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15/03/2007 | CANADA | N°2007_CSC_12

Canada | R. c. Bryan, 2007 CSC 12 (15 mars 2007)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Bryan, [2007] 1 R.C.S. 527, 2007 CSC 12

Date : 20070315

Dossier : 31052

Entre :

Paul Charles Bryan

Appelant

et

Sa Majesté la Reine et Procureur général du Canada

Intimés

‑ et ‑

Société Radio-Canada, CTV Inc., Groupe TVA Inc., Rogers

Broadcasting Limited, CHUM Limitée, Corporation Sun Media,

Sun Media (Toronto) Corporation, Presse canadienne, Globe

and Mail, CanWest MediaWorks Inc., CanWest MediaWorks

Publications Inc., Canoe Inc. et Ass

ociation canadienne des

libertés civiles

Intervenantes

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, B...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Bryan, [2007] 1 R.C.S. 527, 2007 CSC 12

Date : 20070315

Dossier : 31052

Entre :

Paul Charles Bryan

Appelant

et

Sa Majesté la Reine et Procureur général du Canada

Intimés

‑ et ‑

Société Radio-Canada, CTV Inc., Groupe TVA Inc., Rogers

Broadcasting Limited, CHUM Limitée, Corporation Sun Media,

Sun Media (Toronto) Corporation, Presse canadienne, Globe

and Mail, CanWest MediaWorks Inc., CanWest MediaWorks

Publications Inc., Canoe Inc. et Association canadienne des

libertés civiles

Intervenantes

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 53)

Motifs concordants :

(par. 54 à 82)

Motifs conjoints concordants avec ceux des honorables juges Bastarache et Fish :

(par. 83)

Motifs dissidents :

(par. 84 à 134)

Le juge Bastarache

Le juge Fish

Les juges Deschamps, Charron et Rothstein

La juge Abella (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie et LeBel)

______________________________

R. c. Bryan, [2007] 1 R.C.S. 527, 2007 CSC 12

Paul Charles Bryan Appelant

c.

Sa Majesté la Reine et procureur général du Canada Intimés

et

Société Radio‑Canada, CTV Inc., Groupe TVA Inc., Rogers

Broadcasting Limited, CHUM Limitée, Corporation Sun Media,

Sun Media (Toronto) Corporation, Presse canadienne, Globe

and Mail, CanWest MediaWorks Inc., CanWest MediaWorks

Publications Inc., Canoe Inc. et Association canadienne des

libertés civiles Intervenantes

Répertorié : R. c. Bryan

Référence neutre : 2007 CSC 12.

No du greffe : 31052.

2006 : 16 octobre; 2007 : 15 mars.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (le juge en chef Finch et les juges Rowle s et Saunders) (2005), 253 D.L.R. (4th) 137, 213 B.C.A.C. 52, 352 W.A.C. 52, 196 C.C.C. (3d) 369, 130 C.R.R. (2d) 348, [2005] B.C.J. No. 1130 (QL), 2005 BCCA 285, qui a infirmé une décision du juge Kelleher (2003), 233 D.L.R. (4th) 745, 112 C.R.R. (2d) 189, [2003] B.C.J. No. 2479 (QL), 2003 BCSC 1499. Pourvoi rejeté, la juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel et Abella sont dissidents.

Donald J. Jordan, c.r., et Rodney W. Sieg, pour l’appelant.

Andrew I. Nathanson et Brook Greenberg, pour l’intimée Sa Majesté la Reine.

Graham Garton, c.r., et Sean Gaudet, pour l’intimé le procureur général du Canada.

Joseph J. Arvay, c.r., Brent Olthuis et Daniel Henry, pour les intervenantes Société Radio‑Canada, CTV Inc., Groupe TVA Inc., Rogers Broadcasting Limited, CHUM Limitée, Corporation Sun Media, Sun Media (Toronto) Corporation, Presse canadienne, Globe and Mail, CanWest MediaWorks Inc., CanWest MediaWorks Publications Inc. et Canoe Inc.

Mahmud Jamal et Colin Feasby, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

Version française des motifs rendus par

Le juge Bastarache —

I. Introduction

1 La seule question à trancher en l’espèce consiste à savoir si l’art. 329 de la Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9 (la « Loi »), lequel interdit la diffusion des résultats électoraux le jour des élections avant la fermeture des bureaux de scrutin de toutes les régions du Canada, constitue une atteinte à la liberté d’expression garantie par l’al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés qui ne saurait être justifiée selon l’article premier. En ce sens, il s’agit ici d’une application directe de l’arrêt Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827, 2004 CSC 33.

II. Faits et historique des procédures judiciaires

2 Lors des élections générales fédérales du 27 novembre 2000, l’appelant a diffusé les résultats électoraux pour le Canada atlantique en les affichant sur un site Web, alors que des bureaux de scrutin étaient encore ouverts dans d’autres régions du Canada. Les résultats étaient donc à la disposition du public dans toutes les circonscriptions au Canada. L’appelant avait déjà révélé publiquement son intention à cet égard avant les élections et le commissaire aux élections fédérales l’avait prévenu qu’une telle publication serait contraire à l’art. 329 de la Loi.

3 L’appelant a été inculpé en vertu de l’art. 329 de la Loi. Il a saisi la Cour provinciale de la Colombie‑Britannique d’une demande visant à contester la constitutionnalité de l’art. 329 et des par. 495(4) et 500(4) de la Loi au motif qu’ils enfreignent les al. 2b) et d) de la Charte et ne sont pas justifiés selon l’article premier de la Charte. Le commissaire aux élections fédérales, intimé dans la demande de l’appelant, ne s’est pas prononcé au sujet de la demande, mais le procureur général du Canada a comparu devant la Cour provinciale en qualité d’intervenant pour défendre la constitutionnalité de l’art. 329.

4 Le juge Smith, de la Cour provinciale de la Colombie‑Britannique, a conclu, dans deux jugements distincts ([2003] B.C.J. No. 542 (QL), 2003 BCPC 65, et (2003), 104 C.R.R. (2d) 364, 2003 BCPC 39), que l’art. 329 contrevient à l’al. 2b) de la Charte, mais que le procureur général avait établi qu’il s’agissait d’une limite dont la justification peut se démontrer selon l’article premier. Il a fondé cette seconde conclusion sur deux éléments de preuve. Le premier, un rapport gouvernemental intitulé Pour une démocratie électorale renouvelée (1991), rapport de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis (le « rapport Lortie »), et l’autre, les rapport et témoignage de M. Robert MacDermid, professeur de science politique à l’Université York. Le professeur MacDermid a été reconnu comme témoin expert sans que l’appelant s’y oppose. Il importe également de souligner que l’appelant n’a produit aucun élément de preuve. Les seuls éléments de preuve en l’espèce sont essentiellement le rapport Lortie et le témoignage du professeur MacDermid jusqu’à ce que j’autorise le groupe des médias qui sont intervenus devant la Cour et ensuite le procureur général à produire de nouveaux éléments de preuve, par ordonnances du 22 mars et du 25 juillet 2006, respectivement. J’examinerai la preuve plus en détail dans mon analyse exposée ci‑après.

5 Après le rejet de sa contestation constitutionnelle, l’appelant a fait l’objet d’un procès pour infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire sur le fondement d’un exposé conjoint des faits. Il a reconnu avoir commis les éléments constitutifs de l’infraction. Il a été déclaré coupable de l’infraction reprochée et condamné à une amende de 1 000 $.

6 En vertu de l’art. 813 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, l’appelant a interjeté appel de la déclaration de culpabilité par procédure sommaire au motif que le juge du procès avait eu tort de rejeter sa contestation constitutionnelle. Le juge Kelleher, de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, a accueilli l’appel au motif que la preuve produite en première instance n’appuyait pas la conclusion que l’art. 329 repose sur un objectif urgent et réel ((2003), 233 D.L.R. (4th) 745, 2003 BCSC 1499). Il a également statué que, même si sa conclusion à l’égard de l’objectif urgent et réel était erronée, le procureur général ne s’était pas déchargé de son fardeau d’établir l’atteinte minimale et la proportionnalité. Par jugement du 23 octobre 2003, la déclaration de culpabilité a été infirmée et l’appelant acquitté.

7 Le 18 mai 2004, la Cour a rendu l’arrêt Harper. À la suite de cet arrêt, où la Cour a reconnu la constitutionnalité des plafonds prescrits par la Loi à l’égard des dépenses de publicité des tiers, le procureur général a demandé et obtenu l’autorisation d’interjeter appel de la décision du juge Kelleher.

8 La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a statué à l’unanimité que l’art. 329 de la Loi viole l’al. 2b) de la Charte et que la seule véritable question qui se pose est de savoir si l’art. 329 peut être justifié au sens de l’article premier ((2005), 253 D.L.R. (4th) 137, 2005 BCCA 285). La Cour d’appel, à la majorité, a conclu que le procureur général s’est acquitté du fardeau imposé par l’article premier et que l’art. 329 constitue une limite justifiée à la liberté d’expression. La déclaration de culpabilité prononcée en première instance a été rétablie.

III. Analyse

9 L’arrêt Harper rendu par la Cour contient deux principes importants qui s’appliquent à l’espèce. Premièrement, il établit que les tribunaux doivent naturellement faire preuve de déférence envers le Parlement lorsqu’il est question des lois électorales : « Étant donné que c’est au Parlement qu’il appartient de choisir le modèle électoral applicable au Canada et vu les nuances que requiert intrinsèquement la mise en oeuvre de ce modèle, la Cour doit entreprendre l’analyse de la justification avec toute la déférence qui s’impose » (Harper, par. 87).

10 Deuxièmement, il confirme que, pour définir la nature et le caractère suffisant de la preuve que le procureur général doit présenter afin d’établir qu’une violation de l’al. 2b) est justifiée selon l’article premier, il faut interpréter dans son contexte la disposition contestée : voir Harper, par. 75‑76, et Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, par. 88. La meilleure façon de cerner le contexte est de se reporter aux quatre facteurs que la Cour a énoncés dans Thomson Newspapers et Harper : (i) la nature du préjudice et l’incapacité d’en mesurer l’ampleur, (ii) la vulnérabilité du groupe protégé, (iii) les craintes subjectives et l’appréhension du préjudice, et (iv) la nature de l’activité protégée.

11 Toutefois, les facteurs contextuels doivent être interprétés en fonction de la disposition. Voici ce qu’a souligné la Cour dans Thomson Newspapers :

L’analyse fondée sur l’article premier doit être réalisée en accordant une grande attention au contexte. Cette démarche est incontournable car le critère élaboré dans R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, exige du tribunal qu’il dégage l’objectif de la disposition contestée, ce qu’il ne peut faire que par un examen approfondi de la nature du problème social en cause. De même, la proportionnalité des moyens utilisés pour réaliser l’objectif urgent et réel visé ne peut être évaluée qu’en s’attachant étroitement au détail et au contexte factuel. Essentiellement, le contexte est l’indispensable support qui permet de bien qualifier l’objectif de la disposition attaquée, de décider si cet objectif est justifié et d’apprécier si les moyens utilisés ont un lien suffisant avec l’objectif valide pour justifier une atteinte à un droit garanti par la Charte. [Je souligne; par. 87.]

À mon sens, ce passage signifie que ce n’est qu’après avoir énoncé les objectifs de la disposition contestée que nous pouvons examiner leur contexte de façon à définir la nature et le caractère suffisant de la preuve que requiert l’article premier.

12 Le procureur général affirme que l’art. 329 comporte deux objectifs distincts mais connexes. Premièrement, il allègue que l’art. 329 vise à garantir aux électeurs l’égalité informationnelle. Son témoin expert en l’espèce, le professeur MacDermid, qualifie l’égalité informationnelle de [traduction] « postulat essentiel de la démocratie électorale ». Le procureur général a présenté la promotion de cette égalité comme un objectif louable en soi; il entend par là que le simple fait qu’un électeur a un accès général à des informations sur les résultats électoraux dont ne dispose pas un autre électeur pose en soi un problème. Le second objectif que propose le procureur général est, comme je l’ai mentionné, relié au premier : le procureur général affirme que l’art. 329 favorise la confiance du public dans le système électoral, essentiellement du fait que celle‑ci est tributaire de la croyance du public que le système électoral respecte le principe de l’égalité informationnelle.

13 Le procureur général soutient que ces deux objectifs, tout en ayant un lien de cause à effet fort étroit, sont en fait de nature différente. Le premier objectif — la garantie de l’égalité informationnelle — est présenté comme un but important en soi : de ce point de vue, son existence et son importance sont dans une certaine mesure de nature conceptuelle et il sera difficile d’en faire la preuve. En revanche, le second est présenté comme un objectif fondé sur un fait sociologique réel : selon le procureur général, la confiance dans le système électoral diminuera (ou diminuerait) si des électeurs devaient avoir un accès général à des informations sur les résultats électoraux dont ne disposent pas d’autres électeurs. Étant donné que ce second objectif est formulé comme un argument sociologique portant sur le lien entre l’égalité informationnelle et la confiance de l’électorat, c’est le genre d’objectif pour lequel le procureur général devrait présenter des éléments de preuve pour établir le lien invoqué.

14 Autant que je puisse en juger, le véritable objectif de la Loi dans le contexte des dispositions en cause est de garantir l’égalité informationnelle par l’adoption de mesures raisonnables pour remédier à la perception d’injustice créée par le fait que certains électeurs ont un accès général à des informations dont ne disposent pas d’autres électeurs et aussi pour éviter que l’accès à ces informations puisse influer sur la participation ou les choix des électeurs. Dans Harper, la Cour a statué à l’unanimité que « [le] souci de mettre les mêmes renseignements à la disposition de tous les électeurs, lorsque la chose est possible » est un objectif important : voir par. 47, la juge en chef McLachlin et le juge Major, et par. 133, le juge Bastarache. Cet objectif est mesurable jusqu’à un certain point, comme nous allons le voir.

15 Après avoir ainsi exposé l’objectif de l’art. 329, j’aborde maintenant la question de l’application aux faits de l’espèce des quatre facteurs contextuels énoncés dans Harper et Thomson Newspapers.

A. Les facteurs contextuels

1. La nature du préjudice et l’incapacité d’en mesurer l’ampleur

a) Maintenir la confiance du public dans le système électoral

16 Dans Harper, par. 77, la Cour a statué que, dans les cas où le préjudice est établi au moyen de preuves relevant des sciences sociales qui sont contradictoires ou non concluantes, « [l]es tribunaux peuvent se fonder sur une crainte raisonnée du préjudice ». J’ai souligné dans cette affaire que, en l’absence de preuves déterminantes relevant des sciences sociales, les tribunaux peuvent faire appel à la logique et au bon sens pour réaliser l’analyse fondée sur l’article premier. Dans Thomson Newspapers, j’ai eu recours à la logique et au bon sens pour guider mon interprétation des éléments de preuve incertains fondés sur les sciences sociales quant à l’influence des sondages sur les électeurs et j’ai conclu que la possibilité d’une telle influence était une préoccupation à laquelle le gouvernement voulait légitimement remédier : voir les par. 104‑107. De même, dans Harper, j’ai indiqué qu’en raison de plusieurs facteurs, par exemple l’influence subtile qu’exerce la publicité sur les décideurs, l’influence d’autres facteurs et la complexité des décisions électorales, il était difficile, voire impossible, de mesurer le préjudice visé dans cette affaire, et j’ai conclu que « la logique et la raison, conjuguées à certains éléments de preuve relevant des sciences sociales, démontrent de façon suffisante l’existence du préjudice » : voir par. 79.

17 La situation concernant le maintien de la confiance du public dans le système électoral est tout aussi complexe. La confiance du public est importante pour des raisons pratiques. Comme l’a souligné la Cour dans Harper, au par. 82 :

La perception du public est de la plus haute importance lorsqu’il s’agit de préserver et de soutenir le régime électoral au Canada. Le professeur Aucoin a souligné que [traduction] « [l]a perception du public est cruciale, précisément parce que la légitimité du régime électoral est tributaire de la mesure dans laquelle les citoyens considèrent que celui‑ci soutient les valeurs de leur démocratie électorale » (en italique dans l’original). L’équité électorale est l’élément clé. Lorsque les Canadiens ont le sentiment que les élections sont inéquitables, l’apathie des électeurs s’ensuit peu de temps après.

Le procureur général, suivant le raisonnement de la Cour dans Harper, affirme que la confiance du public dans le système électoral est importante, car la perte de cette confiance pourrait changer les habitudes de vote, ce qui pourrait ultimement influer sur l’issue des élections.

18 Le procureur général a fourni quelques éléments de preuve sur ce point. Le professeur MacDermid a témoigné en ce sens :

[traduction] . . . j’estime, d’après la preuve aux États‑Unis, d’après certains aspects de la question au Canada, que le — que le résultat serait le même qu’aux États‑Unis : il ne fait aucun — aucun doute qu’il y a une baisse de — de la participation, une baisse du taux de participation. Aussi, cette baisse peut toucher de manière différente les partisans des différents partis. Et, bien qu’elle ne soit pas énorme, puisqu’elle ne se produit pas aux États‑Unis, je crois qu’il est important de souligner qu’elle varie entre un et cinq pour cent. C’est certainement une perte difficile à rattraper — qui a une incidence très importante dans une course serrée — , situation qu’on ne peut pas prédire d’une élection à l’autre. [Je souligne.]

De même, certaines des recommandations du rapport Lortie étaient motivées par « l’impression que les jeux sont faits avant même que les électeurs et électrices [des provinces de l’Ouest] aient fini de voter » (rapport Lortie, vol. 2, p. 89).

19 La nature quelque peu hypothétique de cette preuve n’est pas surprenante puisque l’interdiction prévue à l’art. 329 existe d’une certaine manière depuis 1938. C’est pourquoi il est presque impossible de mesurer les effets de cette interdiction sur les habitudes de vote et les résultats des élections. Il me faut donc faire appel à la logique et au bon sens qui ressortent de la preuve du procureur général pour établir le préjudice causé par la perte de confiance du public dans le système électoral par suite de la diffusion prématurée des résultats.

b) Garantir l’égalité informationnelle

20 Dans une série d’affaires de liberté d’expression, la Cour est graduellement venue à reconnaître que, dans certains cas, en raison du manque de preuve concluante relevant des sciences sociales, il suffit de démontrer une appréhension raisonnable de préjudice pour étayer un argument fondé sur l’article premier : voir R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, p. 503; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, p. 768 et 776; RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 137; Thomson Newspapers, par. 104‑107. Dans Harper, la Cour a appliqué ce raisonnement en allant jusqu’à dire qu’il est « difficile, voire impossible, de mesurer scientifiquement » certains préjudices (par. 79) et que, dans de tels cas, la logique et le bon sens prennent encore plus d’importance. Au moins un commentateur a laissé entendre que cette prise de position puise son origine dans la genèse du critère Oakes lui‑même (R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103), en ce sens que celui‑ci a été formulé sans que soient expressément prévues les situations semblables à celles susmentionnées, où il n’existe pas de preuve « forte et persuasive » : voir S. Choudhry, « So What Is the Real Legacy of Oakes? Two Decades of Proportionality Analysis under the Canadian Charter’s Section 1 » (2006), 34 S.C.L.R. (2d) 501.

21 L’analyse fondée sur l’article premier doit toujours tenir compte de la mise en garde du juge en chef Dickson dans Oakes, p. 136 :

Un second élément contextuel d’interprétation de l’article premier est fourni par l’expression « société libre et démocratique ». L’inclusion de ces mots à titre de norme finale de justification de la restriction des droits et libertés rappelle aux tribunaux l’objet même de l’enchâssement de la Charte dans la Constitution : la société canadienne doit être libre et démocratique. Les tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l’être humain, la promotion de la justice et de l’égalité sociales, l’acceptation d’une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société. Les valeurs et les principes sous‑jacents d’une société libre et démocratique sont à l’origine des droits et libertés garantis par la Charte et constituent la norme fondamentale en fonction de laquelle on doit établir qu’une restriction d’un droit ou d’une liberté constitue, malgré son effet, une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer. [Je souligne.]

22 Dans certains cas, l’objectif invoqué par le gouvernement portera essentiellement sur « des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique ». Il est possible que de tels cas ne se prêtent pas aux exigences de preuve auxquelles il faut normalement satisfaire en matière civile. Je crois que nous sommes en présence d’un tel cas en l’espèce. Selon le procureur général, l’égalité informationnelle est d’autant plus importante que la démocratie exige que personne ne devrait avoir un accès général aux informations qui ne sont pas à la disposition des autres et qui peuvent influer sur la façon dont le droit de vote est exercé. Elle est donc le résultat logique qui procède directement de l’exigence d’équité électorale.

23 Dans Harper, la Cour a statué à l’unanimité que « [le] souci de mettre les mêmes renseignements à la disposition de tous les électeurs, lorsque la chose est possible » est un objectif important : voir par. 47, la juge en chef McLachlin et le juge Major, dissidents mais pas sur cette question, et par. 133, le juge Bastarache. Le préjudice associé à la violation de ce principe n’appartient pas à la catégorie des préjudices facilement mesurables.

2. La vulnérabilité du groupe protégé

24 L’article 329 vise de façon générale à protéger le système électoral canadien, ce qui signifie que l’ensemble de l’électorat canadien constitue le groupe protégé. Le procureur général soutient également que les électeurs de l’Ouest du pays sont particulièrement visés par la protection puisque ce sont eux qui sont susceptibles d’être le plus directement influencés par la diffusion des résultats électoraux pour les provinces de l’Atlantique. Toutefois, comme nous l’avons souligné dans Thomson Newspapers, « [i]l faut présumer aux électeurs canadiens un certain degré de maturité et d’intelligence » (par. 101). La forme d’expression en cause en l’espèce ne cherche pas à influencer les électeurs, comme c’est le cas de la publicité dans Harper.

3. Les craintes subjectives et l’appréhension du préjudice

25 Comme je l’ai mentionné plus haut, la perception subjective des électeurs canadiens que le système électoral est juste joue un rôle vital dans la valeur du système. Le procureur général, avec l’autorisation de la Cour, nous a présenté un nouvel élément de preuve, à savoir un sondage mené en 2005 par le Centre de recherche Décima et l’Université Carleton (« sondage Décima »), qui appuie l’opinion selon laquelle les Canadiens croient subjectivement que l’égalité informationnelle constitue un aspect important du système électoral : 70 pour 100 des Canadiens interrogés « croient que personne ne devrait connaître les résultats des autres provinces avant la fermeture des bureaux de scrutin de [sa] circonscription ». En outre, le rapport Lortie indique que « [les gens de l’Ouest] peuvent avoir l’impression que leur vote a moins d’importance lorsque le résultat est connu avant qu’ils n’aient voté, et certains s’abstiennent peut‑être de voter pour cette raison » : vol. 2, p. 89. Il faut considérer cette preuve concernant l’opinion subjective des Canadiens comme doublement importante dans une affaire comme celle de l’espèce, où le préjudice auquel la loi cherche à remédier est exactement de la même nature que ces opinions subjectives.

4. La nature de l’activité protégée : l’expression politique

26 La Cour a statué qu’« il ne fait aucun doute que les sondages concernant les candidats ou les enjeux électoraux font partie du processus politique et sont, de ce fait, au coeur de la liberté d’expression garantie par la Charte » : Thomson Newspapers, par. 92. On peut tenir le même raisonnement en l’espèce : les résultats des élections revêtent une importance fondamentale dans une société libre et démocratique.

27 Par la même occasion, laisser entendre que les résultats des élections sont une importante forme d’expression politique entre les mains des électeurs qui n’ont pas encore voté équivaut à préjuger de l’analyse fondée sur l’article premier. Que le droit garanti par l’al. 2b) de recevoir ou de diffuser des informations politiques, ou les deux, soit ou non au coeur de la présente affaire, il n’est pas du tout certain que ce droit puisse avoir une valeur supérieure au principe opposé, selon lequel aucun électeur ne devrait avoir un accès général aux informations sur les résultats électoraux dont ne disposent pas les autres électeurs. Rappelons ce que nous avons souligné au sujet des restrictions imposées aux dépenses référendaires dans Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569, par. 61 :

Ainsi, bien que les dispositions contestées restreignent d’une certaine façon l’une des formes les plus fondamentales d’expression, soit l’expression politique, une certaine déférence doit être accordée au législateur pour lui permettre d’arbitrer entre les valeurs démocratiques que constituent la liberté d’expression et l’équité référendaire. Cette dernière se rattache en effet aux valeurs mêmes que cherche à protéger la Charte canadienne, en particulier l’égalité politique des citoyens qui est au coeur d’une société libre et démocratique. [Je souligne.]

Cela vaut également pour les restrictions en l’espèce.

5. Le résumé des facteurs contextuels

28 Dans Harper, j’ai indiqué que les facteurs contextuels militent en faveur d’une « attitude empreinte de déférence envers le Parlement » : voir par. 88. Toutefois, j’estime que l’on comprend mieux le concept de déférence dans ce contexte en se reportant à « la nature et [au] caractère suffisant de la preuve que doit présenter le procureur général pour établir que les limites à la liberté d’expression sont raisonnables et justifiées dans le cadre d’une société libre et démocratique » : Harper, par. 75 (je souligne). Il est préférable de considérer « l’attitude empreinte de déférence » dont il est question dans Harper et Thomson Newspapers comme étant une attitude qui reconnaît que, dans certaines affaires, les formes de preuve (ou idées concernant leur caractère suffisant) traditionnelles peuvent ne pas être disponibles et qu’il est inopportun d’exiger une telle preuve dans ces circonstances.

29 Voici ce qu’a souligné avec justesse le professeur Choudhry dans son article (p. 524) :

[traduction] Les politiques gouvernementales sont souvent élaborées à partir d’approximations et d’extrapolations découlant de la preuve disponible, d’inférences tirées de données comparatives et même, à l’occasion, d’hypothèses émises en connaissance de cause. En l’absence de recherches politiques de grande envergure, cette preuve est vraisemblablement la seule dont on peut disposer. Dans [McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, p. 304‑305], le juge La Forest a fait une observation très juste : « [d]ans ces domaines, les décisions découlent inévitablement de la combinaison d’hypothèses, de connaissances fragmentaires, de l’expérience générale et de la connaissance des besoins, des aspirations et des ressources de la société ».

Je partage cet avis. Les facteurs contextuels visent essentiellement à déterminer la mesure dans laquelle l’affaire dont le tribunal est saisi justifie une preuve consistant en des « approximations et extrapolations », par opposition à des formes plus traditionnelles de preuve relevant des sciences sociales et, par conséquent, la mesure dans laquelle les arguments fondés sur la logique et la raison peuvent être considérés comme une partie essentielle de la preuve fondée sur l’article premier.

30 En ce qui concerne la pondération des facteurs en l’espèce, je souligne que la vulnérabilité ne joue pas un rôle majeur dans l’analyse. Toutefois, comme l’art. 329 vise à épargner aux Canadiens les craintes subjectives et l’appréhension du préjudice, la preuve de ces craintes subjectives est importante. Certes, on ne saurait douter de l’importance de l’expression politique, mais le droit en cause est le droit présumé de recevoir des résultats électoraux avant la fermeture des bureaux de scrutin; la restriction de l’accès à ces informations avant la fermeture de ces bureaux a moins de poids qu’après leur fermeture. De plus, il n’a pas été établi qu’il y a eu atteinte au droit à de telles informations — lequel se situe à la limite des droits garantis par l’al. 2b). À mon avis, c’est précisément la question qui se pose.

B. L’analyse fondée sur l’article premier

31 La limite prévue à l’art. 329 est manifestement prescrite par une règle de droit; il n’y a pas eu de contestation à cet égard devant nous. J’examine maintenant les facteurs énoncés dans Oakes.

1. L’objectif urgent et réel

32 Il est clairement établi en droit que la première étape de l’analyse fondée sur l’article premier n’est pas un concours de preuve. Comme l’ont reconnu mes collègues dans Harper, « la bonne question à cette étape de l’analyse consiste plutôt à décider si le procureur général a invoqué un objectif urgent et réel » : Harper, par. 25, motifs de la juge en chef McLachlin et du juge Major (souligné dans l’original). La Juge en chef et le juge Major ont ensuite fait remarquer qu’« [u]n objectif théorique présenté comme urgent et réel suffit pour les besoins de l’analyse de la justification fondée sur l’article premier » : voir par. 26. Ils se sont fondés sur plusieurs arrêts de la Cour pour faire cette affirmation. Un bref examen de cette jurisprudence est instructif à la présente étape.

33 Dans Thomson Newspapers, la Cour a reconnu que les objectifs visés par l’art. 322.1 de la Loi étaient « clairement urgent[s] et réel[s] » parce qu’ils « tend[ent] à la réalisation d’un but collectif important — savoir la sauvegarde de l’intégrité du processus électoral » (par. 38 (je souligne)). Dans Harvey c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876, la Cour a statué que le but de maintenir et de renforcer l’intégrité du processus électoral est sans aucun doute « toujours une préoccupation urgente et réelle de toute société qui prétend suivre les préceptes d’une société libre et démocratique » (par. 38 (je souligne)). Dans R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, le juge Iacobucci (au nom de la majorité pour la question traitant de l’article premier) a fondé son analyse sur « l’importance fondamentale de l’objectif du législateur » (p. 259). De même, dans McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, la Cour a reconnu la validité des objectifs invoqués parce qu’il s’agissait d’« objectif[s] admirable[s] » (p. 281). Enfin, dans Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, se fondant sur le fait que notre société « valorise la vie privée et lui accorde protection » et sur ses déclarations antérieures concernant l’importance de la vie privée, la Cour a reconnu que la protection de la vie privée des particuliers constitue un objectif urgent et réel : voir p. 1343‑1345.

34 Dans chacun de ces arrêts, la Cour a reconnu qu’elle peut simplement considérer que certains objectifs, dès lors qu’ils sont invoqués, constituent toujours des préoccupations urgentes et réelles de toute société qui vise à suivre les préceptes d’une société libre et démocratique.

35 Le procureur général soutient, tout comme son témoin expert le professeur MacDermid, que l’égalité informationnelle est un principe fondamental de la démocratie électorale. C’est un élément central du concept d’équité électorale, et la Cour a jugé qu’il s’agissait d’« un objectif louable qui impliquera nécessairement certaines restrictions à la liberté d’expression » et d’« un objectif urgent et réel dans notre démocratie libérale, même en l’absence de preuve montrant que les élections antérieures ont été inéquitables » : voir Libman, par. 84 (soulignement supprimé), et Harper, par. 26 (motifs de la juge en chef McLachlin et du juge Major). Je reconnais qu’il est urgent et réel du fait de la logique et la raison applicable à la preuve présentée par le procureur général.

36 Par ailleurs, le rapport Lortie affirme que les Canadiens en général « sont très sensibles à la divulgation prématurée des résultats », et ce n’est pas uniquement parce que les électeurs de l’Ouest du pays peuvent connaître l’issue des élections avant la fermeture de leurs bureaux de scrutin (vol. 2, p. 90). En outre, lors de certaines élections (comme celle de 1993), il a semblé possible de prédire l’issue uniquement d’après les résultats pour la région de l’Atlantique. La confiance du public, comme je l’ai mentionné, est un phénomène complexe qui ne saurait facilement se rattacher à une seule cause, mais le lien entre la confiance et le déséquilibre informationnel est clair.

37 Chose très importante : à cette étape de l’analyse fondée sur l’arrêt Oakes, il faut encore se demander si le procureur général a invoqué un objectif urgent et réel. Dans Harper, la Cour a reconnu que le maintien de la confiance du public dans le système électoral constitue un objectif urgent et réel :

Le maintien de la confiance dans le processus électoral est essentiel pour préserver l’intégrité du système électoral, qui est la pierre angulaire de la démocratie au Canada. Dans R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, p. 136, le juge en chef Dickson a conclu que la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société revêt une importance capitale dans une société libre et démocratique. Si les Canadiens ne croient pas en leur système électoral, ils seront dissuadés de participer utilement au processus électoral. Facteur plus important encore, ils ne feront plus confiance aux députés qu’ils ont élus. La confiance dans le processus électoral constitue donc un objectif urgent et réel. [par. 103]

Je ne vois aucune raison de revenir sur cette position. C’est pourquoi je reconnais que les objectifs des dispositions en cause sont urgents et réels.

2. La proportionnalité

38 L’examen de la proportionnalité, lequel comporte les trois dernières étapes du critère Oakes, exige du procureur général davantage que le simple énoncé des objectifs jugés acceptables à la première étape. L’examen est plutôt orienté vers des questions de causalité et peut rehausser l’exigence de preuve.

a) Le lien rationnel

39 L’étape qui consiste à déterminer l’existence d’un lien rationnel commande au procureur général d’« établir un lien causal, fondé sur la raison ou la logique, entre la violation et l’avantage recherché » : voir RJR‑MacDonald, par. 153, et Harper, par. 104. Il est évident que la logique et la raison peuvent jouer un rôle important dans l’établissement de ce lien causal. Celui‑ci est [traduction] « souvent difficile à établir en preuve, et la Cour suprême du Canada n’a pas toujours insisté pour qu’on en fasse la preuve directe » : P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 2, p. 35‑31, cité avec approbation dans Thomson Newspapers, par. 39.

40 En l’espèce, le lien causal est éminemment clair : donner à certains électeurs l’accès aux résultats électoraux pour d’autres circonscriptions irait manifestement à l’encontre de l’objectif. Affirmer que les électeurs peuvent, malgré l’interdiction, obtenir ces informations par des communications privées ne change rien à cette conclusion, et ce, pour au moins trois raisons. Premièrement, au moins 75 pour 100 des Canadiens interrogés dans le cadre du sondage Décima mentionné précédemment ont indiqué qu’ils ne chercheraient probablement pas ou absolument pas à obtenir ces informations malgré l’interdiction. Deuxièmement, le parfait respect de la loi n’est pas une condition essentielle à la validité de la mesure législative : R. c. Malmo‑Levine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74, par. 177‑178. Enfin, cet argument ne tient pas compte de la différence qualitative fondamentale entre, d’une part, le petit nombre d’électeurs (moins de 25 pour 100) qui cherchent en privé à obtenir des informations et, d’autre part, la diffusion, à l’échelle nationale, des résultats électoraux pour la région de l’Atlantique dont pourraient difficilement faire abstraction ceux qui ne veulent pas en prendre connaissance et qui entraînerait une atteinte beaucoup plus considérable au principe de l’égalité informationnelle.

41 Le procureur général a fourni des éléments de preuve établissant que la confiance du public repose sur la perception que tous les Canadiens ont un accès égal aux informations avant d’aller voter et, donc, sur l’existence de l’interdiction prévue à l’art. 329. La preuve comporte notamment le rapport Lortie, d’après lequel « les Canadiens et Canadiennes sont très sensibles à la divulgation prématurée des résultats [électoraux] » (vol. 2, p. 90), et le sondage Décima, selon lequel 70 pour 100 des personnes interrogées croient au principe de l’égalité informationnelle, ce qui tend à indiquer que le non‑respect de ce principe bousculerait leur opinion à l’égard du système électoral. Il ne s’agit manifestement pas d’une preuve concluante, mais le procureur général n’est pas tenu d’établir un « lien empirique » entre l’objectif et la disposition : Harper, par. 104. La logique et la raison, combinées avec la preuve disponible, permettent d’établir qu’il existe un lien rationnel entre l’art. 329 et le maintien de la confiance du public dans le système électoral.

b) L’atteinte minimale

42 Le passage bien connu de RJR‑MacDonald, par. 160, est toujours celui qui résume le mieux la norme à suivre à cette étape de l’analyse :

La restriction doit être « minimale », c’est‑à‑dire que la loi doit être soigneusement adaptée de façon à ce que l’atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est nécessaire. Le processus d’adaptation est rarement parfait et les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur. Si la loi se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables, les tribunaux ne concluront pas qu’elle a une portée trop générale simplement parce qu’ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l’objectif et à la violation . . .

Naturellement, comme l’a reconnu à l’unanimité la Cour dans Harper, l’analyse de l’atteinte minimale est sans doute l’étape du critère Oakes où le contexte est particulièrement important : voir par. 33 et 110.

43 Dans Harper, j’ai affirmé qu’« il ressort des facteurs contextuels que la Cour doit témoigner de la déférence à l’égard de l’équilibre établi par le Parlement entre l’expression politique et la participation utile au processus électoral » (par. 111). Or, je le répète, la déférence dans ce contexte ne signifie pas que la Cour accepte les décisions du Parlement sans examiner attentivement la preuve; l’interprétation contextuelle de l’article premier tend plutôt à démontrer que, dans certains cas, la logique et la raison suffisent pour compléter la preuve.

44 Le rapport Lortie et ses recommandations constituent la preuve la plus importante à cette étape de l’analyse. Comme je l’ai fait observer précédemment, le rapport Lortie appuie clairement la thèse selon laquelle les Canadiens considèrent que les déséquilibres informationnels posent des problèmes :

D’après nos études, les Canadiens et Canadiennes sont très sensibles à la divulgation prématurée des résultats et souhaitent que ce problème soit résolu en modifiant les heures du scrutin. [Je souligne; vol. 2, p. 90.]

45 Il appuie donc l’argument qu’il faut prendre des mesures visant à retenir la publication des résultats électoraux jusqu’à ce que tous ou presque tous les Canadiens aient voté, si l’on veut que le public continue d’avoir confiance dans le système électoral. La thèse que l’un des moyens efficaces d’atteindre cet objectif est de décaler les heures de scrutin (mesure qui a été adoptée par le Parlement, mais qui diffère de la recommandation du rapport Lortie) fait partie des recommandations du rapport Lortie. La Commission elle‑même a examiné d’autres recommandations, son objectif étant d’empêcher la diffusion des résultats électoraux avant la fermeture des bureaux de scrutin. Elle a examiné plusieurs possibilités, par exemple, uniformiser les heures de scrutin dans tout le pays, retarder le dépouillement du scrutin et étaler la période du scrutin sur deux jours, mais a jugé qu’elles perturberaient trop l’électorat et le personnel électoral (vol. 2, p. 91). Elle a plutôt recommandé un décalage partiel des heures de scrutin. En proposant cette solution de compromis, elle a conclu que « la divulgation de quelques résultats — en l’occurrence ceux des 32 sièges des provinces de l’Atlantique — serait acceptable, à condition que les autres résultats de l’Est ne soient rendus publics qu’après la clôture du scrutin dans l’Ouest » (p. 91). Le Parlement a débattu les options, les avantages et inconvénients des diverses façons d’aborder le problème; il a ensuite mis au point sa propre solution.

46 La confiance du public dans le système électoral repose non seulement sur la croyance des Canadiens que les élections sont justes, à savoir que la diffusion prématurée n’a aucune incidence sur l’issue de l’élection, mais également sur la croyance que le principe de l’égalité informationnelle est respecté. L’expert du procureur général a parlé des conséquences en ces termes : [traduction] « [P]our qu’il y ait un effet sur la population, par exemple une chute du taux de participation, il faut que les gens en viennent à se dire que l’issue des élections est différente de celle qu’ils avaient escomptée. » Il a aussi indiqué que l’effet sur le comportement des électeurs nécessite les prédictions des médias, mais il a expliqué en réinterrogatoire qu’il se peut bien que les électeurs tirent la même conclusion d’eux‑mêmes. Par ailleurs, le rapport Lortie a conclu que « [l]’objectif fondamental [. . .] est de veiller à ce que les électeurs et électrices des provinces de l’Ouest ne sachent pas avant la fermeture de leurs bureaux de vote qui formera le prochain gouvernement » (vol. 2, p. 91). Cela ne veut pas dire que, selon les Canadiens, le processus semble parfaitement équitable sauf si la divulgation prématurée des résultats électoraux pour l’Est du Canada est telle que les électeurs de l’Ouest du pays sont convaincus que l’issue des élections est pour ainsi dire connue.

47 La confiance du public est fonction de plusieurs facteurs. La solution du décalage des heures de scrutin satisfait, quoique de manière imparfaite, à l’un de ces facteurs — l’« objectif fondamental » de veiller à ce que les électeurs des provinces de l’Ouest ne sachent pas qui formera le prochain gouvernement — , mais ne remédie pas à la perte de confiance du public, car celui‑ci sait que le principe de l’égalité informationnelle n’est pas respecté. C’est pourquoi le décalage des heures de scrutin, même plus grand, comme le propose le rapport Lortie, ne peut à lui seul résoudre parfaitement le problème de la confiance des électeurs. Le déséquilibre informationnel demeure si l’on ne maintient pas l’art. 329 de la Loi. Restreindre la publication des résultats pour la région de l’Atlantique pendant une très courte période constitue ainsi une tentative raisonnable de protéger cette confiance du public, comme l’ont eux‑mêmes convenu les parlementaires. Le Parlement a examiné les autres options proposées dans le rapport Lortie et a déterminé que le régime établi par l’art. 329 est le plus efficace et le moins attentatoire; dans le contexte de l’espèce, il y a suffisamment d’éléments de preuve indiquant que le choix de principe du Parlement est une solution rationnelle et justifiable au problème du déséquilibre informationnel.

c) Les effets bénéfiques et préjudiciables

48 La dernière étape de l’analyse fondée sur Oakes exige la pondération des effets bénéfiques et des effets préjudiciables de la mesure législative. Il importe à cette étape‑ci de souligner que les effets bénéfiques ne commandent pas une norme de preuve plus élevée que celle des effets préjudiciables.

49 Les effets bénéfiques de l’art. 329 sont clairs. Est d’une importance capitale le fait que l’art. 329 préserve l’intégrité du principe de l’égalité informationnelle et qu’il est le seul moyen efficace dont le législateur dispose pour atteindre cet objectif. On a jugé irréaliste le décalage total des heures de scrutin; on n’a pas retenu le décalage plus grand proposé par la Commission Lortie, après examen approfondi de la question devant un comité parlementaire. De façon secondaire, la logique et la raison tendent à indiquer que l’art. 329 contribue à maintenir la confiance du public dans le système électoral, car 70 pour 100 des Canadiens estiment que l’égalité informationnelle joue un rôle important dans les élections. Ces effets bénéfiques sont réels, non une simple possibilité, comme c’est le cas dans Thomson Newspapers (voir par. 94). L’interdiction prévue à l’art. 329 a vraiment pour effet de protéger le principe de l’égalité informationnelle et de maintenir la confiance du public dans le système électoral. En outre, il est certainement possible que l’art. 329 a pour effet d’empêcher certains électeurs de se fier à des résultats divulgués de façon prématurée et, de ce fait, d’empêcher un changement indésirable des habitudes de vote : selon le témoin expert du procureur général, 1 à 5 pour 100 des électeurs pourraient décider de ne pas voter en apprenant ces résultats.

50 Enfin, l’art. 329 contribue de manière positive à l’équité et à la bonne réputation du système électoral dans son ensemble, pilier de notre démocratie canadienne. L’arrêt Harper a établi que l’art. 350 de la Loi limite, sur le plan constitutionnel, les dépenses de publicité électorale des tiers afin de favoriser l’équité électorale. Par ailleurs, l’équité électorale revêt une importance particulière le jour du scrutin. La Loi interdit la publication des résultats d’un sondage électoral le jour du scrutin (art. 328), y compris les sondages à la sortie des urnes, ainsi que la diffusion de la publicité électorale dans une circonscription le jour du scrutin, avant la fermeture de tous les bureaux de scrutin de celle‑ci (art. 323). L’interdiction de diffuser prématurément les résultats électoraux prévue à l’art. 329 illustre les efforts soutenus que déploie le Parlement en particulier pour favoriser l’équité électorale et minimiser les déséquilibres informationnels le jour du scrutin, objectif qui a la faveur du grand public (sondage Décima). J’estime que la levée de l’interdiction de publication compromettrait sérieusement la réalisation de l’objectif urgent et réel reconnu dans Harper, à savoir celui de l’égalité informationnelle. Je ne souscris donc pas à l’analyse de la proportionnalité que propose la juge Abella parce qu’elle ne prend pas en considération l’objectif déclaré — qu’elle a elle‑même reconnu — , et semble ne pas tenir compte, là encore, de l’analyse contextuelle et de l’attitude de déférence adoptées dans la jurisprudence récente de la Cour, qu’elle a par ailleurs approuvées. Affirmer que les Canadiens ont le droit de connaître les résultats des élections le plus tôt possible (motifs de la juge Abella, par. 129) élude la question. Il faut se demander si la publication immédiate des résultats est justifiée, si ce droit l’emporte sur un autre droit ou objectif compte tenu de la nature et de la qualité de l’information ainsi que de son importance dans le contexte électoral.

51 Pour ce qui est de l’existence des effets préjudiciables de l’art. 329, la preuve concernant le préjudice causé au processus électoral ou l’atteinte au droit général des Canadiens d’être informés n’est pas de qualité ou nature manifestement supérieure par rapport à la preuve que la promotion de l’équité électorale comporte des effets bénéfiques. L’interdiction prévue à l’art. 329 ne porte que sur deux ou trois heures, et uniquement le jour du scrutin; ce sont en fait seulement les électeurs tardifs qui seront touchés. L’interdiction, notons‑le, a une portée extrêmement faible. Nous avons déjà parlé de la nature de l’information. La prétention des médias qui sont intervenus en l’espèce, selon laquelle l’interdiction peut être inutile et leur cause de nombreux inconvénients (ils sont obligés de modifier leurs pratiques de diffusion), ne saurait l’emporter sur un objectif aussi important que la protection de notre démocratie électorale canadienne.

52 Les effets bénéfiques de l’art. 329 l’emportent donc sur ses effets préjudiciables.

IV. Conclusion

53 L’article 329, en raison de son objectif de veiller à ce que les électeurs jouissent de l’égalité informationnelle, constitue une limite raisonnable à la liberté garantie par l’al. 2b) de la Charte. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Version française des motifs rendus par

Le juge Fish —

I

54 Le législateur fédéral a adopté deux mesures qui, ensemble, visent à faire en sorte, autant que faire se peut, que les électeurs d’une région donnée du pays puissent voter sans savoir pour qui ont voté les électeurs des autres régions qui sont allés aux urnes avant eux.

55 Premièrement, les heures de scrutin ont été décalées pour réduire l’incidence du fait que la terre tourne — et qu’en conséquence le Canada est divisé en six fuseaux horaires; deuxièmement, il a été interdit de rendre publics, dans une circonscription où les bureaux de scrutin ne sont pas encore fermés, les résultats électoraux déjà connus de toute autre région du Canada.

56 Le présent pourvoi porte sur la deuxième de ces mesures complémentaires, laquelle a forcément pour effet de retarder — mais pendant au plus trois heures — la publication des résultats électoraux dans les provinces de l’Atlantique. Au Québec, en Ontario, dans les provinces des Prairies, en Alberta et dans une petite partie de la Colombie‑Britannique, la publication des résultats des provinces Maritimes est retardée de deux heures. Dans le reste de la Colombie‑Britannique, le délai d’attente est de deux heures et demie. Et dans les deux cas, la publication des résultats électoraux de Terre‑Neuve est retardée pendant une demi‑heure supplémentaire.

57 Il est admis que, bien qu’il soit de courte durée, le délai d’attente restreint la liberté d’expression garantie par l’al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés. La question décisive est de savoir si cette restriction est justifiée au sens de l’article premier de la Charte.

58 Dans l’examen de cette question, j’estime important de rappeler d’entrée de jeu que nous sommes en présence d’un élément d’un système électoral global qui restreint temporairement diverses formes d’expression, notamment les sondages à la sortie des bureaux de scrutin et la publicité le jour du scrutin, mesure dont la Cour a unanimement confirmé la validité tout récemment dans l’arrêt Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827, 2004 CSC 33. Dans ce contexte, nous devons faire particulièrement attention de ne pas usurper le rôle du législateur dans l’établissement des règles du jeu électoral les plus appropriées pour l’ensemble du Canada. De plus, nous devons résister à toute tentation qui reposerait sur de simples préférences, même fondées sur des raisons objectives soigneusement expliquées, de toucher à ces règles, sauf si celles‑ci violent les exigences de la Constitution du Canada.

59 Pour ce qui est des règles électorales de ce genre, lorsque le Parlement légifère suivant sa préférence, les tribunaux font alors montre de déférence — sauf prescription contraire de la Constitution. Toutefois, il ne faut pas assimiler cette déférence judiciaire à une vigilance constitutionnelle amoindrie, et encore moins à une approbation ou constitutionnalisation judiciaire. Notre rôle consiste simplement à décider si le choix qu’a privilégié le législateur et qui est contesté respecte les prescriptions de la Constitution. Quoique je conclue à la validité de ce choix en l’espèce, je prends bien soin d’ajouter que le Parlement peut évidemment changer d’avis. Dans la mesure où elles respectent les limites prévues par la Constitution, les décisions de politique générale de cette nature demeurent la prérogative du législateur, non des tribunaux.

60 Pour les motifs déjà exposés et pour ceux qui suivent, je suis plutôt d’avis, comme le juge Bastarache, de rejeter le pourvoi.

II

61 Aux termes de l’article premier de la Charte, au Canada, la liberté d’expression ne peut être restreinte « que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». Toute restriction doit satisfaire à deux critères principaux. Premièrement, la validité d’une restriction d’un droit garanti par la Charte ne peut être sauvegardée par l’article premier que si l’objet de cette restriction répond à une préoccupation urgente et réelle dans une société libre et démocratique; deuxièmement, la restriction doit satisfaire aux exigences de proportionnalité que notre Cour a formulées dans l’arrêt Oakes, puis précisées dans des arrêts subséquents (R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103).

62 À l’instar des juges Bastarache et Abella, je suis d’avis que la restriction en cause dans le présent pourvoi satisfait aisément au premier critère. Elle a pour objet d’éliminer ou à tout le moins, si la première solution n’est pas possible, d’atténuer le déséquilibre informationnel qui existerait en son absence. Sans cette restriction, les électeurs du Centre et de l’Ouest du Canada auraient accès, avant de voter, aux résultats électoraux des provinces de l’Atlantique alors que les électeurs de ces provinces ne disposeraient pas d’une telle information. Selon le gouvernement, ce déséquilibre informationnel crée dans le système électoral canadien une situation qui est injuste ou, du moins, perçue comme telle.

63 Avant d’aborder le deuxième critère — la proportionnalité — , je tiens à souligner que nous traitons ici d’un élément important du système électoral canadien. Dictée dans une large mesure par la géographie du Canada, la disposition contestée fait partie du régime législatif complexe que le législateur a élaboré pour donner suite aux constatations et recommandations de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis (la « Commission Lortie »), Pour une démocratie électorale renouvelée (1991).

64 L’analyse de la proportionnalité soulève trois questions. La première est de savoir s’il existe un « lien rationnel » entre la préoccupation urgente et réelle invoquée par le gouvernement et la restriction adoptée par le législateur pour y remédier. Tout comme mes collègues, je réponds sans hésitation à cette question par l’affirmative.

65 La deuxième question consiste à se demander si la restriction porte le moins possible atteinte au droit garanti par la Charte qui est visé. Je reconnais, bien sûr, que c’est au gouvernement qu’il incombe de justifier l’atteinte au regard de l’article premier de la Charte et non à ceux dont les droits sont restreints. Cela vaut autant pour le critère de l’atteinte minimale que pour les autres critères. J’estime néanmoins opportun de signaler que ceux qui prônent l’annulation du délai d’attente avant la publication contesté en l’espèce n’ont pas proposé de solution de rechange raisonnable et moins attentatoire à la restriction, aussi imparfaite soit‑elle, qu’a choisie le législateur. La juge Abella estime qu’il n’est pas nécessaire de le faire; le juge Bastarache, par contre, démontre dans sa méticuleuse analyse de la question, que nous sommes en présence d’une restriction qui satisfait à l’exigence de l’« atteinte minimale » de l’arrêt Oakes, et je ne considère pas nécessaire d’ajouter quoi que ce soit à ses motifs sur ce point.

66 Ce qui m’amène à la troisième et dernière question de l’analyse de la proportionnalité. Et cette question consiste à déterminer si l’effet bénéfique de la restriction l’emporte sur ses effets préjudiciables. À cet égard, je souligne que la restriction de la liberté d’expression en cause en l’espèce n’entraîne pas la suppression de quelque information que ce soit, mais seulement un court délai d’attente avant la communication de celle‑ci aux électeurs qui n’ont pas encore voté. Si ce délai a quelque effet sur le résultat des élections, il contribue alors, dans la mesure de cet effet, à remédier au déséquilibre informationnel qui, reconnaît‑on, constitue une préoccupation urgente et réelle; s’il n’a aucune incidence sur le résultat, il a au moins le mérite d’éliminer la perception d’injustice causée par ce seul déséquilibre informationnel.

67 Le gouvernement affirme que l’art. 329 de la Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9, a pour objet d’éviter le préjudice attribuable au déséquilibre informationnel et à la perception d’injustice du processus électoral qui découle de ce déséquilibre. La preuve scientifique présentée par le gouvernement à l’appui de cette affirmation n’est toutefois pas à elle seule concluante. Et, je le répète, lorsque le gouvernement invoque l’article premier de la Charte, comme il le fait en l’espèce, il se doit d’établir que la justification de la restriction par le législateur d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution peut se démontrer dans une société libre et démocratique comme la nôtre. Il ne lui suffit pas de l’affirmer. Le gouvernement doit faire « une démonstration raisonnée du bien visé par la loi par rapport à la gravité de la violation » (RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 129).

68 Dans l’arrêt Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, puis dans l’arrêt Harper, la Cour a reconnu que « [l]e contexte dans lequel s’inscrit la disposition contestée détermine le type de preuve que le tribunal requerra du législateur pour justifier ses mesures au regard de l’article premier » (Harper, par. 76). Tout comme le juge Bastarache, je suis d’avis que le facteur contextuel le plus important en l’espèce est la nature du préjudice, lequel s’oppose intrinsèquement à toute mesure précise de ses effets. La justification invoquée par le gouvernement doit être appréciée dans cette optique.

69 En l’absence de preuves scientifiques déterminantes de l’existence des préjudices invoqués par le gouvernement dans Harper et Thomson Newspapers, la Cour a jugé bon, dans ces deux affaires, de faire appel « à la logique, à la raison et à certaines preuves relevant des sciences sociales dans le cours de l’analyse de la justification » (Harper, par. 78; dans le même sens, Thomson Newspapers, par. 104‑107). Cette approche est tout aussi indiquée en l’espèce.

III

70 La Commission Lortie a conclu que « les Canadiens et Canadiennes sont très sensibles à la divulgation prématurée des résultats et souhaitent que ce problème soit résolu en modifiant les heures du scrutin » (vol. 2, p. 90). La Commission a reconnu que les problèmes liés au déséquilibre informationnel ne se limitaient pas au fait que certains électeurs connaissaient les résultats électoraux d’autres régions avant de se rendre eux‑mêmes aux urnes. Comme le mentionne le juge Bastarache, la Commission a examiné diverses autres solutions en vue de corriger la situation : par exemple établir des heures de scrutin uniformes dans l’ensemble du pays, retarder le dépouillement du scrutin ou encore étaler le vote sur une période de deux jours. Ces mesures, qui auraient fait en sorte qu’aucun électeur n’aurait appris les résultats avant la fermeture des bureaux de scrutin partout au pays, ont toutefois été jugées par la Commission trop perturbatrices pour l’électorat et le personnel électoral (vol. 2, p. 91). Cette dernière a en conséquence recommandé l’adoption d’heures de scrutin partiellement décalées.

71 Après mûre réflexion, le législateur a plutôt retenu une solution mixte qui ajoutait au délai d’attente avant la publication existant un décalage partiel des heures dans les différents fuseaux horaires. Les deux mesures visent le déséquilibre informationnel entre les circonscriptions, et les constatations de la Commission Lortie constituent une assise solide permettant de conclure que ce déséquilibre crée un préjudice réel et important.

72 Suivant un sondage réalisé en 2005 par le Centre de recherche Décima/Université Carleton, qui a été présenté comme nouvel élément de preuve, 70 pour 100 des Canadiens interrogés « croient que personne ne devrait connaître les résultats des autres provinces avant la fermeture des bureaux de scrutin de [sa] circonscription ». Tout comme la juge Abella, je suis d’avis que cet élément de preuve aurait été plus convaincant si on avait expliqué le contexte des heures décalées. Mais le fait qu’un argument plus convaincant aurait pu être présenté ne signifie pas que l’argument présenté doit être rejeté.

73 Bref, le sondage réalisé par Décima demeure une preuve non contredite attestant que les Canadiens accordent de l’importance au principe de l’égalité informationnelle. De plus, la Cour a jugé que « [l]a perception du public est de la plus haute importance lorsqu’il s’agit de préserver et de soutenir le régime électoral au Canada » (Harper, par. 82). En conséquence, la preuve Décima possède une valeur probante et on ne saurait la rejeter ou en faire abstraction pour le motif qu’elle aurait pu être encore plus convaincante.

74 Le gouvernement a également fait déposer un témoin expert, M. Robert MacDermid, professeur de science politique à l’Université York. Comme le souligne le juge Bastarache, le professeur MacDermid qualifie l’égalité informationnelle de [traduction] « postulat essentiel de la démocratie électorale ». Le professeur MacDermid a également affirmé que la connaissance des premiers résultats électoraux pouvait avoir un effet néfaste sur le comportement des électeurs.

75 Il est vrai qu’en contre‑interrogatoire le professeur MacDermid a semblé reconnaître qu’il doit y avoir eu une prédiction des médias quant à l’issue finale du scrutin pour que les résultats déjà connus aient une influence sur le comportement des électeurs n’ayant pas encore voté. En réinterrogatoire, cependant, le professeur MacDermid a ensuite expliqué que les électeurs pouvaient très bien tirer leurs propres conclusions en l’absence d’une prédiction officielle des médias, et que l’effet pourrait donc fort bien s’avérer le même.

76 Enfin, le professeur MacDermid a déclaré que, si le délai d’attente avant la publication était supprimé, les réseaux de radiodiffusion et télédiffusion s’efforceraient de mettre au point des modèles permettant de prédire les résultats de l’élection à partir des seuls résultats des provinces de l’Atlantique. Il s’agit là d’une preuve additionnelle que le délai d’attente avant la publication produit un effet bénéfique et que son abrogation ou son invalidation pourrait bien avoir un effet préjudiciable.

77 Encore là, je reconnais que les seuls résultats des élections dans les 32 circonscriptions des provinces de l’Atlantique ne déterminent pas qui va former le gouvernement. Néanmoins, la divulgation hâtive de cette information peut très bien déterminer comment les électeurs des autres régions vont voter, ou s’ils vont le faire, surtout lorsque les résultats obtenus dans ces 32 circonscriptions causent une surprise ou suscitent des craintes subjectives. D’ailleurs, les médias qui sont intervenus en l’espèce — et qui contestent le délai d’attente — tiennent pour acquis que la connaissance des premiers résultats aura une certaine influence sur les électeurs qui y auront accès. Ceux qui n’ont pas encore voté, prétend‑on, ont droit à cette information pour décider comment ils entendent voter — ou, si l’on veut, pour faire le choix le plus éclairé possible.

78 En outre, même si l’on tient pour acquis que la publication des premiers résultats n’aurait aucune influence sur les électeurs qui n’ont pas encore voté, le rapport de la Commission Lortie et le sondage Décima étayent l’affirmation du gouvernement selon laquelle le déséquilibre informationnel crée à lui seul une perception d’injustice du système électoral, situation qui constitue en soi un préjudice que le législateur peut corriger.

79 Je reconnais évidemment que les technologies de communication modernes réduisent l’efficacité du délai d’attente et, par voie de conséquence, ses effets bénéfiques. L’article 329 ne saurait empêcher — et d’ailleurs n’empêche pas — totalement les électeurs du Centre ou de l’Ouest du Canada qui sont vraiment déterminés à savoir ce qui s’est passé dans les provinces de l’Atlantique avant de se rendre eux‑mêmes aux urnes d’obtenir cette information par téléphone ou par courrier électronique, par exemple. Cependant, il a à tout le moins pour effet de freiner la diffusion générale de cette information et de contribuer ainsi de façon appréciable à la réalisation de son objectif — l’égalité informationnelle entre les électeurs des différentes régions du pays.

80 Les effets préjudiciables du délai d’attente sont, à l’inverse, minimes. Comme je l’ai mentionné au début, la restriction de la liberté d’expression en cause dans le présent pourvoi n’implique aucune suppression de l’information, mais seulement un court délai d’attente avant sa communication aux électeurs qui n’ont pas encore voté. Ce délai est d’une durée de trois heures tout au plus — un délai beaucoup plus court que l’embargo de 20 heures sur la publicité politique dont notre Cour a unanimement confirmé la validité dans l’arrêt Harper.

81 Enfin, quoique l’expression politique soit indubitablement un aspect fondamental de la garantie énoncée à l’al. 2b), le fait d’interdire la publication d’information concernant les résultats électoraux des autres provinces jusqu’à ce que tous les bureaux de scrutin soient fermés n’a pas un caractère aussi restrictif que si une telle interdiction s’appliquait après la fermeture de ces bureaux. La plupart des électeurs n’ont pas accès aux résultats dans leur propre circonscription ou ailleurs tant que les bureaux de scrutin ne sont pas fermés. Comment alors ces résultats pourraient‑ils constituer, avant l’exercice par un électeur de son droit de vote, « un élément important du discours politique »? (Thomson Newspapers, par. 91). Cela ne veut pas dire que la publication de ces résultats ne jouit d’aucune protection; en revanche, cela signifie que le court délai d’attente avant la communication des résultats électoraux des 32 circonscriptions des provinces de l’Atlantique n’a que des conséquences préjudiciables mineures, et que ses effets bénéfiques prédominent.

IV

82 Pour les motifs qui précèdent, je partage l’opinion du juge Bastarache et de la majorité de la Cour d’appel que le gouvernement s’est acquitté du fardeau qui lui incombait en application de l’article premier de la Charte. En conséquence, je rejetterais le pourvoi.

Version française des motifs rendus par

83 Les juges Deschamps, Charron et Rothstein — Nous souscrivons aux méthodes d’analyse que les juges Bastarache et Fish adoptent et sommes d’accord avec leur conclusion. Le pourvoi est tranché à l’étape de l’analyse de la proportionnalité dans le cadre du critère Oakes (R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103); à cet égard, nous estimons que leurs motifs sont complémentaires. Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.

Version française des motifs de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel et Abella rendus par

84 La juge Abella (dissidente) — La Loi électorale du Canada interdit la diffusion de résultats électoraux dans les circonscriptions dont les bureaux de scrutin sont encore ouverts. Ainsi, les résultats pour les 32 circonscriptions de la région de l’Atlantique ne peuvent être communiqués dans d’autres parties du Canada avant la fermeture des bureaux de scrutin dans cette partie du pays, ce qui crée un embargo de une heure et demie à trois heures pour les médias. La Cour doit déterminer en l’espèce si cette interdiction porte atteinte de façon injustifiée au droit à la liberté d’expression garanti par l’al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Contexte

85 En 1938, le Parlement a érigé en infraction pénale la transmission publique des résultats électoraux dans les circonscriptions où les bureaux de scrutin sont encore ouverts, en édictant l’art. 107 de la Loi des élections fédérales, 1938, S.C. 1938, ch. 46. L’interdiction a été imposée parce que, les circonscriptions canadiennes se trouvant réparties dans plusieurs fuseaux horaires, les électeurs de l’Ouest du pays pouvaient connaître les résultats probables du scrutin avant d’aller voter.

86 Une cinquantaine d’années plus tard, en 1989, une commission royale a été nommée pour examiner le système électoral canadien. Connue sous le nom de Commission Lortie (la « Commission »), elle a déposé son rapport en 1991 (Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, Pour une démocratie électorale renouvelée). L’aspect de ce rapport qui présente le plus de pertinence pour le présent pourvoi est la reconnaissance qu’il est important que les électeurs de l’Ouest canadien ne sachent pas qui formera le gouvernement avant de pouvoir voter. La Commission a conclu toutefois que la solution en place — l’interdiction de publication — « est aujourd’hui désuète en raison des nouvelles techniques de radiodiffusion et de télécommunications » (vol. 2, p. 90).

87 Elle a donc recommandé de remplacer cette interdiction par un décalage des heures de scrutin. Bien qu’il y ait toujours un laps de temps entre la fermeture des bureaux de scrutin des provinces de l’Atlantique et celle des bureaux de l’Ouest du pays, même avec le décalage, elle a conclu :

Il s’agit [. . .] d’élaborer un mécanisme qui réponde aux préoccupations des provinces de l’Ouest, qui soit équitable envers les différents groupes et régions, et qui ne perturbe pas trop l’électorat ni le personnel électoral. L’objectif fondamental, rappelons‑le, est de veiller à ce que les électeurs et électrices des provinces de l’Ouest ne sachent pas avant la fermeture de leurs bureaux de vote qui formera le prochain gouvernement. On doit donc éviter la divulgation prématurée des résultats de l’Ontario et du Québec, dont les 174 circonscriptions constituent plus de la moitié des sièges de la Chambre des communes. Il nous apparaît toutefois que la divulgation de quelques résultats — en l’occurrence ceux des 32 sièges des provinces de l’Atlantique — serait acceptable, à condition que les autres résultats de l’Est ne soient rendus publics qu’après la clôture du scrutin dans l’Ouest.

Trois heures séparent les fuseaux horaires de l’Est et du Pacifique, et le personnel des bureaux de vote commence à annoncer les résultats environ une demi‑heure après la clôture du scrutin. . . [Je souligne; vol. 2, p. 91.]

88 En réponse à cette recommandation, le Parlement a adopté en 1996 un système d’heures de scrutin décalées (Loi modifiant la Loi électorale du Canada, la Loi sur le Parlement du Canada et la Loi référendaire, L.C. 1996, ch. 35, art. 44.1), qui représente une légère modification par rapport au décalage recommandé par la Commission et qui est maintenant prévu à l’art. 128 de la Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9 :

128. (1) Les heures de vote le jour du scrutin sont :

a) de 8 h 30 à 20 h 30 si la circonscription est située dans le fuseau horaire de Terre‑Neuve, de l’Atlantique ou du Centre;

b) de 9 h 30 à 21 h 30 si la circonscription est située dans le fuseau horaire de l’Est;

c) de 7 h 30 à 19 h 30 si la circonscription est située dans le fuseau horaire des Rocheuses;

d) de 7 h à 19 h si la circonscription est située dans le fuseau horaire du Pacifique.

89 L’interdiction de diffusion initialement prévue à l’art. 107 de la Loi des élections fédérales a été toutefois retenue. Elle se retrouve aujourd’hui à l’art. 329 de la Loi électorale du Canada sous le libellé suivant :

329. Il est interdit de diffuser le résultat ou ce qui semble être le résultat du scrutin d’une circonscription dans une circonscription avant la fermeture de tous les bureaux de scrutin de cette dernière.

Compte tenu de la demi‑heure dont, selon la Commission, le personnel des bureaux de scrutin a besoin au minimum avant de commencer à annoncer les résultats à la fin du vote, la combinaison des heures décalées et de l’interdiction prévue à l’art. 329 crée un embargo sur les résultats électoraux pour les 32 circonscriptions des provinces de l’Atlantique, qui est de une heure à deux heures et demie au Québec jusqu’en Alberta et de deux heures et demie à trois heures dans la zone située dans le fuseau horaire du Pacifique. Il est indéniable que les seuls résultats que pourraient connaître les électeurs hors des provinces de l’Atlantique s’il n’y avait pas d’interdiction seraient ceux pour ces 32 circonscriptions. Or, le Canada compte actuellement 308 circonscriptions fédérales.

90 Le 27 octobre 2000, Paul Charles Bryan a exprimé publiquement son intention d’afficher, sur son site Web avant la fermeture des bureaux de scrutin de l’Ouest canadien, les résultats du scrutin fédéral provenant des circonscriptions situées dans les provinces de l’Atlantique. Dans sa lettre du 21 novembre 2000, le commissaire aux élections fédérales l’a averti que, s’il donnait suite à son projet, il contreviendrait à l’art. 329 de la Loi électorale du Canada.

91 Malgré cet avertissement, M. Bryan a affiché dans la soirée des élections fédérales du 27 novembre 2000 les résultats pour la région de l’Atlantique sur son site Web avant la fermeture des bureaux de scrutin de l’Ouest canadien. Il a été accusé d’avoir enfreint l’art. 329 de la Loi électorale du Canada et, à son procès, il a plaidé que l’interdiction prévue par cette disposition contrevenait à l’al. 2b) de la Charte.

92 Le juge Smith a confirmé la validité de l’interdiction ((2003), 104 C.R.R. (2d) 364, 2003 BCPC 39). Il a conclu que celle‑ci était justifiée au sens de l’article premier de la Charte, se fondant particulièrement sur le témoignage de M. Robert Hugh MacDermid, professeur de science politique à l’Université York. Le professeur MacDermid a expliqué que, selon des études menées aux États‑Unis, la connaissance des résultats électoraux pour le reste du pays, surtout si elle est conjuguée avec les prédictions des médias concernant l’issue du scrutin, pouvait influer sur le comportement des électeurs, notamment entraîner le vote stratégique et une diminution de la participation électorale. Le juge Smith a conclu que la communication prématurée des résultats pour l’Est du Canada pourrait avoir une incidence négative sur le comportement des électeurs dans le reste du pays, déclarant :

[traduction] Il tombe sous le sens que la communication prématurée des résultats pourrait entraîner des conséquences indésirables, surtout s’ils indiquent qu’un parti, contre toute attente, remporte une victoire écrasante. Des gens pourraient décider de ne pas voter parce que le parti de leur choix n’est pas en danger ou qu’il se trouve dans une situation désespérée. D’autres, qui n’avaient pas l’intention de voter, pourraient changer d’avis et aller aux urnes. Le vote stratégique est permis. Il s’agit pour un partisan du parti A de voter pour le parti B dans l’espoir d’empêcher l’élection du candidat du parti C. Les électeurs au courant des résultats électoraux pour l’Est du Canada avant la fermeture de leurs bureaux de scrutin disposeraient de renseignements [. . .] que n’avaient pas les autres citoyens. Le ministère public emploie le terme déséquilibre informationnel pour décrire la situation où des électeurs reçoivent plus de renseignements que d’autres. Cette description semble raisonnablement exacte. [par. 9]

Il a donc rejeté la requête fondée sur la Charte qu’a présentée M. Bryan, a déclaré ce dernier coupable et lui a imposé une amende de 1 000 $.

93 En appel devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, le juge Kelleher a accueilli l’appel formé contre cette condamnation ((2003), 233 D.L.R. (4th) 745, 2003 BCSC 1499), concluant que l’art. 329 de la Loi électorale du Canada contrevenait à l’al. 2b) de la Charte et n’était pas justifié au sens de l’article premier, principalement parce que la preuve ne permettait pas d’établir que l’objectif du gouvernement — [traduction] « empêcher le déséquilibre informationnel que pourrait engendrer la communication prématurée des résultats électoraux pour l’Est du Canada » — était un objectif urgent et réel (par. 41). Même si l’objectif était suffisamment important, à son avis, l’interdiction n’était pas une mesure proportionnelle.

94 À la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, la juge Rowles, rendant jugement pour la majorité, a conclu que le juge Kelleher avait eu tort d’exiger la preuve directe d’une incidence négative sur le comportement des électeurs ((2005), 253 D.L.R. (4th) 137, 2005 BCCA 285). Selon elle, [traduction] « lorsque l’interdiction de diffusion prévue à l’art. 329 semble avoir le même but ou objectif que le décalage des heures de scrutin, à savoir l’élimination du déséquilibre informationnel susceptible de découler de la communication de résultats avant la fermeture de tous les bureaux de scrutin, l’argument de l’intimé concernant l’absence d’éléments de preuve justifiant l’interdiction s’écroule » (par. 59). Elle a ainsi statué que l’objet de l’art. 329 était urgent et réel et que l’interdiction avait plus d’effets bénéfiques que d’effets préjudiciables. La limite à la liberté d’expression créée par l’art. 329 de la Loi électorale du Canada est donc justifiée au sens de l’article premier. Dans sa dissidence, la juge Saunders a conclu que l’interdiction énoncée à l’art. 329 n’était pas justifiée, car ses effets préjudiciables — l’inaccessibilité des résultats électoraux — l’emportaient sur ses effets bénéfiques.

Analyse

95 Le décalage des heures de scrutin tel qu’il est prévu actuellement à l’art. 128 de la Loi électorale du Canada vise à garantir que les seuls résultats que pourraient connaître les électeurs qui vivent hors du Canada Atlantique sont ceux pour les 32 circonscriptions de cette région. L’interdiction prévue à l’art. 329 empêche ces électeurs de connaître même ces résultats avant d’aller voter.

96 Dans deux affaires récentes, Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, et Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827, 2004 CSC 33, la Cour a eu à statuer sur la constitutionnalité d’autres dispositions de la Loi électorale du Canada qu’on prétendait incompatibles avec l’al. 2b) de la Charte. Dans Thomson Newspapers, elle a conclu que l’art. 322.1 de cette loi, lequel interdit d’annoncer, de publier ou de diffuser les résultats de sondages d’opinion au cours des trois derniers jours d’une campagne électorale fédérale, violait l’al. 2b) de la Charte. Au nom de la majorité, le juge Bastarache a statué que les limites ne pouvaient se justifier selon l’article premier parce que l’atteinte n’était pas minimale. Dans Harper, il s’agissait de déterminer si les plafonds de dépenses publicitaires de tiers prévus par les par. 323(1) et (3) et les art. 350 à 357, 359, 360 et 362 de la Loi électorale du Canada violaient l’al. 2b) de la Charte. Le juge Bastarache, rendant encore une fois jugement pour la majorité, a conclu que, même si la publicité électorale faite par des tiers constitue une forme d’expression politique à laquelle les plafonds de dépenses portent atteinte, il s’agit de limites justifiées au sens de l’article premier.

97 Compte tenu de ces décisions, les parties en l’espèce reconnaissent que la publication de résultats électoraux constitue une forme d’expression politique. Elles ne contestent pas non plus l’argument que l’interdiction de diffuser des résultats électoraux prévue à l’art. 329 de la Loi électorale du Canada contrevient à l’al. 2b). La principale question en litige consiste donc à savoir si cette violation est justifiée au sens de l’article premier de la Charte, lequel est ainsi libellé :

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

En particulier, il faut se demander si la preuve présentée en l’espèce par le gouvernement est suffisante pour justifier la violation.

98 Dans l’analyse fondée sur l’article premier, il faut d’abord déterminer si l’objectif de la limitation du droit garanti par la Charte est suffisamment important pour justifier une atteinte à un droit jouissant d’une protection constitutionnelle. C’est seulement si le gouvernement peut démontrer que cet objectif est urgent et réel qu’on passe à la seconde étape, celle de l’examen du critère de la proportionnalité. Cette seconde étape de l’analyse comporte trois volets : la mesure restrictive a‑t‑elle un lien rationnel avec l’objectif, porte‑t‑elle le moins possible atteinte au droit et y a‑t‑il proportionnalité entre les effets préjudiciables et effets bénéfiques de la limite?

99 Comme la Cour l’a constamment répété, l’expression politique appartient au coeur conceptuel des valeurs que vise à protéger l’al. 2b), dont voici le texte :

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

. . .

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

Selon l’article premier, il incombe donc au gouvernement de démontrer que l’atteinte à une forme d’expression se trouvant au coeur d’un droit reconnu par la Constitution est justifiée. Comme le juge en chef Dickson l’a très clairement souligné dans R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, la preuve nécessaire pour établir les éléments constitutifs de l’analyse fondée sur l’article premier « doit être forte et persuasive et faire ressortir nettement à la cour les conséquences d’une décision d’imposer ou de ne pas imposer la restriction » (p. 138).

100 Fait révélateur, toutefois, il a reconnu qu’« il peut arriver que certains éléments constitutifs d’une analyse en vertu de l’article premier soient manifestes ou évidents en soi » (p. 138). Cette reconnaissance que la justification du gouvernement relève à certains égards de l’évidence a fait l’objet de clarifications et d’explicitations, en particulier dans RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, où la juge McLachlin a décrit en ces termes le fardeau de justification qui incombe au gouvernement selon l’article premier (par. 127‑129, 154 et 137) :

Premièrement, pour qu’une disposition puisse être sauvegardée en vertu de l’article premier, la partie qui défend la loi [. . .] doit établir que la loi qui porte atteinte au droit ou à la liberté garantis par la Charte est « raisonnable ». En d’autres termes, la mesure attentatoire doit être justifiable par application de la raison et de la rationalité. La question n’est pas de savoir si la mesure est populaire ou compatible avec les sondages d’opinion publique. Elle est plutôt de savoir si cette mesure peut être justifiée par l’application du processus de la raison. Dans le contexte juridique, la raison comporte la notion d’inférence à partir de la preuve ou des faits établis. Il ne s’agit pas d’éliminer le rôle de l’intuition, ni d’exiger chaque fois une preuve répondant aux normes scientifiques, mais bien d’insister sur une défense rationnelle et raisonnée.

Deuxièmement, pour s’acquitter du fardeau que lui impose l’article premier de la Charte, l’État doit établir que la violation comprise dans une loi se situe à l’intérieur de limites « dont la justification puisse se démontrer ». Le choix de l’expression « puisse se démontrer » est important. Il ne s’agit pas de procéder par simple intuition, ou d’affirmer qu’il faut avoir de l’égard pour le choix du Parlement. Il s’agit d’un processus de démonstration. Cela renforce la notion propre au terme « raisonnable » selon laquelle il faut tirer une inférence rationnelle de la preuve ou des faits établis.

La démarche fondamentale est la suivante. Bien qu’ils doivent demeurer conscients du contexte socio‑politique de la loi attaquée et reconnaître les difficultés qui y sont propres en matière de preuve, les tribunaux doivent néanmoins insister pour que, avant qu’il ne supprime un droit protégé par la Constitution, l’État fasse une démonstration raisonnée du bien visé par la loi par rapport à la gravité de la violation. Les tribunaux doivent respecter cette démarche fondamentale pour que les droits garantis par notre constitution soient opérants. Ce n’est pas une tâche facile, et les tribunaux devront peut‑être affronter le courant d’opinion publique. Cependant, c’est depuis toujours le prix du maintien des droits constitutionnels. Si important que puisse sembler l’objectif du Parlement, si l’État n’a pas démontré que les moyens qu’il utilise pour atteindre son objectif sont raisonnables et proportionnels à la violation des droits, la loi doit alors par nécessité être déclarée non valide.

. . .

Par contre, dans les cas où une loi vise une modification du comportement humain, [. . .] le lien causal pourrait bien ne pas être mesurable du point de vue scientifique. Dans ces cas, notre Cour s’est montrée disposée à reconnaître l’existence d’un lien causal entre la violation et l’avantage recherché sur le fondement de la raison ou de la logique, sans insister sur la nécessité d’une preuve directe de lien entre la mesure attentatoire et l’objectif législatif : R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, aux pp. 768 et 777; R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, à la p. 503.

. . .

. . . la prépondérance des probabilités s’établit par application du bon sens à ce qui est connu, même si ce qui est connu peut comporter des lacunes du point de vue scientifique . . . [Je souligne; soulignement dans l’original supprimé.]

101 Dans Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [2002] 3 R.C.S. 519, 2002 CSC 68, la juge en chef McLachlin a en outre expliqué l’interaction entre la preuve, l’inférence et le bon sens dans une analyse fondée sur l’article premier :

Alors que certaines propositions peuvent être démontrées de façon empirique ou avec une précision mathématique, d’autres, qui impliquent des considérations philosophiques, politiques et sociales, ne peuvent l’être. Dans ce cas, il suffit que la justification soit convaincante, c’est‑à‑dire qu’il suffit de convaincre la personne raisonnable prenant en compte tous les éléments de preuve et toutes les considérations pertinentes que l’État est justifié de porter une telle atteinte au droit en question: voir RJR-MacDonald, précité, par. 154, le juge McLachlin; R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, p. 502‑503, le juge Sopinka. [. . .] La preuve peut être complétée par le bon sens et le raisonnement par déduction : R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, par. 78, le juge en chef McLachlin. [Je souligne; par. 18.]

102 Le juge Bastarache a pareillement confirmé dans Harper que les « tribunaux peuvent se fonder sur une crainte raisonnée du préjudice » et que « la logique et la raison, conjuguées à certains éléments de preuve relevant des sciences sociales, démontrent de façon suffisante l’existence du préjudice auquel le Parlement cherche à remédier » (par. 77 et 79).

103 Ces arrêts indiquent la reconnaissance par les tribunaux que les décisions de principe du gouvernement représentent souvent des conclusions polycentriques complexes qu’il est difficile d’« évalu[er] précisément » (McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, p. 304). Toutefois, même si la preuve scientifique n’est pas toujours nécessaire ou disponible et qu’on peut se fonder sur des éléments de preuve relevant des sciences sociales appuyés par la logique et la raison, il faut que la preuve établisse les conséquences découlant de la restriction imposée ou de l’absence de restriction. Comme la juge en chef McLachlin l’a signalé dans Sauvé, « il faut se méfier des stéréotypes qui revêtent les apparences du bon sens et se garder de substituer la retenue à la démonstration raisonnée requise par l’article premier » (par. 18).

104 Il faut tout d’abord déterminer si l’objectif du gouvernement est « urgent et réel ». La raison qu’invoque le gouvernement pour justifier l’interdiction de diffusion actuellement énoncée à l’art. 329 est d’empêcher un déséquilibre informationnel qui pourrait avoir une incidence négative sur le comportement des électeurs ou leur perception de l’équité électorale. La Cour a reconnu dans Harper que « fai[re] en sorte que les électeurs de tous les coins du pays disposent des mêmes renseignements avant de se rendre aux urnes » constitue un objectif urgent et réel (par. 132). Je ne vois aucune raison de revenir sur cette conclusion en l’espèce et je reconnais d’emblée l’importance de maintenir la confiance du public à l’égard de l’équité électorale et de l’intégrité du système électoral, comme l’a fait le juge Bastarache dans Harper lorsqu’il a affirmé :

La perception du public est de la plus haute importance lorsqu’il s’agit de préserver et de soutenir le régime électoral au Canada. [. . .] L’équité électorale est l’élément clé. [par. 82]

105 L’analyse du « lien rationnel » constitue la première étape de la détermination de la proportionnalité. À mon avis, il est difficile de contester qu’il existe un lien rationnel entre l’art. 329 et l’objectif d’empêcher un déséquilibre informationnel. Comme le juge Kelleher l’a fait observer, [traduction] « Si l’objectif est d’empêcher le déséquilibre informationnel créé par la transmission, dans l’Ouest du pays, des résultats électoraux pour le Canada atlantique, l’interdiction de ces transmissions est une manière tout à fait rationnelle d’atteindre cet objectif » (par. 48). Cette conclusion est également conforme à l’arrêt Harper, dans lequel le juge Bastarache a statué que : « la période d’interdiction de publicité [électorale] est rationnellement liée au souci de mettre les mêmes renseignements à la disposition de tous les électeurs, lorsque la chose est possible » (par. 133).

106 Il est toutefois difficile de conclure qu’une limite se présentant sous la forme d’une interdiction totale porte atteinte de façon minimale au droit de connaître les résultats des élections en temps utile, c’est‑à‑dire qu’elle ne porte pas atteinte au droit plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire ou, pour reprendre la formulation de la juge McLachlin dans RJR‑MacDonald, qu’elle est « soigneusement adaptée de façon à ce que l’atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est nécessaire » (par. 160). Mais il est inutile, à mon avis, de pousser davantage l’analyse de la question, car la justification invoquée par le gouvernement comporte un vice fatal pour ce qui est du reste de l’analyse de la proportionnalité, à savoir l’affirmation que les effets bénéfiques de la limite imposée sont proportionnels à ses effets préjudiciables.

107 Pour les motifs exposés ci‑après, j’estime que la preuve présentée en l’espèce par le gouvernement n’apporte pas la « démonstration raisonnée » exigée pour justifier le degré d’atteinte porté au droit en l’espèce. Toute preuve que la connaissance des résultats électoraux pour le Canada atlantique a un effet préjudiciable sur la perception ou le comportement des électeurs avant qu’ils aillent voter est hypothétique, inconcluante et largement non fondée. Par contre, la suppression d’une expression politique fondamentale cause un préjudice profond. Par conséquent, les effets préjudiciables de l’interdiction dépassent de loin ses effets bénéfiques.

108 Dans Thomson Newspapers, la Cour a reconnu que le genre de preuve qu’exige l’analyse fondée sur l’article premier varie selon la « gravité » et la « vraisemblance » du préjudice auquel la restriction cherche à remédier (par. 111). L’embargo prévu à l’art. 329 vise à empêcher le déséquilibre informationnel afin de préserver l’équité électorale, qu’elle soit perçue ou réelle. Il convient toutefois d’évaluer ce déséquilibre non pas dans l’abstrait, mais dans le contexte du décalage des heures de scrutin. Il ne suffit pas d’affirmer que les déséquilibres informationnels en général ont un effet préjudiciable sur la perception ou le comportement du public. L’analyse de la proportionnalité dans le cadre de l’article premier exige du gouvernement qu’il démontre, par une preuve « forte et persuasive » que ce déséquilibre informationnel particulier cause un préjudice tel qu’il justifie l’atteinte représentée par l’interdiction.

109 Quelles que soient les aspirations à l’origine du déséquilibre informationnel en cause, celui‑ci se résume maintenant au fait que des électeurs — ceux qui votent au cours des dernières heures le jour du scrutin — peuvent connaître les résultats électoraux pour les 32 circonscriptions du Canada atlantique avant d’aller voter. Il incombe donc au gouvernement de démontrer que ce déséquilibre, en raison de son effet sur la perception ou le comportement des électeurs, cause un préjudice tel que l’interdiction constitue une mesure proportionnelle qui peut se justifier, compte tenu du droit protégé en question.

110 Les droits en cause sont celui des médias et d’autres organismes de publier en temps utile les résultats électoraux et celui de tous les Canadiens de les recevoir (Thomson Newspapers, par. 127). Communiquer et recevoir des résultats électoraux sont des droits démocratiques fondamentaux. Étant donné que le droit d’être informé des résultats électoraux constitue un élément essentiel du processus démocratique, la preuve que la restriction de la disponibilité des informations est justifiée doit être claire et convaincante. À mon avis, d’après le dossier, le gouvernement se fonde sur une preuve seulement hypothétique et non convaincante pour affirmer que ce déséquilibre informationnel particulier, en raison de ses effets sur le comportement des électeurs ou leur perception d’iniquité électorale — deux problèmes que l’interdiction vise à corriger — , est suffisamment préjudiciable pour dépasser tout préjudice engendré par l’atteinte à un droit fondamental protégé par la Constitution.

111 Le gouvernement a souligné l’importance de maintenir la confiance du public dans le processus électoral et a fait valoir que l’interdiction de diffusion prévue à l’art. 329 avait pour effet bénéfique de protéger la perception du public que le processus électoral est juste et d’empêcher que la diffusion prématurée des résultats électoraux pour la région de l’Atlantique puisse avoir une incidence négative sur le comportement des électeurs. Son argument à cet égard repose essentiellement sur trois sources : le témoignage du professeur MacDermid, les conclusions de la Commission et le sondage réalisé par le Centre de recherche Décima et l’Université Carleton entre le 25 novembre et le 5 décembre 2005 (le « sondage Décima ») qui a été introduit à titre de preuve nouvelle.

112 Selon le professeur MacDermid, le déséquilibre informationnel peut avoir une incidence sur la perception et le comportement des électeurs. Son témoignage est fondé sur les études menées aux États‑Unis. L’utilité de ses conclusions en tant que preuve est donc limitée en raison d’une différence fondamentale entre les deux systèmes électoraux : l’absence de décalage des heures de scrutin aux États‑Unis. Les conséquences qu’il prévoit pour le Canada sont donc hypothétiques. Elles découlent d’un contexte électoral où, contrairement au Canada, les électeurs américains de l’Ouest pourraient en fait, d’après les résultats pour le reste du pays et les prédictions des médias, connaître l’issue probable d’un scrutin avant d’aller voter.

113 Il est toutefois révélateur que, selon toutes les études citées par le professeur MacDermid, pour que le déséquilibre informationnel provoque une incidence, à plus forte raison un effet préjudiciable, sur la participation ou le comportement des électeurs, il faut qu’il soit de nature à permettre aux électeurs de connaître ou de prédire l’issue du scrutin. Or, nulle part dans son rapport, le professeur MacDermid n’a cité une étude qui mentionne une incidence sur le comportement des électeurs en l’absence d’une telle connaissance.

114 Comme le démontrent les extraits de son contre‑interrogatoire qui figurent ci‑dessous, le professeur MacDermid a admis que, pour que des électeurs décident de ne pas aller voter, il faut qu’ils sachent au préalable quel parti va former le gouvernement, ce qui est impossible avec le décalage des heures de scrutin, comme il l’a lui‑même reconnu. Il a aussi souligné l’importance de pouvoir prédire un gagnant, sans quoi le déséquilibre informationnel n’a aucune incidence sur le comportement des électeurs :

[traduction]

Q Et vous me dites si vous -- c’est toujours votre témoignage, n’est‑ce pas? « Vous avez besoin des prédictions sur le gagnant pour pouvoir voter -- et il faut que ces prédictions soient faites et qu’elles soient différentes des résultats escomptés pour qu’on puisse parler d’effet sur la participation »?

R Absolument, je maintiens ce que j’ai dit.

. . .

Q Parmi les études que vous avez citées et sur lesquelles vous vous êtes fondé, y en a‑t‑il qui mentionnent que le fait de connaître certains résultats, mais pas l’issue . . . sans aucune projection . . . incite les gens à rester chez eux et à ne pas aller voter?

R Aucune.

. . .

Q . . . Dans toutes les études menées aux États‑Unis qui ont mentionné une incidence sur le comportement des électeurs, que ce soit la participation, le vote stratégique ou un comportement quelconque des électeurs, pour qu’on puisse conclure à un changement de comportement -- ou à ce comportement, excusez‑moi, nous ne savons s’il s’agit d’un changement, de données globales -- il faut qu’il y ait d’abord des prédictions des médias?

R Eh bien --

Q Dans les cas où les médias n’ont pas fait de prédiction parce que la course était trop serrée, je crois comprendre que les études que vous citez concluent à l’absence d’effets?

R Je pense que je l’ai admis lorsque j’ai parlé de la façon dont il faut interpréter ces études. J’ai dit qu’on ne peut concevoir qu’il y aurait des effets en l’absence de prédiction des médias, parce que c’est -- c’est une des variables présentées comme importantes, la présence de prédictions des médias, qui a un effet sur les électeurs dans certaines circonstances et à certains moments de la course, lorsqu’ils entendent cette information, cela les fait changer d’avis. C’est pourquoi sans prédiction il ne peut véritablement y avoir d’effet. Vous avez raison.

Q [P]our qu’il y ait un effet sur le comportement des électeurs . . . il faut qu’il y ait une prédiction des médias? Pas de prédiction, pas d’effet?

R Je pense que dans la mesure où l’on pose ainsi la question, oui . . . je pense que c’est exact.

115 Selon le professeur MacDermid, toutefois, [traduction] « le plus important », ce n’est pas tellement de « savoir si les électeurs recourent au vote [stratégique] » étant donné que, pour reprendre ses propos, « [i]ls ont très probablement pris la décision de le faire même avant le jour des élections et les raisons de leur choix de vote leur sont personnelles. » Malgré son observation que les résultats inconcluants n’ont aucune incidence sur la participation électorale ou le comportement des électeurs, il estime quand même que le véritable préjudice réside dans le fait que [traduction] « certains électeurs disposent de renseignements sur la course électorale que d’autres ne peuvent avoir ». Le préjudice est le simple fait qu’il y a un déséquilibre informationnel.

116 Dans son rapport, il a aussi expliqué que le préjudice résultant du déséquilibre informationnel tient à l’impression que [traduction] « les électeurs de l’Ouest du pays ne comptent pas puisque ceux de la région de l’Est ont déjà décidé de l’issue du scrutin ». Pourtant, il est difficile de voir comment cette perception de traitement injuste peut être attribuée, même théoriquement, aux électeurs de l’Ouest canadien, car, dans le contexte des heures décalées, ils ne connaîtront pas la décision finale quand ils vont voter. Quelles que soient les autres conclusions qu’ils peuvent tirer des résultats électoraux pour les provinces de l’Atlantique, ils ne pourront pas d’une façon réaliste prédire l’issue du scrutin; par conséquent, logiquement, la perception qu’ils « ne comptent pas » est improbable étant donné que les seuls résultats qu’ils connaîtront quand ils se rendent aux urnes ne représentent au plus que 11 pour 100 des résultats électoraux.

117 Le professeur MacDermid n’était pas en mesure d’appuyer sa théorie que les déséquilibres informationnels comportent un effet intrinsèquement préjudiciable. On ne peut pas écarter complètement la possibilité que des électeurs de l’Ouest du pays puissent être influencés par les résultats pour le Canada atlantique, mais il ne s’agit pas, à mon avis, de savoir si le fait de connaître les résultats pour ces 32 circonscriptions aura une incidence sur les électeurs de l’Ouest du Canada. Il est impossible d’immuniser les électeurs contre toutes les influences concevables, comme l’a conclu la Cour dans Thomson Newspapers lorsqu’elle a invalidé l’interdiction de communiquer les résultats de sondage d’opinion juste avant une élection. La question est de savoir s’il s’agit d’un effet préjudiciable, et même si le fait de décider de ne pas voter peut relever de cette catégorie, d’après le témoignage du professeur MacDermid, il n’y a aucune incidence sur la participation électorale, sauf si l’issue de l’élection est connu ou peut être connu.

118 La Commission n’appuie non plus l’argument que le déséquilibre informationnel est une si grande préoccupation pour le public qu’il justifie une interdiction totale, peu importe que les informations sur les élections ne soient pas concluantes. Le gouvernement a fait observer que, selon la Commission, les Canadiens « sont très sensibles à la divulgation prématurée des résultats et souhaitent que ce problème soit résolu en modifiant les heures du scrutin » (vol. 2, p. 90). Il convient toutefois de replacer ces propos dans leur contexte chronologique. Ils font référence à l’opinion des Canadiens avant l’institution des heures de scrutin décalées et ils expliquent pourquoi la Commission a recommandé cette mesure en remplacement de l’interdiction de diffusion des résultats électoraux. Ils expliquent aussi, tout comme le sondage Décima, dont il est question ci‑après, pourquoi je reconnais, sans équivoque, que l’objectif du gouvernement de préserver la perception d’équité électorale est urgent et réel.

119 Cependant, cet objectif ne justifie pas pour autant l’atteinte au droit. Si la Commission avait estimé que tout déséquilibre informationnel pose des problèmes ou est préjudiciable, sur le plan de la perception ou du comportement, elle aurait proposé qu’une solution comme le décalage des heures de scrutin soit accompagnée par le maintien de l’interdiction pour empêcher que la connaissance des résultats pour 32 circonscriptions n’entraîne un déséquilibre informationnel.

120 Le préjudice spécifique dont parle la Commission est le fait que des électeurs connaissent l’issue de l’élection avant d’aller voter. Elle n’a jamais laissé entendre que le simple déséquilibre informationnel crée un préjudice perceptuel à l’égard de la confiance du public dans l’équité électorale. À vrai dire, elle fait observer que « la divulgation de quelques résultats — en l’occurrence ceux des 32 sièges des provinces de l’Atlantique — serait acceptable, à condition que les autres résultats de l’Est ne soient rendus publics qu’après la clôture du scrutin dans l’Ouest » (vol. 2, p. 91 (je souligne)). Comme l’a fait remarqué le juge Kelleher, [traduction] « ce qui comptait le plus [pour la Commission] était de veiller à ce que les électeurs de l’Ouest du Canada n’apprennent pas les résultats pour le Québec et l’Ontario avant la fermeture de leurs bureaux de scrutin, parce que ces deux provinces peuvent déterminer qui formera le gouvernement » (par. 36).

121 Le préjudice perçu par la Commission — l’influence sur la perception des électeurs due à la connaissance des résultats pour l’Ontario et le Québec — est atténué par le décalage des heures de scrutin. Il reste seulement le préjudice douteux découlant de la connaissance des résultats pour les provinces de l’Atlantique en l’absence d’interdiction. Soit dit en tout respect, je ne souscris donc pas à l’affirmation de mon collègue le juge Fish que « les constatations de la Commission Lortie constituent une assise solide permettant de conclure que ce déséquilibre crée un préjudice réel et important » (par. 71).

122 Le gouvernement a également présenté le sondage Décima comme établissant que, sans l’interdiction, les Canadiens percevraient les élections comme inéquitables. Selon ce sondage, 70 pour 100 des Canadiens interrogés « croient que personne ne devrait connaître les résultats des autres provinces avant la fermeture des bureaux de scrutin de [sa] circonscription ». Nous ne savons pas comment ces mêmes Canadiens auraient réagi si on leur avait expliqué le but et les effets du décalage des heures de scrutin. Sans contexte pertinent, la réponse à une question de sondage est d’ordre très général — comme la question elle‑même d’ailleurs — , et révèle la préférence du public pour l’objectif d’équité électorale, ce qui n’est pas étonnant; elle ne constitue pas la preuve convaincante que des Canadiens raisonnablement informés considéreraient en fait les élections comme inéquitables à moins qu’une interdiction empêche les électeurs de connaître les résultats pour les 32 circonscriptions du Canada atlantique avant d’aller voter.

123 De plus, tout effet bénéfique que pourrait présenter l’interdiction de diffusion se trouve amoindri par la réalité selon laquelle, comme l’a souligné la Commission, l’interdiction de diffusion prévue à l’art. 329 « est aujourd’hui désuète » à cause des techniques de radiodiffusion et de télécommunications (vol. 2, p. 90). C’est notamment à cause de l’inefficacité de l’embargo que la Commission a recommandé de le remplacer par un décalage des heures de scrutin. Il ressort même du sondage Décima déposé en preuve par le gouvernement que 35 pour 100 des répondants considérés comme Canadiens « impliqués » ont indiqué qu’ils tenteraient de connaître les résultats malgré l’interdiction. Comme l’a fait observer le professeur Chris Waddell dans ses commentaires sur le sondage Décima :

Grâce à la technologie, les gens ont de plus en plus de moyens de contourner l’interdiction de diffusion. Contrairement aux appels téléphoniques individuels ou aux sites Web dont le contenu peut être contrôlé, les courriels, la messagerie instantanée et les messages texte peuvent rejoindre simultanément de vastes segments de la population. Bien qu’une majorité de citoyens appuient l’interdiction de diffusion, cette interdiction est somme toute théorique car il est facile pour les gens de contourner et d’obtenir les résultats de façon prématurée le soir du scrutin.

124 La Cour a examiné les effets de la technologie sur l’inapplicabilité d’une interdiction de publication dans le contexte d’instances criminelles, dans Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835. Les conclusions du juge en chef Lamer me semblent particulièrement pertinentes en l’espèce :

Il y a également lieu de signaler que les récents progrès technologiques ont entraîné dans leur sillage des difficultés considérables pour ceux qui cherchent à faire valoir des interdictions. Leur efficacité a été réduite d’autant que s’est accru le nombre d’émissions télévisées et radiophoniques accessibles au niveau interprovincial et international par câblodiffusion, antenne parabolique orientable et radio à ondes courtes. Elles ont également souffert de l’avènement des échanges d’informations rendues possibles par les réseaux informatiques. En cette ère d’électronique globale, restreindre de façon significative la circulation de l’information devient de plus en plus difficile.

. . .

Si les effets bénéfiques réels des interdictions de publication sont limités, on peut très bien soutenir dans certains cas que les conséquences négatives de l’interdiction sur la liberté d’expression excèdent ses effets utiles. [p. 886‑887]

125 Tout cela m’amène à conclure que toute inférence que le déséquilibre créé par la levée de l’interdiction prévue à l’art. 329 aurait un effet préjudiciable quelconque sur la participation, le choix ou la perception des électeurs est hautement théorique et loin d’être suffisamment convaincante pour justifier l’atteinte au droit fondamental qui est en cause en l’espèce. Il est vrai qu’il n’est peut‑être pas possible de prouver scientifiquement les effets préjudiciables du déséquilibre informationnel créé par la communication des résultats électoraux pour l’Est du Canada, mais il demeure qu’il faut se fonder sur la raison et la logique pour inférer la validité d’une telle preuve.

126 Selon le professeur MacDermid, il n’y a aucune incidence sur la participation électorale à moins que l’électeur puisse prédire l’issue du scrutin. De plus, il ressort du rapport Lortie que la connaissance des résultats pour 32 circonscriptions n’entraîne aucun préjudice pour la perception du public. Par ailleurs, le sondage Décima ne permet pas de déterminer si ce déséquilibre informationnel particulier aurait un effet préjudiciable sur la perception d’équité électorale du public. Ce qui fait que le témoignage du gouvernement est essentiellement hypothétique et théorique, non fondé sur une preuve convaincante.

127 Il est loin d’être évident que l’interdiction prévue à l’art. 329, compte tenu du décalage des heures de scrutin, vise un préjudice dont la preuve a été établie et renforce suffisamment la confiance du public dans l’équité des élections pour justifier l’atteinte au droit de diffuser et de recevoir des résultats électoraux. M. Stephen Harper, alors député du Parti réformiste, a souscrit à ce point de vue à la troisième lecture du projet de loi C‑63 (Loi modifiant la Loi électorale du Canada, la Loi sur le Parlement du Canada et la Loi référendaire) :

Il est important de se rendre compte que — et il suffit de lire les travaux du comité pour s’en convaincre — aucune preuve n’a été présentée au comité pour établir que cette situation nuisait vraiment beaucoup au fonctionnement de notre démocratie.

. . . j’ai demandé à divers témoins s’il existait des documents ou une étude théorique sérieuse établissant que le fait de connaître les résultats des élections dans une autre partie du pays pouvait avoir les conséquences suivantes : inciter les gens à ne pas voter ou les inciter à modifier leur vote. Rien ne permet de conclure, à vrai dire, que cela arrive.

(Débats de la Chambre des communes, vol. 134, 2e sess., 35e lég., 26 novembre 1996, p. 6723)

128 Par contre, le préjudice causé par l’interdiction d’exercer les droits d’expression garantis par l’al. 2b) est considérable. Pour la durée de l’interdiction, les Canadiens se trouvant à l’ouest des provinces de l’Atlantique, dont beaucoup ont déjà voté, ne peuvent avoir accès aux résultats électoraux pour la région de l’Atlantique. Il est difficile d’imaginer un aspect plus important de l’expression démocratique que le vote et le fait d’être informé des résultats de leur vote. L’interdiction prévue par l’art. 329 porte atteinte au droit de diffuser et à celui de recevoir les résultats des élections à un moment crucial du processus électoral. Affirmer qu’il s’agit seulement de retarder la communication des informations et non de les supprimer minimise indûment l’importance à la fois des informations et du retard.

129 Le fait que la suppression des informations est de courte durée n’est pas déterminant. Ce qui définit les nouvelles, c’est précisément leur immédiateté, surtout pendant la période électorale, où beaucoup d’informations et d’analyses doivent être transmises au public en peu de temps. Les Canadiens ont le droit de connaître, aussitôt que possible, ceux qui ont été élus pour les représenter.

130 Il y a un autre préjudice de nature plus pratique. Les difficultés techniques que rencontrent les médias dans la mise en oeuvre de l’interdiction sont considérables et signifient qu’il se peut que les gens de certaines régions ne reçoivent pas la couverture des élections par radio ou télévision même si leurs bureaux de scrutin ont déjà fermé. Le rôle des médias dans la diffusion des informations électorales est crucial. C’est grâce à la couverture des élections que le public apprend les résultats de l’exercice de son droit démocratique, à savoir le vote. Il est dans l’intérêt de ce pays d’accroître, et non d’entraver, la capacité des médias de transmettre ces informations changeantes au fur et à mesure qu’ils les reçoivent. De même les Canadiens de la région de l’Atlantique qui recourent à Internet comme principale source d’informations ne pourront pas obtenir d’informations sur les élections à partir du média de leur choix étant donné qu’il est interdit de transmettre les résultats électoraux sur Internet avant la fin de l’embargo.

131 Tout ce préjudice causé à un droit garanti par la Charte peut se démontrer; ce n’est pas le cas des effets bénéfiques de l’interdiction. Pour justifier la restriction d’un droit, il faut que la preuve établisse le préjudice qui pourrait survenir sans cette restriction. Or, le gouvernement n’a présenté que des éléments de preuve hypothétiques. Aucun fondement rationnel ne permet de présumer que les électeurs canadiens percevront le processus électoral comme étant injuste ou modifieront leur comportement après avoir pris connaissance de 11 pour 100 des résultats électoraux. Je souscris aux conclusions du juge Kelleher :

[traduction] Le juge de première instance ne disposait d’aucun élément de preuve concernant un quelconque effet sur le comportement des électeurs. Le professeur MacDermid avait témoigné que le déséquilibre informationnel pouvait avoir des effets préjudiciables : réduction de la participation aux élections, choix électoraux influencés par le vote stratégique, par l’effet d’entraînement ou par l’effet du perdant. Toutefois, la preuve n’établit pas qu’un de ces effets préjudiciables se fait sentir dans le contexte des heures de scrutin décalées. Rien ne prouve que la participation électorale diminue en cas de diffusion prématurée des résultats électoraux ne concernant pas plus de 11 pour 100 des circonscriptions. De même, le vote stratégique, l’effet d’entraînement ou l’effet du perdant ne se produisent que si la communication des résultats pour une autre partie du pays permet de prédire l’issue probable du scrutin. Or, comme on l’a vu, les 32 circonscriptions du Canada atlantique ne peuvent déterminer l’issue probable du scrutin . . . [par. 44]

132 Par conséquent, il n’existe aucune preuve convaincante permettant de conclure à l’existence d’un préjudice auquel il faut remédier par une interdiction de diffusion. La justification invoquée par le gouvernement ne satisfait donc pas au critère de la proportionnalité, car on ne peut dire qu’il y ait proportionnalité entre les effets bénéfiques d’une restriction et ses effets préjudiciables si aucun effet bénéfique de la restriction n’a été démontré.

133 Dans Thomson Newspapers, la Cour a conclu que la Constitution ne permet pas d’empêcher les électeurs de prendre connaissance de sondages juste avant le scrutin, car on ne peut conclure que cette connaissance aura des effets préjudiciables. De même, en l’espèce, l’imputation du préjudice est faible, hypothétique et peu convaincante. Le préjudice que pourrait causer le déséquilibre en matière d’information électorale est éliminé par le décalage des heures de scrutin, qui empêche les électeurs de connaître le résultat global probable des élections avant d’aller voter — le seul déséquilibre informationnel préjudiciable qui, selon la Commission, soit digne de mesure corrective. L’article 329 de la Loi électorale du Canada cherche donc à corriger un problème dont l’existence n’a pas été démontrée et, en raison de sa trop grande portée, il empiète sur un droit garanti par la Charte. Compte tenu du décalage des heures de scrutin, l’interdiction de diffusion prévue à l’art. 329 — réponse excessive à un préjudice dont l’existence n’a pas été établie par une preuve suffisante — constitue donc une violation de l’al. 2b) de la Charte qui n’est pas justifiée au sens de l’article premier.

134 Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler la déclaration de culpabilité de M. Bryan et de rendre un jugement déclaratoire portant que l’art. 329 de la Loi électorale du Canada est inopérant par application de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Pourvoi rejeté, la juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel et Abella sont dissidents.

Procureurs de l’appelant : Taylor Jordan Chafetz, Vancouver.

Procureurs de l’intimée Sa Majesté la Reine : Fasken Martineau DuMoulin, Vancouver.

Procureur de l’intimé le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Toronto.

Procureurs des intervenantes Société Radio‑Canada, CTV Inc., Groupe TVA Inc., Rogers Broadcasting Limited, CHUM Limitée, Corporation Sun Media, Sun Media (Toronto) Corporation, Presse canadienne, Globe and Mail, CanWest MediaWorks Inc., CanWest MediaWorks Publications Inc. et Canoe Inc. : Arvay Finlay, Vancouver.

Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Liberté d’expression - Élections fédérales - Transmission prématurée des résultats - Législation sur les élections fédérales interdisant la diffusion de résultats électoraux dans les circonscriptions dont les bureaux de scrutin sont encore ouverts - L’interdiction temporaire de publier des résultats électoraux porte‑t‑elle atteinte à la liberté d’expression? - Dans l’affirmative, l’atteinte est‑elle justifiable? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2b) - Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9, art. 329.

Droit constitutionnel - Charte des droits - Limite raisonnable - Caractère suffisant de la preuve présentée par le gouvernement pour justifier l’atteinte à un droit constitutionnel - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1.

Lors des élections fédérales de 2000, B a transmis les résultats électoraux pour les 32 circonscriptions du Canada atlantique en les affichant sur un site Web, alors que des bureaux de scrutin restaient ouverts dans d’autres régions du Canada. Il a été accusé d’avoir enfreint l’art. 329 de la Loi électorale du Canada, lequel interdit la diffusion de résultats électoraux dans les circonscriptions dont les bureaux de scrutin sont encore ouverts. La demande de B visant à faire déclarer inconstitutionnel l’art. 329 au motif qu’il porte atteinte de façon injustifiée à sa liberté d’expression garantie par l’al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés a été rejetée, et B a été déclaré coupable de l’infraction. Le juge d’appel des poursuites sommaires a déclaré inconstitutionnelle la disposition au motif qu’elle porte atteinte au droit garanti par la Charte et ne peut être justifiée au sens de l’article premier, et il a annulé la déclaration de culpabilité de B. La Cour d’appel a conclu que l’art. 329 constitue une limite justifiée à la liberté d’expression et a rétabli la déclaration de culpabilité.

Arrêt (la juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel et Abella sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté.

Le juge Bastarache : Bien que l’article 329 de la Loi électorale du Canada porte atteinte à la liberté d’expression, cette atteinte est justifiée au sens de l’article premier de la Charte. Le véritable objectif de la Loi électorale du Canada dans le contexte des dispositions en cause est de garantir l’égalité informationnelle par l’adoption de mesures raisonnables pour remédier à la perception d’injustice créée par le fait que certains électeurs ont un accès général à des informations dont ne disposent pas d’autres électeurs et aussi pour éviter que l’accès à ces informations puisse influer sur la participation ou les choix des électeurs. Dans la détermination de la nature et du caractère suffisant de la preuve requise pour justifier une violation de l’al. 2b) de la Charte, il faut interpréter l’art. 329 dans son contexte. En l’espèce, étant donné qu’il est difficile de mesurer le préjudice causé par la perte de confiance du public dans le système électoral ou par la violation du principe de l’égalité informationnelle, la logique et la raison conjuguées à certains éléments de preuve relevant des sciences sociales pourraient constituer une preuve suffisante du préjudice. De plus, la perception subjective des électeurs canadiens que le système électoral est juste joue un rôle vital dans l’intégrité du système électoral. Comme l’art. 329 vise à épargner aux Canadiens les craintes subjectives et l’appréhension du préjudice, il faut considérer comme importante la preuve de ces craintes subjectives. Quant à la nature de l’activité protégée, même si l’expression politique se trouve au coeur de la garantie de la libre expression, le droit en cause est le droit présumé de recevoir des résultats électoraux avant la fermeture des bureaux de scrutin; la restriction de l’accès à ces informations avant la fermeture de ces bureaux a moins de poids qu’après leur fermeture. [10] [14] [16] [19] [23] [25] [27] [30]

L’article 329, en raison de son objectif de veiller à ce que les électeurs jouissent de l’égalité informationnelle, constitue une limite raisonnable à la liberté garantie par l’al. 2b) de la Charte. Selon le premier volet de l’analyse fondée sur l’article premier, le gouvernement a établi que le fait de veiller à l’égalité informationnelle est un objectif réel et urgent du fait de la logique et de la raison applicable à la preuve présentée par le procureur général. Par ailleurs, dans un arrêt antérieur, la Cour a déjà reconnu que le maintien de la confiance du public dans le système électoral constitue un objectif urgent et réel. [35] [37] [53]

Selon le deuxième volet de l’analyse fondée sur l’article premier, le gouvernement a aussi démontré que l’interdiction prévue à l’art. 329 répondait au critère de la proportionnalité. La logique et la raison, combinées avec le rapport de la Commission Lortie et les résultats du sondage de 2005 présentés à titre de preuve nouvelle permettent d’établir qu’il existe un lien rationnel entre l’art. 329 et l’objectif de maintenir la confiance du public dans le système électoral. Donner à certains électeurs l’accès aux résultats électoraux pour d’autres circonscriptions irait manifestement à l’encontre de cet objectif. Affirmer que les électeurs peuvent, malgré l’interdiction, obtenir ces informations par des communications privées ne change rien à cette conclusion. Pour ce qui est de l’atteinte minimale, le rapport de la Commission Lortie appuie aussi l’argument que, pour maintenir la confiance du public dans le système électoral, il faut prendre des mesures visant à retenir la publication des résultats électoraux jusqu’à ce que tous ou presque tous les Canadiens aient voté. Le décalage des heures de scrutin ne peut à lui seul résoudre parfaitement le problème de la confiance des électeurs. Le Parlement a débattu les avantages et inconvénients des diverses façons d’aborder le problème, y compris les autres options proposées par la Commission Lortie et a déterminé que le régime établi par l’art. 329 est le plus efficace et le moins attentatoire. Il y a aussi suffisamment d’éléments de preuve dans le contexte de l’espèce indiquant que le choix de principe du Parlement — l’adoption de l’art. 329 — est une solution rationnelle et justifiable au problème du déséquilibre informationnel. Enfin, les effets bénéfiques de l’art. 329 l’emportent sur ses effets préjudiciables. Ils sont clairs. Est d’une importance capitale le fait que cette disposition préserve l’intégrité du principe de l’égalité informationnelle et qu’il est le seul moyen efficace dont le législateur dispose pour atteindre cet objectif. De façon secondaire, la logique et la raison tendent à indiquer que, comme 70 pour 100 des Canadiens interrogés lors du sondage de 2005 estiment que l’égalité informationnelle joue un rôle important dans les élections, l’art. 329 contribue à maintenir la confiance du public dans le système électoral. Ces effets bénéfiques sont réels, non une simple possibilité. De plus, l’art. 329 contribue de manière positive à l’équité et à la bonne réputation du système électoral dans son ensemble. Pour ce qui est des effets préjudiciables, la preuve que l’art. 329 cause un préjudice au processus électoral ou porte atteinte au droit général des Canadiens d’être informés n’est manifestement pas supérieure à la preuve que la promotion de l’équité électorale comporte des effets bénéfiques. L’interdiction prévue à l’art. 329 ne porte que sur deux ou trois heures, et uniquement le jour du scrutin, et ce sont seulement les électeurs tardifs qui seront touchés. Il est possible que l’interdiction cause des inconvénients aux médias, mais cet argument ne saurait l’emporter sur un objectif aussi important que la protection de la démocratie électorale canadienne. [40-41] [45-52]

Le juge Fish : L’article 329 de la Loi électorale du Canada n’est qu’un élément d’un système électoral global complexe qui restreint temporairement diverses formes d’expression. Il faut veiller à ne pas usurper le rôle du législateur quand il s’agit d’établir des règles du jeu électoral les plus appropriées pour l’ensemble du Canada. Le rôle des tribunaux consiste simplement à décider si le choix qu’a privilégié le législateur et qui est contesté respecte les prescriptions de la Constitution. En l’espèce, le gouvernement s’est acquitté du fardeau que lui impose l’article premier de la Charte. L’objet de l’art. 329 — éliminer ou atténuer le déséquilibre informationnel qui existerait en son absence — répond à une préoccupation urgente et réelle. Sans la restriction imposée par l’art. 329, les électeurs du Centre et de l’Ouest du Canada auraient accès, avant d’aller voter, aux résultats électoraux pour les provinces de l’Atlantique alors que les électeurs de ces provinces ne disposeraient pas d’une telle information. L’interdiction prévue par l’art. 329 répond également au critère de la proportionnalité. Il existe un lien rationnel entre l’objectif et la restriction, et celle‑ci porte atteinte de façon minimale au droit en cause garanti par la Charte. De plus, les effets bénéfiques de la restriction dépassent ses effets préjudiciables. Il faut apprécier la justification invoquée par le gouvernement en tenant compte du fait que le préjudice en question s’oppose intrinsèquement à toute mesure précise de ses effets. À cet égard, le rapport de la Commission Lortie et les résultats du sondage de 2005 constituent une assise solide permettant de conclure que le déséquilibre informationnel crée un préjudice réel et important et que les Canadiens tiennent au principe de l’égalité informationnelle. De plus, ils appuient l’argument du gouvernement que le déséquilibre informationnel crée à lui seul une perception d’injustice du système électoral, situation qui constitue en soi un préjudice que le législateur peut corriger. Certes, les techniques de communication modernes réduisent l’efficacité du délai d’attente et, par voie de conséquence, ses effets bénéfiques, mais l’art. 329 freine la diffusion générale de cette information et contribuent ainsi de façon appréciable à la réalisation de son objectif, à savoir l’égalité informationnelle pour les électeurs des différentes régions du pays. Par contre, les effets préjudiciables du délai d’attente sont minimes. La restriction de la liberté d’expression imposée par l’art. 329 n’implique aucune suppression de l’information, mais seulement un court délai d’attente avant sa communication aux électeurs qui n’ont pas encore voté. Enfin, bien que l’expression politique soit un aspect fondamental de la garantie énoncée à l’al. 2b), le fait d’interdire la publication des résultats électoraux pour les autres provinces jusqu’à la fermeture de tous les bureaux de scrutin a un caractère moins restrictif que si une telle interdiction s’appliquait après la fermeture de ces bureaux. Étant donné que la plupart des électeurs n’ont accès aux résultats qu’après la fermeture des bureaux de scrutin, ces résultats ne peuvent constituer, avant l’exercice par un électeur de son droit de vote, un élément important du discours politique. [58-62] [68] [71] [78-81]

Les juges Deschamps, Charron et Rothstein : Les analyses et les conclusions des juges Bastarache et Fish sont acceptées. Le pourvoi est tranché à l’étape de l’analyse de la proportionnalité dans le cadre du critère Oakes et, à cet égard, leurs motifs sont complémentaires. [83]

La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel et Abella (dissidents) : L’interdiction de publication prévue par l’art. 329 est une réponse excessive à un préjudice dont l’existence n’a pas été établie par une preuve suffisante et une violation de l’al. 2b) de la Charte qui ne peut se justifier au sens de l’article premier. La justification invoquée par le gouvernement au regard de l’article premier comporte un vice fatal, à savoir l’affirmation que les effets bénéfiques de la limite imposée à la liberté d’expression sont proportionnels à ses effets préjudiciables. Même s’il est possible que le gouvernement ne soit pas tenu de justifier ses décisions de principe par des preuves se prêtant à une mesure précise, il faut que la preuve relevant des sciences sociales appuyée par la logique et la raison établisse de façon convaincante les conséquences découlant de la restriction imposée ou de l’absence de restriction. En l’espèce, si l’on considère dans le contexte du décalage des heures de scrutin le préjudice auquel l’embargo prévu à l’art. 329 vise à remédier, il existe seulement des preuves hypothétiques et non convaincantes à l’appui de l’argument du gouvernement que le déséquilibre informationnel, en raison de ses effets sur le comportement des électeurs et leur perception d’iniquité électorale, est suffisamment préjudiciable pour dépasser tout préjudice engendré par l’atteinte à un droit fondamental protégé par la Constitution. [103] [106] [108] [110] [133]

Les droits en cause sont les droits démocratiques fondamentaux des médias de publier et des Canadiens de recevoir en temps utile les résultats électoraux. On ne peut pas écarter complètement la possibilité que des électeurs de l’Ouest du pays puissent être influencés par les résultats pour le Canada atlantique, mais il s’agit de savoir si l’incidence est préjudiciable. L’inférence que le déséquilibre informationnel créé par la levée de l’interdiction prévue à l’art. 329 aurait un effet préjudiciable quelconque sur la participation, le choix ou la perception des électeurs est hautement théorique et ne repose pas sur une preuve convaincante. Selon le témoignage de l’expert, il n’y a aucune incidence sur la participation électorale à moins que l’issue des élections soit connue ou puisse être connue, ce qui, de façon réaliste, ne peut se produire avec la connaissance des résultats pour 32 circonscriptions. De plus, d’après la Commission Lortie, la connaissance des résultats pour les 32 circonscriptions du Canada atlantique n’a aucun effet préjudiciable sur la perception du public. Le véritable préjudice perçu par la Commission — l’influence sur la perception des électeurs due à la connaissance des résultats pour l’Ontario et le Québec parce que ces deux provinces peuvent déterminer qui formera le gouvernement — est atténué par le décalage des heures de scrutin. Par ailleurs, tout effet bénéfique que pourrait présenter l’interdiction de publication se trouve amoindri par la réalité selon laquelle celle‑ci est aujourd’hui désuète à cause des techniques de télécommunications. [110] [117] [120-126]

La preuve présentée par le gouvernement ne démontre pas que l’interdiction prévue par l’art. 329, dans le contexte du décalage des heures de scrutin, renforce la confiance du public dans l’équité des élections ou que le préjudice pourrait survenir sans cette restriction. De plus, l’interdiction prévue par l’art. 329 porte atteinte au droit de diffuser et à celui de recevoir les résultats des élections à un moment crucial du processus électoral. Affirmer qu’il s’agit seulement de retarder la communication des informations et non de les supprimer minimise indûment l’importance à la fois des informations et du retard. Les Canadiens ont le droit de connaître, aussitôt que possible, ceux qui ont été élus pour les représenter. [127-129] [131]

Par ailleurs, les médias jouent un rôle crucial dans la diffusion des résultats électoraux au public. Les difficultés techniques qu’ils rencontrent dans la mise en oeuvre de l’interdiction sont considérables et signifient qu’il se peut que les gens de certaines régions ne reçoivent pas la couverture des élections par radio ou télévision même si leurs bureaux de scrutin ont déjà fermé. Tout ce préjudice causé à un droit garanti par la Charte peut se démontrer; ce n’est pas le cas des effets bénéfiques de l’interdiction. [130-131]


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Bryan

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Bastarache
Arrêt appliqué : Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827, 2004 CSC 33
arrêts mentionnés : Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569
Harvey c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876
R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154
McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229
Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326
R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452
R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697
RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199
R. c. Malmo‑Levine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74.
Citée par le juge Fish
Arrêts mentionnés : Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827, 2004 CSC 33
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199
Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877.
Citée par les juges Deschamps, Charron et Rothstein
Arrêt mentionné : R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.
Citée par la juge Abella (dissidente)
Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877
Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827, 2004 CSC 33
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199
Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [2002] 3 R.C.S. 519, 2002 CSC 68
McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229
Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 2b), d).
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 813.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52.
Loi des élections fédérales, 1938, S.C. 1938, ch. 46, art. 107.
Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9, art. 128, 323, 328, 329, 495(4), 500(4).
Loi modifiant la Loi électorale du Canada, la Loi sur le Parlement du Canada et la Loi référendaire, L.C. 1996, ch. 35, art. 44.1.
Doctrine citée
Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. 134, 2e sess., 35e lég., 26 novembre 1996, p. 6723.
Canada. Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis. Rapport final. Pour une démocratie électorale renouvelée, vol. 2. Ottawa : La Commission, 1991.
Centre de recherche Décima/Carleton University, School of Journalism and Communication. « La majorité des Canadiens appuient l’interdiction de diffusion des résultats le soir des élections », 2006.
Choudhry, Sujit. « So What Is the Real Legacy of Oakes? Two Decades of Proportionality Analysis under the Canadian Charter’s Section 1 » (2006), 34 S.C.L.R. (2d) 501.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, vol. 2, loose‑leaf ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1997 (updated 2006, release 1).

Proposition de citation de la décision: R. c. Bryan, 2007 CSC 12 (15 mars 2007)


Origine de la décision
Date de la décision : 15/03/2007
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2007 CSC 12 ?
Numéro d'affaire : 31052
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2007-03-15;2007.csc.12 ?
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