La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/06/2004 | CANADA | N°2004_CSC_37

Canada | Banque nationale de Paris (Canada) c. 165836 Canada Inc., 2004 CSC 37 (10 juin 2004)


Banque nationale de Paris (Canada) c. 165836 Canada Inc., [2004] 2 R.C.S. 45, 2004 CSC 37

Vera Ortner Mandel Appelante

c.

Banque nationale de Paris (Canada) Intimée

Répertorié : Banque nationale de Paris (Canada) c. 165836 Canada Inc.

Référence neutre : 2004 CSC 37.

No du greffe : 29523.

2004 : 11 février; 2004 : 10 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel, Deschamps et Fish.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québ

ec, [2002] J.Q. no 4749 (QL), SOQUIJ AZ-50148538, J.E. 2002-1933, qui a accueilli en partie un jugement de la Cour supéri...

Banque nationale de Paris (Canada) c. 165836 Canada Inc., [2004] 2 R.C.S. 45, 2004 CSC 37

Vera Ortner Mandel Appelante

c.

Banque nationale de Paris (Canada) Intimée

Répertorié : Banque nationale de Paris (Canada) c. 165836 Canada Inc.

Référence neutre : 2004 CSC 37.

No du greffe : 29523.

2004 : 11 février; 2004 : 10 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel, Deschamps et Fish.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [2002] J.Q. no 4749 (QL), SOQUIJ AZ-50148538, J.E. 2002-1933, qui a accueilli en partie un jugement de la Cour supérieure, [1996] A.Q. no 4010 (QL). Pourvoi accueilli, les juges Bastarache et Deschamps sont dissidents en partie.

Jérôme Choquette, c.r., et Jean-Stéphane Kourie, pour l’appelante.

Philippe H. Bélanger et Philippe Levasseur, pour l’intimée.

Le jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, Arbour, LeBel et Fish a été rendu par

Le juge Fish —

I. Introduction

1 La Cour d’appel a condamné l’appelante à verser à l’intimée environ 90 000 $, à titre d’intérêts, aux termes d’une transaction dont l’intimée a toujours nié l’existence. L’intimée, dûment convoquée pour ce faire, a en outre refusé de recevoir du notaire désigné à cette fin l’entière somme dont l’appelante lui était redevable en vertu de la transaction.

2 L’intimée n’a jamais réclamé les intérêts en litige, ni au procès ni en appel.

3 Selon ma collègue la juge Deschamps, il ne s’agirait que d’une simple « lacune » procédurale aux termes de l’art. 292 du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25. Cette disposition permet de combler avec l’autorisation du tribunal, en tout temps avant jugement, « quelque lacune dans la preuve ou dans la procédure ».

4 Avec égards, il n’est guère question en l’espèce d’une telle « lacune ». Au contraire, l’intimée reconnaît en cette Cour qu’elle n’a jamais réclamé les intérêts contestés du fait qu’une telle réclamation aurait été manifestement incompatible avec l’assise juridique de son recours.

5 En effet, l’intimée nie, dès le départ, par son recours l’existence même de la transaction. Elle soutient plutôt que l’appelante n’a pas rempli toutes les conditions requises à l’intérieur du délai de rigueur stipulé dans l’offre de règlement. Le premier juge lui donne tort à ce sujet. Selon le juge, les parties ont de fait volontairement et validement transigé. L’entente qui en résulte détermine donc leurs droits et obligations réciproques en l’espèce.

6 En appel, l’intimée répudie à nouveau la transaction. À l’instar du premier juge, la Cour d’appel, à l’unanimité, reconnaît l’existence de la transaction et en confirme la validité.

7 Ma collègue la juge Deschamps écrit, au par. 90 de ses motifs, que l’intimée aurait « en vertu de la transaction, qui seule régit les obligations substantielles des parties en vertu du jugement de la Cour supérieure confirmé par la Cour d’appel, [. . .] réduit sa réclamation de 180 594,21 $ avec intérêts au taux contractuel depuis le 31 janvier 1992 à un montant de 125 000 $ plus des frais de 6 500 $ ».

8 Avec égards, je ne partage pas cette manière de voir. Au contraire, tel que je viens de le mentionner, l’intimée a toujours nié l’existence même de la transaction, tant en première instance qu’en appel. Ce n’est que longtemps après avoir échoué à cet égard, devant les deux instances, que l’intimée a, faute de choix, reconnu l’existence et la validité de la transaction dans le seul but d’en réclamer le bénéfice — tardivement, selon moi.

9 Dans ces circonstances, pour les raisons que je résume ici, j’estime que les intérêts n’ont simplement jamais commencé à courir contre l’appelante.

10 D’abord, la transaction est silencieuse au sujet des intérêts. Aussi, elle ne contient aucune stipulation selon laquelle la seule arrivée du terme aura pour effet de constituer l’appelante en demeure. Ensuite, la demande en justice de l’intimée devant les instances inférieures ne comporte aucune conclusion portant sur la transaction et encore moins sur les intérêts afférents aux montants dus en vertu de la transaction. Enfin, l’intimée n’a jamais mis l’appelante en demeure, au regard de la transaction, par avis extrajudiciaire.

11 L’appelante n’a donc jamais été en demeure, ni aux termes de la transaction ni par l’effet de la loi, et n’a jamais été mise en demeure, ni par l’action de l’intimée ni par avis extrajudiciaire.

12 Cela suffit pour me convaincre que l’intimée n’a pas droit aux intérêts en l’espèce.

13 Mais ce n’est pas tout. L’intimée savait, ou aurait dû savoir, qu’en refusant d’exécuter ses obligations en vertu de la transaction, elle rendait impossible pour l’appelante d’exécuter les siennes. En particulier, l’intimée savait, ou aurait dû savoir, que son refus de s’exécuter rendait impossible pour l’appelante, dans la mesure où cela serait nécessaire advenant un litige, de procéder à la consignation des sommes visées par la transaction.

14 L’appelante propose, à bon droit selon moi, qu’il serait dans ces circonstances exorbitant — et contraire aux principes reconnus en la matière — d’accorder les intérêts en cause à l’intimée. Aussi, il me paraît contraire à l’esprit de l’art. 7 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (« C.c.Q. »), de permettre à l’intimée de tirer ainsi profit de son refus persistant et injustifié de se conformer en temps utile à la transaction conclue par les parties.

15 J’accueillerais par conséquent le pourvoi, avec dépens dans toutes les cours, afin de supprimer dans le jugement de la Cour d’appel l’ordonnance portant sur les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’art. 1619 C.c.Q.

II. Origine du litige

16 Le 28 septembre 1994, les parties, par l’entremise de leurs avocats, discutent d’une entente de règlement hors cour. Le jour même, l’intimée refuse l’offre de règlement proposée par l’appelante et, le 13 octobre, répond par une contre-offre. Le mercredi 19 octobre, l’intimée fait parvenir à l’appelante une confirmation de l’entente. Par cette transaction, les parties entendent régler les conséquences du cautionnement accordé par l’appelante et d’une hypothèque de 235 000 $ garantissant les dettes de deux sociétés ainsi que celles du mari de l’appelante, Robert Mandel, à l’égard de l’intimée.

17 L’offre de règlement fixe au vendredi 21 octobre à 17 h le délai pour verser les sommes de 10 000 $ en acompte et de 6 500 $ à titre de frais, et au jeudi 27 octobre au plus tard le paiement du solde de 115 000 $.

18 Essentiellement, l’offre de règlement comporte trois conditions : (1) la confirmation par la Banque de Montréal d’une offre de refinancement octroyant à l’appelante un prêt hypothécaire additionnel de 115 000 $; (2) la confirmation que l’acte hypothécaire serait signé devant le notaire désigné par la Banque de Montréal au plus tard le mardi 25 octobre 1994 à midi; et (3) l’engagement écrit du mari de l’appelante à intervenir à l’acte hypothécaire notarié.

19 L’offre de règlement prévoit comme délai de rigueur le jeudi 20 octobre à 17 h pour l’acceptation par l’appelante.

20 Advenant que l’une des trois conditions ne soit pas respectée dans les délais impartis, l’offre de règlement devient nulle et non avenue et l’argent transmis par l’appelante à l’intimée lui sera intégralement remis. Le procureur de l’appelante ne dispose donc que du jeudi 20 octobre pour faire parvenir au procureur de l’intimée les documents requis.

21 L’appelante doit négocier une hypothèque auprès de la Banque de Montréal afin non seulement d’acquitter le capital et les frais prévus à la transaction en cause, mais aussi d’obtenir les fonds nécessaires pour acquitter une première hypothèque de 100 000 $ grevant le domicile conjugal en faveur d’une autre banque. Pour sa part, l’intimée s’engage à donner mainlevée de l’hypothèque grevant l’immeuble de l’appelante et à la radier, moyennant la somme de 115 000 $, produit du refinancement hypothécaire octroyé par la Banque de Montréal.

22 Le jeudi 20 octobre 1994, le procureur de l’appelante a en main la confirmation du refinancement accordé par la Banque de Montréal et copie de l’engagement du mari de l’appelante à intervenir à l’acte notarié de prêt hypothécaire.

23 Lors d’une conversation avec le procureur de l’appelante, le procureur de l’intimée convient de prolonger jusqu’au lendemain matin le délai pour recevoir ces documents. Dans l’avant-midi du 21 octobre, le procureur de l’appelante obtient de la Banque de Montréal le nom du notaire qu’elle désigne pour recevoir les actes hypothécaires et communique avec ce dernier pour s’enquérir de ses disponibilités. Toutefois, en contravention de ses engagements, le procureur de l’intimée envoie une télécopie au procureur de l’appelante le même jour vers midi, retirant l’offre de transaction sous prétexte que le règlement n’est pas intervenu en temps utile, à savoir avant le 20 octobre à 17 h.

24 Une heure plus tard, le procureur de l’appelante fait parvenir au procureur de l’intimée les sommes de 10 000 $ et 6 500 $, l’approbation par la Banque de Montréal d’un prêt hypothécaire de 225 000 $, la copie de l’engagement du mari de l’appelante à intervenir à l’acte ainsi que les détails des dispositions entreprises auprès du notaire désigné par la Banque de Montréal pour recevoir les actes hypothécaires.

25 Durant l’après-midi, le procureur de l’intimée retourne les traites bancaires reçues au cours des heures précédentes.

26 Toute la journée du 21 octobre, le procureur de l’appelante tente en vain de communiquer avec le procureur de l’intimée. Celui-ci refuse tout appel téléphonique et enjoint son assistante d’intercepter tout message relatif au dossier de l’appelante.

27 Le lundi 24 octobre 1994, à l’ouverture du procès, l’appelante dépose une défense amendée et demande reconventionnelle dans laquelle elle allègue l’existence d’une transaction intervenue le 19 octobre précédent et le refus de l’intimée d’honorer ses engagements.

28 Le lendemain avant-midi, le notaire désigné par la Banque de Montréal avise l’intimée par écrit qu’il détient la somme de 225 000 $ et qu’il est prêt à recevoir l’appelante et son mari tôt en après-midi pour la signature des actes de prêts hypothécaires et de radiation de l’hypothèque de l’intimée.

29 L’intimée ne se présente pas chez le notaire.

III. Historique judiciaire

A. Cour supérieure, [1996] A.Q. no 4010 (QL)

30 L’intimée poursuit solidairement cinq défendeurs à des titres et pour des montants différents.

31 Devant la Cour supérieure, deux sociétés sont poursuivies pour le remboursement de leurs soldes d’opérations bancaires ou de marges de crédit. Deux particuliers, Robert Mandel et Gabriel Segal, sont poursuivis à titre de cautions personnelles des deux sociétés.

32 Pour sa part, l’appelante est poursuivie sur le cautionnement hypothécaire grevant le domicile conjugal dont elle est propriétaire, et qu’elle avait consenti en garantie des obligations contractées par les deux sociétés et par son mari, Robert Mandel.

33 Le juge du procès déclare les sociétés et les deux cautions débitrices solidaires des montants exigibles.

34 Par contre, il déclare valide la transaction entre l’intimée et l’appelante et ordonne à l’intimée de recevoir le paiement prévu à l’entente, soit une somme de 125 000 $ en capital et une autre de 6 500 $ en frais.

35 Le juge décrit en ces termes, aux par. 31, 33 et 35, la situation juridique des parties :

Le soussigné préfère interpréter l’offre de règlement en sa globalité et considère que les événements du vendredi 21 octobre ont été provoqués par le procureur de [l’intimée]. En effet, la preuve révèle qu’il avait accepté tard en fin de journée du 20 octobre que le dépôt des documents requis pour 17 h puisse se faire régulièrement en l’avant-midi du 21 octobre. Le responsable au contentieux de [l’intimée] et son procureur au dossier ont une conversation en avant-midi de ce 21 octobre et pour une raison complètement inexpliquée, décident de considérer leur offre du 19 octobre comme nulle et non avenue.

. . .

Il apparaît au soussigné que l’offre d’entente de règlement hors Cour a dûment été acceptée par [l’appelante] et que sa non-réalisation ne relève que d’une malencontreuse décision unilatérale de [l’intimée] et de son procureur. Dès le 21 octobre, ils avaient entre les mains les deniers nécessaires pour un montant de 16 500 $. Ils avaient également l’acceptation de la Banque de Montréal quant à un prêt de 225 000 $. Ils avaient le consentement de l’époux défendeur Mandel à intervenir à l’acte de prêt et l’acte de radiation de garantie hypothécaire. Ils connaissaient même l’identité du notaire représentant la Banque de Montréal lorsque surviennent brutalement les deux lettres émanant du procureur de [l’intimée]. La preuve a également révélé qu’après la conversation de 11 h 30 le vendredi 21 octobre, le procureur de [l’intimée] a interdit auprès de sa secrétaire toute communication provenant de la partie adverse. Le tribunal trouve cavalière la façon de traiter les relations entre confrères à un moment aussi crucial et névralgique, à la toute veille d’une audition de quatre jours et demi.

. . .

La cause étant prévue pour quatre jours et demi, la réalisation de toutes et chacune des conditions se précisait dans le délai imparti en la confirmation de l’entente de règlement. En conséquence, le tribunal conclut à ce qu’il y a eu véritablement transaction entre [l’intimée] et [l’appelante] Vera (Ortner) Mandel, le tout selon les termes retenus en la confirmation d’entente de règlement hors Cour proposée le 19 octobre 1994.

B. Cour d’appel, [2002] J.Q. no 4749 (QL)

36 La Cour d’appel confirme la validité de la transaction. En outre, sans que cette conclusion ne lui soit demandée, la cour ordonne à l’appelante de verser à l’intimée des intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle sur les sommes de 125 000 $ et 6 500 $, en raison du défaut de l’appelante d’avoir consigné les versements dus en vertu de la transaction.

IV. Les questions en litige

37 Le présent pourvoi ne porte pas sur les montants prévus à la transaction, soit 125 000 $ en capital et 6 500 $ à titre de frais. N’est en cause que l’ordonnance de la Cour d’appel enjoignant à l’appelante de payer les intérêts et l’indemnité additionnelle, qui s’élèvent à plus de 90 000 $.

V. Analyse

38 La convention qui visait à régler de façon définitive le différend entre les parties est une transaction au sens de l’art. 2631 C.c.Q. Celle-ci a opéré novation de leurs obligations respectives antérieures. Leurs droits et leurs obligations sont désormais régis par le contenu de cette transaction.

39 Le premier juge a conclu que l’appelante avait rempli les conditions d’acceptation de la transaction en temps opportun et qu’il y avait transaction valide. Cette conclusion a été confirmée en appel et n’est pas contestée devant cette Cour.

40 Seule demeure la question de savoir si l’appelante était tenue de consigner les sommes d’argent qu’elle devait à l’intimée pour être libérée du paiement des intérêts.

41 L’intimée prétend que le défaut de consignation de l’appelante lui est fatal. Aux termes de l’art. 1586 C.c.Q., soutient l’intimée, seule la consignation libère du paiement des intérêts. C’est donc à bon droit, toujours selon l’intimée, que la Cour d’appel a conclu que l’appelante était redevable du paiement des intérêts et de l’indemnité additionnelle et ce, à compter du 25 octobre 1994.

42 Avec égards, je ne suis pas de cet avis.

43 Les intérêts sont généralement calculés à compter de la date de la demeure du débiteur : voir l’art. 1617 C.c.Q. Force m’est de constater que les intérêts n’ont jamais commencé à courir contre l’appelante puisque celle-ci n’a été, en aucune façon et en aucun temps, constituée en demeure par l’intimée de payer les montants prévus à la transaction. De plus, l’appelante n’était pas autrement en demeure aux termes de la transaction : voir l’art. 1594 C.c.Q.

44 Dans l’affaire Beauregard c. Sœurs de la charité de Sainte-Marie, [1995] A.Q. no 440 (QL) (C.A.), les parties avaient conclu une transaction en vertu de laquelle les intimées s’engageaient à verser aux appelants trois millions de dollars en contrepartie de leur signature à des documents. Le premier juge déclara la transaction valide sans toutefois accorder aux appelants les intérêts sur la somme due au motif que la séance de clôture de la transaction avait échoué par la faute conjointe des deux parties.

45 La Cour d’appel jugea que les appelants ne pouvaient avoir droit aux intérêts, n’ayant jamais constitué en demeure les intimées de leur verser les sommes dues en vertu de la transaction. Se fondant sur l’art. 1077 du Code civil du Bas Canada, l’équivalent de l’art. 1617 C.c.Q., le juge Tyndale s’exprima en ces termes au nom de la cour (par. 20-21) :

[traduction] Je vais maintenant examiner l’appel formé par les Beauregard. Ils attaquent seulement la partie du jugement qui leur a refusé les intérêts et les dépens.

S’ils désiraient un jugement susceptible d’exécution immédiate et leur accordant les intérêts et les dépens, non seulement auraient-ils dû exécuter leur propre obligation de signer les documents requis, mais ils auraient dû s’en acquitter en signant et en remettant les documents en question. Étant donné que, à la date du jugement, ils n’avaient toujours pas signé ces documents, les Sœurs ne manquaient pas encore légalement à leur obligation. Il s’agissait là d’une raison valable de refuser d’accorder les intérêts (art. 1077 C.c.B.C.), ainsi que les dépens.

46 En l’espèce, pour que le paiement des intérêts commence à courir à compter du 25 octobre 1994, il aurait fallu que le contrat l’indique clairement. De plus, la transaction est muette quant au paiement des intérêts; elle ne contient aucune stipulation selon laquelle le seul écoulement du temps pour l’exécution des obligations aura pour effet de constituer l’appelante en demeure : voir l’art. 1594, al. 1 C.c.Q.

47 La seule arrivée du terme n’a pas, comme c’était le cas en matière commerciale sous l’art. 1069 du Code civil du Bas Canada, l’effet de constituer le débiteur en demeure; voir J. Pineau, D. Burman et S. Gaudet, Théorie des obligations (4e éd. 2001), p. 734-735.

48 Je ne peux non plus considérer que l’appelante aurait été constituée en demeure par l’institution de la demande en justice de l’intimée; en effet, le recours intenté par cette dernière était fondé sur la dénégation de l’existence même de la transaction. Ceci étant, l’intimée n’a jamais envoyé de demande extrajudiciaire à l’appelante l’enjoignant de lui verser le montant convenu. L’appelante n’a donc jamais été mise en demeure.

49 Aussi, on ne pourrait prétendre que l’appelante était en demeure par le seul effet de la loi, aux termes de l’art. 1597 C.c.Q., du fait qu’elle n’avait pas respecté ses obligations prévues dans la transaction.

50 Au contraire, c’est plutôt l’intimée qui était en demeure de plein droit de recevoir paiement, ayant clairement exprimé à l’appelante son intention de décliner les offres de paiement que l’appelante pourrait lui faire : voir l’art. 1580 C.c.Q.

51 L’appelante, je le réitère, n’a en aucun temps et d’aucune façon été constituée en demeure au regard de la transaction. Selon moi, elle n’était donc nullement tenue à la consignation des sommes dues pour être libérée du paiement des intérêts, le cours des intérêts n’ayant jamais été déclenché.

52 Même si j’en étais venu à la conclusion contraire quant à la demeure de l’appelante, j’aurais tout de même conclu que l’intimée n’a pas droit aux intérêts en l’espèce pour les motifs que j’expose ici.

53 Je suis d’avis que la question de la consignation est inextricablement liée à l’exécution de la transaction compte tenu des circonstances que j’ai déjà relatées.

54 Le législateur a édicté aux art. 1573 à 1589 C.c.Q. les mécanismes des offres réelles et de la consignation. Selon l’art. 1573 C.c.Q., ce régime est applicable lorsque le créancier refuse ou néglige de recevoir paiement.

55 L’article 1580 dispose en partie :

1580. Le créancier est en demeure de plein droit de recevoir le paiement lorsqu’il refuse sans justification les offres réelles valablement faites, lorsqu’il refuse de donner suite à l’avis qui en tient lieu ou, encore, lorsqu’il exprime clairement son intention de refuser les offres que le débiteur pourrait vouloir lui faire; en ce dernier cas, le débiteur est dispensé de lui faire des offres ou de lui donner l’avis qui en tient lieu. [Je souligne.]

56 L’appelante était dispensée en vertu de l’art. 1580 C.c.Q. de faire des offres réelles à l’intimée en raison de l’intention manifestée par cette dernière de refuser les offres que pourrait vouloir lui faire l’appelante. Ce refus fut exprimé par l’intimée lorsqu’elle retira unilatéralement son offre de règlement en contravention de ses engagements et avant l’expiration du délai prorogé.

57 Bien qu’elle n’y ait pas été tenue, l’appelante a tout de même fait des offres réelles partielles à l’intimée en lui faisant parvenir les montants de 10 000 $ et 6 500 $ le 21 octobre 1994, lesquels lui ont été retournés le même jour. Devant ce refus, l’appelante était a fortiori dispensée d’offrir de payer le solde de 115 000 $, exigible au plus tard le 27 octobre 1994.

58 Son attitude se justifiait d’autant plus que l’intimée n’a jamais donné suite à l’avis qu’elle a reçu le 25 octobre 1994 du notaire désigné par la Banque de Montréal, selon lequel il détenait la somme de 225 000 $ et qu’il était prêt à recevoir l’appelante et son mari pour la signature de l’acte de prêt hypothécaire consenti à l’appelante par la Banque de Montréal.

59 Bien qu’elle ait été disposée à verser les sommes dues à l’intimée aux dates fixées pour l’exécution de la transaction, l’appelante n’a cependant jamais consigné ces sommes.

60 L’intimée ne peut invoquer cette absence de consignation pour réclamer les intérêts sur des sommes dues en vertu d’une obligation dont elle a rendu l’exécution impossible en raison de son refus arrêté de reconnaître l’existence de la transaction. L’intimée, selon moi, essaie tout simplement de profiter d’une omission procédurale de la part de l’appelante qu’elle a elle-même provoquée, alors que l’appelante n’était pas tenue de consigner les sommes en raison des circonstances de l’espèce.

61 En effet, en retirant son offre de transaction et en répudiant du même souffle son engagement à radier l’hypothèque que l’appelante lui avait consentie, l’intimée rendait illusoire pour l’appelante la possibilité d’obtenir un prêt hypothécaire sur le même immeuble auprès de la Banque de Montréal.

62 L’appelante n’aurait donc pu consigner la somme représentant le produit du refinancement hypothécaire accordé par la Banque de Montréal même si elle l’avait souhaité, puisque la conduite de l’intimée l’empêchait d’avoir accès à ces deniers.

63 Il est vrai que l’appelante, n’ayant pu faire l’emprunt, a été dispensée de payer à la Banque de Montréal les intérêts y prévus. Par contre, rien au dossier n’indique que l’appelante aurait eu à supporter ces intérêts sur une période de dix ans, comme le jugement de la Cour d’appel l’a ordonné.

64 L’intimée a fait un choix éclairé en décidant de poursuivre l’appelante sur le cautionnement hypothécaire original. Elle a refusé sans justification aucune de reconnaître la validité de la transaction et d’y donner suite. À mon avis, l’intimée ne pouvait nier l’existence même de cette transaction et de son effet novatoire, poursuivre en vertu du contrat original et ensuite réclamer devant cette Cour les accessoires découlant du contrat novateur déclaré valide par les instances inférieures.

65 C’est donc l’intimée, je le répète, qui doit en subir les conséquences et non pas l’appelante, qui s’est comportée correctement du début à la fin.

66 D’ailleurs, tout en reconnaissant l’importance des offres et de la consignation, dans le contexte d’actions en passation de titre cette fois, la Cour d’appel du Québec a jugé à maintes reprises qu’il fallait éviter de tomber « dans un formalisme désuet et injustifié » : voir Bettan c. 146207 Canada Inc., [1993] R.D.J. 489, p. 495; voir aussi Bray c. Houlachi, [1997] A.Q. no 3657 (QL); Bhandari c. 129440 Canada Inc., [1989] R.D.I. 729; et Gelber c. 128613 Canada Inc., [1988] R.D.J. 267.

67 Enfin, tel que je l’ai mentionné au début, il me paraît contraire à l’esprit de l’art. 7 C.c.Q. et aux principes applicables en la matière d’accorder les intérêts à l’intimée. C’est à bon droit que le premier juge a qualifié de « cavalier » le comportement des représentants de l’intimée dans cette affaire. Le retrait intempestif par l’intimée de son offre de règlement, conjugué à sa répudiation de la transaction et à la prévisibilité des conséquences pour les deux parties, rendent excessive et déraisonnable sa réclamation des intérêts litigieux.

68 Aussi, l’intimée étant seule responsable de l’inexécution de la transaction, je suis d’avis qu’elle n’a aucunement droit aux intérêts sur les sommes dues. En plus d’être excessif, les lui accorder équivaudrait à nier le caractère synallagmatique des engagements pris par les parties et dont l’existence ne fait aucun doute.

69 Le droit des obligations en vertu du Code civil du Québec, je tiens à le souligner, constitue un ensemble législatif complexe obéissant à des principes généraux dont certains sont connus dans l’ensemble du Code civil. Les règles relatives aux offres et consignations ne constituent que des modalités régissant certaines formes de paiement. Elles se situent dans ce cadre d’ensemble du droit des obligations et ne sauraient être interprétées et appliquées en dehors des principes de base de celui-ci, notamment au mépris du caractère synallagmatique des obligations imposées aux parties et des exigences de la bonne foi qui constituent un principe général clairement reconnu et sanctionné expressément par les dispositions introductives du Code civil.

70 Avec égards, j’estime que la position prise par ma collègue met de côté les exigences du caractère corrélatif des obligations dans un contrat synallagmatique. Rappelons à ce sujet que la tentative de dernière minute de l’intimée devant notre Cour de se rabattre sur la transaction constitue tout au plus un remords tardif à l’égard de son rejet d’une entente dont elle a toujours nié l’existence et dont son comportement a de façon directe empêché l’exécution dans le présent dossier.

71 À mon avis, l’intimée ne peut donc réclamer les intérêts sur les sommes dues par l’appelante en vertu de la transaction.

72 J’en viens à la même conclusion en ce qui concerne l’indemnité additionnelle.

VI. Conclusion

73 Pour tous ces motifs, j’accueillerais le pourvoi avec dépens dans toutes les cours et radierais les conclusions de la Cour d’appel selon lesquelles l’appelante doit verser à l’intimée les intérêts et l’indemnité additionnelle sur les sommes de 125 000 $ en capital et 6 500 $ en frais prévues à la transaction.

Les motifs des juges Bastarache et Deschamps ont été rendus par

74 La juge Deschamps (dissidente en partie) — Le pourvoi porte sur le pouvoir de la Cour d’appel d’ordonner le paiement d’un intérêt au taux légal et de l’indemnité additionnelle dans un cas où la Cour supérieure n’en avait point prévu. L’affaire paraît singulière, mais elle permet à la Cour de cerner l’effet d’une demande en justice sur l’obligation de payer l’intérêt et l’indemnité additionnelle.

75 J’ai pris connaissance des motifs de mon collègue le juge Fish. Avec égards, je ne peux que m’en dissocier. Le cheminement qu’il suit tient plus de la recherche d’une faute et de la quête d’une intention malveillante que d’une analyse des conséquences juridiques des actes de procédure tels que formulés par les parties. D’une part, l’issue qu’il propose laisse entier un des problèmes mis à jour par la Cour d’appel; notre Cour aurait ainsi moins de devoirs que la Cour supérieure ou la Cour d’appel en ce qui a trait à la sauvegarde des droits des parties. D’autre part, la solution n’est pas respectueuse du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (« C.c.Q. »); au Québec, dès la demande en justice, les intérêts peuvent être ordonnés par le juge.

76 L’intimée, la Banque nationale de Paris (Canada) (« Banque ») poursuit l’appelante, Mme Vera Ortner Mandel, sur la base d’un cautionnement hypothécaire. Mme Mandel dépose une défense amendée et demande reconventionnelle dans laquelle elle plaide que le cautionnement est nul. Le document déposé comporte cependant des conclusions que Mme Mandel qualifie de subsidiaires, par lesquelles elle demande à la Cour supérieure de prendre acte d’une transaction, d’ordonner aux parties de s’y conformer et de l’homologuer :

subsidiairement, si la cour venait à la conclusion que la garantie du 11 septembre 1990 et l’acte d’hypothèque (exhibits p-3 et p-4) étaient valides :

prendre acte de l’entente de transaction, laquelle a force exécutoire et a entre les parties l’autorité de la chose jugée;

ordonner aux parties de se conformer à l’entente de transaction;

homologuer la transaction intervenue entre les parties;

77 La Cour supérieure conclut à l’existence de la transaction mais ne prononce aucune conclusion contre Mme Mandel : [1996] A.Q. no 4010 (QL). Les deux conclusions du jugement de la Cour supérieure qui traitent de la transaction sont formulées comme suit (par. 36) :

déclare valide la transaction intervenue entre la demanderesse et la défenderesse Vera (Ortner) Mandel les 19 et 20 octobre 1994;

ordonne à la demanderesse de recevoir comme libératoires de toutes obligations, les sommes prévues à la transaction des 19 et 20 octobre 1994 et de signer tout document exigible pour la radiation de garantie collatérale grevant l’immeuble de la défenderesse Vera (Ortner) Mandel portant les numéros civiques 6020-6030 de l’avenue Wilderton Crescent à Montréal, et ce, au plus tard le 31 janvier 1997;

78 La Banque se pourvoit devant la Cour d’appel et demande d’infirmer la conclusion relative à la transaction. Elle invoque de nouveau le cautionnement hypothécaire. Elle réitère ses conclusions réelles et personnelles contre Mme Mandel demandant une condamnation pour un montant de 180 594,21 $ avec intérêt au taux préférentiel plus 1,75 pour 100 depuis le 31 janvier 1992. Mme Mandel produit un appel incident demandant d’annuler son cautionnement hypothécaire et reformule une demande relative à la transaction. Deux conclusions du document valent d’être reproduites car elles font directement appel à la créativité de la Cour d’appel :

rejeter l’action de la demanderesse-appelante, Banque Nationale de Paris (Canada), contre la défenderesse-intimée, Vera (Ortner) Mandel, pour le motif que la transaction est devenue inexécutoire ou inexécutable; à moins que la Cour d’appel n’ordonne son exécution forcée, et détermine un nouveau délai d’exécution, et ordonne à la demanderesse-appelante de recevoir comme libératoires de toutes obligations, les sommes prévues à la transaction des 19 et 20 octobre 1994, et de signer tous documents exigibles pour la radiation de la garantie collatérale grevant l’immeuble de la défenderesse-intimée, Vera (Ortner) Mandel, portant les numéros civique[s] 6020-6030 de l’avenue Wilderton Crescent à Montréal; et

à défaut par la demanderesse-appelante, Banque Nationale de Paris (Canada) d’obtempérer au délai et à ses obligations telles que déterminées par la Cour d’appel, que le jugement rendu constitue une quittance et radiation de toutes les obligations de la défenderesse-intimée envers la Banque Nationale de Paris (Canada);

79 La Cour d’appel confirme les conclusions de fait de la Cour supérieure quant à la validité du cautionnement et à l’existence de la transaction : [2002] J.Q. no 4749 (QL). Elle constate cependant le caractère inexécutoire des conclusions du jugement et les reformule.

80 Pour déterminer les droits respectifs des parties, il est d’abord nécessaire de revoir les dispositions du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25 (« C.p.c. »), concernant les pouvoirs et devoirs de la Cour d’appel face au caractère inexécutoire des conclusions du jugement de la Cour supérieure. Il y a ensuite lieu d’appliquer les dispositions du Code civil du Québec portant sur les offres et la consignation. J’analyserai aussi l’effet des conclusions des actes de procédure sur l’obligation de payer l’intérêt puis traiterai de la conclusion relative à l’indemnité additionnelle. Toutes les dispositions législatives utiles pour la bonne compréhension du litige sont reproduites en annexe aux fins de référence.

I. Pouvoirs de la Cour d’appel

81 Lorsque le jugement de la Cour d’appel a été prononcé, cette dernière pouvait, en vertu de l’art. 523 C.p.c. tel qu’il était alors rédigé, rendre toutes ordonnances propres à sauvegarder les droits des parties. Ce pouvoir est intégré à l’art. 46 C.p.c. depuis l’adoption de la Loi portant réforme du Code de procédure civile, L.Q. 2002, ch. 7, art. 7. Ce pouvoir était directement mis en jeu puisque, tel que mentionné ci-dessus, d’une part, les conclusions du jugement de la Cour supérieure n’étaient pas exécutoires et, d’autre part, deux des conclusions de l’appel incident faisaient appel au pouvoir discrétionnaire de la Cour d’appel.

82 Par son jugement, la Cour d’appel devait corriger une lacune dans la rédaction du jugement. Le pouvoir d’une cour d’intervenir dans de telles circonstances est formulé en termes de devoir. En effet, l’art. 292 C.p.c. impose au juge de la Cour supérieure d’intervenir pour signaler aux parties les lacunes de leurs procédures (Gatineau (Ville) c. Raymond, [1996] A.Q. no 951 (QL) (C.A.), et Girard c. Gariépy, [1975] C.A. 706). La Cour d’appel devait aussi redresser d’elle-même les impropriétés de termes dans les conclusions pour leur donner leur véritable qualification (art. 468 C.p.c.) et s’assurer que le jugement soit susceptible d’exécution (art. 469 C.p.c.). Comme les conclusions de l’appel incident n’étaient pas elles-mêmes exécutoires, la Cour d’appel devait les reformuler.

83 En somme, face à la lacune évidente que constituait l’absence de conclusion contre Mme Mandel, la Cour d’appel n’avait d’autre choix que de se montrer créative. La seule question qui se pose est donc de déterminer si elle a outrepassé ses pouvoirs.

II. L’effet des dispositions du Code civil du Québec sur les offres et la consignation

84 La Banque avait réclamé les intérêts contractuels sur la créance initiale, mais n’avait pas formulé de conclusion en relation avec la transaction. Ce n’est, en effet, que par la conclusion « subsidiaire » de Mme Mandel que la transaction a fait l’objet de la demande soumise à la Cour supérieure. Selon la transaction, Mme Mandel devait payer 125 000 $ plus des frais de 6 500 $ en date du 25 octobre 1994. En formulant une ordonnance contre Mme Mandel de payer selon les termes de la transaction, la Cour d’appel pouvait s’interroger sur l’effet du temps écoulé et par conséquent sur la nécessité de pourvoir au paiement d’un intérêt.

85 Elle y a pourvu en se fondant sur les dispositions du Code civil du Québec, et plus particulièrement son art. 1586. Un paragraphe du jugement motive sa conclusion (par. 8) :

Devant le refus évident de l’appelante de donner suite à la transaction, l’intimée Vera (Ortner) Mandel n’a pas consigné les argents qu’elle lui devait en vertu de l’offre de règlement de celle‑ci. En conséquence, l’intimée Vera (Ortner) Mandel doit payer les intérêts sur cette somme (art. 1586 C.c.Q.) à compter de la date prévue par la transaction, soit le 25 octobre 1994.

À mon avis, la Cour d’appel a eu raison de conclure ainsi.

86 En raison de la transaction, Mme Mandel était obligée de payer les montants dus, et ce en date du 25 octobre 1994. Dans sa défense amendée et demande reconventionnelle, Mme Mandel demandait elle-même à la Cour supérieure de lui ordonner de se conformer à la transaction. Il s’agissait là ni plus ni moins d’une offre par laquelle Mme Mandel se déclarait prête à payer les montants prévus à la transaction, offre qui était refusée par la Banque qui niait l’existence de la transaction. Cette offre est régie par les art. 1573 à 1589 C.c.Q. De façon plus spécifique, l’art. 1573 C.c.Q. prévoit ce qui suit :

1573. Lorsque le créancier refuse ou néglige de recevoir le paiement, le débiteur peut lui faire des offres réelles.

Ces offres consistent à mettre à la disposition du créancier le bien qui est dû, aux temps et lieu où le paiement doit être fait. Elles doivent comprendre, outre le bien dû et les intérêts ou arrérages qu’il a produits, une somme raisonnable destinée à couvrir les frais non liquidés dus par le débiteur, sauf à les parfaire.

87 Mme Mandel n’a pas consigné le montant prévu à la transaction. Si elle l’avait fait, elle aurait bénéficié de la conséquence prévue explicitement à l’art. 1586 C.c.Q. :

1586. La consignation faite dans les conditions prévues aux articles précédents libère le débiteur du paiement des intérêts ou des revenus produits pour l’avenir.

88 Mme Mandel plaide cependant qu’en raison du refus de la Banque de donner suite à la transaction, elle n’a pu emprunter d’une autre institution, la Banque de Montréal, les sommes nécessaires pour l’exécution de la transaction. Selon l’art. 1591 C.c.Q., elle serait libérée de son obligation de consigner.

89 Cet argument, à mon avis, ne peut être retenu, et ce pour trois raisons.

90 Premièrement, en vertu de la transaction, qui seule régit les obligations substantielles des parties en vertu du jugement de la Cour supérieure confirmé par la Cour d’appel, la Banque réduit sa réclamation de 180 594,21 $ avec intérêts au taux contractuel depuis le 31 janvier 1992 à un montant de 125 000 $ plus des frais de 6 500 $. De son côté, Mme Mandel renonce à sa contestation concernant la validité de son cautionnement et s’engage à payer le 25 octobre 1994. Les autres engagements, tels la signature de la déclaration de règlement et la remise de la quittance, ne sont que des éléments de mise en œuvre de la transaction. Les obligations corrélatives sont donc, d’une part la réduction de la réclamation et, d’autre part, la renonciation à la contestation. L’article 1591 C.c.Q. ne permet donc pas à Mme Mandel de retarder le paiement puisqu’en vertu de la transaction, la Banque a satisfait à son obligation en ayant réduit la réclamation.

91 Deuxièmement, je vois difficilement comment le fait de ne pas avoir pu emprunter à un tiers à qui Mme Mandel aurait dû payer des intérêts, et qu’elle n’a pas payés, peut justifier de ne pas payer des intérêts à la Banque. En effet, les montants sont dus par Mme Mandel, selon sa propre prétention, depuis le 25 octobre 1994. Peu devrait lui importer à qui elle paie des intérêts. En fait, elle jouit du montant depuis 1994. Comme elle ne paie pas d’intérêt au tiers, rien ne s’oppose à ce qu’elle les paie à la Banque. Elle ne peut invoquer cet argument qui s’apparente à l’enrichissement sans cause. En fait, c’est plutôt Mme Mandel qui s’enrichit aux dépens de la Banque. Mon collègue le juge Fish, dans ses motifs, fait allusion à des intérêts de 90 000 $ que Mme Mandel n’aurait peut-être pas payés à la Banque de Montréal. Il importe de signaler que ce montant n’a fait l’objet d’aucune preuve. De plus, ce montant semble inclure l’indemnité additionnelle qui, au cours de la période pertinente, a varié entre 7 et 12 pour 100 alors que l’intérêt légal est de 5 pour 100. Au surplus, dans le contexte de la présente affaire, il me paraît bien spéculatif de prétendre que Mme Mandel n’aurait pas payé les intérêts à la Banque de Montréal.

92 Troisièmement, l’exception d’inexécution n’a d’incidence sur le paiement des intérêts, dans le contexte des offres et consignation, que dans la mesure prévue à l’art. 1587 C.c.Q. qui en traite spécifiquement. Cet article prévoit que lorsqu’un débiteur se prévaut de la consignation pour obtenir d’un créancier l’exécution d’une obligation corrélative, il bénéficie des intérêts :

1587. Les intérêts ou revenus produits pendant la consignation appartiennent au créancier. Néanmoins, ils appartiennent au débiteur jusqu’à ce que la consignation soit acceptée par le créancier, lorsque la consignation est faite afin d’obtenir l’exécution d’une obligation de ce dernier, elle-même corrélative à celle qu’entend exécuter le débiteur par la consignation.

La deuxième phrase de cet article traite du cas où le créancier détient un bien qui constitue la contrepartie du montant offert par le débiteur. Cette disposition permet au débiteur de bénéficier des intérêts pendant que le créancier conserve la jouissance du bien (Commentaires du ministre de la Justice (1993), t. 1, p. 977; J. Pineau, D. Burman et S. Gaudet, Théorie des obligations (4e éd. 2001), § 332). Ce cas ne trouve pas application lorsque le créancier a déjà exécuté son obligation corrélative, comme c’est le cas pour la Banque qui a réduit sa réclamation aux termes de la transaction. Tel que mentionné ci-dessus, la signature d’une déclaration hors cour et la remise de la quittance sont des mécanismes de mise en œuvre de la transaction et ne peuvent être qualifiés d’obligations corrélatives. Au surplus, la Banque ne détient, ici, aucun bien dont elle conserve la jouissance et qui justifiait Mme Mandel de conserver les intérêts. C’est plutôt Mme Mandel qui conserve le bien.

93 La consignation n’est pas obligatoire. Le défaut de Mme Mandel de consigner ne la prive d’aucun moyen de défense ni d’aucun argument en faveur de la reconnaissance de la transaction. Le mécanisme qui est prévu aux dispositions du Code civil du Québec concernant la consignation n’est utile que pour déterminer à qui les intérêts sont attribués.

94 J’estime que la Cour d’appel était justifiée d’avoir recours à ce mécanisme et d’attribuer les intérêts à la Banque en raison du défaut de Mme Mandel de consigner le montant dû. Par ailleurs, la conclusion suggérée par mon collègue le juge Fish a pour effet d’ordonner à Mme Mandel de payer le montant dû en date du 25 octobre 1994, mais ne pourvoit pas à l’effet du délai écoulé depuis. En cela, j’estime qu’il omet de tenir compte des devoirs imposés aux tribunaux en vertu du Code de procédure civile.

III. L’effet des actes de procédure sur l’obligation de payer les intérêts

95 Pour la Cour d’appel, dès le moment où une cour est saisie d’une demande comportant une condamnation pécuniaire, des intérêts peuvent être ordonnés. Si la demande est fondée sur un contrat qui ne prévoit pas d’intérêt, le juge peut établir l’intérêt au taux légal. C’est l’effet de l’art. 1617 C.c.Q. :

1617. Les dommages-intérêts résultant du retard dans l’exécution d’une obligation de payer une somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux convenu ou, à défaut de toute convention, au taux légal.

Le créancier y a droit à compter de la demeure sans être tenu de prouver qu’il a subi un préjudice.

Le créancier peut, cependant, stipuler qu’il aura droit à des dommages-intérêts additionnels, à condition de les justifier. [Je souligne.]

96 Comme la transaction ne comportait pas de taux d’intérêt convenu, la Cour d’appel pouvait ordonner le paiement d’intérêts au taux légal.

97 Ni la Cour supérieure ni la Cour d’appel n’ont relevé l’absence de mise en demeure : avec raison, selon moi. Cet argument a été soulevé par notre Cour, lors de l’audition seulement. Comme mon collègue en traite dans ses motifs, je crois utile d’analyser cet argument, ne serait-ce que pour mettre en lumière la confusion de deux notions, celle de la demeure et celle de la mise en demeure par un avis extrajudiciaire. Comme le signalent les auteurs J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, il importe « d’éviter les imbroglios juridiques qu’une confusion terminologique pourrait créer » (Les obligations (5e éd. 1998), § 674).

98 Le but de la demeure est de constater formellement le défaut ou le retard du débiteur à payer (Baudouin et Jobin, op. cit., § 676). La demeure est régie par les art. 1594 à 1600 C.c.Q. Selon l’art. 1594 :

1594. Le débiteur peut être constitué en demeure d’exécuter l’obligation par les termes mêmes du contrat, lorsqu’il y est stipulé que le seul écoulement du temps pour l’exécuter aura cet effet.

Il peut être aussi constitué en demeure par la demande extrajudiciaire que lui adresse son créancier d’exécuter l’obligation, par la demande en justice formée contre lui ou, encore, par le seul effet de la loi. [Je souligne.]

99 La demeure peut donc prendre quatre formes : le contrat, la demande extrajudiciaire (mise en demeure), l’interpellation judiciaire ou la loi. Selon l’article 1617 C.c.Q., c’est la demeure, et non la mise en demeure, ou demande extrajudiciaire, qui permet de déterminer la date à compter de laquelle l’intérêt peut être calculé.

100 L’article 1594 C.c.Q. permet de fixer la date ultime à laquelle le débiteur est en demeure. Lorsqu’un créancier n’a pas formellement mis son débiteur en demeure par un avis extrajudiciaire ou lorsque la loi ou le contrat n’y pourvoient pas, la date d’introduction de la demande en justice peut situer la date à compter de laquelle l’intérêt est calculé.

101 Par définition, la demande extrajudiciaire précède l’action et n’a plus sa place lorsque le litige est judiciarisé. La demande extrajudiciaire n’est pas une obligation préalable à l’institution de l’action (Denis c. Moreau, [1974] C.A. 249; Côté c. Sternlieb, [1958] R.C.S. 121), ni au calcul des intérêts.

102 Qu’en est-il en l’espèce? Par sa défense, qui incorporait une conclusion subsidiaire de la nature d’une demande reconventionnelle, Mme Mandel formulait elle-même une demande en justice qui rendait superfétatoire toute demande extrajudiciaire que pouvait expédier la Banque. Qu’aurait pu ajouter la Banque? Incorporer, elle aussi, une conclusion « subsidiaire » demandant de confirmer la transaction si sa demande d’exécution forcée du cautionnement était rejetée? En quoi cette conclusion aurait-elle ajouté à la procédure de Mme Mandel devant la Cour supérieure ou devant la Cour d’appel? La Banque n’avait pas besoin de faire constater le retard de Mme Mandel à payer puisque celle-ci demandait elle-même au juge de prononcer une ordonnance lui enjoignant de payer les montants dus. L’argument de l’absence de demande extrajudiciaire n’a, à mon avis, aucun fondement. La conclusion subsidiare de Mme Mandel constituait la demande en justice.

103 Le moment de la demeure est établi à la date à laquelle la demande en justice est formée (art. 1594 C.c.Q.), soit le 24 octobre 1994, et le retard dans l’exécution de l’obligation (art. 1617 C.c.Q.) date du 25 octobre 1994, qui correspond au moment auquel Mme Mandel s’est engagée à payer les montants dus.

104 J’estime donc que la Cour d’appel a, à juste titre, exercé son devoir de soulever les impropriétés des procédures dont elle était saisie, qu’elle devait formuler une conclusion exécutoire en raison de la conclusion formulée par Mme Mandel elle-même et qu’elle pouvait accorder l’intérêt au taux légal tel qu’elle l’a fait.

IV. L’indemnité additionnelle

105 Selon la jurisprudence constante de la Cour d’appel (Compagnie d’assurance Missisquoi c. Bessette, [1999] R.R.A. 823; Plomberie West Island ltée c. Société de construction des musées du Canada inc., [1999] A.Q. no 14 (QL); Racette c. Di Salvio, [1995] A.Q. no 771 (QL); Gersten c. Luxenberg, [1987] R.J.Q. 533; et Raymond c. McColm, [1987] A.Q. no 82 (QL)), pour que l’indemnité additionnelle soit accordée, elle doit avoir fait l’objet d’une demande expresse.

106 Interrogé à l’audience, l’avocat de la Banque a avancé qu’une demande verbale d’amendement avait été faite lorsque le caractère inexécutoire des conclusions a été discuté devant la Cour d’appel. L’avocat de Mme Mandel a, au contraire, plaidé qu’aucune demande en ce sens n’a été soumise à la Cour d’appel. Comme le dossier est silencieux et qu’aucune demande d’amendement n’a été déposée devant notre Cour, la conclusion relative à l’indemnité doit être retranchée.

V. Dispositif

107 Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir partiellement l’appel et de biffer du jugement de la Cour d’appel les mots « et l’indemnité additionnelle », le tout sans frais en raison du résultat mitigé du pourvoi.

ANNEXE

Code de procédure civile, L.R.Q. 1977, ch. C-25

523. La Cour d’appel peut, si les fins de la justice le requièrent, permettre à une partie d’amender ses actes de procédure, de mettre en cause une personne dont la présence est nécessaire, ou encore, en des circonstances exceptionnelles, de présenter, selon le mode qu’elle indique, une preuve nouvelle indispensable.

Elle a tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de sa juridiction, et peut rendre toutes ordonnances propres à sauvegarder les droits des parties; elle peut même, nonobstant l’expiration du délai prévu à l’article 494, mais pourvu qu’il ne se soit pas écoulé plus de six mois depuis le jugement, accorder une permission spéciale d’appeler à la partie qui démontre qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt.

Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25

46. Les tribunaux et les juges ont tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leur compétence.

Ils peuvent, en tout temps et en toutes matières, tant en première instance qu’en appel, prononcer des ordonnances de sauvegarde des droits des parties, pour le temps et aux conditions qu’ils déterminent. De plus, ils peuvent, dans les affaires dont ils sont saisis, prononcer, même d’office, des injonctions ou des réprimandes, supprimer des écrits ou les déclarer calomnieux, et rendre toutes ordonnances appropriées pour pourvoir aux cas où la loi n’a pas prévu de remède spécifique.

292. En tout temps avant jugement, le juge qui préside le tribunal peut signaler aux parties quelque lacune dans la preuve ou dans la procédure, et leur permettre de la combler, aux conditions qu’il détermine.

468. Le tribunal ne peut adjuger au-delà de ce qui est demandé; il peut néanmoins redresser les impropriétés de termes dans les conclusions, pour donner à celles-ci leur véritable qualification eu égard aux faits allégués.

469. Le jugement portant condamnation doit être susceptible d’exécution. Celui qui condamne à des dommages-intérêts en contient la liquidation; lorsqu’il prononce une condamnation solidaire contre les personnes responsables d’un préjudice, il détermine, pour valoir entre elles seulement, la part de chacune dans la condamnation, si la preuve permet de l’établir.

Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64

1586. La consignation faite dans les conditions prévues aux articles précédents libère le débiteur du paiement des intérêts ou des revenus produits pour l’avenir.

1587. Les intérêts ou revenus produits pendant la consignation appartiennent au créancier. Néanmoins, ils appartiennent au débiteur jusqu’à ce que la consignation soit acceptée par le créancier, lorsque la consignation est faite afin d’obtenir l’exécution d’une obligation de ce dernier, elle-même corrélative à celle qu’entend exécuter le débiteur par la consignation.

1591. Lorsque les obligations résultant d’un contrat synallagmatique sont exigibles et que l’une des parties n’exécute pas substantiellement la sienne ou n’offre pas de l’exécuter, l’autre partie peut, dans une mesure correspondante, refuser d’exécuter son obligation corrélative, à moins qu’il ne résulte de la loi, de la volonté des parties ou des usages qu’elle soit tenue d’exécuter la première.

1594. Le débiteur peut être constitué en demeure d’exécuter l’obligation par les termes mêmes du contrat, lorsqu’il y est stipulé que le seul écoulement du temps pour l’exécuter aura cet effet.

Il peut être aussi constitué en demeure par la demande extrajudiciaire que lui adresse son créancier d’exécuter l’obligation, par la demande en justice formée contre lui ou, encore, par le seul effet de la loi.

1617. Les dommages-intérêts résultant du retard dans l’exécution d’une obligation de payer une somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux convenu ou, à défaut de toute convention, au taux légal.

Le créancier y a droit à compter de la demeure sans être tenu de prouver qu’il a subi un préjudice.

Le créancier peut, cependant, stipuler qu’il aura droit à des dommages-intérêts additionnels, à condition de les justifier.

Pourvoi accueilli, les juges Bastarache et Deschamps sont dissidents en partie.

Procureurs de l’appelante : Choquette Beaupré Rhéaume, Montréal.

Procureurs de l’intimée : McCarthy Tétrault, Montréal.


Synthèse
Référence neutre : 2004 CSC 37 ?
Date de la décision : 10/06/2004
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli. Les conclusions de la Cour d’appel relatives aux intérêts et à l’indemnité additionnelle sont radiées

Analyses

Obligation - Exécution de l’obligation - Demeure et mise en demeure - Transaction - Créancière niant la transaction - Absence de consignation par la débitrice des sommes dues en vertu de la transaction - Cour d’appel confirmant la validité de la transaction et ordonnant à la débitrice de verser à la créancière des intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle - La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur en ordonnant le paiement des intérêts et de l’indemnité additionnelle vu l’absence de consignation? - La débitrice a-t-elle été constituée en demeure par la créancière de payer les montants prévus à la transaction? - Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 7, 1586, 1594, 1617, 2631.

La banque intimée poursuit l’appelante M sur la base d’un cautionnement hypothécaire. Avant le procès, et à la suite du refus d’une offre de règlement de la part de M, la banque lui fait une contre-offre et lui accorde même verbalement une brève prolongation du délai pour remplir certaines des conditions prévues dans la contre-offre. Toutefois, en contravention de ses engagements, la banque retire la contre-offre de transaction sous prétexte que M n’a pas rempli toutes les conditions requises à l’intérieur du délai de rigueur stipulé dans l’offre de règlement. La banque nie l’existence même de la transaction. Le premier juge conclut que M a rempli les conditions d’acceptation de la transaction en temps opportun et qu’il y a transaction valide et ordonne à la banque de recevoir le paiement prévu à la transaction. La Cour d’appel confirme également la validité de la transaction et, vu que M n’a pas consigné les versements dus en vertu de la transaction, ordonne à M de verser à la banque des intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter de la date à laquelle la transaction devait être exécutoire, soit le 25 octobre 1994.

Arrêt (les juges Bastarache et Deschamps sont dissidents en partie) : Le pourvoi est accueilli. Les conclusions de la Cour d’appel relatives aux intérêts et à l’indemnité additionnelle sont radiées.

La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, Arbour, LeBel et Fish : La banque n’a pas droit aux intérêts. Les intérêts n’ont jamais commencé à courir contre M puisque celle-ci n’a été, en aucune façon et en aucun temps, constituée en demeure par la banque de payer les montants prévus à la transaction. Premièrement, la transaction est silencieuse au sujet des intérêts et ne contient aucune stipulation selon laquelle la seule arrivée du terme aura pour effet de constituer M en demeure. Deuxièmement, la demande en justice de la banque devant les instances inférieures ne comporte aucune conclusion portant sur la transaction. Troisièmement, vu le refus de la banque de reconnaître la transaction, M n’a jamais été en demeure, ni aux termes de la transaction ni par l’effet de la loi, et n’a jamais été mise en demeure, ni par l’action de l’intimée ni par avis extrajudiciaire. Elle n’était donc pas tenue à la consignation des sommes dues pour être libérée du paiement des intérêts. De toute manière, la banque ne peut invoquer cette absence de consignation pour réclamer les intérêts sur des sommes dues en vertu d’une obligation dont elle a rendu l’exécution impossible en raison de son refus arrêté de reconnaître l’existence de la transaction. Il serait exorbitant dans ces circonstances, et contraire à l’esprit de l’art. 7 C.c.Q. et aux principes reconnus en la matière, d’accorder les intérêts à la banque et lui permettre de tirer ainsi profit de son refus persistant et injustifié de se conformer en temps utile à la transaction conclue par les parties. La banque ne peut donc réclamer les intérêts sur les sommes dues par M en vertu de la transaction. Cette conclusion est également applicable à l’indemnité additionnelle.

Les juges Bastarache et Deschamps (dissidents en partie) : Lorsque le jugement de la Cour d’appel a été prononcé, cette dernière pouvait, en vertu de l’art. 523 C.p.c., rendre toutes ordonnances propres à sauvegarder les droits des parties. Ce pouvoir était directement mis en jeu puisque d’une part, le jugement de la Cour supérieure ne comportait pas de conclusion contre M et, d’autre part, deux des conclusions de l’appel incident faisaient appel au pouvoir discrétionnaire de la Cour d’appel. En formulant une ordonnance contre M de payer les montants dus selon les termes de la transaction, la Cour d’appel pouvait s’interroger sur l’effet du temps écoulé et par conséquent sur la nécessité de pourvoir au paiement d’un intérêt. Bien que la consignation ne soit pas obligatoire, la Cour d’appel était justifiée d’avoir recours à ce mécanisme et d’attribuer les intérêts à la banque en raison du défaut de M de consigner le montant dû. Par la conclusion formulée à sa défense, M demandait elle-même à la Cour supérieure de lui ordonner de se conformer à la transaction et se déclarait donc prête à payer les montants qui y étaient prévus. Si elle avait fait une offre réelle et consigné les montants, elle aurait bénéficié de l’art. 1586 C.c.Q. qui prévoit que la consignation libère le débiteur du paiement des intérêts ou des revenus produits pour l’avenir.

Selon l’art. 1617 C.c.Q., c’est la demeure, et non la mise en demeure, ou demande extrajudiciaire, qui permet de déterminer la date du calcul des intérêts. L’article 1594 C.c.Q. indique que la demeure peut prendre quatre formes : le contrat, la demande extrajudiciaire, l’interpellation judiciaire ou la loi. Par sa défense, qui incorporait une conclusion subsidiaire, de la nature d’une demande reconventionnelle, sollicitant la Cour supérieure de prendre acte de la transaction, M a formulé elle-même une demande en justice qui rendait superfétatoire toute demande extrajudiciaire que pouvait lui expédier la banque. Le moment de la demeure est donc établi à la date à laquelle la demande en justice de M a été formée, soit le 24 octobre 1994, et le retard dans l’exécution de l’obligation date du 25 octobre 1994, qui correspond au moment auquel M s’est engagée à payer les montants dus.

Pour que l’indemnité additionnelle soit accordée, elle doit avoir fait l’objet d’une demande expresse. Comme le dossier est silencieux sur cette question, la conclusion de la Cour d’appel relative à cette indemnité doit être retranchée.


Parties
Demandeurs : Banque nationale de Paris (Canada)
Défendeurs : 165836 Canada Inc.

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Fish
Arrêts mentionnés : Beauregard c. Sœurs de la charité de Sainte-Marie, [1995] A.Q. no 440 (QL)
Bettan c. 146207 Canada Inc., [1993] R.D.J. 489
Bray c. Houlachi, [1997] A.Q. no 3657 (QL)
Bhandari c. 129440 Canada Inc., [1989] R.D.I. 729
Gelber c. 128613 Canada Inc., [1988] R.D.J. 267.
Citée par la juge Deschamps (dissidente en partie)
Gatineau (Ville) c. Raymond, [1996] A.Q. no 951 (QL)
Girard c. Gariépy, [1975] C.A. 706
Denis c. Moreau, [1974] C.A. 249
Côté c. Sternlieb, [1958] R.C.S. 121
Compagnie d’assurance Missisquoi c. Bessette, [1999] R.R.A. 823
Plomberie West Island ltée c. Société de construction des musées du Canada inc., [1999] A.Q. no 14 (QL)
Racette c. Di Salvio, [1995] A.Q. no 771 (QL)
Gersten c. Luxenberg, [1987] R.J.Q. 533
Raymond c. McColm, [1987] A.Q. no 82 (QL).
Lois et règlements cités
Code civil du Bas Canada, art. 1069, 1077.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 7, 1573-1589, 1586, 1591, 1594, 1597, 1617, 1619, 2631.
Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, art. 46, 292, 468, 469.
Code de procédure civile, L.R.Q. 1977, ch. C-25, art. 523.
Loi portant réforme du Code de procédure civile, L.Q. 2002, ch. 7, art. 7.
Doctrine citée
Baudouin, Jean-Louis, et Pierre-Gabriel Jobin. Les obligations, 5e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 1998.
Pineau, Jean, Danielle Burman et Serge Gaudet. Théorie des obligations, 4e éd. par Jean Pineau et Serge Gaudet. Montréal : Thémis, 2001.
Québec. Ministère de la Justice. Commentaires du ministre de la Justice : Le Code civil du Québec, t. 1, Un mouvement de société. Québec : Publications du Québec, 1993.

Proposition de citation de la décision: Banque nationale de Paris (Canada) c. 165836 Canada Inc., 2004 CSC 37 (10 juin 2004)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2004-06-10;2004.csc.37 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award