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01/05/2003 | CANADA | N°2003_CSC_25

Canada | KP Pacific Holdings Ltd. c. Cie d'assurance Guardian du Canada, 2003 CSC 25 (1 mai 2003)


KP Pacific Holdings Ltd. c. Cie d’assurance Guardian du Canada, [2003] 1 R.C.S. 433, 2003 CSC 25

KP Pacific Holdings Ltd. Appelante

c.

Compagnie d’assurance Guardian du Canada, Compagnie

d’assurance Le Bouclier du Nord canadien, AXA Pacifique

Compagnie d’assurance, General Accident, Compagnie d’assurance

du Canada et La Souveraine, Compagnie d’assurance générale Intimées

Répertorié : KP Pacific Holdings Ltd. c. Cie d’assurance Guardian du Canada

Référence neutre : 2003 CSC 25.

No du greffe : 28815.

2003

: 18 février; 2003 : 1er mai

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, ...

KP Pacific Holdings Ltd. c. Cie d’assurance Guardian du Canada, [2003] 1 R.C.S. 433, 2003 CSC 25

KP Pacific Holdings Ltd. Appelante

c.

Compagnie d’assurance Guardian du Canada, Compagnie

d’assurance Le Bouclier du Nord canadien, AXA Pacifique

Compagnie d’assurance, General Accident, Compagnie d’assurance

du Canada et La Souveraine, Compagnie d’assurance générale Intimées

Répertorié : KP Pacific Holdings Ltd. c. Cie d’assurance Guardian du Canada

Référence neutre : 2003 CSC 25.

No du greffe : 28815.

2003 : 18 février; 2003 : 1er mai

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (2001), 202 D.L.R. (4th) 235, 92 B.C.L.R. (3d) 26, 156 B.C.A.C. 58, [2001] I.L.R. ¶I‑4009, [2001] B.C.J. No. 1517 (QL), 2001 BCCA 469, avec motifs supplémentaires (2002), 210 D.L.R. (4th) 562, 99 B.C.L.R. (3d) 195, 165 B.C.A.C. 247, [2002] B.C.J. No. 509 (QL), 2002 BCCA 176, qui a confirmé une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (2000), 18 C.C.L.I. (3d) 196, [2000] I.L.R. ¶I‑3839, [2000] B.C.J. No. 833 (QL), 2000 BCSC 673. Pourvoi accueilli.

Michael G. Armstrong et Janet E. Currie, pour l’appelante.

Donald W. Yule, c.r., et Alex Sayn‑Wittgenstein, pour les intimées.

Version française du jugement de la Cour rendu par

La Juge en chef —

I. Introduction

1 L’appelante était propriétaire d’un hôtel. Le 6 juin 1997, l’hôtel a été endommagé par un incendie. L’appelante a présenté une demande afin d’être indemnisée en vertu de sa police d’assurance. L’assureur a prétendu que la demande n’avait pas été présentée avant l’expiration du délai de prescription applicable. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rejeté l’action de l’appelante : (2000), 18 C.C.L.I. (3d) 196, 2000 BCSC 673. La Cour d’appel a confirmé cette décision : (2001), 92 B.C.L.R. (3d) 26, 2001 BCCA 469, motifs supplémentaires (2002), 99 B.C.L.R. (3d) 195, 2002 BCCA 176. Les parties demandent maintenant à la Cour suprême du Canada de trancher l’affaire de façon définitive.

2 C’est l’Insurance Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 226 (la « Loi »), qui a causé toute cette confusion, ainsi que le retard et les frais qui en ont découlé. Cette loi n’est pas claire. L’assureur prétend que le délai de prescription applicable est de un an à compter de la date du sinistre, selon la condition légale 14 de la partie 5 de la Loi, qui régit l’assurance incendie. L’assurée, par contre, prétend que sa police tous risques ne relève pas de la partie 5, mais plutôt des dispositions générales de la partie 2, qui prévoit un délai de prescription de un an à compter de la présentation de la preuve de sinistre. Selon la première hypothèse, la demande de l’appelante est prescrite. Selon la deuxième, elle peut être instruite.

3 La Loi a été adoptée en 1925 (S.B.C. 1925, ch. 20). Malgré les nombreuses modifications d’ordre administratif qu’elle a subies, elle est demeurée inchangée pour l’essentiel. Elle a été conçue pour un monde dans lequel les assureurs établissent des polices en fonction de risques et d’objets précis, comme l’assurance incendie, l’assurance vol, l’assurance contre les pertes d’entreprise, etc. Par conséquent, la Loi établit des règles, notamment des délais de prescription, en fonction de différentes catégories d’assurance bien distinctes.

4 Or, les pratiques dans le domaine des assurances ont changé. Aujourd’hui, l’assurance « tous risques » ou « risques divers », qui couvre une panoplie de risques, prédomine. Ce type d’assurance comporte des avantages pour les consommateurs. Il réduit grandement le nombre de polices qu’ils doivent souscrire et leur procure une couverture complète à moindre coût. Par contre, il est désavantageux en cas de litige. La Loi désuète, fondée sur des catégories, contient des règles fondées sur les anciennes catégories d’assurance. Il est difficile, voire impossible, de classer les nouvelles polices multirisques dans les anciennes catégories. Par conséquent, on ne sait jamais quelles règles s’appliquent. Les demandes d’indemnité stagnent. Des litiges s’ensuivent. Les tribunaux sont aux prises avec différentes interprétations tortueuses. Les décisions qui en résultent ont été comparées à une [traduction] « loterie judiciaire » : professeur J. A. Rendall, Annotation to Briggs v. B.C.C.A. Insurance Co. (1990), 40 C.C.L.I. 282, p. 288 (commentant la jurisprudence de la Colombie-Britannique antérieure à l’arrêt Dressew Supply Ltd. c. Laurentian Pacific Insurance Co. (1991), 57 B.C.L.R. (2d) 198 (C.A.)).

5 Il serait très salutaire que le législateur revoie ces dispositions et qu’il précise son intention en ce qui concerne les polices tous risques et les polices multirisques. Entre‑temps, c’est aux tribunaux qu’incombe la tâche de régler les litiges qui découlent de la discordance entre la législation et la pratique en matière d’assurance. Brown et Menezes se plaignent qu’[traduction] « [i]l n’y a sûrement rien de moins productif ou de plus inutile qu’un litige portant sur de tels aspects techniques » : C. Brown et J. Menezes, Insurance Law in Canada (2e éd. 1991), p. 16. Je suis entièrement d’accord avec eux.

6 Caser la police multirisque en cause dans la catégorie visée par la partie 5 de la Loi, qui régit l’assurance incendie, n’est possible qu’au prix d’une interprétation forcée et de résultats incongrus. Elle n’entre tout simplement pas dans cette catégorie. Ainsi, on ne peut prétendre que le législateur a voulu que les dispositions régissant l’assurance incendie s’appliquent. Les polices multirisques sont donc régies par la partie 2, qui est d’application générale. Par conséquent, nous concluons que le délai de prescription applicable est de un an à compter du dépôt de la preuve de sinistre et que la demande de l’appelante n’est pas prescrite.

II. Analyse

7 L’issue de la présente affaire dépend de la question de savoir si la police détenue par KP Pacific relève de la partie 5 de la Loi, qui régit l’assurance incendie, ou de la partie 2, qui édicte les règles d’application générale. Si la police relève de la partie 5, l’appelante n’a pas agi dans le délai imparti. Dans le cas contraire, l’appelante peut faire valoir sa demande. La question de savoir quelle partie s’applique dépend de la façon dont on interprète la Loi. Pour comprendre les dispositions de la Loi, il faut d’abord en retracer l’historique.

8 En 1925, la Colombie‑Britannique a refondu un certain nombre de lois dans l’Insurance Act. Cette loi définissait l’assurance incendie simplement comme [traduction] « une assurance contre les pertes et les dommages matériels, causés à des biens qui sont situés dans la province ou en transit en provenance ou à destination de la province, résultant d’un incendie, de la foudre ou d’une explosion, [y compris] l’assurance contre les fuites d’extincteurs automatiques » : Insurance Act, S.B.C. 1925, ch. 20, art. 2. En 1935, cette définition a été modifiée par l’ajout d’une réserve selon laquelle l’assurance incendie ne devait pas être [traduction] « accessoire à une autre catégorie d’assurance définie ou régie par la présente Loi » : Insurance Act Amendment Act, 1935, S.B.C. 1935, ch. 38, art. 2. L’assurance incendie était considérée comme une catégorie distincte d’assurance, qui portait exclusivement ou principalement sur les pertes causées par un incendie. La partie de la Loi traitant de l’assurance incendie semblait donc limitée aux polices d’assurance incendie au sens strict.

9 En 1938, la Loi a été modifiée afin que la partie de la Loi régissant l’assurance incendie puisse s’appliquer aux polices d’assurance incendie qui incluent une protection contre d’autres risques. Cette disposition, que l’on retrouve toujours à l’art. 119 de la Loi, prévoit que [traduction] « [l]a présente partie s’applique aux assureurs qui offrent de l’assurance incendie et aux contrats d’assurance incendie, peu importe qu’un contrat inclue une protection contre d’autres risques en plus des risques compris dans l’expression « assurance incendie » telle qu’elle est définie dans la présente loi » : Insurance Act Amendment Act, 1938, S.B.C. 1938, ch. 24, art. 3 (je souligne). Aucune autre province n’a adopté une disposition ainsi libellée. On ne sait trop pourquoi la Colombie‑Britannique a apporté cette modification. Peut‑être était‑ce pour tenir compte de la possibilité que les polices d’assurance incendie accordent également une protection contre les risques accessoires, comme les dommages causés par l’eau à la suite d’un incendie. Il semble peu probable que cette modification ait visé à régler le sort de la police risques divers, qui n’était pas encore très répandue.

10 En 1957, de concert avec d’autres provinces, le législateur a modifié la Loi de manière à exclure certains contrats d’assurance de la partie 5, qui porte sur l’assurance incendie, savoir les contrats d’assurance contre le vol (maintenant l’al. 119a)), les contrats d’assurance contre les pertes de bénéfice (maintenant l’al. 119b)) et les polices dans lesquelles [traduction] « le risque d’incendie constitue un risque accessoire à la couverture fournie » (maintenant l’al. 119c)) : Insurance Act Amendment Act, 1957, S.B.C. 1957, ch. 31, art. 7. À la suite de certaines mises à jour qui ont établi d’autres exceptions, l’art. 119 est maintenant rédigé comme suit :

[traduction] La présente partie s’applique aux assureurs qui offrent de l’assurance incendie et aux contrats d’assurance incendie, peu importe qu’un contrat inclue une protection contre d’autres risques en plus des risques compris dans l’expression « assurance incendie » telle qu’elle est définie dans la présente loi, sauf lorsque, selon le cas :

a) l’assurance entre dans les catégories d’assurance aéronefs, d’assurance automobile, d’assurance des chaudières et machines, d’assurance de transport terrestre, d’assurance maritime, d’assurance contre le bris des glaces, d’assurance contre les fuites d’extincteurs automatiques et d’assurance vol;

b) l’objet de l’assurance est un loyer, une charge ou une perte de bénéfice;

c) le risque d’incendie constitue un risque accessoire à la couverture fournie;

d) l’objet de l’assurance est un bien assuré par un assureur ou un groupe d’assureurs, principalement comme risque nucléaire, en vertu d’une police couvrant ce bien contre les pertes ou les dommages matériels résultant de réactions ou de radiations nucléaires, ainsi que d’autres risques.

11 L’article 119 conserve la méthode des catégories comme critère d’application de la partie 5. L’assurance incendie est définie par renvoi au règlement, maintenant le règlement 337 : Insurance Classes Regulation, B.C. Reg. 337/90, art. 2. La disposition édictée en 1938 introduit l’idée que cette partie peut s’appliquer lorsque la police inclut une protection contre d’autres risques, ce qui laisse croire qu’une police tous risques pourrait relever de cette partie. Toutefois, les exceptions mentionnées à l’al. 119a) renvoient toutes à des catégories d’assurance définies dans le règlement 337 ou à des éléments accessoires à ces catégories. Il en résulte une disposition qui fixe le contenu de la partie 5 en définissant d’abord l’assurance incendie comme une catégorie distincte étroite, puis en faisant miroiter un élargissement de cette définition par l’inclusion d’autres risques, pour finalement la restreindre à nouveau par l’ajout d’une série d’exceptions fondées sur l’appartenance à une catégorie.

12 Comment, le cas échéant, une police tous risques réussit‑elle à se faufiler à travers l’embrouillamini historique qui restreint l’accès à la partie 5? Ce ne peut être par application de la définition initiale de l’assurance incendie énoncée dans le règlement 337, c’est‑à‑dire qu’elle n’est pas une [traduction] « assurance contre les dommages causés aux biens assurés ou leur perte, résultant du feu, de la foudre, de la fumée ou d’une explosion due à la combustion, y compris l’assurance contre les fuites d’extincteurs automatiques ». La seule possibilité d’inclusion de la police tous risques est la disposition édictée en 1938, qui ne figure dans la législation d’aucune autre province et qui précise que la partie 5 s’applique [traduction] « peu importe qu’un contrat inclue une protection contre d’autres risques en plus des risques compris dans » la définition d’assurance incendie. Comme je l’ai souligné plus haut, il semble peu probable que ces termes aient eu pour but d’englober les polices multirisques modernes. Toutefois, même si on leur attribue cette portée étendue, on se rend compte, lorsqu’on arrive aux exceptions particulières, qu’ils ne cadrent toujours pas avec la structure fondée sur des catégories de l’art. 119. La question est facile à énoncer, mais il est difficile d’y répondre : si les polices multirisques modernes relèvent de la partie 5 par application de la disposition édictée en 1938, combien y sont soustraites par application des exceptions?

13 Les juges ont beaucoup écrit sur la façon d’interpréter ces exceptions et sur ce qu’elles excluent précisément de la partie 5. Malheureusement, une grande incertitude subsiste. Le débat révèle les différents aspects de cette incertitude. Premièrement, est‑ce que la police qui comporte un élément visé par une exception sera soustraite en entier à l’application de la partie 5 ou est‑ce que seul l’élément en cause le sera? La réponse à cette question varie selon les tribunaux. Toutes les parties ont convenu devant nous qu’une méthode qui morcellerait la police de façon à inclure certains éléments dans la partie 5 et à en exclure d’autres est impraticable. Une anomalie demeure toutefois, car l’exclusion d’un élément sans grande importance peut avoir pour effet de soustraire la police toute entière à l’application de la partie 5.

14 Deuxièmement, comment doit‑on interpréter les exceptions prévues à l’art. 119? Une méthode consiste à les interpréter comme renvoyant à la nature de la perte qui survient ou du risque qui se réalise. Par conséquent, si l’événement déclencheur de la demande d’indemnité est un vol, la police tous risques est soustraite à l’application de la partie 5 en vertu de l’al. 119a), qui exclut l’assurance contre le vol. Cette méthode semble impraticable, car la question de savoir quelles règles régissent une police dépend alors de la qualification à posteriori de l’événement déclencheur. Selon une autre méthode, la police relève de la partie 5 si les aspects de la couverture qui n’ont pas trait à l’incendie sont simplement accessoires, et elle relève plutôt de la partie 2 si ces aspects sont essentiels. Pour appliquer cette méthode, il faut classer les risques inclus dans une police tous risques pour déterminer lesquels sont essentiels et lesquels sont simplement accessoires. Cette méthode a engendré, à son tour, un troisième point de vue : dans une police multirisque, les risques inclus sont tous accessoires à la couverture fournie, de sorte que toutes les polices multirisques sont exclues de la partie 5 et relèvent de la partie 2 : Dressew, précité. Néanmoins, des détracteurs soulignent que cette méthode semble modifier le sens ordinaire du mot « accessoire », qui évoque une distinction entre l’essentiel et l’accessoire, et qu’en l’absence d’une hiérarchie, les risques doivent tous être considérés égaux, plutôt qu’« accessoires » au sens de l’al. 119c).

15 D’autres problèmes surgissent encore lorsqu’on essaie de forcer l’inclusion des polices multirisques dans l’art. 119. Certaines pertes couvertes par des polices multirisques, comme les pertes d’entreprise, peuvent être difficiles à évaluer dans le délai de prescription de un an à compter de la date de l’événement déclencheur, en l’occurrence un incendie. Une confusion additionnelle résulte du fait que certaines exclusions énumérées semblent intrinsèquement contradictoires avec la règle générale. Par exemple, selon la définition qu’en donne le règlement, l’assurance incendie englobe le risque de fuites d’extincteurs automatiques. Toutefois l’al. 119a) exclut expressément l’assurance contre les fuites d’extincteurs automatiques de la partie régissant l’assurance incendie. Nul ne peut expliquer comment cela est possible.

16 Aucune des solutions envisagées pour décider si une police multirisque donnée relève de la partie 5 ne cadre bien avec le libellé de l’ensemble de l’art. 119. On est porté à conclure que, malgré les modifications qui lui ont été apportées, l’art. 119 repose sur le paradigme des catégories distinctes de polices d’assurance et qu’il ne peut pas régir les polices multirisques modernes d’une manière cohérente. Une telle approche aurait pu être logique dans les années trente, lorsque l’assurance était offerte en unités distinctes, chacune comprenant son type particulier de protection. Elle est beaucoup moins logique aujourd’hui.

17 Les exclusions énumérées à l’art. 119 ne renvoient pas aux risques, mais plutôt aux types de polices définies par le règlement 337 actuel. Chacun des éléments de l’al. 119a) renvoie à un type d’assurance défini dans le règlement. Ces éléments sont classés de diverses manières : certains le sont selon la catégorie de biens visés par l’assurance (aéronefs, automobile, chaudières et machines, glaces); d’autres selon l’activité concernée (transport terrestre, assurance maritime); d’autres encore d’après le risque (fuite d’extincteurs automatiques, vol). Ils n’ont que ceci en commun : ils désignent une catégorie d’assurance. Par conséquent, l’al. 119a) exclut de la partie 5 les polices d’assurance qui, selon la coutume et la définition légale, ne constituent pas des polices d’assurance incendie. De même, les al. 119b) et d) excluent de la partie 5 certaines catégories de polices fondées sur l’objet de l’assurance. L’alinéa 119c) sert de clause résiduelle; il exclut les polices qui ne sont pas mentionnées aux al. a), b), et maintenant d), dans lesquelles l’assurance incendie est peu importante ou encore accessoire par rapport à l’objet principal de la police. De ce point de vue, les dispositions de l’art. 119 forment un tout.

18 Si nous vivions encore dans un monde où les gens souscrivent des polices différentes pour chacun de ces risques, l’art. 119 fonctionnerait encore assez bien. Le problème est que notre monde a changé. On voudrait que l’art. 119 s’applique à une réalité pour laquelle il n’a jamais été conçu — la police multirisque moderne. L’article 119 repose sur le principe des polices distinctes pour des objets distincts, sans chevauchement important. Il règle les cas de chevauchement et de recoupement en énumérant des exceptions et en faisant appel à la simple logique de la distinction entre l’essentiel et l’accessoire. Il convient peut‑être encore à certaines polices qui ont plusieurs objets, faciles à classer et à identifier, et qui ont une portée est assez limitée. Cependant, il ne fonctionne pas lorsqu’on l’applique à des polices multirisques de portée plus étendue.

19 Je conclus qu’on ne peut appliquer l’art. 119 aux polices multirisques qu’au prix d’une interprétation forcée et de résultats incongrus. Peu importe l’interprétation que l’on tente d’attribuer à la partie 5 et les efforts que l’on déploie pour l’appliquer à la présente police, un constat d’incohérence s’impose en bout de ligne. Je ne puis conclure, que ce soit à partir du libellé de l’art. 119 ou de son historique, que le législateur voulait qu’une police multirisque comme celle en cause ici relève de la partie 5, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent, dont l’application d’un délai de prescription plus court. Par conséquent, comme toutes les polices qui n’appartiennent pas à une catégorie précise, cette police relève de la partie 2, d’application générale.

20 Nous tirons cette conclusion en étant bien conscients que les dispositions générales de la partie 2 ne constituent peut‑être pas une solution idéale en ce qui concerne les polices multirisques. Le professeur Rendall souligne : [traduction] « On peut très bien estimer que la partie 2 constitue un code de réglementation plus primitif que la partie 6 [maintenant la partie 5], qu’elle convient moins bien comme régime réglementaire » : (J. A. Rendall, « Case Comment : Dressew Supply Ltd. v. Laurentian Pacific Insurance Co. : A Revisitation » (1995), 28 C.C.L.I. (2d) 220, p. 235. Par contre, dans Churchland c. Gore Mutual Insurance Co. (2001), 92 B.C.L.R. (3d) 1, 2001 BCCA 470, le juge Finch a exprimé l’opinion que, tout compte fait, la partie 5 est [traduction] « défavorable aux assurés » (par. 61). Encore une fois, nous espérons que les législateurs corrigeront la situation en modifiant la Loi pour assujettir expressément les polices multirisques à des dispositions précises. À une époque où les polices multirisques prédominent dans le monde de l’assurance, il est impérieux que les différentes lois sur les assurances en vigueur au Canada précisent clairement de quelle façon elles fonctionnent et quelles règles appliquer aux polices multirisques.

21 Reste l’argument subsidiaire de l’assureur selon lequel, même si la partie 2 s’applique, le fait de stipuler dans le contrat d’assurance un délai de prescription de un an à compter de la date du sinistre écarte l’application du délai de prescription plus long fixé par la partie 2. Je ne puis retenir cet argument. Cette question est régie par l’al. 3a) de la Loi qui prévoit :

[traduction] La présente partie s’applique malgré toute loi ou tout contrat à l’effet contraire, sous réserve des dispositions qui suivent :

a) si une disposition ou une condition prescrite par la loi figurant aux parties 3, 4, 5, 6 ou 7 s’applique et porte sur un objet identique ou semblable à l’objet de la présente partie, la présente partie ne s’applique pas . . .

Cette disposition ne permet pas à l’assureur de substituer des conditions plus sévères à celles prévues par la partie 2. Le libellé clair de l’article révèle que le législateur a voulu que les dispositions de la partie 2 servent de seuil et que les contrats d’assurance ne puissent offrir une protection moindre. Si un contrat relève de l’une des parties mentionnées, cette partie s’applique et fixe un seuil différent. Sinon, l’assuré a droit à tout le moins aux protections établies par la partie 2 de la Loi. La tentative de l’assureur de faire valoir que le délai de prescription plus court est plus avantageux pour l’assuré parce qu’il est plus certain frise la malhonnêteté.

III. Conclusion

22 Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’ordonner que la demande soit instruite et d’adjuger les dépens en faveur de l’appelante dans toutes les cours.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante : Armstrong & Company, Vancouver.

Procureurs des intimées : Guild, Yule & Company, Vancouver.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli. Le délai de prescription de la partie 2 s’applique et la demande de l’assurée n’est pas prescrite

Analyses

Assurance - Polices tous risques - Délai de prescription - Assuré demandant une indemnisation en vertu de sa police tous risques pour les dommages causés par un incendie - Partie 5 (Assurance incendie) de l’Insurance Act de la Colombie‑Britannique fixant un délai de prescription plus court que la partie 2 (Dispositions générales) - Quelle partie de l’Insurance Act et, conséquemment, quel délai de prescription sont applicables? - Insurance Act, R.S.B.C. 1996, ch. 226, partie 2, partie 5, art. 119.

L’assurée a présenté une demande afin d’être indemnisée en vertu de sa police d’assurance tous risques à la suite d’un incendie. Elle a présenté cette demande plus d’un an après le sinistre, mais moins d’un an après le dépôt de la preuve de sinistre. L’assureur a soutenu que la demande ne pouvait être entendue au motif que le délai de prescription applicable était de un an à compter de la date du sinistre, selon la partie 5 de l’Insurance Act de la Colombie‑britannique (la « Loi »). À l’instruction, l’assurée a fait valoir que sa police tous risques relevait plutôt des dispositions générales de la partie 2, qui prévoit un délai de prescription de un an à compter de la présentation de la preuve de sinistre. Le juge de première instance a statué que la police relevait de la partie 5 de la Loi et a rejeté la demande de l’assurée. La Cour d’appel a confirmé cette décision.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli. Le délai de prescription de la partie 2 s’applique et la demande de l’assurée n’est pas prescrite.

Ni le libellé de l’art. 119 de la partie 5, ni l’historique de cette disposition n’appuient la conclusion que le législateur voulait qu’une police multirisque relève de la partie 5. Caser ces polices dans cette partie n’est possible qu’au prix d’une interprétation forcée et de résultats incongrus. L’article 119, malgré les modifications qui lui ont été apportées, repose sur le paradigme désuet des catégories distinctes de polices d’assurance et ne peut pas régir les polices multirisques modernes d’une manière cohérente. Étant donné que la police de l’assurée n’appartient pas à une catégorie précise, elle relève de la partie 2. Toutefois, la partie 2 ne constitue pas une solution idéale en ce qui concerne les polices multirisques et il serait très salutaire que le législateur modifie la Loi pour assujettir expressément ces polices à des dispositions précises. Le fait de stipuler dans le contrat un délai de prescription de un an à compter de la date du sinistre n’écarte pas l’application du délai de prescription plus long fixé par la partie 2, car l’al. 3a) de la Loi ne permet pas à l’assureur de substituer des conditions plus sévères à celles prévues par la partie 2.


Parties
Demandeurs : KP Pacific Holdings Ltd.
Défendeurs : Cie d'assurance Guardian du Canada

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés : Dressew Supply Ltd. c. Laurentian Pacific Insurance Co. (1991), 57 B.C.L.R. (2d) 198
Churchland c. Gore Mutual Insurance Co. (2001), 92 B.C.L.R. (3d) 1, 2001 BCCA 470.
Lois et règlements cités
Insurance Act, R.S.B.C. 1996, ch. 226, art. 3a), 119, condition légale 14.
Insurance Act, S.B.C. 1925, ch. 20, art. 2 « fire insurance ».
Insurance Act Amendment Act, 1935, S.B.C. 1935, ch. 38, art. 2 « fire insurance ».
Insurance Act Amendment Act, 1938, S.B.C. 1938, ch. 24, art. 3.
Insurance Act Amendment Act, 1957, S.B.C. 1957, ch. 31, art. 7.
Insurance Classes Regulation, B.C. Reg. 337/90, art. 2 « fire insurance ».
Doctrine citée
Brown, Craig, and Julio Menezes. Insurance Law in Canada, 2nd ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1991.
Rendall, James A. Annotation to Briggs v. B.C.A.A. Insurance Co. (1990), 40 C.C.L.I. 282.
Rendall, James A. « Case Comment : Dressew Supply Ltd. v. Laurentian Pacific Insurance Co. : A Revisitation » (1995), 28 C.C.L.I. (2d) 220.

Proposition de citation de la décision: KP Pacific Holdings Ltd. c. Cie d'assurance Guardian du Canada, 2003 CSC 25 (1 mai 2003)


Origine de la décision
Date de la décision : 01/05/2003
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2003 CSC 25 ?
Numéro d'affaire : 28815
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2003-05-01;2003.csc.25 ?
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