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17/09/1999 | CANADA | N°[1999]_3_R.C.S._351

Canada | Poulin c. Serge Morency et Associés inc., [1999] 3 R.C.S. 351 (17 septembre 1999)


Poulin c. Serge Morency et Associés inc., [1999] 3 R.C.S. 351

Gilles Poulin Appelant

c.

Serge Morency et Associés inc. Intimée

et

RBC Dominion valeurs mobilières inc. Mise en cause

Répertorié: Poulin c. Serge Morency et Associés inc.

No du greffe: 26340.

1999: 21 avril; 1999: 17 septembre.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel du québec

Faillite -- Biens du failli -- Insaisissabilité -- Régime enregistré d'épargne

‑retraite -- Les sommes cotisées par l’employé au Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics ont-elles...

Poulin c. Serge Morency et Associés inc., [1999] 3 R.C.S. 351

Gilles Poulin Appelant

c.

Serge Morency et Associés inc. Intimée

et

RBC Dominion valeurs mobilières inc. Mise en cause

Répertorié: Poulin c. Serge Morency et Associés inc.

No du greffe: 26340.

1999: 21 avril; 1999: 17 septembre.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel du québec

Faillite -- Biens du failli -- Insaisissabilité -- Régime enregistré d'épargne‑retraite -- Les sommes cotisées par l’employé au Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics ont-elles conservé leur caractère d’insaisissabilité après avoir été transférées dans un REER? -- Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, L.R.Q., ch. R-10, art. 222 -- Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, art. 553(12) -- Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, art. 67(1)b).

En 1991, après sa cessation d’emploi, l’appelant demande à la Commission administrative des régimes de retraite et d’assurance du gouvernement du Québec (‹CARRA›) de transférer dans son REER les sommes qu’il détient dans le Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics. Le REER de l’appelant est un régime autogéré de rente à terme fixe. En vertu de ce régime, les fonds sont principalement placés dans des certificats de dépôts garantis ou investis dans des valeurs mobilières canadiennes et peuvent être retirés en tout ou en partie, sous réserve des conditions prévues par les lois fiscales. L’appelant s’est d’ailleurs prévalu de ce droit à une occasion. En 1993, l’appelant fait cession de ses biens. Le montant transféré par la CARRA en 1991 vaut 77 603 $ au 31 décembre 1993. Le syndic demande le remboursement du REER de l’appelant mais celui-ci refuse et présente une requête en jugement déclaratoire dans laquelle il demande que les sommes détenues dans son REER soient déclarées insaisissables. La Cour supérieure conclut à l’insaisissabilité du montant transféré par la CARRA, augmenté d’une plus-value proportionnelle à l’accroissement total du régime. Elle déclare toutefois saisissable la partie des fonds du REER provenant des contributions personnelles de l’appelant. La Cour d’appel, à la majorité, infirme ce jugement et déclare que la totalité des valeurs constituant le REER de l’appelant est saisissable.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

L’article 67 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité renvoie aux lois applicables dans la province dans laquelle réside le failli et où sont situés ses biens afin de déterminer quels biens sont exempts d’exécution ou de saisie. Les articles 1980 et 1981 C.c.B.C. énoncent le principe selon lequel la saisissabilité est la règle et l’insaisissabilité, l’exception. Les dispositions dérogeant à ce principe doivent donc être interprétées de façon restrictive. Le paragraphe 553(12) C.p.c. inclut dans la liste des biens insaisissables toutes les choses déclarées insaisissables «par quelque disposition de la loi». En l’espèce, l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics prévoit que «[t]outes sommes payées ou remboursées en vertu des titres I et IV [de la loi] sont incessibles et insaisissables». Les sommes remboursées à l’appelant et transférées ensuite dans son REER ne sont pas visées par l’expression «sommes payées ou remboursées». On ne peut affirmer que l’appelant détient des «sommes» dans son REER. Lorsque la somme remboursée a été transférée à la demande de l’appelant dans son REER, sa nature a changé de même que les droits de l’appelant à son endroit. En effet, cette somme a été utilisée pour adhérer à un REER, c’est-à-dire pour constituer un contrat à titre onéreux ou acheter une «enveloppe fiscale». À partir de ce moment, les droits de l’appelant ainsi que la somme investie étaient désormais régis par le contrat. De plus, la seule façon de ne pas aboutir à une absurdité et de donner un sens aux mots «incessibles» et «inalienable» à l’art. 222 est d’interpréter l’expression «sommes payées ou remboursées» comme signifiant «le droit au paiement ou au remboursement des sommes». Une fois ce droit éteint, c’est-à-dire une fois les sommes effectivement payées ou remboursées, le caractère incessible et insaisissable est définitivement perdu. Une telle interprétation de l’expression «sommes payées ou remboursées» est conforme à l’interprétation qui a été donnée à d’autres déclarations d’insaisissabilité. Toutefois, si la somme remboursée à l’appelant avait été transférée directement dans un régime insaisissable, elle serait demeurée à l’abri de toute saisie. L’appelant a cependant choisi un REER de nature saisissable.

L’insaisissabilité du REER de l’appelant ne saurait non plus découler de la provenance des fonds qui ont servi à le constituer, car le libellé de l’art. 222 n’est pas suffisamment clair pour créer un nouveau cas d’emploi, de remploi ou de subrogation réelle. Bien qu’il existe une règle générale de subrogation personnelle en droit civil, notre droit ne connaît pas de principe général de subrogation réelle et n’en fait que des applications fragmentaires. Quant aux cas d’emploi et de remploi, ils sont exceptionnels et prévus expressément dans la loi. Lorsque le législateur québécois a voulu étendre l’insaisissabilité de certaines sommes provenant d’un régime de retraite au REER dans lequel elles avaient été transférées, il l’a fait expressément et de façon claire.

Jurisprudence

Arrêts mentionnés: Re Neuls (1985), 56 C.B.R. 132; Quebec Association of Protestant School Boards c. Wadsworth, J.E. 92-1421; Re Moysey (1977), 80 D.L.R. (3d) 152; Lachance-Gariépy c. Page, [1983] C.A. 562; Caisse populaire de Lévis c. Maranda, [1950] B.R. 249; Cie Trust Royal c. Caisse populaire Laurier, [1989] R.J.Q. 550; Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616; Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350; Barreau du Québec c. Morin, [1988] R.J.Q. 2629.

Lois et règlements cités

Code civil du Bas Canada, art. 1154, 1980, 1981, 2552.

Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 418, 450, 450(3), 451, 1230, 1244, 1651, 2497, 2644, 2645.

Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, art. 552 [mod. 1986, ch. 55, art. 3; mod. 1992, ch. 57, art. 296], 553(7) [mod. 1979, ch. 37, art. 29; mod. 1980, ch. 21, art. 4; mod. 1989, ch. 55, art. 30], 553(11) [mod. 1986, ch. 55, art. 4; mod. 1992, ch. 57, art. 297], 553(12).

Décret no 92-755 du 31 juillet 1992, J.O., 5 août 1992, 10530, art. 44.

Loi no 91-650 du 9 juillet 1991, J.O., 14 juillet 1991, 9228, art. 15.

Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, art. 67(1)b) [mod. 1992, ch. 27, art. 33].

Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, L.R.Q., ch. R-10, art. 48 [mod. 1983, ch. 24, art. 1; mod. 1987, ch. 47, art. 26; idem, ch. 107, art. 170; mod. 1988, ch. 82, art. 20; mod. 1990, ch. 5, art. 25; abr. 1990, ch. 87, art. 41], 51 [mod. 1983, ch. 24, art. 1; mod. 1987, ch. 47, art. 28; idem, ch. 107, art. 173; mod. 1988, ch. 82, art. 23; mod. 1990, ch. 5, art. 26], 54 [mod. 1983, ch. 24, art. 1; mod. 1987, ch. 47, art. 31; mod. 1988, ch. 82, art. 26], 152, 222 [aj. 1983, ch. 24, art. 1].

Loi sur les allocations d’aide aux familles, L.R.Q., ch. A-17, art. 16.3 [aj. 1989, ch. 4, art. 2].

Loi sur les régimes complémentaires de retraite, L.R.Q., ch. R-15.1, art. 2(4), 98, 264 [mod. 1997, ch. 19, art. 19].

Pension Benefits Act, 1992, S.S. 1992, ch. P-6.001, art. 63(1).

Règlement sur les régimes complémentaires de retraite, (1990) 122 G.O. II, 3246, art. 28(3).

Doctrine citée

Baudouin, Louis. Le droit civil de la province de Québec: Modèle vivant de droit comparé. Montréal: Wilson & Lafleur, 1953.

Carbonnier, Jean. Droit civil, t. 3, Les biens, 14e éd. Paris: P.U.F., 1991.

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 2e éd. Cowansville, Qué.: Yvon Blais, 1990.

Croze, Hervé. «Le décret du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d’exécution: Guide de lecture», J.C.P. 1992.I.3635.

Dictionnaire de droit privé et Lexiques bilingues, 2e éd. Comité de rédaction: Paul-André Crépeau et autres. Cowansville, Qué.: Yvon Blais, 1991, «incessibilité», «cession».

L’Heureux, Nicole, et Édith Fortin. Droit bancaire, 3e éd. Cowansville, Qué.: Yvon Blais, 1999.

Paré, Michel-B., Lucie Quesnel et Germain Carrière. «Les régimes d’épargne-retraite», [1986] 1 C.P. du N. 151.

Ranouil, Véronique. La subrogation réelle en droit civil français. Paris: L.G.D.J., 1985.

Terré, François, et Philippe Simler. Droit civil -- Les biens, 5e éd. Paris: Dalloz, 1998.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [1997] R.J.Q. 2421, 16 C.C.P.B. 293, [1997] A.Q. no 2950 (QL), qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure, J.E. 95-1850. Pourvoi rejeté.

Mireille Arseneault et Nathalie Giguère, pour l’appelant.

Daniel O’Brien et Marie-Pierre Allard, pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

Le juge Gonthier --

I - La question en litige

1 Le présent pourvoi soulève une question très précise relativement à l’interprétation de l’expression «sommes payées ou remboursées» que l’on retrouve à l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, L.R.Q., ch. R-10, et à l’étendue du caractère d’insaisissabilité que cet article confère auxdites sommes. Cette question peut être formulée ainsi: les sommes cotisées par l’appelant au Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics ont-elles conservé leur caractère d’insaisissabilité après avoir été transférées dans un régime enregistré d’épargne-retraite (REER)?

II - Les faits

2 L’appelant est médecin. Du 17 mars 1981 au 30 novembre 1990, alors qu’il est à l’emploi du gouvernement du Québec, il cotise au Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (Régime de retraite). En date du 30 novembre 1990, la valeur accumulée du régime de retraite de l’appelant s’élève à 55 982,31 $.

3 Le 20 décembre 1990, l’appelant adhère à un REER autogéré. La Société nationale de fiducie agit à titre de fiduciaire et McNeil, Mantha inc., à titre d’agent. Le 21 janvier 1991, l’appelant demande à la Commission administrative des régimes de retraite et d’assurance du gouvernement du Québec (CARRA) de transférer dans son REER les sommes qu’il détient dans le Régime de retraite. Étant donné que le remboursement des cotisations est assujetti à un délai d’attente de 210 jours à compter de la date de cessation d’emploi, l’appelant doit compléter une seconde demande de remboursement, ce qu’il fait le 2 juillet 1991. Ce n’est finalement que le 3 septembre 1991 que la CARRA fait parvenir à la Société nationale de fiducie un chèque de 55 982,31 $ émis en remboursement des cotisations versées par l’appelant.

4 Dans l’intervalle, l’appelant fait transférer chez McNeil, Mantha inc. un REER qu’il détient chez Lévesque Beaubien Geoffrion inc. Le 31 mars 1991, les deux comptes de l’appelant chez McNeil, Mantha inc. sont fusionnés. Le 15 mai 1991, l’appelant demande à ce qu’un «REER insaisissable» remplace son REER initial et un régime autogéré de rente à terme fixe est alors substitué au régime initial. L’appelant désigne sa sœur comme bénéficiaire. Cette désignation est révocable. Le 31 août 1991, soit avant le remboursement de la CARRA, l’appelant a accumulé 16 778,36 $ dans son REER.

5 Au début de l’année 1992, la mise en cause acquiert tous les comptes et régimes détenus par McNeil, Mantha inc. et Montréal Trust devient fiduciaire du REER de l’appelant. Le 10 février 1992, la mise en cause RBC Dominion valeurs mobilières inc. fait parvenir une lettre à l’appelant afin de l’informer qu’il est devenu son client et que, «[d]’après les tendances actuelles de la jurisprudence, le caractère “insaisissable” de votre compte REER “insaisissable” pourrait, dans les faits, devenir saisissable».

6 En vertu du régime de rente à terme fixe de l’appelant, les fonds sont principalement placés dans des certificats de dépôts garantis ou investis dans des valeurs mobilières canadiennes et peuvent être retirés en tout ou en partie, sous réserve des conditions prévues par les lois fiscales. L’appelant s’est d’ailleurs prévalu de ce droit en retirant 4 950 $ de son REER le 26 février 1993. Il a investi un montant supplémentaire de 1 974 $ le 4 novembre 1992.

7 Le 6 avril 1993, l’appelant fait cession de ses biens. Au 31 décembre 1993, le montant transféré par la CARRA (55 982,31 $) vaut 77 603 $. Quant aux autres sommes investies par l’appelant, elles valent 20 011 $ à la même date.

8 Le 5 avril 1994, l’intimée demande le remboursement du REER de l’appelant. Suite au refus de celui-ci, elle l’informe dans une lettre datée du 24 novembre 1994 qu’elle agira unilatéralement en l’absence de procédures de contestation de la position du syndic. Le 6 décembre 1994, l’appelant fait signifier à l’intimée une requête en jugement déclaratoire dans laquelle il demande que les sommes détenues dans son REER soient déclarées insaisissables. En Cour supérieure, le juge Landry conclut au caractère insaisissable d’un montant égal à celui transféré par la CARRA augmenté d’une plus-value proportionnelle à l’accroissement total du régime. Il déclare toutefois saisissable la partie des fonds du REER provenant des contributions personnelles de l’appelant. Cette décision est renversée par la Cour d’appel du Québec qui déclare à la majorité que la totalité des valeurs constituant le REER de l’appelant est saisissable. Madame le juge Rousseau-Houle est dissidente.

III - Les dispositions législatives pertinentes

9 Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (L.F.I.)

67. (1) Les biens d’un failli, constituant le patrimoine attribué à ses créanciers, ne comprennent pas les biens suivants:

. . .

b) les biens qui, à l’encontre du failli, sont exempts d’exécution ou de saisie sous le régime de lois de la province dans laquelle sont situés ces biens et où réside le failli. . .

Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25 (C.p.c.)

553. Sont insaisissables:

. . .

7. Les prestations accordées au titre d’un régime complémentaire de retraite auquel cotise un employeur pour le compte de ses employés, les autres sommes déclarées insaisissables par une loi régissant ces régimes ainsi que les cotisations qui sont ou doivent être versées à ces régimes;

. . .

12. Toutes choses déclarées telles par quelque disposition de la loi.

Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, L.R.Q., ch. R-10

222. Toutes sommes payées ou remboursées en vertu des titres I et IV sont incessibles et insaisissables.

IV - L’historique des procédures

A. Cour supérieure du Québec, J.E. 95-1850

10 Pour les fins de son analyse, le juge Landry établit une distinction entre les fonds accumulés par l’appelant au Régime de retraite et le REER accumulé par ses mises de fonds personnelles. Il traite d’abord des fonds provenant du Régime de retraite. Après avoir fait remarquer que, contrairement à la disposition législative en cause dans la décision Re Neuls (1985), 56 C.B.R. 132 (C.A. Sask.), sur laquelle s’appuie l’intimée, l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics vise les sommes remboursées et non pas les «moneys payable», le juge Landry se dit d’avis que le législateur a voulu marquer une intention différente en employant une terminologie différente, soit protéger «le capital» et non pas seulement «l’acte de remboursement». Le juge Landry cite la décision Quebec Association of Protestant School Boards c. Wadsworth, J.E. 92-1421 (C.S.), pour soutenir cette position. Il conclut que grâce à l’effet combiné du par. 553(7) C.p.c. et de l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, les sommes remboursées à l’appelant après sa cessation d’emploi sont insaisissables et conservent leur caractère d’insaisissabilité, même investies dans un REER chez la mise en cause. Il croit bon de rappeler que l’appelant n’a en aucun temps eu en sa possession les sommes transférées.

11 Pour ce qui est des sommes accumulées par mises de fonds personnelles, le juge Landry estime qu’elles sont saisissables étant donné que le bénéficiaire désigné du REER de rente à terme fixe de l’appelant n’est pas l’un de ceux mentionnés à l’art. 2552 C.c.B.C. et que, par conséquent, les conditions d’application de l’art. 178 de la Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne, L.R.Q., ch. S-29.01, ne sont pas remplies.

B. Cour d’appel du Québec, [1997] R.J.Q. 2421

12 L’appelant s’étant désisté de son appel incident portant sur l’insaisissabilité des sommes provenant de ses mises de fonds personnelles, la seule question que devait résoudre la Cour d’appel était celle relative aux fonds accumulés par l’appelant dans le Régime de retraite et transférés plus tard dans son REER.

(1) Le juge Deschamps (avec l’appui du juge Tourigny)

13 Le juge Deschamps souligne que la plupart des décisions de première instance qui ont déclaré insaisissable un REER lorsque les fonds utilisés pour le constituer étaient initialement insaisissables s’appuient l’une sur l’autre ou sur la décision Re Moysey (1977), 80 D.L.R. (3d) 152, de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan. Elle est d’avis que les décisions de common law doivent être étudiées avec circonspection et qu’en raison de l’arrêt Re Neuls, précité, de la Cour d’appel de la Saskatchewan, la position adoptée dans l’affaire Re Moysey, précitée, n’a plus la portée qu’on a pu lui prêter.

14 Le juge Deschamps estime que les valeurs mobilières détenues dans le REER autogéré de l’appelant peuvent difficilement être assimilées aux «sommes payées ou remboursées» que l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics déclare insaisissables. Après avoir déclaré que les cas de remploi sont exceptionnels, elle fait remarquer que les droits de l’appelant à l’égard de son REER autogéré n’ont rien de commun avec les droits qu’il avait à l’égard du Régime de retraite. À son avis, le créancier des droits protégés ne peut invoquer l’insaisissabilité que pendant que les sommes conservent les caractéristiques qui font que la loi les protège.

15 Le juge Deschamps rejette l’argument selon lequel le libellé différent de l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, soit l’utilisation de l’expression «sommes payées ou remboursées» au lieu de l’expression «bénéfices payables», permet d’écarter la position adoptée par la Cour d’appel dans l’affaire Lachance-Gariépy c. Page, [1983] C.A. 562, et d’étendre l’insaisissabilité au remploi des sommes provenant du Régime de retraite. Selon elle, les mots «sommes payées ou remboursées» sont insuffisants pour créer une masse distincte permettant de perpétuer la protection contre l’insaisissabilité.

16 En conclusion, le juge Deschamps écrit à la p. 2433:

Parce que seuls les biens spécifiques prévus par la loi sont insaisissables, parce que le véhicule choisi par l’intimé n’est pas l’un de ceux-là, parce que ni l’article 222 de la loi ni l’article 553 C.P. ne créent de masse distincte donnant ouverture au «tracing», les valeurs détenues dans son REER sont dévolues au syndic dans leur entier.

(2) Le juge Rousseau-Houle (dissidente)

17 Le juge Rousseau-Houle est d’avis que le juge de première instance a eu raison de déclarer insaisissable la somme accumulée par l’appelant alors qu’il cotisait au Régime de retraite et ensuite transférée dans un REER. À son avis, les sommes qui ont été remboursées à l’appelant n’ont pas cessé, lors du remboursement, d’être des bénéfices accordés à un employé en vertu d’un régime complémentaire de retraite. Par conséquent, ces sommes sont exemptes de saisie dans le nouveau régime de retraite où elles ont été directement transférées, peu importe que ce nouveau régime soit saisissable ou non. Le juge Rousseau-Houle estime que les modifications apportées au par. 553(7) C.p.c. de même que la nouvelle formulation de l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics indiquent clairement l’intention du législateur de déclarer insaisissables tant les sommes payées que les sommes remboursées après le retrait du Régime de retraite. En outre, ces modifications rendent dorénavant inapplicables la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Lachance-Gariépy c. Page, précitée, ainsi que la décision de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans Re Neuls, précitée. Le juge Rousseau-Houle conclut ainsi à la p. 2424: «Si les sommes versées proviennent d’un fonds de pension lui-même insaisissable en vertu de la loi, elles demeurent insaisissables dans le nouveau régime de retraite où elles sont réinvesties.»

V - Analyse

A. Introduction

18 L’article 67 L.F.I. renvoie aux lois applicables dans la province dans laquelle réside le failli et où sont situés ses biens afin de déterminer quels biens sont exempts d’exécution ou de saisie. Les articles 1980 et 1981 C.c.B.C. étaient ainsi libellés au moment où l’appelant a fait cession de ses biens:

1980. Quiconque est obligé personnellement est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir, à l’exception de ceux qui sont spécialement déclarés insaisissables.

Toutefois, un créancier peut convenir avec son débiteur que celui-ci ne sera tenu de remplir son engagement que sur les biens qu’ils décrivent et qui sont affectés d’une cause légitime de préférence en faveur du créancier.

1981. Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers, et, dans le cas de concours, le prix s’en distribue par contribution, à moins qu’il n’y ait entre eux des causes légitimes de préférence.

Voici le texte des articles correspondants dans le Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64:

2644. Les biens du débiteur sont affectés à l’exécution de ses obligations et constituent le gage commun de ses créanciers.

2645. Quiconque est obligé personnellement est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens meubles et immeubles, présents et à venir, à l’exception de ceux qui sont insaisissables et de ceux qui font l’objet d’une division de patrimoine permise par la loi.

Toutefois, le débiteur peut convenir avec son créancier qu’il ne sera tenu de remplir son engagement que sur les biens qu’ils désignent.

Ces articles énoncent le principe selon lequel la saisissabilité est la règle et l’insaisissabilité, l’exception. Les dispositions dérogeant à ce principe doivent être interprétées de façon restrictive: voir Caisse populaire de Lévis c. Maranda, [1950] B.R. 249, aux pp. 259 (le juge en chef Galipeault) et 262 (le juge Bissonnette). De plus, étant donné que toutes les déclarations d’insaisissabilité affectent les droits des créanciers, on est en droit de s’attendre à ce qu’elles soient formulées en des termes clairs et précis.

19 Le législateur québécois a inséré des déclarations d’insaisissabilité dans différentes lois, mais on les retrouve principalement aux art. 552 et 553 C.p.c. Le paragraphe 7 de l’art. 553 C.p.c. concerne les régimes complémentaires de retraite. Étant donné que le par. 12 du même article inclut dans la liste des biens insaisissables toutes les choses déclarées insaisissables «par quelque disposition de la loi» et que l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics déclare insaisissables «[t]outes sommes payées ou remboursées en vertu des titres I et IV» de cette loi, il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir si le par. 553(7) C.p.c. est applicable et si le Régime de retraite auquel a cotisé l’appelant constitue un régime complémentaire de retraite malgré le fait qu’il n’est pas régi par la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, L.R.Q., ch. R-15.1 (le par. 2(4) de cette loi exclut en effet de son application les régimes de retraite établis par une loi). La question en litige peut être tranchée en se référant uniquement à l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics. Mais avant de se pencher davantage sur cet article, il importe d’examiner l’économie de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, de même que la nature d’un REER en droit civil québécois.

B. La Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics

20 La Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics est divisée en cinq titres. L’article 222 est compris dans le titre V «Dispositions diverses et transitoires». Le titre I, auquel réfère l’art. 222, inclut des dispositions relatives au domaine d’application de la loi, au traitement admissible, aux années de service, aux cotisations et contributions, aux prestations et aux transferts et achats de service. Les titres II et III portent respectivement sur les règlements et l’administration des régimes de retraite. Enfin, le titre IV traite des «Mesures d’application temporaire», incluant les congés sabbatiques à traitement différé, la retraite anticipée, l’anticipation des prestations de retraite et les mises en disponibilité.

21 En vertu de cette loi, l’employeur à qui la loi s’applique doit retenir sur le traitement de son employé la cotisation fixée par la loi. Il doit ensuite la verser à la CARRA en même temps que sa propre contribution au régime. En cotisant au Régime de retraite, un employé acquiert le droit de se voir accorder une pension au moment de sa retraite. Le montant annuel de la pension est fonction du traitement admissible moyen et des années de service de l’employé.

22 Le remboursement des cotisations est prévu au titre I de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, plus précisément à la section III du chapitre IV. À l’heure actuelle, un employé qui possède au moins deux années de service et qui cesse de participer au Régime de retraite n’a pas droit au remboursement de ses cotisations. Il n’a droit qu’à une pension différée: voir l’art. 51. Toutefois, au moment où l’appelant a cessé d’occuper ses fonctions, l’art. 48 se lisait ainsi:

48. Sauf dans le cas où l’article 21 s’applique, si l’employé cesse de participer au régime avant d’être admissible à une pension ou d’avoir droit à une pension différée et s’il a au moins deux années de service, il peut demander une pension différée ou obtenir, à la condition de ne pas participer de nouveau au régime et sous réserve de l’article 58, le remboursement de ses cotisations tant qu’il n’a pas atteint 65 ans.

En cas de décès, les cotisations sont remboursées au conjoint ou, à défaut, aux ayants droit.

Donc, en 1990, un employé qui cessait de participer au Régime de retraite avait la possibilité de choisir entre un remboursement et une pension différée. Par contre, un employé qui cessait d’occuper une fonction avant d’être admissible à une pension et qui avait au moins 45 ans et 10 années de service, n’avait pas droit au remboursement des cotisations. Il n’avait droit qu’à une pension différée ou une somme représentant jusqu’à concurrence de 25 pour 100 de la valeur actuarielle de cette pension différée et une pension différée ajustée pour tenir compte du paiement de cette somme (art. 51). La pension différée ne devenait payable au pensionné qu’à compter de la date de son soixante-cinquième anniversaire de naissance (art. 54).

23 À la lecture de l’art. 48 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, on constate que l’appelant avait la possibilité de laisser ses cotisations dans le Régime de retraite et de demander une pension différée au lieu du remboursement de ses cotisations. Il a toutefois choisi de demander un remboursement et d’investir la somme remboursée dans un REER.

C. Nature d’un REER

24 Il existe une multiplicité de REER au Canada. Ils sont offerts par différentes institutions, notamment des compagnies d’assurance-vie, des compagnies de fiducie, des banques, des caisses populaires, des compagnies de prêt et des courtiers en valeurs mobilières. Le REER est une création fiscale (M.-B. Paré, L. Quesnel et G. Carrière, «Les régimes d’épargne-retraite», [1986] 1 C.P. du N. 151, à la p. 169). La Cour d’appel du Québec s’est déjà penchée sur la question de la qualification d’un REER en droit civil québécois et a conclu qu’un REER n’était qu’une relation créancier-débiteur régie par les clauses mêmes du contrat liant les deux parties: voir Cie Trust Royal c. Caisse populaire Laurier, [1989] R.J.Q. 550. Des auteurs ont écrit que «le régime d’épargne-retraite n’est pas un bien mais plutôt une convention dont découlent des droits et obligations, ou si vous préférez une enveloppe fiscale qui permet d’acquérir certains biens»: voir Paré, Quesnel et Carrière, loc. cit., à la p. 171.

25 Les sommes investies dans un REER sont donc utilisées pour acquérir d’autres biens. Par conséquent, leur nature change, de même que les droits de la personne qui les investit. En effet, ceux-ci sont dorénavant déterminés par la convention liant les parties.

26 En l’espèce, l’appelant a adhéré à un REER autogéré offert par McNeil, Mantha inc. En vertu des règlements régissant ce REER, le fiduciaire s’engage à acheter une rente ou une annuité payable au Rentier ou à son conjoint dans les 120 jours précédant l’échéance du REER. De son côté, le Rentier s’engage à ne pas contribuer plus que le maximum permis comme exemption par les lois fédérales et provinciales de l’impôt sur le revenu. Il est précisé que «[l]es contributions et tout accroissement d’icelles, en conformité avec les instructions reçues du Rentier, peuvent être conservées en espèces, placées dans des certificats de dépôts garantis ou investies dans des placements, pourvu qu’aucun de ces placements ne soit prohibé par la loi de l’impôt sur le revenu ou les règlements.» (Je souligne.) L’appelant pouvait donc donner des instructions quant aux placements à être effectués, chose qu’il ne pouvait pas faire lorsqu’il cotisait au Régime de retraite. En outre, il avait le loisir de retirer en tout temps les fonds investis, en tout ou en partie, sous réserve des conditions prévues par les lois fiscales. Comme je l’ai déjà souligné, l’appelant s’est prévalu de ce droit en retirant 4 950 $ de son REER en février 1993.

D. Sens de l’expression «sommes remboursées»

27 L’article 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics déclare incessibles et insaisissables certaines «sommes» («sums» en anglais). En l’espèce, l’appelant a obtenu le remboursement d’une certaine somme d’argent. Après en avoir fait la demande et rempli toutes les exigences légales et administratives, une somme d’argent équivalente aux cotisations versées par l’appelant a été, selon ses directives, transférée directement dans son REER chez McNeil, Mantha inc. Bien que l’appelant n’ait jamais eu cette somme d’argent en sa possession, il en a bel et bien obtenu le remboursement et son «droit de créance» à l’égard de la CARRA s’est éteint.

28 L’appelant soutient que les sommes détenues dans son REER sont les mêmes que les sommes remboursées par la CARRA et qu’elles n’ont pas changé de nature. Je ne peux retenir cet argument, et ce, principalement pour deux raisons.

29 Premièrement, il n’est pas possible d’affirmer que l’appelant détient des «sommes» dans son REER. Rappelons qu’en vertu du régime de rente à terme fixe de l’appelant, les fonds investis sont employés pour acquérir des certificats de dépôts garantis, des valeurs mobilières canadiennes ou d’autres types de placements. Par conséquent, lorsque la somme remboursée a été transférée à la demande de l’appelant dans son REER, sa nature a changé de même que les droits de l’appelant à son endroit. En effet, cette somme a été utilisée pour adhérer à un REER, c’est-à-dire pour constituer un contrat à titre onéreux ou acheter une «enveloppe fiscale». À partir de ce moment, les droits de l’appelant ainsi que la somme investie étaient désormais régis par le contrat. Les droits de l’appelant en vertu de son REER sont d’ailleurs différents de ceux qu’il avait en vertu du Régime de retraite, la différence la plus frappante étant sans doute la possibilité pour l’appelant de retirer, en tout ou en partie, les fonds investis dans son REER, et ce, en tout temps.

30 Bref, ce que l’appelant «détient» en vertu de son REER, ce sont des droits stipulés en sa faveur dans le contrat le liant au fiduciaire et à l’agent. Ces droits ne sont plus des «sommes payées ou remboursées», celles-ci ayant changé de nature. Par conséquent, la déclaration d’insaisissabilité que l’on retrouve à l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics ne leur est pas applicable.

31 La deuxième raison pour laquelle je ne peux retenir l’argument de l’appelant est que je suis d’avis que l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics ne protège pas les sommes une fois qu’elles sont sorties du Régime de retraite. En effet, interpréter l’expression «sommes payées ou remboursées» de façon à couvrir les sommes une fois qu’elles sont sorties du Régime de retraite engendrerait une absurdité. En lisant le libellé de l’art. 222, on constate que non seulement le législateur québécois a-t-il déclaré les sommes payées ou remboursées insaisissables, il les a également déclarées incessibles («inalienable» dans la version anglaise). Or, à quoi pourraient bien servir des sommes d’argent incessibles ou inalienable? De telles sommes ne pourraient être aliénées pour être appliquées à un paiement et seraient tout simplement inutiles. Par conséquent, si l’on considère la nature même d’une somme d’argent, affirmer qu’une certaine somme est incessible ou inalienable constitue un non-sens et engendre une absurdité. Comme l’écrivait le juge Dickson dans Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616, à la p. 676:

Nous devons donner aux deux articles une interprétation raisonnable et tâcher de les lire d’une façon qui a du sens et non pas d’y voir un non-sens. Nous devons avoir envers le Parlement la courtoisie de ne pas présumer aisément qu’il a édicté des incohérences ou des absurdités.

Concernant cette règle d’interprétation, voir également Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350, aux pp. 363 et 364, et P.-A. Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990), aux pp. 424 et suiv. La seule façon de ne pas aboutir à une absurdité et de donner un sens aux mots «incessibles» et «inalienable» que l’on retrouve à l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics est d’interpréter l’expression «sommes payées ou remboursées» comme signifiant «le droit au paiement ou au remboursement des sommes». D’ailleurs, la notion d’incessibilité à laquelle réfère la version française de l’art. 222 ne s’applique habituellement qu’aux droits. Elle est définie ainsi dans le Dictionnaire de droit privé et Lexiques bilingues (2e éd. 1991), à la p. 301: «Qualité d’un droit insusceptible de cession.» (Je souligne.) On retrouve la définition du terme «cession» à la p. 81: «Transfert entre vifs d’un droit, à titre onéreux ou à titre gratuit, spécialement à propos d’une créance.» (Je souligne.) Une fois le droit au paiement ou au remboursement éteint, c’est-à-dire une fois les sommes effectivement payées ou remboursées, le caractère incessible et insaisissable est définitivement perdu. Toutefois, il va de soi que les sommes payées ou remboursées qui sont transférées dans un autre «véhicule» insaisissable acquièrent alors le caractère insaisissable de leur nouveau «véhicule». Par conséquent, les sommes remboursées qui sont directement transférées dans un «véhicule» insaisissable demeurent à l’abri de toute saisie. Il était d’ailleurs loisible à l’appelant de demander à ce que les sommes remboursées soient transférées dans un régime insaisissable, tant au moment du remboursement que plus tard avant sa cession de biens, mais il ne l’a pas fait, choisissant plutôt un REER de nature saisissable.

32 Je ne crois pas qu’interpréter l’expression «sommes payées ou remboursées» comme signifiant «le droit au paiement ou au remboursement des sommes» fasse violence au texte de l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics. Au contraire, cette interprétation est conforme à l’interprétation qui a été donnée à d’autres déclarations d’insaisissabilité. Comme l’a souligné le juge Deschamps dans ses motifs, si on examine les cas d’insaisissabilité prévus par la loi, le désir de protéger les créances alimentaires au sens large semble prédominer. L’objectif est souvent de prévenir les saisies en mains tierces, c’est-à-dire les saisies à la source. On n’a qu’à penser au par. 553(11) C.p.c. qui déclare insaisissable une partie des «traitements, salaires et gages bruts».

33 Comme le souligne Côté, op. cit., aux pp. 262 et suiv., le sens des mots dépend partiellement du contexte dans lequel ils sont employés. Le contexte global dans lequel s’insère un texte de loi comprend, entre autres, les autres dispositions de la loi, les lois connexes et les autres règles du système juridique. Voir Barreau du Québec c. Morin, [1988] R.J.Q. 2629 (C.A.), aux pp. 2639 et 2640. La façon dont les autres déclarations d’insaisissabilité ont été libellées et interprétées constitue donc un facteur pertinent à considérer en interprétant l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics. Est également fort pertinent le fait que le législateur québécois a clairement spécifié dans certains textes de loi son intention d’accorder une protection aux créances alimentaires après leur réalisation. Par exemple, l’art. 16.3 de la Loi sur les allocations d’aide aux familles, L.R.Q., ch. A-17, précise que «[l]es allocations sont incessibles et insaisissables. Elles n’entrent pas dans le patrimoine de la personne qui les reçoit.» (Je souligne.) Contrairement au libellé de cet article, le libellé de l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics n’étend pas la protection contre les saisies à la période suivant le paiement ou le remboursement.

34 Bref, en raison de leur changement de nature et du fait que l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics ne peut pas être interprété comme protégeant les sommes remboursées une fois qu’elles sont sorties du Régime de retraite, je crois que les sommes remboursées à l’appelant et transférées ensuite dans son REER ne sont pas visées par l’expression «sommes payées ou remboursées» que l’on retrouve à l’art. 222.

E. Insaisissabilité engendrée par la provenance des fonds

35 L’appelant soutient en outre qu’un REER peut acquérir un caractère insaisissable si les fonds qui y ont été versés étaient eux-mêmes insaisissables en vertu d’une loi particulière. Je ne peux accepter cet argument. Cela équivaudrait à étendre arbitrairement le sens de l’expression «sommes payées ou remboursées» et à créer une nouvelle catégorie de biens insaisissables. Cela irait également à l’encontre de la règle selon laquelle on doit interpréter restrictivement les cas d’insaisissabilité qui sont, rappelons-le, des cas d’exception.

36 La position de l’appelant, à savoir qu’il existe des biens insaisissables de par la provenance des fonds ayant servi à les acquérir, pose le problème de circonscrire la protection accordée par une déclaration d’insaisissabilité. En effet, où tirer la ligne? Le caractère insaisissable perdure-t-il à jamais, peu importe l’utilisation qui est faite des sommes déclarées insaisissables? L’opération de reporter sur un REER ou sur quelque chose d’autre le caractère d’insaisissabilité de certaines sommes, ainsi que le concept même de «provenance des fonds», font nécessairement appel aux règles de l’emploi et du remploi et même, pourrait-on soutenir, de la subrogation réelle puisque «[l]e bien nouveau prend la place du bien ancien pour être soumis à la même condition juridique»: voir J. Carbonnier, Droit civil, t. 3, Les biens (14e éd. 1991), à la p. 118. Le remploi est d’ailleurs décrit comme étant «une application particulière de la subrogation réelle»: voir L. Baudouin, Le droit civil de la province de Québec (1953), à la p. 1035. Or, bien qu’il existe une règle générale de subrogation personnelle en droit civil (art. 1154 C.c.B.C. et 1651 C.c.Q.), notre droit ne connaît pas de principe général de subrogation réelle et n’en fait que des applications fragmentaires: voir le par. 450(3) C.c.Q. concernant les biens propres des époux et l’art. 2497 C.c.Q. portant sur le versement de l’indemnité d’assurance aux créanciers titulaires d’une hypothèque sur le bien endommagé. Voir également Carbonnier, op. cit., à la p. 118; V. Ranouil, La subrogation réelle en droit civil français (1985), à la p. 21; F. Terré et P. Simler, Droit civil -- Les biens (5e éd. 1998), aux pp. 334 à 337. De plus, les cas d’emploi et de remploi sont exceptionnels et prévus expressément dans la loi (voir, par exemple, l’art. 418 C.c.Q. en matière de patrimoine familial, les art. 1230 et 1244 C.c.Q. en matière de substitution et les art. 450 et 451 C.c.Q. en matière de société d’acquêts). Rien de tel n’est prévu dans le cas qui nous occupe et on ne peut raisonnablement interpréter l’expression «sommes payées ou remboursées» de façon à créer un nouveau cas d’emploi ou de remploi et à protéger contre la saisie toute utilisation de ces sommes.

37 Lorsque le législateur québécois a voulu étendre l’insaisissabilité de certaines sommes provenant d’un régime de retraite au REER dans lequel elles avaient été transférées, il l’a fait expressément et de façon claire. Ainsi l’art. 264 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite prévoit:

264. Sauf dispositions contraires de la loi, est incessible et insaisissable:

1o toute cotisation salariale ou patronale versée ou qui doit être versée à la caisse de retraite ou à l’assureur, ainsi que les intérêts accumulés;

2o toute somme remboursée ou toute prestation versée en vertu d’un régime de retraite ou de la présente loi et qui provient de cotisations salariales ou patronales;

3o toute somme attribuée au conjoint du participant à la suite d’un partage ou d’une autre cession de droits visés au chapitre VIII, avec les intérêts accumulés, ainsi que les prestations constituées avec ces sommes.

Sauf dans la mesure où elles proviennent de cotisations volontaires, l’incessibilité et l’insaisissabilité valent également à l’égard des sommes susmentionnées qui ont fait l’objet d’un transfert dans un régime de retraite visé à l’article 98, avec les intérêts accumulés, de tout remboursement de ces sommes et de toute prestation en résultant, ainsi qu’à l’égard de la rente ou du paiement ayant remplacé une rente en application de l’article 92. [Je souligne.]

L’article 98 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, auquel l’art. 264 renvoie, autorise un participant à un régime de retraite régi par cette loi à transférer certaines sommes dans un autre régime de retraite régi par la Loi sur les régimes complémentaires de retraite ou dans tout régime ou contrat de rente déterminé par règlement. Le paragraphe 28(3) du Règlement sur les régimes complémentaires de retraite, (1990) 122 G.O. II, 3246, se lit ainsi:

28. Les régimes de retraite non régis par la Loi et dans lesquels des transferts peuvent être effectués en application des articles 98 et 100 de la Loi, sont:

. . .

3o pour les cotisations et intérêts visés au paragraphe 1o du premier alinéa de l’article 98 de la Loi, un régime enregistré d’épargne-retraite ou un régime d’intéressement différé; [Je souligne.]

Par l’effet combiné des art. 264 et 98 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite et de l’art. 28 du Règlement, le caractère insaisissable de certaines sommes détenues dans un régime de retraite régi par cette loi peut donc être reporté sur un REER. Comme je l’ai déjà souligné au par. 19 des présents motifs, le Régime de retraite auquel l’appelant a cotisé n’est pas régi par la Loi sur les régimes complémentaires de retraite et la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics ne comprend aucune disposition prévoyant le report du caractère insaisissable des sommes remboursées sur un REER.

38 Il est également intéressant de noter que d’autres législateurs ont aussi cru bon de mentionner expressément dans la loi quand l’insaisissabilité de certains fonds était reportée sur un REER, ne laissant ainsi planer aucun doute. On peut par exemple se référer au par. 63(1) de la Pension Benefits Act, 1992, S.S. 1992, ch. P-6.001, de la Saskatchewan qui prévoit:

[traduction] 63(1) Sous réserve du paragraphe (3), les prestations, les sommes transférées dans un autre régime, dans un REER prescrit ou dans tout autre régime de retraite prescrit et enregistré en application de la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale, y compris les sommes transférées avant le 1er janvier 1993, et les sommes qu’elles ont rapportées:

a) ne peuvent être cédées, grevées de charge, aliénées ni escomptées;

b) sont exemptes d’exécution, de saisie ou de saisie-arrêt.

39 Par ailleurs, le législateur français a également prévu de façon expresse à l’art. 15 de la Loi no 91-650 du 9 juillet 1991, J.O., 14 juillet 1991, 9228, et à l’art. 44 du Décret no 92-755 du 31 juillet 1992, J.O., 5 août 1992, 10530, que lorsqu’un compte bancaire est crédité du montant d’une créance insaisissable, l’insaisissabilité est reportée à due concurrence sur le solde du compte. Il a ainsi écarté la règle de la fongibilité de la monnaie et mis sur pied «une véritable théorie des créances insaisissables»: voir H. Croze, «Le décret du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d’exécution: Guide de lecture», J.C.P. 1992.I.3635, à la p. 560. Une telle théorie n’existe pas encore en droit québécois: voir N. L’Heureux et É. Fortin, Droit bancaire (3e éd. 1999), aux pp. 90 et 91.

F. Changement de libellé

40 L’appelant tente de tirer un argument du changement de libellé de l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics. L’ancien art. 152 était ainsi libellé:

152. Les bénéfices payables en vertu de la présente loi sont incessibles et insaisissables.

Il est utile de reproduire de nouveau le libellé de l’art. 222 afin de faciliter la comparaison entre les deux articles:

222. Toutes sommes payées ou remboursées en vertu des titres I et IV sont incessibles et insaisissables.

L’appelant prétend que l’utilisation du terme «remboursées» à l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics ne peut signifier autre chose que le maintien du caractère insaisissable des fonds provenant du Régime de retraite, car, autrement, «le législateur aurait parlé pour ne rien dire». Je ne suis pas d’accord avec cette prétention. En effet, à la lumière du langage clair utilisé à l’art. 264 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite et du sens de l’expression «sommes remboursées», il ne m’est pas possible de conclure qu’en utilisant le mot «remboursées» à l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, le législateur a souhaité créer un nouveau cas de remploi.

41 Cela ne signifie pas pour autant qu’en modifiant le libellé de l’art. 222 le législateur a parlé pour ne rien dire. La version antérieure de l’art. 222 ne traitait que des «bénéfices payables» et ne couvrait pas les cas de remboursements des cotisations. Les sommes remboursées pouvaient donc être saisies, même en mains tierces. C’est d’ailleurs ce qui s’était produit dans l’affaire Lachance-Gariépy c. Page, précitée. Dans cette affaire, la Cour d’appel a conclu qu’une saisie en mains tierces devenait possible dès qu’une demande de remboursement avait été faite, car, à partir de ce moment, la participation au Régime de retraite était terminée et le droit de retirer les montants du régime était intégré au patrimoine du débiteur. L’article 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics protège maintenant tant les bénéfices payables que les sommes remboursables. Comme le droit au remboursement est insaisissable, les saisies en mains tierces ne sont plus permises et les sommes sont protégées jusqu’à leur sortie du Régime de retraite.

G. Conclusion

42 En résumé, je suis d’avis que les sommes cotisées par l’appelant au Régime de retraite n’ont pas conservé leur caractère d’insaisissabilité après avoir été transférées dans un REER. En effet, l’expression «sommes payées ou remboursées» que l’on retrouve à l’art. 222 de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics ne couvre pas les sommes qui sont sorties du Régime de retraite. De plus, on ne peut pas qualifier les sommes utilisées pour adhérer à un REER de «sommes remboursées» en vertu de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics, car la nature de ces sommes, de même que les droits de l’appelant à leur égard, ont changé au moment où elles ont été utilisées pour constituer ce contrat à titre onéreux. Enfin, il n’est pas possible de retenir l’argument de l’appelant à l’effet que l’insaisissabilité de son REER découlerait de la provenance des fonds qui ont servi à le constituer, car le libellé de l’art. 222 n’est pas suffisamment clair pour créer un nouveau cas d’emploi, de remploi ou de subrogation réelle.

VI - Dispositif

43 Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens devant toutes les cours.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelant: Arseneault, Moreau, Webster, Charlesbourg.

Procureur de l’intimée: Daniel O’Brien, Québec.


Synthèse
Référence neutre : [1999] 3 R.C.S. 351 ?
Date de la décision : 17/09/1999

Parties
Demandeurs : Poulin
Défendeurs : Serge Morency et Associés inc.
Proposition de citation de la décision: Poulin c. Serge Morency et Associés inc., [1999] 3 R.C.S. 351 (17 septembre 1999)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1999-09-17;.1999..3.r.c.s..351 ?
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