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27/04/2005 | CANADA | N°2005_CSC_24

Canada | R. c. Chow, 2005 CSC 24 (27 avril 2005)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Chow, [2005] 1 R.C.S. 384, 2005 CSC 24

Date : 20050427

Dossier : 29919

Entre :

Simon Kwok Cheng Chow

Appelant

c.

Sa Majesté la Reine

Intimée

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 53)

Le juge Fish (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Charron et Abella)

_______________________

_______

R. c. Chow, [2005] 1 R.C.S. 384, 2005 CSC 24

Simon Kwok Cheng Chow Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié : R. c. Chow

R...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Chow, [2005] 1 R.C.S. 384, 2005 CSC 24

Date : 20050427

Dossier : 29919

Entre :

Simon Kwok Cheng Chow

Appelant

c.

Sa Majesté la Reine

Intimée

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 53)

Le juge Fish (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Charron et Abella)

______________________________

R. c. Chow, [2005] 1 R.C.S. 384, 2005 CSC 24

Simon Kwok Cheng Chow Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié : R. c. Chow

Référence neutre : 2005 CSC 24.

No du greffe : 29919.

2004 : 16 décembre; 2005 : 27 avril.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish, Abella et Charron.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Donald, Saunders et Low) (2003), 179 B.C.A.C. 92, 295 W.A.C. 92, 180 C.C.C. (3d) 184, [2003] B.C.J. No. 452 (QL), 2003 BCCA 131 (sub nom. R. c. Mapara; R. c. Chow), qui a confirmé la déclaration de culpabilité de l’accusé pour meurtre au premier degré. Pourvoi rejeté.

Peter Leask, c.r., et Jeremy Gellis, pour l’appelant.

Henry J. R. Reiner, c.r., pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Fish —

I

Aperçu

1 Simon Kwok Cheng Chow a été déclaré coupable de meurtre au premier degré par un jury. Il a été accusé avec trois autres personnes — Sameer Mapara, George Wasfi et Shane Kelly Shoemaker — d’avoir commis avec préméditation le meurtre de Vikash Chand.

2 Le ministère public avait recueilli contre eux ce qui, selon la Cour d’appel, constitue une [traduction] « preuve circonstancielle convaincante », fondée principalement sur des conversations téléphoniques interceptées. Il s’est également appuyé sur le témoignage du conducteur du véhicule ayant servi à la fuite des accusés, Haddi Binahmad, qui s’était vu accorder l’immunité en échange de son témoignage.

3 Au procès, Chow a demandé un procès distinct afin de contraindre Shoemaker à témoigner. Il a aussi demandé, invoquant les art. 8 et 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, l’exclusion de la preuve obtenue par écoute électronique. Les deux demandes ont été rejetées.

4 Chow a été déclaré coupable et sa condamnation a été confirmée par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ((2003), 179 B.C.A.C. 92, 2003 BCCA 131).

5 Devant la Cour, Chow invoque deux moyens pour contester sa déclaration de culpabilité : premièrement, les communications interceptées auraient dû être déclarées irrecevables contre lui; deuxièmement, le refus d’un procès distinct l’a privé de son droit à une défense pleine et entière.

6 Aucun de ces moyens ne peut être retenu.

7 En ce qui concerne le premier moyen, Chow fait valoir qu’il était connu de la police, mais qu’il n’était pas nommé, comme l’exige la loi, lorsque la première autorisation d’écoute électronique a été demandée et obtenue. Ses communications privées qui ont été interceptées en vertu de cette autorisation ont donc été obtenues, dit‑il, en violation du « droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives » qui lui est garanti par l’art. 8 de la Charte. Il plaide que les autorisations subséquentes reposaient sur ces communications interceptées. La preuve recueillie par écoute électronique relativement au meurtre de Chand a été obtenue en vertu de ces autorisations subséquentes et aurait donc dû être écartée en application du par. 24(2) de la Charte.

8 Ce moyen est rejeté pour deux motifs. Premièrement, Chow n’était pas une personne dont l’identité était connue (« personne connue »), à proprement parler, lorsque la première et la deuxième autorisations d’écoute électronique ont été demandées et obtenues. Les policiers concernés n’avaient pas encore de motifs raisonnables de croire qu’il existait un lien entre Chow et l’infraction sur laquelle ils enquêtaient. Deuxièmement, d’autres éléments de preuve sur lesquels la violation alléguée des droits garantis à Chow par la Charte n’avait aucune incidence étayaient amplement les autorisations subséquentes permettant d’intercepter les communications pertinentes en l’espèce.

9 En ce qui concerne le second moyen, Chow soutient que le refus du juge du procès de lui accorder un procès distinct a entraîné une erreur judiciaire parce qu’il l’a empêché de produire des éléments de preuve qui auraient pu soulever un doute raisonnable quant à sa culpabilité. Il affirme plus précisément que le témoignage de Shoemaker, inaccessible en partie au juge du procès lorsqu’il a refusé la tenue de procès distincts, aurait ébranlé la thèse du ministère public et appuyé la sienne.

10 Le témoignage que Shoemaker aurait apporté était pertinent. Sans pour autant conclure en ce sens, je suis disposé à accepter — comme l’a fait la Cour d’appel — qu’il était recevable. En l’absence d’un procès distinct, Chow a été privé de cet élément de preuve puisque Shoemaker, le coaccusé de Chow, n’était pas un témoin contraignable. Toutefois, la pertinence et la recevabilité du témoignage d’un coaccusé ne donnent pas droit à elles seules à un procès distinct. En effet, la tenue de procès distincts pour les personnes accusées d’avoir comploté ou d’avoir commis ensemble un crime demeure l’exception et non la règle. En principe, elle ne sera ordonnée que s’il est établi qu’un procès conjoint causerait une injustice à l’accusé : R. c. Crawford, [1995] 1 R.C.S. 858.

11 En l’espèce, le juge du procès et la Cour d’appel ont tous les deux estimé que le témoignage éventuel de Shoemaker avait une valeur probante « faible ». Après un examen attentif, les deux cours ont conclu que ce témoignage n’aurait guère changé le verdict du jury. Elles ont appliqué les principes pertinents de manière judiciaire et, dans leurs conclusions, elles n’ont pas commis d’erreur justifiant l’intervention de la Cour.

12 Les deux moyens invoqués ne sont donc pas retenus et je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

II

Les faits et les procédures

13 Chow, Mapara, Wasfi et Shoemaker ont été accusés conjointement du meurtre au premier degré de Chand. Pendant que celui‑ci changeait la plaque d’immatriculation de la voiture de Chow sur le terrain de voitures de Mapara, Shoemaker a tiré sept fois sur lui.

14 Selon la thèse du ministère public, Chow était au courant du plan de meurtre de Chand et a, en toute connaissance de cause, remis à Binahmad, le conducteur du véhicule ayant servi à la fuite, l’argent du meurtre commandé.

15 Binahmad, le témoin à charge qui s’était vu accorder l’immunité contre les poursuites, a déclaré que Mapara avait engagé Wasfi pour qu’il tue Chand et que Wasfi, de son côté, avait recruté Shoemaker pour qu’il commette le meurtre. Il a dit que Chow lui avait donné 7 000 $ à titre d’« avance » sur le contrat, qu’il avait remis les 7 000 $ à Shoemaker et que Chow, à la demande de Wasfi, lui avait donné 2 000 $ de plus après le meurtre pour lui permettre de quitter la ville.

16 En défense, Chow a fait valoir que l’argent qu’il avait versé à Binahmad n’avait rien à voir avec le meurtre et n’était pas destiné à Shoemaker. Il concernait, selon lui, une [traduction] « affaire de marijuana » dans laquelle il était impliqué avec Wasfi.

17 Shoemaker n’a pas témoigné.

18 Le ministère public a mis en preuve des conversations téléphoniques de Chow, Wasfi et Mapara. Ces appels avaient été interceptés en vertu de onze autorisations successives, dont la sixième et la septième avaient permis d’obtenir des éléments cruciaux pour la preuve du ministère public contre Chow. Ce dernier a tenté en vain de les faire écarter en invoquant l’art. 8 et le par. 24(2) de la Charte.

19 Le juge Oppal a rejeté la demande de Chow. Il a fait observer que le recours à des moyens électroniques pour intercepter des communications privées constitue une fouille, une saisie ou une perquisition qui sera jugée abusive selon l’art. 8 de la Charte, sauf si un tel recours est autorisé par un juge conformément aux dispositions législatives pertinentes. Selon l’alinéa 185(1)e) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, l’affidavit qui accompagne la demande doit indiquer l’existence des personnes connues dont les conversations sont ciblées. Sinon, toute interception ultérieure de communications de personnes connues sera illégale.

20 Le juge Oppal a estimé qu’il y avait [traduction] « de nombreux éléments de preuve indiquant [que la police] aurait dû être au courant de l’existence ou de l’identité de Chow » (Décision sur un voir-dire, [2001] B.C.J. No. 2959 (QL), 2001 BCSC 1815, par. 32). Il a toutefois jugé inutile de déterminer si Chow était une personne connue lorsque la première et la deuxième autorisations ont été demandées et accordées, puisque le ministère public ne s’est appuyé sur aucune des interceptions faites en vertu d’autorisations dans lesquelles Chow n’était pas nommé comme cible. De plus, le juge Oppal a conclu que la validité de la première et de la deuxième autorisations n’avait aucune incidence particulière sur la recevabilité des interceptions ultérieures : chacune des autorisations constituant une ordonnance distincte, leur légalité devait être déterminée de façon indépendante.

21 À la conclusion de la preuve du ministère public, Chow et Wasfi ont tous les deux demandé des procès distincts. Le juge Oppal a fait droit à la demande de Wasfi mais non à celle de Chow. Appliquant l’arrêt R. c. Torbiak and Gillis (1978), 40 C.C.C. (2d) 193 (C.A. Ont.), il a statué que [traduction] « la question que le tribunal doit ultimement trancher est celle de savoir si le refus d’ordonner un procès séparé entraînerait une erreur judiciaire ». Le juge Oppal a conclu que la demande de Chow ne satisfaisait pas à ce critère puisque le témoignage prévu de Shoemaker avait une importance [traduction] « faible ».

22 Chow et Mapara ont tous les deux témoigné. Shoemaker ne l’a pas fait, mais dans une déclaration à la police qui a été admise en preuve au procès, il a catégoriquement nié avoir reçu de l’argent pour commettre le meurtre. Chow a affirmé que les appels téléphoniques interceptés se rapportaient à une transaction de marijuana et que, lors de deux des appels, il s’était rendu compte que Wasfi parlait d’un meurtre commandé, mais qu’il lui avait répondu que cela ne l’intéressait pas. Il pensait, a‑t‑il dit, que l’argent versé à Binahmad était destiné à une « affaire de marijuana ».

23 Le jury a déclaré Chow, Shoemaker et Mapara coupables de meurtre au premier degré.

24 Chow et Mapara ont interjeté appel. Les principaux moyens invoqués par Chow étaient que le juge Oppal avait fait erreur en lui refusant un procès distinct et en admettant la preuve obtenue par écoute électronique. Il a en outre soutenu que le verdict était déraisonnable et a tenté de faire admettre un [traduction] « nouvel élément de preuve », soit un affidavit (une déclaration anticipée) de Shoemaker. Dans son affidavit, Shoemaker affirmait pour l’essentiel que, s’il était contraint à témoigner, il déclarerait ne pas avoir reçu les 7 000 $ de Binahmad.

25 Shoemaker a été contre‑interrogé au sujet de son affidavit par le ministère public. Réinterrogé par l’avocat de Chow, il a affirmé que Binahmad lui avait dit, le jour où Chow lui avait remis les 7 000 $, qu’il (Binahmad) devait se rendre à une rencontre au sujet d’[traduction] « une vieille affaire d’herbe ».

26 Au nom de la Cour d’appel, le juge Donald a convenu avec le juge du procès que [traduction] « le témoignage de Shoemaker était trop peu important pour justifier la tenue de procès distincts » (par. 22). Il a conclu que les bandes d’écoute électronique avaient été admises à bon droit et que le verdict était raisonnable et étayé par la preuve.

27 Après l’audition de l’appel mais avant le prononcé du jugement, Chow a tenté de faire rouvrir l’audience pour qu’il soit tenu compte, au sujet de la question de la tenue de procès distincts, de l’allusion de Shoemaker à une « vieille affaire d’herbe ». L’avocat de Chow a affirmé que cet aspect de l’interrogatoire de Shoemaker n’avait pas été soulevé à l’audition de l’appel à cause des instructions qu’il avait reçues et des contraintes de temps. Aucune de ces explications n’est convaincante.

28 La demande de réouverture de l’appel présentée par Chow a été rejetée ((2003), 182 B.C.A.C. 88, 2003 BCCA 248).

III

Analyse

29 L’appelant a invoqué quatre arguments dans son mémoire : (1) la Cour d’appel a fait erreur en statuant qu’il n’avait pas droit à un procès distinct; (2) le juge du procès a fait erreur en admettant en preuve les communications interceptées; (3) la Cour d’appel a fait erreur en n’attachant aucune importance au fait que le juge du procès avait délivré le certificat prévu au sous‑al. 675(1)a)(ii) du Code criminel; (4) le verdict du jury était déraisonnable. L’avocat a sagement choisi de ne pas insister sur les arguments (3) et (4) dans les plaidoiries. En effet, le premier de ces arguments ne repose sur aucun fondement juridique et le second a été examiné à fond et dûment tranché par la Cour d’appel.

30 Je vais donc examiner les deux questions qui restent : l’admissibilité des éléments de preuve obtenus par écoute électronique et le refus de la tenue de procès distincts.

IV

L’écoute électronique

31 L’action intentée contre Chow, Mapara, Wasfi et Shoemaker reposait en grande partie sur des communications privées interceptées en vertu de onze autorisations consécutives obtenues par la Section antidrogue du district de l’île de Vancouver de la GRC, entre octobre 1997 et mai 1999. Les personnes visées par les autorisations ont changé avec le temps et Chow a été nommé pour la première fois dans la demande concernant la troisième autorisation. Les appels relatifs au meurtre de Chand ont été interceptés en vertu des sixième et septième autorisations.

32 Chow prétend que la GRC connaissait son existence et son importance pour l’enquête dès le début du projet E‑Page. Il aurait donc dû être nommé dans les affidavits qui accompagnaient les première et deuxième demandes. Selon lui, comme son nom n’y figurait pas, ses communications ont été interceptées illégalement pendant la période de validité de la deuxième autorisation : R. c. Chesson, [1988] 2 R.C.S. 148. Enfin, selon Chow, la troisième autorisation et les autres qui ont suivi reposaient sur des renseignements obtenus en vertu de la deuxième autorisation et, de ce fait, elles doivent également être écartées.

33 L’alinéa 185(1)e) du Code criminel prévoit notamment ce qui suit :

185. (1) Pour l’obtention d’une autorisation visée à l’article 186 [c’est‑à‑dire une demande d’écoute électronique], une demande est présentée ex parte et par écrit à un juge . . .

. . .

il doit y être joint un affidavit d’un agent de la paix ou d’un fonctionnaire public pouvant être fait sur la foi de renseignements tenus pour véridiques et indiquant ce qui suit :

. . .

e) les noms, adresses et professions, s’ils sont connus, de toutes les personnes dont les communications privées devraient être interceptées du fait qu’on a des motifs raisonnables de croire que cette interception pourra être utile à l’enquête relative à l’infraction . . .

34 Lorsque les première et deuxième demandes d’autorisation ont été présentées, certains policiers connaissaient l’existence de Chow et le soupçonnaient d’être impliqué dans des activités criminelles. La section de la GRC chargée du projet E‑Page ignorait toutefois qu’il existait un lien entre lui et l’enquête pour laquelle ces autorisations avaient été demandées. On ne savait pas et on n’avait pas de motifs raisonnables de croire que Chow était une personne dont les communications privées, si elles étaient interceptées, pourraient être utiles à cette enquête.

35 La section de la GRC avait obtenu auparavant le nom « Simon Chow » de la « Coordinated Law Enforcement Unit ». Chow aurait été impliqué avec « David Jai » dans le trafic de marijuana. À l’origine, le projet E‑Page concernait le trafic illégal de cocaïne et d’héroïne, mais plus tard, il a porté exclusivement sur l’héroïne. On soupçonnait alors « David Jai » d’être en réalité David Au (ce qui a plus tard été confirmé), personne connue dans la première autorisation du projet E‑Page et cible dans la deuxième.

36 Il ressort toutefois du dossier qu’on ne savait alors pas avec certitude que Jai et Au étaient une seule et même personne. On ne savait pas non plus que Chow était impliqué dans le trafic d’héroïne. La GRC avait également appris d’un indicateur qu’un certain « Simon LNU (nom de famille inconnu) » entretenait des liens avec Au, mais elle n’avait aucun motif raisonnable de croire qu’il s’agissait de l’appelant, Simon Chow. Elle n’avait à ce sujet que ce qui était décrit comme [traduction] « des soupçons non confirmés » dans le mémoire du ministère public.

37 Ce n’est que pendant la période visée par la deuxième autorisation, lorsque David Au a été pris pour cible par le projet E‑Page, que les enquêteurs ont intercepté des appels entre Au et une personne nommée « Ah‑Sei », qui a plus tard été identifiée comme étant Chow. Ils ont aussi intercepté des conversations entre Au et d’autres personnes qui ont mentionné « Simon » et « Ah‑Sei » relativement au trafic d’héroïne.

38 C’est dans ce contexte que la section de la GRC a appris que les noms « Simon LNU » et « Ah‑Sei » désignaient tous les deux Chow. Selon la Cour d’appel, le [traduction] « lien crucial » qui a permis d’établir ce fait est l’observation, par la section, de Au, qui rencontrait Chow à l’aéroport pendant qu’il faisait l’objet d’une surveillance visuelle. Simon Chow a ensuite été désigné, comme il se doit, comme cible dans les documents à l’appui de la troisième autorisation.

39 La preuve appuie donc la prétention du ministère public que Chow n’était pas une personne connue selon le Code criminel et l’arrêt Chesson lorsque la première et la deuxième autorisations ont été demandées et obtenues. Quoi qu’il en soit, je conviens avec la Cour d’appel que, même si on présumait que Chow était alors une personne connue, il y avait assez d’éléments de preuve indépendants de toute violation antérieure de la Charte pour justifier la troisième autorisation et celles qui ont suivi.

40 La Cour d’appel a examiné la preuve à fond. Pour l’essentiel, des conversations téléphoniques de Au auxquelles Chow n’a pas participé ont également été interceptées en vertu de la deuxième autorisation. Lors de deux de ces appels, il aurait été mentionné que « Simon » se rendait à Hong Kong et que « Ah‑Sei » faisait le trafic d’héroïne à l’échelle internationale. Ces appels auraient à eux seuls incité la GRC à découvrir qui étaient « Simon » et « Ah‑Sei » et ils ont automatiquement entraîné la surveillance visuelle de Au. Comme je l’ai déjà dit, c’est par suite de cette surveillance que Chow est devenu une cible visée par l’enquête et que ses appels ont été interceptés en vertu des sixième et septième autorisations.

41 Dans les circonstances, l’interception des communications privées de Chow en vertu des sixième et septième autorisations n’a pas porté atteinte au droit à la vie privée qui lui est garanti par la Constitution.

42 Une dernière remarque sur cet aspect de l’affaire; dans son mémoire, Chow nous a demandé de revoir l’arrêt R. c. Commisso, [1983] 2 R.C.S. 121, dans lequel la Cour a conclu que les communications interceptées sont recevables pour prouver une infraction sans lien avec l’objet pour lequel une autorisation d’écoute électronique a été demandée et obtenue. L’avocat n’a pas fait valoir ce point dans les plaidoiries : aucun motif n’a été avancé pour le réexamen de Commisso.

V

La tenue de procès distincts

43 Le juge Oppal a rejeté la demande de procès distincts de Chow; après avoir examiné l’affidavit et l’interrogatoire de Shoemaker, la Cour d’appel a estimé que le juge Oppal avait exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire.

44 L’appelant soutient maintenant qu’une [traduction] « erreur judiciaire s’est produite puisqu[’il] a été privé du droit de produire des éléments de preuve qui auraient pu, selon toute prévision raisonnable, influer sur le verdict du jury » (mémoire de l’appelant, par. 42). Il ne conteste pas la décision du juge Oppal de lui refuser un procès distinct; il revendique plutôt son droit à un procès nouveau et séparé en s’appuyant sur l’interrogatoire de Shoemaker en Cour d’appel. Comme le juge du procès ne disposait pas de cet élément de preuve, il est allégué qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’égard de la décision du juge Oppal : la Cour doit reprendre l’examen de la question de la tenue de procès distincts.

45 Le seul élément de preuve dont ne disposait pas le juge Oppal lorsqu’il a rejeté la demande de Chow était la mention par Shoemaker de la déclaration de Binahmad qu’il devait aller, le jour du paiement, à une rencontre concernant « une vieille affaire d’herbe ». Lorsqu’il a refusé la tenue de procès distincts, le juge Oppal a tenu compte du témoignage que Shoemaker aurait apporté et selon lequel il n’avait pas reçu d’argent pour abattre Chand. Et cet élément de preuve a effectivement été soumis à l’appréciation du jury, quoique sous une autre forme : dans sa déclaration à la police, Shoemaker a dit n’avoir jamais encaissé d’argent pour le meurtre commandé.

46 Il s’agit donc de déterminer si l’impossibilité pour Chow de contraindre Shoemaker à témoigner a entraîné une erreur judiciaire, en ce sens que l’accusé a été privé de son droit à une défense pleine et entière.

47 Il est bien établi que la tenue de procès distincts pour de présumés comploteurs est l’exception et non la règle. Dans Crawford, que j’ai mentionné précédemment, le juge Sopinka a parlé du « fort courant jurisprudentiel au pays, qui favorise la tenue de procès conjoints » (par. 19). En son nom et au nom de sept autres juges de la Cour, il a énoncé les raisons de principe impérieuses qui justifient la tenue de procès conjoints malgré l’« impasse » qui en découle :

Il existe [. . .] de solides raisons de principe pour que les personnes accusées d’infractions qui découlent d’un même événement ou d’une même suite d’événements subissent leur procès conjointement. Ces raisons valent autant sinon plus lorsque chacun des coaccusés rejette le blâme sur l’autre, situation qualifiée de « défense traîtresse ». La tenue de procès distincts en pareil cas fait courir le risque de verdicts contradictoires. Elliott, loc. cit., résume, à la p. 17, les principes qui militent contre la tenue de procès distincts :

[traduction] La situation pose un dilemme qui ne pourrait être évité que par la tenue de procès distincts. Or, des procès distincts ne seront pas préconisés, car outre les frais supplémentaires et les délais qu’ils supposent, il est indéniable que toute la vérité sur un événement est beaucoup plus susceptible d’être dévoilée si chacun des prétendus participants donne sa version des faits à une même occasion. Si ces derniers étaient poursuivis séparément, il serait manifestement très difficile d’obtenir le même résultat sans accorder l’immunité à l’un d’eux. Partant, sauf dans les cas exceptionnels, un procès conjoint aura lieu malgré l’impasse qui en découle nécessairement.

Même si le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la tenue de procès distincts, il doit exercer ce pouvoir en tenant compte de principes juridiques, y compris celui voulant que la tenue de procès distincts ne soit ordonnée que s’il est établi qu’un procès conjoint causerait une injustice à l’accusé. [Je souligne; par. 30-31.]

48 De même, dans Torbiak and Gillis, p. 199, la Cour d’appel de l’Ontario a souligné la [traduction] « [règle] bien établie selon laquelle [. . .] lorsque l’essentiel de la preuve porte que les accusés ont agi de concert, ils devraient être inculpés et jugés conjointement, et une cour d’appel ne saurait intervenir dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge du procès, sauf si celui‑ci n’a pas exercé son pouvoir de manière judiciaire ou si sa décision a entraîné une erreur judiciaire ».

49 Chow soutient qu’il y a eu « erreur judiciaire » en l’espèce, non pas du fait que le juge du procès a fait erreur en refusant la tenue de procès distincts, mais plutôt parce que des éléments de preuve qui n’étaient pas disponibles au procès établissent maintenant que des procès distincts auraient dû être accordés. L’arrêt Torbiak and Gillis est également utile à cet égard. La Cour d’appel y a habilement exposé les circonstances où, exceptionnellement, la tenue de procès distincts peut être accordée afin de permettre au demandeur de contraindre un coaccusé à témoigner :

[traduction] Si le témoignage d’un coaccusé que l’on cherche à produire pour un autre coaccusé est tel que, compte tenu des autres éléments de preuve, il est raisonnable de présumer qu’il influera sur le verdict du jury en soulevant un doute raisonnable quant à la culpabilité de ce coaccusé, la tenue d’un procès séparé pourrait s’avérer nécessaire pour que celui‑ci puisse bénéficier de cet élément de preuve, même si le témoignage que l’on cherche à obtenir du coaccusé ne sert qu’à corroborer celui de l’accusé qui souhaite le produire. . . [p. 199]

50 Rappelons que, selon la preuve du ministère public, Chow avait, en toute connaissance de cause, remis 7 000 $ à Binahmad à titre de paiement pour l’exécution du meurtre de Chand par Shoemaker. Le ministère public s’est appuyé à cet égard sur le témoignage de Binahmad ainsi que sur un ensemble de conversations interceptées au cours desquelles les interlocuteurs parlaient « en code » de leurs activités dont ils reconnaissaient le caractère criminel. Chow a déclaré que les conversations cruciales concernaient une « affaire de marijuana » et non le meurtre de Chand.

51 La Cour d’appel n’était pas convaincue que le témoignage qu’aurait apporté Shoemaker aurait pu, selon toute prévision raisonnable, influer sur le verdict du jury. Je n’en suis pas non plus convaincu. Bien que pertinent, il a une faible valeur probante eu égard à l’ensemble de la preuve. Le juge du procès a donné des directives impeccables au jury quant aux positions respectives du ministère public et de la défense, et il a pris soin d’attirer l’attention du jury sur les éléments de preuve pertinents de chacune de celles‑ci. La déclaration relatée de Shoemaker au sujet d’« une vieille affaire d’herbe » n’aurait pas ajouté grand‑chose à la preuve de la défense et n’aurait pas permis d’ébranler celle du ministère public.

52 Je souligne à cet égard que l’avocat compétent et expérimenté de Chow n’a même pas jugé bon de mentionner cette affirmation attribuée par Shoemaker à Binahmad, alors qu’elle était alors fraîche dans sa mémoire, lorsqu’il a défendu le bien‑fondé de l’affaire devant la Cour d’appel. Je n’accorderais pas plus d’importance que l’avocat lui‑même au témoignage offert par Shoemaker.

VI

Conclusion

53 Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l’appelant : Leask Bahen, Vancouver.

Procureur de l’intimée : Ministère du Procureur général de la Colombie‑Britannique, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : 2005 CSC 24 ?
Date de la décision : 27/04/2005
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Fouilles, perquisitions et saisies - Interception de communications - Accusé et trois coaccusés inculpés de meurtre - Preuve du ministère public contre l’accusé principalement fondée sur des conversations téléphoniques interceptées - Aucune indication du nom de l’accusé dans l’affidavit accompagnant les deux premières demandes d’autorisation - Prétention de l’accusé que les autorisations subséquentes reposaient sur des renseignements obtenus illégalement en vertu des deux premières autorisations - Le droit de l’accusé à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives a‑t‑il été violé? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 8.

Droit criminel - Interception de communications - Autorisations successives - Accusé et trois coaccusés inculpés de meurtre - Preuve du ministère public contre l’accusé principalement fondée sur des conversations téléphoniques interceptées - Aucune indication du nom de l’accusé dans l’affidavit accompagnant les deux premières demandes d’autorisation - Prétention de l’accusé que les autorisations subséquentes reposaient sur des renseignements obtenus illégalement en vertu des deux premières autorisations - L’accusé était‑il une personne « connue » au sens du Code criminel lorsque les deux premières autorisations ont été demandées et obtenues? - Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 185(1)e).

Droit criminel - Procédure - Procès distincts - Accusé et trois coaccusés inculpés de meurtre - L’accusé a‑t‑il droit à un procès distinct afin de pouvoir contraindre un des coaccusés à témoigner? - Le refus d’un procès distinct l’a‑t‑il privé de son droit à une défense pleine et entière?.

L’accusé a été déclaré coupable par un jury de meurtre au premier degré pour avoir commis avec préméditation un meurtre avec des coconspirateurs. Un coaccusé a abattu la victime. La preuve du ministère public contre l’accusé est que celui‑ci était au courant du plan de meurtre et a, en toute connaissance de cause, remis au conducteur du véhicule ayant servi à la fuite l’argent du meurtre commandé. En défense, l’accusé a fait valoir que le paiement n’avait rien à voir avec le meurtre, mais concernait une affaire de marijuana. Le ministère public avait recueilli une preuve circonstancielle convaincante, fondée principalement sur des conversations téléphoniques interceptées. Les appels avaient été interceptés en vertu de onze autorisations successives, dont la sixième et la septième avaient permis d’obtenir des éléments cruciaux pour la preuve contre l’accusé. Invoquant les art. 8 et 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, celui‑ci a demandé l’exclusion de la preuve obtenue par écoute électronique, faisant valoir qu’il était une personne « connue » mais dont le nom n’avait pas été indiqué lorsque la première et la deuxième autorisations d’écoute électronique ont été demandées et obtenues, et que la troisième autorisation et les autres qui ont suivi reposaient sur des renseignements obtenus illégalement en vertu de la deuxième autorisation. Il a aussi demandé un procès distinct afin de contraindre un des coaccusés à témoigner. Les deux demandes ont été rejetées. La Cour d’appel a rejeté son appel contre sa condamnation ainsi que sa demande de réouverture de l’appel sur la question de la tenue de procès distincts.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

L’interception des communications privées de l’accusé en vertu des sixième et septième autorisations n’a pas porté atteinte au droit à la vie privée qui lui est garanti par la Constitution. Premièrement, l’accusé n’était pas une personne « connue » au sens du par. 185(1) du Code criminel lorsque la première et la deuxième autorisations d’écoute électronique ont été demandées et obtenues, parce que les policiers concernés n’avaient pas encore de motifs raisonnables de croire qu’il existait un lien entre lui et l’infraction sur laquelle ils enquêtaient. Deuxièmement, même si on présumait qu’il était alors une personne « connue », des éléments de preuve non touchés par la prétendue violation de ses droits garantis par la Charte étayaient amplement les autorisations subséquentes. [8] [39] [41]

L’accusé n’avait pas droit en l’espèce à un procès distinct pour contraindre un coaccusé à témoigner. Le seul élément de preuve dont ne disposait pas le juge du procès lorsqu’il a rejeté la demande d’un procès distinct de l’accusé était la mention, par le coaccusé qui a tiré sur la victime, de la déclaration du chauffeur du véhicule ayant servi à la fuite qu’il devait aller, le jour du paiement, à une rencontre concernant « une vieille affaire d’herbe ». Cependant le témoignage que ce coaccusé aurait apporté et selon lequel il n’avait pas reçu d’argent pour le meurtre a été pris en compte par le juge du procès et a été, en fait, soumis à l’appréciation du jury. Il est bien établi que la tenue de procès distincts pour de présumés comploteurs est l’exception et non la règle. La pertinence et la recevabilité du témoignage d’un coaccusé ne donnent pas, à elles seules, à une personne accusée conjointement de meurtre le droit à un procès distinct. En principe, la tenue d’un procès distinct ne sera ordonnée que s’il est établi qu’un procès conjoint causerait une injustice à l’accusé. En l’espèce, l’impossibilité pour l’accusé de contraindre un coaccusé à témoigner n’a pas entraîné d’erreur judiciaire. Le témoignage que le coaccusé aurait apporté n’aurait guère changé le verdict du jury. Bien que pertinent, il avait une faible valeur probante eu égard à l’ensemble de la preuve. [10] [45] [47] [51]


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Chow

Références :

Jurisprudence
Arrêts appliqués : R. c. Crawford, [1995] 1 R.C.S. 858
R. c. Torbiak and Gillis (1978), 40 C.C.C. (2d) 193
arrêts mentionnés : R. c. Chesson, [1988] 2 R.C.S. 148
R. c. Commisso, [1983] 2 R.C.S. 121.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 24.
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 185(1)e), 675(1)a)(ii).

Proposition de citation de la décision: R. c. Chow, 2005 CSC 24 (27 avril 2005)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2005-04-27;2005.csc.24 ?
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