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22/12/2005 | CANADA | N°2005_CSC_83

Canada | Castillo c. Castillo, 2005 CSC 83 (22 décembre 2005)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Castillo c. Castillo, [2005] 3 R.C.S. 870, 2005 CSC 83

Date : 20051222

Dossier : 30534

Entre :

Maribel Anaya Castillo

Appelante

et

Antonio Munoz Castillo

Intimé

et

Procureur général de l’Alberta

Intervenant

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 11):

Motifs concordants quant au résultat :
r>(par. 12 à 52):

Le juge Major (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron)

Le juge Bastarache

Appe...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Castillo c. Castillo, [2005] 3 R.C.S. 870, 2005 CSC 83

Date : 20051222

Dossier : 30534

Entre :

Maribel Anaya Castillo

Appelante

et

Antonio Munoz Castillo

Intimé

et

Procureur général de l’Alberta

Intervenant

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 11):

Motifs concordants quant au résultat :

(par. 12 à 52):

Le juge Major (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron)

Le juge Bastarache

Appel entendu et jugement rendu : Le 16 novembre 2005

Motifs déposés : Le 22 décembre 2005

______________________________

Castillo c. Castillo, [2005] 3 R.C.S. 870, 2005 CSC 83

Maribel Anaya Castillo Appelante

c.

Antonio Munoz Castillo Intimé

et

Procureur général de l’Alberta Intervenant

Répertorié: Castillo c. Castillo

Référence neutre : 2005 CSC 83.

No du greffe : 30534.

Audition et jugement : 16 novembre 2005.

Motifs déposés : 22 décembre 2005.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron.

en appel de la cour d’appel de l’alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Russell, Berger et Wittmann) (2004), 244 D.L.R. (4th) 603, [2004] 9 W.W.R. 609, 30 Alta. L.R. (4th) 67, 357 A.R. 288, 334 W.A.C. 288, 1 C.P.C. (6th) 82, 6 M.V.R. (5th) 1, [2004] A.J. No. 802 (QL), 2004 ABCA 158, confirmant une décision de la juge Rawlins (2002), 3 Alta. L.R. (4th) 84, 313 A.R. 189, 24 C.P.C. (5th) 310, [2002] A.J. No. 519 (QL), 2002 ABQB 379. Pourvoi rejeté.

Anne L. Kirker et Catherine McAteer, pour l’appelante.

Avon M. Mersey et Michael Sobkin, pour l’intimé.

Robert Normey, pour l’intervenant.

Version fran—aise du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Major, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron rendu par

1 Le juge Major — L’appelante et l’intimé sont mariés ensemble. Le 10 mai 1998, au cours d’un voyage d’agrément en Californie, ils ont eu un accident impliquant un seul véhicule. Tous deux sont des résidents de l’Alberta. Deux ans moins un jour après la date de l’accident, l’épouse appelante a intenté à Calgary une action contre l’époux intimé. Invoquant le délai de prescription d’un an prévu par le droit de la Californie, l’époux a demandé le rejet de l’action. L’épouse a soutenu que, en vertu de l’art. 12 de la Limitations Act de l’Alberta, R.S.A. 2000, ch. L‑12, le délai de prescription de deux ans en vigueur en Alberta s’appliquait malgré l’expiration du délai de prescription d’un an en vigueur en Californie, et que son action devrait, par conséquent, pouvoir suivre son cours.

2 L’article 12 de la Loi est ainsi rédigé :

[traduction]

12 Les règles de prescription de la Province s’appliquent dans tous les cas où une demande de réparation est présentée dans la Province, malgré le fait que, conformément aux règles de conflit de lois, l’affaire sera jugée selon le droit substantiel d’un autre ressort.

3 Dans l’arrêt Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022, la Cour a statué que la lex loci delicti — le droit substantiel du lieu du délit — s’applique dans une action en responsabilité délictuelle. Dans cette affaire, le demandeur avait été blessé dans un accident d’automobile survenu en Saskatchewan. Son droit d’action est devenu prescrit dans cette province, mais il a intenté une action en Colombie‑Britannique où son droit d’action n’était pas prescrit. Notre Cour a rejeté la demande après avoir conclu que le droit de la Saskatchewan qui régissait l’action incluait le délai de prescription applicable dans cette province. En l’espèce, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a décidé, conformément à l’arrêt Tolofson, que le droit substantiel applicable à l’accident d’automobile était le droit de la Californie, y compris les règles de prescription de cet État qui rendaient l’action irrecevable ((2002), 3 Alta. L.R. (4th) 84, 2002 ABQB 379). La juge de première instance a conclu que, pour déterminer si l’action de l’épouse devrait pouvoir suivre son cours, il fallait tenir compte à la fois des règles de prescription applicables en Californie et de celles applicables en Alberta. Pour que l’action suive son cours en Alberta, ni l’un ni l’autre délai de prescription ne devait avoir expiré. La Cour d’appel de l’Alberta a confirmé à l’unanimité la conclusion du juge de première instance ((2004), 30 Alta. L.R. (4th) 67, 2004 ABCA 158). Je souscris à sa décision.

4 Comme le délai de prescription de la Californie s’appliquait et avait expiré avant l’introduction de l’action, il n’existait aucun droit d’action à l’époque où l’appelante a intenté son recours devant le tribunal albertain. L’article 12 n’est pas censé faire renaître une action prescrite en vertu du droit substantiel du lieu où l’accident est survenu. Si le législateur avait eu l’intention que lui prête l’appelante, cela se serait reflété dans le libellé de la mesure législative.

5 L’article 12 est une disposition législative provinciale parfaitement valide au regard du par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867 (l’« administration de la justice dans la province »). L’arrêt Tolofson portait sur le « choix de la loi applicable ». En qualifiant les délais de prescription de règles substantielles plutôt que de règles procédurales pour les besoins du « choix de la loi applicable », la Cour n’a pas refusé de reconnaître ni eu l’intention de refuser de reconnaître la compétence législative de la province en matière d’« administration de la justice dans la province ». En adoptant un délai de prescription plus long que celui applicable en Alberta, un ressort étranger ne peut pas validement imposer aux tribunaux albertains l’obligation d’entendre une affaire que l’Alberta, selon sa propre politique législative, leur interdit d’instruire.

6 Pour ce qui est de l’administration de la justice dans la province, il est loisible au législateur de l’Alberta de fixer le délai à l’intérieur duquel les tribunaux albertains peuvent connaître d’une affaire, même dans le cas où l’affaire a pris naissance dans un ressort étranger et est régie par le droit substantiel de ce ressort.

7 Comme nous l’avons vu, dans l’arrêt Tolofson, notre Cour a conclu que les règles de prescription, qui jusque‑là étaient fréquemment qualifiées de procédurales dans les ressorts de common law et de substantielles dans ceux de droit civil, étaient en fait de nature substantielle et devaient être traitées comme tel. Par conséquent, lorsque le délai de prescription californien a expiré le 10 mai 1999, l’action de l’appelante contre son époux est devenue prescrite et ce dernier a acquis, en vertu des lois de la Californie, le droit de ne plus être importuné par quelque action découlant de l’accident d’automobile.

8 L’article 12 n’est pas censé faire renaître des actions prescrites. En l’espèce, il était encore possible de s’adresser au tribunal albertain lors de l’introduction de l’action le 9 mai 2000, mais, sous le régime des lois de la Californie, il n’existait plus de droit d’action susceptible d’être exercé par l’épouse contre son époux. Ils vivaient tous deux en Alberta, mais, selon le droit californien, qui régissait les conséquences de l’accident d’automobile, l’action était prescrite depuis un an.

9 Il va de soi que l’art. 12 s’appliquera dans les cas où la loi du lieu où l’accident s’est produit prévoit un délai de prescription plus long que celui applicable en Alberta. Dans un tel cas, il se pourrait que le demandeur conserve un droit d’action contre un défendeur albertain, mais l’art. 12 aurait pour effet d’empêcher les tribunaux de l’Alberta d’instruire l’action (bien qu’elle puisse être intentée ailleurs). Cela s’explique par le fait que le législateur utilise, à l’art. 12, une disposition dérogatoire qui précise que [traduction] « [l]es règles de prescription de la Province s’appliquent dans tous les cas où une demande de réparation est présentée dans la Province, malgré le fait que, conformément aux règles de conflit de lois, l’affaire sera jugée selon le droit substantiel d’un autre ressort ».

10 Tant les parties que l’intervenant ont présenté des observations sur la constitutionnalité de l’art. 12, en arguant que le législateur albertain avait eu l’intention de faire renaître une action prescrite en vertu du droit substantiel applicable. Comme je conclus que l’art. 12 ne produit pas ce résultat, il est inutile d’examiner la question constitutionnelle.

Conclusion

11 Les règles de prescription faisant partie du droit substantiel étranger applicable, en l’occurrence le droit californien, régissent la présente affaire. Comme le délai de prescription applicable en Californie est d’un an, l’action de l’appelante est prescrite. Le pourvoi est rejeté avec dépens.

Version fran—aise des motifs rendus par

Le juge Bastarache —

1. Introduction

12 Le présent pourvoi porte sur l’interprétation correcte et la constitutionnalité de l’art. 12 de la Limitations Act de l’Alberta, R.S.A. 2000, ch. L‑12, qui est ainsi rédigé :

[traduction]

12 Les règles de prescription de la Province s’appliquent dans tous les cas où une demande de réparation est présentée dans la Province, malgré le fait que, conformément aux règles de conflit de lois, l’affaire sera jugée selon le droit substantiel d’un autre ressort.

Les faits à l’origine de la question soumise à notre Cour sont les suivants.

13 Le 10 mai 1998, au cours d’un voyage d’agrément, les parties ont eu un accident impliquant un seul véhicule à Fresno, en Californie, ou non loin de cet endroit. L’intimé était au volant. L’appelante et l’intimé sont mariés ensemble et, au moment de l’accident, ils avaient entrepris de quitter la Colombie‑Britannique pour déménager en Alberta. Le véhicule à bord duquel ils voyageaient était immatriculé et assuré en Colombie‑Britannique. Les parties ont admis que, en tout temps utile pour les besoins de la présente affaire, ils résidaient à Calgary, en Alberta.

14 Le 9 mai 2000, l’appelante a déposé une déclaration à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta afin d’être indemnisée pour les blessures et les dommages qu’elle avait subis en raison de l’accident. L’intimé a demandé avec succès une ordonnance de rejet sommaire de l’action pour le motif que celle‑ci était irrecevable selon le droit de la Californie, où le délai de prescription applicable est d’un an : (2002), 3 Alta. L.R. (4th) 84, 2002 ABQB 379. La Cour d’appel a confirmé cette décision : (2004), 30 Alta. L.R. (4th) 67, 2004 ABCA 158. L’appelante fait valoir que l’art. 12 a pour objet et pour effet d’appliquer le délai de prescription de deux ans prévu en Alberta et d’écarter le délai de prescription d’un an en vigueur en Californie, ce qui permet à l’action de suivre son cours.

15 La Cour doit déterminer si l’art. 12 écarte effectivement l’application des règles de prescription du ressort étranger dont les lois régissent par ailleurs la cause d’action. L’article 12 vise à appliquer les règles de prescription de l’Alberta [traduction] « malgré le fait que, conformément aux règles de conflit de lois, l’affaire sera jugée selon le droit substantiel d’un autre ressort ». Le problème que pose l’interprétation de ces mots tient notamment à l’arrêt Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022, dans lequel notre Cour a reconnu que les délais de prescription sont des règles substantielles. Cela explique pourquoi la mention du droit substantiel du ressort étranger, à l’art. 12, viserait normalement les règles de prescription de ce ressort. En l’espèce, toutefois, l’appelante soutient que l’emploi de la préposition « malgré » (« notwithstanding ») a pour effet d’écarter les règles de prescription du ressort étranger.

16 Si, comme le propose l’appelante, l’art. 12 est interprété comme écartant les règles de prescription du ressort étranger, les règles de prescription de l’Alberta s’appliquent alors exclusivement dans tous les cas où une demande de réparation est présentée dans cette province. Si, comme c’est le cas en l’espèce, le délai de prescription applicable est plus court en Californie qu’en Alberta, le délai plus long prévu en Alberta s’applique et permet en fait de reconnaître un droit d’action qui, selon le droit californien, serait éteint. Si le délai de prescription applicable était plus long en Californie qu’en Alberta, le délai plus court prévu en Alberta s’appliquerait alors de manière à rendre l’action irrecevable dans cette province. La Cour d’appel ne s’est pas demandé si l’appelante pourrait intenter une action en Californie dans un tel cas; il n’y a aucun doute que la détermination du forum conveniens par le tribunal qui sera, en fin de compte, saisi de l’action répondra à cette question.

17 Si, comme le propose l’intimé, l’art. 12 est interprété de façon à ne pas écarter les règles de prescription du ressort étranger, les tribunaux sont alors tenus d’appliquer d’abord le délai de prescription de la Californie et ensuite celui de l’Alberta. Il en est ainsi parce que le délai de prescription de l’Alberta s’applique malgré le fait que l’affaire est jugée selon le droit substantiel du ressort étranger, y compris les règles de prescription de ce ressort. Donc, les règles de prescription de l’Alberta ne s’appliquent pas dans un cas où, comme en l’espèce, le droit substantiel de la Californie rend l’action irrecevable. Cela est dû à l’absence de droit de présenter une demande de réparation devant les tribunaux albertains, et les conditions de l’art. 12 ne sont donc pas remplies.

18 Pour les motifs qui suivent, je conclus que, selon ces deux façons d’interpréter l’art. 12, il y a tentative inconstitutionnelle de la province de l’Alberta d’édicter une mesure législative ayant une portée extraterritoriale.

2. L’interprétation correcte de l’art. 12 de la Limitations Act

2.1 Le sens ordinaire de l’art. 12

19 Les parties ne s’entendent pas sur le sens à donner à la préposition « malgré », plus particulièrement sur la question de savoir si elle écarte les règles de prescription du ressort étranger. Selon P.‑A. Côté, Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 451 :

Conscient de la possibilité de conflits entre les lois qu’il adopte, le législateur a pu formuler expressément des règles de solution qui permettront d’établir la priorité d’une loi sur une autre.

Les formules employées pour hiérarchiser diverses lois entre elles sont familières et variées. On écrira que telle disposition s’applique « nonobstant » ou « malgré » toute disposition contraire si on veut établir sa primauté. À l’inverse, si la primauté d’une autre disposition veut être affirmée, on énoncera la règle « sous réserve » de cette autre disposition. On pourra même consacrer à cette question un article entier établissant que les dispositions d’une loi « prévalent sur les dispositions inconciliables de toute autre loi ».

L’application de textes de cette nature peut soulever des difficultés de deux types. La plus évidente est celle liée à l’identification du conflit : ce peut être une question fort controversée que de savoir si deux textes sont inconciliables ou bien s’ils se complètent. L’existence même d’un conflit soulève des questions d’interprétation qui doivent être réglées avant que la règle de solution du conflit ne soit appliquée. [Je souligne; renvois omis.]

20 Si l’on accepte, pour les fins de la discussion seulement, que l’emploi de la préposition « malgré » établit un ordre de priorité propice à l’application des règles de prescription de l’Alberta en cas de conflit de lois, la question qui se pose est de savoir si un conflit découle de l’application des règles de prescription des deux ressorts. La Cour d’appel de l’Alberta a conclu que l’interprétation correcte de l’art. 12 exige de tenir compte à la fois des règles de prescription de la Californie et de celles de l’Alberta. En définitive, pour qu’une action suive son cours devant les tribunaux de l’Alberta, ni le délai de prescription étranger, ni le délai de prescription albertain ne doit avoir expiré. Selon la Cour d’appel, l’art. 12 reconnaît que le droit californien s’applique et détermine s’il y a une cause d’action; l’art. 12 aurait alors simplement pour effet de raccourcir le délai dans lequel l’action peut être intentée en Alberta : voir Ryan c. Moore, [2005] 2 R.C.S. 53, 2005 CSC 38.

21 Néanmoins, l’application des délais de prescription des deux ressorts risque d’engendrer un conflit implicite. Le professeur Côté explique qu’« [i]l y a conflit implicite [. . .] si l’application cumulative de deux lois, bien que techniquement possible, mène à des conséquences tellement déraisonnables ou absurdes qu’on puisse croire que le législateur n’a pas voulu une telle application » (p. 446). L’interprétation de la Cour d’appel aurait l’effet suivant : le défendeur à une action intentée devant un tribunal albertain dans laquelle le droit étranger s’applique bénéficierait toujours du délai de prescription le plus court possible. Ce résultat ne semble répondre à aucun objectif législatif. S’il est établi que l’application des règles de prescription des deux ressorts engendre un conflit implicite, la préposition « malgré » a alors pour effet de favoriser l’application des règles de prescription albertaines et d’écarter les règles de prescription étrangères. Cette interprétation est probablement plus fidèle à l’intention du législateur. En fait, l’utilisation de la préposition « malgré » par le législateur indique qu’il a prévu la possibilité que des conflits surgissent dans l’application à la fois des règles de prescription du for et de celles du ressort étranger.

2.2 Preuve extrinsèque de l’intention du législateur

22 Notre Cour a constamment maintenu que

[traduction] [a]ujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

(Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E. A. Driedger, The Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87)

23 L’appelante soutient que, lorsque le sens ordinaire d’une disposition législative est clair et sans équivoque, aucune preuve extrinsèque de l’intention du législateur ne devrait être admissible. Je ne crois pas que le sens ordinaire de l’art. 12 soit clair et sans équivoque. Je doute également qu’il soit possible de donner à cette disposition législative une interprétation fondée uniquement sur le sens ordinaire des mots sans tenir compte du contexte global, notamment de l’objet et de l’esprit de la Loi. En approuvant la méthode d’interprétation législative du professeur Driedger, le juge Iacobucci a reconnu que « l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi » (Rizzo & Rizzo Shoes, par. 21; voir aussi R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), p. 9‑18). Il est maintenant bien reconnu que l’on peut, tout à fait à juste titre, tenir compte de l’historique législatif, des débats parlementaires et d’autres documents semblables pourvu qu’ils soient pertinents et fiables et qu’on ne leur donne pas plus de poids qu’ils n’en méritent : Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), [2000] 1 R.C.S. 783, 2000 CSC 31, par. 17.

24 Il n’existe que très peu d’éléments de preuve extrinsèques de l’intention législative qui sous‑tend l’art. 12. L’appelante s’appuie sur le rapport no 55 de l’Alberta Law Reform Institute, intitulé Limitations (1989), dans lequel on conclut que les règles de prescription ont été, à juste titre, qualifiées de procédurales et que les tribunaux doivent appliquer le droit procédural local. Ce rapport, déposé cinq ans avant l’arrêt Tolofson, recommandait d’inclure l’art. 12 dans la nouvelle Limitations Act de l’Alberta en raison notamment de l’incertitude créée par la qualification des délais de prescription comme étant des règles substantielles ou procédurales, selon leur libellé particulier. Dans l’arrêt Tolofson, le juge La Forest a dissipé l’incertitude à l’origine du rapport et de sa recommandation en reconnaissant que, quelle que soit la façon dont ils sont libellés, les délais de prescription sont tous des règles substantielles.

25 Qui plus est, rien au dossier ne prouve que le législateur a examiné ou débattu l’arrêt Tolofson ou le rapport, qui n’était pas déposé au moment de la présentation et de l’adoption de la loi en cause. En 1989, le gouvernement de l’Alberta a choisi de ne pas donner suite à la recommandation du rapport. En 1996, l’art. 12 a été présenté sous la forme d’un projet de loi d’initiative parlementaire. Le seul autre élément de preuve extrinsèque invoqué par l’appelante est une simple phrase formulée par M. Herard, le député ayant présenté le projet de loi :

[traduction] Dans le but d’éliminer la tâche souvent difficile qui consiste à qualifier une mesure législative en matière de prescription afin de déterminer quel droit s’applique à une action, le projet de loi 205 prévoit que, malgré tout, les règles de prescription applicables à une action intentée en Alberta sont régies par le droit albertain.

(Alberta Hansard, vol. I, 23e lég., 4e sess., 20 mars 1996, p. 707)

À lui seul, cet élément de preuve ne peut pas constituer une indication de l’intention du législateur. En réalité, M. Herard parle de la tâche difficile qui consiste à qualifier une mesure législative en matière de prescription, bien que le juge La Forest ait reconnu péremptoirement dans l’arrêt Tolofson que les délais de prescription sont tous de nature substantielle.

2.3 La présomption de non‑modification de la common law

26 Le juge Iacobucci a récemment confirmé ce principe alors qu’il s’exprimait au nom des juges majoritaires de notre Cour dans l’arrêt Parry Sound (District) Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157, 2003 CSC 42, par. 39 :

Tout d’abord, je pense qu’il est utile d’insister sur la présomption que le législateur n’a pas l’intention de modifier le droit existant ni de s’écarter des principes, politiques ou pratiques établis. Dans Goodyear Tire & Rubber Co. of Canada c. T. Eaton Co., [1956] R.C.S. 610, p. 614, par exemple, le juge Fauteux (plus tard Juge en chef) écrit : [traduction] « le législateur n’est pas censé s’écarter du régime juridique général sans exprimer de façon incontestablement claire son intention de le faire, sinon la loi reste inchangée ». Dans Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1077, le juge Lamer (plus tard Juge en chef) écrit que « le législateur n’est pas censé, à défaut de disposition claire au contraire, avoir l’intention de modifier les règles de droit commun pré‑existantes ».

27 Je ne crois pas que ce principe s’applique en l’espèce. Comme je l’ai déjà mentionné, les principes de common law applicables ont été établis par le juge La Forest dans l’arrêt Tolofson. Dans cet arrêt, le juge La Forest a statué que la règle de droit international privé qui devrait généralement s’appliquer en matière de responsabilité délictuelle est la loi du lieu où l’activité s’est déroulée, c’est‑à‑dire la lex loci delicti. Cette règle du choix de la loi applicable reposait en grande partie sur le principe de la territorialité qui régit l’ordre juridique international et le fédéralisme canadien. Le juge La Forest était aussi motivé par un certain nombre de considérations de politique générale importantes, dont le besoin de certitude, de prévisibilité et de facilité d’application. La règle de la lex loci delicti est neutre quant au for et elle élimine les problèmes potentiels de recherche d’un tribunal favorable. Le juge La Forest explique que « [l]es gens s’attendent habituellement à ce que leurs activités soient régies par la loi du lieu où ils se trouvent et à ce que les avantages et les responsabilités juridiques s’y rattachant soient définis en conséquence » (Tolofson, p. 1050‑1051).

28 Le juge La Forest a également conclu, dans l’arrêt Tolofson, que, lorsque la loi applicable est la lex loci delicti, le délai de prescription établi en vertu de cette loi s’applique et lie le tribunal saisi du litige. Il en est ainsi parce que le délai de prescription constitue une règle substantielle. Je reviendrai sur cette question en examinant la constitutionnalité de la mesure législative contestée. Donc, selon la common law, c’est généralement la loi du lieu du délit qui s’applique et le délai de prescription établi en vertu de cette loi s’applique et lie le tribunal saisi de l’affaire.

29 L’article 12 reconnaît que [traduction] « conformément aux règles de conflit de lois, l’affaire sera jugée selon le droit substantiel d’un autre ressort ». Cependant, il vise à appliquer les règles de prescription de l’Alberta « malgré » les règles de conflit de lois. L’interprétation proposée par l’appelante signifie que les règles de prescription albertaines écarteront les règles de prescription étrangères dans tous les cas. En fait, cet argument laisse entendre que, suivant l’art. 12, les délais de prescription sont des règles procédurales. L’interprétation proposée par l’intimé signifie que les règles de prescription albertaines n’écarteront les règles de prescription étrangères que dans les cas où le délai de prescription applicable en Alberta est plus court que son pendant étranger. L’intimé soutient, en effet, que, bien que le délai de prescription applicable en Californie s’inscrive dans le droit substantiel de cet État, l’Alberta peut appliquer un délai de prescription procédural pour décider si une cause d’action qui existe toujours en vertu des lois de la Californie peut être jugée en Alberta. Étant donné que les deux interprétations modifient la common law, la présomption ne peut pas être concluante.

2.4 La présomption d’absence de portée extraterritoriale

30 Le texte de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 limite la compétence législative des provinces aux affaires « [d]ans chaque province ». En l’absence de disposition contraire, expresse ou implicite, les législateurs sont présumés respecter les limites territoriales de leur compétence législative : Côté, p. 252‑255. Il faut, autant que possible, donner à une mesure législative une interprétation conforme à cette intention présumée. De même, il est maintenant reconnu que, lorsqu’une mesure législative est susceptible de plus d’une interprétation, elle doit être interprétée de manière à être compatible avec la Constitution : McKay c. The Queen, [1965] R.C.S. 798, p. 803; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1078.

31 Les parties ont proposé deux façons d’interpréter l’art. 12. Bien que j’estime plus plausible l’interprétation proposée par l’appelante, il n’y a pas suffisamment d’indices de l’intention du législateur pour décider quelle interprétation doit être privilégiée. J’examinerai donc la constitutionnalité des deux interprétations.

3. La constitutionnalité de l’art. 12 de la Limitations Act

32 L’arrêt le plus récent en matière d’extraterritorialité est Colombie‑Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, [2005] 2 R.C.S. 473, 2005 CSC 49. La compétence législative des provinces est limitée territorialement en raison des mots « [d]ans chaque province » figurant dans le paragraphe introductif de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, ainsi que des impératifs d’ordre et d’équité qui sous‑tendent le fédéralisme canadien : Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, p. 1102‑1103; Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289, p. 324‑325; Imperial Tobacco, par. 26‑27. L’article 92 a pour double objet d’assurer que la mesure législative provinciale a un lien significatif avec la province qui l’adopte et qu’elle respecte la souveraineté législative des autres territoires : Imperial Tobacco, par. 36.

33 La première étape consiste à déterminer le caractère véritable de la mesure législative et le chef de compétence dont elle relève : Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297, p. 332; Imperial Tobacco, par. 36. Si le caractère véritable est intangible, le tribunal doit examiner le lien entre le territoire ayant légiféré, l’objet de la mesure législative en cause et les personnes qui y sont assujetties : Imperial Tobacco, par. 36. Il doit aussi vérifier si l’art. 12 respecte la souveraineté législative des autres territoires : Imperial Tobacco, par. 36. Si ces deux conditions sont remplies, le double objet de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 est respecté et la mesure législative est valide.

3.1 Le caractère véritable de l’art. 12 de la Limitations Act

34 L’article 12 a pour objet et pour effet de rendre les règles de prescription de l’Alberta applicables dans tous les cas où une demande de réparation est présentée à un tribunal albertain. Étant donné que les règles de prescription de l’Alberta s’appliquent ordinairement aux actions intentées devant les tribunaux albertains qui sont régies par ailleurs par le droit de l’Alberta, l’art. 12 s’applique uniquement dans les cas où les règles albertaines de conflit de lois indiquent que le droit substantiel d’un autre ressort régit la cause d’action. Normalement, en appliquant cet autre droit, le tribunal albertain appliquerait aussi le délai de prescription qu’il établit, étant donné que notre Cour a reconnu, dans l’arrêt Tolofson, que les délais de prescription sont de nature substantielle. L’article 12 a donc pour objet et pour effet de rendre les règles de prescription de l’Alberta applicables dans les cas où elles seraient par ailleurs inapplicables — précisément parce que les règles albertaines du choix de la loi applicable indiquent que le droit d’un ressort étranger s’applique.

35 Les délais de prescription ont pour effet d’éteindre les droits substantiels des demandeurs et d’investir les défendeurs du droit de ne pas être poursuivis en pareils cas. Le caractère véritable de la règle de droit doit donc être considéré comme se rapportant aux droits civils, conformément au par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867.

36 Dans son argumentation orale, l’appelante a soutenu qu’il était loisible au législateur albertain d’écarter la conclusion de l’arrêt Tolofson selon laquelle les délais de prescription sont des règles substantielles, et c’est ce que l’Alberta a fait en adoptant l’art. 12. Je crois que cet argument repose sur une mauvaise compréhension de l’arrêt Tolofson. Le juge La Forest n’a pas établi de principe de common law selon lequel les délais de prescription devraient simplement être assimilés à des règles substantielles. Il a plutôt expliqué que « la classification “règle de fond — règle de procédure” vise à déterminer quelles règles assurent le bon fonctionnement du tribunal saisi, par opposition à celles qui déterminent les droits des deux parties » (Tolofson, p. 1072 (souligné dans l’original)). Le juge La Forest a reconnu que les délais de prescription sont, de par leur nature même, des règles substantielles, précisément parce qu’ils déterminent les droits de chacune des parties : ils anéantissent le droit du demandeur d’intenter des poursuites et investissent le défendeur du droit de ne pas être poursuivi. Les provinces ne peuvent changer la nature des règles de prescription sans en modifier fondamentalement le contenu. Aucune intention implicite en ce sens n’a pu être décelée en l’espèce. En fait, étant donné qu’un tribunal peut appliquer une mesure législative substantielle pour modifier des droits régis par une loi étrangère, [traduction] « une mesure législative ne devrait être qualifiée de procédurale que si cela ne fait aucun doute. S’il y a un doute, on devrait le dissiper en concluant que la mesure législative est une règle de fond » (Block Bros. Realty Ltd. c. Mollard (1981), 122 D.L.R. (3d) 323 (C.A.C.‑B.), p. 328, cité avec approbation dans l’arrêt Tolofson, p. 1068‑1069).

37 La distinction entre les règles substantielles et les règles procédurales est essentiellement le résultat d’une désignation. Cette désignation a toutefois d’importantes conséquences constitutionnelles. Lorsqu’une règle est qualifiée de procédurale, elle est valide au regard du par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867 à titre de règle se rapportant à l’administration de la justice dans la province, pour autant qu’elle s’applique aux tribunaux de l’Alberta ou aux actions intentées devant ces tribunaux. Aucun autre examen n’est requis. Si l’Alberta peut assimiler les délais de prescription à des règles procédurales, elle peut alors fixer des délais de prescription applicables à toutes les actions intentées devant ses tribunaux sans jamais contrevenir à la Constitution. Si une règle est qualifiée de substantielle, elle doit toutefois être justifiée au regard du par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 comme se rapportant aux droits civils dans la province, ce qui a pour effet de déclencher l’analyse de l’arrêt Imperial Tobacco relative au situs des matières intangibles. Permettre à l’Alberta d’assimiler les délais de prescription à des règles procédurales revient essentiellement à lui permettre de contourner le critère du lien significatif établi dans l’arrêt Imperial Tobacco. Cela aurait pour effet d’autoriser l’Alberta à édicter des lois ayant une portée extraterritoriale. En d’autres termes, la province ne peut pas décider si les délais de prescription sont des règles procédurales ou des règles substantielles. Il en est ainsi parce que la distinction entre les règles substantielles et les règles procédurales permet essentiellement de déterminer, sur le plan de la constitutionnalité, si une loi relève du par. 92(14) ou du par. 92(13) de la Constitution. Cette distinction doit reposer sur autre chose qu’une affirmation d’une province. J’estime qu’elle devrait être fondée sur les effets véritables de la loi. Les effets des délais de prescription ont été clairement exposés dans l’arrêt Tolofson : les délais de prescription éteignent le droit substantiel des demandeurs d’intenter des poursuites, et ils investissent les défendeurs du droit de ne pas être poursuivis. Telle est la réalité dont l’Alberta ne peut pas faire abstraction.

38 Cela peut sembler étrange à la lumière de la conception traditionnelle de common law selon laquelle les délais de prescription sont des règles procédurales. Cette conception était relativement incontestée avant l’arrêt Tolofson, bien que le juge La Forest souligne, aux p. 1071‑1072, que certains tribunaux de common law avaient déjà commencé à réduire la portée de la distinction entre droits et recours pour des considérations de politique générale pertinentes. En outre, au moins un juge de common law canadien avait reconnu que les délais de prescription investissaient le défendeur du droit de ne pas être poursuivi : le juge en chef Stratton du Nouveau‑Brunswick, dans l’arrêt Clark c. Naqvi (1989), 99 R.N.‑B. (2e) 271 (C.A.), p. 275‑276, cité avec approbation dans l’arrêt Tolofson, p. 1072. Le juge La Forest a décrit les deux principales raisons pour lesquelles la common law reconnaît à tort depuis longtemps la nature procédurale des délais de prescription : l’opinion selon laquelle des justiciables étrangers ne devraient pas profiter d’avantages que ne peuvent tirer les justiciables du tribunal saisi, et l’opinion mystique selon laquelle une cause d’action en common law conférait au demandeur un droit permanent (Tolofson, p. 1069). Aucune de ces raisons n’est convaincante. J’estime qu’il faut cesser de mettre en doute le principe établi dans l’arrêt Tolofson.

39 Néanmoins, la common law a longtemps considéré que les délais de prescription étaient des règles procédurales, de sorte qu’à première vue il peut paraître étrange de conclure que les règles de prescription doivent être considérées comme des règles substantielles et, relativement à des mesures législatives provinciales, être justifiées au regard du par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 comme touchant, de par leur caractère véritable, les droits civils. Jusqu’à maintenant, la qualification des délais de prescription n’a jamais été une source de préoccupation sur le plan constitutionnel. C’est la première fois que notre Cour examine une règle d’origine législative portant sur le choix de la loi applicable en matière de prescription et qu’elle doit se prononcer sur sa constitutionnalité. En examinant cette question, la Cour doit d’abord reconnaître que les provinces ne peuvent édicter des lois ayant une portée extraterritoriale. De même, la common law ne s’intéressait pas au principe de la territorialité jusqu’à ce que le juge La Forest le mentionne expressément dans l’arrêt Tolofson. En décidant que la règle du choix de la loi applicable en matière de responsabilité délictuelle devait être la lex loci delicti, c’est‑à‑dire la loi du lieu du délit, le juge La Forest a expliqué ceci :

Il ressort à l’évidence de ce que je viens de dire que je n’accepte pas l’ancienne règle britannique, retenue dans l’arrêt McLean c. Pettigrew, suivant laquelle nos tribunaux devraient appliquer notre propre loi aux fautes commises dans un autre pays, à la condition que la faute en question soit « injustifiable » dans cet autre pays. Si je comprends bien, cela implique la définition par un tribunal de la nature et des conséquences d’un acte accompli dans un autre pays. En l’absence de quelque justification de principe, cela me semble aller à l’encontre du principe de la territorialité. [Je souligne; p. 1052.]

Quant à la règle de common law erronée selon laquelle les délais de prescription sont des règles procédurales, le juge La Forest s’est fondé sur la même analyse : « Comme nous l’avons vu, le principe qui [. . .] sous‑tend [la règle selon laquelle les délais de prescription sont des règles procédurales], soit la préférence de la lex fori à la lex loci delicti, a été évincé en l’espèce » (p. 1071). Dans l’arrêt Tolofson, le juge La Forest formulait des règles de common law sur le choix de la loi applicable. Dans le présent pourvoi, la Cour est en présence d’une règle d’origine législative provinciale portant sur le choix de la loi applicable. Il faut se rappeler que le principe de la territorialité dont parle le juge La Forest n’est pas simplement une question de courtoisie; il représente aussi une restriction constitutionnelle de la compétence législative des provinces.

40 Il faut ensuite se demander si, conformément au critère établi dans l’arrêt Imperial Tobacco, les droits auxquels l’art. 12 est censé s’appliquer sont situés dans la province, au sens de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. S’ils ne le sont pas, l’art. 12 sera jugé inconstitutionnel en raison de ses effets extraterritoriaux.

3.2 Le critère du lien significatif

41 L’article 12 rend les règles de prescription de l’Alberta applicables aux seules actions intentées devant les tribunaux de cette province. Il représente, en ce sens, une règle d’origine législative portant sur le choix de la loi applicable qui détermine dans quels cas les tribunaux albertains appliqueront les règles de prescription de l’Alberta. L’appelante soutient que le droit en matière de compétence juridictionnelle et de forum conveniens assurera que, dans tous les cas où l’art. 12 rend applicables les règles de prescription de l’Alberta, l’existence d’un lien réel et substantiel entre l’Alberta et la cause d’action aura été démontrée. Cependant, le lien réel et substantiel ne correspond pas au lien significatif défini dans l’arrêt Imperial Tobacco. Les deux notions ne sauraient être confondues.

42 Pour qu’une mesure législative provinciale soit valide, il doit y avoir un lien significatif entre la province qui l’adopte, l’objet de la mesure législative et les personnes qui y sont assujetties. Par contre, l’existence d’un « lien réel et substantiel » commande une analyse plus souple qui vise à déterminer quel tribunal devrait entendre l’affaire pour des raisons de commodité. Comme l’a expliqué le juge La Forest dans l’arrêt Hunt, p. 325, le critère « ne se voulait pas un critère rigide, mais visait simplement à exprimer l’idée que les revendications de compétence doivent être assujetties à certaines limites ». Dans l’arrêt Unifund Assurance Co. c. Insurance Corp. of British Columbia, [2003] 2 R.C.S. 63, 2003 CSC 40, par. 58, le juge Binnie a affirmé qu’« un “lien réel et substantiel” qui serait par ailleurs suffisant pour permettre aux tribunaux d’une province de se déclarer compétents à l’égard d’un litige peut toutefois ne pas être suffisant pour que les lois de cette province décident de l’issue de ce litige ».

43 Quant au principe du forum conveniens, il porte généralement sur des questions de commodité. C’est la raison pour laquelle le critère du lien réel et substantiel et le principe du forum conveniens n’exigent pas nécessairement le même degré de rattachement entre la province, l’objet de la mesure législative applicable et les parties qui y sont assujetties, que celui requis par le critère de l’arrêt Imperial Tobacco. Cela a amené le juge La Forest à reconnaître, dans l’arrêt Tolofson, p. 1070, que « [l]e tribunal assume compétence non pas pour appliquer la loi locale, mais pour accommoder les justiciables afin de répondre à la mobilité contemporaine et aux impératifs de l’ordre économique national ou mondial. »

44 Les parties avancent des arguments qui, s’ils étaient retenus, amèneraient notre Cour à confondre le critère constitutionnel de compétence juridictionnelle et le critère constitutionnel de compétence législative. Ce résultat est injustifié et irait à l’encontre de l’arrêt Imperial Tobacco. Le lien réel et substantiel nécessaire pour que les tribunaux d’une province se déclarent compétents à l’égard d’une affaire est un critère moins strict que le lien significatif requis pour qu’une province puisse légiférer à l’égard des droits en cause.

45 L’article 12 est essentiellement une règle du choix de la loi applicable qui n’est fondée sur aucun autre lien que le lien réel et substantiel nécessaire pour que les tribunaux albertains puissent se déclarer compétents à l’égard d’une affaire. Je conclus donc que le lien réel et substantiel dont l’existence a été établie n’est pas suffisant pour qu’il y ait un lien significatif entre la province, l’objet de la mesure législative et les personnes qui y sont assujetties. Dans les motifs dissidents que j’ai rédigés dans l’affaire Unifund Assurance, j’ai conclu, au par. 133, en m’appuyant en partie sur l’arrêt Muscutt c. Courcelles (2002), 60 O.R. (3d) 20 (C.A.), que « l’existence d’un lien avec l’objet de l’action suffit pour établir la simple reconnaissance de compétence d’un tribunal vu la démarche souple à laquelle a souscrit notre Cour ». La souplesse de la démarche adoptée pour déterminer l’existence de compétence se reflète dans l’arrêt unanime Muscutt où la Cour d’appel de l’Ontario énumère les facteurs qui devraient être examinés :

· le lien entre le ressort et l’action du demandeur;

· le lien entre le ressort et le défendeur;

· l’injustice subie par le défendeur si le tribunal se déclare compétent;

· l’injustice subie par le demandeur si le tribunal ne se déclare pas compétent;

· les autres parties en cause;

· la disposition du tribunal à reconnaître et à exécuter un jugement extraprovincial reposant sur le même fondement juridictionnel;

· la question de savoir si l’affaire est de nature interprovinciale ou internationale;

· la courtoisie et les normes de compétence, de reconnaissance et d’exécution applicables ailleurs.

Ces facteurs ne visent pas strictement le lien entre le ressort, d’une part, et les parties et la cause d’action, d’autre part. Ils sont plutôt le reflet d’importantes considérations de politique générale telles que l’équité, la courtoisie et l’efficacité.

46 Étant donné que l’art. 12 ne prévoit pas qu’il doit exister un lien significatif entre l’Alberta, les droits civils touchés par cette disposition et les demandeurs et défendeurs qui y sont assujettis, il viole les limites territoriales de la compétence législative établies à l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. L’article 12 a pour objet et pour effet d’appliquer le droit albertain de façon à anéantir des droits acquis et existants qui sont situés à l’extérieur de la province, indépendamment de la question de savoir si l’Alberta a un lien significatif avec ces droits ou leurs titulaires.

47 Cela est vrai pour les deux interprétations proposées. L’interprétation proposée par l’appelante signifie que, dans tous les cas où une demande de réparation est présentée en Alberta et où la loi étrangère régit la demande, l’art. 12 anéantira le droit substantiel de l’un ou l’autre du demandeur ou du défendeur. Si le délai de prescription applicable en Alberta est plus court que son pendant étranger, l’art. 12 anéantira le droit du demandeur d’intenter l’action. Si le délai de prescription est plus long en Alberta qu’à l’étranger, l’art. 12 anéantira le droit du défendeur de ne pas être poursuivi.

48 Selon l’interprétation proposée par l’intimé, l’art. 12 s’applique seulement lorsque le délai de prescription de l’Alberta est plus court que celui du ressort étranger. L’intimé fait valoir que, dans le cas où le délai de prescription albertain est plus long que son pendant étranger, aucun recours ne pourra être exercé en Alberta du fait que le droit d’action aura cessé d’exister sous le régime du droit étranger. Suivant cette interprétation, l’art. 12 n’anéantit que les droits substantiels des demandeurs. Indépendamment de l’exactitude de cette interprétation, le fait que l’art. 12 anéantisse les droits d’action substantiels des demandeurs suffit à le rendre inconstitutionnel. Il en est ainsi parce que l’Alberta légifère de façon à anéantir les droits d’action substantiels des demandeurs sans prescrire l’existence d’un lien significatif entre la province, les droits en question et leurs titulaires.

49 L’idée que ce problème peut être surmonté en raison de la possibilité d’intenter une nouvelle action en Californie, même dans le cas où le tribunal albertain s’est déclaré compétent, est sujette à caution. La Cour n’est pas saisie de la question de savoir si l’action pourrait être intentée en Californie. Au contraire, un tribunal albertain s’est déclaré compétent et est tenu, conformément à l’art. 12, d’appliquer le droit substantiel de la Californie à l’action dont il est saisi. L’article 12 a donc pour effet, en l’espèce, de priver la demanderesse du droit d’intenter l’action. En admettant que l’art. 12 ne prévoit pas l’existence d’un lien significatif entre l’Alberta et le droit sur lequel la demanderesse fonde son action, l’atteinte portée au droit de la demanderesse est inconstitutionnelle.

50 Pour les motifs susmentionnés, l’art. 12 de la Limitations Act ne respecte pas non plus le deuxième volet du critère de l’arrêt Imperial Tobacco dans la mesure où il ne tient simplement pas compte de la souveraineté législative des autres ressorts où sont situés les droits substantiels en cause.

51 Cela ne signifie pas que la Constitution empêche les provinces de modifier les règles ordinaires du choix de la loi applicable. Cependant, si elles décident de le faire, elles doivent légiférer à l’intérieur de leurs limites territoriales et s’assurer de l’existence d’un lien significatif entre la province qui légifère, l’objet de la mesure législative et les personnes qui y sont assujetties.

4. Conclusion

52 Comme j’estime que les deux interprétations proposées pour l’art. 12 sont inconstitutionnelles, il n’est pas nécessaire que je tranche la question de l’interprétation correcte de l’art. 12. L’article 12 de la Limitations Act de l’Alberta est invalide et inopérant. Je conviens donc que le délai de prescription d’un an en vigueur en Californie s’applique de manière à rendre irrecevable l’action de la demanderesse.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante : Macleod Dixon, Calgary.

Procureurs de l’intimé : Fasken Martineau DuMoulin, Vancouver.

Procureur de l’intervenant : Alberta Justice, Edmonton.


Synthèse
Référence neutre : 2005 CSC 83 ?
Date de la décision : 22/12/2005
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Prescription - Conflit de lois - Accident d’automobile en Californie - Action intentée devant un tribunal albertain - Action irrecevable en vertu des règles de prescription de la Californie, mais recevable en vertu de celles de l’Alberta - L’article 12 de la Limitations Act de l’Alberta peut‑il faire renaître une action prescrite en vertu du droit substantiel du lieu où l’accident est survenu? - Limitations Act, R.S.A. 2000, ch. L‑12, art. 12.

Droit constitutionnel - Partage des compétences - Administration de la justice - Délais impartis pour connaître d’une affaire - L’article 12 de la Limitations Act de l’Alberta est‑il une mesure législative provinciale valide? - Loi constitutionnelle de 1867, art. 92(14) - Limitations Act, R.S.A. 2000, ch. L‑12, art. 12.

L’appelante et l’intimé, qui sont mariés ensemble, ont eu un accident impliquant un seul véhicule en Californie. L’épouse a intenté une action contre son époux en Alberta, où ils résidaient, à l’intérieur du délai de prescription de deux ans applicable dans cette province, mais après l’expiration du délai de prescription d’un an en vigueur en Californie. L’époux a demandé le rejet de l’action en invoquant le délai de prescription d’un an prévu par le droit californien, mais l’épouse a soutenu que, en vertu de l’art. 12 de la Limitations Act de l’Alberta, le délai de prescription de deux ans en vigueur en Alberta s’appliquait malgré l’expiration du délai de prescription d’un an en vigueur en Californie. L’article 12 prévoit que « [l]es règles de prescription de la Province s’appliquent dans tous les cas où une demande de réparation est présentée dans la Province, malgré le fait que, conformément aux règles de conflit de lois, l’affaire sera jugée selon le droit substantiel d’un autre ressort. » La Cour du Banc de la Reine a rejeté l’action de l’épouse pour le motif qu’elle était prescrite en vertu du droit californien, concluant que, pour que l’action suive son cours en Alberta en vertu de l’art. 12, ni l’un ni l’autre délai de prescription ne devait avoir expiré avant l’introduction de l’action. La Cour d’appel a confirmé cette décision.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

La juge en chef McLachlin et les juges Major, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron : Le droit substantiel applicable à l’accident était le droit de la Californie, y compris les règles de prescription de cet État. Comme le délai de prescription de la Californie s’appliquait et avait expiré avant l’introduction de l’action, il n’existait aucun droit d’action à l’époque où l’épouse a intenté son recours devant le tribunal albertain. L’article 12 de la Limitations Act n’est pas censé faire renaître une action prescrite en vertu du droit substantiel du lieu où l’accident est survenu. [3‑4] [8]

Compte tenu de cette interprétation de l’art. 12, il n’est pas nécessaire de décider si la disposition contestée excède les limites territoriales de la compétence législative de la province. L’article 12 est une disposition législative provinciale parfaitement valide au regard du par. 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867. Pour ce qui est de l’administration de la justice dans la province, il est loisible au législateur de l’Alberta de fixer le délai à l’intérieur duquel les tribunaux albertains peuvent connaître d’une affaire, même dans le cas où l’affaire a pris naissance dans un ressort étranger et est régie par le droit substantiel de ce ressort. [5‑6] [10]

Le juge Bastarache : Le texte de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 limite la compétence législative des provinces aux affaires « [d]ans chaque province ». En l’espèce, l’art. 12 de la Limitations Act représente une tentative inconstitutionnelle de l’Alberta d’édicter une mesure législative ayant une portée extraterritoriale. Cela est vrai pour les deux interprétations de l’art. 12 proposées par les parties. Le délai de prescription d’un an en vigueur en Californie s’applique de manière à rendre irrecevable l’action de l’épouse. [18] [30] [47] [52]

Les délais de prescription comme celui prévu à l’art. 12 sont de nature substantielle et ont pour effet d’éteindre les droits substantiels des demandeurs et d’investir les défendeurs du droit de ne pas être poursuivis. Bien que son caractère véritable se rapporte aux droits civils conformément au par. 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, l’art. 12 excède les limites territoriales de la compétence législative établies à l’art. 92. Non seulement la disposition contestée ne prévoit pas qu’il doit exister un lien significatif entre l’Alberta, les droits civils touchés par cette disposition et les demandeurs et défendeurs qui y sont assujettis, mais encore elle ne tient simplement pas compte de la souveraineté législative des autres ressorts où sont situés les droits substantiels en cause. [34‑35] [46] [50]

L’article 12 est essentiellement une règle du choix de la loi applicable qui n’est fondée sur aucun autre lien que le lien réel et substantiel nécessaire pour que les tribunaux albertains puissent se déclarer compétents à l’égard d’une affaire. Toutefois, le lien réel et substantiel dont l’existence a été établie n’est pas suffisant pour qu’il y ait un lien significatif entre la province, l’objet de la mesure législative et les personnes qui y sont assujetties. Le lien réel et substantiel nécessaire pour que les tribunaux d’une province se déclarent compétents à l’égard d’une affaire est un critère moins strict que le lien significatif requis pour qu’une province puisse légiférer à l’égard des droits en cause. Les deux notions ne sauraient être confondues. [41‑45]


Parties
Demandeurs : Castillo
Défendeurs : Castillo

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Major
Arrêt suivi : Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022.
Citée par le juge Bastarache
Arrêt suivi : Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022
arrêt appliqué : Colombie‑Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, [2005] 2 R.C.S. 473, 2005 CSC 49
arrêts mentionnés : Ryan c. Moore, [2005] 2 R.C.S. 53, 2005 CSC 38
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27
Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), [2000] 1 R.C.S. 783, 2000 CSC 31
Parry Sound (District) Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157, 2003 CSC 42
McKay c. The Queen, [1965] R.C.S. 798
Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038
Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077
Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289
Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297
Block Bros. Realty Ltd. c. Mollard (1981), 122 D.L.R. (3d) 323
Clark c. Naqvi (1989), 99 R.N.‑B. (2e) 271
Unifund Assurance Co. c. Insurance Corp. of British Columbia, [2003] 2 R.C.S. 63, 2003 CSC 40
Muscutt c. Courcelles (2002), 60 O.R. (3d) 20.
Lois et règlements cités
Limitations Act, R.S.A. 2000, ch. L‑12, art. 12.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 92, 92(13), (14).
Doctrine citée
Alberta. Alberta Hansard, vol. I, 23e lég., 4e sess., 20 mars 1996, p. 707.
Alberta. Law Reform Institute. Limitations. Report No. 55. Edmonton : The Institute, 1989.
Côté, Pierre‑André. Interprétation des lois, 3e éd. Montréal : Thémis, 1999.
Driedger, Elmer A. The Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.
Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Markham, Ont. : Butterworths, 2002.

Proposition de citation de la décision: Castillo c. Castillo, 2005 CSC 83 (22 décembre 2005)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2005-12-22;2005.csc.83 ?
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