La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/11/2001 | CANADA | N°2001_CSC_78

Canada | R. c. Nette, 2001 CSC 78 (15 novembre 2001)


R. c. Nette, [2001] 3 R.C.S. 488, 2001 CSC 78

Daniel Matthew Nette Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Le procureur général de l’Ontario Intervenant

Répertorié : R. c. Nette

Référence neutre : 2001 CSC 78.

No du greffe : 27669.

2001 : 16 janvier; 2001 : 15 novembre.

Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.

en appel de la cour d’appel de la colombie-britannique

Droit criminel -- Meurtre au deuxième

degré -- Lien de causalité -- Exposé au jury -- Critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré -- Façon d’expliquer ce crit...

R. c. Nette, [2001] 3 R.C.S. 488, 2001 CSC 78

Daniel Matthew Nette Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Le procureur général de l’Ontario Intervenant

Répertorié : R. c. Nette

Référence neutre : 2001 CSC 78.

No du greffe : 27669.

2001 : 16 janvier; 2001 : 15 novembre.

Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.

en appel de la cour d’appel de la colombie-britannique

Droit criminel -- Meurtre au deuxième degré -- Lien de causalité -- Exposé au jury -- Critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré -- Façon d’expliquer ce critère au jury -- Le juge du procès a-t-il donné au jury des directives erronées sur le critère de causalité applicable?

Droit criminel -- Meurtre -- Lien de causalité -- Le critère de causalité applicable est-il le même pour toutes les infractions d’homicide? -- Le critère de la « cause substantielle » s’applique-t-il seulement au meurtre au premier degré prévu à l’art. 231(5) du Code criminel?

Une veuve de 95 ans vivant seule a été victime d’un vol puis abandonnée dans son lit après qu’on l’eut ligotée avec un fil électrique et qu’on lui eut enroulé un vêtement autour de la tête et du cou. Elle est morte asphyxiée au cours des 48 heures qui ont suivi. Pendant une opération secrète de la GRC, l’accusé a dit à un policier qu’il avait joué un rôle relativement au vol commis contre la victime et au décès de cette dernière. L’accusé a été inculpé de meurtre au premier degré en vertu du par. 231(5) du Code criminel — meurtre commis en perpétrant l’infraction de séquestration — et a subi son procès devant un juge et un jury. Au procès, il a soutenu que son aveu était une pure invention de sa part. Il a témoigné qu’il s’était rendu seul au domicile de la victime dans le seul but de s’y introduire par effraction, que la porte arrière était ouverte comme si quelqu’un s’était déjà introduit dans la maison et qu’il avait quitté les lieux après avoir découvert la victime sans vie dans sa chambre à coucher. Le juge du procès a donné au jury des directives sur l’homicide involontaire coupable, le meurtre au deuxième degré et le meurtre au premier degré prévu au par. 231(5) du Code. Pour répondre à une demande du jury visant à obtenir des précisions sur le critère de la « cause substantielle » et les éléments constitutifs du meurtre au premier degré, le juge a essentiellement répété ce qu’il avait dit dans son exposé. Dans l’ensemble, il a expliqué que, selon le critère de causalité applicable à l’homicide involontaire coupable et au meurtre au deuxième degré, les actes de l’accusé devaient avoir « contribué d’une façon plus que négligeable » à la mort de la victime, alors que dans le cas du meurtre au premier degré prévu au par. 231(5), ses actes devaient également constituer une « cause substantielle » de la mort de la victime. Cependant, à deux reprises, dont une fois dans l’exposé principal et l’autre fois dans ses nouvelles directives, le juge du procès a décrit le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré comme étant celui de la « cause mineure ou négligeable requise pour conclure au meurtre au deuxième degré », au lieu de la cause ayant « contribué d’une façon plus que négligeable ». Le jury a déclaré l’accusé coupable de meurtre au deuxième degré et la Cour d’appel a confirmé ce verdict. Le seul moyen d’appel invoqué tant devant la Cour d’appel que devant notre Cour concerne le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté. Le verdict de culpabilité de meurtre au deuxième degré prononcé par le jury est confirmé.

Les juges Iacobucci, Major, Binnie, Arbour et LeBel : La responsabilité relative à un résultat donné, en l’espèce la mort, doit être établie tant sur le plan des faits que sur celui du droit. La causalité factuelle concerne la façon dont la victime est morte sur le plan médical, technique ou physique, et à la façon dont l’accusé a contribué à ce résultat. La causalité juridique a trait à la responsabilité en droit de l’accusé et repose sur des considérations juridiques telles que le libellé de l’article créant l’infraction et les principes d’interprétation. Ces considérations juridiques reflètent les principes fondamentaux de la justice criminelle. La façon d’établir la causalité juridique peut être décrite comme consistant à se demander si on peut dire à juste titre que le résultat est imputable à l’accusé. Bien que le jury n’effectue pas une analyse à deux volets de la causalité, le juge du procès doit dans son exposé lui expliquer le lien de causalité requis tant sur le plan factuel que sur le plan juridique. C’est l’acte illégal en soi qui constitue habituellement le premier maillon du lien de causalité. Il est rarement nécessaire de donner au jury des directives sur le critère de causalité lorsque l’élément moral requis pour l’infraction existe, étant donné que l’exigence de mens rea règle habituellement toute question qui se pose en matière de causalité. Les règles de droit applicables en matière de causalité sont en grande partie établies par les tribunaux, mais elles se dégagent aussi du Code criminel. Lorsqu’une situation factuelle n’est pas visée par une règle législative en matière de causalité, les principes de common law régissant le droit criminel s’appliquent. Les règles de droit civil applicables en matière de causalité ne sont pas d’un grand secours pour élucider le critère qui s’applique en matière criminelle.

Il ne convient pas de formuler, dans les exposés au jury, un critère de causalité distinct pour le meurtre au deuxième degré. Le critère de causalité formulé dans l’arrêt Smithers est encore valide et applicable à toutes les formes d’homicide. Cependant, ce critère n’a pas à être décrit comme étant celui de la cause ayant « contribué à la mort de façon plus que mineure ». Le concept de causalité et la terminologie utilisée pour l’exprimer sont distincts. L’emploi d’expressions latines et la formulation de critères sous la forme négative ne sont pas utiles pour expliquer une notion abstraite. Il est préférable de recourir à une formule affirmative comme celle de la « cause ayant contribué de façon appréciable » plutôt qu’à l’expression « cause ayant contribué d’une façon qui n’est pas négligeable ou insignifiante ». De même, étant donné que les questions relatives à la causalité sont particulières à chaque cas et reposent sur les faits, le juge du procès devrait avoir le pouvoir discrétionnaire de choisir la terminologie pertinente eu égard aux circonstances de l’affaire. Dans le cas du meurtre au premier degré prévu au par. 231(5) du Code, le jury doit également examiner l’autre critère de la « cause substantielle » établi dans l’arrêt Harbottle, mais seulement après avoir conclu que l’accusé est coupable de meurtre. Ce critère, qui traduit un degré plus élevé de causalité juridique, entre en jeu au moment de décider si le degré de culpabilité morale de l’accusé justifie la stigmatisation et la peine accrues qui sont liées au meurtre au premier degré. L’existence d’un degré aussi élevé de culpabilité morale ne sera établie que si on conclut que les actes de l’accusé constituent un élément essentiel et substantiel du meurtre de la victime. Le critère de l’arrêt Harbottle met l’accent sur l’exigence d’un degré plus grand de participation de l’accusé pour qu’il puisse être déclaré coupable de meurtre au premier degré aux termes du par. 231(5).

La difficulté d’établir l’existence d’une seule cause médicale déterminante du décès n’amène pas à conclure en droit que le décès est attribuable à des causes multiples. Dans un procès pour homicide, la question qui se pose est de savoir non pas qui ou quoi a causé la mort de la victime, mais plutôt si l’accusé a causé cette mort. Le fait que d’autres personnes ou facteurs peuvent avoir contribué au résultat peut être important sur le plan juridique lors du procès de la personne accusée de l’infraction. Ce fait sera important et disculpatoire si des facteurs indépendants, antérieurs ou postérieurs aux actes ou omissions de l’accusé, rompent juridiquement le lien entre celui‑ci et le résultat prohibé. Il n’est pas question en l’espèce de causes multiples, de causes subséquentes ou de vulnérabilité de la victime, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de donner au jury des directives sur les règles applicables en matière de causalité, si ce n’est pour leur faire part de la nécessité de conclure que l’accusé a causé la mort de la victime. Toutefois, en ce qui concerne l’accusation de meurtre au premier degré fondée sur le par. 231(5) du Code, il était nécessaire que le juge du procès donne au jury des directives conformément à l’arrêt Harbottle.

Le juge du procès a énoncé correctement le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré. Bien qu’il ait, à deux reprises, mal décrit le critère approprié en comparant le critère exigeant applicable au meurtre au premier degré à la « cause mineure ou négligeable requise pour conclure au meurtre au deuxième degré », ces erreurs n’ont pas amené le jury à croire que le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré était moindre que celui de la cause ayant « contribué d’une façon plus que négligeable », établi dans l’arrêt Smithers. Étant donné que le jury a déclaré l’accusé coupable de meurtre au deuxième degré, il faut conclure qu’il a considéré que celui-ci avait eu l’intention requise pour l’infraction de meurtre, savoir qu’il y avait eu prévision subjective de la mort de sa part. Les directives sur le lien de causalité n’auraient pas pu avoir d’incidence sur la conclusion du jury relative à l’intention. Aucun jury raisonnable n’aurait pu douter que les actes de l’accusé constituaient une cause appréciable et véritable de la mort de la victime. Quels que soient les motifs pour lesquels le jury a acquitté l’accusé relativement à l’accusation de meurtre au premier degré, son verdict de meurtre au deuxième degré est inattaquable.

Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et Bastarache : Le critère de causalité applicable à l’homicide coupable, établi dans l’arrêt Smithers, à savoir celui de la cause ayant « contribué à la mort de façon plus que mineure », ne devrait pas être changé en celui de la « cause ayant contribué de façon appréciable ». L’expression actuelle est la bonne formulation qui devrait être utilisée pour expliquer au jury le critère de causalité applicable à toutes les infractions d’homicide. Pour éviter le recours à une expression latine, on pourrait parler de « cause ayant contribué [à la mort] d’une façon qui n’est pas négligeable ou insignifiante ». Les termes « qui n’est pas négligeable ou insignifiante » décrivent adéquatement la norme en matière de lien de causalité qui a résisté à l’épreuve du temps. Il n’y a aucune raison légitime de reformuler cette norme.

Il existe une différence manifeste entre l’expression « cause ayant contribué d’une façon qui n’est pas négligeable ou insignifiante » et l’expression « cause ayant contribué de façon appréciable ». Le changement de terminologie proposé a pour effet de modifier radicalement le contenu du critère de causalité et ne tient pas compte de la raison pour laquelle une double négation est utilisée. L’expression « cause ayant contribué de façon appréciable » exige un lien de causalité plus direct que le critère de la « cause ayant contribué [à la mort] d’une façon qui n’est pas négligeable ou insignifiante», et par conséquent, ce changement de terminologie a pour effet de hausser le critère de causalité actuellement applicable à l’homicide coupable. L’adjectif « appréciable » sert à qualifier quelque chose qui a contribué fortement et n’équivaut pas à l’expression « qui n’est pas insignifiant ». L’utilisation du mot juste revêt une importance cruciale étant donné que la langue est le moyen d’exprimer le droit et qu’elle sert à exprimer notre raisonnement juridique. Les juges du procès devraient continuer d’utiliser l’expression actuelle « cause ayant contribué [à la mort] d’une façon qui n’est pas négligeable ou insignifiante » pour toutes les infractions d’homicide.

Jurisprudence

Citée par le juge Arbour

Arrêts interprétés : Smithers c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 506; R. c. Harbottle, [1993] 3 R.C.S. 306; arrêts mentionnés : R. c. Farrant, [1983] 1 R.C.S. 124; R. c. Cribbin (1994), 17 O.R. (3d) 548; R. c. Meiler (1999), 136 C.C.C. (3d) 11; Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636; R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326; R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3; R. c. Droste, [1984] 1 R.C.S. 208; R. c. Paré, [1987] 2 R.C.S. 618; R. c. Arkell, [1990] 2 R.C.S. 695; R. c. Luxton, [1990] 2 R.C.S. 711; British Columbia Electric Railway Co. c. Loach, [1916] A.C. 719; R. c. Pagett (1983), 76 Cr. App. R. 279; R. c. Hallett, [1969] S.A.S.R. 141; Royall c. R. (1991), 100 A.L.R. 669; R. c. Smith (1959), 43 Cr. App. R. 121; R. c. Cheshire, [1991] 3 All E.R. 670; R. c. Hennigan, [1971] 3 All E.R. 133; Dulieu c. White, [1901] 2 K.B. 669; Athey c. Leonati, [1996] 3 R.C.S. 458.

Citée par le juge L’Heureux-Dubé

Arrêts mentionnés : Smithers c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 506; Deeks c. Wells, [1931] O.R. 818.

Lois et règlements cités

Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 21, 81, 222, 225, 226, 229, 230, 231 (5) [mod. ch. 27 (1er suppl.), art. 40(2) (ann. I, no 3); mod. ch. 1 (4e suppl.), art. 18 (ann. I, no 5)], (6) [aj. 1997, ch. 16, art. 3], (6.1) [idem, ch. 23, art. 8], 264.

Doctrine citée

Editorial, « Semantics and the threshold test for imputable causation » (2000), 24 Crim. L.J. 73.

Klinck, Dennis R. The Word of the Law. Ottawa : Carleton University Press, 1992.

Presser, Jill. « All for a Good Cause : The Need for Overhaul of the Smithers Test of Causation » (1994), 28 C.R. (4th) 178.

Stuart, Don. Canadian Criminal Law : A Treatise, 3rd ed. Scarborough : Carswell, 1995.

Tiersma, Peter M. Legal Language. Chicago : University of Chicago Press, 1999.

Weissman, Gary A. « Legal Esoterica : Reality is shaped by the language we use : “Jack and the Beanstalk” as told by a judge, a psychiatrist, and an economist » (1986), 29 Advocate (Idaho) 22.

Williams, Glanville. Textbook of Criminal Law, 2nd ed. London : Stevens, 1983.

Yeo, Stanley. « Blamable Causation » (2000), 24 Crim. L.J. 144.

Yeo, Stanley. « Giving Substance to Legal Causation » (2000), 29 C.R. (5th) 215.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (1999), 131 B.C.A.C. 104, 214 W.A.C. 104, 141 C.C.C. (3d) 130, 29 C.R. (5th) 195, [1999] B.C.J. No. 2836 (QL), 1999 BCCA 743, qui a confirmé la déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré prononcée contre l’accusé. Pourvoi rejeté.

Gil D. McKinnon, c.r., pour l’appelant.

Richard C. C. Peck, c.r., et Nikos Harris, pour l’intimée.

Lucy Cecchetto, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

Version française des motifs du juge en chef McLachlin et des juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et Bastarache rendus par

1 Le juge L’Heureux-Dubé — J’ai pris connaissance des motifs de ma collègue madame le juge Arbour et, bien que je souscrive à la conclusion à laquelle elle arrive, je ne suis pas d’accord avec sa proposition de reformuler le critère de causalité applicable à l’homicide coupable, que notre Cour a énoncé dans l’arrêt Smithers c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 506. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a formulé ce critère de la manière suivante (à la p. 519) :

La seconde sous-question soulevée est de savoir s’il y avait des preuves autorisant le jury à conclure qu’il avait été établi au-delà de tout doute raisonnable que le coup de pied avait causé la mort. À cette question on peut répondre brièvement que témoins experts et ordinaires ont fourni au jury un ensemble de preuves très considérable indiquant que le coup de pied avait pour le moins contribué à la mort, de façon plus que mineure [a contributing cause of death, outside the de minimis range], et que c’est tout ce que le ministère public avait à établir. [Je souligne.]

2 Pour éviter d’utiliser l’expression latine de minimis figurant dans la version anglaise de l’arrêt Smithers, le juge Lambert de la Cour d’appel ((1999), 141 C.C.C. (3d) 130) a proposé un équivalent qui, à mon avis, traduit adéquatement le critère de cet arrêt (au par. 29) :

[traduction] Dans l’arrêt Smithers, on utilise les mots « a contributing cause beyond de minimis » (« [a] contribué à la mort de façon plus que mineure ») pour décrire le critère de causalité applicable. Si on veut éviter le recours à une expression latine qu’un jury pourrait trouver difficile à comprendre, on peut décrire le critère de l’arrêt Smithers comme étant celui de la « cause ayant contribué d’une façon qui n’est pas négligeable ou insignifiante ». Voir Crimji 6.45, par. 17. [Je souligne.]

3 Dans ses motifs, ma collègue mentionne aussi la manière dont le critère de l’arrêt Smithers est formulé lorsqu’elle écrit (au par. 54) : « Depuis l’arrêt Smithers, on utilise les expressions “cause ayant contribué de façon plus que mineure” (“beyond de minimis” ou “outside the de minimis range”) ou “cause ayant contribué d’une façon plus que négligeable” dans les directives au jury sur le critère de causalité applicable à toutes les infractions d’homicide, peu importe qu’il s’agisse d’un homicide involontaire coupable ou d’un meurtre. »

4 Les termes « qui n’est pas négligeable ou insignifiante » sont adéquats et ne modifient pas le critère de l’arrêt Smithers qui, il convient de le souligner, a résisté à l’épreuve du temps. Comme un auteur le souligne, l’arrêt Smithers est [traduction] « la norme générale en matière de lien de causalité applicable à toutes les infractions criminelles » (J. Presser, « All for a Good Cause : The Need for Overhaul of the Smithers Test of Causation » (1994), 28 C.R. (4th) 178, p. 178). À cet égard, ma collègue reconnaît aussi que le critère de causalité de l’arrêt Smithers est valide et applicable à toutes les formes d’homicide (aux par. 85 et 88) :

Comme je l’ai dit précédemment, je conclus que le critère de causalité est le même pour toutes les infractions d’homicide et qu’il n’y a pas lieu d’appliquer un critère différent aux infractions d’homicide involontaire coupable et de meurtre. Dans notre pays, on a traditionnellement utilisé la terminologie de l’arrêt Smithers pour formuler le critère de causalité applicable, savoir que l’accusé doit avoir contribué à la mort de façon plus que mineure. Notre Cour n’a pas infirmé ce critère dans des arrêts ultérieurs, y compris l’arrêt Harbottle.

. . .

Un seul critère de causalité s’applique aux infractions d’homicide, y compris le meurtre au deuxième degré. Ce critère peut être formulé de différentes façons, mais il n’en demeure pas moins le critère que notre Cour a énoncé dans l’arrêt Smithers, précité. [Je souligne.]

5 Ceci dit, ma collègue propose de reformuler le critère de la cause ayant contribué « de façon plus que mineure » pris dans le sens de « cause ayant contribué [à la mort] d’une façon qui n’est pas négligeable ou insignifiante », figurant dans l’arrêt Smithers, pour parler plutôt de « cause ayant contribué de façon appréciable » (« significant contributing cause »). Elle affirme, au par. 70 :

Il existe un débat sémantique quant à savoir si l’expression « qui n’est pas insignifiante » traduit un degré de causalité moindre que le mot « appréciable ». Cela montre la difficulté d’essayer d’apporter à ce critère juridique particulier des nuances essentiellement dépourvues de sens.

6 De toute évidence, ma collègue considère que cette reformulation est une simple question de sémantique et qu’elle ne modifie pas le critère actuel. En toute déférence, je ne suis pas de cet avis. Selon moi, il s’agit d’une question de fond et non de sémantique. Il existe une différence manifeste entre l’expression « cause ayant contribué d’une façon qui n’est pas négligeable ou insignifiante » et l’expression « cause ayant contribué de façon appréciable ». Une telle modification de la terminologie du critère de l’arrêt Smithers a pour effet d’en modifier radicalement le contenu. À ce sujet, je partage l’opinion exprimée par le professeur S. Yeo dans son article intitulé « Giving Substance to Legal Causation » (2000), 29 C.R. (5th) 215, p. 219 :

[traduction] J’estime que parler d’une « cause ayant contribué d’une façon qui n’est pas insignifiante » est très différent de parler d’une « cause ayant contribué de façon appréciable ». Faire abstraction de cette différence revient à ne pas tenir compte de la raison pour laquelle une double négation est utilisée au départ. Alors que, dans le premier cas, l’analyse est axée sur le bas de l’échelle du lien de causalité, il n’en est pas de même dans le deuxième cas. En d’autres termes, disons que lorsque Marie affirme qu’elle ne déteste pas Jean, elle veut dire, tout au plus, qu’elle n’éprouve aucun sentiment à son égard et non pas qu’elle l’aime bien.

7 Affirmer qu’une chose qui n’est pas sans importance est importante serait un sophisme. De même, il serait erroné de considérer que des choses qui ne sont pas dissemblables sont semblables. Dans le même ordre d’idées, il existe une différence appréciable entre les expressions « qui n’est pas insignifiante » et « appréciable », et il est selon moi indubitable que la suppression de la double négation dans la formulation du critère de causalité établi dans l’arrêt Smithers aurait pour effet de modifier considérablement le droit. Je partage donc le point de vue de l’intimée et de l’intervenant selon lequel l’expression « cause ayant contribué de façon appréciable » exige un lien de causalité plus direct que le critère actuel de la cause « ayant contribué d’une façon qui n’est pas négligeable ou insignifiante », et par conséquent, ce changement de terminologie a pour effet de hausser le critère actuellement applicable. Comme l’explique l’intimée (voir les par. 74 et 76 du mémoire de l’intimée) :

[traduction] Nous soutenons en outre que l’expression « significant cause » (« cause appréciable ») risque également d’engendrer un critère de causalité trop élevé. Tout comme l’adjectif « substantial » (« substantiel »), l’adjectif « significant » (« appréciable ») sert à qualifier quelque chose qui a contribué fortement étant donné qu’il signifie notamment « dont la mesure est grande, qui a beaucoup d’intérêt, qui a de grandes conséquences » (The New Shorter Oxford Dictionary, op. cit., p. 2860). L’intimée ne partage pas l’avis du juge Lambert de la Cour d’appel [. . .] que l’adjectif « significant » (« appréciable ») peut être assimilé à « not insignificant » (« qui n’est pas insignifiant »). L’adjectif « insignificant » (« insignifiant ») désigne « ce qui est négligeable ou sans importance, ce qui ne mérite aucune attention » (The New Shorter Oxford Dictionary, op. cit., p. 1379). Ce qui n’est pas négligeable ou sans importance n’est pas nécessairement important.

. . .

L’adoption du critère de la cause « substantielle » ou « appréciable » dans le cas du meurtre au deuxième degré permettrait au juge des faits de conclure qu’un accusé avait l’intention de causer la mort de la victime et que, en donnant suite à cette intention, il a contribué à la mort de la victime d’une façon qui n’était pas minime, insignifiante ou négligeable, puis d’acquitter l’accusé pour le motif qu’il est impossible d’affirmer qu’il a contribué de façon « importante » ou « appréciable » à la mort. [. . .] Selon nous, la meilleure façon de formuler le critère général de causalité applicable au meurtre au deuxième degré est d’indiquer au jury que l’accusé doit, par sa conduite, avoir contribué à la mort de la victime d’une façon qui est plus qu’insignifiante, minime ou négligeable. [Je souligne.]

(Voir aussi le par. 55 du mémoire de l’intervenant.)

8 Dans son article « Blamable Causation » (2000), 24 Crim. L.J. 144, le professeur Yeo fait une remarque intéressante à cet égard (à la p. 148) :

[traduction] On voit clairement la différence entre ce critère [de la « cause ayant contribué de façon appréciable »] et celui de la cause ayant contribué « de façon plus que mineure » lorsqu’on aborde les critères de la causalité factuelle et répréhensible. Tout d’abord, la poursuite aura établi l’existence de causalité factuelle si le juge des faits est convaincu que le résultat prohibé ne se serait pas produit n’eût été la conduite du défendeur. Comme nous l’avons vu, ce critère du « n’eût été » est respecté dès que l’on conclut que la conduite du défendeur a contribué d’une façon plus que négligeable au résultat. Lorsqu’elle satisfait à ce critère initial, la conduite du défendeur devient une cause du résultat. La poursuite doit ensuite établir l’existence de causalité répréhensible en convainquant le juge des faits que le défendeur a non seulement contribué par sa conduite au résultat, mais qu’il y a contribué « de façon appréciable ». [Je souligne.]

9 En conséquence, j’estime qu’il est injustifié de transformer le critère de la cause ayant contribué « de façon plus que mineure », dont il est question dans l’arrêt Smithers, en critère de la « cause ayant contribué de façon appréciable » étant donné que cela a pour effet de hausser le critère de causalité applicable à l’homicide coupable sans qu’il n’y ait aucune raison de le faire et sans qu’aucun motif ne soit évidemment fourni puisque ma collègue indique que la reformulation proposée ne modifie aucunement le critère de l’arrêt Smithers.

10 Les mots ont le sens qui doit leur être donné, et des mots différents évoquent souvent des critères très différents pour le jury. À mon avis, lorsqu’on dit d’une cause qu’elle a un effet « appréciable », on lui attribue une incidence ou importance plus grande que ne le fait l’expression « qui n’est pas insignifiante ». Comme l’indique un récent éditorial du Criminal Law Journal : [traduction] « La sémantique, l’usage courant des mots et des expressions et le bon sens jouent chacun un rôle décisif dans la détermination du lien de causalité en matière de droit criminel » (« Semantics and the threshold test for imputable causation » (2000), 24 Crim. L.J. 73, p. 74-75).

11 De plus, il convient de souligner que la langue est le moyen d’exprimer le droit. Comme P. M. Tiersma, professeur de droit et auteur américain, le fait remarquer à juste titre dans Legal Language (1999), p. 1 :

[traduction] Notre droit est constitué de mots. Bien qu’il existe diverses sources de droit importantes dans la tradition anglo-américaine, celles-ci sont toutes constituées de mots. La moralité ou la coutume peut faire partie intégrante du comportement humain, mais le droit — presque par définition — doit son existence à la langue. Ainsi, les juristes mettent énormément l’accent sur les mots qui constituent le droit, qu’il s’agisse de lois, de règlements ou d’opinions judiciaires.

12 La langue sert à exprimer notre raisonnement juridique. Les mots que nous utilisons constituent le filtre à travers lequel nous percevons et reconnaissons les concepts juridiques (voir G. A. Weissman, « Legal Esoterica : Reality is shaped by the language we use : “Jack and the Beanstalk” as told by a judge, a psychiatrist, and an economist » (1986), 29 Advocate (Idaho) 22). L’utilisation du mot juste revêt donc une importance cruciale dans notre analyse. Dans l’introduction de son livre intitulé The Word of the Law (1992), D. R. Klinck, professeur de droit à l’Université McGill, s’inspire de l’enseignement du philosophe chinois Confucius : [traduction] « Lorsqu’on lui a demandé quelle serait la première chose qu’il ferait si on l’invitait à administrer un pays, Confucius a répondu : “Je commencerais sûrement par corriger la langue” » (p. 8). Par ailleurs, Confucius affirme : « Aucune affaire ne peut être menée à bien si la langue ne correspond pas à la réalité ». Dans l’arrêt Deeks c. Wells, [1931] O.R. 818, la Section d’appel de la Cour suprême de l’Ontario statue ceci (aux p. 843-844) :

[traduction] Avant de clore ce volet de l’analyse, il peut convenir de mentionner une étrange erreur que l’on retrouve dans une bonne partie de l’argumentation de la demanderesse et que l’on peut parfois entrevoir dans la preuve — on peut s’interroger sur le fait que Wells n’a pas suivi la terminologie de la jurisprudence et de la doctrine qu’il dit avoir consultées. Il serait, croirait-on, tout à fait naturel qu’un homme de lettres, qui rédige un ouvrage de vulgarisation, explique dans ses propres mots les faits historiques qu’il tient de ses sources, au lieu d’utiliser la terminologie de l’ouvrage spécialisé original. Lorsqu’il est question d’une matière comme le droit, où une affirmation doit être acceptée en raison de la situation de la personne qui la fait, les mots précis que cette personne a utilisés peuvent être importants et le sont effectivement dans de nombreux cas, et ils devraient être repris textuellement, mais ce n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de l’exposé d’un fait. [Je souligne.]

13 Comme je l’ai déjà mentionné, notre raisonnement est dicté par les mots particuliers qui sont utilisés pour formuler un critère ou une norme juridique. Le professeur Klinck, op. cit., écrit (à la p. 15) : [traduction] « La couleur est un exemple courant de la continuité manifeste du monde observable : les couleurs du spectre se fondent les unes dans les autres; des mots différents tracent la ligne de démarcation à des endroits différents. »

14 En conclusion, je réitère que le critère de causalité de l’arrêt Smithers continue de s’appliquer et que si, comme le propose ma collègue, on le reformulait comme étant celui de la « cause ayant contribué de façon appréciable », on tracerait la ligne à un endroit différent, ce qui aurait pour effet de modifier considérablement le droit. À mon avis, il n’y a aucune raison légitime de reformuler le critère établi dans l’arrêt Smithers. Je suis plutôt d’avis qu’une telle modification devrait être carrément prohibée étant donné qu’elle aurait pour effet de hausser le critère de causalité. Par conséquent, je considère que l’expression actuelle « cause ayant contribué [à la mort] d’une façon qui n’est pas négligeable ou insignifiante » est la bonne formulation que les juges devraient utiliser lorsqu’ils expliquent au jury le critère de causalité applicable à toutes les infractions d’homicide.

15 Je rejetterais le pourvoi.

Version française du jugement des juges Iacobucci, Major, Binnie, Arbour et LeBel rendu par

Le juge Arbour —

I. Introduction

16 Le présent pourvoi soulève la question du lien de causalité applicable au meurtre au deuxième degré. Il s’agit de déterminer quel critère de causalité doit être préalablement respecté pour qu’une personne accusée de meurtre au deuxième degré puisse être tenue légalement responsable de la mort de la victime. Il nous faut aussi examiner la façon dont ce critère doit être expliqué au jury.

II. Les faits

17 Le lundi 21 août 1995, Mme Clara Loski, une veuve de 95 ans vivant seule à Kelowna, en Colombie-Britannique, a été trouvée morte dans sa chambre à coucher. Sa maison avait été cambriolée. Madame Loski était ligotée avec un fil électrique. Elle avait les mains liées derrière le dos et les jambes attachées et repliées vers l’arrière, et ses pieds et ses mains étaient attachés ensemble. Un vêtement rouge était enroulé autour de sa tête et de son cou et lui immobilisait le menton. Ce vêtement formait un garrot plus ou moins serré autour de son cou, mais il ne lui obstruait ni le nez ni la bouche.

18 L’une des voisines de Mme Loski, Deanna Taylor, a témoigné qu’elle fumait dans la cour arrière de son domicile pendant l’après-midi du vendredi 18 août 1995 lorsqu’elle a entendu la porte de Mme Loski se refermer et a vu deux jeunes hommes de race blanche quitter la propriété de Mme Loski par le portail arrière et emprunter la ruelle en courant.

19 Madame Loski est décédée 24 à 48 heures après avoir été volée et laissée pieds et poings liés dans son lit. Elle avait fini par tomber du lit. Le médecin expert du ministère public, le Dr Roy, était d’avis que la cause du décès était l’asphyxie résultant de l’obstruction des voies respiratoires supérieures.

20 La GRC a mis sur pied une opération secrète visant l’appelant Nette. Au cours de l’enquête, l’appelant a été amené à parler à un policier en civil, qui se faisait passer pour un membre d’un gang, du rôle qu’il avait joué relativement au vol dont avait été victime Mme Loski et au décès de cette dernière. Le policier en civil a enregistré cet aveu qui a été soumis en preuve au procès.

21 Au procès, l’appelant a témoigné pour sa propre défense. Il a déclaré s’être rendu seul au domicile de Mme Loski, le samedi 19 août 1995, un peu après minuit, dans le but de s’y introduire par effraction. Il a affirmé avoir frappé à la porte arrière qui s’est ouverte toute seule. Il a dit qu’il lui avait semblé que quelqu’un s’était déjà introduit dans la maison. Il a prétendu avoir découvert Mme Loski sans vie dans sa chambre à coucher et avoir quitté la maison. Quant aux conversations interceptées et obtenues grâce à l’opération secrète, l’appelant a dit qu’il avait inventé cette histoire de vol et de ligotage de Mme Loski pour impressionner le policier en civil.

22 La seule preuve médicale qui a été soumise au procès au sujet de la cause du décès est le témoignage du Dr Roy, le pathologiste judiciaire qui a enquêté sur la mort de Mme Loski et a témoigné pour le ministère public. Le Dr Roy a conclu que Mme Loski était morte asphyxiée à la suite d’une obstruction de ses voies respiratoires supérieures. Il a été incapable de discerner, parmi toutes les circonstances ayant entouré le décès de Mme Loski, le facteur qui avait à lui seul causé la mort par asphyxie. À son avis, l’asphyxie de la victime était attribuable à un certain nombre de facteurs, dont la position dans laquelle elle était attachée, le garrot autour de son cou ainsi que son âge et l’absence de tonicité qui en résultait. Lors de son contre‑interrogatoire, le Dr Roy a reconnu que d’autres facteurs, y compris l’insuffisance cardiaque globale et l’asthme dont souffrait Mme Loski, pouvaient avoir accéléré le processus d’asphyxie.

23 L’appelant a été accusé de meurtre au premier degré pour le motif qu’il avait causé la mort de Mme Loski en la séquestrant. Le ministère public a fait valoir au procès que l’acte ayant causé la mort et les actes constituant l’infraction de séquestration faisaient tous partie d’une suite ininterrompue d’événements qui constituaient une seule affaire, et que l’appelant était donc coupable de meurtre au premier degré aux termes du par. 231(5) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. L’appelant a subi son procès devant un juge et un jury. Le jury a prononcé un verdict de meurtre au deuxième degré et la Cour d’appel a rejeté l’appel de l’appelant contre ce verdict. Le seul moyen d’appel invoqué tant devant la Cour d’appel que devant notre Cour concerne le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré.

III. Les dispositions législatives pertinentes

24 Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46

222. (1) Commet un homicide quiconque, directement ou indirectement, par quelque moyen, cause la mort d’un être humain.

(2) L’homicide est coupable ou non coupable.

(3) L’homicide non coupable ne constitue pas une infraction.

(4) L’homicide coupable est le meurtre, l’homicide involontaire coupable ou l’infanticide.

(5) Une personne commet un homicide coupable lorsqu’elle cause la mort d’un être humain :

a) soit au moyen d’un acte illégal;

b) soit par négligence criminelle;

c) soit en portant cet être humain, par des menaces ou la crainte de quelque violence, ou par la supercherie, à faire quelque chose qui cause sa mort;

d) soit en effrayant volontairement cet être humain, dans le cas d’un enfant ou d’une personne malade.

229. L’homicide coupable est un meurtre dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) la personne qui cause la mort d’un être humain :

(i) ou bien a l’intention de causer sa mort,

(ii) ou bien a l’intention de lui causer des lésions corporelles qu’elle sait être de nature à causer sa mort, et qu’il lui est indifférent que la mort s’ensuive ou non;

b) une personne, ayant l’intention de causer la mort d’un être humain ou ayant l’intention de lui causer des lésions corporelles qu’elle sait de nature à causer sa mort, et ne se souciant pas que la mort en résulte ou non, par accident ou erreur cause la mort d’un autre être humain, même si elle n’a pas l’intention de causer la mort ou des lésions corporelles à cet être humain;

c) une personne, pour une fin illégale, fait quelque chose qu’elle sait, ou devrait savoir, de nature à causer la mort et, conséquemment, cause la mort d’un être humain, même si elle désire atteindre son but sans causer la mort ou une lésion corporelle à qui que ce soit.

231. (1) Il existe deux catégories de meurtres : ceux du premier degré et ceux du deuxième degré.

(2) Le meurtre au premier degré est le meurtre commis avec préméditation et de propos délibéré.

(3) Sans que soit limitée la portée générale du paragraphe (2), est assimilé au meurtre au premier degré quant aux parties intéressées, le meurtre commis à la suite d’une entente dont la contrepartie matérielle, notamment financière, était proposée ou promise en vue d’en encourager la perpétration ou la complicité par assistance ou fourniture de conseils.

(4) Est assimilé au meurtre au premier degré le meurtre, dans l’exercice de ses fonctions :

a) d’un officier ou d’un agent de police, d’un shérif, d’un shérif adjoint, d’un officier de shérif ou d’une autre personne employée à la préservation et au maintien de la paix publique;

b) d’un directeur, d’un sous-directeur, d’un instructeur, d’un gardien, d’un geôlier, d’un garde ou d’un autre fonctionnaire ou employé permanent d’une prison;

c) d’une personne travaillant dans une prison avec la permission des autorités de la prison.

(5) Indépendamment de toute préméditation, le meurtre que commet une personne est assimilé à un meurtre au premier degré lorsque la mort est causée par cette personne, en commettant ou tentant de commettre une infraction prévue à l’un des articles suivants :

a) l’article 76 (détournement d’aéronef);

b) l’article 271 (agression sexuelle);

c) l’article 272 (agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles);

d) l’article 273 (agression sexuelle grave);

e) l’article 279 (enlèvement et séquestration);

f) l’article 279.1 (prise d’otage).

(6) Indépendamment de toute préméditation, le meurtre que commet une personne est assimilé à un meurtre au premier degré lorsque celle‑ci cause la mort en commettant ou en tentant de commettre une infraction prévue à l’article 264 alors qu’elle avait l’intention de faire craindre à la personne assassinée pour sa sécurité ou celle d’une de ses connaissances.

(6.1) Indépendamment de toute préméditation, le meurtre que commet une personne est assimilé à un meurtre au premier degré lorsque la mort est causée au cours de la perpétration ou de la tentative de perpétration d’une infraction prévue à l’article 81 au profit ou sous la direction d’un gang, ou en association avec lui.

(7) Les meurtres qui n’appartiennent pas à la catégorie des meurtres au premier degré sont des meurtres au deuxième degré.

IV. Les jugements des tribunaux d’instance inférieure

A. Cour suprême de la Colombie-Britannique

25 Le procès de l’appelant a eu lieu devant un juge et un jury. Le juge Wilkinson, qui a présidé le procès, a terminé son exposé au jury le 5 mars 1998. Il a donné les explications suivantes au sujet du lien de causalité applicable au meurtre au deuxième degré :

[traduction] Le troisième élément est que l’accusé doit avoir causé la mort. À cet égard, vous devez être convaincus que l’accusé a causé la mort en deux sens distincts. Premièrement, vous devez être convaincus hors de tout doute raisonnable que la mort de Mme Loski a été causée par les actes de l’accusé Nette, par M. Quesnel ou par les deux à la fois, et non d’une autre manière.

À ce propos, je dois vous dire que la loi prévoit que, dans la mesure où un acte de l’accusé ou un acte commun de deux accusés, accompli dans le but de réaliser une intention commune, a contribué à la mort de la victime et y a contribué d’une façon plus que négligeable, c’est-à-dire dans la mesure où l’un de leurs actes a contribué à sa mort et y a contribué d’une façon plus que négligeable, il est possible de conclure, en ce qui a trait au meurtre et à l’homicide involontaire coupable, que l’accusé a causé la mort de la victime même s’il existait d’autres causes qui ne lui était pas ou ne pouvait pas lui être attribuables.

Donc, si des éléments de preuve indiquent que l’accusé n’a absolument pas, par ses actes, contribué à la mort de Mme Loski, celui-ci n’a pas causé la mort de la victime; toutefois, si ses actes ou leurs actes communs ont constitué l’une des causes de la mort de cette dernière et y ont contribué d’une façon plus que négligeable, vous pouvez conclure qu’il a causé la mort de la victime si vous en êtes convaincus hors de tout doute raisonnable.

Le deuxième point sur lequel vous devez vous prononcer, point qui concerne le projet commun, est la question de savoir si vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable que c’est l’accusé, et non pas M. Quesnel, qui a causé la mort de Mme Loski.

26 En ce qui concerne le lien de causalité applicable au meurtre au premier degré, le juge du procès a dit :

[traduction] Pour prouver qu’il y a eu meurtre au premier degré au sens du par. 231(5), le ministère public doit :

1. Établir que l’accusé est coupable de meurtre. Cela aura été fait si vous en êtes rendus à cette étape.

2. Établir que la participation de l’accusé au meurtre a été telle que ses actes ont constitué une cause substantielle de la mort de la victime.

Maintenant, cela diffère du meurtre au deuxième degré ou de l’homicide involontaire coupable où la cause du décès doit seulement être plus que négligeable et non substantielle.

3. Établir que l’accusé est coupable de l’infraction sous-jacente de séquestration.

4. Établir que l’accusé a causé la mort de la victime pendant qu’il commettait l’infraction de séquestration.

. . .

Pour qu’une personne puisse être déclarée coupable de meurtre au premier degré, le degré de culpabilité morale doit être plus élevé que celui qui s’applique au meurtre. Une personne ne peut être déclarée coupable de meurtre au premier degré aux termes du par. 231(5) que si le ministère public établit que les actes qu’elle a accomplis sont tels qu’ils doivent être considérés comme une cause substantielle et essentielle du décès. Il s’agit évidemment d’une cause beaucoup plus directe et substantielle que la cause mineure ou négligeable requise pour conclure au meurtre au deuxième degré.

Le critère de la cause substantielle exige que l’accusé joue un rôle très actif dans le meurtre de la victime. Dans la plupart des cas, cela signifie que l’accusé doit avoir, par ses propres actes, physiquement causé la mort de la victime, quoique, dans certains cas, les actes de l’accusé seront considérés comme étant la cause substantielle du décès même s’ils n’ont pas contribué physiquement à la mort. Si vous devez vous prononcer sur un meurtre au premier degré, vous devez alors examiner à nouveau toute la preuve relative à la cause du décès en vue de décider s’il est prouvé hors de tout doute raisonnable que ce critère de causalité plus exigeant a été respecté.

27 Le lendemain de son exposé au jury, le juge Wilkinson a reçu une note dans laquelle les jurés lui demandaient des précisions sur le critère de la cause substantielle et les éléments constitutifs du meurtre au premier degré. Dans ses nouvelles directives sur cette question, le juge Wilkinson a essentiellement répété aux jurés ce qu’il avait dit au sujet du meurtre au deuxième degré et du meurtre au premier degré dans son exposé initial.

28 À deux reprises, dont une fois dans l’exposé principal cité précédemment, et l’autre fois dans ses nouvelles directives, le juge Wilkinson s’est mal exprimé en décrivant à tort au jury le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré, comme étant celui de la [traduction] « cause mineure ou négligeable requise pour conclure au meurtre au deuxième degré », au lieu de la « cause ayant contribué d’une façon plus que négligeable ». Dans l’ensemble toutefois, l’exposé initial et les nouvelles directives indiquaient que, selon le critère de causalité applicable à l’homicide involontaire coupable et au meurtre au deuxième degré, les actes de l’accusé devaient avoir « contribué d’une façon plus que négligeable » à la mort de la victime, alors que dans le cas du meurtre au premier degré, une autre condition s’ajoutait, savoir que ses actes devaient constituer une « cause substantielle » de la mort de la victime.

B. Cour d’appel de la Colombie-Britannique (1999), 141 C.C.C. (3d) 130

(1) Le juge Lambert

29 La seule question soumise à la Cour d’appel était celle de savoir quel critère de causalité doit être respecté pour que l’on puisse prononcer une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré. Le juge Lambert a statué que le critère de causalité juridique énoncé dans l’arrêt Smithers c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 506, s’applique au meurtre au deuxième degré. Il a jugé que les distinctions entre le meurtre au premier degré et le meurtre au deuxième degré n’entrent en jeu qu’à l’étape de la détermination de la peine, une fois qu’il a été établi qu’un meurtre a été commis. Pour étayer le point de vue selon lequel la disposition relative au meurtre au premier degré concerne essentiellement la détermination de la peine, le juge Lambert a mentionné l’arrêt de notre Cour R. c. Farrant, [1983] 1 R.C.S. 124, qui a été approuvé et appliqué dans l’arrêt R. c. Harbottle, [1993] 3 R.C.S. 306.

30 Le juge Lambert a formulé cinq observations au sujet du critère de la « cause substantielle » énoncé dans l’arrêt Harbottle. Premièrement, l’arrêt Harbottle établit que le critère de causalité applicable au meurtre au premier degré prévu au par. 231(5) (auparavant par. 214(5)) du Code criminel consiste à déterminer si les actes de l’accusé ont constitué une « cause substantielle » du décès. Deuxièmement, cet arrêt confirme que le jury doit d’abord conclure qu’un meurtre a été commis avant de se demander s’il y a lieu de rendre un verdict de meurtre au premier degré en fonction du critère de la cause substantielle. Troisièmement, l’arrêt Harbottle compare le critère de causalité de l’arrêt Smithers avec le critère beaucoup plus exigeant qu’il établit. Quatrièmement, le critère de l’arrêt Harbottle ne s’applique pas au meurtre d’un policier ou d’un gardien de prison, dont il est question au par. 231(4) du Code. Enfin, le juge Lambert a conclu que, dans l’arrêt Harbottle, notre Cour avait expressément choisi de ne pas se prononcer sur le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré étant donné qu’elle n’avait pas à le faire dans le contexte de cette affaire. De plus, il a estimé qu’il ressortait implicitement de l’arrêt Harbottle que le critère de la cause substantielle ne s’appliquait pas au meurtre au deuxième degré et que cet arrêt n’avait pas tranché la question du critère applicable à un tel meurtre.

31 Le juge Lambert a ensuite mentionné deux arrêts postérieurs à Harbottle, dans lesquels la Cour d’appel de l’Ontario a examiné directement la question du critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré. Dans le premier arrêt, R. c. Cribbin (1994), 17 O.R. (3d) 548, la Cour d’appel a statué que le critère de l’arrêt Smithers était celui qu’il fallait appliquer pour pouvoir prononcer une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré et que, malgré sa formulation différente, il correspondait, pour l’essentiel, à celui qui s’applique en Angleterre ou en Australie. Dans le deuxième arrêt, R. c. Meiler (1999), 136 C.C.C. (3d) 11, la Cour d’appel a également conclu que le critère de l’arrêt Smithers était celui qui devait être appliqué au meurtre au deuxième degré.

32 En décrivant le critère de causalité de l’arrêt Smithers, le juge Lambert a conclu que les mots [traduction] « cause ayant contribué d’une façon qui n’est pas négligeable ou insignifiante » (par. 29) reflétaient le critère applicable sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’expression latine « de minimis » utilisée dans la version anglaise de l’arrêt Smithers. Il a en outre estimé que l’on peut désigner une cause « qui n’est pas insignifiante » en utilisant la forme affirmative pour parler plutôt d’une cause « appréciable », et qu’il serait donc approprié de décrire le critère de l’arrêt Smithers comme étant celui de la « cause ayant contribué de façon appréciable » (« significant contributing cause »). Il a ensuite comparé le critère de l’arrêt Smithers à celui appliqué dans un certain nombre d’autres décisions rendues en Angleterre et en Australie, et a décidé que le critère de la contribution appréciable utilisé dans ces affaires était essentiellement le même que le critère de l’arrêt Smithers.

33 Pour étayer sa conclusion que le critère de causalité établi dans l’arrêt Smithers s’appliquait au meurtre au deuxième degré, le juge Lambert a souligné qu’il serait difficile de formuler un critère intermédiaire utile qui serait moins exigeant que celui de l’arrêt Harbottle, mais plus exigeant que celui de l’arrêt Smithers, et qui pourrait être expliqué à un jury d’une façon qui lui permettrait de l’appliquer d’une façon réaliste aux faits. De même, il a conclu que le critère de la cause ayant contribué de façon appréciable, établi dans l’arrêt Smithers, est fondé en droit et n’est pas incompatible avec les objectifs du droit criminel en ce qui concerne la culpabilité morale requise pour qu’il y ait meurtre. Il a également déclaré qu’en examinant une question non tranchée par la Cour suprême du Canada il ne s’écarterait des arrêts de la Cour d’appel de l’Ontario que s’il était convaincu qu’ils sont erronés ou que leur application entraînerait une erreur judiciaire.

34 Le juge Lambert a fait remarquer que, dans son exposé au jury sur le critère de l’arrêt Smithers, le juge du procès a, à deux reprises, décrit erronément le critère applicable comme étant celui de la cause [traduction] « mineure ou négligeable » plutôt que celui de la « cause ayant contribué d’une façon plus que négligeable ». Il a conclu que, dans l’ensemble, l’exposé était correct et que ces deux lapsus ne pouvaient pas avoir induit en erreur le jury.

35 Ayant décidé que le juge du procès avait donné au jury des directives correctes sur le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré, le juge Lambert a considéré qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la question de savoir si, comme l’avait fait valoir l’avocat de l’appelant, le jury aurait vraisemblablement pu rendre un verdict différent si on lui avait dit que le critère de causalité applicable était celui de l’arrêt Harbottle et non pas celui de l’arrêt Smithers.

(2) Le juge Braidwood

36 Le juge Braidwood a rédigé de brefs motifs dans lesquels il a souscrit à la conclusion du juge Lambert que le juge du procès n’a pas donné au jury des directives erronées sur le critère de causalité. De plus, il a conclu que, dans le contexte de la présente affaire, il était invraisemblable que le critère de causalité sur lequel le jury avait reçu des directives ait pu modifier le résultat.

(3) Le juge en chef McEachern

37 Le juge en chef McEachern a souscrit à la conclusion du juge Lambert, mais pour des motifs différents. Il a examiné les arrêts de notre Cour Farrant, Smithers et Harbottle, précités, et a conclu que, dans l’arrêt Harbottle, notre Cour avait voulu établir un critère de causalité similaire pour le meurtre au premier degré et pour le meurtre au deuxième degré. Il a retenu l’argument de l’avocat de l’accusé selon lequel le critère de la « cause substantielle » de l’arrêt Harbottle s’appliquait tant au meurtre au premier degré qu’au meurtre au deuxième degré. Il a statué que le juge du procès avait commis une erreur en disant au jury que le critère de la cause ayant contribué de façon plus que mineure, établi dans l’arrêt Smithers, s’appliquait au meurtre au deuxième degré.

38 Cependant, le juge en chef McEachern a décidé que, compte tenu des faits de l’affaire, une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré était inévitable peu importe la façon dont le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré avait été expliqué au jury. Il a donc conclu qu’il y avait lieu d’appliquer la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) et de rejeter l’appel.

V. Les questions en litige

39 La seule question en litige dans le présent pourvoi est celle du critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré et la façon dont ce critère doit être expliqué au jury.

VI. Analyse

A. Introduction

40 En l’espèce, aucune question n’est soulevée relativement à l’exposé sur le meurtre au premier degré ou l’homicide involontaire coupable. Le seul moyen d’appel invoqué par l’appelant concerne la justesse de l’exposé sur le meurtre au deuxième degré et, plus particulièrement, le critère de causalité applicable à un tel meurtre. L’appelant fait valoir qu’un seul critère de causalité s’applique à toutes les formes d’homicide et que, pour expliquer ce critère au jury, l’on devrait utiliser l’expression « cause substantielle » qui, selon notre Cour dans l’arrêt Harbottle, s’applique au meurtre au premier degré prévu au par. 231(5) du Code criminel. L’appelant affirme que le juge du procès a commis une erreur en disant au jury que le critère de la cause ayant contribué « de façon plus que mineure », établi dans l’arrêt Smithers, s’appliquait à l’infraction de meurtre au deuxième degré. Il prétend que, s’ils avaient eu des directives appropriées sur le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré, les jurés l’auraient peut‑être acquitté relativement à l’accusation de meurtre au deuxième degré. L’appelant soutient donc que le pourvoi devrait être accueilli et la tenue d’un nouveau procès ordonnée pour le motif que le juge du procès a donné au jury des directives erronées sur le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré.

41 L’intimée et l’intervenant le procureur général de l’Ontario font valoir que le critère applicable au meurtre au deuxième degré est celui de la cause ayant contribué « de façon plus que mineure » qui a été formulé dans l’arrêt Smithers, précité. Ils soutiennent que le critère de la « cause substantielle » est un critère de causalité plus exigeant qui ne s’applique qu’à l’infraction de meurtre au premier degré prévue au par. 231(5) du Code criminel. De même, le procureur général de l’Ontario affirme que le critère plus exigeant de l’arrêt Harbottle s’applique aussi au meurtre au premier degré prévu au par. 231(6) du Code criminel, où les termes « lorsque celle-ci cause la mort »

utilisés relativement au meurtre commis dans le cadre d’un harcèlement criminel sont semblables à ceux utilisés au par. 231(5) (« lorsque la mort est causée par cette personne »). L’intimée et l’intervenant affirment donc que le juge du procès a donné au jury des directives appropriées sur le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré et que le pourvoi devrait, par conséquent, être rejeté.

42 Bien que la question du critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré n’ait pas été soulevée directement devant notre Cour jusqu’à maintenant, elle l’a été devant la Cour d’appel de l’Ontario dans les affaires Cribbin et Meiler, précitées. Dans les deux cas, le critère de la cause ayant contribué « de façon plus que mineure », établi dans l’arrêt Smithers, a été expressément approuvé relativement à une accusation de meurtre au deuxième degré.

B. Le critère de causalité applicable aux infractions d’homicide

43 Selon les parties et l’intervenant, notre Cour doit décider en l’espèce laquelle des expressions « cause ayant contribué de façon plus que mineure » (« beyond de minimis ») et « cause substantielle » doit être utilisée pour décrire au jury le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré. Selon moi, cette approche ne traduit pas correctement la décision qui doit être prise en l’espèce. Elle confond la question de savoir quel est le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré et celle de la façon dont ce critère doit être expliqué au jury. À mon avis, il est préférable d’examiner ces deux questions l’une après l’autre.

44 Pour déterminer si une personne peut être tenue responsable d’un résultat donné, en l’espèce la mort, il faut d’abord décider si elle a causé ce résultat en fait et en droit. Pour établir la causalité factuelle, il faut examiner, comme le laisse entendre cette expression, comment la victime est morte sur le plan médical, technique ou physique, et comment l’accusé a contribué à ce résultat. Une fois la causalité factuelle établie, il reste à examiner la causalité juridique.

45 Pour établir la causalité juridique, également connue sous le nom de causalité imputable (« imputable causation »), il faut se demander si l’accusé devrait être tenu responsable en droit du décès qui est survenu. Ce type de causalité repose sur des considérations juridiques telles que le libellé de l’article créant l’infraction et les principes d’interprétation. Ces considérations juridiques reflètent par ailleurs les principes fondamentaux de la justice criminelle, comme celui voulant que les personnes moralement innocentes ne soient pas punies : voir Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, p. 513; R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636, p. 652-653; R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, p. 336; R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3, p. 17; Cribbin, précité, p. 568. Pour déterminer si la causalité juridique a été établie, il faut se demander si l’accusé devrait être tenu criminellement responsable des conséquences qui ont résulté. Dans son ouvrage intitulé Textbook of Criminal Law (2e éd. 1983), p. 381-382, cité dans l’arrêt Cribbin, p. 568, G. Williams décrit la nature de l’analyse qui doit être effectuée pour établir la causalité juridique :

[traduction] Une fois réglée la question de la causalité de type « n’eût été » ou « sine qua non », il faut appliquer un critère non pas de causalité mais de réaction morale à la cause sine qua non pour qu’elle puisse être reconnue sur le plan juridique. Il faut se demander si on peut dire à juste titre que le résultat est imputable au défendeur. [. . .] Si l’on doit utiliser le mot « cause », il convient alors d’y rattacher les termes « imputable », « responsable » ou « blâmable » pour traduire le jugement de valeur porté. C’est le mot « imputable » qui nous paraît le mieux traduire cette idée. Alors que l’existence d’une cause sine qua non peut généralement être démontrée scientifiquement, aucune méthode scientifique ne peut permettre d’établir que l’une des multiples causes concourantes sine qua non est plus substantielle ou importante qu’une autre, ou qu’une personne impliquée dans le lien de causalité est plus blâmable qu’une autre.

46 Dans une affaire donnée, le jury n’effectue pas une analyse à deux volets pour déterminer si la causalité factuelle et la causalité juridique ont été établies. Au contraire, dans son exposé au jury, le juge du procès essaie d’expliquer le lien de causalité requis, tant sur le plan factuel que sur le plan juridique, pour que l’accusé puisse être tenu criminellement responsable de la mort de la victime.

47 Bien que la causalité soit une question distincte de la mens rea, le critère de causalité approprié comporte un élément de faute qui, outre l’élément moral requis, est suffisant en droit pour conclure à la responsabilité criminelle. C’est un acte illégal en soi qui constitue habituellement le premier maillon du lien de causalité qui permet d’attribuer les conséquences prohibées à un acte de l’accusé. Lorsque cet acte illégal est accompagné de l’élément moral requis pour l’infraction reprochée, la question de la causalité ne se pose généralement pas. Par exemple, dans le cas d’un meurtre, lorsqu’un accusé a l’intention de tuer une personne et commet un acte qui cause la mort de cette personne ou y contribue, la question de savoir si l’accusé a causé la mort de la victime se pose rarement. Comme je l’ai dit dans l’arrêt Cribbin, précité, le juge du procès a rarement besoin de donner des directives sur le critère de causalité au jury lorsque celui‑ci est saisi d’une accusation de meurtre et est convaincu que l’accusé avait l’intention de tuer ou d’infliger des lésions corporelles qu’il savait être de nature à causer la mort et qu’il lui était indifférent que la mort s’ensuive ou non. Dans un tel cas, l’exigence de mens rea règle habituellement toute question qui se pose en matière de causalité. Dans le cas d’un meurtre où l’intention de tuer ou d’infliger des lésions corporelles de nature à causer la mort a été établie, l’accusé est rarement en mesure de susciter un doute en faisant valoir que, même s’il souhaitait le résultat qui s’est produit, il ne l’a pas causé. La question de la causalité se pose rarement lorsqu’il est établi que l’accusé a prévu subjectivement la mort ou les lésions corporelles graves de nature à causer la mort, laquelle prévision subjective est requise pour justifier une déclaration de culpabilité de meurtre, au lieu de l’exigence moindre de la prévisibilité objective des lésions corporelles graves qui s’applique à l’homicide involontaire coupable. Dans le cas où l’intention, mais non l’existence d’un lien de causalité, serait établie, il pourrait convenir de rendre un verdict de culpabilité de tentative de meurtre : Cribbin, p. 564.

48 Les règles de droit applicables en matière de causalité sont en grande partie établies par les tribunaux, mais elles se dégagent aussi, directement ou indirectement, des dispositions du Code criminel. Par exemple, l’art. 225 du Code prévoit que, lorsqu’une personne cause une blessure corporelle qui est en elle‑même de nature dangereuse et dont résulte la mort, elle cause la mort peu importe que la cause immédiate de la mort soit un traitement convenable ou impropre. De même, les sous‑al. 222(5)c) et 222(5)d) prévoient qu’une personne commet un homicide coupable lorsqu’elle cause la mort d’une autre personne en portant cette dernière, par des menaces ou la crainte de quelque violence, ou par la supercherie, à faire quelque chose qui cause sa mort, ou en effrayant volontairement un enfant ou une personne malade. Ces dispositions législatives et d’autres dispositions semblables du Code empêchent de conjecturer sur la question de savoir si l’acte de l’accusé serait considéré comme étant trop éloigné pour avoir causé le résultat allégué, ou si la suite d’événements a été interrompue par une cause subséquente qui permet de dégager l’accusé de toute responsabilité relative aux conséquences. Lorsque la situation factuelle n’est pas visée par l’une des règles du Code applicables en matière de causalité, les principes généraux de common law régissant le droit criminel s’appliquent pour trancher toute question qui peut se poser en matière de causalité.

49 Compte tenu des règles législatives susmentionnées et des principes généraux de la responsabilité criminelle, les règles de droit civil applicables en matière de causalité ne sont pas d’un grand secours. Le droit criminel ne reconnaît pas la négligence contributive et ne comporte aucun mécanisme de partage de la responsabilité relative au préjudice résultant d’une conduite criminelle, sauf dans le contexte de la détermination de la peine une fois que l’existence d’un lien de causalité suffisant a été établie. De même, il prévoit la possibilité d’imputer une responsabilité au moyen des règles de droit applicables à la tentative d’infraction, qui n’ont pas d’équivalent en matière civile. En conséquence, je ne considère pas que les arguments de l’appelant relatifs au critère de causalité applicable en matière civile sont utiles pour élucider le critère qui s’applique en matière criminelle.

50 Pour décider si un accusé est coupable de meurtre au premier degré ou de meurtre au deuxième degré, le juge des faits doit commencer par déterminer s’il y a eu meurtre aux termes de l’art. 229 ou de l’art. 230 du Code criminel : Farrant, précité, p. 141. Dès qu’il a fait cela, il lui reste à décider s’il y a lieu de qualifier l’infraction commise de meurtre au premier degré ou de meurtre au deuxième degré selon les critères exposés à l’art. 231 du Code, qui est essentiellement une disposition relative à la détermination de la peine : Farrant, précité; R. c. Droste, [1984] 1 R.C.S. 208; R. c. Paré, [1987] 2 R.C.S. 618; R. c. Arkell, [1990] 2 R.C.S. 695; R. c. Luxton, [1990] 2 R.C.S. 711, et Harbottle, précité. Lorsque le ministère public invoque, comme en l’espèce, le par. 231(5) du Code, le jury doit d’abord conclure que l’accusé est coupable de meurtre avant d’examiner si sa participation à l’infraction sous-jacente et au meurtre de la victime a été si directe et substantielle qu’il convient de le déclarer coupable de meurtre au premier degré.

C. L’arrêt Harbottle a-t-il haussé le critère de causalité?

51 Notre Cour a déjà examiné la question de la causalité en matière d’homicide dans l’arrêt Smithers, précité, relativement à l’homicide involontaire coupable, et dans l’arrêt Harbottle, précité, relativement au meurtre au premier degré prévu au par. 231(5) du Code. En examinant la question de la causalité dans le contexte du meurtre au deuxième degré en l’espèce, il est utile de commencer par analyser les faits et les principes juridiques énoncés dans les arrêts Smithers et Harbottle, avant de se demander si l’arrêt Harbottle a haussé le critère de causalité en ce qui concerne le meurtre au premier degré prévu au par. 231(5) du Code seulement, ou s’il l’a fait en ce qui concerne les infractions d’homicide en général.

52 Dans l’affaire Smithers, l’appelant et la victime avaient eu une empoignade après un match de hockey junior rude et chaudement disputé. L’appelant avait donné un ou deux coups de poing à la tête de la victime et, pendant que celle‑ci était courbée, il lui avait asséné un violent et rapide coup de pied à l’abdomen. La victime était décédée quelques minutes après avoir reçu ce coup de pied. L’autopsie avait révélé que la mort était due à l’aspiration de vomissure, un phénomène extrêmement rare résultant du mauvais fonctionnement de l’épiglotte de la victime. La thèse du ministère public était que le coup de pied avait provoqué le vomissement et l’aspiration de vomissure, et que l’appelant avait donc causé la mort de la victime. Le jury a déclaré l’appelant coupable d’homicide involontaire coupable et la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel interjeté par l’appelant.

53 Dans l’affaire Smithers, l’appelant a invoqué deux moyens d’appel devant notre Cour. Premièrement, il a fait valoir que le juge du procès n’avait pas expliqué clairement au jury que les voies de fait devaient avoir également causé la mort de la victime. Le juge Dickson, plus tard Juge en chef, a rédigé les motifs de la Cour et a conclu que le juge du procès avait convenablement et suffisamment exposé au jury la question qui se posait relativement à la cause du décès. Deuxièmement, l’appelant a soutenu que la Cour d’appel s’était trompée en décidant que le jury disposait d’éléments de preuve lui permettant de conclure que le coup de pied avait causé la mort. Le juge Dickson a également rejeté ce moyen d’appel (à la p. 519) :

À cette question on peut répondre brièvement que témoins experts et ordinaires ont fourni au jury un ensemble de preuves très considérable indiquant que le coup de pied avait pour le moins contribué à la mort, de façon plus que mineure, et que c’est tout ce que le ministère public avait à établir. Il importe peu que la mort ait été causée en partie par un mauvais fonctionnement de l’épiglotte auquel l’appelant peut, ou non, avoir contribué.

54 Depuis l’arrêt Smithers, on utilise les expressions « cause ayant contribué de façon plus que mineure » (« beyond de minimis » ou « outside the de minimis range ») ou « cause ayant contribué d’une façon plus que négligeable » dans les directives au jury sur le critère de causalité applicable à toutes les infractions d’homicide, peu importe qu’il s’agisse d’un homicide involontaire coupable ou d’un meurtre. Notre Cour réexaminait récemment ce critère dans l’arrêt Harbottle, précité, relativement à une déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré fondée sur le par. 214(5) (maintenant par. 231(5)) du Code criminel. Il était question dans cette affaire du viol, de la séquestration et du meurtre d’une jeune femme. L’appelant et son complice avaient séquestré la victime, et l’appelant avait regardé son complice agresser brutalement la victime et la mutiler avec un couteau. Son complice avait ensuite tué la victime en essayant d’abord de lui taillader les poignets et, comme il n’y arrivait pas, en l’étranglant avec son soutien-gorge. L’appelant avait tenu les jambes de la victime afin de l’empêcher de continuer de donner des coups de pied pour se défendre pendant que son complice l’étranglait.

55 Dans l’affaire Harbottle, le juge du procès a, dans son exposé au jury, fait état de la préméditation et du propos délibéré ainsi que du fait que le meurtre avait été commis pendant l’agression sexuelle ou la séquestration de la victime, tel que prévu au par. 214(5) du Code. Notre Cour était saisie de la question de savoir si le juge du procès avait donné au jury des directives appropriées sur le par. 214(5). L’appelant a admis qu’il avait été partie au meurtre en participant à la séquestration ou à l’agression sexuelle de la victime, mais il a soutenu que l’expression « quiconque cause la mort » au par. 214(5) du Code signifiait qu’il ne pouvait être reconnu coupable de meurtre au premier degré que si la mort était imputable sur le plan diagnostique au fait qu’il avait tenu les jambes de la victime. La preuve médicale a révélé que la mort était imputable sur le plan diagnostique à l’asphyxie. Il était évident que l’asphyxie résultait directement du fait que le complice de l’appelant avait étranglé la victime et non pas du fait que l’appelant avait tenu les jambes de la victime. Le ministère public a soutenu que l’expression « quiconque cause la mort » au par. 214(5) ne créait pas une exigence de lien de causalité distincte de celle applicable au meurtre en général.

56 Le juge Cory, qui a rédigé les motifs de la Cour dans l’arrêt Harbottle, a rejeté les interprétations que le ministère public et la défense ont données de l’expression « quiconque cause la mort » au par. 214(5) du Code. Il a fait remarquer que le par. 214(5) est essentiellement une disposition relative à la détermination de la peine et qu’il n’entre en jeu qu’une fois que le jury a déclaré l’accusé coupable de meurtre pour avoir causé la mort de la victime. Une fois qu’il a déclaré l’accusé coupable de meurtre, le jury doit déterminer si l’accusé est coupable de meurtre au premier degré aux termes du par. 214(5). Le juge Cory a conclu que, pour qu’il puisse être déclaré coupable en vertu du par. 214(5) et faire l’objet de la stigmatisation et de la peine accrues qu’entraîne une déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré, l’accusé doit avoir joué un rôle très actif — habituellement un rôle de nature physique — dans le meurtre, et ses actes doivent constituer un élément essentiel et substantiel du meurtre de la victime. Le juge Cory a expressément indiqué que ce critère de la cause substantielle aux fins du par. 214(5) est beaucoup plus exigeant que celui de la cause ayant « contribué à la mort, de façon plus que mineure », établi dans l’arrêt Smithers : Harbottle, précité, p. 324.

57 L’appelant soutient que, dans l’affaire Harbottle, il était question de parties à une infraction et non de causalité, et qu’on ne devrait pas considérer qu’on y a adopté un critère de causalité juridique plus exigeant dans les cas où il existe des causes multiples. Il affirme que, dans Harbottle, il n’y a eu aucun débat sur la cause de la mort de la victime : elle avait été étranglée par le coaccusé Ross. L’appelant fait donc valoir qu’il n’était pas question de causes multiples dans Harbottle. Il prétend que la véritable question en litige dans cette affaire était de savoir si l’accusé avait joué un rôle suffisamment actif dans le meurtre pour pouvoir être déclaré coupable de meurtre au premier degré. Selon l’appelant, l’arrêt Harbottle a clarifié le droit applicable aux parties au meurtre au premier degré visé par le par. 231(5) du Code, sans toutefois établir un critère de causalité plus exigeant dans le cas des infractions prévues à ce paragraphe. L’appelant est d’avis que l’expression « cause substantielle » figurant dans l’arrêt Harbottle devrait être utilisée dans les directives au jury relatives aux infractions d’homicide et qu’elle ne constitue pas un critère de causalité plus exigeant que celui de la « cause ayant contribué de façon plus que mineure » (« beyond de minimis »), établi dans l’arrêt Smithers.

58 Dans son argumentation orale, l’appelant a soutenu que le critère de l’arrêt Smithers s’applique à tous les homicides coupables, mais qu’il devrait être reformulé et « cristallisé » en critère explicite de la cause [traduction] « appréciable » ou « substantielle » plutôt que celui de la cause ayant contribué « de façon plus que mineure » ou « d’une façon plus que négligeable », établi dans l’arrêt Smithers. Selon l’appelant, le critère « cristallisé » de la cause « appréciable » ou « substantielle » ne hausse pas le critère de causalité requis; il ne fait que clarifier la terminologie du lien de causalité ce qui permet au jury de se concentrer comme il se doit sur le bon critère. Les erreurs reprochées au juge du procès sont les suivantes : premièrement, il a donné au jury des directives sur le critère de la « cause ayant contribué d’une façon plus que négligeable » établi dans l’arrêt Smithers, plutôt que sur le critère « cristallisé » de la cause « appréciable » ou « substantielle », et deuxièmement, il s’est trompé à deux reprises en décrivant le critère établi dans l’arrêt Smithers comme étant celui de la [traduction] « cause mineure ou négligeable » au lieu de la « cause ayant contribué d’une façon plus que négligeable ». L’appelant prétend qu’en raison de ces erreurs le juge du procès a mal expliqué au jury le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré et qu’il se peut donc que le jury n’ait pas compris le critère de causalité qui s’appliquait.

59 L’intimée et l’intervenant le procureur général de l’Ontario font valoir que l’arrêt Harbottle a effectivement haussé le critère de causalité en employant l’expression « cause substantielle », mais que ce critère plus exigeant s’applique uniquement à l’infraction de meurtre au premier degré prévue au par. 231(5) et peut-être aussi à celle prévue au par. 231(6) du Code. Selon l’intimée et l’intervenant, le critère de l’arrêt Smithers continue de s’appliquer en ce qui concerne le meurtre au deuxième degré et l’homicide involontaire coupable.

60 L’argument avancé en l’espèce par l’appelant paraît illogique. D’une part, l’appelant prétend que l’expression « cause substantielle » utilisée dans Harbottle ne constitue pas un critère de causalité plus exigeant que celui de l’arrêt Smithers et que l’emploi de cette expression relativement à toutes les infractions d’homicide ne hausserait pas le critère de causalité. D’autre part, il soutient qu’en utilisant la terminologie de l’arrêt Smithers au lieu de celle de l’arrêt Harbottle dans ses directives au jury sur le meurtre au deuxième degré, le juge Wilkinson a commis une erreur de droit si grave qu’elle justifie d’annuler la déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès. Si, comme le fait valoir l’appelant, la « cause substantielle » ne constitue pas un critère de causalité plus exigeant que le critère de la cause ayant contribué « de façon plus que mineure » établi dans l’arrêt Smithers, il semblerait alors que l’emploi de la terminologie de l’arrêt Smithers au lieu de celle de l’arrêt Harbottle ne pourrait pas être une erreur de droit et encore moins une erreur si grave qu’elle devrait entraîner la tenue d’un nouveau procès.

61 Je conviens avec l’appelant qu’en réalité, dans l’arrêt Harbottle, l’accent est mis non pas uniquement ni même principalement sur l’existence d’un lien de causalité plus exigeant pour qu’il y ait meurtre au premier degré prévu au par. 231(5) du Code, mais plutôt sur l’exigence d’un degré plus grand de participation de l’accusé pour qu’il puisse être déclaré coupable de meurtre au premier degré aux termes de ce paragraphe. Toutefois, je ne suis pas d’accord pour dire qu’on devrait employer l’expression « cause substantielle » pour décrire le lien de causalité requis pour toutes les infractions d’homicide.

62 Monsieur Harbottle a causé la mort de la victime, au sens du par. 231(5) du Code, parce qu’il était l’un des coauteurs du meurtre. Selon le critère de l’arrêt Harbottle, le fait qu’une personne ait participé à un meurtre, en aidant ou en encourageant à le commettre au sens des al. 21(1)b) ou c) du Code criminel, ou en partageant l’intention commune prévue au par. 21(2) du Code, peut être insuffisant pour que l’on puisse conclure à l’existence d’un meurtre au premier degré aux termes du par. 231(5), qui prévoit que le meurtre doit être commis « par cette personne » en perpétrant l’infraction sous‑jacente. En l’espèce, l’infraction sous-jacente était la séquestration de Mme Loski. Les infractions sous-jacentes énumérées au par. 231(5) du Code comportent toutes un élément de domination illégale des victimes. Lorsqu’un accusé exploite cette position de force et commet un meurtre, un crime aussi odieux justifie que son auteur fasse l’objet de la stigmatisation et de la peine accrues qui sont liées au meurtre au premier degré : voir l’arrêt Paré, précité. Comme l’a expliqué le juge Cory dans l’arrêt Harbottle, pour qu’il y ait culpabilité de meurtre au premier degré aux termes du par. 231(5), il faut quelque chose de plus. Ce « quelque chose de plus » n’est pas que l’accusé ait davantage causé la mort de la victime. Ce qui est requis c’est que sa participation au meurtre soit suffisamment immédiate, directe et substantielle pour justifier la stigmatisation et la peine accrues qui sont liées au meurtre au premier degré.

63 Comme les arrêts Harbottle et Cribbin ainsi que la présente affaire l’illustrent, les questions relatives à la causalité ont tendance à se poser dans les cas d’homicide impliquant plusieurs parties. Sans l’article 21 du Code criminel, l’imputation de la responsabilité criminelle à une personne qui a aidé ou encouragé une autre personne à commettre une infraction serait vraiment problématique. Toutefois, les règles de droit applicables aux parties à une infraction prévoient qu’une personne peut être tenue criminellement responsable des actes d’une autre personne et tranchent donc de façon définitive certaines questions relatives à la causalité. Dans l’arrêt Harbottle, le juge Cory a décidé qu’en raison de l’art. 21 du Code il n’avait pas à établir des distinctions subtiles quant au degré de participation des deux auteurs de l’homicide. Il s’est plutôt concentré sur le sens des mots « quiconque cause la mort », figurant au par. 214(5) (maintenant par. 231(5)), pour décider si l’appelant pouvait être déclaré coupable de meurtre au premier degré. Le juge Cory a conclu que l’emploi du verbe « cause » au par. 214(5) imposait une autre exigence de lien de causalité distincte du lien de causalité requis pour l’infraction de meurtre, laquelle exigence n’entrait en jeu qu’une fois que le jury avait conclu que l’accusé était coupable de meurtre pour avoir causé la mort de la victime : Harbottle, précité, p. 316-317. Bien que cela ne soit pas pertinent en l’espèce, je souligne que le par. 231(6) du Code utilise une formulation (« lorsque celle‑ci cause la mort ») semblable à celle que l’on trouve au par. 231(5) (« lorsque la mort est causée par cette personne ») pour faire du meurtre commis en perpétrant l’infraction de harcèlement criminel prévue à l’art. 264 du Code un meurtre au premier degré. Ce libellé n’est pas repris au par. 231(6.1) du Code qui prévoit qu’un meurtre constitue un meurtre au premier degré lorsqu’il est commis au cours de la perpétration, au profit d’un gang, d’une infraction comportant l’usage d’explosifs prévue à l’art. 81 du Code.

64 L’arrêt Harbottle indique qu’une fois qu’il a conclu que l’accusé a commis un meurtre, le jury doit ensuite examiner s’il existe des circonstances aggravantes justifiant la stigmatisation et la peine accrues qu’entraîne une déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré fondée sur le par. 231(5). L’autre exigence de « lien de causalité », qu’impose le par. 231(5), renvoie non pas à la causalité factuelle, mais plutôt à un degré accru de causalité juridique. En d’autres mots, dès que le jury décide que l’accusé a commis un meurtre, ce qui implique une conclusion que l’accusé a causé la mort de la victime tant du point de vue factuel que du point de vue juridique, il doit ensuite examiner si la culpabilité morale de l’accusé, qui ressort du rôle qu’il a joué dans le meurtre, justifie un verdict de meurtre au premier degré. Comme le juge Cory l’affirme dans l’arrêt Harbottle, « [l]a gravité du crime et la sévérité de la sentence indiquent tous les deux qu’il faut établir l’existence d’un degré substantiel et élevé de culpabilité, outre celle de meurtre, pour que l’accusé soit déclaré coupable de meurtre au premier degré » (p. 323 (soulignement supprimé)). L’existence d’un degré aussi élevé de culpabilité morale ne sera établie que si on conclut que les actes de l’accusé constituent « un élément essentiel et substantiel du meurtre de la victime » (Harbottle, p. 324). L’expression « cause substantielle » sert à exprimer un degré plus élevé de causalité juridique, mais ce critère n’entre en jeu qu’au moment de décider si le degré de culpabilité morale de l’accusé justifie la stigmatisation et la peine accrues qui sont liées au meurtre au premier degré.

65 À la lecture de l’arrêt Harbottle, il est clair que le critère de la « cause substantielle » traduit le degré plus élevé de culpabilité morale qui doit ressortir du degré de participation de l’accusé au meurtre pour qu’on puisse le déclarer coupable de meurtre au premier degré aux termes du par. 231(5) du Code criminel. Ce degré plus élevé de participation de l’accusé, joint à la conclusion qu’il avait la mens rea requise pour le meurtre, justifie un verdict de culpabilité fondé sur le par. 231(5) du Code.

D. Explication au jury du critère de causalité

66 Comme nous l’avons vu, il est important d’établir une distinction entre le contenu du critère juridique de causalité et la façon dont ce critère doit être expliqué au jury. La différence entre ces deux concepts a été quelque peu éclipsée en l’espèce par le fait que les parties ont mis l’accent sur la terminologie utilisée pour décrire le critère de causalité. Je retiens l’argument de l’appelant selon lequel un seul critère de causalité s’applique à toutes les infractions d’homicide, peu importe qu’il s’agisse d’un homicide involontaire coupable ou d’un meurtre. Toutefois, je ne partage pas son avis que le critère applicable à toutes les infractions d’homicide, y compris le meurtre au deuxième degré, se traduit par l’expression « cause substantielle » utilisée dans l’arrêt Harbottle. Le critère applicable ne doit pas non plus être décrit au moyen de la terminologie « cause ayant contribué de façon plus que mineure » (« beyond de minimis »), retenue en ce qui concerne le critère de l’arrêt Smithers.

67 Au paragraphe 28, le juge Lambert relève les diverses expressions utilisées pour décrire le critère de causalité applicable aux infractions d’homicide et a insisté sur la nécessité d’établir une distinction entre le concept de causalité et la terminologie utilisée pour l’exprimer :

[traduction] Comme on peut facilement le constater, il existe diverses expressions pour décrire le lien de causalité. Il est important de se laisser guider par les concepts pertinents en la matière plutôt que par la terminologie utilisée.

68 À la page 130 de son ouvrage intitulé Canadian Criminal Law : A Treatise (3e éd. 1995), le professeur D. Stuart cite l’arrêt anglais British Columbia Electric Railway Co. c. Loach, [1916] A.C. 719 (C.P.), dans lequel la cour dit douter que le recours à une terminologie particulière puisse permettre d’aborder de la bonne façon la question du lien de causalité. Bien que ces commentaires aient été faits dans le cadre d’une action civile, j’estime qu’ils s’appliquent dans le présent contexte (aux p. 727-728) :

[traduction] Il est étonnant de constater le nombre d’épithètes que des juges éminents ont utilisées pour qualifier la cause qu’ils doivent vérifier pour déterminer la responsabilité, et le nombre encore plus élevé d’épithètes qui ont été appliquées aux actes et épisodes qui ne constituent pas une cause à cette fin. D’une part, « cause véritable », « cause réelle », « cause immédiate », « cause directe », « cause déterminante », « causa causans » et, d’autre part, « cause sine qua non », « cause occasionnelle », « cause éloignée », « cause concourante », « cause déterminante », « condition », et ainsi de suite. Il n’y a pas de doute que, dans les cas où on les a utilisées, on a jugé que ces expressions étaient utiles sinon on ne l’aurait pas fait, mais le fait qu’on les ait reprises sans s’interroger dans d’autres cas a souvent créé de la confusion, et il serait peut‑être préférable, après avoir souligné qu’il s’agit de déterminer la responsabilité, de se contenter de parler tout simplement de la cause du préjudice sans la qualifier.

69 En décrivant le critère de causalité de l’arrêt Smithers, le juge Lambert a conclu que les mots [traduction] « cause ayant contribué d’une façon qui n’est pas négligeable ou insignifiante » reflétaient le critère applicable sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’expression latine « de minimis » utilisée dans la version anglaise de l’arrêt Smithers. Il a en outre estimé que l’on peut désigner une cause « qui n’est pas insignifiante » en utilisant la forme affirmative pour parler plutôt d’une cause « appréciable », et qu’il serait donc approprié de décrire le critère de l’arrêt Smithers comme étant celui de la « cause ayant contribué de façon appréciable » (« significant contributing cause ») (par. 29).

70 Il existe un débat sémantique quant à savoir si l’expression « qui n’est pas insignifiante » traduit un degré de causalité moindre que le mot « appréciable ». Cela montre la difficulté d’essayer d’apporter à ce critère juridique particulier des nuances essentiellement dépourvues de sens. Je conviens avec le juge Lambert que, même s’il était souhaitable de formuler pour le meurtre au deuxième degré un critère de causalité plus exigeant que celui établi pour l’homicide involontaire coupable dans l’arrêt Smithers, mais moins exigeant que celui établi, dans l’arrêt Harbottle, pour le meurtre au premier degré prévu au par. 231(5) — ce qui n’est pas souhaitable selon moi — , il serait difficile de formuler de manière utile un tel critère et encore plus difficile pour un jury de saisir les nuances subtiles et d’appliquer trois critères de causalité différents.

71 Le critère de causalité formulé dans l’arrêt Smithers est encore valide et applicable à toutes les formes d’homicide. De plus, dans le cas du meurtre au premier degré prévu au par. 231(5) du Code, l’arrêt Harbottle exige des directives additionnelles, auxquelles je reviendrai plus loin. Le seul point faible que peut avoir le critère de l’arrêt Smithers se trouve non pas dans son contenu, mais dans sa formulation. Bien qu’ils causent peu de difficultés aux juges et aux avocats, l’emploi d’expressions latines et la formulation de critères sous la forme négative ne sont pas particulièrement utiles pour expliquer une notion abstraite à un jury. Pour expliquer le plus clairement possible le critère de causalité au jury, il peut être préférable de le formuler de façon affirmative en parlant, par exemple, d’une « cause ayant contribué de façon appréciable » au lieu de recourir à une formule négative comme celle de la « cause ayant contribué d’une façon qui n’est pas négligeable ou insignifiante ». Les expressions latines telles que « de minimis » sont rarement utiles.

72 Les juges du procès ont le pouvoir discrétionnaire de choisir la terminologie qu’ils utiliseront pour expliquer au jury le critère de causalité applicable. Les questions relatives à la causalité sont particulières à chaque cas et reposent sur les faits. C’est pourquoi il importe de donner au juge du procès la latitude d’expliquer de façon intelligible au jury les questions relatives à la causalité qui sont pertinentes eu égard aux circonstances de l’affaire, y compris celle de savoir s’il y a plus d’un accusé ou plus d’une partie. Comme je l’ai indiqué dans l’arrêt Cribbin, précité, p. 565‑566, bien qu’une terminologie différente soit utilisée au Canada, en Australie et en Angleterre pour expliquer le critère applicable, qu’il s’agisse des expressions « cause ayant contribué de façon plus que mineure » (« beyond de minimis »), « contribution appréciable » ou « cause substantielle », le critère de causalité que ces termes visent à expliquer dans le contexte d’un homicide est essentiellement le même : voir R. c. Pagett (1983), 76 Cr. App. R. 279 (C.A.); R. c. Hallett, [1969] S.A.S.R. 141 (C.S. in banco); Royall c. R. (1991), 100 A.L.R. 669 (H.C.); R. c. Smith (1959), 43 Cr. App. R. 121 (C.-M.A.C.); R. c. Cheshire, [1991] 3 All E.R. 670 (C.A.); R. c. Hennigan, [1971] 3 All E.R. 133 (C.A.). Par exemple, dans l’arrêt Cheshire, la cour affirme (à la p. 677) :

[traduction] Il n’appartient pas au jury d’évaluer les différentes causes possibles ou de choisir celle qui est dominante, pourvu qu’il soit convaincu que l’on peut à juste titre affirmer que les actes de l’accusé ont contribué de façon appréciable à la mort de la victime. Nous pensons que le mot « appréciable » explique que la contribution à la mort doit être plus que négligeable.

De même, dans l’arrêt Hennigan, la cour décrit ainsi le critère de causalité applicable à une accusation de conduite dangereuse ayant causé la mort (à la p. 135) :

[traduction] La cour aimerait souligner qu’il est évident que l’art. 1 de la Road Traffic Act 1960 n’exige pas que la façon de conduire soit une cause substantielle, majeure ou autre de l’accident. Dès que la conduite dangereuse contribue de façon plus que minime à la mort, la loi s’applique. Dans le passé, des juges ont considéré pratique d’indiquer dans leurs directives au jury que la conduite dangereuse doit être la cause substantielle, pour reprendre l’expression utilisée dans une affaire.

Dans la mesure où il peut leur sembler davantage utile d’expliquer le critère de causalité de l’arrêt Smithers d’une façon plus directe et affirmative, les juges du procès peuvent estimer préférable de le décrire comme étant celui de la « cause ayant contribué de façon appréciable » (« significant contributing cause »), pour reprendre la terminologie du juge Lambert dans le présent pourvoi.

73 À la lumière de l’arrêt Harbottle, lorsque le jury doit recevoir des directives sur le meurtre au premier degré prévu au par. 231(5) du Code en plus de directives sur l’homicide involontaire coupable ou le meurtre au deuxième degré, il y a lieu d’employer l’expression « cause substantielle » pour décrire le critère applicable au meurtre au premier degré afin de permettre au jury de comprendre que les directives concernant le par. 231(5) du Code comportent un élément différent en ce qui a trait au degré requis de participation de l’accusé à la perpétration de l’infraction. Dans un tel cas, il serait logique d’indiquer au jury que, pour qu’il y ait culpabilité d’homicide, l’accusé doit avoir, par ses actes, contribué « de façon appréciable » à la mort de la victime, tandis que pour qu’il y ait culpabilité de meurtre au premier degré aux termes du par. 231(5), les actes que l’accusé a accomplis doivent avoir constitué un élément essentiel et substantiel du meurtre de la victime.

E. La question de la causalité se pose-t-elle d’après les faits du présent pourvoi?

74 Comme je l’ai déjà dit, les questions relatives à la causalité se posent rarement dans le cas d’une infraction de meurtre. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire habituellement que le juge du procès explique au jury le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré ou au meurtre au premier degré. Les questions relatives à la causalité se posent plus souvent dans le cas d’un homicide involontaire coupable, où l’élément de faute réside dans le fait d’avoir causé la mort par un acte illégal ou par négligence criminelle, et dans la simple prévisibilité objective de la mort. Comme la jurisprudence l’indique, les questions relatives à la causalité ont tendance à se poser dans les situations où il est question de plusieurs parties (par exemple, l’arrêt Harbottle), de victimes vulnérables (par exemple, l’arrêt Smithers), de faits subséquents (par exemple, la décision Hallett) ou d’une combinaison de ces éléments.

75 L’appelant soutient qu’il est question, dans le présent pourvoi, de causes multiples et que le juge des faits doit décider si l’accusé a, par ses actes, contribué « de façon plus que mineure » à la mort de la victime, de sorte que sa responsabilité criminelle est engagée. L’intimée et l’intervenant ne contestent pas la façon dont l’appelant caractérise le présent pourvoi, à savoir qu’il y est question de causes multiples.

76 L’appelant prétend que plusieurs causes ont contribué en l’espèce à la mort de Mme Loski. Il fait valoir que le médecin expert du ministère public, le Dr Roy, a reconnu que plusieurs facteurs avaient probablement contribué à l’asphyxie de Mme Loski, notamment le fait d’avoir eu les pieds et les mains liés derrière le dos, le garrot autour de son cou, le corset à l’ancienne qu’elle portait, ainsi que l’insuffisance cardiaque globale, l’anomalie cardiaque et l’asthme dont elle souffrait. Selon l’appelant, tant ses actes que l’état de santé préexistant de la victime peuvent avoir contribué au décès de cette dernière. Il soutient que la preuve médicale présentée en l’espèce est équivoque quant à la cause de l’asphyxie. Il affirme que, dans un cas où le décès n’est attribuable qu’à une seule cause, le critère du « n’eût été » ou de la cause « sine qua non » règle habituellement la question de la causalité. Toutefois, selon l’appelant, dans un cas comme celui qui nous occupe où le décès est attribuable à plus d’une cause, le juge des faits doit décider si l’accusé a, par ses actes, suffisamment contribué à la mort de la victime pour que sa responsabilité criminelle soit engagée.

77 La difficulté d’établir l’existence d’une seule cause médicale déterminante du décès n’amène pas à conclure en droit que le décès est attribuable à des causes multiples. Dans un procès pour homicide, la question qui se pose est de savoir non pas qui ou quoi a causé la mort de la victime, mais plutôt si l’accusé a causé cette mort. Le fait que d’autres personnes ou facteurs peuvent avoir contribué au résultat peut être important sur le plan juridique lors du procès de la personne accusée de l’infraction. Ce fait sera important et disculpatoire si des facteurs indépendants, antérieurs ou postérieurs aux actes ou omissions de l’accusé, rompent juridiquement le lien entre celui‑ci et le résultat prohibé.

78 À mon avis, il n’est pas question en l’espèce de causes vraiment multiples et indépendantes, comme c’est le cas, par exemple, lorsqu’un traitement impropre peut également être à l’origine du décès de la victime. La décision Hallett, précitée, est un exemple de cas où il est question de causes multiples. Dans cette affaire, la victime, après avoir été battue, avait été abandonnée inconsciente au bord de la mer et avait péri noyée à la marée montante. Il s’agissait de déterminer si les actes de l’accusé étaient tels qu’il devait être tenu responsable de la mort malgré la cause subséquente qu’avait constitué la marée. La cour a formulé ainsi le critère de causalité (à la p. 149) :

[traduction] La question à se poser est de savoir si un acte ou une série d’actes (exceptionnellement, une omission ou une série d’omissions) consciemment accomplis par l’accusé sont tellement liés à l’événement qu’ils doivent être considérés comme ayant un effet causal suffisamment substantiel qui a subsisté jusqu’à ce que l’événement survienne, sans qu’il y soit mis fin ou qu’il soit suffisamment interrompu, aux yeux de la loi, par quelque autre acte ou événement.

Contrairement à la situation dans Hallett, aucune cause n’est intervenue en l’espèce entre l’acte de l’appelant et la mort de la victime.

79 La présente affaire ne constitue pas non plus un exemple de l’application de la règle de la vulnérabilité de la victime en matière criminelle. Selon cette règle, qui est un principe de longue date du droit de la responsabilité délictuelle, l’auteur du délit doit prendre sa victime comme elle est : Dulieu c. White, [1901] 2 K.B. 669; Athey c. Leonati, [1996] 3 R.C.S. 458. Ainsi, le fait que les blessures à la tête de la victime soient plus graves qu’elles ne l’auraient normalement été en raison de son crâne exceptionnellement fragile n’empêche pas l’auteur du délit d’être tenu responsable de tout le préjudice ayant résulté de sa faute. Ce principe s’applique également en matière criminelle et se dégage en partie de l’al. 222(5)d) et de l’art. 226 du Code criminel. Comme l’a dit le juge McLachlin (maintenant Juge en chef) dans l’arrêt Creighton, précité, p. 52 :

Le principe de la vulnérabilité de la victime est à la fois bon et utile. Il oblige les agresseurs, une fois lancés dans une conduite dangereuse qui pourra d’une manière prévisible causer des blessures à autrui, à endosser la responsabilité de toutes les conséquences, y compris la mort.

La rigueur potentielle de l’application de la règle de la vulnérabilité de la victime en matière criminelle est atténuée par l’exigence que l’accusé possède la mens rea requise pour l’infraction dont il est accusé, à savoir qu’il y ait eu « prévisibilité objective [. . .] du risque de lésions corporelles qui ne sont ni sans importance ni de nature passagère » : Creighton, précité, p. 45.

80 Il n’est pas question, dans le présent pourvoi, du cas classique de la victime qui décède de façon inattendue en raison de sa vulnérabilité inhabituelle et imprévisible aux blessures. La preuve médicale établit clairement que la condition physique de la victime liée à son grand âge peut avoir accéléré son décès. Toutefois, rien dans la preuve n’indique que Mme Loski serait décédée n’eût été les actes de l’appelant et de son complice. La preuve n’indique pas non plus qu’elle était une victime vulnérable dont les caractéristiques physiques étaient inhabituelles pour une femme de son âge. Tout porte à croire qu’elle était active et en bonne santé. Une victime beaucoup plus jeune, soumise au même traitement, n’aurait peut‑être pas non plus survécu. L’arrêt Smithers, dont les faits ont été analysés précédemment, est un exemple de cas où la victime était vraiment vulnérable. De même, rien dans la preuve n’indique qu’une cause subséquente a entraîné la mort de Mme Loski. Les diverses causes potentielles de la mort que l’appelant a invoquées en l’espèce seraient toutes visées par les principes législatifs ou de common law qui empêchent la rupture du lien de causalité qui permettrait d’exonérer l’accusé de toute responsabilité criminelle.

81 Comme le soutient lui‑même l’appelant, ce n’est que dans le cas où il existe des causes multiples qu’il est nécessaire de donner des directives au jury sur le critère de causalité applicable. À mon avis, nous ne sommes pas en présence d’un tel cas. Ce n’est pas parce que les actes de l’appelant n’auraient peut‑être pas causé la mort d’une autre personne ou que la mort aurait pu tarder davantage à survenir si la victime avait été plus jeune qu’on peut dire qu’il existe en l’espèce des causes multiples. Lorsqu’un accusé lie les pieds et les mains d’une personne âgée derrière son dos, lui installe un garrot autour du cou et l’abandonne, sachant qu’elle vit seule et sans avertir qui que ce soit de la situation dans laquelle elle se trouve, on peut évidemment s’attendre à ce que cette personne âgée meure si elle n’est pas délivrée à temps.

82 À mon avis, il n’était pas nécessaire en l’espèce de donner au jury des directives sur les règles de causalité applicables en matière d’homicide, si ce n’est pour leur faire part de la nécessité de conclure que l’accusé a causé la mort de la victime. Je suis d’accord avec le juge Braidwood et le juge en chef McEachern de la Cour d’appel pour qualifier d’invraisemblable l’argument de l’appelant selon lequel le jury aurait pu rendre un verdict autre que celui de meurtre au deuxième degré si on lui avait dit que le critère de causalité applicable était celui de la « cause substantielle » au lieu de celui de la « cause ayant contribué d’une façon plus que négligeable ». Rien dans la preuve n’indiquait que la mort de Mme Loski était attribuable à autre chose que les actes de l’appelant et de son complice. Celle‑ci est morte parce qu’elle a été abandonnée, pieds et mains liés derrière le dos, dans sa chambre à coucher, avec un garrot autour du cou. Rien de ce qui est survenu après que l’appelant et son complice eurent ligoté la victime et l’eurent abandonnée ne peut être considéré comme ayant rompu le lien de causalité entre eux et la mort de la victime. Toutefois, en ce qui concerne l’accusation de meurtre au premier degré, il était nécessaire que le juge du procès donne au jury des directives sur le par. 231(5) du Code conformément à l’arrêt Harbottle, étant donné que le ministère public était tenu d’établir que les actes de l’accusé constituaient un élément essentiel et substantiel du meurtre de la victime.

83 Comme je l’ai dit dans l’arrêt Cribbin, la causalité est un principe juridique qui repose sur des notions de responsabilité morale et n’est pas un exercice machinal ou mathématique. D’après les faits du présent pourvoi, le jury a conclu à juste titre que l’appelant avait causé la mort de Mme Loski et qu’il doit assumer la responsabilité juridique de ses actes. La question centrale au procès était de savoir si la preuve de l’intention requise était suffisante pour soumettre l’accusation de meurtre à l’appréciation du jury. Au procès, la défense a présenté une demande visant à soustraire l’accusation de meurtre à l’appréciation du jury. La question que le juge Wilkinson devait trancher relativement à cette demande était de savoir s’il y avait des éléments de preuve qui permettraient au jury de conclure que l’appelant avait eu l’intention de causer à Mme Loski des lésions corporelles qu’il savait être de nature à causer sa mort, au sens du sous‑al. 229a)(ii) du Code criminel. Le juge Wilkinson a rejeté la demande de la défense visant à soustraire l’accusation de meurtre à l’appréciation du jury.

84 À mon avis, la véritable question qui se posait en l’espèce relativement à l’accusation de meurtre était de savoir non pas si l’appelant avait causé la mort de la victime, mais plutôt s’il savait que ses actes étaient de nature à causer sa mort. Savait‑il que ses actes et ceux de son complice étaient de nature à causer la mort de Mme Loski? Savait‑il qu’une personne âgée comme Mme Loski mourrait probablement si elle avait les pieds et les mains liés derrière le dos? A-t‑il prévu que le bâillon pourrait glisser? A‑t‑il prévu qu’il se pourrait que personne ne vienne délivrer la victime avant qu’elle meure?

F. L’exposé au jury et le verdict

85 Comme je l’ai dit précédemment, je conclus que le critère de causalité est le même pour toutes les infractions d’homicide et qu’il n’y a pas lieu d’appliquer un critère différent aux infractions d’homicide involontaire coupable et de meurtre. Dans notre pays, on a traditionnellement utilisé la terminologie de l’arrêt Smithers pour formuler le critère de causalité applicable, savoir que l’accusé doit avoir contribué à la mort de façon plus que mineure. Notre Cour n’a pas infirmé ce critère dans des arrêts ultérieurs, y compris l’arrêt Harbottle.

86 En l’espèce, l’exposé au jury était entièrement satisfaisant. Le juge du procès a donné au jury des directives sur les éléments constitutifs de l’homicide involontaire coupable, du meurtre au deuxième degré et du meurtre au premier degré prévu au par. 231(5) du Code criminel. Au sujet de l’homicide involontaire coupable et du meurtre au deuxième degré, il a dit aux jurés qu’ils devaient conclure que l’accusé avait « contribué d’une façon plus que négligeable » à la mort de Mme Loski pour pouvoir conclure qu’il avait causé la mort de cette dernière. Cela reflète essentiellement le critère de causalité énoncé dans l’arrêt Smithers et désigne exactement le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré. À deux reprises, dont une fois dans l’exposé principal et l’autre fois en réponse à une question des jurés, le juge Wilkinson a mal décrit le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré en comparant le critère exigeant applicable au meurtre au premier degré à la [traduction] « cause mineure ou négligeable requise pour conclure au meurtre au deuxième degré ». À mon avis, ces erreurs, qui traduisent la difficulté de formuler un critère sous la forme négative, n’ont pas amené le jury à croire que le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré était moindre que celui de la « cause ayant contribué d’une façon plus que négligeable », établi dans l’arrêt Smithers. Les lapsus commis dans l’exposé au jury montrent qu’il est plus facile de formuler le critère de causalité de façon affirmative en parlant d’une contribution ou d’une cause « appréciable », au lieu de recourir à une formule négative comme celle de la « cause ayant contribué d’une façon qui n’est pas négligeable ou insignifiante » pour l’expliquer au jury.

87 Étant donné que le jury a déclaré l’accusé coupable de meurtre au deuxième degré, nous devons conclure qu’il a considéré que celui-ci avait eu l’intention requise pour l’infraction de meurtre, savoir qu’il y avait eu prévision subjective de la mort de sa part. Vu la conclusion du jury en ce qui a trait à l’intention, conclusion sur laquelle à mon avis les directives sur le lien de causalité n’auraient pas pu avoir d’incidence, il est évident qu’aucun jury raisonnable n’aurait pu douter que les actes de l’appelant constituaient une cause appréciable et véritable de la mort de la victime. C’est le motif de l’acquittement relatif à l’accusation de meurtre au premier degré qui ne ressort pas clairement du verdict. L’appelant soutient que le jury l’a acquitté de meurtre au premier degré parce qu’il doutait raisonnablement qu’il avait causé la mort de la victime selon le critère de causalité de l’arrêt Harbottle, mais qu’il l’a reconnu coupable de meurtre au deuxième degré parce qu’il était convaincu qu’il avait causé la mort de la victime selon le critère moins exigeant de l’arrêt Smithers. À mon avis, la preuve étayait largement la déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré et le jury a reçu des directives adéquates sur les exigences juridiques applicables en matière de causalité. Le jury avait le droit de douter que le degré de participation de l’accusé à l’infraction sous‑jacente de séquestration, combiné à la nécessité qu’il ait contribué de façon substantielle à la mort de la victime, était suffisant pour qu’il puisse conclure à l’existence du meurtre au premier degré. Quels que soient les motifs pour lesquels le jury a acquitté l’appelant relativement à l’accusation de meurtre au premier degré, son verdict de meurtre au deuxième degré est inattaquable.

VII. Conclusion et dispositif

88 Pour ces raisons, je conclus que le juge du procès a donné au jury des directives adéquates sur le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré, lorsqu’il a dit qu’il s’agissait de déterminer si l’accusé avait contribué d’une façon plus qu’insignifiante ou négligeable à la mort de la victime. Un seul critère de causalité s’applique aux infractions d’homicide, y compris le meurtre au deuxième degré. Ce critère peut être formulé de différentes façons, mais il n’en demeure pas moins le critère que notre Cour a énoncé dans l’arrêt Smithers, précité. L’expression « cause substantielle » que l’on trouve dans l’arrêt Harbottle sert à indiquer le degré accru de participation au meurtre qui est requis pour que l’on puisse déclarer l’accusé coupable de meurtre au premier degré aux termes du par. 231(5) du Code. L’arrêt Harbottle n’a pas rendu le critère de causalité qui s’applique à toutes les infractions d’homicide plus exigeant que celui qui a été énoncé dans l’arrêt Smithers.

89 Comme le démontre clairement ce qui précède, je conviens également avec le juge Braidwood et le juge en chef McEachern de la Cour d’appel que, si on avait dit au jury que le critère de causalité applicable au meurtre au deuxième degré était celui de la « cause substantielle » au lieu de celui de la « cause ayant contribué d’une façon plus que négligeable », cela n’aurait pas modifié le résultat en l’espèce. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer le verdict de meurtre au deuxième degré prononcé par le jury.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l’appelant : Gil D. McKinnon et Keith Hamilton, Vancouver.

Procureur de l’intimée : Le ministère du Procureur général, Vancouver.

Procureur de l’intervenant : Le ministère du Procureur général, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2001 CSC 78 ?
Date de la décision : 15/11/2001

Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Nette
Proposition de citation de la décision: R. c. Nette, 2001 CSC 78 (15 novembre 2001)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2001-11-15;2001.csc.78 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award