La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/04/2006 | CANADA | N°2006_CSC_13

Canada | Cie H.J. Heinz du Canada Ltée c. Canada (Procureur général), 2006 CSC 13 (21 avril 2006)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Cie H.J. Heinz du Canada Ltée c. Canada (Procureur général), [2006] 1 R.C.S. 441, 2006 CSC 13

Date : 20060421

Dossier : 30417

Entre :

Procureur général du Canada

Appelant

et

Compagnie H.J. Heinz du Canada Ltée

Intimée

et

Commissaire à l’information du Canada

Intervenant

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Abella

Motifs de jugement :

(par. 1 à 64)<

br>
Motifs dissidents :

(par. 65 à 124)

La juge Deschamps (avec l’accord des juges Binnie, Fish et Abella)

Le juge Bastarache (avec l’accord de la juge en che...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Cie H.J. Heinz du Canada Ltée c. Canada (Procureur général), [2006] 1 R.C.S. 441, 2006 CSC 13

Date : 20060421

Dossier : 30417

Entre :

Procureur général du Canada

Appelant

et

Compagnie H.J. Heinz du Canada Ltée

Intimée

et

Commissaire à l’information du Canada

Intervenant

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Abella

Motifs de jugement :

(par. 1 à 64)

Motifs dissidents :

(par. 65 à 124)

La juge Deschamps (avec l’accord des juges Binnie, Fish et Abella)

Le juge Bastarache (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et du juge LeBel)

______________________________

Cie H.J. Heinz du Canada ltée c. Canada (Procureur général), [2006] 1 R.C.S. 441, 2006 CSC 13

Procureur général du Canada Appelant

c.

Compagnie H.J. Heinz du Canada ltée Intimée

et

Commissaire à l’information du Canada Intervenant

Répertorié : Cie H.J. Heinz du Canada ltée c. Canada (Procureur général)

Référence neutre : 2006 CSC 13.

No du greffe : 30417.

2005 : 7 novembre; 2006 : 21 avril.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Abella.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Desjardins, Nadon et Pelletier), [2005] 1 R.C.F. 281, 241 D.L.R. (4th) 367, 320 N.R. 300, 14 Admin. L.R. (4th) 123, 32 C.P.R. (4th) 385, [2004] A.C.F. no 773 (QL), 2004 CAF 171, confirmant une décision de la juge Layden‑Stevenson, [2003] 4 C.F. 3, [2003] A.C.F. no 344 (QL), 2003 CFPI 250. Pourvoi rejeté, la juge en chef McLachlin et les juges Bastarache et LeBel sont dissidents.

Christopher Rupar, pour l’appelant.

Nicholas McHaffie et Craig Collins‑Williams, pour l’intimée.

Raynold Langlois, c.r., et Daniel Brunet, pour l’intervenant.

Version française du jugement des juges Binnie, Deschamps, Fish et Abella rendu par

La juge Deschamps —

1. Introduction

1 La présente affaire met en cause le fragile équilibre entre le droit à la protection des renseignements personnels et le droit d’accès à l’information. L’intimée, la Compagnie H.J. Heinz du Canada ltée (« Heinz »), s’oppose à la communication de certains documents pour le motif qu’ils contiennent des renseignements personnels. En sa qualité de « tiers » au sens de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A‑1 (« LAI »), Heinz cherche à invoquer l’exception des renseignements personnels énoncée à l’art. 19 en exerçant le recours en révision prévu à l’art. 44 de cette loi. L’appelant, le procureur général du Canada, et l’intervenant, le Commissaire à l’information du Canada, prétendent toutefois que les documents doivent être communiqués à l’auteur de la demande. Ils affirment que le mécanisme de révision prévu à l’art. 44 ne peut être utilisé qu’à l’égard des renseignements commerciaux confidentiels qui conféraient à Heinz sa qualité de tiers. À leur avis, une personne qui veut se plaindre de la divulgation de renseignements personnels devrait plutôt exercer un recours en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21 (« LPRP »).

2 J’estime que l’interprétation restrictive du régime législatif préconisée par le procureur général limite trop la portée des droits en cause. Notre Cour a affirmé, à maintes reprises, que la LPRP et la LAI doivent être interprétées conjointement comme un « code homogène » : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [2003] 1 R.C.S. 66, 2003 CSC 8 (« GRC »), par. 22. Bien qu’il constitue un principe important de notre système démocratique, le droit d’accès aux renseignements de l’administration fédérale ne saurait être interprété séparément du droit individuel à la vie privée. En établissant, dans la LAI même, une exception impérative applicable aux renseignements personnels, le législateur a veillé à ce que les deux lois reconnaissent que la protection de la vie privée des particuliers l’emporte sur le droit d’accès à l’information, sauf dans la mesure prévue par la loi. Lorsqu’un tiers apprend qu’une institution fédérale a l’intention de communiquer un document contenant des renseignements personnels, rien dans le libellé clair de la LAI ne l’empêche de soulever cette question au moyen d’une demande de contrôle judiciaire. Ce qui importe n’est pas tant la manière dont la cour qui effectue le contrôle a pris connaissance de la décision répréhensible de l’administration fédérale de divulguer des renseignements personnels que la capacité de cette cour de donner un sens au droit à la vie privée. La cour qui effectue un contrôle est en mesure d’empêcher un préjudice et le régime législatif n’impose aucun obstacle à son intervention. Une interprétation de l’art. 44 qui oblige un individu à attendre que les renseignements personnels soient divulgués et que le préjudice soit causé, ou qui impose un lourd fardeau à la personne qui tente d’éviter le préjudice en question, ne donne pas un sens concret au droit à la vie privée et ne respecte pas non plus les objectifs clairs qui sous‑tendent la LAI et la LPRP.

2. Les faits

3 En juin 2000, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (« ACIA ») a reçu une demande de communication de documents relatifs à Heinz présentée en vertu de la LAI. L’ACIA a jugé que certains documents pourraient contenir des renseignements commerciaux ou scientifiques confidentiels au sens du par. 20(1) LAI et, conformément aux art. 27 et 28 de cette loi, elle a demandé à Heinz de lui présenter des observations sur les raisons qui justifieraient un refus de communication. Heinz a présenté ses observations au début du mois de septembre. Après avoir examiné ces observations, l’ACIA a conclu que les documents devaient être communiqués sous réserve de certaines modifications et elle a avisé Heinz de sa décision. Le 27 septembre 2000, Heinz a exercé un recours en révision conformément à l’art. 44 LAI, en faisant valoir que certains documents ne devaient pas être communiqués parce qu’ils étaient visés par deux exceptions établies par cette loi, à savoir celle prévue au par. 20(1), qui interdit la divulgation de renseignements commerciaux confidentiels, et celle prévue au par. 19(1), qui interdit la divulgation de renseignements personnels concernant des individus.

4 Lors du recours en révision, le procureur général a soutenu que Heinz ne pouvait pas invoquer une autre exception que celle prévue au par. 20(1) étant donné que son droit de révision tenait, au départ, à la présence de renseignements commerciaux. Écartant cet argument, la juge des requêtes a conclu que Heinz pouvait invoquer l’exception des renseignements personnels prévue à l’art. 19 et elle a ordonné le prélèvement de certains documents contenant des renseignements personnels. Le procureur général a appelé de cette décision, mais son appel a été rejeté par la Cour d’appel fédérale.

3. L’historique des procédures judiciaires et la jurisprudence

5 Les jugements de la Cour d’appel fédérale et de la Section de première instance de la Cour fédérale reposent tous les deux sur la jurisprudence de la Cour fédérale du Canada. J’examinerai donc les jugements rendus en l’espèce conjointement avec la jurisprudence de la Cour fédérale du Canada.

3.1 Section de première instance de la Cour fédérale, [2003] 4 C.F. 3, 2003 CFPI 250

6 La juge Layden‑Stevenson, de la Section de première instance, s’est demandé si, dans un recours en révision fondé sur l’art. 44, Heinz pouvait invoquer l’interdiction de divulguer des renseignements personnels prévue à l’art. 19 LAI. Elle a examiné deux décisions antérieures de la Cour fédérale du Canada qui paraissaient arriver à des conclusions contradictoires concernant la portée de l’art. 44 : Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Ministre des Approvisionnements et Services), [1988] A.C.F. no 902 (QL) (1re inst.), conf. par [1990] A.C.F. no 81 (QL) (C.A.), et Siemens Canada Ltée c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [2001] A.C.F. no 1654 (QL), 2001 CFPI 1202, conf. par [2002] A.C.F. no 1475 (QL), 2002 CAF 414.

7 Dans l’affaire Saint John Shipbuilding, il était question d’un recours en révision exercé, en vertu de l’art. 44, relativement à une décision du ministère des Approvisionnements et Services de communiquer certains extraits et résumés d’un contrat conclu avec le gouvernement du Canada. Bien que l’application correcte des al. 20(1)c) et d) LAI ait été le principal enjeu du litige, la demanderesse a invité la cour à tenir compte également de l’art. 15. Cet article prévoit que le responsable d’une institution fédérale « peut refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à [. . .] la défense du Canada ». —tant donné que les documents en cause étaient des contrats liés à la défense, la demanderesse a souligné que l’art. 15 LAI pourrait également soustraire les documents à la communication, et elle a invité la cour à se montrer particulièrement réticente à autoriser la communication des documents. La Section de première instance et la Cour d’appel fédérale ont toutefois toutes les deux rejeté les arguments de la demanderesse concernant l’art. 15. Dans les motifs qu’il a rédigés au nom de la Section de première instance, le juge Martin a affirmé que, dans un recours fondé sur l’art. 44, ses pouvoirs de révision se limitaient aux facteurs énumérés au par. 20(1) de la Loi et que la question de la sécurité nationale n’avait rien à voir avec le recours dont il était saisi. De même, le juge Hugessen de la Cour d’appel fédérale a déclaré que « l’intérêt de l’appelante, en tant que tierce partie intervenante dans une demande de renseignements, se limite aux sujets énoncés dans le paragraphe 20(1) » (par. 9).

8 Par contre, dans l’arrêt Siemens, la Cour d’appel fédérale s’est dite incapable de donner à l’art. 44 une interprétation qui limiterait la compétence de la cour et empêcherait l’art. 24 d’entrer en jeu. La Cour d’appel a donc implicitement conclu que la demanderesse n’avait pas à s’en tenir à l’exception énoncée au par. 20(1) LAI. La demanderesse s’opposait à la divulgation de renseignements pour le motif que l’art. 30 de la Loi sur la production de défense, incorporé à la LAI en raison de l’art. 24, interdisait la communication des documents. En première instance, le juge McKeown a reconnu que l’art. 30 de la Loi sur la production de défense s’appliquait, admettant ainsi implicitement qu’il avait compétence pour appliquer l’art. 24 dans un recours fondé sur l’art. 44. Lors de l’appel, l’avocate de la Couronne s’est manifestement opposée à cette thèse en faisant valoir que l’art. 44 limite la compétence de la cour de sorte que seul le par. 20(1) peut être invoqué dans le cadre d’une révision fondée sur l’art. 44. Rendant une décision laconique à l’audience, la Cour d’appel fédérale a rejeté les arguments de la Couronne en déclarant simplement : « Nous ne pouvons interpréter l’article 44 de cette façon. »

9 Lors du procès tenu en l’espèce, la juge Layden‑Stevenson a concilié les arrêts Saint John Shipbuilding et Siemens en soulignant que la LAI comporte des exceptions tant impératives que discrétionnaires et que la procédure de refus de communication varie d’un type d’exception à l’autre. Dans le cas d’une exception impérative, il faut simplement décider si le document est visé par l’exception; par contre, dans le cas d’une exception discrétionnaire, l’institution fédérale doit décider, premièrement, si les renseignements sont visés par l’exception et, deuxièmement, si le document qui les contient doit être communiqué malgré tout. La juge Layden‑Stevenson a conclu que la décision rendue dans l’affaire Saint John Shipbuilding concernait précisément l’application d’une exception discrétionnaire et n’interdisait pas d’invoquer des exceptions impératives dans un recours en révision fondé sur l’art. 44. Elle a ajouté que, en examinant l’application d’une exception impérative (art. 24) dans l’affaire Siemens, la Cour fédérale du Canada avait décidé que l’exception en question pouvait être invoquée dans un recours fondé sur l’art. 44. Elle a donc conclu que, puisque l’interdiction de divulguer des renseignements personnels prévue à l’art. 19 est une exception impérative, Heinz pouvait invoquer l’art. 19 dans un recours fondé sur l’art. 44.

10 Enfin, se fondant sur les principes d’interprétation législative énoncés dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, la juge Layden‑Stevenson a décidé que Heinz avait le droit d’invoquer l’exception des renseignements personnels parce que les « observations » pouvant être présentées en vertu de l’art. 28 LAI ne font l’objet d’aucune restriction. Reconnaissant que certains renseignements demandés satisfaisaient aux critères de l’art. 19, elle a alors prélevé certains passages précis. Elle a ordonné la communication du reste des documents.

3.2 Cour d’appel fédérale, [2005] 1 R.C.F. 281, 2004 CAF 171

11 En appel, le juge Nadon a conclu que l’arrêt Siemens avait clos le débat concernant la portée de l’art. 44 et que rien ne permettait de distinguer Siemens de la présente affaire. Dans l’arrêt Siemens, la Cour d’appel fédérale avait clairement statué que le tiers qui exerçait un recours fondé sur l’art. 44 pouvait chercher à empêcher la communication de documents en invoquant d’autres exceptions que celle des renseignements commerciaux confidentiels. Le juge Nadon a refusé d’infirmer l’arrêt Siemens parce qu’il ne pouvait pas être qualifié de « manifestement erroné » (par. 56). Il a donc rejeté l’appel.

3.3 Applicabilité de la jurisprudence

12 Ni l’un ni l’autre des arrêts Saint John Shipbuilding et Siemens ne fournit à la Cour un raisonnement particulier en ce qui concerne la portée que doit avoir un recours fondé sur l’art. 44. Qui plus est, de par sa nature, son objet et son application, la disposition établissant l’exception en l’espèce (art. 19) diffère sensiblement de celles qui ont été invoquées dans les affaires antérieures. Comme le confirme la jurisprudence de notre Cour, l’intention du législateur d’harmoniser les lois en matière d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels indique clairement qu’il faut interpréter conjointement la LAI et la LPRP, tout en accordant une importance particulière à la protection des renseignements personnels.

13 Dans l’affaire SNC Lavalin Inc. c. Canada (Ministre de la Coopération internationale), [2003] 4 C.F. 900, 2003 CFPI 681, que la Section de première instance de la Cour fédérale a entendue peu de temps après le présent dossier, il était aussi question de l’applicabilité de l’exception des renseignements personnels à un recours fondé sur l’art. 44. Dans cette affaire, SNC Lavalin, une grande société d’ingénierie et de construction, contestait la décision de l’Agence canadienne de développement international de communiquer des documents à l’auteur d’une demande en ce sens. À l’instar de Heinz, SNC Lavalin a allégué qu’un certain nombre des documents demandés contenaient des renseignements personnels et qu’ils ne devaient pas être communiqués en vertu de l’art. 19 LAI. Le juge de première instance a rejeté les arguments de Lavalin en indiquant que, pour conférer à un tiers le droit de présenter des observations n’ayant rien à voir avec des renseignements commerciaux confidentiels (par. 20(1)), la cour devrait ajouter des mots au par. 28(1), qui établit le droit des tiers de présenter des observations. Ajouter à la disposition des termes qui n’y sont pas violerait le principe reconnu selon lequel « un tribunal ne devrait pas accepter une interprétation qui nécessite l’ajout de mots, lorsqu’il existe une autre interprétation acceptable qui ne requiert aucun ajout de cette nature » : Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, par. 27, cité dans Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94, 2003 CSC 9, par. 15.

14 Pour les motifs exposés ci‑après, je ne puis toutefois souscrire aux conclusions du juge de première instance dans l’affaire SNC Lavalin. La Cour est maintenant directement saisie de la question de l’applicabilité de l’art. 19 dans un recours en révision fondé sur l’art. 44, et elle doit l’examiner en tenant compte des principes d’interprétation législative et, plus particulièrement, de l’objet et du contexte plus larges des lois fédérales en matière d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels.

15 Avant de procéder à l’analyse, il sera donc utile d’examiner le cadre législatif.

4. Les dispositions législatives

16 Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites à l’annexe. L’interaction de plusieurs dispositions de la LAI dans le processus de révision des décisions de divulguer des renseignements fait que certaines dispositions clés méritent d’être examinées plus à fond.

17 La LAI établit un droit général d’accès aux documents des institutions fédérales (art. 4). Elle reconnaît du même coup que ce droit d’accès n’est pas absolu en énumérant un certain nombre d’exceptions à la communication des documents (art. 13 à 26). Les exceptions applicables aux renseignements personnels (art. 19) et aux renseignements commerciaux confidentiels (par. 20(1)) sont les plus importantes pour les besoins du présent pourvoi. Les voici :

19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où :

a) l’individu qu’ils concernent y consent;

b) le public y a accès;

c) la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

a) des secrets industriels de tiers;

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins.

18 Le paragraphe 19(1) crée ainsi une interdiction absolue de divulguer des « renseignements personnels », que l’art. 3 LPRP définit comme étant des « renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable ». Le paragraphe 20(1) interdit la communication de documents contenant des renseignements commerciaux confidentiels fournis par un « tiers ». Le terme « tiers » est défini comme étant une « personne, [un] groupement ou [une] organisation autres que l’auteur de la demande ou qu’une institution fédérale » (art. 3 LAI). Le litige ne porte pas sur la question de savoir si certains renseignements contenus dans les documents satisfont aux critères de l’art. 19; il s’agit plutôt de savoir, en l’espèce, si l’art. 19 peut être invoqué dans un recours en révision fondé sur l’art. 44.

19 Dans le cas o— une institution fédérale entend divulguer des renseignements commerciaux confidentiels, la LAI prévoit qu’elle doit en aviser le tiers intéressé (par. 27(1)) et que celui‑ci a le droit de lui présenter des observations sur les raisons qui justifieraient un refus de communication du document les contenant (al. 28(1)a)). Il importe de noter que le tiers a aussi droit à un avis si l’institution décide d’aller de l’avant et de communiquer le document (al. 28(1)b)). (La recommandation du Commissaire à l’information de donner communication, prévue au par. 29(1) LAI, donne également naissance au droit à un avis, bien que seul le par. 28(1) soit pertinent quant aux faits de la présente affaire.) Le tiers qui souhaite contester la décision de l’institution fédérale de communiquer le document peut exercer, devant la Cour fédérale, un recours en révision fondé sur le par. 44(1), qui se lit ainsi :

44. (1) Le tiers que le responsable d’une institution fédérale est tenu, en vertu de l’alinéa 28(1)b) ou du paragraphe 29(1), d’aviser de la communication totale ou partielle d’un document peut, dans les vingt jours suivant la transmission de l’avis, exercer un recours en révision devant la Cour.

Les tiers qui ont été avisés de la divulgation de renseignements commerciaux confidentiels obtiennent donc un droit de révision spécial. De plus, lorsqu’un recours en révision est exercé en vertu de l’art. 44, l’auteur de la demande de communication initiale doit être avisé et avoir la possibilité de comparaître comme partie (par. 44(2) et (3)).

20 Il faut maintenant mettre ces dispositions en contexte.

5. Analyse

5.1 Interprétation législative

21 Comme pour la plupart des questions d’interprétation législative, la solution peut être trouvée grâce à ce qui est communément appelé la méthode d’interprétation moderne : [traduction] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes, par. 21 (citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87)).

5.1.1 Historique législatif

22 Débattues ensemble au Parlement et adoptées simultanément en 1982, la LAI et la LPRP sont des lois parallèles qui établissent conjointement un mécanisme cohérent de conciliation du droit d’accès à l’information et du droit à la protection des renseignements personnels : Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, par. 45. Comme le montrent clairement les débats parlementaires ayant suivi le dépôt de ces lois, le législateur voulait que la nouvelle législation globale en matière d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels responsabilise davantage de deux façons l’administration fédérale : premièrement, en veillant à ce que l’accès à l’information relevant de l’administration fédérale soit un droit du public au lieu d’être laissé à la discrétion de l’administration fédérale et, deuxièmement, en renforçant le droit de chacun de savoir « comment les renseignements personnels le concernant sont utilisés, [. . .] que les renseignements utilisés comme éléments de décision sont exacts, [. . .] que les renseignements recueillis par les institutions fédérales se rapportent bien à leurs programmes et à leurs opérations » : Débats de la Chambre des communes, vol. VI, 1re sess., 32e lég., 29 janvier 1981, p. 6689‑6691, deuxième lecture du projet de loi C‑43 par l’honorable Francis Fox, ministre des Communications à l’époque.

23 Fait révélateur, alors que la LPRP vise principalement la protection des renseignements personnels, la LAI reconnaît également l’importance de protéger le droit à la vie privée et limite nécessairement, de ce fait, la portée du droit d’accès à l’information relevant de l’administration fédérale qu’elle prévoit au par. 4(1) : GRC, par. 22. En fait, au moment où la LAI et la LPRP ont été déposées au Parlement, le ministre des Communications de l’époque a souligné que, bien qu’il ait porté à la fois sur l’accès à l’information et sur la protection des renseignements personnels, le projet de loi était en mesure d’offrir « un régime cohérent pour l’accès aux renseignements personnels et pour leur protection » (Débats de la Chambre des communes, p. 6690 (je souligne)). Plus particulièrement, le législateur assurait la protection des renseignements personnels au sens de la LAI grâce à l’art. 19, qui interdit catégoriquement aux institutions fédérales de divulguer les renseignements personnels d’un individu à l’auteur d’une demande de communication, sous réserve de certaines exceptions.

24 Comme le démontre le contexte dans lequel les deux lois ont été adoptées, le législateur a donc créé un régime législatif qui, tout en étant destiné à assurer l’accès à l’information, d’une part, et la protection de la vie privée des particuliers, d’autre part, protège systématiquement les renseignements personnels. En raison des historiques étroitement liés de ces lois, l’art. 44 doit non seulement être interprété en fonction de l’objet de la LAI, mais encore en fonction de l’objet de la LPRP. En conséquence, je passe maintenant à l’analyse des objets distincts, mais connexes, de ces deux lois.

5.1.2 L’objet

25 Comme je l’ai indiqué, les historiques étroitement liés de la LAI et de la LPRP exigent que la cour qui effectue un contrôle examine les objets des deux lois au lieu de les considérer séparément. Dans l’arrêt Dagg, le juge La Forest (dissident mais non sur ce point) en arrive à la même conclusion. Au sujet de l’antinomie entre « deux principes opposés consacrés par la loi » (par. 45), il affirme que, bien que certains conflits entre le droit d’accès à l’information et le droit à la protection des renseignements personnels soient inévitables, les deux lois « établissent un moyen cohérent et rationnel de déterminer laquelle des deux valeurs devrait l’emporter dans un cas donné » (par. 45). Comme les deux côtés d’une pièce de monnaie, la LAI et la LPRP garantissent que ni le droit d’accès à l’information ni le droit individuel à la vie privée ne se voie accorder préséance absolue.

26 Cependant, le lien étroit qui existe entre le droit d’accès à l’information et le droit à la vie privée ne signifie pas qu’il y a lieu d’accorder en tout temps une valeur égale à tous les droits. Le régime législatif établi par la LAI et la LPRP indique clairement que, lorsqu’il est question des renseignements personnels d’un individu, le droit à la vie privée l’emporte sur le droit d’accès à l’information, sauf dans la mesure prévue par la loi. Les deux lois comportent des interdictions de divulguer des renseignements personnels, plus particulièrement à l’art. 8 LPRP et à l’art. 19 LAI. Ainsi, bien que le droit à la vie privée soit l’élément déterminant de la LPRP, il est également reconnu et appliqué par la LAI.

27 Comme je l’ai déjà mentionné, l’art. 44 reconnaît aux tiers le droit d’exercer devant la Cour fédérale un recours en révision des décisions de communiquer des documents. Ce droit de révision favorise la réalisation de l’un des objets sous‑jacents de la LAI : garantir que les décisions quant à la communication soient « susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif » (par. 2(1)). En fait, les mécanismes de révision établis par les deux lois assujettissent l’administration fédérale à un degré élevé de responsabilité. Comme l’a indiqué le ministre des Communications en déposant au Parlement la LPRP et la LAI, ces lois permettent aux tribunaux d’examiner si la décision d’une institution fédérale de communiquer un certain document repose sur des motifs raisonnables, imposant la charge de la preuve à l’administration fédérale : Débats de la Chambre des communes, p. 6691. L’article 44 établit donc un mécanisme essentiel qui permet de réviser et de corriger, conformément aux principes de la LAI, la décision erronée d’une institution fédérale de divulguer des renseignements.

28 Compte tenu de la nature interdépendante des deux lois, le droit de révision prévu à l’art. 44 doit être interprété eu égard non seulement à l’objet et à la structure de la LAI, mais également aux objectifs législatifs de la LPRP. Comme nous l’avons vu, la LPRP vise à protéger les renseignements personnels relevant des institutions fédérales (art. 2). Cette mesure législative a une telle importance que notre Cour l’a qualifiée de « quasi constitutionnelle » en raison du rôle que joue la protection de la vie privée dans le maintien d’une société libre et démocratique : Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, 2002 CSC 53, par. 24; Dagg, par. 65‑66.

29 La principale protection contre la divulgation de renseignements personnels figure au par. 8(1) LPRP, qui prévoit précisément que « [l]es renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent, que conformément au présent article. » La LPRP établit également un certain nombre d’exceptions à l’interdiction de divulguer des renseignements personnels, dont la restriction du droit à la vie privée pour des raisons « d’intérêt public » (voir les al. 8(2)a) à m)). Cependant, même dans le cas où elle exerce son pouvoir discrétionnaire relatif à l’intérêt public pour communiquer des renseignements personnels, l’institution fédérale doit donner un préavis de la communication au Commissaire à la protection de la vie privée si les circonstances le justifient, et ce dernier peut décider de mettre au courant l’individu concerné (par. 8(5)). Il ressort donc clairement du régime législatif établi par la LAI et la LPRP que, lorsqu’il est question des renseignements personnels d’un individu, le droit à la vie privée l’emporte sur le droit d’accès à l’information.

30 Cependant, il convient de noter que, malgré l’accent qu’il met sur la protection des renseignements personnels, le régime législatif garantit que les droits de l’auteur de la demande de communication seront également pris en considération dans un recours en révision. Lorsqu’un recours en révision fondé sur l’art. 44 est exercé, l’auteur de la demande de communication initiale doit également être avisé et avoir la possibilité de présenter des observations (par. 44(2) et (3)). La Loi offre ainsi un autre moyen d’assurer l’équilibre entre les droits de ceux qui demandent la communication et ceux qui s’y opposent.

31 Il ressort de l’économie et des historiques de la LAI et de la LPRP que les deux lois ont pour objet conjugué d’établir un juste équilibre entre le droit à la vie privée et le droit d’accès à l’information. Toutefois, dans ce régime équilibré, les lois en question accordent une plus grande protection aux renseignements personnels. En imposant des restrictions rigoureuses à la divulgation de renseignements personnels, le législateur a clairement voulu empêcher toute atteinte à cet aspect du droit à la vie privée. C’est pourquoi, comme le régime législatif offre un droit de révision à l’art. 44, les tribunaux ne devraient pas créer d’obstacles artificiels à une protection efficace des renseignements personnels.

5.1.3 Le contexte législatif de l’art. 44

32 Les historiques et les objets de la LPRP et de la LAI montrent le lien étroit qui existe entre les deux lois. Ce lien ressort également du régime global que les deux lois établissent. Le contexte législatif de l’art. 44 fournit donc des indications supplémentaires concernant la portée que doit avoir le pouvoir de révision.

33 Sur les plans structurel et conceptuel, la LPRP et la LAI établissent un régime complémentaire et harmonieux : GRC, par. 22. Cela ressort notamment de la façon dont ces lois renvoient l’une à l’autre (voir, par exemple, les par. 19(1) et (2) LAI, ainsi que les art. 3, 21, 46 et 65 LPRP) et de l’absence de redondance. Les deux lois confient également des rôles analogues au Commissaire à l’information et au Commissaire à la protection de la vie privée, dont chacun est chargé d’effectuer des enquêtes impartiales, indépendantes et objectives sur des atteintes au droit d’accès à l’information et au droit à la vie privée respectivement. En fait, le Commissaire à l’information peut, conformément au par. 55(1) LPRP, être nommé au poste de Commissaire à la protection de la vie privée, de sorte qu’une seule et même personne peut occuper les deux postes.

34 En exigeant que l’administration fédérale réponde de ses pratiques en matière d’information, le Commissaire à l’information et le Commissaire à la protection de la vie privée servent non seulement les intérêts de ceux qui demandent la communication et de ceux qui s’y opposent, mais également les intérêts du grand public canadien. Comme notre Cour l’a souligné dans le passé, les commissaires jouent un rôle crucial en matière d’enquête et de recours à la médiation pour régler les plaintes d’utilisation ou de communication irrégulières de renseignements relevant de l’administration fédérale : Lavigne, par. 37‑39. En outre, comme l’ancien juge La Forest le fait remarquer dans un rapport récent intitulé Les commissariats à l’information et à la protection de la vie privée : fusion et questions connexes, Rapport du conseiller spécial auprès du ministre de la Justice (15 novembre 2005), p. 19‑20, le rôle et les responsabilités des commissaires ne s’arrêtent pas là et comprennent la vérification des pratiques de l’administration fédérale en matière de renseignements, la promotion des valeurs qui sous‑tendent l’accès à l’information et la protection de la vie privée sur les plans national et international, la subvention de recherches et l’examen de projets de loi.

35 Toutefois, comme l’analyse qui suit le montrera, le Commissaire à l’information et le Commissaire à la protection de la vie privée ont peu d’utilité dans les circonstances particulières de la présente affaire étant donné qu’ils n’ont aucun pouvoir réel en raison de leur incapacité de rendre des ordonnances exécutoires. Lorsque, comme en l’espèce, une partie tente d’empêcher au lieu de demander la divulgation de renseignements, le rôle des commissaires est nécessairement limité en raison de leur incapacité de prononcer une injonction ou d’interdire à une institution fédérale de divulguer des renseignements. L’article 44 est donc le seul mécanisme de la LAI ou de la LPRP qui permet à un tiers de signaler à la cour que l’on entend divulguer des renseignements personnels contrairement à l’art. 19 LAI, et qui lui permet de demander une réparation efficace au nom d’autres personnes dont le droit à la vie privée est susceptible d’être compromis par la communication de documents dont le tiers est responsable.

36 La LPRP confie au Commissaire à la protection de la vie privée un rôle crucial en matière de protection du droit à la vie privée. Selon les al. 29(1)a) à f), les individus qui croient qu’une institution fédérale a utilisé ou communiqué illicitement des renseignements personnels les concernant peuvent porter plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée. Celui‑ci fait enquête sur les plaintes qu’il reçoit et, si ces plaintes sont fondées, il fait part de ses conclusions et recommandations à l’institution fédérale pertinente (par. 29(1) et art. 35). Pour ce faire, le Commissaire est investi de larges pouvoirs d’enquête, dont ceux d’assigner et de contraindre des témoins à comparaître et à déposer, d’entrer dans les locaux d’une institution fédérale et d’examiner les documents trouvés dans ces locaux (art. 34). Aux termes de l’art. 37, le Commissaire peut, pour le contrôle d’application de la LPRP, tenir ses propres enquêtes quant aux renseignements personnels qui relèvent des institutions fédérales. Toutefois, malgré leur importance dans le régime général de la LPRP, ces mécanismes de plainte ne peuvent être utilisés que dans les cas où la communication illicite a déjà été effectuée et où la plainte est portée directement par la personne visée par les renseignements divulgués illicitement (et non par un tiers). Le Commissaire à la protection de la vie privée ne peut donc pas prendre des mesures pour empêcher la divulgation de renseignements personnels.

37 Le Commissaire à la protection de la vie privée peut venir en aide aux tiers conformément au sous‑al. 29(1)h)(ii) LPRP, qui l’oblige à recevoir les plaintes « portant sur toute autre question relative à [. . .] l’usage ou la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale », et à faire enquête sur ces plaintes. Contrairement aux al. 29(1)a) à f), cette disposition élargit la portée des enquêtes auxquelles peut procéder le Commissaire à la protection de la vie privée et ne semble pas s’appliquer uniquement aux cas où il y a déjà eu divulgation illicite de renseignements personnels ni aux cas où la plainte provient directement de l’individu concerné. Il peut donc être loisible à un tiers de déposer une plainte au nom d’employés ou d’autres personnes avant que la communication soit effectuée. Ce mécanisme de plainte général est toutefois insuffisant étant donné que le Commissaire à la protection de la vie privée n’est pas habilité à rendre des décisions liant l’institution fédérale ou la partie qui s’oppose à la communication. Le Commissaire n’a pas non plus le pouvoir de prononcer une injonction qui lui permettrait de suspendre la divulgation des renseignements en attendant le résultat d’une enquête. En fait, l’art. 7 LAI oblige l’institution fédérale à divulguer les renseignements demandés dans un délai précis, une fois la divulgation ordonnée. La capacité du Commissaire à la protection de la vie privée d’accorder une réparation à Heinz est donc fort limitée.

38 Un peu à la manière de la LPRP, la LAI confie un rôle crucial au Commissaire à l’information, qui est chargé de protéger et défendre les droits des auteurs d’une demande de communication, et d’enquêter. Dans un litige relatif à la LAI, la personne à qui une institution fédérale refuse de communiquer un document qu’elle a demandé peut déposer une plainte auprès du Commissaire à l’information, qui doit alors faire enquête sur cette plainte (art. 30). L’article 36 LAI confère au Commissaire à l’information de larges pouvoirs d’enquête semblables à ceux du Commissaire à la protection de la vie privée et, en raison de son expertise, de son personnel et de sa flexibilité, le Commissariat à l’information est le mieux placé pour procéder à ces enquêtes : Davidson c. Canada (Procureur général), [1989] 2 C.F. 341 (C.A.).

39 Toutefois, le Commissaire à l’information ne peut fournir qu’une aide limitée dans un cas comme celui qui nous occupe. Le rôle premier du Commissaire à l’information consiste à représenter les intérêts du public en défendant les droits des auteurs d’une demande de communication. En l’espèce, Heinz conteste une décision de divulguer des renseignements. Bien que l’al. 30(1)f) LAI confie au Commissaire à l’information la responsabilité de recevoir les plaintes « portant sur toute autre question relative à la demande ou à l’obtention de documents en vertu de la présente loi », et de faire enquête sur celles‑ci, un libellé aussi général ne change rien au fait que le rôle du Commissaire à l’information — ce qui est conforme à l’objet de la LAI dans son ensemble — consiste à préconiser la divulgation de renseignements, lorsque cela est indiqué. De plus, comme c’est le cas du Commissaire à la protection de la vie privée, le Commissaire à l’information ne peut ni rendre des ordonnances exécutoires ni prononcer des injonctions et il ne peut donc pas ordonner à l’administration fédérale de refuser la communication d’un document.

40 L’article 44 crée donc le seul mécanisme du régime de la LAI et de la LPRP qui permet à un tiers de demander une révision indépendante de la décision d’un ministère fédéral ou de l’administration fédérale de divulguer des renseignements. Par conséquent, l’art. 44 contribue à favoriser la réalisation des objets des deux lois en permettant de déposer des plaintes concernant une violation de la vie privée, et en veillant à ce que les institutions fédérales répondent de leurs pratiques en matière d’information.

5.1.4 Le sens ordinaire

41 Comme nous l’avons vu, le droit du tiers d’être informé lorsque les documents demandés sont susceptibles de contenir des renseignements commerciaux confidentiels ouvre la porte à la révision fondée sur l’art. 44 LAI. Certes, les dispositions concernant l’avis à donner lorsqu’il est question de divulguer des renseignements commerciaux confidentiels restreignent donc nécessairement la possibilité de révision fondée sur l’art. 44, mais le libellé clair des art. 28, 44 et 51 LAI ne limite pas explicitement la portée du droit de révision. Au contraire, quatre termes ou expressions clés, interprétés dans leur « sens ordinaire », indiquent que le législateur a voulu donner une large portée à la révision que la cour peut effectuer dans le contexte d’un recours fondé sur l’art. 44.

42 Premièrement, le libellé clair de l’art. 28 favorise une interprétation large du processus de révision. Comme je l’ai déjà mentionné, la LAI prévoit qu’un tiers a le droit de présenter à l’institution fédérale des « observations » sur les raisons qui justifieraient un « refus de communication totale ou partielle du document » (al. 28(1)a)). Comme l’a fait remarquer la juge de première instance, rien dans cette disposition ne limite explicitement la portée des observations qui peuvent être présentées, « dans la mesure bien s—r o— elles sont pertinentes » (par. 24). Si le législateur avait voulu limiter la portée des observations, il l’aurait exprimé.

43 Deuxièmement, l’emploi du mot « document » à l’art. 28 montre que le législateur a voulu que la révision puisse porter sur l’ensemble du document, et non simplement sur les renseignements expressément visés par le par. 20(1). L’article 3 LAI précise que le mot « document » désigne une vaste gamme d’« éléments d’information, quels que soient leur forme et leur support », tels des livres, des cartes, des dessins, des photographies ainsi que des enregistrements sonores et magnétoscopiques. Cette définition concerne la forme des renseignements et ne limite aucunement la portée de la révision. De même, l’art. 51 LAI parle du juge saisi d’un recours en révision fondé sur le par. 44(1) qui décide s’il y a lieu de donner communication totale « ou partielle » d’un document. La LAI prévoit clairement qu’un « document » est un « ensemble » de renseignements qui peuvent être séparés ou prélevés. Par exemple, un livre peut contenir de nombreux « éléments » d’information distincts pouvant être prélevés, dont chacun pourrait faire l’objet d’une révision fondée sur un motif différent. Dans la version française de l’art. 28, l’emploi du mot « document » au lieu du mot « renseignements » confirme la validité de cette interprétation large.

44 Troisièmement, la version anglaise de l’art. 44 permet au tiers de demander à la cour de procéder à « a review of the matter ». Rien dans le libellé clair de l’art. 44 ne limite la portée de l’expression « the matter ». La version française est plus générale encore puisque l’objet de la révision n’est pas mentionné. Dans une affaire traitant de l’interprétation de l’art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, la Cour d’appel fédérale a statué que le concept d’« objet de la demande » (« matter ») vise « non seulement les “décisions” mais encore toute question à l’égard de laquelle il est possible d’obtenir une réparation en application de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale » : Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476, par. 21; voir également l’arrêt Morneault c. Canada (Procureur général), [2001] 1 C.F. 30 (C.A.), par. 42.

45 Enfin, l’art. 51, qui énonce les pouvoirs de la cour lors d’un recours exercé en vertu de l’art. 44, laisse aussi entrevoir une interprétation large. Cet article se lit ainsi :

51. La Cour, dans les cas où elle conclut, lors d’un recours exercé en vertu de l’article 44, que le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication totale ou partielle d’un document, lui ordonne de refuser cette communication; elle rend une autre ordonnance si elle l’estime indiqué.

Là encore, rien dans cette disposition ne limite le pouvoir discrétionnaire de la cour au seul examen de l’exception prévue au par. 20(1). En fait, l’emploi du mot « tenu », conjugué au caractère impératif du par. 19(1), indique que la cour a l’obligation d’examiner tout aspect du document lorsque l’administration fédérale n’a pas respecté les dispositions régissant la communication des documents. Cette obligation ressort plus clairement encore de l’accent mis sur la protection du droit à la vie privée tant dans la LAI que dans la LPRP.

46 Le libellé général de l’art. 44, conjugué au fait que cette disposition constitue le seul moyen de bénéficier directement de la protection efficace offerte par une cour qui effectue une révision, étaye la conclusion selon laquelle la compétence de la cour ne devrait pas se limiter aux cas o— le tiers a été avisé. Le libellé clair du texte législatif, conjugué au contexte et aux objets combinés de la LAI et de la LPRP, justifie amplement de conclure que la cour qui effectue la révision à la suite d’un recours exercé par un tiers a compétence pour protéger des renseignements personnels.

6. Les arguments avancés pour limiter la portée de la révision fondée sur l’art. 44

47 Les parties ont avancé un certain nombre d’arguments à l’appui d’une interprétation plus restrictive de l’art. 44, lesquels méritent d’être examinés plus attentivement.

6.1 L’historique du par. 28(1)

48 Le procureur général soutient que, parce que l’art. 27 mentionne expressément les « renseignements visés à l’alinéa 20(1)b) », l’art. 28 devrait également être interprété de manière à inclure cette mention. Avant la révision et la refonte des Lois du Canada en 1985, l’al. 28(1)a) actuel, qui confère à un tiers le droit de présenter des observations à l’institution fédérale, et le par. 27(1) actuel, qui donne au tiers intéressé le droit d’être avisé de la décision de donner communication, faisaient partie de la même disposition (S.C. 1980-81-82-83, ch. 111, ann. I, par. 28(5)). Ces droits d’être avisé et de présenter des observations étaient donc inclus dans un seul article qui mentionnait expressément l’exception prévue au par. 20(1). Par conséquent, selon le procureur général, le droit d’un tiers de présenter des observations en vertu de l’art. 28 LAI s’applique uniquement à la partie du document qui contient les renseignements décrits à l’art. 20 ou, autrement dit, aux renseignements commerciaux confidentiels.

49 Toutefois, lorsqu’une disposition législative est scindée, la partie introductive de la première disposition n’est pas nécessairement incluse implicitement dans la seconde disposition : R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686. Dans l’affaire McIntosh où il était question de deux dispositions qui auparavant ne formaient qu’une seule disposition, la Cour a refusé de considérer que la partie introductive de la disposition initiale était implicitement incluse dans les nouvelles dispositions. Concluant que la décision du législateur de ne pas reproduire les termes cruciaux dans la seconde disposition « constitue la seule et meilleure preuve que nous ayons de l’intention du législateur » (par. 25), le juge en chef Lamer a décidé qu’il ne pouvait pas déformer le sens clair et non équivoque du libellé de la disposition. En l’espèce, la décision du législateur de ne pas lier explicitement l’art. 28 à l’art. 20 doit être considérée comme significative. De plus, une interprétation non restrictive de la disposition ne donne pas des résultats incohérents. Au contraire, interpréter les art. 28 et 44 de manière à permettre la présentation d’observations fondées sur l’art. 19 contribue à renforcer la protection des renseignements personnels, qui est un objet explicite de la LPRP et un thème sous‑jacent de la LAI.

6.2 Le régime de notification

50 Le procureur général soutient que l’avis particulier qui est donné aux tiers en vertu de la LAI prouve que les tiers ne devraient pouvoir invoquer que l’exception du par. 20(1) dans un recours fondé sur l’art. 44. Le droit du tiers à un avis dans le cas où l’existence de renseignements commerciaux confidentiels est alléguée fait intervenir le droit de révision prévu à l’art. 44; par conséquent, d’ajouter le procureur général, la portée de l’art. 44 devrait être limitée à ces renseignements. Selon lui, l’omission du législateur d’inclure des dispositions semblables exigeant de donner avis lorsqu’il est question de renseignements personnels montre qu’il ne voulait pas que l’art. 19 puisse être invoqué dans un recours fondé sur l’art. 44.

51 Cet argument n’est pas convaincant. L’avis unique qui est donné aux tiers est lié à la nature particulière de l’exception. Alors que l’institution fédérale n’a pas une connaissance précise des opérations commerciales ou scientifiques d’un tiers, l’objet des autres exceptions relève, lui, généralement de l’expertise des fonctionnaires ou du Commissaire à la protection de la vie privée. Ces exceptions concernent, par exemple, les renseignements obtenus à titre confidentiel d’un État étranger, les affaires fédérales‑provinciales, les affaires internationales, les enquêtes et les activités destinées à faire respecter les lois, la sécurité des individus, les intérêts économiques du Canada, les avis et recommandations destinés à un ministre, les méthodes employées pour effectuer des essais, épreuves ou examens, le secret professionnel des avocats et les interdictions fondées sur d’autres lois (voir les art. 13 à 24 LAI). En outre, il est probable que les renseignements visés par ces exceptions mettraient en cause l’intérêt public au point de reléguer au second rang tout droit individuel d’accès à l’information. Toutefois, en ce qui concerne les renseignements commerciaux confidentiels, l’institution fédérale a besoin de l’aide du tiers pour savoir si celui‑ci considère que les renseignements sont confidentiels ou pour connaître le traitement que le tiers leur a réservé. Les méthodes de gestion de l’information utilisées par le tiers peuvent être un moyen important de déterminer si les renseignements correspondent véritablement à la définition de ce qui est « confidentiel » : Conseil canadien des fabricants des produits du tabac c. Canada (Ministre du Revenu national), [2003] A.C.F. no 1308 (QL), 2003 CF 1037, par. 114; Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [1989] A.C.F. no 453 (QL), par. 36; Brookfield LePage Johnson Controls Facility Management Services c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [2003] A.C.F. no 348 (QL), 2003 CFPI 254, par. 13. Il n’est pas possible de décider si les renseignements sont confidentiels sans les observations du tiers.

52 De plus, j’estime que le caractère impératif de l’art. 19 écarte la nécessité d’une disposition exigeant de donner avis. L’avis prévu à la LAI est un droit destiné à permettre à une partie de contester la divulgation de renseignements, et il n’est donc requis que dans le cas où la Loi prévoit la possibilité de publier des renseignements, comme c’est le cas des renseignements commerciaux confidentiels visés au par. 20(1). Cependant, l’art. 19 précise qu’une institution fédérale « est tenu[e] de refuser » la divulgation de renseignements personnels. Les trois exceptions que le par. 19(2) établit relativement à cette règle montrent clairement pourquoi une disposition générale exigeant de donner avis n’est pas nécessaire.

53 Premièrement, les renseignements personnels peuvent être divulgués si l’individu qu’ils concernent y consent (al. 19(2)a)). Manifestement, si l’individu consent à la divulgation des renseignements, il ne la contestera pas, d’o— l’inutilité d’avoir une disposition exigeant expressément de donner avis. Une institution fédérale peut facilement établir si l’individu a effectivement consenti à la divulgation de renseignements personnels visés par l’art. 19.

54 Deuxièmement, les renseignements personnels peuvent être divulgués dans le cas o— l’institution fédérale établit que le public a déjà accès aux renseignements demandés (al. 19(2)b)). Là encore, dans un tel cas, il ne servirait à rien d’aviser l’individu que les renseignements concernent, étant donné qu’il ne peut contrôler l’accès aux renseignements publiés et qu’il n’a donc vraisemblablement aucune raison d’en contester la divulgation.

55 Troisièmement, une institution fédérale peut communiquer des renseignements personnels dans les cas exceptionnels où des raisons d’intérêt public justifient une atteinte au droit d’un individu à la vie privée (al. 19(2)c) LAI et al. 8(2)m) LPRP). Le législateur a prévu que, dans un tel cas, l’individu concerné devrait être avisé par l’entremise du Commissaire à la protection de la vie privée (par. 8(5) LPRP). Lorsque l’administration fédérale exerce son pouvoir discrétionnaire de divulguer des renseignements personnels pour des raisons d’intérêt public, elle doit donner un préavis de sa décision au Commissaire à la protection de la vie privée si les circonstances le justifient, et elle peut mettre au courant l’individu concerné.

56 J’estime donc que le droit à un avis conféré aux tiers est la conséquence logique de la nature particulière de l’exception des renseignements commerciaux confidentiels et ne limite pas le droit de révision prévu à l’art. 44.

6.3 L’établissement de « deux catégories » de tiers

57 Le procureur général fait également valoir que permettre aux tiers d’invoquer d’autres exceptions que celles prévues au par. 20(1), lors d’une révision fondée sur l’art. 44, contribue à établir deux catégories de tiers : ceux qui sont avisés en vertu du par. 20(1) et ceux qui ne le sont pas. Selon le procureur général, si l’institution fédérale n’avait pas été en mesure d’appliquer le par. 20(1), Heinz n’aurait pas été avisée de la possibilité que des documents soient communiqués et n’aurait pas pu avancer des arguments concernant l’application de l’art. 19. Essentiellement, pourquoi devrait‑on donner à Heinz une possibilité d’invoquer l’art. 19 que n’ont pas d’autres parties qui ne sont pas des « tiers » au sens de la LAI?

58 Cet argument me paraît mal fondé. Un principe élémentaire de la LAI veut que des renseignements personnels ne soient pas divulgués en contravention de l’interdiction absolue énoncée à l’art. 19. Le régime d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels repose sur la présomption que les institutions fédérales respecteront l’interdiction absolue de divulguer des renseignements personnels et qu’aucun avis n’est donc requis pour les renseignements personnels concernant des individus. Comme je l’ai déjà affirmé, dans les cas particuliers où la LAI autorise la divulgation de renseignements personnels, c’est‑à‑dire lorsque le public y a déjà accès, lorsque l’individu qu’ils concernent y consent ou lorsque des raisons d’intérêt public la justifient, une disposition exigeant de donner avis est superflue ou est, en fait, prévue dans le régime législatif (par. 8(5) LPRP). Compte tenu de cette présomption fondamentale de non‑divulgation des renseignements personnels, ainsi que de l’importance cruciale de la protection de la vie privée des individus, il serait absurde de ne pas permettre à des tiers de recourir au mécanisme prescrit par le législateur pour empêcher une contravention à l’esprit et à la lettre de la LAI et de la LPRP. Permettre à Heinz d’invoquer l’exception de l’art. 19 dans le cadre d’une révision fondée sur l’art. 44 ne crée pas une « deuxième catégorie » de tiers, mais revient à autoriser le seul tiers qui peut invoquer l’art. 44 à utiliser ce recours pour empêcher qu’un préjudice inutile soit causé.

59 Le droit de révision que l’art. 44 accorde à un tiers constitue donc un bon moyen d’examiner minutieusement les décisions de l’administration fédérale de divulguer des renseignements qui portent atteinte au droit à la vie privée d’un individu. Certes, la cour doit se méfier des tentatives de tiers d’invoquer l’exception des renseignements personnels pour empêcher la divulgation légitime de renseignements. On peut toutefois facilement déceler de telles tentatives d’invoquer abusivement l’exception de l’art. 19 en vérifiant si les documents en question contiennent véritablement des renseignements personnels.

6.4 La nature « discrétionnaire » de l’exception prévue à l’art. 19

60 Le Commissaire à l’information prétend que l’exception des renseignements personnels devrait être qualifiée de « discrétionnaire » parce que l’institution fédérale a le pouvoir discrétionnaire de divulguer des renseignements personnels lorsque des raisons d’intérêt public justifient nettement la violation du droit à la vie privée (par. 19(2) LAI et al. 8(2)m) LPRP). Les parties ne s’entendent pas sur cette qualification de l’art. 19 parce que, selon le cadre établi en première instance par la juge Layden‑Stevenson, les exceptions discrétionnaires ne peuvent pas être invoquées dans un recours en révision fondé sur l’art. 44.

61 Même si j’acceptais la dichotomie entre les exceptions discrétionnaires et les exceptions impératives, je ne retiendrais pas l’argument du Commissaire à l’information. L’étendue limitée du pouvoir discrétionnaire prévu au par. 19(2) n’était pas en cause dans la présente affaire et ne devrait pas être perçue comme minant le caractère impératif du par. 19(1), qui précise clairement que l’institution fédérale « est tenu[e] de refuser la communication de documents contenant [d]es renseignements personnels ». Comme notre Cour l’a affirmé au par. 51 de l’arrêt Dagg, il ne faut pas donner une « interprétation étroite » à l’exception des renseignements personnels en conférant à l’accès à l’information primauté sur la protection des renseignements personnels. En outre, selon les faits de la présente affaire, personne ne conteste l’existence d’une préoccupation urgente d’intérêt public qui autoriserait la communication; les parties ont toutes deux reconnu que le par. 19(1) est la seule exception pertinente.

6.5 La possibilité d’effectuer un contrôle judiciaire fondé sur l’art. 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales

62 Enfin, Heinz soutient subsidiairement qu’à supposer que la révision fondée sur l’art. 44 soit limitée aux renseignements commerciaux confidentiels, elle conserve un droit de contrôle « indépendant » conféré par la common law, lequel droit est codifié au par. 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, qui autorise une partie directement touchée par une décision d’un office fédéral à présenter une demande de contrôle judiciaire. Comme j’ai conclu que Heinz peut exercer un recours en révision fondé sur l’art. 44, il n’est pas nécessaire que j’effectue un examen approfondi de cet argument. Toutefois, j’estime qu’une conclusion qui forcerait une partie à scinder sa plainte en deux recours parallèles serait problématique. Un tel scénario se compliquerait davantage si les renseignements personnels concernaient plusieurs individus. Par exemple, si les documents demandés contenaient des renseignements personnels concernant un certain nombre de consommateurs ou d’anciens employés, le tiers ne serait peut‑être pas en mesure de prévenir tous les individus concernés que leur droit à la vie privée risque d’être violé. De plus, non seulement la multiplication des recours ferait‑elle appel à une utilisation injustifiée des ressources, mais encore la norme de contrôle applicable dans un recours fondé sur l’art. 44 pourrait être différente de celle qui s’appliquerait dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le par. 18.1(1). Cependant, comme je l’ai indiqué, j’estime que Heinz n’a pas à revendiquer ce droit de contrôle résiduel parce que l’art. 44 offre déjà un autre recours approprié : Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3.

7. Conclusion

63 L’importance de protéger les renseignements personnels, conjuguée au libellé général des art. 28 et 51 et du par. 44(1) LAI, amène à conclure que la cour qui effectue une révision fondée sur l’art. 44 est en mesure d’examiner et d’appliquer l’exception des renseignements personnels établie au par. 19(1). Lorsqu’un tiers apprend qu’une institution fédérale a l’intention de procéder à une divulgation de renseignements qui violera le droit quasi constitutionnel à la vie privée que la loi confère à un individu, le tiers doit avoir le droit de soulever cette question dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Une décision contraire forcerait les individus à attendre que les renseignements personnels soient divulgués et qu’un préjudice (potentiellement irrémédiable) soit causé avant de s’adresser au Commissaire à la protection de la vie privée ou aux tribunaux pour obtenir réparation. Bien que le Commissaire à la protection de la vie privée et le Commissaire à l’information jouent un rôle primordial dans le régime d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels, et qu’ils aient d’importantes responsabilités, l’art. 44 établit le seul recours possible dans les cas où un tiers cherche à empêcher la divulgation de renseignements personnels. Une interprétation restrictive de l’art. 44 affaiblirait donc la protection des renseignements personnels et diluerait le droit à la vie privée.

64 Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Version française des motifs de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache et LeBel rendus par

Le juge Bastarache (dissident) —

1. Introduction

65 La question qui se pose en l’espèce est de savoir si, dans un recours en révision fondé sur l’art. 44 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A‑1 (« LAI »), un tiers peut invoquer l’exemption de communication applicable aux renseignements personnels prévue à l’art. 19 LAI et aux art. 3 et 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21 (« LPRP »). La présente affaire met en évidence le fragile équilibre que le législateur a établi entre la défense du droit d’accès aux documents de l’administration fédérale et la protection des renseignements personnels contenus dans ces documents.

66 Lorsqu’une institution fédérale reçoit une demande fondée sur la LAI et qu’elle conclut que le document demandé est susceptible de contenir des renseignements commerciaux confidentiels au sujet d’un tiers, elle doit aviser ce tiers. Celui‑ci a alors le droit de présenter des observations concernant ce document, et il a le droit d’être avisé de la décision de l’institution fédérale de communiquer le document. Le tiers à qui un tel avis est donné a ensuite le droit d’exercer le recours en révision prévu à l’art. 44. Dans les cas où la cour conclut que l’institution fédérale est tenue de refuser la communication d’un document, elle doit alors lui ordonner de refuser cette communication.

67 Étant donné que la juge Deschamps a exposé dans ses motifs les faits de la présente affaire et les décisions des instances inférieures, je passe directement à l’interprétation de l’art. 44 LAI. Notre Cour a constamment maintenu que

[traduction] [a]ujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

(Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87)

2. L’objet de la LAI

68 La LAI doit être interprétée au regard de la LPRP, ces deux lois formant ensemble un code homogène qui régit les droits opposés en matière d’accès à l’information et de protection de la vie privée. Ce sont des lois complémentaires qui ont la même importance et dont les dispositions doivent être interprétées de façon harmonieuse : Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, par. 51, le juge La Forest étant dissident mais non sur ce point. Le paragraphe 2(1) LAI décrit ainsi l’objet de la Loi :

2. (1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

69 L’accès aux renseignements relevant de l’administration fédérale vise à favoriser la démocratie. Comme l’a expliqué le juge La Forest au par. 61 de l’arrêt Dagg, « [la Loi] aide à garantir, en premier lieu, que les citoyens possèdent l’information nécessaire pour participer utilement au processus démocratique, et, en second lieu, que les politiciens et bureaucrates demeurent comptables envers l’ensemble de la population. »

70 Néanmoins, l’objet de l’accès doit être interprété dans le contexte de la Loi qui établit elle‑même un certain nombre d’exceptions aux art. 13 à 24 ainsi que 26. Selon l’article 2, ces exceptions indispensables au droit d’accès doivent être précises et limitées. Toutefois, le juge Gonthier, s’exprimant au nom de la Cour à l’unanimité dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [2003] 1 R.C.S. 66, 2003 CSC 8, a expliqué que « [l]’article 2 de la Loi sur l’accès à l’information prévoit que les exceptions au droit d’accès doivent être “précises et limitées”, mais il n’établit pas pour autant de présomption en faveur de la communication » (par. 21).

71 L’article 19 LAI soustrait expressément les renseignements personnels à l’application de la règle générale de la communication, sous réserve de certaines exceptions qui ne sont pas en cause dans le présent pourvoi. Cet article définit les renseignements personnels en fonction de l’art. 3 LPRP, ce qui illustre la complémentarité des deux lois dont j’ai parlé précédemment. L’article 3 définit les « renseignements personnels » comme étant les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, et il donne un certain nombre d’exemples. Le législateur a donc établi un juste équilibre entre le droit d’accès aux documents de l’administration fédérale et le droit à la protection de tous les renseignements personnels contenus dans ces documents. Dans l’arrêt Dagg, le juge La Forest est allé jusqu’à dire que « [l]es deux lois reconnaissent que, dans la mesure où il est visé par la définition de “renseignements personnels”, contenue à l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le droit à la vie privée l’emporte sur le droit d’accès à l’information » (par. 48).

72 Toutefois, même en admettant que le droit à la vie privée l’emporte sur le droit d’accès à l’information, cela ne signifie pas pour autant que le législateur a l’obligation d’établir un mécanisme de notification et de révision préalable à la divulgation de renseignements personnels. Il appartient au législateur de prendre une décision de politique générale quant à la façon d’établir l’équilibre entre le droit d’accès à l’information et le droit à la vie privée. Comme le démontre l’analyse qui suit, le législateur a confié la promotion de l’accès aux documents de l’administration fédérale et la protection des renseignements personnels à deux commissaires qui, en fait, jouent le rôle d’ombudsman. Ces commissariats sont indépendants de l’administration fédérale et ils ont pour rôle d’enquêter de manière impartiale sur les plaintes visant des institutions fédérales. En fait, la structure de la LAI et de la LPRP indique également que, outre le recours en révision fondé sur l’art. 44, le législateur a jugé bon de limiter les possibilités de contrôle judiciaire jusqu’à ce que le Commissaire à l’information ait enquêté sur la plainte.

3. Le rôle des commissaires fédéraux à l’information et à la protection de la vie privée

3.1 Les recours possibles en vertu de la LAI et de la LPRP

73 Le droit à la vie privée des tiers est protégé par la LPRP, plus particulièrement par l’art. 29 qui protège les renseignements personnels des tiers au moyen d’un processus de plainte et d’enquête :

29. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le Commissaire à la protection de la vie privée reçoit les plaintes et fait enquête sur les plaintes :

a) déposées par des individus qui prétendent que des renseignements personnels les concernant et détenus par une institution fédérale ont été utilisés ou communiqués contrairement aux articles 7 ou 8;

. . .

h) portant sur toute autre question relative à :

. . .

(ii) l’usage ou la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale . . .

74 Aux termes du par. 29(2), le Commissaire à la protection de la vie privée peut recevoir les plaintes par l’intermédiaire d’un représentant du plaignant. Il serait donc loisible à Heinz de porter plainte au nom de ses employés afin de protéger leurs renseignements personnels. Le Commissaire à la protection de la vie privée est habilité à mener des enquêtes sur les plaintes qu’il reçoit et il possède de vastes pouvoirs à cet égard (art. 31 à 34 LPRP), notamment celui d’assigner et de contraindre des témoins à comparaître, à déposer et à produire des pièces, ainsi que celui de pénétrer dans les locaux d’une institution fédérale et d’examiner les documents trouvés dans ces locaux (par. 34(1)). Il a également accès à tous les documents d’une institution fédérale (à l’exception des renseignements confidentiels du Cabinet), y compris ceux qui feraient par ailleurs l’objet d’une immunité légale (par. 34(2)). L’article 33 LPRP assure que les enquêtes menées sur les plaintes sont secrètes. Dans les cas où il conclut au bien‑fondé d’une plainte, le Commissaire à la protection de la vie privée présente à l’institution fédérale concernée un rapport faisant état de ses conclusions et recommandations (art. 35). Toutefois, il ne peut ni ordonner la communication de renseignements ni enjoindre ou interdire à l’institution de prendre des mesures à l’égard des renseignements en cause. L’article 37 prévoit que, pour le contrôle d’application des art. 4 à 8 LPRP, qui portent sur la collecte, la conservation, le retrait et la protection des renseignements personnels, le Commissaire à la protection de la vie privée peut également, à son appréciation, tenir des enquêtes quant aux renseignements personnels qui relèvent des institutions fédérales.

75 J’ai déjà mentionné que l’exemption de communication applicable aux renseignements personnels est assujettie à un certain nombre d’exceptions. Aux termes de l’al. 19(2)c) LAI, le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où la communication est conforme à l’art. 8 LPRP. Le sous‑alinéa 8(2)m)(i) LPRP autorise la communication de renseignements personnels « à toute autre fin dans les cas où, de l’avis du responsable de l’institution[,] des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée ». Dans les cas où une institution fédérale exerce ce pouvoir discrétionnaire pour communiquer des renseignements personnels, le par. 8(5) prévoit que celle‑ci doit donner un préavis écrit de cette communication au Commissaire à la protection de la vie privée si les circonstances le justifient. Cela représente une mesure de protection supplémentaire applicable aux renseignements personnels devant être communiqués pour des raisons d’intérêt public, dans la mesure o— le Commissaire à la protection de la vie privée peut intervenir avant la communication de ces renseignements.

76 Il est également loisible au Commissaire à l’information de recevoir la plainte déposée par un tiers qui s’oppose à la communication, et de faire enquête sur cette plainte. L’alinéa 30(1)f) LAI habilite le Commissaire à l’information à recevoir les plaintes « portant sur toute autre question relative à la demande ou à l’obtention de documents en vertu de la présente loi », et à faire enquête sur ces plaintes. On ne sait pas au juste si cela pourrait inclure les plaintes concernant la divulgation illicite de renseignements personnels. Le Commissaire à l’information reçoit habituellement la plainte de l’auteur d’une demande de renseignements dans le cas où la communication d’un document a été refusée ou retardée ou est par ailleurs insuffisante. Quoi qu’il en soit, le Commissariat à la protection de la vie privée semble se prêter davantage à la réception et à l’examen d’une plainte déposée par un tiers qui invoque l’exception des renseignements personnels prévue à l’art. 19 pour s’opposer à la communication, étant donné qu’il a pour mission de recevoir toutes les plaintes déposées conformément à la LPRP et de faire enquête sur celles‑ci.

3.2 L’incidence qu’aurait sur le rôle des commissaires l’autorisation d’invoquer l’exception de l’art. 19 dans un recours en révision fondé sur l’art. 44

77 En général, la LAI exige la tenue d’une enquête du Commissaire à l’information avant que l’on puisse demander aux tribunaux de décider si l’institution fédérale peut légalement refuser la communication. Le recours fondé sur l’art. 44 est la seule exception à ce régime.

78 Le paragraphe 30(1) LAI autorise le Commissaire à l’information à recevoir les plaintes et à faire enquête sur celles‑ci dans les cas où la communication d’un document a été refusée ou retardée ou est par ailleurs insuffisante. L’auteur de la demande de renseignements, le responsable de l’institution fédérale de qui relève le document et le tiers — dans le cas où le Commissaire croit que le document peut contenir des renseignements commerciaux confidentiels — ont le droit de participer à ce processus d’enquête. Tout comme les enquêtes menées par le Commissaire à la protection de la vie privée, les enquêtes que le Commissaire à l’information mène sur les plaintes sont secrètes (art. 35). Le paragraphe 36(1) LAI confère au Commissaire à l’information les mêmes vastes pouvoirs d’enquête que ceux que possède le Commissaire à la protection de la vie privée et que j’ai déjà énumérés. Le paragraphe 36(2) LAI donne au Commissaire à l’information un droit d’accès à tous les documents qui relèvent d’une institution fédérale et auxquels la LAI s’applique, peu importe qu’ils fassent ou non l’objet d’une immunité. Contrairement à la LPRP, le par. 36(2) LAI ne soustrait pas les renseignements confidentiels du Cabinet à l’application de ce droit d’accès général. Dans les cas où il conclut au bien‑fondé d’une plainte, le Commissaire à l’information peut présenter un rapport faisant état de ses conclusions et de ses recommandations au responsable de l’institution fédérale qui a refusé de donner communication (par. 37(1)), et il doit également donner un avis aux parties qui ont été avisées de la tenue de l’enquête et qui ont choisi d’y participer (par. 37(2)).

79 L’article 41 LAI accorde un droit de révision à l’auteur d’une demande de renseignements qui s’est vu refuser la communication d’un document. Toutefois, ce droit ne peut être exercé que si une plainte a d’abord été déposée auprès du Commissaire à l’information et si l’auteur de la demande de renseignements a été avisé des conclusions de l’enquête. En d’autres termes, la LAI garantit que l’examen de la plainte sera d’abord confié au Commissaire à l’information et non aux tribunaux. Lorsque l’institution fédérale refuse de donner communication à la suite de l’enquête et des recommandations du Commissaire à l’information, il est également loisible à ce dernier d’exercer lui‑même le recours en révision pourvu qu’il ait obtenu le consentement de l’auteur de la demande de renseignements (al. 42(1)a) LAI).

80 Le recours fondé sur l’art. 44 est la seule exception à ce régime législatif. Le tiers avisé que l’institution fédérale entend communiquer le document peut exercer directement devant la cour le recours en révision prévu à l’art. 44. Dans les cas où elle conclut que le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication totale ou partielle d’un document, la cour doit lui ordonner de refuser cette communication (art. 51 LAI). L’auteur de la demande de renseignements est avisé de la tenue d’une audience et il a le droit de comparaître comme partie à l’instance (par. 44(3) LAI). Le Commissaire à l’information n’a toutefois le droit de comparaître comme partie à l’instance qu’avec l’autorisation de la cour (al. 42(1)c) LAI). Lorsqu’un recours fondé sur l’art. 44 donne lieu à une ordonnance enjoignant de refuser de communiquer le document, l’ordonnance de la cour a pour effet d’écarter toute enquête du Commissaire à l’information. Le rôle du Commissaire à l’information serait davantage compromis si, dans un recours en révision fondé sur l’art. 44, un tiers avait également le droit d’invoquer l’exception des renseignements personnels prévue à l’art. 19.

3.3 Le rôle général du Commissaire à l’information et du Commissaire à la protection de la vie privée

81 On dit que le rôle du Commissaire à l’information et du Commissaire à la protection de la vie privée s’apparente à celui d’un ombudsman. Dans l’arrêt Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, 2002 CSC 53, par. 37, notre Cour a affirmé ceci au sujet du Commissaire à la protection de la vie privée et du Commissaire aux langues officielles :

Le Commissaire aux langues officielles et le Commissaire à la protection de la vie privée détiennent un mandat dont plusieurs éléments importants sont propres au rôle d’un ombudsman (voir M. A. Marshall et L. C. Reif, « The Ombudsman : Maladministration and Alternative Dispute Resolution » (1995), 34 Alta. L. Rev. 215) :

— Ils sont indépendants de l’administration gouvernementale et occupent leur charge à titre inamovible pour une période déterminée. Ils reçoivent le même traitement qu’un juge de la Cour fédérale. Cette indépendance est renforcée du fait qu’ils ne peuvent pas généralement être contraints à témoigner et jouissent d’une immunité en matière civile ou pénale pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions;

— Ils examinent les plaintes des citoyens contre l’administration gouvernementale et mènent des enquêtes impartiales;

— Ils cherchent à obtenir la réparation appropriée lorsque la plainte du citoyen est fondée sur des moyens non judiciaires;

— Ils cherchent à améliorer le degré de conformité de l’administration gouvernementale à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la Loi sur les langues officielles;

— Ils sont généralement tenus à la confidentialité.

82 Le Commissaire à la protection de la vie privée et le Commissaire à l’information occupent tous deux leur charge à titre inamovible pour un mandat fixe de sept ans, sauf révocation par le gouverneur en conseil sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes : par. 53(2) LPRP et par. 54(2) LAI. Ils reçoivent tous deux le même traitement qu’un juge de la Cour fédérale : par. 55(2) LAI et par. 54(2) LPRP. Ils bénéficient de l’immunité en matière civile ou pénale pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions : par. 66(1) LAI et par. 67(1) LPRP. Les commissaires sont tous deux autorisés à recevoir des plaintes et à faire enquête sur celles‑ci, ainsi qu’à obtenir une réparation appropriée en présentant à l’institution fédérale concernée des recommandations n’ayant pas force obligatoire. Ils peuvent divulguer les renseignements qu’ils obtiennent dans le cadre de leur enquête uniquement dans les circonstances particulières décrites dans les lois : voir les art. 63 et 64 LAI, ainsi que les art. 64 et 65 LPRP. Je tiens aussi à faire remarquer que leur rôle indépendant est souligné dans la disposition énonçant l’objet de la LAI, qui prévoit que la communication de renseignements de l’administration fédérale est susceptible de recours indépendants du pouvoir exécutif (par. 2(1)).

83 L’approche qu’utilisent les commissaires pour enquêter sur les plaintes et faire des recommandations, lorsqu’elles sont justifiées, est considérée moins formelle que le processus judiciaire. Les commissaires ont pour mission de régler les différends de manière informelle, et les commissariats ont été créés expressément pour répondre aux limites des recours judiciaires à cet égard : voir Lavigne, par. 38. Puis, au par. 39, la Cour a ensuite expliqué ceci :

L’ombudsman n’est pas l’avocat du plaignant. Il a le devoir d’examiner les deux côtés du litige, apprécier les torts et recommander les moyens d’y remédier. Il privilégie la discussion et l’entente à l’amiable. Selon le juge Dickson dans l’affaire British Columbia Development Corp. c. Friedmann, [1984] 2 R.C.S. 447, la fonction d’ombudsman et la procédure de règlement qui ne sont ni légales ni politiques au sens strict sont d’origine suédoise et remontent aux environs de 1809. Il en décrit la genèse (aux p. 458‑59) :

Au début, l’ombudsman suédois devait être le surveillant parlementaire de l’administration, mais par la suite la nature de l’institution s’est progressivement modifiée. Finalement, l’ombudsman en est venu à avoir pour fonction principale d’enquêter sur des plaintes de mauvaise administration pour le compte de citoyens lésés et de recommander des mesures correctives aux fonctionnaires ou ministères gouvernementaux visés.

L’institution d’ombudsman a connu un essor depuis sa création. De nombreux pays dans le monde l’ont adoptée pour répondre à ce que R. Gregory et P. Hutchesson, à la p. 15 de leur ouvrage intitulé The Parliamentary Ombudsman (1975), appellent [traduction] « l’un des dilemmes de notre époque », savoir que [traduction] « dans l’État moderne . . . l’action démocratique n’est possible qu’au moyen de l’organisation bureaucratique; mais la puissance bureaucratique, si elle n’est pas bien contrôlée, tend elle‑même à détruire la démocratie et ses valeurs ».

Les facteurs qui ont contribué à l’essor de l’institution d’ombudsman sont bien connus. Depuis une ou deux générations, la taille et la complexité du gouvernement ont augmenté considérablement tant du point de vue qualitatif que quantitatif. Depuis l’avènement de l’État‑providence moderne, l’ingérence du gouvernement dans la vie et les moyens de subsistance des individus a augmenté de façon exponentielle. Le gouvernement assure maintenant des services et des avantages, intervient activement sur le marché et exerce des fonctions de propriétaire, à un degré qui aurait été inconcevable il y a cinquante ans.

84 Comme l’explique l’ancien juge La Forest à la p. 16 d’un rapport récent intitulé Les commissariats à l’information et à la protection de la vie privée : fusion et questions connexes, Rapport du conseiller spécial auprès du ministre de la Justice (15 novembre 2005) (« rapport La Forest »), à l’instar de l’ombudsman, la responsabilité première du Commissaire à l’information et du Commissaire à la protection de la vie privée consiste à mener des enquêtes et à formuler des recommandations de manière indépendante et impartiale relativement aux plaintes.

85 L’ancien juge La Forest note que les commissaires exercent un certain nombre d’autres fonctions importantes :

Le commissaire à la protection de la vie privée, par exemple, a des pouvoirs de vérification lui permettant de mener des enquêtes visant les institutions fédérales pour s’assurer qu’elles respectent les obligations que la Loi leur impose ainsi que le pouvoir de recommander l’adoption de mesures pour qu’elles remplissent ces obligations et de faire rapport des manquements constatés à l’institution concernée et au Parlement. Le commissaire à la protection de la vie privée a en outre le pouvoir de déterminer si une institution fédérale a eu raison de décider qu’un fichier est inconsultable. S’il conclut que le fichier n’a pas été correctement classé et que, le cas échéant, l’institution fédérale n’accepte pas sa décision, il peut demander à la Cour fédérale de statuer sur la question. Les deux commissaires doivent de plus présenter des rapports annuels au Parlement et il leur est loisible de présenter des rapports spéciaux concernant des questions urgentes. [Renvois omis; p. 18.]

86 Le Commissaire à la protection de la vie privée s’est vu confier d’autres responsabilités lors de l’adoption de la partie 1 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5. En outre, les commissaires s’efforcent également de promouvoir les valeurs qui sous‑tendent l’accès à l’information et la protection de la vie privée auprès de diverses instances nationales et internationales. « Les commissaires ont formulé des commentaires concernant divers projets de lois et de politiques gouvernementales, comparu devant des comités parlementaires, mené des sondages, subventionné des recherches, publié des conclusions sous forme de sommaires et donné des conférences publiques » : voir le rapport La Forest, p. 20.

87 Cela a amené certains commentateurs à conclure au sujet du Commissaire à la protection de la vie privée que l’on s’attend à ce [traduction] « qu’éventuellement il accomplisse sept rôles connexes, à savoir les rôles d’ombudsman, de vérificateur, de consultant, de pédagogue, de conseiller en matière d’établissement de politiques, de négociateur et de responsable de l’application des lois » : C. J. Bennett, « The privacy commissioner of Canada : Multiple roles, diverse expectations and structural dilemmas » (2003), 46 Administration publique du Canada 218, p. 237, cité à la p. 20 du rapport La Forest. Plusieurs de ces rôles sont aussi remplis par le Commissaire à l’information : rapport La Forest, p. 20.

4. Le régime législatif dans lequel s’inscrit l’art. 44 LAI

4.1 Le contexte législatif

88 Notre Cour a statué que l’interprétation législative ne peut être fondée sur le seul libellé du texte de loi : Rizzo & Rizzo Shoes, par. 21. Comme le démontre l’analyse qui précède, le recours en révision fondé sur l’art. 44 s’inscrit dans un code législatif complexe. C’est le par. 27(1) LAI qui a permis à Heinz de prendre connaissance de la demande de communication à l’origine du recours en révision fondé sur l’art. 44. Ce paragraphe se lit ainsi :

27. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale qui a l’intention de donner communication totale ou partielle d’un document est tenu de donner au tiers intéressé, dans les trente jours suivant la réception de la demande, avis écrit de celle‑ci ainsi que de son intention, si le document contient ou s’il est, selon lui, susceptible de contenir :

a) soit des secrets industriels d’un tiers;

b) soit des renseignements visés à l’alinéa 20(1)b) qui ont été fournis par le tiers;

c) soit des renseignements dont la communication risquerait, selon lui, d’entraîner pour le tiers les conséquences visées aux alinéas 20(1)c) ou d).

La présente disposition ne vaut que s’il est possible de rejoindre le tiers sans problèmes sérieux.

Le paragraphe 27(1) est une disposition qui oblige à donner avis aux tiers dans les cas où il y a eu une demande de communication d’un document contenant des renseignements énumérés aux al. a) à c). Ces alinéas renvoient directement à l’exemption de communication prévue au par. 20(1) LAI :

20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

a) des secrets industriels de tiers;

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins.

89 Par souci de commodité, j’utiliserai l’expression « renseignements commerciaux confidentiels » pour désigner les renseignements exempts de communication en vertu de l’art. 20. Lorsqu’un tiers reçoit un avis conformément au par. 27(1) parce que le document demandé est susceptible de contenir des renseignements commerciaux confidentiels, l’al. 28(1)a) lui donne la possibilité de présenter au responsable de l’institution fédérale des observations sur les raisons qui justifieraient un refus de communication. Selon l’al. 28(1)b), le tiers a alors le droit d’être avisé de la décision de l’institution fédérale concernant la communication du document. Le tiers qui est avisé, conformément à l’al. 28(1)b), de la décision de l’institution fédérale de communiquer le document a le droit d’exercer le recours en révision prévu à l’art. 44 :

44. (1) Le tiers que le responsable d’une institution fédérale est tenu, en vertu de l’alinéa 28(1)b) ou du paragraphe 29(1), d’aviser de la communication totale ou partielle d’un document peut, dans les vingt jours suivant la transmission de l’avis, exercer un recours en révision devant la Cour.

90 Le paragraphe 29(1) n’est pas en cause dans le présent pourvoi. Il traite du cas légèrement différent o— après avoir refusé dans un premier temps de donner communication, l’institution fédérale décide ensuite de suivre la recommandation du Commissaire à l’information de communiquer le document demandé. Aux termes du par. 29(1), un avis doit être donné au tiers, qui a été avisé au départ ou qui l’aurait été en vertu du par. 27(1), du fait que le document est susceptible de contenir des renseignements commerciaux confidentiels.

91 L’article 51 LAI précise que, dans les cas où elle conclut, lors d’un recours exercé en vertu de l’art. 44, que le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication d’un document, la cour doit lui ordonner de refuser cette communication ou rendre une autre ordonnance si elle l’estime indiqué.

92 La juge Deschamps se fonde sur le libellé général de l’art. 44 et de ses dispositions connexes pour conclure que, dans un recours en révision fondé sur l’art. 44, un tiers qui a été avisé conformément à l’al. 28(1)b) LAI peut invoquer l’exemption de communication applicable aux renseignements personnels prévue à l’art. 19. Elle se fonde plus particulièrement sur ce qui suit :

· L’alinéa 28(1)b) permet au tiers de présenter des observations sur les raisons qui justifieraient un refus de communication du document. Rien dans cette disposition ne limite la portée des observations qui peuvent être présentées.

· De même, le libellé de l’al. 28(1)b) indique qu’il est possible de présenter des observations sur les raisons qui justifieraient un refus de communication du document, au lieu de limiter expressément le droit de présenter des observations à la partie du document qui contient des renseignements commerciaux confidentiels.

· L’article 44 permet d’exercer un recours en révision sans limiter expressément la portée de ce qui peut être révisé.

· Enfin, l’art. 51 prévoit que la cour doit rendre une ordonnance dans les cas où elle conclut que le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication du document. Quant à savoir si l’institution fédérale est tenue de refuser la communication, l’art. 51 ne limite pas expressément l’examen de la cour à l’exemption de communication que l’art. 20 établit dans le cas des renseignements commerciaux confidentiels.

93 La cour doit tenir compte du contexte global de la disposition devant être interprétée, même si, à première vue, le sens de son libellé peut paraître évident : Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, par. 34; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), [2006] 1 R.C.S. 140, 2006 CSC 4, par. 48; R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), p. 20‑21. Certaines dispositions législatives en cause ont une portée générale. Considérer isolément des termes qui se prêtent à diverses interprétations, tels « observations », « document » et « matter », fait perdre de vue leur véritable portée : voir l’arrêt ATCO, par. 46.

94 La portée des termes « observations », « document » et « matter » ressort clairement du contexte législatif. Le droit d’exercer le recours en révision prévu à l’art. 44 découle de l’avis que le tiers reçoit parce que le document demandé est susceptible de contenir des renseignements commerciaux confidentiels. Les parties et, en fait, la juge Deschamps concèdent que l’avis n’est requis que dans les cas où l’art. 20 est susceptible de s’appliquer en raison de la nature même de l’exception qu’il établit. Seul le tiers lui‑même est en mesure de dire clairement si les motifs énumérés à l’art. 20 s’appliquent aux renseignements demandés. Cela s’explique par le fait que, compte tenu des critères énumérés à l’art. 20, seul le tiers est en mesure d’établir quels sont les renseignements qu’il a considérés ou qu’il considère comme étant de nature confidentielle, et quel serait l’effet de leur divulgation sur ses revenus ou sa compétitivité.

95 Dans ses motifs de jugement, la juge Deschamps analyse brièvement l’historique législatif des art. 27 et 28 LAI, qui exigent de donner avis et qui, en définitive, donnent le droit d’exercer le recours en révision prévu à l’art. 44. Je ne considère pas que cet historique législatif est particulièrement utile pour déterminer la portée que doit avoir la révision fondée sur l’art. 44. Par contre, le contexte législatif nous éclaire énormément sur l’intention législative qui sous‑tend le processus de révision.

96 Le processus de plainte et d’enquête que j’ai exposé plus haut est le mécanisme que le législateur a choisi pour établir un équilibre entre le droit d’accès à l’information et la nécessité de protéger les renseignements personnels. Dans le cas où les renseignements personnels d’individus sont divulgués illicitement, l’art. 29 LPRP autorise les individus concernés à porter plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée. Aucune disposition n’oblige à donner préavis de la communication d’un document susceptible de contenir des renseignements personnels visés par une exemption, et la divulgation illicite de renseignements personnels visés par une exemption ne donne pas non plus naissance au droit à un contrôle judiciaire fondé sur la LAI ou la LPRP. En fait, les art. 27, 28 et 44 LAI constituent, dans le régime législatif, les seuls mécanismes de notification et de révision qui sont censés permettre de s’opposer à la communication d’un document demandé.

97 L’article 44, situé dans son contexte législatif, n’a rien à voir avec l’exemption de communication des renseignements personnels prévue à l’art. 19. Le droit d’exercer le recours prévu à l’art. 44 découle du fait que le document demandé est susceptible de contenir des renseignements commerciaux confidentiels. La structure de la LAI et de la LPRP indique que le législateur a voulu que la protection des renseignements personnels relève exclusivement du Commissariat à la protection de la vie privée. La volonté du législateur que tout contrôle judiciaire fondé sur ces lois soit précédé d’une enquête impartiale du Commissaire à l’information est tout aussi importante. La seule exception prévue dans le régime législatif est le cas o— le document demandé est susceptible de contenir des renseignements commerciaux confidentiels.

4.2 Permettre d’invoquer l’exception de l’art. 19 dans un recours fondé sur l’art. 44 mènerait à des absurdités

98 L’on présume que le législateur ne veut pas que ses lois aient des conséquences absurdes : voir Sullivan, p. 236. Les seuls mécanismes de notification et de révision qui permettent de s’opposer à la communication sont prévus aux art. 27, 28 et 44 LAI. Sauf dans les cas énoncés au par. 28(1), cette loi n’exige pas qu’un tiers reçoive un préavis de la communication de renseignements le concernant. Lorsque le responsable d’une institution fédérale conclut que les renseignements demandés ne sont pas des renseignements commerciaux confidentiels, il n’est pas nécessaire de donner avis au tiers, la cour n’ordonnera pas de le faire, et aucun droit d’exercer le recours en révision prévu au par. 44(1) ne prend naissance.

99 À moins que les seules exceptions qui puissent être invoquées dans un recours en révision fondé sur l’art. 44 soient celles prévues à l’art. 20, les tiers ayant été avisés conformément à l’al. 28(1)b) pourront invoquer l’exception des renseignements personnels prévue à l’art. 19 dans des cas o— le tiers qui affirme seulement que le document contient des renseignements personnels le concernant ne possède aucun droit comparable.

100 Seuls la possibilité d’appliquer l’art. 20 et l’avis reçu conformément aux art. 27 et 28 permettent à Heinz d’invoquer en l’espèce l’exception de l’art. 19. N’était‑ce la possibilité d’appliquer l’art. 20, le recours en révision fondé sur l’art. 44 ne serait pas possible. L’élargissement proposé de la portée de la révision fondée sur l’art. 44 aurait pour effet de créer deux catégories de tiers : ceux qui sont avisés en vertu des art. 27 à 29 LAI et ceux qui ne le sont pas. En d’autres termes, on établirait une distinction entre les tiers qui possèdent des renseignements commerciaux confidentiels pertinents et ceux qui ne possèdent pas de tels renseignements. Un tel résultat est absurde dans la mesure où les renseignements personnels de certains individus peuvent bénéficier d’une protection accrue en fonction de la possibilité d’appliquer l’art. 20. Les individus qui possèdent des renseignements commerciaux confidentiels pertinents bénéficieraient ainsi d’une plus grande protection de leurs renseignements personnels que ceux qui ne possèdent pas de tels renseignements. Rien dans la LAI ou dans la LPRP ne justifie un tel système à deux vitesses.

101 L’interprétation de l’art. 44 que préconise la juge Deschamps entraîne une deuxième conséquence absurde. Il est peu probable que Heinz soit elle‑même en possession de renseignements personnels au sens de l’art. 3 LPRP. L’article 3 renferme une liste non exhaustive de renseignements qui sont considérés comme personnels. Les éléments de cette liste renforcent la conclusion que seuls les êtres humains peuvent être des individus identifiables étant donné que la race, la couleur, la religion, l’âge, la situation de famille, l’éducation, le dossier médical, le casier judiciaire, les antécédents professionnels, les empreintes digitales et le groupe sanguin sont propres à l’espèce humaine. Dans la présente affaire, Heinz invoque l’art. 19 dans le but de protéger les renseignements personnels de plusieurs de ses employés. S’il est vrai que la LAI et la LPRP permettent expressément à un représentant autorisé de porter plainte auprès du Commissaire à l’information ou du Commissaire à la protection de la vie privée, respectivement, ce n’est pas le cas de l’art. 44.

102 Le droit d’exercer le recours en révision prévu à l’art. 44 appartient au tiers avisé du refus de communiquer le document — Heinz, en l’espèce. Les employés de Heinz dont les renseignements personnels sont en cause n’ont pas le droit d’exercer le recours en révision prévu à l’art. 44. En d’autres termes, l’interprétation préconisée par la juge Deschamps a pour effet de permettre à Heinz de s’opposer à la communication envisagée à cause de la présence de renseignements personnels concernant ses employés, alors que les employés touchés n’ont eux‑mêmes aucun droit d’exercer le recours en révision prévu par la Loi. À mon sens, le législateur ne peut avoir voulu que Heinz puisse invoquer l’art. 19 au nom de ses employés dans un cas o— ni la LAI ni la LPRP ne permettent à ses employés de s’opposer eux‑mêmes à cette communication dans le cadre d’un recours judiciaire.

5. Conclusion sur l’interprétation que doit recevoir l’art. 44 LAI

103 Le législateur a confié au Commissariat à l’information et au Commissariat à la protection de la vie privée la tâche de veiller à ce que le gouvernement respecte la LAI et la LPRP. Le rôle de ces commissariats s’apparente à celui d’un ombudsman et témoigne d’une décision de politique générale d’adopter un mécanisme non contentieux de règlement des différends dans le cas où des plaintes sont déposées par des individus qui sollicitent l’accès à des renseignements de l’administration fédérale ou par des tiers qui cherchent à protéger leurs renseignements personnels. Le régime actuel établit un processus plus accessible de révision de la décision d’une institution fédérale de communiquer ou de ne pas communiquer un document demandé.

104 Ce processus accessible, informel et non contentieux de règlement des plaintes amène les commissaires à présenter des recommandations n’ayant pas force obligatoire à l’institution fédérale visée par la plainte. Comme l’a fait remarquer la juge Deschamps, une telle décision de politique générale fait en sorte que les commissaires jouent nécessairement un rôle limité en raison de leur incapacité de prononcer une injonction ou d’interdire à une institution fédérale de divulguer des renseignements. Rien n’empêche l’institution fédérale qui attend les recommandations des commissaires ou même qui s’est vu recommander de ne pas donner communication, de communiquer le document demandé. En fait, l’art. 7 LAI exige que l’institution fédérale avise l’auteur de la demande de renseignements de sa décision de donner communication ou de son refus de le faire dans les 30 jours suivant réception de la demande. Si l’institution fédérale choisit de communiquer le document, elle doit alors en donner communication à l’auteur de la demande dans le même délai. L’institution fédérale peut toutefois proroger ce délai conformément au par. 9(1) LAI dans les cas où :

9. (1) . . .

a) l’observation du délai entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l’institution en raison soit du grand nombre de documents demandés, soit de l’ampleur des recherches à effectuer pour donner suite à la demande;

b) les consultations nécessaires pour donner suite à la demande rendraient pratiquement impossible l’observation du délai;

c) avis de la demande a été donné en vertu du paragraphe 27(1).

. . .

Dans tous ces cas, l’auteur de la demande doit être avisé de la prorogation du délai et de son droit de porter plainte à ce sujet auprès du Commissaire à l’information. Dans les cas où la prorogation du délai dépasse 30 jours, le responsable de l’institution fédérale doit également en aviser le Commissaire à l’information conformément au par. 9(2).

105 Les commissaires n’ont pas la capacité décisionnelle ou réparatrice d’empêcher la communication illégale d’un document demandé. De plus, mis à part le recours exercé en vertu de l’art. 44, le contrôle judiciaire fondé sur la LPRP et la LAI ne peut avoir lieu que dans le cas o— l’institution fédérale a refusé de communiquer les renseignements demandés. La juge Deschamps dit craindre, pour ces raisons notamment, qu’une interprétation restrictive de l’art. 44 affaiblisse la protection des renseignements personnels. Le rapport La Forest mentionne qu’un certain nombre de provinces, dont le Québec, l’Ontario, la Colombie‑Britannique, l’Alberta et l’Île‑du‑Prince‑Édouard, ont donné aux commissaires provinciaux le pouvoir de rendre des décisions définitives en règlement des différends relatifs aux plaintes, sous réserve d’un contrôle judiciaire : voir p. 56. Cela reflète une décision de politique générale différente de celle du législateur fédéral. L’ancien juge La Forest précise cependant que

[d]ans la plupart des provinces, les commissaires exercent ce pouvoir avec parcimonie, préférant, lorsque c’est possible, régler les plaintes par la conciliation, la médiation et autres moyens informels. Ils n’en considèrent pas moins l’existence de ce pouvoir, qui incite fortement les parties à parvenir à un règlement raisonnable, comme essentielle à leur efficacité. [Renvoi omis; p. 56.]

Il conclut que l’option consistant à conférer ce pouvoir aux commissaires fédéraux à l’information et à la protection de la vie privée mérite qu’on s’y attarde davantage : voir p. 58. La décision d’accorder ou non de tels pouvoirs aux commissaires est complexe et doit concilier la protection des renseignements personnels avec la nécessité de disposer d’un système de règlement des plaintes accessible, informel et rapide afin de faciliter l’accès à l’information. De toute évidence, c’est au législateur qu’il appartient de prendre cette décision.

106 Pour interpréter l’art. 44 LAI, il est nécessaire de préserver l’intégrité du mécanisme que le législateur a choisi pour concilier les droits opposés en matière d’accès à l’information et de protection de la vie privée. Lorsqu’il y a eu divulgation illicite de renseignements personnels, ce mécanisme est le processus de plainte et d’enquête établi à l’art. 29 LPRP, assorti de la protection additionnelle que le par. 8(5) LPRP prescrit dans le cas où l’institution fédérale entend communiquer des renseignements personnels pour le motif que des raisons d’intérêt public justifieraient une éventuelle violation de la vie privée. Ce processus n’est rien de plus que le reflet d’une décision de politique générale que l’administration fédérale a prise après avoir évalué les avantages et désavantages que diverses options présentaient sur le plan des principes et des conditions d’application. Il faut respecter l’intégrité de ce processus pour mettre à exécution l’intention du législateur.

107 Comme je l’ai déjà mentionné, la juge Deschamps s’inquiète, dans ses motifs, du fait que les lois ne protègent pas suffisamment, à son avis, les renseignements personnels. Toutefois, selon son interprétation de l’art. 44 LAI, le droit de révision ne peut être exercé pour s’opposer à la communication fondée sur l’art. 19 que dans les cas limités o— le document demandé est susceptible de contenir des renseignements commerciaux confidentiels. Il en résulte des iniquités, comme je l’ai déjà mentionné. De plus, comme c’est le cas en l’espèce, ce droit de révision n’appartient peut‑être même pas aux individus dont les renseignements personnels figurent réellement dans le document demandé. En l’espèce, seule Heinz a le droit d’exercer le recours en révision, en dépit du fait que les renseignements personnels contenus dans le document concernent ses employés.

108 L’interprétation que donne la juge Deschamps à l’art. 44 ne permet pas d’assurer une meilleure protection ou une protection plus équitable des renseignements personnels. Ce type de cas n’est pas fréquent. La grande majorité des individus dont les renseignements personnels sont à risque n’en bénéficieront pas. En outre, malgré ma conclusion qu’un tiers ne peut pas invoquer l’exception des renseignements personnels prévue à l’art. 19 dans le cadre d’une révision fondée sur l’art. 44, je n’écarte pas la possibilité d’un contrôle judiciaire fondé sur la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. En effet, si l’institution fédérale agit sans compétence ou outrepasse sa compétence, la partie directement touchée par sa décision peut toujours présenter une demande de contrôle judiciaire conformément à l’art. 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

6. La possibilité de présenter une demande de contrôle judiciaire conformément à la Loi sur les Cours fédérales

6.1 Peut‑il y avoir contrôle judiciaire fondé sur la Loi sur les Cours fédérales?

109 Dès qu’un tiers est avisé que l’institution fédérale entend communiquer un document susceptible de contenir des renseignements personnels, il peut envisager de présenter une demande de contrôle judiciaire conformément à la Loi sur les Cours fédérales. Les paragraphes 18.1(1) et (2) de cette loi prévoient ceci :

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous‑procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

110 Le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales donne à l’expression « office fédéral » une définition très générale que voici :

Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

111 Suivant les art. 4, 7 et 10 LAI, l’institution fédérale est tenue de divulguer tous les renseignements demandés qui ne sont pas visés par l’une des exceptions prévues aux art. 13 à 24 ainsi que 26 de cette loi. L’institution fédérale exerce donc des pouvoirs prévus par une loi fédérale et est visée par la définition de l’expression « office fédéral ». Aux termes de l’al. 28(1)b) LAI, l’institution fédérale doit aviser le tiers, dont les renseignements commerciaux confidentiels étaient, au départ, susceptibles de figurer dans le document demandé, de sa décision concernant la communication de ce document. Cette décision est celle d’un office fédéral au sens de la Loi sur les Cours fédérales et est donc susceptible de contrôle. Cette conclusion concorde avec les propos que le juge Le Dain a tenus au nom de la Cour à l’unanimité dans l’arrêt R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613, p. 623‑624 :

Certes, il est bien établi depuis l’arrêt de cette Cour Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, que le recours au certiorari ne se limite pas aux décisions soumises à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, mais que, comme l’a dit le juge Dickson, maintenant Juge en chef, aux pp. 622 et 623, il y a lieu à certiorari « chaque fois qu’un organisme public a le pouvoir de trancher une question touchant aux droits, intérêts, biens, privilèges ou libertés d’une personne ».

112 L’article 19 LAI soustrait de manière impérative à la divulgation tous les renseignements personnels qui ne sont pas visés par l’une des exceptions qu’il énonce. Bien que le sous‑al. 8(2)m)(i) LPRP permette à l’institution fédérale de communiquer des renseignements personnels lorsqu’elle le juge nécessaire pour des raisons d’intérêt public, ce sous‑alinéa n’a pas été invoqué en l’espèce. C’est pourquoi il est évident que la Loi ne permet pas de décider de communiquer un document contenant des renseignements visés par l’art. 19 LAI. Une telle décision serait ultra vires et constituerait une erreur de compétence selon l’al. 18.1(4)a) de la Loi sur les Cours fédérales, qui se lit ainsi :

18.1 . . .

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle‑ci ou refusé de l’exercer;

113 Par conséquent, le tiers pourrait solliciter une ordonnance interdisant à l’institution fédérale de communiquer le document qui contient des renseignements personnels (al. 18.1(3)b)).

114 Je suis donc arrivé à la conclusion que la décision de l’institution fédérale de communiquer le document demandé est susceptible de contrôle judiciaire pour cause d’erreur de compétence, et qu’elle peut faire l’objet d’une prohibition en vertu de la Loi sur les Cours fédérales. L’article 18.5 établit une exception à l’art. 18.1 dans les cas où il peut être interjeté appel de la décision de l’office fédéral. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

115 Néanmoins, lors d’un contrôle judiciaire, un juge peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser d’accorder réparation lorsqu’il existe un autre recours approprié. Dans l’arrêt Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S. 49, le juge en chef Dickson a expliqué ceci, à la p. 96 :

Il est fort possible que, si l’autre recours est jugé approprié, le redressement discrétionnaire devienne irrecevable, mais cela ne fait que refléter la préoccupation du judiciaire d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’une façon qui soit uniforme et fondée sur des principes. Se demander si l’autre recours disponible est approprié équivaut à examiner l’opportunité d’exercer le pouvoir discrétionnaire d’accorder le contrôle judiciaire recherché. C’est aux tribunaux qu’il appartient d’identifier et de mettre en équilibre les facteurs applicables à l’examen du caractère approprié du recours.

(Cité dans l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, par. 36.)

Dans l’arrêt Canadien Pacifique, par. 37, la Cour a décidé que les facteurs suivants sont pertinents pour déterminer s’il y a lieu d’obliger le requérant à se prévaloir d’une procédure d’appel prescrite par la loi : « la commodité de l’autre recours, la nature de l’erreur et la nature de la juridiction d’appel (c.-à-d. sa capacité de mener une enquête, de rendre une décision et d’offrir un redressement) ». La Cour a toutefois précisé que cette liste n’était pas exhaustive.

116 Le processus de plainte prévu dans la LPRP est commode et accessible; l’expertise et le rôle d’enquêteur du Commissaire à la protection de la vie privée constituent des facteurs pertinents. La structure de cette loi établit clairement que la protection des renseignements personnels est censée relever du Commissaire à la protection de la vie privée qui peut recevoir des plaintes, enquêter et rendre compte de ses conclusions et recommandations à l’institution fédérale concernée. L’économie et l’objet de la Loi sont des facteurs dont un juge peut tenir compte pour déterminer s’il y a lieu d’accorder une réparation dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Canadien Pacifique, par. 43‑46. En définitive, toutefois, le Commissaire à la protection de la vie privée n’a pas la capacité de rendre une décision ou d’offrir un redressement. J’ai déjà conclu que l’art. 44 LAI ne permet pas à un tiers d’invoquer l’exception des renseignements personnels prévue à l’art. 19. Je souscris également à l’avis des parties et de la juge Deschamps selon lequel la LAI n’offre aucun autre moyen d’empêcher une institution fédérale de communiquer un document demandé.

117 Dans le contexte d’une demande fondée sur l’art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales, j’estime que le régime législatif n’offre à Heinz aucun autre recours approprié. Selon l’al. 29(1)a) LPRP, le processus de plainte est normalement engagé après que les renseignements personnels d’un individu ont été « utilisés ou communiqués » contrairement à la LPRP. Ainsi, il se peut que l’autre recours approprié envisagé ne puisse même pas être exercé avant la communication. De plus, le régime existant ne permet simplement pas d’accorder la réparation sollicitée par Heinz en l’espèce, à savoir la non‑communication des renseignements. Le procureur général demande à notre Cour de substituer au contrôle judiciaire préalable à la communication une enquête administrative effectuée après la communication et donnant lieu à des recommandations n’ayant pas force obligatoire. Dans l’arrêt Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533, 2005 CSC 26, j’ai conclu dans mes motifs dissidents que « la demande de contrôle judiciaire était le seul moyen procédural dont disposait [l’appelante] pour faire annuler la décision du ministre » (par. 83). Le cadre réglementaire spécial créé par le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, ne prévoyait pas l’annulation d’un avis de conformité, mais il permettait de demander une ordonnance d’interdiction conformément à un droit d’action conféré par la loi. Toutefois, l’appelante ne pouvait invoquer cette cause d’action et elle était donc privée de recours. Le même raisonnement s’applique en l’espèce.

118 En définitive, c’est au juge de la Cour fédérale saisi de la demande de contrôle judiciaire qu’appartient le pouvoir discrétionnaire d’accorder ou de refuser une réparation conformément aux art. 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Ce juge refusera d’exercer la compétence que lui confère la Loi sur les Cours fédérales uniquement s’il est convaincu que le régime législatif prévoit un autre recours approprié. Dans un cas comme celui qui nous occupe, où le tiers tente de protéger les renseignements personnels de ses employés, le juge devrait également décider si le tiers a qualité pour présenter la demande. Cela s’explique par le fait que, selon l’art. 18.1, la demande de contrôle judiciaire peut être présentée par quiconque « est directement touché » par l’objet de la demande.

6.2 Devrait‑on autoriser en l’espèce l’exercice du recours en révision prévu à l’art. 44 LAI simplement pour des raisons d’efficacité et de commodité?

119 La juge Deschamps dit craindre que forcer une partie à scinder sa plainte en deux recours parallèles constitue une utilisation injustifiée des ressources. C’est au législateur qu’il appartient d’examiner cette question, s’il le veut. Compte tenu de la structure du régime législatif, je conclus qu’un tiers ne peut invoquer l’exception prévue à l’art. 19 dans un recours en révision fondé sur l’art. 44. Je conclus également qu’il existe des raisons valables de refuser d’amalgamer le contrôle prévu à l’art. 18.1 à une révision fondée sur l’art. 44.

120 Il existe des différences cruciales entre un recours en révision fondé sur l’art. 44 et le contrôle judiciaire prévu à l’art. 18.1. Premièrement, la Cour fédérale a statué qu’une révision fondée sur l’art. 44 constitue une audience de novo, alors que le contrôle prévu à l’art. 18.1 exige d’appliquer une méthode pragmatique et fonctionnelle pour décider s’il y a lieu de faire montre de déférence à l’égard de la décision de l’institution fédérale de communiquer le document : Aliments Prince Foods Inc. c. Canada (Ministre de l’Agriculture et Agroalimentaire) (2001), 272 N.R. 184 (C.A.F.), par. 7. Deuxièmement, l’art. 44 accorde un droit de révision aux tiers qui ont été avisés en vertu de l’al. 28(1)b) ou du par. 29(1) LAI. Aucune autre condition n’est requise. Par contre, l’art. 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales exige que le demandeur ait qualité pour présenter la demande de contrôle. Enfin, dans un recours en révision fondé sur l’art. 44, lorsque la cour décide que l’institution fédérale est tenue de refuser la communication, elle doit alors, selon l’art. 51 LAI, ordonner au responsable de l’institution de refuser cette communication ou rendre une autre ordonnance si elle l’estime indiqué. Les recours prévus au par. 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales diffèrent quelque peu. Qui plus est, ils sont de nature discrétionnaire.

121 Je tiens également à souligner que rien n’empêche un juge de la Cour fédérale d’examiner les deux demandes en même temps ou consécutivement, ce qui répond à la préoccupation que la juge Deschamps a exprimée au sujet de l’utilisation injustifiée des ressources.

7. Conclusion

122 Seuls les tiers qui sont avisés, conformément à l’al. 28(1)b) ou au par. 29(1) LAI, de la décision de l’institution fédérale de communiquer le document sont en mesure de solliciter un contrôle judiciaire en vue d’interdire la communication. Il en est ainsi parce qu’ils sont normalement les seuls à être avisés de la décision avant la communication. L’on peut supposer que le contrôle judiciaire est peu utile à un tiers une fois que le document est communiqué, dans la mesure o— il y a déjà violation de la vie privée. Dans ces cas, le tiers a toujours la possibilité de porter plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée, comme nous l’avons vu précédemment, lequel peut rendre compte à l’institution fédérale de ses conclusions et recommandations lorsqu’elles sont justifiées.

123 Cette inégalité est la conséquence nécessaire du régime législatif, lequel ne prescrit un avis préalable à la communication que dans les circonstances exposées aux art. 27, 28 et 29 LAI. En interprétant l’art. 44 LAI, j’ai conclu que, pour mettre à exécution l’intention du législateur, il était nécessaire de respecter l’intégrité du processus de plainte et d’enquête prévu à l’art. 29 LPRP. Néanmoins, du fait qu’elle ne prévoit aucun autre recours approprié et qu’elle ne comporte aucune clause privative de quelque nature que ce soit, la LAI ne peut écarter la possibilité d’un contrôle judiciaire fondé sur la Loi sur les Cours fédérales.

124 Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision de la Cour d’appel fédérale et j’accorderais des dépens à l’appelant devant toutes les cours.

ANNEXE

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A‑1

2. (1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

. . .

3. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

. . .

« tiers » Dans le cas d’une demande de communication de document, personne, groupement ou organisation autres que l’auteur de la demande ou qu’une institution fédérale.

. . .

19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où :

a) l’individu qu’ils concernent y consent;

b) le public y a accès;

c) la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

a) des secrets industriels de tiers;

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins.

(2) Le paragraphe (1) n’autorise pas le responsable d’une institution fédérale à refuser la communication de la partie d’un document qui donne les résultats d’essais de produits ou d’essais d’environnement effectués par une institution fédérale ou pour son compte, sauf si les essais constituent une prestation de services fournis à titre onéreux mais non destinés à une institution fédérale.

(3) Dans les cas où, à la suite d’une demande, il communique, en tout ou en partie, un document qui donne les résultats d’essais de produits ou d’essais d’environnement, le responsable d’une institution fédérale est tenu d’y joindre une note explicative des méthodes utilisées pour effectuer les essais.

(4) Pour l’application du présent article, les résultats d’essais de produits ou d’essais d’environnement ne comprennent pas les résultats d’essais préliminaires qui ont pour objet la mise au point de méthodes d’essais.

(5) Le responsable d’une institution fédérale peut communiquer tout document contenant les renseignements visés au paragraphe (1) si le tiers que les renseignements concernent y consent.

(6) Le responsable d’une institution fédérale peut communiquer, en tout ou en partie, tout document contenant les renseignements visés aux alinéas (1)b), c) et d) pour des raisons d’intérêt public concernent la santé et la sécurité publiques ainsi que la protection de l’environnement; les raisons d’intérêt public doivent de plus justifier nettement les conséquences éventuelles de la communication pour un tiers : pertes ou profits financiers, atteintes à sa compétitivité ou entraves aux négociations qu’il mène en vue de contrats ou à d’autres fins.

. . .

27. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale qui a l’intention de donner communication totale ou partielle d’un document est tenu de donner au tiers intéressé, dans les trente jours suivant la réception de la demande, avis écrit de celle‑ci ainsi que de son intention, si le document contient ou s’il est, selon lui, susceptible de contenir :

a) soit des secrets industriels d’un tiers;

b) soit des renseignements visés à l’alinéa 20(1)b) qui ont été fournis par le tiers;

c) soit des renseignements dont la communication risquerait, selon lui, d’entraîner pour le tiers les conséquences visées aux alinéas 20(1)c) ou d).

La présente disposition ne vaut que s’il est possible de rejoindre le tiers sans problèmes sérieux.

(2) Le tiers peut renoncer à l’avis prévu au paragraphe (1) et tout consentement à la communication du document vaut renonciation à l’avis.

(3) L’avis prévu au paragraphe (1) doit contenir les éléments suivants :

a) la mention de l’intention du responsable de l’institution fédérale de donner communication totale ou partielle du document susceptible de contenir les secrets ou les renseignements visés au paragraphe (1);

b) la désignation du contenu total ou partiel du document qui, selon le cas, appartient au tiers, a été fourni par lui ou le concerne;

c) la mention du droit du tiers de présenter au responsable de l’institution fédérale de qui relève le document ses observations quant aux raisons qui justifieraient un refus de communication totale ou partielle, dans les vingt jours suivant la transmission de l’avis.

(4) Le responsable d’une institution fédérale peut proroger le délai visé au paragraphe (1) dans les cas où le délai de communication à la personne qui a fait la demande est prorogé en vertu des alinéas 9(1)a) ou b), mais le délai ne peut dépasser celui qui a été prévu pour la demande en question.

28. (1) Dans les cas où il a donné avis au tiers conformément au paragraphe 27(1), le responsable d’une institution fédérale est tenu :

a) de donner au tiers la possibilité de lui présenter, dans les vingt jours suivant la transmission de l’avis, des observations sur les raisons qui justifieraient un refus de communication totale ou partielle du document;

b) de prendre dans les trente jours suivant la transmission de l’avis, pourvu qu’il ait donné au tiers la possibilité de présenter des observations conformément à l’alinéa a), une décision quant à la communication totale ou partielle du document et de donner avis de sa décision au tiers.

(2) Les observations prévues à l’alinéa (1)a) se font par écrit, sauf autorisation du responsable de l’institution fédérale quant à une présentation orale.

(3) L’avis d’une décision de donner communication totale ou partielle d’un document conformément à l’alinéa (1)b) doit contenir les éléments suivants :

a) la mention du droit du tiers d’exercer un recours en révision en vertu de l’article 44, dans les vingt jours suivant la transmission de l’avis;

b) la mention qu’à défaut de l’exercice du recours en révision dans ce délai, la personne qui a fait la demande recevra communication totale ou partielle du document.

(4) Dans les cas où il décide, en vertu de l’alinéa (1)b), de donner communication totale ou partielle du document à la personne qui en a fait la demande, le responsable de l’institution fédérale donne suite à sa décision dès l’expiration des vingt jours suivant la transmission de l’avis prévu à cet alinéa, sauf si un recours en révision a été exercé en vertu de l’article 44.

29. (1) Dans les cas où, sur la recommandation du Commissaire à l’information visée au paragraphe 37(1), il décide de donner communication totale ou partielle d’un document, le responsable de l’institution fédérale transmet un avis écrit de sa décision aux personnes suivantes :

a) la personne qui en a fait la demande;

b) le tiers à qui il a donné l’avis prévu au paragraphe 27(1) ou à qui il l’aurait donné s’il avait eu l’intention de donner communication totale ou partielle du document.

(2) L’avis prévu au paragraphe (1) doit contenir les éléments suivants :

a) la mention du droit du tiers d’exercer un recours en révision en vertu de l’article 44, dans les vingt jours suivant la transmission de l’avis;

b) la mention qu’à défaut de l’exercice du recours en révision dans ce délai, la personne qui a fait la demande recevra communication du document.

. . .

44. (1) Le tiers que le responsable d’une institution fédérale est tenu, en vertu de l’alinéa 28(1)b) ou du paragraphe 29(1), d’aviser de la communication totale ou partielle d’un document peut, dans les vingt jours suivant la transmission de l’avis, exercer un recours en révision devant la Cour.

(2) Le responsable d’une institution fédérale qui a donné avis de communication totale ou partielle d’un document en vertu de l’alinéa 28(1)b) ou du paragraphe 29(1) est tenu, sur réception d’un avis de recours en révision de cette décision, d’en aviser par écrit la personne qui avait demandé communication du document.

(3) La personne qui est avisée conformément au paragraphe (2) peut comparaître comme partie à l’instance.

. . .

51. La Cour, dans les cas où elle conclut, lors d’un recours exercé en vertu de l’article 44, que le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication totale ou partielle d’un document, lui ordonne de refuser cette communication; elle rend une autre ordonnance si elle l’estime indiqué.

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21

3. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

. . .

« renseignements personnels » Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment :

a) les renseignements relatifs à sa race, à son origine nationale ou ethnique, à sa couleur, à sa religion, à son âge ou à sa situation de famille;

b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;

c) tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, qui lui est propre;

d) son adresse, ses empreintes digitales ou son groupe sanguin;

e) ses opinions ou ses idées personnelles, à l’exclusion de celles qui portent sur un autre individu ou sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à octroyer à un autre individu par une institution fédérale, ou subdivision de celle‑ci visée par règlement;

f) toute correspondance de nature, implicitement ou explicitement, privée ou confidentielle envoyée par lui à une institution fédérale, ainsi que les réponses de l’institution dans la mesure où elles révèlent le contenu de la correspondance de l’expéditeur;

g) les idées ou opinions d’autrui sur lui;

h) les idées ou opinions d’un autre individu qui portent sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à lui octroyer par une institution, ou subdivision de celle‑ci, visée à l’alinéa e), à l’exclusion du nom de cet autre individu si ce nom est mentionné avec les idées ou opinions;

i) son nom lorsque celui‑ci est mentionné avec d’autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;

toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment :

(i) le fait même qu’il est ou a été employé par l’institution,

(ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,

(iii) la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iv) son nom lorsque celui‑ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi,

(v) les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de son emploi;

k) un individu qui, au titre d’un contrat, assure ou a assuré la prestation de services à une institution fédérale et portant sur la nature de la prestation, notamment les conditions du contrat, le nom de l’individu ainsi que les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de la prestation;

l) des avantages financiers facultatifs, notamment la délivrance d’un permis ou d’une licence accordés à un individu, y compris le nom de celui‑ci et la nature précise de ces avantages;

m) un individu décédé depuis plus de vingt ans.

. . .

8. (1) Les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent, que conformément au présent article.

(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :

. . .

m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l’avis du responsable de l’institution :

(i) des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée,

(ii) l’individu concerné en tirerait un avantage certain.

. . .

(5) Dans le cas prévu à l’alinéa (2)m), le responsable de l’institution fédérale concernée donne un préavis écrit de la communication des renseignements personnels au Commissaire à la protection de la vie privée si les circonstances le justifient; sinon, il en avise par écrit le Commissaire immédiatement après la communication. La décision de mettre au courant l’individu concerné est laissée à l’appréciation du Commissaire.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7

18. (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

. . .

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous‑procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle‑ci ou refusé de l’exercer;

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle‑ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

(5) La Cour fédérale peut rejeter toute demande de contrôle judiciaire fondée uniquement sur un vice de forme si elle estime qu’en l’occurrence le vice n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice et, le cas échéant, valider la décision ou l’ordonnance entachée du vice et donner effet à celle‑ci selon les modalités de temps et autres qu’elle estime indiquées.

Pourvoi rejeté avec dépens, la juge en chef McLachlin et les juges Bastarache et LeBel sont dissidents.

Procureur de l’appelant : Sous‑procureur général du Canada, Ottawa.

Procureurs de l’intimée : Stikeman Elliott, Ottawa.

Procureurs de l’intervenant : Langlois Kronström Desjardins, Montréal.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Accès à l’information - Exceptions - Renseignements personnels - Renseignements concernant un tiers - Révision par la Cour fédérale - Tiers exerçant un recours fondé sur l’art. 44 de la Loi sur l’accès à l’information en vue de faire réviser la décision d’une institution fédérale de communiquer un document - Le tiers peut‑il invoquer l’exception des renseignements personnels lors d’une révision fondée sur l’art. 44? - Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A‑1, art. 19, 20(1), 44.

Un organisme fédéral a reçu une demande fondée sur la Loi sur l’accès à l’information (« LAI ») en vue d’obtenir la communication de documents relatifs à la compagnie intimée, un tiers au sens de cette loi. L’organisme a jugé que certains documents pourraient contenir des renseignements commerciaux ou scientifiques confidentiels au sens du par. 20(1) de la Loi et, conformément aux art. 27 et 28, il a demandé à la compagnie de lui présenter des observations sur les raisons qui justifieraient un refus de communication. La compagnie a présenté ses observations et, après les avoir examinées, l’organisme a conclu que les documents devaient être communiqués sous réserve de certaines modifications. La compagnie a exercé un recours en révision conformément à l’art. 44 LAI et a cherché à invoquer l’exception des renseignements personnels énoncée à l’art. 19 LAI, en plus de celle des renseignements commerciaux confidentiels. La juge des requêtes a conclu que la compagnie pouvait, dans le cadre d’une révision fondée sur l’art. 44, invoquer l’exception des renseignements personnels prévue à l’art. 19 et elle a ordonné le prélèvement de certains documents contenant des renseignements personnels. La Cour d’appel fédérale a confirmé cette décision.

Arrêt (la juge en chef McLachlin et les juges Bastarache et LeBel sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté.

Les juges Binnie, Deschamps, Fish et Abella : Un tiers peut invoquer l’exception des renseignements personnels énoncée à l’art. 19 LAI dans le cadre d’une révision fondée sur l’art. 44. Le libellé clair du texte législatif, conjugué au contexte et aux objets combinés de la LAI et de la Loi sur la protection des renseignements personnels (« LPRP »), justifie amplement cette conclusion. [22‑46]

Il ressort de l’économie et des historiques de la LAI et de la LPRP que les deux lois ont pour objet conjugué d’établir un juste équilibre entre le droit à la vie privée et le droit d’accès à l’information. Toutefois, dans ce régime équilibré, les lois en question accordent une plus grande protection aux renseignements personnels. En imposant des restrictions rigoureuses à la divulgation de renseignements personnels, le législateur a clairement voulu empêcher toute atteinte à cet aspect du droit à la vie privée. Lorsqu’un tiers apprend qu’une institution fédérale a l’intention de communiquer un document contenant des renseignements personnels, rien dans le libellé clair des art. 28, 44 et 51 LAI ne l’empêche de soulever cette question au moyen d’un recours en révision. Ces articles ne limitent pas le pouvoir discrétionnaire de la cour à l’examen de l’exception prévue au par. 20(1). En outre, l’art. 44 est le seul mécanisme de la LAI ou de la LPRP qui permet à un tiers de signaler à la cour que l’on entend divulguer des renseignements personnels contrairement à l’art. 19 LAI, et qui lui permet de demander une réparation efficace au nom d’autres personnes dont le droit à la vie privée est susceptible d’être compromis. Bien que le Commissaire à la protection de la vie privée et le Commissaire à l’information jouent un rôle primordial dans le régime d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels, et qu’ils aient d’importantes responsabilités, leur rôle est limité en raison de leur incapacité de prononcer une injonction ou d’interdire à une institution fédérale de divulguer des renseignements. La cour qui effectue un contrôle est en mesure d’empêcher un préjudice et le régime législatif n’impose aucun obstacle à son intervention. Une interprétation de l’art. 44 qui oblige un individu à attendre que les renseignements personnels soient divulgués et que le préjudice soit causé, ou qui impose un lourd fardeau à la personne qui tente d’éviter le préjudice en question, ne donne pas un sens concret au droit à la vie privée et ne respecte pas non plus les objectifs clairs qui sous‑tendent la LAI et la LPRP. Une interprétation restrictive de l’art. 44 affaiblirait la protection des renseignements personnels et diluerait le droit à la vie privée. [2] [31‑35] [45] [63]

Bien que le droit du tiers d’être informé lorsque les documents demandés sont susceptibles de contenir des renseignements commerciaux confidentiels ouvre la porte à la révision fondée sur l’art. 44 LAI, l’omission du législateur de prescrire un avis semblable lorsqu’il est question de renseignements personnels n’indique pas que celui-ci voulait empêcher que l’art. 19 puisse être invoqué dans le cadre d’une révision fondée sur l’art. 44. Le droit à un avis conféré aux tiers est la conséquence logique de la nature particulière de l’exception des renseignements commerciaux confidentiels et ne limite pas le droit de révision prévu à l’art. 44. Premièrement, en ce qui concerne les renseignements commerciaux confidentiels, l’institution fédérale a besoin de l’aide du tiers pour savoir si celui‑ci considère que les renseignements sont confidentiels ou pour connaître le traitement que le tiers leur a réservé. Deuxièmement, le caractère impératif de l’art. 19 écarte la nécessité d’une disposition exigeant de donner avis. L’avis prévu à la LAI est un droit destiné à permettre à une partie de contester la divulgation de renseignements, et il n’est donc requis que dans le cas où la Loi prévoit la possibilité de publier des renseignements, comme c’est le cas des renseignements commerciaux confidentiels visés au par. 20(1). Dans les cas particuliers où la LAI autorise la divulgation de renseignements personnels, une disposition exigeant de donner avis est superflue ou est, en fait, prévue dans le régime législatif (par. 8(5) LPRP). Compte tenu de cette présomption fondamentale de non‑divulgation des renseignements personnels, ainsi que de l’importance cruciale de la protection de la vie privée des individus, il serait absurde de ne pas permettre à des tiers de recourir au mécanisme prescrit par le législateur pour empêcher une contravention à l’esprit et à la lettre de la LAI et de la LPRP. Permettre à la compagnie d’invoquer l’exception de l’art. 19 dans le cadre d’une révision fondée sur l’art. 44 ne crée pas une « deuxième catégorie » de tiers, mais revient à autoriser le seul tiers qui peut invoquer l’art. 44 à utiliser ce recours pour empêcher qu’un préjudice inutile soit causé. [41] [50‑58]

La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache et LeBel (dissidents) : Un tiers ne peut pas invoquer l’exception des renseignements personnels prévue à l’art. 19 dans le cadre d’une révision fondée sur l’art. 44. Pour interpréter l’art. 44 LAI, il est nécessaire de préserver l’intégrité du mécanisme que le législateur a choisi. Pour concilier les droits opposés en matière d’accès à l’information et de protection de la vie privée, le législateur a choisi un processus de plainte et d’enquête. Dans le cas où les renseignements personnels d’individus sont divulgués illicitement, l’art. 29 LPRP autorise les individus concernés à porter plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée. Aucune disposition n’oblige à donner préavis de la communication d’un document susceptible de contenir des renseignements personnels visés par une exemption, et la divulgation illicite de renseignements personnels visés par une exemption ne donne pas non plus naissance au droit à un contrôle judiciaire fondé sur la LAI ou la LPRP. En vertu des art. 27, 28 et 29 LAI, le régime législatif ne prescrit un avis préalable à la communication que dans le cas où le document demandé peut contenir des renseignements commerciaux confidentiels. Étant donné que le droit d’exercer le recours en révision prévu à l’art. 44 découle de l’avis que le tiers reçoit parce que le document demandé est susceptible de contenir des renseignements commerciaux confidentiels, l’art. 44, situé dans son contexte législatif, n’a rien à voir avec l’exception prévue à l’art. 19. La structure de la LAI et de la LPRP indique que le législateur a voulu que la protection des renseignements personnels relève exclusivement du Commissariat à la protection de la vie privée. Pour mettre à exécution l’intention du législateur, il faut respecter l’intégrité du processus de plainte et d’enquête prévu à l’art. 29. [94‑97] [106] [108] [123]

À moins que la seule exception qui puisse être invoquée dans un recours en révision fondé sur l’art. 44 soit celle des renseignements commerciaux confidentiels prévue à l’art. 20, les tiers ayant été avisés conformément à l’al. 28(1)b) pourront invoquer l’exception des renseignements personnels prévue à l’art. 19 dans des cas o— le tiers qui affirme seulement que le document contient des renseignements personnels le concernant ne possède aucun droit comparable. L’élargissement proposé de la portée de la révision fondée sur l’art. 44 aurait pour effet de créer deux catégories de tiers : ceux qui possèdent des renseignements commerciaux confidentiels pertinents et ceux qui ne possèdent pas de tels renseignements. Un tel résultat serait absurde dans la mesure où les renseignements personnels de certains individus pourraient bénéficier d’une protection accrue en fonction de la possibilité d’appliquer l’art. 20. Rien dans la LAI ou dans la LPRP ne justifie un tel système à deux vitesses. De plus, ce droit de révision n’appartient peut‑être même pas à l’individu dont les renseignements personnels figurent réellement dans le document demandé. En l’espèce, seule la compagnie a le droit d’exercer le recours en révision, en dépit du fait que les renseignements personnels contenus dans le document concernent ses employés. S’il est vrai que la LAI et la LPRP permettent expressément à un représentant autorisé de porter plainte auprès du Commissaire à l’information ou du Commissaire à la protection de la vie privée, respectivement, ce n’est pas le cas de l’art. 44. [98‑102] [107]

Bien qu’un tiers ne puisse pas invoquer l’exception des renseignements personnels prévue à l’art. 19 dans le cadre d’une révision fondée sur l’art. 44, lorsqu’une institution fédérale agit sans compétence ou outrepasse sa compétence, la partie directement touchée par sa décision peut toujours présenter une demande de contrôle judiciaire conformément à l’art. 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. La décision de l’institution fédérale de communiquer le document demandé est susceptible de contrôle judiciaire pour cause d’erreur de compétence et elle peut faire l’objet d’une prohibition. Le juge de la Cour fédérale saisi de la demande de contrôle judiciaire ne refusera d’exercer sa compétence que s’il est convaincu que le régime législatif prévoit un autre recours approprié. En l’espèce, le régime législatif n’offre à la compagnie aucun autre recours approprié. [108] [114] [117‑118]

Compte tenu des différences cruciales entre les deux recours, il existe des raisons valables de refuser d’amalgamer le contrôle prévu à l’art. 18.1 à une révision fondée sur l’art. 44. Cependant, le juge de la Cour fédérale pourrait examiner les deux demandes en même temps ou consécutivement, ce qui répond à la préoccupation exprimée au sujet de l’utilisation injustifiée des ressources. [119‑121]


Parties
Demandeurs : Cie H.J. Heinz du Canada Ltée
Défendeurs : Canada (Procureur général)

Références :

Jurisprudence
Citée par la juge Deschamps
Arrêts mentionnés : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [2003] 1 R.C.S. 66, 2003 CSC 8
Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Ministre des Approvisionnements et Services), [1988] A.C.F. no 902 (QL), conf. par [1990] A.C.F. no 81 (QL)
Siemens Canada Ltée c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [2001] A.C.F. no 1654 (QL), 2001 CFPI 1202, conf. par [2002] A.C.F. no 1475 (QL), 2002 CAF 414
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27
SNC Lavalin Inc. c. Canada (Ministre de la Coopération internationale), [2003] 4 C.F. 900, 2003 CFPI 681
Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103
Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94, 2003 CSC 9
Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403
Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, 2002 CSC 53
Davidson c. Canada (Procureur général), [1989] 2 C.F. 341
Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476
Morneault c. Canada (Procureur général), [2001] 1 C.F. 30
R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686
Conseil canadien des fabricants des produits du tabac c. Canada (Ministre du Revenu national), [2003] A.C.F. no 1308 (QL), 2003 CF 1037
Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [1989] A.C.F. no 453 (QL)
Brookfield LePage Johnson Controls Facility Management Services c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [2003] A.C.F. no 348 (QL), 2003 CFPI 254
Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561
Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3.
Citée par le juge Bastarache (dissident)
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27
Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403
Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [2003] 1 R.C.S. 66, 2003 CSC 8
Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, 2002 CSC 53
Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3
ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), [2006] 1 R.C.S. 140, 2006 CSC 4
R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613
Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S. 49
Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3
Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533, 2005 CSC 26
Aliments Prince Foods Inc. c. Canada (Ministre de l’Agriculture et Agroalimentaire) (2001), 272 N.R. 184.
Lois et règlements cités
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A‑1, art. 2, 3 « document », « tiers », 4, 7, 9, 10, 13 à 18, 19, 20, 21 à 30, 35, 36, 37, 41, 42(1), 44, 51, 54(2), 55(2), 63, 64, 66(1).
Loi sur l’accès à l’information, S.C. du 82 1980-83, ch. 111, ann. I, art. 28(5).
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21, art. 2, 3 « renseignements personnels », 4 à 8, 21, 29, 31 à 35, 37, 46, 53(2), 54(2), 55(1), 64, 65, 67(1).
Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5, partie I.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, art. 2(1) « office fédéral », 18, 18.1, 18.5.
Doctrine citée
Bennett, Colin J. « The privacy commissioner of Canada : Multiple roles, diverse expectations and structural dilemmas » (2003), 46 Administration publique du Canada 218.
Canada. Débats de la Chambre des communes, vol. VI, 1re sess., 32e lég., 29 janvier 1981, p. 6689‑6691.
Canada. Justice Canada. Rapport du conseiller spécial auprès du ministre de la Justice. Les Commissariats à l’information et à la protection de la vie privée : fusion et questions connexes, par Gérard V. La Forest, 15 novembre 2005 (en ligne : www.justice.gc.ca/fr/pl/toc.html).
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.
Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Markham, Ont. : Butterworths, 2002.

Proposition de citation de la décision: Cie H.J. Heinz du Canada Ltée c. Canada (Procureur général), 2006 CSC 13 (21 avril 2006)


Origine de la décision
Date de la décision : 21/04/2006
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2006 CSC 13 ?
Numéro d'affaire : 30417
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2006-04-21;2006.csc.13 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award