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01/05/2008 | CANADA | N°2008_CSC_21

Canada | R. c. Mathieu, 2008 CSC 21 (1 mai 2008)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Mathieu, [2008] 1 R.C.S. 723, 2008 CSC 21

Date : 20080501

Dossiers : 31662, 32003, 32014, 32091

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

Patrick Mathieu

Intimé

‑ et ‑

Procureur général de l’Ontario

Intervenant

et entre :

Jocelyn St‑Germain

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

‑ et ‑

Procureur général de l’Ontario

Intervenant

et entre :

Feng Jin

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

‑ et ‑

Procureur général de l’Ontario

Intervenant

et entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

c.

Laurier Monière

Intimé

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Bin...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Mathieu, [2008] 1 R.C.S. 723, 2008 CSC 21

Date : 20080501

Dossiers : 31662, 32003, 32014, 32091

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

Patrick Mathieu

Intimé

‑ et ‑

Procureur général de l’Ontario

Intervenant

et entre :

Jocelyn St‑Germain

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

‑ et ‑

Procureur général de l’Ontario

Intervenant

et entre :

Feng Jin

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

‑ et ‑

Procureur général de l’Ontario

Intervenant

et entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

c.

Laurier Monière

Intimé

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, Deschamps, Fish, Abella et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 30)

Le juge Fish (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, Deschamps, Abella et Charron)

______________________________

R. c. Mathieu, [2008] 1 R.C.S. 723, 2008 CSC 21

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Patrick Mathieu Intimé

et

Procureur général de l’Ontario Intervenant

et

Jocelyn St‑Germain Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Procureur général de l’Ontario Intervenant

et

Feng Jin Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Procureur général de l’Ontario Intervenant

et

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Laurier Monière Intimé

Répertorié : R. c. Mathieu

Référence neutre : 2008 CSC 21.

Nos du greffe : 31662, 32003, 32091, 32014.

2007 : 7 novembre; 2008 : 1er mai.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, Deschamps, Fish, Abella et Charron.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Delisle, Dalphond et Côté), [2006] J.Q. no 8332 (QL), 2006 CarswellQue 7800, 2006 QCCA 1015, qui a infirmé en partie un jugement sur sentence. Pourvoi accueilli.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Beauregard, Otis et Chamberland), [2007] J.Q. no 1540 (QL), 2007 CarswellQue 1469, 2007 QCCA 310, qui a confirmé un jugement sur sentence. Pourvoi rejeté.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Dalphond, Hilton et Bich), [2007] R.J.Q. 925, [2007] J.Q. no 3027 (QL), 2007 CarswellQue 2873, 2007 QCCA 541, qui a confirmé un jugement sur sentence. Pourvoi rejeté.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Beauregard, Otis et Chamberland), [2007] J.Q. no 1539 (QL), 2007 CarswellQue 1468, 2007 QCCA 309, qui a infirmé en partie un jugement sur sentence. Pourvoi rejeté.

Henri‑Pierre La Brie et Caroline Fontaine, pour l’appelante Sa Majesté la Reine (31662).

Clemente Monterosso et Marie‑Hélène Giroux, pour l’intimé Mathieu.

Roland Roy, pour l’appelant St‑Germain.

Steve Baribeau, pour l’intimée Sa Majesté la Reine (32003).

Isabelle Doray et Dimitrios Strapatsas, pour l’appelant Jin.

Denis Pilon, pour l’intimée Sa Majesté la Reine (32091).

Steve Baribeau et Randall Richmond, pour l’appelante Sa Majesté la Reine (32014).

Mario Lavigne, pour l’intimé Monière.

Shawn Porter et Megan Stephens, pour l’intervenant.

Le jugement de la Cour a été rendu par

Le juge Fish —

I

[1] La question déterminante dans ces quatre pourvois est celle de savoir si une peine d’emprisonnement de moins de deux ans en est une aux termes du Code criminel, même si le juge aurait infligé une peine pénitentiaire n’eût été la détention provisoire du contrevenant.

[2] Pour les motifs qui suivent, je répondrais à cette question par l’affirmative. Il s’ensuit que j’accueillerais le pourvoi Mathieu et rejetterais les pourvois St-Germain, Jin et Monière.

[3] Dans les quatre cas, le contrevenant, au moment de sa sentence, avait purgé un emprisonnement provisoire significatif. Et c’est essentiellement pour ce motif que les juges dans chaque instance ont infligé des peines carcérales de moins de deux ans, assorties d’ordonnances de probation de trois ans, soit la période maximale permise. N’eût été la détention provisoire, les juges auraient tous infligé des peines pénitentiaires.

[4] Dans le cas Monière, le juge a de plus imposé la période d’inadmissibilité à une libération conditionnelle prévue au par. 743.6(1.2) du Code criminel, soit la moitié de la peine.

[5] Selon moi, il s’agissait dans tous ces pourvois de peines d’emprisonnement de moins de deux ans aux termes du Code criminel. Il était donc loisible aux juges d’imposer les ordonnances de probation en cause. Pour la même raison, le par. 743.6(1.2) du Code ne trouvait pas application : il y a lieu, par conséquent, d’annuler l’ordonnance d’inadmissibilité à une libération conditionnelle décernée dans l’affaire Monière.

[6] Bref, j’estime que la peine infligée est celle que prononce le juge au moment de la sentence. La détention préalablement subie par le contrevenant n’est qu’un facteur dont le juge tient compte en fixant cette peine. Cette conclusion s’impose à la lecture des dispositions pertinentes du Code criminel, notamment les par. (1) et (3) de l’art. 719. Elle est en outre conforme à la présomption d’innocence dont tout prévenu, même détenu provisoirement, continue à jouir jusqu’à sa condamnation. Et, comme nous le verrons plus loin, elle est aussi conforme aux objectifs de détermination de la peine qui nous concernent en l’espèce.

[7] S’il est permis, exceptionnellement, de considérer que la durée de la détention provisoire s’ajoute à la peine d’emprisonnement infligée au moment de la sentence — dans le contexte d’une peine minimale, par exemple, ou dans celui des condamnations à l’emprisonnement avec sursis — il s’agit d’exceptions qui font preuve de la règle. En ce qui concerne les peines minimales, voir R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455, 2000 CSC 18; au sujet de l’emprisonnement avec sursis, voir R. c. Fice, [2005] 1 R.C.S. 742, 2005 CSC 32.

II

[8] Les dispositions pertinentes du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, se lisent ainsi :

. . .

719. (1) La peine commence au moment où elle est infligée, sauf lorsque le texte législatif applicable y pourvoit de façon différente.

. . .

(3) Pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l’infraction.

(4) Malgré le paragraphe (1), une période d’emprisonnement, infligée par un tribunal de première instance ou par le tribunal saisi d’un appel, commence à courir ou est censée reprise, selon le cas, à la date où la personne déclarée coupable est arrêtée et mise sous garde aux termes de la sentence.

731. (1) Lorsqu’une personne est déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut, vu l’âge et la réputation du délinquant, la nature de l’infraction et les circonstances dans lesquelles elle a été commise :

. . .

b) en plus d’infliger une amende au délinquant ou de le condamner à un emprisonnement maximal de deux ans, ordonner que le délinquant se conforme aux conditions prévues dans une ordonnance de probation.

743.1 (1) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, une personne doit être condamnée à l’emprisonnement dans un pénitencier si elle est condamnée, selon le cas :

. . .

b) à un emprisonnement de deux ans ou plus;

743.6 . . .

(1.2) Par dérogation à l’article 120 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le tribunal est tenu, sauf s’il est convaincu, compte tenu des circonstances de l’infraction et du caractère et des particularités du délinquant, que la réprobation de la société à l’égard de l’infraction commise et l’effet dissuasif de l’ordonnance auraient la portée voulue si la période d’inadmissibilité était déterminée conformément à cette loi, d’ordonner que le délinquant condamné à une peine d’emprisonnement d’au moins deux ans — y compris une peine d’emprisonnement à perpétuité — pour une infraction de terrorisme ou une infraction prévue aux articles 467.11, 467.12 ou 467.13 purge, avant d’être admissible à la libération conditionnelle totale, la moitié de sa peine jusqu’à concurrence de dix ans.

III

[9] Comme je l’ai déjà indiqué, le temps passé en détention provisoire s’ajoute à la peine imposée au moment de la sentence lorsqu’il s’agit de déterminer si le contrevenant peut bénéficier d’une peine d’emprisonnement avec sursis : Fice. Or, comme le mentionnait le juge Hilton de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Jin ([2007] R.J.Q. 925, 2007 QCCA 541), les motifs des juges majoritaires dans Fice ne visaient que les peines d’emprisonnement avec sursis. S’exprimant alors pour les juges majoritaires, le juge Bastarache a donc pris soin de faire le point en ces termes on ne peut plus clairs :

. . . je dois souligner que l’effet de la détention présentencielle sur la possibilité d’un sursis au prononcé de la peine, d’une ordonnance de probation, d’une absolution ou d’une amende est une question dont nous ne sommes pas saisis en l’espèce. Le présent pourvoi porte en effet uniquement sur la question de savoir si la période passée en détention présentencielle devrait influer sur la détermination de la fourchette des peines applicables et, partant, sur l’applicabilité de l’emprisonnement avec sursis. Ainsi que l’a souligné le juge en chef Lamer dans l’arrêt Proulx, le régime d’emprisonnement avec sursis a précisément été édicté comme sanction visant à réduire le recours à l’emprisonnement et à élargir l’application des principes de justice corrective dans la détermination de la peine (par. 15 et 21). Comme l’emprisonnement avec sursis est une nouvelle sanction visant une combinaison particulière d’objectifs, cette mesure ne devrait pas être assimilée automatiquement aux autres solutions de rechange à l’incarcération telles que le sursis au prononcé de la peine, l’ordonnance de probation, l’absolution ou l’amende. Par conséquent, j’estime qu’il vaut mieux remettre à une autre occasion l’examen de la relation entre la détention présentencielle et la possibilité de surseoir au prononcé de la peine, d’ordonner une mise en probation, d’accorder une absolution ou d’infliger une amende. [Je souligne; par. 42.]

[10] Cette autre occasion se présente en l’espèce. En la saisissant, il n’est aucunement question de revenir ni sur notre décision dans Fice, ni sur les propos du juge Bastarache qui encadrent sa portée. Par contre, dans la mesure où mes motifs dans Fice ne sont pas incompatibles avec la conclusion des juges majoritaires et le raisonnement qui l’appuie, je reprends dans le contexte différent de l’espèce ce que j’ai alors écrit, avec l’accord de la juge Deschamps.

[11] Selon le texte même du par. 719(1) du Code criminel, « [l]a peine commence au moment où elle est infligée », et le par. 719(3) dispose que « [p]our fixer la peine [. . .] le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l’infraction ». Ces principes de détermination de la peine s’appliquent indiscutablement à l’imposition d’une ordonnance de probation.

[12] Comme je l’exprimais dans l’arrêt Fice :

De plus, en concluant comme elle l’a fait dans Wust, notre Cour a souligné la nécessité d’interpréter les dispositions du Code criminel relatives à la détermination de la peine « de façon à éviter toute contradiction entre ses dispositions et tout résultat absurde, en s’efforçant d’assurer la cohérence et la logique internes du texte ». [par. 52]

[13] L’interprétation que je propose en l’espèce concorde bien non seulement avec les par. (1) et (3) de l’art. 719 (j’y reviendrai), mais également avec les autres dispositions pertinentes du Code criminel. Je n’en mentionne ici que deux.

[14] D’abord, le par. 719(4) du Code. Tandis que le par. 719(1) vise les contrevenants en détention au moment de la sentence, le par. 719(4) applique le même principe aux contrevenants alors en liberté. Selon cette disposition, une période d’emprisonnement commence à courir « à la date où la personne déclarée coupable est arrêtée et mise sous garde aux termes de la sentence ». Un prévenu en détention provisoire n’est pas « mi[s] sous garde aux termes de la sentence ». Ainsi, la détention provisoire ne peut manifestement pas faire partie d’une peine qui n’a pas encore commencé à courir.

[15] La même conclusion s’infère de l’al. 743.1(1)b), qui dispose « [qu]’une personne doit être condamnée à l’emprisonnement dans un pénitencier si elle est condamnée [. . .] à un emprisonnement de deux ans ou plus ». Personne ne suggère qu’une peine de moins de deux ans doive être purgée dans un pénitencier lorsque le juge aurait infligé une peine de deux ans ou plus n’eut été la détention provisoire du contrevenant.

[16] Je reviens donc au par. 719(3) qui, comme je l’écrivais dans Fice :

. . . autorise le tribunal qui aurait autrement pu prononcer une peine de plus de deux ans à infliger une peine de moins de deux ans dans le cas où un emprisonnement d’une durée plus longue constituerait une peine excessive, vu la période déjà passée sous garde par suite de l’infraction. [par. 62]

[17] Aussi, je partage l’avis du juge Beauregard de la Cour d’appel dans l’affaire Monière voulant que « la détention provisoire ne fait pas partie de la peine, mais n’est qu'un facteur dont le juge tient compte pour déterminer la peine » ([2007] J.Q. no 1539 (QL), 2007 QCCA 309, par. 18). Il en résulte qu’une peine de moins de deux ans ne se transforme pas, pour l’application de l’al. 731(1)b), en une peine de plus de deux ans du simple fait que le juge du procès, en infligeant la peine de moins de deux ans, a pris en compte la période déjà passée sous garde par suite de l’infraction.

[18] Qui plus est, la prise en compte de la détention provisoire comme facteur de détermination de la peine ne découle pas uniquement de la loi et de l’art. 719 du Code, mais s’infère aussi de l’interprétation conceptuelle de la détention provisoire. En effet, l’emprisonnement provisoire fait généralement référence à la détention avant verdict, alors que l’accusé est présumé innocent. Dans le contexte qui nous concerne ici, cette détention est en principe préventive plutôt que punitive. Une telle détention ne peut guère être qualifiée de « peine » : advenant un verdict de culpabilité, le juge en tient compte comme facteur pertinent lors de la sentence, mais qu’en est-il advenant l’acquittement du prévenu? Il s’agirait alors de déterminer rétroactivement si la détention provisoire constituait ou non une peine aux termes du Code, ce qui dépendrait du verdict — événement postérieur et indépendant.

[19] Manifestement, les termes « emprisonnement maximal de deux ans » employés par le législateur à l’al. 731(1)b) renvoient donc à la peine infligée lors de la sentence, peine que le tribunal détermine, le cas échéant, après avoir pris en considération la période passée en détention provisoire.

IV

[20] Cette interprétation du mot « peine » se justifie également au regard du but visé par l’imposition d’une ordonnance de probation, soit de favoriser la réhabilitation du délinquant : R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, 2000 CSC 5. À cet égard, je fais miens les propos de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans R. c. Goeujon (2006), 209 C.C.C. (3d) 61, 2006 BCCA 261 :

[traduction] La possibilité d’imposer une période de probation dépend de différents facteurs. La probation ne vise pas tant à punir le contrevenant qu'à favoriser sa réinsertion sociale. Peu importe la gravité de l'infraction et le degré de responsabilité du contrevenant, il se peut qu'un contrevenant qui a été détenu un certain temps avant le prononcé de sa sentence et qui mérite une peine d'emprisonnement de deux ans puisse néanmoins bénéficier des effets de réinsertion sociale que facilite une ordonnance de probation.

Les ordonnances de probation peuvent aussi se révéler particulièrement utiles pour les contrevenants qui ont été détenus avant le prononcé de leur sentence. Si de nombreux juges doublent la période de détention présentencielle avant de la déduire de la peine à infliger, c'est parce que le contrevenant est alors détenu dans des conditions difficiles et ne peut bénéficier de programmes de réinsertion sociale : voir R. c. Rezaie (1996), 112 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.), p. 104. Un contrevenant qui a été détenu avant le prononcé de sa sentence, sans avoir accès à des programmes, tirerait avantage d'une période de probation au moment de sa libération, que celle‑ci survienne dès le prononcé de la sentence ou au terme d'un nouvel emprisonnement maximal de deux ans. [par. 49‑50]

[21] De même, les motifs du juge Beauregard de la Cour d’appel dans l’affaire St-Germain sont particulièrement pertinents :

Si une ordonnance de probation peut porter atteinte à la liberté de l’accusé, c’est surtout un moyen de mettre l’accusé à l’épreuve et un moyen de protéger la société.

Le législateur présume que, si un accusé séjourne dans un pénitencier et reçoit les services dont il a besoin, il est inutile d’ajouter à sa mise à l’épreuve une fois qu’il est libéré du pénitencier.

Enfin l’ordonnance de probation est un outil utile pour le juge qui, détention provisoire ou pas, croit plus judicieux de condamner l’accusé à une détention de deux ans ou moins avec une certaine période de probation plutôt que de le condamner à être détenu dans un pénitencier. La question de la probation est donc en relation directe avec la détention qui a lieu après le prononcé de la sentence.

([2007] J.Q. no 1540 (QL), 2007 QCCA 310, par. 17-19)

[22] En effet, si l’on devait conclure que l’ordonnance de probation n’est pas disponible dans les cas où la période passée en détention présentencielle, additionnée à la peine d’emprisonnement prononcée par le juge, excède deux ans, cela pourrait avoir comme conséquence néfaste l’imposition par le juge d’une période d’incarcération plus longue. Cette interprétation, qui doit être rejetée, aurait d’une part pour fâcheuse conséquence une augmentation injustifiée de la période à être purgée en milieu carcéral; d’autre part, elle priverait de l’effet de réinsertion sociale que facilite une ordonnance de probation les contrevenants susceptibles d’en bénéficier.

V

[23] Le pourvoi Monière soulève aussi la question de savoir si la période passée en détention provisoire doit être comprise comme faisant partie de la peine imposée par le juge du procès aux fins de l’application du par. 743.6(1.2) et du retardement de la libération conditionnelle que cette disposition prévoit. Il s’agit donc de savoir si l’expression « peine d’emprisonnement d’au moins deux ans » employée par le législateur au par. 743.6(1.2) renvoie à la peine infligée par le juge lorsqu’il prononce la sentence.

[24] Au moment de la sentence, l’intimé Monière avait passé huit mois en détention provisoire. Le juge était d’avis qu’un terme d’emprisonnement de plus de deux ans correspondrait à la gravité des infractions commises par l’intimé. Il a toutefois pris en compte la période passée en détention préventive afin de déterminer la peine appropriée. Le juge a donc infligé à l’intimé Monière une peine globale de 23 mois d’emprisonnement, composée de 12 mois pour avoir participé à une activité d’une organisation criminelle (art. 467.11 du Code), 11 mois consécutifs pour avoir fait le trafic d’une drogue et 11 mois pour avoir comploté à cette fin, cette dernière peine devant être purgée concurremment avec la deuxième. En plus d’une probation de trois ans, le juge a imposé à l’intimé l’obligation de purger la moitié de sa peine avant d’être admissible à une libération conditionnelle selon le par. 743.6(1.2) du Code.

[25] Le paragraphe 743.6(1.2) prévoit en effet la possibilité de retarder la libération conditionnelle d’un contrevenant si la peine qui lui est imposée est d’une durée d’au moins deux ans. Le premier juge s’est cru autorisé de ce fait en l’espèce, au motif que, abstraction faite du temps passé en détention présentencielle, l’intimé aurait reçu une peine d’emprisonnement supérieure à deux ans. La Cour d’appel a annulé cette ordonnance rendue en vertu du par. 743.6(1.2).

[26] L’intimé Monière plaide que puisque la peine prononcée par le juge était inférieure à deux ans, le juge ne pouvait pas ordonner qu’il en purge la moitié avant d’être admissible à une libération conditionnelle. J’estime qu’il a raison.

[27] Le ministère public a concédé lors de l’audition que le calcul de la moitié de la peine à purger devait s’effectuer à partir de la peine prononcée lors de la sentence. Ainsi, cette peine étant de 23 mois, le ministère public propose que l’intimé Monière devait purger une période de détention de 11½ avant d’être admissible à une libération conditionnelle. L’incongruité de cette prétention est apparente, puisque l’application même du par. 743.6(1.2) suppose que la peine soit d’une durée d’au moins 24 mois.

[28] Une autre remarque s’impose. Lorsqu’on cherche à déterminer si le par. 743.6(1.2) du Code peut s’appliquer dans un cas donné, on ne peut pas additionner les peines infligées sur différents chefs afin de conclure que le seuil de deux ans nécessaire à l’application de cette disposition est atteint. L’obligation pour le délinquant de purger la moitié de sa peine avant d’obtenir une libération conditionnelle ne peut être imposée en vertu du par. 743.6(1.2) qu’au regard de chaque chef pris individuellement. Encore faut-il, dans ce cas, qu’il s’agisse d’une peine infligée pour l’une des infractions mentionnées au par. 743.6(1.2). Cette disposition énonce clairement que le pouvoir judiciaire de retarder la libération conditionnelle n’est possible que « pour une infraction de terrorisme ou une infraction prévue aux articles 467.11, 467.12 ou 467.13 ».

[29] En l’espèce, seule la peine infligée pour avoir commis l’infraction de participation à une organisation criminelle était visée par le par. 743.6(1.2). Le juge de première instance a condamné l’intimé Monière à une peine d’incarcération de 12 mois pour ce chef d’accusation. C’est donc à bon droit que la Cour d’appel a annulé l’ordonnance rendue en vertu du par. 743.6(1.2).

VI

[30] Pour tous ces motifs et comme je l’ai mentionné au départ, j’accueillerais le pourvoi Mathieu afin de rétablir l’ordonnance de probation imposée par le premier juge et je rejetterais les pourvois Jin, St-Germain et Monière.

Pourvoi Mathieu accueilli; pourvois St‑Germain, Jin et Monière rejetés.

Procureur de l’appelante Sa Majesté la Reine (31662) : Poursuites criminelles et pénales du Québec, Longueuil.

Procureurs de l’intimé Mathieu : Monterosso Giroux, Montréal.

Procureur de l’appelant St‑Germain : Roland Roy, Sainte‑Agathe‑des‑Monts.

Procureur de l’intimée Sa Majesté la Reine (32003) : Poursuites criminelles et pénales du Québec, Saint‑Jérôme.

Procureurs de l’appelant Jin : Lapointe Doray Lamoureux Tardif, Montréal.

Procureur de l’intimée Sa Majesté la Reine (32091) : Poursuites criminelles et pénales du Québec, Gatineau.

Procureur de l’appelante Sa Majesté la Reine (32014) : Poursuites criminelles et pénales du Québec, Saint‑Jérôme.

Procureur de l’intimé Monière : Mario Lavigne, Montréal.

Procureur de l’intervenant : Procureur général de l’Ontario, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi mathieu est accueilli et les pourvois st‑germain, jin et monière sont rejetés

Analyses

Droit criminel - Détermination de la peine - Détention provisoire - Probation - Admissibilité à la libération conditionnelle - Peine d’emprisonnement de moins de deux ans infligée à des accusés qui avaient déjà purgé une période significative de détention provisoire - Était‑il loisible au juge du procès de prononcer également une ordonnance de probation ou d’inadmissibilité à la libération conditionnelle? - La durée de la détention provisoire s’ajoute‑t‑elle à la peine d’emprisonnement infligée aux accusés au moment de la sentence? - Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 731(1)b), 743.6(1.2).

Les accusés, au moment de leur sentence, avaient purgé un emprisonnement provisoire significatif et, essentiellement pour ce motif, les juges dans chaque instance ont infligé des peines carcérales de moins de deux ans, assorties d’ordonnances de probation de trois ans. N’eût été la détention provisoire, les juges auraient tous infligé des peines pénitentiaires. Dans le cas Monière, le juge a de plus ordonné que l’accusé purge la moitié de sa peine avant d’être admissible à une libération conditionnelle. À l’exception de l’affaire Mathieu, la Cour d’appel a confirmé les ordonnances de probation et, dans l’affaire Monière, elle a annulé l’ordonnance d’inadmissibilité à une libération conditionnelle.

Arrêt : Le pourvoi Mathieu est accueilli et les pourvois St‑Germain, Jin et Monière sont rejetés.

La peine infligée est celle que prononce le juge au moment de la sentence. La détention provisoire ne fait pas partie de la peine, mais n’est qu’un facteur dont le juge tient compte pour déterminer celle‑ci. Cette conclusion s’impose à la lecture notamment des par. 719(1) et (3) du Code criminel et est en outre conforme à la présomption d’innocence ainsi qu’aux objectifs de détermination de la peine. Les termes « emprisonnement maximal de deux ans » employés à l’al. 731(1)b) renvoient donc à la peine infligée lors de la sentence, peine que le tribunal détermine, le cas échéant, après avoir pris en considération la période passée en détention provisoire. Par conséquent, il s’agissait dans tous les pourvois de peines d’emprisonnement de moins de deux ans et il était donc loisible aux juges d’imposer les ordonnances de probation en cause. [5‑6] [17] [19]

Pour la même raison, dans l’affaire Monière, le juge ne pouvait pas ordonner que l’accusé purge la moitié de la peine infligée avant d’être admissible à une libération conditionnelle. L’application même du par. 743.6(1.2) du Code suppose que la peine soit d’une durée d’au moins 24 mois. De plus, on ne peut pas additionner les peines infligées sur différents chefs afin de conclure que le seuil de deux ans nécessaire à l’application de cette disposition est atteint. L’obligation pour l’accusé de purger la moitié de sa peine avant d’obtenir une libération conditionnelle ne peut donc être imposée en vertu du par. 743.6(1.2) qu’au regard de chaque chef pris individuellement et seulement s’il s’agit d’une peine infligée pour l’une des infractions énumérées à ce paragraphe. Dans l’affaire Monière, seule la peine infligée pour avoir commis l’infraction de participation à une organisation criminelle était visée par le par. 743.6(1.2). Puisque le juge du procès a condamné l’accusé à une peine d’incarcération de 12 mois pour ce chef d’accusation, la Cour d’appel a eu raison d’annuler l’ordonnance d’inadmissibilité à une libération conditionnelle. [26‑29]


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Mathieu

Références :

Jurisprudence
Distinction d’avec l’arrêt : R. c. Fice, [2005] 1 R.C.S. 742, 2005 CSC 32
arrêt approuvé : R. c. Goeujon (2006), 209 C.C.C. (3d) 61, 2006 BCCA 261
arrêts mentionnés : R. c. Wust, [2000] 1 R.C.S. 455, 2000 CSC 18
R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, 2000 CSC 5.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 467.11, 719(1), (3), (4), 731(1)b), 743.1(1)b), 743.6(1.2).

Proposition de citation de la décision: R. c. Mathieu, 2008 CSC 21 (1 mai 2008)


Origine de la décision
Date de la décision : 01/05/2008
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2008 CSC 21 ?
Numéro d'affaires : 32091, 31662, 32014, 32003
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2008-05-01;2008.csc.21 ?
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