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09/07/1999 | CANADA | N°[1999]_2_R.C.S._868

Canada | Best c. Best, [1999] 2 R.C.S. 868 (9 juillet 1999)


Best c. Best, [1999] 2 R.C.S. 868

Theodore Clifford Best Appelant

c.

Marlene Shirley Best Intimée

Répertorié: Best c. Best

No du greffe: 26345.

1999: 17 février; 1999: 9 juillet.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1997), 35 O.R. (3d) 577, 156 D.L.R. (4th) 717, 31 R.F.L. (4th) 1, 103 O.A.C. 344, 15 C.C.P.B. 170, [1997] O.J. No

. 4007 (QL), qui a rejeté l’appel interjeté par l’appellant contre un jugement du juge Rutherford (1993), 50 R.F.L. (3d)...

Best c. Best, [1999] 2 R.C.S. 868

Theodore Clifford Best Appelant

c.

Marlene Shirley Best Intimée

Répertorié: Best c. Best

No du greffe: 26345.

1999: 17 février; 1999: 9 juillet.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1997), 35 O.R. (3d) 577, 156 D.L.R. (4th) 717, 31 R.F.L. (4th) 1, 103 O.A.C. 344, 15 C.C.P.B. 170, [1997] O.J. No. 4007 (QL), qui a rejeté l’appel interjeté par l’appellant contre un jugement du juge Rutherford (1993), 50 R.F.L. (3d) 120, 1 C.C.P.B. 8, [1993] O.J. No. 2444 (QL), et de sa décision subséquente concernant les dépens, [1994] O.J. No. 1241 (QL). Pourvoi accueilli en partie, le juge L’Heureux‑Dubé dissidente en partie.

William J. Sammon et Jirina Bulger, pour l’appelant.

Frank C. Tierney, Shawn L. C. Peers et Ian R. Stauffer, pour l’intimée.

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie rendu par

//Le juge Major//

1 Le juge Major — Le présent pourvoi vise quelques‑unes des questions qui donnent lieu à controverse et confusion en ce qui a trait au traitement des pensions de retraite dans le cadre du partage des biens à la fin du mariage. La technique appropriée pour déterminer la valeur d’une pension à prestations déterminées en vertu de la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. F.3, est au cœur du litige. Les procédures judiciaires engagées dans la présente action en divorce ont été coûteuses, et il est à souhaiter que les présents motifs mettront fin au long conflit entre les parties.

2 J’ai conclu que, sauf circonstances spéciales, la méthode d’évaluation au prorata de la pension est celle qui permet le mieux de réaliser l’objectif visé par la Loi sur le droit de la famille, soit le partage équitable des biens entre les conjoints. Il ressortira clairement que, bien que le partage des pensions soulève plusieurs questions complexes, notre Cour ne peut examiner que les questions limitées en litige dans le présent pourvoi. On verra également que la Loi sur le droit de la famille appelle des modifications afin de mieux encadrer le partage équitable des avoirs de retraite entre conjoints à la cessation d’un mariage. Sans une telle intervention du législateur, les couples en instance de divorce qui ne peuvent s’entendre sur la question des prestations de retraite n’auront d’autre choix que d’intenter des procédures coûteuses.

3 Le but du législateur ontarien, exprimé dans la Loi sur le droit de la famille, est le partage égal entre les conjoints séparés de la valeur de tous les biens accumulés durant le mariage. Pour parvenir à ce résultat dans le présent cas, il faut calculer l’accroissement de la valeur de la pension du mari appelant au cours du mariage. Si ce n’était des difficultés que comporte l’évaluation des pensions à prestations déterminées, ce calcul serait assez simple.

4 Toutefois, on présente à la Cour deux méthodes actuarielles différentes pour calculer l’accroissement de la valeur de la pension pendant le mariage. L’appelant préconise le recours à la méthode de calcul «au prorata à la cessation d’emploi», méthode suivant laquelle la prestation de retraite payable à la retraite est calculée comme si l’employé avait cessé de travailler à la date de la séparation. La valeur de la pension à cette date est la valeur actualisée de ce flux de revenu, déterminée en tenant compte d’un âge de retraite présumé et de certaines hypothèses actuarielles acceptées en ce qui concerne les taux d’intérêt, l’inflation et la longévité. La valeur de la pension à la date du mariage est obtenue en multipliant la valeur à la date de la séparation par une fraction égale au nombre d’années de service ouvrant droit à pension accumulées avant le mariage divisé par le nombre total d’années de service ouvrant droit à pension accumulées avant la séparation. La somme accumulée au cours du mariage est la différence entre la valeur à la date de la séparation et la valeur à la date du mariage; le conjoint non participant (en l’espèce l’épouse intimée) aurait droit à la moitié de cette somme à la séparation.

5 Pour sa part, l’intimée préconise la méthode de la «valeur ajoutée à la cessation d’emploi». Cette méthode utilise le même mécanisme que la méthode au prorata pour calculer la valeur de la pension à la date de la séparation: on détermine la valeur de la prestation de retraite acquise, puis la valeur actualisée de ce flux de revenu à la date de la séparation. Selon la méthode de la valeur ajoutée, la valeur de la pension à la date du mariage est calculée d’une façon similaire: on présume que l’employé a cessé de travailler à la date du mariage, on calcule d’abord la prestation de retraite acquise à ce moment‑là, puis la valeur actualisée de ce flux de revenu à la date du mariage. Une fois de plus, la somme accumulée durant le mariage est la différence entre ces deux valeurs, et le conjoint non participant a droit à la moitié de cette somme.

6 Essentiellement, la méthode de la valeur ajoutée considère la pension comme un placement dont la valeur croît avec le salaire de l’employé et la capitalisation des montants déjà accumulés. Suivant la méthode de la valeur ajoutée, chaque nouvelle année a une valeur de plus en plus grande. En conséquence, dans un cas comme celui dont la Cour est saisie, où de nombreuses années de service ouvrant droit à pension ont été accumulées avant le mariage, la méthode de la valeur ajoutée attribue aux dernières années de participation au régime une valeur plus grande qu’aux premières. En l’espèce, le mariage n’a duré qu’un peu plus de 12 (soit environ 37 p. 100) des 32 années de service ouvrant droit à pension accumulées par l’appelant avant la séparation, mais la méthode de la valeur ajoutée attribue à cette période environ 88 p. 100 de la valeur de la pension.

7 Par contre, la méthode au prorata produit l’effet suivant: toutes les années de service ouvrant droit à pension sont traitées également, la valeur de la pension augmente uniformément avec le temps et aucune année de service n’a une valeur plus grande qu’une autre. En l’espèce, la méthode au prorata attribue environ 37 p. 100 de la valeur de la pension à la période du mariage. Le fait que cette méthode attribue une valeur plus grande aux années antérieures au mariage et une valeur moins grande aux années de mariage que la méthode de la valeur ajoutée explique à l’évidence pourquoi l’appelant plaide que cette méthode est la plus équitable.

I. Les faits

8 L’appelant, Theodore Clifford Best, est né le 14 avril 1935. Il a travaillé comme directeur d’école à partir de 1960, et il a été élu commissaire au Conseil scolaire d’Ottawa en 1972. Il a épousé l’intimée, Marlene Shirley Best, le 7 février 1976. Il avait alors 40 ans. Chacun d’eux avait été marié auparavant. Ce deuxième mariage a été orageux.

9 Les parties se sont séparées sans espoir de réconciliation en février 1988 et, en 1989, un jugement de divorce a mis fin, après 12 ans, à leur mariage sans enfant. Après le divorce, il y eut un long litige sur le partage des biens. L’audition de l’affaire en 1993 a duré une douzaine de jours. Beaucoup des décisions patrimoniales n’ont pas été portées en appel. La principale question en litige était le partage équitable des droits à pension de l’appelant en tant que membre du Régime de retraite des enseignants et du Fonds de rajustement des prestations de pension des enseignants, auxquels il a adhéré en septembre 1955, soit 20,52 années avant le mariage.

10 Le régime de retraite de l’appelant est un régime «à prestations déterminées», c’est‑à‑dire que la prestation de retraite annuelle versée aux retraités est déterminée selon une formule de calcul de la prestation. En l’espèce, à la retraite, l’appelant avait droit à une rente annuelle égale à 2 p. 100 de la moyenne de ces cinq années les mieux rémunérées, multipliée par le nombre total d’années de service accumulées avant la retraite. Le régime de retraite de l’appelant comporte également une clause de départ à la retraite anticipé, qui permet à l’employé de se retirer sans réduction de la pension payable dès que la somme de son âge et de ses années de service égale 90. La pension est indexée sur l’inflation, aussi bien avant qu’après la retraite, en fonction de l’Indice des prix à la consommation. L’appelant a acquis le droit aux prestations de retraite avant la date du mariage.

11 La Cour de l’Ontario (Division générale) a tranché l’action en faveur de l’intimée le 15 octobre 1993: voir Best c. Best (1993), 50 R.F.L. (3d) 120. L’appelant, qui avait alors 58 ans, travaillait encore et continuait d’accumuler des années de service ouvrant droit à pension. L’intimée avait elle aussi 58 ans, mais elle ne travaillait pas, en partie pour des raisons de santé. L’appelant a pris sa retraite le 30 juin 1996, pendant que l’appel était en instance. La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté son appel le 3 octobre 1997: voir Best c. Best (1997), 35 O.R. (3d) 577. Les deux parties étaient alors âgées de 62 ans.

II. Les dispositions législatives pertinentes

12 Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3

[Préambule] Attendu qu’il est souhaitable d’encourager et de consolider le rôle de la famille; attendu qu’il est nécessaire, pour atteindre ce but, de reconnaître l’égalité des conjoints dans le mariage, et de reconnaître au mariage la qualité de société; attendu que cette reconnaissance doit s’étayer de dispositions législatives qui prévoient le règlement ordonné et équitable des affaires des conjoints en cas d’échec de cette société et qui définissent d’autres obligations réciproques dans le cadre des rapports familiaux, y compris la participation équitable de chaque conjoint aux responsabilités parentales . . .

. . .

4 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

«bien» Droit, actuel ou futur, acquis ou éventuel, sur un bien meuble ou immeuble. Sont compris:

. . .

c) dans le cas du conjoint, en vertu d’un régime de retraite, qui a été acquis, le droit du conjoint y compris les contributions des autres personnes.

«biens familiaux nets» Valeur de tous les biens, à l’exception des biens décrits au paragraphe (2), dont le conjoint est le propriétaire à la date d’évaluation, après déduction des éléments suivants:

a) ses dettes et autres éléments de passif,

b) la valeur des biens, à l’exception d’un foyer conjugal, dont le conjoint était le propriétaire à la date du mariage, après déduction de ses dettes et autres éléments de passif, calculée à la date du mariage.

«date d’évaluation» La première des dates suivantes:

1. La date à laquelle les conjoints se séparent et qu’il n’existe aucune perspective raisonnable qu’ils cohabitent de nouveau.

2. La date à laquelle le divorce est accordé.

. . .

(4) Lorsque le présent article prévoit qu’une valeur soit calculée à une date donnée, le calcul se fait à la fermeture des bureaux à cette date.

. . .

5 (1) Si un jugement conditionnel de divorce est prononcé, que le mariage est déclaré nul ou que les conjoints sont séparés et qu’il n’existe aucune perspective raisonnable qu’ils cohabitent de nouveau, le conjoint qui possède le moins de biens familiaux nets a droit à la moitié de la différence entre les biens familiaux nets de son conjoint et les siens.

. . .

(6) Le tribunal peut accorder à un conjoint un montant qui est inférieur ou supérieur à la moitié de la différence entre les biens familiaux nets qui appartiennent à chacun des conjoints si le tribunal est d’avis que l’égalisation des biens familiaux nets serait inadmissible, compte tenu des facteurs suivants:

. . .

h) n’importe quelle autre circonstance concernant l’acquisition, l’aliénation, la conservation, l’entretien ou l’amélioration des biens.

9 (1) . . . le tribunal peut ordonner les mesures suivantes:

a) qu’un conjoint verse à l’autre conjoint le montant auquel le tribunal a décidé que ce conjoint a droit en vertu de la présente partie;

. . .

c) si cela est nécessaire en vue d’éviter un préjudice, que le montant visé à l’alinéa a) soit payé par versements échelonnés au cours d’une période qui ne dépasse pas dix ans ou que le paiement de la totalité ou d’une partie du montant soit différé pendant une période qui ne dépasse pas dix ans;

d) si cela est approprié pour exécuter une obligation qu’impose l’ordonnance:

(i) soit le transfert, le versement en fiducie ou l’assignation d’un bien en faveur d’un conjoint, en propriété absolue, viagère, ou pour un nombre d’années déterminé . . .

. . .

(3) Si le tribunal est convaincu que la situation du conjoint tenu de faire des versements échelonnés ou différés a changé de façon importante, le tribunal peut, à la suite d’une motion, modifier l’ordonnance. Toutefois, il ne modifie pas le montant auquel le tribunal a décidé que le conjoint a droit en vertu de la présente partie.

III. Historique des procédures judiciaires

A. La Cour de l’Ontario (Division générale) — Le juge Rutherford (1993), 50 R.F.L. (3d) 120

13 Pour trancher le présent pourvoi, il est nécessaire de présenter le raisonnement minutieux et détaillé du juge de première instance. Celui‑ci cherche d’abord à déterminer l’âge auquel l’appelant prendrait vraisemblablement sa retraite, puisqu’il s’agissait d’un facteur important dans l’évaluation de la pension de l’appelant. Si ce dernier avait cessé de travailler à la date de la séparation, en février 1988, il aurait été admissible à une retraite anticipée selon la «règle des 90» le 9 septembre 1992, à l’âge de 57,4 ans, par le seul effet de l’augmentation de son âge. Le juge Rutherford conclut que, considérée du point de vue de la date de la séparation, la preuve justifiait le choix de cette date comme date la plus probable de départ à la retraite. Comme il refuse de tenir compte des faits postérieurs, il pose comme hypothèse que l’appelant n’a pas continué d’accumuler des années de service ouvrant droit à pension après le mois de février 1988. En choisissant le 9 septembre 1992 comme date probable du départ à la retraite, le juge de première instance a dû faire abstraction du fait que l’appelant travaillait encore à la date du jugement.

14 Le juge de première instance s’arrête ensuite au choix de la méthode d’évaluation. Comme la valeur de la pension à la date de la séparation n’était pas vraiment contestée, le juge de première instance accepte le chiffre de 424 912 $ avancé par l’intimée.

15 C’est lorsque les actuaires des parties ont voulu déterminer la valeur de la pension à la date du mariage qu’est né le désaccord au sujet des méthodes d’évaluation. L’actuaire de l’intimée, H. Wayne Woods, a utilisé la méthode de la «valeur ajoutée à la cessation d’emploi», qui fixait à 52 871 $ la valeur de la pension à la date du mariage. En soustrayant cette somme de la valeur de la pension à la date de la séparation (424 912 $), on obtient 372 041 $ qui, d’affirmer l’intimée, est la valeur exacte de la pension qui doit être ajoutée aux biens familiaux nets de l’appelant en vertu de la Loi sur le droit de la famille.

16 L’actuaire de l’appelant, Bernard Potvin, a utilisé ce qu’on a appelé la méthode «au prorata à la cessation d’emploi». Selon cette méthode, comme l’appelant avait accumulé de nombreuses années de service ouvrant droit à pension avant le mariage, la pension majore de 151 480 $ seulement la valeur des biens familiaux nets de l’appelant.

17 Le juge Rutherford examine ensuite les arguments présentés au soutien de chaque méthode. Témoignant pour l’intimée, M. Woods a affirmé que la méthode de la valeur ajoutée était plus compatible avec l’évaluation d’autres biens en vertu de la Loi sur le droit de la famille. Déposant en faveur de l’appelant, M. Potvin a déclaré que la méthode au prorata produisait un résultat plus équitable, parce qu’elle accordait une importance égale à chaque année de service et permettait un partage plus équitable de la pension entre les années du mariage et celles qui l’ont précédé. Selon M. Potvin, bien que la méthode de la valeur ajoutée convienne à l’évaluation d’autres biens, c’est la méthode au prorata qui est plus appropriée pour évaluer une pension à prestations déterminées. Le juge de première instance souligne que, quoique le mariage ait duré 12 des 32 années de service ouvrant droit à pension de l’appelant, la méthode de la valeur ajoutée attribue à la période du mariage plus de 80 p. 100 de la valeur de la pension. Par contre, la méthode au prorata n’attribue à cette période qu’environ 37 p. 100 de la valeur de la pension. La différence entre les sommes attribuables à la période du mariage selon les deux méthodes s’élève à 220 561 $.

18 Le juge Rutherford déclare qu’aucune des décisions invoquées ne portait sur la question précise de la détermination de la valeur d’une pension à prestations déterminées à la date du mariage. Il décide (à la p. 140):

[traduction] À mon avis, particulièrement dans des circonstances comme celles du présent cas, l’argument en faveur de la méthode au prorata est très convaincant. La force de cet argument ressort surtout lorsqu’on met en regard, d’une part, les 12 années qu’a durées le mariage par rapport au 32 années de service ouvrant droit à pension accumulées, et, d’autre part, le pourcentage -- plus de 80 p. 100 -- de la valeur de la pension qui est attribuée à la période du mariage selon la méthode de la valeur ajoutée. Toutefois, quelle que soit la façon dont on conçoit l’équité intrinsèque de la méthode au prorata, elle ne me paraît pas compatible avec l’égalisation de la valeur des biens prévue à l’art. 5 de la Loi sur le droit de la famille. Pour déterminer la valeur de la pension de M. Best, je préfère la méthode de la valeur ajoutée à la méthode au prorata, car la première est plus compatible avec la méthode qui est appliquée dans le cadre du même exercice pour déterminer la valeur d’autres biens. Il y a une certaine équité dans le fait de répartir également la valeur de la pension sur chaque année de service, mais elle semble reposer sur une théorie plutôt artificielle favorisant une distribution et un poids égal pour chaque année.

Le juge de première instance accepte l’évaluation avancée par l’intimée et selon laquelle la valeur de la pension accumulée au cours du mariage s’élevait à 372 041 $. Il a réduit cette somme de 28 p. 100 pour tenir compte de l’effet de l’impôt sur le revenu, ce qui a donné une valeur finale de 267 869 $. Le juge Rutherford fait le calcul d’égalisation prévu au par. 5(1) de la Loi sur le droit de la famille et, après un rajustement qui n’est pas pertinent en l’espèce, il conclut que l’appelant doit verser à l’intimée un paiement d’égalisation de 147 649,50 $.

19 Le juge Rutherford ordonne à l’appelant de s’acquitter de son obligation d’égalisation en transférant d’abord à l’intimée son intérêt dans la résidence familiale, qu’il a évalué à 60 065 $. Comme la valeur de la pension représentait la majeure partie de l’obligation d’égalisation et que cette valeur ne procurerait un revenu à l’appelant qu’à une date ultérieure, le tribunal permet à l’appelant de payer le solde de 87 584,50 $, majoré de l’intérêt, sous forme de mensualités échelonnées sur une période de 10 ans, comme s’il s’agissait du remboursement d’un emprunt hypothécaire.

20 Le juge Rutherford examine ensuite la question de la pension alimentaire et fait remarquer que l’appelant versait à l’intimée une pension mensuelle de 1 900 $ depuis 1988. Il a souligné que le revenu annuel de l’appelant totalisait environ 100 000 $, que ce dernier entendait continuer de travailler comme directeur d’école, mais qu’il n’envisageait pas de tenter de se faire réélire comme conseiller scolaire, et qu’il avait récemment épousé une enseignante de longue date, qui travaillait à temps partiel et qui était propriétaire d’une maison d’une valeur nette importante.

21 Le juge de première instance compare cette situation à celle de l’intimée, qui n’avait aucun moyen véritable de subvenir à ses besoins. Bien qu’elle ait travaillé comme secrétaire au moment du mariage, ses compétences en ce domaine n’étaient plus à jour et elle aurait besoin de formation et d’expérience pour se trouver du travail. Même si l’intimée était titulaire d’un diplôme universitaire de premier cycle et agent immobilier agréé, le juge de première instance a conclu (à la p. 143) que, en raison [traduction] «de son âge, de l’arthrose dont elle souffre et de la conjoncture économique, ses chances de bien gagner sa vie et de devenir financièrement autonome sont sérieusement compromises».

22 Le juge Rutherford ordonne à l’appelant de verser à l’intimée une pension alimentaire de 2 500 $ par mois, ajoutant que ce montant augmenterait ou diminuerait proportionnellement à toute fluctuation du salaire de l’appelant. Le juge Rutherford ordonne également à l’appelant de maintenir l’intimée comme bénéficiaire de son régime de soins de santé le plus longtemps possible.

23 Le 6 juin 1994, après avoir reçu d’autres observations des parties, le juge Rutherford a statué sur les dépens: voir Best c. Best, [1994] O.J. No. 1241 (QL). Quoique l’intimée ait fait une offre de règlement qui était plus favorable à l’appelant que le jugement rendu, de nombreux facteurs militaient contre la reconnaissance du droit présumé de l’intimée aux dépens à compter de la date de son offre de règlement. Consterné par l’importance des frais dans la présente espèce -- environ 50 000 $ pour l’appelant et 90 000 $ pour l’intimée --, le juge de première instance décide que l’intimée avait le droit de recouvrer 45 000 $ au titre des dépens.

B. La Cour d’appel de l’Ontario — Le juge Charron (avec l’accord des juges Finlayson et Doherty) (1997), 35 O.R. 577

24 Le 3 octobre 1997, la Cour d’appel rejette l’appel de l’appelant. Madame le juge Charron est en tous points d’accord avec le raisonnement du juge de première instance sur l’évaluation de la pension. Elle ajoute que, depuis le prononcé des motifs du juge de première instance, la Cour d’appel a décidé, dans Kennedy c. Kennedy (1996), 19 R.F.L. (4th) 454, que le choix de la date du départ à la retraite doit se faire [traduction] «au cas par cas, après examen de tous les éléments de preuve pertinents» (p. 460). Le juge Charron conclut que le juge Rutherford a suivi cette règle et examiné tous les éléments de preuve présentés lorsqu’il a arrêté au 9 septembre 1992 la date probable de la retraite.

25 Le juge Charron souligne également, à la p. 585, que la prise en compte de faits postérieurs pour choisir la date du départ à la retraite aux fins d’évaluation de la pension serait une [traduction] «source d’incertitude considérable dans les procédures judiciaires» et «pourrait fort bien nuire au règlement rapide des litiges matrimoniaux». À la p. 585, le juge Charron estime que la preuve relative à la période postérieure à la séparation pourrait être pertinente pour déterminer [traduction] «l’âge probable du départ à la retraite envisagé par le participant au régime de pension» à la date de la séparation (en italique dans l’original). La perspective envisagée à la date de la séparation, ainsi que le fait même de la séparation pourraient également être pertinents, mais les faits qui n’étaient pas connus du titulaire de la pension ni envisagés par lui au moment de la séparation ne pourraient l’être.

26 Le juge Charron examine ensuite l’argument de l’appelant selon lequel le juge de première instance aurait dû ordonner non pas des versements mensuels, mais plutôt un paiement d’égalisation sur une base «conditionnelle», de telle sorte que l’appelant ne verserait à l’intimée sa part de la prestation de retraite que lorsqu’il la recevrait, si tant est qu’il la recevait. Le juge Charron fait état du fait que de nombreux tribunaux ontariens ont rendu des ordonnances «conditionnelles», mais que de telles ordonnances sont complexes et ne conviennent pas toujours. Le juge Charron conclut que le juge Rutherford n’avait pas outrepassé son pouvoir discrétionnaire en préférant un régime de versements périodiques à un arrangement «conditionnel».

27 Le juge Charron rejette également l’argument de l’appelant selon lequel l’ordonnance alimentaire au profit de son ex‑épouse devrait prendre fin à la date de son départ à la retraite, et statue que le juge Rutherford a agi dans les limites de son pouvoir discrétionnaire en adjugeant les dépens comme il l’a fait. Elle rejette l’appel et accorde à l’intimée les dépens en appel.

IV. Les questions en litige

28 Le pourvoi soulève les questions suivantes:

1. La Cour d’appel et le juge de première instance ont‑ils commis une erreur en concluant que la Loi sur le droit de la famille exige le recours à la méthode de la valeur ajoutée pour évaluer une pension à prestations déterminées aux fins du calcul d’égalisation?

2. La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en confirmant la conclusion du juge de première instance que l’appelant prendrait probablement sa retraite le 9 septembre 1992?

3. La Cour d’appel aurait‑elle dû permettre à l’appelant de s’acquitter de son obligation d’égalisation sur une base «conditionnelle»?

4. La Cour d’appel aurait‑elle dû ordonner que l’obligation alimentaire de l’appelant en faveur de son ex‑épouse prenne fin à la date de son départ à la retraite?

5. La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en confirmant la décision du juge de première instance concernant les dépens?

V. L’analyse

A. Évaluation de la pension à prestations déterminées

(1) Aperçu

29 Pour comprendre la controverse que soulève le présent cas, il est utile d’examiner la nature du bien qui est en jeu. Pour les fins qui nous occupent, il est important de faire la distinction entre le régime de retraite à prestations déterminées en cause ici et un régime de retraite à cotisations déterminées.

30 Un régime à cotisations déterminées est un compte de placement établi au nom de chaque employé, dans lequel l’employeur (et souvent l’employé) verse des cotisations. À l’exception du fait que l’employeur verse des cotisations, le régime à cotisations déterminées fonctionne en grande partie comme le régime enregistré d’épargne‑retraite (REÉR) d’un particulier. Au fil des ans, une pension à cotisations déterminées prend de la valeur comme un portefeuille de placements. À la retraite, le compte à cotisations déterminées est habituellement liquidé et utilisé pour acheter une rente qui procurera au retraité un revenu régulier.

31 Une pension à prestations déterminées, comme celle de l’appelant, fonctionne différemment. Les participants à un régime de retraite à prestations déterminées reçoivent une prestation de retraite fixe, quel que soit le rendement financier de la «caisse de retraite». Le régime n’attribue pas d’éléments d’actif particuliers au compte d’un employé donné. Les participants ne reçoivent pas de relevés individuels des placements. Au contraire, les cotisations sont généralement versées dans un seul et même compte d’actifs de régime de retraite. Lorsqu’un participant au régime prend sa retraite, le régime lui verse une rente, déterminée selon une «formule de calcul de la prestation» à la date de la retraite.

32 La formule de calcul de la prestation peut prendre différentes formes, mais elle repose habituellement sur le nombre d’années de service ouvrant droit à pension et sur les salaires gagnés au cours de la carrière de l’employé concerné. La pension de l’appelant appartient à la catégorie des pensions à prestations déterminées «fin de carrière», qui calculent la prestation en multipliant un pourcentage de base par le nombre d’années de service accumulées au moment de la retraite et le salaire moyen de l’employé au cours de ses cinq dernières années de travail. (À proprement parler, le régime de l’appelant est un régime «salaire maximal moyen», étant donné qu’il tient compte des années les mieux rémunérées et non pas des dernières. Lorsque, comme c’est bien souvent le cas, les dernières années sont aussi celles qui sont les mieux rémunérées, la distinction est sans importance.) Les pensions à prestations déterminées peuvent être conçues différemment, et prendre la forme d’un régime «salaires moyens de carrière», où la prestation de retraite est constituée de pourcentages du salaire gagné durant chaque année de service, ou d’un régime «à rente uniforme», où la prestation de retraite est calculée en multipliant une somme fixe en dollars par le nombre d’années de service. Voir la Commission de réforme du droit de l’Ontario, Report on Pensions as Family Property: Valuation and Division (1995) (ci‑après le Rapport de la CRDO), aux pp. 12 et 13.

33 De plus les régimes de retraite à prestations déterminées sont financés différemment des régimes de retraite à cotisations déterminées. Comme la prestation de retraite est déterminée au moyen de la formule de calcul de la prestation, le montant de la rente que reçoit le retraité ne dépend pas des cotisations qu’il a versées durant ses années de service. Les cotisations des employés correspondent généralement à un pourcentage fixe du salaire; dans certains régimes de retraite à prestations déterminées, les employés ne versent pas de cotisation du tout. L’employeur verse le montant requis pour financer le régime en fonction des cotisations courantes des employés, s’il en est, et des paiements prévus, qui sont généralement estimés par des actuaires. Bien que les cotisations à un régime de retraite à prestations déterminées soient investies pour garantir que le régime demeure solvable et capable de respecter ses obligations envers les retraités, la situation des employés n’est pas meilleure si le fonds de pension a un rendement supérieur ni pire si le marché chute. (J’écarte la possibilité de sous‑capitalisation d’un régime de retraite, puisque cette question ne se soulève pas en l’espèce.) La formule «détermine» la prestation de retraite de chaque employé indépendamment des cotisations versées ou du rendement du capital investi.

34 Selon un sondage de Statistique Canada en 1990, 90,7 p. 100 des participants à des régimes de retraite au Canada appartenaient à des régimes de retraite à prestations déterminées, et 59,8 p. 100 des participants appartenaient à des régimes à prestations déterminées «fin de carrière» ou «salaire maximal moyen». Voir le Rapport de la CRDO, op. cit., à la p. 85, n. 4, et à la p. 91, n. 21.

(2) Les méthodes d’évaluation

35 L’évaluation d’une pension à prestations déterminées avant la retraite est forcément artificielle. La valeur réelle de la prestation de retraite de l’appelant ne peut pas être déterminée de façon définitive avant son départ à la retraite, car ce n’est qu’à cette date qu’on connaîtra avec certitude le nombre total de ses années de service et ses cinq années les mieux rémunérées. Les actuaires ont mis au point différentes méthodes d’évaluation, qui reposent sur diverses hypothèses et qui sont toutes valables du point de vue actuariel. Le problème est de choisir la méthode qui est préférable du point de vue juridique pour l’application de la Loi sur le droit de la famille.

36 Les différentes méthodes d’évaluation de la pension à la rupture du mariage peuvent généralement être classées selon deux caractéristiques: a) la façon dont elles déterminent la valeur de la pension au moment de la séparation, et b) la façon dont elles décrivent l’augmentation de la valeur de la pension durant la période précédant la séparation.

a) La méthode de la cessation d’emploi c. la méthode de la retraite

37 La première distinction méthodologique concerne la façon dont l’actuaire détermine la valeur de la pension à la date de la séparation. Les deux principales méthodes actuarielles utilisées pour faire ce calcul sont la méthode dite de la «cessation d’emploi» et la méthode dite de la «retraite».

38 Suivant la méthode de la «cessation d’emploi», l’actuaire doit déterminer la prestation de retraite annuelle en présumant que le conjoint participant a cessé de travailler à la date de la séparation. Selon la méthode de la «retraite», l’actuaire doit tenir compte des hausses de valeur de la pension survenues après la séparation afin de déterminer avec le plus de précision possible quel sera le montant de la prestation lorsque l’employé prendra sa retraite. Le choix de l’une ou l’autre de ces méthodes soulève de nombreuses questions importantes, notamment l’utilisation d’éléments de preuve postérieurs à la séparation de façon rétrospective ou d’hypothèses quant à d’éventuelles augmentations salariales découlant de promotions ou d’améliorations apportées aux modalités du régime de retraite. En l’espèce, qu’il suffise de mentionner que les parties ont convenu d’appliquer la méthode de la cessation d’emploi.

39 Selon cette méthode, l’actuaire détermine la valeur de la pension à la date de la séparation en calculant la prestation accumulée à cette date au moyen de la formule de calcul de la prestation. La «prestation de retraite» est la somme annuelle que recevrait l’employé à compter de la date de son départ à la retraite. L’actuaire calcule ensuite la somme qui, investie à la date de la séparation, produirait le même flux de revenu que la pension (la «valeur actualisée globale» ou «valeur capitalisée»). Ce calcul est également appelé «actualisation»: la valeur de la prestation de retraite à la date de son versement est actualisée pour obtenir sa valeur actualisée à la date de la séparation.

40 Le calcul de la valeur actualisée exige l’application de certaines hypothèses. Premièrement, l’actuaire doit arrêter la date présumée du départ à la retraite afin de déterminer la durée de la période d’actualisation. Plus la date du départ à la retraite est éloignée, plus la période d’actualisation est longue et moins la valeur actualisée de la pension est élevée. L’actuaire pose également des hypothèses relativement à la longévité de l’employé: plus l’employé vit longtemps, plus la période de versement de la pension et, de ce fait, la valeur de celle‑ci seront élevées.

41 Enfin, l’actuaire doit choisir un taux d’actualisation tenant compte des effets de l’inflation et du rendement du capital investi. L’inflation est un facteur particulièrement important en l’espèce étant donné que la pension de l’appelant est indexée, ce qui veut dire que la valeur de la prestation de retraite suit les hausses de l’Indice des prix à la consommation. Ceci signifie que, ayant pris pour hypothèse que l’appelant a cessé de travailler à la date de la séparation, ceci avant la date à laquelle il a effectivement pris sa retraite et commencé à recevoir une prestation de retraite, la valeur numérique de cette prestation augmenterait dans les faits entre la date de la cessation d’emploi et la date de la retraite afin de compenser la perte du pouvoir d’achat avec le temps. Selon le dossier, il semble que, dans le présent cas, les actuaires ont utilisé des «taux d’intérêt nets» tenant en compte de l’indexation, ce qui veut dire que le taux d’actualisation utilisé était inférieur au taux de rendement hors risque habituel. Voir Institut canadien des actuaires, Norme de pratique pour le calcul de la valeur capitalisée des droits à pension à la rupture du mariage aux fins des paiements forfaitaires de péréquation (1993) (ci‑après la Norme de pratique de l’ICA), aux pp. 10 à 12. Ce taux d’actualisation réduit reflète le fait qu’une pension indexée a une valeur plus élevée qu’une pension qui ne l’est pas.

42 Un actuaire a fait remarquer que le terme «méthode de la cessation d’emploi» est ambigu et pourrait donner à entendre que les augmentations de la valeur de la pension postérieures à la séparation qui sont attribuables à l’indexation ne devraient pas être prises en considération dans le calcul de la valeur de la pension à la date de la séparation. Voir J. B. Patterson, «Confusion Created in Pension Valuation for Family Breakdown Case Law by the Use of the Expressions “Termination Method” and “Retirement Method”» (1998), 16 C.F.L.Q. 249, aux pp. 249 à 256; J. Patterson, Pension Division and Valuation: Family Lawyers’ Guide (2e éd. 1995), aux pp. 187 et 188. En conséquence, dans un jugement, le tribunal a adopté le terme «méthode du taux d’intérêt réel» afin de décrire une méthode d’évaluation qui corrige le taux d’actualisation pour tenir compte de l’indexation. Voir Bascello c. Bascello (1995), 26 O.R. (3d) 342 (Div. gén.), aux pp. 354 et 360.

43 Dans le cadre du présent pourvoi, je continuerai de parler de la «méthode de la cessation d’emploi», en conformité avec la définition proposée par l’Institut canadien des actuaires. Voir la Norme de pratique de l’ICA, op. cit., à la p. 5. La raison de ce choix est que, en l’espèce, la méthode utilisée détermine la valeur de la prestation de retraite en posant l’hypothèse que le conjoint participant a cessé de travailler à la date de la séparation; cette méthode ne pose pas d’hypothèses en ce qui concerne les augmentations de salaire dues à des facteurs non liés à l’inflation comme les promotions, les améliorations apportées au régime et les années de service supplémentaires. Sous ces rapports importants, cette méthode demeure une méthode de la «cessation d’emploi»; il s’agit tout simplement d’une méthode de la cessation d’emploi dans laquelle le taux d’actualisation est un taux d’intérêt «net» ou «réel» qui permet de tenir compte du fait que la pension est indexée.

44 Appliquant cette méthode de la cessation d’emploi qui tient compte de l’indexation, l’actuaire de l’intimée a calculé que la valeur actualisée de la pension s’élevait à 424 912 $ à la date de la séparation. Sauf pour ce qui est de l’âge du départ à la retraite applicable, l’appelant ne conteste pas la méthodologie utilisée pour faire ce calcul. Quoique l’actuaire de l’appelant soit parvenu à un résultat légèrement inférieur (421 983 $), sans doute parce qu’il a utilisé des hypothèses différentes relativement aux taux d’intérêt et à la longévité, cette différence ne lui a pas paru importante. J’accepte donc le chiffre de 424 912 $ fourni par l’intimée comme valeur de la pension à la date de la séparation.

b) Méthode de la valeur ajoutée c. Méthode au prorata

45 En l’espèce, la controverse découle de la deuxième caractéristique qui différencie les méthodes d’évaluation des pensions, soit l’établissement de l’augmentation de la valeur de la pension dans le temps. En effet, l’application de différentes hypothèses concernant la façon dont la valeur d’une pension augmente avec le temps produit des résultats différents en ce qui concerne la valeur de la pension à la date du mariage. Dans l’exemple suivant, l’Institut canadien des actuaires décrit les approches normalement utilisées à l’égard de cette question:

À la date d’évaluation 1 (p. ex., au mariage), le participant avait 10 années de service ouvrant droit à pension, et des droits constitués à une rente annuelle de 2 000 $ qui, à cette date, commandait une valeur de 5 000 $. À la date d’évaluation 2 (p. ex., à la séparation), le participant disposait de 25 années de service ouvrant droit à pension, soit des droits constitués à une rente annuelle de 30 000 $, pour une valeur à cette date de 240 000 $.

Il existe trois méthodes possibles pour établir le droit à pension acquis par le participant au cours du mariage. L’une des approches s’appelle parfois «valeur ajoutée». Dans cette approche, l’actif de rente acquis au cours du mariage est calculé de la façon suivante:

240 000 $ ‑ 5 000 $ = 235 000 $

[Je ne parle pas de la deuxième méthode, appelée méthode au prorata (des prestations), qui n’est invoquée par aucune des parties en l’espèce.]

Une troisième approche s’appelle parfois au prorata (du service). Dans cette approche, l’actif de rente acquis au cours du mariage est calculé de la façon suivante:

(25 ‑ 10) * 240 000 $ = 144 000 $

25

Voir la Norme de pratique de l’ICA, op. cit., aux pp. 6 et 7. Par souci de concision, je vais utiliser l’expression «méthode au prorata» pour désigner la méthode au prorata (du service).

46 Les différents chiffres obtenus au moyen de la méthode de la valeur ajoutée et de la méthode au prorata sont le résultat de l’application de théories différentes quant à la façon dont la valeur d’une pension augmente à compter du moment où l’employé adhère au régime -- date à laquelle cette valeur est égale à zéro -- et la date de la séparation. Selon la méthode au prorata préconisée par l’appelant, la valeur de la pension augmente à un rythme constant au fil des années. Suivant la méthode de la valeur ajoutée proposée par l’intimée, la valeur de la pension augmente lentement au départ puis plus rapidement par la suite, suivant une parabole ou «courbe de croissance».

47 À tout moment avant la séparation, la méthode au prorata attribue toujours à la pension une valeur supérieure à celle que lui attribue la méthode de la valeur ajoutée. Cette différence ne crée aucun problème si le conjoint participant (en l’espèce le mari) ne commence à acquérir des droits à une pension à prestations déterminées qu’après la date du mariage; la valeur au moment du mariage est égale à zéro, quelle que soit la méthode utilisée. Toutefois, si ce conjoint participait au régime avant le mariage, les valeurs obtenues à la date du mariage diffèrent considérablement; en l’espèce, l’écart est de 220 561 $.

48 Il ressort de la preuve, et les deux parties en conviennent, que la méthode de la valeur ajoutée et la méthode au prorata sont deux façons valables d’évaluer une pension à prestations déterminées du point de vue actuariel. La question de droit qui se pose est de savoir si une méthode particulière est soit requise par la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario soit préférable pour l’application de celle-ci.

(3) Le libellé des dispositions législatives

49 Le tribunal qui interprète une loi doit donner effet à l’intention exprimée par le législateur dans le texte en question. Dans le présent cas, le texte de la Loi sur le droit de la famille ne prescrit pas la façon de calculer la valeur de quelque bien en particulier. Les seules indications à cet égard figurent au par. 4(1), qui intime aux tribunaux de calculer la valeur des «biens familiaux nets» de chaque conjoint, expression qui est définie comme la valeur de tous les biens dont chaque conjoint est propriétaire à la «date d’évaluation» (en l’espèce la date de la séparation, le 28 février 1988) moins la valeur de tous les biens dont chacun était propriétaire à la date du mariage (en l’espèce le 7 février 1976). La loi prévoit ensuite le partage égal de la différence entre les biens familiaux nets des conjoints, afin que la part de la richesse accumulée au cours du mariage par l’un des conjoints n’excède pas celle de l’autre. Les tribunaux disposent d’un certain pouvoir discrétionnaire leur permettant d’ordonner un partage inégal des biens familiaux nets (par. 5(6)), mais ce pouvoir n’est pas en cause dans la présente affaire.

50 L’intimée a plaidé que la méthode de la valeur ajoutée est compatible avec le régime établi par la loi puisqu’elle détermine la valeur actualisée de la pension aux deux dates, permettant ainsi au tribunal d’utiliser les deux valeurs dans le calcul de la valeur des biens familiaux nets. Par ailleurs, l’intimée a soutenu que la méthode au prorata est incompatible avec ce régime, parce qu’elle ne détermine pas la valeur actualisée de la pension à la date du mariage. Le juge de première instance et la Cour d’appel ont souscrit à ce point de vue, préférant la méthode de la valeur ajoutée parce qu’elle était, à leur avis, [traduction] «plus compatible» avec le calcul prévu au par. 4(1).

51 Je ne suis pas d’accord, car je suis convaincu que c’est la méthode au prorata qui, dans la plupart des cas et particulièrement dans celui qui nous occupe, produit le résultat le plus équitable, en conformité avec l’objet et la lettre de la Loi sur le droit de la famille. L’actuaire de l’appelant, Bernard Potvin, a témoigné que la méthode au prorata calcule la valeur à la date du mariage en multipliant la valeur actualisée à la date de la séparation par une fraction représentant les années de service ouvrant droit à pension accumulées avant le mariage (environ 20,52) divisée par les années de service ouvrant droit à pension accumulées avant la séparation (environ 32,6). Selon M. Potvin, ce calcul donne une valeur de 270 503 $ à la pension de l’appelant à la date du mariage. La valeur des biens familiaux nets de l’appelant en vertu du par. 4(1) serait la valeur à la date de la séparation (424 912 $) majorée de la valeur des autres biens dont il était propriétaire à la date de la séparation, moins la valeur à la date du mariage (270 503 $) majorée de la valeur des biens dont il était propriétaire à la date du mariage. Ce calcul respecte parfaitement les opérations mathématiques décrites au par. 4(1).

52 L’intimée soutient que la loi exige davantage. Elle reproche plus particulièrement à la méthode au prorata d’utiliser la valeur à la date de la séparation pour [traduction] «établir un chiffre arbitraire» en ce qui a trait à la valeur de la pension à la date du mariage. L’intimée considère que la disposition du par. 4(1) qui précise que la valeur des biens doit être «calculée à la date du mariage» signifie que cette valeur doit être la valeur actualisée globale de la pension, c’est‑à‑dire le capital qui, investie à la date du mariage, produirait une somme égale à la pension payable à l’appelant à la retraite. L’intimée soutient que seul un calcul fondé sur la valeur actualisée produit une valeur «à» la date du mariage.

53 Quoique la solution préconisée par l’intimée pour l’évaluation des pensions soit permise par le par. 4(1), elle n’est pas toutefois obligatoire. Si le législateur avait voulu privilégier une méthode d’évaluation fondée sur la valeur actualisée à l’exclusion de toute autre, il aurait facilement pu le faire. Je ne suis pas d’accord pour dire que les mots «calculée à la date du mariage» figurant au par. 4(1) expriment la préférence du législateur pour une méthode actuarielle d’évaluation des pensions plutôt qu’une autre. Ces mots touchent plutôt le point plus fondamental qu’un conjoint ne peut exclure un bien de ses biens nets familiaux pour la seule raison qu’il en était propriétaire avant le mariage. Si les mots «calculée à la date du mariage» étaient supprimés et que la disposition était ainsi rédigée -- «“biens familiaux nets” Valeur de tous les biens [. . .] dont le conjoint est le propriétaire à la date d’évaluation, après déduction [. . .] d[e] la valeur des biens [. . .] dont le conjoint était le propriétaire à la date du mariage» --, cela voudrait dire qu’un conjoint pourrait soutenir que les biens dont il était propriétaire avant le mariage ne sont pas visés par l’égalisation, même s’ils ont pris de la valeur pendant la durée du mariage.

54 En prescrivant le retranchement de la valeur, calculée à la date du mariage, des biens possédés à la date du mariage, la Loi garantit que l’augmentation de valeur d’un bien durant le mariage est répartie également entre les conjoints, sans égard à la question de savoir si ce bien appartenait avant le mariage à l’un des conjoints. Le texte de la disposition ne règle pas le problème plus délicat de la méthode qui doit être utilisée pour déterminer le chiffre réel de l’augmentation de valeur de ce bien.

55 L’intimée a soutenu que la valeur à la date du mariage qui est obtenue au moyen de la méthode au prorata est «artificielle» parce qu’elle varie en fonction de la date de la séparation, tous les autres facteurs étant égaux. Elle a comparé cette méthode à celle de la valeur ajoutée, qui attribue à la pension une valeur fixe à la date du mariage, indépendamment de sa valeur à la date de la séparation. Toutefois, le par. 4(1) ne précise pas que la valeur à la date du mariage ne peut pas être dérivée mathématiquement de la valeur à la date de la séparation. Comme je l’ai indiqué, tout ce que la Loi dit au sujet des méthodes d’évaluation, c’est qu’elles doivent permettre de déterminer la valeur de la pension à la date du mariage et à la date de la séparation.

56 L’intimée a affirmé que certains tenants de la méthode au prorata, comme la Commission de réforme du droit de l’Ontario et l’Institut canadien des actuaires, ont [traduction] «reconnu qu’une modification législative serait nécessaire pour introduire cette méthode dans le droit de l’Ontario». Cette affirmation est inexacte. Il est vrai que la CRDO et l’Institut canadien des actuaires ont recommandé l’adoption de la méthode au prorata en Ontario par voie législative, mais cette recommandation découle de leur conclusion que le droit actuel ne prend pas position sur la question de l’évaluation des pensions. Contrairement à ce que soutient l’intimée, aucun de ces organismes n’a affirmé que la Loi sur le droit de la famille interdit l’utilisation de la méthode au prorata. Cela ressort clairement des extraits suivants du Rapport de la CRDO:

[traduction] L’évaluation et le partage des pensions en Ontario posent de nombreux problèmes. À l’heure actuelle, le droit ne comporte aucune disposition particulière sur l’évaluation des pensions et donne peu de directives sur les méthodes qu’il convient d’employer. Les couples font face à de grandes difficultés et à des dépenses considérables lorsque vient le temps d’évaluer ce type de biens aux fins du calcul d’égalisation prévu par la Loi sur le droit de la famille. En effet, la Loi sur le droit de la famille prévoit simplement que le participant à un régime de retraite doit partager avec son conjoint la valeur de la pension à la date de séparation. Comme il n’existe pas de lignes directrices normalisées en ce qui concerne les différentes hypothèses économiques et méthodes à employer, les parties et leurs avocats consacrent beaucoup de temps à la négociation des questions d’évaluation. L’absence d’accord sur ces questions entraîne souvent de longues procédures judiciaires.

. . .

La Loi sur le droit de la famille exige que les pensions soient évaluées en cas d’échec du mariage et que leur valeur soit établie au moyen du mécanisme d’égalisation. Toutefois, la Loi sur le droit de la famille ne précise pas la façon de déterminer cette valeur . . .

. . . La Commission estime que des normes régissant l’évaluation des régimes de retraite à prestations déterminées devraient être officialisées dans un texte de loi. Une méthode légiférée d’évaluation des pensions réduirait les dépenses, les délais et les litiges entraînés par les désaccords concernant l’évaluation appropriée des pensions.

L’existence de dispositions législatives éviteraient aux conjoints, en cas de rupture du mariage, d’avoir à s’adresser aux tribunaux pour faire trancher les questions touchant l’évaluation des pensions. Un mécanisme législatif d’évaluation des pensions favoriserait la certitude et réduirait les coûts. [. . .] Les dispositions impératives en matière d’évaluation des pensions devraient être énoncées dans un règlement d’application de la Loi sur le droit de la famille. À cette fin, il faudra modifier la Loi sur le droit de la famille et indiquer que la valeur de la pension doit être calculée en conformité avec les dispositions réglementaires prescrites.

. . .

Il est extrêmement important de clarifier le droit relatif à l’application de la méthode de la valeur ajoutée et de la méthode au prorata pour l’ajustement des droits à pension accumulés avant le mariage dans le cadre de l’évaluation des avoirs de retraite. Comme l’application de ces deux méthodes donne des valeurs différentes aux fins du calcul d’égalisation, il est souhaitable de prescrire une méthode donnée. L’état actuel du droit entraîne des différends et peut se traduire par des procédures judiciaires longues et coûteuses. L’utilisation des deux méthodes peut être justifiée et critiquée pour différentes raisons.

(Rapport de la CRDO, op. cit., aux pp. 1, 84 à 87, et 147; renvois omis.)

Ces affirmations n’étayent pas le point de vue selon lequel la Loi sur le droit de la famille privilégie une méthode d’évaluation par rapport à une autre. De fait, elles expriment exactement la position contraire.

57 L’intimée prétend en outre que le par. 4(1) ne fait pas de distinction entre les différents types de biens et, partant, que les avoirs de retraite ne sauraient être évalués «différemment» d’autres biens. La Cour d’appel de l’Ontario a insisté sur ce point en soulignant (à la p. 590) que la méthode de la valeur ajoutée était [traduction] «nettement plus compatible avec la formule énoncée dans la Loi pour calculer la valeur des biens familiaux nets et avec la méthodologie employée à l’égard d’autres biens». Cependant, la loi n’exige pas que les valeurs à la date du mariage soient calculées de la même façon pour différents types d’éléments d’actif; elle exige simplement que la valeur des biens familiaux nets soit calculée en soustrayant la valeur des biens à la date du mariage de leur valeur à la date de la séparation. Comme il a été indiqué précédemment, les deux méthodes respectent ce critère. C’est ce que la Cour d’appel reconnaît quand elle cite (à la p. 590) un passage de la p. 148 du Rapport de la CRDO, qu’elle paraît approuver:

[traduction] De plus, bien qu’il soit possible de prétendre que la méthode de la valeur ajoutée est plus compatible avec la façon dont la valeur d’autres biens est ajustée pour tenir compte des augmentations survenues avant le mariage pour l’application de la Loi sur le droit de la famille, il est également vrai que la méthode au prorata (du service) satisfait à l’obligation d’ajustement, quoique d’une manière différente, en attribuant une valeur aux augmentations survenues au cours du mariage.

Je suis donc en désaccord avec le juge L’Heureux‑Dubé quand elle affirme que la Loi sur le droit de la famille renferme des «exigences expresses» (par. 138) ou un «texte clair et non ambigu» (par. 139) qui ont pour effet d’écarter la méthode au prorata.

58 Il est vrai que le calcul de la valeur actualisée effectué dans le cadre de la méthode de la valeur ajoutée imite la méthode usuelle d’évaluation d’autres biens telles les rentes ou les obligations. Toutefois, les tribunaux ontariens appelés à faire des calculs d’égalisation ont souvent eu recours à d’autres méthodes pour évaluer des biens inhabituels, comme la valeur d’une clientèle ou celle d’une entreprise. Dans l’affaire Christian c. Christian (1991), 7 O.R. (3d) 441 (Div. gén.), à la p. 464, la clientèle afférente à l’intérêt du mari dans un cabinet d’experts‑comptables a été évaluée en appliquant aux honoraires représentatifs un multiplicateur «approprié» fondé sur une preuve d’expert. Voir aussi l’affaire Chinneck c. Chinneck, [1995] O.J. No. 2786 (QL) (Div. gén.), au par. 86. Dans Perrier c. Perrier (1987), 12 R.F.L. (3d) 266 (H.C. Ont.), à la p. 270, la cour a décidé d’évaluer une entreprise au moyen de la méthode fondée sur la valeur d’exploitation plutôt que sur la méthode fondée sur la [traduction] «convention des actionnaires» ou la «valeur de liquidation», parce que la première était «[l]a méthode la plus équitable». Dans aucune de ces affaires le choix de la méthode d’évaluation n’a reposé sur la similitude entre la méthode choisie et celles employées pour évaluer d’autres types de biens. Par conséquent, contrairement aux affirmations du juge L’Heureux‑Dubé, la méthode de la valeur actualisée globale n’est pas «la méthode à laquelle la législature a assujetti tous les autres biens» (par. 147), et les tribunaux ne sont pas tenus «d’appliquer une seule méthode de calcul à tous les cas» (par. 153).

59 L’intimée a invoqué le par. 4(4) de la Loi sur le droit de la famille, qui exige que la valeur d’un bien à une date donnée soit calculée «à la fermeture des bureaux à cette date». À mon avis, cette disposition anodine vise à faciliter l’évaluation de biens dont la valeur est volatile et peut fluctuer considérablement d’une minute à l’autre, par exemple les valeurs mobilières, les denrées et peut‑être les biens immobiliers. Toutefois, l’intimée considère que le par. 4(4) exige le recours à une méthode d’évaluation fondée sur la valeur actualisée globale. Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation forcée. La méthode au prorata permet incontestablement d’obtenir la valeur de la pension à la date du mariage. Si jamais on prétendait que la valeur d’une pension à la fermeture des bureaux à la date du mariage est différente de sa valeur à 9 h ce jour‑là, je suppose que les actuaires feraient l’ajustement qui s’impose. Comme il n’existe aucun différend de cette nature en l’espèce, le par. 4(4) n’est pas pertinent.

60 La Loi sur le droit de la famille n’exige pas que l’on fasse l’impossible pour appliquer une seule et même méthode d’évaluation à tous les biens, sans tenir compte du fait que différents types de biens peuvent prendre de la valeur de différentes façons. S’il ressort de l’examen de la nature d’une pension à prestations déterminées qu’une autre méthode d’évaluation devrait être utilisée pour en établir la valeur, la loi n’interdit pas de le faire.

61 En raison des nombreux aléas dont il faut tenir compte dans toute tentative d’évaluation d’une pension avant qu’elle ne soit «en cours de paiement», toutes les méthodes d’évaluation sont artificielles jusqu’à un certain point. Les témoins experts ont reconnu ce fait durant leur témoignage dans la présente affaire. L’affirmation de l’intimée selon laquelle la méthode au prorata «fixe» une valeur «arbitraire» à la date du mariage fait abstraction du fait que toute évaluation d’une pension avant la retraite repose sur des hypothèses. L’une de ces hypothèses est celle de savoir si la méthode de la valeur actualisée globale constitue une mesure précise de l’augmentation de la valeur d’une pension avec le temps. La méthode de la valeur ajoutée présume l’affirmative, alors que la méthode au prorata présume le contraire. En l’absence de directives claires du législateur, je répugne à conclure que la méthode au prorata, qui jouit de l’aval de la profession actuarielle, doit être écartée parce qu’elle repose sur une hypothèse qui est différente de celle sur laquelle repose une autre méthode.

62 Vu le silence du législateur sur la question précise de l’évaluation, l’appelant prétend que l’avoir de retraite devrait être évalué au moyen de la méthode qui produit le partage des biens le plus équitable. L’appelant fonde cet argument sur l’objectif général de la Loi, en se référant à l’importance accordée dans le préambule au «règlement ordonné et équitable des affaires des conjoints en cas d’échec de cette société». Les tribunaux ontariens ont souligné que le silence de la Loi sur le droit de la famille en ce qui concerne les méthodes d’évaluation les oblige à appliquer des principes d’équité et de justice. Les commentaires suivants du juge Walsh, dans l’affaire Rawluk c. Rawluk (1986), 55 O.R. (2d) 704 (H.C.), à la p. 709, sont à‑propos:

[traduction] Bien que la Loi parle de valeur, elle ne définit pas ce terme et, en fait, elle ne fournit aucune indication aidant à en dégager le sens, si ce n’est la disposition du par. 4(4) qui précise que, lorsqu’il faut calculer la valeur à une date donnée, cette valeur est calculée à la fermeture des bureaux ce jour‑là. Faute de directives du législateur, la «valeur» doit alors être calculée en fonction des circonstances et des faits particuliers qui ressortent de la preuve dans une affaire donnée.

Confirmant la décision du juge Walsh de recourir à la fiducie par interprétation, le juge Cory, qui a rédigé les motifs des juges majoritaires de la Cour, a souligné l’importance de l’utilisation de cette réparation pour effectuer «un partage des biens qui soit le plus juste et le plus équitable possible». Voir Rawluk c. Rawluk, [1990] 1 R.C.S. 70, à la p. 97 (je souligne). Dans Clarke c. Clarke, [1990] 2 R.C.S. 795, le juge Wilson a indiqué, à la p. 836, que l’objectif général des lois sur les biens matrimoniaux est de «répartir les biens d’une manière équitable».

63 Dans le contexte particulier de l’évaluation des pensions, un certain nombre de tribunaux ontariens ont également appliqué des principes fondés sur l’équité pour choisir une méthode d’évaluation. Dans deux affaires, le tribunal a expressément adopté la méthode au prorata à la cessation d’emploi, concluant qu’elle produisait un résultat plus équitable. Voir Valenti c. Valenti (1996), 21 R.F.L. (4th) 246 (C. Ont. (Div. gén.)), à la p. 256, et Deane c. Deane (1995), 14 R.F.L. (4th) 55 (C. Ont. (Div. gén.)), aux pp. 76 à 78; voir aussi Miller c. Miller (1987), 8 R.F.L. (3d) 113 (C. dist. Ont.), à la p. 123.

64 Dans Shafer c. Shafer (1996), 25 R.F.L. (4th) 410 (C. Ont. (Div. gén.)), aux pp. 428 et 429, le tribunal a employé la méthode de la valeur ajoutée, soulignant toutefois que la loi ne l’y obligeait pas. Bien que l’intimée invoque des décisions dans lesquelles il a été jugé que la loi exige l’utilisation de la méthode de la valeur ajoutée, ces décisions s’appuient généralement sur les motifs exposés par le tribunal de première instance ou la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire qui nous occupe. Voir Beaudoin c. Beaudoin, [1997] O.J. No. 5504 (QL) (Div. gén.), au par. 33; Patrick c. Patrick (1997), 34 R.F.L. (4th) 228 (C. Ont. (Div. gén.)), à la p. 231; Spinney c. Spinney, [1996] O.J. No. 1869 (QL) (Div. gén.), au par. 16; Munro c. Munro, [1995] O.J. No. 1769 (QL) (Div. gén.), au par. 15; Rusticus c. Rusticus, [1995] O.J. No. 516 (QL) (Div. gén.), aux par. 50 et 51.

65 Je suis d’avis que le texte de la Loi sur le droit de la famille n’énonce aucune règle indiquant une préférence pour la méthode de la valeur ajoutée par rapport à la méthode au prorata, ou vice‑versa. Le silence du législateur signifie que le calcul de la valeur de la pension à prestations déterminées de l’appelant doit être fait au moyen de la méthode qui l’évalue le plus équitablement possible.

(4) Considérations relatives à l’équité

66 Il incombe à la Cour de déterminer quelle est la méthode d’évaluation qui répartit le plus équitablement la valeur de la pension entre la période antérieure au mariage et la période du mariage elle‑même. Cette analyse fondée sur l’équité ne devrait pas être axée sur les résultats. L’appelant affirme que la méthode de la valeur ajoutée est inéquitable parce qu’elle attribue 88 p. 100 de la valeur de la pension à la période du mariage, qui représente seulement 37 p. 100 des années de service. Quoique ce fait soit pertinent, il n’est pas suffisant pour permettre à l’appelant d’avoir gain de cause. Il est possible que la valeur d’un bien progresse lentement, puis soudain augmente de façon spectaculaire sur une courte période. Il serait inéquitable de priver l’intimée de sa part de la bonne fortune survenue au cours du mariage. La Cour doit décider quelle méthode d’évaluation décrit le plus exactement la façon dont la valeur de la pension à prestations déterminées a évolué au fil des ans, en tenant dûment compte de la nature du bien lui‑même.

67 Il convient, à ce stade‑ci, de rappeler la différence qui existe entre une pension à prestations déterminées et une pension à cotisations déterminées. La valeur d’une pension à cotisations déterminées est directement liée à la cotisation versée par l’employeur et, s’il y a lieu, par l’employé. Chaque cotisation sert à acheter des placements; plus la cotisation est élevée, plus on achète de placements et plus la prestation de retraite finale est élevée. Il est évident que plus les cotisations sont élevées, plus la valeur d’une pension à cotisations déterminées croît rapidement. En outre, comme une pension à cotisations déterminées est essentiellement un compte de placement dont le contenu servira à acheter une rente à la retraite, la valeur de cette rente suit nécessairement la valeur des éléments d’actif dans le compte de retraite, y compris les hausses dues au rendement du capital. Il va de soi que l’accroissement de la valeur de la pension peut être représenté de la même façon que l’accroissement de la valeur des placements. En conséquence, l’évaluation des pensions à cotisations déterminées ne soulève pas les problèmes qui se posent en l’espèce. Il suffit de regarder les relevés de compte de la pension à la date du mariage et à la date de la séparation. Voir, en général, le Rapport de la CRDO, op. cit., à la p. 84, n. 3.

68 En revanche, l’intérêt que possède un employé dans une pension à prestations déterminées n’est pas lié à des avoirs de retraite particuliers ni au montant des cotisations. La formule de calcul de la prestation dans la présente espèce fixe la prestation en fonction du nombre d’années de service et des meilleurs salaires gagnés. Par conséquent, je crois que le juge de première instance n’a pas bien saisi la question (aux pp. 140 et 141) lorsqu’il a rattaché la valeur de la participation à un régime de retraite à prestations déterminées au cours d’une année à la valeur des cotisations versées par l’employé durant l’année en question. Contrairement à un intérêt dans un régime à cotisations déterminées, la prestation annualisée versée en bout de ligne à un employé dans le cadre d’un régime à prestations déterminées n’est pas liée au montant des cotisations ou au taux de rendement du capital investi.

69 Il est donc loin de tomber sous le sens que l’augmentation de valeur d’un intérêt dans un régime de retraite à prestations déterminées devrait être mesurée de la même façon que l’augmentation de valeur d’un régime à cotisations déterminées ou d’un placement. C’est là une lacune importante de la méthode de la valeur ajoutée préconisée par l’intimée. En effet, cette méthode traite une pension à prestations déterminées comme un placement global dont la valeur augmente suivant un taux rajusté fondé sur le taux de rendement hors risque en vigueur. En raison de l’effet de capitalisation qui s’ensuit, la méthode de la valeur ajoutée attribue une part plus importante de l’accroissement de valeur aux dernières années qui précèdent la date d’évaluation. Toutefois cette attribution de valeur n’est liée d’aucune façon à quelque changement concret de la valeur de la pension.

70 Voici un exemple qui permet d’illustrer cet énoncé. Supposons que l’appelant ait effectivement cessé de travailler à la date du mariage, qu’il avait alors accumulé 20 années de service et que le traitement moyen de ses cinq années les mieux rémunérées s’élevait (hypothétiquement) à 60 000 $. Selon la formule de calcul de la prestation, l’appelant aurait acquis une prestation de retraite annuelle de 24 000 $ (2 p. 100 x 20 x 60 000 $). Douze ans plus tard, à la date de la séparation, sa prestation de retraite annuelle serait encore de 24 000 $, puisqu’il a quitté son emploi et qu’il n’a pas accumulé d’autres années de service ni vu son salaire augmenter. (Par souci de simplicité, cet exemple ne tient pas compte de l’effet de l’indexation préretraite.) Le bon sens voudrait que, puisque l’intérêt dans la pension n’a pas changé pendant la durée du mariage, il ne soit aucunement pris en compte dans les «biens familiaux nets» aux fins du calcul d’égalisation.

71 Selon la méthode de la valeur ajoutée, toutefois, l’actuaire calculerait a) la somme globale qui, investie dans des éléments d’actif sans risque à la date de la séparation, produirait un revenu annuel de 24 000 $ à la retraite. Supposons que le taux d’actualisation et les hypothèses actuarielles applicables donnent une valeur actualisée à la séparation de 100 000 $. L’actuaire calculerait ensuite b) la somme globale qui, investie dans des éléments d’actif sans risque à la date du mariage, donnerait le même flux de revenu (24 000 $ annuellement) à la date du départ à la retraite. L’actualisation de la somme de 100 000 $ sur les 12 années de mariage à un taux d’intérêt de 3 p. 100 donne une valeur actualisée à la date du mariage de 70 138 $. Suivant la méthode de la valeur ajoutée, la différence entre les valeurs a) et b) -- dans notre exemple, 100 000 $ moins 70 138 $, soit 29 862 $ -- sera considérée comme faisant partie des «biens familiaux nets». Il en est ainsi même si la prestation annualisée qui sera versée -- qui est la seule valeur significative d’une pension à prestations déterminées -- n’a subi aucun changement après le mariage. Il s’ensuit que le conjoint participant (en l’espèce, l’appelant) doit tenir compte, au titre de l’égalisation, de la plus‑value d’un bien qui ne s’est pas produite dans les faits. L’équité de ce résultat m’échappe.

72 L’intimée affirme que la valeur d’une pension est effectivement plus élevée en fin de carrière qu’au début de celle‑ci, même si la valeur numérique de la prestation demeure inchangée. L’intimée prétend que la promesse d’une pension revêt une importance plus grande à mesure que l’employé approche de l’âge de la retraite, et elle soutient que la proximité du début de la pension a un effet important sur la façon dont les couples mariés âgés planifient leur vie et organisent leurs finances, alors qu’il est possible que ce facteur n’ait aucune incidence sur les décisions des jeunes couples. Cette considération n’est pas pertinente à mon avis. Tous les biens que possède un couple marié deviennent plus importants à mesure que le couple vieillit et que le temps dont il dispose pour planifier leur retraite diminue. Cependant, il est irréaliste d’affirmer que l’impression subjective qu’un élément d’actif «vaut davantage» à 60 ans qu’à 30 ans se traduit par une augmentation objective de valeur qui doit se refléter dans le calcul d’égalisation. Bien qu’une rente soit un plus grand réconfort à la date de la séparation qu’à la date du mariage, ce fait ne justifie pas de la considérer comme un bien dont la valeur a augmenté à un taux de rendement interne pendant la durée du mariage. Pareil traitement ne fait que pénaliser le conjoint participant pour le fait inexorable que le temps a passé.

73 Dans le même ordre d’idées, la soustraction de deux valeurs actualisées selon la méthode de la valeur ajoutée pose le problème supplémentaire des dollars constants. Il est assez évident que, en raison de l’inflation, le pouvoir d’achat d’un dollar était beaucoup plus grand en 1976 qu’en 1988. En conséquence, des sommes qui ont la même valeur réelle en dollars constants auront une valeur numérique moins élevée quand on les exprime en dollars de 1976 plutôt qu’en dollars de 1988. La méthode de la valeur ajoutée ne semble pas tenir compte de cette différence; elle retranche plutôt directement la somme en dollars de 1976 du chiffre en dollars courants de 1988. Voir, par exemple, Patterson, Pension Division and Valuation, op. cit., à la p. 163. Il s’ensuit que l’effet de l’inflation entre 1976 et 1988 sur la valeur totale de la pension -- même sur la portion acquise avant 1976 -- est traité comme une «plus‑value» survenue pendant la durée du mariage. Cette «plus‑value» est une autre conséquence de l’utilisation de valeurs capitalisées dans le cadre de la méthode de la valeur ajoutée, et elle ne reflète aucun changement véritable dans la valeur de la prestation de retraite pendant la période où l’appelant et l’intimée ont été mariés.

74 Un autre problème qui caractérise la manière dont la méthode de la valeur ajoutée a été utilisée dans le présent cas est le fait qu’on se soit servi d’hypothèses différentes quant à l’âge du départ à la retraite pour calculer la valeur de la pension à la date du mariage et sa valeur à la date de la séparation. Pour évaluer la pension à la date de la séparation, le juge Rutherford a choisi un âge de retraite présumé de 57,4 ans (l’appelant conteste cette décision, qui est examinée plus loin à la section 5). Toutefois, pour évaluer la pension à la date du mariage, le juge Rutherford a retenu l’âge de retraite de 65 ans adopté par l’actuaire de l’intimée. Cet âge de retraite différent a réduit de deux façons la valeur de la pension à la date du mariage. Premièrement, il a réduit la valeur actualisée de la pension à la retraite en ce sens que la pension serait versée pendant 7,6 années de moins que si l’appelant avait pris sa retraite à l’âge de 57,4 ans. Deuxièmement, il a prolongé la période d’actualisation pour le calcul de la valeur de la pension à la date du mariage: le premier versement a été actualisé à l’an 2000 (lorsque l’appelant aura 65 ans) plutôt qu’à 1992 (lorsqu’il avait 57,4 ans).

75 La Cour est désavantagée pour l’appréciation de la raison pour laquelle l’âge de la retraite a été fixé à 65 ans aux fins du calcul de la valeur de la pension à la date du mariage. Ce point n’a été abordé ni par le juge de première instance ni par la Cour d’appel, et il ne l’a pas été non plus par l’intimée devant notre Cour. À en juger par le témoignage de l’actuaire de l’intimée, le choix de 65 ans comme âge de la retraite semble découler du fait que, si l’appelant avait cessé de travailler à la date du mariage, il n’aurait pas satisfait aux exigences prévues par la clause de retraite anticipée fondée sur «la règle des 90», et il n’aurait pas pu prendre sa retraite avant l’âge normal de 65 ans.

76 Je ne crois pas qu’il y avait quelque raison que ce soit d’évaluer la pension à la date du mariage sur le fondement de l’hypothèse que l’employé avait cessé de travailler à cette date. Cette hypothèse ne tenait pas compte des faits économiques réels survenus au cours du mariage, soit que l’appelant n’a pas cessé de travailler et qu’il est finalement devenu admissible à une retraite anticipée.

77 Il est vrai qu’il existe des raisons impérieuses de ne pas tenir compte de renseignements postérieurs à la séparation dans l’évaluation de la pension selon la méthode de la cessation d’emploi -- par exemple, l’idée que le conjoint non participant ne devrait pas profiter des fruits de la période d’emploi postérieure à la séparation du conjoint participant, et la crainte que ce dernier pourrait agir par stratégie, après la séparation, afin de diminuer la valeur de la pension visée par l’égalisation. J’examinerai l’effet de ces considérations dans le présent cas plus loin à la section 5. Indépendamment de l’opportunité d’utiliser des éléments de preuve postérieurs à la séparation dans l’application de la méthode de la cessation d’emploi, j’estime qu’il n’est pas justifié de refuser l’utilisation d’éléments de preuve postérieurs au mariage pour calculer la valeur de la pension à la date du mariage. Il ne s’agit pas de juger par rétrospective, puisque les faits et gestes d’une personne entre la date du mariage et celle de la séparation sont forcément antérieurs à la date de séparation. J’ai du mal à imaginer une situation dans laquelle un conjoint participant chercherait, à des fins stratégiques, à reporter la date de son départ à la retraite en agissant d’une certaine façon avant la séparation et ce, dans le but de réduire la valeur actualisée de sa pension.

78 L’intimée pourrait prétendre que la faculté de se retirer avant l’âge de 65 ans tout en recevant une pension non réduite est en soi un avantage qui augmente la valeur de la pension, et que la valeur de cet avantage devrait être comptée dans les biens familiaux nets parce qu’elle a été accumulée durant le mariage. Cet argument ne saurait être retenu, car il considère que la clause de retraite anticipée n’a pas d’incidence sur la valeur de la pension tant que l’employé n’est pas devenu dans les faits admissible à la retraite anticipée. Autrement dit, l’intimée demande à la Cour de considérer que le droit à la retraite anticipée a une valeur égale à zéro tant que l’employé n’a pas satisfait à la «règle des 90».

79 Suivant la «règle des 90», un employé n’acquiert le droit de se retirer avant l’âge de 65 ans qu’après avoir accumulé plus de 25 années de service. Il est exact que l’appelant a rempli cette condition pendant qu’il était marié à l’intimée. Toutefois, il est faux d’affirmer qu’il n’était pas en voie d’acquérir le droit de prendre une retraite anticipée avant ce moment‑là. Chaque année a une importance égale pour déterminer la mesure dans laquelle un employé satisfait à la «règle des 90». Si l’appelant n’avait pas accumulé 20 années de service avant le mariage, le droit à la retraite anticipée n’aurait été acquis, le cas échéant, qu’après la séparation. Ces premières années de service ont été tout aussi importantes pour l’acquisition du droit à la retraite anticipée que celles accumulées au cours du mariage.

80 Cette approche en matière d’évaluation des avantages afférents à la retraite anticipée est compatible avec celle de l’Institut canadien des actuaires. L’ICA considère que de tels avantages peuvent avoir une valeur concrète, même avant le moment où l’employé acquiert le droit à une retraite anticipée. Voir la Norme de pratique de l’ICA, op. cit., aux pp. 5 et 6:

Les enrichissements aux prestations constituées et les avantages accessoires réputés acquis (par exemple le droit à une retraite anticipée sans réduction sous réserve d’une combinaison reposant sur l’âge et les années de service et (ou) les prestations de raccordement) qui ne dépendent que du service futur dans la mesure où ils sont constitués à la date de l’évaluation doivent être expressément traités par l’actuaire.

Par «doivent être expressément traités», il faut entendre que l’actuaire doit présenter une valeur définie distincte pour ces prestations, sans actualisation pour déchéance future éventuelle.

La Commission de réforme du droit de l’Ontario a elle aussi adopté ce point de vue:

[traduction] La Commission de réforme du droit de l’Ontario recommande donc que le projet de Règlement sur l’évaluation des rentes de retraite devrait prévoir que lorsque, selon un régime de retraite, une prestation de retraite anticipée est payable à un participant, sans réduction, après que certaines conditions d’acquisition sont remplies, cette prestation sera évaluée selon la méthode suivante:

(a) on présumera, aux fins de l’évaluation de la rente, l’acquisition de la prestation non réduite de retraite anticipée, et

(b) on appliquera une réduction pour tenir compte de l’éventualité d’une cessation de l’affiliation du participant au régime avant que le participant ne réponde aux conditions d’acquisition.

Voir le Rapport de la CRDO, op. cit., à la p. 123. Ces énoncés de l’ICA et de la CRDO appuient le point de vue selon lequel les avantages afférents à la retraite anticipée qui sont fonction des années de service ne doivent pas être considérés comme prenant de la valeur uniquement une fois qu’ils ont été acquis. Ils sont acquis progressivement durant les années de service de l’employé. Ce point de vue est particulièrement justifié dans le présent cas, où l’on savait avant la séparation que l’appelant était effectivement admissible à une retraite anticipée. En conséquence, je ne crois pas que le juge de première instance et la Cour d’appel étaient fondées à utiliser un âge de départ à la retraite plus élevé pour évaluer la pension à la date du mariage.

81 En plus de faire ressortir une lacune de la méthode de la valeur ajoutée telle qu’elle s’applique au cas qui nous occupe, cet argument concorde avec celui présenté par l’appelant en faveur de l’utilisation de la méthode au prorata. Ce dernier soutient que, selon la formule de calcul de la prestation, le facteur le plus important dans le calcul de la valeur de sa pension est le nombre d’années de service qu’il a accumulées. La formule de calcul de la prestation incorpore les années de service directement, de sorte que chaque année de service supplémentaire augmente effectivement la prestation de retraite annuelle de 2 p. 100 du traitement moyen des cinq années les mieux rémunérées. Si la condition fondée sur les «cinq années les mieux rémunérées» ne change pas, chaque année de service augmente la prestation de retraite d’un montant égal. À cet égard, les premières années de service d’un employé qui participe au régime ont tout autant de valeur que les dernières. Voir Ramsay c. Ramsay (1994), 1 R.F.L. (4th) 447 (B.R. Sask.), à la p. 453.

82 Je conviens avec l’appelant que la méthode au prorata reflète cet aspect de sa pension à prestations déterminées. En répartissant la valeur actualisée de la pension sur chaque année de service, la méthode au prorata tient compte du fait que la valeur véritable du régime de retraite à prestations déterminées -- c’est‑à‑dire la prestation elle‑même -- augmente à un taux constant (ou taux arithmétique) à mesure que le temps passe, et non pas suivant une courbe de croissance (ou taux géométrique). La méthode au prorata rend compte fidèlement de la nature de la pension en tant qu’élément d’actif futur, au lieu de la considérer à tort comme un élément d’actif courant, auquel on peut attribuer une valeur globale qui augmente en fonction du taux d’inflation et du taux de rendement de placements sans risque.

83 L’intimée objecte que la méthode au prorata est inéquitable parce qu’elle ne reflète pas l’effet des augmentations de salaire, qui surviennent à des moments précis dans le temps et peuvent influencer sensiblement la valeur de la pension. La méthode au prorata considère plutôt que le facteur fondé sur le «salaire moyen des cinq années les mieux rémunérées» a un effet constant pendant toute la période de service ouvrant droit à pension. Comme les années les mieux rémunérées sont habituellement les années en fin de carrière, plus proches de la date de la séparation, la valeur attribuée aux premières années par la méthode au prorata attribue effectivement aux premières années la valeur des salaires plus élevés qui sont gagnés plus tard. L’intimée affirme que c’est injuste, surtout dans son cas, vu les nombreuses années de service accumulées par l’appelant avant le mariage. En attribuant une portion importante des augmentations de salaire accordées au cours du mariage aux années antérieures au mariage, il est possible de prétendre que la méthode au prorata sous‑évalue de manière inéquitable les biens familiaux nets.

84 Bien qu’il soit vrai que les augmentations de salaire surviennent à des moments précis dans le temps et qu’on peut clairement séparer celles survenues avant le mariage et celles survenues pendant celui‑ci, la Cour devrait examiner le rôle particulier joué par les augmentations de salaire dans le régime de pension à prestations déterminées de l’appelant. Dans un régime de pension à cotisations déterminées, une hausse du salaire se traduit généralement par une hausse des cotisations, qui à son tour entraîne l’augmentation des éléments d’actif détenus dans le compte de retraite. Étant donné que, dans un régime de retraite à prestations déterminées «salaires de carrière», le salaire gagné au cours d’une année donnée détermine une partie de la prestation finale, les variations salariales d’une année à l’autre font une grande différence. Dans les deux cas, une année au cours de laquelle on hausse le salaire d’un employé augmente vraiment davantage la valeur de la prestation que ne le font les années antérieures. Toutefois, dans un régime «salaire maximal moyen» comme celui de l’appelant, une hausse de salaire augmente non seulement la valeur de l’année au cours de laquelle elle survient, mais aussi la valeur acquise au cours de toutes les années de service antérieures. Comme il a été mentionné plus tôt, chaque année de service ajoute 2 p. 100 du traitement moyen des cinq années les mieux rémunérées, peu importe quand surviennent ces cinq années. Par conséquent, si un employé subit, pour quelque raison que ce soit, une baisse de salaire vers la fin de sa carrière, la prestation de retraite demeure inchangée. L’effet d’une hausse de salaire dans un régime de retraite à prestations déterminées «salaire maximal moyen» ne se limite pas à l’année particulière au cours de laquelle cette hausse est accordée, mais se fait également sentir pendant toute la durée du service.

85 La façon dont l’intimée conçoit les augmentations de salaire repose encore une fois sur la prémisse implicite selon laquelle la Cour devrait, dans l’évaluation de la pension à la date du mariage, supposer que l’appelant a cessé de travailler à cette date. Comme je l’ai souligné, il n’existe aucune raison de principe de ne pas utiliser des renseignements qui sont connus avec certitude au moment de la séparation pour calculer la valeur de la pension à la date du mariage. En calculant la prestation accumulée à la date du mariage uniquement en fonction du traitement moyen des cinq années les mieux rémunérées jusqu’à la date du mariage, on fait abstraction des renseignements plus exacts qui étaient connus à la date de la séparation.

86 Dans le même ordre d’idées, je pense que la méthode au prorata est préférable parce qu’elle est moins conjecturale que la méthode de la valeur ajoutée. Bien que toute évaluation d’une pension avant la retraite implique le recours à des hypothèses actuarielles susceptibles de se révéler erronées par la suite, la méthode au prorata requiert un seul calcul d’actualisation et, en outre, ne fait pas artificiellement abstraction des renseignements pertinents qui sont connus à la date de la séparation pour déterminer la valeur à la date du mariage. La nature d’une pension à prestations déterminées «salaire maximal moyen» rend ce fait particulièrement important. Je note également que la méthode au prorata à la cessation d’emploi semble être la règle en ce qui a trait à l’évaluation des pensions à prestations déterminées dans d’autres provinces canadiennes ainsi que dans de nombreux États américains. Voir le Règlement sur les régimes complémentaires de retraite, (1990) 122 G.O. II, 3246, art. 36, 37 et 40; Loi sur les prestations de pension, L.N.‑B. 1987, ch. P‑5.1, par. 44(8); Règlement général -- Loi sur les prestations de pension, Règl. du N.‑B. 91‑195, par. 28(2); Corpus Juris Secundum (1986), vol. 27C, § 558, aux pp. 53 et 54; Humble c. Humble, 805 S.W.2d 558 (Tex. Ct. App. 1991), aux pp. 560 et 561.

87 Il est possible que la méthode de la valeur ajoutée puisse être modifiée pour tenir compte des inquiétudes que j’ai soulevées et qu’elle puisse donner une évaluation plus équitable si la pension était structurée d’une manière différente. De façon générale, toutefois, la méthode au prorata produit une évaluation plus équitable d’une pension à prestations déterminées que la méthode de la valeur ajoutée. Comme l’objectif premier de la Loi sur le droit de la famille est d’assurer un partage des biens qui soit équitable pour les deux conjoints, je crois que la méthode au prorata est la méthode d’évaluation préférable pour l’application du droit ontarien.

88 Un autre point vaut d’être signalé. Bien que les parties à l’instance aient convenu d’utiliser la méthode d’évaluation à la «cessation d’emploi», je ne désire pas écarter la possibilité pour d’éventuels plaideurs d’utiliser la méthode de la «retraite» dans une future affaire. Ma conclusion que tout renseignement disponible au moment de la séparation devrait être utilisé pour calculer la valeur de la pension à la date de la séparation et à la date du mariage laisse entendre qu’il faut d’ordinaire tenir compte des renseignements postérieurs à la séparation dans la mesure où ils ont une incidence sur la formule de calcul de la prestation. Ainsi, c’est un fait maintenant établi que l’appelant a pris sa retraite à l’âge de 61 ans, après avoir accumulé 40,83 années de service. Ses cinq années les mieux rémunérées pouvaient également être déterminées avec exactitude. Il est fort probable qu’un tel calcul, qui correspond essentiellement à la méthode de la «retraite», fournirait l’évaluation la plus équitable possible de la pension à prestations déterminées dans la présente espèce.

89 Je constate que d’autres provinces sont favorables au recours à la méthode «au prorata à la retraite». Voir Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, ch. 128, art. 74; B.C. Reg. 77/95, art. 6; Hierlihy c. Hierlihy (1984), 48 Nfld. & P.E.I.R. 142 (C.A.T.‑N.), à la p. 146. Cette méthode semble également être la règle dans les États américains où s’applique le régime de la «communauté de biens». Voir, par exemple, Corpus Juris Secundum, op. cit., à la p. 57; mais voir Humble, précité (qui préfère la méthode au prorata à la cessation d’emploi à la méthode au prorata à la retraite).

90 La méthode de la retraite pourrait avoir beaucoup d’intérêt, particulièrement en raison du fait que la valeur réelle d’une pension peut changer radicalement après le mariage à cause soit de modifications à la formule de calcul de la prestation soit de hausses de salaire substantielles. Ainsi que je l’ai indiqué, il existe des raisons impérieuses de considérer que ces changements produisent leur effet pendant toute la vie de la pension à prestations déterminées, pas seulement au moment où ils surviennent. La CRDO est également favorable à la méthode de la retraite. Voir le Rapport de la CRDO, op. cit., aux pp. 104 à 106.

91 Je sais que la méthode au prorata à la retraite peut prendre deux formes. L’Institut canadien des actuaires décrit une méthode de la retraite fondée sur des «projections», selon laquelle l’accumulation d’années de service, les augmentations de salaire et les changements apportés à la formule de calcul de la prestation dans l’avenir sont estimés d’un point de vue actuariel. Voir la Norme de pratique de l’ICA, op. cit., à la p. 5. Cette méthode est susceptible d’exiger l’application de nombreuses hypothèses, mais elle pourrait convenir lorsque les années de service et les derniers salaires du conjoint participant sont connus avec suffisamment de certitude avant la retraite. La CRDO recommande ce type de méthode, mais suggère une réduction pour tenir compte de la possibilité que l’employé cesse de travailler plus tôt: Rapport de la CRDO, op. cit., à la p. 106; voir aussi Knippshild c. Knippshild (1995), 11 R.F.L. (4th) 36 (B.R. Sask.), aux pp. 48 à 50.

92 Une autre méthode possible basée sur la retraite est celle qui est utilisée en Colombie‑Britannique, à Terre‑Neuve et dans certains États américains. On pourrait l’appeler la méthode de la retraite «d’application différée». Selon cette méthode, le calcul de la somme finalement due au conjoint non participant est différé jusqu’à la date réelle du départ à la retraite, lorsque les dernières années de service et les années les mieux rémunérées ont cristallisé. Voir Rutherford c. Rutherford (1980), 14 R.F.L. (2d) 41 (C.S.C.‑B.), aux pp. 60 et 61, et Hierlihy, précité, aux pp. 145 et 146. Des décisions rendues dans d’autres provinces, y compris certaines en Ontario, ont suivi cette méthode ou une méthode similaire. Voir Gilmour c. Gilmour, [1995] 3 W.W.R. 137 (C.A. Sask.), aux pp. 141 et 142; Bourdeau c. Bourdeau, [1993] O.J. No. 1751 (QL) (Div. gén.), aux par. 20 à 22; Rauf c. Rauf (1992), 39 R.F.L. (3d) 63 (C. Ont. (Div. gén.)), aux pp. 65 et 66; Porter c. Porter (1986), 1 R.F.L. (3d) 12 (C. dist. Ont.), aux pp. 26 et 27; Moravcik c. Moravcik (1983), 37 R.F.L. (2d) 102 (C.A. Alb.), à la p. 108; George c. George (1983), 35 R.F.L. (2d) 225 (C.A. Man.), à la p. 243. Un groupe de travail de l’Institut canadien des actuaires a recommandé le recours à une «méthode de règlement différé» du même genre. Voir le Document préliminaire du Groupe de travail sur la répartition des prestations de retraite à la rupture du mariage de l’Institut canadien des actuaires intitulé La répartition des prestations de retraite à la rupture du mariage (1998), à la p. 9. Comme le partage de la pension est forcément remis au moment de la retraite dans le cadre de cette méthode, celle‑ci est généralement utilisée en conjonction avec un régime de paiement «conditionnel», question qui est examinée plus loin à la section C.

93 Pour les fins qui nous occupent, qu’il suffise de mentionner que les parties ont convenu d’utiliser la méthode de la cessation d’emploi. Il demeure toutefois possible et même souhaitable, vu la façon dont elle tient compte de la réalité, de recourir à la méthode de la retraite. Je note que certains ont prétendu que l’utilisation de la méthode de la retraite d’application différée pourrait être incompatible avec le texte actuel de la Loi sur le droit de la famille. Cette conclusion semble fondée sur la thèse que le paiement d’égalisation doit être calculé sans tenir compte de tout changement de la valeur du bien après la séparation. Voir le Rapport de la CRDO, op. cit., à la p. 105, et Marsham c. Marsham (1987), 59 O.R. (2d) 609 (H.C.), à la p. 614. En outre, la méthode de la retraite d’application différée égalise effectivement la pension séparément des autres biens, ce qui peut sembler incompatible avec l’art. 4 de la Loi sur le droit de la famille, qui dispose que la valeur des «biens familiaux nets» est calculée en faisant la somme de la valeur de tous les biens dont le conjoint est propriétaire. Cependant, peut‑être est‑il possible de surmonter ces obstacles législatifs. Ce sera pour une autre fois.

94 Pour les motifs qui précèdent, je crois que la méthode au prorata à la cessation d’emploi donne, aux fins du calcul d’égalisation, une évaluation plus équitable des pensions que celle produite par la méthode de la valeur ajoutée à la cessation d’emploi. La méthode au prorata n’est pas sans lacunes, et elle ne sera pas nécessairement préférable à la méthode de la valeur ajoutée. Quoiqu’il puisse y avoir des cas où d’autres facteurs feront pencher la balance en faveur d’une autre méthode d’évaluation, il ressort de la nature des pensions à prestations déterminées que, en règle générale, la méthode au prorata est préférable.

(5) Hypothèse relative à l’âge du départ à la retraite

95 Le dernier point litigieux dans le débat sur la question de l’évaluation est l’hypothèse qu’a utilisée le juge de première instance et selon laquelle, suivant la prépondérance des probabilités et la perspective à la date de la séparation, l’appelant aurait vraisemblablement pris sa retraite à l’âge de 57,4 ans. Comme je l’ai dit, l’âge du départ à la retraite est crucial pour l’évaluation parce qu’il détermine à la fois la durée de la période d’actualisation et la durée de la pension. Ces deux facteurs influencent sensiblement la valeur actualisée de la pension à la date de la séparation.

96 L’existence d’une clause de retraite anticipée comme la «règle des 90» sera presque toujours pertinente quant au choix de l’âge probable du départ à la retraite. Avant 1996, certains tribunaux ontariens appliquaient la présomption selon laquelle, sauf preuve claire à l’effet contraire, le conjoint participant prendrait sa retraite dès qu’il aurait droit à une pension non réduite. Voir, par exemple, Weaver c. Weaver (1991), 32 R.F.L. (3d) 447 (C. Ont. (Div. gén.)), à la p. 457; Leeson c. Leeson (1990), 26 R.F.L. (3d) 52 (C. dist. Ont.), à la p. 59; Forster c. Forster (1987), 11 R.F.L. (3d) 121 (H.C. Ont.), à la p. 124; voir aussi G. E. Burrows, «Pension Considerations on Marriage Breakdown Retirement Age» (1995‑96), 13 C.F.L.Q. 25, à la p. 43; J. G. McLeod, Annotation to Alger v. Alger (1989), 21 R.F.L. (3d) 211. Bien que la Cour d’appel de l’Ontario ait rejeté cette présomption au profit d’une décision fondée sur l’ensemble de la preuve, la possibilité de prendre une retraite anticipée sans pénalité demeure un facteur important, et la conclusion de fait à laquelle parvient le juge de première instance sur cette question ne sera pas modifiée à la légère. Voir Huisman c. Huisman (1996), 21 R.F.L. (4th) 341 (C.A. Ont.), à la p. 348; Kennedy, précité, à la p. 460.

97 La détermination du moment auquel il devient possible de prendre une retraite anticipée, si cette faculté existe, a donné lieu à l’application de plusieurs approches en Ontario. Dans le cas qui nous occupe, le juge de première instance a présumé que le conjoint participant avait cessé de travailler à la date de la séparation. Cela voulait dire que l’employé avait cessé d’accumuler des années de service à ce moment‑là et que le droit à la retraite anticipée selon la «règle des 90» ne pouvait être acquis que par l’augmentation de l’âge de l’employé. En conséquence, le juge Rutherford a conclu que, si l’appelant avait réellement cessé de travailler à la date de la séparation, c’est‑à‑dire en février 1988, ce n’est que le 9 septembre 1992, à l’âge de 57,4 ans, qu’il aurait eu droit à une pension non réduite.

98 Dans d’autres décisions, le tribunal a utilisé une hypothèse légèrement différente, présumant que l’employé avait continué de travailler après la date de la séparation, de telle sorte qu’il était devenu plus rapidement admissible à la retraite anticipée à mesure qu’il vieillissait et accumulait des années de service. Voir Stevens c. Stevens (1992), 41 R.F.L. (3d) 212 (C.U.F. Ont.), aux pp. 214 et 215; Alger c. Alger (1989), 21 R.F.L. (3d) 211 (H.C. Ont.), à la p. 215; Deroo c. Deroo (1990), 28 R.F.L. (3d) 86 (H.C. Ont.), aux pp. 92 et 93; Hilderley c. Hilderley (1989), 21 R.F.L. (3d) 383 (H.C. Ont.), aux pp. 388 et 389; Miller, supra, aux pp. 121 et 122. Certaines sources appellent cette méthode la «méthode mixte retraite/cessation d’emploi». Voir J. G. McLeod, Annotation to Weaver v. Weaver (1991), 32 R.F.L. (3d) 448; voir aussi Patterson, Pension Division and Valuation, op. cit., à la p. 309; Radcliff c. Radcliff, [1994] O.J. No. 2874 (QL) (Div. gén.), au par. 23. Selon cette méthode, l’appelant aurait pu prendre une retraite anticipée le 7 juin 1990, à l’âge de 55,14 ans.

99 Enfin, dans quelques décisions, le tribunal a choisi une date de départ à la retraite fondée sur la preuve concrète du moment auquel le conjoint participant avait l’intention de le faire, mais a conclu que, comme il faut présumer que le conjoint participant a cessé de travailler à la date de la séparation, celui‑ci prendrait sa retraite avant de satisfaire à la clause de retraite anticipée et recevrait donc une pension réduite. Voir Salib c. Cross (1993), 15 O.R. (3d) 521 (Div. gén.), aux pp. 532 à 534; Rickett c. Rickett (1990), 72 O.R. (2d) 321 (H.C.), à la p. 333. On a appelé cette méthode la méthode de la «cessation d’emploi stricte». Voir McLeod, Annotation to Weaver v. Weaver, loc. cit., à la p. 448.

100 Bien qu’il soit important de distinguer ces différentes approches, il n’est pas nécessaire que je décide si l’une d’elles est préférable dans le présent cas. Les parties ne contestent pas la décision de tenir compte de l’augmentation de l’âge seulement, ni la conclusion que, selon cette méthode, la date la plus hâtive à laquelle l’appelant pouvait prendre sa retraite sans pénalité était le 9 septembre 1992.

101 Toutefois, la possibilité de prendre une retraite anticipée n’est que l’un des divers éléments de preuve dont le juge de première instance a tenu compte en choisissant la date probable de départ à la retraite de l’appelant. L’intimée a déclaré dans son témoignage que l’appelant trouvait son travail ennuyeux et qu’il projetait de prendre sa retraite dès qu’il aurait satisfait à la règle des 90. Suivant les modalités du régime applicables au moment de la séparation, les retraités avaient droit à une prestation maximale égale à 70 p. 100 du traitement moyen des cinq années les mieux rémunérées. L’appelant allait vraisemblablement atteindre ce plafond en 1990. Ce n’est qu’en 1992, après la séparation, que le régime de retraite a été modifié de manière à permettre l’accumulation de droits à pension supérieurs à 70 p. 100. Pour sa part, l’appelant a témoigné qu’il n’avait jamais songé à prendre sa retraite, si ce n’est dans un sens général, et qu’en raison des nouvelles obligations financières créées par la rupture du mariage, il ne pouvait pas se permettre de songer à un départ à la retraite. Se fondant sur cette preuve, le juge Rutherford a choisi le 9 septembre 1992 comme date du départ à la retraite.

102 L’appelant n’a pas prétendu que cette conclusion était déraisonnable à la lumière de la preuve qui existait avant la séparation. Il a plutôt soutenu que le juge de première instance aurait dû tenir compte de la preuve qui existait après la séparation mais avant le procès, en particulier le fait que l’appelant avait continué de travailler après le mois de septembre 1992. De dire l’appelant, il était injuste de s’en tenir aux faits tels qu’ils existaient à la date de la séparation. L’appelant a de plus invité notre Cour à prendre en considération le fait qu’il a pris sa retraite à l’âge de 61 ans, pendant le pourvoi devant la Cour d’appel de l’Ontario.

103 Je crois que la logique de la méthode de la cessation d’emploi exige l’exclusion d’une application rétrospective d’une preuve de faits postérieurs. La méthode de la cessation d’emploi vise à déterminer la valeur de la pension à la date de la séparation, en supposant que le conjoint participant a cessé de travailler à cette date. Comme je l’ai noté, la méthode de la cessation d’emploi ne tient pas compte des augmentations de la valeur de la pension dues à des événements survenant après la séparation, comme les années de service accumulées après la séparation, les améliorations apportées au régime de retraite et les hausses de salaire non dues à l’inflation. Cette méthode a favorisé l’appelant en ce qu’elle a exclu ces importantes augmentations postérieures à la séparation de ses biens familiaux nets. Il serait injuste envers l’intimée de faire appel à une vision par rétrospective pour choisir une date de retraite plus tardive, mais de ne pas le faire pour déterminer le nombre d’années de service ou le traitement des cinq années les mieux rémunérées. Tout comme elle empêche l’intimée de bénéficier des augmentations de valeur de la pension de l’appelant survenues après la séparation, la méthode de la cessation d’emploi la protège contre les baisses de valeur dues au fait que la date réelle de la retraite est plus tardive que celle qui était envisagée au moment de la séparation.

104 Par conséquent, je conviens avec la Cour d’appel de l’Ontario que, dans l’application de la méthode de la cessation d’emploi, la preuve postérieure à la séparation ne devrait pas être utilisée pour fixer la date probable de la retraite, à moins que cette preuve ne révèle des faits qu’envisageait le conjoint participant au moment de la séparation. Le résultat préconisé par l’appelant permettrait aux conjoints bénéficiaires d’une pension de réduire le montant de leurs paiements d’égalisation et de tirer avantage de la durée de l’action en divorce en ne prenant leur retraite qu’une fois toutes les procédures terminées. Quoique la preuve ne révèle pas en l’espèce le recours à une telle stratégie, je ne souscris pas à une règle susceptible d’encourager de tels agissements.

105 Je parviens à cette conclusion parce qu’elle est la plus équitable dans le cas qui nous occupe, en raison notamment du fait que les parties ont choisi la méthode de la cessation d’emploi. Toutefois, dans une affaire où, par exemple, la méthode la retraite «fondée sur des projections» serait utilisée, il pourrait être préférable d’utiliser tous les éléments de preuve existants pour réduire le caractère conjectural des projections relatives aux améliorations postérieures à la retraite. Dans un tel cas, il pourrait être équitable de faire appel à la vision rétrospective pour fixer aussi l’âge réel du départ à la retraite.

B. Exécution de l’obligation d’égalisation

106 L’obstacle de l’évaluation étant franchi, je me trouve devant un autre problème que soulève le partage des pensions: la façon dont l’appelant doit s’acquitter de son obligation d’égalisation.

107 Une fois que la pension et tous les autres biens ont été inventoriés pour obtenir la valeur des «biens familiaux nets» de l’appelant, celui‑ci doit verser à l’intimée un montant égal à la moitié de la différence entre la valeur de ses biens familiaux nets et la valeur de ceux de l’intimée. L’article 9 de la Loi sur le droit de la famille permet au tribunal de choisir parmi plusieurs mesures en vue du paiement de la somme payable au titre de l’égalisation; il peut notamment ordonner le paiement immédiat de la somme due, la constitution d’une sûreté, le paiement de la dette par versements échelonnés, le report du paiement, la création d’une fiducie ou encore le transfert, le partage ou la vente de biens.

108 L’appelant a proposé que, comme sa pension constitue la majeure partie de son obligation d’égalisation, on devrait l’autoriser à s’acquitter de son obligation selon un régime de paiement «conditionnel», ce qui veut dire qu’il verserait à l’intimée une partie des prestations de retraite seulement lorsqu’il les recevrait, le cas échéant. Les tribunaux ontariens ont avalisé de tels arrangements en ordonnant au conjoint participant de détenir une fraction de la pension en fiducie en faveur du conjoint non participant conformément au sous‑al. 9(1)d)(i) de la Loi sur le droit de la famille. Voir Hilderley, précité, à la p. 395, et Marsham, précité, à la p. 624. La législation ontarienne sur les pensions permet également aux tribunaux d’ordonner à l’administrateur du régime de verser directement au conjoint non participant une partie de la prestation de retraite. Voir la Loi sur les régimes de retraite, L.R.O. 1990, ch. P.8, art. 51.

109 Le juge de première instance a rejeté la demande de l’appelant, mais lui a permis de s’acquitter de son obligation d’égalisation en versements échelonnés sur une période de 10 ans à compter du jugement. J’estime qu’il convient de faire montre de retenue envers cette décision. Le choix de la méthode d’exécution de l’obligation d’égalisation est en grande partie tributaire du contexte et des faits. Une méthode de paiement peut convenir dans un cas, mais constituer une injustice flagrante dans un autre. C’est ce que le juge Wilson fait remarquer dans l’arrêt Clarke, précité, aux pp. 835 et 836:

De façon générale, les tribunaux utilisent deux méthodes pour partager les pensions. La première consiste à accorder une indemnisation forfaitaire au conjoint qui n’est pas prestataire soit par le paiement d’une somme d’argent soit par le transfert de biens. La seconde consiste à conserver la compétence du tribunal jusqu’à l’échéance de la pension soit en ordonnant des versements périodiques au conjoint qui n’est pas prestataire soit en imposant une fiducie à la pension. Pour choisir la méthode de partage appropriée, il convient de se rappeler que le but principal de la loi est de répartir les biens d’une manière équitable. Dans certains cas il est également important de rompre les liens financiers entre les parties. À l’occasion, ces deux buts peuvent être en conflit. [. . .] Dans tous les cas, le résultat préférable dépendra évidemment d’un certain nombre de facteurs et je suis d’avis que les tribunaux d’appel ne doivent pas intervenir à la légère dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance à cet égard.

L’argument de l’appelant selon lequel la Cour devrait déclarer que le régime de paiement «conditionnel» est la règle générale en matière de paiements d’égalisation dans les cas où une pension est en cause doit donc être examiné en tenant compte du fait que le juge de première instance était mieux placé pour concevoir le mode de règlement.

110 Un régime de paiement «conditionnel» comporte des avantages manifestes lorsqu’une part importante de la différence entre la valeur des biens familiaux nets des parties est attribuable à la valeur capitalisée d’une pension. Le conjoint qui supporte le fardeau d’égalisation ne peut pas utiliser l’actif de retraite pour s’en acquitter; il ne peut vendre un intérêt dans sa pension ni emprunter en la donnant en garantie. Le conjoint visé par une ordonnance de paiement immédiat doit vendre ou transférer d’autres biens. Si le fardeau d’égalisation supporté par le conjoint participant est lourd en raison de la valeur de sa pension, il est possible qu’une ordonnance lui intimant de payer immédiatement une somme forfaitaire l’expose à un grave préjudice. Un régime de paiement «conditionnel» atténue ce risque, puisqu’il prévoit que le montant d’égalisation sera prélevé sur l’avoir de retraite lui‑même. Voir le Rapport de la CRDO, op. cit., à la p. 46.

111 Par contre, certains facteurs militent contre le recours à un tel régime. D’abord et avant tout, un régime «conditionnel» oblige les ex‑conjoints à maintenir leur association financière, faisant ainsi obstacle à une «nette rupture» après le divorce. Toutefois, je tiens à souligner que l’al. 9(1)c) permet au tribunal de différer un paiement d’égalisation pour une période pouvant aller jusqu’à 10 ans, ce qui tend à indiquer que la législature ontarienne n’est pas opposée aux maintien de liens après le divorce dans la mesure où c’est pour une période «limitée». Par conséquent, un régime «conditionnel» pourrait être une solution appropriée dans les cas où le départ à la retraite était clairement imminent. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu de la sorte dans un arrêt portant le même intitulé que le présent pourvoi mais sans lien avec celui‑ci: Best c. Best (1992), 41 R.F.L. (3d) 383 (C.A. Ont.), à la p. 388.

112 Cependant, la détermination de la «part» appropriée de chaque prestation de retraite à verser au conjoint non participant est un deuxième facteur qui complique la mise en application d’un régime «conditionnel». On pourrait supposer qu’il suffit de multiplier la prestation de retraite par la fraction au prorata utilisée dans l’évaluation: la moitié du quotient des années de service accumulées pendant la période du mariage et des années de service accumulées à la date de la séparation. L’appelant propose toutefois une deuxième solution, utilisant une autre fraction: la moitié du quotient des années de service accumulées pendant la période du mariage et des années de service accumulées au moment du départ à la retraite, ce qui donne naturellement une fraction moins élevée. Les tribunaux ontariens semblent avoir admis ces deux solutions, mais avoir utilisé la seconde plus fréquemment. Voir Bourdeau, précité, au par. 22; Rauf, précité, au par. 7; Hilderley, précité, à la p. 395; Marsham, précité, à la p. 624. En l’espèce, l’appelant nous a présenté les deux possibilités sans plaider que l’une était préférable à l’autre du point de vue juridique. Je ne commenterai pas cette question si ce n’est pour souligner que cette situation complique l’application d’un mode de règlement «conditionnel».

113 Une troisième difficulté, plus sérieuse celle‑là, que soulève le régime proposé par l’appelant est la somme qui est finalement versée. Les parties ont débattu avec beaucoup d’énergie la question de la méthode appropriée pour évaluer une pension à prestations déterminées afin que la valeur des «biens familiaux nets» de l’appelant et le paiement d’égalisation puissent être calculés avec exactitude à la date de la séparation. Dans un régime «conditionnel», toutefois, il semble que les versements ne cessent pas après que le montant d’égalisation a été payé, ou que l’intérêt du conjoint non participant soit protégé si la valeur de la pension est moins élevée que prévu. Au contraire, il y a un risque que le conjoint participant qui vit longtemps ou dont la prestation de retraite se révèle plus importante que prévu finisse par trop payer au conjoint non participant. De même, si le conjoint participant décède avant que le montant d’égalisation ait été versé intégralement, il y aura un paiement insuffisant. Ces risques ont incité la CRDO à faire les commentaires suivants:

[traduction] La pratique qui consiste à recourir aux arrangements «conditionnels» pour l’exécution des paiements d’égalisation s’est révélée insatisfaisante. La réception de la prestation de retraite survient tout au long de la période qui suit le départ à la retraite du participant, et le montant de l’avantage versé au membre est fonction de la durée de sa vie. En conséquence, il se peut que l’intérêt du conjoint non participant dans la prestation de retraite ne se concrétise jamais si le conjoint participant décède avant son départ à la retraite ou peu de temps après. En revanche, lorsque le conjoint participant vit plus longtemps que prévu, ou que la valeur de la prestation de retraite augmente après la séparation, il peut en découler un paiement excédentaire en faveur du conjoint non participant.

Voir le Rapport de la CRDO, op. cit., à la p. 37.

114 À titre d’exemple, supposons que le montant d’égalisation à la date de la séparation s’élevait à 100 000 $ et que le tribunal ait ordonné à l’appelant de s’acquitter de son obligation en payant la moitié de la prestation de retraite sur réception, mais que la créance de l’intimée serait majorée d’un taux d’intérêt de 5 p. 100 pour tenir compte du fait qu’elle avait droit à cette somme immédiatement. Si l’appelant avait pris sa retraite sept ans après la date de la séparation, sa dette au titre de l’égalisation serait passée à 140 710 $. Supposons qu’il ait commencé à recevoir 30 000 $ par année en prestations de retraite et qu’il ait versé 15 000 $ annuellement à l’intimée. Selon ce scénario, l’appelant aurait payé sa dette et l’intérêt s’y rapportant au bout d’environ 11 ans. Toutefois, le régime «conditionnel» proposé en l’espèce obligerait l’appelant à continuer d’effectuer des paiements après ce moment. Voir J. G. McLeod, Case Comment on Monger v. Monger (1994), 8 R.F.L. (4th) 182, aux pp. 188 et 189. De plus, si l’appelant décédait plus tôt, l’intimée ne pourrait pas réclamer à la succession le solde de sa créance.

115 Ces conclusions tendent à indiquer que, si la Cour utilisait le régime «conditionnel» préconisé par l’appelant, il ne servirait à rien de calculer la valeur capitalisée de la pension au départ. La somme totale payée dans le cadre d’un tel régime semble n’avoir absolument aucun rapport avec le paiement d’égalisation calculé en utilisant la valeur capitalisée de la pension. Il me semble que la méthode avancée par l’appelant a pour effet non seulement de retarder le paiement du montant d’égalisation, mais aussi de rendre impossible le calcul de la somme totale qui sera payée au titre de l’égalisation. Au lieu de constituer le moyen de payer une somme d’argent fixe, la méthode «conditionnelle» fractionne un flux de revenu indéfini.

116 Je conviens avec l’appelant qu’il s’agit d’une méthode raisonnable, voire supérieure, de partage des pensions, et qui vaudra d’être prise en considération lorsque le législateur accordera à cette question toute l’attention, combien nécessaire, qu’on aurait depuis longtemps dû lui consacrer. Toutefois, cette méthode semble être incompatible avec l’argument principal de l’appelant dans le présent cas, savoir que le montant d’égalisation devrait être calculé en évaluant la pension au moyen de la méthode au prorata à la cessation d’emploi. Un arrangement «conditionnel» du genre de celui préconisé par l’appelant rend le montant d’égalisation tributaire du montant réel des prestations de retraite que reçoit le conjoint participant, appliquant essentiellement une méthode d’évaluation «différée» à la retraite. Dans son rapport, la CRDO appuie cette conclusion lorsqu’elle souligne que les arrangements «conditionnels» [traduction] «appliquent effectivement au partage des pensions une méthode d’évaluation à la retraite». Voir le Rapport de la CRDO, op. cit., à la p. 105. Je trouve qu’il est un peu incohérent de la part de l’appelant d’adopter une méthode d’évaluation donnée aux fins du calcul de son obligation d’égalisation, mais de demander ensuite que le paiement proprement dit soit structuré d’une manière tendant à indiquer que la valeur de la pension est complètement différente.

117 Finalement, dans la mesure où elle reposerait sur une méthode d’évaluation «différée» à la retraite, la méthode «conditionnelle» proposée par l’appelant soulève le problème d’incompatibilité avec le texte de la Loi sur le droit de la famille qui a été examiné au par. 93. Peut‑être serait‑il possible d’élaborer un régime de paiement «conditionnel» qui respecterait clairement les limites de la loi ontarienne, mais il n’est pas nécessaire de trancher cette question, puisque le régime de versements échelonnés ordonné par le juge de première instance permet d’atteindre l’objectif principal qui est d’éviter à l’appelant le préjudice que lui causerait le fait d’être tenu de verser une somme forfaitaire élevée avant même d’avoir commencé à toucher sa pension. En outre, le nouveau calcul de l’obligation d’égalisation au moyen de la méthode au prorata à la cessation d’emploi réduira le montant à payer par l’appelant. Compte tenu des difficultés que semblent présenter l’élaboration et l’application d’une ordonnance «conditionnelle» équitable en Ontario, je ne crois pas que le juge Rutherford a outrepassé son pouvoir discrétionnaire en choisissant un régime de versements échelonnés comme méthode d’exécution de l’obligation d’égalisation de l’appelant.

C. Pension alimentaire au profit du conjoint

118 L’appelant nous demande également de modifier l’ordonnance du juge de première instance lui intimant de verser à l’intimée une pension alimentaire mensuelle de 2 500 $. Il affirme que le juge de première instance a considéré les prestations de retraite à venir comme un «revenu» afin de déterminer sa capacité de verser une pension alimentaire. L’appelant prétend qu’il s’agit d’une erreur, car la majeure partie de la pension avait déjà fait l’objet du calcul d’égalisation en tant que «bien», et que le fait de considérer la pension comme un «revenu» pour la détermination de la pension alimentaire entraînerait une «double ponction» par l’intimée dans la pension de l’appelant.

119 Tant les tribunaux que les commentateurs semblent divisés sur la question de savoir si une pension qui a servi comme bien aux fins du calcul d’égalisation peut également être considérée comme un revenu aux fins du paiement de la pension alimentaire par le conjoint participant. Plusieurs sources semblent être d’avis que, aux fins de détermination du montant de la pension, il faut à tout le moins tenir compte du fait que la pension a servi à l’égalisation, voire exclure totalement la partie incluse dans le paiement d’égalisation. Voir, par exemple, T. J. Walker, «Double Dipping -- Can a Pension Be Both Property and Income?» (1994), 10 C.F.L.Q. 315, à la p. 323; Shadbolt c. Shadbolt (1997), 32 R.F.L. (4th) 253 (C. Ont. (Div. gén.)), à la p. 266; Butt c. Butt (1989), 22 R.F.L. (3d) 415 (H.C. Ont.), à la p. 420; Veres c. Veres (1987), 9 R.F.L. (3d) 447 (H.C. Ont.), à la p. 455. Dans certaines décisions, les tribunaux n’ont vu aucun problème à traiter une pension à la fois comme un bien devant faire l’objet de l’égalisation et comme un revenu visé par la demande de pension alimentaire. Ces décisions indiquent généralement que le conjoint participant peut toujours demander au tribunal de modifier l’ordonnance alimentaire si les paiements faits à ce titre deviennent trop onéreux après la retraite. Voir, par exemple, Nantais c. Nantais (1995), 26 O.R. (3d) 453 (Div. gén.), aux pp. 458 et 459; Rivers c. Rivers (1993), 47 R.F.L. (3d) 90 (C. Ont. (Div. gén.)), aux pp. 94 et 95; Flett c. Flett (1992), 43 R.F.L. (3d) 24 (C.U.F. Ont.), à la p. 34.

120 Quoique l’effet de double ponction soit un problème sérieux lorsque l’ordonnance alimentaire est fondée en partie sur une pension ayant fait l’objet du calcul d’égalisation, je ne crois pas que ce problème se soulève en l’espèce. Il ne ressort pas des motifs exposés par le juge Rutherford au soutien de la pension alimentaire qu’il a considéré la pension comme une source de revenu pour l’appelant. Il a uniquement parlé de la situation professionnelle de l’appelant à ce moment‑là, par opposition aux faibles chances de l’intimée de trouver du travail. Il semble que le juge Rutherford a conclu que l’appelant disposait de biens suffisants, même en excluant la partie de la pension attribuable à la période du mariage, pour être en mesure de payer une pension tant qu’il continuerait de recevoir un salaire. L’appelant ne prétend pas que cette conclusion était déraisonnable.

121 Il importe de souligner que le juge du procès a eu raison de tenir compte du fait que l’appelant travaillait toujours lorsqu’il a fixé le montant de la pension alimentaire. En règle générale, le juge du procès peut prendre en considération tout élément de preuve qui était connu au moment du procès. Dans le présent cas, le choix par les parties de la méthode d’évaluation de la pension à la cessation d’emploi a constitué une exception limitée à cette règle -- les événements survenus après la séparation mais avant le procès sont devenus non pertinents pour l’évaluation de la pension, sauf dans la mesure où ils révélaient ce que les parties envisageaient à la date de la séparation. Par conséquent, le fait d’évaluer la pension en considérant que l’appelant avait cessé de travailler en 1988 n’a pas constitué une erreur, même si, dans la fixation de la pension alimentaire, le juge du procès a reconnu que l’appelant travaillait toujours en 1993.

122 Compte tenu du fait que, suivant l’ordonnance, le montant de la pension alimentaire était tributaire du salaire que touchait l’appelant comme directeur d’école, il semble que, vu son départ à la retraite, l’ordonnance pourrait être modifiée sur la base d’un changement de circonstances, si, dans les faits, les circonstances ont changé. Le moyen de faire trancher ces questions est de présenter une demande de modification des obligations alimentaires.

D. Dépens

123 Dans la décision distincte qu’il a rendue sur les dépens, le juge Rutherford a adjugé la somme de 45 000 $ à l’intimée, principalement parce qu’elle a plaidé avec succès que la méthode de la valeur ajoutée était la méthode préférable pour évaluer la pension en application de la Loi sur le droit de la famille. Cette thèse n’a pas été retenue par notre Cour. Toutefois, comme il s’agissait d’un litige légitime et complexe, je n’estime pas que l’une ou l’autre des parties devrait être condamnée aux dépens. Par conséquent, les parties supporteront leurs propres dépens dans toutes les cours.

VI. Conclusion et dispositif

124 Ainsi que je l’ai mentionné au début de ces longs motifs, le silence du législateur ontarien sur la question de l’évaluation des pensions a mis les parties elles‑mêmes dans la situation peu enviable d’avoir à choisir la méthode d’évaluation des pensions. La pension est souvent le bien le plus important que possède un couple marié, et -- comme c’est malheureusement le cas en l’espèce -- l’écart considérable entre les évaluations produites par les différentes méthodes rend un accord impossible. Il est donc nécessaire que, dans chaque cas, le tribunal choisisse la technique d’évaluation adaptée à l’affaire dont il est saisi. Conformément aux objectifs de la Loi sur le droit de la famille, je conclus que la méthode au prorata est la méthode la plus équitable pour évaluer les pensions à prestations déterminées.

125 Ce sont les parties qui souffrent de ce manque d’encadrement législatif. Les coûts connus de ce litige sont disproportionnés par rapport à la somme en litige. Un duel d’actuaires est une conséquence malheureuse ainsi qu’une dépense considérable dans les actions en divorce où une pension à prestations déterminées est en jeu. Cette situation regrettable persistera tant que des dispositions législatives n’auront pas été édictées afin d’encadrer l’évaluation des pensions à prestations déterminées aux fins des calculs d’égalisation. Tant des avocats spécialisés en droit de la famille que la profession actuarielle, les tribunaux et des universitaires ont souligné, dans le passé, la nécessité de cette aide, dans l’espoir que ce problème complexe et coûteux puisse être résolu.

126 L’affaire est renvoyée au tribunal de première instance à seule fin de calculer à nouveau le montant d’égalisation en conformité avec la méthode au prorata à la cessation d’emploi en utilisant le 9 septembre 1992 comme date de retraite présumée. Les autres aspects du calcul d’égalisation qui n’ont pas été portés en appel s’appliquent comme ils l’ont été en première instance. Afin de réduire les coûts supplémentaires du litige, il serait dans l’intérêt des parties de s’entendre sur le montant de l’obligation d’égalisation. Si cela s’avère impossible, le tribunal de première instance pourra nommer un protonotaire spécial chargé d’évaluer la pension conformément aux présents motifs. Les parties supporteront leurs propres dépens dans toutes les cours.

127 Le pourvoi est accueilli sur la question de la méthode d’évaluation et sur celle des dépens. Il est rejeté par ailleurs.

128 Voici les réponses aux questions soulevées dans le présent pourvoi:

1. La Cour d’appel et le juge de première instance ont‑ils commis une erreur en concluant que la Loi sur le droit de la famille exige le recours à la méthode de la valeur ajoutée pour évaluer une pension à prestations déterminées aux fins du calcul d’égalisation?

Oui.

2. La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en confirmant la conclusion du juge de première instance que l’appelant prendrait probablement sa retraite le 9 septembre 1992?

Non.

3. La Cour d’appel aurait‑elle dû permettre à l’appelant de s’acquitter de son obligation d’égalisation sur une base «conditionnelle»?

Non.

4. La Cour d’appel aurait‑elle dû ordonner que l’obligation alimentaire de l’appelant en faveur de son ex-épouse prenne fin à la date de son départ à la retraite?

Non.

5. La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en confirmant la décision du juge de première instance concernant les dépens?

Oui.

Version française des motifs rendus par

//Le juge L’Heureux-Dubé//

129 Le juge L’ Heureux‑Dubé (dissidente en partie) -- La principale question en litige dans le présent pourvoi concerne le partage, à la date de la séparation des parties, de l’un des biens du patrimoine familial, la pension de retraite de l’appelant. Afin de trancher cette question, il est nécessaire d’interpréter les dispositions relatives à l’évaluation des pensions prévues à l’art. 4 de la Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3 (ci‑après la «Loi»).

130 Le nœud du litige entre les parties a trait essentiellement au fait que deux méthodes sont utilisées pour calculer de telles pensions: la méthode de la valeur ajoutée et la méthode au prorata. À l’instar de mon collègue (au par. 48), je suis d’accord que, même si ces deux méthodes d’évaluation sont acceptées par la profession actuarielle, le choix de celle qui devrait être employée en droit de la famille est une question de droit et, par conséquent, une question de conformité avec la législation applicable.

131 Je souscris, en outre, entièrement aux conclusions 2, 3 et 4 auxquelles en arrive mon collègue relativement aux questions subsidiaires et connexes. Je ne suis, toutefois, pas d’accord avec les conclusions 1 et 5, auxquelles je répondrais plutôt par la négative. La conclusion 1 a trait à la méthode qui doit être utilisée pour calculer la pension de retraite au moment de la séparation. Mon collègue estime que la méthode au prorata est celle qui convient le mieux au calcul des pensions de retraite à prestations déterminées. Il arrive à ce résultat essentiellement pour les motifs suivants:

1. Le paragraphe 4(1) de la Loi permet le recours aux deux méthodes de calcul.

2. Le fait que la Loi ne prescrive pas expressément une méthode donnée oblige les tribunaux à déterminer la valeur de la pension au moyen de la méthode qui donne le résultat le plus équitable.

3. En raison de la nature des pensions à prestations déterminées, une méthode d’évaluation différente de celle qui est couramment utilisée pour d’autres biens devrait être utilisée pour ces pensions.

4. Par conséquent, la méthode au prorata est celle qui permet de déterminer le plus équitablement la valeur de la pension.

132 Je ne souscris à aucun de ces arguments et, ce faisant, j’adopte les motifs du juge de première instance, le juge Rutherford (1993), 50 R.F.L. (3d) 120, ainsi que les motifs unanimes de la Cour d’appel (1997), 35 O.R. (3d) 577 (les juges Finlayson, Doherty et Charron). Ces tribunaux ont considéré que la méthode de la valeur ajoutée était celle qu’il convenait d’utiliser pour évaluer les pensions de retraite conformément à la Loi. Leurs conclusions reposent essentiellement sur les propositions suivantes:

1. La méthode de la valeur ajoutée est nettement plus compatible avec la Loi.

2. On ne saurait justifier le recours à une méthode différente sur le fondement qu’une pension est un bien d’une nature différente au regard de la Loi.

3. La méthode de la valeur ajoutée donne une évaluation plus équitable de l’augmentation de la valeur de la pension durant le mariage.

Je commenterai brièvement chacune de ces propositions.

I. L’article 4 de la Loi: le partage des pensions

133 Mon collègue a fait une analyse approfondie de chacune des méthodes de calcul de la pension de retraite. Bien que je souscrive à la majeure partie de son analyse, je ne suis pas entièrement d’accord avec sa caractérisation de la méthode de la valeur ajoutée. Je préfère le résumé succinct des deux méthodes qu’en fait le juge Charron, qui a rédigé le jugement de la Cour d’appel de l’Ontario, à la p. 587:

[traduction] Selon la méthode de la valeur ajoutée, la valeur de la pension de retraite est déterminée d’abord à la date du mariage, puis à la date de la séparation. On calcule ensuite l’augmentation de la valeur de la pension durant le mariage en retranchant la valeur à la date du mariage de la valeur à la date de la séparation. Le chiffre qui est utilisé pour déterminer la valeur des biens familiaux nets est donc la partie de la valeur qui s’est «ajoutée» pendant la durée du mariage, d’où l’expression «valeur ajoutée».

Selon la méthode au prorata, on calcule également l’augmentation de la valeur de la pension de retraite à la date de la séparation. La valeur attribuable aux années de mariage est ensuite déterminée en calculant au prorata la valeur de la pension suivant la ratio que représentent: a) soit les prestations accumulées pendant le mariage par rapport au chiffre total des prestations accumulées (prorata des prestations); b) soit les années travaillées pendant le mariage par rapport au total des années travaillées par le titulaire de la pension (prorata du service).

134 Au paragraphe 4(1), la Loi dispose que, pour l’application de l’art. 5, l’expression «biens familiaux nets» est la valeur obtenue en déduisant celle de tous les biens à la date du mariage de celle de tous les biens à la date de la séparation:

4 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

. . .

«biens familiaux nets» Valeur de tous les biens, à l’exception des biens décrits au paragraphe (2), dont le conjoint est le propriétaire à la date d’évaluation, après déduction des éléments suivants:

a) ses dettes et autres éléments de passif,

b) la valeur des biens, à l’exception d’un foyer conjugal, dont le conjoint était le propriétaire à la date du mariage, après déduction de ses dettes et autres éléments de passif, calculée à la date du mariage. . . [Je souligne.]

Selon moi, la méthode de la valeur ajoutée est la seule qui respecte l’esprit et la lettre de ce texte. En ce sens, la Loi n’est pas muette sur ce point, contrairement à ce qu’affirme mon collègue. Elle décrit clairement la méthode de calcul, même si elle ne mentionne pas expressément qu’il s’agit de la méthode de la valeur ajoutée. Je partage l’avis du juge de première instance, à la p. 140, lorsqu’il conclut [traduction] «je ne considère pas que la méthode au prorata est compatible avec l’égalisation de la valeur des biens qui est envisagée par l’art. 5 de la Loi sur le droit de la famille». Avec égards, je ne peux accepter la prémisse avancée par mon collègue que les deux méthodes satisfont aux critères énoncés dans la Loi. De plus, même si je devais accepter une telle prémisse, je maintiens que les tribunaux doivent aller plus loin pour déterminer quelle est la méthode la plus conforme à la Loi, comme l’a souligné la Cour d’appel de l’Ontario, à la p. 590:

[traduction] Compte tenu des dispositions de la Loi, je suis d’avis que l’analyse et la conclusion du juge de première instance étaient justes en l’espèce. L’approche fondée sur la valeur ajoutée est nettement plus compatible avec la formule énoncée dans la Loi pour calculer la valeur des biens familiaux nets et avec la méthodologie employée à l’égard d’autres biens. [Je souligne.]

135 Alors que, suivant la méthode de la valeur ajoutée, il faut faire des hypothèses à deux dates données et à deux moments distincts (la date du mariage et celle de la séparation), selon la méthode au prorata, de telles hypothèses ne sont requises qu’à une seule date (la date de la séparation). Comme le fait remarquer le juge Major, au par. 4, dans son examen de la méthode au prorata, «[l]a valeur de la pension à la date du mariage est obtenue en multipliant la valeur à la date de la séparation par une fraction égale au nombre d’années de service ouvrant droit à pension accumulées avant le mariage divisé par le nombre total d’années de service ouvrant droit à pension accumulées avant la séparation». Je considère problématique que, suivant la méthode au prorata, la valeur de la pension de retraite à la date du mariage ne puisse être déterminée sans utiliser la valeur du bien à la date de la séparation multipliée par une fraction représentant des années de service qui n’ont pas été accumulées pendant le mariage.

136 Bien que l’objectif général des lois sur le patrimoine familial soit de pourvoir à la répartition équitable de ces biens (voir Clarke c. Clarke, [1990] 2 R.C.S. 795, à la p. 836), l’objectif précis de l’évaluation de la pension de retraite en vertu de la Loi est de déterminer l’augmentation de la valeur des biens survenue pendant le mariage. Le texte du préambule reconnaît, dans les termes suivants, que le mariage est une forme de société et que les conjoints sont égaux dans le mariage:

Attendu qu’il est souhaitable d’encourager et de consolider le rôle de la famille; attendu qu’il est nécessaire, pour atteindre ce but, de reconnaître l’égalité des conjoints dans le mariage, et de reconnaître au mariage la qualité de société. . .

Gardant ceci à l’esprit, je ne suis pas d’accord avec mon collègue lorsqu’il affirme (au par. 66) qu’«[i]l incombe à la Cour de déterminer quelle est la méthode d’évaluation qui répartit le plus équitablement la valeur de la pension entre la période antérieure au mariage et la période du mariage elle‑même». J’estime que la législature a déjà établi un régime permettant une telle répartition et que, dans le présent cas, notre Cour est simplement tenue d’utiliser la méthode d’évaluation qui permet le mieux de déterminer l’augmentation de la valeur de la pension de retraite pour les conjoints.

137 La Loi dispose tout simplement que la valeur du bien doit être déterminée en déduisant une valeur donnée d’une autre. Elle précise en outre, au par. 4(4), que le calcul d’une valeur se fait à la fermeture des bureaux à cette date.

4 . . .

(4) Lorsque le présent article prévoit qu’une valeur soit calculée à une date donnée, le calcul se fait à la fermeture des bureaux à cette date. [Je souligne.]

Par conséquent, la Loi exige que la valeur de tous les biens à la fermeture des bureaux à la date du mariage soit déduite de la valeur de tous les biens à la fermeture des bureaux à la date de la séparation (Rawluk c. Rawluk (1986), 55 O.R. (2d) 704 (H.C.)). En conformité avec la Loi, les normes de pratique actuarielles précisent également que la valeur à la date du mariage doit être calculée conformément aux taux d’intérêt «à une date donnée». Selon G. E. Burrows, qui a écrit ce qui suit en sa qualité d’ancien président des Pension Valuators of Canada, dans son article «Value Added or Pro Rata?» publié dans Money & Family Law, vol. 10, no 6, juin 1995, p. 48, à la p. 50:

[traduction] La Norme de pratique pour le calcul de la valeur capitalisée des droits à pension à la rupture du mariage aux fins des paiements forfaitaires de péréquation établie par l’Institut canadien des actuaires précise (aux pp. 7 et 8) que les hypothèses économiques utilisées pour déterminer une valeur donnée à la date du mariage doivent reposer sur des taux établis conformément aux taux d’intérêt en vigueur à cette date. Cela n’est possible qu’au moyen de la méthode de la «valeur ajoutée», car la méthode «au prorata» utilise les taux en vigueur à la date de la séparation, qui diffèrent souvent des taux en vigueur à la date du mariage. Évidemment, le choix d’un taux différent à la date du mariage pourrait donner une valeur très différente. [Je souligne.]

138 À mon avis, ou bien une méthode d’évaluation donnée se conforme à ces exigences simples ou bien elle ne s’y conforme pas. J’estime que la gymnastique mathématique requise par la méthode au prorata pour permettre aux tribunaux de déterminer une valeur donnée à la date du mariage ne répond ni aux exigences expresses de la Loi ni à son libellé.

139 Mon collègue affirme, au par. 55, que le par. 4(1) de la Loi «ne précise pas que la valeur à la date du mariage ne peut pas être dérivée mathématiquement de la valeur à la date de la séparation». Avec égards, cette approche va tout simplement à l’encontre des principes fondamentaux d’interprétation. Le principal souci des tribunaux doit être de se conformer aux dispositions législatives adoptées par le Parlement ou la législature. Comme les juges Cory et Iacobucci l’ont dit récemment pour notre Cour dans l’arrêt R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, au par. 25: «il faut, pour interpréter correctement une disposition de loi, lire les termes de la disposition en suivant leur sens grammatical et ordinaire et dans leur contexte global, en harmonie avec l’économie générale de la loi, son objet ainsi que l’intention du législateur». Voir aussi Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au par. 21; P.‑A. Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990), à la p. 243; E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87; Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), par R. Sullivan, à la p. 131. Il faut rechercher consciencieusement l’intention de la législature plutôt que s’attacher à découvrir les failles que pourrait contenir la loi eu égard aux interdictions que la législature a omis d’y inscrire. Ceci est particulièrement vrai dans le cas des lois habilitantes. Je ne vois aucune raison en l’espèce pour laquelle notre Cour devrait s’écarter du texte clair et non ambigu de la Loi et déroger à la présomption que la législature avait l’intention de dire exactement ce qui est écrit.

140 L’appelant accorde un poids considérable aux recommandations formulées par la Commission de réforme du droit de l’Ontario dans son rapport de 1995 intitulé Report on Pensions as Family Property: Valuation and Division (ci‑après le Rapport de la CRDO). Il omet toutefois de mentionner que, dans son analyse des points forts et des points faibles des méthodes d’évaluation, la CRDO elle‑même adhère (à la p. 147) à l’argument suivant lequel la méthode de la valeur ajoutée donne [traduction] «une évaluation plus juste de la pension accumulée pendant le mariage parce qu’elle tient compte du fait que, dans la plupart des régimes de pension à prestations déterminées (pension fin de carrière ou meilleures années), la pension accumulée au cours des dernières années a une valeur plus élevée» (je souligne).

141 L’appelant fait aussi ressortir le besoin de simplicité en s’appuyant sur la recommandation suivante de la CRDO (à la p. 148):

[traduction] Tout bien réfléchi, la Commission a décidé qu’elle devait donner sa préférence à la méthode au prorata du service. En faisant ce choix, la Commission cherche une solution qui, tout en étant juste pour les parties, est la moins complexe du point de vue du rajustement. De l’avis de la Commission, la méthode au prorata du service satisfait à ce critère.

Bien que je ne sois pas d’accord que la méthode au prorata est moins complexe, je suis également consciente du fait que la simplicité n’est pas l’objectif visé par la Loi. Fait plus important encore, cette recommandation n’est manifestement pas celle qui a été retenue par la législature.

142 Aussi utile que puisse avoir été l’opinion de la Commission, la législature n’est nullement tenue de donner suite aux recommandations de cette dernière, dont l’autorité ne peut tout au plus être invoquée que pour tenter de convaincre les tribunaux. Il est clair que la législature, malgré deux recommandations distinctes l’invitant à le faire, n’a pas jugé bon de modifier la Loi. (Voir le rapport de 1993 de la Commission de réforme du droit de l’Ontario intitulé Report on Family Property Law, à la p. 145, ainsi que le Rapport la CRDO de 1995, à la p. 148.) Je partage l’avis du juge Charron, lorsqu’elle écrit, à la p. 590:

[traduction] Je suis certes d’accord avec la Commission qu’il est extrêmement important de clarifier la Loi, non seulement sur cette question mais également en ce qui concerne de nombreux autres aspects de l’évaluation et du partage des pensions. Bien qu’il y ait beaucoup à dire en faveur d’une intervention du législateur comme celle recommandée par la Commission, la cour ne peut pas accorder une telle réparation. Elle est liée par les dispositions législatives existantes. [Je souligne.]

143 Contrairement à l’opinion exprimée par mon collègue, au par. 56, je suis d’avis que le Rapport de la CRDO était expressément axé sur la nécessité d’adopter une modification législative. La Commission a reconnu qu’il était nécessaire de modifier la Loi (à la p. 87):

[traduction] Les dispositions impératives en matière d’évaluation des pensions devraient être énoncées dans un règlement d’application de la Loi sur le droit de la famille. À cette fin, il faudra modifier la Loi sur le droit de la famille et indiquer que la valeur de la pension doit être calculée en conformité avec les dispositions réglementaires prescrites.

La Commission recommande donc que la Loi sur le droit de la famille soit modifiée pour y indiquer que l’évaluation des pensions à prestations déterminées aux fins de détermination du droit à l’égalisation prévue à l’art. 5 de la Loi soit effectuée en conformité avec un «Règlement sur l’évaluation des pensions» pris en vertu de cette loi. [Je souligne.]

À mon avis, en l’absence de modifications prescrivant la réalisation d’une évaluation particulière en fonction des caractéristiques individuelles de chaque bien à évaluer, la méthode au prorata n’est pas prévue par le régime actuel. La position de mon collègue est que la Commission n’a pas soutenu que la Loi fait obstacle à l’utilisation de la méthode au prorata. Selon moi, la Commission n’a pas traité directement de cette question parce que ses recommandations (aux pp. 86 et 87) reposaient sur la prémisse qu’il était nécessaire de réformer le processus d’évaluation des pensions prévu par la Loi. Cette prémisse s’appuyait sur l’existence de décisions judiciaires contradictoires et sur le besoin de certitude (aux pp. 85 et suiv.), besoin qu’a également reconnu notre Cour dans l’arrêt Clarke, précité.

144 En aucun temps la Commission a‑t‑elle recommandé le recours à la méthode au prorata en l’absence d’un régime réglementaire exhaustif prévoyant diverses formules de calcul des pensions. On trouve une illustration de l’ampleur et de la nature particulière d’une telle opération à la partie 6 de la Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, ch. 128, de la Colombie‑Britannique. Il ne s’agit pas d’une tâche qui relève des tribunaux. Pour l’instant, je crois que le rôle de notre Cour est d’interpréter les principes d’équité et de justice d’une manière qui se rattache expressément au texte clair de la Loi.

II. La Loi sur le droit de la famille: la nature de l’élément d’actif en cause

145 Aux fins du calcul de la valeur, la législature a choisi d’inclure dans la définition de «bien» de nombreuses catégories d’éléments d’actif en faisant abstraction des caractéristiques distinctives de certains éléments tels les placements, les droits fonciers, les actions ou les pensions de retraite. Le mot «bien» est défini de la manière suivante au par. 4(1) de la Loi:

4 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

«bien» Droit, actuel ou futur, acquis ou éventuel, sur un bien meuble ou immeuble. Sont compris:

. . .

c) dans le cas du droit du conjoint, en vertu d’un régime de retraite, qui a été acquis, le droit du conjoint y compris les contributions des autres personnes. . .

Cette disposition a été rédigée conformément à la recommandation formulée par la CRDO dans le Report on Family Law, Part IV, Family Property Law (1974), à la p. 101.

146 Compte tenu du fait que tous les éléments d’actif énumérés au par. 4(1) de la Loi sont considérés comme des biens pour l’application de la Loi, je ne vois aucune raison, qui serait fondée sur celle‑ci, de traiter les pensions de retraite différemment des autres éléments d’actif en reconnaissant différentes formules de calcul des pensions, alors que la Loi elle‑même ne fait aucune distinction. Je considère, en outre, qu’agir de cette façon irait à l’encontre de l’objectif de la Loi, exprimé ainsi par le juge Charron, à la p. 590:

[traduction] L’emploi d’une approche différente dans le cas des pensions de retraite ne peut être justifié au motif qu’il s’agit d’un élément d’actif d’une nature différente, compte tenu du fait que le texte même de la disposition législative inclut expressément les pensions de retraite dans le régime d’égalisation, au même titre que tous les autres éléments d’actif, tout en ne prévoyant qu’une seule méthode de calcul.

147 Même si l’on peut comprendre que les prestations de retraite acquises par l’appelant dans le présent cas dépendent d’un facteur basé sur ses années de service et sur ses cinq années les mieux rémunérées, ces caractéristiques ne suffisent pas pour soustraire l’évaluation de sa pension de retraite à l’application de la méthode à laquelle la législature a assujetti tous les autres biens. Au contraire, de tels facteurs sont importants en ce qui concerne l’objectif de la Loi, dans la mesure où ils se rattachent à la période qui coïncide avec la durée du mariage, influençant ainsi le droit à pension.

148 Dans ses motifs, mon collègue insiste beaucoup sur la différence qui existe entre une pension à prestations déterminées et une pension à cotisations déterminées. Bien que factuellement exacte, cette distinction n’est pas reconnue par le régime établi par la Loi. Que l’augmentation de la valeur soit attribuable à l’augmentation du compte de l’employé visé ou, plutôt, à l’augmentation de la valeur de la mise en commun des avoirs de pensions formés des cotisations individuelles importe peu suivant le régime établi par la Loi. Il n’est pas non plus important de déterminer si, dans le cadre d’un régime à prestations déterminées, les employés profitent directement des augmentations de valeur dues au marché ou s’ils en profitent seulement en tant que participants à la mise en commun des cotisations. La Loi s’intéresse uniquement à la valeur attribuée à l’avoir de l’individu, en tant que participant au fonds, aux deux dates pertinentes.

149 Je ne suis pas non plus d’accord avec les propositions de mon collègue que, d’une part, la prestation de retraite d’un employé ne dépend pas de la somme des cotisations versées ou du rendement du capital investi, et que, d’autre part, le juge de première instance a mal saisi ce point (voir les motifs du juge Major, aux par. 33 et 68). Au contraire, j’estime que l’établissement même de ce type de formule de calcul de la pension par le payeur est entièrement tributaire des cotisations (qui augmentent au fil des années de service en même temps que le salaire de chacun des membres) et du rendement subséquent du capital investi. Après 12 jours d’audience au cours desquels il a entendu les témoignages de divers experts, le juge Rutherford a tiré une conclusion conforme à la preuve, et il a bien apprécié la somme des cotisations versées par l’appelant pendant ses années de service et la façon dont ces cotisations croissantes ont été mises en commun avec celles des autres participants au régime en vue de produire les revenus nécessaires pour permettre à chacun d’eux de toucher une prestation à la retraite.

150 L’exemple donné par mon collègue (au par. 70) concerne le cas particulier du conjoint participant qui cesse de travailler à la date du mariage. Il conclut, au par. 71, qu’il est inéquitable que ce conjoint participant ait à tenir compte, au titre de l’égalisation, d’une augmentation de valeur de biens qui ne s’est pas produite, suivant la prémisse que la «prestation annualisée qui sera versée [. . .] est la seule valeur significative». Ma réponse comporte deux volets. Premièrement, je préfère l’approche retenue par le juge Rutherford (à la p. 141), qui a considéré que, conformément à l’objectif de la Loi, les tribunaux ne peuvent pas se contenter d’une simple analyse de la prestation annualisée qui sera versée et doivent employer une méthode qui évalue la pension de retraite en fonction de [traduction] «facteurs concrets d’ordre fiscal et humain». Je vais préciser, aux par. 159 et suiv., ma position en ce qui concerne la valeur de la pension de retraite pendant le mariage. Deuxièmement, si l’utilisation de la méthode de la valeur ajoutée devait, dans une affaire donnée, entraîner un préjudice ou un résultat inadmissible, une mesure corrective peut être prise en vertu du par. 5(6) de la Loi, qui est ainsi rédigé:

5 . . .

(6) Le tribunal peut accorder à un conjoint un montant qui est inférieur ou supérieur à la moitié de la différence entre les biens familiaux nets qui appartiennent à chacun des conjoints si le tribunal est d’avis que l’égalisation des biens familiaux nets serait inadmissible, compte tenu des facteurs suivants:

. . .

h) n’importe quelle autre circonstance concernant l’acquisition, l’aliénation, la conservation, l’entretien ou l’amélioration des biens.

151 Je suis d’accord avec le juge Charron que les art. 4 et 5 ne peuvent pas être considérés isolément. Dans l’exemple donné par mon collègue, le conjoint participant n’accumule pas d’autres années de service pendant le mariage et il ne verse pas de cotisations. Quoiqu’il puisse s’agir d’un scénario où il conviendrait qu’un juge de première instance exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le par. 5(6) de la Loi, je ne suis pas convaincue que la méthode au prorata devrait, pour ce seul motif, être retenue, d’autant plus qu’elle ne respecte ni le texte ni l’esprit de la Loi. À mon avis, la méthode de la valeur ajoutée permet, en l’espèce, de faire le lien entre, d’une part, les années de mariage et, d’autre part, les années de service donnant ouverture à la pension de retraite, les cinq années les mieux rémunérées, l’accumulation des années requises pour respecter la règle des 90 et la décision des conjoints d’effectuer leur planification financière sur la base de parts égales dans la pension. Tant et aussi longtemps que l’appelant a continué à accumuler des années de service et à cotiser au fonds de pension, la valeur du fonds a augmenté suivant une courbe de croissance pendant toute la durée du mariage.

152 Tout comme j’estime qu’il est inutile de tenir compte des caractéristiques distinctives du bien lui‑même, je ne saurais accepter l’argument que les tribunaux devraient prendre en compte la façon dont la valeur de la pension évolue généralement au fil des années, y compris pendant la période qui précède le mariage. Ces caractéristiques de la méthode au prorata ne font tout simplement pas partie de la Loi, compte tenu, en particulier, du fait que son fondement est le partage des biens au moment de la séparation.

III. La Loi sur le droit de la famille: un règlement ordonné et équitable

153 Le préambule de la Loi enjoint aux tribunaux d’interpréter la législation d’une manière qui soit à la fois «ordonnée et équitable». La législature a choisi de traiter les pensions de retraite de la même manière que toutes les autres catégories de biens et d’appliquer une seule méthode de calcul à tous les cas -‑ ce choix repose sur la présomption qu’il s’agit là de la façon la plus ordonnée et la plus équitable d’évaluer une pension de retraite. La Cour d’appel a fermement exprimé son appui à l’égard de ces objectifs de la législature (à la p. 591):

[traduction] À mon avis, la méthode de la valeur ajoutée n’est pas, comme le prétend l’appelant, incompatible avec l’objectif exprès de la loi qu’il y ait un «règlement ordonné et équitable des affaires des conjoints». Premièrement, le choix d’une seule méthode uniforme permet d’atteindre l’objectif de la loi qui est de pourvoir au règlement «ordonné» des affaires des conjoints. Deuxièmement, l’application même des dispositions d’égalisation prévues par la Loi permet en règle générale d’assurer l’équité. Enfin, ces dispositions ne peuvent être considérées isolément. Comme nous l’avons souligné plus tôt, la Loi permet une certaine souplesse dans les cas particuliers où l’égalisation des biens familiaux nets entraînerait un préjudice ou un résultat inadmissible. [En italique dans l’original; je souligne.]

154 À l’instar de mon collègue, je suis d’avis que l’analyse fondée sur l’équité, c’est‑à‑dire l’analyse de ce qui est ordonné et équitable, ne devrait pas être axée sur le résultat. En outre, je souscris à son affirmation (au par. 66) qu’il serait «inéquitable de priver l’intimée de sa part de la bonne fortune survenue au cours du mariage».

155 J’estime que le fait que le résultat puisse dicter le choix de la méthode d’évaluation plutôt que l’inverse est, en soi, contraire aux principes de l’ordre et de l’équité. Bien que l’équité du résultat global soit importante dans le cadre du jugement final de divorce, ce facteur ne devrait pas jouer un rôle significatif dans la méthode d’évaluation d’un bien donné. Ce qu’il faut, à l’étape de l’évaluation, c’est une méthode qui prenne en compte également les intérêts des deux parties. Cette méthode doit refléter exactement la valeur de la pension pendant le mariage. Par contre, le résultat final de la division des biens variera en fonction de l’ensemble des circonstances de l’affaire. Nous devons présumer que la législature entendait que le régime établi par de la Loi produise un résultat ordonné et équitable. Comme l’a dit si justement la Cour d’appel de l’Ontario (à la p. 590), [traduction] «[i]l n’y a aucune raison de croire que le choix de la législature a été le fruit du hasard».

156 Tel que mentionné précédemment, la législature a prévu, au par. 5(6) de la Loi, la possibilité de recourir à une mesure corrective dans les cas où le tribunal est d’avis que l’égalisation des «biens familiaux nets» serait inadmissible. Selon moi, il est préférable que les tribunaux aient recours à ce pouvoir de correction plutôt que de demander aux tribunaux de décider du choix de la méthode d’évaluation en fonction de ce qui peut sembler plus équitable dans un cas donné.

157 Quant à la question de la répartition, Burrows, loc. cit., à la p. 52, écrit ce qui suit:

[traduction] Les décisions publiées qui sont favorables à la méthode «au prorata» rejettent la méthode de la «valeur ajoutée» principalement parce qu’ils ne sont pas d’accord avec la répartition qui découle de l’application de cette méthode. Au lieu de contester la méthode d’évaluation, le tribunal qui n’est pas d’accord avec les valeurs qu’elle produit devrait plutôt ordonner un partage inégal des biens s’il est d’avis que le cas dont il est saisi justifie une telle mesure.

La méthode de la «valeur ajoutée» est la façon la plus équitable de répartir la valeur et celle qui produit la répartition qui reflète le plus les augmentations réelles de valeur. Il s’agit également de la méthode prescrite par la Loi sur le droit de la famille et à laquelle souscrivent ceux qui ont analysé cette question en profondeur. [Je souligne.]

158 Par conséquent, l’évaluation devrait attribuer une valeur pécuniaire objective à la pension de retraite, indépendamment des faits particuliers d’un divorce. Même dans les cas où cela peut s’avérer plus difficile, la Loi oblige le tribunal à examiner les différents éléments constitutifs de la valeur de la pension et à déterminer s’ils peuvent à juste titre être rattachés à un moment précis au cours du mariage. À mon avis, la Cour d’appel a conclu avec justesse, à la p. 591, que [traduction] «l’application même des dispositions d’égalisation prévues par la Loi permet, en règle générale, d’assurer l’équité».

IV. Équité et évaluation

159 Ce qui, dans certains cas, a été perçu comme inéquitable, est plutôt la juste conséquence de la valeur plus grande accordée aux dernières années de participation à un régime de pension de retraite plutôt qu’aux premières. Un tel résultat est à la fois logique et équitable en ce qu’il reflète le fait que la valeur de la pension croît à un rythme beaucoup plus rapide au cours des dernières années que pendant les premières, autrement dit, l’utilité marginale d’une année supplémentaire de travail après 30 années de service est beaucoup plus grande qu’elle ne l’aurait été après 10 années. Cette hausse de la valeur représente davantage que le simple passage du temps ou même que l’augmentation globale de la valeur de la caisse de retraite concernée.

160 J’estime qu’il existe trois raisons principales qui permettent de conclure que la valeur de la pension de retraite a augmenté de façon plus importante pendant le mariage en l’espèce. Premièrement, la valeur temporelle de l’argent augmente la valeur de la pension à mesure qu’on se rapproche de la date du début du paiement des prestations. Ou, en d’autres mots, les premières années de service semblent avoir moins de valeur parce que la valeur des paiements réels doit être actualisée sur un plus grand nombre d’années. La méthode de la valeur ajoutée attribue à la période du mariage cette augmentation de la valeur de la pension due à la valeur temporelle de l’argent, d’où son nom: «méthode de la valeur ajoutée». La méthode au prorata ne tient pas compte de cette réalité. Ainsi, pour reprendre l’exemple donné par mon collègue (au par. 70), à supposer que l’appelant ait quitté son emploi la veille de son mariage avec l’intimée, aucune augmentation de valeur ne serait attribuée à la période du mariage suivant la méthode au prorata. L’appelant n’aurait pas «accumulé» d’années de service au cours de cette période. Toutefois, la méthode de la valeur ajoutée attribuerait une valeur à la période du mariage, étant donné que la valeur de la pension à la date du mariage était de beaucoup inférieure à ce qu’elle était concrètement à la date de la séparation. Cette méthode reflète l’augmentation de valeur survenue pendant le mariage, à mesure qu’approchait la date du premier paiement.

161 Deuxièmement, dans la majorité des régimes de pension de retraite, la prestation de retraite annuelle payable à l’employé est calculée en appliquant un facteur tenant compte des années les mieux rémunérées. En l’espèce, les cinq années les mieux rémunérées de l’appelant sont les seules utilisées pour calculer la valeur de la pension. Dans un tel cas, la méthode de la valeur ajoutée tient compte de cette réalité et de l’importance du fait que ces cinq années sont survenues durant le mariage. De même, cette méthode est davantage susceptible d’établir un lien direct entre la période du mariage et la planification par le couple de sa retraite. Ce facteur est particulièrement pertinent dans le présent cas où les années du mariage sont près de l’âge de la retraite.

162 Le troisième facteur qui, en l’espèce, confère plus d’importance aux années de service en fin de carrière est la règle des 90. L’effet de cette règle est que, après un certain point dans sa carrière, une personne peut, en travaillant quelques années de plus, avancer la date du premier versement de sa pension de retraite. Par conséquent, certaines années de service vers la fin de la carrière d’une personne ont pour effet non seulement de raccourcir le délai avant le début du paiement de la pension et ainsi de réduire les effets de l’actualisation, mais aussi d’augmenter le nombre total d’années de paiement de la pension et, par conséquent, l’avantage reçu. Bien qu’il soit difficile de quantifier l’effet de ce facteur, il n’en demeure pas moins que, en raison de celui‑ci, les dernières années de service d’une personne prennent une valeur plus grande que les premières.

163 J’estime que la prémisse selon laquelle toutes les années de cotisation au régime de pension doivent avoir une valeur égale est non seulement extraordinaire, mais tout à fait irréaliste. Les tribunaux ne font sûrement pas de telles hypothèses lorsqu’ils déterminent la valeur d’autres types de paiements dans le contexte du droit de la famille. Par exemple, dans la fixation des pensions alimentaires, le salaire d’un professionnel n’est pas divisé de manière à reconnaître à chaque année de travail une valeur égale ou au prorata. Malgré le fait que les années qu’un professionnel a consacrées avant son mariage à des périodes d’internat ou de stage étaient absolument essentielles pour gagner un revenu plus élevé, les tribunaux ne rendent pas d’ordonnances alimentaires en tenant compte du nombre d’années de service antérieures au mariage et du nombre d’années de service dans la profession avant la séparation. Au contraire, le régime établi par la Loi oblige les tribunaux à limiter leur examen aux facteurs qui sont pertinents après la date du mariage. Comme le souligne avec justesse le juge Major, au par. 54, «la Loi garantit que l’augmentation de valeur d’un bien durant le mariage est répartie également entre les conjoints, sans égard à la question de savoir si ce bien appartenait avant le mariage à l’un des conjoints» (je souligne). Ce fait doit être distingué de l’utilisation de facteurs antérieurs à la date du mariage dans l’évaluation d’une telle augmentation.

164 Je suis également d’avis que, du point de vue des principes, il ne serait pas illogique de la part du Parlement ou de la législature de choisir une méthode d’évaluation qui, comme cela semble être le cas en l’espèce, pourrait avantager le conjoint non participant lorsque le couple approche l’âge de la retraite. Les dernières années du mariage représentent souvent une période où il est plus difficile et, dans bien des cas, impossible de retourner sur le marché du travail ou de participer au marché des investissements. Comme l’a affirmé récemment le juge Iacobucci dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, au par. 101:

Il me semble qu’un tribunal peut à bon droit prendre connaissance d’office du fait que plus l’on vieillit, plus il est difficile de trouver et de conserver un emploi. En fait, notre Cour a souvent reconnu que l’âge était un facteur à considérer dans le contexte de la participation au marché du travail et du retrait de ce dernier. Par exemple, le juge La Forest a affirmé, au nom de la Cour à la majorité dans McKinney, précité, à la p. 299:

À moins qu’elles aient des compétences particulières, on reconnaît généralement que les personnes de plus de 45 ans ont plus de difficulté à se trouver du travail que les autres. Elles n’ont pas la souplesse des jeunes, un désavantage souvent aggravé par le fait que les jeunes disposent généralement d’une formation plus récente dans les techniques plus modernes.

Le Parlement et les législatures ont, à maintes reprises, manifesté leur intention de protéger les personnes susceptibles d’être plus vulnérables dans notre société en raison du fait qu’elles vieillissent. Le juge Iacobucci écrit, dans l’arrêt Law, précité, au par. 103:

En établissant un régime de pensions qui accorde des prestations suivant l’âge du survivant, le législateur semble avoir voulu allouer les fonds aux personnes dont la capacité de subvenir à leurs besoins était la plus faible. Sa préoccupation était de promouvoir la dignité et la liberté de la personne en assurant une sécurité financière de base à long terme aux personnes dont la situation les rend incapables d’atteindre ce but, qui revêt tant d’importance sur les plans de la vie et de la dignité. [Je souligne.]

C’est dans cet esprit que le Parlement a adopté, notamment, des lois telles que le Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑8, et la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O‑9.

165 L’analyse qui précède illustre bien les «facteurs concrets d’ordre fiscal et humain» qui ont été à la base du jugement de première instance. Je suis d’accord avec le passage suivant des motifs du juge Rutherford, aux pp. 140 et 141:

[traduction] À mon avis, chacune des années de la vie de la pension de M. Best n’a pas une valeur égale. Dans les premières années, les participants au régime paient des cotisations relativement moins élevées -- établies en fonction de salaires inférieurs -- que celles qu’ils paient plus tard. Mais ce qu’il est plus important d’«évaluer», c’est la distance qui sépare l’année en cause de la date du début du paiement des prestations. La valeur de la cotisation versée dans l’année dépend du temps qu’il reste à courir jusqu’au paiement des prestations, car plus elle est rapprochée du paiement, plus sa valeur pécuniaire devient importante. Cet aspect a une dimension humaine. Du point de vue des deux conjoints, une année d’accumulation du droit à pension lorsqu’ils sont jeunes n’a pas la même importance que lorsqu’ils sont dans la cinquantaine ou la soixantaine et qu’ils disposent de beaucoup moins de temps pour préparer leur sécurité future. [Je souligne.]

V. Conclusion et dispositif

166 Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas d’accord avec l’analyse de mon collègue, car je suis d’avis, à l’instar du juge de première instance et de la Cour d’appel, que la méthode de la valeur ajoutée est celle qui est la plus conforme au texte et à l’esprit de la Loi. La méthode de la valeur ajoutée est celle qui doit être utilisée, dans l’application de la Loi sur le droit de la famille, afin de calculer la valeur du bien des parties qui est en cause, en l’occurrence la pension de l’appelant. Par conséquent, je rejetterais le pourvoi avec dépens dans toutes les cours.

Pourvoi accueilli en partie, le juge L’Heureux‑Dubé est dissidente en partie.

Procureurs de l’appelant: Barnes, Sammon, Ottawa.

Procureurs de l’intimée: Tierney, Stauffer, Ottawa.


Synthèse
Référence neutre : [1999] 2 R.C.S. 868 ?
Date de la décision : 09/07/1999
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli relativement aux questions de la méthode d’évaluation et des dépens et rejeté à tous les autres égards

Analyses

Droit de la famille - Partage égal des biens familiaux nets - Pensions à prestations déterminées - Méthodes actuarielles de détermination de la valeur de la pension donnant des résultats très différents - Laquelle de la méthode au prorata ou de la méthode de la valeur ajoutée s’accorde le mieux avec la Loi sur le droit de la famille? - Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3, préambule, art. 4, 5, 9.

Le présent pourvoi concernait le traitement des pensions de retraite dans le cadre du partage des biens en cas de divorce et, plus particulièrement, la technique appropriée pour déterminer la valeur de la pension de l’appelant. Les parties se sont séparées après 12,08 années de mariage. L’appelant avait cotisé à un régime de retraite pendant 20,52 années avant le mariage et acquis le droit aux prestations de retraite. Il travaillait toujours quand le procès a eu lieu. Le régime de retraite de l’appelant était un régime à prestations déterminées, c’est‑à‑dire un régime dans lequel la prestation de retraite annuelle versée aux retraités est calculée selon une formule fixe: l’appelant avait droit à une rente annuelle égale à 2 p. 100 de la moyenne de ses cinq années les mieux rémunérées, multipliée par le nombre total d’années de service accumulées avant la retraite. Il s’agissait également de déterminer la date à laquelle l’appelant prendrait vraisemblablement sa retraite aux fins du calcul de la valeur de la pension durant le mariage, de décider si l’appelant pouvait s’acquitter d’une partie de son obligation d’égalisation sur une base «conditionnelle» en ne versant à l’intimée sa part de la pension que lorsqu’il la recevrait, si tant est qu’il la recevait, de décider si son obligation alimentaire à l’endroit de son ex‑conjointe aurait dû prendre fin à la date de son départ à la retraite, et, enfin, de statuer sur la question des dépens.

Pour déterminer la valeur de la pension, les deux parties ont convenu d’utiliser la méthode «de la cessation d’emploi»; on a donc calculé la valeur de la pension de l’appelant au moment de la séparation en présumant que ce dernier avait cessé de travailler à cette date. Différentes méthodes actuarielles ont été proposées pour déterminer la partie de la valeur de la pension devant être attribuée à la période du mariage. L’intimée a proposé d’utiliser la méthode de la valeur ajoutée à la cessation d’emploi, suivant laquelle la valeur actualiste de la pension de retraite est déterminée d’abord à la date du mariage, puis à la date de la séparation; on calcule ensuite l’augmentation de la valeur de la pension durant le mariage en retranchant la première valeur de la deuxième. Selon la méthode au prorata à la cessation d’emploi proposée par l’appelant, on calcule d’abord la valeur actualisée de la pension de retraite accumulée à la date de la séparation. On calcule ensuite la valeur de la pension de retraite à la date du mariage en multipliant la valeur à la date de la séparation par une fraction égale au nombre d’années de service ouvrant droit à pension accumulées avant le mariage divisé par le nombre total d’années de service ouvrant droit à pension accumulées avant la séparation. La valeur attribuable aux années de mariage est la différence entre la valeur de la pension de retraite à la date de la séparation et sa valeur à la date du mariage.

C’est lorsque les actuaires des parties ont voulu déterminer la valeur de la pension à la date du mariage qu’est né le désaccord au sujet des méthodes d’évaluation. La valeur de la pension à la date du mariage déterminée en application de la méthode au prorata était supérieure à celle qui résultait de la méthode de la valeur ajoutée. Par conséquent, la valeur de la pension de retraite attribuable aux années de mariage -- soit la différence entre la valeur à la date de la séparation et la valeur à la date du mariage -- était inférieure lorsqu’on appliquait la méthode au prorata. Le juge de première instance et la Cour d’appel ont tous les deux tranché l’affaire en faveur de l’intimée et utilisé la méthode de la valeur ajoutée.

Pour déterminer la valeur de la pension, le juge de première instance a dû faire une hypothèse concernant la date à laquelle l’appelant prendrait vraisemblablement sa retraite, en considérant la question à la date de la séparation. Faisant abstraction du fait que l’appelant travaillait encore à la date du jugement, le juge de première instance a conclu, considérant cette question à la date de la séparation, que l’appelant aurait pris sa retraite lorsqu’il aurait été admissible à une retraite anticipée.

Dans son ordonnance, le juge de première instance a indiqué que l’appelant pouvait s’acquitter de son obligation d’égalisation sous forme de mensualités échelonnées sur une période de 10 ans. Il a refusé d’autoriser l’appelant à s’acquitter d’une partie de son obligation d’égalisation sur une base «conditionnelle», c’est‑à‑dire en ne versant à l’intimée sa part de la pension de retraite que lorsqu’il la recevrait, si tant est qu’il la recevait. Le juge de première instance a également ordonné à l’appelant de verser à l’intimée une pension alimentaire de 2 500 $ par mois. Il a accordé à l’intimée une partie de ses dépens. La Cour d’appel a confirmé ces conclusions et accordé à l’intimée les dépens en appel.

Arrêt (le juge L’Heureux‑Dubé dissidente en partie): Le pourvoi est accueilli relativement aux questions de la méthode d’évaluation et des dépens et rejeté à tous les autres égards.

Le juge en chef Lamer et les juges Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie: De façon générale, la méthode au prorata produit une évaluation plus équitable d’une pension à prestations déterminées que la méthode de la valeur ajoutée.

Les parties ont convenu de présumer que l’appelant avait cessé de travailler à la date de la séparation (la méthode de la cessation d’emploi). On détermine la valeur de la pension à la date de la séparation en calculant la prestation accumulée au moyen de la formule de calcul de la prestation, et on calcule ensuite la somme qui, investie à la date de la séparation, produirait le même flux de revenu que la pension à partir de la date présumée du départ à la retraite. Ce calcul, également appelé «actualisation» de la valeur de la prestation de retraite à la date de la séparation, exige l’application de certaines hypothèses, notamment en ce qui concerne la date présumée du départ à la retraite afin de déterminer la durée de la période d’actualisation, la longévité présumée de l’employé, et un taux d’actualisation tenant compte des effets de l’inflation et du rendement du capital investi. Les parties ont convenu en principe de la valeur de la pension de retraite à la date de la séparation.

En vertu de la Loi sur le droit de la famille, la valeur des biens possédés avant le mariage doit être exclue du processus d’égalisation des biens. Les parties ne se sont pas entendues sur la méthode qu’il convenait d’appliquer pour déterminer la valeur de la pension de retraite à la date du mariage. Selon la méthode au prorata, la valeur de la pension augmente à un rythme constant au fil des années; suivant la méthode de la valeur ajoutée, la valeur de la pension augmente lentement au départ puis plus rapidement par la suite en raison des effets de la capitalisation. À tout moment, la méthode au prorata attribue à la pension une valeur supérieure à celle que lui attribue la méthode de la valeur ajoutée. Dans les cas où, comme en l’espèce, l’employé a accumulé de nombreuses années de service ouvrant droit à pension avant le mariage, la valeur de la pension de retraite à la date du mariage variera de façon considérable selon la méthode utilisée. Les deux méthodes sont considérées acceptables du point de vue actuariel.

Malheureusement, la Loi sur le droit de la famille ne précise pas quelle est la méthode qui doit être utilisée. Les seules indications à cet égard figurent au par. 4(1) de la Loi sur le droit de la famille, qui intime aux tribunaux de calculer la valeur des «biens familiaux nets» de chaque conjoint, expression qui est définie comme la valeur de tous les biens dont chaque conjoint est propriétaire à la date de la séparation moins la valeur de tous les biens dont chacun était propriétaire à la date du mariage. La Loi sur le droit de la famille ne prescrit pas la façon de calculer la valeur de quelque bien en particulier. Par conséquent, il ne faut pas nécessairement privilégier un calcul fondé sur la valeur actualisée, comme celui utilisé dans le cadre de la méthode de la valeur ajoutée, au détriment de toute autre méthode. Les mots «calculée à la date du mariage» figurant au par. 4(1) n’expriment pas la préférence du législateur pour une méthode actuarielle d’évaluation des pensions plutôt qu’une autre; ils touchent plutôt le point plus fondamental qu’un conjoint ne peut exclure un bien de ses biens nets familiaux pour la seule raison qu’il en était propriétaire avant le mariage. En outre, le par. 4(1) ne précise pas que la valeur à la date du mariage ne peut pas être dérivée mathématiquement de la valeur à la date de la séparation.

La Loi sur le droit de la famille n’exige pas que la valeur à la date du mariage d’une pension à prestations déterminées soit calculée de la même façon que la valeur d’autres types de biens; elle exige simplement que la valeur des biens familiaux nets soit calculée en soustrayant la valeur des biens à la date du mariage de leur valeur à la date de la séparation. S’il ressort de l’examen approprié de la nature d’une pension à prestations déterminées que l’utilisation d’une méthode d’évaluation différente des méthodes utilisées pour calculer la valeur d’autres biens est nécessaire, la Loi sur le droit de la famille n’interdit pas d’utiliser une telle méthode. En l’absence de directives claires du législateur, la méthode au prorata, qui jouit de l’aval de la profession actuarielle, doit être prise en considération. L’objectif général des lois sur les biens matrimoniaux est de répartir ces biens le plus équitablement possible. Le fait que la loi n’indique aucune préférence pour la méthode de la valeur ajoutée par rapport à la méthode au prorata, ou vice‑versa, signifie que le calcul de la valeur de la pension à prestations déterminées doit être fait au moyen de la méthode qui l’évalue le plus équitablement possible.

La Cour doit choisir la méthode d’évaluation qui décrit le plus exactement la façon dont la valeur de la pension à prestations déterminées a évolué au fil des ans, en tenant dûment compte de la nature du bien lui‑même. Contrairement à un intérêt dans un régime à cotisations déterminées, la prestation annualisée versée en bout de ligne à un employé dans le cadre d’un régime à prestations déterminées n’est pas liée au montant des cotisations ou au taux de rendement du capital investi. Il est loin de tomber sous le sens que l’augmentation de valeur d’un intérêt dans un régime de retraite à prestations déterminées devrait être mesurée de la même façon que l’augmentation de valeur d’un placement. Le fait qu’elle considère que la valeur d’un régime de retraite à prestations déterminées augmente ainsi constitue une lacune importante de la méthode de la valeur ajoutée.

Les arguments présentés par l’intimée au soutien de la méthode de la valeur ajoutée posent également problème. Une impression subjective que la promesse d’une pension revêt une importance plus grande à mesure que l’employé approche de l’âge de la retraite ne se traduit pas par une augmentation objective de valeur qui doit se refléter dans le calcul d’égalisation. En outre, la méthode de la valeur ajoutée ne tient pas compte de la valeur décroissante du dollar en raison de l’inflation. Bien que le dollar de 1976, année du mariage, vaille davantage que le dollar courant de 1988, année de la séparation, il est néanmoins retranché directement du dollar courant à la séparation, ce qui signifie que l’effet de l’inflation sur la valeur totale de la pension est traité comme une «plus‑value» survenue pendant la durée du mariage. De plus, un autre problème qui caractérise la manière dont la méthode de la valeur ajoutée a été utilisée dans le cas qui nous occupe est le fait qu’on se soit servi d’hypothèses différentes quant à l’âge du départ à la retraite pour calculer la valeur de la pension à la date du mariage et à la date de la séparation.

La méthode au prorata reflète mieux la nature d’une pension à prestations déterminées en répartissant la valeur actualisée de la pension sur chaque année de service. La valeur véritable du régime de retraite à prestations déterminées — c’est‑à‑dire la prestation elle‑même — augmente à un taux constant (ou taux arithmétique) à mesure que le temps passe, et non pas suivant une courbe de croissance (ou taux géométrique). La méthode au prorata rend compte fidèlement de la nature de la pension en tant qu’élément d’actif futur, au lieu de la considérer à tort comme un élément d’actif courant, auquel on peut attribuer une valeur globale qui augmente en fonction du taux d’inflation et du taux de rendement de placements sans risque. Elle reflète également le fait que l’effet d’une hausse de salaire dans un régime de pension à prestations déterminées «salaire maximal moyen» ne se limite pas à l’année particulière au cours de laquelle cette hausse est accordée, mais se fait également sentir pendant toute la durée du service. De plus, la méthode au prorata est moins conjecturale que la méthode de la valeur ajoutée: elle ne requiert qu’un seul calcul d’actualisation et, en outre, ne fait pas artificiellement abstraction des renseignements pertinents qui sont connus à la date de la séparation pour déterminer la valeur à la date du mariage.

Bien que la méthode de la valeur ajoutée puisse être modifiée pour tenir compte de ces inquiétudes, la méthode au prorata produit généralement une évaluation plus équitable des pensions à prestations déterminées dans le cadre de la Loi sur le droit de la famille. Il faut signaler, cependant, qu’il demeure possible de recourir à la méthode de la retraite (par opposition à la méthode de la cessation d’emploi), bien que l’utilisation de cette méthode pourrait être incompatible avec le texte actuel de la Loi sur le droit de la famille.

Les nombreuses questions que soulève l’évaluation des pensions dans les calculs d’égalisation sont complexes et elles méritent l’attention du législateur. En attendant que le législateur règle ce problème en modifiant la Loi sur le droit de la famille, les intéressés devront s’entendre sur la méthode d’évaluation qu’il convient d’appliquer ou, comme en l’espèce, soumettre le litige aux tribunaux.

La deuxième question litigieuse que soulève la présente affaire est l’hypothèse relative à l’âge du départ à la retraite que le tribunal a utilisée pour évaluer la valeur de la pension de retraite. L’âge du départ à la retraite est crucial pour l’évaluation parce qu’il détermine à la fois la durée de la période d’actualisation et la durée de la pension. Dans l’application de la méthode de la cessation d’emploi, la preuve postérieure à la séparation ne devrait pas être utilisée pour fixer la date probable de la retraite, à moins que cette preuve ne révèle des faits qu’envisageait le conjoint participant au moment de la séparation. L’existence d’une clause de retraite anticipée sera presque toujours pertinente quant au choix de l’âge probable du départ à la retraite. La conclusion du juge de première instance n’était pas déraisonnable à la lumière de la preuve qui existait avant la séparation. Il n’était pas injuste de s’en tenir aux faits tels qu’ils existaient à la date de la séparation et d’omettre ainsi de tenir compte de la preuve qui existait après la séparation mais avant le procès, par exemple le fait que l’appelant ait continué de travailler après la date présumée du départ à la retraite.

Le juge de première instance n’a pas outrepassé son pouvoir discrétionnaire en permettant à l’appelant de s’acquitter de son obligation d’égalisation sous forme de versements échelonnés sur une période de 10 ans, et il convient de faire montre de retenue envers cette décision étant donné que le choix de la méthode d’exécution de l’obligation d’égalisation est en grande partie tributaire du contexte et des faits. Un régime de paiement «conditionnel», en vertu duquel l’appelant verserait à l’intimée une partie des prestations de retraite seulement lorsqu’il les recevrait, si tant est qu’il les reçoit, ne doit pas être considéré comme la règle générale en matière de paiements d’égalisation dans les cas où une pension est en cause. Bien qu’un régime de paiement «conditionnel» comporte des avantages manifestes lorsqu’une part importante de la différence entre la valeur des biens familiaux nets des parties est attribuable à la valeur capitalisée d’une pension — en particulier qu’il évite d’exposer le conjoint participant au préjudice que constituerait le fait de devoir payer immédiatement une somme forfaitaire —, un tel régime présente aussi des inconvénients, notamment le maintien de l’association financière des ex‑conjoints et la difficulté que soulève la détermination de la part appropriée de chaque prestation de retraite à verser au conjoint non participant. En outre, la somme totale à verser est indéterminée et il peut y avoir soit paiement excédentaire soit paiement insuffisant, selon la longévité du conjoint participant. À cet égard, le recours à un régime de règlement «conditionnel» fait en sorte qu’il est effectivement inutile de déterminer la valeur de la pension de retraite. Ce régime est incompatible avec l’argument principal de l’appelant en l’espèce et pourrait soulever un problème d’incompatibilité avec la Loi sur le droit de la famille puisqu’il repose effectivement sur une méthode d’évaluation «différée» à la retraite.

Le juge de première instance n’a pas considéré les prestations de retraite à venir comme un «revenu» afin de déterminer la capacité de l’appelant de verser une pension alimentaire. Il n’était donc pas nécessaire de trancher la question de la «double ponction», c.‑à‑d. la question de savoir si une pension qui a servi comme bien aux fins du calcul d’égalisation peut également être considérée comme un revenu aux fins du paiement de la pension alimentaire par le conjoint participant. De plus, le fait d’évaluer la pension en considérant que l’appelant avait cessé de travailler en 1988 n’a pas constitué une erreur, même si, dans la fixation de la pension alimentaire, le juge de première instance a reconnu que l’appelant travaillait toujours en 1993. L’accord relatif à l’utilisation de la méthode de la cessation d’emploi justifiait de ne pas tenir compte de la preuve postérieure à la séparation pour la question limitée de l’évaluation de la pension de retraite. Compte tenu du fait que le montant de la pension alimentaire est tributaire du salaire de l’appelant, il semble que l’ordonnance pourrait être modifiée sur la base d’un changement de circonstances.

Les parties supporteront leurs propres dépens dans toutes les cours.

Le juge L’Heureux‑Dubé (dissidente en partie): Bien que la profession actuarielle accepte tant la méthode de la valeur ajoutée que la méthode au prorata, le choix de celle qui devrait être employée en droit de la famille est une question de droit et, par conséquent, une question de conformité avec la législation applicable. Tant le juge de première instance que la Cour d’appel ont conclu, dans leurs motifs, que la méthode de la valeur ajoutée était plus compatible avec la Loi et donnait une évaluation plus équitable, et que rien ne justifiait de recourir à une méthode différente parce que le bien en cause était d’une nature différente. Ces motifs ont été adoptés.

Les deux méthodes ne satisfont pas aux critères énoncés dans la Loi et, même si elles y satisfaisaient, les tribunaux doivent aller plus loin pour déterminer quelle est la méthode la plus conforme à la Loi. Seule la méthode de la valeur ajoutée respecte l’esprit et la lettre du par. 4(1) de la Loi sur le droit de la famille. Bien que l’objectif général de la Loi soit de pourvoir à la répartition équitable des biens, l’objectif précis de l’évaluation de la valeur de la pension de retraite est de déterminer l’augmentation de la valeur des biens survenue pendant le mariage. La législature a établi un régime permettant une telle répartition et la Cour est simplement tenue d’utiliser la méthode d’évaluation qui permet le mieux de déterminer l’augmentation de la valeur de la pension de retraite pour les conjoints. Comme le principal souci des tribunaux doit être de se conformer aux dispositions législatives, particulièrement aux lois habilitantes, il n’y a aucune raison en l’espèce pour laquelle notre Cour devrait s’écarter du texte clair et non ambigu de la Loi et déroger à la présomption que la législature avait l’intention de dire exactement ce qui est écrit. La Loi dispose tout simplement que la valeur du bien doit être déterminée en déduisant une valeur donnée d’une autre, le calcul de ces valeurs devant se faire à la fermeture des bureaux à cette date. Elle prescrit que les tribunaux ne peuvent se contenter d’une simple analyse de la prestation annualisée qui sera versée et qu’ils doivent employer une méthode qui évalue la pension de retraite en fonction de facteurs d’ordre fiscal et humain. Si l’utilisation de la méthode de la valeur ajoutée devait entraîner un préjudice ou un résultat inadmissible, une mesure corrective pourrait être prise en vertu du par. 5(6).

L’analyse fondée sur l’équité, c’est‑à‑dire l’analyse de ce qui est ordonné et équitable, ne devrait pas être axée sur le résultat. Ce qui, dans certains cas, a été perçu comme inéquitable, est plutôt la juste conséquence de la valeur plus grande accordée aux dernières années de participation à un régime de pension de retraite plutôt qu’aux premières. Il serait inéquitable de priver l’intimée de sa part de la bonne fortune survenue au cours du mariage. Il existe trois raisons principales qui permettent de conclure que la valeur de la pension de retraite a augmenté de façon plus importante pendant le mariage en l’espèce. Premièrement, la valeur temporelle de l’argent augmente la valeur de la pension à mesure qu’on se rapproche de la date du début du paiement des prestations. Deuxièmement, dans la majorité des régimes de pension de retraite, la prestation de retraite annuelle payable à l’employé est calculée en appliquant un facteur tenant compte des années les mieux rémunérées. La méthode de la valeur ajoutée tient compte de cette réalité et, lorsque c’est le cas, de l’importance du fait que ces années sont survenues durant le mariage. Troisièmement, la disposition applicable en matière de retraite anticipée (la règle des 90) confère plus d’importance aux années de service en fin de carrière. Certaines années de service vers la fin de la carrière d’une personne ont pour effet non seulement de raccourcir le délai avant le début du paiement de la pension et ainsi de réduire les effets de l’actualisation, mais aussi d’augmenter le nombre total d’années de paiement de la pension et, par conséquent, l’avantage reçu. La prémisse selon laquelle toutes les années de cotisation au régime de pension doivent avoir une valeur égale est non seulement extraordinaire, mais également tout à fait irréaliste. Enfin, du point de vue des principes, il ne serait pas illogique de la part du Parlement ou de la législature de choisir une méthode d’évaluation qui pourrait avantager le conjoint non participant lorsque le couple approche l’âge de la retraite. Le Parlement et les législatures ont, à maintes reprises, manifesté leur intention de protéger les personnes susceptibles d’être plus vulnérables dans notre société en raison du fait qu’elles vieillissent.

Les dépens auraient été adjugés en faveur de l’intimée dans toutes les cours.


Parties
Demandeurs : Best
Défendeurs : Best

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Major
Arrêts mentionnés: Kennedy c. Kennedy (1996), 19 R.F.L. (4th) 454
Bascello c. Bascello (1995), 26 O.R. (3d) 342
Christian c. Christian (1991), 7 O.R. (3d) 441
Chinneck c. Chinneck, [1995] O.J. No. 2786 (QL)
Perrier c. Perrier (1987), 12 R.F.L. (3d) 266
Rawluk c. Rawluk (1986), 55 O.R. (2d) 704
Rawluk c. Rawluk, [1990] 1 R.C.S. 70
Clarke c. Clarke, [1990] 2 R.C.S. 795
Valenti c. Valenti (1996), 21 R.F.L. (4th) 246
Deane c. Deane (1995), 14 R.F.L. (4th) 55
Miller c. Miller (1987), 8 R.F.L. (3d) 113
Shafer c. Shafer (1996), 25 R.F.L. (4th) 410
Beaudoin c. Beaudoin, [1997] O.J. No. 5504 (QL)
Patrick c. Patrick (1997), 34 R.F.L. (4th) 228
Spinney c. Spinney, [1996] O.J. No. 1869 (QL)
Munro c. Munro, [1995] O.J. No. 1769 (QL)
Rusticus c. Rusticus, [1995] O.J. No. 516 (QL)
Ramsay c. Ramsay (1994), 1 R.F.L. (4th) 447
Humble c. Humble, 805 S.W.2d 558 (1991)
Hierlihy c. Hierlihy (1984), 48 Nfld. & P.E.I.R. 142
Knippshild c. Knippshild (1995), 11 R.F.L. (4th) 36
Rutherford c. Rutherford (1980), 14 R.F.L. (2d) 41
Gilmour c. Gilmour, [1995] 3 W.W.R. 137
Bourdeau c. Bourdeau, [1993] O.J. No. 1751 (QL)
Rauf c. Rauf (1992), 39 R.F.L. (3d) 63
Porter c. Porter (1986), 1 R.F.L. (3d) 12
Moravcik c. Moravcik (1983), 37 R.F.L. (2d) 102
George c. George (1983), 35 R.F.L. (2d) 225
Marsham c. Marsham (1987), 59 O.R. (2d) 609
Weaver c. Weaver (1991), 32 R.F.L. (3d) 447
Leeson c. Leeson (1990), 26 R.F.L. (3d) 52
Forster c. Forster (1987), 11 R.F.L. (3d) 121
Huisman c. Huisman (1996), 21 R.F.L. (4th) 341
Stevens c. Stevens (1992), 41 R.F.L. (3d) 212
Alger c. Alger (1989), 21 R.F.L. (3d) 211
Deroo c. Deroo (1990), 28 R.F.L. (3d) 86
Hilderley c. Hilderley (1989), 21 R.F.L. (3d) 383
Radcliff c. Radcliff, [1994] O.J. No. 2874 (QL)
Salib c. Cross (1993), 15 O.R. (3d) 521
Rickett c. Rickett (1990), 72 O.R. (2d) 321
Best c. Best (1992), 41 R.F.L (3d) 383
Shadbolt c. Shadbolt (1997), 32 R.F.L. (4th) 253
Butt c. Butt (1989), 22 R.F.L. (3d) 415
Veres c. Veres (1987), 9 R.F.L. (3d) 447
Nantais c. Nantais (1995), 26 O.R. (3d) 453
Rivers c. Rivers (1993), 47 R.F.L. (3d) 90
Flett c. Flett (1992), 43 R.F.L. (3d) 24.
Citée par le juge L’Heureux‑Dubé (dissidente en partie)
Clarke c. Clarke, [1990] 2 R.C.S. 795
Rawluk c. Rawluk (1986), 55 O.R. (2d) 704
R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27
Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497.
Lois et règlements cités
B.C. Reg. 77/95, art. 6.
Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, ch. 128, art. 74, partie 6.
Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O‑9.
Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3, préambule, art. 4(1), (4), 5(1), (6), 9(1), (3).
Loi sur les prestations de pension, L.N.‑B. 1987, ch. P‑5.1, art. 44(8).
Loi sur les régimes de retraite, L.R.O. 1990, ch. P.8, art. 51.
Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑8.
Règlement général — Loi sur les prestations de pension, Règl. du N.‑B. 91‑195, art. 28(2).
Règlement sur les régimes complémentaires de retraite, (1990) 122 G.O. II, 3246, art. 36, 37, 40.
Doctrine citée
Burrows, G. Edmond. «Pension Considerations on Marriage Breakdown Retirement Age» (1995‑96), 13 C.F.L.Q. 25.
Burrows, G. Edmond. «Value Added or Pro Rata?» in Money & Family Law, vol. 10, no. 6, June 1995, p. 48.
Corpus Juris Secundum, vol. 27C, § 558. St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1986.
Côté, Pierre‑André. Interprétation des lois, 2e éd. Cowansville, Qué.: Yvon Blais, 1990.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.
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Institut canadien des actuaires. Norme de pratique pour le calcul de la valeur capitalisée des droits à pension à la rupture du mariage aux fins des paiements forfaitaires de péréquation. Ottawa: Institut canadien des actuaires, 1993.
Institut canadien des actuaires. Groupe de travail sur la répartition des prestations de retraite à la rupture du mariage. Document préliminaire. La répartition des prestations de retraite à la rupture du mariage. Ottawa: Institut canadien des actuaires, 1998.
McLeod, James G. Annotation to Alger v. Alger (1989), 21 R.F.L. (3d) 211.
McLeod, James G. Annotation to Weaver v. Weaver (1991), 32 R.F.L. (3d) 448.
McLeod, James G. Case Comment on Monger v. Monger (1994), 8 R.F.L. (4th) 182.
Ontario. Commission de réforme du droit. Report on Family Law, Part IV, Family Property Law. Toronto: Ministry of the Attorney General, 1974.
Ontario. Commission de réforme du droit. Report on Family Property Law. Toronto: Commission de réforme du droit de l’Ontario, 1993.
Ontario. Commission de réforme du droit. Report on Pensions as Family Property: Valuation and Division. Toronto: Commission de réforme du droit de l’Ontario, 1995.
Patterson, J. B. «Confusion Created in Pension Valuation for Family Breakdown Case Law by the Use of the Expressions “Termination Method” and “Retirement Method”» (1998), 16 C.FL.Q. 249.
Patterson, Jack. Pension Division and Valuation: Family Lawyers’ Guide, 2nd ed. Aurora, Ont.: Canada Law Book, 1995.
Walker, Thomas J. «Double Dipping — Can a Pension Be Both Property and Income?» (1994), 10 C.F.L.Q. 315.

Proposition de citation de la décision: Best c. Best, [1999] 2 R.C.S. 868 (9 juillet 1999)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1999-07-09;.1999..2.r.c.s..868 ?
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