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06/06/2003 | CANADA | N°2003_CSC_33

Canada | R. c. Owen, 2003 CSC 33 (6 juin 2003)


R. c. Owen, [2003] 1 R.C.S. 779, 2003 CSC 33

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Terry Steven Owen Intimé

Répertorié : R. c. Owen

Référence neutre : 2003 CSC 33.

No du greffe : 28700.

2003 : 15 janvier; 2003 : 6 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2001), 54 O.R. (3d) 257, 145 O.A.C. 142, 155 C.C.C. (3d) 82, 42 C.R. (5th)

362, [2001] O.J. No. 1710 (QL), qui a annulé une décision d’une commission d’examen. Pourvoi accueilli, la juge Arbour est ...

R. c. Owen, [2003] 1 R.C.S. 779, 2003 CSC 33

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Terry Steven Owen Intimé

Répertorié : R. c. Owen

Référence neutre : 2003 CSC 33.

No du greffe : 28700.

2003 : 15 janvier; 2003 : 6 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2001), 54 O.R. (3d) 257, 145 O.A.C. 142, 155 C.C.C. (3d) 82, 42 C.R. (5th) 362, [2001] O.J. No. 1710 (QL), qui a annulé une décision d’une commission d’examen. Pourvoi accueilli, la juge Arbour est dissidente.

Riun Shandler, pour l’appelante.

Brian Snell, pour l’intimé.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, LeBel et Deschamps rendu par

1 Le juge Binnie — Les changements apportés en 1991 au Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46 (« C. cr. »), ont instauré un nouveau système de révision des décisions prises à l’égard des personnes accusées d’une infraction criminelle qui, comme l’intimé, ont été déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux. Dans le cas de l’intimé, il s’agissait d’une infraction de meurtre au deuxième degré qu’il a commise en 1978 dans un état de psychose provoqué par la consommation de drogue. Le 17 mai 2000, ayant conclu au terme d’une audition complète que l’intimé représentait toujours un danger important pour la sécurité du public, la Commission ontarienne d’examen (la « Commission ») a ordonné le maintien de sa détention au Kingston Psychiatric Hospital (« KPH »). Devant la Cour d’appel, le ministère public a voulu renforcer la décision de la Commission en produisant de nouveaux éléments de preuve par affidavit alléguant que, depuis l’audition tenue devant la Commission, l’intimé avait frappé un patient et menacé d’en tuer un autre, en plus d’avoir été trouvé en possession de drogues interdites. Refusant d’admettre cette nouvelle preuve, la Cour d’appel a révisé l’ordonnance de la Commission au regard de la preuve disponible lors de l’audition initiale, accueilli l’appel, annulé l’ordonnance de la Commission jugée déraisonnable et ordonné la libération inconditionnelle de l’intimé.

2 Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi. En faisant montre de la retenue qui s’impose à l’égard de son expertise sur ces questions, j’estime que la Commission n’a pas rendu une décision déraisonnable compte tenu du dossier dont elle disposait. En outre, et cela dit en toute déférence, la Cour d’appel a commis une erreur de droit en rejetant la nouvelle preuve sans motifs à l’appui. La preuve du comportement violent de l’intimé en 2000 était pertinente, car elle touchait au cœur de la décision de la cour selon laquelle la détention de l’intimé, au motif qu’il représente un risque important pour la sécurité du public, n’était plus nécessaire. La nouvelle preuve confirmait en partie le fondement factuel de l’ordonnance rendue par la Commission le 17 mai 2000. La procédure établie par la loi en ce qui concerne les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux est de nature inquisitoire et non contradictoire. Une ordonnance de libération inconditionnelle devrait s’appuyer sur les meilleures données connues, y compris, dans les cas appropriés, sur la nouvelle preuve offerte à la cour d’appel qui est postérieure à l’audition initiale tenue par la Commission.

3 L’issue du présent pourvoi aura une incidence limitée sur l’intimé. Nous examinons aujourd’hui des événements survenus il y a trois ans. Or, l’intimé a droit à une révision indépendante de son ordonnance de détention par des experts au moins une fois tous les 12 mois et, plus tôt, « en tout temps », à la discrétion de la Commission (par. 672.82(1)). Prescrites par le Code criminel, ces révisions annuelles se tiendront jusqu’à ce que l’intimé soit libéré inconditionnellement. Celui‑ci a ainsi l’assurance que toute nouvelle ordonnance relative au maintien de sa détention ou à sa libération éventuelle sera fondée sur des renseignements et des évaluations à jour. Cette procédure garantit l’équité du processus tant envers l’intimé qu’envers le public.

I. Les faits

4 Le 10 octobre 1978, l’intimé qui devait répondre à une accusation de meurtre au deuxième degré a été déclaré non coupable pour cause de troubles mentaux. Les circonstances entourant le meurtre (l’« infraction initiale ») ont été consignées comme suit dans le rapport de l’Hôpital psychiatrique de North Bay, daté d’octobre 1990 :

[traduction] [L’intimé] vivait avec la victime [un homme], qui était âgée de 22 ans et originaire de la région de Chatham. Ils vivaient ensemble depuis près de trois mois. L’infraction a été perpétrée le matin, mais [l’intimé] a dit ne pas se rappeler grand-chose. Il se souvient qu’il avait des idées paranoïdes au cours des semaines précédant l’infraction et qu’une chanson lui trottait dans la tête. Il ne se souvient pas des paroles de la chanson. La veille de l’infraction, il s’est couché et s’est souvenu qu’il avait une pomme dopée aux MDA. Le lendemain matin, [l’intimé] et un autre homme ont partagé cette pomme. [L’intimé] affirme qu’il avait peur et qu’il avait des idées paranoïdes depuis un certain temps, sans en être tout à fait conscient. Cependant, après avoir mangé la pomme, il a eu peur de son ami et a cru que celui‑ci était impliqué dans le meurtre de son grand‑père, pourtant décédé de causes naturelles. [L’intimé] se rappelle avoir frappé l’homme avec un bâton ou autre chose du genre. [L’intimé] avait également une arme à feu. Après l’infraction, il s’est arrêté et il est demeuré sur les lieux jusqu’à l’arrivée des policiers. L’homme est décédé peu de temps après des suites de ses blessures. [L’intimé] a été accusé de meurtre.

5 Avant le meurtre survenu en 1978, l’intimé avait déjà un casier judiciaire pour des infractions d’introduction par effraction, d’entrave au travail d’un policier, de trafic de stupéfiants, de possession de stupéfiants et de possession de biens volés.

6 Après une période de détention dans diverses institutions de soins de santé mentale, l’intimé a été progressivement remis en liberté dans la collectivité jusqu’en 1987, lorsqu’il a été arrêté pour possession d’une arme prohibée, introduction par effraction avec l’intention de commettre un acte criminel et possession de biens criminellement obtenus. Le 15 juin 1988, on l’a déclaré coupable de ces trois chefs. Après avoir purgé sa peine, l’intimé est retourné à l’Hôpital psychiatrique de North Bay. En 1989, il s’est disputé avec le personnel de l’hôpital à propos des privilèges qui lui étaient accordés et, selon le rapport de l’hôpital, il a perdu son sang‑froid et a frappé une portière de voiture si fort qu’il s’est fracturé la main, ce qui a nécessité qu’on lui fasse un plâtre. L’intimé aurait affirmé : [traduction] « [c]’était la porte ou la mâchoire de Brad, t’sais, fallait que je frappe quelque chose ». Plus tard, pendant qu’il vivait dans la collectivité en janvier 1990, l’intimé a infligé une grave fracture de la mâchoire à un homme avec une baguette de billard au cours d’une altercation alors qu’il était sous l’influence de l’alcool. Le 7 juin 1990, l’intimé a été déclaré coupable de voies de fait causant des lésions corporelles, infraction pour laquelle il s’est vu imposer une peine d’emprisonnement de 14 mois.

7 On a ensuite tenté de nouveau de le remettre progressivement en liberté dans la collectivité, mais ses problèmes d’abus d’alcool et d’autres drogues ont refait surface et il a continué à démontrer une certaine propension à la violence. En 1991, par exemple, l’intimé a été admis à l’unité de garde en milieu fermé du KPH. Là, il a eu ce qu’on a appelé des « comportements violents » alors qu’il était sous l’influence de l’alcool. Dans le cadre d’une évaluation du risque menée en 1992, le ministère de la Santé de l’Ontario a placé l’intimé dans la catégorie des délinquants violents dont on estimait le taux de récidive avec violence à 44 pour 100 dans les sept ans suivant leur libération. En 1992, un rapport du KPH établi par le personnel médical signalait, parmi les facteurs de risque présentés par l’intimé, l’abus de drogues illicites ou d’alcool, ainsi que la violence à l’égard des autres :

[traduction] Le pronostic [de l’intimé] était encore très réservé, compte tenu de son manque d’introspection, de son peu d’égard envers autrui et de son intolérance face au système. On prédisait qu’une situation circonstancielle compromettrait vraisemblablement sa liberté très tôt dans sa réintégration au sein de la collectivité. [L’intimé] a des antécédents d’infractions répétées, notamment en ce qui a trait à la violence sans provocation et à la consommation d’alcool et d’autres drogues, ainsi qu’une attitude cavalière, ce pourquoi il constitue un risque sérieux pour la collectivité.

8 La Commission a néanmoins décidé, en 1994, 1995 et 1996, de libérer l’intimé sous conditions. En 1997, le test d’urine de l’intimé a révélé la présence de cannabis, et le KPH a fait savoir à la Commission qu’il ne pouvait désormais plus être en faveur d’une ordonnance de libération conditionnelle pour l’intimé en raison de son abus persistant d’alcool et d’autres drogues et du fait que l’hôpital avait besoin d’une certaine marge de manœuvre pour [traduction] « réagir rapidement à l’aggravation connue du risque » :

[traduction] [S]i l’hôpital ne peut demander l’hospitalisation ou d’importants changements dans la surveillance de [l’intimé], la collectivité court un risque. La collectivité ne comprendrait pas pourquoi le KPH n’est pas en mesure de réagir rapidement à l’aggravation connue du risque. Cette situation se répétera fort probablement à maintes reprises. Le rôle de l’hôpital devrait être de gérer la situation sans tarder par des mesures qui soient compatibles avec les besoins de [l’intimé] sur le plan de sa réadaptation à long terme et qui ne compromettent pas la sécurité du public. L’hôpital ne voit pas l’utilité d’hospitaliser chaque fois [l’intimé] pendant plusieurs mois jusqu’à ce que la Commission lui ait fait connaître son bon plaisir. En fait, l’arrangement administratif actuel — l’ordonnance de libération conditionnelle — produit des effets qui vont à l’encontre des besoins de [l’intimé] sur le plan de sa réadaptation et ne protège en rien la sécurité du public.

. . .

Il existera toujours un risque que [l’intimé] consomme de l’alcool et d’autres drogues et adopte des comportements antisociaux connexes. Le risque atteindra un niveau inacceptable lorsque cela se produira. L’hôpital doit être en mesure de faire face à cette situation grâce au pouvoir discrétionnaire que lui confère une ordonnance de détention. [Je souligne.]

9 Les décisions rendues par la Commission en 1997, 1998 et 1999 prévoyaient que l’intimé serait détenu au KPH mais qu’il vivrait à Kingston, pourvu, encore une fois, qu’il s’abstienne de consommer de l’alcool et d’autres drogues, sauf à des fins médicales. En mars 1999, l’hôpital a affirmé :

[traduction] L’équipe estime que [l’intimé] continue de représenter un risque pour la sécurité du public.

En 2000, on a constaté qu’il continuait à consommer de la cocaïne, ainsi que je le décris plus loin.

10 C’est au cours de cette période que l’intimé a commencé à vivre en union de fait. Lui et sa conjointe ont eu un enfant, auquel l’intimé est dévoué. Le couple a fini par se séparer et l’intimé a pris l’enfant en charge pendant un certain temps. Il ressort manifestement de son témoignage que l’impossibilité pour lui de sortir de l’hôpital et de prendre soin de son fils le préoccupe énormément. Le stress lié à la monoparentalité et ses sérieuses difficultés financières ont toutefois eu des conséquences néfastes pour lui. En 1999, l’intimé a été déclaré coupable de conduite avec facultés affaiblies et condamné à une peine d’emprisonnement. L’enfant est allé vivre avec sa mère, mais la Société d’aide à l’enfance l’a pris en charge le 30 septembre 1999.

11 La conjointe de fait de l’intimé et la fille de celle-ci, issue d’une autre union, ont informé les autorités de l’hôpital que l’intimé « déjouait » les tests de dépistage de drogues depuis des années en substituant les échantillons d’urine d’autres personnes aux siens. Lorsqu’on lui a fait subir un nouveau test sous surveillance étroite le 25 janvier 2000, le test s’est révélé positif quant à la présence de cocaïne et de cannabis. L’intimé a ensuite avoué que, mis à part une période d’environ 18 mois précédant la naissance de son fils, il n’avait jamais renoncé à ses habitudes de consommation de drogue et il n’a apparemment pas l’intention d’y renoncer.

II. Historique des procédures

A. Commission ontarienne d’examen (17 mai 2000)

12 Ayant examiné les circonstances et les faits relatés plus haut, la Commission a noté qu’à la suite du résultat positif de son test de dépistage de drogue, l’intimé reconnaît maintenant volontiers consommer régulièrement de la drogue depuis de nombreuses années (sauf pour ce qui est de la cocaïne). Son avocat a contesté la prétention de l’hôpital que, [traduction] « pris ensemble, la drogue, l’alcool et les sources de stress dans [la] vie [de son client] » formaient « une combinaison fatale » qui créait « un risque important » :

[traduction] Je dis simplement que ces facteurs sont présents dans sa vie depuis une décennie et que rien n’indique qu’il soit passé à l’acte, qu’il ait manifesté un comportement violent ou abusif — ou que la maladie mentale dont il souffrait lors de la perpétration de l’infraction initiale soit réapparue.

13 La Commission a conclu que l’intimé [traduction] « est actuellement en rémission de sa psychose provoquée par la drogue. Toutefois, il souffre encore d’un très grave trouble de la personnalité antisociale exacerbé par l’abus d’alcool et d’autres drogues. » Selon le témoignage du médecin traitant de l’intimé au KPH, la cocaïne produit un effet comparable à celui des amphétamines qui ont provoqué l’état de psychose dans lequel l’intimé a commis le meurtre en 1978. Selon la Commission, il ressort de la preuve que l’intimé [traduction] « continue de s’exposer aux éléments mêmes qui l’ont plongé dans sa psychose provoquée par la drogue et désinhibé au point où il a perdu la maîtrise de ses actes » (je souligne).

14 La Commission a pris note de l’avis de l’administrateur de l’hôpital, selon lequel l’intimé [traduction] « représente un risque important pour la sécurité du public. Il a démontré que, même sous surveillance étroite, il adopte des comportements qui pourraient exposer le public à un danger. Ce qu’il y a de plus inquiétant, c’est la présence de cocaïne, de par ses effets semblables aux amphétamines [que l’intimé] avait prises lorsqu’il a commis l’infraction initiale et qui l’ont plongé dans un état de paranoïa provoqué par la drogue. »

15 La Commission a donc conclu que, [traduction] « compte tenu de la nécessité de protéger le public contre les personnes dangereuses[,] de l’état mental de [l’intimé] et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale, la Commission estime à l’unanimité que la décision la moins sévère et la moins privative de liberté » serait la détention continue de l’intimé au KPH, qui pourrait l’autoriser à s’absenter pour des raisons humanitaires, lui accorder des privilèges dans les locaux et sur le terrain de l’hôpital et le réinsérer dans la collectivité, le tout sous escorte du personnel hospitalier. En plus de s’abstenir totalement de prendre de l’alcool et des drogues, autres que des médicaments vendus sous ordonnance, l’intimé devait soumettre un échantillon d’haleine ou d’urine, ou les deux, pour fins de dépistage.

B. La demande de production d’une nouvelle preuve

16 L’audience de la Commission s’est déroulée en mars 2000. Lorsque la Cour d’appel a été saisie de l’affaire, le ministère public a voulu faire admettre comme nouvelle preuve le rapport qu’avait préparé le KPH en vue de l’audition subséquente de l’intimé devant la Commission, soit en janvier 2001, rapport auquel étaient joints divers dossiers d’hôpital attestant que l’intimé avait [traduction] « menacé de s’en prendre à plusieurs reprises à d’autres patients » en 2000. Le 29 mars 2000, l’intimé a été placé [traduction] « en isolement parce que son comportement avait empiré au point de devenir agressif et était menaçant en soi ». Le dossier révèle que, le 10 avril 2000, l’intimé a « tourmenté » un autre patient pour finalement lui demander : [traduction] « Vas‑tu me tuer cette nuit? » En septembre 2000, des accusations ont été portées contre l’intimé après qu’on eut trouvé des accessoires servant à la consommation de drogues. Au cours d’une analyse d’urine administrée le même mois, l’intimé aurait dit à une infirmière : [traduction] « J’ai le goût de fracasser le crâne de quelqu’un, comme j’en ai envie depuis 10 ans. » Selon le dossier, le 26 septembre 2000, il aurait crié à un autre patient qui, semble‑t‑il, se trouvait dans sa chambre à la recherche d’une montre volée : [traduction] « Maudit enfant de chienne. Si tu viens encore une fois dans ma chambre, je te tue. Tu vois ces maudites caméras? Ben, je m’en fous complètement. Je vais te tuer. Ça fait 20 ans que j’ai pas tué quelqu’un, mais je vais recommencer. » Le 12 décembre 2000, l’intimé s’est battu avec un autre patient et lui a assené un coup au nez. Plusieurs autres patients ont été témoins de cet incident.

C. Cour d’appel de l’Ontario (2001), 54 O.R. (3d) 257

17 La Cour d’appel (les juges Catzman, Weiler et Rosenberg) a conclu que la décision de la Commission était déraisonnable et qu’elle n’était pas étayée par les éléments de preuve produits à l’audition initiale.

18 Elle a refusé d’admettre la nouvelle preuve sans toutefois motiver son rejet.

19 La cour a examiné les dispositions pertinentes du Code criminel, y compris « la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses » (art. 672.54), en prenant soin de souligner qu’il incombe au ministère public de démontrer que l’intimé représente « un risque important pour la sécurité du public » (al. 672.54a)). Elle a mentionné l’arrêt Winko c. Colombie‑Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625. La cour a noté que le KPH ne considérait pas que l’intimé représentait un risque important pour la sécurité du public entre 1994, lorsqu’il a recommandé sa libération inconditionnelle, et 1999. La cour s’est dite d’avis que la Commission avait à tort mis l’accent sur la prévention de la consommation excessive d’alcool et de drogues illicites par l’intimé plutôt que sur la protection du public. Elle est arrivée à la conclusion que la preuve dont disposait la Commission ne permettait pas d’établir que l’intimé représentait un risque important pour la sécurité du public, et ce, même lorsqu’il consommait de la drogue. La cour a donc ordonné la libération inconditionnelle de l’intimé.

III. Dispositions législatives pertinentes

20 Les dispositions pertinentes du Code criminel sont jointes dans l’appendice A.

IV. Analyse

21 Quand y a‑t‑il lieu d’ordonner la libération inconditionnelle et la réintégration dans la collectivité sans aucune restriction d’un individu qui est déclaré non responsable criminellement d’un meurtre parce qu’il souffre de troubles mentaux liés à l’abus d’alcool et d’autres drogues et qui refuse de renoncer à ses habitudes de consommation? L’individu en question dans le présent pourvoi prétend qu’il avait droit à une libération inconditionnelle au plus tard en mai 1998 et, comme je l’ai souligné, la Cour d’appel de l’Ontario lui a donné raison.

22 L’individu dont on détermine qu’il a commis une omission ou un acte de nature criminelle alors qu’il était atteint de troubles mentaux n’est pas acquitté. La cour doit plutôt prononcer à son égard un verdict de « non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux » si elle conclut qu’au moment de l’infraction, ses troubles mentaux ont nui à sa capacité de juger de la nature et de la qualité de son acte ou de son omission, ou de savoir que cet acte ou cette omission était mauvais (C. cr., par. 16(1) et art. 672.34).

23 Il n’existe aucune présomption selon laquelle un individu non responsable criminellement représente un danger pour la sécurité du public : Winko, précité, par. 46. Au contraire, le Code criminel prescrit la libération inconditionnelle des personnes déclarées non responsables criminellement, sauf si le tribunal ou la commission d’examen peut conclure qu’elles posent un risque important pour la sécurité du public. Même lorsque ce risque est établi, la décision doit être « la moins sévère et la moins privative de liberté » compte tenu du niveau de risque, allant de la « détention de l’accusé dans un hôpital » à sa libération « sous réserve des modalités que le tribunal ou la commission juge indiquées » (C. cr., art. 672.54).

24 La décision rendue par la commission d’examen est susceptible d’appel sur le fondement de la « transcription déposée auprès de la cour d’appel et [des] autres éléments de preuve dont la cour d’appel accepte la présentation lorsqu’elle estime que la justice l’exige » (C. cr., par. 672.73(1)).

25 Pour la validité constitutionnelle de cet arrangement que prévoit la loi, il est de la plus haute importance que l’individu — qui par définition ne pouvait juger de la nature et de la qualité de l’acte ou savoir qu’il était mauvais au moment de l’infraction — ne soit interné que pour protéger le public, et non pour le punir (Winko, précité, par. 41 et 71, et R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933). En l’espèce, l’intimé prétend qu’on le punit non seulement pour l’infraction initiale, mais également pour ses habitudes de consommation de drogue et pour son refus de collaborer avec les autorités de l’hôpital à cet égard de 1978 à 2000.

A. La justification du maintien de l’internement

26 Après la délivrance d’une ordonnance de détention, la responsabilité de vérifier si l’individu non responsable criminellement représente toujours un risque important pour la sécurité du public incombe à la Commission qui doit tenir une nouvelle audition au moins une fois tous les 12 mois afin de revoir le statut des personnes qui se trouvent dans cette situation (C. cr., par. 672.81(1)).

27 La Commission doit être convaincue qu’au moment de l’audition, la preuve établit que l’individu non responsable criminellement représente un tel risque. « Si, en bout de ligne, le tribunal ou la commission d’examen ne peut tirer une telle conclusion, aucun fondement légal ne justifie la détention de [la personne] non responsable criminellement, et [cette dernière] doit être libéré[e] » (Winko, précité, par. 51).

28 La difficulté, naturellement, tient au fait que la Commission est forcément tenue de procéder à son évaluation à titre d’expert à partir de données limitées. En l’occurrence, l’intimé est sous la surveillance de l’État à divers degrés depuis plus de 20 ans. On fait nécessairement intervenir un élément de prédiction lorsqu’on cherche à savoir quelle serait la réaction de l’intimé si, du fait de sa libération inconditionnelle, il était soustrait à la surveillance de l’État. La Commission doit centrer son attention sur l’état mental actuel de l’intimé, mais la justesse de son évaluation en pratique sera dans une certaine mesure tributaire des événements futurs. Selon la Commission les principaux facteurs qui viennent compliquer les choses en l’espèce sont les antécédents de violence de l’intimé, son problème persistant de toxicomanie, le lien entre sa consommation de drogues dures et le meurtre commis en 1978, ainsi que son apparente réticence à renoncer à ses habitudes de consommation de drogue.

B. L’expertise de la Commission d’examen

29 Pour s’acquitter de cette difficile évaluation des troubles mentaux et des risques pour la sécurité qui y sont associés, la Commission compte des experts parmi ses membres et dispose de vastes pouvoirs d’enquête. Au moins un des cinq membres dont la Commission est minimalement constituée doit être autorisé à exercer la psychiatrie et son président doit être un juge nommé par le gouvernement fédéral ou une personne qui remplit les conditions de nomination à un tel poste. Si la Commission ne compte qu’un psychiatre, au moins un autre de ses membres doit être une personne autorisée à exercer la médecine ou la profession de psychologue et « dont la formation et l’expérience relèvent de la santé mentale » (C. cr., art. 672.39 et 672.4). Le président de la Commission est investi des pouvoirs prévus aux art. 4 et 5 de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. 1985, ch. I-11, ainsi que d’une large compétence pour examiner les « renseignements décisionnels » qui peuvent ne pas être conformes à tous égards aux strictes règles de preuve (C. cr., art. 672.43 et 672.51).

30 La question de savoir si, à cause de son état mental, l’intimé représente un risque important pour la sécurité du public fait manifestement appel à une grande expertise.

C. La norme de contrôle

31 L’appelante a soumis une analyse approfondie des décisions de notre Cour en droit administratif, de U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, p. 1087, à Moreau‑Bérubé c. Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, 2002 CSC 11, relativement à l’application de la « méthode fonctionnelle et pragmatique » pour déterminer la norme de contrôle applicable. Cependant, le législateur a pris la peine d’énoncer dans le Code criminel la norme précise de contrôle judiciaire qui s’applique à ces commissions d’examen, à savoir que la cour ne peut annuler une ordonnance rendue par la commission d’examen que si elle est d’avis que, selon le cas :

a) la décision est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve;

b) il s’agit d’une erreur de droit sauf si aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit;

c) il y a eu erreur judiciaire. (C. cr., art. 672.78)

32 Il ne faut pas perdre de vue que, [traduction] «[d]ans une large mesure, l’examen judiciaire d’un acte administratif est une division spécialisée de l’interprétation des lois » (soulignement omis) : Bibeault, précité, p. 1087. Si le législateur a révélé son intention dans le libellé explicite de l’art. 672.78 C. cr., c’est cette norme de contrôle qu’il convient d’appliquer en l’absence de contestation constitutionnelle.

33 Le premier volet du critère correspond à ce que les tribunaux appellent la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter, c’est‑à‑dire que la Cour d’appel devrait se demander si l’évaluation du risque et l’ordonnance de la Commission étaient déraisonnables en ce sens qu’elles n’étaient étayées par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, par. 56, Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, et Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19. En règle générale, la cour devrait s’abstenir d’intervenir si la décision de la Commission est telle que les membres de la Commission ayant une bonne connaissance des faits et une perception juste du droit applicable pourraient raisonnablement se trouver en désaccord.

34 Citant les arrêts R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168, et R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381, 2000 CSC 15, le ministère public nous demande d’appliquer le critère du « verdict déraisonnable » en matière criminelle. Il y a un parallèle à tracer entre le libellé de l’art. 672.78 C. cr., qui traite de la révision en appel d’une ordonnance de non‑responsabilité criminelle, et celui de l’art. 686 C. cr. qui concerne la révision en appel des verdicts en matière criminelle. Un arrêt appuie cette proposition : Peckham c. Ontario (Attorney-General) (1994), 93 C.C.C. (3d) 443 (C.A. Ont.), p. 454. Cela dit, en toute déférence, il importe de garder à l’esprit le contexte différent dans lequel s’inscrivent ces dispositions, malgré leur libellé similaire. Une ordonnance de non‑responsabilité criminelle n’a pas un caractère punitif : Winko, précité, par. 41 et 71. Elle émane d’un processus de nature inquisitoire, et non contradictoire, qui se tient devant une commission administrative plutôt qu’un tribunal. Dans la mesure où le ministère public tente d’élever le seuil du contrôle judiciaire au‑delà de la décision raisonnable simpliciter, je crois qu’il faut rejeter ses prétentions. Une ordonnance de non‑responsabilité criminelle doit être révisée sur le fondement des principes du droit administratif. Il faut alors recourir à la jurisprudence en matière de contrôle judiciaire au regard de la norme de la décision raisonnable simpliciter, examinée récemment dans les arrêts Dr Q, précité, par. 39, et Ryan, précité, par. 47.

35 L’appelante fait ensuite valoir que, malgré son acceptation sur le plan conceptuel du critère de la décision raisonnable simpliciter, la Cour d’appel a substitué en réalité son point de vue à celui de la Commission, appliquant de ce fait la norme de contrôle qui appelle la moins grande retenue, soit celle de la décision correcte. Je ne suis pas de cet avis.

36 Au paragraphe 17 de ses motifs, la Cour d’appel a renvoyé à une décision qu’elle a rendue, Beauchamp c. Penetanguishene Mental Health Centre (Administrator) (1999), 138 C.C.C. (3d) 172, où le juge Osborne (juge en chef adjoint de l’Ontario) a affirmé à la p. 180 que la révision d’une décision par le tribunal [traduction] « ne consiste pas à vérifier si les conclusions tirées dans la décision sont correctes » (je souligne). Voir aussi Penetanguishene Mental Health Centre c. Ontario (Attorney General) (1999), 131 C.C.C. (3d) 473 (C.A. Ont.), par. 8, autorisation de pourvoi refusée, sub nom. Clement c. Attorney General for Ontario, [1999] 1 R.C.S. vi.

37 De plus, la cour a expressément reconnu en l’espèce [traduction] « l’expertise médicale [de la Commission], ses connaissances spécialisées et l’avantage qu’elle a eu d’observer les témoins » (par. 18). Ces facteurs, et la cour l’a admis volontiers, appellent une certaine déférence. Elle a néanmoins décidé qu’elle se devait d’intervenir parce que, à son avis, la décision portée en appel était déraisonnable et ne pouvait être étayée par la preuve. Quoique la cour n’ait pas employé l’expression « décision raisonnable simpliciter », j’estime qu’il se dégage clairement de l’ensemble de la décision qu’elle a appliqué cette norme de contrôle, et ce, à juste titre.

D. La décision de la Commission d’examen était‑elle déraisonnable?

38 La Cour d’appel a retenu la conclusion tirée par la Commission selon laquelle l’intimé [traduction] « souffre encore d’un trouble de la personnalité antisociale exacerbé par l’abus d’alcool et d’autres drogues » (par. 20). Une telle évaluation relevait de l’expertise de la Commission et la cour n’a décelé [traduction] « aucun élément sur lequel la cour pourrait s’appuyer à bon droit pour la modifier » (par. 20).

39 L’état de psychose paranoïde dans lequel le meurtre avait été commis en 1978, déclenché par l’abus d’amphétamines, avait apparemment disparu. Toutefois, bien que la preuve laisse entendre que l’intimé ne souffrait pas en 1999 de « troubles mentaux » (je souligne), condition essentielle au verdict initial de non-responsabilité criminelle selon les art. 16 et 672.34 C. cr., la Commission est tenue par l’art. 672.54 de prendre en compte, pour rendre ses décisions subséquentes, de « l’état mental » (je souligne) de la personne non responsable criminellement, notion qui a une portée plus étendue et qui, dans le cas de l’intimé, était assurément une considération pertinente pour la Commission au printemps 2000. Pour reprendre les termes utilisés par la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) dans Winko, précité, par. 40 :

La sécurité du public ne peut être assurée qu’en stabilisant l’état mental de l’accusé non responsable criminellement qui est dangereux.

40 La Cour d’appel a cependant conclu que la preuve [traduction] « ne permettait pas d’établir que l’appelant représente un risque important pour la sécurité du public, et ce, même lorsqu’il consomme de la drogue » (par. 29). Je reconnais tout à fait que la cour doit faire preuve de vigilance pour protéger la liberté des personnes détenues en vertu des dispositions relatives à la non‑responsabilité criminelle édictées dans le Code criminel, mais cette vigilance doit être tempérée par la reconnaissance de la difficulté inhérente de l’objet de l’examen et de l’expertise des examinateurs médicaux. Voici ce que dit à ce sujet l’arrêt Winko, précité, par. 61 :

Les cours d’appel qui examinent les décisions rendues par un tribunal ou une commission d’examen doivent avoir à l’esprit l’étendue de ces enquêtes ainsi que le fait que les tribunaux de juridiction inférieure connaissent bien la situation particulière de l’accusé non responsable criminellement, et la difficulté de déterminer si la personne en cause représente un « risque important » pour la sécurité du public.

41 La Cour d’appel a retenu l’argument de l’intimé qui veut que la Commission ait, à tort, [traduction] « mis l’accent sur la prévention de la consommation excessive d’alcool et de drogues illicites par l’appelant plutôt que sur la protection du public. Elle a exercé son pouvoir décisionnel à des fins punitives . . . » (par. 29). Mais, bien sûr, l’hôpital estimait que les drogues, la violence et l’état mental étaient inextricablement liés. Par conséquent, dans un rapport présenté à la Commission le 25 mars 1999, l’hôpital a affirmé :

[traduction] L’équipe estime que [l’intimé] continue de représenter un risque pour la sécurité du public. Il y a consensus pour dire que, si son désir d’élever son fils le motive à avoir un bon comportement, les restrictions découlant de l’existence de son ordonnance jouent elles aussi un rôle clef. L’équipe est d’avis que, si ces mesures de contrôle disparaissaient, [l’intimé] pourrait fort bien éprouver des difficultés, et peut-être faire une rechute en ce qui concerne sa maladie mentale. [Je souligne.]

42 La Cour d’appel de l’Ontario a souligné que l’intimé avait bénéficié de libérations conditionnelles de 1994 à 1996. En 2000, la Commission devait évidemment examiner la situation de l’intimé telle qu’elle lui apparaissait en 2000. De 1994 à 1999, les autorités de l’hôpital ont émis diverses recommandations en croyant à tort que l’intimé avait pris des mesures efficaces pour renoncer à l’abus d’alcool et d’autres drogues qui, à leur avis, avait été le catalyseur de ses actes de violence antérieurs. Elles ont modifié leurs recommandations en 2000, parce que leur appréciation des faits importants avait changé. En particulier, le test de dépistage de cocaïne qu’a subi l’intimé s’est révélé positif. Le médecin traitant de l’intimé au KPH, le Dr Michael Chan, a rappelé aux membres de la Commission que l’intimé avait mangé une pomme dopée aux méthamphétamines (une amphétamine) avant de commettre le meurtre en 1978. Les amphétamines et la cocaïne sont similaires sur le plan pharmacologique. Selon le Dr Chan, le refus ou l’incapacité de l’intimé de renoncer à sa consommation de drogue — qui l’a amené à commettre des actes de violence dans le passé — posait donc un risque actuel important pour la sécurité du public :

[traduction]

Q. Qu’y a‑t‑il à propos du test de dépistage de cocaïne qui s’est avéré positif le 25 janvier [2000] qui justifie la mention « plus inquiétant » dans le rapport?

R. Sur le plan pharmacologique, la cocaïne ressemble beaucoup aux amphétamines et, en fait, les deux substances sont classées — toutes deux comme des stimulants. Et on note une grande similarité entre les deux substances dans leurs effets pharmacologiques à court et à long terme. De plus, si elles sont prises sur une longue période, elles peuvent toutes deux créer un état psychotique paranoïde.

. . .

M. L. STEACY [membre de la Commission d’examen] : Et vous vous inquiétez aujourd’hui de la possibilité que cet homme commette un geste similaire ou qu’il récidive parce qu’il consomme de la drogue?

Dr M. CHAN : Oui.

M. L. STEACY : Et c’est pourquoi vous affirmez devant la Commission qu’il représente aujourd’hui un risque important pour la sécurité du public?

Dr M. CHAN : Oui.

Toujours selon le témoignage du Dr Chan, l’intimé ne voulait pas reconnaître l’effet des drogues sur son état mental au moment de la perpétration du meurtre initial, ce qui ne facilitait pas son traitement :

[traduction]

Q. . . . [l’intimé] reconnaît‑il que les drogues avaient quelque chose à voir avec le meurtre initial?

R. E‑uhm — s’il est bien disposé, il peut admettre qu’il prenait des amphétamines au moment de l’infraction. Mais, à un autre moment, il dirait que les amphétamines n’ont rien à voir avec cela.

. . . l’abus d’amphétamines — drogues — était continu et a grandement contribué à le plonger dans un état psychotique paranoïde.

43 La Commission disposait de nombreux éléments de preuve du comportement violent de l’intimé lié à son abus d’alcool et d’autres drogues, ou de la menace sérieuse d’un recours à la violence. D’abord, il y avait le meurtre commis en 1978. En 1988, l’intimé a été déclaré coupable de possession d’une arme prohibée. En 1989, il s’est fracturé la main en frappant une portière de voiture dans un accès de rage : [traduction] « [c]’était la porte ou la mâchoire de Brad, t’sais, fallait que je frappe quelque chose. » Un an plus tard, il a effectivement fracturé la mâchoire d’un homme avec une baguette de billard. En 1991, il a de nouveau manifesté des « comportements violents » et, par la suite, les rapports émanant du KPH ont continué à faire état d’une propension à la violence. Mention a déjà été faite des rapports sommaires de l’hôpital pour les années 1991 à 1999. Mais ce qui est plus important, parce que ces données sont plus récentes, nous disposons des dossiers de soins infirmiers pour l’année 2000 (faisant l’objet de la demande de production d’une nouvelle preuve), qui font état de la menace qu’il a faite à un autre patient le 26 septembre 2000 : [traduction] « Maudit enfant de chienne. Si tu viens encore une fois dans ma chambre, je te tue. Tu vois ces maudites caméras? Ben, je m’en fous complètement. Je vais te tuer. Ça fait 20 ans que j’ai pas tué quelqu’un, mais je vais recommencer. » Ce n’est pas là le langage que tient une personne qui maîtrise sa propension à la violence.

44 Dans ses motifs, la Commission n’a toutefois pas attaché autant d’importance aux incidents de menaces ou de violence qui ont pu survenir entre 1991 et 1999 qu’au fait qu’en 2000, l’intimé [traduction] « a recommencé à consommer de la cocaïne, des drogues semblables à la psychose qui a précédé les événements décrits au moment de l’infraction initiale », c’est‑à‑dire le meurtre de 1978, et la « très grave agression [. . .] en 1990 ». Par conséquent,

[traduction] le comportement récent [de l’intimé], qui est passé de la marijuana à la cocaïne, auquel s’ajoute son refus d’assumer la responsabilité de ses actes, démontre qu’il ne se soucie nullement de la nature et de l’étendue du risque qu’il représente pour le public. [L’intimé] ne comprend pas sa maladie, n’en saisit pas les conséquences probables et, de ce fait, représente toujours un risque important pour la sécurité du public. [Je souligne.]

45 Comme je l’ai mentionné, la Cour d’appel a retenu la conclusion de la Commission d’examen que l’intimé [traduction] « souffre encore d’un trouble de la personnalité antisociale exacerbé par l’abus d’alcool et d’autres drogues » (par. 20). Dans ces circonstances, j’estime en toute déférence qu’il n’était pas déraisonnable pour la Commission de conclure qu’en raison de sa capacité démontrée de se livrer à des actes de violence lorsqu’il prend des amphétamines ou de la cocaïne — maintenant liée à la preuve récente qu’il a recommencé à consommer de la cocaïne — , l’intimé représente un risque important pour la sécurité du public. Il est possible, comme le démontre ma collègue la juge Arbour, de voir les faits sous un jour différent mais, à mon humble avis, la décision de la Commission se situait dans la gamme des décisions raisonnablement possibles : Ryan, précité, par. 56.

46 La Commission d’examen avait pour mandat de centrer son analyse sur l’« état mental » général de l’intimé à la date de l’audition, ainsi que sur « la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, [les] besoins [de l’accusé et] la nécessité de sa réinsertion sociale » (C. cr., art. 672.54). À mon humble avis, la décision de la Commission satisfait au critère du caractère raisonnable décrit dans l’arrêt Southam, précité, sous la plume du juge Iacobucci, au par. 56 :

. . . la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s’il en est, pourrait découler de la preuve elle‑même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n’avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l’encontre de l’essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable.

47 En l’espèce, le « raisonnement » par lequel la Commission a tenté de tirer des conclusions du retour de l’intimé à la consommation de cocaïne relevait tout à fait de son champ d’expertise. Tel qu’il a été mentionné, la Cour d’appel a estimé que la preuve ne [traduction] « permettait pas » pareilles conclusions mais, à mon humble avis, cette question relevait de l’expertise de la Commission et c’est à elle et non au tribunal de révision qu’il appartenait de se prononcer sur la valeur probante de cette preuve.

E. Admission de la nouvelle preuve

48 L’appel d’une ordonnance est « fondé sur la transcription déposée auprès de la cour d’appel et sur les autres éléments de preuve dont la cour d’appel accepte la présentation lorsqu’elle estime que la justice l’exige » (je souligne) (C. cr., par. 672.73(1)). Une expression semblable apparaît également dans l’éventail des pouvoirs dont jouit une cour d’appel pour admettre une nouvelle preuve dans le cadre d’un appel en matière criminelle (C. cr., par. 683(1) : « dans l’intérêt de la justice »).

49 L’intimé soutient que la Cour d’appel n’a pas clairement accepté ou rejeté la nouvelle preuve, car elle n’a rendu aucune ordonnance dans un sens ou dans l’autre. Il semble toutefois clair que la demande de production d’une nouvelle preuve a été rejetée parce que : (i) aucune ordonnance l’accueillant n’a été rendue; (ii) nulle part dans les motifs de la cour n’a‑t‑on fait allusion aux renseignements révélés par la nouvelle preuve; (iii) au par. 37 de ses motifs, la Cour d’appel conclut qu’au vu de [traduction] « la preuve dont elle disposait, la Commission ne pouvait conclure à juste titre que l’appelant représentait un risque important pour la sécurité du public » (je souligne), et elle accueille l’appel immédiatement après, au par. 38, sans plus d’explication.

50 La Cour d’appel n’ayant pas motivé son refus d’admettre la nouvelle preuve en l’espèce, nous en sommes réduits à émettre des hypothèses sur la raison pour laquelle elle l’a rejetée parce que « la justice l’exige ». L’intimé tente de dégager le fondement de ce rejet sub silentio en renvoyant au critère établi dans l’arrêt Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, p. 775, selon lequel les conditions suivantes doivent être réunies :

(1) On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de matière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles . . .

(2) La déposition doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.

(3) La déposition doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi, et

(4) elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

51 L’avocat de l’intimé admet que la « nouvelle preuve » ne pouvait pas, avec diligence raisonnable, être produite à l’audition initiale (les événements qui y sont relatés étant postérieurs à l’audition) et qu’elle était pertinente quant à la propension alléguée de l’intimé à la violence, mais il soutient que c’est néanmoins à juste titre qu’elle a été rejetée puisqu’elle était composée en grande partie de notes des soins infirmiers et de dossiers d’hôpital qui n’étaient « pas dignes de foi ». Selon lui, on n’aurait pas pu s’attendre à ce que cette preuve ait une incidence quelconque sur la décision de la Commission (qui avait déjà conclu que l’intimé représentait un risque important pour la sécurité du public) ou sur celle de la Cour d’appel, qui était encline à accueillir l’appel, car le préjudice manifeste causé par cette nouvelle preuve l’emportait sur sa faible valeur probante.

52 Je n’accepte pas cette analyse. Tout d’abord, les expressions « lorsqu[e] . . . la justice l’exige » et « dans l’intérêt de la justice » employées aux par. 672.73(1) et 683(1) C. cr. tirent leur sens du contexte dans lequel on cherche à les appliquer. Bien que certaines considérations s’appliquent de manière générale, soit par exemple l’intérêt du public à assurer le règlement définitif des litiges et à éviter la réouverture du débat devant la Cour d’appel à partir d’un dossier différent de celui dont le tribunal de première instance disposait, il existe aussi des différences. L’appel d’une ordonnance de non‑responsabilité criminelle sous le régime de la partie XX.1 du Code criminel ne constitue pas une procédure contradictoire d’appel d’une poursuite criminelle (comme dans les arrêts Palmer, précité, et R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480), mais bien une procédure administrative de nature inquisitoire visant à établir le régime le moins contraignant pour un détenu non responsable criminellement tout en préservant la sécurité du public. Comme le juge Goldie l’a dit dans Davidson c. British Columbia (Attorney-General) (1993), 87 C.C.C. (3d) 269 (C.A.C.‑B.), p. 277, [traduction] « [e]n vertu de l’art. 672.54 du Code, le traitement d’une personne qui ne peut distinguer le bien du mal vise à remédier à cette incapacité. Ni son objet ni son effet ne revêtent un caractère pénal. Lorsque la détention d’une telle personne est ordonnée, elle vise à prévenir l’accomplissement d’actes antisociaux, et non à châtier. »

53 Même dans le contexte contradictoire d’un appel en matière criminelle, le critère ne consiste pas en l’application mécanique du critère énoncé dans l’arrêt Palmer, mais bien en celui que prévoit la loi, soit « l’intérêt de la justice ». La Cour a ainsi statué dans l’arrêt R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 579, que « le défaut de satisfaire à l’obligation de diligence raisonnable ne doit pas [traduction] “l’emporter sur l’obtention d’un résultat juste” » (par. 56).

54 Dans ce contexte, « la justice » s’entend non seulement de la justice à l’égard du détenu non responsable criminellement, dont la liberté est en jeu, mais également de la justice à l’égard du public, dont on cherche à assurer la protection. Comme la Cour d’appel a critiqué la Commission pour s’être indûment attardée sur le défaut de l’intimé de renoncer à sa consommation de drogue en l’absence d’une preuve suffisante d’une prédisposition persistante à la violence, la preuve dont la production était demandée (incluant celle des actes de violence physique et de la récente menace de mort) était extrêmement pertinente.

55 Si je m’étais rangé à l’avis de la Cour d’appel sur la minceur du dossier quant à la propension à la violence, j’estimerais à plus forte raison que « la justice exigeait » la prise en compte des renseignements fiables les plus récents à ce sujet.

56 L’arrêt Starson c. Swayze, [2003] 1 R.C.S. 722, 2003 CSC 32, rendu simultanément, illustre encore un autre contexte (et l’application d’une autre loi) d’admission de la nouvelle preuve. Dans cette affaire, l’appelant, un médecin traitant, cherchait à faire admettre une nouvelle preuve de l’état mental de son patient qui refusait de se soumettre à un traitement médical, afin d’obtenir le consentement de son mandataire spécial en vertu de la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé, L.O. 1996, ch. 2, ann. A, laquelle permet au tribunal de « recevoir de nouvelles preuves ou des preuves additionnelles, selon ce qu’il juge équitable » (par. 80(9)). Nous avons conclu dans cette affaire qu’il ne serait pas « équitable » de recevoir la preuve offerte. Contrairement au présent pourvoi, cette affaire ne soulevait pas la question de la sécurité du public. En l’espèce, la libération inconditionnelle du détenu non responsable criminellement mettrait en pratique un terme à la capacité de l’État de surveiller et de contrôler son état mental sous le régime de la partie XX.1 du Code criminel. En revanche, les dispositions de la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé relatives au consentement du mandataire spécial n’empêchent pas le médecin traitant de soumettre une nouvelle demande à la Commission du consentement et de la capacité en s’appuyant sur des données à jour. Bref, les conséquences du rejet erroné de l’intervention de l’État sont beaucoup plus graves dans le cas d’un détenu non responsable criminellement que dans le cas d’un patient qui refuse de se soumettre à un traitement médical. La justice exige en l’espèce un autre résultat.

57 La preuve offerte concernait directement la réserve qu’avait la Cour d’appel quant à l’insuffisance de la preuve de la propension continue de l’intimé à la violence et, si elle était digne de foi, elle aurait dû être admise comme « port[ant] sur une question décisive » (Palmer, p. 776).

58 La preuve était digne de foi. Depuis plus de 30 ans, les notes des soins infirmiers et les dossiers d’hôpital sont couramment admis comme preuve prima facie de la véracité de leur contenu, en application de l’exception à l’exclusion du ouï‑dire pour les dossiers d’entreprise : Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608, le juge Hall, p. 626 :

Les dossiers d’hôpitaux, y compris les notes des infirmières, rédigés au jour le jour par quelqu’un qui a une connaissance personnelle des faits et dont le travail consiste à faire les écritures ou rédiger les dossiers, doivent être reçus en preuve, comme preuve prima facie des faits qu’ils relatent.

59 Selon la jurisprudence plus récente, ces dossiers d’entreprise seraient admissibles suivant les principes applicables à l’analyse relative au ouï‑dire qui a été consacrée dans l’arrêt R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531. Si l’intimé voulait contester l’exactitude des dossiers d’hôpital, il pouvait le faire, mais il a choisi de ne pas se prévaloir de cette possibilité : R. c. Lévesque, [2000] 2 R.C.S. 487, 2000 CSC 47, par. 26‑28. On ne devrait, à mon avis, accorder la libération inconditionnelle qu’après avoir examiné tous les éléments de preuve fiables connus autant au moment de l’audition par la Commission qu’au moment du contrôle en appel, le cas échéant.

60 Je dois ajouter que le déroulement du présent pourvoi a été compliqué par l’absence de motifs à l’appui du rejet par la Cour d’appel de la requête en production d’une nouvelle preuve. L’intimé et le ministère public se sont tous deux vus contraints d’émettre des hypothèses sur la décision de la Cour d’appel et les motifs qui peuvent la sous‑tendre. L’acceptation ou le rejet d’une requête en production d’une nouvelle preuve peut avoir une incidence déterminante sur l’issue d’un appel. Pour paraphraser l’arrêt R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 2002 CSC 26, par. 28, lorsque les lacunes des motifs d’une cour d’appel intermédiaire font obstacle à un examen valable en appel de la justesse de la décision devant notre Cour, une erreur de droit a été commise. Pour être juste envers le détenu non responsable criminellement et envers le public, le tribunal siégeant en révision devrait motiver sa décision d’admettre ou de rejeter la nouvelle preuve dans l’exécution du mandat que lui confèrent l’art. 672.54 et le par. 672.73(1) C. cr.

61 Quoi qu’il en soit, je suis d’avis que la nouvelle preuve aurait dû être admise comme faisant partie du dossier dans le présent pourvoi.

F. La décision « la moins sévère et la moins privative de liberté »

62 Ayant donc confirmé le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission selon laquelle l’intimé représente toujours un risque important pour la sécurité du public, je passe à présent à la question de savoir si, sous le régime de l’art. 672.54, l’ordonnance de la Commission est la décision la moins sévère et la moins privative de liberté à l’égard de l’intimé qui permette néanmoins d’assurer la sécurité du public. Pour rendre son ordonnance, la Commission doit, une fois de plus, tenir compte

de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé [non responsable criminellement] et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale. . .

(art. 672.54 C. cr.; Winko, précité, par. 62)

63 Comme je l’ai mentionné, l’intimé a bénéficié de libérations conditionnelles de 1994 à 1996. Cette situation a changé en 1997, en raison de sa consommation de drogue. On a substitué à l’ordonnance de libération conditionnelle une ordonnance de détention assortie de conditions applicables aux absences. Cette dernière ordonnance a été maintenue en 1998 et en 1999. En 2000, les « conditions applicables aux absences » ont été rendues plus contraignantes lorsqu’on a découvert, le 25 janvier 2000, que l’intimé prenait de la cocaïne. À ce moment, le personnel de l’hôpital chargé de formuler ses recommandations a déclaré à la Commission :

[traduction] Sous surveillance étroite, [l’intimé] a consommé des drogues illicites. Sans une surveillance directe et constante, l’hôpital n’est pas convaincu de pouvoir empêcher [l’intimé] de se livrer à des actes hautement risqués. [Je souligne.]

De l’avis du personnel du KPH, vu le lien qu’il avait établi entre la propension de l’intimé à la violence et sa consommation de cocaïne, l’ordonnance de détention à l’hôpital assortie de conditions applicables aux absences s’avérait donc la décision [traduction] « la moins sévère et la moins privative de liberté en tenant compte de la nécessité de protéger la sécurité du public ».

64 Le paragraphe 61 de l’arrêt Winko, précité, mentionne le succès ou l’échec d’un programme de traitement suivi par un détenu non responsable criminellement comme un facteur pertinent.

65 L’intimé affirme que, s’il commet de nouvelles infractions sous l’influence de la drogue, il sera passible, comme n’importe qui d’autre, des sanctions prévues au Code criminel. Or, il ne s’agit pas de « n’importe qui d’autre ». Il s’agit d’un détenu non responsable criminellement chez qui il existe un lien entre l’abus de drogues et sa propension à la violence, y compris au meurtre, et la partie XX.1 du Code criminel est conçue pour prendre des mesures qui protégeront la sécurité du public avant que des actes de violence surviennent, et non (comme c’est le cas habituellement) pour punir le contrevenant après coup.

66 Dans son ordonnance, la Commission a noté qu’elle avait l’obligation de tenir compte « de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale » (C. cr., art. 672.54).

67 J’ai déjà fait mention de l’examen par la Commission de l’état mental de l’intimé ainsi que des efforts déployés maintes fois par les autorités de l’hôpital pour aider l’intimé à réintégrer la société. La Commission a de toute évidence compris le désir de l’intimé de vivre avec son fils et sa frustration évidente du fait d’être maintenu en détention. Le facteur déterminant qui a fait pencher la balance à l’encontre d’une ordonnance moins contraignante a été le fait que l’intimé a recommencé à consommer de la cocaïne (ou la nouvelle révélation à cet effet) et son lien pharmacologique avec les amphétamines qui ont provoqué le meurtre en 1978. Ce fait nouveau a incité les autorités de l’hôpital à se prononcer à l’encontre d’une ordonnance de libération conditionnelle :

[traduction] Sans une surveillance directe et constante, notre équipe n’est pas convaincue de pouvoir empêcher [l’intimé] de se livrer à des actes hautement risqués qui sont susceptibles d’accroître sensiblement la probabilité d’une récidive.

68 La Commission a convenu avec l’hôpital qu’on ne pouvait guère espérer contrôler efficacement les habitudes de consommation de l’intimé avec le type de surveillance ponctuelle qui pourrait être exercée sur lui dans la collectivité. La Commission a reconnu la facilité avec laquelle l’intimé avait déjoué son programme de dépistage de drogue dans le passé. Compte tenu du lien qui existe entre la violence de l’intimé et sa consommation de cocaïne découverte depuis peu, la Commission a conclu :

[traduction] Malheureusement, [l’intimé] a choisi de ralentir sa progression vers la réadaptation et d’entraver les efforts déployés par ses aidants pour le réintégrer dans la société. Nous notons que dès août 1999, l’équipe de traitement était disposée à appuyer son transfert dans la région de Chatham, qui demeure encore aujourd’hui l’endroit où [l’intimé] désire être relocalisé. Par son comportement, [l’intimé] a été l’artisan de son propre malheur, bien qu’il soit improbable qu’il reconnaisse ou qu’il apprécie son rôle dans ce qu’il considérera sans aucun doute comme une punition que lui infligent la Commission d’examen et l’hôpital.

69 Je ne crois pas qu’il soit déraisonnable pour la Commission de conclure, compte tenu qu’il est difficile de surveiller le problème de cocaïne dans la collectivité, qu’une ordonnance de détention au KPH est la décision « la moins sévère et la moins privative de liberté » à l’heure actuelle. Il n’est pas facile de trancher le cas de l’intimé mais, une fois confirmé le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission que l’intimé représente « un risque important pour la sécurité du public » (art. 672.54 C. cr.), nous devrions nous garder d’infirmer à la légère la décision d’expert rendue par la Commission quant à la gestion de ce risque. La nouvelle preuve du comportement violent doit être prise en compte aussi parce que « la justice l’exige ». Dès que l’intimé aura renoncé à sa consommation de cocaïne, on envisagera assurément de rendre une ordonnance moins contraignante. Parmi les conditions applicables aux absences de l’intimé susceptibles d’être modifiées, on pourrait prévoir une procédure de dépistage au sein de la collectivité qui ferait l’objet d’une surveillance plus étroite que celle qui existait avant 2000. Il n’appartient cependant pas à la Cour de se lancer dans la microgestion de ces conditions et, dans l’état actuel des choses, j’estime qu’il n’était pas déraisonnable pour la Commission de conclure que sa décision était la moins sévère et la moins privative de liberté, étant donné la consommation de cocaïne à laquelle continue de se livrer l’intimé et le risque qu’il représente de ce fait pour la société.

V. Conclusion

70 À mon sens, l’ordonnance de la Commission datée du 17 mai 2000 n’était pas déraisonnable au vu de la preuve dont elle disposait. Il ne suffit pas pour l’intimé d’avancer que d’autres membres d’autres commissions d’examen auraient pu interpréter différemment le témoignage du Dr Chan, les fondements médicaux qui le sous‑tendent ou l’importance de la révélation récente du fait que l’intimé continue de consommer de la drogue, notamment de la cocaïne. La Cour d’appel a apprécié à nouveau la preuve et l’a jugée insuffisante, mais c’est à la Commission qu’il revenait de se prononcer à cet égard et celle-ci a rendu une décision que la preuve lui permettait raisonnablement de rendre.

71 Même si j’étais convaincu, à l’instar de la Cour d’appel, que [traduction] « la preuve présentée à la Commission ne permettait pas d’établir que l’appelant représente un risque important pour la sécurité du public, et ce, même lorsqu’il consomme de la drogue » (par. 29), je serais néanmoins d’avis d’accueillir le pourvoi sur le fondement du dossier tel qu’il a été enrichi par la nouvelle preuve. J’estime qu’il est généralement souhaitable pour une cour d’appel d’admettre une nouvelle preuve qui est digne de foi et qui concerne la question du risque pour la sécurité du public, parce que « la justice l’exige » (C. cr., par. 672.73(1)). Il va de soi qu’on doit donner l’occasion au détenu non responsable criminellement de contredire la nouvelle preuve selon laquelle il présente un risque en permettant la tenue d’un contre‑interrogatoire ou la production d’éléments de preuve supplémentaires en réponse. Toutefois, il incombe en définitive au ministère public de démontrer que l’intimé représente un risque important pour la sécurité du public et, à cet égard, on devrait lui offrir toutes les possibilités raisonnables de le faire.

72 L’internement de l’intimé sera, bien sûr, soumis à un processus continu de révision par la Commission au moins une fois tous les 12 mois. Le présent pourvoi n’aborde donc pas, et il vise encore moins à la trancher, la question de savoir si à l’heure actuelle l’intimé représente encore un risque important pour la sécurité du public. Nous décidons simplement que la Cour d’appel a eu tort d’annuler l’ordonnance rendue par la Commission le 17 mai 2000.

VI. Dispositif

73 La nouvelle preuve est admise. Le pourvoi est accueilli. La décision de la Cour d’appel est annulée et l’ordonnance de la Commission d’examen, datée du 17 mai 2000, est rétablie.

Version française des motifs rendus par

74 La juge Arbour (dissidente) — La Cour d’appel a infirmé une ordonnance de détention rendue par la Commission ontarienne d’examen (la « Commission ») sous le régime des dispositions du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, traitant des personnes non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux. Je partage l’avis de la Cour d’appel que la décision de la Commission était déraisonnable à deux égards. Premièrement, la Commission a tiré une conclusion déraisonnable sur la dangerosité de l’intimé et, deuxièmement, elle lui a imposé la décision la plus sévère et la plus privative de liberté, sans se demander si d’autres décisions moins privatives de liberté conviendraient. Ce dernier motif constitue également une erreur de droit, car l’art. 672.54 oblige expressément la Commission à rendre la décision la moins sévère et la moins privative de liberté qui puisse produire le résultat escompté.

I. Les faits

75 Mon collègue le juge Binnie a déjà exposé les faits saillants de l’affaire. Je soulignerai ce qui me paraît important.

76 L’intimé a été déclaré non coupable de meurtre en 1978 pour cause de troubles mentaux. Selon le diagnostic posé à l’époque, l’intimé souffrait d’une psychose provoquée par la drogue, dont il est maintenant en rémission depuis de nombreuses années. Au moment de l’audition, l’intimé n’était atteint d’aucune maladie mentale grave et n’en avait pas souffert depuis longtemps. Il consommait cependant de l’alcool et des drogues sur une base régulière, bien qu’il ait tenté de le dissimuler en déjouant les tests d’urine auxquels il était astreint. L’intimé souffre d’un trouble de la personnalité antisociale exacerbé par son abus d’alcool et d’autres drogues.

77 Immédiatement après son procès en 1978, l’intimé a été détenu au Centre de santé mentale de Penetanguishene, où il est demeuré de façon plus ou moins permanente jusqu’en 1986. À partir de ce moment, il a bénéficié d’un accès élargi à la vie dans la collectivité jusqu’en 1990, année où il a été déclaré coupable de voies de fait causant des lésions corporelles pour avoir fracturé la mâchoire d’un homme avec une baguette de billard. Cette infraction lui a valu une peine d’emprisonnement de 14 mois assortie de deux ans de probation. L’intimé avait beaucoup bu avant de perpétrer cette infraction et, interrogé en prison peu de temps après son arrestation, [traduction] « il a déclaré avoir consommé de la marijuana et un tas d’autres choses au cours des deux ou trois semaines précédant l’arrestation », selon ce que révèle un dossier d’hôpital. Rien n’indiquait toutefois qu’il était sous l’influence d’amphétamines ou d’autres drogues similaires, ou encore qu’il n’était pas criminellement responsable pour cause de troubles mentaux quant à ces voies de fait. À la fin de son incarcération, l’intimé a été examiné par un psychiatre qui a conclu que M. Owen n’était pas déprimé, qu’il ne montrait aucun signe d’anxiété, qu’il ne souffrait d’aucun trouble de l’esprit ou de la parole et qu’il ne semblait pas être en proie à des hallucinations ou à des délires. Bien qu’il soit demeuré assujetti au régime de non‑responsabilité criminelle prévu au Code criminel — n’ayant pas bénéficié d’une libération inconditionnelle depuis l’ordonnance initiale de détention rendue en 1978 — , l’intimé a purgé sa peine en prison. Il a par la suite été transféré au Kingston Psychiatric Hospital (« KPH ») et son cas a été examiné plusieurs fois par la Commission.

78 Tout au long des années 90, les rapports d’hôpitaux ont constamment fait état des antécédents d’abus d’alcool et d’autres drogues de M. Owen, ainsi que de son incapacité ou de son refus de reconnaître son problème d’abus.

79 En 1994, puis à nouveau en 1995 et en 1996, la Commission a ordonné que M. Owen soit libéré conditionnellement. En 1997, après qu’un test eut révélé la présence de cannabis, la Commission a, sur la recommandation de l’hôpital, rendu à l’égard de l’intimé une ordonnance de garde dont les modalités lui permettaient de vivre dans la collectivité à la discrétion de l’hôpital. La Commission d’examen a rendu des ordonnances similaires en 1998 et en 1999. Il est intéressant de constater ce qui a poussé l’hôpital à changer sa position et à recommander à la Commission la détention avec possibilité de libération plutôt que la libération conditionnelle. Il semble y avoir peu de différence entre ces deux ordonnances. Dans les deux cas, l’intimé peut vivre au sein de la collectivité et doit se présenter régulièrement au KPH. Toutefois, du point de vue de la commodité administrative, l’hôpital estimait qu’une ordonnance de détention lui accordait une plus grande marge de manœuvre. Il l’explique en ces termes dans son rapport daté d’avril 1997 destiné à la Commission :

[traduction] Une fois de plus, M. Owen a démontré qu’il ne cessera vraisemblablement pas à plus long terme de commettre des infractions mineures ou des actes par ailleurs légaux qui lui sont interdits. Il l’a reconnu devant la Commission au cours d’auditions antérieures, et les faits semblent le confirmer. Cependant, de l’avis de l’hôpital, M. Owen s’en est par ailleurs relativement bien sorti face à de graves difficultés médicales, sociales, financières et familiales. Au cours des dernières années, rien n’indique qu’il se soit livré à des actes criminels dont quelqu’un aurait été victime. En fait, M. Owen, aidé de sa conjointe de fait (qui souffre elle‑même d’une maladie mentale grave), s’est bien débrouillé pour s’occuper de son jeune fils et vivre en paix au sein de la collectivité malgré ses très maigres ressources. En dépit de conflits occasionnels, l’hôpital se voit jouer un rôle continu et important dans cet exercice.

L’hôpital déplore que, notamment à cette occasion, aucune ordonnance de garde n’ait été rendue qui lui aurait permis de prendre des mesures proactives face aux difficultés manifestement croissantes chez les Owen. En l’espèce, il est tout à fait prévisible que ces difficultés croissantes vont culminer dans la consommation de substances interdites. Cette situation est déjà survenue à plusieurs reprises et se reproduira. Dans ces cas‑là, si l’hôpital ne peut demander l’hospitalisation ou d’importants changements dans la surveillance de M. Owen, la collectivité court un risque. La collectivité ne comprendrait pas pourquoi le KPH n’est pas en mesure de réagir rapidement à l’aggravation connue du risque. Cette situation se répétera fort probablement à maintes reprises. Le rôle de l’hôpital devrait être de gérer la situation sans tarder par des mesures qui soient compatibles avec les besoins de M. Owen sur le plan de sa réadaptation à long terme et qui ne compromettent pas la sécurité du public. L’hôpital ne voit pas l’utilité d’hospitaliser chaque fois M. Owen pendant plusieurs mois jusqu’à ce que la Commission ait fait connaître son bon plaisir. En fait, l’arrangement administratif actuel — l’ordonnance de libération conditionnelle — produit des effets qui vont à l’encontre des besoins de M. Owen sur le plan de sa réadaptation et ne protège en rien la sécurité du public.

80 Cet extrait fait clairement ressortir que, de l’avis de l’hôpital — auquel la Commission a souscrit — , il convenait malgré tout de rendre une décision en apparence plus sévère et plus privative de liberté (soit une ordonnance de détention plutôt qu’une libération conditionnelle), mais non parce que l’intimé représentait un risque plus important pour le public. En fait, il semble que ce soit tout le contraire. On a ordonné que l’intimé soit détenu à l’hôpital pour que l’hôpital puisse, en cas de manquement à une condition, le réinsérer dans la collectivité plus rapidement que s’il était soumis à une ordonnance de libération conditionnelle, en exécution de laquelle seule la Commission aurait pu le libérer de nouveau après le délai d’attente requis pour la tenue d’une audition.

81 En août 1999, pendant qu’il était soumis à une ordonnance de détention à l’hôpital, l’intimé a été accusé de conduite avec facultés affaiblies et réadmis à l’hôpital peu de temps après. Deux mois plus tard, il est retourné vivre dans la collectivité.

82 En janvier 2000, son test de dépistage de cannabis et de cocaïne s’est révélé positif. Il a admis qu’il prenait toujours de l’alcool et de la marijuana (niant toutefois consommer de la cocaïne) et qu’il avait substitué des échantillons d’urine au cours de tests antérieurs pour éviter de se faire prendre. Il a affirmé n’avoir nullement l’intention de s’abstenir de consommer de l’alcool et des drogues.

83 Comme en fait foi ce qui précède, l’intimé n’a présenté aucun symptôme d’une psychose ou d’une autre maladie mentale grave depuis les événements se rapportant directement à la perpétration, en 1978, de l’infraction pour laquelle il a été déclaré non coupable pour cause de troubles mentaux (« l’infraction initiale »). Depuis, l’intimé a eu plusieurs démêlés avec la justice. Il a également manifesté de la frustration face à sa détention sous le régime de non‑responsabilité criminelle. On a consigné les renseignements suivants dans un document du KPH touchant la période écoulée entre juillet 1991 et janvier 1992 :

[traduction] M. Owen souffre d’une coronaropathie grave, affection pour laquelle il est suivi de près. Il a déjà été victime de crises cardiaques et il prend un bêtabloquant et de l’Isordil. Cependant, en décembre 1991, il a commencé à refuser de prendre ces médicaments pour exprimer sa frustration d’être pris dans le système.

Tout compte fait, M. Owen est frustré de son séjour dans notre service en raison des restrictions importantes à sa liberté. Son mandat le confine essentiellement à une aile à sécurité moyenne, sans qu’il puisse jouir de privilèges à l’extérieur. Cette mesure lui a été imposée par suite de ses récentes récidives. M. Owen adhère à une philosophie très claire, soit d’assumer les conséquences de ses actes, et il préfère que sa sanction soit limitée dans le temps comme si elle relevait du système de justice pénale. Pour lui, l’incertitude que comporte le système de mandats du lieutenant‑gouverneur est une importante source de stress. Il n’a pu nous assurer que sa réinsertion dans la collectivité se passerait sans incident. Il a tenu à dire qu’il s’attendait à subir les conséquences de tout acte illégal qu’il commettrait. Le sort qui l’attendait au sein de l’unité à sécurité moyenne a donc, semble‑t‑il, provoqué chez lui une grande colère et une grande frustration et il souhaite accélérer sa réinsertion dans la collectivité afin de pouvoir nouer des liens plus étroits avec son amie et son jeune enfant et vivre avec eux. [Je souligne.]

84 Le personnel de l’hôpital a aussi écrit ce qui suit en vue de l’audition devant la Commission prévue en juillet 1993 :

[traduction] M. Owen estime que son comportement problématique des dernières années dans le système de mandats du lieutenant‑gouverneur est largement attribuable à la difficulté qu’il a eue à surmonter sa frustration d’être détenu aussi longtemps dans un système conçu pour traiter les problèmes de santé mentale graves, alors qu’il n’en éprouve aucun. Il fait remarquer que chaque fois qu’il a contrevenu à la loi, par exemple en s’esquivant, son cas a été soumis au système de justice pénale et que ses comportements des dernières années n’ont jamais été considérés comme imputables à des troubles mentaux. Il souligne que si l’existence d’une maladie mentale est nécessaire pour être admis dans le système, l’absence de maladie mentale semble n’importer que très peu, sinon pas du tout, lorsqu’il s’agit d’en sortir. Il nie représenter un danger important pour le public.

. . .

Selon le personnel de l’hôpital, M. Owen n’est pas atteint d’une maladie mentale grave et il maîtrise parfaitement ses gestes. La nécessité de placer M. Owen dans un milieu de garde fermé tient uniquement au risque élevé qu’il s’enfuie et à la nécessité de gérer ce risque dans le cadre d’une ordonnance de garde. Ce patient ne représente pas aux yeux de l’hôpital un risque important de violence pour la collectivité si on entend par « important » une plus grande probabilité de comportement violent que celle à laquelle on s’attendrait des personnes vivant dans la collectivité dans laquelle M. Owen retournerait. Bien qu’on reconnaisse que M. Owen risque d’avoir, d’une façon ou d’une autre, des démêlés avec la justice pénale dans le futur, on estime que le risque que cela se produise par suite d’un comportement violent n’est pas sensiblement plus élevé que pour la moyenne de la population, tout particulièrement s’il continue à s’abstenir de consommer des drogues et de l’alcool. À l’heure actuelle, on ne pourrait certifier en vertu de la Loi sur la santé mentale que M. Owen constitue un danger pour autrui, et il ne pourrait pas non plus être considéré comme un délinquant dangereux atteint de troubles mentaux si la partie pertinente du Code criminel était mise en œuvre. Outre le traitement des problèmes persistants de drogue et d’alcool qu’il pourrait éprouver, il semblerait que les traitements psychosociaux disponibles présentement ne soient guère indiqués. [Premier soulignement ajouté; deuxième soulignement dans l’original.]

85 En ce qui concerne l’absence de troubles mentaux, le personnel de l’hôpital a de nouveau noté, en octobre 1994 :

[traduction] M. Owen n’est pas atteint d’une maladie mentale grave. Il ne pourrait pas faire l’objet d’un certificat en vertu de la Loi sur la santé mentale et, n’eût été le statut que lui a décerné la Commission d’examen de l’Ontario constituée en vertu du Code criminel, il aurait obtenu son congé de l’hôpital sans autre formalité. Il est très probable qu’il serait déclaré coupable s’il était établi dans le futur qu’il s’est livré à une activité criminelle. [Je souligne.]

II. Dispositions législatives

86 Je ne reproduirai pas intégralement les dispositions législatives pertinentes que le juge Binnie a citées dans ses motifs. Il suffira, pour les besoins de mon analyse, de reproduire les par. 672.78(1) et (3) ainsi que l’al. 686(1)a) du Code criminel, que j’examinerai maintenant. Par souci de commodité, je reproduis également le par. 672.81(1) et l’art. 672.82, auxquels je renverrai plus loin.

672.78 (1) La cour d’appel peut accueillir l’appel interjeté à l’égard d’une décision ou d’une ordonnance de placement et annuler toute ordonnance rendue par le tribunal ou la commission d’examen si elle est d’avis que, selon le cas :

a) la décision ou l’ordonnance est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve;

b) il s’agit d’une erreur de droit;

c) il y a eu erreur judiciaire.

. . .

(3) La cour d’appel, si elle accueille l’appel, peut :

a) rendre la décision en vertu de l’article 672.54 ou l’ordonnance de placement que la commission d’examen aurait pu rendre;

b) renvoyer l’affaire au tribunal ou à la commission d’examen pour une nouvelle audition, complète ou partielle, en conformité avec les instructions qu’elle lui donne;

c) rendre toute autre ordonnance que la justice exige.

672.81 (1) La commission d’examen qui a rendu une décision à l’égard d’un accusé tient une nouvelle audition au plus tard douze mois après la décision et à l’intérieur de chaque période de douze mois suivante si la décision rendue en vertu de ces alinéas est toujours en vigueur, à l’exception d’une libération inconditionnelle prononcée en vertu de l’alinéa 672.54a).

672.82 (1) La commission d’examen peut, en tout temps, tenir une audition à la demande de l’accusé ou de toute autre partie.

(2) Lorsqu’une révision d’une décision visée par un appel interjeté par une partie en vertu de l’article 672.72 commence à la demande de cette partie, l’appel est réputé avoir été abandonné.

686. (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict d’inaptitude à subir son procès ou de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la cour d’appel :

a) peut admettre l’appel, si elle est d’avis, selon le cas :

(i) que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve,

(ii) que le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit,

(iii) que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire;

III. Analyse

A. La norme de contrôle

87 Je conviens, essentiellement pour les motifs exposés par le juge Binnie, que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable simpliciter. Je voudrais toutefois signaler que l’emploi par le législateur d’un libellé presque identique à l’art. 672.78 et au sous‑al. 686(1)a)(i) donne lieu à une anomalie manifeste, car les mêmes mots figurant dans différents articles de la même loi — le Code criminel — revêtent des sens tout à fait différents. Comme l’a souligné le juge Binnie, le terme « déraisonnable » employé à l’art. 672.78 signifie « déraisonnables en ce sens qu’elles n’étaient étayées par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé » (par. 33), alors que la même expression employée à l’art. 686 renvoie à une décision qu’aucun juge des faits raisonnable ayant reçu des directives appropriées et agissant de manière judiciaire n’aurait pu rendre (voir R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381, 2000 CSC 15, par. 36; R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168, p. 185). À mon avis, c’est là une norme qui s’apparente à celle de la décision manifestement déraisonnable plutôt qu’à celle de la décision raisonnable simpliciter, telles qu’on les interprète en droit administratif.

88 En définitive, malgré l’anomalie créée par le législateur du fait qu’il a employé un libellé identique dans différents articles d’une même loi pour exprimer des concepts différents, j’estime que la norme de contrôle applicable sous le régime de l’art. 672.78 est celle de la décision raisonnable simpliciter. La similarité du libellé est trompeuse, car il existe d’importantes différences quant au fond entre les deux articles. L’article 686 s’applique à une cour d’appel qui examine le verdict rendu par une cour (composée d’un juge seul ou d’un juge et d’un jury) alors que, sous le régime de l’art. 672.78, l’examen en appel vise la décision d’un organisme administratif. La différence est également bien illustrée par le fait que le caractère déraisonnable d’un verdict constitue une question de droit (Biniaris, précité) et que le pouvoir de redressement de la cour d’appel qui conclut au caractère déraisonnable d’un verdict de culpabilité se limite à celui d’inscrire un verdict d’acquittement. En revanche, dans le cadre d’un appel prévu à l’art. 672.78, la cour d’appel peut, en présence d’une « décision déraisonnable », accueillir l’appel et substituer sa propre décision à celle de la Commission, ou lui renvoyer l’affaire (par. 672.78(3)). Pour les motifs exposés par le juge Binnie, je suis d’avis qu’il y a lieu de recourir à la méthode fonctionnelle et pragmatique pour déterminer la norme de contrôle qui s’applique. Suivant cette méthode, il convient en l’espèce d’appliquer la norme de la décision raisonnable simpliciter, la norme de la décision manifestement déraisonnable commandant une trop grande retenue à l’égard de la Commission.

89 Cela dit, je ne partage pas l’opinion du juge Binnie selon laquelle la conclusion de la Commission était raisonnable en l’espèce.

B. La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

(1) La conclusion de dangerosité

90 D’entrée de jeu, nous devons garder à l’esprit l’objet de la partie XX.1 du Code criminel, que notre Cour a énoncé dans l’arrêt Winko c. Colombie‑Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625, par. 21 :

La partie XX.1 se dissocie de la notion voulant que le malade mental accusé d’une infraction puisse seulement être déclaré coupable ou acquitté; elle propose une troisième voie. Désormais, une fois établi que, lorsqu’il a commis le crime, il souffrait d’une maladie mentale qui l’empêchait de juger de la nature de l’acte ou de savoir que celui‑ci était mauvais, l’accusé fait l’objet d’une procédure spéciale. Le tribunal ou une commission d’examen tient alors une audition pour déterminer si la personne devrait être détenue dans un établissement sécuritaire, libérée sous condition ou libérée inconditionnellement. L’accent est mis sur la réalisation des deux objectifs que sont la protection du public et le traitement juste et approprié du contrevenant atteint de troubles mentaux. [Je souligne.]

91 Le présent pourvoi soulève la question de l’étendue et des limites de la « procédure spéciale » visant les malades mentaux. Ce n’est pas une procédure spéciale qui permet la détention perpétuelle d’un délinquant d’habitude qui, une seule fois, a commis un crime à un moment où il était atteint de troubles mentaux. La perpétration d’une « infraction initiale » assujettit son auteur au régime de non‑responsabilité criminelle, mais rien dans ce régime légal n’indique que la différence de traitement entre l’accusé non responsable criminellement et les membres de la population générale est censée durer indéfiniment — en fait, c’est tout le contraire. L’arrêt Winko, précité, établit que c’est l’existence d’un risque important pour la collectivité qui détermine s’il y a lieu de retirer ou non un individu du régime de non‑responsabilité criminelle. Ce risque doit être apprécié à la lumière de plusieurs facteurs, y compris l’état mental de l’accusé.

92 L’intimé a déjà enfreint la loi, et il est possible qu’il l’enfreigne à nouveau. C’est dans le cadre du système de justice pénale qu’il a eu et qu’il aura vraisemblablement encore à répondre de ces comportements. Il a commis une infraction très grave de laquelle il a été déclaré non responsable criminellement en raison de son état mental à l’époque. Il s’agit à présent de savoir si l’état mental de l’intimé et le risque qu’il peut présenter pour le public sont tels qu’ils commandent encore sa prise en charge selon la procédure spéciale instaurée par la partie XX.1 du Code criminel, qui met l’accent sur « la réalisation des deux objectifs que sont la protection du public et le traitement juste et approprié du contrevenant atteint de troubles mentaux » (Winko, précité, par. 21 (je souligne)).

93 La Commission a effectivement conclu que M. Owen souffrait d’un [traduction] « grave trouble de la personnalité antisociale ». Interrogé à ce sujet, le Dr Chan a expliqué ce syndrome en ces termes :

[traduction]

R. D’accord — c’est un trouble de la personnalité caractérisé par un ensemble de traits qu’une personne manifeste sa vie durant : elle a de la difficulté à maintenir des relations à long terme; elle fuit ses responsabilités; elle se livre à des actes pouvant donner lieu à des accusations criminelles; elle est impulsive; elle a des problèmes de — parfois cela peut s’ajouter à l’abus d’alcool et d’autres drogues — je crois — ce sont les principales caractéristiques qui me viennent à l’esprit.

94 Il est certes clair que chacune de ces caractéristiques de la personnalité est indésirable, mais ce trouble ne constitue pas en soi une maladie mentale; il s’agit plutôt de symptômes qui témoignent d’une mésadaptation sociale. Le Dr Chan l’a confirmé en contre‑interrogatoire :

[traduction]

Q. D’accord — alors, au départ, l’infraction initiale est un état psychotique paranoïaque provoqué par la drogue?

R. Oui, c’est exact.

Q. S’agit‑il d’un état temporaire, passager, ou cet état est-il révélateur d’un problème psychologique sous‑jacent, une maladie mentale, que les drogues ou l’alcool ne font qu’exacerber?

R. Bon — Je ne crois pas qu’il ait une prédisposition à la schizophrénie. Je ne crois pas qu’il soit schizophrène. Je crois que n’importe qui peut devenir paranoïaque en consommant des stimulants pendant une période assez longue.

Je pense donc que cela peut nous arriver à tous, peu importe notre prédisposition à une maladie psychotique [. . .] donc, c’est de cette manière que j’envisage son problème de paranoïa . . . [Je souligne.]

Plus tard, le Dr Chan a dit ceci au sujet de la consommation d’alcool de l’intimé :

[traduction]

Q. . . . Est‑il plus prédisposé à ce genre de comportement violent [lorsqu’il boit] en raison d’une maladie mentale sous‑jacente?

R. Non, je ne pense pas — je ne parlerais pas d’une « maladie ». À mon avis, c’est une caractéristique du fonctionnement de la personnalité, tout comme l’abus d’alcool et d’autres drogues.

La question fondamentale en l’espèce est donc celle de savoir si, après plus de 20 ans d’accès élargi à la vie au sein de la collectivité dans le cadre du régime de non‑responsabilité criminelle, la situation de l’intimé — son état mental, ses besoins — avait suffisamment changé en mars 2000 pour justifier raisonnablement qu’il soit détenu et privé de presque toute liberté. Les dossiers d’hôpitaux révèlent qu’on a toujours su que M. Owen n’avait pas cessé et ne cesserait vraisemblablement pas de consommer régulièrement de la drogue et de l’alcool.

95 Deux changements sont survenus au moment de l’audition de mars 2000. L’hôpital a décelé la présence de cocaïne dans l’urine de M. Owen. Celui‑ci a également admis avoir déjà déjoué les tests d’urine. Au sujet de la consommation de cocaïne, la Commission a déclaré : [traduction] « M. Owen continue de souffrir d’un très grave trouble de la personnalité antisociale compliqué dans le passé par une psychose provoquée par la drogue et l’abus d’alcool, lesquels ont mené à la mort d’une personne en 1978 et à la très grave agression commise contre une autre en 1990. [. . .] [Il] a recommencé à consommer de la cocaïne, des drogues semblables à la psychose qui a précédé les événements décrits au moment de l’infraction initiale » (je souligne). Comme je l’ai dit précédemment, bien que certaines preuves indiquent que l’intimé avait beaucoup bu au moment de l’agression en 1990, rien n’indique qu’il était alors plongé dans un état de psychose provoqué par la drogue. Si cela avait été le cas, il aurait probablement été déclaré non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux comme pour l’infraction initiale commise en 1978.

96 Quelle importance devrait‑on alors raisonnablement accorder à la découverte de traces de cocaïne dans l’urine de l’intimé? Interprétée comme il se doit, la preuve dans son ensemble n’étaye pas à mon avis la conclusion selon laquelle l’intimé a recommencé depuis peu à consommer de la cocaïne, de sorte que les conditions du meurtre commis en 1978 pourraient vraisemblablement se reproduire pour la première fois près de 20 ans plus tard. Certes, l’intimé a toujours nié consommer de la cocaïne. Il a cependant admis qu’il n’avait pour ainsi dire jamais arrêté de consommer de la drogue depuis qu’il est détenu, mise à part une période de 18 mois précédant la naissance de son fils, et on a décelé des traces de cocaïne dans son urine lorsqu’il n’a pas réussi à déjouer le test. Il n’est pas raisonnable au vu du dossier de conclure à la présence d’amphétamines lors du meurtre commis en 1978 (et aussi, ce qui est clairement faux, lors de l’agression commise en 1990), puis à leur absence — ce qui justifiait la libération de l’intimé entre 1994 et 1999 — et enfin à leur réapparition, qui créerait cette nouvelle situation de dangerosité en raison des similitudes entre les effets de la cocaïne et ceux des amphétamines.

97 En réalité, il est plus probable que l’intimé ait consommé régulièrement de la drogue et de l’alcool tout au long de sa détention sous la surveillance de la Commission et qu’il ait pu, la plupart du temps, éviter de se faire prendre en déjouant les tests de dépistage. Au cours des 22 années écoulées depuis la perpétration de l’infraction initiale, l’intimé n’a jamais montré de signes d’une psychose semblable à celle qui l’a amené à commettre le meurtre en 1978, bien qu’il ait commis des infractions à l’occasion et qu’il n’ait jamais cessé de consommer de la drogue. La seule inférence qu’il convient de tirer de cette preuve est que l’intimé est relativement inoffensif depuis bon nombre d’années, non pas parce qu’il est demeuré sobre, mais plutôt malgré l’alcool et les drogues qu’il a continué à consommer tout au long de cette période. Il n’est pas plausible de tenir pour acquis simplement parce qu’il le prétend, que l’intimé n’a pas pris de cocaïne ni de drogues semblables depuis qu’il a consommé des méthamphétamines en 1978. En fait, je m’explique difficilement que la Commission se soit servie du test du 25 janvier 2000 qui a révélé la présence de cocaïne pour appuyer sa nouvelle évaluation de la dangerosité de l’intimé — rejetant par le fait même l’affirmation de l’intimé qui disait ne pas en avoir pris avant le test — tout en tenant par ailleurs pour acquis que l’intimé avait soudainement recommencé à consommer de la cocaïne, même s’il a admis avoir trompé le personnel de l’hôpital quant aux tests d’urine antérieurs.

98 La psychose qui a amené l’intimé à perpétrer l’infraction initiale était le résultat momentané de son ingestion d’amphétamines et la dépendance de M. Owen aux drogues (marijuana et, pour reprendre ses termes, [traduction] « un tas d’autres choses ») et son alcoolisme ne l’ont pas amené à commettre des actes de violence au cours des dix dernières années, ni empêché de [traduction] « bien [se débrouiller] pour s’occuper de son jeune fils et vivre en paix au sein de la collectivité malgré ses très maigres ressources ».

99 Pour déterminer si l’accusé représente un risque important pour la sécurité du public, la Commission doit prendre en compte tous les facteurs énumérés à l’art. 672.54, soit non seulement la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, mais également l’état mental de l’accusé, ses besoins et la nécessité de sa réinsertion sociale. Si l’état mental de l’accusé est tel qu’il ne souffre désormais plus de troubles mentaux, on ne devrait pas confondre son état mental avec sa propension à commettre des crimes. À cet égard, il ne devrait pas être traité différemment d’une autre personne : il doit subir les sanctions imposées en matière pénale.

100 Le régime de détention pour cause de troubles mentaux vise à prévenir la répétition des actes dangereux auxquels la personne atteinte risque de se livrer et dont elle ne serait pas tenue criminellement responsable. Ainsi que l’a énoncé notre Cour dans l’arrêt Winko, au par. 57 :

Pour que ces dispositions du Code criminel s’appliquent, le risque ne doit pas être purement hypothétique; il doit être étayé par la preuve : D.H. c. British Columbia (Attorney General), [1994] B.C.J. No. 2011 (QL) (C.A.), au par. 21. Le risque doit par ailleurs être « important ». Non seulement le risque qu’un préjudice physique ou psychologique soit infligé aux membres de la collectivité doit être véritable, mais ce préjudice appréhendé doit être grave. Un risque minime de préjudice grave ne suffit pas, non plus qu’un risque élevé de préjudice insignifiant. Enfin, la conduite ou l’activité préjudiciable doit être de nature criminelle. . .

101 À mon sens, la Cour d’appel a correctement conclu que la Commission avait puni à tort l’intimé pour avoir réussi à tromper le personnel de l’hôpital quant à sa consommation de drogue. La Commission semble avoir accepté l’évaluation du risque qui figurait dans le rapport soumis par l’administrateur de l’hôpital et dont elle cite les extraits suivants :

[traduction]

Évaluation du risque :

M. Owen représente un risque important pour la sécurité du public. Il a démontré que, même sous surveillance étroite, il adopte des comportements qui pourraient exposer le public à un danger. Ce qu’il y a de plus inquiétant, c’est la présence de cocaïne, de par ses effets semblables aux amphétamines qu’il avait prises lorsqu’il a commis l’infraction initiale et qui l’ont plongé dans un état de paranoïa provoqué par la drogue.

Sans une surveillance directe et constante, notre équipe n’est pas convaincue de pouvoir empêcher M. Owen de se livrer à des actes hautement risqués qui sont susceptibles d’accroître sensiblement la probabilité d’une récidive.

102 La Commission a ensuite commenté en ces termes les changements survenus dans la situation de M. Owen :

[traduction] Malheureusement, M. Owen a choisi de ralentir sa progression vers la réadaptation et d’entraver les efforts déployés par ses aidants pour le réintégrer dans la société. Nous notons que dès août 1999, l’équipe de traitement était disposée à appuyer son transfert dans la région de Chatham, qui demeure encore aujourd’hui l’endroit où M. Owen désire être relocalisé. Par son comportement, M. Owen a été l’artisan de son propre malheur, bien qu’il soit improbable qu’il reconnaisse ou qu’il apprécie son rôle dans ce qu’il considérera sans aucun doute comme une punition que lui infligent la Commission d’examen et l’hôpital.

103 Le raisonnement de l’hôpital et de la Commission pose problème en ce que, si M. Owen est incapable de vaincre sa toxicomanie et son alcoolisme — ce qui semble probable — , il sera détenu pour le reste de sa vie dans un hôpital psychiatrique en dépit du fait qu’il ne souffre d’aucune maladie mentale, qu’il a vécu sans incident pendant dix ans au sein de la collectivité en s’occupant de son fils et qu’il sera presque assurément tenu criminellement responsable des nouvelles infractions qu’il pourrait commettre. Un rapport d’hôpital daté de 1996 illustre le problème que crée la justification de la détention de l’intimé sous le régime de la non-responsabilité criminelle par son manquement aux conditions qui lui interdisent la consommation de drogues. L’hôpital y avait invité [traduction] « la Commission à s’interroger sur l’utilité réelle de rendre une ordonnance d’interdiction à l’égard de M. Owen pour assurer la protection du public ou sa réinsertion sociale » :

[traduction] L’équipe des soins cliniques continue de croire que les antécédents d’abus d’alcool et d’autres drogues de M. Owen et ses problèmes de comportement étaient généralement liés dans le passé et le seront probablement dans le futur. La consommation de drogue et d’alcool a donc été relevée expressément comme un facteur de risque et lui a, de ce fait, été interdite dans l’ordonnance. [. . .] M. Owen consomme de l’alcool. Il affirme aujourd’hui qu’il ne sera probablement jamais en mesure de s’abstenir entièrement pour toujours d’en consommer et qu’il ne pourra donc jamais « se soustraire » à la compétence de la Commission . . .

. . .

Dans le présent dossier, la préoccupation de l’hôpital tient à ce qu’on enjoint à M. Owen de s’abstenir de se livrer à une activité légale pour le public en général pendant qu’il se trouve en libération conditionnelle. Si, en obtempérant à cette ordonnance, M. Owen a une bonne conduite, qu’est-ce que la Commission aura appris qui lui permettrait subséquemment de conclure que M. Owen ne représente désormais plus un risque pour la sécurité du public et de le libérer inconditionnellement? L’hôpital s’inquiète du fait que, dans ces circonstances, la Commission ne disposera jamais d’éléments de preuve susceptibles d’étayer la conclusion selon laquelle, en l’absence de mesures de contrôle exceptionnelles, M. Owen ne représente pas un risque important pour la sécurité du public, à moins qu’on consente à le libérer conditionnellement pour ne l’assujettir qu’aux lois du pays tout en exigeant qu’il ait une bonne conduite. Le respect d’une telle ordonnance militerait probablement en faveur d’une libération inconditionnelle. En cas de non-respect, M. Owen se verrait imposer des sanctions pénales et pourrait être soumis à nouveau à une ordonnance de garde, avec ou sans pouvoir discrétionnaire de l’hôpital de le placer dans la collectivité, sous sa surveillance. [Je souligne.]

Fonder la détention de l’intimé sous le régime de la non-responsabilité criminelle sur ses problèmes persistants d’abus d’alcool et d’autres drogues équivaut à lui imposer un fardeau tel qu’on le prive à tout jamais de la possibilité d’en sortir, malgré l’absence prolongée de tout comportement violent de sa part.

104 À mon avis, les autorités de l’hôpital et les membres de la Commission ont été indûment influencés par la découverte récente du fait que M. Owen déjouait régulièrement les tests de dépistage de drogue et d’alcool. On a toujours su que l’intimé avait de fortes chances de consommer de la drogue. Le fait pour la Commission de restreindre considérablement la liberté de l’intimé après avoir appris qu’il avait trompé le personnel de l’hôpital atteste que sa décision avait fondamentalement un caractère punitif. Je fais mien l’avis de la Cour d’appel selon lequel l’évaluation par la Commission du risque posé par l’intimé reposait entièrement sur des hypothèses et n’était pas étayée par un examen adéquat du dossier.

(2) L’imposition de la décision la plus sévère

105 L’article 672.54 oblige la Commission à tenir compte de plusieurs facteurs et à rendre en définitive la décision « la moins sévère et la moins privative de liberté ». La première option consiste à libérer inconditionnellement l’accusé dans la mesure où la Commission estime qu’il ne représente pas un risque important pour le public. Si cette option s’avère contre-indiquée, la Commission peut libérer l’accusé sous conditions ou ordonner sa détention dans un hôpital sous réserve des modalités qu’elle juge indiquées.

106 Placé sous le régime de non-responsabilité criminelle pendant 22 ans, l’intimé avait déjà fait l’objet de 24 décisions ou mandats lorsque la Commission a rendu la décision portée en appel. Il a vécu dans la collectivité sous diverses formes de surveillance pendant de longues périodes à partir de 1986, et y a vécu en permanence de 1994 jusqu’au prononcé de cette décision. Conformément à la décision rendue en mars 2000, l’intimé a été détenu dans un hôpital sans pouvoir sortir dans la collectivité, sauf sous escorte. C’est là la décision la plus privative de liberté rendue à l’égard de l’intimé depuis celle prononcée en 1990 à la suite de sa déclaration de culpabilité pour voies de fait et, mise à part cette dernière, la plus privative de liberté depuis 1982. La Commission a ordonné la détention de l’intimé dans un hôpital, ne l’autorisant à s’absenter que pour des raisons humanitaires et à ne sortir dans la collectivité qu’accompagné par du personnel de l’hôpital. Elle n’a pas motivé sa conclusion selon laquelle cette décision, extrêmement privative de liberté, était « la moins sévère et la moins privative de liberté ». Cette décision constitue à mon avis une erreur de droit et n’était pas raisonnable.

107 Même en supposant que l’intimé représentait une menace pour la collectivité suffisamment importante pour que sa libération inconditionnelle soit exclue, la Commission était tenue d’examiner chacun des quatre facteurs énoncés à l’art. 672.54 — la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, l’état mental de l’accusé, ses besoins, ainsi que la nécessité de sa réinsertion sociale — pour décider si une libération conditionnelle ou une ordonnance de garde était indiquée. La Commission ne pouvait pas s’acquitter correctement de cette tâche sans prendre en considération le fait que l’intimé vivait dans la collectivité depuis 1994, qu’il n’avait été impliqué dans aucun incident violent depuis près de 10 ans, qu’il désirait être avec son fils et que, s’il n’avait pas réussi à s’abstenir de consommer de la drogue, il avait néanmoins assez bien réussi, au cours des dernières années, à gérer diverses sources de stress dans sa vie. Je suis d’avis qu’au vu des faits du dossier, il était déraisonnable pour la Commission de conclure que la détention s’avérait la décision la moins sévère possible dans les circonstances parce qu’elle permettait à l’intimé de jouir « d’autant de liberté que la sécurité du public le permet » : Winko, précité, par. 9.

C. La question de la nouvelle preuve

108 Le paragraphe 672.73(1) du Code autorise la Cour d’appel à admettre tout élément de preuve « lorsqu’elle estime que la justice l’exige ». La Cour d’appel n’a pas traité dans ses motifs de la demande de présentation de nouveaux éléments de preuve. Nous en sommes donc réduits, dans une certaine mesure, à émettre des hypothèses sur ce que la cour a décidé à ce sujet. Il ne fait aucun doute que la cour a pris connaissance de la preuve offerte. Nous ignorons cependant si elle a estimé que la preuve était mince et non concluante, n’y donnant donc aucune suite, ou si elle a tout simplement décidé de ne pas l’admettre, auquel cas on nous demande de statuer qu’il s’agissait d’une erreur.

109 Il ne s’agit pas d’une « nouvelle preuve » comme celle dont il était question dans l’arrêt Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759 (c’est-à-dire une preuve préexistante qui n’a pas été produite devant le tribunal de première instance (en l’occurrence la Commission)). Selon l’arrêt R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480, le critère d’admissibilité d’une telle preuve en appel est élevé mais, une fois admise, la nouvelle preuve mène inévitablement à la tenue d’un nouveau procès (ou à une nouvelle audition), sauf dans les rares cas où, en soi, elle s’avérera à ce point concluante que la cour d’appel pourra agir sur la foi de cette preuve et disposer de l’affaire en conséquence (cela se fera souvent sur consentement : voir par exemple la nouvelle preuve d’ADN qui exonère un accusé déclaré coupable : R. c. Morin (1995) 37 C.R. (4th) 395 (C.A. Ont.)).

110 En l’espèce, la preuve a été soumise en vertu du Code afin que la cour l’admette parce que « la justice l’exige ». Elle n’aurait de toute évidence pas pu influencer la décision de la Commission puisqu’il s’agissait d’une preuve postérieure à la décision. Il arrive souvent que la preuve d’une conduite postérieure à l’infliction d’une peine soit soumise dans le cadre d’un appel de la peine pour valoir comme « mise à jour » et faire en sorte que la cour d’appel ne rende pas sa décision dans l’abstrait. En l’occurrence, la Cour d’appel possédait le pouvoir discrétionnaire d’admettre ou non la preuve. Il ressort clairement de l’issue de l’affaire qu’elle n’y a pas donné suite.

111 En application du par. 672.78(3), si elle accueille l’appel d’une décision, la cour d’appel peut rendre la décision en vertu de l’art. 672.54 que la Commission aurait pu rendre. Elle peut également renvoyer l’affaire à la Commission qui, de toute manière, doit réviser annuellement les décisions relatives à la non-responsabilité criminelle. Dans le cours normal des choses, la « nouvelle preuve » comme celle produite en l’espèce devrait tout simplement être présentée dans le cadre de la prochaine audition tenue par la Commission. La seule question qui demeure est donc celle de savoir si la « nouvelle preuve » soumise à la Cour d’appel était telle qu’elle pouvait l’empêcher de prononcer la libération inconditionnelle de l’intimé.

112 Sur le fondement de l’arrêt Stolar, lorsqu’une cour d’appel est d’avis qu’un accusé non responsable criminellement aurait dû se voir accorder une libération inconditionnelle au terme de l’audition de la Commission, la nouvelle preuve devrait établir de façon quasi incontestable que la libération inconditionnelle serait inopportune pour que la cour d’appel décide de ne pas l’ordonner. En outre, je me dois de souligner que, contrairement au postulat énoncé par mon collègue le juge Binnie, au par. 56, il n’apparaît pas clairement que la libération inconditionnelle d’un détenu non responsable criminellement met un terme à la capacité de l’État de surveiller et de contrôler l’état mental de l’intimé. En fait, le par. 672.82(1) du Code criminel pourvoit à la révision facultative de toute décision de la Commission « any of [the Board’s] dispositions ». Lorsqu’on le compare à l’art. 672.81, qui exclut expressément les libérations inconditionnelles du processus obligatoire de révision annuelle, le par. 672.82(1) ouvre la porte, pourrait-on soutenir, à un processus discrétionnaire de révision par la Commission sur le fondement d’une nouvelle preuve de dangerosité, même dans le cas d’une libération inconditionnelle.

113 Quoi qu’il en soit, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu de toucher à l’exercice par la Cour d’appel de son pouvoir discrétionnaire dans l’appréciation de la nouvelle preuve dont elle a été saisie. La Cour d’appel a estimé, à juste titre selon moi, que l’intimé aurait dû être libéré inconditionnellement par la Commission en mars 2000. Celle-ci a plutôt ordonné sa détention assortie de conditions très sévères et très privatives de liberté. La Cour d’appel pouvait tout à fait, au vu des rapports sur la conduite de l’intimé au cours de sa détention, maintenir sa conclusion que l’intimé ne représentait pas un risque important pour la sécurité du public.

IV. Dispositif

114 Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

APPENDICE A

Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46

16. (1) La responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais.

672.34 Le jury ou, en l’absence de jury, le juge ou le juge de la cour provinciale, qui détermine que l’accusé a commis l’acte ou l’omission qui a donné lieu à l’accusation mais était atteint, à ce moment, de troubles mentaux dégageant sa responsabilité criminelle par application du paragraphe 16(1) est tenu de rendre un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux.

672.38 (1) Une commission d’examen est constituée ou désignée pour chaque province; elle est constituée d’un minimum de cinq membres nommés par le lieutenant‑gouverneur en conseil de la province et est chargée de rendre ou de réviser des décisions concernant les accusés qui font l’objet d’un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux ou qui ont été déclarés inaptes à subir leur procès.

672.39 Doivent faire partie d’une commission d’examen au moins une personne autorisée par le droit d’une province à exercer la psychiatrie et, s’il n’y a qu’un seul psychiatre, au moins une personne dont la formation et l’expérience relèvent de la santé mentale et qui est autorisée par le droit d’une province à exercer la médecine ou la profession de psychologue.

672.4 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le président de la commission d’examen d’une province est un juge — ou un juge à la retraite — de la cour fédérale, d’une cour supérieure d’une province ou d’une cour de district ou de comté ou une personne qui remplit les conditions de nomination à un tel poste.

672.43 Lors d’une audition de la commission d’examen, le président de la commission est investi des pouvoirs que les articles 4 et 5 de la Loi sur les enquêtes accordent aux commissaires nommés en vertu de la partie I de cette loi.

672.51 (1) Au présent article, « renseignements décisionnels » s’entend de la totalité ou d’une partie du rapport d’évaluation remis au tribunal ou à la commission d’examen et de tout autre document écrit dont ils sont saisis, qui concerne l’accusé et qui est pertinent dans le cadre de la décision à rendre.

(2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les renseignements décisionnels sont à la disposition des autres parties et de l’avocat qui, le cas échéant, représente l’accusé; le tribunal ou la commission leur en fait parvenir une copie.

672.54 Pour l’application du paragraphe 672.45(2) ou de l’article 672.47, le tribunal ou la commission d’examen rend la décision la moins sévère et la moins privative de liberté parmi celles qui suivent, compte tenu de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l’état mental de l’accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale :

a) lorsqu’un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux a été rendu à l’égard de l’accusé, une décision portant libération inconditionnelle de celui‑ci si le tribunal ou la commission est d’avis qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public;

b) une décision portant libération de l’accusé sous réserve des modalités que le tribunal ou la commission juge indiquées;

c) une décision portant détention de l’accusé dans un hôpital sous réserve des modalités que le tribunal ou la commission juge indiquées.

672.73 (1) L’appel est fondé sur la transcription déposée auprès de la cour d’appel et sur les autres éléments de preuve dont la cour d’appel accepte la présentation lorsqu’elle estime que la justice l’exige.

672.78 (1) La cour d’appel peut accueillir l’appel interjeté à l’égard d’une décision ou d’une ordonnance de placement et annuler toute ordonnance rendue par le tribunal ou la commission d’examen si elle est d’avis que, selon le cas :

a) la décision ou l’ordonnance est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve;

b) il s’agit d’une erreur de droit;

c) il y a eu erreur judiciaire.

(2) La cour d’appel peut rejeter l’appel, dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) les alinéas (1)a), b) et c) ne s’appliquent pas;

b) l’alinéa (1)b) peut s’appliquer, mais elle est d’avis qu’aucun tort important ou aucune erreur judiciaire ne s’est produit.

(3) La cour d’appel, si elle accueille l’appel, peut :

a) rendre la décision en vertu de l’article 672.54 ou l’ordonnance de placement que la commission d’examen aurait pu rendre;

b) renvoyer l’affaire au tribunal ou à la commission d’examen pour une nouvelle audition, complète ou partielle, en conformité avec les instructions qu’elle lui donne;

c) rendre toute autre ordonnance que la justice exige.

672.81 (1) La commission d’examen qui a rendu une décision à l’égard d’un accusé tient une nouvelle audition au plus tard douze mois après la décision et à l’intérieur de chaque période de douze mois suivante si la décision rendue en vertu de ces alinéas est toujours en vigueur, à l’exception d’une libération inconditionnelle prononcée en vertu de l’alinéa 672.54a).

672.82 (1) La commission d’examen peut, en tout temps, tenir une audition à la demande de l’accusé ou de toute autre partie.

(2) Lorsqu’une révision d’une décision visée par un appel interjeté par une partie en vertu de l’article 672.72 commence à la demande de cette partie, l’appel est réputé avoir été abandonné.

Pourvoi accueilli, la juge Arbour est dissidente.

Procureur de l’appelante : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureurs de l’intimé : Pinkofskys, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2003 CSC 33 ?
Date de la décision : 06/06/2003
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli. L’ordonnance de la Commission d’examen n’était pas déraisonnable et doit être rétablie

Analyses

Droit criminel - Troubles mentaux - Décisions de la Commission d’examen - Norme de contrôle applicable à l’ordonnance de la Commission - Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 672.78.

Droit criminel - Troubles mentaux - Commissions d’examen - Décisions de la Commission d’examen - Accusé déclaré non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux - Accusé éprouvant toujours des problèmes d’abus d’alcool et d’autres drogues et démontrant une propension persistante à la violence - Commission d’examen ordonnant la prolongation de la détention de l’accusé dans un hôpital psychiatrique - L’ordonnance de la Commission est‑elle déraisonnable? - Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 672.54, 672.78.

Droit criminel - Troubles mentaux - Commissions d’examen - Appel tranché sur le fondement de la transcription - Preuve additionnelle - Commission d’examen ordonnant la prolongation de la détention de l’accusé dans un hôpital psychiatrique - La nouvelle preuve par affidavit, postérieure à la révision, que le ministère public a offerte a‑t‑elle été exclue à bon droit par la Cour d’appel? - Sens de l’expression « lorsqu[e] . . . la justice l’exige » - Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 672.73(1).

L’intimé a été déclaré non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux d’une infraction de meurtre au deuxième degré qu’il avait commise en 1978 dans un état de psychose provoqué par la consommation de drogue. Après une période de détention dans différents établissements de soins de santé mentale, il a été progressivement remis en liberté dans la collectivité jusqu’en 1987, lorsqu’il a été reconnu coupable de possession d’une arme prohibée, d’introduction par effraction avec l’intention de commettre un acte criminel et de possession de biens criminellement obtenus. Après avoir purgé sa peine, l’intimé est retourné en détention à l’hôpital où d’autres incidents de violence sont survenus. De nouveaux efforts ont été faits pour le remettre progressivement en liberté dans la collectivité, mais ses problèmes d’abus d’alcool et d’autres drogues ont refait surface et il a continué à démontrer une certaine propension à la violence. La Commission d’examen a décidé, en 1994, 1995 et 1996, de libérer l’intimé sous conditions, mais en 1997, le test d’urine de l’intimé ayant révélé la présence de cannabis, l’hôpital psychiatrique a fait savoir à la Commission qu’il ne pouvait désormais plus être en faveur d’une ordonnance de libération conditionnelle de l’intimé en raison de son abus persistant d’alcool et d’autres drogues et du fait que l’hôpital avait besoin d’une certaine marge de manœuvre pour « réagir rapidement à l’aggravation connue du risque ».

Par application de l’art. 672.54 du Code criminel, la décision de la Commission doit être la moins sévère et la moins privative de liberté, compte tenu (1) de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, (2) de l’état mental de l’accusé et (3) de ses besoins, notamment (4) de la nécessité de sa réinsertion sociale. Au terme d’une audition complète, la Commission a conclu que l’intimé représentait un danger important pour la sécurité du public et ordonné le maintien de sa détention dans un hôpital psychiatrique. Devant la Cour d’appel, le ministère public a voulu renforcer la décision de la Commission en produisant de nouveaux éléments de preuve par affidavit alléguant que, depuis l’audition tenue devant la Commission, l’intimé avait frappé un patient et menacé d’en tuer un autre, en plus d’avoir été trouvé en possession de drogues interdites. Refusant d’admettre cette nouvelle preuve, la Cour d’appel a révisé l’ordonnance de la Commission au regard de la preuve disponible lors de l’audition initiale, annulé l’ordonnance de la Commission jugée déraisonnable et ordonné la libération inconditionnelle de l’intimé.

Arrêt (la juge Arbour est dissidente) : Le pourvoi est accueilli. L’ordonnance de la Commission d’examen n’était pas déraisonnable et doit être rétablie.

La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, LeBel et Deschamps : L’évaluation par la Commission d’examen des troubles mentaux et des risques pour la sécurité qui y sont associés fait appel à une grande expertise et la norme de contrôle, exprimée dans l’art. 672.78 du Code criminel, correspond à celle de la décision raisonnable simpliciter.

La Cour d’appel a apprécié à nouveau la preuve et l’a jugée insuffisante. C’est toutefois à la Commission qu’il revenait de se prononcer à cet égard et celle‑ci a rendu une décision que la preuve lui permettait raisonnablement de rendre. Il ne suffisait pas d’avancer que d’autres membres d’autres commissions d’examen auraient pu interpréter la preuve différemment. Il était raisonnable pour la Commission d’examen de conclure qu’en raison de sa capacité démontrée de se livrer à des actes de violence lorsqu’il prend des amphétamines ou de la cocaïne — maintenant liée à la preuve récente qu’il avait recommencé à consommer de la cocaïne — , l’intimé représentait un risque important pour la sécurité du public. Le « raisonnement » par lequel elle a tenté de tirer des conclusions du retour de l’intimé à la consommation de cocaïne relevait tout à fait de son champ d’expertise.

La Cour d’appel de l’Ontario a souligné que l’intimé avait bénéficié de libérations conditionnelles de 1994 à 1996, mais, en 2000, la Commission devait examiner la situation de l’intimé telle qu’elle lui apparaissait en 2000. De 1994 à 1999, les autorités de l’hôpital ont émis diverses recommandations en croyant à tort que l’intimé avait pris des mesures efficaces pour renoncer à l’abus d’alcool et d’autres drogues qui, à leur avis, avait été le catalyseur de ses actes de violence antérieurs.

Il n’était pas déraisonnable pour la Commission de conclure que sa décision était la moins sévère et la moins privative de liberté, étant donné la consommation de cocaïne à laquelle continue de se livrer l’intimé et le risque qu’il représente de ce fait pour la société. Compte tenu des antécédents d’abus d’alcool et d’autres drogues de l’intimé et de la dissimulation de ces abus, la Commission d’examen était convaincue qu’on ne pouvait guère espérer contrôler efficacement les habitudes de consommation de l’intimé avec la surveillance ponctuelle qui pourrait être exercée sur lui après sa libération dans la collectivité.

L’intimé affirme qu’il a droit à une libération inconditionnelle parce que, s’il commet de nouvelles infractions sous l’influence de la drogue, il sera passible, comme n’importe qui d’autre, des sanctions prévues au Code criminel. Or, il ne s’agit pas de « n’importe qui d’autre ». Il s’agit d’un détenu non responsable criminellement chez qui il existe un lien entre l’abus de drogues et sa propension à la violence, y compris au meurtre, et la partie XX.1 du Code criminel est conçue pour prendre des mesures qui protégeront la sécurité du public avant que des actes de violence surviennent, et non (comme c’est le cas habituellement) pour punir le contrevenant après coup.

La Cour d’appel a commis une erreur de droit en rejetant la nouvelle preuve. La décision rendue par la Commission d’examen est susceptible d’appel sur le fondement de la transcription des témoignages et, selon le par. 672.73(1) du Code, des « autres éléments de preuve dont la cour d’appel accepte la présentation lorsqu’elle estime que la justice l’exige ». L’expression « lorsqu[e] . . . la justice l’exige » tire son sens du contexte dans lequel on cherche à l’appliquer et « la justice » s’entend non seulement de la justice à l’égard du détenu non responsable criminellement, dont la liberté est en jeu, mais également de la justice à l’égard du public, dont on cherche à assurer la protection. La preuve offerte (incluant des actes de violence physique en 2000 et une menace de mort récente) était très pertinente. Elle concernait directement la réserve qu’avait la Cour d’appel quant à l’insuffisance de la preuve de la propension continue de l’intimé à la violence et, si elle était digne de foi, elle aurait dû être admise comme portant sur une question décisive. On ne devrait accorder la libération inconditionnelle qu’après avoir examiné tous les éléments de preuve fiables connus autant au moment de l’audition par la Commission qu’au moment du contrôle en appel, le cas échéant. La nouvelle preuve a donc été admise comme faisant partie du dossier dans le pourvoi.

La juge Arbour (dissidente) : La norme de contrôle applicable à la décision d’une commission d’examen est celle de la décision raisonnable simpliciter et, en l’espèce, la Cour d’appel a conclu à juste titre que la décision de la Commission était déraisonnable.

Premièrement, la Commission a tiré une conclusion déraisonnable sur la dangerosité de l’intimé. Pour déterminer si l’accusé représente un risque important pour la sécurité du public, la Commission doit prendre en compte tous les facteurs énumérés à l’art. 672.54 du Code criminel. Si l’état mental de l’accusé est tel qu’il ne souffre désormais plus de troubles mentaux, on ne devrait pas confondre son état mental avec sa propension à commettre des crimes et, à cet égard, l’accusé devrait, comme toute autre personne, subir les sanctions imposées en matière pénale. Le régime de détention pour cause de troubles mentaux vise à prévenir la répétition des actes dangereux auxquels la personne atteinte risque de se livrer et dont elle ne serait pas tenue criminellement responsable. La Cour d’appel a donc correctement conclu que la Commission avait puni à tort l’intimé pour avoir réussi à tromper le personnel de l’hôpital quant à sa consommation de drogue. Fonder la détention de l’intimé sous le régime de la non‑responsabilité criminelle sur ses problèmes persistants d’abus d’alcool et d’autres drogues équivaut à lui imposer un fardeau tel qu’on le prive à tout jamais de la possibilité d’en sortir, malgré l’absence prolongée de tout comportement violent de sa part. L’évaluation par la Commission du risque posé par l’intimé reposait entièrement sur des hypothèses et n’était pas étayée par un examen adéquat du dossier.

Deuxièmement, au vu des faits du dossier, il était déraisonnable pour la Commission de conclure que la détention s’avérait la décision la moins sévère possible dans les circonstances parce qu’elle permettait à l’intimé de jouir d’autant de liberté que la sécurité du public le permet. Même si l’intimé représentait une menace pour la collectivité suffisamment importante pour que sa libération inconditionnelle soit exclue, la Commission était tenue d’examiner chacun des quatre facteurs énoncés à l’art. 672.54 pour décider si une libération conditionnelle ou une ordonnance de garde était indiquée.

Il n’y avait pas lieu de toucher à l’exercice par la Cour d’appel de son pouvoir discrétionnaire dans l’appréciation de la nouvelle preuve dont elle a été saisie. Le paragraphe 672.73(1) du Code autorise la Cour d’appel à admettre tout élément de preuve « lorsqu’elle estime que la justice l’exige ». Lorsqu’une cour d’appel est d’avis qu’un accusé non responsable criminellement aurait dû se voir accorder une libération inconditionnelle au terme de l’audition de la Commission d’examen, la nouvelle preuve devrait établir de façon quasi incontestable que la libération inconditionnelle serait inopportune pour que la cour d’appel décide de ne pas l’ordonner. De plus, il n’apparaît pas clairement que la libération inconditionnelle d’un détenu non responsable criminellement met un terme à la capacité de l’État de surveiller et de contrôler l’état mental de l’intimé. En fait, le par. 672.82(1) du Code prévoit que la Commission peut tenir une audition discrétionnaire en tout temps.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Owen

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Binnie
Distinction d’avec l’arrêt : Starson c. Swayze, [2003] 1 R.C.S. 722, 2003 CSC 32
arrêts mentionnés : Winko c. Colombie‑Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625
R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933
U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048
Moreau‑Bérubé c. Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, 2002 CSC 11
Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748
Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20
Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19
R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168
R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381, 2000 CSC 15
Peckham c. Ontario (Attorney‑General) (1994), 93 C.C.C. (3d) 443
Beauchamp c. Penetanguishene Mental Health Centre (Administrator) (1999), 138 C.C.C. (3d) 172
Penetanguishene Mental Health Centre c. Ontario (Attorney General) (1999), 131 C.C.C. (3d) 473, autorisation de pourvoi refusée, sub nom. Clement c. Attorney General for Ontario, [1999] 1 R.C.S. vi
Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759
R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480
Davidson c. British Columbia (Attorney‑General) (1993), 87 C.C.C. (3d) 269
R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 579
Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608
R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531
R. c. Lévesque, [2000] 2 R.C.S. 487, 2000 CSC 47
R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 2002 CSC 26.
Citée par la juge Arbour (dissidente)
R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381, 2000 CSC 15
R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168
Winko c. Colombie‑Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625
Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759
R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480
R. c. Morin (1995), 37 C.R. (4th) 395.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46 [mod. 1991, ch. 43], art. 16(1), 672.34, 672.38(1), 672.39, 672.4(1), 672.43, 672.51, 672.54, 672.73(1), 672.78, 672.81(1), 672.82, 683(1), 686(1)a).
Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé, L.O. 1996, ch. 2, ann. A, art. 80(9).
Loi sur les enquêtes, L.R.C. 1985, ch. I‑11, art. 4, 5.

Proposition de citation de la décision: R. c. Owen, 2003 CSC 33 (6 juin 2003)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2003-06-06;2003.csc.33 ?
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