La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/06/2002 | CANADA | N°2002_CSC_56

Canada | R. c. Handy, 2002 CSC 56 (21 juin 2002)


R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, 2002 CSC 56

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

James Handy Intimé

Répertorié : R. c. Handy

Référence neutre : 2002 CSC 56.

No du greffe : 27996.

2001 : 9 octobre; 2002 : 21 juin.

Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

Preuve -- Admissibilité -- Preuve de faits similaires -- Accusé inculpé d’agression sexuelle -- Le témoignage de l’ex-épou

se de l’accusé concernant les agressions dont elle aurait été victime dans le passé aurait-il dû être admis en tant que preuve de fa...

R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, 2002 CSC 56

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

James Handy Intimé

Répertorié : R. c. Handy

Référence neutre : 2002 CSC 56.

No du greffe : 27996.

2001 : 9 octobre; 2002 : 21 juin.

Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

Preuve -- Admissibilité -- Preuve de faits similaires -- Accusé inculpé d’agression sexuelle -- Le témoignage de l’ex-épouse de l’accusé concernant les agressions dont elle aurait été victime dans le passé aurait-il dû être admis en tant que preuve de faits similaires?

Preuve -- Collusion -- Admissibilité d’un témoignage -- La décision qu’il n’y a pas eu collusion entre la plaignante et un témoin aurait-elle dû être une condition préalable à l’admission de la preuve de faits similaires produite par le témoin?

L’accusé a été inculpé d’agression sexuelle causant des lésions corporelles. Il a fait valoir, pour sa défense, que les relations sexuelles étaient consensuelles. La plaignante a prétendu qu’elle avait consenti à des relations vaginales, mais pas à des relations douloureuses ou anales. Le ministère public a cherché à présenter une preuve de faits similaires en faisant témoigner l’ex‑épouse de l’accusé dans le but d’établir que ce dernier avait une propension à avoir des relations sexuelles douloureuses pour ses partenaires, y compris des relations anales, et qu’une fois stimulé il n’acceptait pas de se faire dire non. La preuve de faits similaires concernait sept épisodes qui seraient survenus antérieurement. L’accusé a nié avoir agressé la plaignante et avoir commis les agressions reprochées sur la personne de son ex‑épouse. Il a soutenu qu’il y avait eu collusion entre son ex-épouse et la plaignante. L’ex‑épouse a reconnu qu’elle avait rencontré la plaignante quelques mois avant l’agression sexuelle reprochée et qu’elle lui avait révélé l’existence du casier judiciaire de l’intimé, qu’elle lui avait fait part des sévices dont elle aurait été victime, qu’elle lui avait dit avoir reçu la somme de 16 500 $ de la Commission d’indemnisation des victimes d’actes criminels et que, pour obtenir l’argent, il lui avait suffi de dire qu’elle avait été maltraitée. Le juge du procès a admis la preuve de faits similaires et a décidé qu’il ne lui appartenait pas de résoudre la question de la possibilité de collusion. Le jury a déclaré l’accusé coupable d’agression sexuelle. La Cour d’appel a statué que le témoignage de l’ex‑épouse avait été admis à tort et elle a ordonné la tenue d’un nouveau procès.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

La preuve de faits similaires a été admise à tort. Le témoignage de l’ex-épouse concernait des faits qui, sur les plans du temps, du lieu et des circonstances, étaient éloignés de l’accusation. Il ne constituait donc qu’une preuve circonstancielle des questions que le jury était appelé à trancher. À l’instar de toute preuve circonstancielle, son utilité dépendait entièrement de la validité des inférences qu’il étayait, disait-on, relativement aux questions en litige. On a justifié l’admission de la preuve circonstancielle par le fait que le jury pourrait inférer, premièrement, que l’accusé est un individu qui éprouve du plaisir à infliger de la douleur à ses partenaires sexuelles et qui n’accepte pas de se faire dire non, et deuxièmement, que la moralité ou la propension de l’accusé ainsi établie permettait de déduire qu’il a agi délibérément en l’espèce, tout en sachant que la plaignante n’était pas consentante.

L’effet préjudiciable de cette preuve l’emportait sur sa valeur probante et le juge du procès n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de l’admettre. De plus, il a commis une erreur de droit en refusant de trancher la question de la collusion en tant que condition préalable d’admissibilité de la preuve en cause. Un nouveau procès s’impose.

La règle générale d’exclusion voulant que la preuve de faits similaires soit présumée inadmissible a été confirmée à maintes reprises. Elle reconnaît que le risque que cette preuve cause un préjudice, détourne l’attention du jury et entraîne un délai excessif l’emporte habituellement sur sa valeur probante. Cependant, il peut se poser des questions à l’égard desquelles la valeur probante de la preuve de faits similaires l’emporte sur le risque qu’elle soit mal utilisée. Il se peut que les circonstances similaires écartent toute coïncidence ou autre explication tendant à innocenter l’accusé. Plus la preuve se rapproche spécifiquement de l’accusation, plus sa valeur probante augmente. Il incombe à la poursuite de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la valeur probante de la preuve de faits similaires l’emporte sur le préjudice qu’elle peut causer.

La preuve de faits similaires ne cesse pas d’être une preuve de propension du fait qu’elle se rapporte à une question autre que la prédisposition générale.

La principale source de valeur probante est le rapport existant entre la preuve en cause et les infractions reprochées. Parmi les facteurs qui peuvent justifier l’admission d’une telle preuve, il y a la proximité temporelle des épisodes similaires, la ressemblance sur le plan des détails, la fréquence des actes similaires, les similitudes sur le plan des circonstances et tout trait distinctif. Les facteurs justifiant l’exclusion comprennent le caractère incendiaire des actes similaires, la question de savoir si le ministère public peut prouver ce qu’il avance à l’aide d’éléments de preuve moins préjudiciables, le risque de détournement d’attention du jury et la question de savoir si l’admission de la preuve entraînera un délai excessif.

Si la preuve de collusion ne révèle rien de plus qu’une possibilité de collusion, il est habituellement préférable de laisser au jury le soin de trancher cette question. Toutefois, il existait en l’espèce une certaine preuve de collusion véritable ou des allégations à tout le moins vraisemblables. Le ministère public devait donc convaincre le juge du procès, selon la prépondérance des probabilités, que la preuve de faits similaires n’était pas viciée par une collusion. Il lui suffisait de faire cela pour que la preuve soit admise. Il appartenait ensuite au jury de prendre la décision finale quant à la valeur de cette preuve.

Il ne suffisait pas que le ministère public produise des éléments de preuve risqués qui, si on leur ajoutait foi, auraient une valeur probante. Il n’appartenait pas à la défense de prouver l’existence d’une collusion. Pour qu’il y ait admissibilité, il fallait préalablement établir que la valeur probante de la preuve produite l’emportait sur son effet préjudiciable, et il appartenait au ministère public de remplir cette condition. Le juge du procès a commis une erreur de droit en renvoyant au jury toute la question de la collusion.

Au procès, la preuve de faits similaires concernait le consentement en tant qu’élément de l’actus reus et, à cet égard, la propension qu’aurait l’intimé à ne pas accepter qu’on lui dise non. Décider que la question soulevée était simplement celle de la crédibilité risquait de donner lieu à l’admission de rien de plus qu’une preuve de prédisposition générale. La preuve de faits similaires produite par l’ex-épouse de l’accusé pouvait permettre de faire l’inférence que celui‑ci éprouvait du plaisir à lui infliger de la douleur lorsqu’il avait des relations sexuelles avec elle et qu’il n’acceptait qu’elle lui dise non. La deuxième inférence, selon laquelle l’accusé avait en l’espèce continué d’agir tout en sachant que la plaignante n’était pas consentante, pose beaucoup plus de difficultés. Le juge du procès n’a pas suffisamment prêté attention aux différences entre l’infraction reprochée et les actes similaires qui auraient été accomplis. Au moins un épisode soi-disant similaire était en grande partie non pertinent. De plus, les autres épisodes présentaient des différences importantes. Aucun des épisodes soi-disant similaires n’a été consensuel au début, pour ensuite devenir non consensuel, la dynamique des situations différait et tous les épisodes sont survenus dans le contexte fort différent d’un mariage dysfonctionnel de longue durée.

Dans son témoignage, l’ex-épouse de l’accusé a décrit des faits plus répréhensibles que l’accusation dont est saisi le tribunal. Cette preuve risquait sérieusement de causer un préjudice moral et elle était également susceptible d’engendrer un grave préjudice par raisonnement en détournant l’attention du jury et en entraînant un délai excessif. Le préjudice ne diminue pas nécessairement au fur et à mesure que la valeur probante augmente. Étant donné que le ministère public ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la valeur probante de la preuve de faits similaires l’emportait sur le préjudice qu’elle était susceptible de causer, cette preuve aurait dû être écartée.

Jurisprudence

Arrêts analysés : R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918; Makin c. Attorney‑General for New South Wales, [1894] A.C. 57; Morris c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 190; Sweitzer c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 949; R. c. D. (L.E.), [1989] 2 R.C.S. 111, inf. (1987), 20 B.C.L.R. (2d) 384; arrêts interprétés : R. c. B. (C.R.), [1990] 1 R.C.S. 717; R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339; R. c. B. (F.F.), [1993] 1 R.C.S. 697; R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345; arrêt non suivi : Pfennig c. R. (1995), 127 A.L.R. 99; arrêts mentionnés : R. c. Watson (1996), 50 C.R. (4th) 245; R. c. B. (L.) (1997), 35 O.R. (3d) 35; Director of Public Prosecutions c. Boardman, [1975] A.C. 421; Harrison’s Trial (1862), 12 How. St. Tr. 833; R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577; Leblanc c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 339; United States c. York, 933 F.2d 1343 (1991); R. c. C. (M.H.), [1991] 1 R.C.S. 763; R. c. Batte (2000), 34 C.R. (5th) 197; R. c. Litchfield, [1993] 4 R.C.S. 333; R. c. Lepage, [1995] 1 R.C.S. 654; R. c. Sims, [1946] 1 All E.R. 697; R. c. Clermont, [1986] 2 R.C.S. 131; R. c. Bosley (1992), 18 C.R. (4th) 347; R. c. Proctor (1992), 69 C.C.C. (3d) 436; R. c. Hanna (1990), 57 C.C.C. (3d) 392; R. c. Scopelliti (1981), 63 C.C.C. (2d) 481; R. c. Straffen, [1952] 2 Q.B. 911; R. c. Carpenter (1982), 142 D.L.R. (3d) 237; R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915; Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709; R. c. Simpson (1977), 35 C.C.C. (2d) 337; R. c. Huot (1993), 16 O.R. (3d) 214; R. c. Rulli (1999), 134 C.C.C. (3d) 465; R. c. Fleming (1999), 171 Nfld. & P.E.I.R. 183; R. c. Dupras, [2000] B.C.J. No. 1513 (QL); Director of Public Prosecutions c. Kilbourne, [1973] A.C. 729; United States c. Enjady, 134 F.3d 1427 (1998), certiorari refusé, 525 U.S. 887 (1998); Hodge’s Case (1838), 2 Lewin 227, 168 E.R. 1136; R. c. H., [1995] 2 A.C. 596; R. c. Kenny (1996), 108 C.C.C. (3d) 349; R. c. McDonald (2000), 148 C.C.C. (3d) 273; R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330; R. c. Smith (1915), 84 L.J.K.B. 2153; R. c. Minhas (1986), 29 C.C.C. (3d) 193; R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670; Director of Public Prosecutions c. P., [1991] 2 A.C. 447; R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 11d).

Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 718.2.

Doctrine citée

Acorn, A. E. « Similar Fact Evidence and the Principle of Inductive Reasoning : Makin Sense » (1991), 11 Oxford J. Legal Stud. 63.

Cross and Tapper on Evidence, 9th ed. By Colin Tapper. London : Butterworths, 1999.

Delisle, R. J. « The Direct Approach to Similar Fact Evidence » (1996), 50 C.R. (4th) 286.

Durston, Gregory. « Similar Fact Evidence : A Guide for the Perplexed in the Light of Recent Cases » (1996), 160 Justice of the Peace & Local Government Law 359.

Grande-Bretagne. Law Commission. Consultation Paper No. 141. Evidence in Criminal Proceedings : Previous Misconduct of a Defendant. London : HMSO, 1996.

Lloyd-Bostock, S. « The Effects on Juries of Hearing About the Defendant’s Previous Criminal Record : A Simulation Study », [2000] Crim. L.R. 734.

Martin, G. Arthur. « Similar Fact Evidence », [1984] Spec. Lect. L.S.U.C. 1.

McCormick on Evidence, vol. 1, 5th ed. By John W. Strong, General Editor. St. Paul, Minn. : West Group, 1999.

McWilliams, Peter K. Canadian Criminal Evidence, vol. 1, 3rd ed. Aurora, Ont. : Canada Law Book, 1988 (loose-leaf updated October 2001, release 27).

Mueller, Christopher B., and Laird C. Kirkpatrick. Federal Evidence, Cumulative Supplement to vol. 2, 2nd ed. Rochester, N.Y. : Lawyers Cooperative Publishing, 1994 & Supp. 2001.

Paciocco, David M., and Lee Stuesser. The Law of Evidence, 2nd ed. Toronto : Irwin Law, 1999.

Pickel, Kerri L. « Inducing Jurors to Disregard Inadmissible Evidence : A Legal Explanation Does Not Help » (1995), 19 Law & Hum. Behav. 407.

Rosenberg, Marc. « Evidence of Similar Acts and Other Extrinsic Misconduct ». In National Criminal Law Program, Criminal Evidence. Vancouver : Federation of Law Societies of Canada, 1994, section 8.1.

Sopinka, John, Sidney N. Lederman and Alan W. Bryant. The Law of Evidence in Canada, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1999.

Stuesser, Lee. « Similar Fact Evidence in Sexual Offence Cases » (1997), 39 Crim. L.Q. 160.

Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law, vol. 1A. Revised by Peter Tillers. Boston : Little, Brown & Co., 1983.

Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law, vol. 2. Revised by James H. Chadbourn. Boston : Little, Brown & Co., 1979.

Wissler, Roselle L., and Michael J. Saks. « On the Inefficacy of Limiting Instructions : When Jurors Use Prior Conviction Evidence to Decide on Guilt » (1985), 9 Law & Hum. Behav. 37.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2000), 48 O.R. (3d) 257, 131 O.A.C. 297, 32 C.R. (5th) 316, 145 C.C.C. (3d) 177, [2000] O.J. No. 1373 (QL), qui a accueilli l’appel de l’accusé contre une décision de la Cour de l’Ontario (Division générale). Pourvoi rejeté.

Christopher Webb, pour l’appelante.

Richard N. Stern et David E. Harris, pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1 Le juge Binnie — Les principales questions en litige en l’espèce concernent (i) le critère d’admissibilité d’une preuve de faits similaires déshonorants dans le cas où la crédibilité de la plaignante (par opposition à l’identification de l’accusé) est en cause, et (ii) l’incidence d’une possibilité de collusion sur l’admissibilité d’une telle preuve.

2 L’intimé a été accusé d’agression sexuelle causant des lésions corporelles. La plaignante, une connaissance de l’intimé, affirme que les relations vaginales consensuelles qu’ils ont eues après avoir consommé de l’alcool dans un bar ont dégénéré en relations sexuelles vaginales puis anales non consensuelles douloureuses, accompagnées de violence physique. Au procès, le ministère public a cherché à faire témoigner l’ex‑épouse de l’intimé au sujet de sept épisodes de « faits similaires » (ou d’« actes similaires ») qui seraient survenus au cours de leurs sept années de cohabitation marquée par l’oppression et parfois la violence (et interrompue par l’incarcération de l’intimé pour des agressions sexuelles sans rapport avec l’accusation en l’espèce), dont sont issus trois enfants. Le juge du procès a admis ce témoignage et le jury a déclaré l’intimé coupable de l’infraction moindre d’agression sexuelle.

3 L’intimé prétend que le jury n’aurait pas dû tenir compte de la preuve de l’inconduite alléguée qui n’avait rien à voir avec l’objet de l’accusation. De plus, l’intimé a soutenu que la preuve de son prétendu tempérament brutal ou de la propension qu’il aurait à infliger de la douleur à ses partenaires sexuelles a gravement compromis la tenue d’un procès équitable. Il soutient, en outre, que les faits que l’on dit « similaires » ne sont pas similaires et que, de toute façon, il y a eu collusion entre son ex‑épouse et la plaignante. La Cour d’appel de l’Ontario a statué que la preuve de faits similaires avait été admise à tort et a ordonné la tenue d’un nouveau procès. Je souscris à cette opinion et je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

I. Les faits

4 Dans son témoignage, la plaignante a affirmé être sortie prendre un verre avec des amis pendant la soirée du 6 décembre 1996. L’intimé, qu’elle avait rencontré six mois auparavant, se trouvait également dans le bar où elle s’est rendue. Les deux ont passé la soirée à boire et à flirter ensemble. Après avoir quitté le bar, ils se sont rendus chez l’un des amis de la plaignante pour fumer de la marijuana. L’intimé et la plaignante ont quitté les lieux ensemble et se sont rendus en voiture à un motel avoisinant pour y avoir des relations sexuelles. Pendant qu’elle avait des relations sexuelles vaginales avec l’intimé, la plaignante s’est indignée parce qu’il lui faisait mal en la pénétrant de force. Elle lui a dit que c’était douloureux, mais il a continué. Il est alors passé brusquement à la sodomie. Elle lui a dit : [traduction] « Arrête, ça fait mal ». Elle a tenté de se dégager ou de l’interrompre, mais en vain. Elle l’a giflé. Selon elle, il l’a alors frappée au thorax, lui a saisi les bras, lui a pressé l’abdomen, l’a étranglée et lui a donné des coups de poing. Elle a raconté qu’elle l’avait supplié d’arrêter et qu’elle pleurait. Elle avait consenti à des relations vaginales, mais refusait d’avoir des relations anales auxquelles elle n’avait pas consenti. Après cet épisode, elle lui a dit qu’il l’avait fait saigner. L’intimé lui aurait répondu : [traduction] « Qu’est-ce que je fous ici? Pourquoi est-ce que ça m’arrive toujours? »

5 Un certain nombre de témoins ont dit avoir remarqué que la plaignante avait des ecchymoses au cou, au thorax et aux bras au cours des jours suivants. On a diagnostiqué que la plaignante souffrait de stress post-traumatique.

A. La preuve des faits similaires

6 L’intimé a fait valoir, pour sa défense, que les relations sexuelles étaient consensuelles. La crédibilité relative à la question du consentement s’est révélée être au cœur du litige. Le ministère public a cherché à présenter une preuve de faits similaires en faisant témoigner l’ex‑épouse de l’intimé dans le but d’établir que ce dernier avait une propension à infliger de la douleur pendant qu’il avait des relations sexuelles et qu’une fois stimulé il n’acceptait pas de se faire dire non. Cette preuve visait à expliquer pourquoi il y avait lieu de croire la plaignante lorsqu’elle affirmait que l’agression s’était poursuivie malgré ses protestations.

(1) Le premier épisode

7 L’ex-épouse a raconté qu’en mars 1990, quelques semaines après la naissance de leur premier enfant, l’intimé avait voulu avoir des relations sexuelles avec elle [traduction] « pour voir quel effet ça ferait ». Elle a refusé parce qu’elle croyait que ce serait douloureux. L’intimé a insisté pour qu’ils aient des relations vaginales. Dès le début, elle lui a dit qu’elle avait mal, mais il a continué.

(2) Le deuxième épisode

8 Cinq ou six mois plus tard, l’ex-épouse, accompagnée de l’intimé, est allée visiter sa sœur et son beau-frère dans leur maison mobile. Lorsqu’ils se furent tous retirés pour aller se coucher, l’intimé a voulu avoir des relations sexuelles. Elle a refusé en invoquant le fait que sa sœur et son époux étaient couchés à l’autre bout de la maison mobile. Elle a tenté de s’éloigner de lui. L’intimé lui a dit de se taire et a quand même eu des relations vaginales avec elle.

(3) Le troisième épisode

9 Un jour, en revenant à l’appartement, elle a trouvé l’intimé en train de faire la fête avec un certain nombre de personnes. En voyant l’intimé chatouiller deux femmes sur le sofa, elle s’est fâchée et a demandé à tout le monde de partir. Après le départ de la plupart des invités, elle s’est retirée dans la chambre à coucher. L’intimé l’a suivie. Il était contrarié parce qu’elle avait mis fin à la fête. Il a essayé d’avoir des relations sexuelles avec elle. Elle a essayé de s’échapper, mais il a bloqué la porte avec un chiffonnier. Elle a alors tenté de s’enfuir par la fenêtre de la chambre à coucher située au deuxième étage, mais il l’a ramenée à l’intérieur. Il l’a ensuite forcée à avoir des relations vaginales et est tombé endormi.

(4) Le quatrième épisode

10 Au début de 1992, l’intimé est arrivé ivre à la maison et a voulu avoir des relations anales. Elle a refusé en lui expliquant que cela lui avait fait mal auparavant. L’intimé a néanmoins amorcé ces relations. Elle n’a pas cessé de bouger et a tenté de s’enfuir. Il a finalement saisi une bouteille d’huile pour bébé en dessous du lit et en a appliqué sur son pénis et sur l’anus de son épouse. Il a amorcé des relations anales. Ils ont été interrompus par les pleurs d’un bébé; elle en a alors profité pour s’enfuir au sous‑sol, mais l’intimé l’a suivie. Il lui a dit qu’il la ligoterait si elle n’arrêtait pas de courir. Elle est sortie dehors toute nue et s’est rendue chez le voisin. On a appelé la police, mais elle n’a porté aucune accusation.

(5) Le cinquième épisode

11 L’intimé a été incarcéré de 1992 à 1995 pour des agressions sexuelles commises contre deux autres femmes (cependant, avec le consentement des avocats, on a omis de révéler au jury qu’il s’agissait d’« autres » femmes). Pendant cette période, il a fait un appel à son épouse de l’époque, dans lequel il lui a proféré des menaces, ce qui a provoqué leur divorce. Ils ont recommencé à cohabiter peu après sa libération. Peu de temps après, elle s’est fâchée parce que l’intimé était sorti avec une femme qu’il avait déjà fréquentée. L’intimé s’est mis en colère, l’a saisie à la gorge, l’a poussée, l’a clouée contre le mur et a fracassé leur table de salon en verre. Cependant, il ne l’a pas agressée sexuellement à cette occasion.

(6) Le sixième épisode

12 Au cours d’une soirée d’été de 1996, l’intimé et son épouse rentraient chez eux après avoir raccompagné leurs amis. L’intimé l’a alors informée qu’au lieu de retourner à la maison ils se rendraient plutôt à une gravière où il [traduction] « [la] sodomiserait ». Elle a témoigné qu’il l’avait déjà forcée à avoir des relations sexuelles avec lui à la gravière. Elle lui a répondu qu’elle était prête à n’importe quoi, sauf avoir des relations anales parce que c’était trop douloureux. L’intimé a toutefois insisté pour avoir des relations anales. Une fois à la gravière, il a tenté d’avoir des relations anales, mais en vain parce qu’il n’y avait pas suffisamment de place sur le siège arrière de la voiture. L’intimé l’a sortie de l’automobile et l’a étendue à plat ventre sur le capot. Il a de nouveau tenté d’avoir des relations anales. Il l’a finalement retournée et a eu avec elle des relations vaginales.

(7) Le septième épisode

13 En octobre 1996, le grand-père de l’ex-épouse est décédé. Cette dernière était seule avec l’intimé dans la maison de sa mère. Elle pleurait et était bouleversée. Elle a témoigné que ses pleurs avaient [traduction] « excité [l’intimé] » et qu’il voulait avoir des relations sexuelles sur le nouveau sofa de sa mère. Elle a refusé. L’intimé l’a étendue sur le sofa et a commencé à avoir des relations vaginales avec elle. Elle pleurait. Pendant ces relations, il lui a donné plusieurs coups de poing à l’abdomen pour la faire pleurer plus fort.

B. Le témoignage de l’intimé

14 L’intimé a nié avoir commis les agressions reprochées sur la personne de son ex‑épouse. En ce qui concerne les allégations de la plaignante, il a témoigné qu’il l’avait rencontrée dans un bar, qu’ils étaient tous deux en état d’ébriété et qu’ils avaient quitté le bar ensemble. Ils s’étaient finalement rendus dans une chambre de motel. Il a ajouté qu’une fois rendus dans la chambre la plaignante s’était mise à califourchon sur lui pendant qu’il était sur le dos et qu’ils avaient eu des relations vaginales pendant environ 15 à 20 minutes. Il a nié qu’elle s’était plainte ou qu’elle lui avait demandé d’arrêter. Il a également nié l’avoir frappée et étranglée. Il a témoigné qu’elle l’avait ramené chez lui vers 6 h 40. Il ne l’a pas revue par la suite.

C. La preuve de collusion

15 L’ex‑épouse a témoigné qu’elle avait rencontré la plaignante quelques mois avant l’agression sexuelle reprochée. Elle lui avait alors révélé l’existence du casier judiciaire de l’intimé et l’avait informée des sévices dont elle aurait été victime de sa part pendant leur mariage. L’ex‑épouse a raconté à la plaignante qu’elle avait reçu la somme de 16 500 $ de la Commission d’indemnisation des victimes d’actes criminels, et lors de son contre-interrogatoire, elle a souscrit à l’affirmation suivante : [traduction] « [pour obtenir l’argent,] il vous [a] suffi de dire que vous aviez été maltraitée ». Voici une partie du contre-interrogatoire de l’ex‑épouse :

[traduction]

Q. Vous connaissiez [la plaignante]?

A. Oui.

Q. Vous l’aviez rencontrée pendant l’été 1996?

A. C’est exact.

Q. Elle était venue vous rendre visite, n’est-ce pas?

A. C’est exact.

Q. À un moment donné, ne vous a-t-elle pas dit qu’elle croyait que [l’intimé] vous aimait beaucoup?

A. Oui.

Q. Et vous lui avez donné l’heure juste?

A. C’est exact.

Q. Et vous lui avez dit qu’il avait fait un séjour en prison?

A. Oui.

Q. Vous lui avez dit qu’il vous avait maltraitée?

A. Oui.

Q. Et vous lui avez dit que vous aviez reçu du gouvernement la somme de 16 500 $, et qu’il vous avait suffi de dire que vous aviez été maltraitée.

A. Oui.

Q. Alors elle savait tout cela avant le mois de décembre 1996?

A. Oui. [Je souligne.]

16 Par la suite, le 6 décembre 1996, la plaignante a rencontré l’intimé dans un bar et, après avoir fumé de la marijuana, elle a accepté de l’accompagner à un motel pour y avoir des relations sexuelles.

II. Historique des procédures judiciaires

A. Cour de l’Ontario (Division générale) — le juge Jennings

17 À la suite du voir-dire, le juge du procès a admis la preuve de « faits similaires » pour les motifs suivants :

(i) le témoignage proposé de l’ex‑épouse pourrait aider le jury à déterminer comment l’intimé a agi avec la plaignante;

(ii) la preuve déshonorait l’intimé et ne pouvait être admise que si sa valeur probante l’emportait sur son effet préjudiciable;

(iii) la question que le jury devait trancher était celle de la crédibilité de la plaignante lorsqu’elle alléguait que les relations sexuelles se poursuivaient d’une façon violente alors qu’elle tentait d’y mettre fin, et non pas simplement celle de savoir si elle avait retiré explicitement son consentement;

(iv) la preuve de faits similaires, si on y ajoute foi, [traduction] « établi[ssait] une tendance à faire dégénérer une situation consensuelle au départ en relations sexuelles violentes et douloureuses comportant des pénétrations vaginales et anales ». Cette preuve démontre l’existence d’un mode de comportement et confirme la crédibilité de la plaignante, ce que le juge du procès a qualifié de raisons légitimes de recevoir la preuve. Elle démontre plus qu’une simple propension à accomplir les actes en cause en raison d’une mauvaise moralité. Voici comment le juge se prononce sur la force probante de cette preuve :

[traduction] . . . la similitude très grande entre le fait de transformer une occasion où on peut s’attendre à avoir des relations sexuelles consensuelles en une situation où on poursuit des relations sexuelles vaginales accompagnées d’agression physique, malgré les plaintes, les cris de douleur et la demande de la victime d’arrêter, et le fait d’amorcer et de poursuivre des relations anales non consensuelles, me convainc que la preuve proposée a la grande valeur probante requise, et, comme dans l’affaire R. c. B. (L.) [[1997] 35 O.R. (3d) 35], la preuve proposée est pertinente relativement à une importante question en litige, celle de la crédibilité de [la plaignante].

18 Le juge du procès a décidé qu’il ne lui appartenait pas de résoudre la question de la possibilité de collusion entre l’ex‑épouse et la plaignante :

[traduction] Il n’existe aucune preuve directe de collusion entre [l’ex‑épouse et la plaignante], bien que la première ait informé l’autre des agressions dont elle avait été victime. Quoi qu’il en soit, il appartient au juge des faits de statuer sur ce point. [Je souligne.]

B. Cour d’appel de l’Ontario (2000), 48 O.R. (3d) 257

19 Madame le juge Charron a statué, au nom de la cour, que le juge du procès avait choisi le bon critère pour admettre une preuve de faits similaires, mais qu’il avait commis une erreur en l’appliquant. À son avis, la preuve n’aurait pas dû être admise au procès étant donné que l’effet préjudiciable qu’elle était susceptible d’avoir l’emportait sur sa valeur probante.

20 La preuve avait moins de force probante du fait que l’intimé avait nié l’existence des épisodes en cause, qui faisaient l’objet d’autres procédures dans le cadre desquelles leur existence n’avait pas encore été établie.

21 Les prétendus faits similaires étaient de nature assez disparate et, malgré l’existence de certaines caractéristiques communes, il était difficile d’en dégager une tendance suffisamment particulière pour renforcer la crédibilité de la plaignante. Le juge Charron a ensuite constaté l’existence de différences non négligeables. Alors que les actes allégués par l’ex‑épouse avaient été accomplis dans le cadre d’une relation conjugale de longue durée, ceux allégués par la plaignante avaient été accomplis au cours d’une relation amoureuse passagère à laquelle elle avait consenti au départ.

22 Madame le juge Charron a aussi conclu qu’il y avait eu une possibilité de collusion qui réduisait davantage toute valeur probante que pouvait avoir le témoignage de l’ex‑épouse. Selon elle, une possibilité de collusion [traduction] « constitue toujours un facteur important pour déterminer la force probante de ce type d’élément de preuve » (par. 41) étant donné que la collusion entre des témoins risque de dépouiller la preuve de faits similaires de presque toute sa valeur probante. La possibilité de collusion [traduction] « n’est pas une question qui peut être simplement laissée à l’appréciation du jury sans avoir été dûment prise en compte dans la détermination de la valeur probante de la preuve » (par. 41).

23 La crédibilité de l’ex‑épouse était problématique. Celle-ci avait attendu très longtemps avant de signaler les faits en question. Le choix du moment où elle a finalement porté plainte soulevait des questions quant aux motifs qui l’avaient incitée à agir. La plainte relative à quatre épisodes avait d’abord été déposée à l’appui d’une demande non contestée d’indemnité auprès de la Commission d’indemnisation des victimes d’actes criminels, à l’époque où l’intimé était incarcéré. L’ex-épouse avait déposé les autres plaintes après sa séparation définitive d’avec l’intimé et peu après avoir été informée des accusations portées en l’espèce.

III. Analyse

24 Le juge du procès a admis la preuve de faits similaires en l’espèce parce qu’il croyait que la façon dont l’intimé avait [traduction] « agi antérieurement avec [son ex‑épouse] pourra[it] fort bien aider le jury à déterminer comment il a agi avec [la plaignante] ». Selon le ministère public, le dénominateur commun est que l’intimé éprouve du plaisir à infliger de la douleur à ses partenaires sexuelles et insiste pour avoir des relations sexuelles « à sa façon », peu importe qu’il y ait ou non consentement.

25 Selon l’intimé, la présentation de la preuve de faits similaires a radicalement modifié l’allure du procès. Il subissait un procès relativement à un épisode pour lequel il avait plaidé non coupable, mais avait à répondre de huit épisodes différents dont sept ne faisaient pas l’objet d’une accusation. Le jury pourrait conclure qu’un homme qui, dans le passé, avait traité son ex-épouse de manière déshonorante dans ses relations sexuelles avec elle était le genre de personne à avoir pris de force la plaignante récalcitrante, ce qui, selon l’intimé, était injuste du fait qu’on étayait ainsi la crédibilité de la plaignante au moyen d’une preuve extrinsèque sans rapport avec la plaignante et l’accusation. Le jury pourrait à tout le moins conclure que l’intimé était un individu répugnant qui méritait d’être puni et que, grosso modo, il aurait ce qu’il mérite s’il était déclaré coupable.

A. Les inférences contestées

26 Le témoignage de l’ex-épouse concerne des faits qui, sur les plans du temps, du lieu et des circonstances, sont éloignés de l’accusation. Il ne constitue donc qu’une preuve circonstancielle des questions que le jury était appelé à trancher. À l’instar de toute preuve circonstancielle, son utilité dépend entièrement de la validité des inférences qu’il étaye, dit-on, relativement aux questions en litige. On justifie l’admission de cette preuve circonstancielle par le fait que le jury peut inférer, premièrement, que l’intimé est un individu qui éprouve du plaisir à infliger de la douleur à ses partenaires sexuelles et qui n’accepte pas de se faire dire non, et deuxièmement, que la moralité ou la propension de l’intimé ainsi établie permet de déduire qu’il a agi délibérément en l’espèce, tout en sachant que la plaignante n’était pas consentante. Comme l’a affirmé madame le juge Wilson dans l’arrêt R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918, p. 943 :

Dans l’analyse de la valeur probante, il faut tenir compte de la mesure dans laquelle les éléments de preuve en question se rapportent aux faits en litige et du poids de la déduction qu’on peut en tirer.

Voir également R. c. Watson (1996), 50 C.R. (4th) 245 (C.A. Ont.), p. 258, le juge Doherty; R. c. B. (L.) (1997), 35 O.R. (3d) 35 (C.A.), p. 45, le juge Charron. Voir aussi : J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), § 11.113; D. M. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (2e éd. 1999), p. 39-41; Cross and Tapper on Evidence (9e éd. 1999), p. 350 et suiv.; Wigmore on Evidence, vol. 1A (Tillers rev. 1983), p. 1152-1153.

27 La contestation relative à l’admissibilité de la preuve de faits similaires porte entièrement sur la question des inférences. Dans quels cas peut-on faire de telles inférences? Que visent‑elles à prouver? Par quel raisonnement permettent‑elles de faire cette preuve? Quelle est la force probante de la preuve qu’elles fournissent? Dans quels cas sont-elles si inéquitables qu’elles doivent être écartées pour des raisons de politique judiciaire et de présomption d’innocence? Les réponses à ces questions se sont révélées tellement controversées qu’elles créent ce que lord Hailsham a appelé [traduction] « un champ de mines » : Director of Public Prosecutions c. Boardman, [1975] A.C. 421 (H.L.), p. 445.

28 On s’entend davantage sur la nature des problèmes que sur la justesse des solutions : comparer les différentes approches adoptées dans R. J. Delisle, « The Direct Approach to Similar Fact Evidence » (1996), 50 C.R. (4th) 286; A. E. Acorn, « Similar Fact Evidence and the Principle of Inductive Reasoning : Makin Sense » (1991), 11 Oxford J. Legal Stud. 63; P. K. McWilliams, Canadian Criminal Evidence (3e éd. (feuilles mobiles)), vol. 1, p. 11-4; M. Rosenberg (maintenant juge de cour d’appel), « Evidence of Similar Acts and Other Extrinsic Misconduct », dans Programme national de droit pénal, Criminal Evidence (1994), section 8.1, p. 3; L. Stuesser, « Similar Fact Evidence in Sexual Offence Cases » (1997), 39 Crim. L.Q. 160.

29 Les questions qui se posent d’entrée de jeu sont de savoir si les deux inférences sont faites à bon droit compte tenu des faits de la présente affaire et, dans l’affirmative, si elles confèrent une force probante telle que le témoignage de l’ex-épouse devrait être admis malgré le préjudice qu’il est susceptible de causer. L’intimé affirme que les prétendus actes similaires ne sont pas suffisamment liés, sur les plans du temps et des circonstances, à l’infraction reprochée, c’est‑à‑dire que le lien est insuffisant pour que le comportement qu’il a adopté avec son ex‑épouse puisse fournir des indices fiables quant au comportement qu’il aurait adopté avec la plaignante. De plus, l’intimé prétend que, même s’ils avaient un lien suffisant avec l’infraction en cause, on devrait s’abstenir, pour des raisons de politique générale, de l’exposer au risque d’être déclaré coupable en semant la confusion dans l’esprit des jurés au sujet de ce qu’il aurait déjà fait ailleurs.

30 Je tiens à préciser que le ministère public n’a pas tenté de produire une preuve d’expert concernant, d’une part, la validité des inférences relatives à la constitution psychologique de l’intimé qu’il demandait au jury de faire à partir du témoignage de l’ex‑épouse, et, d’autre part, l’applicabilité de ces inférences aux faits en cause.

B. La règle générale d’exclusion

31 Il est évident que l’intimé a raison de plaider l’inadmissibilité de la preuve d’inconduite qui va au-delà de ce qui est allégué dans l’acte d’accusation et qui ne fait que ternir sa réputation. Personne n’est accusé d’avoir une prédisposition ou propension « générale » au vol, à la violence ou à quoi que ce soit d’autre. En général, l’exclusion vise à interdire l’utilisation de la preuve de moralité en tant que preuve circonstancielle d’une conduite, c’est-à-dire pour inférer des « faits similaires » que l’accusé avait une propension ou une prédisposition à accomplir le type d’actes reprochés et qu’il est donc coupable de l’infraction. Le jury risque d’être embrouillé par la multiplicité des faits et d’accorder plus de poids qu’il est logiquement justifié de le faire au témoignage de l’ex‑épouse (« préjudice par raisonnement ») ou de déclarer l’accusé coupable en raison de sa mauvaise personnalité (« préjudice moral ») : Great Britain Law Commission, Consultation Paper No. 141, Evidence in Criminal Proceedings : Previous Misconduct of a Defendant (1996), § 7.2.

32 Il s’agit là d’une très ancienne règle de common law. On peut mentionner des procès tenus au XVIIe siècle, dans lesquels on a reproché au ministère public d’avoir invoqué la conduite criminelle antérieure d’une personne. Voici, par exemple, ce qu’a dit le lord juge en chef Holt dans Harrison’s Trial (1692), 12 How. St. Tr. 833 (Old Bailey (London)), p. 864 : [traduction] « Allez-vous lui reprocher toute sa vie? Oubliez ça, oubliez ça! Ça ne devrait pas être possible; c’est sans intérêt pour la question. »

33 Par la suite et de façon très remarquée, le lord chancelier Herschell a formulé la règle générale d’exclusion en ces termes dans l’arrêt Makin c. Attorney-General for New South Wales, [1894] A.C. 57 (C.P.), p. 65 :

[traduction] Il ne fait pas de doute que, dans le but d’obtenir la conclusion que l’accusé est, compte tenu de sa conduite ou de sa moralité, le genre de personne susceptible d’avoir commis le crime dont il est inculpé, la poursuite ne peut pas apporter des preuves qui tendent à démontrer qu’il a déjà été reconnu coupable de crimes autres que ceux visés par l’acte d’accusation.

34 Dans cette affaire, la cour a parlé de [traduction] « crimes », mais le sens de ce terme a été élargi de manière à inclure tous « faits similaires » de caractère déshonorant qui sont soumis en preuve (Robertson, précité, p. 941; B. (L.), précité, p. 45‑46), ce qui comprend la conduite alléguée en l’espèce par l’ex-épouse.

35 Les dangers du raisonnement fondé sur la propension sont bien reconnus. Non seulement les gens peuvent-ils changer leurs habitudes, mais encore ils ne sont pas des robots. Même si, au XIVe siècle en Angleterre, les jurés étaient censés déterminer les faits en fonction de leur propre connaissance de la moralité des parties, on affirme désormais qu’une inférence de culpabilité fondée sur la seule connaissance de la moralité de l’accusé est un [traduction] « raisonnement interdit » : Boardman, précité, p. 453, lord Hailsham.

36 Notre Cour a, à maintes reprises, confirmé l’exclusion de la preuve de propension ou de prédisposition générale; cette exclusion n’est pas controversée. Voir Morris c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 190; R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345; R. c. B. (C.R.), [1990] 1 R.C.S. 717; R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339.

La raison de politique générale justifiant l’exclusion

37 La raison de politique générale justifiant l’exclusion de la preuve de propension ou de prédisposition est la suivante : bien que, dans certains cas, elle puisse être pertinente, la propension inférée de faits similaires peut aussi retenir indûment l’attention du juge des faits. Elle risque sérieusement de causer un préjudice, de détourner l’attention du jury et d’entraîner un délai excessif, et ces inconvénients l’emportent presque toujours sur sa valeur probante. En général, la propension de l’accusé ne devrait pas faire partie de la preuve qui pèse contre lui. Elle est exclue nonobstant la règle générale voulant que tout élément de preuve pertinent soit admissible : Arp, précité, par. 38; Robertson, précité, p. 941; Morris, précité, p. 201-202; R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, p. 613.

38 Si la preuve de propension était admise systématiquement, cela pourrait inciter la police à simplement « arrêter les suspects habituels » au lieu d’effectuer, comme il se doit, une enquête rigoureuse dans chaque cas. L’un des objectifs du système de justice criminelle est la réinsertion sociale des délinquants. La réalisation de cet objectif est compromise dans la mesure où le droit met en doute la capacité des « suspects habituels » de tourner la page et de commencer une nouvelle vie.

39 Il va sans dire que l’expérience nous enseigne que les gens agissent généralement selon leur propre moralité. Chaque jour, nous portons des jugements sur la fiabilité ou l’honnêteté de personnes à partir de notre connaissance de leurs antécédents. Si les jurés en l’espèce avaient été les voisins indiscrets de l’intimé au lieu de porter jugement dans une cour de justice, ils auraient sûrement voulu tout savoir au sujet de sa moralité et des activités s’y rapportant. Le témoignage anecdotique de son ex‑épouse aurait été d’un grand intérêt. D’un intérêt peut‑être trop grand, comme l’a affirmé le juge Sopinka dans l’arrêt B. (C.R.), précité, p. 744 :

La principale raison de la règle d’exclusion relative à la propension est qu’il existe une tendance tout à fait humaine à juger les actes d’une personne en fonction de son caractère. Surtout avec des jurys, la tentation serait forte de conclure qu’un voleur a volé, qu’un homme violent a commis des voies de fait et qu’un pédophile s’est livré à des actes de pédophilie. Cependant, les principes du droit vont tout à fait à l’encontre de ce mode de raisonnement.

40 Le droit reconnaît généralement la difficulté de restreindre les effets de tels renseignements qui, une fois tombés comme un poison dans l’oreille du juré, « aussi prompt[s] que vif-argent [. . .] cour[ent] le long des portes et des voies naturelles de tout le corps » : Hamlet, acte I, scène v, lignes 66-67.

C. L’exception stricte de l’admissibilité

41 Tout en mettant l’accent sur la règle générale d’exclusion, les tribunaux ont reconnu que, dans le cadre du procès relatif à l’infraction reprochée, il peut se poser une question à l’égard de laquelle une preuve d’inconduite antérieure peut être si pertinente et convaincante que sa valeur probante dans la recherche de la vérité l’emporte sur toute possibilité qu’elle soit mal utilisée. Dans l’arrêt B. (C.R.), précité, p. 751, le juge Sopinka, dissident, affirme ceci :

Étant donné que les faits similaires allégués avaient des caractéristiques communes avec les actes reprochés, ils pouvaient être recevables et, par conséquent, confirmer le témoignage de la plaignante. Cependant, pour qu’ils soient recevables, il faudrait conclure que les similitudes étaient telles qu’en l’absence de collaboration, il serait contraire au sens commun de laisser entendre que les similitudes relevaient de la coïncidence . . . [Je souligne.]

42 Le fait qu’il serait contraire au « sens commun » d’exclure ce qui peut être considéré comme une preuve très pertinente a donné lieu à de nombreux déchirements chez les juges, en particulier dans le cas d’allégations d’agression sexuelle contre des enfants et des adolescents dont la parole se voyait parfois injustement accorder moins de valeur que celle d’adultes apparemment intègres. Le démenti de l’adulte, erronément convaincant à prime abord, s’estomperait devant des épisodes antérieurs si nombreux qu’ils ne se prêteraient à aucune explication tendant à innocenter. Cela dit, il n’existe aucune règle particulière en matière d’agression sexuelle. En tout état de cause, la force de la preuve de faits similaires doit être de nature à l’emporter sur le « préjudice par raisonnement » et le « préjudice moral ». Les inférences que l’on cherche à faire doivent être conformes au bon sens, aux notions intuitives de probabilité et à l’improbabilité d’une coïncidence. Bien qu’un élément de « préjudice moral » puisse être introduit, le juge du procès doit conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la valeur probante des inférences raisonnables l’emporte sur tout préjudice susceptible d’être causé.

43 Comme on peut le lire dans les motifs dissidents rédigés par le juge Dickson, avec l’appui du juge en chef Laskin, dans l’arrêt Leblanc c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 339, p. 345 : « Cependant, il existe une exception légitime mais de portée relativement restreinte à la règle générale d’exclusion suivant laquelle l’accusé n’est tenu de répondre qu’à l’accusation précise dont fait état l’acte d’accusation. »

44 Après tout, le procès criminel vise la recherche de la vérité ainsi que de l’équité envers un accusé. Dans l’arrêt Makin, précité, p. 65, le lord chancelier Herschell affirme, au sujet de ce qu’on appelle le deuxième « volet » de cet arrêt :

[traduction] D’autre part, le simple fait que la preuve apportée tend à démontrer la perpétration d’autres crimes n’entraîne pas pour autant son irrecevabilité si elle porte sur une question dont le jury est saisi, ce qui peut être le cas si elle se rapporte à la question de savoir si les actes qui, à ce qu’on prétend, constituent le crime reproché dans l’acte d’accusation étaient intentionnels ou accidentels; ce peut également être le cas si cette preuve est présentée pour repousser un moyen de défense que l’accusé pourrait autrement invoquer.

45 Dans l’affaire Makin elle-même, on pouvait théoriquement considérer que le décès d’un petit enfant dont le corps avait été découvert enterré dans le jardin de l’accusé résultait d’une cause naturelle ou peut-être accidentelle. Toutefois, à la suite de la découverte de nombreuses autres dépouilles dans le même jardin et à d’autres endroits où avait résidé l’accusé, on ne pouvait plus croire que c’était par pure coïncidence qu’étaient survenus autant de décès prématurés, résultant de causes non blâmables, de bébés jusque‑là en bonne santé. En tant qu’explication, la coïncidence a ses limites. Comme on l’a affirmé dans un arrêt américain : [traduction] « On envie la personne qui gagne la loterie une fois; on fait une enquête sur celle qui la gagne deux fois » (United States c. York, 933 F.2d 1343 (7th Cir. 1991), p. 1350).

46 Dans l’arrêt Makin, on a donc statué que la série de bébés découverts sans vie dans des circonstances similaires permettait de faire, au sujet de l’accusé, les deux inférences de propension susmentionnées. Il était évident qu’une explication tendant à innocenter l’accusé était improbable.

La raison de politique générale justifiant l’exception

47 La raison de politique générale justifiant l’exception est que la valeur probante l’emporte sur le préjudice, alors que l’application de la règle initiale d’exclusion repose sur le fait que le préjudice l’emporte sur la valeur probante. La valeur probante l’emporte sur le préjudice du fait que la force des circonstances similaires écarte toute coïncidence ou autre explication tendant à innocenter l’accusé.

48 La jurisprudence canadienne reconnaît que plus les « faits similaires » se rapprochent spécifiquement des circonstances de l’accusation (c’est-à-dire lorsqu’ils se rapportent davantage à la situation), plus la valeur probante de la propension, ainsi circonscrite, augmente. On considère que plus s’estompent les différences et les variables qui distinguent les « faits similaires » antérieurs de l’objet de l’accusation dans ce type de dossier, plus s’intensifie la force probante des inférences souhaitées. En fin de compte, la prémisse qui sous-tend la règle générale d’exclusion (le préjudice l’emporte sur la valeur probante) ne s’applique plus.

D. Le critère d’admissibilité

49 Le juge McIntyre a formulé succinctement la règle actuellement applicable dans l’arrêt Sweitzer c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 949, p. 953 :

Le principe général énoncé par lord Herschell peut et doit être appliqué chaque fois qu’on présente une preuve d’actes similaires et la recevabilité de cette preuve sera fonction de sa valeur probante par rapport au préjudice causé à l’accusé par suite de son acceptation à quelque fin que ce soit.

50 Dans l’arrêt B. (C.R.), précité, madame le juge McLachlin a fait un examen plus approfondi et complet de cette règle. L’accusé avait été inculpé d’infractions d’ordre sexuel contre sa fille. Celle-ci avait témoigné que les actes reprochés avaient commencé lorsqu’elle était âgée de 11 ans et s’étaient poursuivis pendant deux ans. L’accusé a nié ces allégations. Afin d’étayer le témoignage de l’enfant, le ministère public a cherché à présenter une preuve établissant que, 10 ans auparavant, l’accusé avait eu des relations sexuelles avec la fille de 15 ans de sa conjointe de fait, avec laquelle il avait une relation père‑fille. S’exprimant au nom d’une majorité composée de cinq juges, le juge McLachlin a conclu que la preuve, même si elle constituait un « cas limite », était admissible. Même si l’on exclut généralement la preuve se rapportant uniquement à la prédisposition de l’accusé, cette règle admet des exceptions lorsque la valeur probante de la preuve l’emporte sur son effet préjudiciable (aux p. 734‑735) :

Cet examen de la jurisprudence m’amène à tirer les conclusions suivantes quant à l’état actuel du droit en matière de preuve de faits similaires au Canada. Pour déterminer si la preuve en question est admissible, il faut d’abord reconnaître la règle générale d’exclusion de la preuve qui ne tend qu’à établir la propension. [. . .] [L]a preuve présentée dans le seul but d’établir que l’accusé est le genre de personne susceptible d’avoir commis une infraction, est en principe inadmissible. La question de savoir si la preuve en question constitue une exception à cette règle générale dépend de savoir si la valeur probante de la preuve présentée l’emporte sur son effet préjudiciable.

51 Notre Cour a ainsi confirmé que la preuve qualifiée de preuve de « prédisposition » ou de « propension » est exceptionnellement admissible. Le juge McLachlin poursuit en ces termes, à la p. 735 :

Dans un cas comme celui‑ci, où la preuve de faits similaires que l’on veut présenter est une preuve à charge d’un acte moralement répugnant commis par l’accusé, le préjudice qui peut en résulter est grave et la valeur probante de la preuve doit vraiment être grande pour permettre sa réception. Le juge doit considérer des facteurs comme le degré de particularisme marquant à la fois les faits similaires et les infractions reprochées à l’accusé ainsi que le rapport, s’il en est, entre la preuve et les questions autres que la propension, afin de déterminer si, compte tenu des circonstances de l’espèce, la valeur probante de la preuve l’emporte sur le préjudice potentiel et justifie sa réception.

52 Le juge McLachlin formule, à la p. 732, le critère d’admissibilité de la preuve de prédisposition ou de propension :

. . . la preuve de la propension, bien que généralement irrecevable, peut exceptionnellement être admise lorsque la valeur probante de la preuve relative à une question soulevée est tellement grande qu’elle l’emporte sur le préjudice grave que subira inévitablement l’accusé si la preuve d’actes immoraux ou illégaux antérieurs est présentée au jury.

53 Par la suite, dans l’arrêt R. c. C. (M.H.), [1991] 1 R.C.S. 763, le juge McLachlin affirme que l’arrêt B. (C.R.) fait autorité (p. 771-772), comme l’a fait notre Cour, à l’unanimité, presque 10 ans plus tard dans son jugement le plus récent en la matière, l’arrêt Arp, précité, par. 41, le juge Cory :

. . . la preuve présentée dans le seul but d’établir que l’accusé est le genre de personne susceptible d’avoir commis une infraction, est en principe inadmissible. La question de savoir si la preuve en question constitue une exception à cette règle générale dépend de savoir si la valeur probante de la preuve présentée l’emporte sur son effet préjudiciable. [Je souligne.]

54 Au paragraphe 80 de l’arrêt Arp, le juge Cory ajoute quelques observations quant aux directives que le juge du procès doit donner au jury relativement à l’utilisation qui doit être faite d’une preuve de propension. Ces observations ne doivent pas être interprétées hors contexte. Contrairement à ce que soutiennent certains commentateurs, l’arrêt Arp n’a pas nuancé l’approbation du critère général énoncé dans l’arrêt B. (C.R.) comme le font ressortir les nombreux renvois à cet arrêt que fait le juge Cory (aux par. 42, 50 et 65) :

On constate que, pour décider si une preuve de faits similaires doit être déclarée admissible, la question fondamentale qui doit être tranchée est de savoir si la valeur probante de cette preuve l’emporte sur son effet préjudiciable.

. . .

En résumé, dans l’examen de la question de l’admissibilité d’une preuve de faits similaires, la règle fondamentale est que le juge du procès doit d’abord décider si la valeur probante de cette preuve l’emporte sur son effet préjudiciable.

. . .

Dans chaque cas, la question consiste à déterminer si la valeur probante de la preuve l’emporte sur son effet préjudiciable. [Je souligne.]

On peut donc considérer que le critère formulé dans l’arrêt B. (C.R.) énonce l’état du droit au Canada.

55 La preuve de faits similaires est donc présumée inadmissible. Il incombe à la poursuite de convaincre le juge du procès, selon la prépondérance des probabilités, que, dans le contexte de l’affaire en cause, la valeur probante de la preuve relative à une question donnée l’emporte sur le préjudice qu’elle peut causer et justifie ainsi sa réception.

E. Difficultés d’appliquer le critère

56 On reconnaît depuis l’époque du lord chancelier Herschell qu’appliquer concrètement un critère aussi général que celui de la détermination de la valeur probante en fonction du préjudice est quelque chose de différent et de beaucoup plus difficile qu’en parler (Makin, précité, p. 65). Quels critères peuvent être appliqués sans trop de difficultés? Quelle doit être la force « probante » de la preuve pour que l’obstacle de l’admissibilité puisse être surmonté? Quand le préjudice devient-il trop grave? Comment calibre‑t‑on la balance qui sert à soupeser la valeur probante en fonction du préjudice?

57 Afin de donner des directives plus précises, les tribunaux d’appel canadiens ont parfois préconisé notamment une approche fondée sur des « catégories », une approche à plusieurs étapes fondée sur « l’objet » et une approche fondée sur le « caractère concluant ». On a jugé, en fin de compte, que chacune de ces tentatives, quelle qu’en soit l’utilité concrète, obscurcissait et affaiblissait la méthode fondée sur des principes adoptée, par la suite, dans les arrêts Sweitzer, B. (C.R.) et Arp. Par exemple, on a constaté que classer une preuve de propension dans une « catégorie » préalablement autorisée ou reconnue en permettait parfois injustement l’admission même si, dans le contexte, il en résultait un immense préjudice : Sopinka, Lederman et Bryant, op. cit., § 11.30.

58 Néanmoins, les arrêts Sweitzer, B. (C.R.) et Arp ne préconisaient pas une approche libre de toute contrainte. Ils reconnaissaient pleinement le caractère potentiellement pernicieux de la preuve de propension et limitaient clairement les circonstances dans lesquelles une telle preuve peut être présentée.

(1) Quel que soit le nom qu’on lui donne, la preuve de propension reste une preuve de propension

59 Il arrive qu’on laisse entendre que, lorsque la preuve de faits similaires se rapporte à une question autre que la « simple » propension ou prédisposition « générale », elle cesse en quelque sorte de constituer une preuve de propension. Je ne crois pas que ce soit le cas.

60 L’un des avantages de l’arrêt B. (C.R.) est qu’il reconnaît franchement que « la preuve de la propension, bien que généralement irrecevable, peut exceptionnellement être admise » (p. 732) pour aider à déterminer si l’accusé a accompli ou non l’acte en question (aux p. 731‑732) :

Bien que tous conviennent que la formulation de certains énoncés de la règle d’exclusion pourrait laisser entendre que la preuve de la simple propension ne peut jamais être admissible, l’opinion prépondérante au Canada est celle adoptée par la majorité dans l’arrêt Boardman — la preuve de la propension, bien que généralement irrecevable, peut exceptionnellement être admise lorsque la valeur probante de la preuve relative à une question soulevée est tellement grande qu’elle l’emporte sur le préjudice grave que subira inévitablement l’accusé si la preuve d’actes immoraux ou illégaux antérieurs est présentée au jury. [Souligné dans l’original.]

61 En d’autres termes, bien que la détermination de la question en litige définisse la fin à laquelle la preuve est produite, elle ne modifie pas (et ne peut pas modifier) le caractère inhérent de la preuve de propension, qui doit être reconnu pour ce qu’il est. J’estime qu’en confirmant le caractère véritable de cette preuve, notre Cour met à l’avant‑plan son caractère potentiellement dangereux.

62 Je renvoie de nouveau à l’arrêt Arp, précité, par. 40, où le juge Cory a réaffirmé, au nom de notre Cour, que la preuve de propension est admissible dans des circonstances exceptionnelles :

Par conséquent, la preuve d’une propension ou disposition peut être pertinente à l’égard du crime reproché, mais elle est généralement inadmissible parce que, en dernière analyse, son effet très préjudiciable l’emporte sur sa faible valeur probante. [Je souligne.]

63 Bien que le juge Cory ait fondé l’admissibilité de la preuve sur l’improbabilité d’une coïncidence (par. 43 et 45), j’estime que cela n’atténue aucunement sa reconnaissance que le raisonnement sous‑jacent reposait sur la propension. Lorsque des faits similaires sont attribués à un accusé ayant agi comme « cela lui ressemble », c’est le fait d’inférer la puissance d’une certaine moralité et rien d’autre qui écarte ce qui pourrait par ailleurs être expliqué de bonne foi comme étant une simple « coïncidence ».

64 Je tiens à souligner que l’arrêt Arp parle d’une preuve « généralement inadmissible ». Le juge Cory a reconnu, à l’instar du juge McLachlin dans l’arrêt B. (C.R.), précité, que la preuve d’une prédisposition pourrait, dans des circonstances inhabituelles et exceptionnelles, être admise si elle surmontait les rigueurs de la détermination de la valeur probante en fonction du préjudice.

65 Bien que certains jugements du juge Sopinka soient parfois cités à l’appui de la proposition selon laquelle la preuve de propension en tant que telle n’est jamais admissible, je crois que c’est là exagérer son point de vue. Le juge Sopinka, à l’instar du juge McLachlin dans l’arrêt C. (M.H.), précité, p. 771, utilise parfois le terme « disposition » ou « tendances » dans le sens de prédisposition « générale » ou de mauvaise moralité, que tous les deux jugent inadmissibles. À mon avis, les motifs majoritaires du juge Sopinka dans l’arrêt Morin, précité, confirment qu’il est d’accord avec l’utilisation d’une preuve de propension à agir d’une certaine façon dans une situation particulière. Dans l’affaire Morin, on cherchait à établir l’existence d’une propension au moyen d’un témoignage d’expert au lieu de le faire à l’aide d’une preuve de faits similaires. Le juge Sopinka affirme, à la p. 370 :

Il me semble que le principe qui s’oppose à l’admission de ce genre de preuve est respecté si sa valeur probante est supérieure à son effet préjudiciable. D’autre part, le simple fait que la preuve a une certaine pertinence n’assure pas son admissibilité si elle ne respecte pas ce critère.

66 Dans l’arrêt R. c. D. (L.E.), [1989] 2 R.C.S. 111, p. 120, le juge Sopinka a confirmé davantage son approche relativement à la preuve de propension :

Dans Cross on Evidence (6e éd. 1985), à la p. 311, on trouve un énoncé concis de la « règle relative à la preuve de faits similaires », que j’approuve :

[traduction] . . . une preuve de la moralité ou de l’inconduite de l’accusé à d’autres occasions (. . .) produite pour établir ses mauvaises tendances, est inadmissible, à moins que sa valeur probante relativement aux questions en litige soit tellement grande qu’elle l’emporte sur le préjudice que peut causer cette preuve.

67 Wigmore on Evidence, op. cit., p. 1152-1153, et Sopinka, Lederman et Bryant, op. cit., § 11.141, reconnaissent également que le raisonnement appliqué à la preuve de faits similaires est fondé sur la propension.

68 Il s’ensuit, comme l’a expliqué madame le juge Charron dans l’arrêt B. (L.), précité, p. 57, que

[traduction] . . . le raisonnement fondé sur la propension n’est pas interdit en soi. En fait, il est habituellement inévitable en raison de la nature de la preuve et de la raison justifiant son admission . . .

Ce qui est interdit, c’est le raisonnement fondé sur la propension qui ne repose que sur la mauvaise moralité générale de l’accusé, qui ressort de cette preuve de conduite déshonorante.

Voir aussi l’arrêt R. c. Batte (2000), 34 C.R. (5th) 197 (C.A. Ont.), p. 226, le juge Doherty.

(2) L’importance de cerner la « question soulevée »

69 Dans l’arrêt B. (C.R.), précité, p. 732, le juge McLachlin parle de la « valeur probante de la preuve relative à une question soulevée » (je souligne). Dans l’arrêt Sweitzer, précité, p. 953, le juge McIntyre souligne que la question de savoir si la valeur probante d’une preuve l’emporte ou non sur son effet préjudiciable ne peut être tranchée qu’en fonction de la fin à laquelle elle est produite. Notre Cour a également souligné l’importance de cerner la question en litige dans les arrêts suivants : D. (L.E.), précité, p. 121; C. (M.H.), précité, p. 771; R. c. Litchfield, [1993] 4 R.C.S. 333, p. 358; R. c. B. (F.F.), [1993] 1 R.C.S. 697, p. 731; R. c. Lepage, [1995] 1 R.C.S. 654, par. 35; Arp, précité, par. 48.

70 Un indice de l’importance de cerner la « question soulevée » est le fait que le juge du procès doit informer les membres du jury qu’ils peuvent utiliser la preuve relativement à cette question seulement et non à d’autres fins.

71 Notre Cour s’est souvent efforcée de souligner que la prédisposition générale de l’accusé ne peut pas être une « question soulevée ». Comme nous l’avons vu, la preuve de faits similaires peut être admissible si, et seulement si, elle tend à établir davantage qu’une propension générale (préjudice moral) et si elle est plus probante que préjudiciable relativement à une question soulevée par le crime maintenant reproché. Je considère juste l’opinion incidente exprimée par le lord juge en chef Goddard dans l’arrêt R. c. Sims, [1946] 1 All E.R. 697 (C.C.A.), p. 700, selon laquelle [traduction] « [i]l ne faut pas juger une preuve irrecevable pour la seule raison qu’elle tend à établir les mauvaises dispositions de l’accusé, mais il faut le faire seulement si elle ne prouve rien d’autre », pourvu que « ce quelque chose d’autre » soit interprété comme désignant une valeur probante supérieure au préjudice susceptible de résulter. Ainsi, par exemple, dans l’arrêt B. (F.F.), précité, l’accusé était inculpé d’avoir agressé sexuellement une enfant confiée à ses soins. Les frères de la plaignante ont produit une preuve de faits similaires concernant les agressions physiques commises par l’accusé au sein du foyer et la domination violente qu’il y exerçait. Le juge Iacobucci a affirmé, au nom des juges majoritaires, à la p. 731 :

. . . la preuve qui tend à démontrer la mauvaise moralité de l’accusé ou l’existence chez lui d’une propension criminelle est admissible (1) si elle a rapport à une autre question litigieuse que la propension ou la moralité, et (2) si sa valeur probante l’emporte sur son effet préjudiciable. [Je souligne.]

72 La preuve d’une prédisposition générale est une fin prohibée. La mauvaise moralité n’est pas une infraction en droit. La preuve d’une propension déshonorante ou de la moralité en général n’engendre rien de plus qu’un « préjudice moral » et le ministère public n’est pas habilité à alléger la charge qui lui incombe en présentant l’accusé comme une mauvaise personne. Le moyen de défense fondé sur les « rapports innocents », dont il est question dans l’arrêt B. (F.F.), constituait simplement une autre façon d’exprimer la dénégation par un accusé d’un élément de l’infraction. Notre Cour avait alors considéré que la preuve de la conduite antérieure déshonorante distincte et particulière de l’accusé était très probante relativement à certaines questions soulevées dans l’affaire. Selon cette interprétation, l’arrêt B. (F.F.) est tout à fait compatible avec l’arrêt B. (C.R.) et ne devrait pas être interprété comme établissant une variante « à deux volets » qui rivalise avec le critère formulé dans ce dernier arrêt.

73 L’exigence de cerner la question importante « soulevée » (c’est‑à‑dire la fin à laquelle la preuve de faits similaires est produite) ne compromet pas la détermination de la valeur probante en fonction du préjudice, mais est en fait essentielle à cette détermination. La valeur probante ne se détermine pas dans l’abstrait. L’utilité de la preuve réside précisément dans le fait qu’elle permet d’étayer ou de réfuter une question en litige dont est saisi le juge des faits.

74 Les questions soulevées découlent des faits allégués dans l’accusation ainsi que des moyens de défense invoqués ou raisonnablement escomptés. Il incombe donc au ministère public de cerner la question en litige dans le procès, à laquelle on prétend que la preuve de prédisposition se rapporte. Si la question n’est plus litigieuse, comme, par exemple, lorsque l’accusé a admis le fait, la preuve n’est plus pertinente et doit être exclue : R. c. Clermont, [1986] 2 R.C.S. 131, p. 136; R. c. Bosley (1992), 18 C.R. (4th) 347 (C.A. Ont.), p. 360; R. c. Proctor (1992), 69 C.C.C. (3d) 436 (C.A. Man.), p. 447; R. c. Hanna (1990), 57 C.C.C. (3d) 392 (C.A.C.‑B.); B. (L.), précité, p. 50. L’importance relative de la question litigieuse dans le procès peut également avoir une incidence sur l’appréciation des facteurs favorables et défavorables à l’admissibilité de la preuve. La preuve de faits similaires qui est, pour ainsi dire, concluante relativement à une question d’importance secondaire peut toujours être exclue pour des raisons de préjudice global.

75 Il y a lieu de souligner que les « questions soulevées » ne constituent pas des catégories d’admissibilité. Leur détermination constitue simplement un élément de l’analyse de l’admissibilité qui, comme nous l’avons vu, repose sur la détermination de la valeur probante en fonction du préjudice.

(3) La détermination du degré requis de similitude

76 La principale source de valeur probante dans un cas comme celui dont nous sommes saisis est le rapport (ou lien) qui est établi entre la preuve de faits similaires et les infractions reprochées, notamment lorsque ce rapport révèle l’existence d’un « degré de particularisme » (B. (C.R.), précité, p. 735). Comme l’affirme le juge Cory dans l’arrêt Arp, précité, par. 48 :

. . . lorsqu’une preuve de faits similaires est produite pour prouver un fait en litige, pour décider de son admissibilité le juge du procès doit apprécier le degré de similitude des faits reprochés et déterminer si l’improbabilité objective d’une coïncidence a été établie. Ce n’est que dans ce cas que la preuve aura une valeur probante suffisante pour être admissible.

77 Ainsi, dans l’arrêt Arp où la question en litige concernait l’identification, le juge Cory a cité, au par. 43, l’arrêt R. c. Scopelliti (1981), 63 C.C.C. (2d) 481 (C.A. Ont.), dans lequel le juge Martin avait fait observer qu’une preuve de propension relative à l’identification n’est pas admissible [traduction] « à moins que la propension soit tellement distinctive ou singulière qu’elle constitue une signature » (p. 496). Le juge Martin a réitéré cette remarque concernant la propension dans son exposé intitulé « Similar Fact Evidence », publié dans [1984] Spec. Lect. L.S.U.C. 1, p. 9-10, en parlant de l’affaire du meurtrier de Moors (R. c. Straffen, [1952] 2 Q.B. 911) :

[traduction] Bien qu’une preuve ne soit pas admissible pour démontrer la propension à commettre des crimes, ou même des crimes d’un type particulier, la preuve d’une propension à commettre un crime particulier d’une façon particulière et distinctive a été jugée admissible et suffisante pour identifier [Straffen] comme le meurtrier de la victime. [En italique dans l’original.]

78 En l’espèce, la question en litige porte non pas sur l’identification, mais sur l’actus reus de l’infraction. Ce n’est pas que, dans un tel cas, le degré de similitude doit être plus élevé ou moins élevé que dans une affaire d’identification. Là où je veux en venir, c’est que la question est différente, et les sources de force probante quant aux inférences souhaitées seront donc différentes. Comme le juge Grange l’a fait remarquer à juste titre, il y a 20 ans, dans l’arrêt R. c. Carpenter (1982), 142 D.L.R. (3d) 237 (C.A. Ont.), p. 244 :

[traduction] Le degré requis de similitude dépend des questions en litige dans l’affaire en question, de la fin à laquelle on cherche à produire la preuve et des autres éléments de preuve.

79 Si, par exemple, la plaignante en l’espèce n’avait pas été en mesure d’identifier l’intimé comme étant l’auteur de l’infraction reprochée, la conduite décrite par l’ex‑épouse n’aurait pas été [traduction] « particulière et distinctive » au point de constituer une « signature » ou des « empreintes sur les lieux du crime » qui distingueraient à coup sûr l’intimé des autres agresseurs possibles.

80 En revanche, dans le cas où la question en litige touche aux sentiments de l’accusé envers la victime, un épisode antérieur au cours duquel l’accusé a poignardé la victime peut être admissible même si la victime a finalement été abattue — accidentellement, aux dires de l’accusé (Rosenberg, loc. cit., p. 8). On pourrait dire que les actes sont différents, mais l’inférence relative à la « question soulevée » serait néanmoins décisive.

(4) La détermination des facteurs de rattachement — La preuve de faits similaires est-elle liée de façon appropriée aux faits allégués dans l’accusation?

81 La jurisprudence indique qu’il est nécessaire de prêter une attention particulière aux similitudes existant sur les plans de la nature, de la proximité temporelle et de la fréquence. Wigmore affirme à ce propos :

[traduction] Puisque c’est l’improbabilité qu’un résultat similaire se produise de nouveau par pur hasard qui avait une valeur probante, cet effet probant tient essentiellement à la similitude de l’affaire . . .

C’est seulement cette exigence de similitude qui se prête tant aux divergences d’opinions et qui explique les différences ahurissantes dans les décisions des divers ressorts et même à l’intérieur d’un même ressort ainsi que dans des affaires portant sur la même infraction.

(Wigmore on Evidence, vol. 2 (Chadbourn rev. 1979), p. 245-246)

Voir aussi les arrêts Arp, précité, par. 44; R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, p. 941, et Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709, p. 730-731. C’est donc le degré requis de similitude, ou plutôt l’absence de similitude, qui a divisé notre Cour dans l’arrêt B. (C.R.), précité, p. 739 et 753. La similitude à cet égard n’exige pas nécessairement qu’une forte particularité ou un trait distinctif inhabituel caractérise les événements visés par la comparaison, quoique des faits similaires qui font ressortir un trait de caractère singulier (comme la nécrophilie) constitueraient vraisemblablement un outil puissant aux mains de la poursuite.

82 Le juge du procès était appelé à examiner la force probante de la preuve de faits similaires produite en fonction des inférences que l’on cherchait à faire, ainsi que la force probante de la preuve des faits similaires eux-mêmes. Les facteurs reliant les faits similaires aux circonstances énoncées dans l’accusation sont notamment :

(1) la proximité temporelle des actes similaires : D. (L.E.), précité, p. 125; R. c. Simpson (1977), 35 C.C.C. (2d) 337 (C.A. Ont.), p. 345; R. c. Huot (1993), 16 O.R. (3d) 214 (C.A.), p. 220;

(2) la mesure dans laquelle les autres actes ressemblent dans leurs moindres détails à la conduite reprochée : Huot, précité, p. 218; R. c. Rulli (1999), 134 C.C.C. (3d) 465 (C.A. Ont.), p. 471; C. (M.H.), précité, p. 772;

(3) la fréquence des actes similaires : Batte, précité, p. 227-228;

(4) les circonstances entourant les actes similaires ou s’y rapportant (Litchfield, précité, p. 358);

(5) tout trait distinctif commun aux épisodes : Arp, précité, par. 43-45; R. c. Fleming (1999), 171 Nfld. & P.E.I.R. 183 (C.A.T.‑N.), par. 104‑105; Rulli, précité, p. 472;

(6) les faits subséquents : R. c. Dupras, [2000] B.C.J. No. 1513 (QL) (C.S.), par. 12;

(7) tout autre facteur susceptible d’étayer ou de réfuter l’unité sous‑jacente des actes similaires.

83 Par ailleurs, les facteurs défavorables jugés utiles pour évaluer le préjudice comprennent le caractère incendiaire des actes similaires (D. (L.E.), p. 124) et la question de savoir si le ministère public peut prouver ce qu’il avance à l’aide d’éléments de preuve moins préjudiciables. En outre, je le répète, la cour devait tenir compte du risque que la preuve de faits similaires empêche le juge des faits de bien se concentrer sur les faits reprochés et qu’elle entraîne un délai excessif. Ces facteurs ont déjà été collectivement qualifiés de préjudice moral et de préjudice par raisonnement.

84 Cette liste se veut utile plutôt qu’exhaustive. Les facteurs ne seront pas tous présents (ou requis) dans chaque cas. Une approche comparable est utilisée dans d’autres ressorts de common law, dont l’Angleterre (voir Director of Public Prosecutions c. Kilbourne, [1973] A.C. 729 (H.L.), p. 758) et les États-Unis (voir C. B. Mueller et L. C. Kirkpatrick, Federal Evidence (2e éd. 1994 & suppl. 2001), vol. 2, § 161; United States c. Enjady, 134 F.3d 1427 (10th Cir. 1998), certiorari refusé, 525 U.S. 887 (1998)).

(5) Différentiation de la preuve admissible et de la preuve inadmissible en matière de propension

85 Une partie du problème conceptuel lié à la preuve de faits similaires réside dans le fait que des termes comme « prédisposition » ou « propension » sont susceptibles de décrire toute une gamme de tempéraments et de comportements humains qui peuvent être plus ou moins pertinents. À l’extrémité de la gamme où la preuve est vague, on pourrait dire que l’intimé a une prédisposition ou propension générale à la « violence », ce qui en soi n’a rien prouvé d’utile au procès. L’intimé n’était pas accusé d’avoir une personnalité violente et, dans ce sens, sa réputation générale n’était pas pertinente.

86 À un niveau plus précis, on allègue que la propension à la violence de l’intimé ressort de son désir d’infliger de la douleur à ses partenaires sexuelles. Cette formulation procure plus de contexte, mais la définition d’une propension si générale demeure encore peu utile, particulièrement lorsque l’on cherche à utiliser la « propension » non pas pour prédire de façon générale un comportement futur, mais pour conclure que l’intimé est coupable d’avoir agi d’une façon particulière dans les circonstances précises du 6 décembre 1996, alléguées par la plaignante.

87 La force probante de la preuve augmente à mesure que la situation factuelle se rapproche de l’extrémité de la gamme où la preuve est plus précise. Dans l’arrêt Lepage, précité, l’accusé avait été inculpé de possession de LSD en vue d’en faire le trafic. Le juge du procès avait admis le témoignage d’un colocataire selon lequel l’accusé était un [traduction] « gros trafiquant [de drogue] dans la maison », et avait conclu, pour cette raison, que la drogue appartenait à l’accusé. En appel, le juge Sopinka, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a statué que la preuve était admissible relativement à la question de la possession, aux par. 36‑37 :

En l’espèce, le témoignage de Thelland est pertinent non seulement à l’égard de la moralité de l’intimé, mais aussi quant à la possession qui est ici une question clé. En l’occurrence, trois personnes habitaient dans la maison et la drogue appartenait manifestement à l’une d’elles. Il est certes pertinent, relativement à la question de la possession, que l’une des trois personnes témoigne que la drogue ne lui appartient pas et indique, de plus, que l’intimé s’adonne au trafic de la drogue et est donc plus susceptible d’être le propriétaire de la substance en question.

La preuve n’est pas produite à seule fin de montrer que l’intimé est susceptible d’avoir commis l’infraction du fait qu’il est le genre de personne susceptible d’avoir de la drogue en sa possession.

88 La preuve était pertinente relativement à la question de la possession (non pas seulement à celle de la moralité ou de la propension), mais le témoignage du colocataire tirait sa force probante de ce qu’il révélait de la moralité ou de la prédisposition de l’accusé, comme les juges dissidents l’ont fait remarquer sous la plume du juge Major, au par. 55 :

Selon le juge Sopinka, le témoignage de Thelland était pertinent non seulement quant à la moralité mais aussi relativement à la question de la possession, du fait qu’une personne qui se livre au trafic des stupéfiants a plus d’occasions et est plus susceptible d’avoir des stupéfiants en sa possession. En toute déférence, il s’agit d’une preuve de propension au trafic de la drogue, sans plus.

89 Il semble que la divergence d’opinions entre les juges majoritaires et les juges dissidents résidait dans le fait que les premiers étaient d’avis que les liens ou la correspondance entre l’acte reproché et les actes antérieurs de possession (ce que McCormick on Evidence (5e éd. 1999), vol. 1, p. 687, qualifie de [traduction] « comportement dans une situation particulière ») étaient assez convaincants pour que l’on puisse inférer, sans crainte de se tromper, la possession à partir des faits reprochés, alors que les juges dissidents estimaient que cette interdépendance était si générale qu’elle n’avait aucune valeur probante relativement aux faits particuliers de l’infraction commise à la date mentionnée dans l’accusation.

90 Compte tenu des faits de l’affaire B. (C.R.), les juges majoritaires ont conclu qu’il avait été démontré que, dans une situation particulière, l’accusé avait une propension à agresser sexuellement des enfants auxquels il tenait lieu de père, et qu’il existait une correspondance étroite entre la propension « distincte et particulière » démontrée dans la preuve de faits similaires et l’inconduite reprochée dans l’accusation; cependant, même les juges majoritaires étaient d’avis qu’il s’agissait d’un « cas limite » en matière d’admissibilité (p. 739). On dit parfois que la preuve de faits similaires démontre l’existence d’un « système » ou d’un « modus operandi », mais, pour l’essentiel, l’idée d’un « système » ou d’un « modus operandi » est simplement la propension observée dans un contexte bien défini et limité.

91 De même, les mentions de « carte de visite », « signature », « caractéristique » ou « empreintes » décrivent la propension à l’extrémité de la gamme où la preuve est admissible, précisément parce que l’ensemble des circonstances dans lesquelles un accusé est disposé à agir d’une certaine façon sont si clairement liées à l’infraction reprochée que la possibilité d’une simple coïncidence, d’une erreur sur la personne ou d’une erreur quant au caractère de l’acte est si faible que le juge des faits est justifié d’examiner la preuve de faits similaires. À ce stade, il n’est plus question de « pure » propension ou de « prédisposition générale », mais de conduite répétée dans un type très précis et particulier de situation. La preuve de faits similaires permet alors de faire une inférence convaincante susceptible de fournir une pièce manquante dans le puzzle de la preuve, selon le point de vue que le jury adoptera en fin de compte (en l’espèce).

92 Ce point de vue semble avoir également été adopté en Australie où la Haute Cour, se fondant en partie sur les motifs de madame le juge McLachlin dans l’arrêt B. (C.R.), a fait les observations suivantes dans l’arrêt Pfennig c. R. (1995), 127 A.L.R. 99, p. 115 :

[traduction] Par conséquent, la preuve d’une simple propension, comme celle d’une prédisposition criminelle générale, n’ayant pas de caractéristique distinctive, manque de force probante, mais est néanmoins préjudiciable. Par contre, la preuve d’une propension distinctive particulière démontrée par des actes constituant des manifestations ou des exemples de cette propension a une plus grande force probante dans la mesure où elle a un lien particulier avec les questions qui doivent être tranchées dans l’affaire en cause. Comme on l’a dit, cette preuve ne sera admissible que si sa valeur probante l’emporte sur son effet préjudiciable. [Je souligne.]

93 Je souligne incidemment que la cour a ensuite ajouté un critère du « caractère concluant » qui, à mon avis, devrait être rejeté du fait qu’il représente un trop grand empiétement du juge du procès sur le rôle de juge des faits du jury. Ce point est examiné plus en détail ci‑après.

(6) La preuve de faits similaires n’a pas à être concluante

94 Certains préconisent l’adoption d’une autre précision que des ressorts de common law ont acceptée relativement à l’appréciation du préjudice en fonction de la valeur probante, à savoir qu’il n’y a lieu d’admettre une preuve de faits similaires que si sa valeur probante est si grande qu’elle est, pour ainsi dire, concluante quant à la culpabilité. Comme l’affirme lord Cross dans l’arrêt Boardman, précité, p. 457 :

[traduction] Il faut toujours déterminer si la preuve de faits similaires, considérée avec les autres éléments de preuve, ne ferait qu’engendrer ou renforcer un soupçon que l’accusé a commis l’infraction qui lui est reprochée, ou si elle laisserait si fortement entrevoir sa culpabilité qu’en réalité seul un jury hyperprudent [. . .] prononcerait un verdict d’acquittement.

95 La Haute Cour d’Australie a statué qu’il faudrait rejeter la preuve de faits similaires sauf si, considérée avec les autres éléments de preuve dans l’affaire, elle était compatible avec la culpabilité de l’accusé et incompatible avec toute autre conclusion. Dans l’arrêt Pfennig, l’arrêt de principe sur la question rendu par le juge en chef Mason et les juges Deane et Dawson, on affirme, à la p. 116, que

[traduction] la preuve de propension est une preuve circonstancielle et qu’en tant que telle elle ne devrait pas être utilisée pour faire une inférence défavorable à l’accusé, sauf s’il s’agit de la seule inférence raisonnable dans les circonstances. De plus, la preuve ne devrait pas être admise si le juge du procès conclut que, compte tenu de la preuve à charge, il en existe une interprétation raisonnable compatible avec l’innocence de l’accusé.

96 Le critère est une variante de la règle généralement applicable à la preuve circonstancielle, qui a été énoncée dans l’affaire Hodge (1838), 2 Lewin 227, 168 E.R. 1136. Selon cette règle, les circonstances doivent être compatibles avec une conclusion de culpabilité et incompatibles avec toute autre conclusion rationnelle. De toute évidence, la différence réside dans le fait que nous sommes appelés en l’espèce à statuer sur l’admissibilité de la preuve et non sur l’affaire elle-même. Le critère du caractère concluant cadre mal avec le modèle d’évaluation énoncé dans l’arrêt B. (C.R.). Si la preuve était vraiment « concluante », sa valeur probante l’emporterait, par hypothèse, sur le préjudice qu’elle peut causer : Pfennig, précité, p. 138.

97 Selon moi, le critère du « caractère concluant » pousse trop loin le rôle de « gardien » du juge du procès dans le champ d’activité du juge des faits.

F. Application du critère aux faits de la présente affaire

98 Je vais appliquer le critère relatif à la preuve de faits similaires aux faits de la présente affaire en me servant des rubriques suivantes :

(1) La valeur probante de la preuve

99 Sous cette rubrique, il faut d’abord déterminer quelle est exactement la « question soulevée » au sujet de laquelle le ministère public cherche à produire la preuve de faits similaires. Je vais ensuite examiner la force probante de la preuve de faits similaires relativement à cette question particulière. Il sera alors nécessaire d’étudier les divers facteurs de rattachement que le ministère public juge convaincants, conjointement avec ceux qui, selon la défense, affaiblissent irrémédiablement les inférences souhaitées par la poursuite. Un élément important de l’analyse de la valeur probante est la question de la collusion potentielle entre la plaignante et l’ex-épouse. Je conviens avec l’intimé que le rôle de « gardien » du juge du procès consistait notamment à examiner cette question, car si l’existence d’une collusion était établie, selon la prépondérance des probabilités, à la satisfaction du juge du procès, la raison même pour laquelle on cherchait à faire admettre la preuve de faits similaires s’en trouverait éliminée, à savoir l’improbabilité que deux femmes aient indépendamment inventé des histoires comportant (comme le prétend le ministère public) autant de caractéristiques similaires.

(2) L’évaluation du préjudice

100 Sous cette rubrique, il est nécessaire d’évaluer à la fois le préjudice moral (c’est‑à‑dire la stigmatisation susceptible de découler de la « mauvaise personnalité ») et le préjudice par raisonnement (y compris la possibilité de semer la confusion dans l’esprit des jurés et de détourner leur attention de l’accusation réellement portée contre l’intimé). À cet égard, ont de l’importance le caractère incendiaire des abus sexuels et de la violence conjugale allégués par l’ex-épouse, ainsi que la nécessité que le jury examine séparément les sept épisodes de « fait similaire » et le seul chef d’accusation sur lequel ils sont appelés à se prononcer, à savoir l’agression sexuelle alléguée par la plaignante.

(3) L’appréciation de la valeur probante en fonction du préjudice

101 Il va sans dire que l’on présume, au départ, que la preuve de faits similaires est inadmissible. Il incombe au ministère public d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la valeur probante qu’elle est susceptible d’avoir l’emporte sur le préjudice qu’elle peut causer.

(1) La valeur probante de la preuve

102 Il s’agit, à ce stade, de déterminer si la preuve de faits similaires est vraiment assez probante pour amener à bon droit le jury à faire les deux inférences préconisées par le ministère public.

103 L’intimé conteste la valeur probante de la preuve de faits similaires en invoquant trois moyens principaux : premièrement, la possibilité de collusion entre l’ex‑épouse de l’intimé et la plaignante; deuxièmement, les différences entre les prétendus faits similaires; troisièmement, les faiblesses du témoignage de l’ex-épouse.

a) La possibilité de collusion

104 Je mentionne cette question au départ parce que l’existence d’une collusion aurait pour effet d’éliminer la raison pour laquelle on demande l’admissibilité de la preuve en cause, à savoir que les épisodes décrits par l’ex-épouse et la plaignante, dans leurs témoignages séparés, sont trop similaires pour être, de manière crédible, le fruit d’une coïncidence. À ce propos, le juge McLachlin a examiné le rôle de gardien du juge du procès dans l’arrêt B. (C.R.), précité, p. 733-734 :

La tâche du juge des faits est très difficile et son pouvoir discrétionnaire très grand. Comme le souligne Forbes, [Similar Facts (1987)], aux pp. 54 et 55 :

[traduction] En présence d’une preuve de faits similaires produite par la poursuite, un juge doit exercer des fonctions et des pouvoirs d’une très grande complexité. Premièrement, il doit évaluer non seulement la pertinence, mais également le poids de la preuve contestée, bien que cette dernière fonction relève habituellement du jury. Deuxièmement, il doit fusionner en quelque sorte la pertinence et le poids pour obtenir la « valeur probante ». [Je souligne.]

105 De même, le juge Cory a examiné ce rôle de gardien dans l’arrêt Arp, précité, par. 47-48 :

. . . pour décider de l’admissibilité d’une preuve de faits similaires, le juge du procès doit, dans une certaine mesure, empiéter sur cette compétence [du jury]. Comme a dit le professeur Smith dans Case and Comment on R. c. Hurren, [1962] Crim. L. Rev. 770, à la p. 771 :

[traduction] Il convient de souligner que les juges font habituellement une distinction entre les faits qui se rapportent au poids plutôt qu’à l’admissibilité (voir, par exemple, R. c. Wyatt); mais nous soumettons que, pour ce qui est de la preuve de faits similaires, il n’est pas possible de tracer une ligne de démarcation nette, et l’admissibilité dépend du poids.

En conséquence, lorsqu’une preuve de faits similaires est produite pour prouver un fait en litige, pour décider de son admissibilité le juge du procès doit apprécier le degré de similitude des faits reprochés et déterminer si l’improbabilité objective d’une coïncidence a été établie. Ce n’est que dans ce cas que la preuve aura une valeur probante suffisante pour être admissible. [Je souligne.]

106 À mon avis, le juge du procès ne peut évaluer « l’improbabilité objective d’une coïncidence » sans se demander si la « coïncidence » apparente est en réalité le fruit d’une collusion. L’admissibilité est une question de droit qu’il appartient au juge seul de trancher. À l’instar de l’intimé, je reconnais que [traduction] « [s]eule la détermination préliminaire exacte et complète de la valeur probante peut permettre de limiter le préjudice de manière acceptable ».

107 Le juge du procès a conclu qu’il ne devrait même pas exprimer un point de vue préliminaire sur la vraisemblance d’une collusion. L’arrêt de la Chambre des lords R. c. H., [1995] 2 A.C. 596, a peut-être influé sur la décision du juge. En effet, dans cet arrêt, on a statué que, pour être admissible, la preuve de faits similaires produite doit, être tenue [traduction] « pour véridique » (p. 611) sauf dans des circonstances très exceptionnelles. Selon ce point de vue, la question du poids de la preuve devrait être laissée entièrement à l’appréciation du jury.

108 Dans l’arrêt B. (C.R.), précité, p. 752, le juge Sopinka, dissident, a adopté un point de vue différent, à savoir que le ministère public « doit écarter le complot ou la collaboration conformément à la norme de droit criminel » (c’est-à-dire hors de tout doute raisonnable). Voir aussi R. c. Kenny (1996), 108 C.C.C. (3d) 349 (C.A.T.-N.), p. 359.

109 En l’espèce, madame le juge Charron a proposé un point de vue intermédiaire selon lequel la possibilité de collusion n’est qu’un [traduction] « facteur » dont il faut tenir compte relativement à la question de l’admissibilité. Ce faisant, elle a suivi sa propre décision dans l’affaire B. (L.), laquelle a ensuite été suivie par une formation différente de cette cour dans la décision R. c. McDonald (2000), 148 C.C.C. (3d) 273 (C.A. Ont.). Je partage ce point de vue dans la mesure où on considère la collusion comme un « facteur » dans le seul but de mettre en évidence le cadre global de la détermination de la valeur probante en fonction du préjudice.

110 Cependant, je ne suis pas d’accord pour dire que la collusion soupçonnée jouerait moins fortement que dans un cas limite contre une preuve par ailleurs puissante. En ce sens, la collusion soupçonnée est plus qu’un autre « facteur ». La force probante découle de l’improbabilité d’une coïncidence. La collusion est certes un facteur, mais plus encore un facteur crucial du fait que son existence vient réfuter la prémisse sur laquelle repose l’admissibilité.

111 À l’instar du juge Charron, je suis d’avis qu’il existait une possibilité de collusion entre la plaignante et l’ex‑épouse. La preuve indiquait plus que l’existence d’une simple « possibilité » qui caractérise de nombreux cas d’allégations d’abus sexuel contre plusieurs plaignantes. Le litige porte sur une question de fabrication ou de collaboration, et non de contact. Si la preuve ne révèle rien de plus qu’une possibilité, il est habituellement préférable de laisser au jury le soin de trancher cette question. En l’espèce, il y a plus que cela. Il s’agit de l’appât du gain. L’ex‑épouse a reconnu avoir dit à la plaignante qu’elle avait reçu 16 500 $ de la Commission d’indemnisation des victimes d’actes criminels et qu’il [traduction] « [lui] avait suffi de dire qu[’elle] av[ait] été maltraitée ». Quelques jours plus tard, la plaignante, forte de ce renseignement, rencontre l’intimé et se rend avec lui dans une chambre de motel pour y avoir des relations sexuelles.

112 Dans l’arrêt Arp, précité, par. 65, 66 et 72, notre Cour a conclu que le critère d’admission d’une preuve de faits similaires repose sur la probabilité plutôt que sur le doute raisonnable. En conséquence, dans un cas comme la présente affaire où il existe une certaine preuve de collusion véritable ou des allégations à tout le moins vraisemblables, le ministère public doit convaincre le juge du procès, selon la prépondérance des probabilités, que la preuve de faits similaires n’est pas viciée par une collusion. Il lui suffit de faire cela pour que la preuve soit admise. Il appartiendra ensuite au jury de prendre la décision finale quant à la valeur de cette preuve.

113 En l’espèce, il ne suffisait pas que le ministère public produise des éléments de preuve risqués qui, si on leur ajoutait foi, auraient une valeur probante. Il n’appartenait pas à la défense de prouver l’existence d’une collusion. Pour qu’il y ait admissibilité, il fallait préalablement établir que la valeur probante de la preuve produite l’emportait sur son effet préjudiciable, et il appartenait au ministère public de remplir cette condition. Le juge du procès a commis une erreur de droit en renvoyant au jury toute la question de la collusion.

114 Bien que cette erreur de droit suffise pour confirmer la nécessité de tenir le nouveau procès ordonné par la Cour d’appel, je vais examiner les autres éléments du critère décrits plus haut.

b) La détermination de la « question soulevée »

115 Selon le ministère public, la question en litige concerne de façon générale la « crédibilité de la plaignante » et plus particulièrement [traduction] « le fait que l’accusé est fortement prédisposé à accomplir l’acte même qui est allégué dans les accusations portées contre lui ». Toutefois, il y a des précisions à apporter. Il faut prendre garde de trop ouvrir la porte à l’admission de la preuve de propension ou, comme on le dit parfois, de permettre qu’elle ait une trop grande incidence sur la preuve que le ministère public doit présenter (Sopinka, Lederman et Bryant, op. cit., § 11.26). La crédibilité est une question omniprésente dans la plupart des procès, qui, dans sa portée la plus étendue, peut équivaloir à une décision sur la culpabilité ou l’innocence.

116 Tout ce qui ternit la moralité de l’accusé peut accessoirement accroître la crédibilité du plaignant. Décider que la « question soulevée » porte sur la crédibilité risque, à moins qu’on en limite la portée, de donner lieu à l’admission de rien de plus qu’une preuve de prédisposition générale (« mauvaise personnalité »).

117 En outre, de façon générale, le fait que l’ex-épouse de l’intimé a affirmé, dans son témoignage, qu’elle avait refusé à maintes reprises de donner son consentement n’a aucune pertinence pour ce qui est de déterminer si la plaignante en l’espèce était consentante : Clermont, précité, p. 135. Le fait que la plaignante A a refusé de consentir en 1992 ne prouve guère que la plaignante B a refusé de consentir en 1996.

118 Pour qu’une déclaration de culpabilité d’agression sexuelle puisse être prononcée, il faut faire la preuve hors de tout doute raisonnable de deux éléments fondamentaux, à savoir que l’accusé a accompli l’actus reus et qu’il avait la mens rea requise. L’actus reus de l’agression consiste en des attouchements sexuels non souhaités. La mens rea est l’intention de se livrer à des attouchements sur une personne, tout en sachant que celle‑ci n’y consent pas, ou encore en faisant montre d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à l’égard de cette absence de consentement : R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330, par. 23.

119 L’intimé admet qu’il s’est livré à des attouchements sexuels et qu’il avait l’intention de s’y livrer. Il nie que ces attouchements étaient non souhaités. Il soulève donc la question du consentement en tant qu’élément de l’actus reus : Ewanchuk, précité, par. 27. Faut-il croire l’intimé lorsqu’il soutient qu’il n’y jamais eu retrait de consentement ou encore la poursuite a-t-elle raison d’affirmer que, dans une situation particulière, il a démontré une propension à agir sans se soucier de quoi que ce soit, voir même à éprouver un plaisir accru à être repoussé et à forcer sa partenaire sexuelle à faire l’amour avec lui? Dans l’affirmative, cela s’est‑il manifesté en l’espèce?

120 Si le jury pouvait légitimement inférer du comportement antérieur de l’intimé et de son refus d’accepter que son épouse lui dise non qu’il ferait montre d’intransigeance sexuelle dans des circonstances très comparables, le témoignage de la plaignante suivant lequel les relations sexuelles avaient eu lieu en dépit de son non‑consentement deviendrait plus crédible. La question générale est celle de la crédibilité, mais, plus exactement et précisément, la « question soulevée » dans le présent procès concernait le consentement en tant qu’élément de l’actus reus et, à cet égard, la propension qu’aurait l’intimé à ne pas accepter qu’on lui dise non.

c) Similitudes et différences entre les faits reprochés et la preuve de faits similaires

121 Je compte évaluer la preuve à la lumière des « facteurs de rattachement » pertinents déjà énumérés au par. 82. Je répète que tous les facteurs ne sont pas utiles dans chaque cas et que la force probante dépend également des autres éléments de preuve.

(i) Proximité temporelle des actes similaires

122 Plus le temps passe, plus il est possible que l’accusé se soit amélioré ou qu’il ait changé de personnalité en mûrissant, ce qui tend à miner la prémisse selon laquelle la moralité ou la prédisposition ne change pas. L’éloignement temporel peut également avoir une incidence sur la pertinence et la fiabilité. L’accusation portée contre l’intimé concerne un fait survenu le 6 décembre 1996. Les sept épisodes allégués par l’ex‑épouse se sont produits entre mars 1990 et octobre 1996, avec interruption entre 1992 et 1995 due à l’incarcération de l’intimé. La force probante de la preuve que l’intimé était incapable d’accepter qu’on lui dise non augmente à la fois en raison de la répétition de la manifestation de ce comportement pendant de nombreuses années et de sa manifestation la plus récente survenue deux ou trois mois avant la perpétration de l’infraction reprochée.

(ii) La mesure dans laquelle les autres actes ressemblent dans les moindres détails à la conduite reprochée

123 En toute déférence, j’estime qu’en l’espèce le juge du procès n’a pas suffisamment prêté attention aux différences.

124 Au moins l’un des épisodes est en grande partie non pertinent. Le cinquième épisode où il est question d’étranglement n’établit pas l’existence d’une inconduite sexuelle et n’avait aucun lien éloigné avec les allégations factuelles contenues dans l’accusation. Bien que le ministère public puisse légitimement faire valoir qu’une série de faits « similaires » a un effet cumulatif, je suis d’avis qu’un fait aussi éloigné de l’accusation ne pourrait que ternir de manière générale la réputation de l’intimé. Une conduite aussi différente ou équivoque ne permet pas de faire une inférence susceptible de l’emporter sur le préjudice.

125 Il existe d’autres différences majeures. Aucun des épisodes décrits par l’ex‑épouse n’a été consensuel au début, pour ensuite devenir non consensuel. Tous les épisodes relatés par l’ex‑épouse étaient liés à l’intimité d’une relation de longue durée. Le premier épisode se rapporte à des relations sexuelles prématurées après la naissance de leur enfant. Le cinquième épisode a fait suite à une scène de jalousie d’une conjointe relativement à une autre femme. Le septième a suivi un décès survenu dans la famille. La dynamique de ces situations n’est pas la même que celle de l’épisode du motel, quoiqu’il soit exact que tous ces épisodes (sauf le cinquième) ont abouti au refus de l’intimé d’accepter que son ex‑épouse rejette ses avances sexuelles.

126 Le deuxième épisode (au cours duquel l’inquiétude initiale de l’ex‑épouse découlait du fait qu’ils étaient très près de sa sœur et de son beau‑frère dans la maison mobile) ne présente aucune similitude évidente, quoique, là encore, l’agression de l’intimé a semblé être intensifiée par la résistance de son ex‑épouse.

127 Il y a lieu de réitérer que la recherche de similitudes est une question de degré (Boardman, précité, p. 442, lord Wilberforce). Il se peut que l’activité sexuelle ne démontre pas beaucoup de diversité ou de caractère distinct. Ce ne sont pas toutes les différences qui sont fatales, mais pour les motifs déjà mentionnés, des différences majeures peuvent atténuer la force probante et, en accentuant la confusion et le détournement d’attention du jury, aggraver le préjudice susceptible d’être causé.

(iii) La fréquence des actes similaires

128 La force probante d’une allégation de mode de comportement peut s’accroître en raison du nombre de cas où ce comportement a été adopté. La force probante de la preuve de faits similaires produite dans l’affaire des [traduction] « jeunes mariés dans la baignoire » a sûrement augmenté du fait que l’accusation avait trait à une troisième victime décédée dans des circonstances identiques à celles des deux premières : R. c. Smith (1915), 84 L.J.K.B. 2153 (C.C.A.). En l’espèce, le témoignage de l’ex‑épouse, si on y ajoutait foi, établissait une tendance échelonnée sur de nombreuses années, qui, aux yeux du jury, pourrait démontrer que le plaisir que l’intimé éprouvait à refuser d’accepter que ses partenaires sexuelles lui disent non constituait une caractéristique prévisible d’application générale.

(iv) Les circonstances entourant les actes similaires ou s’y rapportant

129 Comme le souligne madame le juge Charron, la différence peut-être la plus importante réside non pas dans les actes eux-mêmes, mais plutôt dans le contexte général. La preuve de « faits similaires » émane d’un mariage dysfonctionnel de longue durée, alors que l’accusation se rapporte à une aventure d’un soir consécutive à la rencontre fortuite d’une connaissance dans un bar.

130 Comme il fallait s’y attendre, l’ex‑épouse a admis dans son témoignage qu’il y avait eu de nombreuses périodes de rapports sexuels consensuels pendant leur relation. Ils ont eu trois enfants. Selon son témoignage, les sévices allégués n’ont commencé qu’après son mariage avec l’intimé, à une époque où leur relation présentait alors de nombreuses difficultés qui n’ont rien de comparable avec la situation dans laquelle s’est trouvée la plaignante. Dans quelle mesure le comportement de l’intimé envers son ex‑épouse faisait‑il partie d’une relation conjugale particulière et dans quelle mesure ce comportement reflétait‑il une propension à se comporter d’une certaine façon avec des partenaires sexuelles occasionnelles, dont la plaignante? Dans quelle mesure peut‑on s’en remettre, sans risque de se tromper, au « sens commun » pour répondre à cette question? Avec quelle assurance peut-on faire les inférences requises? Le présent dossier n’apporte pas de réponse satisfaisante à ces questions fondamentales.

(v) Tout trait distinctif commun aux épisodes

131 On n’allègue pas que les actes sexuels eux-mêmes ou les circonstances les ayant entourés étaient très distinctifs. On a dit que la force probante résultait de la répétition plutôt que du caractère distinctif.

(vi) Les faits subséquents

132 Si les faits similaires étaient suffisants pour qu’on puisse faire les inférences proposées par le ministère public, il reste qu’il n’existait pas vraiment de « faits subséquents » qui en minaient la valeur probante. À titre d’exemple (non applicable en l’espèce), il aurait pu y avoir une preuve de l’existence d’une incapacité physique subséquente : R. c. Minhas (1986), 29 C.C.C. (3d) 193 (C.A. Ont.), p. 219.

d) La force probante de la preuve que les actes similaires ont vraiment été accomplis

133 L’intimé n’a pas admis qu’il s’était mal conduit antérieurement et, lors du contre‑interrogatoire, on s’est vigoureusement attaqué à la crédibilité de l’ex‑épouse (indépendamment de la question de la collusion). Par exemple, la preuve relative au sixième épisode a été qualifiée d’inintelligible et de contradictoire. L’ex‑épouse avait initialement déclaré à la police que, lors de l’agression alléguée, il n’y avait eu que des relations sexuelles vaginales. Son témoignage relatif à cet épisode a par la suite changé. À l’enquête préliminaire, elle a prétendu qu’il y avait eu des relations anales, mais n’a pas parlé de relations vaginales. (Une instruction incomplète portant sur ces allégations a eu lieu en avril 1998; la plaignante a alors réitéré ses allégations de relations anales mais, contrairement à son témoignage initial, n’a pas parlé de relations vaginales.) Lors du voir‑dire et au procès, elle a témoigné que l’intimé l’avait forcée à avoir des relations sexuelles vaginales et anales.

134 Normalement, il appartiendrait au juge des faits, en l’espèce le jury, de se prononcer sur les faiblesses de la preuve. Cependant, lorsque l’admissibilité est liée à la valeur probante et en dépend, j’estime que la crédibilité de la preuve de faits similaires constitue un facteur que le juge du procès est habilité à examiner dans l’exercice de ses fonctions de gardien. Dans un cas où, en définitive, il appartenait au jury et non au juge d’évaluer la crédibilité, une telle preuve pouvait être trop préjudiciable pour être admise, sauf si le juge était d’avis qu’elle satisfaisait au critère préliminaire selon lequel on devait pouvoir raisonnablement y ajouter foi.

135 Je conclus que la preuve de faits similaires, si elle est admise, peut sûrement permettre de faire la première inférence, à savoir que l’intimé éprouvait du plaisir à infliger de la douleur à son ex-épouse lorsqu’il avait des relations sexuelles avec elle et qu’il n’acceptait qu’elle lui dise non. La deuxième inférence (selon laquelle l’accusé avait, dans la présente affaire, délibérément continué d’agir tout en sachant que la plaignante n’était pas consentante) pose beaucoup plus de difficultés pour les motifs susmentionnés.

136 Si la preuve de faits similaires qui a été produite n’est pas vraiment susceptible d’étayer les inférences demandées par le ministère public, il n’est habituellement pas nécessaire de pousser l’analyse plus loin. En l’espèce, les questions en litige ont été complètement débattues et je passe donc à la prochaine étape.

(2) L’évaluation du préjudice

137 J’ai décrit plus haut les principales sources de préjudice découlant d’une preuve de propension en exposant l’exclusion dont elle est présumée faire l’objet, et il n’est pas nécessaire d’y revenir ici.

138 On ne saurait douter que la preuve de faits similaires peut avoir des effets pernicieux. Sopinka, Lederman et Bryant, op. cit., § 11.173, mentionnent les observations d’un avocat anglais qui a écrit ceci au sujet de la situation qui prévaut en Angleterre :

[traduction] La preuve de faits similaires pose d’énormes problèmes aux juges, aux jurés et aux magistrats également. Ces problèmes s’expliquent par le conflit direct entre la force probante et l’effet préjudiciable. Souvent, à la Crown Court, c’est là que le juge vient le plus près de trancher l’affaire à lui seul. [Je souligne.]

(G. Durston, « Similar Fact Evidence : A Guide for the Perplexed in the Light of Recent Cases » (1996), 160 Justice of the Peace & Local Government Law 359, p. 359)

Au Canada, les plaideurs partagent cet avis.

a) Préjudice moral

139 On mentionne souvent que le « préjudice » dans ce contexte n’est pas le risque de déclaration de culpabilité. Le préjudice réside davantage dans le risque de procès diffus et de déclaration de culpabilité injustifiée. Le raisonnement interdit est l’inférence de culpabilité à partir d’une prédisposition ou propension générale. La preuve, si on y ajoute foi, démontre que l’accusé a des tendances déshonorantes. En définitive, le verdict peut être fondé sur un préjudice plutôt que sur une preuve, compromettant ainsi la présomption d’innocence consacrée à l’art. 7 et à l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés.

140 On ne saurait douter, en l’espèce, du caractère incendiaire du témoignage de l’ex-épouse. Dans la mesure où ces choses peuvent être situées dans une échelle des valeurs, ce témoignage est plus répréhensible que l’accusation dont est saisi le tribunal. Le jury serait plus susceptible d’être consterné par le régime d’abus sexuel conjugal que par l’inconduite alléguée d’un rustre en état d’ébriété dans une chambre de motel lors d’un fait isolé. On peut préciser que l’art. 718.2 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, reflète la réprobation de la violence conjugale par la société, du fait qu’il considère cette violence comme une circonstance aggravante aux fins de détermination de la peine.

141 Certaines études pilotes sur le comportement du jury ont mis en doute l’efficacité des directives du juge du procès concernant l’utilisation limitée qui peut être faite de la preuve de propension : R. L. Wissler et M. J. Saks, « On the Inefficacy of Limiting Instructions : When Jurors Use Prior Conviction Evidence to Decide on Guilt » (1985), 9 Law & Hum. Behav. 37, p. 43; S. Lloyd‑Bostock, « The Effects on Juries of Hearing About the Defendant’s Previous Criminal Record : A Simulation Study », [2000] Crim. L.R. 734, p. 742; K. L. Pickel, « Inducing Jurors to Disregard Inadmissible Evidence : A Legal Explanation Does Not Help » (1995), 19 Law & Hum. Behav. 407. Cela ne doit pas miner la confiance que nous avons dans la capacité du jury de faire son travail, mais cela fait ressortir le caractère pernicieux de la preuve de propension et la nécessité d’être très conscient de l’effet préjudiciable qu’elle peut avoir.

142 On pourrait, dans une certaine mesure, circonscrire le préjudice en restreignant l’étendue et la nature du témoignage de l’ex-épouse, même si une partie de cette preuve était admise, grâce à une procédure analogue à celle suivie dans l’arrêt R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670, relativement aux déclarations de culpabilité criminelles. En l’espèce, on a adopté cette approche seulement dans la mesure où, avec le consentement des avocats, on a supprimé de la preuve le fait que l’intimé avait été incarcéré pour avoir commis deux agressions sexuelles contre d’autres personnes.

143 Je conclus que cette preuve risque sérieusement de causer un préjudice moral.

b) Préjudice par raisonnement

144 La principale question en litige ici est le fait d’empêcher les membres du jury de bien se concentrer sur l’accusation elle-même, aggravé par le temps passé à examiner des allégations de multiples épisodes impliquant deux victimes dans des circonstances différentes, plutôt que la seule infraction reprochée.

145 Le détournement d’attention du jury peut revêtir différentes formes. Dans l’arrêt R. c. D. (L.E.) (1987), 20 B.C.L.R. (2d) 384 (C.A.), p. 399, madame le juge McLachlin (maintenant Juge en chef de notre Cour) a fait remarquer que la preuve de faits similaires peut éveiller

[traduction] dans l’esprit des jurés des sentiments de répugnance et de réprobation qui risqueraient bien de les détourner de l’analyse rationnelle et objective sur laquelle devrait reposer le processus criminel.

146 De plus, il y a le risque manifeste en l’espèce que, dans l’éventualité où l’accusé nierait les « faits similaires », le tribunal soit partagé entre la décision de faire droit à une demande d’admission entre ce qui paraît être une preuve convaincante ayant une incidence sur une question importante et la nécessité d’éviter de faire montre d’iniquité relativement au droit de réponse de l’accusé. Ce dernier a une possibilité restreinte de répondre. Des problèmes logistiques peuvent être aggravés par l’écoulement du temps, la surprise et la règle des questions incidentes qui empêcheront (au nom de l’utilisation efficace des ressources judiciaires) que la preuve de faits similaires fasse l’objet d’un procès à l’intérieur d’un procès. L’accusé n’est pas non plus autorisé à riposter à une preuve de conduite déshonorante par une preuve de faits similaires destinée à étayer sa crédibilité (comme l’ont évoqué Sopinka, Lederman et Bryant, op. cit., §11.74). Par conséquent, les réalités concrètes du procès renforcent l’existence d’un préjudice propre au caractère pernicieux de la preuve de propension elle-même.

147 À mon avis, le témoignage de l’ex-épouse était susceptible d’engendrer, en plus d’un préjudice moral, un grave préjudice par raisonnement lors du procès de l’intimé.

(3) L’appréciation de la valeur probante en fonction du préjudice

148 Comme l’a souligné le juge McHugh dans l’arrêt Pfennig, précité, p. 147, l’une des difficultés résulte de l’absence de commune mesure : [traduction] « La valeur probante a trait à la preuve d’une question; l’effet préjudiciable concerne l’équité du procès. » Ces deux variables ne jouent pas sur le même plan.

149 Le préjudice ne diminue pas nécessairement au fur et à mesure que la valeur probante augmente. Au contraire, les deux plateaux de la balance de la justice peuvent monter et descendre ensemble. Néanmoins, la valeur probante et le préjudice font bouger la balance dans des directions opposées en ce qui concerne la question de l’admissibilité et il est nécessaire de régler leurs exigences contradictoires.

150 Dans l’arrêt Director of Public Prosecutions c. P., [1991] 2 A.C. 447 (H.L.), p. 460, lord Mackay a indiqué qu’il y a lieu d’admettre la preuve de faits similaires lorsque sa valeur probante est [traduction] « assez importante pour justifier son admission », nonobstant son effet préjudiciable. Dans l’arrêt Boardman, précité, p. 442, lord Wilberforce a également parlé des [traduction] « intérêts de la justice ». Voir aussi Pfennig, précité, p. 147-148. Justice est rendue lorsqu’on écarte une preuve pertinente dont l’effet préjudiciable l’emporte sur sa valeur probante (R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223, p. 246), et lorsqu’on admet une preuve dont la valeur probante est plus grande que son effet préjudiciable (quoique ce soit là l’exception). La justice inclut l’intérêt de la société dans la découverte de la véracité des accusations ainsi que l’intérêt de la société et de l’accusé dans l’équité procédurale. Un système de justice criminelle dans lequel des déclarations de culpabilité injustifiées ont été prononcées notamment en raison de notions erronées de moralité et de propension ne devrait pas (et ne doit pas) prendre à la légère le risque qu’une preuve de propension soit mal utilisée.

151 En l’espèce, la preuve de faits similaires était inadmissible à première vue et je conviens avec madame le juge Charron que le ministère public ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la valeur probante de cette preuve l’emportait sur son effet préjudiciable manifeste. La valeur probante de la preuve, particulièrement en ce qui a trait à la possibilité de collusion, n’a pas été appréciée correctement. On a sous-estimé le risque de préjudice et de détournement d’attention du jury que présentait cette preuve. Le critère préliminaire applicable à l’admission de ce type de preuve n’était pas assez strict.

152 Au procès, la question cruciale touchait le consentement, ou l’absence de consentement, et la crédibilité de la plaignante à cet égard. On ne saurait guère douter qu’en écoutant le témoignage de l’ex‑épouse le jury s’est formé une très mauvaise opinion de l’intimé en tant qu’individu qui se comportait de manière odieuse avec son épouse, et qu’il était de ce fait plus disposé à se faire la pire opinion de lui en raison de son comportement envers la plaignante. C’est précisément ce genre de raisonnement fondé sur une prédisposition générale (le préjudice moral) que vise à empêcher la règle d’exclusion de la preuve de faits similaires.

G. Examen de la décision du juge du procès

153 Le juge du procès n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’admettre une preuve de faits similaires dont l’effet préjudiciable l’emporte sur la valeur probante. Néanmoins, il faut accorder un respect considérable à la décision du juge du procès d’admettre une preuve de faits similaires : B. (C.R.), précité, p. 739, et Arp, précité, par. 42. En l’espèce, toutefois, hormis les autres faiblesses de la preuve de faits similaires analysées plus haut, le juge du procès a commis une erreur de droit en refusant de trancher la question de la collusion en tant que condition préalable d’admissibilité. Un nouveau procès s’impose.

IV. Conclusion

154 Le pourvoi formé par le ministère public est rejeté.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l’appelante : Le ministère du Procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureurs de l’intimé : Richard N. Stern et David E. Harris, Toronto.



Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Handy

Références :
Proposition de citation de la décision: R. c. Handy, 2002 CSC 56 (21 juin 2002)


Origine de la décision
Date de la décision : 21/06/2002
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2002 CSC 56 ?
Numéro d'affaire : 27996
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2002-06-21;2002.csc.56 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award