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07/12/2001 | CANADA | N°2001_CSC_87

Canada | Prévost-Masson c. Trust Général du Canada, 2001 CSC 87 (7 décembre 2001)


Prévost‑Masson c. Trust Général du Canada, [2001] 3 R.C.S. 882, 2001 CSC 87

Thérèse Prévost‑Masson, en sa qualité de

représentante légale de feu Henri Masson Appelante

c.

Trust Général du Canada, en sa qualité de

représentante légale de feu Joseph Avila Perras

Intimée

et

2639‑1565 Québec inc.,

Mark Weinberg et Lucien Roy (Intimés/Défendeurs devant la Cour supérieure)

Répertorié : Prévost‑Masson c. Trust Général du Canada

Référence neutre : 2001 CSC 87.

No du greffe : 27623.


2001 : 16 mai; 2001 : 7 décembre.

Présents : Les juges L’Heureux‑Dubé, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVO...

Prévost‑Masson c. Trust Général du Canada, [2001] 3 R.C.S. 882, 2001 CSC 87

Thérèse Prévost‑Masson, en sa qualité de

représentante légale de feu Henri Masson Appelante

c.

Trust Général du Canada, en sa qualité de

représentante légale de feu Joseph Avila Perras

Intimée

et

2639‑1565 Québec inc.,

Mark Weinberg et Lucien Roy (Intimés/Défendeurs devant la Cour supérieure)

Répertorié : Prévost‑Masson c. Trust Général du Canada

Référence neutre : 2001 CSC 87.

No du greffe : 27623.

2001 : 16 mai; 2001 : 7 décembre.

Présents : Les juges L’Heureux‑Dubé, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [1999] R.R.A. 817, [1999] J.Q. no 4446 (QL), qui a infirmé en partie un jugement de la Cour supérieure, [1994] R.R.A. 125. Pourvoi accueilli en partie.

Jean‑Charles René, Catherine Martel et Marc Duquette, pour l’appelante.

G. George Sand et Olivier Tergny, pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

Le juge LeBel --

I. Introduction

1 Ce pourvoi a été interjeté contre un jugement de la Cour d’appel du Québec. Ce jugement a condamné feu Henri Masson, comptable agréé, au paiement de dommages-intérêts égaux au solde du prix de vente de terrains qui avaient appartenu à Joseph Avila Perras et déclaré indivisibles cette dette et celle des acquéreurs de ces terrains. Il remet en cause la responsabilité professionnelle du comptable, le montant des dommages ainsi que la nature des liens, à supposer que de tels liens existent, entre l’obligation du comptable et celles de certains débiteurs de Perras, notamment la société commerciale 2639-1565 Québec inc., défenderesse en Cour supérieure. Pour les raisons qui suivent, je conclus que la responsabilité professionnelle de l’auteur de l’appelante, feu Henri Masson, est établie. Cependant, la condamnation doit être réduite, les intérêts applicables modifiés et les modalités des liens entre son obligation et celle de 2639-1565 Québec inc. redéfinies. Ces derniers doivent être condamnés in solidum. Devant la Cour, l’intimée, Trust Général du Canada, agit à titre de liquidatrice et représentante légale de feu Joseph Avila Perras. L’appelante, Thérèse Prévost-Masson, représente la succession de feu Henri Masson, défenderesse en première instance.

II. L’origine du litige

2 En 1988, Alban Perras est l’exécuteur testamentaire de son père, feu Joseph Avila Perras. Puisqu’Alban Perras réside surtout en Floride, sa fille Yvette Perras agit à titre de mandataire au Québec. À la demande de son père, elle recourt aux services professionnels de Masson pour toutes ses affaires et se fie entièrement à ses conseils pour leur règlement. Le 14 novembre 1988, Perras vend un ensemble de terrains, situés au sud de Montréal, à Les Immeubles Les Castels de Greenfield Park inc. Deux des actionnaires de cette société, Alfred Céré et André Pelletier, se portent débiteurs solidaires du prix de vente. Le 31 août 1989, Les Immeubles Les Castels de Greenfield Park inc. revend elle-même les terrains à 2639-1565 Québec inc. Mark Weinberg et Lucien Roy sont alors actionnaires et administrateurs de cette société commerciale. Dans l’acte de vente, 2639-1565 Québec inc. se porte débitrice solidaire du solde du prix de vente à l’égard de Perras.

3 Le terme du paiement du solde du prix de vente des terrains échoit le 14 novembre 1990. Le 9 octobre 1990, Roy, au nom du nouvel acquéreur 2639-1565 Québec inc., demande à Perras une prolongation de terme de deux ans. Très rapidement, au nom de son père, Yvette Perras refuse cette demande. En conséquence, les acquéreurs se préparent à acquitter le solde dû. Yvette Perras confie alors à Masson le soin de préparer un état de compte du solde dû par 2639-1565 Québec inc. Dans la préparation de cet état, Masson commet une erreur qui ampute la créance de 170 000 $. Un notaire prépare les quittances et reçoit les paiements sur la base de ces chiffres, que Weinberg et Roy ne cherchent pas à corriger, bien qu’ils soient conscients de l’erreur de calcul. Au cours des mois suivants, Masson réalise son erreur. Le 8 mars 1991, il prépare un état de compte révisé au montant de 187 036,30 $. Cette somme comprend le capital et les intérêts échus à cette date. 2639-1565 Québec inc. refuse de payer. Celle-ci prétend que la somme versée au moment de la signature des quittances est exacte et correspond à l’entente des parties. Perras poursuit alors Masson, Les Immeubles Les Castels de Greenfield Park inc., les débiteurs solidaires Céré et Pelletier, de même que 2639-1565 Québec inc. et ses actionnaires Weinberg et Roy. Il base son action sur les obligations contractées dans les actes de vente et la faute professionnelle de Masson.

III. Décisions des tribunaux inférieurs

A. La Cour supérieure du Québec, [1994] R.R.A. 125

4 Le juge Hurtubise de la Cour supérieure accueille l’action de Perras. D’abord, il retient la responsabilité professionnelle de Masson. Comptable d’expérience, celui-ci devait connaître avec précision le dossier de ses clients et informer Mme Perras du solde exact du prix de vente exigible en capital et intérêts de ses débiteurs hypothécaires à une date bien déterminée. Son erreur constitue une faute professionnelle dont il doit être tenu responsable, Mme Perras ayant été induite en erreur et amenée à signer une quittance erronée en faveur de 2639-1565 Québec inc.

5 À 2639-1565 Québec inc. et à ses actionnaires, Weinberg et Roy, le juge Hurtubise reproche un dol négatif. En effet, ils auraient obtenu une quittance qu’ils savaient erronée, en violation de leur obligation de bonne foi contractuelle. En conséquence, il annule la quittance et déclare 2639-1565 Québec inc. et ses administrateurs solidairement responsables du paiement du solde dû avec les débiteurs d’origine, Les Immeubles Les Castels de Greenfield Park inc. et ses cautions Céré et Pelletier. Il condamne donc conjointement et solidairement l’ensemble de ces débiteurs, y compris Masson, à payer 206 743,79 $, avec intérêts au taux de 12 pour 100 prévu par l’acte de vente, composé semi-annuellement à partir du 14 janvier 1992.

6 Masson, Weinberg, Roy et 2639-1565 Québec inc. forment un pourvoi devant la Cour d’appel du Québec. Masson conteste sa responsabilité professionnelle ainsi que le fondement juridique de la condamnation solidaire. Weinberg et Roy prétendent que la Cour supérieure ne pouvait lever le voile corporatif et les tenir responsables personnellement de la dette à titre d’administrateurs de la compagnie. Ils réitèrent leur argument qu’une entente est intervenue avec Perras et que la quittance est valide. Les débiteurs originaux, Les Immeubles Les Castels de Greenfield Park inc., Céré et Pelletier, n’interjettent pas appel.

B. La Cour d’appel du Québec, [1999] R.R.A. 817

7 Pour des motifs exposés par le juge Denis, la Cour d’appel du Québec modifie le jugement de la Cour supérieure. En premier lieu, elle retient la faute professionnelle de Masson. Celui-ci avait depuis longtemps la responsabilité de la comptabilité et des déclarations fiscales de Perras. Avant que 2639-1565 Québec inc. n’acquitte la dette et n’obtienne une quittance, le comptable devait imputer correctement les versements effectués par le débiteur et remettre un état exact à sa cliente. Selon la Cour d’appel, la faute professionnelle est évidente et a causé la perte subie.

8 Par ailleurs, la Cour d’appel rejette les prétentions de 2639-1565 Québec inc. quant à la validité de la quittance. Cette question soulève un problème de crédibilité qu’a tranché le juge de première instance. Cependant, étant d’avis que Weinberg et Roy n’ont pas encouru d’obligation personnelle à l’égard de Perras, elle annule la condamnation à leur égard. De plus, elle estime que la quittance ne peut être annulée que pour une somme équivalente au montant de l’erreur de calcul de Masson. Elle reste valide en partie, jusqu’à concurrence du paiement versé par 2639-1565 Québec inc.

9 La Cour d’appel décide que 2639-1565 Québec inc., Les Immeubles Les Castels de Greenfield Park inc., Céré et Pelletier demeurent responsables contractuellement du paiement du solde de la dette. Quant à Masson, il est également tenu contractuellement dans le cadre de sa relation de service professionnel avec Perras. Son erreur a privé la succession des sommes auxquelles elle avait droit et la quittance signée sur sa recommandation a éteint les sûretés qui garantissaient la dette. Le préjudice de Perras est donc né et actuel. Chacune des parties se trouve ainsi débitrice d’obligations contractuelles provenant de sources distinctes. La cour écarte la conclusion de solidarité de la Cour supérieure et déclare la dette indivisible au sens de l’art. 1124 C.c.B.C. Elle condamne ainsi Les Immeubles Les Castels de Greenfield Park inc., Céré et Pelletier de même que 2639-1565 Québec inc., à payer à Perras la somme de 206 743,79 $ avec intérêts au taux de 12 pour 100 l’an. Elle condamne également la succession Masson à payer la même somme. Les deux dettes étant indivisibles, elle déclare ensuite chacun des débiteurs et Masson responsables du paiement du total de la dette envers le créancier. Après ce jugement, Masson se pourvoit devant notre Cour. 2639-1565 Québec inc. n’attaque pas le jugement de la Cour d’appel et ne participe pas davantage au débat judiciaire.

IV. Dispositions législatives

10 Code civil du Bas Canada

1023. Les contrats n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes; ils n’en ont point quant aux tiers, excepté dans les cas auxquels il est pourvu dans la cinquième section de ce chapitre.

1078. Les intérêts échus des capitaux produisent aussi des intérêts:

1. Lorsqu’il existe une convention spéciale à cet effet;

2. Lorsque dans une action ces nouveaux intérêts sont spécialement demandés;

3. Lorsqu’un administrateur du bien d’autrui a reçu ou dû recevoir des intérêts sur les deniers du mineur, du majeur sous régime de protection ou du bénéficiaire de l’administration et a manqué à son obligation de les placer dans un délai raisonnable ou dans le délai fixé par la loi.

1078.1 Le montant accordé par jugement pour l’inexécution d’une obligation, sauf celle visée à l’article 1077, porte intérêt au taux légal ou, le cas échéant, au taux légalement convenu entre les parties, depuis la date de l’institution de la demande en justice.

Il peut être ajouté au montant ainsi accordé ou au montant accordé par jugement pour l’inexécution d’une obligation visée à l’article 1077 une indemnité calculée en appliquant à ce montant, à compter de ladite date, un pourcentage égal à l’excédent du taux d’intérêt fixé suivant l’article 28 de la Loi sur le ministère du revenu (L.R.Q., chapitre M-31) sur le taux légal d’intérêt ou, le cas échéant, sur le taux convenu.

1105. La solidarité ne se présume pas; il faut qu’elle soit expressément stipulée.

Cette règle cesse dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit en vertu d’une disposition de la loi.

Elle ne s’applique pas non plus aux affaires de commerce, dans lesquelles l’obligation est présumée solidaire, excepté dans les cas régis différemment par des lois spéciales.

1106. L’obligation résultant d’un délit ou quasi-délit commis par deux personnes ou plus est solidaire.

1124. L’obligation est indivisible:

1. Lorsqu’elle a pour objet quelque chose qui par sa nature n’est pas susceptible de division soit matérielle ou intellectuelle;

2. Lorsque l’objet, quoique divisible de sa nature, ne peut cependant être susceptible de division ou d’exécution par parties, à raison du caractère qui lui est donné par le contrat.

V. Analyse des questions en litige

11 Les questions en litige ont été circonscrites devant notre Cour. Essentiellement, le débat porte sur l’existence d’un préjudice et celle du lien de causalité. La faute du comptable Masson n’est plus en question. Bien que l’appelante n’ait pas admis formellement cette faute, elle nie la responsabilité de Masson sur la base de l’absence des autres éléments constitutifs de la responsabilité civile.

12 Incidemment, l’appelante conteste le montant de la condamnation et les modalités de celle-ci. Cette partie du pourvoi vise principalement la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle la créance est indivisible. Selon l’appelante, le concept d’indivisibilité ne s’applique pas. Le jugement de la Cour d’appel viole le principe de l’effet relatif des contrats en transformant Masson en un codébiteur solidaire du solde de prix de vente des immeubles. Si une faute a été commise, le montant de celle-ci doit être déterminé à la date de la quittance et ne peut porter un autre intérêt que l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’art. 1078.1 C.c.B.C. L’appelante ajoute que la condamnation in solidum n’aurait dû être prononcée que pour un montant estimé à 182 476,88 $ avec intérêts et l’indemnité additionnelle. D’un point de vue pratique, cette modification des conclusions abaisserait le montant de la créance de façon considérable. En effet, si l’on appliquait uniquement au capital dû par la succession de Masson l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle prévue au Code civil du Bas Canada, le montant de la condamnation passerait d’un peu plus de 600 000 $ (les intérêts contractuels et l’anatocisme compris) à environ 300 000 $.

13 L’intimée défend vigoureusement le jugement. Elle reproche à l’appelante de faire renaître la théorie de la subsidiarité du recours en responsabilité professionnelle que la jurisprudence québécoise a récemment discréditée. La faute de Masson est démontrée, et l’existence et le montant des dommages établis. Le Code civil du Bas Canada permettait à la Cour d’appel de conclure à l’indivisibilité de la créance en raison de la nature des rapports juridiques entre les codébiteurs. Quant au lien de causalité, l’intimée ajoute que la remise en état des parties est impossible, même après l’annulation partielle de la quittance signée le 21 décembre 1990, étant donné que des transactions impliquant les terrains sont intervenues depuis cette date. À ce sujet, les parties ont produit une série de documents presque à la veille de l’audience. Ceux-ci tentaient d’établir l’existence ou l’absence du préjudice. Ils ont en commun le fait d’avoir été présentés tardivement et d’avoir été omis du dossier d’appel, sinon, de celui de première instance.

14 Les parties soumettent ainsi à l’examen de la Cour deux questions principales auxquelles se rattachent certaines sous-questions. J’examinerai d’abord le caractère causal de la faute de Masson et la preuve du préjudice. J’étudierai ensuite la conclusion de la Cour d’appel quant à l’indivisibilité des dettes et à ses conséquences sur le montant de la condamnation. On se souviendra, par ailleurs, que cette affaire demeure soumise aux dispositions du Code civil du Bas Canada.

A. La causalité et le préjudice

15 À juste titre, l’appelante souligne que le droit de la responsabilité civile délictuelle ou contractuelle ne suppose pas seulement la constatation d’une faute. Il faut également démontrer le préjudice et le lien de causalité. L’appelante plaide que même si la faute du comptable est établie, les autres éléments constitutifs de la responsabilité civile ne le sont pas. En substance, elle prétend que le dommage n’était pas réalisé lors de l’institution des procédures. Elle ajoute qu’il n’était pas possible de prouver l’existence et le montant du dommage avant d’avoir établi que la remise en état des parties était irréalisable en raison de l’impossibilité de recouvrer la créance. L’existence et la preuve d’un dommage éventuel dépendaient des mesures de recouvrement que la succession Perras aurait dû entamer à la suite de l’annulation de la quittance. Ce n’est qu’après cette étape que les conditions d’ouverture d’un recours contre le comptable auraient été réunies.

16 Cette prétention repose sur une analyse erronée de la situation juridique créée par la quittance signée le 21 décembre 1990. Celle-ci a non seulement éteint les sûretés garantissant le paiement de la créance, mais aussi la créance elle-même. Les termes de cette quittance sont clairs à cet égard :

LESQUELLES sommes de capital et d’intérêt étant maintenant payées et dont quittance, la Comparante aux présentes donne une quittance générale et finale et requiert le Régistrateur du bureau d’enregistrement de Chambly de faire la radiation de tous droits, privilèges, hypothèques, effets de la clause de dation-en-paiement et tous autres droits créés en sa faveur par l’enregistrement des actes ci-haut mentionnés et enregistrés tel que susdit, sous les Numéros 800271, 826127, 800270 et 826128.

LA présente Quittance cancelle et annule tous reçus donnés antérieurement.

17 Le 21 décembre 1990, la situation juridique de Perras à l’égard de Masson s’était cristallisée. Par la faute de Masson, Perras avait perdu sa créance et les sûretés qui l’accompagnaient. Son préjudice étant né et actuel, il n’était pas tenu d’épuiser ses recours contre les débiteurs avant d’intenter son recours en responsabilité professionnelle. À l’égard de Masson, Perras se trouvait titulaire d’une créance fondée sur la responsabilité professionnelle de son conseiller. Celle-ci équivalait à la perte subie qui s’établissait à 182 476,88 $ en capital et intérêts au 21 décembre 1990. Les conditions d’un recours en responsabilité civile contre Masson se trouvaient alors réunies. Une faute avait été commise, un préjudice découlant de cette faute avait été établi. Le préjudice n’avait pas, comme le prétend l’appelante, un caractère purement éventuel. Sa naissance et sa détermination ne dépendaient pas de l’épuisement des procédures de recouvrement que Perras aurait pu entamer contre ses débiteurs.

18 L’argument de l’appelante fait revivre la théorie de la subsidiarité du recours en responsabilité professionnelle, théorie qui a été vivement critiquée par un jugement de la Cour supérieure du Québec prononcé par le juge Lesage en 1986. Cette critique a provoqué un revirement de jurisprudence. Comme le soulignait le juge Lesage, avant 1986, cette théorie avait connu une faveur jurisprudentielle significative, particulièrement dans le domaine de la responsabilité notariale. Saisis de problèmes de responsabilité professionnelle, les tribunaux devaient déterminer si le préjudice existait et si le montant de ce dernier était établi. (Voir Caisse populaire de Charlesbourg c. Lessard, [1986] R.J.Q. 2615, p. 2622.) Une fois l’existence du préjudice démontrée, aucun obstacle additionnel n’empêchait la poursuite contre le professionnel. Autrement dit, la solution qui prévalait antérieurement assimilait l’auteur d’une faute professionnelle à une simple caution qui avait le droit d’exiger l’épuisement des recours contre les autres débiteurs. Le recours en responsabilité professionnelle était alors assujetti à une sorte d’obligation préalable de discussion. Depuis, la jurisprudence a écarté cette solution et a admis la recevabilité immédiate du recours, une fois l’existence et le montant du dommage établis. (Voir Caisse populaire St-Étienne-de-la-Malbaie c. Tremblay, [1990] R.D.I. 483 (C.A.); Leenat ltée c. Bierbrier, [1987] R.D.J. 551 (C.A.); Bourque c. Hétu, [1992] R.J.Q. 960 (C.A.); Tamper Corp. c. Johnson & Higgins Willis Faber Ltd., [1993] R.R.A. 739 (C.A.); P.‑Y. Marquis, La responsabilité civile du notaire (1999), p. 48-52; J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, La responsabilité civile (5e éd. 1998), p. 929.)

19 Se retranchant derrière la recevabilité de son action, l’intimée n’a pas cru devoir faire au procès une preuve de la situation juridique créée par la quittance et des transactions survenues ultérieurement. Les difficultés survenues dans ce dossier démontrent cependant qu’il eut mieux valu tracer un portrait clair de la situation devant le juge de première instance. Devant notre Cour, tardivement, les parties ont tenté d’établir ce qui est survenu, afin de discuter de la possibilité d’une remise en état des parties après l’annulation partielle de la quittance. La Cour d’appel avait certes conclu à l’impossibilité de celle-ci. On doit reconnaître que cette conclusion s’avérait sans doute plausible et logique, mais reposait sur une base factuelle sommaire, voire inexistante, dans l’état du dossier d’appel. Les explications données devant la Cour quant à l’enregistrement d’autres charges hypothécaires sur les immeubles et quant à des transactions ultérieures paraissent raisonnables. Cependant, ces commentaires à l’audience, de même que le dépôt tardif d’une documentation partielle, remplacent mal une preuve adéquate. Celle-ci n’aurait pas compromis les positions juridiques des parties, mais aurait fourni aux tribunaux une information plus complète et ainsi évité des débats peut-être inutiles. Il demeure toutefois qu’après 10 ans, la succession Perras n’a toujours pas obtenu un remboursement de sa créance. Tel que mentionné plus haut, le montant de celle-ci est établi et la poursuite intentée contre Masson est recevable.

20 Il importe cependant de bien comprendre la situation juridique créée par la faute de Masson et la signature ultérieure de la quittance. En date du 21 décembre 1990, à la suite de la signature de cette quittance et des paiements reçus de ses débiteurs, la succession Perras se trouvait titulaire d’une créance de dommages contractuels contre Masson de 182 476,88 $. En même temps, 2639-1565 Québec inc. et d’autres parties se trouvaient débitrices du solde impayé de la créance hypothécaire dont les intérêts étaient établis conformément à des actes de vente intervenus antérieurement. La somme de 182 476,88 $ faisait ainsi partie d’un montant plus important dû par 2639-1565 Québec inc., montant qui pouvait être réclamé tant de celle-ci que de Masson.

B. Le problème de l’indivisibilité et de la solidarité

21 Cette situation a créé une difficulté juridique que la Cour d’appel a cru régler en concluant à l’indivisibilité des dettes, puisqu’une même somme d’argent se trouvait due comme créance de responsabilité contractuelle et comme solde de prix de vente par deux débiteurs différents. En pareil cas, le droit des obligations veut permettre au créancier de recouvrer efficacement sa dette, tout en évitant une surindemnisation. D’une part, on ne saurait permettre au créancier de recouvrer deux fois sa créance. D’autre part, il faut aménager les rapports entre les codébiteurs d’une façon qui tienne compte des principes du droit des obligations et du souci d’une répartition juste des responsabilités juridiques de chacun dans la situation créée par ce conflit. Pour atteindre ces objectifs, la Cour supérieure a conclu à la solidarité, la Cour d’appel à l’indivisibilité.

22 Avec respect, le Code civil du Bas Canada ne prévoit pas l’indivisibilité en pareil cas. L’article 1124 C.c.B.C. énonce que :

1124. L’obligation est indivisible:

1. Lorsqu’elle a pour objet quelque chose qui par sa nature n’est pas susceptible de division soit matérielle ou intellectuelle;

2. Lorsque l’objet, quoique divisible de sa nature, ne peut cependant être susceptible de division ou d’exécution par parties, à raison du caractère qui lui est donné par le contrat.

23 On ne se trouve certainement pas ici devant un cas où l’objet de l’obligation n’est pas susceptible de division puisqu’il consiste en une somme d’argent. Il ne s’agit pas, par exemple, de la livraison d’un objet matériel certain et déterminé, tel un véhicule.

24 Les créances portent sur une somme d’argent exigible de deux débiteurs différents et provenant de sources distinctes. Par sa nature, l’obligation de payer une somme d’argent reste susceptible de division. L’on ne voit guère de conflits dans la doctrine à ce sujet. (Voir P.-B. Mignault, Le droit civil canadien, t. 5, 1901, p. 505; J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, Les obligations (5e éd. 1998), no 627, p. 486; J. Pineau et S. Gaudet, Théorie des obligations (4e éd. 2001), no 400, p. 687-688; M. Tancelin, Des obligations : actes et responsabilités (6e éd. 1997), nos 1336-1338, p. 683-684.) La Cour d’appel voulait, certes, indiquer que la somme d’argent due à la suite de ce débat judiciaire pouvait être recouvrée indifféremment de l’un ou l’autre des débiteurs. L’indivisibilité ne représentait pas une solution juridiquement possible dans les circonstances de cette affaire.

25 Par ailleurs, au sens strict du terme, le concept de solidarité passive ne s’applique pas. L’article 1106 C.c.B.C. porte sur la responsabilité délictuelle et ne vise pas directement la situation juridique où deux dettes portant sur une même somme d’argent proviennent de deux sources distinctes. L’appelante soutient que le seul concept qui tiendrait compte correctement de la situation serait celui de l’obligation in solidum. Un auteur français, F. Chabas, souligne bien les distinctions, parfois délicates, qui existent entre les concepts d’obligations solidaires, indivisibles et in solidum. Ce dernier concept vise à aménager la coexistence de plusieurs dettes portant sur un même tout.

Dans les obligations solidaires, l’objet de l’obligation se divise : il y a plusieurs dettes, chacune à une fraction; la solidarité tient seulement à la représentation réciproque des codébiteurs. Dans l’obligation in solidum, l’objet de la dette ne se divise pas : il y a plusieurs dettes au tout. Dans l’obligation indivisible, il y a plusieurs dettes, chacune à une fraction, comme en cas de solidarité, mais il est impossible de diviser l’objet de l’obligation : le paiement ne peut se faire qu’en totalité. Chaque codébiteur indivisible est tenu d’exécuter le tout, non parce qu’il représente les autres -- il ne les représente pas --, ni parce qu’il doit le tout -- il ne doit que sa part --, mais parce que l’objet de l’obligation est indivisible. [En italique dans l’original.]

(H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons de droit civil, t. 2, vol. 1, Obligations : théorie générale (9e éd. 1998), p. 1124)

26 La solidarité passive constitue l’un des principaux mécanismes créés par le droit des obligations pour faciliter l’exécution d’une obligation contre une pluralité de débiteurs et pour régler les rapports juridiques entre eux. Comme le souligne Chabas, elle repose sur un concept de représentation mutuelle. (Voir aussi Baudouin et Jobin, op. cit.) Dans le cas où une dette est susceptible de division, elle permet au créancier de s’adresser indifféremment à l’un ou l’autre des débiteurs, laissant ceux-ci débattre entre eux la question de la répartition appropriée du paiement. D’ailleurs, l’art. 468 C.p.c. crée un véhicule procédural commode pour régler ce type de débat.

27 La situation dans laquelle se trouvent les parties ne se situe pas dans les termes exprès des cas de solidarité prévus au Code civil du Bas Canada. En droit civil français, où le code civil ne contenait pas une disposition similaire à l’art. 1106 C.c.B.C. sur la solidarité en matière délictuelle, la doctrine et la jurisprudence ont développé le concept d’une solidarité imparfaite ou d’obligation in solidum. Comme le souligne Chabas, cette théorie permettait de régler le régime juridique de dettes diverses, mais concurrentes, dont l’objet se trouvait le même, au moins en partie. (Voir Mazeaud et Chabas, op. cit., et aussi F. Chabas, L’influence de la pluralité de causes sur le droit à réparation (1967), p. 23 et suiv.; P. Malaurie et L. Aynès, Cours de droit civil -- Les obligations (9e éd. 1998), t. VI, p. 707 et suiv.; B. Starck, H. Roland et L. Boyer, Les obligations, t. 3, Régime général (6e éd. 1998), p. 111 et suiv.)

28 Souvent critiquée en droit français et n’ayant pu faire l’unanimité en doctrine québécoise, cette notion dérive du concept général de solidarité et respecte l’orientation générale de cette partie du droit des obligations. Celui-ci veut protéger le créancier, tout en permettant une répartition juste des obligations entre les débiteurs. Sa réception en droit civil québécois à l’art. 1106 C.c.B.C., qui permettait à la victime d’un préjudice causé par plusieurs fautes délictuelles distinctes de s’adresser indifféremment à un ou l’autre des débiteurs, respectait cette orientation du droit.

29 L’obligation in solidum, tel que l’a reconnu la jurisprudence, reprend les éléments fondamentaux de l’institution de la solidarité. Dès lors que deux dettes portent sur un même objet, elle permet au créancier de s’adresser indifféremment à l’un ou l’autre des débiteurs. Celui qui a payé est alors subrogé dans les droits du créancier contre son codébiteur. En pratique, cette notion a été utilisée fréquemment par la jurisprudence québécoise. (Proulx c. Leblanc, [1969] R.C.S. 765; Bilodeau c. Bergeron, [1975] 2 R.C.S. 345; Goedeke-Molitor c. Crown Trust Co., C.A. Montréal, 5 février 1985, J.E. 85-232; Hervé Rancourt Construction inc. c. Sévigny, [1989] R.R.A. 751 (C.A.); Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1989] R.J.Q. 2619 (C.A.), inf. pour d’autres motifs, [1992] 1 R.C.S. 382; Transport Brazeau inc. c. Noranda inc., [1990] R.R.A. 393 (C.A.); Véranda Industries inc. c. Beaver Lumber Co., [1992] R.J.Q. 1763 (C.A.)) Toutefois, d’autres jugements, parfois des mêmes juridictions s’y montraient plus réticents. (Voir Cargill Grain Co. c. Foundation Co. of Canada Ltd., [1970] C.S. 145 (conf. par [1975] C.A. 265, inf. pour d’autres motifs, [1977] 1 R.C.S. 659); Berthiaume c. Richer, [1975] C.A. 638; et Baudouin et Jobin, op. cit., p. 477-478.)

30 Baudouin et Jobin, op. cit., p. 478, soulignent ainsi les effets d’une obligation in solidum :

En effet, dans la mesure où l’on s’entend pour dire que, la solidarité (parfaite) étant un régime d’exception, il n’y aura de solidarité (parfaite) que lorsque le législateur l’aura prescrit expressément ou que les parties en auront convenu clairement, et que par ailleurs les effets secondaires de la solidarité ne se retrouvent pas dans la solidarité imparfaite, la catégorie semble avoir comme vocation de clarifier le droit dans certaines circonstances où des débiteurs sont responsables pour un objet identique sans être assujettis aux effets secondaires de la solidarité. Ainsi, la catégorie des obligations in solidum permet de saisir rapidement comment deux débiteurs d’un même montant d’argent, en vertu d’actes juridiques distincts n’entraînant pas la solidarité parfaite, sont tenus chacun au plein montant, et non à une quote-part, et que le paiement complet par l’un entraîne l’extinction de la créance et ouvre le droit à un récursoire contre l’autre débiteur.

(Voir Proulx c. Leblanc, [1969] B.R. 461, conf. par [1969] R.C.S. 765.)

31 Un arrêt récent de la Cour d’appel du Québec a repris cette notion d’obligation in solidum pour régler une difficulté résultant de l’application d’une clause pénale garantissant une obligation de non concurrence dans une vente d’actions d’une société commerciale. (Voir Dostie c. Sabourin, [2000] R.J.Q. 1026 (C.A.)) En l’espèce, un notaire avait, en toute connaissance de cause, facilité la violation d’une obligation de non concurrence en conseillant les parties à une transaction et en rédigeant les actes nécessaires à celle-ci. Le créancier s’était alors adressé à son débiteur, mais aussi au notaire instrumentant.

32 Selon la Cour d’appel du Québec, la responsabilité du notaire ne faisait pas de doute. Selon certaines prétentions, d’ailleurs retenues par la dissidence du juge Chamberland, le notaire pouvait être tenu entièrement et solidairement responsable de la totalité de la réclamation, y compris celle résultant de la clause pénale. Pour expliquer la situation juridique créée par l’existence d’une créance extra-contractuelle d’une part, et celle d’une obligation contractuelle d’autre part, la majorité de la Cour d’appel, pour des motifs exprimés par le juge Dussault, eut recours à la notion d’obligation in solidum (voir p. 1038). Le principe de l’effet relatif des contrats interdisait de traiter le notaire comme un codébiteur de la clause pénale. Le juge Dussault conclut alors à l’existence d’une obligation in solidum quant au notaire, limitée au montant des dommages que l’on pouvait rattacher à sa faute personnelle (à la p. 1039) :

Dostie, Fortier et Charland ayant contribué au préjudice subi par Sabourin, le premier par sa faute contractuelle et les deux autres par leurs fautes délictuelles, je conclus, comme mon collègue Chamberland, sans me prononcer autrement que sous le Code civil du Bas-Canada, qu’il en découle une obligation in solidum, mais je suis d’avis qu’elle n’existe qu’à l’égard de la réparation du préjudice effectivement subi par Sabourin, soit une perte évaluée à 25 000 $. Or, les dommages contractuels découlant des pénalités quotidiennes prévues à la clause de non-concurrence s’élèvent à 90 000 $, Dostie, seul signataire de cette clause, devra donc assumer entièrement la pénalité de la somme de 65 000 $ qui subsiste.

Pour ces motifs, je retiendrais la responsabilité contractuelle de Dostie et le condamnerais sur cette base au paiement de 65 000 $ à titre de pénalité comminatoire, et au paiement de la somme de 25 000 $ à titre de pénalité compensatoire in solidum avec Fortier et Charland, tous deux responsables sur le plan délictuel.

33 Le concept d’obligation in solidum permet de régler les difficultés juridiques posées par les rapports entre les codébiteurs de l’intimée conformément aux principes généraux de la solidarité et aux objectifs du droit des obligations. Masson est incontestablement responsable d’un préjudice qui s’est réalisé en date du 21 décembre 1990 et dont le montant, à cette date, s’élève à 182 476,88 $. La défenderesse 2639-1565 Québec inc. est également tenue pour un solde contractuel de 206 000 $ plus les intérêts au taux conventionnel. Ces deux dettes ont en partie un même objet.

34 Entre les défendeurs, les obligations doivent être considérées in solidum. Cette modalité permet à l’intimée de s’adresser à Masson pour le recouvrement du solde de 182 476 $ avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle de l’art. 1078.1 C.c.B.C. Par l’effet du paiement, elle permet également à Masson d’être subrogé dans les droits de Perras et d’exercer un recours récursoire pour autant contre 2639-1565 Québec inc., et toute autre partie qui resterait débitrice de ce solde de prix de vente. Le paiement de Masson laissera un solde dont 2639-1565 Québec inc. demeurera débitrice vis-à-vis Trust Général, et pour lequel cette dernière pourrait, en sa qualité de liquidatrice, exercer les droits et réaliser les sûretés de la succession Perras, s’il en est encore.

VI. Conclusion

35 Pour ces motifs, l’appel est accueilli en partie. Les conclusions de la Cour d’appel devraient être modifiées afin de déclarer que l’appelante est tenue in solidum avec 2639-1565 Québec inc., jusqu’à concurrence d’une somme de 182 476,88 $, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle de l’art. 1078.1 C.c.B.C. et que, sur paiement de cette somme, elle sera subrogée pour autant aux droits de l’intimée contre 2639-1565 Québec inc., le tout avec dépens devant notre Cour en faveur de l’appelante, sans modifier toutefois l’adjudication des dépens devant les autres cours.

Pourvoi accueilli en partie avec dépens.

Procureurs de l’appelante : Ogilvy Renault, Montréal.

Procureur de l’intimée : G. George Sand, Montréal.


Synthèse
Référence neutre : 2001 CSC 87 ?
Date de la décision : 07/12/2001
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli en partie

Analyses

Responsabilité civile - Responsabilité professionnelle - Comptable agréé - Les éléments constitutifs de la responsabilité civile ont‑ils été établis? - Le créancier doit‑il épuiser ses recours contre les débiteurs avant d’intenter son recours en responsabilité professionnelle?.

Droit civil - Obligations - Obligations in solidum - Somme d’argent due comme créance en responsabilité contractuelle et comme solde de prix de vente par deux débiteurs différents - Les obligations doivent‑elles être considérées in solidum?.

En 1988, P vend des terrains à une société commerciale et deux actionnaires se portent débiteurs solidaires du prix de vente. Plus tard, cette société revend les terrains à 2639‑1565 Québec inc. et dans l’acte de vente cette dernière se porte débitrice solidaire du solde du prix de vente à l’égard de P. À l’échéance du terme du paiement du solde du prix de vente, P confie à M, son comptable agréé et conseiller professionnel, le soin de préparer un état de compte du solde dû par 2639‑1565 Québec inc. Dans la préparation de cet état, M commet une erreur qui ampute la créance de 170 000 $. Un notaire prépare les quittances et reçoit les paiements sur la base de ces chiffres que 2639‑1565 Québec inc. ne cherche pas à corriger. Au cours des mois suivants, M réalise son erreur et prépare un état de compte révisé mais 2639‑1565 Québec inc. refuse de payer. P poursuit alors M et l’ensemble des débiteurs. La Cour supérieure annule la quittance et retient la responsabilité professionnelle de M. Elle condamne conjointement et solidairement l’ensemble des débiteurs, y compris M, à payer à P la somme de 206 000 $ avec intérêts. La Cour d’appel modifie le jugement de première instance. La cour annule la quittance en partie, écarte la conclusion de solidarité et déclare la dette indivisible au sens de l’art. 1124 C.c.B.C. Elle condamne M à payer à P la somme de 206 000 $ avec intérêts et condamne les autres débiteurs à payer la même somme. Les deux dettes étant indivisibles, la cour déclare chacun des débiteurs et M responsables du paiement du total de la dette envers P.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli en partie.

Le droit de la responsabilité civile délictuelle ou contractuelle ne suppose pas seulement la constatation d’une faute. Il faut également démontrer le préjudice et le lien de causalité. En l’espèce, la responsabilité professionnelle de M est établie. La quittance a éteint les sûretés garantissant le paiement de la créance ainsi que la créance elle‑même. À la date de la signature de cette quittance, la situation juridique de P à l’égard de M s’est cristallisée. Par la faute de M, P a perdu sa créance et les sûretés qui l’accompagnaient. Son préjudice étant né et actuel, il n’était pas tenu d’épuiser ses recours contre les débiteurs avant d’intenter son recours en responsabilité professionnelle. À l’égard de M, P se trouvait titulaire d’une créance de dommages de 182 476 $ fondée sur la responsabilité professionnelle de son conseiller. En même temps, 2639‑1565 Québec inc. et d’autres parties se trouvaient débitrices du solde impayé de la créance hypothécaire, soit 206 000 $ plus les intérêts. La somme de 182 476 $ faisait donc partie d’un montant plus important dû par 2639‑1565 Québec inc., montant qui pouvait être réclamé tant de celle‑ci que de M.

Puisqu’une même somme d’argent se trouvait due comme créance de responsabilité contractuelle et comme solde de prix de vente par deux débiteurs différents, il faut aménager les rapports entre les codébiteurs d’une façon qui tient compte des principes du droit des obligations et du souci d’une répartition juste des responsabilités juridiques de chacun dans la situation créée par ce conflit. Pour atteindre ces objectifs en l’espèce, l’indivisibilité ne représente pas une solution juridiquement possible. Les créances portent sur une somme d’argent exigible de deux débiteurs différents et provenant de sources distinctes. Par sa nature, l’obligation de payer une somme d’argent reste susceptible de division. Par ailleurs, au sens strict du terme, le concept de solidarité passive ne s’applique pas non plus. La situation dans laquelle se trouvent les parties ne se situe pas dans les termes exprès des cas de solidarité prévus au Code civil du Bas Canada. Le seul concept qui tient compte correctement de la situation des parties est celui de l’obligation in solidum. Ce concept permet de régler les difficultés juridiques posées par les rapports entre les codébiteurs conformément aux principes généraux de la solidarité et aux objectifs du droit des obligations. M est donc tenu in solidum avec 2639‑1565 Québec inc. jusqu’à concurrence de 182 476 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle de l’art. 1078.1 C.c.B.C. Sur paiement de cette somme, M sera subrogé pour autant aux droits de P et pourra exercer un recours récursoire contre 2639‑1565 Québec inc.


Parties
Demandeurs : Prévost-Masson
Défendeurs : Trust Général du Canada

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés : Caisse populaire de Charlesbourg c. Lessard, [1986] R.J.Q. 2615
Caisse populaire St‑Étienne‑de‑la‑Malbaie c. Tremblay, [1990] R.D.I. 483
Leenat ltée c. Bierbrier, [1987] R.D.J. 551
Bourque c. Hétu, [1992] R.J.Q. 960
Tamper Corp. c. Johnson & Higgins Willis Faber Ltd., [1993] R.R.A. 739
Proulx c. Leblanc, [1969] R.C.S. 765
Bilodeau c. Bergeron, [1975] 2 R.C.S. 345
Goedeke‑Molitor c. Crown Trust Co., J.E. 85‑232
Hervé Rancourt Construction inc. c. Sévigny, [1989] R.R.A. 751
Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1989] R.J.Q. 2619, inf. pour d’autres motifs, [1992] 1 R.C.S. 382
Transport Brazeau inc. c. Noranda inc., [1990] R.R.A. 393
Véranda Industries inc. c. Beaver Lumber Co., [1992] R.J.Q. 1763
Cargill Grain Co. c. Foundation Co. of Canada Ltd., [1970] C.S. 145, conf. par [1975] C.A. 265, inf. pour d’autres motifs, [1977] 1 R.C.S. 659
Berthiaume c. Richer, [1975] C.A. 638
Dostie c. Sabourin, [2000] R.J.Q. 1026.
Lois et règlements cités
Code civil du Bas Canada, art. 1023, 1078, 1078.1, 1105, 1106, 1124.
Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, art. 468.
Doctrine citée
Baudouin, Jean‑Louis, et Patrice Deslauriers. La responsabilité civile, 5e éd. Cowansville : Yvon Blais, 1998.
Baudouin, Jean‑Louis, et Pierre‑Gabriel Jobin. Les obligations, 5e éd. Cowansville : Yvon Blais, 1998.
Chabas, François. L’influence de la pluralité de causes sur le droit à réparation. Paris : Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1967.
Malaurie, Philippe, et Laurent Aynès. Cours de droit civil, t. VI, Les obligations, 9e éd. par Laurent Aynès. Paris : Cujas, 1998.
Marquis, Paul‑Yvan. La responsabilité civile du notaire. Cowansville : Yvon Blais, 1999.
Mazeaud, Henri, Léon et Jean, et François Chabas, Leçons de droit civil, t. 2, vol. 1, Obligations : théorie générale, 9e éd. par François Chabas. Paris : Montchrestien, 1998.
Mignault, Pierre‑Basile. Le droit civil canadien, t. 5. Montréal : C. Théorêt, 1901.
Pineau, Jean, Danielle Burman et Serge Gaudet. Théorie des obligations, 4e éd. par Jean Pineau et Serge Gaudet. Montréal : Thémis, 2001.
Starck, Boris, Henri Roland et Laurent Boyer. Droit civil : Les obligations, t. 3, Régime général, 6e éd. par Henri Roland. Paris : Litec, 1998.
Tancelin, Maurice. Des obligations : actes et responsabilités, 6e éd. Montréal : Wilson & Lafleur, 1997.

Proposition de citation de la décision: Prévost-Masson c. Trust Général du Canada, 2001 CSC 87 (7 décembre 2001)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2001-12-07;2001.csc.87 ?
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