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14/05/2004 | CANADA | N°2004_CSC_29

Canada | Banque de Nouvelle-Écosse c. Thibault, 2004 CSC 29 (14 mai 2004)


Banque de Nouvelle-Écosse c. Thibault, [2004] 1 R.C.S. 758, 2004 CSC 29

ScotiaMcLeod Inc., maintenant Scotia Capitaux inc. Appelante

c.

Banque de Nouvelle-Écosse et Guy Thibault Intimés

et

Sous‑ministre du Revenu du Québec Intervenant

Répertorié : Banque de Nouvelle-Écosse c. Thibault

Référence neutre : 2004 CSC 29.

No du greffe : 28871.

2003 : 4 novembre; 2004 : 14 mai.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Arbour, LeBel et Deschamps.

en appel de la cour d’appel du québec
>POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [2001] R.J.Q. 2099, 27 C.C.P.B. 169, [2001] J.Q. no 3815 (QL), qui a confirmé u...

Banque de Nouvelle-Écosse c. Thibault, [2004] 1 R.C.S. 758, 2004 CSC 29

ScotiaMcLeod Inc., maintenant Scotia Capitaux inc. Appelante

c.

Banque de Nouvelle-Écosse et Guy Thibault Intimés

et

Sous‑ministre du Revenu du Québec Intervenant

Répertorié : Banque de Nouvelle-Écosse c. Thibault

Référence neutre : 2004 CSC 29.

No du greffe : 28871.

2003 : 4 novembre; 2004 : 14 mai.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Arbour, LeBel et Deschamps.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [2001] R.J.Q. 2099, 27 C.C.P.B. 169, [2001] J.Q. no 3815 (QL), qui a confirmé une décision de la Cour supérieure. Pourvoi rejeté.

Marzia Frascadore et Julie‑Martine Loranger, pour l’appelante.

Argumentation écrite seulement par Henry S. Brown, c.r., pour l’intimée la Banque de Nouvelle-Écosse.

Argumentation écrite seulement de l’intimé Guy Thibault.

Danny Galarneau et Ginette Breton, pour l’intervenant.

James A. Woods et Annie Galarneau, pour l’amicus curiae.

Le jugement de la Cour a été rendu par

1 La juge Deschamps — Les fonds versés dans un régime d’épargne-retraite autogéré sont-ils insaisissables au Québec?

2 Pour la deuxième fois, la Cour est saisie de la délicate question de la saisissabilité d’un régime enregistré d’épargne-retraite (« REER ») autogéré assujetti aux lois québécoises (voir Poulin c. Serge Morency et Associés inc., [1999] 3 R.C.S. 351). L’insaisissabilité ne résulte pas de l’unique volonté des parties. La loi seule peut apporter une telle protection (art. 2645 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, et art. 553 du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25). Comme tous les REER ne sont pas semblables, la réponse à la question posée ci-dessus ne peut être que nuancée. En fait, les institutions financières s’efforcent de mettre sur le marché des outils originaux susceptibles d’attirer les épargnants. Comme l’insaisissabilité est un atout, plusieurs institutions financières tentent de qualifier ainsi les régimes qu’elles offrent, tout en permettant à leurs clients de conserver une grande marge de manœuvre. La présente affaire permet de mettre en lumière quelques-unes des règles imposées par le Code civil du Québec pour qu’un REER puisse se qualifier comme rente ou comme fiducie et ainsi être susceptible d’une déclaration d’insaisissabilité.

3 À compter de 1963, monsieur Guy Thibault économise en vue de sa retraite. Entre 1963 et 1998, il investit auprès de nombreuses institutions qui utilisent des véhicules financiers variés. En 1998, il souscrit à un régime d’épargne-retraite autogéré. Les conditions du contrat liant la Société de fiducie de la Banque de Nouvelle-Écosse (« Fiducie ») à M. Thibault sont inscrites dans un document intitulé « Déclaration de fiducie — régime d’épargne-retraite autogéré protégé Scotia » (« Régime »). Le Régime prévoit que ScotiaMcLeod Inc. (« Scotia »), l’appelante, détient les fonds à titre de mandataire de la Fiducie. Cette dernière est décrite comme fiduciaire. Le formulaire d’adhésion indique que M. Thibault est « propriétaire inscrit (rentier) ». Sa conjointe est nommée bénéficiaire révocable. Les clauses du Régime ayant trait aux cotisations et placements, aux retraits, au revenu de retraite et à l’insaisissabilité sont pertinentes à la délimitation des droits en litige et elles sont reproduites au long en annexe. Sont aussi reproduites en annexe les dispositions législatives auxquelles la présente opinion se reporte.

4 Le 5 août 1999, avant la date d’échéance du Régime, la Banque de Nouvelle-Écosse (« Banque »), créancière de M. Thibault, obtient un bref de saisie contre Scotia. La Banque soutient que les fonds détenus pour le compte de M. Thibault sont saisissables. M. Thibault demande à la Cour supérieure d’annuler la saisie.

5 La Cour supérieure rejette la demande. Selon elle, puisque le Régime autorise M. Thibault à faire des retraits, ce dernier n’a pas aliéné son capital, condition essentielle pour bénéficier de l’exception d’insaisissabilité applicable aux contrats de rente.

6 Scotia porte le jugement en appel. Avant l’audition, la Banque retire sa contestation et consent à l’appel. Scotia est aussi soutenue dans sa position par un intervenant, le Regroupement des assureurs de personnes à charte du Québec. Dans un arrêt partagé, la Cour d’appel confirme le jugement de première instance : [2001] R.J.Q. 2099. Les juges Chamberland et Fish concluent que les conditions nécessaires à la constitution d’une rente ne sont pas remplies. Le juge Chamberland discute aussi, pour l’écarter, d’un argument additionnel dont la Cour supérieure ne traite pas, soit que le Régime ne constitue pas une fiducie. En dissidence, le juge Rothman est d’avis que M. Thibault s’est départi de son capital et donc que le Régime satisfait à cette condition de constitution d’une rente. Il conclut aussi que le Régime prévoit la formation d’une fiducie. Selon lui, les créanciers de M. Thibault ne peuvent donc saisir les fonds détenus par Scotia.

7 Devant la Cour, Scotia plaide à nouveau que le Régime peut être qualifié de rente ou de fiducie, en somme, qu’il est insaisissable. Elle porte aussi à l’attention de la Cour une disposition législative adoptée peu de temps après le jugement de la Cour d’appel. Selon cette disposition, la possibilité de retirer tout ou partie du capital n’est pas un empêchement à la qualification de rente, à la condition que la rente soit constituée auprès d’une société de fiducie ou d’un assureur.

8 Comme la Banque ne conteste pas l’appel, la Cour a désigné un amicus curiae pour soutenir les conclusions du jugement de la Cour d’appel.

I. Analyse

9 En règle générale, tous les biens du patrimoine d’une personne sont le gage commun de ses créanciers (art. 2644 C.c.Q.). L’insaisissabilité est une exception qui découle de la loi (art. 2645, al. 1 C.c.Q.). Le paragraphe 12 de l’art. 553 C.p.c. énonce que les choses déclarées comme telles par quelque disposition de la loi sont insaisissables. En conséquence, la stipulation d’insaisissabilité paraissant à la clause 21 du Régime ne peut avoir d’effet qu’à l’égard de la Fiducie (art. 2645, al. 2 C.c.Q.). Cette clause énonce d’ailleurs expressément que le Régime est assujetti au Code civil du Québec et les deux arguments soulevés, la rente et la fiducie, sont régis par ce code. Ils seront tour à tour traités. J’analyserai ensuite brièvement la modification législative récente pour la situer dans le contexte des régimes de pension et des REER.

A. Le Régime se qualifie-t-il comme rente?

10 Pendant longtemps, au Québec, investir dans une police d’assurance-vie a constitué un moyen privilégié permettant à un particulier de mettre des biens à l’abri de ses créanciers au profit de sa famille. Dans Perron‑Malenfant c. Malenfant (Syndic de), [1999] 3 R.C.S. 375, par. 46-47, le juge Gonthier fait l’historique des droits attachés aux polices d’assurance-vie et fait le lien avec les objectifs de politique sociale poursuivis par le législateur. Il note que l’insaisissabilité ne s’appliquait à aucune police dont le bénéfice était retourné ou appartenait à l’assuré (par. 47). Entre 1865, date d’adoption de l’Acte pour assurer aux femmes et aux enfants le bénéfice des assurances sur la vie de leurs maris et parents, S. Prov. C. 1865, 29 Vict., ch. 17, et l’importante réforme du droit des assurances survenue en 1974 (Loi sur les assurances, L.Q. 1974, ch. 70, promulguée en 1976), la philosophie à la base des dispositions concernant l’insaisissabilité demeure pratiquement inchangée. Il s’agit d’une politique de protection des membres de la famille. Cette protection subsiste à l’art. 2457 C.c.Q. :

2457. Lorsque le bénéficiaire désigné de l’assurance est l’époux ou le conjoint uni civilement, le descendant ou l’ascendant du titulaire ou de l’adhérent, les droits conférés par le contrat sont insaisissables, tant que le bénéficiaire n’a pas touché la somme assurée.

11 Le seul cas où la désignation d’un tiers peut être à la source de la protection est un contrat comportant une désignation à titre irrévocable (art. 2458 C.c.Q.).

12 En 1974, la protection contre la saisie est étendue aux rentes viagères ou à terme pratiquées par les assureurs dans la mesure où les conditions applicables à l’assurance sont respectées (Loi sur les assurances, art. 2; art. 2393, al. 2 C.c.Q.) :

2393. . . .

Les rentes viagères ou à terme, pratiquées par les assureurs, sont assimilées à l’assurance sur la vie, mais elles demeurent aussi régies par les dispositions du chapitre De la rente. Cependant, les règles du présent chapitre sur l’insaisissabilité s’appliquent en priorité.

13 Les assureurs ne sont pas limités à assurer un risque donné en s’engageant à payer un montant forfaitaire. Ils peuvent établir des contrats de rente viagère ou à terme, et les droits conférés par ces contrats sont insaisissables si les crédirentiers sont désignés conformément aux dispositions régissant la désignation des bénéficiaires d’assurance-vie (art. 2379 et 2457 C.c.Q.). La philosophie de protection de la famille transparaît donc malgré l’assouplissement des normes régissant les contrats protégés.

14 En 1987, le législateur québécois procède à un élargissement important touchant non les personnes protégées, mais l’identité des sociétés habilitées à établir des rentes à terme susceptibles d’être insaisissables. Par la Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne, L.R.Q., ch. S‑29.01, art. 178 (auparavant L.Q. 1987, ch. 95, art. 178), le législateur déclare que les rentes à terme obtenues de sociétés de fiducie peuvent être insaisissables, aux mêmes titre et conditions que celles obtenues d’assureurs :

178. Les fonds constituant les rentes à terme fixe sont insaisissables entre les mains de la société de fiducie comme s’il s’agissait de rentes à terme fixe pratiquées par les assureurs.

15 Il est acquis au débat que la Fiducie est une société de fiducie pour l’application de l’art. 178 de la Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne. Le litige est donc centré sur la qualification de contrat de rente au sens du Code civil du Québec. Les conditions de formation de ce contrat sont énoncées à l’art. 2367 C.c.Q. :

2367. Le contrat constitutif de rente est celui par lequel une personne, le débirentier, gratuitement ou moyennant l’aliénation à son profit d’un capital, s’oblige à servir périodiquement et pendant un certain temps des redevances à une autre personne, le crédirentier.

Le capital peut être constitué d’un bien immeuble ou meuble; s’il s’agit d’une somme d’argent, il peut être payé au comptant ou par versements.

16 Pour former un contrat de rente à titre onéreux, il faut donc un débirentier, un crédirentier, une aliénation de capital, une obligation de payer et l’établissement d’un montant périodique déterminé dans le temps. Devant la Cour d’appel et devant la Cour, les parties ont principalement traité de la condition liée à l’aliénation du capital et j’insisterai sur cet argument. Je ferai cependant plus tard un commentaire sommaire concernant les autres conditions.

(1) Aliénation de capital

17 Les conditions du Régime permettent-elles de conclure que, dès son adhésion au contrat, M. Thibault a aliéné son capital au bénéfice de la Fiducie? La Cour supérieure et les juges Chamberland et Fish de la Cour d’appel ont conclu par la négative. J’estime qu’ils ont eu raison.

18 Le Régime régit les relations contractuelles de la Fiducie et de M. Thibault. Ce contrat est cependant précédé d’une demande d’adhésion qui en guide l’interprétation. La demande d’adhésion au Régime décrit M. Thibault comme le « propriétaire inscrit (rentier) ». Ce titre paraît anodin, mais à la lecture du Régime, il s’avère qu’il annonce les véritables étapes inhérentes à la structure du contrat. J’utiliserai d’ailleurs l’expression « propriétaire-rentier » pour désigner l’adhérent au Régime.

19 Le deuxième paragraphe de la clause 6 du Régime révèle la dynamique du contrat :

À la date d’échéance, le fiduciaire liquide l’actif du régime et affecte le produit, déduction faite des coûts, frais, dépenses et débours applicables, de manière que le rentier reçoive un revenu de retraite sous forme de rente à terme fixe et selon la date d’échéance établie par le rentier de la façon prévue aux présentes. Cette rente à terme fixe est versée par le fiduciaire aux taux qu’il pratique alors pour ces rentes ou, à la demande du rentier, par un assureur autorisé à verser des rentes à terme fixe au Canada. [Je souligne.]

20 Selon ce paragraphe, ce n’est qu’à la date d’échéance du Régime que le produit de liquidation de l’actif est affecté à une rente. Avant l’échéance, selon la clause 3, « la seule obligation du fiduciaire [. . .] consiste à exécuter les directives du [propriétaire-rentier] » et « conserver [. . . l]es placements ». Pendant cette première étape qui nous occupe ici, les droits du propriétaire-rentier sont quasi absolus. Selon la clause 4, il peut « demander au fiduciaire de lui verser la totalité ou toute partie de l’actif » sans que ces retraits n’emportent de conséquence sur la survie partielle ou totale du contrat ou sur les bénéfices rattachés à la rente. Le seul droit du fiduciaire est de refuser un placement, notamment s’il ne respecte pas ses exigences administratives (clause 3). À aucun endroit le Régime ne prévoit qu’avant la date d’échéance, le propriétaire-rentier se départit de la propriété ou de la valeur des fonds en faveur de la Fiducie. Non seulement la propriété des fonds n’est pas transférée, mais le propriétaire-rentier en conserve l’entière maîtrise.

21 En somme, tant que l’actif n’est pas liquidé par la Fiducie, il est traité comme un bien dont M. Thibault est propriétaire, et c’est d’ailleurs ainsi qu’il est décrit au formulaire d’adhésion. Si une rente est constituée, cette opération juridique ne peut être complétée qu’à la deuxième étape du contrat, soit après l’échéance du Régime. Ce n’est qu’à ce moment que l’actif passe sous le contrôle de la Fiducie et qu’il est affecté à un revenu de retraite.

22 L’intimé plaide que dans l’affaire In re : Les Coopérants; Firstcliff Development Inc. c. Raymond, Chabot, Fafard, Gagnon Inc., [1994] R.L. 268 (« Coopérants »), la Cour d’appel a accepté que le contrat ne perde pas son caractère de rente malgré le fait que des retraits étaient autorisés. Cet argument doit être nuancé. Dans cette affaire, il s’agissait d’une remise de la valeur de rachat de la rente mettant fin au contrat. Le droit de mettre fin au contrat équivalait à une clause résolutoire. Tel n’est pas le droit prévu par le Régime. Selon la clause 4 qui concerne les retraits, le Régime peut subsister, quoique vidé de son actif. La possibilité de retirer l’actif ne peut être ici assimilée à une résolution consensuelle de contrat comme c’était le cas pour les polices émises dans l’affaire Coopérants.

23 Scotia soutient aussi que l’évolution de la formulation de l’art. 2367 C.c.Q. permet de conclure que les retraits sont autorisés. L’article 1787 du Code civil du Bas Canada, traitant du mode de constitution de la rente, faisait expressément mention du caractère permanent de la détention par le débiteur de la rente :

1787. La constitution de rente est un contrat par lequel les parties conviennent du paiement par l’une d’elles de l’intérêt annuel sur une somme d’argent due à l’autre ou par elle comptée, pour demeurer permanemment entre les mains de la première comme un capital qui ne doit pas être demandé par la partie qui l’a fourni, excepté dans les cas ci‑après mentionnés.

Elle est assujettie quant au taux de la rente aux mêmes règles que les prêts à intérêt. [Je souligne.]

Scotia signale que l’art. 2367 C.c.Q. (cité ci-dessus au par. 15) ne comporte pas cette exigence. Elle déduit que l’omission du mot « permanemment » indique la volonté du législateur de faire place à une reprise de l’actif.

24 Cet argument ne peut être retenu. Bien que le mécanisme de constitution d’une rente n’ait pas été modifié, la formulation de l’article a été complètement revue. L’article 1787 C.c.B.C. n’utilisait pas le mot « aliénation » comme le fait l’art. 2367 C.c.Q. L’acte d’aliénation a, en droit civil, une portée précise. Cet acte incorpore la notion de permanence. Lorsque qu’un bien est aliéné, le transfert de patrimoine est définitif, permanent. Cette portée est d’ailleurs conforme au concept de droit romain (Les cinquante livres du Digeste ou des Pandectes de l’empereur Justinien, livre L, 1805, titre XVI, p. 608, par. 67) qui a fortement imprégné le droit civil français et faisait partie de la tradition juridique du Bas Canada au moment de l’adoption du Code civil du Bas Canada (J. E. C. Brierley et R. A. Macdonald, Quebec Civil Law : An Introduction to Quebec Private Law (1993), nos 9 et 130). Dans ce contexte, nul besoin d’ajouter au mot « aliénation » un adverbe qui, par surcroît, en français, est d’un usage douteux.

25 En assurance-vie, les paiements faits par le preneur sont acquis à l’assureur, à charge par ce dernier de s’acquitter du paiement convenu lors de la survenance de l’événement prévu au contrat, comme c’était le cas dans les affaires Jobin, Blais, Fortier, Touché, Ross Ltée c. Monarch Life Assurance Co., [1986] R.J.Q. 1755 (C.A.), et Coopérants, précitée. Ce n’est qu’en mettant un terme au contrat ou en contrepartie d’une réduction des avantages qui en découlent que le preneur peut, lorsqu’une stipulation le prévoit, se voir remettre une partie ou la totalité de la valeur de rachat : D. Lluelles, Précis des assurances terrestres (3e éd. 1999), p. 407 et 413. Tel n’est pas le mécanisme envisagé par le Régime et l’analogie avec l’affaire Coopérants ne peut être d’aucune utilité pour Scotia.

26 J’en conclus qu’avant la date d’échéance du Régime, période qui nous intéresse ici, le Régime ne prévoit pas la constitution d’une rente. Cette conclusion est fondée sur trois composantes. D’abord, un contrat qui réserve à l’épargnant la propriété et le contrôle de son capital ne correspond pas aux objectifs historiques de l’insaisissabilité des polices d’assurance et des rentes. La famille ne bénéficie en rien de l’actif qui est laissé à l’entière disposition de M. Thibault. Ensuite la formulation des dispositions concernant les rentes ne permet pas de conclure à une modification du droit prévalant en vertu du Code civil du Bas Canada. Enfin, l’analyse de l’ensemble des droits des parties au Régime, depuis la remise des fonds à Scotia jusqu’à leur liquidation, révèle une absence d’aliénation des fonds. Cette absence d’aliénation, jointe à la maîtrise réservée au propriétaire, fait voir que la relation ainsi établie est étrangère à celle protégée par le législateur.

(2) Autres conditions préalables à une déclaration d’insaisissabilité

27 J’ai mentionné au début de l’analyse que cinq conditions doivent être remplies pour la formation d’un contrat de rente. En raison de ma conclusion concernant l’absence d’aliénation du capital, je n’ai pas à analyser les autres conditions. Il serait cependant incorrect de conclure, comme le juge dissident à la Cour d’appel, que le contrat pourrait être qualifié de rente sans même que le Régime soit scruté à la lumière de ces autres éléments.

28 Ainsi, il n’est pas clair qu’aux termes du Régime, la Fiducie puisse être qualifiée de débirentier ou qu’elle se soit obligée à payer des redevances. Même si la réponse est affirmative, il n’est pas acquis que le montant auquel se serait engagée la Fiducie soit déterminable. De plus, pour bénéficier de la protection, et ainsi pouvoir faire annuler la saisie, encore faudrait-il que le crédirentier ait été désigné conformément aux règles du contrat d’assurance relatives aux bénéficiaires et aux titulaires subrogés (art. 2379, al. 2 C.c.Q.). Ici, M. Thibault est désigné comme crédirentier. Il n’est pas l’une des personnes visées à l’art. 2457 C.c.Q. La désignation d’un « bénéficiaire », partie étrangère au contrat de rente, peut-elle valoir comme désignation d’un titulaire subrogé et déclencher le mécanisme de protection? S’agit-il d’une exception aux règles régissant les donations à cause de mort (art. 1819 C.c.Q.)? Ces arguments n’ont pas été abordés, mais il faudrait en discuter avant de conclure à l’annulation de la saisie.

29 Tel qu’il ressort de l’analyse qui précède, même s’il y avait aliénation de capital, plusieurs autres questions devraient être décidées en faveur de l’appelante avant que l’argument fondé sur l’insaisissabilité du Régime puisse prévaloir.

B. Le Régime se qualifie-t-il comme fiducie?

30 En vertu du Code civil du Bas Canada, il était clair que, malgré l’utilisation de termes comme « fiducie » ou « fiduciaire », les REER du type de celui envisagé par le Régime ne pouvaient constituer une véritable fiducie (Cie Trust Royal c. Caisse populaire Laurier, [1989] R.J.Q. 550 (C.A.)). La fiducie du Code civil du Bas Canada ne pouvait être constituée que par donation ou par testament (art. 981a C.c.B.C.). Par le Code civil du Québec, le législateur a élargi les cas d’application. La question est donc de nouveau posée : une fiducie est-elle constituée par l’établissement d’un REER?

31 L’article 1260 C.c.Q. régit les conditions de constitution d’une fiducie :

1260. La fiducie résulte d’un acte par lequel une personne, le constituant, transfère de son patrimoine à un autre patrimoine qu’il constitue, des biens qu’il affecte à une fin particulière et qu’un fiduciaire s’oblige, par le fait de son acceptation, à détenir et à administrer.

Trois conditions sont donc nécessaires pour la constitution d’une fiducie : le transfert de biens du patrimoine d’une personne à un patrimoine d’affectation, l’affectation des biens à une fin particulière et l’acceptation par un fiduciaire. Même si certaines des conditions rejoignent celles requises pour la constitution d’une rente, il convient de les étudier dans le contexte d’une fiducie.

(1) Transfert de biens à un patrimoine d’affectation

32 La clause 3 du Régime énonce que le fiduciaire détient les cotisations. La détention n’est pas qualifiée, mais, comme noté ci-dessus, l’absence de toute clause prévoyant le transfert, combinée avec la formulation de la clause 4 traitant des retraits, permet de conclure que les biens ne sont pas transférés à un patrimoine d’affectation et ce, à tout le moins, avant la date d’échéance du Régime. En effet, comme l’actif peut être retiré en tout ou en partie jusqu’à l’échéance du Régime, il faut conclure que le propriétaire-rentier, pendant cette première étape du Régime, ne s’est pas dessaisi de son actif en faveur d’un patrimoine d’affectation.

33 Se fondant sur une comparaison des art. 1256 et 1260 C.c.Q., Scotia plaide que le transfert n’a pas à être irrévocable. Elle souligne que, pour les fondations, le législateur, à l’art. 1256 C.c.Q., a exigé l’affectation irrévocable des biens alors que, selon elle, l’art. 1260 C.c.Q. ne pose pas comme exigence que le transfert des biens à la fiducie soit irrévocable. Cet argument ne peut être retenu. D’abord, dans le cas d’une fondation, l’utilisation du verbe « affecte » à l’art. 1256 C.c.Q. nécessite une qualification puisqu’en lui-même, il n’emporte pas un dessaisissement comme c’est le cas pour le verbe « transfère » utilisé à l’art. 1260 C.c.Q. De plus, dans le cas d’une fondation, l’actif ne peut jamais être récupéré par le constituant, ce qui rend pertinente l’utilisation du mot « irrévocable ». Pour une fiducie, non seulement le constituant peut-il stipuler qu’à la fin de la fiducie, le capital lui soit retourné (art. 1281 C.c.Q.), mais il y a droit lorsqu’il n’a pas nommé de bénéficiaire (art. 1297 C.c.Q.). En conséquence, le mot « irrévocable » n’est ni nécessaire ni approprié dans le contexte d’une fiducie alors qu’il prend tout son sens dans le cas d’une fondation.

34 L’effet juridique du transfert doit être complet. Il s’agit, comme pour un contrat de rente, d’une aliénation de biens, opération juridique qui ne survient que lors de la liquidation de l’actif à la date d’échéance du Régime.

(2) Affectation à une fin particulière

35 La clause 6 du Régime mentionne bien que le fiduciaire affecte le produit de liquidation de l’actif de manière que le propriétaire-rentier reçoive un revenu de retraite. Cette affectation ne survient cependant qu’à la date d’échéance :

À la date d’échéance, le fiduciaire liquide l’actif du régime et affecte le produit, déduction faite des coûts, frais, dépenses et débours applicables, de manière que le rentier reçoive un revenu de retraite sous forme de rente à terme fixe . . .

36 Ainsi, pour la période qui nous occupe, soit avant la date d’échéance, l’actif n’est pas affecté à la rente. Il demeure à l’entière disposition du propriétaire-rentier.

(3) Acceptation par un fiduciaire

37 Selon la clause 3 du Régime, les décisions quant aux investissements sont l’apanage exclusif du propriétaire-rentier. Les seules contraintes du propriétaire-rentier sont liées à des formalités administratives. Cette même clause précise que la seule obligation de Scotia est d’exécuter les directives de placement et de conserver l’actif. Ce rôle limité diffère de celui incombant au fiduciaire en vertu du Code civil du Québec. En effet, dans une fiducie, le fiduciaire a la maîtrise et l’administration exclusive du patrimoine fiduciaire (art. 1278 C.c.Q.). Si l’acte de constitution peut délimiter le cadre d’action du fiduciaire, dès le moment de l’acceptation de la fiducie par le fiduciaire, le constituant perd la maîtrise et l’administration de l’actif. L’étendue des pouvoirs accordés à un fiduciaire ne peut être limitée au point d’en dénaturer la charge (M. Cantin Cumyn, Traité de droit civil : L’administration du bien d’autrui (2000), p. 241). L’acceptation de la fiducie dessaisit donc le constituant et charge le fiduciaire de l’administration des biens (art. 1265 C.c.Q.). La seule restriction imposée au fiduciaire est une surveillance de son administration par le constituant et le bénéficiaire (art. 1287 C.c.Q.). Le constituant ou le bénéficiaire peuvent agir comme fiduciaire, mais dans ce cas, ils doivent agir conjointement avec un tiers (art. 1275 C.c.Q.), condition qui n’est pas respectée par le Régime.

38 En somme, aux termes du Régime, les droits et responsabilités du fiduciaire et du propriétaire-rentier sont inversés par rapport à ceux prévus au Code civil du Québec pour le fiduciaire et le constituant. Le détenteur de l’actif du Régime n’a de fiduciaire que le nom.

39 L’argument voulant que le Régime constitue une fiducie semble plus dicté par des considérations d’opportunité que par un lien avec la structure du Régime ou par une recherche de cohérence juridique. En fait, l’argument fondé sur la fiducie s’intègre mal à celui de la rente plaidé à la Cour supérieure. Les deux qualifications juridiques sont incompatibles puisque, dans un contrat de rente, le débirentier est obligé personnellement au paiement alors que, dans une fiducie, le fiduciaire n’a aucune obligation personnelle envers le bénéficiaire, les redevances devant être prélevées à même l’actif de la fiducie. En conséquence, même si les deux contrats ont en commun l’exigence d’une aliénation de capital, les obligations qui en découlent sont loin d’être similaires.

40 L’argument de la fiducie constitue d’ailleurs, jusqu’à un certain point, un mirage. Le patrimoine de la fiducie ne peut être saisi pour les dettes du constituant ou du bénéficiaire parce que les biens ne leur appartiennent pas. Par contre, les droits patrimoniaux que le bénéficiaire ou le constituant détiendraient en vertu du contrat de fiducie sont saisissables comme tout droit patrimonial personnel.

41 Au surplus, prêter une oreille favorable à un élargissement de la fiducie pour inclure un contrat par lequel une partie se réserve le droit de conclure des opérations touchant l’actif constituerait, à mon avis, une erreur. En 1991, le législateur a voulu intégrer un mécanisme plus flexible que celui prévu au Code civil du Bas Canada, mais il n’a sûrement pas voulu créer un véhicule où le constituant peut à son gré utiliser l’actif du patrimoine d’affectation, allant même jusqu’à se l’approprier. La notion même de patrimoine d’affectation serait minée et n’aurait plus de raison d’être. La réforme de la fiducie de droit civil répondait à un besoin réel. Le Code civil du Québec permet maintenant d’utiliser ce mécanisme en dehors du contexte des libéralités, carcan imposé par le Code civil du Bas Canada. Le modèle de la fiducie ne peut cependant être travesti pour incorporer des contrats où le constituant conserve tous les droits sur le patrimoine. Je conclus donc que le Régime n’a pas les caractéristiques d’une fiducie.

C. La modification apportée par la Loi modifiant la Loi sur les assurances et d’autres dispositions législatives

42 Le 19 décembre 2002, après l’arrêt de la Cour d’appel, le législateur québécois a déclaré, à l’art. 187 de la Loi modifiant la Loi sur les assurances et d’autres dispositions législatives, L.Q. 2002, ch. 70, qu’une faculté de retrait partiel ou total n’empêche pas un contrat constitutif de rente d’être considéré comme tel. Cet article fut introduit sans grande consultation, selon ce que plaident les parties, lors d’une séance d’une commission parlementaire tenue deux jours avant l’adoption de la loi. L’article se lit :

187. Une faculté de retrait total ou partiel du capital stipulée dans un contrat constitutif de rente n’empêche pas celui‑ci d’être considéré comme un contrat de rente au sens de l’article 2367 du Code civil dans la mesure où la rente est constituée auprès d’une société de fiducie conformément à l’article 178 de la Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne (L.R.Q., chapitre S‑29.01) ou auprès d’un assureur.

Cet article est déclaratoire, mais il ne porte pas atteinte aux droits des parties dans les causes pendantes devant les tribunaux le 16 décembre 2002. Cependant, les assureurs et les sociétés de fiducie qui ont conclu un contrat de rente comportant une faculté de retrait total ou partiel du capital doivent indemniser le contractant, ou selon le cas, le crédirentier, le titulaire ou le bénéficiaire de ce contrat, sur demande, pour toute saisie dans une instance commencée ou terminée avant la date ci‑dessus mentionnée et effectuée sur le capital constitutif de la rente, jusqu’à concurrence des sommes saisies.

43 Conformément au deuxième alinéa, cet article n’est pas censé porter atteinte aux droits des parties à l’instance. Il ne revient donc pas à la Cour de se fonder sur cet alinéa pour déterminer les droits des parties. Cependant, comme la disposition est déclaratoire, il y a lieu de la situer dans l’ensemble des règles régissant les assurances et les rentes. Scotia a, de plus, plaidé que cette loi permet d’éliminer la discrimination entre les régimes de pension dont les employés peuvent bénéficier et les REER, seuls véhicules auxquels les travailleurs autonomes ont accès. M. Thibault a produit un mémoire dans lequel il souligne que, comme dirigeant d’une petite entreprise, il a justement cherché à investir dans un véhicule protégé. Il est donc utile de replacer l’intervention législative dans le contexte plus général du droit régissant l’insaisissabilité des régimes de retraite.

(1) La nature déclaratoire de la loi

44 Le législateur peut intervenir pour dire le droit. Lors d’une telle intervention, il ne change pas le droit. L’auteur Pierre-André Côté, Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 651, explique clairement la règle :

La Constitution ne s’oppose pas formellement à ce que le législateur exerce, à l’occasion, le pouvoir d’interpréter ses propres lois, pouvoir normalement dévolu à l’ordre judiciaire. On qualifie de déclaratoires (ou d’interprétatives, dans la tradition du droit civil) les lois ayant pour objet « de dissiper les doutes qui existent quant à la common law ou quant au sens ou à la portée d’une loi quelconque ».

(Voir Craies on Statute Law (7e éd. 1971), p. 58 (traduction).)

45 Par l’article 187, le législateur a donc précisé le droit : une faculté de retrait total ou partiel n’empêche pas un contrat de rente d’être considéré comme tel. La faculté de retrait total avait déjà fait l’objet d’un prononcé judiciaire. En effet, l’arrêt Coopérants, précité, avait déjà décidé qu’une faculté de rachat, dans le contexte de la cessation du contrat, ne changeait pas la nature du contrat de rente. Il s’agissait là d’une application de la règle régissant le contrat d’assurance-vie, pour lequel l’existence d’une faculté de rachat ne modifie pas la nature du contrat. En assurance-vie, il est admis que l’assuré peut, lorsque le contrat contient une stipulation à cet effet, mettre un terme au contrat en exerçant son droit à la valeur de rachat. Par la prise d’effet du rachat, il y a extinction des obligations de l’assureur (Lluelles, op. cit., p. 407-408). Ce que la déclaration législative précise, c’est qu’une faculté de retrait partiel n’empêche pas non plus que le contrat se qualifie comme rente. Pour demeurer cohérent avec l’état du droit et conserver la nature déclaratoire de la loi, il faut cependant situer le retrait partiel dans un contexte de modification des bénéfices. En assurance-vie, l’assuré peut aussi, lorsqu’il existe une stipulation à cet effet, obtenir une avance sur sa police, ce qui entraîne une réduction des obligations de l’assureur (Lluelles, op. cit., p. 413). La déclaration législative dissipe donc toute ambiguïté pour les retraits partiels en énonçant que les rentes bénéficient de la même flexibilité que celle autorisée pour les contrats d’assurance-vie.

46 La modification ne change pas la règle imposant l’aliénation du capital, élément central du contrat de rente qui fait défaut en l’espèce. La déclaration du législateur ne permet donc pas de modifier la conclusion de l’analyse déjà faite. Dans le cas des assurances, le capital demeure acquis à l’assureur, sous réserve de la cessation du contrat ou de la réduction des obligations de l’assureur. La même règle prévaut pour le contrat de rente.

47 Pour ce qui est de l’effet plus large de la disposition, le contexte du présent litige ne nécessite pas qu’on en analyse la formulation sibylline. Le législateur sera sûrement appelé à se pencher sur le concept même des retraits pour l’intégrer avec cohérence au mécanisme de constitution de la rente.

(2) La protection bénéficiant aux régimes de pension

48 Scotia plaide que l’art. 187 indique une volonté du législateur de protéger les nouveaux véhicules financiers mis en place par les assureurs et les sociétés de fiducie. Selon elle, tous les véhicules, qu’ils prennent la forme de régimes de retraite, d’assurance-vie ou de rente, doivent bénéficier de la même protection dans la mesure où ils visent à assurer un revenu de retraite. Pour statuer sur cet argument, un bref historique des régimes de retraite est nécessaire.

49 Tel que mentionné ci-dessus, la philosophie guidant la protection des droits découlant des polices d’assurance et, par extension législative, des rentes, qu’elles soient constituées par un assureur ou une société de fiducie, était de protéger la famille de l’assuré ou du constituant. Parallèlement à ce régime, le législateur a adopté un grand nombre de lois comportant des déclarations d’insaisissabilité pour les droits découlant des régimes de retraite des employés. La protection accordée par ces lois n’est pas limitée aux régimes dont un membre de la famille est bénéficiaire. La loi qui a la portée la plus vaste est sûrement la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, L.R.Q., ch. R‑15.1 (auparavant la Loi des régimes supplémentaires de rentes, S.Q. 1965, 13-14 Eliz. II, vol. I, ch. 25), mais plusieurs lois ponctuelles sont au même effet, telles la Loi sur le régime de retraite des enseignants, L.R.Q., ch. R‑11, art. 77, ou la Loi sur le régime de retraite des fonctionnaires, L.R.Q., ch. R‑12, art. 113, pour n’en nommer que quelques-unes. Aux termes de ces lois, l’insaisissabilité couvre les droits conférés par le régime de retraite, mais cette protection cesse lorsque le capital est intégré au patrimoine de l’employé. C’est d’ailleurs une remise de capital et son investissement dans un REER autogéré qui a donné lieu au litige sous-tendant l’arrêt Poulin, précité. La protection ne vaut donc qu’en autant que l’actif demeure immobilisé. Aucun de ces régimes ne permet à un employé actif d’utiliser les fonds comme bon lui semble pendant sa durée.

50 Pour ce qui est des assurances et des rentes, leurs règles ont été amplement discutées déjà. Aucun de ces véhicules n’autorise le preneur ou le constituant à utiliser les fonds confiés à l’assureur ou au débirentier comme le ferait un propriétaire.

51 Le législateur québécois démontre donc clairement son désir de protéger non seulement la famille, mais aussi le revenu de retraite des employés, pourvu que les éléments d’actif servant à produire ce revenu soient encadrés dans un véhicule juridique particulier, qu’il s’agisse d’une rente, d’une assurance ou d’un régime de retraite. A-t-il démontré une volonté de faire bénéficier les REER, de façon générale?

52 En 1957, à la suite de pressions de professionnels n’ayant pas accès à un régime de retraite bénéficiant d’avantages fiscaux, le gouvernement fédéral a autorisé tout contribuable à différer l’impôt sur une portion de ses revenus pour constituer un fonds de retraite (W. E. Crawford, « Taxation and Retirement Planning » (1995), 43 Rev. fisc. can. 1343, p. 1349). Par une modification à la Loi de l’impôt sur le revenu (S.C. 1957, ch. 29, par. 17(1)), le législateur fédéral a ainsi créé les premiers REER. Quinze ans plus tard, le Québec a adopté une disposition similaire (Loi sur les impôts, L.Q. 1972, ch. 23, art. 684). Les investissements autorisés dans les premiers régimes étaient limités aux assurances, aux rentes, aux certificats de dépôt et à certaines catégories d’actions. Avec les années, les règles d’investissement ont été assouplies et les REER autogérés du type de celui donnant lieu au présent litige sont devenus très populaires.

53 Le législateur québécois ne s’est cependant pas intéressé au caractère juridique des REER en droit civil. Les REER sont assujettis aux lois sur les impôts fédérale et provinciales, mais ils sont toujours régis par les règles du droit des contrats applicables au véhicule utilisé. C’est ainsi que, pour l’insaisissabilité, aucune disposition législative n’agit de façon à couvrir tous les REER. Pour déterminer la saisissabilité de l’actif, il faut se reporter à la nature juridique du véhicule dans lequel l’actif est investi.

54 Les règles initiales d’investissement des REER autorisaient et autorisent toujours l’utilisation des fonds pour l’achat d’une police d’assurance ou d’une rente et permettent en conséquence à un épargnant de se ménager une certaine protection contre les saisies. Ainsi, les travailleurs autonomes peuvent bénéficier de la protection de l’insaisissabilité et ne subissent pas de discrimination par rapport aux employés ayant accès aux régimes de pension couverts par la Loi sur les régimes complémentaires de retraite.

55 Scotia plaide tout de même que les travailleurs autonomes font l’objet d’un traitement défavorable par rapport aux employés parce que les règles régissant les régimes de retraite seraient très souples. Cet argument n’est, à mon avis, pas fondé. Les régimes de retraite assujettissent les transferts de fonds à des règles strictes pendant toute la période où un participant est actif. Ces règles ne sont pas globalement plus favorables que celles s’appliquant aux travailleurs autonomes.

56 Les régimes flexibles, du genre de celui de Scotia, sont plus attrayants pour les épargnants parce que ceux-ci continuent de pouvoir disposer à leur guise de leur actif, sous réserve des seules contraintes fiscales. Cette flexibilité, que ne partagent pas les régimes de retraite assujettis à la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, a son prix puisque l’actif détenu en vertu d’un tel régime est saisissable.

57 La déclaration législative faite en 2002 n’a pas modifié les règles sur l’insaisissabilité en général. De plus, elle ne fait pas voir que le législateur voulait transformer la protection dont bénéficient les REER. Si telle avait été sa volonté, il ne se serait pas limité à déclarer le droit applicable aux retraits partiels ou totaux de l’actif devant servir à payer une rente. Son intervention ne constitue donc qu’une autre modification ponctuelle qui se situe dans la lignée de celle par laquelle les contrats de rente établis par les sociétés de fiducie ont pu bénéficier de la même protection que ceux convenus avec les assureurs. Le champ de l’insaisissabilité demeure l’exception.

II. Conclusion

58 La nature des REER fait qu’il n’est pas possible de leur apposer une étiquette unique. Ils peuvent établir des règles qui permettent d’acheter une police d’assurance-vie ou une rente insaisissable ou même de constituer une fiducie. Pour ce faire, ils doivent cependant respecter les règles applicables à ces contrats. Dans le cas du REER Scotia, une règle élémentaire, celle de l’aliénation, n’est pas respectée et empêche la qualification comme rente ou comme fiducie. Même si l’on tient pour acquis que des retraits partiels ou totaux ne font pas obstacle à cette qualification, l’actif demeure, ici, entre les mains de celui qui reste propriétaire jusqu’à l’échéance du Régime. En l’occurrence, ce propriétaire est M. Thibault.

59 Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel sans dépens, sauf quant à l’amicus curiae dont les frais seront payés conformément à l’ordonnance prononcée lors de sa désignation.

ANNEXE

Déclaration de fiducie

Régime d’épargne-retraite autogéré protégé Scotia

3. Cotisations et placements

Le fiduciaire doit détenir en fidéicommis les cotisations du rentier ou de son conjoint, de même que le revenu de leur placement pour assurer un revenu de retraite au rentier ou effectuer un transfert prévu par l’article 11; les cotisations doivent respecter les limites minimales et maximales fixées par les lois fiscales applicables et par le fiduciaire.

Le fiduciaire doit investir l’actif du régime suivant les directives écrites ou orales du rentier; il peut toutefois, à son gré, refuser de faire tout placement pour quelque motif que ce soit, notamment si le placement en question et la documentation s’y rapportant ne sont pas conformes à ses exigences administratives, lesquelles peuvent être modifiées en tout temps. Le rentier a le droit de mandater un fondé de pouvoir compétent, convenant au fiduciaire, pour donner ces directives; en se conformant aux directives de ce fondé de pouvoir, le fiduciaire est dégagé de toute responsabilité envers le rentier, sauf s’il a été informé par écrit que la personne en cause n’est pas ou n’est plus le fondé de pouvoir du rentier et s’il a accusé réception de cet avis. Le rentier doit fournir tous les documents que le fiduciaire, à son gré, estime nécessaires à l’égard de tout placement ou projet de placement. Toute somme en espèces faisant partie de l’actif du régime et déposée entre les mains du fiduciaire doit, dans l’attente de son placement, être déposée dans un compte distinct et porter intérêt aux conditions et aux taux que fixe le fiduciaire. Jusqu’à l’échéance du régime prévue aux présentes, la seule obligation du fiduciaire à l’égard des placements du régime consiste à :

(i) exécuter les directives du rentier concernant le placement de ses cotisations ou de celles de son conjoint, ainsi que du produit de la vente de ces placements et du revenu qui en est tiré; et

(ii) conserver la propriété légale et la possession des placements faisant partie de l’actif du régime ou, à son gré, les détenir au porteur, au nom d’un mandataire ou à tout autre nom.

Sans nullement restreindre la portée générale de ce qui précède, le rentier est entièrement responsable de choisir les placements du régime, de vérifier s’ils constituent ou demeurent des placements admissibles ou des biens étrangers au sens des lois fiscales applicables et de décider si le fiduciaire devrait acquérir, vendre ou conserver un placement quelconque dans le cadre du régime. Le fiduciaire ne saurait être tenu responsable envers le rentier si :

(i) de tels placements entraînent la perception d’impôts supplémentaires ou l’imposition de pénalités en vertu des lois fiscales applicables; ou si

(ii) de tels placements entraînent une perte de quelque nature que ce soit pour le régime,

peu importe que le fiduciaire ait ou non communiqué au rentier l’information en sa possession ou son opinion au sujet de tels placements.

4. Retraits

Le rentier peut, avec l’autorisation expresse d’un bénéficiaire irrévocable, le cas échéant, et par directives écrites données avant la constitution d’un revenu de retraite aux termes de l’article 6, demander au fiduciaire de lui verser la totalité ou toute partie de l’actif du régime, déduction faite des retenues fiscales et autres charges. Un tel versement ne peut en aucun cas excéder la valeur du régime immédiatement avant la date du versement.

. . .

6. Revenu de retraite

Sous réserve de l’article 11, il appartient au rentier d’informer le fiduciaire, par préavis écrit d’au moins quatre-ving-dix (90) jours ou dans tout délai plus bref que le fiduciaire peut à son gré autoriser, de la date d’échéance du régime et du premier versement de son revenu de retraite (date qui ne doit pas être postérieure au dernier jour de l’année où le rentier atteint l’âge de 71 ans) et de lui transmettre tous les documents requis.

À la date d’échéance, le fiduciaire liquide l’actif du régime et affecte le produit, déduction faite des coûts, frais, dépenses et débours applicables, de manière que le rentier reçoive un revenu de retraite sous forme de rente à terme fixe et selon la date d’échéance établie par le rentier de la façon prévue aux présentes. Cette rente à terme fixe est versée par le fiduciaire aux taux qu’il pratique alors pour ces rentes ou, à la demande du rentier, par un assureur autorisé à verser des rentes à terme fixe au Canada.

Par préavis écrit de quatre-vingt-dix (90) jours adressé au fiduciaire et sous réserve des lois fiscales applicables, le rentier peut déterminer la forme et la date d’échéance de la rente à terme fixe. Malgré toute disposition contraire aux présentes, si le fiduciaire n’a reçu aucun avis écrit au premier novembre de l’année au cours de laquelle le rentier atteint l’âge de 71 ans, la date d’échéance est réputée être le premier jour de décembre de l’année en cause et le rentier est réputé avoir choisi une rente à terme fixe dont la forme et la date d’échéance sont établies par le fiduciaire, à son seul gré.

La rente à terme fixe est versée en montants périodiques égaux au moins une fois l’an, jusqu’à l’expiration.

Dans le cas du décès du rentier après le premier versement de la rente à terme fixe, le bénéficiaire a droit à une prestation d’un montant égal à la valeur convertie de la rente à terme fixe, déduction faite des coûts, des frais et, le cas échéant, des retenues fiscales applicables; cette prestation lui est payable en un versement forfaitaire sur présentation des documents que demande raisonnablement le fiduciaire.

. . .

21. Insaisissabilité

Sous réserve du présent article 21, l’actif du régime est insaisissable.

Les autres lois et code énumérés ci-dessous, entre autres, ont préséance sur l’insaisissabilité prévue au présent article 21 :

(a) les lois fiscales applicables;

(b) le Code civil du Québec;

(c) les lois portant sur l’égalité économique des conjoints et toute autre loi provinciale semblable;

(d) les lois fédérales régissant la faillite ou l’insolvabilité.

On recommande d’obtenir l’avis d’un conseiller fiscal ou juridique à cet égard.

Le rentier croit savoir que toute désignation d’héritiers ou toute autre disposition de son testament qui est incompatible avec la désignation de bénéficiaire aux termes du régime et avec les dispositions du présent régime pourrait invalider la protection prévue aux présentes. On recommande au rentier de consulter un conseiller juridique à cet égard.

Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64

1256. La fondation résulte d’un acte par lequel une personne affecte, d’une façon irrévocable, tout ou partie de ses biens à une fin d’utilité sociale ayant un caractère durable.

La fondation ne peut avoir pour objet essentiel la réalisation d’un bénéfice ni l’exploitation d’une entreprise.

1260. La fiducie résulte d’un acte par lequel une personne, le constituant, transfère de son patrimoine à un autre patrimoine qu’il constitue, des biens qu’il affecte à une fin particulière et qu’un fiduciaire s’oblige, par le fait de son acceptation, à détenir et à administrer.

1275. Le constituant ou le bénéficiaire peut être fiduciaire, mais il doit agir conjointement avec un fiduciaire qui n’est ni constituant ni bénéficiaire.

1278. Le fiduciaire a la maîtrise et l’administration exclusive du patrimoine fiduciaire et les titres relatifs aux biens qui le composent sont établis à son nom; il exerce tous les droits afférents au patrimoine et peut prendre toute mesure propre à en assurer l’affectation.

. . .

1287. L’administration de la fiducie est soumise à la surveillance du constituant ou de ses héritiers, s’il est décédé, et du bénéficiaire, même éventuel.

En outre, dans les cas prévus par la loi, l’administration des fiducies d’utilité privée ou sociale est soumise, suivant leur objet et leur fin, à la surveillance des personnes et organismes désignés par la loi.

1297. Le fiduciaire doit, au terme de la fiducie, remettre les biens à ceux qui y ont droit.

À défaut de bénéficiaire, les biens qui restent au terme de la fiducie sont dévolus au constituant ou à ses héritiers.

1819. La donation à cause de mort est nulle, à moins qu’elle ne soit faite par contrat de mariage ou d’union civile ou qu’elle ne puisse valoir comme legs.

2367. Le contrat constitutif de rente est celui par lequel une personne, le débirentier, gratuitement ou moyennant l’aliénation à son profit d’un capital, s’oblige à servir périodiquement et pendant un certain temps des redevances à une autre personne, le crédirentier.

Le capital peut être constitué d’un bien immeuble ou meuble; s’il s’agit d’une somme d’argent, il peut être payé au comptant ou par versements.

2379. La désignation ou la révocation d’un crédirentier autre que la personne qui a fourni le capital de la rente, est régie par les règles de la stipulation pour autrui.

Toutefois, la désignation ou la révocation d’un crédirentier, au titre de rentes pratiquées par les assureurs ou dans le cadre d’un régime de retraite, est régie par les règles du contrat d’assurance relatives aux bénéficiaires et aux titulaires subrogés, compte tenu des adaptations nécessaires.

2393. L’assurance sur la vie garantit le paiement de la somme convenue, au décès de l’assuré; elle peut aussi garantir le paiement de cette somme du vivant de l’assuré, que celui-ci soit encore en vie à une époque déterminée ou qu’un événement touchant son existence arrive.

Les rentes viagères ou à terme, pratiquées par les assureurs, sont assimilées à l’assurance sur la vie, mais elles demeurent aussi régies par les dispositions du chapitre De la rente. Cependant, les règles du présent chapitre sur l’insaisissabilité s’appliquent en priorité.

2457. Lorsque le bénéficiaire désigné de l’assurance est l’époux ou le conjoint uni civilement, le descendant ou l’ascendant du titulaire ou de l’adhérent, les droits conférés par le contrat sont insaisissables, tant que le bénéficiaire n’a pas touché la somme assurée.

2644. Les biens du débiteur sont affectés à l’exécution de ses obligations et constituent le gage commun de ses créanciers.

2645. Quiconque est obligé personnellement est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens meubles et immeubles, présents et à venir, à l’exception de ceux qui sont insaisissables et de ceux qui font l’objet d’une division de patrimoine permise par la loi.

Toutefois, le débiteur peut convenir avec son créancier qu’il ne sera tenu de remplir son engagement que sur les biens qu’ils désignent.

Code civil du Bas Canada

1787. La constitution de rente est un contrat par lequel les parties conviennent du paiement par l’une d’elles de l’intérêt annuel sur une somme d’argent due à l’autre ou par elle comptée, pour demeurer permanemment entre les mains de la première comme un capital qui ne doit pas être demandé par la partie qui l’a fourni, excepté dans les cas ci‑après mentionnés.

. . .

Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25

553. Sont insaisissables :

1. Les vases sacrés et autres objets servant au culte religieux;

2. Les papiers et portraits de famille, les médailles et autres décorations;

3. Les biens donnés ou légués sous condition d’insaisissabilité; néanmoins, ces biens peuvent être saisis à la poursuite des créanciers postérieurs à la donation ou à l’ouverture du legs, avec la permission du juge et pour la portion qu’il détermine;

4. Les aliments accordés en justice, de même que les sommes données ou léguées à titre d’aliments, encore que le titre qui les a constituées ne les ait pas déclarées insaisissables;

5. Les livres de compte, titres de créance et autres documents en la possession du débiteur, à l’exception de ceux énumérés à l’article 570;

6. Le casuel et les honoraires dus aux ecclésiastiques et ministres du culte en raison de leurs services comme tels; et les revenus des titres cléricaux;

7. Les prestations accordées au titre d’un régime complémentaire de retraite auquel cotise un employeur pour le compte de ses employés, les autres sommes déclarées insaisissables par une loi régissant ces régimes ainsi que les cotisations qui sont ou doivent être versées à ces régimes;

8. Les prestations périodiques d’invalidité au titre d’un contrat d’assurance contre la maladie ou les accidents;

9. Le remboursement pour frais engagés au titre d’un contrat contre la maladie ou les accidents;

9.1. Les biens d’une personne qui lui sont nécessaires pour pallier un handicap;

10. (Paragraphe abrogé);

11. Les traitements, salaires et gages bruts, pour les 7/10 de ce qui excède une première portion, elle‑même insaisissable :

a) de 180 $ par semaine, plus 30 $ par semaine pour chaque personne à charge, à compter de la troisième, si le débiteur pourvoit aux besoins de son conjoint, s’il a charge d’enfant ou s’il est le principal soutien d’un parent; ou

b) de 120 $ par semaine, dans les autres cas.

Est considérée comme le conjoint de fait du débiteur, à condition que le débiteur ne soit pas lié par un mariage ou une union civile, la personne, de sexe différent ou de même sexe, avec laquelle il vit maritalement depuis trois ans ou depuis un an si un enfant est issu de leur union.

Dans le calcul des traitements, salaires et gages, il doit être tenu compte de toutes prestations, en argent, en nature ou en service, consenties en contrepartie des services rendus en vertu d’un contrat de travail, de service, d’entreprise ou de mandat, à l’exception :

a) des contributions de l’employeur à quelque fonds de pension, d’assurance, ou de quelque service de sécurité sociale;

b) de la valeur de la nourriture et du logement fournis ou payés par l’employeur à l’occasion de déplacements effectués au cours de l’exécution des fonctions;

c) des laissez‑passer donnés par une entreprise de transport à ses employés;

11.1. 50 % des sommes payables conformément à la Loi d’aide à l’exécution des ordonnances et des ententes familiales (Lois révisées du Canada (1985), chapitre 4, 2e supplément);

12. Toutes choses déclarées telles par quelque disposition de la loi.

Néanmoins, malgré toute disposition contraire d’une loi générale ou spéciale, les revenus mentionnés aux paragraphes 4, 6, 8 et 11, ainsi que les sommes mentionnées au paragraphe 7 ne sont insaisissables, s’il s’agit de l’exécution du partage entre époux ou conjoints unis civilement du patrimoine familial ou du paiement d’une dette alimentaire ou d’une prestation compensatoire, qu’à concurrence de 50 %.

Loi modifiant la Loi sur les assurances et d’autres dispositions législatives, L.Q. 2002, ch. 70

187. Une faculté de retrait total ou partiel du capital stipulée dans un contrat constitutif de rente n’empêche pas celui‑ci d’être considéré comme un contrat de rente au sens de l’article 2367 du Code civil dans la mesure où la rente est constituée auprès d’une société de fiducie conformément à l’article 178 de la Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne (L.R.Q., chapitre S‑29.01) ou auprès d’un assureur.

Cet article est déclaratoire, mais il ne porte pas atteinte aux droits des parties dans les causes pendantes devant les tribunaux le 16 décembre 2002. Cependant, les assureurs et les sociétés de fiducie qui ont conclu un contrat de rente comportant une faculté de retrait total ou partiel du capital doivent indemniser le contractant, ou selon le cas, le crédirentier, le titulaire ou le bénéficiaire de ce contrat, sur demande, pour toute saisie dans une instance commencée ou terminée avant la date ci‑dessus mentionnée et effectuée sur le capital constitutif de la rente, jusqu’à concurrence des sommes saisies.

Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne, L.R.Q., ch. S-29.01

178. Les fonds constituant les rentes à terme fixe sont insaisissables entre les mains de la société de fiducie comme s’il s’agissait de rentes à terme fixe pratiquées par les assureurs.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l’appelante : Gowling Lafleur Henderson, Montréal.

Procureur de l’intimée la Banque de Nouvelle-Écosse : Scotiabank, Montréal.

Procureurs de l’intervenant : Veillette & Associés, Sainte‑Foy.

Procureurs nommés par la Cour en qualité d’amicus curiae : Woods & Partners, Montréal.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit des biens - Rente - Fiducie - Régimes enregistrés d’épargne-retraite - Insaisissabilité - Droit de retrait - Aliénation de capital - Le régime enregistré d’épargne-retraite autogéré se qualifie-t-il comme une rente ou une fiducie? - Les fonds qui y sont versés sont-ils insaisissables? - Quelles sont les règles imposées par le Code civil pour qu’un régime enregistré d’épargne-retraite puisse se qualifier comme rente ou comme fiducie et ainsi être susceptible d’insaisissabilité?.

Procédure civile - Saisie - Régime enregistré d’épargne-retraite autogéré - Les fonds versés dans un régime d’épargne-retraite autogéré sont-ils insaisissables?.

Législation - Interprétation - Loi déclaratoire - Contrat constitutif de rente - Quel est l’effet de la disposition déclarant qu’une faculté de retrait partiel ou total n’empêche pas un contrat constitutif de rente d’être considéré comme tel? - Loi modifiant la Loi sur les assurances et d’autres dispositions législatives, L.Q. 2002, ch. 70, art. 187.

Le propriétaire-rentier souscrit à un régime d’épargne-retraite autogéré dont les conditions sont inscrites dans un document désigné comme une déclaration de fiducie comportant une stipulation d’insaisissabilité. À l’échéance du régime, le produit de liquidation de l’actif sera affecté à une rente. Entre-temps, la seule obligation du fiduciaire consiste à exécuter les directives du propriétaire-rentier et à conserver les placements. Avant la date d’échéance du régime, la banque créancière du propriétaire-rentier obtient un bref de saisie des fonds détenus par l’appelante pour le compte du propriétaire-rentier. Le propriétaire-rentier présente une demande d’annulation de la saisie, que la Cour supérieure rejette, statuant qu’il ne bénéficie pas de l’exception d’insaisissabilité applicable aux contrats de rente. La Cour d’appel confirme ce jugement.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

En règle générale, tous les biens du patrimoine d’une personne sont le gage commun de ses créanciers. L’insaisissabilité est une exception qui découle de la loi et ne résulte pas de l’unique volonté des parties. La stipulation d’insaisissabilité figurant dans la déclaration de fiducie ne peut donc avoir d’effet, en soi, qu’à l’égard du fiduciaire.

La nature des régimes d’épargne-retraite fait qu’il n’est pas possible de leur apposer une étiquette unique. Ils peuvent établir des règles qui permettent d’acheter une police d’assurance-vie ou une rente insaisissable ou même de constituer une fiducie. Pour ce faire, ils doivent cependant respecter les règles applicables à ces contrats. En l’espèce, avant sa date d’échéance, le régime ne peut être qualifié de contrat de rente au sens du Code civil du Québec, vu l’absence d’aliénation de fonds, un élément central du contrat de rente. Les droits du propriétaire-rentier étant quasi absolus avant l’échéance du régime, non seulement la propriété des fonds n’a pas été transférée, mais le propriétaire-rentier en conserve l’entière maîtrise. Un contrat qui réserve à l’épargnant la propriété et le contrôle de son capital ne correspond pas non plus à la philosophie de protection de la famille qui est historiquement à la base de l’insaisissabilité des polices d’assurance et des rentes. Enfin, la disposition du Code civil du Bas Canada traitant du mode de constitution d’une rente imposait la règle de l’aliénation du capital. Bien que reformulées, les dispositions du Code civil du Québec concernant les rentes n’ont pas modifié le mécanisme de constitution d’une rente. Même s’il y avait aliénation de capital, les autres conditions de formation d’un contrat de rente devraient être remplies préalablement à une déclaration d’insaisissabilité.

Le régime en cause n’a pas non plus les caractéristiques d’une fiducie. Comme l’actif peut être retiré en tout ou en partie avant l’échéance et demeure à l’entière disposition du propriétaire-rentier, celui-ci ne s’est pas dessaisi de son actif en faveur d’un patrimoine d’affectation et l’actif n’est pas, avant l’échéance du régime, affecté à une fin particulière, c’est-à-dire à la rente. De plus, les décisions quant aux investissements sont l’apanage du propriétaire-rentier, alors que, dans une fiducie, le fiduciaire a la maîtrise et l’administration exclusive du patrimoine fiduciaire. Les droits et responsabilités du fiduciaire et du propriétaire‑rentier sont inversés par rapport à ceux prévus au Code civil du Québec pour le fiduciaire et le constituant.

Dans la Loi modifiant la Loi sur les assurances et d’autres dispositions législatives, le législateur québécois a déclaré qu’une faculté de retrait total ou partiel n’empêche pas un contrat constitutif de rente d’être considéré comme tel. Bien que cette modification ne porte pas atteinte aux droits des parties en l’espèce, puisque cet article ne s’applique pas aux causes pendantes devant les tribunaux le 16 décembre 2002, il y a lieu de préciser qu’elle ne change pas la règle imposant l’aliénation du capital. Elle n’indique pas non plus une volonté du législateur de protéger les nouveaux véhicules financiers mis en place par les assureurs et les sociétés de fiducie. Les régimes d’épargne-retraite sont assujettis aux lois sur les impôts fédérale et provinciales, mais ils sont toujours régis par les règles du droit des contrats applicables au véhicule utilisé. Pour déterminer la saisissabilité de l’actif, il faut se reporter à la nature juridique du véhicule dans lequel il est investi.


Parties
Demandeurs : Banque de Nouvelle-Écosse
Défendeurs : Thibault

Références :

Jurisprudence
Distinction d’avec l’arrêt : In re : Les Coopérants
Firstcliff Development Inc. c. Raymond, Chabot, Fafard, Gagnon Inc., [1994] R.L. 268
arrêts mentionnés : Poulin c. Serge Morency et Associés inc., [1999] 3 R.C.S. 351
Perron-Malenfant c. Malenfant (Syndic de), [1999] 3 R.C.S. 375
Jobin, Blais, Fortier, Touché, Ross Ltée c. Monarch Life Assurance Co., [1986] R.J.Q. 1755
Cie Trust Royal c. Caisse populaire Laurier, [1989] R.J.Q. 550.
Lois et règlements cités
Acte pour assurer aux femmes et aux enfants le bénéfice des assurances sur la vie de leurs maris et parents, S. Prov. C. 1865, 29 Vict., ch. 17.
Code civil du Bas Canada, art. 1787.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 1256, 1260, 1265, 1275, 1278, 1281, 1287, 1297, 1819, 2367, 2379, 2393, 2457, 2458, 2644, 2645.
Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, art. 553.
Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1957, ch. 29, art. 17(1).
Loi modifiant la Loi sur les assurances et d’autres dispositions législatives, L.Q. 2002, ch. 70, art. 187.
Loi sur le régime de retraite des enseignants, L.R.Q., ch. R-11, art. 77.
Loi sur le régime de retraite des fonctionnaires, L.R.Q., ch. R-12, art. 113.
Loi sur les assurances, L.Q. 1974, ch. 70, art. 2.
Loi sur les impôts, L.Q. 1972, ch. 23, art. 684.
Loi sur les régimes complémentaires de retraite, L.R.Q., ch. R-15.1 [auparavant Loi des régimes supplémentaires de rentes, S.Q. 1965, 13-14 Eliz. II, vol. I, ch. 25].
Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne, L.R.Q., ch. S-29.01, art. 178 [auparavant L.Q. 1987, ch. 95, art. 178].
Doctrine citée
Brierley, John E. C., and Roderick A. Macdonald. Quebec Civil Law : An Introduction to Quebec Private Law. Toronto : Emond Montgomery, 1993.
Cantin Cumyn, Madeleine. Traité de droit civil : L’administration du bien d’autrui, sous la direction de Paul-A. Crépeau. Cowansville, Qué. : 2000.
Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 3e éd. Montréal : Thémis, 1999.
Craies, William Feilden. Craies on Statute Law, 7th ed. by S. G. G. Edgar. London : Sweet and Maxwell, 1971.
Crawford, William E. « Taxation and Retirement Planning » (1995), 43 Rev. fisc. can. 1343.
Digesta. Les cinquante livres du Digeste ou des Pandectes de l’empereur Justinien, livre L, titre XVI. Metz : Behmer et Lamort, 1805.
Lluelles, Didier. Précis des assurances terrestres, 3e éd. Montréal : Thémis, 1999.

Proposition de citation de la décision: Banque de Nouvelle-Écosse c. Thibault, 2004 CSC 29 (14 mai 2004)


Origine de la décision
Date de la décision : 14/05/2004
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2004 CSC 29 ?
Numéro d'affaire : 28871
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2004-05-14;2004.csc.29 ?
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