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22/06/2006 | CANADA | N°2006_CSC_28

Canada | Buschau c. Rogers Communications Inc., 2006 CSC 28 (22 juin 2006)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Buschau c. Rogers Communications Inc., [2006] 1 R.C.S. 973, 2006 CSC 28

Date : 20060622

Dossier : 30462

Entre :

Rogers Communications Incorporated

Appelante

et

Sandra Buschau et autres

Intimés

et

Compagnie Trust National

Intimée

ET ENTRE :

Compagnie Trust National

Appelante

et

Sandra Buschau et autres

Intimés

et

Rogers Communications Incorporated

Intimée

Traduction française officielle

Coram :

La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 59)

Motifs concordants :

(par. 60 à 104)

La juge Deschamps (ave...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Buschau c. Rogers Communications Inc., [2006] 1 R.C.S. 973, 2006 CSC 28

Date : 20060622

Dossier : 30462

Entre :

Rogers Communications Incorporated

Appelante

et

Sandra Buschau et autres

Intimés

et

Compagnie Trust National

Intimée

ET ENTRE :

Compagnie Trust National

Appelante

et

Sandra Buschau et autres

Intimés

et

Rogers Communications Incorporated

Intimée

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 59)

Motifs concordants :

(par. 60 à 104)

La juge Deschamps (avec l’accord des juges LeBel, Fish et Abella)

Le juge Bastarache (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et de la juge Charron)

______________________________

Buschau c. Rogers Communications Inc., [2006] 1 R.C.S. 973, 2006 CSC 28

Rogers Communications Incorporated Appelante

c.

Sandra Buschau, Sharon M. Parent, Albert Poy, David Allen,

Eileen Anderson, Christine Ash, Frederick Scott Atkinson,

Jaspal Badyal, Mary Balfry, Carolyn Louise Barry, Raj Bhamber,

Evelyn Bishop, Deborah Louise Bissonnette, George Boshko,

Colleen Burke, Brian Carroll, Lynn Cassidy, Florence K. Colbeck,

Peter Colistro, Ernest A. Cottle, Ken Dann, Donna de Freitas,

Terry Dewell, Katrin Dolemeyer, Elizabeth Engel, Karen Engleson,

George Fierheller, Joan Fisher, Gwen Ford, Don R. Fraser,

Mabel Garwood, Cheryl Gervais, Rose Gibb, Roger Gilodo,

Murray Gjernes, Daphne Goode, Karen L. Gould,

Peter James Hadikin, Marian Heibloem‑Reeves, Thomas Hobley,

John Iannantuoni, Vincent A. Iannantuoni, Ron Inglis,

Mehroon Janmohamed, Michael J. Jervis, Marlyn Kellner,

Karen Kilba, Douglas James Kilgour, Yoshinori Koga,

Martin Kosuljandic, Ursula M. Kreiger, Wing Lee, Robert Leslie,

Thomas A. Lewthwaite, Holly Li, David Liddell, Rita Lim,

Betty C. Lloyd, Rob Lowrie, Che‑Chung Ma, Jennifer MacDonald,

Robert John MacLeod, Sherry M. Madden, Tom Makortoff,

Fatima Manji, Edward B. Mason, Glenn A. McFarlane, Onagh Metcalfe,

Dorothy Mitchell, Shirley C. T. Mui, William Neal,

Katherine Sheila Nimmo, Gloria Paiement, Lynda Pasacreta,

Barbara Peake, Vera Piccini, Inez Pinkerton, Dave Podworny,

Doug Pontifex, Victoria Prochaska, Frank Radelja, Gale Rauk,

Ruth Roberts, Ann Louise Rodgers, Clifford James Roe,

Pamela Mamon Roe, Delores Rose, Sabrina Roza‑Pereira,

Sandra Rybchinsky, Kenneth T. Salmond, Marie Schneider,

Alexander C. Scott, Inderjeet Sharma, Hugh Donald Shiel,

Michael Shirley, George Allen Short, Glenda Simoncioni,

Norm Smallwood, Gilles A. St. Dennis, Geri Stephen,

Grace Isobel Stone, Mari Tsang, Carmen Tuvera, Sheera Waisman,

Margaret Watson, Gertrude Westlake, Robert E. White,

Patricia Jane Whitehead, Aileen Wilson, Elaine Wirtz,

Joe Wuychuk, Zlatka Young et Compagnie Trust National Intimés

et

Compagnie Trust National Appelante

c.

Sandra Buschau, Sharon M. Parent, Albert Poy, David Allen,

Eileen Anderson, Christine Ash, Frederick Scott Atkinson,

Jaspal Badyal, Mary Balfry, Carolyn Louise Barry, Raj Bhamber,

Evelyn Bishop, Deborah Louise Bissonnette, George Boshko,

Colleen Burke, Brian Carroll, Lynn Cassidy, Florence K. Colbeck,

Peter Colistro, Ernest A. Cottle, Ken Dann, Donna de Freitas,

Terry Dewell, Katrin Dolemeyer, Elizabeth Engel, Karen Engleson,

George Fierheller, Joan Fisher, Gwen Ford, Don R. Fraser,

Mabel Garwood, Cheryl Gervais, Rose Gibb, Roger Gilodo,

Murray Gjernes, Daphne Goode, Karen L. Gould,

Peter James Hadikin, Marian Heibloem‑Reeves, Thomas Hobley,

John Iannantuoni, Vincent A. Iannantuoni, Ron Inglis,

Mehroon Janmohamed, Michael J. Jervis, Marlyn Kellner,

Karen Kilba, Douglas James Kilgour, Yoshinori Koga,

Martin Kosuljandic, Ursula M. Kreiger, Wing Lee, Robert Leslie,

Thomas A. Lewthwaite, Holly Li, David Liddell, Rita Lim,

Betty C. Lloyd, Rob Lowrie, Che‑Chung Ma, Jennifer MacDonald,

Robert John MacLeod, Sherry M. Madden, Tom Makortoff,

Fatima Manji, Edward B. Mason, Glenn A. McFarlane, Onagh Metcalfe,

Dorothy Mitchell, Shirley C. T. Mui, William Neal,

Katherine Sheila Nimmo, Gloria Paiement, Lynda Pasacreta,

Barbara Peake, Vera Piccini, Inez Pinkerton, Dave Podworny,

Doug Pontifex, Victoria Prochaska, Frank Radelja, Gale Rauk,

Ruth Roberts, Ann Louise Rodgers, Clifford James Roe,

Pamela Mamon Roe, Delores Rose, Sabrina Roza‑Pereira,

Sandra Rybchinsky, Kenneth T. Salmond, Marie Schneider,

Alexander C. Scott, Inderjeet Sharma, Hugh Donald Shiel,

Michael Shirley, George Allen Short, Glenda Simoncioni,

Norm Smallwood, Gilles A. St. Dennis, Geri Stephen,

Grace Isobel Stone, Mari Tsang, Carmen Tuvera, Sheera Waisman,

Margaret Watson, Gertrude Westlake, Robert E. White,

Patricia Jane Whitehead, Aileen Wilson, Elaine Wirtz,

Joe Wuychuk, Zlatka Young et Rogers Communications Incorporated Intimés

Répertorié : Buschau c. Rogers Communications Inc.

Référence neutre : 2006 CSC 28.

No du greffe : 30462.

2005 : 15 novembre; 2006 : 22 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Newbury, Low et Thackray) (2004), 24 B.C.L.R. (4th) 85, 236 D.L.R. (4th) 18, [2004] 5 W.W.R. 10, 6 E.T.R. (3d) 236, 193 B.C.A.C. 258, 316 W.A.C. 258, 39 C.C.P.B. 247, [2004] B.C.J. No. 297 (QL), 2004 BCCA 80, et (2004), 27 B.C.L.R. (4th) 17, 239 D.L.R. (4th) 610, [2004] 7 W.W.R. 218, 9 E.T.R. (3d) 221, 197 B.C.A.C. 279, 323 W.A.C. 279, [2004] B.C.J. No. 991 (QL), 2004 BCCA 282, avec motifs supplémentaires (2004), 35 B.C.L.R. (4th) 248, 241 D.L.R. (4th) 766, [2005] 2 W.W.R. 67, 197 B.C.A.C. 279, p. 287, 323 W.A.C. 279, p. 287, [2004] B.C.J. No. 1321 (QL), 2004 BCCA 369, qui a infirmé des décisions de la juge Loo (2002), 100 B.C.L.R. (3d) 327, 44 E.T.R. (2d) 177, 30 C.C.P.B. 167, [2002] B.C.J. No. 865 (QL), 2002 BCSC 624, et (2003), 13 B.C.L.R. (4th) 385, [2003] 7 W.W.R. 341, 35 C.C.P.B. 199, [2003] B.C.J. No. 1025 (QL), 2003 BCSC 683, qui a accueilli une demande de cessation d’un régime de retraite. Pourvoi accueilli.

Irwin G. Nathanson, c.r., et Stephen R. Schachter, c.r., pour l’appelante/intimée Rogers Communications Inc.

Jennifer J. Lynch et Joanne Lysyk, pour l’appelante/intimée la Compagnie Trust National.

John N. Laxton, c.r., et Robert D. Gibbens, pour les intimés Sandra Buschau et autres.

Version française du jugement des juges LeBel, Deschamps, Fish et Abella rendu par

1 La juge Deschamps — Les 112 intimés sont des participants à un régime de retraite (« participants ») qui, depuis 10 ans, tentent par voie judiciaire d’avoir accès à leur caisse de retraite détenue en fiducie. Il s’agit, en l’espèce, de décider si l’actif de la caisse peut être réparti entre eux, et de quelle façon il peut l’être.

2 Dès 2002, le régime pour lequel la fiducie a été créée, à savoir le régime de retraite de Premier (« Régime »), affichait un surplus évalué à 11 millions de dollars. La Cour suprême et la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ont retenu les arguments des participants et ont conclu qu’il pouvait être mis fin à la fiducie utilisée pour la capitalisation du Régime (« fiducie » ou « fiducie de Premier »), en application de la règle de common law établie dans Saunders c. Vautier (1841), Cr. & Ph. 240, 41 E.R. 482 (Ch. D.). Selon cette règle, il est possible de modifier les modalités d’une fiducie ou de mettre fin à la fiducie si les bénéficiaires de la fiducie ayant la pleine capacité juridique y consentent tous. Pour les motifs qui suivent, j’estime que la règle de common law ne s’applique pas à la fiducie en cause dans la présente affaire. En général, le contexte et l’objet des régimes de retraite ne se prêtent pas bien à l’application de la règle de common law. De plus, une fiducie de retraite n’est pas un instrument distinct. La fiducie fait explicitement partie du Régime. On ne peut y mettre fin sans tenir compte du régime pour lequel elle a été créée et de la loi particulière qui s’applique à ce régime. En l’espèce, tout recours ouvert aux participants est assujetti aux dispositions d’une loi fédérale, à savoir la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, L.R.C. 1985, ch. 32 (2e suppl.) (« LNPP »). Selon moi, le surintendant des institutions financières (« surintendant »), qui est responsable de l’application de la LNPP, est en mesure de dénouer l’impasse dans laquelle les participants se trouveraient si l’interprétation préconisée par mon collègue le juge Bastarache était retenue.

3 Pour expliquer le contexte particulier dans lequel la cessation de la fiducie est demandée, il sera nécessaire de relater quelques faits permettant de situer le litige opposant les participants à leur ancien employeur. Ensuite, afin d’expliquer pourquoi la règle de common law ne s’applique pas, il sera utile d’examiner brièvement la question des régimes de retraite en général et le Régime lui‑même. Enfin, je formulerai des observations sur les dispositions de la LNPP qui permettraient aux participants de présenter une demande légitime au surintendant.

I. Les faits

4 Le régime des employés de Premier Communication Ltd. a été établi en 1974. Il s’agit d’un régime à prestations déterminées capitalisé uniquement par l’employeur. Il prévoit que la compagnie s’attend à ce qu’il subsiste indéfiniment, mais que, en cas de cessation, le surplus de la caisse en fiducie sera réparti entre les participants restants :

[traduction]

SEPTIÈME RÈGLE GÉNÉRALE — MODIFICATION OU CESSATION DU RÉGIME

. . .

2. Bien que la compagnie s’attende à ce que le régime subsiste indéfiniment, elle doit se réserver, et par les présentes se réserve, le droit de mettre fin au régime si jamais des conditions commandent d’y mettre fin.

En cas de cessation du régime, les prestations versées aux participants retraités seront maintenues conformément aux modalités et aux dispositions du régime. Après que toutes les dettes envers les participants retraités auront été acquittées, le comité répartira entre les autres participants l’actif restant de la caisse en fiducie, conformément aux dispositions de l’article 12 de la Loi sur les normes de prestation de pension.

5 En 1980, Rogers Cablesystems Inc. (devenue par la suite Rogers Communications Inc. (« Rogers »)) fait l’acquisition de Premier Communication Ltd. En septembre 1983, l’actuaire du Régime estime qu’un surplus évalué à environ 800 000 $ peut servir à bonifier les prestations des participants. Le 12 avril 1984, l’actuaire recommande effectivement de bonifier les prestations. Cet actuaire est remplacé le 22 mai 1984. Le 1er juillet 1984, le Régime est fermé aux futurs employés. Le 11 juillet 1984, Rogers demande à la fiduciaire d’alors, Canada Trust, de lui rembourser une partie de ses cotisations. Canada Trust estime devoir bénéficier d’un avis juridique avant de le faire. Le 31 octobre 1984, Canada Trust est remplacée par la Compagnie Trust National (« Trust National »). Le 15 juillet 1985, Rogers demande à la nouvelle fiduciaire, Trust National, de lui rembourser 968 285 $, ce que fait Trust National. Dès le 31 décembre 1986, Rogers s’accorde également des périodes d’exonération de cotisations évaluées à 842 000 $. En décembre 1992, Rogers modifie le Régime pour le fusionner rétroactivement avec quatre autres régimes de retraite dans le régime de retraite de Rogers Communications Inc. (« régime de RCI »). Comme l’indique une note de service interne datée du 16 juillet 1990, Rogers connaît le point de vue des employés au sujet de cette fusion :

[traduction] Il est clair que [le représentant des employés de Premier] n’est pas en faveur de la fusion du régime de Premier avec le régime de RCI, à moins que nous puissions démontrer l’existence d’un avantage évident (ce qui est peu vraisemblable).

6 L’objectif à long terme que Rogers poursuit quant au Régime est exposé dans une autre note de service interne datée du 22 avril 1993 :

[traduction] Vous avez demandé de faire le point sur le régime de retraite de Premier. Comme vous le savez, nos objectifs concernant ce régime étaient (i) d’avoir accès au surplus du régime et (ii) de réduire au minimum notre gestion (c’est‑à‑dire éliminer un état financier vérifié et un dépôt annuel réglementaire, etc.).

Nous avons pu atteindre les objectifs susmentionnés en combinant tous les régimes à prestations déterminées en un seul régime. En conséquence, toute autre mesure devenait superflue.

7 Les participants entament les procédures judiciaires contre Rogers en 1995. Ils demandent la restitution des fonds en fiducie qui ont été versés à Rogers en 1985 et un jugement déclarant que ces fonds leur appartiennent. Le juge de première instance rejette leur demande à presque tous égards ((1998), 54 B.C.L.R. (3d) 125). Les participants interjettent appel. La Cour d’appel conclut que le droit des fiducies fait intervenir ses propres règles qui s’appliquent en sus du droit des contrats et des règles d’interprétation des contrats et qui les priment. Dans cette mesure et compte tenu du fait que Rogers a concédé que la fusion n’était pas complète quant au Régime, les participants au Régime conservent des droits distincts de ceux des participants aux autres régimes qui ont été fusionnés avec le leur dans le régime de RCI. La Cour d’appel statue que la fusion du Régime avec le régime de RCI est valide, mais qu’elle n’a aucun effet sur la fiducie qui continue d’exister comme une entité distincte. Il est également loisible aux participants d’entamer des procédures destinées à mettre fin à la fiducie en se fondant soit sur la règle de Saunders c. Vautier soit sur la Trust and Settlement Variation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 463, dans la mesure où l’une ou l’autre peut s’appliquer. La Cour d’appel décide que les sommes importantes que l’employeur a retirées du surplus en 1985, retrait que celui‑ci a admis avoir fait en violation d’une obligation fiduciaire, ont été dûment remboursées à la fiduciaire. Ainsi, les participants au Régime conservent le droit à la répartition du surplus en cas de cessation ((2001), 83 B.C.L.R. (3d) 261, 2001 BCCA 16 (« Buschau no 1 »), par. 63‑68). Notre Cour refuse l’autorisation d’appeler de cette décision, [2001] 2 R.C.S. vii.

8 En 2001, les participants demandent à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique de rendre une ordonnance mettant fin au Régime. La juge Loo ordonne la cessation pour le motif que la règle de Saunders c. Vautier s’applique et que l’al. 1b) de la Trust and Settlement Variation Act donne à la cour compétence pour consentir au nom des bénéficiaires juridiquement autonomes manquants ((2002), 100 B.C.L.R. (3d) 327, 2002 BCSC 624). Rogers interjette appel.

9 La Cour d’appel conclut que les participants sont libres d’invoquer la règle de Saunders c. Vautier pourvu que le consentement de tous les participants et bénéficiaires ait été obtenu. Elle annule une partie de la décision que la juge en chambre a rendue en se fondant sur la Trust and Settlement Variation Act, statuant qu’une cour n’a pas le pouvoir de consentir au nom d’éventuels bénéficiaires juridiquement autonomes. Toutefois, elle donne aux participants la possibilité de démontrer que tous les consentements requis ont été obtenus ((2004), 24 B.C.L.R. (4th) 85, 2004 BCCA 80 (« Buschau no 2 »)). Après avoir obtenu des éléments de preuve et des observations supplémentaires, la Cour d’appel décide que la règle de Saunders c. Vautier peut être appliquée pour mettre fin à la fiducie. Elle reconnaît que des questions peuvent se poser au sujet du [traduction] « processus » de cessation, mais elle estime que la fiduciaire doit s’assurer que [traduction] « [toutes] les conditions ont été remplies et toutes les exigences légales — dont le paiement des taxes applicables — ont été respectées » avant de répartir l’actif de la fiducie ((2004), 27 B.C.L.R. (4th) 17, 2004 BCCA 282 (« Buschau no 3 »), par. 17). Rogers et la fiduciaire interjettent appel devant notre Cour.

10 Rogers soutient que la règle de Saunders c. Vautier ne s’applique pas. Trust National ne conteste pas l’ordonnance de la Cour d’appel dans la mesure o— elle détermine les droits de Rogers ou des participants. La fiduciaire fait cependant valoir que cette ordonnance la place dans une situation intenable en lui transférant le pouvoir et la responsabilité juridique de mettre en œuvre et de gérer la cessation de la fiducie de Premier, bien que ce pouvoir ne soit prévu ni par les modalités de la fiducie ni par la loi. Les participants maintiennent que la règle de Saunders c. Vautier s’applique, mais ils allèguent subsidiairement que Rogers devrait mettre fin au Régime conformément à l’obligation fiduciaire qui lui incombe en vertu de la LNPP. À la fin de l’audience devant notre Cour, les parties ont été invitées à présenter leur point de vue concernant l’application de la LNPP à la cessation d’un régime déclarée par le surintendant. Rogers est d’avis que le surintendant n’a pas le droit de mettre fin au Régime parce que son rôle se limite aux questions de solvabilité. Les participants affirment que le surintendant a un pouvoir discrétionnaire de sorte qu’ils ne disposent d’aucun recours clair. Selon eux, la LNPP n’écarte pas la règle de Saunders c. Vautier.

11 L’historique du litige montre clairement que certaines questions ont acquis le statut de chose jugée. L’une d’elles veut que la fusion du Régime avec le régime de RCI n’ait eu aucun effet sur la fiducie. Comme la Cour d’appel l’a fait remarquer à l’époque, cette situation particulière peut présenter des difficultés conceptuelles (Buschau no 1, par. 66). Néanmoins, ces faits doivent être interprétés à l’aide des principes généraux du droit régissant les régimes de retraite. C’est pourquoi il sera utile d’examiner certains renseignements de base concernant les régimes de retraite en général et le Régime en particulier.

II. Les régimes de retraite en général

12 L’histoire des régimes de retraite est complexe : ces régimes répondent à une multitude de besoins. Comme le dit R. L. Deaton :

[traduction] . . . les avantages sociaux [des employés] visaient [au départ] des objectifs multiples, dont attirer la main d’œuvre et réduire le roulement du personnel, constituer un investissement dans le capital humain en améliorant le moral, augmenter la productivité et le rendement par la rationalisation de l’élément humain dans les méthodes de travail, promouvoir la loyauté envers l’entreprise, empêcher ou prévenir la syndicalisation, empêcher l’intervention gouvernementale concernant l’assurance sociale obligatoire, maximiser l’exemption fiscale de certains avantages en accroissant la partie non taxable de la rémunération des employés, réduire le coût unitaire des avantages grâce à des mesures collectives et suppléer ainsi aux lacunes de la connaissance individuelle des marchés de l’assurance, et enfin créer une image favorable de l’entreprise auprès du public.

(The Political Economy of Pensions : Power, Politics and Social Change in Canada, Britain and the United States (1989), p. 119‑120)

L’auteur ajoute que, au cours des dernières années, de nombreux employeurs avertis ont adopté un mode de rétribution fondé sur [traduction] « la valeur totale de la rémunération du travail, les salaires et les avantages sociaux étant devenus des coûts interchangeables » (p. 122). Par conséquent, ce que d’aucuns peuvent encore percevoir comme une gratification destinée aux employés demeure un puissant outil de gestion à long terme des ressources humaines ainsi qu’un avantage indéniable pour les employés qui vieillissent. Les employés ont raison de considérer leurs prestations de retraite comme une composante de leur rémunération globale. L’importance que les prestations de retraite revêtent pour les employés et la mesure dans laquelle celles‑ci leur tiennent à cœur sont encore plus évidentes dans le présent contexte o— il est question de fusions et d’acquisitions de sociétés commerciales.

13 Les prestations de retraite visent aussi des objectifs sociaux généraux que la Cour d’appel (Buschau no 2, par. 47) a reconnus en citant avec approbation E. E. Gillese (maintenant juge à la Cour d’appel de l’Ontario), « Pension Plans and the Law of Trusts » (1996), 75 R. du B. can. 221, p. 232‑234. Conjugués aux programmes gouvernementaux et à l’épargne individuelle, les régimes de retraite procurent un soutien financier inestimable à une population vieillissante. En reconnaissance de la valeur sociale de cet investissement, les cotisations de retraite bénéficient d’un traitement fiscal particulier. Le volet social des régimes de retraite privés joue un rôle crucial à une époque où les programmes de retraite publics n’ont pas encore été réformés pour en assurer une capitalisation suffisante (voir Deaton, p. 136‑137, pour un aperçu de l’augmentation des cotisations qui serait nécessaire pour respecter les normes internationales). Les tribunaux n’établissent pas des politiques sociales, mais le rôle social des régimes de retraite pourrait se révéler pertinent lorsqu’il s’agit de décider si la règle de Saunders c. Vautier peut être utilisée pour mettre fin à une fiducie de retraite.

14 Au Canada, la capitalisation des régimes à prestations déterminées se fait généralement de deux façons : les fonds sont soit détenus par une compagnie d’assurances, soit détenus en fiducie (D. Rienzo, « Trust Law and Access to Pension Surplus » (2005), 25 E.T.P.J. 14; G. Nachshen, « Access to Pension Fund Surpluses : The Great Debate », dans Conférences Commémoratives Meredith 1988, Le Contrat de travail : problèmes et perspectives (1989), 59, p. 64). Dans le cas d’un régime assuré, la compagnie d’assurances reçoit un paiement convenu et, au risque de subir un déficit, elle s’engage à verser les prestations de retraite aux participants. Dans le cas d’un régime capitalisé au moyen d’une fiducie, l’employeur conclut un contrat avec une société de fiducie. Cette société de fiducie détient et investit les cotisations de retraite conformément aux directives fondées sur la convention de fiducie. Les cotisations sont généralement ajustées à la suite d’une évaluation effectuée par un actuaire qui détermine le niveau de capitalisation nécessaire pour respecter la norme de solvabilité prescrite par la loi applicable. En l’espèce, le Régime est, et a toujours été, capitalisé au moyen d’une fiducie, de sorte que l’analyse peut être limitée aux questions de fiducie.

15 Un régime à prestations déterminées peut afficher un déficit ou un surplus. La sous‑capitalisation des régimes est une source de préoccupation. Près de 70 pour 100 des régimes de retraite des grandes sociétés affichaient un déficit vers la fin des années 1970. Cependant, au début des années 1980, il y a eu un revirement de situation. Des revenus de placement importants conjugués à de faibles augmentations des salaires et de nombreuses mises à pied, alors que les cotisations des employeurs étaient laissées dans les caisses et que les employés perdaient leurs droits futurs à une pension, ont engendré des surplus : Deaton, p. 133‑134, et Nachshen, p. 66‑67. À la fin des années 1990, les déficits sont réapparus. Ce n’est que récemment que des articles de doctrine ont commencé à faire état de l’ampleur du problème de la sous‑capitalisation (« Pension Underfunding Still Widespread, Yet . . . », Business & Legal Reports, 1er octobre 2003 (en ligne)). Toutefois, l’existence d’un surplus ou d’un déficit représente seulement l’état dans lequel se trouve une caisse à un moment donné. —tant donné qu’un régime de retraite est habituellement perçu comme un instrument permanent, le temps et les conseils actuariels judicieux sont censés permettre une capitalisation suffisante tout en empêchant l’accumulation inutile de surplus. Bien que l’existence d’un déficit ou d’un surplus ne soit pas une anomalie du fait que les actuaires ne sont pas en mesure de prédire l’avenir avec une exactitude parfaite, dans un monde idéal, chaque régime disposerait toujours de la capitalisation dont il a exactement besoin pour s’acquitter de ses obligations.

16 Les régimes de retraite ou les fiducies de retraite n’abordent pas toujours explicitement la question des surplus. Dans l’arrêt Schmidt c. Air Products Canada Ltd., [1994] 2 R.C.S. 611, la Cour a statué, au sujet de questions liées à la répartition d’un surplus, que « lorsqu’une fiducie est créée, le fonds qui forme le capital est assujetti aux exigences du droit des fiducies. Les modalités du régime de retraite ne sont alors pertinentes quant aux questions de répartition, que dans la mesure où elles sont insérées par renvoi dans l’acte qui crée la fiducie » (p. 639). La Cour a ajouté que « [l]a caisse de retraite assujettie à une fiducie est soumise à tous les principes applicables du droit des fiducies » (p. 643 (je souligne)). Il est donc nécessaire de déterminer quels principes du droit des fiducies sont applicables avant d’examiner la façon dont ils s’appliquent.

17 Avant la cessation d’un régime, un surplus n’est qu’un concept actuariel. Pendant que le régime est en vigueur, les personnes ayant éventuellement droit au surplus ne peuvent se réclamer d’un droit précis sur celui‑ci. Le surplus d’une caisse de retraite peut servir à justifier une période d’exonération de cotisations si le régime le permet, mais il peut aussi disparaître si les revenus de placement se révèlent moins élevés que prévu. Étant donné que les régimes de retraite sont normalement établis pour une période indéterminée, les questions de surplus sont habituellement dénuées d’intérêt pour les participants pendant que le régime est en vigueur. Comme la Cour l’a affirmé dans l’arrêt Schmidt, « [l]e droit à tout surplus n’est cristallisé que lorsque celui‑ci devient vérifiable à la cessation du régime » (p. 654). Pour déterminer la teneur de ce droit, il faut consulter le régime, la convention de fiducie (Schmidt, p. 639) et la loi applicable (Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), [2004] 3 R.C.S. 152, 2004 CSC 54, par. 39).

18 Les régimes de retraite sont fortement réglementés. — ce stade, il convient d’examiner le régime législatif applicable à la question en litige.

III. La Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension

19 On ne saurait passer sous silence le cadre législatif et réglementaire complexe qui régit les régimes de retraite. Reconnaissant l’importance économique et sociale des régimes de retraite, le Parlement et la vaste majorité des législatures provinciales et territoriales les ont réglementés par voie législative. La première loi fédérale sur les normes de prestations de pension est entrée en vigueur le 23 mars 1967 (S.C. 1966‑67, ch. 92). La loi actuelle, la LNPP, a été adoptée pour la première fois en 1986 (S.C. 1986, ch. 40). Elle attribue au surintendant une importante fonction de contrôle et de surveillance (voir A. N. Kaplan, Pension Law (2006), pour une analyse de la fonction analogue du surintendant nommé en vertu de la loi ontarienne). Le surintendant assure l’application de la LNPP, recueille des renseignements et procède à des études relatives aux régimes de pension et à leur fonctionnement (art. 5). L’administrateur d’un régime est tenu de respecter des normes rigoureuses en matière de placement et de solvabilité (par. 9(1) LNPP, et art. 6 à 10 du Règlement de 1985 sur les normes de prestation de pension, DORS/87‑19 (« Règlement »)). Il doit également déposer les documents et renseignements requis par la LNPP (art. 7.4 et 12). L’administrateur d’un régime joue également le rôle de fiduciaire de l’employeur, des participants au régime et de toute personne ayant droit à des prestations de retraite. Le surintendant peut donner une directive s’il estime qu’un administrateur ou un employeur adopte une attitude contraire aux bonnes pratiques du commerce, ou que la gestion d’un régime de retraite n’est pas conforme à la LNPP (par. 11(1) et (2) LNPP). L’agrément du régime de retraite peut être révoqué en cas de non‑conformité à la directive du surintendant (art. 11.1 LNPP). Le surintendant joue aussi un rôle essentiel à l’étape de la cessation et de la répartition (art. 9.2 et 29 LNPP, et art. 16 et 24 du Règlement). Il faut notamment obtenir son consentement avant de répartir un surplus (al. 16(2)d) du Règlement). Le surintendant publie des lignes directrices et des guides d’instruction utiles pour gérer les régimes et les fiducies et y mettre fin. Une attention particulière est accordée aux droits des bénéficiaires en cas de demande de répartition d’un surplus. Les Lignes directrices à l’intention des administrateurs sur la cessation des régimes de pension prévoient clairement que l’administrateur ne peut pas retarder la liquidation uniquement parce qu’il préfère gérer la caisse de retraite.

20 Essentiellement, le surintendant joue un rôle crucial dans la protection des bénéficiaires. Bien que la plupart de ses interventions visent à assurer le respect des normes de solvabilité, il joue également un rôle de gardien en ce qui a trait à la répartition de l’actif d’une caisse de retraite. Il a envers les bénéficiaires des obligations et des responsabilités exceptionnelles qui peuvent permettre d’éviter le recours à une règle de common law qui a été conçue pour s’appliquer dans un contexte totalement différent de celui du droit régissant les régimes de retraite.

IV. La règle de Saunders c. Vautier

21 On peut dire succinctement que la règle de common law de Saunders c. Vautier permet aux bénéficiaires d’une fiducie de déroger aux intentions initiales du disposant pourvu qu’ils aient la pleine capacité juridique et qu’ils possèdent ensemble tous les droits de propriété bénéficiaire sur les biens en fiducie. Plus formellement, la règle est définie ainsi dans Underhill and Hayton Law Relating to Trusts and Trustees (14e éd. 1987), p. 628 :

[traduction] S’il n’y a qu’un seul bénéficiaire, ou s’il y en a plusieurs (peu importe qu’ils puissent exercer leurs droits concurremment ou successivement) qui sont unanimes, et qu’aucun n’est frappé d’incapacité juridique, l’exécution des obligations de la fiducie peut être interrompue et il peut y avoir modification ou extinction de la fiducie par le(s) bénéficiaire(s) sans égard à la volonté du disposant ou des fiduciaires.

Selon D. W. M. Waters, M. R. Gillen et L. D. Smith, dir., Waters’ Law of Trusts in Canada (3e éd. 2005), p. 1175, la règle a été établie au XIXe siècle et découle d’une conception implicite des juges de la Cour de la Chancellerie selon laquelle la propriété trouve son sens dans le droit de jouissance. On considérait que, puisque la propriété serait attribuée en fin de compte aux bénéficiaires de la fiducie, il appartenait à ces derniers de décider de quelle façon ils voulaient en jouir.

22 Les participants allèguent que cette règle leur permet de mettre fin à la caisse en fiducie même si, en concluant la convention de fiducie, l’employeur a dit être le seul à pouvoir y mettre fin. Les modalités du Régime et de sa caisse en fiducie jouent un rôle essentiel dans l’analyse. Je vais maintenant les examiner.

V. Le Régime et sa caisse en fiducie

23 Le Régime défini en 1974 prévoyait que l’actif serait détenu conformément à une convention de fiducie. La compagnie a créé un comité, appelé le comité de retraite, qui était chargé de gérer le Régime. Tous les employés embauchés après le 1er janvier 1974 devaient adhérer au Régime, alors que les autres employés pouvaient le faire à certaines conditions (Deuxième règle générale). Les prestations ne devaient pas excéder le maximum autorisé par la loi en vigueur et étaient payables lors de la retraite (l’âge normal de la retraite étant fixé à 65 ans). Même s’ils avaient le droit de verser des cotisations supplémentaires, les employés n’étaient pas tenus de contribuer à la capitalisation régulière du Régime (Quatrième règle spéciale, section 1). Les cotisations de l’employeur étaient calculées par l’actuaire nommé conformément au Régime (Quatrième règle générale, section 2). Les prestations devaient être payées au participant jusqu’à la fin de ses jours, puis au bénéficiaire du participant pendant le reste d’une [traduction] « période garantie ». Une somme forfaitaire pouvait être versée, mais seulement à un participant, si la prestation était inférieure à 10 $ par mois, et même là, au gré du comité de retraite. Le comité pouvait trancher toute question relative à l’application et à l’interprétation des dispositions du Régime (Sixième règle générale, section 12). La compagnie avait le droit de modifier le Régime dans la mesure où cela ne portait pas atteinte aux droits acquis ou aux prestations accumulées à la date de la modification. À la cessation, les prestations devaient être payées conformément aux dispositions du Régime, et, après que toutes les dettes aient été acquittées, le comité devait répartir entre les autres participants l’actif restant de la caisse en fiducie, conformément à l’art. 12 de l’ancienne Loi sur les normes des prestations de pension (Septième règle générale).

24 La convention de fiducie a été conclue dans le but précis de doter le Régime d’une caisse de retraite en fiducie. La caisse devait être détenue et gérée pour le compte des employés et des bénéficiaires assujettis au Régime. Le fiduciaire devait suivre les directives de la compagnie. Cette dernière avait aussi le droit de mettre fin à la convention de fiducie (art. V(2)).

25 En 1992, Rogers a voulu modifier le Régime pour s’accorder le droit au surplus, mais la Cour d’appel a décidé (Buschau no 1, par. 59) que les modifications ne portaient pas atteinte aux droits des participants; cette décision lie maintenant les parties.

26 Ainsi, ni la convention de fiducie ni le Régime ne prévoient que les employés peuvent mettre fin à la fiducie. En conséquence, les participants invoquent la règle de Saunders c. Vautier. S’applique‑t‑elle? — l’instar de mon collègue le juge Bastarache, je conclus que non, mais pour des raisons légèrement différentes.

VI. L’inapplication de la règle de Saunders c. Vautier

27 La règle ne s’intègre pas facilement au contexte des régimes de retraite d’employeurs pour de nombreuses raisons.

28 Premièrement, les régimes de retraite sont fortement réglementés. La LNPP régit la cessation d’un régime et la répartition de l’actif de la caisse et de la fiducie. Je souscris à l’observation suivante de la Cour d’appel (Buschau no 2, par. 47) :

[traduction] Il faut reconnaître que l’application de la règle de Saunders c. Vautier aux fiducies de retraite met effectivement en cause des facteurs différents et plus complexes, tant financiers que juridiques, que lorsqu’il s’agit d’un legs ou d’une donation ordinaire en fiducie. Comme nous l’avons vu, les fiducies de retraite font partie de l’ensemble complexe des droits et obligations (non seulement reconnus en equity, mais également prévus par le droit des contrats et la loi écrite) entre employeurs et employés et répondent, de toute évidence, à des besoins sociaux et économiques généraux.

L’ordonnance de la Cour d’appel (Buschau no 3) va cependant à l’encontre de la LNPP parce qu’elle permet l’application de la règle de Saunders c. Vautier sans égard aux obligations de rendre compte au surintendant et de prévoir le versement de prestations de retraite avant la répartition de l’actif de la caisse en fiducie. La LNPP traite abondamment de la cessation des régimes et de la répartition de l’actif. Il ressort clairement de ce texte législatif explicite que le législateur a voulu que ses dispositions supplantent la règle de common law. Dans la mesure où elle prévoit un moyen de parvenir à l’étape de la répartition, la LNPP prime la règle traditionnelle de Saunders c. Vautier.

29 Deuxièmement, une fiducie familiale ou testamentaire est généralement un instrument distinct. Son fonctionnement ne dépend généralement d’aucun autre instrument. L’application de la règle de Saunders c. Vautier n’a aucun effet indirect dans ces cas. Par contre, une fiducie de retraite ne sert que de moyen de détenir et de gérer les fonds requis par le régime de retraite. En l’espèce, il est prévu expressément que la convention de fiducie [traduction] « fait partie du régime » (art. I(1)) et le Régime est joint à cette convention (préambule de la convention de fiducie). La convention de fiducie est donc subordonnée au régime pour lequel elle a été conclue. On ne peut pas mettre fin à la fiducie de Premier sans tenir compte du Régime lui‑même. Par conséquent, les deux instruments sont indissociables. Cette situation particulière n’a pas été examinée dans l’arrêt Schmidt, qui portait sur la répartition d’un actif en fiducie et non sur la cessation d’une convention de fiducie faisant expressément partie d’un régime de retraite. En l’espèce, malgré le lien qui existe entre le Régime et la convention de fiducie, l’arrêt de la Cour d’appel est censé autoriser les participants à recourir à la règle de Saunders c. Vautier, mais il ne prévoit pas la cessation du Régime. Pourtant, la cessation du Régime conformément à la LNPP en vigueur est une condition préalable de la répartition. Cette situation juridique incongrue montre pourquoi la règle de common law ne s’inscrit pas facilement dans le contexte du droit régissant les régimes de retraite.

30 Troisièmement, les employeurs établissent des régimes parce qu’ils ont intérêt à le faire. Dans des circonstances normales, ils ont droit à ce que leurs décisions administratives soient respectées. Par contre, la fiducie de common law ne fait aucune place à l’intérêt du disposant. Bien que les circonstances particulières de la présente affaire puissent mener à la conclusion que l’employeur n’a plus d’intérêt légitime dans le maintien du Régime, une déclaration générale selon laquelle l’employeur n’a aucun intérêt va à l’encontre des attentes normales des parties à un régime de retraite.

31 Quatrièmement, les donations ou legs en fiducie sont des libéralités, et le fait de rapprocher la date à laquelle les bénéficiaires peuvent exercer leur droit n’a aucune conséquence sociale générale. Toutefois, les droits dans les fiducies de retraite ne sont plus généralement considérés comme des libéralités : les employés peuvent cotiser directement ou encore leur droit est considéré comme une rémunération différée jusqu’à la date de leur départ à la retraite. Le capital de la caisse de retraite en fiducie ne peut pas être réparti sans contrecarrer l’objectif social consistant à assurer la sécurité financière des employés retraités en leur permettant de recevoir des versements périodiques jusqu’à la fin de leurs jours.

32 La présente affaire démontre donc amplement les difficultés que présente l’application de la règle de Saunders c. Vautier à une fiducie de retraite. La Cour d’appel a rendu une ordonnance déclarant que les participants étaient libres d’invoquer la règle de Saunders c. Vautier. Tous les mécanismes d’établissement de rapports et d’obtention d’approbations qui doivent précéder la cessation en vertu de la LNPP ont été passés sous silence. Ils ont été considérés comme de simples questions de « processus » (Buschau no 3, par. 17). Selon la Cour d’appel, il peut être mis fin à la fiducie de Premier sans égard à son objectif consistant à donner un moyen de différer un revenu. Contrairement à ce qu’exige la LNPP, aucune ordonnance prévoyant le versement d’une rente n’a été rendue. De plus, bien que la Cour d’appel ait conclu qu’il peut être mis fin à la fiducie de Premier en application de la règle de Saunders c. Vautier, elle n’a pas prévu comment prendraient fin les obligations de la fiduciaire envers les participants aux termes du régime fusionné de RCI.

33 Je conclus donc que les obstacles à l’application de la règle de Saunders c. Vautier sont nombreux. Il n’est pas facile d’appliquer cette règle aux fiducies de retraite et même le temps écoulé depuis le début des procédures ne saurait permettre aux participants de la dénaturer pour qu’elle s’applique à leur cas. Je n’écarte pas la possibilité que la règle de common law s’applique à de petits régimes de retraite, comme ceux offerts à quelques dirigeants d’une société mais, en général, elle ne s’y prête pas. La conclusion que la règle de common law ne s’applique pas généralement aux caisses de retraite traditionnelles est renforcée par le fait que la LNPP établit des mécanismes de protection des participants contre la conduite répréhensible des administrateurs du régime. Étant donné que mon collègue le juge Bastarache ne partage pas mon opinion sur ce point, je me dois de préciser ma pensée.

VII. Le recours des participants

34 J’ai déjà fait remarquer que ni le Régime ni la convention de fiducie ne confère aux participants un droit direct de mettre fin au Régime. Cela s’explique. Historiquement, les employeurs établissaient des régimes pour répondre à leurs propres besoins, sans que les employés aient beaucoup à dire. Certes, ces régimes étaient avantageux pour les employés, mais ils constituaient essentiellement des outils de gestion des ressources humaines. Lorsque cela était possible, les employeurs énonçaient des modalités qui leur permettaient de contrôler le fonctionnement des régimes et de protéger ainsi leurs intérêts. Dans un milieu de travail syndiqué, le contrôle exercé par l’employeur est tempéré par des engagements résultant de conventions collectives, et en dehors du contexte de la négociation collective, par des contrats de travail individuels. Toutefois, la formulation qui réserve à l’employeur le droit de cessation est encore courante. Un régime est aussi considéré comme un instrument, sinon permanent, tout au moins à long terme. Par ailleurs, la participation individuelle d’un employé est éphémère : des participants arrivent et d’autres partent; on s’attend néanmoins à ce que les régimes survivent aux roulements de personnel et aux réorganisations d’entreprise. Dans un régime en vigueur, un seul groupe d’employés ne devrait pas pouvoir priver d’un régime de retraite les futurs employés. Par conséquent, les participants n’ont souvent qu’un droit passif et limité relativement aux décisions que l’employeur prend au sujet de l’avenir de leur régime et de leur caisse en fiducie. Cependant, ils ne sont pas dépourvus de recours si jamais l’employeur enfreint la LNPP ou leur régime. Au besoin, ils peuvent demander au surintendant d’intervenir.

35 La LNPP n’est pas un code exhaustif. Toutefois, lorsque les participants au régime disposent d’un recours, ils devraient l’exercer. La LNPP traite expressément de la cessation. Lorsqu’on leur a demandé de présenter des observations sur les recours offerts par la LNPP, les participants ont prétendu que le recours prévu par la Loi ne pouvait pas s’appliquer à toutes leurs demandes. Ils ont ajouté que le surintendant aurait pu intervenir de son propre chef.

36 Cette réponse n’est pas satisfaisante. Les participants voulaient mettre fin à la caisse en fiducie et souhaitaient que l’actif de la caisse soit réparti entre eux directement. En fait, il est possible de mettre fin automatiquement à une fiducie et d’en répartir l’actif de cette manière conformément à la règle de Saunders c. Vautier. Toutefois, comme je l’ai déjà mentionné, une telle répartition n’est pas conforme aux modalités du Régime et à l’esprit du projet social qui vise à assurer des versements périodiques aux participants au cours de leur vie, et non à répartir le capital sous la forme d’une somme forfaitaire. De plus, le point de vue des participants n’est pas compatible avec la LNPP et il les expose à des conséquences fiscales non souhaitables (Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), par. 56(1), 146(8), 147.1(11) et (13); Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C. 1978, ch. 945, par. 8501(1) et art. 8502). En outre, on ne peut guère s’attendre à ce que le surintendant ait une connaissance détaillée de la gestion d’un régime de retraite particulier. Les participants auraient pu lui demander d’intervenir.

37 Les faits à l’origine de la première action des participants illustrent bien le rôle que le surintendant peut jouer. En 1985, la fiduciaire a transféré à Rogers, à la demande de cette dernière, près de un million de dollars provenant de la caisse en fiducie du Régime. Rogers a fini par reconnaître l’illégitimité de ce transfert et a remboursé la somme au cours de cette première action. Cependant, les participants auraient pu demander au surintendant d’exercer les pouvoirs que lui confère la LNPP.

38 Aux termes du par. 8(3) LNPP, les participants au régime peuvent s’opposer à la conduite d’un administrateur si elle constitue un manquement à l’obligation fiduciaire qu’il a envers eux. De même, le par. 8(10) interdit à l’employeur qui est l’administrateur de se trouver dans un conflit d’intérêts sérieux. Le surintendant aurait pu enjoindre à Rogers de remettre l’argent dans la fiducie (par. 29(11) et 11(1) LNPP).

39 En l’espèce, les participants soutiennent qu’ils ont droit à la répartition du surplus. Pour qu’ils aient droit à la répartition, il doit d’abord y avoir cessation du Régime. Étant donné que le Régime ne prévoit pas qu’ils peuvent y mettre fin, le surintendant pourrait ordonner une répartition s’il était en présence d’une situation qui s’inscrit à l’intérieur des paramètres de la LNPP.

40 Est‑ce le cas? J’ai déjà mentionné que les clauses qui permettent aux employeurs de contrôler les cessations sont courantes. Cependant, l’analyse traditionnelle des régimes de retraite ne s’applique pas en l’espèce. Rogers a concédé que les modifications de 1992 lui donnant droit à tout surplus en cas de cessation étaient [traduction] « inopposables aux [participants] » (Buschau no 1, par. 38). La Cour d’appel a conclu (Buschau no 1, par. 63 et 66) que la fusion était incomplète quant au Régime et que les participants conservaient des droits distincts de ceux des participants aux autres régimes qui avaient été fusionnés dans le régime de RCI. L’arrêt Buschau no 1 lie désormais Rogers. Bien que les participants ne possèdent pas de droit précis sur le surplus avant la cessation, les conclusions de l’arrêt Buschau no 1 limitent le droit de Rogers de l’utiliser.

41 La cessation du Régime (fusionné de manière incomplète avec le régime de RCI) et la répartition consécutive de l’actif de la caisse en fiducie de Premier pourraient être retardées si Rogers avait le droit de modifier le Régime de manière à l’ouvrir à de nouveaux participants. Toutefois, la possibilité de rouvrir le Régime pose un problème et a fait l’objet d’observations de la part des tribunaux d’instance inférieure.

42 Dans la seconde action, la juge en chambre a considéré que la conclusion de la Cour d’appel, dans l’arrêt Buschau no 1, selon laquelle les participants au Régime possèdent un droit distinct au surplus, empêchait Rogers d’exercer son droit de modifier le Régime de manière à le rouvrir à de nouveaux participants. Quant à l’argument de Rogers selon lequel la règle de Saunders c. Vautier était inapplicable en raison de son droit de modifier, la juge en chambre a conclu, dans ses motifs de 2002, que Rogers ne pouvait pas exercer son droit de modification pour faire ce qu’elle ne pouvait pas faire au moyen d’une fusion (par. 29) :

[traduction] La Cour d’appel ne pouvait permettre aux participants de mettre fin à la fiducie que si la fiducie était fermée et qu’aucun autre bénéficiaire n’était ajouté. Selon moi, d’après la preuve qui m’a été présentée, c’est en réaction aux démarches des participants visant à mettre fin au régime et à obtenir le surplus que RCI a songé pour la première fois à rouvrir le régime à de nouveaux participants. C’est pourquoi il faut rejeter l’argument de RCI selon lequel la règle est inapplicable parce qu’elle peut modifier le régime de manière à l’ouvrir à de nouveaux participants.

43 La Cour d’appel n’a rien changé à cette conclusion (Buschau no 2, par. 61) :

[traduction] J’estime que les circonstances particulières de la présente affaire empêchent RCI d’exercer maintenant son droit de « rouvrir » le régime à de nouveaux participants et de leur permettre de partager avec les participants existants les prestations accumulées dans la fiducie, y compris le surplus. Le régime a été déclaré fermé en 1984 et, comme l’a dit la juge en chambre : « c’est en réaction aux démarches des participants visant à mettre fin au régime et à obtenir le surplus que RCI a songé pour la première fois à rouvrir ». Toute initiative qui viserait maintenant à rouvrir le régime à d’autres employés de RCI serait, compte tenu de ce qui s’est passé antérieurement, considérée à bon droit comme un autre stratagème de RCI semblable à celui qu’elle a employé, il y a quelques années, pour bénéficier du surplus actuariel de la fiducie de Premier — la prétendue « fusion » du régime avec d’autres régimes qui n’affichaient pas un surplus. On arriverait à un résultat similaire : parce qu’il a manqué à son obligation de fiduciaire ou à son obligation d’agir de bonne foi, l’employeur serait tenu de rendre compte aux participants existants comme si le régime n’avait pas été rouvert.

44 Si Rogers pouvait modifier le régime fusionné de RCI de manière à l’ouvrir à de nouveaux participants, il n’est pas certain que la caisse en fiducie de Premier pourrait servir à capitaliser les prestations dues aux nouveaux participants sans enfreindre le jugement qui lie Rogers. Les tribunaux d’instance inférieure ont considéré que l’utilisation de la caisse en fiducie de Premier pour capitaliser des prestations destinées à de nouveaux participants ou pour capitaliser des prestations dues aux participants d’un régime fusionné revenait au même. Je n’ai pas à me prononcer de manière définitive sur la possibilité de modifier le Régime car, sauf dans la mesure où Rogers est liée par l’arrêt Buschau no 1, cela est du ressort du surintendant.

45 Les participants peuvent demander au surintendant de mettre fin en partie au régime de RCI dans la mesure où il a trait au Régime. Le surintendant peut apprécier les faits et examiner tout nouvel argument que Rogers ou les participants peuvent avancer. Il est le mieux placé pour assurer la cessation ordonnée de la partie du régime de RCI qui concerne les participants.

46 Si le surintendant décide que Rogers ne peut pas modifier le Régime de manière à l’ouvrir à de nouveaux participants, il ne servira peut‑être à rien de maintenir le Régime si un tiers, telle une compagnie d’assurances, peut verser les prestations de retraite sous forme de rentes comme celles versées à la cessation d’un régime fondée sur la LNPP.

47 Le surintendant pourrait considérer qu’il a été mis fin au Régime, parce qu’on a arrêté complètement de payer des cotisations en 1984. Il pourrait conclure que cet arrêt de paiement constitue, dans les circonstances, une cessation au sens de la définition énoncée dans la LNPP :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

. . .

« cessation » Cessation d’un régime de pension dans le cas où il n’est plus porté de droits à prestation en faveur des participants et dans les cas visés par les paragraphes 29(1) et (2).

Selon les lignes directrices du Bureau du surintendant, la liquidation ne doit pas être retardée sans le consentement du surintendant, et la volonté de l’administrateur de gérer la caisse n’est pas une raison acceptable de la retarder. De plus, la caisse en fiducie doit, selon ses propres modalités, être gérée pour le compte des employés et des bénéficiaires, et non pour le compte de l’employeur.

48 Il appartient au surintendant de décider si les circonstances entourant l’arrêt de paiement des cotisations rendent applicable la définition de la notion de « cessation » mentionnée ci‑dessus et si le retard mis à procéder à la liquidation est justifié (art. 11.1).

49 Si l’arrêt de paiement constitue une cessation et si le retard n’est pas justifié, le surintendant peut enjoindre de liquider en partie le Régime conformément au par. 29(11), dont voici le texte :

29. . . .

(11) Le surintendant peut, après la cessation totale d’un régime de pension, s’il est d’avis qu’aucune mesure n’a été prise en vue de sa liquidation ou que celles qui l’ont été sont insuffisantes à cette fin, enjoindre à l’administrateur de répartir les actifs du régime conformément aux règlements pris au titre de l’alinéa 39j) et ordonner que toutes dépenses afférentes à cette distribution soient payées sur le fonds de pension; l’administrateur doit se conformer sans délai à ces directives.

50 Le surintendant pourrait également exercer son pouvoir de cessation. L’alinéa 29(2)a) prévoit ceci :

29. . . .

(2) Le surintendant peut, dans les cas suivants, déclarer la cessation totale ou partielle d’un régime de pension :

a) la suspension ou l’arrêt de paiement des cotisations patronales relativement à plusieurs ou à l’ensemble des participants;

51 Il est évident que tout arrêt de paiement des cotisations ne donnera pas nécessairement lieu à des directives du surintendant. Cependant, des directives ne sont pas seulement données dans les cas où la caisse en fiducie n’est plus conforme aux normes de solvabilité. Le pouvoir du surintendant quant aux questions de solvabilité est régi par l’al. 29(2)c), qui se lit ainsi :

c) le surintendant est d’avis que le régime n’est pas conforme aux critères et normes de solvabilité réglementaires, relativement à la capitalisation prévue au paragraphe 9(1) [capitalisation suffisante].

Puisque l’al. 29(2)c) traite des normes de solvabilité, il s’ensuit que l’al. 29(2)a) doit viser des circonstances où l’arrêt de paiement des cotisations ne compromet pas la capitalisation d’un régime.

52 Tout comme elles peuvent être approuvées à juste titre lorsque les circonstances en démontrent la légitimité, les fusions de régimes et de caisses en fiducie peuvent être contestées si elles contreviennent aux dispositions d’une loi, d’une fiducie ou d’un régime. Bien qu’elles soient légitimes aux fins de capitalisation, les périodes d’exonération de cotisations peuvent néanmoins être jugées illégitimes si elles cachent un refus injustifié de mettre fin à un régime. Il appartient au surintendant, conformément au pouvoir que lui confère l’al. 29(2)a), de déterminer la validité d’une raison donnée pour ne pas mettre fin à un régime.

53 La plupart des faits que les participants ont présentés aux tribunaux en tentant de faire appliquer la règle de Saunders c. Vautier auraient pu être soumis au surintendant. Je n’ai pas à examiner les allégations des participants voulant que Rogers ait agi de mauvaise foi, lesquelles n’ont pas été retenues par les juges des tribunaux d’instance inférieure. Rogers a effectivement tenté de s’approprier le surplus. Sa résistance à la recommandation de l’actuaire de bonifier les prestations des employés, son remplacement de l’actuaire et de la fiduciaire moins influençables, les notes de service internes et les modifications illicites du Régime montrent amplement que Rogers a fait ce qu’elle pouvait pour avoir accès au surplus. Toutefois, la conduite antérieure n’est pertinente que si elle aide à répondre à la question qui se pose pour l’avenir : Y a‑t‑il un intérêt légitime à conserver le Régime ou faudrait‑il y mettre fin et le liquider? Le surintendant peut trancher à la fois des questions de fait et des questions de droit, et les parties peuvent lui faire des recommandations appropriées. Le surintendant a toute la compétence voulue pour interpréter les dispositions de la LNPP et du Règlement qui portent sur les obligations de l’employeur.

54 Rogers affirme que le rôle du surintendant se limite aux questions de solvabilité. Ce point de vue ne tient pas compte de son rôle surveillance en matière de protection des participants et des bénéficiaires. Il passe également sous silence l’al. 29(2)a), qui ne parle pas de solvabilité et qui doit viser un ensemble plus diversifié de circonstances que l’al. 29(2)c), lequel porte uniquement sur des questions de solvabilité.

55 Le pouvoir général que le par. 29(2) confère au surintendant est clair. Il a fait l’objet d’un examen judiciaire dans l’arrêt Huus c. Ontario (Superintendent of Pensions) (2002), 58 O.R. (3d) 380 (C.A.). Dans cette affaire, l’employeur voulait fusionner un certain nombre de régimes au Canada et aux États‑Unis. Il a demandé au surintendant l’autorisation de transférer l’actif d’un régime qui affichait un surplus de 4,2 millions de dollars. Se fondant sur une disposition de la Loi sur les régimes de retraite de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. P.8 (l’al. 69(1)a)), semblable à l’al. 29(2)a) LNPP, les employés demandaient que leur régime de retraite soit liquidé parce que l’employeur avait cessé d’y cotiser environ 20 ans avant la demande de fusion. Les faits ont une ressemblance frappante avec ceux de la présente affaire. La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision de la Cour divisionnaire, en affirmant qu’en raison de l’omission d’examiner la demande de liquidation partielle présentée par les employés avant la décision sur la demande de transfert ou en même temps que celle‑ci, le consentement du surintendant au transfert était déraisonnable. Il vaut la peine de reproduire la remarque suivante tirée des motifs de jugement (par. 31, note 5) :

[traduction] Je remarque, en passant, qu’aucun des appelants ne prétend qu’un ordre de liquidation peut seulement découler d’une demande de l’employeur. Bien que l’art. 68 de la [Loi sur les régimes de retraite] envisage un processus de liquidation enclenché par l’employeur, l’art. 69 n’est pas ainsi limité. En effet, les démarches du surintendant en l’espèce, qui seront analysées plus loin, montrent qu’il s’estimait tenu d’examiner une demande de liquidation présentée par les retraités intimés.

56 Je partage l’avis de la Cour d’appel de l’Ontario et j’estime que le pouvoir que l’al. 29(2)a) LNPP confère au surintendant devient presque une obligation lorsque des employés lui demandent d’agir. Il doit exercer son pouvoir conformément à l’objet réparateur des dispositions de la LNPP.

57 En l’espèce, les cotisations ont cessé en 1984 et le Régime est depuis fermé. Le surintendant peut examiner l’ensemble des circonstances et décider si les faits justifient la liquidation de la partie du régime de RCI qui concerne le Régime, ce qui aurait pour effet de mettre fin à la fiducie. Il peut tenir compte des conclusions de fait du jugement qui lient les parties.

58 Bien que le pourvoi soit accueilli, les arguments de Rogers n’ont pas été retenus. Par conséquent, les participants ne devraient pas être tenus de payer les dépens de Rogers. De plus, Rogers devrait payer les dépens de la fiduciaire. Par ailleurs, il n’y a pas lieu de modifier l’ordonnance de la Cour d’appel quant aux dépens.

59 Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’ordonner à Rogers de payer les dépens de Trust National devant notre Cour et d’annuler l’ordonnance de la Cour d’appel, sauf l’ordonnance relative aux dépens, qui est confirmée.

Version française des motifs de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache et Charron rendus par

Le juge Bastarache —

1. Introduction

60 Le présent pourvoi porte sur une décision dans laquelle la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a statué que les intimés Sandra Buschau et autres (« intimés ») ont le droit de mettre fin à une fiducie de régime de retraite d’employés en invoquant la règle établie dans Saunders c. Vautier (1841), Cr. & Ph. 240, 41 E.R. 482 (Ch. D.), une règle du XIXe siècle liée au report de donations dans des fiducies d’intérêt privé. Notre Cour a examiné cette règle dans l’arrêt Halifax School for the Blind c. Chipman, [1937] R.C.S. 196, où, à la p. 215, dans des motifs concordants rédigés en son propre nom et en celui du juge Rinfret, le juge Crocket en a expliqué les origines et la raison d’être en ces termes :

[traduction] Il est vrai que dans les affaires Saunders c. Vautier, Gosling c. Gosling et Wharton c. Masterman, ainsi que dans d’autres affaires qui nous ont été mentionnées par l’avocat de l’appelante, où il était question de donations sans réserve et dévolues de biens immeubles et de fonds d’immobilisations qui conféraient aux donataires le droit à la pleine propriété et à la pleine possession à la survenance d’un événement futur, les tribunaux n’ont pas tenu compte des directives expresses des testateurs prescrivant l’accumulation des loyers et des revenus dans l’intervalle. . .

Diverses raisons ont été énoncées pour expliquer [l’]établissement [de la règle]. Dans l’affaire Harbin c. Masterman, portée en appel devant la Chambre des lords sous l’intitulé Wharton c. Masterman, précité, le lord juge Lindley a qualifié cette règle d’« exception remarquable » au « principe général voulant qu’un donataire ou un légataire ne puisse accepter ce qui lui est donné ou légué qu’aux conditions auxquelles on lui fait la donation ou le legs en question ». Il s’est ainsi expliqué :

Les conditions qui sont incompatibles avec la succession à laquelle elles se rattachent sont frappées de nullité absolue et peuvent donc être écartées. . .

Le lord chancelier Herschell a dit ceci :

Au départ, on semble avoir supposé plutôt que décidé qu’il en était ainsi. On a apparemment considéré que c’était une conséquence nécessaire de la conclusion qu’une donation avait été dévolue, que la bénéficiaire de cette donation devait en jouir aussitôt qu’il devenait juridiquement autonome et que la jouissance de la donation ne pouvait pas être reportée à une date ultérieure, sauf si le testateur avait affecté les revenus à d’autres fins dans l’intervalle.

Lord Davey a affirmé ce qui suit :

La raison d’être de la règle a été énoncée de différentes façons. Cependant, on peut constater que la Cour de la Chancellerie a toujours été défavorable au report de la dévolution ou de la possession à plus tard, ou à l’imposition de restrictions à la jouissance d’un droit absolu et dévolu. [Renvois omis.]

61 La Cour d’appel a considéré que la règle de Saunders c. Vautier s’appliquait aux fiducies de retraite en raison de la conclusion tirée par notre Cour dans l’arrêt Schmidt c. Air Products Canada Ltd., [1994] 2 R.C.S. 611, selon laquelle les fiducies de retraite sont des fiducies « classiques » assujetties « à tous les principes applicables du droit des fiducies » ((2004), 24 B.C.L.R. (4th) 85, 2004 BCCA 80 (« Buschau no 2 »), par. 52). L’employeur appelant, Rogers Communications Inc. (« RCI »), se pourvoit maintenant contre cette décision de la Cour d’appel en soutenant que les intimés ne peuvent invoquer la règle de Saunders c. Vautier pour mettre fin à la fiducie de retraite. En cherchant à mettre fin à la fiducie de retraite, les intimés entendaient cristalliser et toucher le surplus actuariel auquel ils n’auraient pas droit par ailleurs, sauf s’il était mis fin à la fiducie d’une autre façon, comme, par exemple, sur l’initiative de l’employeur conformément aux modalités du régime. Dans une décision antérieure, la Cour d’appel avait décidé que, malgré les modifications apportées à la fiducie par RCI, les intimés avaient conservé le droit à tout surplus réel en cas de cessation ((2001), 83 B.C.L.R. (3d) 261, 2001 BCCA 16 (« Buschau no 1 »)). Il importe également de souligner que le régime de retraite lui‑même prévoyait que tout surplus qui resterait au moment de la cessation, après le versement des prestations déterminées, serait réparti entre les participants au régime.

62 La décision de la Cour d’appel soulève également des questions concernant la nature et le contenu de l’obligation d’un employeur d’agir de bonne foi dans le contexte d’un régime de retraite. Plus particulièrement, elle soulève la question de savoir jusqu’à quel point un employeur peut agir dans son propre intérêt en gérant un régime de retraite, en conformité avec son obligation d’agir de bonne foi? Dans l’arrêt Buschau no 2, la Cour d’appel a conclu que l’obligation de bonne foi de RCI empêcherait de rouvrir, par voie de modification, le régime de retraite de Rogers Communications Inc. (« régime de RCI »), qui a été fermé à de nouveaux participants en 1984.

63 La Compagnie Trust National (« Trust National »), fiduciaire de la fiducie de retraite (« fiducie ») examinée dans le dossier principal, interjette également appel contre la décision de la Cour d’appel. Elle demande à notre Cour d’infirmer l’ordonnance dans laquelle la Cour d’appel lui a enjoint, dans des motifs supplémentaires déposés le 18 mai 2004, de [traduction] « remet[tre] l’actif de la fiducie aux requérants une fois acquittées toutes les dettes et dépenses nécessaires » ((2004), 27 B.C.L.R. (4th) 17, 2004 BCCA 282 (« Buschau no 3 »), par. 16). Trust National fait valoir que la décision de la Cour d’appel a pour effet de lui transférer le pouvoir et la responsabilité juridique de mettre en œuvre et de gérer la cessation de la fiducie, pouvoir qu’elle affirme ne pas avoir en vertu des modalités du régime de RCI ou de toute loi applicable. Elle soutient qu’elle n’est pas en mesure de concilier la décision de la cour avec les différentes normes et exigences législatives qui s’appliquent à la cessation du régime et de la fiducie. Trust National demande à notre Cour d’infirmer la décision de lui imposer des obligations et des responsabilités qu’elle ne peut pas assumer selon la convention de fiducie et qui incombent à l’employeur RCI ou au surintendant des institutions financières (« surintendant »), selon les dispositions législatives applicables ou les modalités du régime, ou les deux à la fois.

2. Contexte

64 En vue d’établir le contexte factuel de la présente affaire, RCI et les intimés ont respectivement fourni une description des événements à l’origine du présent pourvoi. Je reproduis ici l’essentiel de leurs descriptions. Il faut cependant souligner l’existence d’un certain désaccord au sujet notamment du nombre réel de participants au régime et du rôle joué par la fiduciaire Trust National, une autre partie appelante.

65 En janvier 1974, la société remplacée par RCI a mis sur pied le régime de retraite de Premier, un régime non contributif à prestations déterminées, au moyen de deux documents, soit une convention de fiducie et un document relatif au régime. — la suite d’acquisitions et de fusions de sociétés, le régime de Premier a fini par devenir l’un des nombreux régimes de retraite que RCI gérait pour le compte de ses employés et de ceux de ses filiales.

66 L’adhésion au régime de Premier était obligatoire pour tous les employés à temps plein âgés de plus de 25 ans et comptant une année de service. En 1984, RCI a modifié le régime de Premier de manière à le fermer aux employés embauchés après le 1er juillet 1984. L’année suivante, sur recommandation de son cabinet d’actuaires, T.I. Benefits, RCI a retiré la somme de 968 285 $ du surplus du régime et a commencé à s’accorder des périodes d’exonération de cotisations. En 1992, RCI a fusionné le régime de Premier avec quatre autres de ses régimes en modifiant les documents relatifs à ces régimes de manière à créer un texte de régime commun. Aucune mesure n’a été prise en vue de modifier la convention de fiducie distincte relative au régime de Premier ou de fusionner officiellement la fiducie de Premier avec celles établies pour les autres régimes de RCI. Cependant, les modifications prévoyaient que tout surplus qui resterait au moment de la cessation reviendrait à RCI plutôt qu’aux participants. Les intimés affirment que la fusion était un moyen d’utiliser le surplus du régime de Premier pour compenser les déficits de certains autres régimes fusionnés.

67 Conformément aux dispositions de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, L.R.C. 1985, ch. 32 (2e suppl.) (« LNPP »), et de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), le régime de retraite issu de la fusion (le régime de RCI) a été agréé auprès du surintendant et de l’Agence des douanes et du revenu du Canada.

68 En 1995, les intimés ont intenté contre RCI une action dans laquelle ils sollicitaient diverses formes de réparation, dont un jugement déclarant illégale la fusion du régime de Premier avec d’autres régimes qui était à l’origine du régime de RCI, ainsi que la restitution de la somme retirée de la fiducie. Le procès a eu lieu en 1998, et la fusion a été jugée légale. Le juge de première instance a conclu que les participants avaient droit aux avantages qui leur avaient été promis dans le cadre du régime initial et notamment à tout surplus qui existerait au moment de la cessation du régime fusionné : (1998), 54 B.C.L.R. (3d) 125. Le 11 janvier 2001, la Cour d’appel a confirmé la conclusion selon laquelle la fusion était valide, mais elle a jugé que la fusion des régimes de retraite n’avait aucun effet sur la fiducie de Premier qui continuait d’exister comme une entité distincte. La cour a ordonné que [traduction] « les participants au régime de Premier soient libres d’engager devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique des procédures destinées à mettre fin à la fiducie de Premier en se fondant soit sur la règle de Saunders c. Vautier soit sur la Trust and Settlement Variation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 463, dans la mesure où l’une ou l’autre pourra s’appliquer ». La Cour d’appel a décidé que RCI n’avait aucun « intérêt » dans la fiducie et qu’il n’était donc pas nécessaire d’obtenir son consentement selon la règle de Saunders c. Vautier (voir Buschau no 1). Avant le prononcé du jugement, RCI a remboursé la partie du surplus qu’elle avait retirée. Bien que la décision de la Cour d’appel sur cette question ne soit pas portée en appel, je tiens à souligner au départ qu’il ne fait aucun doute que la conclusion tirée par cette cour dans l’arrêt Buschau no 1, selon laquelle le régime (et la caisse) et la fiducie peuvent être dissociés et traités séparément, est en grande partie à l’origine des difficultés qui se posent dans le présent pourvoi.

69 Le 24 mai 2001, les intimés ont demandé à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique de rendre une ordonnance mettant fin à la fiducie de Premier. Cette requête a marqué le début de la présente instance. Les intimés sollicitaient notamment une ordonnance enjoignant [traduction] « de mettre fin au régime de retraite de Premier ou, subsidiairement, au surplus du régime de retraite de Premier ».

70 La juge Loo a entendu la requête en deux étapes. En novembre 2001, au terme de la première audition, elle a conclu que la question de l’applicabilité de la règle de Saunders c. Vautier avait été tranchée dans la décision antérieure de la Cour d’appel, et que la règle s’appliquait. Elle a ordonné à RCI de fournir aux intimés les renseignements sur le régime [traduction] « qui leur permettront d’obtenir les consentements requis pour mettre fin au régime » ((2002), 100 B.C.L.R. (3d) 327, 2002 BCSC 624, par. 12 et 33).

71 Le 7 janvier 2003, les intimés se sont présentés à la cour munis des consentements signés par les 144 participants au régime. Toutefois, ils n’avaient pas obtenu le consentement d’environ 25 des bénéficiaires que les participants avaient désignés conformément aux dispositions du régime. Les intimés ne pouvaient pas invoquer la règle de Saunders c. Vautier pour mettre fin à la fiducie de Premier parce qu’elle exige le consentement de tous les bénéficiaires éventuels. Ils ont donc demandé à la cour de consentir à la cessation au nom des bénéficiaires désignés, conformément à l’art. 1 de la Trust and Settlement Variation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 463.

72 Dans des motifs déposés le 1er mai 2003 ((2003), 13 B.C.L.R. (4th) 385, 2003 BCSC 683), la juge Loo a décidé que les intimés avaient le droit de mettre fin à la fiducie de Premier, et a donné, au nom des bénéficiaires désignés, le consentement de la cour à cette cessation.

73 Le 20 février 2004, la juge Newbury a déposé des motifs de jugement au nom de la Cour d’appel. Elle a conclu ceci, aux par. 11 et 22 de l’arrêt Buschau no 2 :

a) la juge Loo a commis une erreur en décidant que la question de l’applicabilité de la règle de Saunders c. Vautier avait été tranchée dans le jugement antérieur de la Cour d’appel. Elle a cependant eu raison de conclure que cette règle s’appliquait;

b) les intimés n’avaient pas le droit de mettre fin à la fiducie de Premier en application de la règle de Saunders c. Vautier parce qu’ils n’avaient pas obtenu le consentement de tous les bénéficiaires désignés;

c) la juge Loo a commis une erreur en décidant que, aux termes de la Trust and Settlement Variation Act, la cour avait compétence pour consentir à la cessation de la fiducie de Premier au nom de bénéficiaires désignés ayant la capacité juridique;

d) RCI ne pouvait pas rouvrir le régime de Premier à de nouveaux participants [traduction] « étant donné que, dans les circonstances particulières de la présente affaire, ce n’était pas une mesure que cet employeur pouvait prendre de bonne foi eu égard aux bénéficiaires existants ».

74 La cour a conclu que « normalement » l’appel serait accueilli, mais qu’en l’espèce elle attendrait pendant trois mois avant de rendre jugement afin que les intimés puissent, comme elle le proposait, révoquer les désignations de bénéficiaires existants (qui n’étaient pas devant elle), obtenir d’autres consentements et présenter d’autres arguments (par. 11 et 103).

75 La Cour d’appel a, par la suite, reçu des requêtes en jugement déposées par RCI et les intimés. Dans une ordonnance rendue le 18 mai 2004 dans l’arrêt Buschau no 3, elle a conclu que l’appel devait être accueilli, mais elle a notamment ajouté ceci par voie d’ordonnance :

[traduction]

LA COUR ORDONNE que l’appel soit accueilli, que l’ordonnance de la juge Loo soit annulée et que la requête fondée sur la Trust and Settlement Variation Act soit rejetée;

LA COUR DÉCLARE EN OUTRE que l’appelante, Rogers Communications Inc. (« RCI »), n’a dans la fiducie aucun « intérêt » qui, selon Saunders c. Vautier, rendrait nécessaire son consentement à la cessation;

LA COUR DÉCLARE que, pourvu que tous les participants et toutes les personnes actuellement désignées comme bénéficiaires aient donné leur consentement à la cessation de la fiducie, les requérants seront libres d’invoquer la règle de Saunders c. Vautier;

. . .

LA COUR DÉCLARE EN OUTRE que RCI ne peut modifier le régime de retraite de Premier pour permettre l’adhésion de nouveaux participants.

76 Dès le 31 mars 2002, la part de l’actif de la fiducie principale attribuée à la fiducie de Premier représentait environ 11 millions de dollars de plus que la provision actuarielle au titre des participants au régime de Premier (mémoire de RCI, par. 24).

77 La Cour d’appel a en outre décidé que la fiduciaire devrait s’assurer que les conditions de la règle de Saunders c. Vautier avaient été remplies et que toutes les exigences légales avaient été respectées avant de procéder à la répartition. La fiduciaire pouvait, au besoin, présenter une demande de directives fondée sur l’art. 86 de la Trustee Act, R.S.B.C. 1996, ch. 464. Étant donné qu’il pouvait être mis fin à la fiducie en vertu de la règle de Saunders c. Vautier même, la cour a également rejeté l’argument selon lequel une instance fondée sur la Trust and Settlement Variation Act serait nécessaire (Buschau no 3).

78 Lors de l’audition du présent pourvoi le 15 novembre 2005, notre Cour a demandé aux parties de présenter d’autres observations écrites concernant l’interaction de la règle de Saunders c. Vautier avec la LNPP. Cette décision a été prise à la suite d’une discussion entre différents membres de la Cour et avocats au sujet des conflits possibles entre cette règle et la LNPP. J’ajouterais également que Trust National avait exprimé les mêmes préoccupations dans son mémoire.

3. Analyse

79 La LNPP est un régime législatif complet conçu pour favoriser la réalisation de l’objectif de politique générale d’amélioration de la sécurité financière des travailleurs au moment où ils quittent les rangs de la population active. Conjuguée au Règlement de 1985 sur les normes de prestation de pension, DORS/87‑19, elle facilite les cotisations de retraite des travailleurs et des employeurs, protège et préserve les caisses de retraite et maximise les prestations de retraite, tout cela dans le but d’assurer une sécurité du revenu aux travailleurs retraités.

80 Dans le cadre de ce régime complet, l’art. 29 et le règlement qui s’y rapporte contiennent des dispositions détaillées qui régissent la cessation des régimes de retraite et la répartition de leur actif.

81 Étant donné que le système de régimes de retraite privés est de nature facultative, les employeurs ont généralement le droit de mettre fin à un régime de retraite, y compris celui en cause dans la présente affaire; c’est ce que prévoient la plupart des documents relatifs à ces régimes. Ce droit est reconnu par le par. 29(5) LNPP, qui renvoie à l’intention de l’administrateur d’un régime de pension (qui, dans la plupart des cas, est l’employeur) de mettre fin à un régime de retraite. Toutefois, le surintendant est également habilité à mettre fin à des régimes de pension dans certaines autres situations précises. Il a le pouvoir de révoquer l’agrément d’un régime de pension pour défaut de se conformer à des directives (art. 11.1). Le surintendant peut donner des directives s’il est d’avis qu’un administrateur ou un employeur agit d’une manière « contrair[e] aux bonnes pratiques du commerce » (par. 11(1)), ou s’il estime qu’un régime de pension ou la gestion de celui‑ci n’est pas conforme à la LNPP ou aux règlements (par. 11(2)). Si l’agrément est révoqué, le régime est réputé avoir pris fin (par. 29(1)).

82 Outre la présomption de cessation qui résulte de la révocation de l’agrément d’un régime, le par. 29(2) mentionne trois autres cas où le surintendant a le pouvoir d’ordonner directement la cessation d’un régime. Le surintendant peut exercer ce pouvoir lorsqu’il y a eu a) suspension ou arrêt de paiement des cotisations patronales, b) abandon des secteurs d’activité de l’employeur ou c) omission de l’employeur de cotiser au régime conformément aux normes de solvabilité réglementaires. Dans chaque cas, le pouvoir vise des cas où la sécurité des prestations de retraite promises est menacée.

83 Cela est compatible avec le texte législatif régissant le Bureau du surintendant, qui précise que le Bureau poursuit, à l’égard des régimes de pension, les objectifs suivants : a) superviser les régimes de pension pour s’assurer du respect des exigences minimales de capitalisation et des autres exigences de la mesure législative; b) en cas de non‑respect de ces exigences, aviser l’administrateur et prendre les mesures nécessaires pour corriger la situation, ou forcer l’administrateur à les prendre; c) inciter les administrateurs à se doter de politiques et de procédures pour contrôler et gérer le risque (voir la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières, L.R.C. 1985, ch. 18 (3e suppl.), partie I). Il ressort des objectifs légaux du Bureau que la supervision assurée par le surintendant porte principalement sur les questions touchant la solvabilité ou la situation financière des régimes de pension. Il convient de noter ici que Trust National invoque la LNPP dans son pourvoi, en faisant valoir au par. 70 de son mémoire, que [traduction] « [l]e jugement de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique va à l’encontre du régime législatif et confie au fiduciaire le rôle que la loi assigne à l’administrateur et au surintendant. »

84 Aucune disposition de la LNPP ne permet aux bénéficiaires d’un régime de retraite de mettre fin à ce régime. De plus, aucune disposition de la LNPP ne permet à quiconque (employeur, administrateur, fiduciaire, surintendant, participants au régime ou autres bénéficiaires) de mettre fin à la fiducie en vertu de laquelle les cotisations à la caisse de retraite sont détenues à titre de garantie du versement des prestations du régime, avant la cessation du régime et indépendamment de celle‑ci. Les bénéficiaires peuvent demander au surintendant d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 29(2), mais le pouvoir du surintendant de mettre fin à un régime ne peut être exercé que si les conditions préalables énoncées sont remplies. Le surintendant n’a aucun pouvoir discrétionnaire général de mettre fin à des régimes de retraite.

85 La LNPP définit le terme « cessation » comme étant la cessation d’un régime de pension dans le cas où il n’est plus porté de droits à prestation en faveur des participants (par. 2(1)). Une distinction est établie entre la cessation d’un régime de pension et sa « liquidation », qui désigne la répartition de l’actif d’un régime de pension à la suite de sa cessation. La LNPP prévoit que l’actif de la caisse de retraite ne peut être réparti qu’une fois que le surintendant a approuvé le rapport déposé par l’administrateur lors de la cessation du régime. Ce rapport doit exposer la nature des prestations à verser au titre du régime et décrire les méthodes d’affectation et de répartition de celles‑ci (par. 29(9) et (10)).

86 Une question importante dans le présent pourvoi est de savoir si la cessation du régime doit logiquement précéder la cessation de la fiducie. Selon RCI, le jugement de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique va à l’encontre du régime législatif en autorisant les bénéficiaires du régime de Premier à mettre fin à la fiducie et à en répartir l’actif, qui était détenu à titre de garantie du versement des prestations de retraite accumulées en vertu du régime, en dehors du régime législatif et avant la cessation du régime de retraite lui‑même. Elle fait valoir ceci au par. 18 de son mémoire supplémentaire :

[traduction] Lorsqu’il a édicté la LNPP de 1985, le législateur a voulu établir un régime complet à l’égard des questions de réglementation des régimes de retraite, y compris les circonstances de leur cessation ainsi que la liquidation et la répartition de l’actif détenu dans les caisses de retraite. S’il avait songé à accorder aux participants à ces régimes des droits additionnels de procéder, de leur propre initiative, à la cessation des fiducies de retraite et à la répartition de l’actif des régimes, il l’aurait fait.

87 Aucune des raisons, prévues par la Loi, de mettre fin à un régime de retraite ne semblerait exister en l’espèce. Le régime de Premier est entièrement capitalisé, et la solvabilité du régime et la sécurité des prestations de retraite ne sont pas compromises. Personne ne conteste que le régime de RCI est géré d’une manière contraire aux bonnes pratiques du commerce ou non conforme aux exigences de la mesure législative.

88 RCI a suspendu ses cotisations au régime. Toutefois, ces périodes d’exonération de cotisations sont autorisées par les modalités du régime et ont été approuvées par les tribunaux. La mention de « la suspension ou l’arrêt de paiement des cotisations patronales », à l’al. 29(2)a) LNPP, doit être interprétée comme visant les cas où l’employeur n’effectue pas les cotisations requises. Elle ne vise pas les périodes d’exonération de cotisations pendant lesquelles l’employeur est dispensé d’effectuer des cotisations en raison de l’existence d’un surplus dans le régime.

3.1 L’applicabilité de la règle de Saunders c. Vautier

89 RCI reconnaît qu’il peut y avoir des cas où il convient d’appliquer les principes de common law en matière de fiducie pour résoudre les questions relatives aux régimes de retraite qui n’ont pas été directement abordées dans la mesure législative. Je partage cet avis. Tel est le point de vue qui a été adopté dans l’affaire Schmidt au sujet de la propriété d’un surplus à la cessation d’un régime de retraite. Dans cette affaire, on a reconnu qu’il existait une question non résolue par la loi et que les dispositions de la loi en cause ne fournissaient aucun indice de l’intention législative à cet égard. RCI fait cependant valoir qu’en l’espèce l’art. 29 contient des dispositions détaillées qui régissent les circonstances dans lesquelles il peut être mis fin à des régimes de retraite, et la manière dont cela peut être fait. Elle conclut que cette question est [traduction] « entièrement régie » par la mesure législative et il n’y a pas lieu d’appliquer une règle de common law.

90 Contrairement à ce qu’affirme la Cour d’appel aux par. 1 et 2 de l’arrêt Buschau no 1, les fiducies de retraite ne sont pas des fiducies classiques. Dans les fiducies de régime de retraite d’employés, il existe un rapport juridique entre les parties indépendamment de la fiducie et des obligations permanentes de l’administrateur. En l’espèce, compte tenu des modalités mêmes du régime (voir la Septième règle générale, section 2), il n’y a aucun droit à un surplus actuariel pendant que le régime est en vigueur. Comme l’a affirmé la Cour d’appel, la convention de fiducie et le régime forment un [traduction] « tout » (Buschau no 2, par. 13). Il s’agit en outre d’un régime à prestations déterminées, c’est‑à‑dire d’un régime entièrement capitalisé par l’employeur, o— les participants ont un intérêt en equity dans l’actif de la fiducie, un droit personnel d’exiger du fiduciaire qu’il gère correctement l’actif de la fiducie et un intérêt éventuel dans l’actif de la fiducie qui subsiste à la cessation du régime s’ils sont vivants et participants à la date de la cessation. L’employeur assume le risque lié à un tel régime; lorsque les taux d’intérêt et le rendement des investissements sont élevés, un surplus est réalisé, et lorsque l’économie fluctue, il en résulte souvent un passif non capitalisé. L’objectif est d’exiger de l’employeur des cotisations suffisantes pour assurer le versement des prestations déterminées durant de longues périodes en dépit des fluctuations du marché. Permettre la cessation du régime lorsqu’un surplus a été réalisé, sans égard aux modalités du régime, n’est pas compatible avec son objet ou avec le régime législatif applicable. Le contrat prévoyait clairement l’existence continue d’un régime doté d’une caisse permanente; il n’était pas possible de gérer séparément la caisse en « fermant » le régime de Premier. Il est donc erroné d’inférer que la règle de Saunders c. Vautier peut avoir pour effet de créer une façon de réaliser le surplus actuariel (la caisse) contrairement aux modalités du régime. Dans le cas du présent régime de retraite, il ne pouvait y avoir de droit absolu au surplus qu’une fois le surplus devenu réel, c’est‑à‑dire une fois qu’il aurait été mis fin au régime et à la fiducie. Cela s’explique par le fait que les participants ont seulement un intérêt éventuel dans le surplus de la fiducie, qui n’est dévolu qu’à la cessation du régime. Cela est renforcé par l’énoncé figurant à la p. 655 de l’arrêt Schmidt, selon lequel « [à] la cessation du régime, le surplus actuariel devient un surplus réel et est dévolu aux employés bénéficiaires » (je souligne) (voir aussi p. 654). Par conséquent, la règle de Saunders c. Vautier ne peut pas être invoquée en l’espèce étant donné qu’elle exige que les bénéficiaires qui sollicitent la cessation anticipée possèdent tous les intérêts dévolus et non éventuels dans le capital de la fiducie : voir D. W. M. Waters, M. R. Gillen et L. D. Smith, dir., Waters’ Law of Trusts in Canada (3e éd. 2005), p. 1178. Il s’agit donc de savoir si la cessation du présent régime peut se produire en dehors du cadre établi par la LNPP. La Cour d’appel a estimé que l’arrêt Schmidt avait reconnu implicitement que la règle de Saunders c. Vautier pouvait s’appliquer indépendamment de la LNPP et de tout contrat. La véritable question est de savoir si, en l’espèce, le droit des fiducies peut effectivement l’emporter sur le contrat et la loi applicable (Buschau no 2).

91 Il importe de tenir compte des modalités établies dans les documents relatifs au régime et à la fiducie. Comme je l’ai déjà dit, elles ne sont pas distinctes. Les modalités du régime sont très particulières et quelque peu différentes de celles des régimes adoptés au cours d’années subséquentes. En particulier, l’art. V(1) de la convention de fiducie réserve à l’employeur

[traduction] le droit de modifier, à tout moment, en totalité ou en partie, les dispositions du régime (dont la [. . .] convention [de fiducie]) pourvu qu’aucune modification touchant les droits, les obligations, la rémunération ou les responsabilités du fiduciaire ne soit effectuée sans son consentement et pourvu également que, sauf avec l’approbation du ministre du Revenu national, aucune modification n’autorise ou ne permette qu’une partie de la [fiducie] soit utilisée ou affectée à d’autres fins que le bénéfice exclusif des personnes et de leur succession, qui peuvent à l’occasion être désignées dans le régime ou conformément à celui‑ci. . .

La Cinquième règle générale permettait à l’employeur, sans l’y obliger, d’accorder d’autres prestations de retraite ou droits à des prestations de retraite aux participants au régime, retraités ou non, si le régime affichait un surplus actuariel. La Sixième règle générale permettait aux participants de désigner un bénéficiaire et de modifier ou de révoquer légalement cette désignation. La Septième règle générale conférait à l’employeur le droit d’amender, de modifier ou de changer le régime, pourvu que les changements ne portent pas atteinte à certains droits ou avantages des participants. Elle accordait également à l’employeur le droit de mettre fin au régime, si nécessaire. Elle précisait en outre ceci :

[traduction] En cas de cessation du régime, les prestations versées aux participants retraités seront maintenues conformément aux modalités et aux dispositions du régime. Après que toutes les dettes envers les participants retraités auront été acquittées, le comité répartira entre les autres participants l’actif restant de la caisse en fiducie, conformément aux dispositions de l’article 12 de la Loi sur les normes de prestation de pension.

92 Le régime prévoit donc clairement que c’est l’employeur qui peut modifier le régime et y mettre fin, et que l’employeur s’attend à ce que le régime et la fiducie subsistent indéfiniment. Dans ces circonstances, ni RCI ni les participants au régime ne pouvaient raisonnablement s’attendre à ce qu’en dépit des objections de RCI les participants puissent mettre fin à la fiducie afin de pouvoir toucher le surplus. L’application de la règle de Saunders c. Vautier irait à l’encontre des attentes contractuelles raisonnables des parties du fait que les bénéficiaires qui peuvent mettre fin à une fiducie en application de cette règle peuvent, avec le consentement des fiduciaires, convenir collectivement d’en modifier les modalités. La règle permettrait aux participants à un régime de retraite d’en modifier unilatéralement les modalités sans le consentement de l’employeur.

93 Il est également très important de tenir compte du contexte législatif des régimes de retraite modernes. Il semblerait que, dans la décision qu’elle a rendue en 2003, la juge Loo n’a pas tenu compte des dispositions de la LNPP relatives à la cessation, mais a appliqué la Trust and Settlement Variation Act alors qu’il fallait contourner la difficulté d’obtenir tous les consentements requis selon la règle de Saunders c. Vautier. Dans l’arrêt Buschau no 3, la Cour d’appel a souligné que l’application de cette règle pouvait entraîner la cessation du régime si toutes ses conditions préalables étaient remplies, indépendamment du régime législatif et, en particulier, du par. 29(9) qui prévoit que, lors de la cessation d’un régime, l’administrateur doit déposer auprès du surintendant un rapport

exposant la nature des prestations de pension ou autres à servir au titre du régime, les méthodes d’affectation et de répartition de celles‑ci et établissant les priorités de paiement des prestations intégrales ou partielles aux participants.

94 Cela signifie que la règle de Saunders c. Vautier permettrait de mettre fin au régime et à la fiducie de retraite sans la participation de l’employeur en tant qu’administrateur du régime et sans l’approbation du surintendant. La seule explication logique de cette conclusion est que la Cour d’appel avait reconnu que la fiducie était indépendante du régime et pouvait être examinée uniquement en fonction de ses propres modalités, en dépit du fait notamment que la LNPP (et les modalités du régime énoncées à l’art. IX(3)) accordait des protections spéciales aux époux et aux conjoints de fait. Il n’était pas possible de faire totalement abstraction des modalités du régime. Au paragraphe 54 de l’arrêt Buschau no 2, la Cour d’appel semble reconnaître que la fiducie et le régime forment un [traduction] « tout », mais elle conclut néanmoins que ce tout est assujetti aux principes du droit des fiducies et à la [traduction] « disparition » des droits et pouvoirs de l’employeur qui résulterait de la seule initiative des participants au régime. Cela est très différent de la décision d’appliquer la règle uniquement en l’absence de conflit avec le régime législatif, comme ce fut le cas dans l’affaire Schmidt. À mon avis, on ne peut faire abstraction du rôle unique que l’employeur joue à l’égard du régime et de la fiducie de retraite, et on ne peut se soustraire aux clauses du contrat à l’origine de la fiducie. On ne peut pas non plus faire perdre toute pertinence au cadre législatif en appliquant la règle de Saunders c. Vautier.

95 Dans le cadre de l’appel interjeté par Trust National, il faut prêter une attention particulière au par. 8(3) LNPP, dont voici le texte :

8. . . .

(3) L’administrateur d’un régime de pension gère le régime et le fonds de pension en qualité de fiduciaire de l’employeur, des participants actuels ou anciens et de toutes autres personnes qui ont droit à des prestations de pension ou à des remboursements au titre du régime.

Il est clair qu’un tribunal n’a pas le pouvoir d’assigner à Trust National les responsabilités de l’administrateur et du surintendant contrairement au régime législatif qui a établi un processus de cessation de régime de retraite. Mais en l’espèce, je crois que la Cour d’appel s’est trouvée à définir un rôle pour Trust National à la lumière de la distinction qu’elle avait établie entre la cessation du régime et celle de la fiducie, selon laquelle seule la cessation du régime était assujettie aux modalités du régime et aux dispositions de la LNPP.

96 L’objectif de politique sociale qui sous‑tend la mesure législative est de favoriser l’établissement et le maintien de régimes de retraite privés afin d’assurer une sécurité du revenu aux employés retraités et à leurs familles. Comme notre Cour l’a reconnu dans l’arrêt Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), [2004] 3 R.C.S. 152, 2004 CSC 54, par. 38, les lois modernes en matière de retraite sont des lois d’intérêt public qui reconnaissent « l’importance cruciale de la sécurité du revenu à long terme ». Les dispositions en matière de « blocage » et de transférabilité de même que celles relatives à la cessation et à la liquidation ont toutes pour objectif d’assurer la sécurité du revenu de retraite. Cela n’est pas compatible avec la façon dont la Cour d’appel applique la règle de Saunders c. Vautier en l’espèce, laquelle repose sur un objectif de politique générale complètement différent.

97 L’introduction, sans aucune réserve ni restriction, de la règle de Saunders c. Vautier dans le système des régimes de retraite privés constituerait une atteinte très importante au droit de l’employeur de choisir de son propre gré d’offrir ou de maintenir un régime de retraite. L’employeur qui, pour des raisons liées au marché du travail, songe à établir et à maintenir un régime de retraite pour ses employés à cause des avantages commerciaux qu’il comporte sera peut‑être moins porté à le faire si les participants et autres bénéficiaires d’un régime établi pour ces raisons peuvent y mettre fin unilatéralement sans tenir compte de ses propres intérêts commerciaux. Dans ces circonstances, le « juste et délicat équilibre entre les intérêts de l’employeur et ceux de l’employé » (Monsanto Canada, par. 24) sera rompu d’une manière contraire à l’objectif législatif consistant à encourager l’établissement et le maintien de régimes de retraite privés.

98 La règle de Saunders c. Vautier exige le consentement de toutes les parties qui ont un intérêt dans les biens en fiducie ou qui possèdent des droits de jouissance sur ceux‑ci. La Cour d’appel a conclu que la règle pouvait s’appliquer avec le consentement de tous les participants (qui, selon elle, étaient sûrement censés inclure les participants anciens) au régime de Premier et des personnes qui sont maintenant des bénéficiaires désignés (Buschau no 2). Cependant, l’art. 22 LNPP prévoit qu’en l’absence de renonciation écrite, en la forme réglementaire, toute prestation de pension versée après le 1er janvier 1987 à un participant actuel ou ancien qui a, à la date du premier versement, un époux ou un conjoint de fait doit être une prestation réversible, ce qui permet à l’époux ou au conjoint survivant de recevoir une prestation équivalant à au moins 60 pour 100 de la prestation réversible. Cette exigence se reflète dans les modalités du régime de Premier (art. IX(3)). L’ajout de prestations de survivant constituait un choix de politique générale du législateur qu’il faut respecter. Ces droits conférés par la loi ne peuvent être écartés ni par le consentement des participants au régime et autres bénéficiaires actuels, ni par les tribunaux. L’alinéa lb) de la Trust and Settlement Variation Act n’est pas plus utile. Les époux et conjoints de fait actuels qui ont présentement un intérêt éventuel sont juridiquement autonomes. Par conséquent, ils pourraient donner leur consentement à la cessation du régime et la cour n’a pas le pouvoir de consentir en leur nom, sauf s’ils sont frappés d’incapacité juridique.

99 Le cas des intérêts des futurs époux et conjoints de fait, dont le consentement à la cessation serait également nécessaire selon la règle de Saunders c. Vautier, est plus problématique parce qu’il est impossible d’obtenir directement leur consentement et que demander à la Cour de consentir en leur nom soulèverait de graves questions. RCI fait remarquer, au par. 37 de son mémoire supplémentaire, que [traduction] « la cour ne peut consentir au nom d’un bénéficiaire que si la modification que l’on propose d’apporter à la fiducie est dans l’intérêt de cette partie. Il est difficile d’imaginer une situation où la cessation d’une fiducie de retraite serait dans l’intérêt des futurs époux ou conjoints de fait. » Consentir à la cessation du régime au nom de futurs époux et conjoints de fait non identifiables ne serait probablement pas dans leur intérêt. Si on permettait aux participants au régime qui ne sont pas actuellement mariés ou en union de fait de mettre fin au régime et de toucher le surplus, mais que ceux‑ci venaient ensuite à se marier ou à vivre en union de fait, leurs futurs époux ou conjoints de fait ne jouiraient pas du droit conféré pas la loi à la prestation réversible qu’ils posséderaient si le régime avait continué d’exister. Ainsi, même si cela était suffisant, le consentement valide à la cessation du régime que tous les bénéficiaires éventuels doivent donner pour que les conditions préalables de la règle de Saunders c. Vautier soient remplies n’a pas été et ne peut pas être obtenu en l’espèce; qui plus est, s’il est vrai que les époux et les conjoints de fait actuels des participants au régime sont en mesure de consentir à la cessation, les futurs époux et conjoints de fait actuellement non identifiables ne peuvent le faire, et un tribunal hésiterait probablement à consentir en leur nom.

100 Pour ces motifs, je suis d’avis de conclure que la règle de Saunders c. Vautier ne s’applique pas en l’espèce et que toute demande relative à la cessation du régime et de la fiducie doit être examinée conformément aux modalités du régime et aux dispositions de la LNPP. L’idée des intimés, selon laquelle l’action fondée sur la règle de Saunders c. Vautier est justifiée par l’absence dans la LNPP d’une procédure qui permettrait aux participants de mettre fin unilatéralement au régime, ne peut pas être retenue. Cette règle ne s’applique tout simplement pas. Les droits des participants sont déterminés par le régime lui‑même et la LNPP; comme nous l’avons vu, ni les modalités du régime lui‑même ni les dispositions de la LNPP n’accordent aux participants le droit de mettre fin au régime. En l’espèce, les participants n’ont tout simplement pas le droit de mettre fin unilatéralement au régime.

3.2 La question de la bonne foi

101 La Cour d’appel a statué, au par. 61 de l’arrêt Buschau no 2, que l’obligation de bonne foi de l’employeur empêchait RCI de modifier le régime et la fiducie pour permettre l’adhésion de nouveaux participants, qui avait été interdite en 1984; elle a rattaché cela à ce qu’elle a qualifié de [traduction] « stratagème » que RCI avait employé quelques années auparavant pour bénéficier du surplus actuariel et qui avait consisté à fusionner différents régimes de retraite. La Cour d’appel s’est ensuite livrée à une analyse de l’« intérêt » de l’employeur dans le régime et la fiducie.

102 Il est tout à fait évident que toute l’analyse de la bonne foi avait trait au comportement équitable en tant qu’administrateur du régime. RCI maintient que les régimes de retraite fermés ou la décision de rationaliser la capitalisation et le versement de prestations à la suite de fusions n’ont rien d’inhabituel. À son avis, le projet de création d’un régime de retraite intégré constituait une décision d’affaires rationnelle qui ne devrait soulever aucune question de bonne foi si elle respecte les paramètres fixés par les modalités du régime. RCI plaide l’absence de stratagème et ajoute qu’il n’est question que de l’exercice d’un pouvoir de modification dans le contexte — ce qui est fondamental — d’un régime à prestations déterminées. Selon RCI, [traduction] « l’analyse de la bonne foi concernant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dans un contexte contractuel commence par un examen minutieux des attentes contractuelles raisonnables des parties » (mémoire, par. 75). L’obligation de bonne foi interdit d’agir d’une manière [traduction] « calculée ou susceptible de détruire ou de compromettre gravement le rapport de confiance entre l’employeur et l’employé », à moins que l’employeur n’ait un « motif raisonnable et valable » de le faire (par. 80, citant la décision Imperial Group Pension Trust Ltd. c. Imperial Tobacco Ltd., [1991] 2 All E.R. 597 (Ch. D.), p. 606). Les intimés rejettent le point de vue contractuel et affirment qu’aucun acte de l’employeur ne devrait compromettre ou affaiblir les droits que leur confère le régime; les principes d’equity devraient s’appliquer. Je ne crois pas nécessaire d’arbitrer ce débat. Le paragraphe 8(10) LNPP donne des indications suffisantes. En raison du contexte particulier des régimes de retraite, l’employeur qui gère un tel régime pour le compte de ses employés doit toujours en respecter l’esprit, l’objet et les modalités; l’employeur doit toujours se comporter de manière à préserver les prestations de retraite des employés et non de manière à les réduire, à les compromettre ou à les éliminer (voir la décision Imperial Group).

103 Il me semble clair que la conclusion de la Cour d’appel sur la question de la bonne foi était fondée sur sa décision antérieure selon laquelle la modification priverait les bénéficiaires de la fiducie de Premier de leur droit d’y mettre fin en application de la règle de Saunders c. Vautier. Je suis arrivé à la conclusion que les intimés ne peuvent se fonder sur cette règle pour mettre fin à la fiducie. Toutefois, il est évident que les parties ne pouvaient pas faire abstraction de l’arrêt Buschau no 1 de la Cour d’appel. — la suite de cette décision, une comptabilité distincte était requise pour la fiducie de Premier. RCI a alors envisagé la possibilité de rendre le régime accessible à de nouveaux participants de manière à pouvoir intégrer dans le régime de Premier les employés qui se trouvaient dans la même situation mais qui participaient à des régimes non contributifs à prestations déterminées. C’est ce que la Cour d’appel a rejeté. Son raisonnement repose toutefois sur l’idée qu’on avait promis aux participants au régime, en plus de leurs prestations de retraite, le droit de demander la répartition du surplus de la fiducie s’ils satisfaisaient aux conditions de la règle de Saunders c. Vautier. La décision concernant la mauvaise foi ne peut être maintenue si elle est dénuée de fondement. Selon moi, RCI n’a pas été déchue de ses pouvoirs de modification ni empêchée de les exercer en raison de la fermeture du régime. La cessation et la modification du régime doivent être examinées en fonction de ses modalités et des dispositions applicables de la LNPP. Ce sont là les seuls critères qui doivent servir à déterminer ce qui, dans l’emploi que l’on entend faire de l’actif du régime de Premier au profit des employés actuels et futurs de RCI, constituerait un abus du pouvoir de l’employeur ou contreviendrait par ailleurs aux normes sociales de raisonnabilité. Essentiellement, la question de savoir ce qui est permis et ce qui est abusif devra donc être tranchée, dans toute instance future, en fonction de la norme énoncée à l’al. 8(10)b) LNPP, qui précise que « [l]’employeur qui est l’administrateur, conformément à l’alinéa 7(1)c), doit, s’il y a un conflit d’intérêts sérieux entre les fonctions qu’il exerce à ce double titre [. . .] b) agir de façon à servir les intérêts des participants. »

4. Dispositif

104 Le pourvoi est accueilli et l’ordonnance de la Cour d’appel est annulée, avec dépens devant toutes les cours pour RCI et devant notre Cour pour Trust National.

Pourvoi accueilli.

Procureurs de l’appelante/intimée Rogers Communications Inc. : Nathanson, Schachter & Thompson, Vancouver.

Procureurs de l’appelante/intimée la Compagnie Trust National : Blake, Cassels & Graydon, Vancouver.

Procureurs des intimés Sandra Buschau et autres : Laxton & Company, Vancouver.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Pensions - Régime de retraite - Fiducie - Cessation - Régime de retraite indiquant que, en cas de cessation, le surplus de la fiducie sera réparti entre les participants au régime de retraite restants - Régime de retraite et convention de fiducie ne prévoyant pas que les participants au régime de retraite peuvent mettre fin à la fiducie - Les participants peuvent‑ils invoquer la règle de Saunders c. Vautier pour mettre fin à la fiducie? - Ont‑ils un recours en vertu de la loi fédérale sur les normes de prestation de pension? - Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, L.R.C. 1985, ch. 32 (2e suppl.), art. 29(2), (11).

Les personnes intimées sont des participants à un régime de retraite (« régime »). Le régime et la fiducie des employés d’une compagnie dont RCI a fait l’acquisition en 1980 ont été établis en 1974 sous la forme d’un régime à prestations déterminées capitalisé uniquement par l’employeur. Ce régime prévoyait que, en cas de cessation, le surplus de la caisse en fiducie serait réparti entre les participants restants, mais la convention de fiducie et le régime n’ont jamais prévu que les employés pourraient mettre fin à la fiducie. Le régime en est venu à afficher un important surplus actuariel. En 1981, RCI a modifié le régime de manière à ce que tout surplus qui resterait au moment de la cessation lui revienne et, en 1984, elle a fermé le régime aux nouveaux employés. RCI a commencé à s’accorder des périodes d’exonération de cotisations l’année suivante et a obtenu le remboursement de la somme de 968 285 $ provenant du surplus. En 1992, elle a fusionné le régime rétroactivement avec d’autres régimes de retraite de RCI. Les participants au régime ont intenté une première action contre RCI et la Cour d’appel a conclu (1) que la fusion était valide mais n’avait aucun effet sur la fiducie qui continuait d’exister comme une entité distincte, et (2) qu’il était loisible aux participants d’entamer des procédures destinées à mettre fin à la fiducie en se fondant sur la règle de Saunders c. Vautier, dans la mesure où elle pouvait s’appliquer. Selon cette règle, il est possible de modifier les modalités d’une fiducie ou de mettre fin à la fiducie si les bénéficiaires de la fiducie ayant la pleine capacité juridique y consentent tous. La cour a aussi décidé que les participants conservaient le droit à la répartition du surplus en cas de cessation. Invoquant la règle de common law, les participants ont intenté une deuxième action et ont réussi a obtenir une ordonnance mettant fin au régime. La Cour d’appel a annulé une partie de la décision de la juge en chambre, statuant que la Trust and Settlement Variation Act n’habilitait pas une cour à consentir au nom d’éventuels bénéficiaires juridiquement autonomes. La cour a décidé que les participants seraient libres d’invoquer la règle de common law pourvu que le consentement de tous les participants et bénéficiaires ait été obtenu. Elle a ajouté que RCI ne pouvait pas modifier le régime pour permettre l’adhésion de nouveaux participants. Étant donné que des questions pouvaient se poser au sujet du « processus » de cessation, la fiduciaire devrait s’assurer que toutes les conditions et toutes les exigences légales ont été respectées.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli.

Les juges LeBel, Deschamps, Fish et Abella : Les participants au régime ne peuvent invoquer la règle de Saunders c. Vautier pour mettre fin à la fiducie. Cette règle ne s’intègre pas facilement au contexte des régimes de retraite d’employeurs. Ces régimes sont fortement réglementés. La Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension (« LNPP ») traite abondamment de la cessation des régimes et de la répartition de l’actif, et il ressort clairement de ce texte législatif explicite que le législateur a voulu que ses dispositions supplantent la règle de common law. Dans la mesure où elle prévoit un moyen de parvenir à l’étape de la répartition, la LNPP doit primer la common law. De plus, une fiducie de retraite n’est pas un instrument distinct. En l’espèce, la fiducie fait explicitement partie du régime. On ne peut y mettre fin sans tenir compte du régime pour lequel elle a été créée et de la loi particulière qui s’applique à ce régime. La conclusion que la règle de common law ne s’applique pas généralement aux caisses de retraite traditionnelles est renforcée par le fait que la LNPP établit des mécanismes de protection des participants contre la conduite répréhensible des administrateurs du régime. [2] [27‑33]

La LNPP n’est pas un code exhaustif, mais lorsqu’elle offre un recours aux participants à un régime de retraite, ceux‑ci devraient l’exercer. En l’espèce, les participants au régime veulent mettre fin à la caisse en fiducie et souhaitent que l’actif de la caisse soit réparti entre eux directement, mais le recours dont ils disposent est assujetti aux dispositions de la LNPP. Le surintendant des institutions financières, qui est responsable de l’application de la LNPP, est en mesure de traiter les questions de cessation ou de liquidation. Il peut trancher à la fois des questions de fait et des questions de droit, et les parties peuvent lui faire des recommandations appropriées. Il est aussi le mieux placé pour assurer la cessation ordonnée du régime conformément à la LNPP, qui est une condition préalable de la répartition. Étant donné qu’on a arrêté complètement de payer des cotisations en 1984, le surintendant pourrait considérer qu’il a été mis fin au régime en vertu du par. 29(2), qui ne porte pas uniquement sur des questions de solvabilité, et pourrait décider si les faits justifient la liquidation de la partie du régime de retraite de RCI qui concerne le régime conformément au par. 29(11) LNPP, ce qui aurait pour effet de mettre fin à la fiducie. Bien qu’elles soient légitimes aux fins de capitalisation, les périodes d’exonération de cotisations peuvent néanmoins être jugées illégitimes si elles cachent un refus injustifié de mettre fin à un régime. Il appartient au surintendant, conformément au pouvoir que lui confère l’al. 29(2)a), de déterminer la validité d’une raison donnée pour ne pas mettre fin à un régime de retraite. Il est de son ressort de décider si RCI peut modifier le régime de manière à l’ouvrir à de nouveaux participants. [2] [29] 35-36] [44‑57]

La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache et Charron : La règle de Saunders c. Vautier ne s’applique pas en l’espèce et toute demande relative à la cessation du régime et de la fiducie doit être examinée conformément aux modalités du régime et aux dispositions de la LNPP. [100]

La LNPP est un régime législatif complet qui comporte des dispositions détaillées régissant la cessation des régimes de retraite et la répartition de leur actif. Il reconnaît que les employeurs ont généralement le droit de mettre fin à un régime de retraite, comme c’est le cas en l’espèce, mais il habilite également le surintendant des institutions financières à mettre fin à ces régimes dans des situations précises, y compris celles mentionnées à l’art. 29. La supervision assurée par le surintendant porte principalement sur les questions touchant la solvabilité ou la situation financière d’un régime de retraite. Aucune disposition de la LNPP ne permet aux bénéficiaires d’un régime de mettre fin à un régime de retraite ou à quiconque de mettre fin à une fiducie en vertu de laquelle des cotisations à une caisse de retraite sont détenues à titre de garantie du versement des prestations du régime, avant la cessation du régime et indépendamment de celle‑ci. Les bénéficiaires peuvent demander au surintendant d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 29(2), mais celui‑ci n’a aucun pouvoir discrétionnaire général de mettre fin à des régimes de retraite et ne peut répondre favorablement à une telle demande que si les conditions préalables énoncées sont remplies. Aucune des raisons, prévues par la Loi, de mettre fin au régime n’existe en l’espèce. L’expression « la suspension ou l’arrêt de paiement des cotisations patronales », en ce qui concerne le pouvoir de mettre fin à un régime de retraite que l’al. 29(2)a) confère au surintendant, doit être interprétée comme désignant le défaut de l’employeur d’effectuer les cotisations requises; elle ne vise pas les périodes d’exonération de cotisations pendant lesquelles l’employeur est dispensé d’effectuer des cotisations en raison de l’existence d’un surplus dans le régime. [79‑88]

Du fait que les participants au régime ont seulement un intérêt éventuel dans le surplus de la fiducie, la règle de Saunders c. Vautier ne peut pas être invoquée pour mettre fin à la fiducie. Cette règle exige que les bénéficiaires qui sollicitent la cessation anticipée possèdent tous les intérêts dévolus et non éventuels dans le capital de la fiducie. Les participants n’ont un droit absolu au surplus qu’une fois qu’il a été mis fin au régime et à la fiducie. De plus, la règle de common law exige aussi le consentement de toutes les parties ayant un intérêt dans les biens en fiducie. Étant donné que la LNPP et le régime incluent tous les deux les droits de survivant, ces droits conférés par la loi ne peuvent être écartés ni par le consentement des participants au régime et autres bénéficiaires actuels, ni par les tribunaux. L’alinéa lb) de la Trust and Settlement Variation Act n’est pas plus utile à cet égard. La cour n’a pas le pouvoir de consentir au nom des époux et conjoints de fait actuels qui ont la pleine capacité juridique, ni en celui de futurs époux et conjoints de fait non identifiables, étant donné que la cessation du régime ne serait probablement pas dans leur intérêt. [90] [98‑99]

En l’espèce, le droit des fiducies ne peut pas l’emporter sur le contrat et la loi applicable. L’application de la règle de Saunders c. Vautier irait à l’encontre des attentes contractuelles raisonnables des parties étant donné que les modalités du régime ne permettent pas aux participants de s’attendre raisonnablement à ce qu’en dépit des objections de RCI ils puissent mettre fin à la fiducie de manière à pouvoir toucher le surplus. Un tel résultat permettrait aux participants à un régime de retraite d’en modifier les modalités sans le consentement de l’employeur. L’application de la règle de common law ne tiendrait pas compte du rôle unique que l’employeur joue à l’égard du régime et de la fiducie, contournerait les clauses du contrat à l’origine de la fiducie et ferait perdre toute pertinence au cadre législatif. En particulier, son application ne tiendrait pas compte du par. 29(9) et permettrait de mettre fin au régime et à la fiducie sans la participation de l’employeur en tant qu’administrateur du régime et sans l’approbation du surintendant. Enfin, l’introduction de la règle de Saunders c. Vautier dans le système des régimes de retraite privés romprait le juste et délicat équilibre entre les intérêts de l’employeur et ceux de l’employé, et contreviendrait à l’objectif législatif consistant à encourager l’établissement et le maintien de régimes de retraite privés. [92‑94] [97]

Un tribunal n’a pas le pouvoir d’assigner à la fiduciaire les responsabilités de l’administrateur et du surintendant contrairement au régime législatif qui a établi un processus de cessation de régime de retraite. [95]

RCI n’a pas été déchue de ses pouvoirs de modification ni empêchée de les exercer en raison de la fermeture du régime. La cessation et la modification du régime doivent être examinées en fonction des dispositions applicables du régime et de la LNPP. En raison du contexte particulier des régimes de retraite, l’employeur qui gère un tel régime pour le compte de ses employés doit toujours en respecter l’esprit, l’objet et les modalités et se comporter de manière à préserver les prestations de retraite des employés et non de manière à les réduire, à les compromettre ou à les éliminer. [102‑103]


Parties
Demandeurs : Buschau
Défendeurs : Rogers Communications Inc.

Références :

Jurisprudence
Citée par la juge Deschamps
Arrêt non suivi : Saunders c. Vautier (1841), Cr. & Ph. 240, 41 E.R. 482
arrêts mentionnés : Schmidt c. Air Products Canada Ltd., [1994] 2 R.C.S. 611
Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), [2004] 3 R.C.S. 152, 2004 CSC 54
Huus c. Ontario (Superintendent of Pensions) (2002), 58 O.R. (3d) 380.
Citée par le juge Bastarache
Arrêt non suivi : Saunders c. Vautier (1841), Cr. & Ph. 240, 41 E.R. 482
arrêts mentionnés : Halifax School for the Blind c. Chipman, [1937] R.C.S. 196
Schmidt c. Air Products Canada Ltd., [1994] 2 R.C.S. 611
Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), [2004] 3 R.C.S. 152, 2004 CSC 54
Imperial Group Pension Trust Ltd. c. Imperial Tobacco Ltd., [1991] 2 All E.R. 597.
Lois et règlements cités
Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, S.C. 1986, ch. 40.
Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, L.R.C. 1985, ch. 32 (2e suppl.), art. 2(1) « cessation », « liquidation », 5, 7.4, 8(3), (10), 9(1), 9.2, 11(1), (2), 11.1, 12, 22, 29.
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), art. 56(1), 146(8), 147.1(11), (13).
Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières, L.R.C. 1985, ch. 18 (3e suppl.), partie I.
Loi sur les normes des prestations de pension, S.C. 1966‑67, ch. 92, art. 12.
Règlement de 1985 sur les normes de prestation de pension, DORS/87‑19, art. 6 à 10, 16, 24.
Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C. 1978, ch. 945, art. 8501(1), 8502.
Trust and Settlement Variation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 463, art. 1.
Trustee Act, R.S.B.C. 1996, ch. 464, art. 86.
Doctrine citée
Canada. Bureau du surintendant des institutions financières. Lignes directrices à l’intention des administrateurs sur la cessation des régimes de pension, 25 novembre 1992 (rév. 1er juillet 1993) (en ligne : http//:www.osfi‑bsif.gc.ca/app/DocRepository/1/fra/retraite/guides/92_11_15b_f.html).
Deaton, Richard Lee. The Political Economy of Pensions : Power, Politics and Social Change in Canada, Britain and the United States. Vancouver : University of British Columbia Press, 1989.
Gillese, Eileen E. « Pension Plans and the Law of Trusts » (1996), 75 R. du B. can. 221.
Hayton, David J. Underhill and Hayton Law Relating to Trusts and Trustees, 14th ed. London : Butterworths, 1987.
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Rienzo, Douglas. « Trust Law and Access to Pension Surplus » (2005), 25 E.T.P.J. 14.
Waters, Donovan W. M., Mark R. Gillen and Lionel D. Smith, eds. Waters’ Law of Trusts in Canada, 3rd ed. Toronto : Thomson Carswell, 2005.

Proposition de citation de la décision: Buschau c. Rogers Communications Inc., 2006 CSC 28 (22 juin 2006)


Origine de la décision
Date de la décision : 22/06/2006
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2006 CSC 28 ?
Numéro d'affaire : 30462
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2006-06-22;2006.csc.28 ?
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