou ne conclut pas que l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public, il doit ordonner la libération inconditionnelle. Par contre, s’il conclut que l’accusé représente un tel risque, il doit ordonner la libération conditionnelle ou la détention, selon ce qui restreint le moins la liberté de l’accusé, compte tenu de l’analyse des quatre facteurs énoncés.

56 Déterminer si un accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public n’est pas simple pour autant. La dangerosité a été qualifiée de [traduction] «protéiforme»: Y. Rennie, The Search for Criminal Man: A Conceptual History of the Dangerous Offender (1978), à la p. xvii. Elle s’intéresse aux probabilités, et non aux faits, et elle suppose des estimations fondées sur des critères moraux, interpersonnels, politiques et parfois arbitraires (R. J. Menzies, C. D. Webster et D. S. Sepejak, «The Dimensions of Dangerousness» (1985), 9 Law & Hum. Behav. 49, à la p. 67).

57 Pour atténuer cette tâche difficile et protéger les droits constitutionnels de l’accusé non responsable criminellement, le législateur, à la partie XX.1, a attribué à la notion de «dangerosité» un sens plus précis et plus restreint. L’article 672.54 prévoit que l’accusé doit être libéré inconditionnellement s’il ne représente pas un «risque important pour la sécurité du public». Pour que ces dispositions du Code criminel s’appliquent, le risque ne doit pas être purement hypothétique; il doit être étayé par la preuve: D.H. c. British Columbia (Attorney General), [1994] B.C.J. No. 2011 (QL) (C.A.), au par. 21. Le risque doit par ailleurs être «important». Non seulement le risque qu’un préjudice physique ou psychologique soit infligé aux membres de la collectivité doit être véritable, mais ce préjudice appréhendé doit être grave. Un risque minime de préjudice grave ne suffit pas, non plus qu’un risque élevé de préjudice insignifiant. Enfin, la conduite ou l’activité préjudiciable doit être de nature criminelle: Chambers c. British Columbia (Attorney General) (1997), 116 C.C.C. (3d) 406 (C.A.C.-B.), à la p. 413. En résumé, les dispositions de la partie XX.1 ne s’appliquent à un accusé non responsable criminellement que si le tribunal ou la commission d’examen conclut qu’il y a un risque important que l’accusé commette une infraction criminelle grave. S’il est impossible d’en venir à la conclusion qu’il y a un risque important, aucune disposition de la partie XX.1 ne permet de restreindre la liberté de l’accusé.

58 Malgré cette définition plutôt restreinte de la dangerosité, il demeure extrêmement difficile, même pour un expert, de prédire si une personne commettra ou non dans l’avenir un acte criminel: R. J. Menzies, «Psychiatry, Dangerousness and Legal Control», dans Neil Boyd, dir., The Social Dimensions of Law (1986), à la p. 189; B. J. Ennis et T. R. Litwack, «Psychiatry and the Presumption of Expertise: Flipping Coins in the Courtroom» (1974), 62 Cal. L. Rev. 693. La tendance à surestimer le danger potentiel, dont font état les recherches, doit être reconnue et contrée: Menzies, loc. cit., à la p. 199; R. J. Menzies, C. D. Webster et D. S. Sepejak, «Hitting the forensic sound barrier: predictions of dangerousness in a pretrial psychiatric clinic», dans C. D. Webster, M. H. Ben-Aron et S. J. Hucker, dir., Dangerousness: Probability and prediction, psychiatry and public policy (1985), 115, à la p. 138; H. A. Prins, Dangerous Behaviour, the Law, and Mental Disorder (1986), ch. 4, à la p. 88; S. D. Hart, C. D. Webster et R. J. Menzies, «A Note on Portraying the Accuracy of Violence Predictions» (1993), 17 Law & Hum. Behav. 695.

59 On peut présumer que c’est précisément à cause de cette difficulté et du contexte particulier que le législateur a jugé opportun de substituer au modèle catégorique applicable en common law aux accusés souffrant de troubles mentaux un régime souple permettant de tenir compte des circonstances particulières de l’accusé non responsable criminellement. En outre, bien qu’il ait permis aux tribunaux de rendre une décision initiale, le législateur a créé un système de commissions d’examen spécialisées chargées d’évaluer avec sensibilité, de façon périodique, tous les facteurs pertinents et de déterminer, du mieux qu’elles le peuvent, si l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public. Cette détermination ne constitue pas une garantie, mais il n’est pas réaliste de s’attendre à ce qu’un régime chargé d’évaluer l’incidence de facteurs individuels et humains sur des événements à venir engendre des certitudes absolues. Comme l’a écrit le juge La Forest dans l’arrêt R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, à la p. 364, relativement aux dispositions du Code visant les délinquants dangereux:

. . . le droit tire sa vitalité non pas de la logique mais de l’expérience. L’application du droit criminel se fait dans un monde où des considérations pratiques l’emportent sur la logique abstraite et, du point de vue pratique, tout ce qu’on peut établir concernant l’avenir est une probabilité que certains événements se produiront.

60 On peut s’attendre à ce que le tribunal ou la commission d’examen qui fait cette évaluation difficile de savoir si un accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public soit conscient non seulement de la nécessité de protéger le public, mais également du fait que, souvent, la perpétration antérieure d’une infraction sous l’influence de troubles mentaux a peu à voir avec la probabilité d’une récidive, spécialement lorsque l’accusé suit un traitement qui donne de bons résultats. Par ailleurs, le fait que l’accusé a déjà commis une infraction peut, dans certaines circonstances, faire partie d’une série d’événements établissant une tendance à faire du mal, bien que ce ne soit pas intentionnel. La situation particulière de chaque accusé non responsable criminellement doit être soigneusement examinée.

61 Il s’ensuit que les enquêtes menées par le tribunal ou la commission d’examen ont nécessairement une large portée. Elles lui permettront d’examiner de près tout un éventail d’éléments de preuve, notamment les circonstances dans lesquelles l’infraction originale a été commise, la façon dont se sont déroulés, le cas échéant, le traitement de l’accusé non responsable criminellement et les résultats anticipés, l’état de santé actuel de celui‑ci, ses projets pour l’avenir, les services de soutien dont il peut se prévaloir au sein de la collectivité et, l’élément peut-être le plus important, les recommandations fournies par les experts qui l’ont examiné. Ce large éventail d’éléments de preuve que le tribunal ou la commission d’examen peut examiner à bon droit vise à lui permettre de faire l’analyse difficile, mais d’une importance cruciale, de la question de savoir si l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public. En tout temps, ce processus doit se dérouler dans un environnement qui respecte les droits constitutionnels de l’accusé, indépendamment des stéréotypes négatifs qui, par le passé, ont trop souvent porté préjudice aux malades mentaux ayant eu des démêlés avec la justice. Les cours d’appel qui examinent les décisions rendues par un tribunal ou une commission d’examen doivent avoir à l’esprit l'étendue de ces enquêtes ainsi que le fait que les tribunaux de juridiction inférieure connaissent bien la situation particulière de l’accusé non responsable criminellement, et la difficulté de déterminer si la personne en cause représente un «risque important» pour la sécurité du public.

62 Selon cette interprétation de la partie XX.1 du Code, les obligations qui incombent à un tribunal ou une commission d’examen chargé d’interpréter l’art. 672.54 peuvent, à des fins pratiques, être résumées de la façon suivante:

1. Le tribunal ou la commission d’examen doit tenir compte de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé non responsable criminellement et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale. Le tribunal ou la commission d’examen doit, dans chaque cas, répondre à la question suivante: la preuve établit-elle que l’accusé non responsable criminellement représente «un risque important pour la sécurité du public»?

2. Un «risque important pour la sécurité du public» signifie un risque véritable qu’un préjudice physique ou psychologique soit infligé aux membres de la collectivité, risque qui est grave dans le sens où le préjudice potentiel est plus qu’ennuyeux ou insignifiant. La conduite préjudiciable doit être de nature criminelle.

3. Il n’y a pas de présomption que l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public. Les privations de sa liberté ne peuvent être justifiées que si, au moment de l’audition, il ressort de la preuve dont dispose le tribunal ou la commission d’examen que l’accusé représente véritablement un tel risque. Le tribunal ou la commission d’examen ne peut éviter de trancher cette question en disant, par exemple, qu’il est incertain ou qu’il ne peut déterminer si l’accusé représente un risque important pour la sécurité du public. S’il ne peut trancher cette question avec certitude, il n’a pas conclu que l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public.

4. La procédure devant le tribunal ou la commission d’examen n’est pas contradictoire. Lorsque les parties ne fournissent pas suffisamment de renseignements, il incombe au tribunal ou à la commission d’examen de chercher à obtenir les éléments de preuve dont il a besoin pour rendre sa décision. Dans le cas où c’est le tribunal qui examine l’affaire, celui-ci peut, dans les circonstances, conclure qu’il ne peut facilement rendre une décision sans délai et que l’affaire doit être examinée par la commission d’examen. Peu importe l’organisme qui examine l’affaire, l’accusé non responsable criminellement n’a jamais ultimement le fardeau d’établir qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public.

5. Le tribunal ou la commission d’examen dispose de tout un éventail d’éléments de preuve pour déterminer si l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public. Ces éléments peuvent comprendre la façon dont se sont déroulés, le cas échéant, le traitement de l’accusé et les résultats anticipés, l’état de santé actuel de celui-ci, ses projets pour l’avenir, les services de soutien dont il peut se prévaloir au sein de la collectivité, et les résultats des évaluations des experts qui l’ont examiné. Cette liste n’est pas exhaustive.

6. Le fait que l’accusé non responsable criminellement a déjà commis une infraction alors qu’il souffrait de troubles mentaux n’établit pas en soi qu’il représente toujours un risque important pour la sécurité du public. Cependant, il peut être tenu compte du fait qu’il a déjà commis un acte criminel, ainsi que d’autres circonstances, lorsque cela est pertinent en vue de cerner une certaine tendance comportementale et, par conséquent, de déterminer s’il représente un risque important pour la sécurité du public. Le tribunal ou la commission d’examen doit, en tout temps, examiner les circonstances propres à l’accusé dont il est question.

7. Si le tribunal ou la commission d’examen conclut que l’accusé non responsable criminellement ne représente pas un risque important pour la sécurité du public, il doit rendre une décision portant libération inconditionnelle.

8. Si le tribunal ou la commission d’examen conclut que l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public, deux choix s’offrent à lui. Il peut soit rendre une décision portant libération de l’accusé sous réserve des modalités qu’il juge indiquées, soit rendre une décision portant détention de l’accusé dans un hôpital, sous réserve encore une fois des modalités qu’il juge indiquées.

9. Lorsqu’il choisit de rendre une décision portant libération conditionnelle de l’accusé non responsable criminellement ou une décision portant détention de celui‑ci dans un hôpital, le tribunal ou la commission d’examen doit, encore une fois, rendre la décision la moins sévère et la moins privative de liberté, compte tenu de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale.

63 Cela nous amène à la question de savoir si, interprété comme il se doit, l’art. 672.54 porte atteinte aux droits que la Charte garantit à l’accusé non responsable criminellement.

B. L’article 672.54 du Code criminel viole‑t‑il l’art. 7 de la Charte?

64 Les dispositions de la partie XX.1 du Code criminel permettent à l’État, par l’entremise d’un tribunal ou d’une commission d’examen, de priver de sa liberté l’accusé non responsable criminellement. Suivant l’art. 7 de la Charte, la loi ne peut conférer un tel pouvoir qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

65 Tout d’abord, je ferai quelques observations d’ordre général. Tout système de justice empreint d’humanité doit prévoir la façon de régler les cas où l’auteur du crime reproché n’est pas criminellement responsable. Aux fins de l’art. 7, la question est de savoir si le système canadien est conforme aux principes de justice fondamentale. Lorsque, comme en l’espèce, une structure administrative et juridictionnelle complète a été mise sur pied, il faut considérer le régime dans son ensemble. On doit examiner le problème particulier que ce dernier vise à résoudre. Déterminer le sort qu’il convient de réserver aux malades mentaux qui commettent des crimes dont ils ne peuvent légalement être tenus responsables, tout en assurant la protection du public, est un défi unique et difficile à relever. Cela pose un problème très différent de celui de statuer sur le cas de personnes qui commettent des crimes dont elles peuvent et doivent être tenues responsables. Pour déterminer si le système que le législateur a établi viole les principes de justice fondamentale, on doit tenir compte de cette différence.

66 J’ajouterai que les exigences de la justice fondamentale ne sont pas immuables; elles varient selon le contexte dans lequel elles sont invoquées: Lyons, précité, à la p. 361. Dans le présent contexte, les principes de justice fondamentale exigent nécessairement que l’on pondère les intérêts opposés de l’accusé non responsable criminellement et de la société. Ce qui importe, c’est que cette pondération soit à la fois raisonnable et justifiable.

67 Les appelants soutiennent que l’art. 672.54 viole les principes de justice fondamentale de trois manières: il est imprécis, il impose un fardeau injuste et il a une portée excessive. À mon avis, correctement interprétées et considérées dans leur ensemble, les dispositions relatives aux accusés non responsables criminellement ne violent les principes de justice fondamentale pour aucun de ces motifs.

68 Selon la première prétention, la norme du «risque important pour la sécurité du public» établie à l’art. 672.54 serait trop imprécise. Une loi n’est jugée inconstitutionnelle que lorsqu’elle est imprécise au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire: R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, aux pp. 638 à 640. Comme notre Cour l’a reconnu, il s’agit d’un critère assez exigeant. Les lois doivent nécessairement s’appliquer à une variété de situations. Vu la gamme infinie des comportements possibles, les lois ne peuvent être rédigées de façon à prévoir précisément chacun des cas susceptibles de se présenter. Il incombe aux juges, à partir de la jurisprudence et d’éléments comme le libellé et l’objet de la loi, d’interpréter des lois d’application générale et de décider si elles s’appliquent aux faits d’une affaire en particulier. Cette démarche ne viole pas les principes de justice fondamentale, elle est en fait dans la plus pure tradition de notre système de justice.

69 L’expression «risque important pour la sécurité du public» satisfait au critère qui exige une précision suffisante pour permettre un débat judiciaire. Dans l’arrêt R. c. Morales, [1992] 3 R.C.S. 711, notre Cour a statué que la norme de la «sécurité du public» n’était pas d’une imprécision inconstitutionnelle. Quant à la notion de «risque important», elle a été appliquée par les juridictions inférieures sans difficulté: Davidson, précité, et R. c. Peckham (1994), 19 O.R. (3d) 766 (C.A.). Sans vouloir définir le terme de façon exhaustive, l’expression évoque un risque pour la sécurité du public suffisamment important pour justifier une privation de liberté. Comme je l’ai dit précédemment, il doit y avoir un risque prévisible et substantiel que l’accusé non responsable criminellement commettra une infraction criminelle grave s’il est libéré inconditionnellement. Il est impossible de prévoir ou de répertorier à l’avance tous les types de comportements susceptibles de représenter un tel risque pour la sécurité du public. On doit laisser au tribunal ou à la commission d’examen le soin de déterminer si un comportement donné satisfait à cette norme. En s’acquittant de cette tâche, le tribunal ou la commission d’examen doit tenir compte de l’importance, qui se traduit dans la Charte, que notre société accorde à la liberté individuelle. Il doit également prendre en considération la nécessité de protéger la société contre les risques importants. La décision définitive est rendue après audition de la preuve et prise en compte de la nécessité de protéger le plus possible la liberté individuelle et d’assurer la sécurité du public. Ce processus, comme je l’ai déjà souligné, ne porte pas atteinte aux principes de justice fondamentale.

70 Selon le deuxième argument, l’art. 672.54 imposerait indûment à l’accusé le fardeau de prouver qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public, ce qui irait à l’encontre de la règle fondamentale voulant que c’est à l’État qui prive une personne de sa liberté qu’il incombe de justifier sa décision. Vu l’interprétation de l’art. 672.54 exposée précédemment, cette prétention doit aussi être rejetée. La disposition ne crée pas une présomption qu’un accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public. Le tribunal ou la commission d’examen doit plutôt, après le prononcé d’un verdict de NRC, tenir une audition pour déterminer si, dans les faits, l’accusé représente un tel risque. La disposition n’exige pas non plus que l’accusé établisse qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public. Il appartient au tribunal ou à la commission d’examen, dans le cadre d’une procédure inquisitoire, d’enquêter sur la situation qui existe au moment de l’audition et de déterminer si l’accusé représente un risque important pour la sécurité du public. Lorsque le dossier ne permet pas de conclure que la personne représente un tel risque, le tribunal ou la commission d’examen est tenu d’ordonner la libération inconditionnelle. Lorsqu'il conclut que la personne représente effectivement un tel risque, le tribunal ou la commission d’examen doit rendre une décision portant libération de l’accusé sous réserve de modalités ou une décision portant détention de celui-ci dans un hôpital. Dans tous les cas, le tribunal ou la commission d’examen doit rendre la décision la moins privative de liberté possible. Ce processus ne viole pas les principes de justice fondamentale.

71 En troisième lieu, l’art. 672.54 violerait l’art. 7 de la Charte en raison de sa portée excessive. La question est de savoir si les moyens choisis par l’État ont une portée plus grande que nécessaire pour atteindre l’objectif visé: R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761. Le double objectif de la partie XX.1, et de l’art. 672.54 en particulier, est de protéger la société contre l’accusé non responsable criminellement et qui représente un risque important pour la sécurité du public, tout en préservant dans la plus grande mesure possible sa liberté. Pour atteindre cet objectif, le législateur a prévu (selon l’interprétation de la disposition exposée précédemment) que l’accusé doit être libéré inconditionnellement à moins qu’il ne soit établi qu’il représente un risque important pour la sécurité du public. En outre, dans le cas où l’existence d’un risque important est prouvée, le législateur a prévu que l’accusé doit bénéficier de la décision la moins sévère et la moins privative de liberté possible. J’estime donc que ce régime n’a pas une portée excessive. Il fait en sorte que la liberté de l’accusé ne soit pas entravée plus qu’il n’est nécessaire pour protéger la sécurité du public. Je ne saurais donc être d’accord avec la décision contraire de la Cour d’appel du Manitoba dans R. c. Hoeppner, [1999] M.J. No. 113 (QL).

72 Outre les garanties accordées à l’art. 672.54, la partie XX.1 protège la liberté de l’accusé non responsable criminellement en prévoyant, tout au moins, l’examen annuel de son cas par la commission d’examen: art. 672.81. L’accusé a le droit d’interjeter appel à la cour d’appel d’une décision d’un tribunal ou d’une commission d’examen: art. 672.72. Lorsque le tribunal ou la commission d’examen omet d’interpréter et d’appliquer correctement l’art. 672.54 et empiète indûment sur le droit à la liberté de l’accusé, celui‑ci a donc un recours approprié.

73 Par ces motifs, je conclus que le régime législatif établi à l’égard des personnes tenues non criminellement responsables ne viole pas l’art. 7 de la Charte.

C. L’article 672.54 du Code criminel viole‑t‑il l’art. 15 de la Charte?

74 En raison du droit à l’égalité garanti par la Charte, les lois et autres mesures gouvernementales ne peuvent, entre autres choses, établir à l’égard d’une personne une distinction fondée sur l’application stéréotypée de caractéristiques de groupe. Cela répugne à notre ordre constitutionnel, car au lieu de considérer que la personne mérite le même intérêt, le même respect et la même considération, on la défavorise arbitrairement et en fonction d’un stéréotype.

75 L’objectif principal de la garantie inscrite au par. 15(1) est de protéger le droit d’une personne d’être traitée avec dignité. Notre Cour a récemment réaffirmé ce principe dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, dans lequel le juge Iacobucci a eu l’occasion d’aborder la notion de «dignité humaine» de la façon suivante, au par. 53:

En quoi consiste la dignité humaine? Il peut y avoir différentes conceptions de ce que la dignité humaine signifie. Pour les fins de l’analyse relative au par. 15(1) de la Charte, toutefois, la jurisprudence de notre Cour fait ressortir une définition précise, quoique non exhaustive. Comme le juge en chef Lamer l’a fait remarquer dans Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, à la p. 554, la garantie d’égalité prévue au par. 15(1) vise la réalisation de l’autonomie personnelle et de l’autodétermination. La dignité humaine signifie qu’une personne ou un groupe ressent du respect et de l’estime de soi. Elle relève de l’intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelles qui n’ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne. Elle est rehaussée par des lois qui sont sensibles aux besoins, aux capacités et aux mérites de différentes personnes et qui tiennent compte du contexte sous‑jacent à leurs différences. La dignité humaine est bafouée lorsque des personnes et des groupes sont marginalisés, mis de côté et dévalorisés, et elle est rehaussée lorsque les lois reconnaissent le rôle à part entière joué par tous dans la société canadienne. Au sens de la garantie d’égalité, la dignité humaine n’a rien à voir avec le statut ou la position d’une personne dans la société en soi, mais elle a plutôt trait à la façon dont il est raisonnable qu’une personne se sente face à une loi donnée. La loi traite-t‑elle la personne injustement, si on tient compte de l’ensemble des circonstances concernant les personnes touchées et exclues par la loi?

L’effet d’une loi sur la dignité du demandeur doit être évalué du point de vue de «la personne raisonnable, objective et bien informée des circonstances, dotée d’attributs semblables et se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur»: Law, au par. 60, le juge Iacobucci. On doit tenir compte de toutes les circonstances en répondant à cette question fondamentale. Les éléments pertinents de l’affaire varieront selon la situation.

76 Bien qu’il n’existe aucune exigence voulant qu’il faille adhérer à une formule stricte, notre Cour a indiqué dans Law qu’une interprétation du par. 15(1) fondée sur l’objet fait intervenir trois questions primordiales. Dans son analyse, le tribunal doit d’abord se demander si la loi impose une différence de traitement entre le demandeur et d’autres personnes. Il peut y avoir différence de traitement lorsqu’une distinction formelle est établie entre le demandeur et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou lorsque la loi contestée omet de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles.

77 Cependant, la différence de traitement ne fait intervenir le droit garanti au par. 15(1) que lorsqu’elle est réellement discriminatoire. Pour établir qu’il y a discrimination, le demandeur doit démontrer (1) que la différence de traitement est fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés au par. 15(1) ou des motifs analogues à ces derniers, et (2) que la différence de traitement impose un fardeau au demandeur ou le prive d’un avantage d’une manière qui omet de reconnaître l’objet du par. 15(1), qui est de maintenir la dignité essentielle du demandeur en tant que membre à part entière de la société canadienne: Law, précité, au par. 88. Voir également Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3.

78 Le premier élément exigé aux fins du par. 15(1), soit la différence de traitement fondée sur une caractéristique personnelle, n’est généralement pas difficile à prouver: Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, à la p. 531, le juge La Forest. En l’espèce, on peut interpréter la partie XX.1 comme traitant l’accusé non responsable criminellement différemment des autres personnes accusées, en raison des troubles mentaux dont il souffrait lors de la perpétration de l’acte criminel. Plus particulièrement, on peut l’interpréter comme privant cet accusé d’avantages consentis aux personnes déclarées coupables ou lui imposant des fardeaux auxquels ces dernières échappent. L’un des premiers fardeaux dont il est fait mention est ce qui, selon certains, constitue la «peine indéterminée» qui découle de l’application de la Partie XX.1. Cette prétention est fondée sur le point de vue que les restrictions imposées par l’État à l’accusé non responsable criminellement peuvent être comparées à celles qui sont imposées à la personne déclarée coupable ne faisant pas l’objet d’un verdict de NRC. Je conviens que le par. 15(1) exige que le tribunal compare la façon dont l’État traite deux, voire plusieurs individus ou groupes. L’égalité est un concept comparatif: Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, à la p. 164; Law, précité, au par. 24.

79 Il est loin d’être clair selon moi que la façon dont l’État traite un accusé non responsable criminellement et la façon dont il traite une personne déclarée coupable peuvent facilement être comparées aux fins de découvrir une différence de traitement, vu la situation très particulière de l’accusé non responsable criminellement, ainsi que l’objectif et les effets uniques des dispositions de la partie XX.1. Néanmoins, dans Law, notre Cour a conclu qu’à cette étape initiale, «[c]’est généralement le demandeur qui choisit la personne, le groupe ou les groupes avec lesquels il désire être comparé aux fins de l’analyse relative à la discrimination, déterminant ainsi les paramètres de la différence de traitement qu’il allègue et qu’il souhaite contester» (par. 58). Le tribunal doit ensuite déterminer si la différence de traitement par l’État découverte, le cas échéant, par suite de cette comparaison est discriminatoire. Ce n’est qu’à ce stade que se pose la question de savoir si cette comparaison fait ressortir l’existence d’une violation de la dignité humaine et de la liberté essentielles. Bien que notre Cour ait fait dans l’arrêt Law une mise en garde selon laquelle un tribunal n’est pas lié par la façon dont le demandeur caractérise ce qui constitue la comparaison appropriée, je suis disposée à accepter la prétention des appelants et à traiter de l’affaire en partant du principe qu’une comparaison entre la façon dont l’État traite un accusé non responsable criminellement et la façon dont il traite une personne déclarée coupable ferait ressortir l’existence d’une différence de traitement fondée sur une caractéristique personnelle, soit la maladie mentale.

80 Le deuxième élément exigé aux fins du par. 15(1) -- l’élément le plus important -- est que la différence de traitement soit discriminatoire. La première étape consiste à déterminer si la distinction est établie sur la base d’un motif énuméré ou d’un motif analogue. C’est le cas en l’espèce. La déficience mentale est un motif énuméré au par. 15(1). Le traitement spécial prévu à la partie XX.1 est justifié par l’existence d’un type particulier de déficience mentale au moment où l’acte criminel est commis.

81 La seconde étape consiste à déterminer si une telle différence de traitement établie sur la base d’un motif énuméré ou d’un motif analogue dénote l’application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou viole par ailleurs le droit garanti au par. 15(1), selon lequel tous méritent le même intérêt, le même respect et la même considération. De toute évidence, il est réellement possible que la négation du droit au même bénéfice de la loi sur le fondement d’un motif énuméré ou d’un motif analogue soit discriminatoire. Une telle négation est suspecte, car elle fait partie des négations qui, par le passé, ont entraîné une discrimination. Comme l’a dit notre Cour dans l’arrêt Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358, «[l]orsque la négation du droit [au même bénéfice de la loi] est fondée sur l’un des motifs expressément énumérés au par. 15(1) ou sur un motif analogue, elle sera généralement jugée discriminatoire, bien qu’il puisse évidemment y avoir des exceptions» (par. 69). Dans Law, notre Cour a récemment identifié l’une de ces exceptions.

82 La présente espèce constitue, à mon avis, l’une de ces exceptions. Une analyse de ces dispositions du Code criminel et de leur effet sur l’accusé non responsable criminellement révèle qu’elles sont tout le contraire de la discrimination et, par conséquent, elles ne mettent pas en cause les garanties prévues au par. 15(1). La partie XX.1 ne dénote pas l’application de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe. Elle ne perpétue ni ne soutient l’opinion que les personnes visées par ses dispositions sont moins capables ou moins dignes d’être reconnues. Au lieu de nier la dignité et la valeur du contrevenant souffrant de maladie mentale, la partie XX.1 les reconnaît et les rehausse.

83 Comme notre Cour l’a récemment reconnu dans Law, on considère depuis longtemps que le par. 15(1) garantit non seulement l’égalité formelle d’un traitement analogue, mais aussi l’égalité réelle. Voir également Andrews et Vriend, précités, et Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624. En ce sens, la jurisprudence reconnaît que la discrimination peut résulter soit d’une différence de traitement fondée sur l’appartenance à un groupe, soit de l’omission de traiter une personne différemment des autres en raison de son appartenance à un groupe.

84 Prenons l’exemple de la déficience auditive récemment considéré par notre Cour dans l’arrêt Eldridge, précité. La loi qui disposerait que la personne affligée d’une telle déficience n’a pas droit aux services médicaux publics traiterait cette personne différemment des autres. Elle serait probablement qualifiée de discriminatoire au sens que notre jurisprudence concernant le par. 15(1) donne à ce concept. Il ressort toutefois de l’arrêt Eldridge que la loi qui traite la personne atteinte de déficience auditive comme les autres peut également priver celle‑ci de l’égalité d’accès aux services médicaux publics en ne tenant pas compte de sa situation particulière et de la nécessité de lui offrir des services d’interprétation qui lui permettent de communiquer avec le personnel médical. Dans le premier cas, la loi exerce une discrimination en traitant la personne différemment en raison d’une caractéristique de groupe; dans le second, elle est discriminatoire parce qu’elle omet de tenir compte d’une caractéristique de groupe lorsque la situation particulière d’une personne l’exige. Voir également Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241, au par. 66. Peu importent les modalités de la discrimination, l’effet est le même — l’égalité de traitement est niée sur la base d’une supposition non fondée. Il s’ensuit qu’une différence de traitement établie dans la loi qui reflète les besoins particuliers et la situation particulière d’un individu ou d’un groupe peut être non seulement justifiée, mais aussi exigée, pour l’atteinte de l’objectif du par. 15(1) qui vise à réaliser l’égalité réelle.

85 La question en l’espèce est de savoir si l’art. 672.54 est réellement discriminatoire au sens exprimé dans notre jurisprudence concernant le par. 15(1). Comme je l’ai indiqué précédemment en faisant son historique, la partie XX.1 a été adoptée afin de supprimer les stéréotypes et la stigmatisation dont les malades mentaux ont été victimes dans le passé. Le stéréotype du «criminel dément» a trop souvent mené à l’internement de l’accusé acquitté ou, pis encore, à sa détention en milieu carcéral où les soins dont il avait besoin lui étaient niés et où il faisait l’objet d’abus. En exposant l’accusé à une détention d’une durée indéterminée selon le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur en conseil, sur le fondement de la supposition que cette détention était nécessaire aux fins de la sécurité du public, le stéréotype a favorisé l’assimilation du malade mental à un quasi‑criminel et a contribué au point de vue, depuis lors largement réfuté, selon lequel l’aliéné est toujours une personne dangereuse. Dans bien des cas, des personnes qui n’avaient commis aucun crime et qui ne pouvaient pas véritablement engager leur responsabilité criminelle avaient droit à un traitement pire que celui réservé aux vrais criminels et elles étaient souvent gardées en prison. Pour tous ces motifs, entre autres, le Parlement a adopté la partie XX.1 du Code criminel.

86 Il appert donc que l’intention du législateur n’était pas d’exercer une discrimination à l’endroit de l’accusé non responsable criminellement. Son objectif était plutôt de combattre la discrimination et de traiter d’une façon adaptée à sa situation véritable la personne qui commet un acte criminel sans pouvoir distinguer le bien du mal. Toutefois, bien qu’elles soient importantes, les bonnes intentions ne suffisent pas à établir l’absence de discrimination. Il faut pousser plus loin l’analyse et se demander si, dans ses effets, la partie XX.1 dénote l’application stéréotypée de présumées caractéristiques de groupe ou prive par ailleurs l’accusé non responsable criminellement de sa dignité essentielle.

87 Comme l’a souligné le juge Iacobucci dans Law, précité, «[i]l existe une gamme de facteurs sur lesquels peut s’appuyer un demandeur pour démontrer que des dispositions législatives ont pour effet de saper sa dignité, au sens où ce terme est interprété aux fins de la garantie d’égalité de la Charte» (par. 62). Bien que le juge Iacobucci ait tenu compte de quatre facteurs dans Law, précité, il a pris soin de souligner que chaque cas pouvait soulever des considérations différentes (au par. 62). Cependant, l’application de stéréotypes et l’incidence de tels stéréotypes sur la dignité de l’individu, en particulier lorsque le demandeur appartient à un groupe qui, de façon générale, peut être considéré comme souffrant de désavantages préexistants, est un facteur clé. La façon déplorable dont notre société a historiquement traité les contrevenants vulnérables atteints de troubles mentaux rend cette considération particulièrement importante dans le contexte de la présente affaire.

88 L’essence d’un stéréotype, comme je l’ai indiqué précédemment, consiste à faire une distinction sur la base de caractéristiques personnelles qui sont attribuées à une personne non pas à partir de sa situation véritable, mais en raison de son association avec un groupe: Andrews, précité, aux pp. 174 et 175; Law, précité, au par. 61. La question est de savoir si la partie XX.1 crée une telle discrimination à l’égard de l’accusé non responsable criminellement. J’estime que non. À chacune des étapes, la partie XX.1 traite l’accusé non responsable criminellement selon sa situation véritable, et non en fonction du groupe auquel il est associé. Avant qu’une personne ne soit assujettie à la partie XX.1, le juge du procès doit effectuer une évaluation individuelle à partir de la preuve, tout en protégeant pleinement le droit d’être représenté par avocat et les autres garanties constitutionnelles. La partie XX.1 ne s’applique que lorsque le juge est convaincu que la personne n’était pas en mesure de savoir que l’acte était criminel ou mauvais. L’évaluation se fonde sur la situation personnelle de l’intéressé. Elle n’admet aucune inférence fondée sur l’association avec un groupe. Plus encore, la décision tient compte de la situation et des besoins personnels de l’accusé et, en outre, elle est assujettie à la règle primordiale selon laquelle il doit toujours s’agir de l’avenue la moins privative de liberté dans les circonstances. Enfin, l’examen qui a lieu (au moins) une fois l’an garantit à l’intéressé un traitement fondé sur l’évolution de sa situation personnelle évaluée périodiquement.

89 Ce processus individualisé est l’antithèse même de la logique du stéréotype, dont le mal consiste à préjuger de la situation et des besoins véritables de l’individu en raison du groupe auquel on l’associe. Comme notre Cour l’a reconnu dans Law, au par. 70:

En règle générale, comme l’ont dit le juge McIntyre dans Andrews, précité, et le juge Sopinka dans Eaton, précité, et comme je l’ai indiqué précédemment, la disposition législative qui prend en compte les besoins, les capacités ou la situation véritables du demandeur et d’autres personnes partageant les mêmes caractéristiques, d’une façon qui respecte leur valeur en tant qu’êtres humains et que membres de la société canadienne, sera moins susceptible d’avoir un effet négatif sur la dignité humaine.

Le régime individualisé prévu à la partie XX.1 ne permet donc pas facilement de conclure à l’existence d’une discrimination au sens que notre jurisprudence concernant le par. 15(1) donne à ce terme.

90 Cependant, le traitement individuel en soi ne suffit pas pour faire échouer une demande présentée en vertu du par. 15(1): Law, au par. 70. Le tribunal doit pousser l’analyse plus loin et évaluer l’incidence véritable de la différence de traitement sur la dignité du demandeur, toujours du point de vue de «la personne raisonnable, objective et bien informée des circonstances, dotée d’attributs semblables et se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur» (par. 60). De ce point de vue, la principale caractéristique de la partie XX.1, savoir le traitement établi en fonction de la situation particulière de tout accusé non responsable criminellement, loin de constituer un déni d’égalité, est l’essence même d’une égalité de traitement réelle. L’accusé n’est ni défavorisé ni privé de son droit à l’égalité. Sa déficience, son incapacité et sa situation personnelle particulière sont au contraire reconnues et, partant, le système d’évaluation et de traitement individualisés qui est créé bat délibérément en brèche le stéréotype déplorable selon lequel tout malade mental est dangereux. Le traitement accordé à l’accusé est plus approprié et respecte davantage son droit à l’égalité.

91 J’ai précédemment rejeté, dans les présents motifs, l’opinion selon laquelle la partie XX.1 perpétue l’idée que tous les accusés non responsables criminellement sont dangereux, voire présumés dangereux. Au contraire, ni l’objectif ni l’effet de la différence de traitement qui découle de la partie XX.1 ne transmettent à la société un message négatif concernant ces accusés. On ne peut non plus raisonnablement considérer que la partie XX.1 amoindrit leur dignité en tant qu’êtres humains. Le processus qu’elle établit et les possibilités de traitement qu’elle prévoit donnent plutôt expression au message selon lequel tout accusé non responsable criminellement a droit aux mêmes garanties que les autres justiciables, sous réserve uniquement des contraintes justifiées par sa maladie et par la nécessité d’assurer la sécurité du public. L’objectif et l’effet de la partie XX.1 représentent le point de vue selon lequel l’accusé non responsable criminellement a le droit de recevoir des soins attentifs, d’être réadapté, et de faire l’objet de tentatives valables en vue de sa participation à la société dans la plus grande mesure possible, compte tenu de sa situation véritable.

92 D’autres arguments invoqués à l’appui de l’allégation de violation du par. 15(1) ne résistent pas non plus à l’analyse. Les appelants soutiennent que des actes de peu de gravité peuvent entraîner de longues privations de liberté. Or, ils reprennent essentiellement en cela l’argument relatif à l’art. 7, qui, compte tenu de l’interprétation de la loi que j’ai préconisée précédemment, doit être rejeté. Qui plus est, même s’il était considéré en fonction du par. 15(1), cet argument ne serait pas convaincant. Le risque de détention non souhaitable ou même non fondée est inhérent à tout système. L’application appropriée de la partie XX.1 permet d’éviter l’internement ou la privation de liberté injustifiés, l’accent étant mis sur l’évaluation individuelle et périodique, et l’art. 672.54 prévoyant la décision la moins privative de liberté qui puisse être rendue dans les circonstances. De même, l’argument voulant que l’accusé non responsable criminellement ne bénéficie pas des avantages procéduraux généralement conférés par l’ensemble du système de justice pénale ne peut être retenu si l’on considère les garanties procédurales supplémentaires que prévoit la partie XX.1, y compris l’obligation expresse de la commission de tenir compte des besoins personnels de l’accusé et de rendre la décision la moins privative de liberté qui soit dans les circonstances.

93 Les appelants ont également souligné le fait que la surveillance d’un accusé non responsable criminellement peut avoir une durée «indéterminée». Comme j’y ai déjà fait allusion, cet argument fait fi de la différence fondamentale qui existe entre la façon dont l’État traite un accusé non responsable criminellement et celle dont il traite une personne déclarée coupable. L’un des objectifs de l’incarcération d’un contrevenant déclaré coupable est de le punir. Ce dernier est moralement responsable de l’acte criminel qu’il a commis et il se voit infliger le châtiment que la société exige pour ce crime. La durée de la peine est donc déterminée (même si elle n’est pas précise, c.‑à‑d. une peine «d’emprisonnement à perpétuité»). Par contre, il a été établi que l’accusé non responsable criminellement n’est pas moralement responsable de l’acte criminel qu’il a commis. Le châtiment est moralement inapproprié et inefficace dans un tel cas, car cet accusé était incapable de faire le choix rationnel sur lequel le modèle punitif est fondé. Or, comme la liberté de l’accusé non responsable criminellement n’est pas restreinte en vue de le punir, il n’existe pas de raison correspondante de limitation dans le temps. Les objectifs de toute privation de liberté dans son cas visent à protéger la société et à lui permettre de se faire traiter. Cela exige une démarche souple qui tient compte de la durée de la privation de liberté en fonction de ces deux objectifs et rend inutile toute comparaison mécaniste quant à la durée d’une détention.

94 En prétendant que l’accusé non responsable criminellement doit être traité «de la même façon» que le contrevenant qui engage sa responsabilité criminelle en commettant la même infraction, les appelants partent du principe que la privation de liberté a le même but dans les deux cas. Comme je l’ai déjà souligné, c’est une erreur. Toute restriction de la liberté d’un accusé non responsable criminellement est infligée essentiellement à des fins de réadaptation, et non à des fins pénales. Comme l'a dit le juge Taylor, contrairement aux peines qu’une personne déclarée coupable risque d’encourir, le régime applicable aux accusés non responsables criminellement [traduction] «n’exige aucune sanction, n’inflige aucune peine et n’impute aucun blâme»: Blackman c. British Columbia (Review Board) (1995), 95 C.C.C. (3d) 412 (C.A.C.-B.), à la p. 433. Par conséquent, la comparaison formaliste des «peines» infligées à ces deux types d’individus est contraire à une interprétation fondée sur l’objet des dispositions législatives en cause.

95 Ces considérations me convainquent que la partie XX.1 n’est pas discriminatoire envers l’accusé non responsable criminellement. J’aurais pu tout aussi bien conclure que, en raison de l’accent mis sur la détermination d’un traitement approprié en fonction de la situation de la personne, l’application de la partie XX.1 n’impose en réalité aucun fardeau à l’accusé non responsable criminellement et ne prive ce dernier d’aucun bénéfice de la loi. En fait, il est difficile, à partir d’une interprétation appropriée, de conclure que le système établi en application de la partie XX.1 a un quelconque effet défavorable sur l’accusé non responsable criminellement. Chacun bénéficie du traitement qu’exige son état et voit sa liberté restreinte dans la seule mesure exigée par la protection du public. La partie XX.1 ne favorise pas la croyance selon laquelle les accusés non responsables criminellement ne méritent pas le même respect, la même considération ou la même reconnaissance que les autres. Au contraire, l’objectif et l’effet de la partie XX.1 préconisent plutôt le point de vue opposé.

96 Je conviens que si l’on interprétait l’art. 672.54 comme établissant une présomption de dangerosité et autorisant les tribunaux et les commissions d’examen à restreindre la liberté des accusés non responsables criminellement sans avoir conclu, à l’issue d’un examen, qu’ils représentent un risque important pour la sécurité du public, ce qui a malheureusement pu se produire quelquefois dans le passé, on pourrait soutenir qu’il défavorise de façon discriminatoire ces accusés. Toutefois, appliqué comme je le préconise dans les présents motifs, l’art. 672.54 fait en sorte que chaque accusé non responsable criminellement bénéficie d’un traitement adapté à sa situation personnelle et qui constitue la mesure la moins sévère et la moins privative de liberté qui puisse être ordonnée. Tout cela favorise le point de vue selon lequel, peu importe ce qui a pu se produire dans le passé, l’art. 672.54 reconnaît que les accusés non responsables criminellement méritent d’être traités par la loi avec le même intérêt, le même respect et la même considération que les autres.

97 J’arrive à la conclusion que la partie XX.1 du Code criminel ne viole pas le par. 15(1) de la Charte. La personne raisonnable, bien informée des circonstances et des caractéristiques du demandeur, ne trouverait pas ces dispositions discriminatoires. Celles‑ci favorisent, au lieu de nier, le droit du demandeur d’être traité par la loi comme une personne qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération que les autres. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les arguments relatifs à la justification au sens de l’article premier.

VII. Conclusion

98 Je conclus que l’art. 672.54 ne viole ni l’art. 7, ni le par. 15(1) de la Charte. Il s’agit d’une disposition législative valide, soigneusement conçue pour protéger le plus possible la liberté de l’accusé non responsable criminellement compte tenu de son état actuel et de la nécessité d’assurer la sécurité du public. Il n’est pas discriminatoire au sens que notre jurisprudence concernant le par. 15(1) donne à ce terme.

99 Monsieur Winko n’a pas interjeté appel de la décision rendue le 29 juillet 1996 par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, qui confirme la décision portant libération conditionnelle prononcée par la commission d’examen le 29 mai 1995. Devant notre Cour, il a fondé l’ensemble de son argumentation et de sa demande de redressement sur l’inconstitutionnalité alléguée de l’art. 672.54. Il n’est donc pas nécessaire de déterminer si la Cour d’appel a commis une erreur en refusant d’infirmer la décision de la commission d’examen. J’aimerais souligner cependant que, lors de l’audition du 29 mai 1995, les membres majoritaires de la commission d’examen semblent avoir tenu pour acquis que, s’ils n’étaient pas convaincus que l’appelant M. Winko ne représentait pas un risque important pour la sécurité du public, ils devaient maintenir les conditions restrictives. Pareille interprétation de l’art. 672.54 ne serait pas conforme à celle exposée dans les présents motifs.

100 Enfin, depuis l’audition du présent pourvoi, la commission d’examen aurait accordé une libération inconditionnelle à M. Winko, ce qui rendrait la présente décision théorique. Notre Cour a toutefois le pouvoir discrétionnaire de trancher ce genre de pourvois et, dans les circonstances, je suis d’avis de le faire (voir Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342).

101 Je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de répondre ainsi aux questions constitutionnelles:

1. L’article 672.54 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, porte-t‑il atteinte aux droits et libertés garantis par le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés pour le motif qu’il crée de la discrimination à l’endroit des personnes souffrant de troubles mentaux -- y compris celles atteintes de déficiences mentales -- qui, pour cette cause, font l’objet d’un verdict de non-responsabilité criminelle?

Non.

2. L’article 672.54 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, porte‑t‑il atteinte aux droits et libertés garantis par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés pour le motif que, d’une manière incompatible avec les principes de justice fondamentale, il prive de leur droit à la liberté et à la sécurité de leur personne les personnes faisant l’objet d’un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux?

Non.

3. Si oui, s’agit-il d’atteintes dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique en vertu de l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

Vu les réponses données aux questions précédentes, il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.

Version française des motifs des juges L’Heureux-Dubé et Gonthier rendus par

//Le juge Gonthier//

Le juge Gonthier —

I. Introduction

102 Dans le cadre du présent pourvoi, nous sommes appelés à déterminer si la partie XX.1 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, contrevient à l’art. 7 ou à l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et, le cas échéant, si elle peut se justifier au sens de l’article premier. J’ai pris connaissance des motifs du juge McLachlin et j'adopte son exposé des faits. Je suis en parfait accord avec ce qui, selon elle, constitue l’objet de la partie XX.1 du Code criminel. Je fais miennes pour l’essentiel son analyse de même que sa conclusion que les dispositions contestées ne violent ni l’art. 7 ni l’art. 15 de la Charte et, par conséquent, que le pourvoi doit être rejeté.

103 J’arrive toutefois à cette conclusion en recourant à une interprétation différente des dispositions en cause, une interprétation qui, à la fois, tient compte du texte clair de la loi et donne effet à l’intention légitime du législateur. De par son libellé même, l’al. 672.54a) du Code criminel exige clairement que le tribunal ou la commission d’examen conclue que l’accusé non responsable criminellement «ne représente pas un risque important pour la sécurité du public» (je souligne) avant de pouvoir rendre une décision portant libération inconditionnelle de celui-ci.

104 À mon sens, l’élément déterminant qui confère au droit criminel un pouvoir préventif vis‑à‑vis de l’accusé non responsable criminellement est l’existence d’un risque pour la sécurité du public. Suivant l’al. 672.54a), le tribunal ou la commission d’examen doit tout d’abord conclure positivement à la dangerosité de l’accusé. Cependant, s’il ne peut arriver à la conclusion que l’accusé ne représente pas un risque important pour la sécurité du public, il peut refuser d’ordonner la libération inconditionnelle. La dangerosité est une chose. Le risque important pour la sécurité du public en est une autre.

105 Je suis donc en désaccord avec la conclusion du juge McLachlin que la partie XX.1 exige que le tribunal ou la commission d’examen rende une décision portant libération inconditionnelle à moins qu’il ne soit en mesure de conclure positivement que l’accusé non responsable criminellement constitue un risque important pour la sécurité du public. À mon avis, une telle interprétation s’écarte indûment et inutilement de l’intention du législateur. Le critère énoncé par la négative à l’art. 672.54 ne viole ni l’art. 7 ni l’art. 15 de la Charte. Il ne porte pas atteinte au droit à la liberté des accusés non responsables criminellement d’une manière incompatible avec les principes de justice fondamentale, non plus qu’à leur droit au même bénéfice de la loi. En conséquence, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

II. Analyse

A. Description et objet de la partie XX.1 du Code criminel

106 Il relève d’un des principes de justice fondamentale de notre système de justice pénale que la personne qui n’a pas engagé sa responsabilité criminelle au moment de l’infraction ne doit pas être déclarée coupable (R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, aux pp. 976 et 995). Ma collègue expose avec justesse l’origine et l’objet de la partie XX.1. Comme elle le dit au par. 20, la partie XX.1 traduit l’intention du législateur d’apporter une solution nouvelle au problème de la criminalité imputable à la maladie mentale «en souscrivant à l’opinion de plus en plus répandue selon laquelle traiter le contrevenant atteint de troubles mentaux comme tout autre contrevenant ne tenait convenablement compte ni de ses droits ni de ceux du public». À cet égard, je suis d’accord avec les observations du juge Doherty dans R. c. LePage (1997), 119 C.C.C. (3d) 193 (C.A. Ont.), aux pp. 203 et 204:

[traduction] La mesure qui s’impose à l’égard de la personne qui se livre à une activité criminelle parce que des troubles mentaux l’empêchent de respecter la loi a toujours constitué un problème complexe en droit criminel. Il faut tenir compte de l’absence de culpabilité au sens du droit criminel, mais il faut aussi assurer la protection adéquate de la collectivité contre les contrevenants que des troubles mentaux empêchent de respecter la loi. Le Code criminel actuel tente d’atteindre ces deux objectifs . . .

107 Il y a moins de 20 ans, il était courant qu’un tribunal inflige une peine d’emprisonnement sans faire de recommandations particulières quant à l’opportunité d’un traitement: voir M. E. Schiffer, Mental Disorder and the Criminal Trial Process (1978), aux pp. 244 et suiv. Comme le précise à juste titre ma collègue, «[l]a partie XX.1 se dissocie de la notion voulant que le malade mental accusé d’une infraction puisse seulement être déclaré coupable ou être acquitté; elle propose une troisième voie» (au par. 21).

108 Le verdict de non‑responsabilité criminelle n’est ni un verdict de culpabilité ni un acquittement. Il ne s’agit pas non plus d’un verdict de dangerosité. Au contraire, la partie XX.1 exige de la commission d’examen ou du tribunal qu’il détermine si l’accusé non responsable criminellement est dangereux.

109 La société et les accusés non responsables criminellement ont des intérêts communs en ce sens qu’empêcher la répétition de crimes dangereux par le recours à un traitement bénéficie aux deux groupes.

110 L’objectif des dispositions contestées du Code criminel est de protéger le public contre les personnes dangereuses qui ont commis des actes criminels et ce, en prévenant la répétition de ces actes. L’incitation au traitement est le moyen d’atteindre cet objectif de la protection du public. Comme le fait remarquer le juge en chef Lamer dans Swain, précité, à la p. 1007, «personne ne conteste que la condamnation à une peine peut toucher à la question de la réinsertion. [. . .] Si le Parlement choisit de répondre à une conduite prohibée par le Code criminel en se préoccupant davantage de la réinsertion, il ne perd pas de ce fait sa compétence législative.»

111 Les objectifs que sont la réinsertion du contrevenant et la protection du public s’entrelacent et, comme je l’indique plus loin, ils sous‑tendent le choix de la décision la moins sévère et la moins privative de liberté possible à l’égard de l’accusé non responsable criminellement jugé dangereux. En résumé, pour reprendre les mots du juge en chef McEachern: [traduction] «La loi a pour objet de traiter humainement les personnes qui souffrent de troubles mentaux et de ne restreindre leur liberté que dans la mesure nécessaire pour assurer la sécurité du public» (Winko c. British Columbia (Forensic Psychiatric Institute) (1996), 112 C.C.C. (3d) 31 (C.A.C.-B.), à la p. 60).

B. Interprétation de l’art. 672.54 du Code criminel

112 La question fondamentale que soulève le présent pourvoi est de savoir si le législateur a établi un juste équilibre entre les intérêts de l’accusé non responsable criminellement et ceux de l’État liés à la sécurité du public. Notre Cour s’est penchée sur cette question dans R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, à la p. 180; Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143, aux pp. 151 et 152; R. c. L. (D.O.), [1993] 4 R.C.S. 419, aux pp. 461, 471 et 472. Il est bien établi que les principes de justice fondamentale ne doivent pas être appliqués en tenant compte uniquement des intérêts de la partie qui les invoque: Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, aux pp. 589 et 590. Il est raisonnable de restreindre la liberté de l’accusé non responsable criminellement au nom de la sécurité du public. Le juge en chef Lamer dit d’ailleurs dans Swain, précité, à la p. 1008, qu’«il ne fait pas de doute que le Parlement peut, en soupesant les droits individuels et la nécessité de protéger la société, prévoir une certaine forme d’examen.»

113 Pour déterminer s’il y a violation de l’art. 7 de la Charte, notre Cour doit tenir compte du contexte, y compris la nature de la décision à rendre en application de la disposition contestée: Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, à la p. 833, le juge La Forest, et à la p. 848, le juge McLachlin; Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75, à la p. 98. Il est évident que le choix de la peine la plus appropriée à l’égard d’un contrevenant en particulier intéresse à la fois la sécurité du public et la détermination de la peine en général. Comme je l’ai dit au nom de la majorité dans R. c. Jones, [1994] 2 R.C.S. 229, aux pp. 290 et 291, «[l]a préoccupation relative aux intérêts de la société n’est ni nouvelle ni limitée aux procédures visant à déterminer si un délinquant est dangereux. Elle a toujours existé dans notre système général de détermination de la peine. [. . .] À l’étape de la détermination de la peine, l’accent est mis davantage sur les intérêts de la société». Voir également R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, à la p. 329; C. C. Ruby, Sentencing (4e éd. 1994), aux pp. 16 et 17. Le droit du public à la sécurité et le droit de l’accusé non responsable criminellement à un traitement adapté à sa situation particulière dans le cadre du système de justice pénale se rejoignent.

114 Manifestement, la présente espèce ne porte pas sur la détermination de la peine au sens traditionnel. Il s’agit plutôt de déterminer quelle décision ou ordonnance doit être rendue à l’égard d’un accusé qui a été déclaré non responsable criminellement. Ce type de contrevenant se distingue suffisamment pour que le droit criminel établisse un régime particulier, ce qu’il a fait. Cependant, les deux démarches, que ce soit la détermination de la peine ou le prononcé d’une décision, ont en commun un élément crucial. L’un et l’autre fixent à quel moment et à quelles conditions le contrevenant pourra réintégrer la collectivité ou, de façon plus générale, côtoyer le public. Par conséquent, les intérêts de l’accusé non responsable criminellement sont pondérés par des intérêts sociétaux d’une grande importance, soit ceux liés à la sécurité de la collectivité. Bien que, sous certains rapports, ces intérêts puissent paraître opposés, ils sont en grande partie compatibles et demandent une solution commune.

115 C’est dans ce contexte que l’art. 672.54 doit être interprété. Voici, pour en faciliter la consultation, le texte de la disposition contestée.

672.54 Pour l’application du paragraphe 672.45(2) ou de l’article 672.47, le tribunal ou la commission d’examen rend la décision la moins sévère et la moins privative de liberté parmi celles qui suivent, compte tenu de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale:

a) lorsqu’un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux a été rendu à l’égard de l’accusé, une décision portant libération inconditionnelle de celui‑ci si le tribunal ou la commission est d’avis qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public;

b) une décision portant libération de l’accusé sous réserve des modalités que le tribunal ou la commission juge indiquées;

c) une décision portant détention de l’accusé dans un hôpital sous réserve des modalités que le tribunal ou la commission juge indiquées.

116 Le texte anglais est le suivant.

672.54 Where a Court or Review Board makes a disposition pursuant to subsection 672.45(2) or section 672.47, it shall, taking into consideration the need to protect the public from dangerous persons, the mental condition of the accused, the reintegration of the accused into society and the other needs of the accused, make one of the following dispositions that is the least onerous and least restrictive to the accused:

(a) where a verdict of not criminally responsible on account of mental disorder has been rendered in respect of the accused and, in the opinion of the court or Review Board, the accused is not a significant threat to the safety of the public, by order, direct that the accused be discharged absolutely;

(b) by order, direct that the accused be discharged subject to such conditions as the court or Review Board considers appropriate; or

(c) by order, direct that the accused be detained in custody in a hospital, subject to such conditions as the court or Review Board considers appropriate.

117 J’estime que cet article relève de l’exercice légitime de la compétence du Parlement en matière de droit criminel. Le Parlement n’est pas entravé par la Charte ou autrement au point de ne pouvoir établir un régime dans le cadre duquel la décision la moins sévère et la moins privative de liberté puisse être rendue à l’égard de l’accusé non responsable criminellement à moins que le tribunal ou la commission d’examen ne soit d’avis que l’accusé ne représente pas un risque important pour la sécurité du public. Je crois que l’al. 672.54a) respecte le critère énoncé dans Swain, précité, à la p. 1008:

À mesure que s’amenuise le danger que présentait l’individu pour la société, le droit criminel perd progressivement son emprise et les aspects coercitifs du mandat sont assouplis jusqu’au jour où l’individu est libéré de toute surveillance sous l’empire du Code criminel. [Je souligne.]

118 Suivant l’arrêt Swain, l’élément déterminant de l’application du droit criminel à l’accusé non responsable criminellement est le risque auquel il expose la société. Comme le signale le juge en chef Lamer dans Swain, à la p. 999, «il est [. . .] reconnu depuis longtemps que le pouvoir en matière de droit criminel comporte aussi un aspect préventif». Voir également Attorney‑General of Canada c. Pattison (1981), 59 C.C.C. (2d) 138 (C.A. Alb.); R. c. Parks, [1992] 2 R.C.S. 871, aux pp. 892 à 895, le juge en chef Lamer, dissident en partie, à la p. 909, le juge La Forest, et à la p. 911, le juge Sopinka; P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (feuillets mobiles), vol. 1, aux pp. 18-19 et 18‑20.

119 L’élément déterminant n’est pas l’existence d’un risque «important» pour la sécurité du public. Je suis donc en désaccord avec l’interprétation de l’arrêt Swain, précité, par le juge McLachlin et avec son affirmation au par. 47, selon laquelle, «sur le plan constitutionnel, le droit criminel ne peut restreindre la liberté de l’accusé non responsable criminellement que pour protéger le public contre des risques importants en ce qui concerne sa sécurité» (je souligne).

120 Pour préserver la sécurité du public, la compétence en matière de droit criminel à laquelle est assujetti l’accusé non responsable criminellement doit être exercée, quant à son aspect préventif, à l’égard des personnes qui représentent un risque, et non seulement un risque important, pour la sécurité du public. La différence entre mon interprétation de l’art. 672.54 et celle proposée par le juge McLachlin réside donc dans l’élément déterminant de l’application du droit criminel à l’accusé non responsable criminellement.

121 Le paragraphe introductif de l’art. 672.54 énonce la règle applicable à la décision qui doit être rendue. Premièrement, le tribunal ou la commission d’examen doit tenir compte de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale. Deuxièmement, il lui incombe de rendre la décision la moins sévère et la moins privative de liberté possible.

122 Si la disposition contestée était constituée du seul paragraphe introductif, je ne vois pas comment on pourrait conclure qu’elle viole l’art. 7 de la Charte. L’alinéa a) ajoute à la protection de l’accusé en prévoyant sa libération inconditionnelle lorsque le tribunal ou la commission d’examen est d’avis qu’il «ne représente pas un risque important pour la sécurité du public», même s’il est dangereux.

123 Suivant un principe capital d’interprétation des lois, il faut donner aux termes employés leur sens ordinaire en harmonie avec l’objet de la loi. Récemment, les juges Cory et Iacobucci ont écrit au nom de la Cour dans l’arrêt R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, au par. 25: «il faut, pour interpréter correctement une disposition de la loi, lire les termes de la disposition en suivant leur sens grammatical et ordinaire et dans leur contexte global, en harmonie avec l’économie générale de la loi, son objet ainsi que l’intention du législateur». Voir également Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, aux pp. 40 et 41; P.‑A. Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990), à la p. 243; E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87; R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), à la p. 131.

124 L’interprétation d’une disposition contestée doit débuter par la lecture des termes employés. À sa face même, le libellé du paragraphe introductif et de l’al. 672.54a) établit clairement que le critère est énoncé dans la négative. Aucun élément dans cet article ou ailleurs à la partie XX.1 n’indique que le libellé négatif a un autre sens que celui qui découle du sens courant des termes employés, c.‑à‑d. exiger la confirmation d’une proposition négative, savoir que l’accusé ne représente pas un risque important: Thomson c. Canada (Sous-ministre de l'Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385, à la p. 400. Cette interprétation est compatible avec la décision des instances inférieures dans la présente affaire et dans les pourvois connexes, ainsi qu’avec la jurisprudence en général. Voir, par exemple, L’Hirondelle c. Forensic Psychiatric Institute (B.C.) (1998), 106 B.C.A.C. 9; R. c. Peckham (1994), 19 O.R. (3d) 766 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi refusée, [1995] 1 R.C.S. ix.

125 Comme tout autre texte de loi, le Code criminel doit évidemment être interprété en fonction de la Charte et des valeurs qu’elle consacre. Cependant, les tribunaux ne doivent pas s’écarter du «sens ordinaire» des mots, sauf ambiguïté. En l’espèce, la loi ne se prête pas à plus d’une interprétation. Il n’y a aucune ambiguïté. Notre Cour n’est donc pas appelée à choisir, parmi plusieurs interprétations possibles, celle qui rendrait la loi valide, suivant le principe selon lequel les tribunaux privilégient l’interprétation qui satisfait aux exigences constitutionnelles (Sullivan, op. cit., à la p. 322). Le juge Lamer (maintenant Juge en chef) l’a affirmé clairement dans l’arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, à la p. 1078. En l’absence de toute ambiguïté, il n’y a pas lieu de modifier le sens des mots ni de reformuler la disposition: «[C]ette Cour ne doi[t] pas ajouter ou retrancher un élément à une disposition législative de façon à la rendre conforme à la Charte» (je souligne). En l’espèce, non seulement le législateur s’est exprimé, mais il l’a fait clairement.

126 Il ne s’agit pas non plus, en l’occurrence, d’une affaire où notre Cour doit recourir à l’interprétation atténuée pour écarter les applications qui sont possibles sur le plan grammatical, mais qui sont contraires à la Constitution: Sullivan, op. cit., à la p. 327. Le critère énoncé par la négative à l’al. 672.54a) ne vise que l’existence d’un risque important pour la sécurité du public et il est légitime pour les motifs énumérés ci‑après. Les dispositions contestées peuvent donc être interprétées suivant leur sens ordinaire, un sens qui est constitutionnel.

127 Manifestement, la nécessité de protéger le public contre un danger est une condition essentielle à la limitation de la liberté de l’accusé non responsable criminellement, et elle doit être établie. Toutefois, le législateur n’exige pas une conclusion positive que l’accusé représente un risque important pour la sécurité du public aux fins de la prise de mesures de protection et du prononcé de la décision la moins sévère et la moins privative de liberté à l’exclusion de la décision portant libération inconditionnelle. Comme le dit le juge en chef McEachern dans l’affaire Orlowski c. British Columbia (Attorney-General) (1992), 75 C.C.C. (3d) 138 (C.A.C.‑B.), à la p. 146:

[traduction] La question du «risque important» est cependant des plus importantes, car le législateur n’a laissé à la commission aucun autre choix que celui de la libération inconditionnelle si elle est d’avis que l’accusé ne représente pas un risque important.

. . . l’al. 672.54a) est libellé de telle manière que la commission n’est tenue d’accorder la libération inconditionnelle que si elle est d’avis que l’accusé ne représente pas un risque important. Si la commission n’est pas de cet avis, elle n’est pas tenue d'ordonner la libération inconditionnelle.

. . . La commission doit conclure de façon affirmative que l’accusé ne représente pas un risque important pour que l’al. 672.54a) s’applique. [Italiques dans l'original; je souligne.]

Voir également Peckham, précité.

128 On reconnaît généralement qu’il est difficile de se prononcer sur la dangerosité d’une personne. Voir le par. 57 des motifs du juge McLachlin; Schiffer, op. cit., aux pp. 229 à 235 et 255; M. Roth, «Modern Psychiatry and Neurology and the Problem of Responsibility» dans S. J. Hucker, C. D. Webster et M. H. Ben‑Aron, dir., Mental Disorder and Criminal Responsibility (1981), aux pp. 104 à 109.

129 Le législateur a voulu remédier à la difficulté de prédire la dangerosité. Comme l’écrit le juge McLachlin: «il n’est pas réaliste de s’attendre à ce qu’un régime chargé d’évaluer l’incidence de facteurs individuels et humains sur des événements à venir engendre des certitudes absolues» (au par. 59). Les observations du juge en chef Lamer relatives au système de mise en liberté sous caution, dans l’arrêt R. c. Morales, [1992] 3 R.C.S. 711, aux pp. 738 et 739, sont également pertinentes:

Certes, il est sans aucun doute vrai qu’il est impossible de faire des prédictions exactes au sujet de la récidive et de la dangerosité future, mais la prévisibilité exacte de la dangerosité future n’est pas une exigence constitutionnelle . . .

Le système de mise en liberté sous caution a toujours tenté d’évaluer la probabilité de la dangerosité future tout en reconnaissant que les prédictions exactes à cet égard sont impossibles. [Je souligne.]

130 L’article 7 de la Charte ne peut tout simplement pas reconnaître à l’accusé non responsable criminellement un droit constitutionnel à quelque chose d’impossible sur le plan médical. Il incombe au législateur de pondérer avec soin l’intérêt de l’accusé, compte tenu des progrès réalisés à ce jour par la médecine, et l’intérêt sociétal que constitue la protection de la sécurité du public.

131 En raison de son caractère central, la notion de dangerosité nécessite un examen plus approfondi. Qu’entend‑on par l’expression «risque important pour la sécurité du public»? Le Concise Oxford Dictionary of Current English (9e éd. 1995), définit le mot «threat» comme une «declaration of an intention to punish or hurt» ou «an indication of something undesirable coming». Le mot «safety» est défini comme suit: «being safe; freedom from danger or risks». Le mot «danger» s’entend de «liability or exposure to harm». L’adjectif «dangerous» signifie «involving or causing danger». Le Webster’s Third New International Dictionary (1986), définit «threat» comme «an indication of something impending and usu. undesirable or unpleasant» ou «an expression of an intention to inflict evil, injury, or damage on another» ou «something that by its very nature or relation to another threatens the welfare of the latter». Le mot «safety» signifie «the condition of being safe; freedom from exposure to danger; exemption from hurt, injury or loss [. . .]; the quality or state of not presenting risks». Le mot «danger» est défini comme suit: «the state of being exposed to harm; liability to injury, pain, or loss; peril, risk»; sa définition s’accompagne d’une observation supplémentaire: «Danger, the general term, implies the contingent evil». Voici ce qui figure dans le Random House Dictionary of the English Language (2e éd. 1987), en regard du mot «danger»: «danger, hazard, peril, jeopardy imply harm that one may encounter. Danger is the general word for liability to all kinds of injury or evil consequences, either near at hand and certain, or remote and doubtful» (je souligne). L’adjectif «dangerous» est défini comme suit: «able or likely to cause physical injury».

132 Dans Le Nouveau Petit Robert (1996), «dangereux» s’entend de ce «[q]ui constitue un danger, présente du danger, expose à un danger» et «danger» de «[c]e qui menace ou compromet la sûreté, l’existence de qqn ou de qqch; situation qui en résulte». Le terme «risque» est défini ainsi: «Danger éventuel plus ou moins prévisible». Enfin, la définition de «sécurité» est la suivante: «État d’esprit confiant et tranquille d’une personne qui se croit à l’abri du danger» ou «Situation, état tranquille qui résulte de l’absence réelle de danger (d’ordre matériel ou moral)». Dans le Dictionnaire de la langue française ‑ Lexis de Larousse (1992), le mot «dangereux» est défini comme suit: «Se dit de choses ou d’êtres animés qui constituent un danger», le mot «danger» s’entendant des «[c]irconstances où l’on est exposé à un mal, à un inconvénient; ce qui légitime une inquiétude». Le terme «risque» est défini ainsi: «Danger, inconvénient plus ou moins prévisible». Le mot «sécurité» renvoie à une «[s]ituation où l’on n’a aucun danger à craindre».

133 En ce qui concerne la protection du public, soit l’objet de l’art. 672.54, l’examen des définitions données ci-dessus permet de conclure que «dangereux» et «qui représente un risque pour la sécurité du public» sont synonymes. L’accusé non responsable criminellement et qui est dangereux représente un risque pour la sécurité du public. Toutefois, cet accusé dangereux peut ne pas constituer un risque «important» pour la sécurité du public.

134 Le législateur utilise les deux expressions à l’art. 672.54. Il s’ensuit logiquement qu’elles ne sont pas interchangeables dans la mesure où, selon une autre règle de base en matière d’interprétation, il est présumé que le législateur s’exprime avec soin et uniformité d’expression. Par conséquent, dans une loi, on présume que les mots identiques ont un sens identique et que les mots différents ont des sens différents: R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378, à la p. 1387; R. c. Barnier, [1980] 1 R.C.S. 1124, aux pp. 1135 et 1136; Côté, op. cit., à la p. 313; Sullivan, op. cit., aux pp. 163 à 165.

135 On conclut aisément à la lecture de l’art. 672.54 que le législateur a envisagé deux niveaux de dangerosité, celui où l’accusé est dangereux et celui où il représente un risque important pour la sécurité du public. Pour rendre la décision qui s’impose, le tribunal ou la commission d’examen doit tenir compte de la «nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses». Cependant, il ne peut rendre une décision portant libération inconditionnelle qu’à l’égard de l’accusé non responsable criminellement qui ne constitue pas un risque important pour la sécurité du public.

136 On ne peut faire fi de la formulation négative de l’al. 672.54a) ni faire abstraction de l’utilisation, par le législateur, d’expressions différentes correspondant à des niveaux de dangerosité différents et ce, à des fins différentes. Avec égards, je suis en désaccord avec le juge McLachlin lorsqu’elle affirme que «le législateur, à la partie XX.1, a attribué à la notion de "dangerosité" un sens plus précis et plus restreint» (par. 57).

137 Il existe une différence importante entre le risque pour la sécurité du public et le risque important pour la sécurité du public. Voici ce qu’a conclu le juge en chef McEachern dans l’affaire Orlowski, précité, à la p. 147:

[traduction] [I]l y a une distinction entre un risque pour la sécurité du public et le risque «important» visé à l’al. 672.54a), et l’accusé ne peut se voir refuser la libération inconditionnelle simplement parce qu’il peut représenter un risque pour la sécurité du public. En fait, la disposition permet cette mesure même lorsque la commission est d’avis que l’accusé représente un risque pour la sécurité du public, mais que ce risque n’est pas important. La distinction est des plus importantes pour l’accusé et elle peut être déterminante dans de nombreuses affaires.

138 Même si le tribunal ou la commission d’examen arrive à la conclusion que l’accusé non responsable criminellement est une personne dangereuse, il est possible qu’il ait besoin d’un complément d’enquête, c.‑à‑d. d’un délai supplémentaire pour évaluer plus à fond l’état de l’accusé, avant de pouvoir conclure qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public: Winko, précité, le juge en chef McEachern, à la p. 54.

139 La partie XX.1 exige la libération inconditionnelle de l’accusé non responsable criminellement si, selon le tribunal ou la commission d’examen, il ne constitue pas un risque important pour la sécurité du public, même s’il est dangereux et constitue un risque pour la sécurité du public. Cependant, comme le refus de la libération inconditionnelle doit correspondre à la décision la moins sévère et la moins privative de liberté dans les circonstances, pour opposer ce refus, le tribunal ou la commission d’examen doit non seulement conclure à la dangerosité, mais il doit aussi avoir un motif de ne pouvoir arriver à la conclusion que l’accusé ne représente pas un risque important. En d’autres termes, la dangerosité de l’accusé doit être telle qu’elle soulève la question de savoir s’il représente un risque important pour la sécurité du public et, en outre, que le tribunal ou la commission d’examen ne puisse arriver à la conclusion qu’il ne constitue pas un tel risque.

140 Je suis d’accord avec les observations du juge McLachlin concernant la définition d’un risque «important» (par. 57). En résumé, il doit s’agir d’un risque véritable qu’un préjudice physique ou psychologique soit infligé aux membres de la collectivité.

141 Je partage également son avis au sujet des facteurs pertinents dont le tribunal ou la commission d’examen doit tenir compte pour déterminer si l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public (aux par. 60 et 61). Ces facteurs englobent la nature du préjudice susceptible d’être infligé, la probabilité que le comportement en question se manifeste, la période pendant laquelle le comportement est susceptible de se manifester et le nombre de personnes exposées au risque. Dans l’ensemble, le risque pour la sécurité du public doit être important.

142 La question cruciale qui se pose souvent est de savoir si l’accusé devrait ou non demeurer soumis au pouvoir de la commission d’examen et être traité pour sa maladie mentale.

143 Certains accusés non responsables criminellement réagissent bien à la médication. Il arrive que les symptômes de la maladie puissent être maîtrisés et stabilisés par l’administration de médicaments et que l’accusé doive continuer de les prendre pour éviter la détérioration de son état mental. La commission d’examen doit évaluer le risque d’interruption de la médication et déterminer si une rechute psychiatrique exposerait le public à un risque.

144 Dans la présente affaire, par exemple, la commission d’examen et la Cour d’appel ont conclu que l’état de M. Winko est relativement stable lorsqu’il prend ses médicaments. Toutefois, il a été jugé incapable de reconnaître son besoin de médicaments, et, lorsqu’il a interrompu la médication, il a à nouveau entendu des voix. Monsieur Winko a commis des voies de fait graves avec une arme contre deux piétons après avoir cru entendre les victimes lui dire [traduction] «pourquoi ne te jettes‑tu pas sur une femme pour lui faire du mal?», «tu te rends au West End pour tuer quelqu’un», «tu sais que tu ne peux pas tuer une femme» et «tu es un lâche». Winko c. Forensic Psychiatric Institute (B.C.) (1996), 79 B.C.A.C. 1, à la p. 4.

145 En résumé, interprété correctement, l’al. 672.54a) exige du tribunal ou de la commission d’examen qu’il tire tout d’abord une conclusion positive de dangerosité, c.‑à‑d. que l’accusé non responsable criminellement représente effectivement un risque pour la sécurité du public. La dangerosité n’est pas présumée.

146 Si le tribunal ou la commission d’examen conclut que l’accusé ne représente pas un risque pour la sécurité du public, l’examen prend fin et l’accusé bénéficie d’une libération inconditionnelle.

147 S’il conclut que l’accusé est dangereux, il lui faut ensuite déterminer s’il représente ou non un risque important pour la sécurité du public. Il n’est pas nécessaire de conclure que l’accusé représente un tel risque pour ordonner la prise de mesures de protection. Il appert de la formulation négative de l’al. 672.54a) que le législateur a voulu, lorsque le tribunal ou la commission d’examen n’est pas en mesure, après avoir déterminé que l’accusé représente un risque pour la sécurité du public, de se faire une opinion quant à l’importance du risque, qu’il puisse maintenir certaines mesures de protection jusqu’à la révision du dossier en rendant la décision la moins sévère et la moins privative de liberté compte tenu de la preuve.

148 En conclusion, pour ce qui est de l’interprétation de la loi, je suis d’accord avec l’essentiel du résumé du juge McLachlin qui figure au par. 62 de ses motifs et qui fait état des obligations du tribunal ou de la commission d’examen chargé de l’application de l’art. 672.54 (les points 1, 4, 5, 6, 7 et 9 du par. 62). Toutefois, vu l’interprétation que je fais de cette disposition, je suis en désaccord avec ses affirmations aux points 3 et 8. En outre, je reformulerais le point 2, qui ne me paraît pas traduire fidèlement la position de ma collègue telle qu’elle ressort de son analyse au par. 57. Je remplacerais les points 2, 3 et 8 et je modifierais légèrement le point 9. Le résumé deviendrait donc le suivant.

1. Le tribunal ou la commission d’examen doit tenir compte de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé non responsable criminellement et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale. Le tribunal ou la commission d’examen doit, dans chaque cas, répondre à la question suivante: la preuve établit‑elle que l’accusé non responsable criminellement représente «un risque important pour la sécurité du public»?

2. Un «risque important pour la sécurité du public» signifie un risque véritable qu’un préjudice physique ou psychologique grave soit infligé aux membres de la collectivité. Les facteurs pertinents englobent la nature du préjudice susceptible d’être infligé, la probabilité que le comportement en question se manifeste, la période pendant laquelle le comportement est susceptible de se manifester et le nombre de personnes exposées au risque.

3. Il n’y a pas de présomption que l’accusé non responsable criminellement est une personne dangereuse. Il ne peut être privé de sa liberté de quelque manière sans que l’on ne conclue positivement qu’il constitue effectivement une personne dangereuse. En outre, le tribunal ou la commission d’examen doit rendre une décision portant libération inconditionnelle s’il peut arriver à la conclusion que l’accusé ne représente pas un risque important pour la sécurité du public.

4. La procédure devant le tribunal ou la commission d’examen n’est pas contradictoire. Lorsque les parties ne fournissent pas suffisamment de renseignements, il incombe au tribunal ou à la commission d’examen de chercher à obtenir les éléments de preuve dont il a besoin pour rendre sa décision. Dans le cas où c’est le tribunal qui examine l’affaire, celui‑ci peut, dans les circonstances, conclure qu’il ne peut facilement rendre une décision sans délai et que l’affaire doit être examinée par la commission d’examen. Peu importe l’organisme qui examine l’affaire, l’accusé non responsable criminellement n’a jamais ultimement le fardeau d’établir qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public.

5. Le tribunal ou la commission d’examen dispose de tout un éventail d’éléments de preuve pour déterminer si l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public. Ces éléments peuvent comprendre la façon dont se sont déroulés, le cas échéant, le traitement de l’accusé et les résultats anticipés, l’état de santé actuel de celui‑ci, ses projets pour l’avenir, les services de soutien dont il peut se prévaloir au sein de la collectivité, et les résultats des évaluations des experts qui l’ont examiné. Cette liste n’est pas exhaustive.

6. Le fait que l’accusé non responsable criminellement a déjà commis une infraction alors qu’il souffrait de troubles mentaux n’établit pas en soi qu’il représente toujours un risque important pour la sécurité du public. Cependant, il peut être tenu compte du fait qu’il a déjà commis un acte criminel, ainsi que d’autres circonstances, lorsque cela est pertinent en vue de cerner une certaine tendance comportementale et, par conséquent, de déterminer s'il représente un risque important pour la sécurité du public. Le tribunal ou la commission d’examen doit, en tout temps, examiner les circonstances propres à l’accusé dont il est question.

7. Si le tribunal ou la commission d’examen conclut que l’accusé non responsable criminellement ne représente pas un risque important pour la sécurité du public, il doit rendre une décision portant libération inconditionnelle.

8. Si le tribunal ou la commission d’examen conclut que l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public ou si, après avoir conclu que l’accusé est effectivement une personne dangereuse, il ne peut arriver à une conclusion quant à l’importance du risque que représente l’accusé, deux choix s’offrent à lui. Il peut soit rendre une décision portant libération de l’accusé sous réserve des modalités qu’il juge indiquées (al. 672.54b)), soit rendre une décision portant détention de l’accusé dans un hôpital sous réserve des modalités qu’il juge indiquées (al. 672.54c)).

9. Lorsqu’il choisit de rendre une décision portant libération conditionnelle de l’accusé non responsable criminellement ou une décision portant détention de celui‑ci dans un hôpital et qu’il décide des modalités qui s’imposent, le cas échéant, le tribunal ou la commission d’examen doit, encore une fois, rendre la décision la moins sévère et la moins privative de liberté, compte tenu de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale.

C. L’article 7 de la Charte

149 C’est en ayant à l’esprit cette interprétation de l’art. 672.54 que je me penche sur les prétentions de l’appelant fondées sur l’art. 7 de la Charte. Il s’agit essentiellement de trois reproches. Premièrement, l’appelant soutient que l’art. 672.54 fait reposer le fardeau de la preuve sur l’accusé non responsable criminellement. Deuxièmement, il fait valoir que la disposition contestée crée une présomption de dangerosité. Troisièmement, le régime aurait une portée excessive par rapport à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du législateur.

150 L’appelant reconnaît que le fardeau de la preuve ne lui est pas expressément imposé. Il allègue cependant que le fardeau de la preuve lui incombe dans les faits. Je suis tout à fait d’accord avec la conclusion du juge McLachlin, savoir que la procédure visée en l’espèce est de type inquisitoire, et non contradictoire, de sorte que l’accusé non responsable criminellement n’est pas tenu de prouver qu’il n’est pas dangereux (aux par. 53 à 55 et 70). Comme elle le dit au par. 52, l’art. 672.54 «se distingue des autres dispositions du Code criminel du Canada en ce qu’il n’impose aucun fardeau de la preuve à l’une ou l’autre des parties. Il n’établit pas de procédure de type contradictoire au sens habituel de ce terme». Le législateur impose plutôt au tribunal ou à la commission d’examen l’obligation de réunir des éléments de preuve et lui accorde les pouvoirs nécessaires à cette fin: Winko c. British Columbia (Forensic Psychiatric Institute), précité, à la p. 57, le juge en chef McEachern.

151 Dès lors que l’on reconnaît la nature inquisitoire de l’audition devant le tribunal ou la commission d’examen, la proposition voulant que l’accusé non responsable criminellement ait le fardeau de la preuve ne résiste pas à l’analyse. C’est d’ailleurs ce qui ressort de la jurisprudence: voir Davidson c. British Columbia (Attorney-General) (1993), 87 C.C.C. (3d) 269 (C.A.C.‑B.); Peckham, précité; Winko c. British Columbia (Forensic Psychiatric Institute), précité; LePage, précité; R. c. Lewis (1999), 132 C.C.C. (3d) 163 (C.A.). La formulation négative de l’al. 672.54a) devient non pertinente. La seule conclusion que la procédure est de type inquisitoire entraîne le rejet de l’allégation selon laquelle le fardeau de la preuve repose dans les faits sur l’accusé non responsable criminellement. Il n’est donc pas nécessaire d’interpréter l’al. 672.54a) comme exigeant du tribunal ou de la commission d’examen qu’il conclue positivement que l’accusé représente un danger important pour déterminer qu’aucun fardeau de la preuve n’incombe à ce dernier.

152 L’appelant avance par ailleurs que l’art. 672.54 crée une présomption de dangerosité. Il prie notre Cour de reconnaître que le problème que crée la formulation négative du critère à l’art. 672.54 est que, en l’absence de tout élément de preuve concernant la dangerosité future, le tribunal ou la commission d’examen peut décider de ne pas ordonner la libération inconditionnelle.

153 Ni mon interprétation de l’art. 672.54 ni celle que propose le juge McLachlin ne permettent de conclure à l’existence d’une présomption de dangerosité. Le tribunal ou la commission d’examen doit déterminer si l’accusé non responsable criminellement est une personne dangereuse. S’il ne conclut pas positivement en ce sens, il doit rendre une décision portant libération inconditionnelle. Par conséquent, l’art. 672.54 ne crée aucune présomption de dangerosité.

154 Le seul accusé non responsable criminellement dont la liberté sera limitée malgré le prononcé de la décision la moins sévère et la moins privative de liberté qui soit est celui qui est dangereux. Même si les principes de justice fondamentale exigent une conclusion positive quant à la dangerosité de l’accusé, ils permettent que toute incertitude quant à l’étendue du risque que représente l’accusé, par opposition à l’existence du risque comme telle, soit tranchée au bénéfice de la sécurité du public et ce, par l’établissement d’un élément déterminant pour la prise des mesures de protection qui sont les moins sévères et les moins privatives de liberté possible. Le souci de la population pour qu’un accusé non responsable criminellement n’échappe pas à toute surveillance avant qu’il ne soit établi qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public est manifeste et légitime.

155 L’article 672.54 renvoie à un ensemble de facteurs de pondération. L’article 7 de la Charte n’exige pas autre chose. De toute évidence, l’accusé non responsable criminellement qui n’est pas dangereux doit être libéré inconditionnellement parce qu’il ne compromet pas la sécurité du public. Lorsque cet accusé est dangereux, le pouvoir préventif du droit criminel s’applique à moins que le risque pour la sécurité du public ne soit pas jugé important, ou jusqu’à ce qu’il ne soit plus jugé important. Par ailleurs, dans l’intérim, la liberté de l’accusé est limitée le moins possible, et la décision la moins sévère et la moins privative de liberté est rendue. L’article 672.54 établit un juste équilibre entre l’intérêt de l’accusé et l’intérêt collectif lié à la protection du public.

156 Le juge McLachlin rejette l’argument que l’al. 672.54a) crée une présomption de dangerosité en interprétant la disposition comme exigeant une conclusion positive de dangerosité importante. À mon avis, cette interprétation s’écarte indûment du libellé de la loi, qui respecte pourtant la Charte, et elle compromet la réalisation de l’objet de la loi. Il s’agit d’une ingérence inutile dans l’intention du législateur.

157 L’analyse fondée sur l’art. 7 de la Charte exige l’examen des effets véritables de la partie XX.1 sur le droit à la liberté de l’accusé non responsable criminellement. Bien qu'une décision rendue en vertu de l’art. 672.54 touche le droit à la liberté individuelle et, de ce fait, entraîne l’application de l’art. 7 de la Charte, une analyse plus approfondie de la loi révèle cependant le caractère minimal de l’incidence de l’art. 672.54 sur le droit à la liberté de l’accusé et l’existence de garanties procédurales bien établies.

158 Le régime actuel diffère fondamentalement de celui qui s’appliquait lorsque notre Cour a rendu l’arrêt Swain, précité. L’ancien par. 542(2) privait l’accusé de son droit à la liberté garanti à l’art. 7 en prévoyant qu’il devait être tenu sous garde rigoureuse jusqu’à ce que le bon plaisir du lieutenant‑gouverneur soit connu et ce, sans audition. Dans l’arrêt Swain, notre Cour a statué que cette mesure était contraire aux principes de justice fondamentale.

159 Maintenant, comme tout autre accusé, la personne non responsable criminellement est entendue dans le cadre d’une audience relative à la mise en liberté sous caution. La partie XX.1 ne prévoit aucune détention automatique. Lorsqu’une ordonnance d’évaluation est rendue, elle prime toute ordonnance de mise en liberté provisoire ou de détention (art. 672.17). L’article 672.16 donne priorité à la mise en liberté sauf lorsque la détention est nécessaire pour évaluer l’état mental de l’accusé ou lorsque le ministère public démontre que la détention de l’accusé est justifiée au sens du par. 515(10) (audience relative à la mise en liberté sous caution). Au moment du verdict, l’accusé peut donc être mis en liberté sous caution ou détenu en vertu d’une ordonnance de détention.

160 Il est pleinement loisible à l’accusé de contester toute limitation projetée de sa liberté lors de l’audience initiale relative à la mise en liberté sous caution et dans le cadre de toute demande subséquente du ministère public visant à modifier l’ordonnance de mise en liberté sous caution. En outre, s'il n'est pas satisfait de l’ordonnance de mise en liberté sous caution ou de détention applicable au moment du verdict, l'accusé peut en demander la modification.

161 Le juge McLachlin décrit fort bien aux par. 23 à 29 de ses motifs les autres garanties procédurales qui sont prévues à la partie XX.1 et qui assurent, sous plusieurs rapports, la protection de l’accusé non responsable criminellement. Le dossier de l’accusé doit être examiné avec diligence en respectant les délais prescrits. Une révision doit avoir lieu périodiquement, ainsi qu’après un resserrement des privations de liberté imposées à l’accusé. Des droits très étendus en matière de révision et d’appel sont également accordés à l’accusé de même qu’aux personnes chargées de son traitement et à toute autre personne intéressée que désigne le tribunal ou la commission d’examen.

162 Il ressort de l’examen des dispositions législatives applicables, compte tenu de l’interprétation appropriée de l’art. 672.54, que les prétentions de l’appelant selon lesquelles un accusé non responsable criminellement peut être privé de sa liberté sans que sa dangerosité ne soit établie au préalable, ne sont pas fondées.

163 De plus, il est inapproprié et trompeur d’aborder la question de la constitutionnalité des dispositions en cause sous l’angle d'une simple dichotomie entre «détention», d’une part, et «libération inconditionnelle», d’autre part. Comme le signale le juge Goldie dans Davidson, précité, à la p. 278, [traduction] «[c]ontrairement à la déclaration de culpabilité et à l’acquittement qui se situent à des pôles opposés, les options qui s’offrent à la commission lorsque la libération inconditionnelle ne constitue pas une mesure acceptable sont nombreuses.»

164 La gamme étendue des décisions susceptibles d’être rendues va de la mise en liberté totale dans la collectivité sous réserve de la seule exigence de se présenter à une audition une fois l’an ou de se présenter périodiquement à un centre de consultation externe et de participer à des séances de counselling, de la vie au sein de la collectivité sous surveillance rigoureuse ou des visites sans surveillance dans la collectivité, à une extrémité du spectre, à la vie en salle commune ouverte ou en salle d’isolement dans un hôpital ou à la détention dans un hôpital à sécurité moyenne ou maximale, à l’autre extrémité du spectre.

165 L’accusé non responsable criminellement et qui est dangereux ne peut être assujetti qu’à la décision et aux conditions qui sont les moins sévères et les moins privatives de liberté, compte tenu de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale: British Columbia (Forensic Psychiatric Institute) c. Johnson, [1995] B.C.J. No. 2247 (Q.L.) (C.A.), au par. 50.

166 Le tribunal ou la commission d’examen se livre à un exercice de gestion du risque. La mise sous garde ou l’internement n’est opportun que s’il s’agit de la décision la moins sévère possible, c’est-à-dire de la seule façon d’éviter que le risque pour la sécurité du public ne se réalise. Je vois mal comment le prononcé de la décision la moins sévère et la moins privative de liberté possible puisse être excessif ou contraire par ailleurs aux principes de justice fondamentale.

167 L’appelant fait valoir que l’art. 672.54 a une portée excessive parce qu’il s’applique aux infractions de moindre gravité. Selon un argument connexe, en l’absence de dispositions permettant de déterminer la durée maximale de la garde, la durée éventuelle de la privation de liberté n’est pas proportionnelle à la gravité de l’infraction. Par conséquent, les moyens choisis ne sont pas, prétend-il, raisonnablement susceptibles de permettre d’atteindre l’objectif recherché.

168 Premièrement, il faut signaler que la partie XX.1 ne prévoit aucune décision dont la durée d’application est indéterminée, purement et simplement, car la révision de novo du dossier de l’accusé non responsable criminellement doit avoir lieu périodiquement: Blackman c. British Columbia (Review Board) (1995), 95 C.C.C. (3d) 412 (C.A.C.-B.), à la p. 433; voir également Lyons, précité, à la p. 341. En outre, le tribunal ou la commission d’examen peut préciser expressément la durée d’application de la décision qu’il rend: art. 672.63.

169 Quoiqu’il en soit, il ne peut être fait droit aux prétentions de l’appelant car, en fin de compte, elles s’appuient sur une conception erronée de la nature de la situation de l’accusé non responsable criminellement et du régime sui generis de droit pénal applicable à ce dernier. La même conception erronée semble expliquer les motifs de la Cour d’appel du Manitoba dans R. c. Hoeppner, [1999] M.J. No. 113 (QL), où le juge en chef Scott a fait droit à la prétention que l’art. 672.54 a une portée excessive et a conclu au nom de la Cour d’appel: [traduction] «Un certain fondement juridique est nécessaire pour limiter la liberté d’une personne une fois que la procédure établie par le régime de droit criminel a dûment suivi son cours» (par. 54).

170 La façon dont la procédure établie par le droit criminel «suit dûment son cours» n’est tout simplement pas la même pour l’accusé non responsable criminellement que pour la personne déclarée coupable. L’article 672.54 n’a pas une portée excessive précisément parce qu’il est conçu pour s’adapter à la situation particulière de l’accusé non responsable criminellement. Pour établir une comparaison avec la situation des autres personnes qui contreviennent aux dispositions du Code criminel, il faut examiner la partie XX.1 dans son ensemble. Le contrevenant, autre qu’un accusé non responsable criminellement qui est déclaré coupable, est privé de sa liberté, qu’il soit encore dangereux ou non. À l’opposé, si l’accusé non responsable criminellement n’est pas dangereux, il est libéré inconditionnellement.

171 La peine infligée au contrevenant sain d’esprit qui est déclaré coupable est déterminée au regard de principes bien établis, y compris celui voulant qu’elle soit proportionnelle à la gravité de l’infraction perpétrée et au degré de responsabilité du contrevenant (art. 718.1 du Code criminel): Ruby, op. cit., aux pp. 23 et suiv.; D. Stuart, Canadian Criminal Law: A Treatise (3e éd. 1995), aux pp. 60 à 63. Il convient de rappeler les propos tenus par le juge en chef Lamer dans R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, aux. par. 40 et 79:

En effet, le principe de proportionnalité en matière de punition est fondamentalement lié au principe général de la responsabilité criminelle qui veut qu’on ne puisse imposer de sanction pénale qu’aux contrevenants possédant un état d’esprit moralement coupable. . . .

C’est cet état d’esprit qui donne naissance à la «culpabilité morale» justifiant l’État d’infliger les stigmates et la peine qui se rattachent à une condamnation criminelle. [. . .] [C]’est ce même élément de «culpabilité morale» qui anime la détermination de la durée appropriée de la peine qui doit être infligée, en tant que «sanction juste», au contrevenant déclaré coupable. [Je souligne.]

172 Il ressort de la formulation même du principe qu’il ne peut s’appliquer à l’accusé non responsable criminellement. Force est de reconnaître que la peine d’une durée déterminée est une peine et rien d’autre. Les dispositions qui prévoient une peine maximale appartiennent au régime de détermination de la peine et ne sauraient s’appliquer à l’accusé non responsable criminellement. Le principe de la proportionnalité ne peut s’appliquer à ce dernier, car il n’a pas rationnellement perpétré l’acte criminel en cause. Comme l’a dit le juge en chef Lamer dans l’arrêt R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303, à la p. 1320:

Bien qu’on ne puisse assimiler l’état d’aliéné à celui d’enfant, il y a manifestement un lien entre ces deux conditions aux fins du droit criminel. Ces deux situations ont ceci de commun qu’elles font ressortir que l’individu en cause ne répond pas à certains postulats fondamentaux de notre modèle de droit criminel: savoir que l’accusé est un être autonome et rationnel, capable de juger la nature et la qualité d’un acte et de distinguer le bien du mal. [Je souligne.]

Voir également R. c. Oommen, [1994] 2 R.C.S. 507; LePage, précité, à la p. 203. Aucune «culpabilité morale» ne peut être imputée à l’accusé non responsable criminellement. C’est d’ailleurs pourquoi on estime qu’il n’a pas engagé sa responsabilité pénale.

173 Si la punition n’est manifestement pas l’un des objectifs qui sous‑tendent la partie XX.1, alors le principe corrélatif de la proportionnalité de la peine ne peut s’appliquer non plus. Comme l’écrit R. P. Nadin‑Davis dans Sentencing in Canada (1982), à la p. 15: [traduction] «Le bon sens exige qu’un traitement spécial soit accordé au contrevenant qui est atteint de troubles mentaux. Toute notion de proportionnalité de la peine paraît injuste à l’égard d’une personne qui a commis un acte criminel à cause d’une maladie mentale». La partie XX.1 forme un tout dont il faut tenir compte pour statuer sur sa constitutionnalité.

174 La partie XX.1 adapte le régime de droit criminel à la personne atteinte de troubles mentaux qui n’est pas responsable de l’acte criminel qu’elle commet. Aucune peine n’est infligée à un accusé non responsable criminellement parce qu’elle ne saurait être justifiée, ni pour lui ni pour la sécurité du public. La peine est remplacée par la décision la moins sévère et la moins privative de liberté permettant d’assurer la protection du public contre l’accusé non responsable criminellement et qui constitue une personne dangereuse. L’article 7 de la Charte permet une telle privation modulée de liberté dans l’intérêt public.

175 En toute déférence pour l’avis de ma collègue, je ne crois pas qu’une conclusion positive selon laquelle l’accusé représente un risque important pour la sécurité du public, par opposition à une conclusion positive de dangerosité vis‑à‑vis du public, constitue, selon un principe de justice fondamentale, l’élément déterminant pour prendre ne serait‑ce que la mesure la moins sévère et la moins privative de liberté aux fins de la protection du public et pour déterminer l’étendue du pouvoir fédéral en matière de droit criminel. Conclure en ce sens apporterait une restriction indue aux enseignements de notre Cour dans Swain, précité. Je ne peux accepter que le volet préventif de la compétence du Parlement en droit criminel soit ainsi limité, ni que les principes de justice fondamentale exigent que le public assume entièrement le risque lié à l’incertitude inhérente à l’évaluation de la dangerosité, de telle sorte que même les mesures les moins sévères et les moins privatives de liberté prévues à l’art. 672.54 ne puissent être ordonnées relativement à l’accusé jugé dangereux.

176 Pour ces motifs, je conclus que la partie XX.1 du Code criminel ne viole pas l’art. 7 de la Charte.

Résumé

177 Il faut tenir compte du texte clair de l’art. 672.54 lorsque l’on examine les effets qu'il a véritablement. À sa face même, la disposition établit une distinction entre les «personnes dangereuses» et les accusés non responsables criminellement qui représentent «un risque important pour la sécurité du public». L’alinéa 672.54a) prévoit clairement que la libération inconditionnelle n’est accordée qu’à l’accusé qui ne représente pas un risque important pour la sécurité du public.

178 Depuis l’arrêt Swain, l’application du volet préventif de la compétence en droit criminel est déclenchée par l’existence d’un risque pour la sécurité du public. C’est le danger, et non le danger important, qui constitue l’élément déterminant. Par conséquent, et comme le prévoit l’art. 672.54, le tribunal ou la commission d’examen doit nécessairement arriver à une conclusion positive de dangerosité. Il n’y a donc pas de présomption de dangerosité. La procédure est de type inquisitoire: il appartient au tribunal ou à la commission d’examen de réunir les éléments de preuve. Le fardeau de la preuve ne repose sur aucune des parties. Le critère énoncé par la négative à l’al. 672.54a) du Code criminel ne vise que l’absence de risque important pour la sécurité du public et il est légitime.

179 La libération inconditionnelle ne peut être refusée que si le tribunal ou la commission d’examen ne peut arriver à la conclusion que l’accusé non responsable criminellement ne représente pas un risque important pour la sécurité du public. Le tribunal ou la commission d’examen qui oppose un tel refus doit alors, à partir d’une gamme complète de mesures possibles, rendre la décision la moins sévère et la moins privative de liberté compte tenu de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale.

180 Même s’ils exigent qu’une conclusion positive de dangerosité soit tirée et que l’atteinte à la liberté de l’accusé soit aussi légère que possible, les principes de justice fondamentale n’exigent pas que le public assume le risque que constitue un accusé dangereux lorsqu’on ne peut déterminer qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public.

181 Étant donné qu’aucun fardeau de la preuve ne repose sur l’accusé et qu’aucune présomption de dangerosité n’est établie, que la décision portant atteinte à la liberté de l’accusé doit être la moins sévère et la moins privative de liberté et que de nombreuses garanties procédurales s’appliquent, j’en conclus que l’art. 672.54 respecte les principes de justice fondamentale. L’argument de l’appelant selon lequel cette disposition viole l’art. 7 de la Charte doit donc être rejeté.

D. L’article 15 de la Charte

182 Je suis d’accord avec l’analyse du juge McLachlin et avec sa conclusion que l’appelant n’est pas privé de son droit au même bénéfice de la loi. Comme l’appelant a accordé beaucoup d’importance à la comparaison du régime applicable aux accusés non responsables criminellement et de celui qui s’applique aux délinquants dangereux, j’analyserai cette question plus particulièrement. J’ajoute qu’un examen plus approfondi des deux régimes considérés dans leur ensemble appuie les conclusions de ma collègue.

183 Au moment où il détermine qu’une personne est un «délinquant dangereux», le tribunal peut infliger une peine de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée. L’effet recherché est à la fois la prévention et la punition. Un examen du dossier en vue d’une libération conditionnelle a lieu à l’expiration d’un délai de sept ans, puis tous les deux ans. Un délinquant dangereux peut obtenir une libération conditionnelle (art. 761), mais il ne peut jamais bénéficier d’une absolution inconditionnelle. En outre, la libération conditionnelle est un privilège, et non un droit: Mitchell c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 570, à la p. 593.

184 Par contre, en application de la partie XX.1, l’accusé non responsable criminellement et à l’égard duquel le tribunal ou la commission d’examen n’a pu déterminer qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public peut être détenu, mais seulement s’il s’agit de la mesure la moins sévère et la moins privative de liberté dans les circonstances. Le tribunal ou la commission d’examen peut choisir parmi la gamme de décisions possibles celle qui, à son avis, convient le mieux pour assurer le traitement de l’accusé et une réinsertion sociale réussie et complète. Il doit rendre une décision portant libération inconditionnelle dès qu’il est d’avis que l’accusé ne représente pas un risque important pour la sécurité du public. En outre, la révision du dossier de l’accusé a lieu sur demande, à tout moment et au moins une fois l’an, de même qu’après tout resserrement des privations de liberté.

185 Il est vrai, comme le prétend l’appelant, qu’il appartient au ministère public, sous le régime de la partie XXIV, de prouver hors de tout doute raisonnable tous les éléments exigés par les dispositions relatives aux délinquants dangereux, tandis que la partie XX.1 n’exige pas que le ministère public prouve que l’accusé représente un risque important pour la sécurité du public. Or, cette disparité s’explique pour deux raisons. Premièrement, le ministère public a le fardeau de la preuve parce qu’il demande que soit infligée au délinquant, en guise de punition, une peine qui est beaucoup plus sévère et contraignante que l’une ou l’autre des mesures prévues dans le cadre du régime conçu pour répondre aux besoins de l’accusé non responsable criminellement. Deuxièmement, toute la procédure devant le tribunal ou la commission d’examen est de type inquisitoire, et non contradictoire. Il n’y a pas de parties à l’instance. Il n’y a pas non plus de fardeau de la preuve. Dans l’intérêt de l’accusé, ce régime protège l’intégrité des rapports professionnels en cause. Il permet une meilleure évaluation de l’état de l’accusé, de sorte que puisse être rendue la décision qui répond le mieux à ses besoins, y compris sa réinsertion sociale, et qui est la moins sévère et la moins privative de liberté tout en assurant la protection du public.

186 Par conséquent, vu dans son ensemble, le régime établi à la partie XX.1 du Code criminel ne défavorise pas les accusés non responsables criminellement par rapport aux délinquants dangereux. La partie XX.1 prévoit plutôt le prononcé de la décision la moins privative de liberté compte tenu de la nécessité de protéger le public.

187 L’analyse et le raisonnement du juge McLachlin s’appliquent également à mon interprétation de l’art. 672.54a). À l’instar du juge McLachlin, je conclus qu’il n’existe aucune présomption de dangerosité. C’est ce qui ressort du texte clair de l’art. 672.54. Le législateur a envisagé deux catégories de personnes représentant deux niveaux différents de dangerosité, soit celles qui sont dangereuses et celles qui représentent un risque important pour la sécurité du public. Le refus d’accorder la libération inconditionnelle doit s’appuyer sur une conclusion positive selon laquelle l’accusé non responsable criminellement est une personne dangereuse. En outre, l’accusé peut bénéficier de la libération inconditionnelle même s’il est dangereux, dans la mesure où le tribunal ou la commission d’examen détermine qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public.

188 Contrairement à ce qu’affirme le juge McLachlin au par. 96 de ses motifs, il n’est pas nécessaire de donner une interprétation atténuée de l’al. 672.54a) et d’y voir l’exigence que le tribunal ou la commission d’examen conclue positivement que l’accusé représente un risque important pour pouvoir lui refuser la libération inconditionnelle. L’analyse de ma collègue vaut également quant à l’élément déterminant de la dangerosité ou du risque pour la sécurité du public. Toute atteinte au droit à la liberté de l’accusé non responsable criminellement doit être adaptée aux circonstances particulières de ce dernier, comme l’explique ma collègue.

189 Quel que soit le critère déterminant, que ce soit la dangerosité ou le risque important pour la sécurité du public, les mesures prises doivent être adaptées en conséquence et, dans tous les cas, être les moins sévères et les moins privatives de liberté compte tenu de l’état mental connu de l’accusé.

190 De telles mesures sont à l’avantage du public et de chaque accusé non responsable criminellement, car elles permettent le traitement et la surveillance les moins sévères et les moins privatifs de liberté qui répondent aux besoins de l’accusé et facilitent sa réinsertion sociale. Quel que soit le critère déterminant, la conformité des mesures de protection aux besoins est maintenue. L’incertitude inhérente à l’évaluation du risque est en soi un élément de risque imparable. Les motifs pour lesquels ma collègue conclut à l’absence de préjudice et de toute discrimination, et auxquels je souscris, sont également valables pour l’un et l’autre de ces critères.

191 Aucun message négatif n’est transmis concernant la valeur de l’accusé non responsable criminellement. Au contraire, le législateur reconnaît que ses besoins doivent être pris en considération par le système de justice pénale et que les principes traditionnels de détermination de la peine ne peuvent s’appliquer dans son cas. Le message transmis est que l’évaluation de l’accusé doit se faire avec les plus grands soin et prudence. De nombreuses garanties procédurales s’appliquent. La partie XX.1 est l’expression législative de la juste conciliation des intérêts de l’accusé non responsable criminellement et de ceux de la collectivité.

192 L’article 672.54 exige la prise en compte de tous les besoins de l’accusé non responsable criminellement, y compris, expressément, de la nécessité de sa réinsertion sociale. L’incitation au traitement est la mesure privilégiée. Le législateur précise que si des mesures de protection s’imposent, parce que l’accusé est dangereux, elles doivent être soigneusement conçues et correspondre à la décision la moins sévère et la moins privative de liberté possible. En somme, le législateur transmet essentiellement le message positif qu’il doit y avoir, dans la mesure du possible, réinsertion sociale de l’accusé non responsable criminellement.

193 Pour ces motifs, je conclus que la partie XX.1 ne viole pas les droits à l’égalité de l’accusé non responsable criminellement garantis à l’art. 15 de la Charte.

III. Conclusion

194 Le législateur a établi, dans le cadre du système de justice pénale, un régime adapté à la situation particulière de la personne atteinte de troubles mentaux. Aucun fardeau de la preuve ne repose sur l’accusé non responsable criminellement. Il n’existe aucune présomption selon laquelle cet accusé est dangereux.

195 Le tribunal ou la commission d’examen doit conclure positivement que l’accusé est dangereux. S’il croit que l’accusé ne représente pas un risque important pour la sécurité du public, il doit rendre une décision portant libération inconditionnelle. Si, par contre, il ne peut arriver à la conclusion que l’accusé ne représente pas un risque important pour la sécurité du public, il lui est loisible de refuser la libération inconditionnelle. Il doit alors rendre la décision la moins sévère et la moins privative de liberté compte tenu de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale.

196 Il n’y a violation ni de l’art. 7 ni de l’art. 15 de la Charte. La Cour n’a pas à écarter le critère énoncé par la négative à l’art. 672.54 pour arriver à cette conclusion. Le régime antérieur a été déclaré inconstitutionnel par la Cour dans l’arrêt Swain. À mon avis, les dispositions actuelles expriment un choix du législateur qu’autorise la Constitution.

197 Pour ce qui est de la décision à rendre, je conviens avec le juge McLachlin que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher le pourvoi, même si M. Winko a bénéficié d’une libération inconditionnelle (par. 100 de ses motifs). Comme M. Winko invoque uniquement l’inconstitutionnalité des dispositions contestées, notre Cour n’a pas à décider si la Cour d’appel a commis une erreur en refusant d’infirmer la décision de la commission d’examen. Cependant, conformément à l’interprétation que je fais de l’art. 672.54, je ne souscris pas aux observations du juge McLachlin concernant l’interprétation apparente de cette disposition par la commission d’examen. Cette dernière aurait pu et aurait dû tenir pour acquis qu’aucune libération inconditionnelle ne pouvait être ordonnée à moins qu’elle ne soit convaincue que M. Winko ne représentait pas un risque important pour la sécurité du public.

198 Pour tous ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de répondre aux questions constitutionnelles comme le propose le juge McLachlin.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l’appelant: Community Legal Assistance Society, Vancouver.

Procureur de l’intimé le directeur du Forensic Psychiatric Institute: Mary P. Acheson, Vancouver.

Procureurs de l’intimé le procureur général de la Colombie-Britannique: Harvey M. Groberman et Lisa J. Mrozinski, Victoria.

Procureurs de l’intervenant le procureur général du Canada: Kenneth J. Yule et George G. Dolhai, Vancouver.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario: Eric H. Siebenmorgen, Toronto.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec: Pierre Lapointe, Québec.

Procureur de l’intervenante l’Association canadienne pour la santé mentale: Centre de la défense des droits des handicapés, Toronto.

Procureurs de l’intervenant Kenneth Samuel Cromie: Burstein & Paine, Toronto.

Procureur de l’intervenant Kevin George Wainwright: Malcolm S. Jeffcock, Truro (Nouvelle-Écosse).


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Justice fondamentale - Imprécision - Fardeau indu - Portée excessive - Verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux prévu dans le Code criminel - Un accusé non responsable criminellement peut être libéré inconditionnellement, libéré sous réserve de modalités ou placé en détention - Les dispositions contreviennent‑elles aux principes de justice fondamentale? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 7 - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 672.54.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Droits à l’égalité - Déficiences mentales - Verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux prévu dans le Code criminel - Un accusé non responsable criminellement peut être libéré inconditionnellement, libéré sous réserve de modalités ou placé en détention - Les dispositions portent‑elles atteinte au droit à l’égalité? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 15 - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 672.54.

L’appelant est depuis longtemps atteint de maladie mentale et traité en milieu hospitalier et, selon le diagnostic établi, il souffre de schizophrénie chronique récurrente. En 1983, il a été arrêté après avoir agressé deux piétons avec un couteau, poignardant l’un d’eux derrière l’oreille. Avant cette agression, il avait entendu des voix. Il a fait l’objet d’accusations de voies de fait graves, d’agression armée et de possession d’arme dans un dessein dangereux pour la paix publique. Un verdict de non‑responsabilité criminelle («NRC») a été prononcé à l’issue du procès. En vertu de l’art. 672.54 du Code criminel, lorsqu’un verdict de NRC pour cause de troubles mentaux a été rendu le tribunal ou la commission d’examen peut ordonner que l’accusé soit libéré inconditionnellement, qu’il soit libéré sous réserve de modalités ou qu’il soit placé en détention dans un hôpital. La commission d’examen s’est penchée sur le cas de l’appelant en 1995 et, à la majorité, a rendu une décision portant libération conditionnelle. La Cour d’appel a confirmé à la majorité le bien‑fondé de la décision. L’appelant a par la suite contesté devant une formation différente de la Cour d’appel la constitutionnalité des dispositions du Code criminel qui prévoient la tenue d’un examen relativement aux accusés non responsables criminellement. Cette formation a majoritairement conclu que les dispositions ne violaient pas l’art. 7 ni le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Lamer et les juges Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie: Pour rompre avec les vieux stéréotypes concernant les contrevenants atteints de troubles mentaux, la partie XX.1 du Code criminel ajoute à la traditionnelle dichotomie opposant culpabilité et innocence en droit criminel. Elle prévoit une nouvelle avenue, soit une évaluation visant à déterminer si l’accusé non responsable criminellement représente toujours un risque pour la société, tout en mettant l’accent sur le fait d’offrir à l’accusé des occasions de recevoir un traitement approprié. Tout au long du processus, le contrevenant doit être traité avec dignité et jouir du maximum de liberté possible, compte tenu des objectifs de la partie XX.1, qui sont de protéger le public et de traiter équitablement l’accusé non responsable criminellement.

Correctement interprété, l’art. 672.54 ne crée pas de présomption de dangerosité et n’a pas pour effet d’imposer à l’accusé non responsable criminellement le fardeau de prouver qu’il n’est pas dangereux. La partie introductive de l’art. 672.54 exige que le tribunal ou la commission d’examen tienne compte de la nécessité de protéger le public contre les personnes dangereuses, ainsi que de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale. Le tribunal ou la commission d’examen doit ensuite rendre la décision «la moins sévère et la moins privative de liberté». En vertu de l’al. 672.54a), le tribunal ou la commission d’examen rend une décision portant libération inconditionnelle s’il est d’avis que «[l’accusé] ne représente pas un risque important pour la sécurité du public». Cette disposition doit être interprétée en fonction de l’obligation faite au tribunal ou à la commission d’examen de rendre la décision la moins sévère et la moins privative de liberté possible et à la lumière du principe que, sur le plan constitutionnel, le droit criminel ne peut priver de liberté l’accusé non responsable criminellement qu’à la seule fin de protéger le public contre des risques importants pour sa sécurité. Il est clair, selon cette interprétation, que si, à partir de la preuve, il ne conclut pas positivement que l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public, le tribunal ou la commission d’examen doit ordonner sa libération inconditionnelle. Cette interprétation est compatible avec le principe qu’une loi doit être interprétée d’une manière conforme à la Charte.

Selon cette interprétation de la partie XX.1 du Code, les obligations qui incombent à un tribunal ou une commission d’examen chargé d’interpréter l’art. 672.54 peuvent, à des fins pratiques, être résumées de la façon suivante:

1. Le tribunal ou la commission d’examen doit tenir compte de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé non responsable criminellement et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale. Le tribunal ou la commission d’examen doit, dans chaque cas, répondre à la question suivante: la preuve établit-elle que l’accusé non responsable criminellement représente «un risque important pour la sécurité du public»?

2. Un «risque important pour la sécurité du public» signifie un risque véritable qu’un préjudice physique ou psychologique soit infligé aux membres de la collectivité, risque qui est grave dans le sens où le préjudice potentiel est plus qu’ennuyeux ou insignifiant. La conduite préjudiciable doit être de nature criminelle.

3. Il n’y a pas de présomption que l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public. Les privations de sa liberté ne peuvent être justifiées que si, au moment de l’audition, il ressort de la preuve dont dispose le tribunal ou la commission d’examen que l’accusé représente véritablement un tel risque. Le tribunal ou la commission d’examen ne peut éviter de trancher cette question en disant, par exemple, qu’il est incertain ou qu’il ne peut déterminer si l’accusé représente un risque important pour la sécurité du public. S’il ne peut trancher cette question avec certitude, il n’a pas conclu que l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public.

4. La procédure devant le tribunal ou la commission d’examen n’est pas contradictoire. Lorsque les parties ne fournissent pas suffisamment de renseignements, il incombe au tribunal ou à la commission d’examen de chercher à obtenir les éléments de preuve dont il a besoin pour rendre sa décision. Dans le cas où c’est le tribunal qui examine l’affaire, celui-ci peut, dans les circonstances, conclure qu’il ne peut facilement rendre une décision sans délai et que l’affaire doit être examinée par la commission d’examen. Peu importe l’organisme qui examine l’affaire, l’accusé non responsable criminellement n’a jamais ultimement le fardeau d’établir qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public.

5. Le tribunal ou la commission d’examen dispose de tout un éventail d’éléments de preuve pour déterminer si l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public. Ces éléments peuvent comprendre la façon dont se sont déroulés, le cas échéant, le traitement de l’accusé et les résultats anticipés, l’état de santé actuel de celui-ci, ses projets pour l’avenir, les services de soutien dont il peut se prévaloir au sein de la collectivité, et les résultats des évaluations des experts qui l’ont examiné. Cette liste n’est pas exhaustive.

6. Le fait que l’accusé non responsable criminellement a déjà commis une infraction alors qu’il souffrait de troubles mentaux n’établit pas en soi qu’il représente toujours un risque important pour la sécurité du public. Cependant, il peut être tenu compte du fait qu’il a déjà commis un acte criminel, ainsi que d’autres circonstances, lorsque cela est pertinent en vue de cerner une certaine tendance comportementale et, par conséquent, de déterminer s’il représente un risque important pour la sécurité du public. Le tribunal ou la commission d’examen doit, en tout temps, examiner les circonstances propres à l’accusé dont il est question.

7. Si le tribunal ou la commission d’examen conclut que l’accusé non responsable criminellement ne représente pas un risque important pour la sécurité du public, il doit rendre une décision portant libération inconditionnelle.

8. Si le tribunal ou la commission d’examen conclut que l’accusé non responsable criminellement représente un risque important pour la sécurité du public, deux choix s’offrent à lui. Il peut soit rendre une décision portant libération de l’accusé sous réserve des modalités qu’il juge indiquées, soit rendre une décision portant détention de l’accusé dans un hôpital, sous réserve encore une fois des modalités qu’il juge indiquées.

9. Lorsqu’il choisit de rendre une décision portant libération conditionnelle de l’accusé non responsable criminellement ou une décision portant détention de celui‑ci dans un hôpital, le tribunal ou la commission d’examen doit, encore une fois, rendre la décision la moins sévère et la moins privative de liberté, compte tenu de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale.

L’article 672.54 ne viole pas les principes de justice fondamentale garantis par l’art. 7 de la Charte. L’expression «risque important pour la sécurité du public» satisfait au critère qui exige une précision suffisante pour permettre un débat judiciaire, et elle n’est donc pas d’une imprécision inconstitutionnelle. L’article 672.54, selon l’interprétation exposée, n’impose pas non plus indûment à l’accusé le fardeau de prouver qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public. Enfin, le régime n’a pas une portée excessive puisqu’il fait en sorte que la liberté de l’accusé ne soit pas entravée plus qu’il n’est nécessaire pour protéger la sécurité du public. Outre les garanties accordées à l’art. 672.54, la partie XX.1 protège la liberté de l’accusé non responsable criminellement en prévoyant, tout au moins, l’examen annuel de son cas par la commission d’examen et en lui accordant le droit d’interjeter appel à la cour d’appel d’une décision d’un tribunal ou d’une commission d’examen. Lorsque le tribunal ou la commission d’examen omet d’interpréter et d’appliquer correctement l’art. 672.54 et empiète indûment sur le droit à la liberté de l’accusé non responsable criminellement, celui‑ci a donc un recours approprié.

L’article 672.54 du Code ne viole pas le par. 15(1) de la Charte. La personne raisonnable, objective, bien informée des circonstances et dotée d’attributs semblables et se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur, ne trouverait pas cette disposition discriminatoire. Celle‑ci favorise, au lieu de nier, le droit du demandeur d’être traité par la loi comme une personne qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération que les autres. Bien qu’on puisse interpréter la partie XX.1 du Code comme traitant l’accusé non responsable criminellement différemment des autres personnes accusées, en raison des troubles mentaux dont il souffrait lors de la perpétration de l’acte criminel, et que la distinction soit faite en raison d’un motif énuméré, à savoir la déficience mentale, la différence de traitement n’est pas discriminatoire parce qu’elle ne dénote pas l’application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ni ne viole par ailleurs le droit garanti au par. 15(1), selon lequel tous méritent le même intérêt, le même respect et la même considération. La jurisprudence reconnaît que la discrimination peut résulter soit du fait de traiter une personne différemment des autres en raison de son appartenance à un groupe, soit de l’omission de le faire. Une différence de traitement établie dans la loi qui reflète les besoins particuliers et la situation particulière d’un individu ou d’un groupe peut être non seulement justifiée, mais aussi exigée, pour l’atteinte de l’objectif du par. 15(1) qui vise à réaliser l’égalité réelle. L’objectif et l’effet de la partie XX.1 représentent le point de vue selon lequel l’accusé non responsable criminellement a le droit de recevoir des soins attentifs, d’être réadapté, et de faire l’objet de tentatives valables en vue de sa participation à la société dans la plus grande mesure possible, compte tenu de sa situation véritable. Toute restriction de la liberté d’un accusé non responsable criminellement lui est infligée pour protéger la société et pour lui permettre de se faire traiter, et non à des fins pénales. Cela rend inutile toute comparaison mécaniste entre la durée de la détention de l’accusé criminellement responsable et celle de l’accusé non responsable criminellement.

Les juges L’Heureux‑Dubé et Gonthier: L’article 672.54 du Code criminel découle de l’exercice approprié de la compétence du Parlement en matière de droit criminel. Depuis l’arrêt Swain, l’application du volet préventif de la compétence en droit criminel est déclenchée par l’existence d’un risque pour la sécurité du public. C’est le danger, et non le danger important, qui constitue l’élément déterminant. Le paragraphe introductif de l’art. 672.54 énonce la règle applicable à la décision qui doit être rendue. Premièrement, le tribunal ou la commission d’examen doit tenir compte de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale. Deuxièmement, il lui incombe de rendre la décision la moins sévère et la moins privative de liberté possible. L’alinéa 672.54a) prévoit la libération inconditionnelle lorsque le tribunal ou la commission d’examen est d’avis que l’accusé non responsable criminellement «ne représente pas un risque important pour la sécurité du public», même s’il est dangereux. À sa face même, le libellé du paragraphe introductif et de l’al. 672.54a) établit clairement que le critère est énoncé dans la négative. Même si, comme tout autre texte de loi, le Code criminel doit être interprété en fonction de la Charte et des valeurs qu’elle consacre, les tribunaux ne doivent pas s’écarter du «sens ordinaire» des mots, sauf ambiguïté.

Bien que la nécessité de protéger le public contre un danger soit une condition essentielle à la limitation de la liberté de l’accusé non responsable criminellement et qu’elle doive être établie, le législateur n’exige pas une conclusion positive que l’accusé représente un risque important pour la sécurité du public aux fins de la prise de mesures de protection et du prononcé de la décision la moins sévère et la moins privative de liberté à l’exclusion de la décision portant libération inconditionnelle. L’alinéa 672.54a) est libellé de telle manière que le tribunal ou la commission d’examen n’est tenu d’accorder la libération inconditionnelle que s’il est d’avis que l’accusé ne représente pas un risque important. Le législateur a envisagé deux niveaux de dangerosité, celui où l’accusé est dangereux et celui où il représente un risque important pour la sécurité du public. Le tribunal ou la commission d’examen doit tout d’abord tirer une conclusion positive de dangerosité, c.‑à‑d. que l’accusé non responsable criminellement représente effectivement un risque pour la sécurité du public. Si le tribunal ou la commission d’examen conclut que l’accusé est dangereux, il lui faut ensuite déterminer s’il représente ou non un risque important pour la sécurité du public. Il n’est pas nécessaire de conclure que l’accusé représente un tel risque pour ordonner la prise de mesures de protection. Il appert de la formulation négative de l’al. 672.54a) que le législateur a voulu, lorsque le tribunal ou la commission d’examen n’est pas en mesure de se faire une opinion quant à l’importance du risque, qu’il puisse maintenir certaines mesures de protection jusqu’à la révision du dossier en rendant la décision la moins sévère et la moins privative de liberté compte tenu de la preuve.

Les dispositions contestées ne violent pas l’art. 7 de la Charte. La procédure visée est de type inquisitoire, et non contradictoire, de sorte que l’accusé non responsable criminellement n’est pas tenu de prouver qu’il n’est pas dangereux. L’article 672.54 ne crée pas non plus de présomption de dangerosité. Si le tribunal ou la commission d’examen ne conclut pas positivement que l’accusé non responsable criminellement est dangereux, il doit rendre une décision portant libération inconditionnelle. Même si les principes de justice fondamentale exigent une conclusion positive quant à la dangerosité de l’accusé, ils permettent que toute incertitude quant à l’étendue du risque que représente l’accusé soit tranchée au bénéfice de la sécurité du public. Le souci de la population pour qu’un accusé non responsable criminellement n’échappe pas à toute surveillance avant qu’il ne soit établi qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public est manifeste et légitime. Bien qu’une décision rendue en vertu de l’art. 672.54 touche le droit à la liberté individuelle et, de ce fait, entraîne l’application de l’art. 7 de la Charte, une analyse plus approfondie de la loi révèle le caractère minimal de l’incidence de l’art. 672.54 sur le droit à la liberté de l’accusé et l’existence de garanties procédurales bien établies. Le tribunal ou la commission d’examen se livre à un exercice de gestion du risque. La mise sous garde ou l’internement n’est opportun que s’il s’agit de la décision la moins sévère possible. L’article 672.54 n’a pas une portée excessive précisément parce qu’il est conçu pour s’adapter à la situation particulière de l’accusé non responsable criminellement. Si la punition n’est manifestement pas l’un des objectifs qui sous‑tendent la partie XX.1, alors le principe corrélatif de la proportionnalité de la peine ne peut s’appliquer non plus. La partie XX.1 adapte le régime de droit criminel à la personne atteinte de troubles mentaux qui n’est pas responsable de l’acte criminel qu’elle commet. Aucune peine n’est infligée à un accusé non responsable criminellement parce qu’elle ne saurait être justifiée, ni pour lui ni pour la sécurité du public. La peine est remplacée par la décision la moins sévère et la moins privative de liberté permettant d’assurer la protection du public contre l’accusé non responsable criminellement et qui constitue une personne dangereuse. L’article 7 de la Charte permet une telle privation modulée de liberté dans l’intérêt public.

Pour ce qui est de l’art. 15 de la Charte, l’analyse du juge McLachlin est acceptée et s’applique également à l’interprétation exposée ci-dessus de l’al. 672.54a). La partie XX.1 ne viole pas les droits à l’égalité de l’accusé non responsable criminellement. Vus dans leur ensemble, les accusés non responsables criminellement ne sont pas défavorisés par rapport aux délinquants dangereux. La partie XX.1 prévoit plutôt la décision la moins privative de liberté compte tenu de la nécessité de protéger le public. Aucun message négatif n’est transmis concernant la valeur de l’accusé non responsable criminellement. Au contraire, le législateur reconnaît que ses besoins doivent être pris en considération par le système de justice pénale et que les principes traditionnels de détermination de la peine ne peuvent s’appliquer dans son cas. Le message transmis est que l’évaluation de l’accusé doit se faire avec le plus grand soin et la plus grande prudence. De nombreuses garanties procédurales s’appliquent. La partie XX.1 est l’expression législative de la juste conciliation des intérêts de l’accusé non responsable criminellement et de ceux de la collectivité.


Parties
Demandeurs : Winko
Défendeurs : Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge McLachlin
Arrêt appliqué: Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497
arrêt critiqué: R. c. Hoeppner, [1999] M.J. No. 113 (QL)
arrêts mentionnés: Bese c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 722
Orlowski c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 733
R. c. LePage, [1999] 2 R.C.S. 744
Orlowski c. British Columbia (Attorney-General) (1992), 75 C.C.C. (3d) 138
M‘Naghten’s Case (1843), 10 Cl. & Fin. 200, 8 E.R. 718
R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303
R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933
Battlefords and District Co‑operative Ltd. c. Gibbs, [1996] 3 R.C.S. 566
Re Rebic and The Queen (1986), 28 C.C.C. (3d) 154
Davidson c. British Columbia (Attorney-General) (1993), 87 C.C.C. (3d) 269
Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038
Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311
R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595
D.H. c. British Columbia (Attorney General), [1994] B.C.J. No. 2011 (QL)
Chambers c. British Columbia (Attorney General) (1997), 116 C.C.C. (3d) 406
R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606
R. c. Morales, [1992] 3 R.C.S. 711
R. c. Peckham (1994), 19 O.R. (3d) 766
R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761
Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493
M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3
Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513
Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143
Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358
Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624
Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241
Blackman c. British Columbia (Review Board) (1995), 95 C.C.C. (3d) 412
Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342.
Citée par le juge Gonthier
Arrêt critiqué: R. c. Hoeppner, [1999] M.J. No. 113 (QL)
arrêts mentionnés: R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933
R. c. LePage (1997), 119 C.C.C. (3d) 193
R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151
Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143
R. c. L. (D.O.), [1993] 4 R.C.S. 419
Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519
Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779
Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75
R. c. Jones, [1994] 2 R.C.S. 229
R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
Attorney-General of Canada c. Pattison (1981), 59 C.C.C. (2d) 138
R. c. Parks, [1992] 2 R.C.S. 871
R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27
Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385
L’Hirondelle c. Forensic Psychiatric Institute (B.C.) (1998), 106 B.C.A.C. 9
R. c. Peckham (1994), 19 O.R. (3d) 766, autorisation de pourvoi refusée, [1995] 1 R.C.S. ix
Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038
Orlowski c. British Columbia (Attorney-General) (1992), 75 C.C.C. (3d) 138
R. c. Morales, [1992] 3 R.C.S. 711
R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378
R. c. Barnier, [1980] 1 R.C.S. 1124
Winko c. Forensic Psychiatric Institute (B.C.) (1996), 79 B.C.A.C. 1
Davidson c. British Columbia (Attorney-General) (1993), 87 C.C.C. (3d) 269
R. c. Lewis (1999), 132 C.C.C. (3d) 163
British Columbia (Forensic Psychiatric Institute) c. Johnson, [1995] B.C.J. No. 2247 (QL)
Blackman c. British Columbia (Review Board) (1995), 95 C.C.C. (3d) 412
R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500
R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303
R. c. Oommen, [1994] 2 R.C.S. 507
Mitchell c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 570.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 15(1).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 [mod. 1991, ch. 43], art. 16(1), 614(2) [(auparavant 542(2)) abr. idem], partie XX.1, 672.16, 672.17, 672.34, 672.38 [mod. 1997, ch. 18, art. 83], 672.39, 672.4(1), 672.41(1), 672.43, 672.45, 672.46, 672.47, 672.5, 672.54, 672.55, 672.63, 672.72, 672.81, 672.82(1), 718.1 [aj. ch. 27 (1er suppl.), art. 156], partie XXIV, 761.
Loi modifiant le Code criminel (troubles mentaux) et modifiant en conséquence la Loi sur la défense nationale et la Loi sur les jeunes contrevenants, L.C. 1991, ch. 43.
Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, art. 4, 5.
Doctrine citée
Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la Justice et du Solliciteur général. Procès-verbaux et témoignages. Fascicule no 7, 9 octobre 1991.
Canada. Commission de réforme du droit. Document de travail 14. Processus pénal et désordre mental. Ottawa: Information Canada, 1975.
Cocozza, Joseph J., and Henry J. Steadman. “The Failure of Psychiatric Predictions of Dangerousness: Clear and Convincing Evidence” (1976), 29 Rutgers L. Rev. 1084.
Colvin, Eric. “Exculpatory Defences in Criminal Law” (1990), 10 Oxford J. Legal Stud. 381.
Concise Oxford Dictionary of Current English, 9th ed. Oxford: Clarendon Press, 1995.
Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 2e éd. Cowansville, Qué.: Yvon Blais, 1990.
Davis, Simon. “Assessing the ‘Criminalization’ of the Mentally Ill in Canada”, Rev. can. psychiatrie, 37(8) (octobre 1992): 532-38.
Dictionnaire de la langue française - Lexis. Paris: Larousse, 1992.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.
Ennis, Bruce J., and Thomas R. Litwack. “Psychiatry and the Presumption of Expertise: Flipping Coins in the Courtroom” (1974), 62 Cal. L. Rev. 693.
Ferguson, G. “A Critique of Proposals to Reform the Insanity Defence” (1989), 14 Queen’s L.J. 135.
Harris, Grant T., Marnie E. Rice and Catherine A. Cormier. “Length of Detention in Matched Groups of Insanity Acquittees and Convicted Offenders” (1991), 14 Int’l J. L. & Psy. 223.
Hart, Stephen D., Christopher D. Webster and Robert J. Menzies. “A Note on Portraying the Accuracy of Violence Predictions” (1993), 17 Law & Hum. Behav. 695.
Hodgins, Sheilagh, ed. Mental Disorder and Crime. Newbury Park: Sage Publications, 1993.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, loose-leaf ed., vol. 1. Scarborough, Ont.: Carswell, 1992 (updated 1998, release 1).
Laberge, Danielle, and Daphné Morin. “The Overuse of Criminal Justice Dispositions: Failure of Diversionary Policies in the Management of Mental Health Problems” (1995), 18 Int’l J. L. & Psy. 389.
Menzies, Robert J. “Psychiatry, Dangerousness and Legal Control”. In Neil Boyd, ed., The Social Dimensions of Law. Scarborough, Ont.: Prentice-Hall Canada, 1986, 182.
Menzies, Robert J., Christopher D. Webster and Diana S. Sepejak. “Hitting the forensic sound barrier: predictions of dangerousness in a pretrial psychiatric clinic”. In Christopher D. Webster, Mark H. Ben-Aron and Stephen J. Hucker, eds. Dangerousness: Probability and prediction, psychiatry and public policy. New York: Cambridge University Press, 1985, 115.
Menzies, Robert J., Christopher D. Webster and Diana S. Sepejak. “The Dimensions of Dangerousness” (1985), 9 Law & Hum. Behav. 49.
Mullen, Paul E. “The Dangerousness of the Mentally Ill and the Clinical Assessment of Risk”. In Warren Brookbanks, ed., Psychiatry and the Law: Clinical and Legal Issues. Wellington: Brooker’s Legal Information, 1996, 93.
Nadin-Davis, R. Paul. Sentencing in Canada. Toronto: Carswell, 1982.
Nouveau Petit Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Montréal: Dicorobert Inc., 1996.
Ogloff, James R. P., et al. “Empirical Research Regarding the Insanity Defense: How Much Do We Really Know?”. In James R. P. Ogloff, ed., Law and Psychology: The Broadening of the Discipline. Durham, N.C.: Carolina Academic Press, 1992, 171.
Prins, Herschel A. Dangerous Behaviour, the Law, and Mental Disorder. London
New York: Tavistock Publications, 1986.
Random House Dictionary of the English Language, 2nd ed. Toronto: Random House, 1987.
Rennie, Ysabel Fisk. The Search for Criminal Man: A Conceptual History of the Dangerous Offender. Lexington, Mass.: Lexington Books, 1978.
Rice, Marnie E., et al. “Recidivism Among Male Insanity Acquittees” (1990), 18 J. Psychiatry & Law 379.
Roth, Martin, Sir. “Modern Psychiatry and Neurology and the Problem of Responsibility”. In Stephen J. Hucker, Christopher D. Webster and Mark H. Ben-Aron, eds., Mental Disorder and Criminal Responsibility. Toronto: Butterworths, 1981, 91.
Ruby, Clayton C. Sentencing, 4th ed. Toronto: Butterworths, 1994.
Schiffer, Marc E. Mental Disorder and the Criminal Trial Process. Toronto: Butterworths, 1978.
Sopinka, John, Sidney N. Lederman and Alan W. Bryant. The Law of Evidence in Canada. Toronto: Butterworths, 1992.
Stuart, Don. Canadian Criminal Law: A Treatise, 3rd ed. Scarborough, Ont.: Carswell, 1995.
Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto: Butterworths, 1994.
Webster's Third New International Dictionary of the English Language. Springfield, Mass.: Merriam-Webster Inc., 1986.

Proposition de citation de la décision: Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625 (17 juin 1999)


Origine de la décision
Date de la décision : 17/06/1999
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1999] 2 R.C.S. 625 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1999-06-17;.1999..2.r.c.s..625 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award