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27/07/2007 | CANADA | N°2007_CSC_38

Canada | Syl Apps Secure Treatment Centre c. B.D., 2007 CSC 38 (27 juillet 2007)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Syl Apps Secure Treatment Centre c. B.D., [2007] 3 R.C.S. 83, 2007 CSC 38

Date : 20070727

Dossier : 31404

Entre :

Syl Apps Secure Treatment Centre et Douglas Baptiste

Appelants

et

B.D., K.D., E.S. et J.D. ainsi que

S.D. et A.D., représentés par leur tutrice à l’instance, E.S.

Intimés

‑ et ‑

Procureur général de la Colombie‑Britannique

Intervenant

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Bi

nnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 66)

La juge Abella (avec l’accord de la juge en chef McLachlin...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Syl Apps Secure Treatment Centre c. B.D., [2007] 3 R.C.S. 83, 2007 CSC 38

Date : 20070727

Dossier : 31404

Entre :

Syl Apps Secure Treatment Centre et Douglas Baptiste

Appelants

et

B.D., K.D., E.S. et J.D. ainsi que

S.D. et A.D., représentés par leur tutrice à l’instance, E.S.

Intimés

‑ et ‑

Procureur général de la Colombie‑Britannique

Intervenant

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 66)

La juge Abella (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Charron et Rothstein)

______________________________

Syl Apps Secure Treatment Centre c. B.D., [2007] 3 R.C.S. 83, 2007 CSC 38

Syl Apps Secure Treatment Centre et

Douglas Baptiste Appelants

c.

B.D., K.D., E.S. et J.D. ainsi que

S.D. et A.D., représentés par leur tutrice à l’instance, E.S. Intimés

et

Procureur général de la Colombie‑Britannique Intervenant

Répertorié : Syl Apps Secure Treatment Centre c. B.D.

Référence neutre : 2007 CSC 38.

No du greffe : 31404.

2007 : 26 avril; 2007 : 27 juillet.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Laskin, Sharpe et Juriansz) (2006), 79 O.R. (3d) 45, 264 D.L.R. (4th) 135, 206 O.A.C. 350, 22 R.F.L. (6th) 87, [2006] O.J. No. 181 (QL), qui a accueilli un appel contre une décision du juge Hoilett, 2004 CarswellOnt. 8102. Pourvoi accueilli.

Dennis W. Brown, c.r., Lise G. Favreau et Malliha Wilson, pour les appelants.

Matthew F. Wilton et Gregory Graham, pour les intimés.

Natalie Hepburn Barnes, pour l’intervenant.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1 Abella J. — La famille forme la cellule sociale fondamentale. Dans le meilleur des cas, elle apporte orientation, soutien affectif et protection à ses membres, en particulier les membres les plus vulnérables — les enfants — mais, si elle n’est pas en mesure de le faire et que les enfants courent un risque grave, la loi autorise l’État, dans certaines circonstances, à retirer un enfant de sa famille pour le protéger. L’importance et la complexité de cette responsabilité imposée par la loi expliquent la nécessité de la constante attention judiciaire.

2 Le contexte est celui de la protection de l’enfance, et il n’est pas surprenant qu’il soit hautement accusatoire. Bien que la famille y soit reconnue comme l’institution privée par excellence, son droit d’être protégée contre l’ingérence de l’État ne la soustrait pas à l’effet de l’obligation prépondérante de celui‑ci de veiller à la protection des enfants contre les préjudices indus, même de la part de la famille. La preuve d’une situation dangereuse pour un enfant suscitera toujours l’attention de l’État et donnera lieu, à l’occasion, à une ordonnance prescrivant qu’il soit confié, pour sa protection, à une personne autre que sa famille. La Cour doit décider, en l’espèce, si le centre de traitement et l’employé auxquels un enfant est confié ont une obligation légale de diligence, jusqu’ici méconnue, envers la famille d’un enfant qu’ils sont judiciairement tenus de protéger.

Les faits

3 En janvier 1995, R.D. a été appréhendée par la société d’aide à l’enfance de Halton (la « SAE de Halton ») et placée en famille d’accueil. Elle avait 14 ans. Dans une rédaction, à l’école, elle avait écrit qu’elle avait subi des sévices physiques et sexuels de la part de ses parents. Ceux‑ci ont nié les allégations, affirmant, comme l’a fait observer la Cour d’appel, que R.D. souffrait de « délire » ((2006), 79 O.R. (3d) 45). La police de Halton a fait enquête, mais aucune accusation n’a été portée.

4 Selon la déclaration, R.D. a fait une tentative de suicide pendant qu’elle était en famille d’accueil, ce qui a entraîné son transfert, en février 1995, au service de pédopsychiatrie du Trafalgar Memorial Hospital d’Oakville, où elle a récidivé. Elle a alors été transférée, en mars 1995, au centre détresse‑secours Youthdale, un établissement psychiatrique de Toronto, puis au centre de santé mentale Whitby, en avril. À ce dernier endroit, elle a fait une troisième tentative de suicide.

5 En septembre 1995, avec consentement, le juge Fuller l’a déclarée enfant ayant besoin de protection et a rendu une ordonnance de tutelle temporaire, qui prescrivait notamment que [traduction] « dans la mesure du possible » il faudrait essayer de la réintégrer dans sa famille et qu’il y aurait une rencontre mensuelle entre la SAE de Halton et les parents de la jeune fille.

6 Lors de cette audience et de toutes les audiences subséquentes, R.D. était représentée par un avocat du Bureau de l’avocat des enfants.

7 C’est en vertu des al. 37(2)f) et h) de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille, L.R.O. 1990, ch. C.11, que R.D. a été déclarée enfant ayant besoin de protection. Voici leur texte en vigueur à l’époque :

37. . . .

(2) Est un enfant ayant besoin de protection :

. . .

f) l’enfant qui a subi des maux affectifs qui se traduisent par, selon le cas :

(i) un sentiment profond d’angoisse,

(ii) un état dépressif grave;

(iii) un fort repliement sur soi;

(iv) un comportement autodestructeur ou agressif,

si son père ou sa mère ou la personne qui en est responsable ne fournit pas des services ou un traitement afin de remédier à ces maux ou de les soulager, refuse ou n’est pas en mesure de donner son consentement à ce traitement ou ces services, ou n’est pas disponible pour ce faire;

[. . .]

h) l’enfant dont l’état mental ou affectif ou de développement risque, s’il n’y est pas remédié, de porter gravement atteinte à son développement, si son père ou sa mère ou la personne qui en est responsable ne fournit pas un traitement afin de remédier à cet état ou de le soulager, refuse ou n’est pas en mesure de donner son consentement à ce traitement, ou n’est pas disponible pour ce faire;

8 Aucune de ces dispositions ne mentionne expressément la violence physique ou sexuelle, mais elles prévoient toutes deux comme condition de leur application qu’un enfant ait subi des maux affectifs graves et que les parents ne soient pas en mesure ou refusent de remédier à ces maux ou de les soulager. En novembre 1995, le juge Fuller, malgré les objections des parents de R.D., mais avec le consentement de celle‑ci, a ordonné qu’elle soit envoyée au Syl Apps Secure Treatment Centre, qui relevait du ministère des Services sociaux et communautaires. Le travailleur social affecté à son cas comme coordonnateur clinique était Douglas Baptiste.

9 Le juge Fisher a prolongé la tutelle temporaire en avril 1996. En octobre 1996, avec le consentement de l’intéressée, il a ordonné qu’elle soit placée sous la tutelle permanente de la Couronne, prévoyant notamment que les visites et les contacts avec la famille seraient à la discrétion de l’enfant.

10 Les parents ont interjeté appel de cette ordonnance. Le 1er décembre 1998, le juge Clark a rejeté l’appel, concluant que le juge de première instance n’avait pas commis d’erreur de droit et avait agi dans l’intérêt véritable de l’enfant.

11 En novembre 1998 R.D. a eu 18 ans.

12 En mai 1999, le père, la mère, une grand‑mère et trois frères et soeur ont intenté une action en dommages‑intérêts pour négligence contre divers fonctionnaires et institutions gouvernementales, notamment la SAE de Halton, plusieurs travailleurs sociaux et médecins s’étant occupés de R.D., le Syl Apps Secure Treatment Centre et M. Baptiste, dans laquelle ils réclamaient des dommages‑intérêts de 40 000 000 $. Ils soutenaient principalement que le centre de traitement et M. Baptiste avait traité R.D. comme si ses parents lui avaient infligé des sévices physiques et sexuels, ce qui constituait de la négligence, et qu’à cause de cette négligence R.D. n’était jamais retournée dans sa famille, ce qui privait celle‑ci de ses liens avec elle. Ils ont réclamé des dommages‑intérêts pour choc nerveux, détresse émotionnelle et troubles physiques et mentaux, entre autres.

13 R.D. n’était pas partie à l’action.

14 En mars 2004, le centre de traitement et M. Baptiste, ainsi que le psychiatre Richard Meen, qui assurait la direction clinique du centre, la Dr Alina Lazor, une psychiatre ayant traité R.D. au centre de santé mentale Whitby, et Megan Pallet, l’avocate du Bureau de l’avocat des enfants ayant représenté R.D., ont présenté une motion en vertu de l’al. 21.01 (1) b) des Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194, pour faire radier la déclaration au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action fondée.

15 Le critère applicable à une telle motion a été formulé dans Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959 :

[D]ans l’hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est‑il « évident et manifeste » que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d'action raisonnable? [. . .] La longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d’action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher le demandeur d’intenter son action. [C’est moi qui souligne; p. 980]

16 Le juge Hoilett a accueilli la motion (2004 CarswellOnt 8102), estimant que les deux médecins avaient une obligation de diligence uniquement envers leur patiente, R.D. À son avis, l’avocate de R.D., le centre de traitement et M. Baptiste se trouvaient dans une situation analogue à celle des médecins et que, par conséquent, ils n’avaient d’obligation de diligence qu’envers l’enfant, non envers sa famille.

17 La famille a porté l’ordonnance en appel à l’égard du Syl Apps Secure Treatment Centre et de M. Baptiste, non pas à l’égard des deux médecins et de l’avocate.

18 En Cour d’appel, la famille a abandonné son argument de mauvaise foi, fondant sa cause sur la thèse que le centre de traitement et M. Baptiste avaient envers elle une obligation de diligence issue de la common law qui, en cas de négligence, donnait naissance à une action en dommages‑intérêts. Le juge Laskin, au nom de la majorité, a accueilli l’appel, déclarant qu’un établissement de traitement en milieu fermé et les travailleurs sociaux qu’il emploie peuvent avoir une obligation de diligence envers la famille d’un enfant confié à leurs soins et qu’il fallait donc laisser l’action suivre son cours. Par contre, selon le juge Sharpe, dissident, le risque de conflit entre les obligations découlant de la loi et celles découlant des ordonnances judiciaires, de même que les considérations de politique générale résiduelles concernant l’[traduction] « atteinte grave et substantielle à la capacité des intimés de s’acquitter de leur obligation première et primordiale de veiller aux intérêts de R.D », neutralisaient l’obligation de diligence (par. 89). Il n’y avait donc pas lieu de procéder à [traduction] « un examen des faits de l’espèce nécessitant une instruction en bonne et due forme pour trancher la question » (par. 90).

19 Les juges de la majorité et le juge dissident ont reconnu dans leurs motifs que l’imposition d’une telle obligation de diligence serait de droit nouveau. L’avantage de statuer sur l’existence d’une telle obligation dans le cadre d’une requête fondée sur la règle 21 est évident. Si les défendeurs n’ont aucune obligation légale de diligence envers la famille, il n’y a pas matière à un procès long et coûteux. Par contre, si l’existence d’une telle obligation est reconnue, il faut instruire un procès pour établir si, compte tenu des faits, les défendeurs ont manqué à leur obligation.

20 Pour les motifs exposés ci‑après, j’estime, comme le juge des motions et le juge Sharpe, que la reconnaissance d’une obligation légale envers la famille d’un enfant confié à un établissement de traitement en milieu fermé ferait naître le danger réel que l’établissement et ses employés aient à transiger avec l’obligation prépondérante qu’ils ont envers l’enfant. Je conviens également avec le juge Sharpe que [traduction] « l’obligation de diligence découlant de la relation entre l’enfant à protéger et ceux qui sont chargés d’en prendre soin devrait être clairement définie de façon catégorique et non rester flottante et appeler une résolution au cas par cas » (par. 74).

21 Je ne suis donc pas disposée à reconnaître cette nouvelle obligation légale. À mon avis, il est donc « évident et manifeste » que la déclaration ne révèle aucune cause d’action fondée contre les défendeurs.

Analyse

22 Il s’agit en l’espèce de décider si Syl Apps Secure Treatment Centre et M. Baptiste, le travailleur social/coordonnateur de cas clinique de R.D, ont une obligation de diligence envers la famille de l’enfant que le tribunal leur a enjoint de traiter. Comme une telle obligation n’a jamais été reconnue auparavant, pour répondre à la question il faut se tourner vers la jurisprudence de la Cour portant sur la reconnaissance de nouvelles obligations de diligence.

23 C’est de l’arrêt Anns c. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (C.L.), que la Cour a tiré l’instrument d’analyse qui permet de déterminer s’il existe une obligation de diligence et qu’elle a adopté dans Kamloops (Ville de) c. Nielsen, [1984] 2 R.C.S. 2, puis mis au point dans Cooper c. Hobart, [2001] 3 R.C.S. 537, 2001 CSC 79. Elle l’a ensuite confirmé dans Edwards c. Barreau du Haut‑Canada, [2001] 3 R.C.S. 562, 2001 CSC 80, et Childs c. Desormeaux, [2006] 1 R.C.S. 643, 2006 CSC 18.

24 Pour déterminer s’il existe à première vue une obligation de diligence, nous devons examiner les facteurs de la prévisibilité raisonnable et du lien de proximité. Si l’examen de ces facteurs amène à la conclusion à première vue que la relation en cause appelle une obligation de diligence, il reste à se demander si d’autres raisons d’intérêt général justifient néanmoins qu’on ne l’impose pas.

25 Le fondement de la « prévisibilité raisonnable » est qu’[traduction] « il faut agir avec diligence raisonnable pour éviter des actes ou omissions dont on peut raisonnablement prévoir qu’ils sont susceptibles de léser son prochain » (Donoghue c. Stevenson [1932] A.C. 562 (C.L.), lord Atkin, p. 580). Il faut se demander si les personnes lésées étaient [traduction] « touchées de si près et si directement par mon acte que je devrais raisonnablement prévoir qu’elles seraient ainsi touchées lorsque je songe aux actes ou omissions qui sont mis en question » (Donoghue c. Stevenson, p. 580).

26 Il doit également exister un lien de proximité suffisamment étroit entre le demandeur et le défendeur. Allen Linden et Bruce Feldthusen expliquent dans Canadian Tort Law (8e éd. 2006) que ce volet de l’analyse vise à déterminer [traduction] « si, malgré la prévisibilité raisonnable du préjudice, il est injuste ou inéquitable d’assujettir le défendeur à une obligation, en raison de l’absence de tout lien de proximité entre le demandeur et le défendeur » (p. 304).

27 Lorsque le lien découle d’un régime législatif, la loi applicable est pertinente pour établir si la relation entre les parties est suffisamment étroite (Cooper, par. 43; Edwards, par. 9). Comme la Cour l’a indiqué dans Edwards : « Les facteurs donnant lieu à l’existence d’un lien étroit doivent être fondés sur la loi applicable le cas échéant » (par. 9).

28 Un conflit entre l’obligation de diligence revendiquée et une obligation primordiale de nature publique ou imposée par la loi peut constituer une raison de principe impérieuse pour refuser de conclure à la proximité (Cooper, par. 44; Edwards, par. 6). Un tel conflit existe lorsque l’obligation de diligence proposée empêcherait le défendeur de bien s’acquitter de ses obligations légales. Dans Cooper, par exemple, la Cour a jugé que le registrateur des courtiers en hypothèques n’avait pas d’obligation envers les investisseurs individuellement parce qu’elle serait « susceptible d’aller à l’encontre de l’obligation qu’il a à l’égard des intérêts supérieurs du public » (par. 44). De même, dans Edwards, à l’étape de l’analyse de la proximité, la Cour a conclu que le Barreau n’avait pas d’obligation de diligence de droit privé envers la victime d’un avocat malhonnête parce que « [l]es décisions prises par le Barreau nécessitent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire délégué par la loi et impliquent la poursuite de multiples objectifs correspondant à des fonctions d’ordre public plutôt que d’ordre privé » (par. 14). Dans les deux affaires, la Cour a jugé que les graves conséquences négatives du conflit d’obligations, sur le plan de l’intérêt public, justifiaient la conclusion à l’absence de lien de proximité.

29 L’existence d’une disposition législative prévoyant une immunité constitue également un facteur pertinent. La Cour a établi, dans Edwards, qu’une telle disposition indiquait l’intention du législateur d’interdire un dédommagement dépassant le montant prévu par l’assurance responsabilité professionnelle des avocats et le fonds d’indemnisation des clients des avocats (par. 16‑17).

30 Selon les circonstances en cause, les facteurs à examiner dans toute analyse relative à la proximité comprennent les attentes des parties, leurs déclarations et les liens de confiance (Cooper, par. 34), mais il n’en n’existe pas de liste définitive.

31 Si l’analyse de la prévisibilité raisonnable et du lien de proximité amène à la conclusion qu’il existe à première vue une obligation de diligence, il s’agit d’une conclusion préliminaire qui doit être suivie d’un examen consistant à se demander si des considérations de politique générale résiduelles font en sorte qu’il ne serait pas judicieux d’imposer une telle obligation. Comme la Cour l’a indiqué dans Cooper, « peu importe sa formulation, le critère de prévisibilité‑négligence de l’arrêt Donoghue c. Stevenson occulte une pondération d’intérêts. La recherche de l’équilibre constitue en réalité la recherche d’une politique de prudence » (par. 29).

32 Cela signifie, comme l’a reconnu la Cour, que l’intérêt général est pertinent tant à l’étape de l’analyse relative à la « proximité » qu’à celle de l’examen des « considérations de politique générale résiduelles » du critère énoncé dans Anns. La différence tient à ce qu’à l’étape de la proximité les questions pertinentes d’intérêt général se rapportent à des facteurs découlant du lien qui existe entre le demandeur et le défendeur, tandis que les considérations de politique générale résiduelles ne portent pas tant sur « le lien entre les parties » que sur « l’effet que la reconnaissance d’une obligation de diligence aurait sur les autres obligations légales, sur le système juridique et sur la société en général » (Cooper, par. 37).

33 Dans Cooper, la Juge en chef et le juge Major ont signalé la possibilité d’une certaine interpénétration des considérations de politique générale :

S’il y a une pondération convenable des facteurs pertinents en matière d’obligation de diligence, il se peut que l’« étape » à laquelle cette pondération a lieu soit sans importance dans une affaire donnée. La question sous‑jacente est de savoir si on devrait imposer une obligation de diligence à la lumière de l’ensemble des facteurs pertinents révélés par les faits. [par. 27]

34 Par conséquent, pour établir que le Syl Apps Secure Treatment Centre et M. Baptiste ont une obligation de diligence envers la famille de R.D., il faut (1) que le préjudice reproché soit raisonnablement prévisible, (2) qu’il y ait eu entre eux et la famille un lien de proximité suffisamment étroit pour qu’il soit juste et équitable de leur imposer une obligation de diligence et (3) qu’il n’existe aucune considération de politique générale résiduelle justifiant la non‑imposition d’une telle obligation.

Application du critère

35 Il faut d’abord déterminer s’il était raisonnablement prévisible que les actions du centre de traitement et de M. Baptiste causent du tort à la famille et, pour cela, on doit se demander, pour paraphraser lord Atkin dans Donoghue c. Stevenson, s’ils auraient dû agir avec diligence raisonnable pour éviter des actes ou omissions dont ils pouvaient raisonnablement prévoir qu’ils étaient susceptibles de léser la famille de R.D.

36 Dans le contexte de la protection des enfants, il s’agit d’une question complexe, comme en témoigne la déclaration en l’espèce. La « faute » alléguée est le traitement prodigué à l’enfant, et le « préjudice » reproché, la non‑réintégration de l’enfant dans sa famille. On ne peut jamais rien prédire d’un traitement ou de son résultat, surtout s’il s’agit d’enfants déclarés enfants ayant besoin de protection, pour lesquels on peut davantage parler d’espoir que de prévisibilité. Toutefois, il n’est pas nécessaire de s’attarder à ce volet du critère car, comme la Cour d’appel l’a établi et les parties l’ont reconnu devant nous, la prévisibilité raisonnable n’est pas contestée.

37 Même s’il était raisonnablement prévisible que la famille subira un « préjudice », c’est à l’étape de la proximité que l’analyse s’enraye. La famille affirme que ses attentes et sa confiance à l’égard des défendeurs découlent de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille et des ordonnances judiciaires. Elle soutient que, l’importance de la famille et de l’intégrité de la cellule familiale étant reconnues à l’article 1 et aux al. 37(3)5‑7 de la Loi, il y a lieu de conclure à l’existence d’un lien de proximité. L’examen de la loi contredit cet argument.

38 La loi applicable est la Loi sur les services à l’enfance et à la famille. Son objet est énoncé à l’art. 1, dont le libellé actuel, reproduit en partie ci‑après, est semblable au libellé en vigueur lorsque R.D. a été appréhendée.

1. (1) L’objet primordial de la présente loi est de promouvoir l’intérêt véritable de l’enfant, sa protection et son bien‑être.

(2) Dans la mesure où ils sont compatibles avec l’intérêt véritable de l’enfant, sa protection et son bien‑être, les objets additionnels de la présente loi sont les suivants :

1. Reconnaître que même si les parents peuvent avoir besoin d’aide pour s’occuper de leurs enfants, cette aide devrait favoriser l’autonomie et l’intégrité de la cellule familiale et, dans la mesure du possible, être accordée par consentement mutuel.

2. Reconnaître que devrait être envisagé le plan d’action le moins perturbateur qui est disponible et qui convient dans un cas particulier pour aider un enfant.

3. Reconnaître que les services à l’enfance devraient être fournis d’une façon qui, à la fois:

i. respecte les besoins de l’enfant en ce qui concerne la continuité des soins et des relations stables au sein d’une famille et d’un environnement culturel, [. . .]

39 Le paragraphe 37(3) de la Loi énumère les facteurs que les tribunaux doivent prendre en compte lorsqu’ils rendent une ordonnance dans l’intérêt véritable de l’enfant. Ces facteurs sont aussi presque identiques à ceux en vigueur à la date de l’appréhension de R.D. La famille invoque les facteurs 5 à 7, qui figurent en caractères gras ci‑après :

37. [. . .]

(3) La personne tenue, en application de la présente partie, de rendre une ordonnance ou de prendre une décision dans l’intérêt véritable de l’enfant, étudie les circonstances suivantes qu’elle juge pertinentes:

1. Les besoins physiques, mentaux et affectifs de l’enfant et les soins ou le traitement qui conviennent pour répondre à ces besoins.

2. Le niveau de développement physique, mental et affectif de l’enfant.

3. L’héritage culturel de l’enfant.

4. La croyance religieuse de l’enfant, s’il en est, dans laquelle il est élevé.

5. L’importance, en ce qui concerne le développement de l’enfant, d’une relation positive avec son père ou sa mère et d’une place sûre en tant que membre d’une famille.

6. Les relations et les liens affectifs de l’enfant avec son père ou sa mère, son frère ou sa soeur, un parent, un autre membre de sa famille élargie ou un membre de sa communauté.

7. L’importance de la continuité en ce qui concerne les soins à fournir à l’enfant, et les conséquences que peut avoir sur lui une interruption.

8. Les avantages du programme que propose la société concernant les soins à fournir à l’enfant, y compris la proposition que l’enfant soit placé en vue de son adoption ou adopté, comparativement à la solution visant à laisser ou à retourner l’enfant chez son père ou sa mère.

9. Le point de vue et les désirs de l’enfant si ceux‑ci peuvent être raisonnablement déterminés.

10. Les conséquences sur l’enfant de tout retard relativement à la solution du cas.

11. Le danger que l’enfant subisse un préjudice s’il ne vit plus avec son père ou sa mère, s’il est tenu éloigné de lui ou d’elle, s’il retourne vivre avec lui ou avec elle, ou s’il continue de vivre avec lui ou avec elle.

12. Le degré de risque, s’il en est, qui a justifié la constatation selon laquelle l’enfant a besoin de protection.

13. D’autres circonstances pertinentes.

40 La famille a aussi invoqué le devoir des fournisseurs de services, prévu au par. 2(2), de veiller à ce que les enfants et leurs parents soient entendus et représentés. Toutefois, il s’agit là de droits essentiellement procéduraux, qui ne peuvent fonder un lien de proximité.

41 À mon avis, le facteur déterminant ici, comme dans Cooper et Edwards, est le risque de conflit d’obligations. En effet, en imposant une obligation de diligence fondée sur la relation entre la famille d’un enfant pris en charge et les fournisseurs de soins désignés par le tribunal pour cet enfant, on crée un risque réel de sérieux conflit avec le devoir transcendant que la loi impose aux fournisseurs de services de veiller à l’intérêt véritable, à la protection et au bien‑être de l’enfant.

42 Si l’enfant est confié à la société d’aide à l’enfance ou s’il est déclaré pupille de la Couronne, la société d’aide à l’enfance ou la Couronne assume, aux termes de la Loi, « les droits et les responsabilités du père ou de la mère en ce qui concerne les soins à donner à l’enfant, sa garde et sa surveillance » (art. 63). Il en résulte une relation intrinsèquement antagoniste entre les parents et l’État.

43 S’il est vrai qu’il est parfois possible de traiter un enfant ayant besoin de protection d’une façon qui satisfasse la famille à long terme, il reste que la loi donne primauté non pas à la satisfaction de la famille à long terme, mais à l’intérêt véritable de l’enfant. Ce n’est pas parce que les intérêts des parents et ceux de l’enfant peuvent parfois coïncider que le problème de l’inévitabilité du conflit qui se pose dans beaucoup de ces cas, voire la majorité, s’en trouve diminué.

44 La primauté de l’intérêt de l’enfant sur les droits parentaux pour ce qui est de la protection de l’enfant a valeur d’axiome dans la jurisprudence. Comme l’a fait observer le juge Daley dans Children’s Aid Society of Halifax c. S.F. (1992), 110 N.S.R. (2d) 159 (Trib. fam.) :

[traduction] Les lois relatives au bien‑être des enfants favorisent l’intégrité de la famille, mais uniquement dans des circonstances où l’enfant sera protégé. Lorsque la protection prévue par la Loi ne peut être assurée au sein de sa famille, quelque bien intentionnée que soit celle‑ci, l’enfant devra être protégé hors du cadre familial. [par. 5]

(Voir aussi Children’s Aid Society of Halifax c. C.M.N. (1989), 91 N.S.R. (2d) 232 (Trib. fam.), juge Butler, par. 34‑36; Children's Aid Society for the District of Ottawa‑Carleton c. L.H., [1994] O.J. No. 2501 (QL) (Div. prov.), juge Guay, par. 38; Children's Aid Society of Ottawa ‑ Carleton c. D.L., [1995] O.J. No. 693 (QL) (Div. prov.), juge Linhares de Sousa, par. 69; F.(B.) c. Children's Aid Society of Kingston (City), 1995 CarswellOnt 2154 (Div. prov.), juge Dunbar, par. 13; Children's Aid Society of Brockville Leeds & Grenville c. C., 2001 CarswellOnt 1504 (C.S.J.), juge Ratushny, par. 15; Children's Aid Society of Hamilton‑Wentworth c. R. (K.), 2003 CarswellOnt 2929 (C.S.J.), juge Scime, par. 44; Family Youth and Child Services of Muskoka c. N.C., [2004] O.J. No. 1733 (QL) (C.S.J.), juge Glass, par. 28; A. N. et B. N. c. Saskatchewan (Minister of Social Services) (1988), 68 Sak. R. 24 (C.B.R.)).

45 La Cour a confirmé que les souhaits des parents doivent céder le pas devant la recherche et la protection de l’intérêt de l’enfant (King c. Low, [1985] 1 R.C.S. 87; Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3; Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. L. (M.), [1998] 2 R.C.S. 534). Elle a aussi ordonné dans Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto c. M. (C.), [1994] 2 R.C.S. 165, que l’« intégrité de la cellule familiale » envisagée par la législation en matière de protection de l’enfance soit interprétée non pas en vue du renforcement des droits des parents, mais en vue de « favoriser l’intérêt véritable des enfants » (p. 191). La juge L’Heureux‑Dubé a souligné que « la valeur que comporte le maintien de la cellule familiale est fonction de ce qui est le mieux pour l’enfant plutôt que pour les parents » (p. 191).

46 Il est vrai l’art. 1 et le par. 37(3) de la Loi font état de la famille, mais rien dans ces dispositions ne diminue la prépondérance générale et déterminante que la Loi accorde à la protection et à la promotion de l’intérêt véritable de l’enfant, non celui de la famille. Les dispositions de la Loi mentionnant les parents et la famille, que celle‑ci invoque comme fondement du lien de proximité, ne sont pas indépendantes du reste de la Loi mais se rapportent à son objet général, qui est l’intérêt véritable de l’enfant. Elles sont là pour protéger et favoriser l’intérêt véritable de l’enfant, non celui des parents, et ne sauraient donc, à mon avis, fonder un lien de proximité suffisamment étroit. Comme l’a expliqué le professeur Nicholas Bala :

[traduction] [L]es arrêts de principe canadiens, les lois fédérales et provinciales et les traités internationaux posent tous comme principe que les décisions concernant les enfants doivent se fonder sur l’évaluation de leur intérêt véritable. Il s’agit là d’un concept fondamental pour ceux qui prennent part à un processus décisionnel visant un enfant, non seulement les juges et les avocats, mais également les évaluateurs et les médiateurs.

(N. Bala, « The Best Interests of the Child in the Post‑Modernist Era: A Central but Illusive and Limited Concept », Special Lectures of the Law Society of Upper Canada 2000: Family Law (1999), 3.1., p. 3.1.)

47 De même, comme Joseph Goldstein et autres l’ont souligné dans The Best Interests of the Child: The Least Detrimental Alternative (1996), p. 88 :

[traduction] [. . .] lorsqu’il a été établi que l’intervention de l’État est justifiée, ce qui devient déterminant, c’est le bien‑être de l’enfant, non celui des parents, de la famille ou de l’organisme d’aide à l’enfance. [. . .] Cette conviction s’exprime dans notre choix de faire primer l’intérêt de l’enfant une fois que l’État a de bonnes raisons pour prendre des décisions sur les soins à lui prodiguer. [En italique dans l’original]

48 Ainsi, les facteurs énumérés au par. 37(3) sont fonction de l’obligation prépondérante énoncée à l’art. 1 de protéger l’intérêt véritable des enfants appréhendés, ce que le par. 1(2) confirme en énonçant essentiellement que la famille et la relation parent‑enfant ne sont reconnues que dans la mesure où elles sont « compatibles avec l’intérêt véritable de l’enfant, sa protection et son bien‑être ».

49 Dans ce contexte, l’imposition à un centre de traitement et à ses travailleurs sociaux d’une obligation de diligence envers la famille de l’enfant risque de créer un conflit avec leur capacité de bien s’acquitter de leurs obligations légales. Un enfant est généralement pris en charge [traduction] « si les soins donnés par les parents sont jugés inadéquats au point que l’État est en droit d’intervenir directement pour protéger les enfants [. . .]. L’intervention de l’État par le retrait de l’enfant à ses parents ne sera justifiée que sur la preuve que l’enfant court un grand danger » (N. Bala « Child Welfare Law in Canada: An Introduction », dans N. Bala et autres, dir., Canadian Child Welfare Law (2e éd.) (2004), 1, p. 1‑2). C’est, par exemple, en application des al. 37(2) f) et h) de la Loi que R.D. a été déclarée enfant ayant besoin de protection. Selon le texte de la Loi alors en vigueur, une telle conclusion signifie que « son père ou sa mère ou la personne qui en est responsable ne fournit pas des services ou un traitement afin de remédier [aux maux en cause] ou de les soulager, refuse ou n’est pas en mesure de donner son consentement à ce traitement ou ces services, ou n’est pas disponible pour ce faire ».

50 Si les fournisseurs de services sont aussi tenus à une obligation corrélative envers les parents, ils seront déchirés entre l’intérêt de l’enfant et les attentes des parents, lesquelles peuvent être irréalistes, déraisonnables ou impossibles à réaliser. Cette tension risque d’avoir un effet paralysant sur les travailleurs sociaux, qui peuvent hésiter à agir dans l’intérêt véritable de l’enfant de peur d’être la cible de critiques — et de poursuites — de la part de la famille. Ces travailleurs ne devraient pas avoir à mettre en balance ce qui est le mieux pour l’enfant et ce qui répond le mieux aux souhaits de la famille et à choisir entre la protection énergique de l’enfant et le risque d’être poursuivi par la famille.

51 Je suis bien consciente qu’en général la famille d’un enfant pris en charge souhaite naturellement son retour, mais il n’est pas toujours possible de réaliser ce souhait. Le législateur a prévu, au par. 37(3) 9, que le point de vue et les désirs de l’enfant, et non ceux de la famille, entrent en ligne de compte dans l’évaluation de l’intérêt véritable de l’enfant. Cela veut dire non pas que le point de vue de la famille n’est pas pertinent, mais plutôt que, dans le cas d’un enfant ayant besoin de protection, le point de vue et les désirs de ce dernier ont plus de poids que ceux de la famille.

52 Même lorsque l’objectif est de retourner éventuellement l’enfant dans sa famille, le retour n’est pas toujours possible. Ni le centre de traitement ni M. Baptiste ne pouvaient, par exemple, prévoir l’effet que le traitement de R.D. aurait sur sa famille et, à mon avis, ils n’avaient pas nécessairement à se préoccuper de la famille. Légalement, leurs efforts devaient porter sur la fragilité émotionnelle de R. D. non celle de sa famille. Le traitement d’un enfant en détresse peut ou non déboucher sur son retour dans sa famille, mais l’absence de retour peut fort bien être le signe d’un traitement réussi, non d’une faute ou d’une négligence.

53 S’il s’agit de choisir entre l’intérêt véritable de l’enfant et les voeux de la famille, la loi ne laisse pas le choix. Comme le juge Sharpe l’a indiqué, [traduction] « lorsqu’un tribunal déclare qu’un enfant a besoin de protection et qu’il faut le retirer de la garde de ses parents, ceux qui assument alors la responsabilité de s’en occuper et de le traiter doivent placer l’intérêt de l’enfant avant celui des parents » (par. 75). En assujettissant les établissements de soins en milieu fermé et leurs employés à une obligation de diligence envers les enfants et les parents, on compromettrait leur capacité de s’acquitter de leur obligation prépondérante envers les enfants.

54 Un autre risque de conflit s’ajoute aux possibilités d’affaiblissement de l’obligation légale de donner la primauté à l’intérêt de l’enfant. Le Syl Apps Secure Treatment Centre et M. Baptiste prodiguent des soins à R.D. dans un contexte de traitement, contexte qui fait intervenir les modèles médicaux de confidentialité et de protection de la vie privée. Il a été maintes fois reconnu en jurisprudence qu’un médecin n’a pas d’obligation de diligence envers le père ou la mère d’un patient, car il se trouverait alors devant des obligations conflictuelles. Dans M. c. Newham London Borough Council, [1994] 2 W.L.R. 554 (C.A. Angl.), le tribunal a rejeté la poursuite d’une mère contre la psychiatre qui traitait sa fille — appréhendée par les autorités locales — jugeant que la psychiatre n’était pas tenue à une obligation de diligence envers la mère de son patient. Le maître des rôles Thomas Bingham explique :

[traduction] [L]a mère n’était pas, au vrai sens du terme, la patiente de la psychiatre. Celle‑ci avait l’obligation d’agir dans l’intérêt de l’enfant et il se pouvait fort bien que, ce faisant, elle aille à l’encontre de l’intérêt personnel de la mère. Elle se préoccupait de l’intérêt de la mère uniquement dans la mesure où il avait un impact sur celui de l’enfant. Dans cette situation de conflit potentiel, on ne pouvait prétendre, à mon avis, que la psychiatre avait une obligation de diligence envers la mère. [. . .] [C’est moi qui souligne; p. 574.]

(Voir aussi Sullivan c. Moody (2001), 207 C.L.R. 562, [2001] HCA 59).

55 De même, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rejeté, dans Gardner c. Rusch (1999), 179 D.L.R. (4th) 336, l’action intentée contre un thérapeute par la famille d’une patiente qui affirmait avoir été victime d’abus sexuel dans sa famille. La juge Beames a déclaré que l’imposition d’une obligation de diligence envers la famille en l’espèce [traduction] « placerait [le thérapeute] en conflit direct avec son obligation première, qui était clairement envers sa patiente » (par. 17). En outre, dans P.S. c. Batth, [1997] O.J. No. 4089 (QL) (Div. gén.), la juge Molloy s’est refusée à conclure qu’un médecin avait une obligation de diligence envers les parents d’une enfant ayant fait état d’abus sexuel, statuant que [traduction] « c’est envers cette patiente que ce médecin avait une obligation de diligence » et qu’[traduction] « il ne saurait y avoir obligation de diligence envers le demandeur », car elle irait à l’encontre de l’obligation professionnelle du médecin de protéger l’intérêt véritable de l’enfant (par. 6).

56 Dans ce contexte, si l’on reconnaissait l’existence d’une obligation envers les parents, le traitement médical d’enfants qui ont été retirés de la garde de leurs parents pourrait donner lieu à des obligations conflictuelles. Dans un établissement de soins en milieu fermé, divers professionnels, dont des médecins et des travailleurs sociaux, sont appelés à traiter un enfant. En l’espèce, le travailleur social, M. Baptiste, et le médecin, Dr. Meen, étaient chargés de traiter l’enfant. En fait, c’est le Dr Meen qui avait désigné M. Baptiste. On peut difficilement concevoir comment ces professionnels pourraient travailler ensemble de façon efficace si certains d’entre eux avaient une obligation envers une personne autre que l’enfant/le patient.

57 La famille ne peut non plus invoquer les ordonnances judiciaires pour fonder l’existence d’une proximité. Sa revendication repose, du moins en partie, sur le fait que R.D. n’a jamais été réintégrée dans sa famille, contrairement aux ordonnances judiciaires. Or, le tribunal n’a pas ordonné la réintégration. L’ordonnance du 26 septembre 1995, par exemple, énonce que [traduction] « [l]a Société, les fournisseurs de services ou leurs représentants et les parents arrangeront une réunion mensuelle » et « pendant la tutelle par la société, il faut essayer dans la mesure du possible de réintégrer la pupille dans sa famille » (c’est moi qui souligne). Ce n’est pas là une modalité inhabituelle compte tenu de la nature visiblement temporaire de telles ordonnances.

58 Quoi qu’il en soit, la faute pour contravention à une ordonnance judiciaire, que la famille de R.D. semble effectivement vouloir faire reconnaître, est inexistante. Les parents étaient présents à toutes les audiences judiciaires, ils ont exposé leur position et, à chaque étape, jusqu’à l’ordonnance finale de tutelle par la Couronne, le tribunal a conclu qu’il valait mieux pour leur fille adolescente qu’elle ne soit pas remise à ses parents. Cela constitue non pas un manquement de la part de quiconque à une obligation envers la famille, mais bien l’accomplissement de l’obligation du tribunal de veiller à l’intérêt véritable de l’enfant en fonction de la preuve dont il dispose.

59 Deux autres éléments indicatifs de la politique législative renforcent la conclusion de l’inexistence du lien de proximité. Le premier découle de ce que la Loi prévoit un recours pour les familles qui veulent contester la façon dont leur enfant est traité. Ainsi, si la famille de R.D. estimait que Syl Apps Secure Treatment Centre et M. Baptiste ne se conformaient pas aux prescriptions de l’ordonnance pendant la durée de la tutelle, elle pouvait se prévaloir de ce recours expressément prévu par la Loi en plus d’un droit d’appel. À l’époque où R.D. était prise en charge, les par. 64(4) et (7) de la Loi prévoyaient que le père ou la mère d’un enfant visé par une ordonnance de tutelle par la société pouvait demander la révision du statut de l’enfant tous les six mois. Le paragraphe 64(8) énonçait en outre que si un élément majeur du programme de soins à fournir à l’enfant n’était pas appliqué, il pouvait y avoir exception à la restriction de six mois.

60 Deuxièmement, le législateur a clairement eu l’intention de protéger ceux qui travaillent dans le domaine de la protection de l’enfance contre la responsabilité pour les actes accomplis de bonne foi dans l’exécution des obligations que la loi leur impose. Trois dispositions d’immunité en témoignent. Le paragraphe 15(6) de la Loi stipule : « Est irrecevable l’action intentée contre le dirigeant ou l’employé d’une société [d’aide à l’enfance] en ce qui concerne un acte accompli de bonne foi dans l’exécution, ou l’exécution prévue, de ses fonctions, ou en ce qui concerne une négligence ou un défaut imputés relativement à l’exécution de bonne foi de ses fonctions. »

61 Le paragraphe 4(3) de la Loi sur le Ministère des Services sociaux et communautaires, L.R.O. 1990, ch. M.20, accorde aux employés du ministère une protection semblable contre la responsabilité civile. Or, à l’époque visée, le Syl Apps Secure Treatment Centre relevait du Ministère des Services sociaux et communautaires. En outre, l’art. 142 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43, prévoit : « Nul n’est responsable d’un acte accompli de bonne foi, conformément à une ordonnance ou à un acte de procédure émanant d’un tribunal de l’Ontario. »

62 Ces dispositions d’immunité renforcent la conclusion que la relation entre la famille d’un enfant pris en charge et les personnes chargées par le tribunal de protéger l’intérêt véritable de l’enfant ne comporte pas de lien de proximité. Rien ne nous autorise donc à conclure que le Syl Apps Secure Treatment Centre ou M. Baptiste avaient à première vue une obligation de diligence à l’égard de la famille.

63 Bien que cette conclusion rende inutile la poursuite de l’analyse, une autre considération de politique générale confirme qu’il ne serait pas judicieux d’imposer aux fournisseurs de services une obligation légale de diligence envers les membres de la famille d’enfants appréhendés. Dans ce contexte, la reconnaissance d’une telle obligation ouvrirait la porte à des poursuites parallèles permettant de remettre en cause des questions réglées lors de l’instance relative à la protection de l’enfant, ce qui affaiblirait le régime de protection de l’enfance, entraînerait des dépenses publiques inutiles et pourrait inciter les préposés à la protection de l’enfance à renoncer à des mesures de protection de l’intérêt véritable des enfants par crainte d’être poursuivis. On voit mal en quoi ces conséquences potentielles serviraient l’intérêt du système de justice ou l’intérêt général.

64 La protection de l’enfance est un travail difficile, douloureux et complexe. Veiller à l’intérêt véritable d’un enfant dans ce contexte veut dire s’occuper d’un groupe vulnérable à un moment où la vulnérabilité est à son paroxysme. Ceux qui s’y consacrent savent que souvent la protection de l’intérêt de l’enfant s’obtient aux dépens du reste de la famille. Cependant, le mandat que leur confie la loi est de donner la primauté à l’intérêt de l’enfant. Ils doivent avoir toute la latitude voulue pour exécuter intégralement ce mandat. Le résultat qu’ils visent est le rétablissement de l’enfant, non celui de la famille. Lorsque les obligations envers l’enfant ont été exécutées conformément à la loi, il n’existe pas d’obligation accessoire de satisfaire le voeu de la famille de voir un résultat différent, un résultat différent peut‑être même de ce qu’aurait espéré le préposé à la protection de l’enfance.

65 Puisque le centre de traitement et M. Baptiste n’avaient pas d’obligation de diligence envers la famille de R.D., la déclaration ne révèle aucune cause d’action fondée contre eux. Aucune preuve, si abondante soit‑elle, ne saurait infirmer cette conclusion juridique et, en conséquence, un procès visant à déterminer si la famille a droit aux dommages‑intérêts qu’elle réclame ne serait pas justifié.

66 Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi et de rejeter l’action avec dépens.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureur des appelants : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureurs des intimés : Matthew Wilton & Associate, Toronto.

Procureur de l’intervenant : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : 2007 CSC 38 ?
Date de la décision : 27/07/2007
Sens de l'arrêt : Pourvoi accueilli

Analyses

Responsabilité délictuelle - Négligence - Obligation de diligence - Enfant ayant besoin de protection - Enfant appréhendée par la Couronne et placée, sur ordre du tribunal, dans un centre de traitement - Le centre de traitement et ses travailleurs sociaux ont‑il une obligation de diligence envers les membres de la famille de l’enfant? - Dans quels cas y a‑t‑il lieu de reconnaître une nouvelle obligation de diligence?.

En janvier 1995, R.D. a été appréhendée par la société d’aide à l’enfance et placée en famille d’accueil. Elle avait 14 ans. Dans une rédaction, à l’école, elle avait écrit qu’elle avait subi des sévices physiques et sexuels de la part de ses parents. Après une enquête policière, aucune accusation n’a été portée. R.D. a été déclarée enfant ayant besoin de protection et une ordonnance de tutelle temporaire a été rendue. Après avoir été placée en famille d’accueil, puis transférée à plusieurs établissements psychiatriques, elle a été envoyée dans un centre de traitement où le travailleur social affecté à son cas comme coordonnateur clinique était B. Avec son consentement, elle a été placée sous la tutelle permanente de la Couronne en octobre 1996. Son père, sa mère, une de ses grand‑mères et ses trois frères et soeur ont intenté une action en dommages‑intérêts dans laquelle ils réclamaient 40 000 000 $. Ils soutenaient principalement que le centre de traitement et B avaient traité R.D. comme si ses parents lui avaient infligé des sévices physiques et sexuels, ce qui constituait de la négligence, et qu’à cause de cette négligence R.D. n’était jamais retournée dans sa famille, ce qui privait celle‑ci de ses liens avec elle. On a présenté une motion en vertu de l’al. 21.01 (1) b) des Règles de procédure civile de l’Ontario pour faire radier la déclaration au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action fondée. La motion a été accueillie, mais la Cour d’appel a annulé la décision du juge des motions.

Arrêt : Pourvoi accueilli.

Pour établir que le centre de traitement et B ont une obligation de diligence envers la famille de R.D., il faut (1) que le préjudice reproché soit raisonnablement prévisible, (2) qu’il y ait eu entre eux et la famille un lien de proximité suffisamment étroit pour qu’il soit juste et équitable de leur imposer une obligation de diligence et (3) qu’il n’existe aucune considération de politique générale résiduelle justifiant la non‑imposition d’une telle obligation. En l’espèce, la prévisibilité raisonnable n’est pas contestée, mais l’analyse s’enraye à l’étape de la proximité. Le facteur déterminant ici est le risque de conflit d’obligations. En effet, en imposant une obligation de diligence fondée sur la relation entre la famille d’un enfant pris en charge et les fournisseurs de soins désignés par le tribunal pour cet enfant, on crée un risque réel de sérieux conflit avec le devoir transcendant que la loi impose aux fournisseurs de services de veiller à l’intérêt véritable, à la protection et au bien‑être de l’enfant dont ils ont la charge. Si l’enfant est confié temporairement à la société d’aide à l’enfance ou s’il est déclaré pupille de la Couronne, la Loi sur les services à l’enfance et à la famille crée une relation intrinsèquement antagoniste entre les parents et l’État. Ce n’est pas parce que les intérêts des parents et ceux de l’enfant peuvent parfois coïncider que le problème de l’inévitabilité du conflit qui se pose dans beaucoup de ces cas, voire la majorité, s’en trouve diminué. Il est vrai l’art. 1 et le par. 37(3) de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille, qu’invoque la famille pour fonder l’existence d’une proximité, font état de la famille, mais rien dans ces dispositions ne diminue la prépondérance générale et déterminante que la Loi accorde à la protection et à la promotion de l’intérêt véritable de l’enfant, non celui de la famille. En outre, le centre de traitement et B prodiguent des soins à R.D. dans un contexte de traitement, contexte qui fait intervenir les modèles médicaux de confidentialité et de protection de la vie privée. Dans ce contexte, si l’on reconnaissait l’existence d’une obligation envers les parents, le traitement médical d’enfants qui ont été retirés de la garde de leurs parents pourrait donner lieu à des

obligations conflictuelles. On peut difficilement concevoir comment différents professionnels, dont des médecins et des travailleurs sociaux, pourraient travailler ensemble de façon efficace si certains d’entre eux avaient une obligation envers une personne autre que l’enfant/le patient. Enfin, deux autres éléments indicatifs de la politique législative renforcent la conclusion de l’inexistence du lien de proximité. Le premier découle de ce que la Loi elle‑même prévoit un recours pour les familles qui veulent contester la façon dont leur enfant est traité. Le second élément réside dans le fait que le législateur a clairement eu l’intention de protéger ceux qui travaillent dans le domaine de la protection de l’enfance contre la responsabilité pour les actes accomplis de bonne foi dans l’exécution des obligations que la loi leur impose, comme en témoignent les dispositions d’immunité. Puisque selon le mandat confié par la loi il faut donner la primauté à l’intérêt de l’enfant, il n’existe pas, lorsque les obligations envers l’enfant ont été exécutées conformément à la loi, de responsabilité à l’égard de la famille. [34] [36‑37] [41‑43] [46] [54] [56] [59‑60] [64]


Parties
Demandeurs : Syl Apps Secure Treatment Centre
Défendeurs : B.D.

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés : Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959
Anns c. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728
Kamloops (Ville) c. Nielsen, [1984] 2 R.C.S. 2
Cooper c. Hobart, [2001] 3 R.C.S. 537, 2001 CSC 79
Edwards c. Barreau du Haut‑Canada, [2001] 3 R.C.S. 562, 2001 CSC 80
Childs c. Desormeaux, [2006] 1 R.C.S. 643, 2006 CSC 18
Donoghue c. Stevenson, [1932] A.C. 562
Children’s Aid Society of Halifax c. S.F. (1992), 110 N.S.R. (2d) 159
Children’s Aid Society of Halifax c. C.M.N. (1989), 91 N.S.R. (2d) 232
Children's Aid Society for the District of Ottawa‑Carleton c. L.H., [1994] O.J. No. 2501 (QL)
Children's Aid Society of Ottawa ‑ Carleton c. D.L., [1995] O.J. No. 693 (QL)
F.(B.) c. Children's Aid Society of Kingston (City), 1995 CarswellOnt 2154
Children's Aid Society of Brockville Leeds & Grenville c. C., 2001 CarswellOnt 1504
Children's Aid Society of Hamilton‑Wentworth c. R. (K.), 2003 CarswellOnt 2929
Family Youth and Child Services of Muskoka c. N.C., [2004] O.J. No. 1733 (QL)
A.N. c. Saskatchewan (Minister of Social Services) (1988), 68 Sask. R. 24
King c. Low, [1985] 1 R.C.S. 87
Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3
Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. L. (M.), [1998] 2 R.C.S. 534
Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto c. M. (C.), [1994] 2 R.C.S. 165
M. c. Newham London Borough Council, [1994] 2 W.L.R. 554
Sullivan c. Moody (2001), 207 C.L.R. 562, [2001] HCA 59
Gardner c. Rusch (1999), 179 D.L.R. (4th) 336
P.S. c. Batth, [1997] O.J. No. 4089 (QL).
Lois et règlements cités
Loi sur le ministère des Services sociaux et communautaires, L.R.O. 1990, ch. M.20, art. 4(3).
Loi sur les services à l’enfance et à la famille, L.R.O. 1990, ch. C.11, art. 1, 2(2), 15(6), 37(2)(f), (h), (3), 63, 64(4), (7), (8).
Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43, art. 142.
Règles de procédures civiles, R.R.O. 1990, Règl. 194, r. 21.01(1)(b).
Doctrine citée
Bala, Nicholas. « The Best Interests of the Child in the Post‑Modernist Era », in Special Lectures of the Law Society of Upper Canada 2000: Family Law. Toronto: LSUC, 1999, 3.1.
Bala, Nicholas. « Child Welfare Law in Canada: An Introduction », in N. Bala et al., eds., Canadian Child Welfare Law: Children, Families and the State, 2nd ed. Toronto: Thompson Educational, 2004, 1.
Goldstein, Joseph, et al. The Best Interests of the Child: The Least Detrimental Alternative. New York: Free Press, 1996.
Linden, Allen M., and Bruce Feldthusen. Canadian Tort Law, 8th ed. Markham: Butterworths, 2006.

Proposition de citation de la décision: Syl Apps Secure Treatment Centre c. B.D., 2007 CSC 38 (27 juillet 2007)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2007-07-27;2007.csc.38 ?
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