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17/02/2000 | CANADA | N°2000_CSC_11

Canada | R. c. Brooks, 2000 CSC 11 (17 février 2000)


R. c. Brooks, [2000] 1 R.C.S. 237

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Frederick Alexander Brooks Intimé

Répertorié: R. c. Brooks

Référence neutre: 2000 CSC 11.

No du greffe: 26948.

1999: 8 octobre; 2000: 17 février.

Présents: Les juges Gonthier, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie et Arbour.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

Droit criminel -- Exposé au jury -- Témoignage d’informateurs dans un établissement de détention -- Omission de faire une mise en garde de type Vetrovec -- Deux informat

eurs dans un établissement de détention appelés par le ministère public à témoigner au procès -- Accusé déclaré coupable de m...

R. c. Brooks, [2000] 1 R.C.S. 237

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Frederick Alexander Brooks Intimé

Répertorié: R. c. Brooks

Référence neutre: 2000 CSC 11.

No du greffe: 26948.

1999: 8 octobre; 2000: 17 février.

Présents: Les juges Gonthier, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie et Arbour.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

Droit criminel -- Exposé au jury -- Témoignage d’informateurs dans un établissement de détention -- Omission de faire une mise en garde de type Vetrovec -- Deux informateurs dans un établissement de détention appelés par le ministère public à témoigner au procès -- Accusé déclaré coupable de meurtre au premier degré -- La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur en concluant que le juge du procès n’avait pas donné au jury des directives suffisantes sur la non-fiabilité du témoignage des informateurs?

Droit criminel -- Preuve -- Informateurs dans un établissement de détention -- Deux informateurs dans un établissement de détention appelés par le ministère public à témoigner au procès -- Accusé déclaré coupable de meurtre au premier degré -- La preuve étayait-elle la conclusion implicite au procès que les informateurs étaient dignes de foi?

Droit criminel -- Verdicts -- Deux informateurs dans un établissement de détention appelés par le ministère public à témoigner au procès -- Accusé déclaré coupable de meurtre au premier degré -- Omission de mettre le jury en garde au sujet de la non‑fiabilité du témoignage des informateurs -- Le verdict aurait-il été le même si une mise en garde avait été faite? -- Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 686(1)b)(iii).

Une enfant de 19 mois a été trouvée assassinée dans sa couchette; elle était enveloppée dans une douillette verte. Seuls l’accusé et la mère de l’enfant avaient accès auprès d’elle la nuit du meurtre. L’enfant avait du sang et de la vomissure au visage, l’oeil gauche gonflé, des contusions à la tête ainsi que des contusions et des rougeurs aux organes génitaux. Le décès était dû à un traumatisme crânien aigu. Des quantités infimes de sperme ont été décelées dans des échantillons prélevés par écouvillonnage vaginal et anal, mais le test d’empreintes génétiques du sperme s’est révélé non concluant, vraisemblablement en raison de la contamination de l’échantillon prélevé. L’expert du ministère public ne pouvait pas dire si le sperme prélevé pouvait provenir ou non de l’accusé. L’appartement avait été le théâtre d’une activité sexuelle intense pendant la période ayant précédé le meurtre. Du sperme, y compris celui du père biologique de l’enfant, a été découvert un peu partout dans l’appartement, y compris sur un jouet qui se trouvait dans le lit de l’enfant, sur le collet de son haut de pyjama, sur les draps de son lit et à deux endroits sur la douillette verte. Toutefois, l’enfant avait été baignée juste avant la nuit du meurtre, et ce bain et les bactéries auxquelles est exposé un enfant qui porte la couche contribueraient à détériorer le sperme rapidement. Il y avait sur le pantalon de survêtement gris de l’accusé, trouvé dans l’appartement, du sperme et des taches de sang du même groupe sanguin que l’enfant, ainsi que du jus semblable à celui trouvé dans son biberon. Sur la route de l’hôpital le lendemain matin, l’accusé a chuchoté trois fois à l’oreille de la mère qu’il était désolé. L’accusé a fait d’autres déclarations incriminantes.

Il n’y avait aucune preuve directe que l’accusé avait asséné les coups fatals. Il était établi que l’enfant avait déjà subi des mauvais traitements physiques. Un mois avant le meurtre, l’accusé l’avait projetée sur une distance d’environ un mètre contre l’armature en bois d’un divan. Une blessure sur la fesse droite de l’enfant était apparue un jour où l’accusé s’occupait seul d’elle. On avait également vu la mère la frapper à plusieurs reprises.

Le ministère public a fait témoigner deux informateurs dans un établissement de détention qui ont affirmé que, pendant son incarcération, l’accusé avait avoué avoir tué l’enfant pour qu’elle cesse de pleurer. Rien dans leur témoignage n’indiquait que le meurtre était survenu pendant la perpétration d’une agression sexuelle. Les deux avaient de lourds antécédents judiciaires de malhonnêteté. L’un avait vainement tenté d’obtenir une peine moins lourde en échange de son témoignage et avait déposé à titre d’informateur dans un procès antérieur. L’autre était déjà connu pour avoir abusé de substances psychoactives et avait des antécédents psychiatriques marqués par des tentatives de suicide, une paranoïa, une dépression profonde et la conviction qu’il avait un don de clairvoyance. Les deux avaient déjà offert de témoigner dans des procès criminels.

Dans sa plaidoirie finale, l’avocat de la défense a ridiculisé les deux informateurs et a invité le jury à rejeter leur témoignage. Lorsqu’il s’est adressé au jury, l’avocat du ministère public a souligné qu’ils avaient un casier judiciaire et que l’un d’eux avait déjà été témoin à charge et avait tenté de conclure un marché. Dans son exposé au jury, le juge du procès n’a pas fait de mise en garde de type Vetrovec au sujet du danger de s’en remettre au témoignage des informateurs. Aucun des avocats n’a sollicité une mise en garde et aucun ne s’est opposé à l’absence de mise en garde. L’accusé a été déclaré coupable de meurtre au premier degré. La Cour d’appel a annulé cette déclaration de culpabilité et ordonné un nouveau procès.

Arrêt (les juges Iacobucci, Major et Arbour sont dissidents): Le pourvoi est accueilli.

Les juges Gonthier, McLachlin et Bastarache: Le juge du procès n’a commis aucune erreur de droit en omettant de faire une mise en garde de type Vetrovec. Il avait le pouvoir discrétionnaire de faire ou de ne pas faire une mise en garde et il existait un motif justifiant la façon dont il a exercé ce pouvoir.

Le juge du procès doit, d’une part, s’abstenir de classer les témoins dans des catégories et, d’autre part, examiner tous les facteurs susceptibles de porter atteinte à la crédibilité d’un témoin. Aucune mise en garde de type Vetrovec n’est nécessaire si le juge du procès estime que le témoin est digne de foi, même si ce témoin est un informateur dans un établissement de détention. Les faits rendaient douteuse au départ la crédibilité des informateurs, mais il n’y avait aucune raison convaincante de rejeter la conclusion implicite du juge du procès qu’ils étaient suffisamment dignes de foi pour qu’il ne soit pas nécessaire de faire une mise en garde. Les antécédents psychiatriques d’un informateur ne sont pas pertinents et n’en font pas pour autant une personne à l’honnêteté douteuse. Le témoignage des informateurs était étayé par d’autres éléments de preuve et, en fait, on n’a produit aucune preuve qu’ils avaient soit menti, soit obtenu leurs renseignements ailleurs. Le verdict ne dépendait pas de leur témoignage étant donné que d’autres éléments de preuve étayaient la déclaration de culpabilité qui a été prononcée. L’avocat de la défense n’a sollicité aucune mise en garde et ne s’est pas opposé à l’absence d’une mise en garde. L’avis des avocats est pertinent lorsqu’il peut y avoir des raisons tactiques de ne pas solliciter une mise en garde. Le juge du procès a donné au jury des directives en matière de crédibilité. La Cour d’appel n’avait pas suffisamment de motifs d’intervenir. Une mise en garde de type Vetrovec ne s’imposait pas.

Le juge Binnie: Le juge du procès a commis une erreur de droit en omettant de faire une mise en garde de type Vetrovec, mais il y a lieu néanmoins d’accueillir le pourvoi parce que, d’après les faits de la présente affaire, il n’existe aucune possibilité raisonnable que le verdict eût été différent si la mise en garde avait été faite.

La nécessité d’une mise en garde de type Vetrovec découle de la mesure dans laquelle des motifs de non-fiabilité potentielle existent. Le témoignage des informateurs en l’espèce présentait certaines des pires caractéristiques des gens qui rapportent les aveux d’un codétenu. Il ne suffit pas que le juge du procès conclue qu’à son avis ces informateurs particuliers étaient raisonnablement dignes de foi. Le juge du procès doit établir le cadre approprié à l’intérieur duquel le jury pourra lui-même décider de la question de la crédibilité. Le témoignage de ces informateurs dans un établissement de détention était important pour la preuve du ministère public et justifiait une inférence de non-fiabilité. Cela était suffisant pour requérir une mise en garde de type Vetrovec. Le juge du procès a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon erronée en droit en décidant de ne pas faire cette mise en garde.

L’accusé avait droit non pas à un procès dépourvu du témoignage des informateurs, mais seulement à ce que leur témoignage soit assorti d’une mise en garde. D’autres éléments de preuve directe non viciés par l’erreur de droit commise impliquaient l’accusé, dont ses autres déclarations incriminantes, la preuve d’une agression sexuelle et celle d’un comportement antérieur violent. Le jury a retenu la preuve circonstancielle d’une agression sexuelle par l’accusé au moment du meurtre, qui n’avait absolument rien à voir avec le témoignage des informateurs. Une mise en garde de type Vetrovec aurait été assortie de l’examen d’une preuve corroborante qui n’aurait pas aidé l’accusé. Dans les circonstances, il y a lieu de confirmer le verdict en application du sous-al. 686(1)b)(iii) du Code criminel.

Les juges Iacobucci, Major et Arbour (dissidents): Le juge du procès aurait dû faire une mise en garde de type Vetrovec. L’exposé qu’il a fait n’était pas suffisant et on ne peut pas dire que le verdict aurait nécessairement été le même.

La mise en garde de type Vetrovec relève du pouvoir discrétionnaire du juge du procès et n’est pas requise dans tous les cas de témoins douteux. Bien qu’il doive tenir compte de tous les facteurs, le juge du procès devrait se concentrer sur la crédibilité d’un témoin et sur l’importance de sa déposition pour la preuve du ministère public. L’omission de faire une mise en garde qui s’impose est une erreur de droit et le préjudice causé par cette erreur peut être évalué en application du sous-al. 686(1)b)(iii) du Code criminel. La crédibilité des informateurs en cause était intrinsèquement douteuse et leur témoignage était suffisamment important pour requérir une mise en garde de type Vetrovec. Cependant, l’exposé au jury n’incluait pas les éléments essentiels d’une mise en garde de type Vetrovec. On n’y a pas attiré l’attention du jury expressément sur la non‑fiabilité inhérente des informateurs en question. L’exposé de l’avocat de la défense au jury n’a pas remplacé une telle mise en garde. Le fait que l’avocat de la défense n’a pas sollicité une mise en garde n’est pas déterminant. Il y a de sérieux doutes quant à savoir si une agression sexuelle a été commise. La déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré ne saurait être maintenue en l’absence d’une agression sexuelle. D’autres éléments de preuve étaient susceptibles de susciter un doute raisonnable. Il est difficile d’écarter la possibilité d’un résultat différent.

Jurisprudence

Citée par le juge Bastarache

Arrêt suivi: Vetrovec c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 811; arrêts mentionnés: R. c. Potvin, [1989] 1 R.C.S. 525; R. c. W. (R.), [1992] 2 R.C.S. 122; R. c. Bevan, [1993] 2 R.C.S. 599; R. c. Cain (1996), 90 O.A.C. 156; R. c. Glasgow (1996), 110 C.C.C. (3d) 57; R. c. Gravino, [1995] O.J. No. 3109 (QL).

Citée par le juge Binnie

Arrêt suivi: Vetrovec c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 811; arrêts mentionnés: R. c. Frumusa (1996), 112 C.C.C. (3d) 211; R. c. Simmons (1998), 105 O.A.C. 360; R. c. Bevan (1991), 63 C.C.C. (3d) 333, inf. [1993] 2 R.C.S. 599; Fanjoy c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 233; R. c. Haughton, [1994] 3 R.C.S. 516; R. c. Broyles, [1991] 3 R.C.S. 595; R. c. Sanderson (1999), 134 Man. R. (2d) 191; R. c. Siu (1998), 124 C.C.C. (3d) 301.

Citée par le juge Major (dissident)

Vetrovec c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 811; R. c. Bevan, [1993] 2 R.C.S. 599; Brown c. Crashaw (1613), 2 Bulstr. 154, 80 E.R. 1028; R. c. Rudd (1775), 1 Cowp. 331, 98 E.R. 1114; R. c. Jones (1809), 2 Camp. 131, 170 E.R. 1105; R. c. Barnard (1823), 1 Car. & P. 87, 171 E.R. 1113; R. c. Wilkes (1836), 7 Car. & P. 272, 173 E.R. 120; R. c. Tate, [1908] 2 K.B. 680; R. c. Baskerville, [1916] 2 K.B. 658; Veuillette c. The King (1919), 58 R.C.S. 414; Manchuk c. The King, [1938] R.C.S. 341; Hebert c. The Queen, [1955] R.C.S. 120; Brown c. The Queen, [1962] R.C.S. 371; Colpitts c. The Queen, [1965] R.C.S. 739; Vézeau c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 277; McFall c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 321; Olbey c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 1008; Young c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 39; R. c. Simpson, [1988] 1 R.C.S. 3; R. c. Romeo, [1991] 1 R.C.S. 86; R. c. B. (F.F.), [1993] 1 R.C.S. 697; R. c. Livermore, [1995] 4 R.C.S. 123; R. c. G. (R.M.), [1996] 3 R.C.S. 362; R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128; R. c. Jacquard, [1997] 1 R.C.S. 314; R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320; R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223; R. c. Hayes, [1989] 1 R.C.S. 44; R. c. Pittman, [1994] 1 R.C.S. 148.

Lois et règlements cités

Act for improving the Law of Evidence (R.-U.), 6 & 7 Vict., ch. 85.

Acte de la preuve en Canada, 1893, S.C. 1893, ch. 31.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 686(l)b)(iii) [mod. 1991, ch. 43, art. 9 (ann., art. 8)].

Doctrine citée

Bentham, Jeremy. Rationale of Judicial Evidence, vol. 5. London: Hunt & Clarke,1827.

Ontario. Commission sur les poursuites contre Guy Paul Morin. Commission sur les poursuites contre Guy Paul Morin (rapport Kaufman). Toronto: Ministère du Procureur général de l’Ontario, 1998.

Report of the 1989-1990 Los Angeles Grand Jury: Investigation of the Involvement of Jail House Informants in the Criminal Justice System in Los Angeles County, June 26, 1990.

Rosenberg, Marc. «Developments in the Law of Evidence: The 1992-93 Term» (1994), 5 S.C.L.R. (2d) 421.

Sherrin, Christopher. «Jailhouse Informants, Part I: Problems with their Use» (1998), 40 C.L.Q. 106.

Sherrin, Christopher. «Jailhouse Informants in the Canadian Criminal Justice System, Part II: Options for Reform» (1998), 40 C.L.Q. 157.

Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law, vol. I, 2nd ed. Boston: Little, Brown & Co., 1923.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1998), 41 O.R. (3d) 661, 113 O.A.C. 201, 129 C.C.C. (3d) 227, 20 C.R. (5th) 116, [1998] O.J. No. 3913 (QL), qui a accueilli l’appel interjeté contre une déclaration de culpabilité et ordonné un nouveau procès. Pourvoi accueilli, les juges Iacobucci, Major et Arbour sont dissidents.

Lucy Cecchetto, pour l’appelante.

Irwin Koziebrocki, pour l’intimé.

Version française des motifs des juges Gonthier, McLachlin et Bastarache rendus par

1 Le juge Bastarache — J’ai lu les motifs de mon collègue le juge Major et je conviens avec lui que l’omission de faire une mise en garde de type Vetrovec qui s’impose constitue une erreur de droit (Vetrovec c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 811). Toutefois, j’estime qu’il y a lieu d’accueillir le présent pourvoi et de rétablir la déclaration de culpabilité, étant donné que le juge du procès n’a commis aucune erreur de droit en omettant de faire une mise en garde «claire et précise» de type Vetrovec dans les circonstances de la présente affaire. Je suis plutôt d’avis que le juge du procès avait le pouvoir discrétionnaire de décider de ne pas faire de mise en garde de type Vetrovec et que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire n’aurait pas dû faire l’objet d’une intervention en appel. J’arrive à cette conclusion pour les motifs exposés plus bas.

2 Dans l’arrêt Vetrovec, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a conclu que le juge du procès avait le pouvoir discrétionnaire, et non le devoir, de faire une mise en garde claire et précise au jury relativement à la déposition de certains témoins «douteux». Le juge Dickson s’est éloigné du «formalisme aveugle et vide de sens» et des «incantations rituelles» pour adopter ce qu’il appelait la solution de «bon sens» (à la p. 823):

Plutôt que de tenter de classer un témoin dans une catégorie et de réciter ensuite des incantations rituelles, le juge du procès ferait mieux de s’attacher aux faits de la cause et d’examiner tous les facteurs susceptibles de porter atteinte à la crédibilité d’un témoin en particulier. Si, d’après lui, la crédibilité du témoin exige que le jury soit mis en garde, il peut alors donner des directives à cet effet. Si, d’autre part, il estime que le témoin est digne de foi, que ce dernier soit formellement un «complice» ou non, aucune mise en garde n’est nécessaire. [Je souligne.]

3 En conséquence, notre Cour a délibérément choisi, dans l’arrêt Vetrovec, de ne pas établir de règle fixe et immuable selon laquelle la déposition de certaines catégories de témoins requiert automatiquement une mise en garde «claire et précise». Au contraire, lorsqu’un témoin joue un rôle central dans la détermination de la culpabilité et qu’il est néanmoins susceptible d’éveiller des soupçons à cause de sa mauvaise réputation ou du fait qu’il n’est pas digne de foi, une mise en garde claire et précise peut se révéler appropriée pour sensibiliser le jury aux risques de se fier à sa déposition «sans plus». Le juge du procès a donc le pouvoir discrétionnaire de faire une mise en garde de type Vetrovec. Cette approche discrétionnaire a été confirmée par notre Cour dans l’arrêt R. c. Potvin, [1989] 1 R.C.S. 525, où le juge Wilson affirme, à la p. 557:

À mon avis, l’arrêt Vetrovec rejette les catégories formalistes et définies d’avance en matière de fiabilité des témoignages tant à l’égard des mises en garde que de la corroboration. Dans chaque cas, il appartient au juge du procès, selon son appréciation de toutes les circonstances et, si je puis ajouter, le sens commun, de décider si une mise en garde est nécessaire. [Je souligne.]

4 Lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire de mettre le jury en garde au sujet de certaines dépositions, le juge du procès peut tenir compte notamment de la crédibilité du témoin et de l’importance que sa déposition revêt pour la preuve du ministère public. Ces facteurs ont une incidence sur la question de savoir si la mise en garde de type Vetrovec s’impose. En d’autres termes, plus la crédibilité du témoin est douteuse et plus sa déposition est importante, plus grande est la possibilité que la mise en garde de type Vetrovec s’impose. Dans les cas où la déposition des prétendus «témoins douteux» représente l’ensemble de la preuve qui pèse contre l’accusé, une mise en garde «claire et précise» de type Vetrovec peut être justifiée. Cependant, dans les cas où, abstraction faite de la déposition potentiellement «douteuse», de solides éléments de preuve étayent la déclaration de culpabilité et où il y a moins de raisons de douter de la crédibilité du témoin, il n’est pas nécessaire de faire une mise en garde de type Vetrovec et des directives moins importantes sont justifiées. Les directives du juge du procès en ce qui concerne le témoignage d’informateurs dans un établissement de détention doivent donc être à la mesure des circonstances particulières de l’affaire. Par exemple, le juge du procès n’est pas tenu de faire une mise en garde «claire et précise» sur le danger de prononcer une déclaration de culpabilité sur la base du témoignage contesté lorsque, dans les circonstances, il estime qu’un tel danger n’existe pas. De même, le juge du procès peut refuser à juste titre de faire une mise en garde si cette mise en garde est susceptible de nuire à l’accusé au lieu de l’aider. Les cours d’appel devraient s’abstenir d’intervenir s’il existe un motif justifiant l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge du procès. En l’espèce, l’existence de ce motif est établie eu égard à la crédibilité des témoins, à l’importance de leur déposition et à l’omission de solliciter une mise en garde.

La crédibilité des témoins

5 Lorsqu’il apprécie la crédibilité d’un témoin pour décider s’il y a lieu de faire une mise en garde de type Vetrovec, le juge du procès doit éviter de classer le témoin dans une catégorie particulière comme celle des «informateurs dans un établissement de détention». Le juge du procès doit plutôt «s’attacher aux faits de la cause et [. . .] examiner tous les facteurs susceptibles de porter atteinte à la crédibilité d’un témoin en particulier» (Vetrovec, à la p. 823). Si le juge du procès estime que le témoin est digne de foi, aucune mise en garde de type Vetrovec n’est alors nécessaire, peu importe que ce témoin soit un complice ou un informateur dans un établissement de détention.

6 Les cours d’appel devraient faire preuve d’un grand respect envers les conclusions tirées au procès quant à la crédibilité des témoins et se rappeler combien il est important de tenir compte de la situation particulière dans laquelle se trouve le juge des faits lorsqu’il évalue la crédibilité, et du fait qu’il a l’avantage, que n’a pas la cour d’appel, d’observer les témoins qui déposent (R. c. W. (R.), [1992] 2 R.C.S. 122, à la p. 131).

7 Il est clair que King et Balogh sont tous les deux des «informateurs dans un établissement de détention» qui sont définis comme étant des [traduction] «détenus, habituellement en attente de leur procès ou de la détermination de leur peine, qui soutiennent avoir entendu un autre détenu faire un aveu le concernant»; voir C. Sherrin, «Jailhouse Informants, Part I: Problems with their Use» (1998), 40 C.L.Q. 106, à la p. 107. Il est évident que la crédibilité de King et de Balogh est douteuse au départ en raison de leurs casiers judiciaires et des aveux de King qu’il cherchait à éviter l’incarcération en échange de son témoignage et qu’il avait déjà témoigné pour éviter d’être incarcéré. Je crois cependant qu’en l’espèce un tel caractère douteux ne saurait commander en soi une mise en garde «claire et précise» de type Vetrovec.

8 En appréciant la crédibilité de King et de Balogh, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont tenu compte de leurs lourds casiers judiciaires, des raisons qu’ils avaient de mentir et des antécédents psychiatriques de Balogh. C’est sur ce seul fondement que la Cour d’appel a conclu qu’il y avait des raisons convaincantes de douter de leur crédibilité et qu’elle a ainsi rejeté la conclusion implicite du juge du procès que les témoins étaient suffisamment dignes de foi pour qu’il ne soit pas nécessaire de faire une mise en garde de type Vetrovec.

9 La Cour d’appel a conclu que la crédibilité de Balogh était douteuse en raison de ses antécédents psychiatriques importants et des raisons qu’il avait de mentir. En toute déférence, les antécédents psychiatriques d’un témoin n’ont rien à voir avec la question de savoir s’il y a lieu de faire une mise en garde de type Vetrovec. Bien que le profil psychiatrique d’un témoin puisse être un facteur à considérer pour en évaluer la crédibilité, il n’en fait pas pour autant une personne «à l’honnêteté douteuse». Le juge du procès a souligné les antécédents psychiatriques de Balogh dans son exposé au jury et il incombait à ce dernier de décider de la crédibilité de Balogh à cet égard. Il n’est pas nécessaire de faire une mise en garde de type Vetrovec particulière dans tous les cas où le témoin qui dépose a déjà tenté de se suicider, fréquenté un établissement psychiatrique ou consommé de la drogue. On aurait peut‑être raison de douter de la crédibilité de Balogh si son témoignage était incohérent ou s’il contredisait d’autres faits soumis en preuve. Au contraire, il ressort du dossier que le témoignage de Balogh était logique, exact et étayé par d’autres éléments de preuve.

10 En outre, l’avocat de la défense n’a présenté aucun fait visant à démontrer que Balogh avait eu des raisons de mentir ou qu’il avait cherché à obtenir un avantage en échange de son témoignage, et il n’a fait ressortir aucune contradiction lors du contre‑interrogatoire. En fait, l’avocat de la défense n’a produit aucune preuve que King ou Balogh avait menti ou qu’ils avaient obtenu ces renseignements ailleurs. Au contraire, de nombreux éléments de preuve confirmant les récits de King et Balogh ont été produits, comme l’affirme l’appelante, à la p. 36 de son mémoire:

[traduction] On disposait d’énormément de détails sur les circonstances de l’épisode par opposition à une simple allégation ou à un simple aveu de la part de l’accusé. Dans leur témoignage, King et Balogh fournissaient des détails sur les parties du corps où des blessures avaient été causées et précisaient que Samantha avait déjà été frappée par l’intimé, que la mère avait elle aussi parfois frappé l’enfant pour la punir, que Samantha pleurait toujours, qu’elle avait pleuré la nuit de son décès et qu’elle s’était étouffée.

Bien des faits que l’accusé a mentionnés dans ses aveux à King et à Balogh ont été confirmés par une preuve indépendante. Il était exact que la mère du bébé s’appelait Norma, qu’elle était la petite amie de l’intimé, qu’ils vivaient dans l’immeuble résidentiel près du Centre et que la mère allait témoigner contre l’intimé. La preuve que l’intimé avait dit à King et à Balogh qu’il avait frappé Samantha à la tête à maintes reprises était compatible avec la preuve médicolégale faisant état des parties du corps où des blessures avaient été constatées. Le fait que Samantha s’était étouffée était confirmé par la vomissure qu’elle avait sur le visage. Le fait que [l’intimé] frappait Samantha quand elle pleurait a été confirmé par la déposition de témoins au procès. La mère de Samantha a confirmé que cette dernière avait pleuré la nuit où elle avait été assassinée. [Je souligne.]

Bien que le fait que King ait cherché à éviter l’incarcération en témoignant soit sûrement un facteur susceptible de miner sa crédibilité, ce n’est pas suffisant en soi pour commander une mise en garde «claire et précise» de type Vetrovec. Une cour d’appel devrait faire preuve d’un plus grand respect envers le juge du procès au lieu d’imposer après coup son propre point de vue en se fondant sur une catégorie abstraite de témoins sans avoir entendu directement les dépositions.

L’importance du témoignage contesté

11 Dans l’arrêt R. c. Bevan, [1993] 2 R.C.S. 599, le juge Major a décrit la déposition indigne de foi comme étant «un élément crucial de la preuve du ministère public» (p. 615). Dans l’arrêt Vetrovec, le juge Dickson a parlé de la nécessité d’aider le jury par des directives «si la déclaration de culpabilité ou l’acquittement peuvent dépendre et dépendront tout probablement de l’acceptation ou du rejet de la déposition d’un ou de plusieurs témoins ou encore du fait d’y ajouter foi ou de ne point la croire» (pp. 831 et 832). Le juge du procès doit d’abord examiner l’importance du témoignage contesté. En fait, comme M. Rosenberg (maintenant juge d’appel) l’affirme dans «Developments in the Law of Evidence: The 1992-93 Term» (1994), 5 S.C.L.R. (2d) 421, à la p. 463:

[traduction] . . . le juge du procès doit évaluer l’importance que revêt le témoin pour la preuve du ministère public. Si le témoin joue un rôle relativement mineur dans l’établissement de la culpabilité, il ne sera probablement pas nécessaire de faire une mise en garde particulière au jury et d’examiner ensuite la déposition corroborante. Cependant, plus le témoin est important, plus le juge du procès est tenu de faire la mise en garde. À un certain point, comme dans le cas où le témoin joue un rôle central dans l’établissement de la culpabilité, la mise en garde est obligatoire.

12 Dans les circonstances de la présente affaire, la déclaration de culpabilité ou l’acquittement ne dépendait pas de l’acceptation du témoignage de King et de Balogh. Je suis plutôt d’avis, après avoir examiné le dossier, qu’il y aurait eu suffisamment d’éléments de preuve pour étayer la déclaration de culpabilité même si le jury avait rejeté complètement le témoignage de King et de Balogh.

13 Le juge du procès a donné au jury des directives appropriées sur les éléments qui devaient être établis pour que l’intimé soit reconnu coupable de meurtre au premier degré. Un jury compétent a déclaré l’intimé coupable, après avoir conclu qu’il avait causé la mort de Samantha Johnings pendant qu’il l’agressait sexuellement. Le témoignage de King et de Balogh ne fait état d’aucune agression sexuelle. La preuve dont le jury disposait était suffisante pour lui permettre de conclure à la culpabilité de l’intimé sur la seule base de la preuve médicolégale, du témoignage de la mère et de l’incohérence des déclarations de l’intimé. La preuve matérielle et médicolégale en l’espèce, à savoir le pantalon de survêtement, les blessures aux organes génitaux et le sperme trouvé dans l’anus et le vagin de Samantha, conjuguée au fait que l’intimé était le seul homme présent et qu’il avait auparavant donné un bain à Samantha, est concluante.

14 On ne saurait passer sous silence le fait que, dans son ensemble, la preuve impliquant l’intimé en l’espèce, abstraction faite du témoignage de King et de Balogh, est beaucoup plus convaincante que celle qui pesait contre l’accusé dans les affaires Vetrovec et Bevan indépendamment du témoignage qui y était contesté. Le témoignage de King et de Balogh peut avoir été important, mais il n’était pas déterminant et, dans le cas où la déposition d’un témoin ne fait qu’étayer davantage la conclusion d’un jury, il devrait y avoir plus de chances que la cour d’appel conclue que la décision de faire une mise en garde «claire et précise» de type Vetrovec relève du pouvoir discrétionnaire du juge du procès.

L’omission de solliciter une mise en garde

15 Rendre obligatoire la mise en garde «claire et précise» de type Vetrovec pose un autre problème en ce sens que cela peut avoir pour effet non voulu de causer un plus grand préjudice à l’accusé en attirant l’attention soit sur le témoignage contesté, soit sur la preuve qui le corrobore.

16 Bien que notre Cour ait établi, dans l’arrêt Bevan, que le juge du procès n’est pas nécessairement tenu de souligner l’existence d’une preuve corroborante chaque fois qu’il fait une mise en garde de type Vetrovec, le juge du procès renvoie habituellement à des éléments de preuve étayant la déposition contestée du témoin «douteux» lorsqu’il fait cette mise en garde. En conséquence, si le juge du procès avait fait une mise en garde «claire et précise» de type Vetrovec en l’espèce, il aurait pu souligner au jury la preuve abondante qui corroborait le témoignage de King et de Balogh. En sollicitant une mise en garde de type Vetrovec, l’avocat de la défense risque donc de renforcer la crédibilité du témoin «douteux» en soulignant la preuve incriminante qui pèse contre l’accusé. À cet égard, il se peut que, dans certaines circonstances, la mise en garde de type Vetrovec aille à l’encontre du but recherché en renforçant, en fait, la preuve qui pèse contre l’accusé.

17 L’avocat de la défense en l’espèce n’a pas sollicité une mise en garde de type Vetrovec et ne s’est pas opposé à l’absence d’une telle mise en garde. Il se peut fort bien que cela ait été le fruit d’une décision tactique de sa part d’épargner à l’accusé le risque de subir un plus grand préjudice. L’avocat de la défense a choisi de s’attaquer à la preuve circonstancielle et matérielle du ministère public au lieu d’attirer l’attention sur le témoignage de King et de Balogh. En fait, il a affirmé, dans sa plaidoirie au procès, que le témoignage de King avait été une [traduction] «détente comique» et que ce dernier et Balogh avaient inventé des histoires «farfelues», et qu’il n’y avait plus rien à dire à leur sujet. Il ressort à tout le moins implicitement des mentions que la défense a faites du témoignage de King et de Balogh qu’elle estimait qu’une mise en garde «claire et précise» de type Vetrovec n’était manifestement pas nécessaire, que le témoignage de King et de Balogh était sans importance et que le jury était parfaitement en mesure d’apprécier lui‑même la crédibilité de ces témoins. Toutefois, si l’avocat de la défense avait sollicité une mise en garde de type Vetrovec, le témoignage de King et de Balogh aurait été expressément porté à l’attention du jury et éventuellement souligné par le juge du procès.

18 Les arrêts R. c. Cain (1996), 90 O.A.C. 156 (C.A.), et R. c. Glasgow (1996), 110 C.C.C. (3d) 57 (C.A. Ont.), étayent le point de vue selon lequel, en l’absence d’une demande de mise en garde «claire et précise» de type Vetrovec, le juge du procès n’est tenu de faire une mise en garde que si les circonstances de l’affaire l’exigent clairement. Même s’il est vrai qu’il n’est pas déterminant en ce qui concerne la mise en garde de type Vetrovec, l’avis des avocats est néanmoins pertinent et digne de plus de considération lorsque les circonstances indiquent qu’il peut y avoir des raisons tactiques de ne pas solliciter une mise en garde. Dans l’arrêt Glasgow, aux pp. 60 et 61, le juge Doherty a traité de la façon suivante l’effet de l’omission de l’avocat de solliciter une mise en garde de type Vetrovec:

[traduction] Le juge du procès a sensibilisé le jury à l’importance d’apprécier la crédibilité de ces deux témoins et a consacré un certain temps à lui expliquer la façon dont cette appréciation doit être faite. On ne lui a pas demandé de faire une mise en garde de type «Vetrovec» et il n’en a fait aucune. Il est bien établi qu’un juge du procès a le pouvoir discrétionnaire de faire ou de ne pas faire une telle mise en garde. Une cour d’appel doit faire preuve de retenue lorsqu’elle examine l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Si on n’a pas demandé au juge du procès de faire la mise en garde, il est difficile de comprendre comment on peut dire qu’il a commis une erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire.

Une directive complète de type «Vetrovec», même modifiée comme dans l’arrêt R. c. Bevan [. . .], peut profiter tant au ministère public qu’à la défense. Dans le cas où l’avocat de l’accusé est convaincu que les questions relatives à la crédibilité d’un témoin ont été entièrement et équitablement exposées au jury sans qu’une directive de type «Vetrovec» ne lui ait été donnée, je suis d’avis que l’omission de faire la mise en garde de type «Vetrovec» ne constitue une erreur justifiant annulation que si l’on est convaincu que la directive était essentielle à la tenue d’un procès équitable. En d’autres termes, j’estime qu’il incombait à l’appelant d’établir au procès que les circonstances de l’affaire commandaient une mise en garde de type «Vetrovec» à un point tel que le juge du procès n’avait en réalité d’autre choix que de faire cette mise en garde. Comme je ne suis pas convaincu que c’était le cas en l’espèce, je ne retiens pas ce moyen d’appel. [Je souligne.]

19 À mon avis, il était clairement à l’avantage de la défense, sur le plan tactique, de ne pas solliciter en l’espèce une mise en garde de type Vetrovec. Décider que la mise en garde de type Vetrovec est obligatoire en pareilles circonstances empêcherait désormais les avocats de prendre une telle décision tactique. Comme l’a affirmé la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Gravino, [1995] O.J. No. 3109 (QL), au par. 10:

[traduction] Le fait que l’avocat très expérimenté et compétent [. . .] au procès n’a pas sollicité une mise en garde de type Vetrovec et ne s’est pas opposé à l’absence d’une telle mise en garde doit être interprété comme reflétant l’impression au procès que le témoignage d’Ireland avait fait l’objet d’un examen très minutieux. Dans ces circonstances, nous ne pouvons pas conclure que le juge du procès a commis une erreur en refusant de faire une mise en garde de type Vetrovec.

20 En l’espèce, le juge du procès a exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas faire une mise en garde «claire et précise» de type Vetrovec. En donnant des directives au jury, il s’est plutôt concentré sur la crédibilité de King et de Balogh, sur leurs casiers judiciaires et sur les raisons de King de mentir. Le juge du procès a essentiellement donné au jury des directives en matière de crédibilité au tout début de ses directives, se concentrant particulièrement sur les casiers judiciaires de King et Balogh:

[traduction] Nous avons également eu, dans le présent procès, des témoins qui possèdent un casier judiciaire. Rappelez-vous le témoignage de MM. Balogh et King. Ces deux témoins ont admis qu’ils avaient un casier judiciaire et, là encore, vous pouvez tenir compte de ce casier en appréciant leur crédibilité et la valeur de leur témoignage. Il vous incombe de décider de l’importance, le cas échéant, que vous accorderez à leurs casiers judiciaires en les évaluant comme témoins.

Il vous revient exclusivement d’apprécier la crédibilité et la valeur des témoignages. Si vous avez un doute raisonnable quant à l’exactitude des témoignages ou au poids qu’il convient de leur accorder, vous devez accorder le bénéfice de ce doute à l’accusé et non pas au ministère public. C’est un aspect important du procès criminel et je vous le répète: il vous appartient exclusivement, à vous, le jury, d’apprécier la crédibilité et la valeur des témoignages.

21 Plus tard, dans son exposé au jury, alors qu’il passait en revue la déposition de chaque témoin, le juge du procès a de nouveau mentionné les casiers judiciaires de King et Balogh. Il a ensuite souligné les problèmes psychiatriques de Balogh. Le juge du procès a également parlé des raisons de King de mentir, soulignant le fait que King [traduction] «tentait d’obtenir une peine moins lourde» et que ce dernier avait admis qu’«il était un mouchard». Dans les circonstances de la présente affaire, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de ne pas faire de mise en garde «claire et précise» de type Vetrovec et de donner plutôt au jury des directives sur la crédibilité, comme cela a été fait, était conforme à l’esprit de l’arrêt Vetrovec.

22 Pour les raisons qui précèdent, je suis d’avis que les juges majoritaires de la Cour d’appel n’avaient pas suffisamment de motifs d’intervenir dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge du procès de donner au jury les directives qu’il lui a données. Même si, au départ, il pouvait y avoir des motifs de douter de la crédibilité de King et de Balogh à cause de leurs casiers judiciaires et des raisons de King de mentir, le juge du procès a, dans ses directives au jury, souligné ces facteurs, qui ne commandent pas automatiquement en soi une mise en garde «claire et précise» de type Vetrovec. À mon avis, le rôle que le témoignage de King et de Balogh jouait relativement à l’ensemble de la preuve produite en l’espèce par le ministère public justifiait l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge du procès de ne pas faire une mise en garde de type Vetrovec.

23 Vu que la preuve contestée n’était pas essentielle pour décider de la culpabilité ou de l’innocence et qu’il n’y avait pas suffisamment de raisons de douter de la crédibilité de King et de Balogh, une mise en garde de type Vetrovec ne s’imposait pas dans les circonstances. La Cour d’appel a donc commis une erreur en infirmant la décision du juge du procès de donner au jury les directives qu’il lui a données.

Conclusion

24 Conclure que l’omission du juge du procès de faire une mise en garde «claire et précise» de type Vetrovec dans les circonstances de la présente affaire constitue une erreur de droit est contraire à l’esprit de cet arrêt qui a confirmé l’existence d’un pouvoir discrétionnaire de ne faire des mises en garde que dans des circonstances appropriées. Les cours d’appel ne devraient intervenir que s’il existe un motif justifiant l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge du procès. Ce motif existait en l’espèce.

25 Pour ces raisons, je suis incapable de conclure que l’omission du juge du procès de faire une mise en garde «claire et précise» de type Vetrovec constituait une erreur de droit. En conséquence, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir la déclaration de culpabilité inscrite par le juge du procès.

Version française des motifs des juges Iacobucci, Major et Arbour rendus par

26 Le juge Major (dissident) -- Stephen David Balogh et Albert Edward King étaient des informateurs dans un établissement de détention et des hommes à l’honnêteté douteuse. Le juge du procès a permis au jury d’apprécier leur témoignage sans lui faire une mise en garde de type Vetrovec.

27 L’intimé Frederick Alexander Brooks, déclaré coupable du meurtre au premier degré de Samantha Johnings, a été condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de bénéficier de la libération conditionnelle avant 25 ans. La Cour d’appel de l’Ontario, à la majorité, a ordonné un nouveau procès.

28 Le présent pourvoi de plein droit porte sur une question de droit soulevée dans les motifs de dissidence, à savoir si l’exposé du juge du procès au jury relativement à la déposition des deux témoins à charge de mauvaise réputation aurait dû comporter une mise en garde claire et précise conformément à l’arrêt Vetrovec c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 811.

29 En l’absence d’une mise en garde de type Vetrovec, l’exposé au jury était‑il suffisant pour pallier cette omission?

30 Dans la négative, la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, aurait‑elle dû alors s’appliquer et, le cas échéant, le verdict aurait-il nécessairement été le même?

31 À mon avis, le juge du procès aurait dû faire une mise en garde de type Vetrovec. L’exposé qu’il a fait n’équivalait pas à une telle mise en garde et n’était pas suffisant non plus. En fin de compte, on ne peut pas dire que le verdict aurait nécessairement été le même. Le pourvoi devrait donc être rejeté.

I. Les faits

32 Vers 22 h 30, le 13 décembre 1992, Samantha Johnings, qui était âgée de 19 mois, a bougé dans son sommeil quand sa tante est venue jeter un coup d’oeil sur elle avant de quitter l’appartement. Le lendemain, à 11 h, Norma Jean Johnings a trouvé sa fille Samantha morte dans sa couchette. Elle avait été assassinée et son corps avait commencé à devenir rigide. Elle avait du sang et de la vomissure au visage. Son oeil gauche était gonflé et fermé et elle avait sur la tête trois contusions provoquées par un objet contondant. Le corps était enveloppé dans une douillette verte. Sa mère a tenté en vain de la réanimer. Elle a ensuite composé le 911.

33 Seulement deux personnes avaient accès auprès de Samantha la nuit de son meurtre -- sa mère et l’intimé. L’intimé vivait dans l’appartement avec Norma Jean depuis le mois d’octobre précédent. Il n’était ni le père de Samantha ni celui de son frère nouveau‑né, Anthony.

34 Lors de l’autopsie, on a constaté la présence aux organes génitaux de Samantha d’une zone bien délimitée de contusions et de rougeurs, qui n’avait rien à voir avec un érythème fessier, mais qui pouvait résulter d’un frottement ou de l’utilisation d’un objet contondant. Des quantités infimes de sperme ont été décelées dans des échantillons prélevés sur son corps par écouvillonnage vaginal et anal. Le décès était dû à un traumatisme crânien aigu. Les blessures à la tête pouvaient, mais ne devaient pas nécessairement, avoir précédé celles au vagin et à l’anus. On a également remarqué la présence sur la fesse droite d’une lésion d’un centimètre de diamètre qui était en voie de cicatrisation.

35 Le test d’empreintes génétiques du sperme s’est révélé non concluant, vraisemblablement en raison de la contamination de l’échantillon prélevé. Ce test n’a pas permis d’établir que le sperme prélevé provenait ou ne provenait pas d’une personne en particulier.

36 Le pantalon de survêtement gris de l’intimé a été trouvé dans l’appartement et saisi le 27 janvier 1993. Il y avait sur ce pantalon des taches de sang du même groupe sanguin que celui de Samantha. Un témoin expert du ministère public a déclaré que le profil génétique du sang correspondait à celui de Samantha et qu’il y avait une chance sur 80 millions que ce profil se rencontre chez une personne de race blanche. Il y avait sur le pantalon de survêtement du sperme et du jus semblable à celui trouvé dans le biberon de Samantha. L’intimé a été inculpé de meurtre.

37 Au procès de l’intimé, Norma Jean a témoigné que, tôt le matin du 14 décembre, son nouveau‑né Anthony s’était mis à avoir des gaz et à pleurer continuellement. À maintes reprises, elle a fait les cent pas dans le corridor de l’appartement avec Anthony dans les bras, dans une vaine tentative de le calmer. À 2 h, elle a vu l’intimé envelopper Samantha dans une douillette verte alors qu’il se trouvait dans la chambre de cette dernière. Elle n’a pas jeté de coup d’oeil sur Samantha à ce moment‑là. Dans son témoignage, elle a déclaré que lorsqu’elle s’est couchée à 4 h, l’intimé avait enlevé son pantalon de survêtement gris pour mettre un pantalon de survêtement noir. Sur la route de l’hôpital le lendemain matin, l’intimé lui a chuchoté trois fois à l’oreille qu’il était désolé.

38 L’intimé a témoigné au procès et a nié les accusations. Il a nié avoir jeté un coup d’oeil sur Samantha à 2 h du matin ou l’avoir enveloppée dans la douillette. En contre‑interrogatoire, il a affirmé que son récit à la police qu’il avait enveloppé Samantha dans une douillette vers 2 h du matin avait été une [traduction] «gaffe». Il a plutôt témoigné que la douillette était sur le lit de Norma Jean et qu’il croyait qu’elle en avait recouvert Samantha.

39 Dans son témoignage, l’intimé a également dit que, le matin du 14 décembre, au moment où Samantha a été trouvée sans vie, il portait le pantalon de survêtement gris qu’il avait dû tacher de sang en tentant de la réanimer. Il a dit que la police l’avait autorisé à se changer et à enfiler un pantalon de survêtement noir avant de l’emmener au poste. L’agent Bennett a contredit ce témoignage et affirmé que l’intimé n’avait jamais demandé à changer son pantalon de survêtement et qu’au moment où il a été conduit au poste de police il portait le même pantalon de survêtement que lorsque la police est arrivée.

40 D’autres témoins ont affirmé que la relation de l’intimé avec Samantha avait été caractérisée par la violence. Dans leur témoignage, le grand‑père de Samantha, Robert Johnings, et Hayley Arkell, un enfant de 10 ans, ont indiqué que, environ un mois avant le meurtre, l’intimé avait projeté Samantha sur une distance d’environ un mètre contre l’armature en bois d’un divan.

41 Quatre membres de la famille ont confirmé que la blessure sur la fesse droite de Samantha était apparue le 5 décembre 1992, au moment où l’intimé s’occupait seul de Samantha pendant que Norma Jean donnait naissance à Anthony. L’intimé avait laissé entendre que Samantha s’était infligée cette blessure en tombant sur un petit entonnoir avec lequel elle jouait dans son bain. D’après l’opinion d’expert d’un pathologiste, la blessure ressemblait à une brûlure de cigarette et non pas à une marque d’entonnoir.

42 Une bonne partie du témoignage des experts légistes du ministère public a porté sur le sperme trouvé sur le corps de Samantha. Six spermatozoïdes ont été décelés dans un échantillon prélevé par écouvillonnage vaginal et environ cinq ont été décelés dans un échantillon prélevé par écouvillonnage anal. Les quantités étaient insuffisantes pour que l’on puisse effectuer un groupage conventionnel. Suivant le témoignage du pathologiste du ministère public, le Dr Rao, bien que le sperme éjaculé par un homme compte habituellement des millions de spermatozoïdes, l’enfant portait une couche souillée lorsqu’elle est arrivée en salle d’urgence et les prélèvements n’ont été effectués qu’après que les matières fécales eurent été enlevées. En outre, le fait qu’il n’y a eu qu’un contact superficiel et non pénétration pourrait expliquer la faible quantité de spermatozoïdes prélevés.

43 La défense a indiqué que le sperme pouvait dater de plusieurs jours et qu’il pouvait donc avoir été déposé avant le moment où l’intimé a eu accès auprès de Samantha. Une biologiste légiste du ministère public a reconnu que des études avaient montré que le sperme peut survivre jusqu’à cinq ou six jours dans le prélèvement vaginal d’une femme adulte et de deux à trois jours dans un prélèvement anal, mais elle ne connaissait l’existence d’aucune étude similaire ayant porté sur des enfants en bas âge. Toutefois, Norma Jean a témoigné qu’elle avait donné un bain à Samantha entre 22 h et 23 h, le 12 décembre, et qu’elle lui en avait donné un autre le lendemain matin. Dans son témoignage, l’intimé a affirmé que, lorsqu’il avait changé la couche de Samantha le 12 décembre, il n’avait remarqué la présence d’aucune marque dans la région vaginale de l’enfant. L’intimé a été le seul homme qui a eu accès auprès de Samantha pendant la journée du 13 décembre et la nuit qui a suivi.

44 La défense a également émis l’hypothèse que le sperme déposé sur Samantha ait provenu d’une tache de sperme comme celle trouvée sur la douillette verte. Le Dr Rao a jugé cette thèse improbable et l’a écartée. À son avis, bien que du sperme puisse parfois être découvert sur la peau d’une enfant qui a été en contact avec une tache de sperme fraîche et humide, il est peu probable que du sperme se retrouve dans l’orifice vaginal de l’enfant à la suite du simple contact avec une telle tache. La défense a prétendu que Samantha avait pu elle‑même introduire le sperme dans son vagin en tâtant cette partie de son corps. Le Dr Rao estimait qu’une enfant de 19 mois est trop jeune pour se livrer à cette activité.

45 L’expert du ministère public en matière d’ADN, le Dr Newall, a d’abord jugé que le sperme trouvé sur Samantha ne provenait pas de l’intimé, mais elle a par la suite décidé que, vu que l’échantillon avait été contaminé, il lui était impossible de conclure quoi que ce soit au sujet de la provenance possible du sperme contenu dans cet échantillon. Elle ne pouvait pas dire si le sperme prélevé provenait ou non de l’intimé.

46 Des membres de la famille de Samantha ont témoigné qu’on avait vu Norma Jean frapper Samantha à maintes reprises. Le père biologique de Samantha et d’Anthony a témoigné qu’à d’autres occasions Norma Jean s’était mise en colère et avait frappé des hommes à coups de poing.

47 Le médecin de famille de Samantha, le Dr Ambis, a témoigné que Norma Jean manquait d’expérience en tant que mère et qu’elle faisait preuve d’immaturité. Il lui avait suggéré de consulter un service d’orientation des parents, mais elle avait refusé avec colère. Cependant, on s’accordait généralement pour dire que Norma Jean aimait sa fille Samantha et que cette dernière se développait normalement et sans éprouver aucun problème de santé important.

48 Comme nous l’avons vu, c’est la preuve du ministère public constituée du témoignage des deux informateurs dans un établissement de détention, Balogh et King, qui est au coeur du présent pourvoi. Les deux ont témoigné que, pendant leur incarcération dans l’unité d’isolement du centre de détention de Hamilton‑Wentworth, l’intimé leur avait avoué avoir tué Samantha pour qu’elle cesse de pleurer. King a ajouté que, peu avant le procès, il avait été laissé seul avec l’intimé dans une cellule de détention provisoire et que l’intimé avait alors donné l’adresse de la mère de King et menacé de faire brûler la maison de celle‑ci si jamais King témoignait. Rien dans le témoignage des informateurs n’indiquait que le meurtre avait été commis au cours d’une agression sexuelle.

49 Balogh et King étaient deux personnes infâmes à l’honnêteté douteuse. L’un et l’autre avaient de lourds antécédents judiciaires de malhonnêteté. King avait informé la police qu’il offrait de témoigner dans le but d’obtenir un allégement de peine à l’égard de sa dernière condamnation, bien que cela ne se soit pas réalisé.

50 En outre, Balogh était déjà connu pour avoir abusé de substances psychoactives et il avait des antécédents psychiatriques alarmants marqués par trois tentatives de suicide, une paranoïa, une dépression profonde et la conviction qu’il avait un don de clairvoyance. De plus, les deux témoins avaient déjà offert de déposer contre d’autres accusés. L’une des accusations antérieures de Balogh résultait d’un délire paranoïde.

51 Dans sa plaidoirie finale, l’avocat de la défense a souligné les lacunes de Norma Jean en tant que mère, notamment le fait qu’elle avait frappé Samantha à plusieurs reprises, dans le but de soulever la possibilité que c’était elle, et non pas l’intimé, qui avait commis le meurtre.

52 L’avocat de la défense a invité le jury à rejeter complètement le témoignage de Balogh et de King. Dans son exposé au jury, il a utilisé des expressions telles que [traduction] «détente comique» et «incroyable». Il a dit au jury que King était un «fumiste», un «témoin mercenaire», une personne qui «saisir[ait] l’occasion de veiller avant tout à ses propres intérêts» et qui inventerait une histoire dans l’espoir d’obtenir un allégement de sa peine, sans égard au préjudice qu’elle causerait à autrui. Il a indiqué que King s’était servi des détails qu’il connaissait pour inventer une histoire complètement farfelue. L’avocat de la défense a qualifié Balogh de «triste personnage» qui n’était manifestement «pas bien dans sa peau» et qui servait «délibérément de repoussoir» à King. Il a indiqué que le récit de Balogh n’avait aucun sens et qu’il n’était pas nécessaire d’ajouter quoi que ce soit sur Balogh et King.

53 Selon le ministère public, la culpabilité de l’intimé était la seule conclusion raisonnable à tirer de la preuve. On a fait remarquer au jury que, même si Norma Jean n’était pas une mère parfaite, le sperme trouvé dans le vagin et l’anus de Samantha ne pouvait pas provenir d’elle.

54 Le ministère public a dit au jury que l’intimé était le seul homme adulte qui avait eu accès auprès de Samantha pendant la période où le sperme, dont on ne pouvait pas déterminer la provenance, avait été déposé et où les blessures au vagin et à l’anus avaient été causées.

55 L’avocat du ministère public a qualifié Balogh et King de criminels au lourd casier judiciaire. Il a mentionné le fait que King avait déjà été témoin à charge et qu’il avait déposé dans un procès antérieur pour meurtre. Le ministère public a reconnu que King avait tenté de conclure un marché afin d’éviter l’incarcération dans un pénitencier fédéral, et que, même s’il n’avait pas réussi à conclure ce marché, la police était venue confirmer que les antécédents criminels de King ne comportaient aucun acte de violence, lors de son audience visant une libération conditionnelle. Le ministère public a fait état du casier judiciaire de Balogh, mais en soulignant qu’il ne cherchait pas à conclure un marché et qu’il n’en avait conclu aucun.

56 Le juge du procès n’a pas fait la «mise en garde claire et précise» prescrite par l’arrêt Vetrovec, selon laquelle il serait dangereux de déclarer l’intimé coupable sur la foi du témoignage de Balogh et de King, à moins que ce témoignage ne soit corroboré par une preuve indépendante. Il n’a également renvoyé à aucun élément de preuve susceptible d’étayer leurs récits.

57 Aucun des avocats n’a demandé que l’exposé au jury comporte une mise en garde explicite de type Vetrovec et aucun ne s’est opposé à l’absence d’une telle mise en garde.

II. Les jugements de la Cour d’appel de l’Ontario

58 La Cour d’appel à la majorité a conclu que le juge du procès avait exercé de façon erronée son pouvoir discrétionnaire en ne faisant pas une mise en garde de type Vetrovec. Elle a conclu que la preuve du ministère public et l’exposé du juge du procès étaient insuffisants pour justifier l’application de la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel. L’appel a été accueilli et un nouveau procès ordonné: (1998), 41 O.R. (3d) 661.

59 Le juge Weiler était dissidente. À son avis, une mise en garde de type Vetrovec n’était pas nécessaire vu que le témoignage de Balogh et de King était relativement peu important pour la preuve du ministère public. En outre, les détails du témoignage dans le contexte de l’affaire étaient suffisamment dignes de foi pour surmonter les difficultés posées par leur honnêteté douteuse. Elle a conclu que l’exposé du juge du procès avait suffisamment sensibilisé le jury aux faiblesses de leur témoignage.

III. Les questions litigieuses

60 Comme nous l’avons vu, les questions litigieuses qui se posent sont les suivantes:

(1) Le juge du procès était‑il tenu de faire une mise en garde de type Vetrovec au jury?

(2) Dans l’affirmative, cette mise en garde ou une mise en garde équivalente a‑t‑elle été faite?

(3) Si la réponse à la deuxième question est négative, le sous-al. 686(1)b)(iii) du Code criminel est-il applicable?

(4) Si la réponse à la troisième question est affirmative, le sous-al. 686(1)b)(iii) devrait-il être appliqué pour réparer l’erreur commise?

IV. Analyse

61 L’analyse sera effectuée dans l’ordre suivant:

A. Historique de la règle de l’arrêt Vetrovec

B. L’omission de faire une mise en garde de type Vetrovec peut-elle constituer une erreur de droit ou une erreur judiciaire?

C. Le juge du procès était-il tenu de faire une mise en garde de type Vetrovec au jury?

D. Y a-t-il eu une mise en garde équivalente?

E. L’omission de l’avocat de la défense de solliciter une mise en garde de type Vetrovec

F. Le sous-alinéa 686(1)b)(iii) du Code criminel devrait-il être appliqué pour réparer l’erreur commise?

A. Historique de la règle de l’arrêt Vetrovec

62 La mise en garde de type Vetrovec remonte à l’ancienne règle de common law qui excluait le témoignage de quiconque avait été déclaré coupable d’une infraction majeure (felony). Cette règle se retrouve dans plusieurs décisions du début du XVIIe siècle, dont Brown c. Crashaw (1613), 2 Bulstr. 154, 80 E.R. 1028, dans laquelle le juge en chef Coke a conclu que le témoignage d’une personne qui avait déjà été déclarée coupable d’une infraction majeure devait être rejeté dans tous les cas.

63 Une raison de principe qui sous‑tendait la règle excluant le témoignage en justice des [TRADUCTION] «personnes infâmes» était de continuer de punir la personne dont le témoignage était exclu. Cette règle s’appuyait également sur une théorie de turpitude morale. En 1727, le juge en chef baron Gilbert en a expliqué ainsi la raison d’être (cité dans J. H. Wigmore, Evidence in Trials at Common Law (2e éd. 1923), vol. I, à la p. 934):

[TRADUCTION] . . . lorsqu’un homme est déclaré coupable de mensonge ou d’un autre crime contre les principes reconnus d’honnêteté et d’humanité, son serment n’a aucune valeur parce qu’il n’a pas la crédibilité d’un témoin, [. . .] et il doit être considéré comme une personne débauchée et dévergondée plutôt que comme une personne qui adhère aux principes qui enseignent la probité et la véracité.

La rigidité de la règle d’exclusion de ces témoignages a entraîné presque immédiatement l’établissement d’exceptions (voir R. c. Rudd (1775), 1 Cowp. 331, 98 E.R. 1114).

64 Au XIXe siècle, même si des déclarations de culpabilité pouvaient reposer sur de tels témoignages, les juges informaient généralement le jury qu’il serait dangereux de déclarer un prisonnier coupable sur la foi du témoignage d’un complice, à moins que ce témoignage ne soit corroboré par une preuve indépendante. Voir R. c. Jones (1809), 2 Camp. 131, 170 E.R. 1105, lord Ellenborough, à la p. 1106 E.R.:

[TRADUCTION] Personne ne peut douter sérieusement de la légalité d’une déclaration de culpabilité, même si celle-ci repose uniquement sur le témoignage d’un complice. Dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, les juges informeront le jury de ne pas croire un complice, à moins que son témoignage ne soit corroboré ou dans la seule mesure où il l’est; mais si on croit le complice, son témoignage est incontestablement suffisant pour établir les faits dont il témoigne.

(Voir également R. c. Barnard (1823), 1 Car. & P. 87, 171 E.R. 1113, et R. c. Wilkes (1836), 7 Car. & P. 272, 173 E.R. 120.)

65 On reconnaissait, par la même occasion, les faiblesses de cette règle générale d’exclusion. Les gens qui ont critiqué la règle ont souligné que l’exclusion punissait non pas le témoin qui était exclu, mais plutôt toutes les personnes qui avaient besoin de sa déposition (J. Bentham, Rationale of Judicial Evidence (1827), vol. 5, aux pp. 87 et 88). Il était évident que la règle reposait non seulement sur l’idée que de tels témoins étaient incapables de dire la vérité, mais aussi sur la présomption que les membres d’un jury étaient incapables de reconnaître un mensonge.

66 En Angleterre, la règle générale d’exclusion a été abrogée en 1843 par An Act for improving the Law of Evidence («Lord Denman’s Act»), 6 & 7 Vict., ch. 85, et au Canada, elle l’a été en 1893 par l’Acte de la preuve en Canada, 1893, S.C. 1893, ch. 31. Les complices devenaient par le fait même habiles à témoigner.

67 La pratique des mises en garde au jury s’est poursuivie après l’adoption de la Lord Denman’s Act. Même si elle constituait au départ une mesure discrétionnaire, cette pratique a fini par devenir une règle de droit établie (voir la décision R. c. Tate, [1908] 2 K.B. 680 (C.C.A.), où l’on a conclu que l’omission du juge du procès de faire une mise en garde obligerait à annuler la déclaration de culpabilité). Tel est le point de vue qui a prévalu au Canada entre la décision R. c. Baskerville, [1916] 2 K.B. 658, et l’arrêt Vetrovec rendu par notre Cour en 1982.

68 La décision du juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans Vetrovec a modifié le droit à plusieurs égards. L’arrêt Vetrovec a aboli ce qui était alors perçu comme des définitions lourdes et techniques des mots «complice» et «corroboration». Au lieu de tenter de classer un témoin comme relevant ou ne relevant pas de la définition d’un complice, il a été décidé que le juge du procès devrait examiner tous les facteurs susceptibles de porter atteinte à la crédibilité d’un témoin en particulier, pour ensuite décider si une directive particulière est nécessaire.

69 De même, le juge du procès n’était pas tenu d’appliquer la définition technique du mot «corroboration». Il devait plutôt examiner si le témoignage, évalué de façon appropriée, surmontait ses origines suspectes. Même si elle constituait un changement, cette nouvelle approche ne visait pas à porter préjudice à l’accusé. Elle ne diminuerait pas la protection dont il bénéficiait lorsqu’il était confronté à des témoins douteux. On voulait également que le jury puisse examiner cet élément de preuve plus facilement, mais avec autant de scepticisme qu’auparavant.

70 Dans l’arrêt R. c. Bevan, [1993] 2 R.C.S. 599, notre Cour a reconnu que les formalités bien établies avaient été supprimées et que la mise en garde au jury relevait du pouvoir discrétionnaire du juge du procès et n’était pas requise dans tous les cas de témoins douteux. On a également reconnu qu’il y a des cas où une mise en garde de type Vetrovec s’impose. L’omission du tribunal de faire la mise en garde qui s’impose constitue une directive erronée.

B. L’omission de faire une mise en garde de type Vetrovec peut-elle constituer une erreur de droit ou une erreur judiciaire?

71 L’appelante a prétendu que la Cour d’appel à la majorité a eu tort de considérer que la question relative à l’arrêt Vetrovec pouvait constituer une erreur de droit au sens du sous-al. 686(1)a)(ii) du Code au lieu d’une erreur judiciaire au sens du sous‑al. 686(1)a)(iii). Si le point de vue des juges majoritaires était exact, l’omission du juge du procès de faire une mise en garde de type Vetrovec serait une erreur de droit. La disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) entrerait alors en jeu, ce qui obligerait le ministère public à établir que le verdict aurait nécessairement été le même nonobstant l’erreur commise.

72 Par ailleurs, si l’omission du juge du procès était une erreur judiciaire au sens du sous‑al. 686(1)a)(iii), la disposition réparatrice ne s’appliquerait pas et la réparation consisterait à accueillir le pourvoi et à ordonner un nouveau procès, ou à inscrire un verdict d’acquittement.

73 Les dispositions du Code criminel prévoient:

686. (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict d’inaptitude à subir son procès ou de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la cour d’appel:

a) peut admettre l’appel, si elle est d’avis, selon le cas:

. . .

(ii) que le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit,

(iii) que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire;

b) peut rejeter l’appel, dans l’un ou l’autre des cas suivants:

. . .

(iii) bien qu’elle estime que, pour un motif mentionné au sous‑alinéa a)(ii), l’appel pourrait être décidé en faveur de l’appelant, elle est d’avis qu’aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit;

74 Dans l’arrêt Vetrovec, à la p. 831, le juge Dickson a décrit ainsi la nature de la décision du juge du procès de faire une mise en garde au jury:

À cause de l’infinie variété des circonstances qui se présentent dans les procès criminels, il n’est pas raisonnable de chercher à réduire en une règle, en une formule ou en une directive la notion de prudence qu’il faut exercer dans l’examen de la déposition d’un témoin. Ce qui peut être indiqué, cependant, dans certains cas, c’est une mise en garde claire et précise pour attirer l’attention du jury sur les dangers de se fier à la déposition d’un témoin sans plus de précautions.

75 Dans deux arrêts rendus après l’arrêt Vetrovec, notre Cour a indiqué que cette question n’était pas une question de droit et qu’elle n’était donc pas susceptible d’examen fondé sur le sous-al. 686(1)a)(ii): voir R. c. Hayes, [1989] 1 R.C.S. 44, et R. c. Pittman, [1994] 1 R.C.S. 148. Toutefois, dans l’arrêt Bevan, notre Cour a décidé que l’omission du juge du procès de faire une mise en garde de type Vetrovec était une erreur de droit et que le préjudice causé par cette erreur pouvait être évalué en application de la disposition réparatrice du sous-al. 686(1)b)(iii).

76 Le ministère public a invité notre Cour à adopter le point de vue proposé dans les arrêts Hayes et Pittman, selon lequel l’omission de faire la mise en garde est une erreur judiciaire, au lieu de celui de l’arrêt Bevan selon lequel cette omission est une erreur de droit. Pour décider quelle règle est préférable, il convient de noter que l’arrêt Hayes, rendu en 1989, précède l’arrêt Bevan. J’estime, en outre, que les motifs majoritaires du juge L’Heureux-Dubé, dans Hayes, sont équivoques sur ce point (voir p. 48). Dans l’arrêt Pittman, rendu après l’arrêt Bevan, notre Cour a simplement affirmé que, dans les circonstances de cette affaire, l’omission de faire une mise en garde de type Vetrovec n’avait soulevé que la possibilité d’une erreur judiciaire. Bien qu’il puisse y avoir des cas où l’omission de faire une mise en garde entraîne une erreur judiciaire, une telle omission donne généralement lieu à une erreur de droit qui est assujettie à la disposition réparatrice.

77 Aucun argument qui convainque de déroger aux principes adoptés dans l’arrêt Bevan n’a été avancé. Les erreurs et les omissions dans des exposés au jury ont toujours été considérées comme des erreurs de droit au sens du sous‑al. 686(1)a)(ii) et des dispositions qui l’ont précédé: voir Veuillette c. The King (1919), 58 R.C.S. 414; Manchuk c. The King, [1938] R.C.S. 341; Hebert c. The Queen, [1955] R.C.S. 120; Brown c. The Queen, [1962] R.C.S. 371; Colpitts c. The Queen, [1965] R.C.S. 739; Vézeau c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 277; McFall c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 321; Olbey c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 1008; Young c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 39; R. c. Simpson, [1988] 1 R.C.S. 3; R. c. Romeo, [1991] 1 R.C.S. 86; R. c. B. (F.F.), [1993] 1 R.C.S. 697; R. c. Livermore, [1995] 4 R.C.S. 123; R. c. G. (R.M.), [1996] 3 R.C.S. 362; R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128; R. c. Jacquard, [1997] 1 R.C.S. 314; R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320.

78 Le point de vue adopté dans l’arrêt Bevan est compatible avec l’application d’une mise en garde de type Vetrovec à l’utilisation du témoignage d’un enfant, qui a été faite dans l’arrêt R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223 -- les enfants constituant un groupe dont le témoignage devait être corroboré dans le passé.

C. Le juge du procès était-il tenu de faire une mise en garde de type Vetrovec au jury?

(1) Façon d’aborder la mise en garde de type Vetrovec

79 Dans l’arrêt Vetrovec, à la p. 823, le juge Dickson a décrit ainsi la façon sensée d’aborder cette question:

Plutôt que de tenter de classer un témoin dans une catégorie et de réciter ensuite des incantations rituelles, le juge du procès ferait mieux de s’attacher aux faits de la cause et d’examiner tous les facteurs susceptibles de porter atteinte à la crédibilité d’un témoin en particulier. Si, d’après lui, la crédibilité du témoin exige que le jury soit mis en garde, il peut alors donner des directives à cet effet. Si, d’autre part, il estime que le témoin est digne de foi, que ce dernier soit formellement un «complice» ou non, aucune mise en garde n’est nécessaire.

On trouve d’autres commentaires dans l’arrêt Bevan (aux pp. 614 et 615):

Même si, aux termes de l’arrêt Vetrovec, la mise en garde au jury relève du pouvoir discrétionnaire du juge du procès et n’est pas nécessaire dans tous les cas où il est question des témoignages de complices du fait ou de complices après le fait, il arrive parfois que les circonstances exigent que l’on fasse une mise en garde de type Vetrovec. Les tribunaux d’appel devraient généralement interpréter de façon libérale le pouvoir discrétionnaire du juge du procès de faire une mise en garde de type Vetrovec. Mais à mon avis, une telle mise en garde était manifestement nécessaire dans la présente affaire en ce qui concernait les témoignages de Dietrich et de Belmont.

Tous deux avaient un lourd casier judiciaire et de bonnes raisons de mentir, et ils n’ont communiqué avec la police que lorsqu’ils ont cru que leurs témoignages pourraient leur procurer un avantage, comme une mise en liberté, un abandon des accusations portées contre eux ou des paiements en argent. Au moment où ils se sont présentés, ils ont tous deux mentionné explicitement à la police qu’ils cherchaient à conclure un marché en échange de leurs témoignages contre les appelants. En outre, les témoignages de Belmont et de Dietrich incriminaient les appelants et constituaient un élément crucial de la preuve du ministère public.

Je partage l’opinion exprimée dans «Developments in the Law of Evidence: The 1992‑93 Term» (1994), 5 S.C.L.R. (2d) 421. L’auteur, M. Rosenberg (maintenant juge d’appel), a conclu que les arrêts Vetrovec et Bevan exigent que le juge du procès se concentre sur deux différents aspects de l’affaire pour déterminer si une mise en garde s’impose. Il a affirmé, à la p. 463:

[TRADUCTION] En premier lieu, le juge doit décider, de manière objective et en recourant aux moyens classiques de le faire, s’il y a une raison de douter de la crédibilité du témoin. Cela implique un examen de la preuve en vue de déterminer s’il y a des facteurs qui ont, à juste titre, amené les tribunaux à hésiter à accepter la déposition d’un témoin. Ces facteurs pourraient comprendre la participation à des activités criminelles, l’existence d’un motif de mentir en raison d’un lien avec le crime ou les autorités, le retard inexpliqué mis pour venir présenter sa version des faits, la présentation de versions différentes à d’autres occasions, les déclarations mensongères sous serment et d’autres considérations semblables. Il s’agit donc non pas de savoir si le juge du procès estime personnellement que le témoin est digne de foi, mais plutôt de savoir s’il existe des facteurs qui, d’après ce que l’expérience enseigne, exigent d’aborder avec circonspection le récit du témoin. En second lieu, le juge du procès doit évaluer l’importance que revêt le témoin pour la preuve du ministère public. Si le témoin joue un rôle relativement mineur dans l’établissement de la culpabilité, il ne sera probablement pas nécessaire de faire une mise en garde particulière au jury et d’examiner ensuite la déposition corroborante. Cependant, plus le témoin est important, plus le juge du procès est tenu de faire la mise en garde. À un certain point, comme dans le cas où le témoin joue un rôle central dans l’établissement de la culpabilité, la mise en garde est obligatoire. Je suis d’avis que cela découle de l’obligation qui incombe au juge, dans un procès criminel, d’examiner les éléments de preuve et de les rattacher aux questions en litige.

80 En résumé, deux principaux facteurs sont pertinents pour décider si une mise en garde de type Vetrovec est nécessaire: la crédibilité du témoin et l’importance que revêt la déposition du témoin pour la preuve du ministère public. Ni l’un ni l’autre facteur n’exige qu’une condition préalable particulière soit remplie pour qu’une mise en garde devienne nécessaire. Au contraire, des problèmes de crédibilité moins prononcés justifient une mise en garde lorsque le témoin est absolument essentiel à la preuve du ministère public. Si le témoin éprouve de graves problèmes de crédibilité, une mise en garde peut se révéler nécessaire même si la preuve du ministère public est solide sans la déposition de ce témoin. Bref, ces facteurs doivent être examinés ensemble et non pas indépendamment l’un de l’autre.

(2) Recommandations du rapport Kaufman

81 Depuis que notre Cour a rendu les arrêts Vetrovec et Bevan, le rapport de la Commission sur les poursuites contre Guy Paul Morin (le «rapport Kaufman»), publié en 1998, a souligné les risques extrêmes que comporte le recours à des «dénonciateurs sous garde» («informateurs dans un établissement de détention») comme témoins dans des poursuites criminelles. L’honorable Fred Kaufman, C.M., c.r., y écrit, à la p. 698:

Les dénonciateurs sous garde sont presque toujours motivés par leur intérêt personnel. Ils ont peu ou pas de respect pour la vérité ou pour le caractère sacré de leur serment ou de leur témoignage. Ils peuvent donc mentir ou dire la vérité, strictement selon leur intérêt personnel tel qu’ils le perçoivent. Il est souvent facile d’alléguer avoir recueilli une confession en milieu carcéral et difficile, voire impossible, de démontrer la fausseté de l’allégation.

Puis, à la p. 741:

La preuve déposée devant la Commission démontre le manque de fiabilité inhérent aux témoignages des dénonciateurs sous garde, leur rôle dans des erreurs judiciaires et le risque considérable que le jury ne tienne pas pleinement compte des dangers que comportent ces témoignages. À mon avis, le droit actuel a évolué au point où une mise en garde est pratiquement obligatoire dans les affaires où le témoignage d’un dénonciateur sous garde est contesté (voir R. v. Simmons [[1998] O.J. No. 152 (QL) (C.A.)]; R. v. Bevan [(1993), 82 C.C.C. (3d) 310].

Depuis la publication du rapport Kaufman, le ministère du Procureur général de l’Ontario a révisé ses politiques internes afin de mettre en oeuvre un bon nombre des recommandations du rapport. Les nouvelles politiques comprennent la mise sur pied d’un [traduction] «comité chargé de la question des informateurs dans un établissement de détention», ayant pour mission d’examiner le recours aux informateurs dans un établissement de détention lors de poursuites criminelles, afin de décider si leur utilisation en tant que témoins est dans l’intérêt public.

82 Le Ministère a également intégré dans son guide des politiques la liste de facteurs que le rapport Kaufman recommande d’examiner pour évaluer la crédibilité de l’informateur. Ces facteurs servent également de guides utiles au juge du procès appelé à déterminer si une mise en garde de type Vetrovec s’impose. Cette liste, qui se trouve aux pp. 704 à 707, peut être paraphrasée ainsi:

1. La mesure dans laquelle la déclaration est confirmée par une preuve indépendante.

2. Le caractère spécifique de la présumée déclaration. À titre d’exemple, l’allégation selon laquelle l’accusé a affirmé «J’ai tué A.B.» est facile à faire, mais très difficile à réfuter pour l’accusé.

3. La mesure dans laquelle la déclaration renferme des détails et mène à la découverte d’éléments de preuve que seul l’auteur de l’infraction connaît.

4. L’accès que l’informateur dans un établissement de détention a à des sources de renseignements extérieures (par exemple, les rapports des médias, les transcriptions de l’enquête préliminaire, etc.).

5. La réputation générale de l’informateur, qui peut ressortir de son casier judiciaire ou d’autres comportements répréhensibles.

6. Toute demande présentée par l’informateur en vue de bénéficier d’avantages particuliers et toute promesse qui a pu être faite.

7. La question de savoir si l’informateur a déjà fourni des renseignements fiables aux autorités.

8. La question de savoir si l’informateur a déjà dit avoir reçu des déclarations pendant qu’il était en détention.

9. La question de savoir si l’informateur a déjà témoigné dans des poursuites judiciaires, et l’exactitude ou la fiabilité de ce témoignage, si elle est connue.

10. La question de savoir si l’informateur a consigné par écrit ou autrement les mots qu’aurait prononcés l’accusé et, le cas échéant, s’il les a consignés à la même époque que la présumée déclaration de l’accusé.

11. Les circonstances dans lesquelles le rapport de la présumée déclaration a été fait par l’informateur (c’est-à-dire combien de temps après la déclaration a-t-il été fait, et a-t-il été présenté à plus d’un agent, etc.).

12. La façon dont ce rapport a été dressé par les policiers.

13. Tout autre témoignage connu pouvant attester de la crédibilité de l’informateur ou y porter atteinte, y compris la présence ou l’absence d’un lien quelconque entre l’accusé et l’informateur.

14. Tout renseignement pertinent contenu dans un registre d’informateurs.

Un autre facteur utile, qui n’est pas mentionné expressément dans le rapport Kaufman mais qui a été ajouté à la liste du guide des politiques du ministère du Procureur général de l’Ontario, est le suivant:

[traduction]

15. Tout rapport médical ou psychiatrique concernant l’informateur dans un établissement de détention, lorsque cela est pertinent. . .

83 En l’espèce, le juge du procès ne bénéficiait pas du rapport Kaufman. Toutefois, maintenant qu’il est disponible, les juges du procès devraient tenir compte de facteurs comme ceux‑ci pour décider si une mise en garde de type Vetrovec s’impose dans les circonstances d’un procès donné.

(3) Application aux faits de la présente affaire

a) Crédibilité des témoins

84 Il ressort d’un examen attentif des facteurs pertinents pour décider si une mise en garde de type Vetrovec s’impose au départ que la crédibilité de Balogh et de King était intrinsèquement douteuse. Bien que le juge du procès jouisse d’un large pouvoir discrétionnaire de décider s’il y a lieu de faire une mise en garde, il est tenu d’exercer ce pouvoir de manière raisonnable. À mon avis, les risques liés au recours à des informateurs dans un établissement de détention, conjugués avec la réputation des témoins et les conditions qui doivent être prises en compte selon le rapport Kaufman, auraient dû amener le juge du procès à faire une mise en garde de type Vetrovec dans le cadre d’un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire.

85 Il convient d’examiner de nouveau de façon plus détaillée la personnalité et la réputation des informateurs en cause dans le présent pourvoi, qui étaient des compagnons de cellule à l’époque pertinente. Balogh était âgé de 32 ans au moment du procès et pourtant il avait déjà fait l’objet de 25 déclarations de culpabilité criminelle. Il avait notamment été déclaré coupable d’introduction par effraction et de vol, de possession de biens criminellement obtenus, de vol de plus de 200 $, de méfait à l’égard d’un bien privé, de s’être trouvé illégalement en liberté, de conduite dangereuse, d’avoir pris possession d’une automobile sans le consentement du propriétaire, de violation des conditions de probation, de défaut de comparaître, de non‑respect d’engagements et de possession d’une substance en contravention de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. (1985), ch. N-1.

86 Pour sa part, King a avoué qu’il était un cambrioleur professionnel. Bien qu’il fût âgé de 24 ans seulement au moment du procès, son casier judiciaire comportait déjà 18 déclarations de culpabilité d’introduction par effraction et de vol.

87 Balogh et King avaient tous deux déjà offert de témoigner contre d’autres accusés. Même si, en fait, Balogh n’avait jamais été appelé à témoigner, il avait offert des renseignements à trois reprises. À l’une de ces occasions, il avait allégué qu’un sergent de police et un détenu avaient comploté pour fabriquer une preuve contre un accusé, allégation qui s’est par la suite révélée être le fruit de sa paranoïa. Deux ans avant le procès de l’intimé, King avait témoigné contre un ancien camarade de classe nommé McCullough et avait bénéficié en contrepartie d’une peine moins lourde.

88 King a admis qu’il avait offert de témoigner contre l’intimé pour la même raison qu’il avait offert de témoigner contre McCullough. Plus particulièrement, il devait se voir infliger tout au plus une peine de deux ans moins un jour pour éviter l’incarcération dans un établissement fédéral. Même si, en réalité, King s’est vu infliger une peine de trois ans, on lui a promis qu’il jouirait d’une protection particulière pendant son incarcération. Deux policiers ont en outre accepté de témoigner en sa faveur lors d’une audience visant une libération conditionnelle.

89 Quant à Balogh, il fréquentait les hôpitaux psychiatriques depuis l’âge de 15 ans. Il avait tenté de se suicider à au moins trois reprises. En 1989, l’on s’était interrogé sur son aptitude à subir un procès, du fait qu’il entendait des voix et qu’il souffrait de paranoïa et d’une grave dépression. Balogh croyait avoir eu plusieurs expériences de clairvoyance et prémonitions au fil des ans. On lui avait prescrit des médicaments pour guérir sa dépression, mais le LSD, la marijuana et l’alcool étaient ses drogues préférées.

b) Importance de la déposition des témoins

90 Les témoignages de Balogh et King étaient importants mais non cruciaux pour la preuve du ministère public contre l’intimé. Ils étaient incriminants et pertinents. Dans l’arrêt Bevan, le témoignage en cause était déterminant et a donc été jugé crucial. En l’espèce, le témoignage de Balogh et de King n’a pas atteint ce seuil. Il incriminait l’accusé relativement à des voies de fait causant la mort, mais ne l’impliquait pas relativement à l’agression sexuelle, une condition nécessaire à l’obtention d’une déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré.

91 Même si le ministère public avait constitué une preuve circonstancielle indépendante contre l’accusé, le témoignage de l’informateur dans un établissement de détention était suffisamment important pour nécessiter une mise en garde de type Vetrovec. Le jury avait le droit d’être sensibilisé aux faiblesses de ce témoignage s’il était pour l’entendre.

(4) Conclusion sur la nécessité d’une mise en garde de type Vetrovec

92 Le pouvoir discrétionnaire d’un juge du procès ne devrait pas faire l’objet d’une intervention à la légère en appel s’il est bien exercé. Selon moi, le juge du procès a omis, en l’espèce, d’évaluer le témoignage de Balogh et de King en fonction des facteurs énoncés plus haut. S’il l’avait fait, il aurait conclu qu’il faudrait faire preuve d’une prudence extrême en abordant leur témoignage et la mise en garde appropriée aurait suivi. Une mise en garde de type Vetrovec s’imposait d’après les faits de la présente affaire.

D. Y a-t-il eu une mise en garde équivalente?

93 L’on a soutenu que l’exposé du juge du procès au jury incluait les éléments essentiels d’une mise en garde de type Vetrovec. L’on a fait valoir que, de façon globale, l’exposé équivalait à cette mise en garde. Je ne suis pas de cet avis. L’arrêt Vetrovec parle d’«une mise en garde claire et précise pour attirer l’attention du jury sur les dangers de se fier à la déposition d’un témoin sans plus» (p. 831). Un examen de l’ensemble de l’exposé au jury ne révèle pas l’existence d’une mise en garde claire et précise.

94 Qu’est-ce qui constitue alors une mise en garde claire et précise? Il est évident qu’il n’existe aucune formule ni aucun langage particuliers à cet égard. Une mise en garde de type Vetrovec appropriée doit à tout le moins attirer l’attention du jury expressément sur la preuve intrinsèquement peu fiable. Elle devrait renvoyer aux traits du témoin qui soulèvent des doutes sérieux quant à la crédibilité de sa déposition. Elle devrait souligner clairement les dangers qu’il y a à déclarer un accusé coupable sur la foi d’un tel témoignage, à moins que ce témoignage ne soit confirmé par une preuve indépendante.

95 La mise en garde n’est pas sans comporter un risque pour l’accusé étant donné qu’elle doit être assortie d’une mention des éléments de preuve susceptibles de fournir une confirmation indépendante de la déposition du témoin douteux. La confirmation indépendante vise d’autres éléments de preuve qui étayeraient la crédibilité du témoin en question. Cela ne signifie pas une mention de tout autre élément étayant la preuve du ministère public. On ne sait pas exactement quels sont les autres éléments de preuve que le juge du procès aurait pu mentionner pour renforcer la crédibilité du témoignage de Balogh et de King.

96 Le rapport Kaufman recommande, aux pp. 741 et 742, que le juge du procès mette en garde le jury en des termes encore plus forts que ceux habituellement utilisés pour faire une mise en garde de type Vetrovec. Le rapport recommande, en particulier, que la mise en garde souligne le fait que les informateurs dans un établissement de détention sont presque tous motivés par leur intérêt personnel et que, dans le passé, de tels témoignages se sont révélés mensongers et ont entraîné des erreurs judiciaires sous forme de condamnations injustes. Il est en outre recommandé que la mise en garde soit faite non seulement au cours de l’exposé au jury, mais également immédiatement avant ou après la présentation de la preuve du ministère public.

97 Notre droit ne va pas aussi loin que la recommandation du rapport Kaufman. Les mesures additionnelles proposées dans le rapport ne sont pas actuellement nécessaires à la tenue d’un procès équitable. Une mise en garde de type Vetrovec appropriée suffit. Dans un cas particulier, le juge du procès peut néanmoins estimer que la précaution additionnelle est utile pour souligner le manque de fiabilité de témoins douteux.

98 En l’espèce, bien que le juge du procès ait effectivement indiqué des problèmes posés par le témoignage de Balogh et de King, il l’a fait au cours d’un long examen point par point de la preuve et dans le cadre de son analyse générale de la crédibilité. Au lieu de demander de prêter une attention particulière aux problèmes posés par le témoignage de Balogh et de King, le juge du procès a simplement résumé et réitéré les problèmes que l’interrogatoire principal et le contre-interrogatoire ont permis de découvrir dans leur témoignage. Le fait que l’avocat de la défense a contesté leur témoignage dans son exposé au jury ne remplace pas les directives du juge du procès.

E. L’omission de l’avocat de la défense de solliciter une mise en garde de type Vetrovec

99 L’absence de demande par l’avocat de la défense n’est pas déterminante quant à savoir si, sur le plan du droit, l’exposé du juge du procès au jury doit comporter une mise en garde de type Vetrovec. C’est le juge du procès qui, en définitive, doit se prononcer sur cette question. Toutefois, on a souvent reconnu que, pour évaluer le préjudice causé, il faut tenir compte du fait que l’avocat n’a pas demandé de remédier à l’absence de directives ou aux directives erronées qui ont été données.

100 En l’espèce, l’avocat de la défense n’a pas demandé que l’exposé comporte une mise en garde de type Vetrovec. Quoiqu’elle soit habituellement utile, la mise en garde de type Vetrovec risque d’avoir l’effet contraire. Il en est ainsi car, après avoir fait la mise en garde, le juge du procès doit indiquer, s’il en est, l’existence d’une preuve indépendante qui étaye le témoignage contesté. Le fait d’attirer l’attention sur une telle preuve, dans les cas où elle existe, peut comporter un risque plus grand que l’avantage que présente la mise en garde. Pour cette raison, il se peut que la défense choisisse de ne pas solliciter une mise en garde pour des raisons tactiques. Par ailleurs, il se peut que l’avocat de la défense n’ait pas demandé de mise en garde simplement par mégarde ou par inadvertance. Quoi qu’il en soit, j’estime que le préjudice causé par l’absence d’une mise en garde de type Vetrovec est important.

101 Lorsqu’il s’agit de décider s’il y a lieu d’inclure une mise en garde de type Vetrovec, le fait que l’avocat de la défense n’ait pas demandé expressément une telle mise en garde n’écarte pas la responsabilité du juge du procès. Cependant, il serait sans doute utile au juge du procès de demander aux avocats du ministère public et de la défense de soumettre, en l’absence du jury, des arguments sur la question de savoir s’il y a lieu de faire une mise en garde.

F. Le sous-alinéa 686(1)b)(iii) du Code criminel devrait-il être appliqué pour réparer l’erreur commise?

102 L’on a soutenu que, si le témoignage était suffisamment important pour requérir une mise en garde de type Vetrovec, il s’ensuit nécessairement qu’en l’absence de ce témoignage l’on ne saurait affirmer que le verdict aurait nécessairement été le même. Cet argument n’est pas bien fondé. Il semble évident qu’il peut y avoir des cas où le témoignage écarté en raison de l’absence d’une mise en garde de type Vetrovec, bien qu’important par définition, n’est pas crucial. En pareils cas, les autres éléments de preuve justifieront à eux seuls la déclaration de culpabilité.

103 Il faudra déterminer, dans chaque cas particulier, quel effet a eu l’exclusion du témoignage douteux, en l’absence d’une mise en garde de type Vetrovec. Dans la plupart des cas, il semble probable que le témoignage écarté ne permettra pas le recours à la disposition réparatrice du sous-al. 686(1)b)(iii). Cependant, il semble tout aussi clair qu’il y aura des cas où il n’y aura aucune possibilité que le résultat eût été différent si le témoignage en cause n’avait pas été écarté.

104 Dans l’arrêt Bevan, aux pp. 616 et 617, notre Cour décrit ainsi la nature du critère auquel le ministère public doit satisfaire selon le sous‑al. 686(1)b)(iii):

Pour déterminer si l’erreur du juge du procès a causé un tort important ou une erreur judiciaire grave, il faut se demander si «le verdict aurait nécessairement été le même si cette erreur ne s’était pas produite»: voir Colpitts c. The Queen, [1965] R.C.S. 739, le juge Cartwright (plus tard Juge en chef), à la p. 744; Wildman c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 311, aux pp. 328 et 329. On a également formulé le critère de la façon suivante: existe-t-il une possibilité que, n’eût été l’erreur commise, le juge ou un jury ayant reçu des directives appropriées ait acquitté l’accusé?: voir Colpitts, le juge Spence, à la p. 756; R. c. S. (P.L.), [1991] 1 R.C.S. 909, le juge Sopinka, à la p. 919; R. c. Broyles, [1991] 3 R.C.S. 595, à la p. 620; R. c. B. (F.F.), [1993] 1 R.C.S. 697, le juge Iacobucci, aux pp. 736 et 737. Je ne crois pas que ces deux énoncés aient un sens différent. Dans les deux cas, la tâche de la cour d’appel consiste à déterminer s’il existe une possibilité raisonnable que le verdict eût été différent en l’absence de l’erreur en question.

105 À mon avis, l’omission du juge du procès de faire une mise en garde de type Vetrovec constituait une directive erronée en droit. Il s’agit alors de savoir si, compte tenu de l’ensemble de la preuve, le critère de l’arrêt Bevan est respecté. Le résultat aurait‑il nécessairement été le même?

106 La preuve pertinente au procès était le témoignage de Balogh et de King selon lequel l’accusé leur avait dit qu’il avait frappé le bébé à la tête, que le bébé avait commencé à étouffer et qu’il avait ensuite cessé de bouger. Aucune agression sexuelle n’était mentionnée. J’estime que l’examen suivant de la preuve présentée soulève un doute quant à savoir si une agression sexuelle a vraiment eu lieu à l’époque en question.

107 Il existait une preuve que l’accusé était l’unique personne de sexe masculin qui s’était trouvée seule avec Samantha le soir du meurtre et que du sperme avait été trouvé sur le corps de cette dernière. La force probante de cette preuve était amoindrie par l’incapacité du témoin expert du ministère public de déterminer depuis combien de temps le sperme avait été déposé et d’où il provenait. Cette incertitude a eu pour effet d’anéantir la thèse de l’occasion exclusive soutenue par le ministère public.

108 Il y avait une preuve que l’appartement avait été le théâtre d’une activité sexuelle intense au cours des semaines ayant précédé le décès de la victime, et qu’il était négligé. Du sperme a été découvert sur un jouet qui se trouvait dans le lit de Samantha, sur le collet de son haut de pyjama, sur les draps de son lit et à deux endroits sur la douillette verte dans laquelle elle avait été enveloppée. Au moins un de ces échantillons a été décrit comme provenant non pas de l’accusé, mais plutôt du père biologique de l’enfant.

109 Les taches de sperme les plus importantes ont été décelées sur la douillette verte. On a trouvé dans le mélange séminal de l’ADN correspondant à celui de l’intimé et à celui de Norma Jean. Cependant, des témoignages ont indiqué que ces derniers avaient des rapports sexuels environ 25 fois par semaine, et ce, habituellement sur le lit où se trouvait la douillette verte. Cela confirme que, outre la nuit du meurtre, il y avait eu de nombreuses occasions où le sperme de l’accusé pouvait avoir été déposé sur le lit et sur la douillette verte.

110 Même si la pathologiste, le Dr Rao, jugeait improbable que le sperme prélevé sur Samantha ait pu provenir de cette tache, son témoignage n’a pas permis d’écarter cette possibilité. Vu la présence de sperme partout dans l’appartement, il se pouvait que des quantités infimes, qui étaient tout ce qui s’y trouvait, se soient retrouvées dans le vagin et l’anus de Samantha. Le sperme qui se trouvait à l’intérieur de ces orifices, mais près du bord de ceux-ci, ne prouvait pas qu’il y avait eu pénétration et pouvait s’y être retrouvé fortuitement. Par exemple, il se pouvait que du sperme que Norma Jean ou l’intimé avait sur les mains se soit retrouvé sur Samantha au moment où ils l’essuyaient lors d’un changement de couche ou pendant qu’ils la séchaient après un bain. En conséquence, même cet élément de preuve susceptible d’être fort accablant dont disposait le ministère public était contestable.

111 L’on n’a pu établir que le sperme prélevé dans le corps de Samantha y avait été déposé la nuit de son décès. Le témoin expert du ministère public a affirmé que les échantillons de sperme provenant d’un adulte peuvent survivre dans un prélèvement vaginal pendant cinq ou six jours, et pendant deux ou trois jours dans un prélèvement rectal, mais elle ne connaissait l’existence d’aucune étude similaire ayant porté sur des enfants en bas âge.

112 Compte tenu de ce qui précède, il y a de sérieux doutes, comme nous l’avons vu, quant à savoir si une agression sexuelle a été commise ce soir-là ou aux petites heures du matin. En l’absence d’une agression sexuelle, la déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré ne saurait être maintenue même si la déposition des témoins douteux est acceptée.

113 Au cours des jours qui ont précédé son décès, Samantha s’était trouvée en présence d’autres adultes de sexe masculin. Elle avait vu son grand-père le 11 décembre. Le jury a entendu des témoignages suivant lesquels ce dernier avait agressé sexuellement sa propre fille, Norma Jean, lorsqu’elle était enfant. En outre, Charles Furry, le conjoint de fait de la grand-mère de Samantha, était resté seul avec Samantha le 12 décembre, de 18 h à 22 h, alors qu’il la gardait.

114 Certains éléments de preuve indiquaient la présence, sur le pantalon de survêtement gris que portait l’accusé la nuit du meurtre, de taches de sang de Samantha et de jus de fruit semblable à celui trouvé dans le biberon de cette dernière. Si l’accusé portait le pantalon gris au moment de l’agression, cela expliquait la présence des taches de sang et de jus de fruit sur ce pantalon. D’autres éléments de preuve indiquaient que l’accusé avait enlevé son pantalon de survêtement gris pour enfiler son pantalon noir avant de tenter de réanimer Samantha. Si cela avait été le cas et qu’il avait porté son pantalon noir au moment où il tentait de réanimer Samantha, le sang et le jus n’auraient pas alors été déposés sur son pantalon gris au moment de la tentative de réanimation. Norma Jean et le policier ont tous deux témoigné d’une manière qui pouvait laisser croire que l’accusé avait changé de pantalon avant le moment qu’il avait indiqué.

115 De graves soupçons pesaient sur l’accusé en raison de ces éléments de preuve. Cependant, vu les circonstances discordantes qui ont entouré le témoignage au procès, cet élément de preuve, à lui seul et tel qu’il a été présenté, n’aurait pas nécessairement amené le jury à rendre le même verdict. Il existait une preuve que l’accusé avait affirmé qu’il était désolé et qu’il avait répété cela à plus d’une reprise en se rendant à l’hôpital. Mais il n’y avait aucune preuve de la raison pour laquelle il était désolé.

116 La preuve du ministère public reposait en partie sur la thèse voulant que l’accusé ait été la seule personne de sexe masculin qui avait eu l’occasion d’assassiner Samantha mais, comme nous l’avons vu, la preuve relative à la détermination de la provenance du sperme n’était pas concluante. Par conséquent, il s’agit de savoir si l’accusé était la seule personne, peu importe son sexe, qui avait eu l’occasion de commettre ce crime.

117 La réponse est non. La mère a eu autant d’occasions que l’intimé de perpétrer ce crime. Cela est important si on considère les témoignages déjà soulignés qui indiquaient que la mère, Norma Jean, avait des accès de colère. Plusieurs témoins ont déposé qu’ils l’avaient vue à maintes reprises frapper Samantha au visage. La violence régnait dans l’appartement où il y avait des signes de mauvais traitements physiques infligés par la mère et l’accusé, et par des visiteurs comme le grand-père de Samantha qui, dans le passé, avait commis des agressions.

118 De même, le témoignage de Norma Jean comportait plusieurs contradictions que l’avocat de la défense a relevées. Premièrement, Norma Jean a témoigné que le matin qui a suivi le meurtre, elle avait été réveillée à 11 h par sa mère qui cognait à la porte. Cependant, un adjoint du bureau du médecin des Johnings a témoigné que Norma Jean avait appelé au bureau à 10 h 25 pour vérifier un rendez-vous pour Anthony. Norma Jean nie avoir jamais fait cet appel. De plus, la mère de Norma Jean a témoigné que, lorsque Norma Jean a répondu à la porte ce matin-là, une bouteille était déjà en train de chauffer dans le four à micro-ondes, ce qui contredit le témoignage de Norma Jean qu’elle ne s’était réveillée qu’à l’arrivée de sa mère. Ce sont des contradictions de ce genre qui contribuent à susciter un doute raisonnable.

119 Une autre question soulevée par la preuve est celle de savoir comment il se fait que Norma Jean n’ait rien entendu au moment où Samantha était agressée et assassinée. L’autopsie a révélé la présence de multiples blessures à la tête provoquées par un objet contondant. Il semble invraisemblable que ces blessures aient pu être infligées sans bruit. De plus, Norma Jean a témoigné avoir vu l’intimé envelopper Samantha dans une douillette verte vers 2 h du matin. Si l’intimé est le coupable, l’agression sexuelle, à supposer qu’elle ait eu lieu, et le meurtre ont fort probablement été perpétrés avant cela. Cependant, Norma Jean a elle-même témoigné que cela faisait alors au moins une heure et demie qu’elle faisait les cent pas dans le corridor pour calmer Anthony qui pleurait. N’aurait-elle pas entendu l’intimé faire du mal à Samantha? De plus, Norma a témoigné que, même après 2 h, elle dormait sur le divan avec Anthony et qu’elle était une personne au sommeil léger. Si cela avait été le cas, on se serait attendu à ce qu’elle entende tout acte de violence commis par l’intimé pendant cette période.

120 Une troisième contradiction qui se dégage du témoignage de Norma Jean est qu’elle a prétendu avoir trouvé Samantha dans sa couchette, puis l’avoir amenée à la course dans la salle de bains en tentant de la réanimer. Des quantités importantes de sang et de vomissure ont été découvertes dans la baignoire. De plus, même s’ils étaient séchés lorsque la police est arrivée, le sang et la vomissure avaient nettement été dans un état relativement liquide à un moment donné, car les photographies montrent qu’ils avaient coulé vers le renvoi de la baignoire. Si le sang et la vomissure avaient été à l’état liquide lorsque Samantha a été trouvée, pourquoi n’en a-t-on pas trouvé entre la couchette et la baignoire? N’aurait‑il pas été vraisemblable qu’il en tombe pendant que Norma Jean se précipitait avec Samantha vers la salle de bains?

121 En outre, il y a la déposition d’autres témoins qui indiquait que les difficultés qu’éprouvait Norma Jean à s’occuper de ses enfants s’étaient accrues au fil des jours qui avaient précédé le décès de Samantha. Par exemple, la mère de l’intimé a témoigné qu’à 2 h, alors qu’elle était au téléphone avec l’intimé (qui demandait des conseils sur la façon de calmer Anthony), elle a entendu Norma Jean crier [traduction] «Je n’en peux plus!» De même, le père de Norma Jean, Robert Johnings, a témoigné que sa fille avait de la difficulté à venir à bout de la jalousie que Samantha éprouvait envers son nouveau frère. Samantha avait frappé son petit frère à plus d’une reprise et Norma Jean avait répliqué en la giflant. Le soir du décès de Samantha, Norma Jean avait téléphoné à Robert Johnings pour lui demander s’il viendrait chercher Samantha pour la soirée parce qu’elle était incapable de s’occuper des deux enfants.

122 Le tempérament de la mère, les difficultés familiales, les différentes contradictions dans son récit et les antécédents de mauvais traitements physiques de la part d’occupants ou de visiteurs de l’appartement étaient susceptibles de susciter un doute raisonnable dans l’esprit des membres du jury quant à la culpabilité de l’intimé.

123 La présente analyse avait pour but d’examiner la question soulevée dans l’arrêt Bevan: Y a‑t‑il une possibilité raisonnable que le verdict n’eût pas nécessairement été le même? Il y avait des éléments de preuve impliquant l’accusé, mais il m’est difficile d’écarter la possibilité que le résultat eût été différent si des directives appropriées avaient été données au sujet du témoignage des informateurs dans un établissement de détention.

V. Conclusion

124 Je partage l’opinion exprimée par la Cour d’appel et je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l’ordonnance enjoignant de tenir un nouveau procès.

125 Dans les cas où un nouveau procès est ordonné, une cour d’appel évite autant que possible de faire des commentaires sur la preuve. C’est pour cette raison qu’en l’espèce la preuve n’a été examinée que dans la mesure où c’était nécessaire pour tirer une conclusion sur le résultat qui devrait découler de la directive erronée et non pour juger d’avance ou laisser entendre que l’on devrait arriver à un résultat différent.

126 Il est entendu qu’il se peut que de nouveaux éléments de preuve soient présentés lors du nouveau procès ou que les mêmes éléments de preuve y soient présentés de la même manière ou d’une manière différente, et rien de ce qui a été dit au sujet de la preuve dans les présents motifs ne devrait influer sur le nouveau procès.

Version française des motifs rendus par

127 Le juge Binnie — Je tire la même conclusion que le juge Bastarache, mais à l’issue d’un raisonnement différent. À mon sens, le témoignage des «informateurs dans un établissement de détention» entendu en l’espèce accusait des signes notoires de non‑fiabilité, dont l’occasion de mentir pour obtenir un avantage personnel, et le jury aurait dû recevoir une mise en garde claire et précise en ce sens. Comme l’ont conclu le juge Major et les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Ontario, le juge du procès a commis une erreur de droit en omettant de faire une telle mise en garde. En même temps et en toute déférence, je ne partage pas la conclusion que cette erreur de droit oblige à tenir un nouveau procès. Compte tenu des autres éléments de preuve défavorables à l’intimé que le jury a nécessairement retenus en rendant son verdict de culpabilité de meurtre au premier degré, je crois, en toute déférence pour ceux qui sont d’avis contraire, qu’il n’existe aucune possibilité raisonnable que le verdict eût été différent si l’erreur de droit n’avait pas été commise.

128 Depuis un certain nombre d’années, les tribunaux sont de plus en plus préoccupés par la possibilité que les témoignages d’informateurs dans un établissement de détention aient entraîné, dans le passé, des déclarations de culpabilité erronées, et ils estiment qu’il y a lieu de les traiter avec un soin particulier: R. c. Frumusa (1996), 112 C.C.C. (3d) 211 (C.A. Ont.); R. c. Simmons (1998), 105 O.A.C. 360 (C.A.); rapport de la Commission sur les poursuites contre Guy Paul Morin, l’honorable Fred Kaufman, C.M., c.r., 1998; C. Sherrin, «Jailhouse Informants, Part I: Problems with their Use» (1998), 40 C.L.Q. 106, et «Jailhouse Informants in the Canadian Criminal Justice System, Part II: Options for Reform» (1998), 40 C.L.Q. 157; Report of the 1989‑1990 Los Angeles Grand Jury: Investigation of the Involvement of Jail House Informants in the Criminal Justice System in Los Angeles County (26 juin 1990). L’analyse la plus approfondie de cette question au Canada se trouve dans le rapport Kaufman, qui conclut ce qui suit, à la p. 741:

La preuve déposée devant la Commission démontre le manque de fiabilité inhérent aux témoignages des dénonciateurs sous garde, leur rôle dans des erreurs judiciaires et le risque considérable que le jury ne tienne pas pleinement compte des dangers que comportent ces témoignages. [Italiques ajoutés.]

129 L’arrêt de notre Cour Vetrovec c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 811, n’empêche pas de prendre des mesures appropriées pour remédier à cette crainte. L’arrêt Vetrovec portait non pas sur les informateurs dans un établissement de détention comme tels, mais, de façon plus générale, sur la règle de la corroboration applicable au témoignage d’un complice. Dans cette affaire, le juge du procès avait fait une mise en garde très précise au sujet du danger de prononcer une déclaration de culpabilité sur la foi du témoignage non corroboré d’un complice, et le pourvoi portait sur la question de savoir si le juge du procès avait eu raison de renvoyer subséquemment à des éléments de preuve qui, selon lui, étaient susceptibles d’avoir un effet de corroboration. Dans ce contexte, le juge Dickson s’est élevé contre «une règle unique et invariable pour tous les complices» et «un formalisme aveugle et vide de sens» (p. 823). La Cour a confirmé à l’unanimité que, dans ce domaine comme dans d’autres domaines, une étiquette ne remplace pas une analyse. Cela étant dit, l’expression «informateur dans un établissement de détention» («dénonciateur sous garde» dans le rapport Kaufman) englobe un certain nombre de facteurs très pertinents en ce qui concerne la nécessité de faire preuve de circonspection, dont le fait que l’informateur dans un établissement de détention est déjà assujetti à l’autorité de l’État, qu’il cherche à améliorer son sort dans un milieu carcéral où le pouvoir de négociation est par ailleurs difficile à obtenir et qu’il a souvent des antécédents criminels. Cela ne revient pas à nier la possibilité que le témoignage d’un informateur dans un établissement de détention soit parfois digne de foi. Le besoin de circonspection ne découle pas tant de l’étiquette d’«informateur dans un établissement de détention» que de la mesure dans laquelle de tels motifs de non-fiabilité potentielle existent dans un cas particulier. Le témoignage de Balogh et de King présentait certaines des pires caractéristiques des gens qui rapportent les aveux d’un codétenu. Les deux étaient des criminels de carrière qui avaient déjà offert de présenter des témoignages incriminants dans l’espoir d’obtenir un avantage personnel. Ils avaient tenté de rentrer dans les bonnes grâces de l’intimé en lui offrant de [traduction] «faire liquider son amie». Il s’agissait d’une ruse destinée à gagner sa confiance et à lui délier la langue. Dans les circonstances, l’omission de l’avocat de solliciter une mise en garde de type Vetrovec est pertinente en ce qui concerne l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge du procès, mais n’a pas pour effet de sauvegarder un exposé qui, sur le plan du droit, est inadéquat. En l’espèce, on aurait dû recommander au jury d’agir avec circonspection.

130 Il ne suffit pas, selon moi, de dire que ces témoins particuliers semblent avoir donné au juge du procès l’impression qu’ils étaient raisonnablement dignes de foi. Ce qui nous préoccupe en l’espèce, ce sont les faiblesses qui, dans le passé, ont été liées aux aveux d’un détenu rapportés par un codétenu. Il a été confirmé, dans l’arrêt Vetrovec, que la cour peut légitimement tenir compte de ces facteurs, et cette confirmation a été reprise et explicitée par M. Rosenberg (maintenant juge d’appel) dans «Developments in the Law of Evidence: The 1992‑93 Term» (1994), 5 S.C.L.R. (2d) 421, à la p. 463:

[traduction] Il s’agit donc non pas de savoir si le juge du procès estime personnellement que le témoin est digne de foi, mais plutôt de savoir s’il existe des facteurs qui, d’après ce que l’expérience enseigne, exigent d’aborder avec circonspection le récit du témoin.

Les jurés ne bénéficieront vraisemblablement de cette «expérience» que si elle leur est transmise par le juge du procès dans la «mise en garde claire et précise» envisagée par l’arrêt Vetrovec. Bien que l’on puisse prétendre que certains passages de ses motifs portent sur l’appréciation par le juge du procès de la crédibilité d’un témoin particulier, le juge Dickson a également souligné qu’il appartient au jury et non pas au juge du procès d’apprécier la crédibilité d’un témoin donné. Le rôle du juge du procès consiste à établir le cadre approprié à l’intérieur duquel cette crédibilité peut être appréciée et, à cet égard, il n’y a pas lieu de passer sous silence les problèmes que certains types de témoignage ont posés dans le passé. Il me semble qu’une inférence de non-fiabilité est justifiée dans le cas d’informateurs dans un établissement de détention qui présentent un profil comme celui de Balogh et de King, et qu’en règle générale il y a lieu de faire une mise en garde de type Vetrovec en pareils cas.

131 Le juge Major a examiné les faiblesses de leur témoignage et je souscris à ses conclusions que le recours de la poursuite à des informateurs dans un établissement de détention requiert généralement que l’on fasse preuve d’une prudence particulière, et que le témoignage que les informateurs dans un établissement de détention ont fait en l’espèce montrait les dangers que comporte ce genre de preuve. Le juge du procès ne semble pas avoir tenu compte de ces facteurs pertinents et il a donc exercé son pouvoir discrétionnaire de façon erronée. Il suffisait que leurs témoignages aient été «importants mais non cruciaux pour la preuve du ministère public contre l’intimé» (par. 90) pour qu’une mise en garde de type Vetrovec doive être faite. Je crois qu’il sera rare qu’un aveu qui aurait été fait dans un établissement de détention ne sera pas considéré comme un élément de preuve important contre l’accusé.

132 Mon collègue le juge Bastarache conclut que, dans ses directives au jury, le juge du procès a évoqué amplement les dangers liés au témoignage de Balogh et de King. Je ne suis pas d’accord. Comme l’affirmait le juge Dickson dans l’arrêt Vetrovec, précité, à la p. 831, le juge du procès n’a pas clairement «attir[é] l’attention du jury sur les dangers de se fier à la déposition d’un témoin sans plus». Un guide utile à cet égard est la remarque que le juge Osborne de la Cour d’appel de l’Ontario a faite dans ses motifs dissidents dans R. c. Bevan (1991), 63 C.C.C. (3d) 333, aux pp. 361 et 362:

[traduction] Cependant, dans les cas où une mise en garde claire et précise s’impose, il me semble d’une importance fondamentale que sa forme tienne compte du fait qu’elle a pour but d’amener le jury à prêter une attention particulière au danger de déclarer un accusé coupable sur la foi de la déposition d’un témoin qui peut être perçu comme indigne de foi en raison notamment de son intérêt personnel. Ainsi, ce témoin doit être mis à part, c’est‑à dire considéré séparément. Le jury doit être invité à examiner soigneusement la preuve pour y trouver des éléments qui confirment ou étayent la déposition du témoin dont on dit qu’il a des raisons de mentir ou dont l’honnêteté est douteuse [. . .] À mon avis, il est préférable, dans la plupart des cas, que le juge du procès explique au jury pourquoi un témoin donné doit faire l’objet d’un examen spécial, c’est‑à‑dire pourquoi il y a lieu de passer au crible sa crédibilité. [Je souligne.]

133 Pendant les directives qu’il a données en l’espèce (dont la transcription compte presque 100 pages), le juge du procès n’a fait qu’une seule mise en garde particulière concernant la crédibilité de Balogh et de King, savoir que le jury devrait tenir compte de leur casier judiciaire respectif [traduction] «en évaluant la crédibilité et la valeur de leur témoignage». Quelque 70 pages plus loin, il a souligné que Balogh et King étaient détenus avec l’accusé au moment où le prétendu aveu a été fait, mais il voulait par là indiquer le lieu où l’aveu aurait été fait. Loin d’avoir fait l’objet d’une mise en garde particulière, le témoignage des informateurs dans un établissement de détention a été résumé dans à peu près les mêmes termes que ceux utilisés pour les autres témoins. Le juge du procès a souligné que Balogh avait eu des problèmes psychiatriques, qu’il avait notamment fait un séjour au London Psychiatric Centre et qu’il avait tenté de se suicider à deux reprises, mais même si ces faits pouvaient être pertinents en ce qui concernait la crédibilité, ils ne touchaient pas les problèmes systémiques du «caractère douteux» associé aux aveux d’un codétenu. Le juge du procès a mentionné que King [traduction] «tentait d’obtenir [du détective Hrab] une peine moins lourde», mais Hrab n’a pas été appelé à témoigner et les notes dans lesquelles les deux informateurs dans un établissement de détention avaient mis en commun leurs souvenirs et qui auraient été remises au détective Hrab n’ont jamais été produites. Le juge du procès a rappelé au jury que King n’avait pas réussi à obtenir un avantage. Il fait remarquer que le sergent Harild (qui a témoigné) et le détective Hrab avaient tous deux comparu devant la Commission des libérations conditionnelles pour expliquer que le casier judiciaire de King ne faisait état d’aucune condamnation pour violence.

134 Rien de cela n’a constitué une «mise en garde claire et précise» au jury sur les dangers de s’en remettre au témoignage d’informateurs dans un établissement de détention. Au contraire, je crois que les directives du juge du procès ont donné au jury l’impression que King n’avait pas réussi à obtenir un traitement particulier et que, malgré sa déception, il avait offert son témoignage préjudiciable. Cela aurait plutôt pour effet de le rendre plus crédible dans l’esprit de personnes qui n’étaient pas au courant des problèmes liés aux aveux d’un codétenu. Balogh, avec ses antécédents de maladie mentale, paraît simplement avoir suivi l’exemple de King, même s’il prétendait être motivé par le caractère répugnant du crime. Balogh avait déjà tenté de fournir les aveux d’un codétenu dans trois autres affaires. À l’entendre, il éprouvait un sentiment chronique de dégoût pour les crimes d’autres personnes, même s’il avait choisi de faire carrière dans le crime.

135 Il est désormais établi que l’omission de faire une mise en garde de type Vetrovec qui s’impose constitue une erreur de droit et que le verdict prononcé peut alors être sauvegardé en application du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Toute erreur de droit ne justifie pas la tenue d’un nouveau procès, comme l’a fait remarquer le juge McIntyre dans l’arrêt Fanjoy c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 233, à la p. 240:

On ne peut pas dire que toute erreur est une erreur judiciaire; d’ailleurs l’existence même de la disposition pour remédier aux erreurs de droit qui ne causent pas une erreur judiciaire reconnaît ce fait.

136 Même s’il peut souvent être difficile d’analyser un dossier sous l’angle de ce qui serait arrivé si l’erreur n’avait pas été commise — et tout doute raisonnable à cet égard doit profiter à l’accusé — , la légitimité d’une méthode du «qu’en aurait‑il été si?» ressort néanmoins implicitement du critère dégagé dans Bevan («existe[‑t‑il] une possibilité raisonnable que le verdict eût été différent?» (R. c. Bevan, [1993] 2 R.C.S. 599, à la p. 617 (italiques ajoutés))), et cette légitimité est explicite dans des affaires comme R. c. Haughton, [1994] 3 R.C.S. 516, le juge Sopinka, aux pp. 516 et 517:

Pour appliquer le sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, la Cour doit examiner si un jury ayant reçu des directives appropriées aurait pu, en agissant raisonnablement, en venir à une conclusion différente s’il n’y avait pas eu d’erreur. Si l’on applique ce critère, les conclusions du jury en l’espèce peuvent être un facteur à prendre en considération pour déterminer ce qu’un jury raisonnable hypothétique aurait fait, pourvu que ces conclusions ne soient pas viciées par l’erreur. [Je souligne.]

et R. c. Broyles, [1991] 3 R.C.S. 595, le juge Iacobucci, aux pp. 620 et 621:

Par conséquent, il s’agit ici d’établir s’il y a la moindre possibilité que, en l’absence de l’élément de preuve attaqué, le juge des faits ait eu un doute raisonnable sur la culpabilité de l’accusé. [Je souligne.]

137 La question de savoir si un nouveau procès est nécessaire dépend en grande partie de la mesure dans laquelle la déclaration de culpabilité repose sur la déposition du témoin douteux. Dans la plupart des cas, le rôle du témoin dont la déposition est suffisamment importante au départ pour requérir la mise en garde de type Vetrovec sera vraisemblablement assez central pour empêcher l’application du sous‑al. 686(1)b)(iii), comme dans le jugement R. c. Sanderson (1999), 134 Man. R. (2d) 191 (C.A.), à la p. 194 (où la déposition du témoin douteux était [traduction] «[l]e seul élément de preuve présenté par le ministère public qui impliquait» l’accusé), et dans R. c. Siu (1998), 124 C.C.C. (3d) 301 (C.A.C.‑B.), à la p. 330 ([traduction] «le ministère public n’aurait disposé de pratiquement aucune preuve sans» la déposition du témoin douteux). Dans ces cas, il serait clairement erroné d’appliquer la disposition réparatrice.

138 Je ne partage pas l’avis du juge Major quant à savoir si, dans la présente affaire, il existe une possibilité raisonnable que le verdict eût été différent si une mise en garde de type Vetrovec avait été faite. Il faut se rappeler que l’intimé n’avait pas droit à un procès totalement dépourvu du témoignage de Balogh et de King. La question qui se pose en vertu du sous‑al. 686(1)b)(iii) est de savoir s’il existe une possibilité raisonnable que le verdict prononcé en fin de compte eût été différent si leur témoignage avait été assorti d’une mise en garde au lieu d’être simplement ridiculisé par l’avocat de la défense, comme cela a été fait en l’espèce.

139 En rendant un verdict de culpabilité de meurtre au premier degré, le jury a nécessairement retenu la preuve d’une agression sexuelle commise au moment du meurtre, laquelle constituait un élément supplémentaire n’ayant absolument rien à voir avec le récit des informateurs dans un établissement de détention. De plus, l’intimé avait fait des déclarations incriminantes à d’autres personnes, dont la mère de la victime. Toute cette preuve était compatible avec le témoignage de Balogh et de King, et non pas viciée par leur témoignage. Je conclus donc que l’application du sous‑al. 686(1)b)(iii) est justifiée pour six raisons.

1. Les autres déclarations incriminantes de l’intimé

140 La mère de la victime a affirmé, dans son témoignage, que l’intimé lui avait chuchoté plus d’une fois à l’oreille dans l’ambulance, pendant que l’enfant décédée était transportée à l’hôpital, qu’il était désolé [traduction] «de ce qu’il avait fait» (je souligne). Cette affirmation a fait l’objet d’un contre‑interrogatoire serré, mais le témoin est demeuré inébranlable:

[traduction]

Q. Et vous avez affirmé que M. Brooks avait dit «Je suis désolé, je suis désolé de ce que j’ai fait»?

R. Oui monsieur.

Q. Maintenant, ce n’est pas tout ce que M. Brooks a dit, n’est‑ce pas?

R. C’est exactement ce que M. Brooks a dit.

Q. Il a dit «Je suis désolé»?

R. Non, désolé, il a dit qu’il était désolé, qu’il était désolé de ce qu’il avait fait.

. . .

Q. Je suppose que vous étiez terriblement affectée par le décès de votre fille?

R. Oui monsieur.

Q. Et quelqu’un vous a simplement dit «Je suis désolé de ce que j’ai fait», et vous avez dit «Merci»?

R. Non, je n’ai pas dit merci.

Q. Ou vous regardiez droit devant vous?

R. Je ne sais pas à quoi je pensais monsieur, mais je me souviens de n’avoir rien dit.

Q. Madame Johnings, c’est un mensonge?

R. Non, monsieur.

Q. Ce que Fred vous a dit, plus d’une fois, à voix basse, parfois du bout des lèvres, c’est seulement «Je suis désolé»?

R. Non monsieur.

Q. C’est tout ce qu’il a dit «Je suis désolé»?

R. Non monsieur.

Q. Et c’est ce qu’il a dit parce que c’était la seule chose à dire en apprenant la mort de votre fille?

R. Il en a dit davantage monsieur.

La force de ces déclarations dépendait de leur interprétation par le jury, mais il ressort clairement du verdict prononcé par les membres du jury que ceux-ci ont ajouté foi à la version des faits de la mère et n’ont pas cru l’intimé, et qu’ils ont considéré que la mention de [traduction] «ce qu’il avait fait» s’entendait du traitement qu’il avait infligé à Samantha et qui avait causé son décès.

2. Le verdict relatif à l’agression sexuelle

141 Aucune des parties n’a contesté que l’appelant était le seul homme qui avait eu accès auprès de l’enfant le jour où elle a été assassinée. Le jury a été informé que, pour rendre un verdict de culpabilité de meurtre au premier degré, qu’il a effectivement rendu, [traduction] «vous devez être convaincus hors de tout doute raisonnable que, en plus de tous les éléments requis pour qu’il y ait meurtre au deuxième degré, l’accusé a causé la mort de Samantha Johnings en perpétrant ou en tentant de perpétrer l’agression sexuelle» (italiques ajoutés). Bien que l’analyse de l’ADN n’ait pas été concluante, il ne fait aucun doute qu’il y avait du sperme dans l’anus et le vagin de l’enfant décédée. La preuve non contredite indiquait que Samantha avait été baignée les 12 et 13 décembre et, d’après la preuve d’expert, le bain et les bactéries auxquelles est exposé un enfant qui porte la couche contribueraient à détériorer le sperme rapidement. Les seules personnes (hommes ou femmes) qui ont eu accès auprès de Samantha entre le moment où elle a été mise au lit et celui où elle a été trouvée sans vie sont la mère et l’intimé. La mère a témoigné avoir vu l’intimé envelopper Samantha dans une couverture, à 2 h du matin le jour du décès, alors qu’il se trouvait dans la chambre de l’enfant. Le jury a clairement écarté la possibilité que le sperme ait provenu de la couverture, ce qui était étayé par le témoignage du Dr Rao selon lequel il était fort improbable que du sperme ait pénétré dans le vagin de l’enfant au seul contact de sa peau avec une tache de sperme qui se trouvait déjà sur la literie. On a trouvé du sang de Samantha et du sperme de l’intimé sur le pantalon de survêtement gris de ce dernier, de même que ce qui semblait être des résidus du jus de fruits de Samantha. Le témoignage de l’agent Bennett et de la mère tendait à confirmer que l’intimé portait son pantalon de survêtement gris au moment du meurtre de l’enfant. La preuve n’étaye aucunement l’idée qu’un autre homme s’est introduit dans la chambre de l’enfant et a commis l’agression sexuelle juste avant ou après que la mère eut commis le meurtre.

142 Mon collègue le juge Major signale des éléments du dossier qui auraient pu faire naître dans l’esprit des jurés un doute raisonnable concernant l’agression sexuelle, mais il est clair que ces éléments n’ont pas eu cet effet au procès. Il reste que, pour déclarer l’intimé coupable de meurtre au premier degré, le jury devait non seulement écarter totalement la preuve offerte par l’intimé, mais également retenir la preuve circonstancielle d’une agression sexuelle par l’intimé qui n’avait rien à voir avec l’aveu d’un codétenu rapporté par Balogh et King. Je ne puis croire qu’un jury disposé à conclure que l’intimé était coupable d’avoir agressé sexuellement une fillette de 19 mois au moment du meurtre de celle‑ci serait arrivé à une conclusion différente s’il avait été prévenu de traiter avec circonspection le témoignage de Balogh et de King concernant les actes de violence physique de caractère non sexuel survenus la nuit en question.

3. Les rapports de l’intimé avec la victime

143 Des membres de la famille de Samantha avaient déjà amplement témoigné que l’intimé avait l’habitude d’être violent dans ses rapports avec Samantha, même s’ils ne l’avaient pas fait relativement à la nuit où celle‑ci a été assassinée. L’intimé a lui‑même reconnu que Samantha avait des contusions près de son vagin lorsqu’il l’avait baignée plus tôt ce jour‑là, mais il a dit en ignorer la cause. L’idée de l’intimé voulant que ce fut la mère, Norma Jean, qui dans un accès de colère avait tué son propre enfant n’était pas compatible avec sa propre déclaration aux policiers selon laquelle la mère n’avait pas mauvais caractère:

[traduction]

Q. Elle a mauvais caractère?

R. Norma, euh, non.

Q. Non?

R. Non.

Q. Vous ne l’avez jamais vue perdre son sang‑froid?

R. Non.

Q. Et vous, est‑ce qu’il vous arrive de perdre votre sang‑froid?

R. Eh bien, j’essaie de rester calme, parce que je deviens très frustré, et je me retiens simplement au lieu d’exploser, car si j’explose, je m’attire des ennuis, donc je me retiens.

Même si on a reproché à la mère son inhabileté à s’acquitter de ses responsabilités de mère et certaines corrections inappropriées infligées à Samantha (qui avait tendance à piquer des crises de colère et à devenir agitée), tous les témoins, y compris l’intimé, ont convenu qu’elle aimait Samantha et que l’enfant était bien nourrie et en bonne santé. Il n’y avait aucune preuve que des blessures importantes avaient été infligées par la mère à quelque moment que ce soit. Lorsqu’elle a dit à l’ambulancier qu’elle craignait d’avoir blessé et même tué son bébé, elle racontait alors qu’elle avait tenté vainement de le réanimer en lui donnant des tapes dans le dos après l’avoir trouvé comateux dans son lit, c’est-à-dire au moment où il était déjà mort. Par contre, on avait dit que, pendant sa courte période de cohabitation avec Norma Jean, l’intimé avait infligé plusieurs blessures à Samantha parce que ses pleurs l’exaspéraient. Quelques semaines avant le meurtre, il aurait notamment projeté l’enfant sur une distance d’environ un mètre contre l’armature en bois d’un divan, et [traduction] un «grand bruit sourd» aurait alors été entendu. On a dit au jury que Samantha avait fait une crise de larmes la nuit où elle a été assassinée.

4. Une mise en garde de type Vetrovec aurait vraisemblablement été assortie d’un examen de la preuve corroborante

144 L’analyse de l’incidence probable de l’omission de faire une mise en garde de type Vetrovec doit aussi tenir compte du pouvoir discrétionnaire incontestable du juge du procès d’attirer l’attention du jury sur d’autres éléments de preuve susceptibles de corroborer le témoignage de Balogh et de King, notamment leur connaissance de certains détails des rapports de l’intimé avec Samantha et la mère de cette dernière, de même que certains détails des blessures infligées à l’enfant qui, d’après ce que le jury pourrait croire, ne seraient probablement pas connus de Balogh et King s’ils ne leur avaient pas été communiqués par l’intimé. Comme nous l’avons vu, l’intimé n’avait pas droit à un procès dépourvu du témoignage de Balogh et de King. Il n’avait droit qu’à une mise en garde de type Vetrovec qui, en l’espèce, aurait comporté à la fois des avantages et des désavantages, ce qui pourrait expliquer pourquoi l’avocat de la défense ne s’est pas opposé à l’omission du juge du procès de la faire.

5. L’absence d’objection de la part de la défense

145 Même si le ministère public reconnaît à juste titre qu’elle n’a pas pour effet de priver l’intimé de son droit à ce que le juge du procès donne des directives appropriées sur la question des aveux faits par un codétenu, l’absence d’objection de la part de l’avocat expérimenté dont les services avaient été retenus pour protéger les intérêts de l’accusé et qui était parfaitement conscient de l’atmosphère et de la dynamique du procès reflète utilement son avis professionnel qu’aucun préjudice ne résultait. Ainsi, la position adoptée à cet égard par l’avocat de la défense est à juste titre considérée comme un facteur qui entre en jeu dans l’application de la disposition réparatrice.

6. Des directives au jury par ailleurs favorables

146 Enfin, même si l’exposé au jury n’était pas suffisant pour constituer une mise en garde de type Vetrovec appropriée, d’autres questions y ont été présentées d’une manière très équitable et souvent favorable à l’intimé.

147 Pour ces motifs, je conclus que l’omission du juge du procès de faire une mise en garde de type Vetrovec constituait une erreur de droit, mais qu’il n’existe aucune possibilité raisonnable que le jury eût rendu un verdict différent si la mise en garde appropriée avait été faite. Un lourd fardeau incombe au ministère public lorsqu’il cherche à faire appliquer la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii), mais pour les motifs déjà exposés, j’estime que, d’après les faits de la présente affaire, il n’est pas nécessaire de tenir un nouveau procès pour que justice soit rendue. Il y a donc lieu d’accueillir le pourvoi et de rétablir la déclaration de culpabilité et la peine de l’intimé.

Pourvoi accueilli, les juges Iacobucci, Major et Arbour sont dissidents.

Procureur de l’appelante: Le procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureur de l’intimé: Irwin Koziebrocki, Toronto.



Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Brooks

Références :
Proposition de citation de la décision: R. c. Brooks, 2000 CSC 11 (17 février 2000)


Origine de la décision
Date de la décision : 17/02/2000
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2000 CSC 11 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2000-02-17;2000.csc.11 ?
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