La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/01/2009 | CANADA | N°2009_CSC_3

Canada | R. c. McNeil, 2009 CSC 3 (16 janvier 2009)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. McNeil, 2009 CSC 3, [2009] 1 R.C.S. 66

Date : 20090116

Dossier : 31852

Entre :

Procureur général de l'Ontario, tiers détenteur des dossiers

Appelant

et

Lawrence McNeil, Sa Majesté la Reine et Chef du

service de police de Barrie, tiers détenteur des dossiers

Intimés

‑ et ‑

Procureur général de l'Alberta, Matthew Marshall,

Police Association of Ontario et Criminal

Lawyers' Association (Ontario)

Intervenants

Traduction française o

fficielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache*, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. McNeil, 2009 CSC 3, [2009] 1 R.C.S. 66

Date : 20090116

Dossier : 31852

Entre :

Procureur général de l'Ontario, tiers détenteur des dossiers

Appelant

et

Lawrence McNeil, Sa Majesté la Reine et Chef du

service de police de Barrie, tiers détenteur des dossiers

Intimés

‑ et ‑

Procureur général de l'Alberta, Matthew Marshall,

Police Association of Ontario et Criminal

Lawyers' Association (Ontario)

Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache*, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 61)

La juge Charron (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Rothstein)

* Le juge Bastarache n'a pas participé au jugement.

______________________________

R. c. McNeil, 2009 CSC 3, [2009] 1 R.C.S. 66

Procureur général de l'Ontario, tiers détenteur des dossiers Appelant

c.

Lawrence McNeil, Sa Majesté la Reine et Chef du

service de police de Barrie, tiers détenteur des dossiers Intimés

et

Procureur général de l'Alberta, Matthew Marshall,

Police Association of Ontario et Criminal Lawyers'

Association (Ontario) Intervenants

Répertorié : R. c. McNeil

Référence neutre : 2009 CSC 3.

No du greffe : 31852.

2008 : 19 mars; 2009 : 16 janvier.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache*, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (les juges Feldman, Simmons et Blair) (2006), 218 O.A.C. 1, 215 C.C.C. (3d) 22, 43 C.R. (6th) 370, [2006] O.J. No. 4746 (QL), 2006 CarswellOnt 7557, qui a accueilli une demande de production de certains documents. Pourvoi accueilli.

Christine Bartlett‑Hughes et Elise Nakelsky, pour l'appelant.

James C. Martin et Rick Visca, pour l'intimée Sa Majesté la Reine.

H. Reginald Watson et Jill Sexsmith, pour l'intimé le Chef du service de police de Barrie, tiers détenteur des dossiers.

James A. Bowron, pour l'intervenant le procureur général de l'Alberta.

Gary R. Clewley et Henry S. Brown, c.r., pour l'intervenant Matthew Marshall.

Ian J. Roland et Danny Kastner, pour l'intervenante Police Association of Ontario.

David M. Porter et Christopher A. Wayland, pour l'intervenante Criminal Lawyers' Association (Ontario).

Marie Henein et Jordan Glick, pour l'amicus curiae.

Version française du jugement de la Cour rendu par

La juge Charron —

1. Introduction

[1] Le pourvoi porte sur la demande présentée par l'accusé en vue d'obtenir la production des dossiers disciplinaires de la police et des dossiers d'enquête criminelle concernant le policier qui a été le témoin principal du ministère public dans la poursuite engagée contre lui. L'intimé, Lawrence McNeil, a présenté cette demande de dossiers en la possession de tiers conformément à la procédure énoncée dans R. c. O'Connor, [1995] 4 R.C.S. 411. Depuis, les procédures intentées contre M. McNeil ont été abandonnées, ce dernier ne participe plus au présent pourvoi et la question de la production est devenue théorique.

[2] Les questions relatives à la production de dossiers disciplinaires de la police et de dossiers d'enquête criminelle concernant un tiers accusé se posent fréquemment. En outre, comme elles sont généralement soulevées dans le cadre de procédures de nature interlocutoire, les ordonnances de production échappent souvent à l'examen en appel. De plus, en l'espèce, les tiers ont encore un intérêt à faire clarifier certaines des incertitudes découlant de la décision du tribunal de juridiction inférieure. Pour ces motifs, la Cour a nommé un amicus curiae et a entendu le pourvoi malgré son caractère théorique.

[3] Nous ne sommes plus saisis de la question de savoir si la production des documents particuliers en cause devant la juridiction inférieure aurait dû faire l'objet d'une ordonnance. La preuve et les procédures antérieures seront donc examinées uniquement dans le but de fournir les éléments nécessaires pour analyser les questions soulevées par les parties dans le présent pourvoi.

2. Contexte

[4] Monsieur McNeil a été arrêté par l'agent Rodney Hackett et d'autres membres du service de police de Barrie relativement à une prétendue transaction de stupéfiants. Il a ensuite été poursuivi par le ministère public fédéral et a été reconnu coupable de plusieurs chefs d'accusation relatifs aux stupéfiants, dont celui de possession de marijuana et de cocaïne en vue d'en faire le trafic. L'agent Hackett était le témoin principal du ministère public dans la poursuite engagée contre M. McNeil et le seul à avoir témoigné sur les motifs raisonnables invoqués à l'appui de l'arrestation de ce dernier. En outre, la conclusion finale du juge du procès selon laquelle M. McNeil a admis avoir été en possession de marijuana et de cocaïne, et ce, dans le but d'en faire le trafic, reposait sur la crédibilité de M. Hackett.

[5] Après avoir été déclaré coupable, mais avant le prononcé de sa peine, M. McNeil a appris que M. Hackett avait fait preuve d'inconduite relativement aux stupéfiants. Ces faits avaient donné lieu à la fois à des procédures disciplinaires internes intentées en vertu de la Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, ch. P.15, et à des accusations criminelles. Ces deux procédures contre M. Hackett étaient alors en cours. Monsieur McNeil a demandé la réouverture de son procès afin de pouvoir présenter les éléments de preuve concernant l'inconduite de M. Hackett. À la suite de l'annulation de cette demande, M. McNeil a plutôt choisi de se voir infliger sa peine et d'interjeter appel de sa déclaration de culpabilité.

[6] Dans une demande préliminaire à la Cour d'appel de l'Ontario, M. McNeil a sollicité la production de tous les renseignements relatifs à l'inconduite de M. Hackett. Il soutenait en avoir besoin pour demander l'autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve lors de son appel à l'encontre de la déclaration de culpabilité. Les renseignements en question — qui se rapportent aux procédures disciplinaires de la police et à l'enquête criminelle — étaient indissociables, et ils se trouvaient en la possession du service de police de Barrie et de l'avocat du ministère public provincial qui avait engagé les poursuites pénales contre M. Hackett. Les deux entités se sont opposées à la production et le ministère public fédéral a appuyé leur opposition à la demande.

[7] Dans O'Connor, notre Cour a énoncé une analyse en deux étapes pour statuer sur les demandes de production de dossiers en la possession de tiers. Premièrement, l'auteur de la demande doit démontrer que les renseignements contenus dans les dossiers sont vraisemblablement pertinents. Dans le contexte de l'appel, il incombait donc à M. McNeil de démontrer que les renseignements visés se rapportaient vraisemblablement à sa demande visant la production de nouveaux éléments de preuve pour son appel à l'encontre de la déclaration de culpabilité. Deuxièmement, s'il est satisfait à cette exigence minimale de pertinence, le tribunal peut ordonner la production des dossiers aux fins d'examen. Dossiers en mains, le tribunal soupèse « les effets bénéfiques et les effets préjudiciables de la production pour déterminer si et dans quelle mesure la production devrait être ordonnée » (O'Connor, par. 137). La deuxième étape de l'analyse énoncée dans O'Connor exige essentiellement du tribunal qu'il mette en balance, d'une part, le droit au respect de la vie privée du tiers en ce qui a trait, s'il y a lieu, au contenu des renseignements visés et, d'autre part, le droit de l'accusé de présenter une défense pleine et entière.

[8] En l'espèce, la Cour d'appel a jugé que certains des dossiers visés, dont les dossiers disciplinaires de la police et les dossiers d'enquête criminelle, satisfaisaient à l'exigence minimale de pertinence, de sorte que la première étape du test énoncé dans O'Connor était respectée. Cependant, au lieu de passer à la deuxième étape, la cour a conclu qu'une « procédure de type O'Connor » ne s'impose que dans les cas où les dossiers en la possession de tiers ouvrent droit à une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée ((2006), 218 O.A.C. 1). Elle a fait une distinction entre les dossiers de l'enquête criminelle et les dossiers disciplinaires de la police et a statué qu'il n'existait aucune attente du genre dans le premier cas. Par conséquent, à la condition que soient effectuées les suppressions appropriées et réglées les revendications de privilège, la cour a ordonné aux tiers de remettre au représentant du ministère public fédéral responsable de la poursuite contre M. McNeil les dossiers de l'enquête criminelle concernant les accusations visant M. Hackett qui se trouvaient en sa possession. La cour a demandé à l'avocat du ministère public chargé du dossier de M. McNeil de déterminer si les renseignements se rapportaient véritablement à l'appel de ce dernier et, dans l'affirmative, de les lui communiquer. Quant aux dossiers disciplinaires de la police, la cour a souligné l'existence d'une jurisprudence contradictoire sur la question de savoir s'il existait à l'égard de ces dossiers une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée et elle a invité les avocats à présenter des observations additionnelles à cet égard. La cour a ajourné en conséquence l'examen des autres éléments de la demande.

[9] À titre de tiers détenteur de dossiers, le procureur général de l'Ontario a obtenu la permission de se pourvoir devant notre Cour et l'exécution de l'ordonnance de production a été suspendue en attendant l'issue du pourvoi. Par la suite, M. Hackett a plaidé coupable à une des accusations criminelles portées contre lui. La preuve de cette déclaration de culpabilité a été admise dans le pourvoi interjeté par M. McNeil devant la Cour d'appel de l'Ontario. Les déclarations de culpabilité prononcées contre lui ont été annulées, après quoi le ministère public a choisi de ne pas poursuivre M. McNeil à nouveau. Monsieur McNeil s'est ensuite désisté du pourvoi. Notre Cour a accueilli la demande des autres parties visant à poursuivre le pourvoi malgré son caractère théorique et elle a nommé un amicus curiae pour assurer la tenue d'un véritable débat contradictoire.

3. Aperçu des questions soulevées en appel

[10] Comme je l'ai dit précédemment, les tiers détenteurs des dossiers en l'espèce demandent des précisions à propos de quelques‑unes des ambiguïtés découlant de la décision de la Cour d'appel. Les questions examinées par notre Cour sont les suivantes.

[11] Premièrement, en limitant la portée du régime de production établi dans l'arrêt O'Connor aux cas où un tiers a une attente en matière de protection de la vie privée relativement aux dossiers visés, la décision portée en appel comporte certaines incertitudes sur le mécanisme auquel il convient de recourir pour obtenir les dossiers en la possession d'un tiers quand on ignore si une telle attente raisonnable s'y rattache. Comme je l'expliquerai plus loin, la procédure établie dans O'Connor crée un mécanisme général en common law pour ordonner la production de tout dossier qui n'est pas en la possession du poursuivant ou sous son contrôle. La question de savoir si le dossier visé fait l'objet d'une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée est une des questions qui doivent être résolues à l'audition d'une demande de type O'Connor. Pour cette seule raison d'ordre pratique, l'application du régime de production de common law ne peut reposer sur l'existence d'une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée.

[12] Deuxièmement, dans la mesure où la décision du tribunal de juridiction inférieure suggère qu'il est impossible d'avoir une attente en matière de protection de la vie privée à l'égard du contenu d'un dossier d'enquête criminelle, elle est erronée. Comme l'a dit notre Cour dans R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668 : « Le droit à la vie privée n'est pas un droit absolu. Toute attente raisonnable en matière de protection de la vie privée ne disparaît pas du simple fait que le ministère public est en possession des dossiers » (par. 108). Ce principe vaut tout autant pour les dossiers d'enquête criminelle concernant un tiers accusé qui ne sont pas en la possession ou sous le contrôle du poursuivant. On ne peut présumer que les dossiers d'enquête criminelle concernant des tiers accusés ne suscitent aucune attente en matière de protection de la vie privée sans avoir examiné leur teneur précise et d'autres facteurs pertinents. L'existence d'une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée et son incidence, le cas échéant, sur l'obligation d'un tiers de produire des renseignements exigent toujours une analyse contextuelle qui repose sur des faits. De même, aucune règle générale ne peut être établie à propos du droit à la confidentialité des dossiers disciplinaires de la police sans tenir compte de leur contenu.

[13] Troisièmement, dans la mesure où les conditions clés de l'ordonnance de production rendue par le tribunal de juridiction inférieure peuvent laisser croire que les dossiers détenus par une entité étatique sont réputés être en la possession d'une autre entité de ce type, cette interprétation doit être écartée. L'idée que toutes les autorités de l'État constituent une entité unique et indivisible pour les besoins de la communication n'est aucunement appuyée en droit et est, en outre, inapplicable en pratique. Par conséquent, les entités étatiques autres que le poursuivant — c'est‑à‑dire celui qui, parmi les entités du ministère public, est en train de poursuivre l'accusé — sont des tiers selon le régime de production établi dans O'Connor. Cependant, comme je l'exposerai plus loin, cette réalité ne libère pas le poursuivant de son obligation de se renseigner suffisamment auprès des autres entités étatiques et d'autres tiers, dans les cas appropriés, à propos des dossiers et des renseignements qu'ils détiennent et qui peuvent être utiles pour l'affaire en cours d'instance. Dans une instance criminelle, le ministère public et la défense n'ont pas d'intérêts divergents quant à la découverte de renseignements pertinents pouvant être avantageux pour l'accusé.

[14] En plus de clarifier ces trois ambiguïtés, la présente affaire fournit un contexte approprié pour réitérer les obligations respectives de la police et du ministère public de communiquer les fruits de l'enquête énoncées dans l'arrêt R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, et pour se demander dans quelle mesure les dossiers disciplinaires de la police et les dossiers d'enquête criminelle pertinents concernant un tiers devraient faire partie de cette communication de la preuve par la « partie principale ». L'obligation du ministère public de communiquer à l'accusé tous les renseignements pertinents qui sont en sa possession est bien établie en common law et est maintenant inscrite dans la constitution à l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui consacre le droit à une défense pleine et entière. Forcément, le corollaire de l'obligation de communication du ministère public établie dans Stinchcombe est celle de la police (ou d'autres autorités de l'État chargées de mener des enquêtes) de communiquer au ministère public tous les renseignements se rapportant à son enquête sur l'accusé. Pour s'acquitter de cette obligation corollaire, le service de police chargé de l'enquête n'est pas un tiers, même si, en droit, il est distinct et indépendant du ministère public. En fait, il agit en tant que partie principale, tout comme le ministère public.

[15] Comme je l'expliquerai plus loin, les dossiers sur les conclusions d'inconduite grave de policiers chargés de l'enquête visant l'accusé sont à bon droit compris dans les renseignements que la police doit remettre au ministère public à titre de «—partie principale » quand l'inconduite en question est liée à l'enquête ou quand il est raisonnable de penser qu'elle risque d'avoir des répercussions sur la poursuite engagée contre l'accusé. Le ministère public doit à son tour communiquer les renseignements à l'accusé selon l'obligation qui lui incombe aux termes de Stinchcombe. La production des dossiers disciplinaires et des dossiers d'enquête criminelle détenus par la police et qui ne font pas partie des dossiers que doit communiquer la partie principale est régie par le régime de production des dossiers en la possession de tiers établi dans O'Connor.

[16] J'examinerai d'abord les obligations respectives du ministère public et de la police de communiquer les fruits de l'enquête sur l'accusé.

4. L'obligation formulée dans Stinchcombe de communiquer les fruits de l'enquête

[17] Il est bien établi que le ministère public est tenu de communiquer tous les renseignements pertinents qu'il a en sa possession se rapportant à l'enquête visant un accusé. L'obligation est déclenchée sur demande, sans qu'il soit nécessaire de faire appel à la cour. Stinchcombe énonce clairement que l'information pertinente devant être communiquée par la partie principale comprend non seulement les renseignements ayant trait aux éléments que le ministère public a l'intention de présenter en preuve contre l'accusé, mais également ceux qui peuvent raisonnablement aider ce dernier à présenter une défense pleine et entière (p. 343‑344). L'obligation qui incombe au ministère public subsiste après le procès. Ainsi, dans le contexte d'un appel, les renseignements pertinents englobent tout renseignement qui peut raisonnablement aider l'appelant à faire valoir sa thèse en appel.

[18] L'obligation de communication des fruits de l'enquête établie dans Stinchcombe n'est certes pas absolue, mais elle admet peu d'exceptions. Sauf si les renseignements n'ont manifestement aucune pertinence ou sont privilégiés, ou si leur communication est autrement régie en droit, le ministère public est tenu de communiquer à l'accusé tous les renseignements qu'il a en sa possession. Il peut toujours exercer son pouvoir discrétionnaire quant à la forme et au moment de la communication de la preuve quand les circonstances sont telles que la communication habituelle peut porter préjudice à quelqu'un ou à l'intérêt public. L'exercice de ce pouvoir discrétionnaire peut faire l'objet d'un examen judiciaire.

[19] Comme la Cour l'a confirmé dans Mills, l'existence de l'obligation qui incombe au ministère public de communiquer les fruits de l'enquête formulée dans Stinchcombe ne signifie pas qu'il ne peut y avoir de droit résiduel à la protection de la vie privée quant au contenu du dossier du ministère public. Il n'est d'ailleurs pas surprenant que de nombreuses personnes et entités aient un tel droit relativement aux renseignements recueillis dans le cadre d'une enquête criminelle. En effet, les dossiers d'enquête criminelle peuvent contenir des renseignements de nature très délicate tels que des exposés sur des allégations dont le bien‑fondé n'a pas été établi, des déclarations de plaignants ou de témoins — parfois à propos de questions très personnelles —, des adresses, des numéros de téléphone personnels, des photographies, des rapports médicaux, des relevés bancaires, des renseignements utilisés pour obtenir un mandat de perquisition, des rapports de surveillance, des communications interceptées grâce à l'écoute électronique, des éléments de preuve scientifiques dont des renseignements génétiques, des casiers judiciaires, etc. Les lois sur la protection de la vie privée des 10 provinces contiennent des dispositions sur la communication de renseignements qui se trouvent dans les dossiers relatifs à l'application de la loi. Voir Loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. F.31, art. 14; Access to Information and Protection of Privacy Act, S.N.L. 2002, ch. A‑1.1, art. 22; Freedom of Information and Protection of Privacy Act, S.N.S. 1993, ch. 5, art. 15; Freedom of Information and Protection of Privacy Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. F‑15.01, art. 18; Loi sur le droit à l'information, L.N.‑B. 1978, ch. R‑10.3, al. 6a) et 6f); Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, L.R.Q., ch. A‑2.1, art. 28; Loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée, L.M. 1997, ch. 50, art. 25; The Freedom of Information and Protection of Privacy Act, S.S. 1990‑91, ch. F‑22.01, art. 15; Freedom of Information and Protection of Privacy Act, R.S.A. 2000, ch. F‑25, art. 20; Freedom of Information and Protection of Privacy Act, R.S.B.C. 1996, ch. 165, art. 15. Voir également la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21, art. 22.

[20] Il se dégage implicitement de l'obligation générale de communiquer le contenu de ses dossiers qui incombe au ministère public selon Stinchcombe non pas l'absence d'une attente résiduelle en matière de protection de la de vie privée, mais bien les deux hypothèses suivantes. Premièrement, les dossiers en la possession du poursuivant doivent être pertinents par rapport à la cause de l'accusé. Autrement, le ministère public n'en obtiendrait pas la possession (O'Connor, par. 12). Deuxièmement, les dossiers en question comprennent probablement la preuve qui sera présentée contre l'accusé. Par conséquent, en général, l'intérêt qu'a l'accusé à obtenir la communication de toute la preuve pertinente en la possession du poursuivant afin de pouvoir présenter une défense pleine et entière l'emporte sur le droit résiduel des tiers à la protection de la vie privée. Ces deux hypothèses expliquent pourquoi il incombe au ministère public de justifier la non‑communication de quelque renseignement qu'il a en sa possession.

[21] Bien que le régime de communication issu de la common law formulé dans Stinchcombe établisse généralement un juste équilibre entre le droit de l'accusé de présenter une défense pleine et entière et les droits résiduels en matière de protection de la vie privée des autres personnes dans les fruits de l'enquête, ce n'est pas le seul régime qui satisfait aux normes constitutionnelles. Comme notre Cour l'a conclu dans Mills, le législateur avait le pouvoir d'adopter, comme il l'a fait en édictant les art. 278.1 à 278.91 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46 (couramment appelé le «—régime de l'arrêt Mills »), un régime législatif pour la communication de dossiers contenant des renseignements personnels au sujet des plaignants et des témoins dans des procédures relatives à des infractions d'ordre sexuel. Sauf renonciation expresse du plaignant ou du témoin concerné, les dossiers relevant du régime de l'arrêt Mills, qu'ils soient en la possession d'un tiers ou du poursuivant ou qu'ils soient sous le contrôle de l'un ou de l'autre, ne peuvent être communiqués que sur demande à la cour et conformément au critère de la pondération des droits énoncé dans les dispositions du Code. Ce régime législatif constitue donc une exception au régime de common law relatif à la communication de la preuve par le ministère public énoncé dans Stinchcombe. Comme nous le verrons, le régime de l'arrêt Mills est également différent du régime de common law relatif à la production des dossiers en la possession des tiers établi dans O'Connor. Le régime de l'arrêt Mills est néanmoins constitutionnel (Mills, par. 59).

[22] Le régime de communication de l'arrêt Stinchcombe ne vise que les renseignements en la possession du ministère public ou qui sont sous son contrôle. En effet, le droit ne peut imposer une obligation au ministère public de communiquer les renseignements qu'il ne détient pas ou qu'il ne peut obtenir : R. c. Stinchcombe, [1995] 1 R.C.S. 754. La question qui se pose alors est celle de savoir si le « ministère public », pour les besoins de la communication, englobe d'autres autorités de l'État. L'idée que toutes les autorités de l'État ne forment qu'une seule entité étatique pour les besoins de la communication et de la production doit être écartée d'emblée. Elle n'est aucunement appuyée en droit et, compte tenu de notre système de gouvernement à plusieurs niveaux et des réalités géographiques du Canada, est inapplicable en pratique. Comme il est bien expliqué dans R. c. Gingras (1992), 120 A.R. 300 (C.A.), par. 14 :

[traduction] Si ce raisonnement était juste, pour satisfaire aux critères établis dans Stinchcombe, l'avocat du ministère public devrait, quelques mois avant le procès, enquêter auprès de chaque ministère du gouvernement provincial et de chaque ministère du gouvernement fédéral. Il se verrait obligé de leur demander s'ils ont eu en leur possession des dossiers concernant chacune des poursuites devant avoir lieu. Il serait impossible de mener à bien ne serait‑ce qu'un pour cent de cette tâche. Si cela était nécessaire, il faudrait plusieurs années pour porter chaque affaire devant les tribunaux.

Par conséquent, le régime de communication établi dans Stinchcombe ne vise que les documents se rapportant à la cause de l'accusé qui sont en la possession du poursuivant ou qui sont sous son contrôle. Ces renseignements sont communément appelés les « fruits de l'enquête ».

[23] Selon notre système canadien d'application des lois, l'obligation générale d'enquêter sur les crimes incombe à la police, et non au ministère public. Les fruits de l'enquête visant un accusé auront donc habituellement été rassemblés par la police et l'accusation criminelle en découlant aura été portée par elle. Même si les rôles du ministère public et de la police sont distincts, la police est tenue de participer aux poursuites : voir, par exemple, l'al. 42(1)e) de la Loi sur les services policiers de l'Ontario. En l'espèce, l'obligation de la police de participer au processus de communication revêt une importance particulière. La façon dont le ministère public entre en possession des fruits de l'enquête découle de l'obligation corollaire des enquêteurs de communiquer au poursuivant tous les renseignements pertinents en leur possession. L'obligation de la police de communiquer au poursuivant tous les renseignements relatifs à l'enquête sur l'accusé a été reconnue bien avant l'arrêt Stinchcombe. L'honorable G. Arthur Martin, c.r., a bien résumé l'état du droit dans son rapport intitulé Report of the Attorney General's Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions (1993) (le « Rapport Martin »), p. 167‑168 :

[traduction] Il est bien établi et reconnu par tous, y compris les policiers, que la police, même si elle fonctionne indépendamment de l'avocat du ministère public, est tenue de lui communiquer tous les renseignements pertinents découverts pendant l'enquête sur un crime, y compris les renseignements susceptibles d'aider l'accusé. [. . .] Comme l'a souligné un commentateur, « l'obligation de la police de communiquer au ministère public les renseignements pertinents concernant une affaire existait avant [Stinchcombe, précité] ».

[24] L'obligation corollaire de la police de communiquer au ministère public les fruits de l'enquête est maintenant bien reconnue dans les arrêts des cours d'appel. Voir R. c. Jack (1992), 70 C.C.C. (3d) 67 (C.A. Man.), p. 94; R. c. T. (L.A.) (1993), 14 O.R. (3d) 378 (C.A.), p. 382; R. c. Gagné, [1998] J.Q. no 3240 (QL) (C.A. Qué.), par. 22; et Driskell c. Dangerfield, 2008 MBCA 60, [2008] 6 W.W.R. 615, par. 17. Il est aussi généralement admis que le ministère public ne peut justifier la non‑communication de renseignements pertinents en faisant valoir que le service de police chargé de l'enquête a omis de les lui communiquer. Voir R. c. MacPherson (1991), 105 N.S.R. (2d) 123 (C.S.), par. 37‑38; R. c. Oliver (1995), 143 N.S.R. (2d) 134 (C.S.), par. 36; R. c. Campbell, [1992] N.S.J. nº 702 (QL) (C. prov.), par. 16‑17.

[25] Même si, dans ce sens strict, la police et le ministère public peuvent être considérés comme une seule entité pour les besoins de la communication, ils sont indiscutablement des entités distinctes et indépendantes, tant en fait qu'en droit. En conséquence, la production de dossiers d'enquête criminelle concernant des tiers et celle de dossiers disciplinaires de la police doit habituellement être déterminée dans le contexte d'une demande de type O'Connor. Cela n'est pas surprenant, car il est peu probable que les renseignements portant sur l'inconduite d'un tiers accusé ou d'un policier aboutissent dans les dossiers communiqués au ministère public visés par Stinchcombe, à moins qu'ils n'aient trait d'une façon quelconque à la cause de l'accusé. Je reviendrai plus loin sur ce point en analysant les circonstances dans lesquelles les renseignements sur l'inconduite d'un tiers devraient faire partie des renseignements communiqués au ministère public par la police. Tout d'abord, je vais examiner les principes régissant la production de dossiers en la possession de tiers selon le régime de l'arrêt O'Connor.

5. Le régime de production des dossiers en la possession de tiers établi dans O'Connor

[26] Dans O'Connor, notre Cour s'est intéressée à la façon dont l'accusé, inculpé de multiples infractions d'ordre sexuel, pouvait obtenir la production par des tiers gardiens des dossiers thérapeutiques des plaignantes. En matière de communication des dossiers contenant des renseignements personnels au sujet des plaignants et des témoins dans des procédures relatives à des infractions d'ordre sexuel, l'arrêt O'Connor a été supplanté par l'adoption par le législateur des art. 278.1 à 278.91 du Code criminel, correspondant au régime de l'arrêt Mills. Cependant, dans le cadre de tout autre type d'instance criminelle, la demande de type O'Connor offre à l'accusé un mécanisme lui permettant d'avoir accès à des dossiers en la possession de tiers qui échappent au régime de communication par la partie principale établi dans Stinchcombe.

[27] En bref, la procédure à suivre dans une demande de type O'Connor est la suivante :

(1) L'accusé doit d'abord obtenir un subpoena duces tecum en vertu des par. 698(1) et 700(1) du Code criminel et le signifier au tiers détenteur du dossier. Le subpoena contraint la personne visée à comparaître en cour avec les dossiers ou renseignements qui y sont décrits.

(2) L'accusé présente aussi une demande appuyée d'une preuve par affidavit indiquant que les dossiers visés sont vraisemblablement pertinents par rapport à son procès. Il doit aviser le poursuivant, la personne visée par les dossiers et toute autre personne ayant un intérêt dans le caractère privé des dossiers visés par la demande de production.

(3) La demande de type O'Connor est adressée au juge saisi de l'affaire, mais elle peut être entendue avant le début du procès. Évidemment, si personne ne s'oppose à la production; la demande visant à l'obtenir devient théorique et il n'est pas nécessaire de tenir une audience.

(4) Si le détenteur du dossier ou une autre personne intéressée présente une revendication légitime selon laquelle les renseignements visés sont privilégiés, sauf dans les cas les plus rares où l'innocence de l'accusé est en jeu, l'existence d'un privilège fera obstacle à la demande de l'accusé visant à obtenir la production des renseignements visés, peu importe leur pertinence. Il est donc préférable que les questions de privilège soient réglées dès le début du processus établi dans O'Connor.

(5) Quand il n'est pas question de privilège, le juge détermine si la production devrait être ordonnée suivant l'analyse en deux étapes établie dans O'Connor. À la première étape, s'il est convaincu que les dossiers se rapportent vraisemblablement à la procédure engagée contre l'accusé, le juge peut en ordonner la production pour que la cour en fasse l'examen. À la deuxième étape, dossiers en main, le juge détermine si, et dans quelle mesure, la production doit être ordonnée afin que les dossiers soient communiqués à l'accusé.

La question du privilège dépasse le cadre du présent pourvoi. Cependant, je vais examiner plus à fond successivement chacune des étapes du test établi dans O'Connor pour la production de dossiers en la possession de tiers.

5.1 Première étape : Filtrer les demandes en fonction de la pertinence vraisemblable

5.1.1 Fardeau imposé à l'auteur de la demande

[28] À la première étape d'une demande contestée visant la production de renseignements non privilégiés en la possession d'un tiers, il incombe à la personne qui demande la production — l'accusé en l'espèce — de convaincre la cour que les renseignements sont vraisemblablement pertinents. Ce fardeau initial illustre simplement que le contexte dans lequel les dossiers en la possession de tiers sont demandés est différent de celui dans lequel l'obligation de communication incombe à la partie principale. Comme nous l'avons déjà vu, l'obligation présumée qui incombe à l'avocat du ministère public de communiquer les fruits de l'enquête en sa possession établie dans Stinchcombe repose sur l'hypothèse que les renseignements sont pertinents et comprennent probablement la preuve qui sera présentée contre l'accusé. Aucune hypothèse de ce genre ne peut être tirée quant aux renseignements en la possession d'un tiers étranger au litige. L'auteur de la demande doit alors justifier à la cour l'utilisation du pouvoir de l'État d'imposer la production — d'où son fardeau initial de démontrer la «—pertinence vraisemblable ». De plus, il est important pour la bonne administration de la justice que les procès criminels soient toujours axés sur les questions à trancher et que les ressources judiciaires limitées ne soient pas gaspillées dans des recherches à l'aveuglette sur des éléments de preuve non pertinents. L'exigence minimale de pertinence joue ce rôle de gardien.

5.1.2 Le fardeau imposé à l'auteur de la demande est important, sans être onéreux

[29] Il est important de rappeler que, comme notre Cour l'a souligné dans O'Connor, bien que l'exigence minimale de pertinence vraisemblable soit « un fardeau important, cela ne devrait pas être interprété comme un fardeau onéreux incombant à l'accusé » (par. 24). D'une part, cette exigence de pertinence vraisemblable est « importante » parce que la cour doit pouvoir participer de manière significative au filtrage des demandes pour « empêcher que la défense ne se lance dans des demandes de production "qui reposent sur la conjecture et qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires" » (O'Connor, par. 24, citant un extrait de R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727, par. 32). On ne saurait trop insister sur l'importance d'empêcher les demandes de production inutiles d'épuiser les ressources judiciaires limitées. Pourtant, la prolongation indue des procédures criminelles demeure une préoccupation majeure plus d'une décennie après O'Connor. D'autre part, il ne devrait pas être onéreux de satisfaire à l'exigence minimale de pertinence, et il ne saurait en être ainsi, parce que les personnes accusées ne peuvent être obligées « de démontrer l'usage exact qu'ils pourraient faire de renseignements qu'ils n'ont même pas vus » (O'Connor, par. 25, citant un extrait de R. c. Durette, [1994] 1 R.C.S. 469, p. 499) pour pouvoir obtenir les renseignements susceptibles de les aider à présenter une défense pleine et entière.

5.1.3 Le fardeau initial de common law établi dans O'Connor diffère considérablement du régime législatif de l'arrêt Mills

[30] Il est important de souligner que l'exigence minimale de pertinence vraisemblable de common law énoncé dans O'Connor diffère considérablement du critère de pertinence vraisemblable fixé par le législateur pour la production de dossiers contenant des renseignements personnels dans des procédures en matière d'agression sexuelle conformément au régime de l'arrêt Mills (voir par. 278.3(4) du Code criminel). Comme notre Cour l'a expliqué assez longuement dans Mills, une gamme de régimes acceptables peuvent satisfaire aux normes constitutionnelles. Le législateur était donc libre de concevoir sa propre solution pour répondre aux préoccupations particulières qui découlent de la communication de dossiers en la possession de tiers dans des procédures en matière sexuelle. Ce faisant, le législateur a « cherché à reconnaître la fréquence des agressions sexuelles contre les femmes et les enfants ainsi que leurs effets néfastes sur leurs droits, [. . .] et à concilier l'équité pour le plaignant avec les droits de l'accusé » (Mills, par. 59). Il convient de noter tout particulièrement les différences suivantes entre les deux régimes.

[31] Premièrement, le critère de pertinence vraisemblable du régime de l'arrêt Mills adopté par le législateur est conçu pour lutter contre les mythes, les stéréotypes et les hypothèses générales au sujet des victimes d'agressions sexuelles et au sujet de l'utilité des dossiers privés dans des procédures en matière d'agression sexuelle. Il n'est pas nécessaire de parer complètement de telles opinions générales pour tous les dossiers en la possession de tiers qui sont exclus du champ d'application du régime de l'arrêt Mills. Le critère général de common law de pertinence vraisemblable établi dans O'Connor vise plutôt le filtrage des demandes pour veiller à ce que le pouvoir de l'État soit utilisé d'une manière appropriée en ce qui a trait aux ordonnances de production de dossiers en la possession de tiers et à établir la pertinence des demandes afin d'éviter de gaspiller les ressources judiciaires limitées.

[32] Deuxièmement, bien que le régime de l'arrêt Mills maintienne le cadre d'analyse en deux étapes énoncé dans O'Connor, il diffère considérablement de celui‑ci du fait que la majeure partie de la pondération des intérêts divergents s'effectue à la première étape — lorsqu'on décide si la production des renseignements à la cour pour examen est justifiée. Cela reflète la présomption du législateur voulant qu'il existe une attente raisonnable en matière de protection du caractère privé des types de dossiers visés par le régime législatif : voir R. c. Clifford (2002), 163 C.C.C. (3d) 3 (C.A. Ont.), par. 48‑49. Aucune présomption équivalente relative au respect de la vie privée ne s'applique aux dossiers en la possession de tiers qui échappent au régime de l'arrêt Mills. Par conséquent, toute mise en balance des intérêts divergents ne s'effectue qu'à la deuxième étape du régime de l'arrêt O'Connor, soit quand les renseignements peuvent être examinés par la cour afin de mieux déterminer la nature des intérêts privés en cause, le cas échéant. Compte tenu de ces différences appréciables, il importe de ne pas transposer le régime de l'arrêt Mills à une audience de type O'Connor visant la production de renseignements auxquels les dispositions législatives ne s'appliquent pas.

5.1.4 Pertinence vraisemblable selon le régime de common law

[33] La « pertinence vraisemblable » selon le régime de common law établi dans l'arrêt O'Connor signifie qu'il existe « une possibilité raisonnable que les renseignements aient une valeur logiquement probante relativement à une question en litige ou à l'habilité à témoigner d'un témoin » (O'Connor, par. 22 (soulignement omis)). Une « question en litige » comprend non seulement les questions pertinentes quant au déroulement des événements qui font l'objet du litige, mais également la « preuve concernant la crédibilité des témoins et la fiabilité des autres éléments de preuve présentés dans l'affaire » (O'Connor, par. 22). À cette étape des procédures, la cour ne saurait exiger une démonstration de la manière précise dont les renseignements visés pourraient être utilisés au procès. Imposer à l'accusé, qui n'a jamais vu les dossiers, un fardeau initial aussi strict le placerait dans une situation sans issue.

5.2 Deuxième étape : Mettre en balance les droits en jeu

[34] Si l'auteur de la demande réussit à démontrer la pertinence vraisemblable, le tiers détenteur du dossier peut se voir ordonner de produire les renseignements pour que la cour en fasse l'examen et décide s'ils devraient être communiqués à l'accusé.

[35] Dans O'Connor, notre Cour a dressé la liste suivante des facteurs à prendre en considération pour décider s'il y a lieu d'ordonner la communication à l'accusé (par. 31) :

. . . « (1) la mesure dans laquelle ce dossier est nécessaire pour que l'accusé puisse présenter une défense pleine et entière; (2) la valeur probante du dossier en question; (3) la nature et la portée de l'attente raisonnable au respect du caractère privé de ce dossier; (4) la question de savoir si la production du dossier reposerait sur une croyance ou un préjugé discriminatoires » et « (5) le préjudice possible à la dignité, à la vie privée ou à la sécurité de la personne [du plaignant] que pourrait causer la production du dossier en question » . . . [Texte entre crochets dans l'original.]

Les facteurs énoncés dans O'Connor ne doivent pas être appliqués de façon machinale. Il ne faut pas oublier que cet arrêt portait sur la production des dossiers privés du plaignant dans le cadre de procédures relatives à une infraction d'ordre sexuel, un domaine de droit régi depuis par le régime de l'arrêt Mills adopté par le législateur. Certains des facteurs énumérés dans O'Connor, particulièrement les points 4 et 5 cités précédemment, ont de toute évidence été adaptés pour satisfaire aux exigences des procédures en matière d'agression sexuelle et ne sont donc vraisemblablement d'aucun secours dans d'autres contextes. En fin de compte, à la deuxième étape du régime de common law, il faut mettre en balance les droits divergents en jeu dans les circonstances particulières de l'espèce. Il est impossible de dresser une liste exhaustive pouvant convenir à toutes les situations. Je vais tout de même apporter quelques précisions sur le processus de mise en balance.

5.2.1 Un point de départ utile : Évaluer la véritable pertinence

[36] Comme nous l'avons déjà vu, au moment où le tribunal s'engage dans la deuxième étape d'une audience de type O'Connor, la demande a été filtrée en fonction de la pertinence vraisemblable et le juge est convaincu qu'il est justifié, dans les circonstances, d'ordonner la production des renseignements pour que la cour en fasse l'examen. Une fois que le tribunal est saisi des renseignements, la dernière question à trancher est celle de savoir si ces derniers devraient être communiqués à l'accusé.

[37] L'amicus curiae prétend que pour déterminer s'il y a lieu d'ordonner la communication à l'accusé de renseignements en la possession de tiers, notamment, comme en l'espèce, de renseignements du ministère public et de la police et de dossiers disciplinaires de la police, il faut tout d'abord déterminer la nature de ces dossiers pour établir l'existence ou l'absence d'une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée (mémoire, par. 19). Cette proposition n'est pas sans fondement. En effet, si l'inspection des renseignements et de leur contenu indique clairement qu'il n'existe aucun fondement permettant au tiers détenteur du dossier ou à toute autre personne intéressée de se prévaloir d'un droit raisonnable à la protection de la vie privée, il n'y a plus lieu de mettre les droits en jeu en balance. Étant donné que, à cette étape, la pertinence vraisemblable a été démontrée, le seul intérêt encore en jeu est le droit de l'accusé à une défense pleine et entière. La cour devrait donc ordonner la production. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la conclusion de la Cour d'appel en l'espèce, selon laquelle une « procédure de type O'Connor » n'est nécessaire que dans les affaires où les dossiers en la possession de tiers justifient une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée.

[38] Cette approche soulève toutefois un problème, car elle repose largement sur la conclusion selon laquelle l'existence d'une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée peut être établie uniquement en fonction du type de dossier en question. Bien que ce soit possible à l'égard de certains dossiers, une approche plus contextuelle s'impose habituellement pour déterminer s'il existe une attente en matière de vie privée dans un dossier en particulier. Comme nous l'avons vu, même dans le contexte de l'obligation de communication qui incombe au ministère public selon Stinchcombe, il n'existe aucune présomption portant que les attentes en matière de protection de la vie privée sont vaines simplement parce qu'un document se retrouve dans le dossier du ministère public.

[39] L'amicus curiae prétend, et je partage son opinion, que la détermination de l'existence d'une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée nécessite une appréciation contextuelle tenant compte de nombreux facteurs, soit notamment de la façon dont le dossier a été créé, de la personne qui l'a créée, de l'objet du dossier, du contexte de l'affaire où le dossier serait utilisé, de la personne détenant un droit en matière de protection de la vie privée, de la manière dont le ministère public ou la police a obtenu le dossier, de la présence ou de l'absence d'une renonciation, de la législation applicable et de la question de savoir si le droit à la protection de la vie privée s'étend à l'ensemble ou à une partie du dossier. Comme il ressort clairement de cette liste non exhaustive, la détermination de l'existence d'une attente résiduelle en matière de protection de la vie privée relativement à un document peut représenter un exercice complexe et long susceptible de retarder et de nuire considérablement à l'instance — le procès de l'accusé. C'est pourquoi, dans la plupart des cas, j'estime qu'il serait plus utile que les tribunaux évaluent d'abord la pertinence véritable du dossier visé relativement à la poursuite engagée contre l'accusé lorsqu'ils mettent en balance des droits divergents à la seconde étape d'une demande de type O'Connor. Cette approche permettrait au tribunal de rester centré sur le procès de l'accusé et, selon les droits divergents en jeu, elle aurait généralement un effet déterminant sur la question de la production. Je m'explique.

[40] D'une part, puisque l'accusé n'aura pas pris connaissance des renseignements dont il sollicite la production, l'examen par la cour pourrait révéler que la prétention de pertinence vraisemblable établie à la première étape de la demande de type O'Connor n'est simplement pas étayée. Si la cour est convaincue que les renseignements sont manifestement sans pertinence, rien ne justifie d'ordonner de les communiquer à l'accusé, et la demande peut être rejetée sommairement.

[41] D'autre part, si l'inspection révèle que la prétention de pertinence vraisemblable est étayée, le droit de l'accusé à une défense pleine et entière fera, à quelques exceptions près, pencher la balance pour le prononcé d'une ordonnance de production. Rappelons qu'à cette étape des procédures, la cour a confirmé que la demande de production concerne des renseignements non privilégiés. L'existence d'un droit en matière de protection de la vie privée relativement aux dossiers en la possession de tiers se rapportant à la défense d'un accusé contre une accusation criminelle pourrait bien justifier, le cas échéant, certaines suppressions ou l'imposition de conditions pour s'assurer que la communication à l'accusé n'occasionne pas d'atteinte inutile à la vie privée. Cependant, en l'absence d'un régime législatif prédominant régissant la production des dossiers en question, il est peu vraisemblable que le droit d'un tiers à la protection de sa vie privée suffise à faire rejeter une demande de production.

[42] Une fois qu'un tribunal a déterminé, après examen, que des dossiers en la possession de tiers sont effectivement pertinents à l'égard de la poursuite engagée contre l'accusé, en ce qu'ils se rapportent à une question en litige au procès comme il a été décrit précédemment, l'exercice de mise en balance de la seconde étape peut facilement être effectué. En effet, une conclusion confirmant la pertinence véritable a pour effet de classer les dossiers en la possession de tiers dans la même catégorie, pour les besoins de la communication, que les fruits de l'enquête contre l'accusé qui se trouvent en la possession du ministère public suivant Stinchcombe. Il pourrait être utile de poser la question de la manière suivante : si le renseignement en la possession d'un tiers s'était retrouvé dans le dossier du ministère public, y aurait‑il un fondement, suivant le régime de communication qui incombe à la partie principale établi dans Stinchcombe, qui justifierait de ne pas le communiquer à l'accusé? Si la réponse est négative, aucun motif rationnel ne permet de tirer une conclusion différente relativement à la demande de production de renseignements en la possession de tiers. Comme nous l'avons vu, l'obligation qui incombe au ministère public selon Stinchcombe de communiquer à l'accusé les fruits de l'enquête en sa possession ne signifie pas qu'il ne subsiste aucun droit à la protection de la vie privée relativement au contenu du dossier. Cependant, à quelques exceptions près (notamment celle du régime législatif de l'arrêt Mills), cette obligation signifie que le droit de l'accusé d'avoir accès aux renseignements nécessaires pour qu'il présente une défense pleine et entière l'emportera sur tout droit divergent à la protection de la vie privée. Il en est de même à l'égard de renseignements pertinents en la possession de tiers, particulièrement à l'égard de dossiers relatifs à une enquête criminelle concernant un tiers accusé. Comme l'indique fort à‑propos le professeur Paciocco :

[traduction] . . . il serait illogique de soutenir que les renseignements relatifs à l'enquête ne sont pas assez privés pour imposer des contraintes quant à la possibilité pour la police de les rassembler et pour le ministère public de les utiliser afin d'obtenir la déclaration de culpabilité de la personne qui fait l'objet d'une enquête. Or, ces mêmes renseignements sont protégés par le droit à la protection de la vie privée lorsqu'ils sont pertinents quant à la défense d'une personne.

(David M. Paciocco, « Filling the Seam between Stinchcombe and O'Connor : The "McNeil" Disclosure Application » (2007), 53 Crim. L.Q. 161, p. 199‑200)

5.2.2 La protection contre les atteintes inutiles à la vie privée

[43] Toutefois, cela ne veut pas dire que les droits résiduels à la protection de la vie privée quant au contenu d'un dossier d'enquête criminelle doivent être ignorés. Comme il a été conclu à la p. 181 du Rapport Martin (mémoire du procureur général de l'Ontario, par. 24) :

[traduction] La vie privée de la victime et de tous les autres témoins doit céder le pas à la préparation d'une défense pleine et entière, sans plus. Selon le Comité, pourvu que rien ne nuise à la préparation de la défense pleine et entière, il est préférable d'imposer des restrictions quant à l'utilisation des renseignements visés par la communication et de reconnaître ainsi le droit à la protection de la vie privée des victimes et des témoins.

[44] Il en est de même à l'égard des dossiers disciplinaires de la police ou de tout autre dossier en la possession de tiers. Le tribunal doit garantir que l'ordonnance de production est conçue pour satisfaire aux exigences de l'affaire, sans plus. Comme nous l'avons vu, la pertinence vraisemblable pour les besoins de la communication a une portée très large et comprend des renseignements qui seraient raisonnablement susceptibles d'aider l'accusé dans l'exercice de son droit à une défense pleine et entière. En tenant compte de la portée des renseignements qui peuvent être utiles au procès, il faut se pencher sur les questions particulières à l'espèce et sur les règles de preuve et de procédure applicables. Cela ne veut pas dire que seuls les renseignements admissibles au procès devraient être produits. Les renseignements qui, en eux‑mêmes, ne seraient pas admissibles peuvent néanmoins être utiles à la défense, par exemple, lorsque celle‑ci contre‑interroge un témoin sur des questions de crédibilité ou lorsqu'elle prend d'autres moyens d'enquête. L'auteur d'une demande de type O'Connor doit toutefois établir la pertinence du document sollicité eu égard aux questions de l'espèce. C'est principalement pourquoi il est préférable que le juge du procès soit saisi de ce type de demandes. En procédant de la sorte, les questions relatives à la production sont traitées efficacement par le juge et les avocats qui sont suffisamment au courant des questions en litige dans l'affaire. Bien sûr, les demandes de production peuvent être instruites avant le début du procès et, s'il estime la chose nécessaire, le juge peut demander l'aide des avocats pour décider de la pertinence d'un dossier particulier aux fins de production.

[45] La détermination de la pertinence véritable des dossiers visés par la demande de production peut devenir particulièrement importante lorsque les renseignements qui s'y trouvent concernent des dossiers disciplinaires de la police. La nature controversée du travail des policiers entraîne souvent des plaintes — parfois légitimes, parfois non fondées — de la part du public. Les procédures disciplinaires engagées contre des policiers peuvent également se rapporter à des questions relatives à leur emploi ou à d'autres questions qui n'ont aucun rapport avec la poursuite engagée contre un accusé. Dans ce contexte, la communication des renseignements et, par conséquent, le procès risquent de s'écarter de son objet en raison d'allégations ou de conclusions non pertinentes relatives à l'inconduite d'un policier. La communication vise à aider un accusé à présenter une défense pleine et entière ou à interjeter appel d'une décision, non pas à transformer les procès criminels en un ensemble d'audiences accessoires sur des questions incidentes.

[46] Ainsi, pour garantir que seuls des renseignements pertinents sont produits et pour empêcher toute atteinte injustifiée au droit à la vie privée, la cour peut juger nécessaire d'assujettir l'ordonnance de production à l'obligation d'effectuer des suppressions ou à d'autres conditions. De plus, lorsqu'elle estime une telle mesure juste et nécessaire, la cour peut également imposer des restrictions à la diffusion des renseignements produits qui ne sont pas liés à la défense pleine et entière de l'accusé ou à la poursuite d'un appel : voir, par exemple, les recommandations 34 et 35 du Rapport Martin (p. 179) et dans P. (D.) c. Wagg (2004), 239 D.L.R. (4th) 501 (C.A. Ont.), par. 46. Cependant, en l'absence de circonstances inhabituelles, la préparation d'une ordonnance de production ne devrait pas nécessiter d'enquête approfondie sur la nature précise ou la portée des droits à la protection de la vie privée en question. L'audience de type O'Connor devrait rester centrée sur l'instance criminelle en cours.

6. Réduction de l'écart entre la communication de la preuve par la partie principale et la production d'éléments de preuve par les tiers

[47] Comme il ressort clairement de l'analyse précédente, une fois que la pertinence véritable des dossiers visés a été démontrée dans le cadre d'une demande de type O'Connor visant la production de dossiers en la possession de tiers, la question de savoir si, en dernière analyse, ils doivent être produits, relève essentiellement des principes qui s'appliquent à la communication de renseignements en la possession du ministère public énoncés dans Stinchcombe. Par contre, du point de vue de l'accusé, la différence entre ces deux régimes est importante. En effet, les renseignements pertinents qui se retrouvent entre les mains du ministère public lui seront automatiquement communiqués, alors que c'est bien souvent par l'effet du hasard qu'il obtient ceux en la possession de tiers. Dans une certaine mesure, une telle situation est inévitable. En effet, les tiers ne sont pas tenus de fournir spontanément des renseignements pertinents pour aider l'accusé à préparer sa défense. Le poursuivant et le service de police qui mène l'enquête se trouvent toutefois dans une position différente et peuvent aider à réduire l'écart entre la communication de la preuve par la partie principale et la production d'éléments de preuve par les tiers. Je vais me pencher tout d'abord sur l'obligation qui incombe au ministère public.

6.1 L'obligation qui incombe à l'avocat du ministère public de se renseigner

[48] Comme il a été mentionné précédemment, l'allégation portant que toutes les autorités gouvernementales constituent une seule entité est indéfendable et inapplicable. Afin de remplir l'obligation de communication qui lui incombe selon Stinchcombe, le poursuivant n'est pas tenu de se renseigner auprès de chaque ministère des gouvernements provincial et fédéral et de chaque service de police pour savoir s'ils sont en possession de renseignements se rapportant à la poursuite engagée contre l'accusé. Cela ne veut pas dire pour autant que le ministère public, sans tenir compte des circonstances, reçoit passivement des renseignements pertinents sans qu'il soit tenu d'en chercher et d'en obtenir par lui‑même.

[49] Le ministère public n'est pas une partie comme les autres. En effet, en tant qu'officier de justice, le représentant du ministère public doit œuvrer sans réserve à la bonne administration de la justice. Ainsi, lorsqu'il est informé de l'existence de renseignements pertinents, il ne peut se contenter de n'en faire aucun cas. À moins que l'information ne semble pas fondée, l'avocat du ministère public ne saurait apprécier pleinement le bien‑fondé de l'affaire et s'acquitter de son obligation d'officier de justice s'il ne s'informe pas davantage et ne tente pas raisonnablement d'obtenir les renseignements en question. Dans R. c. Arsenault (1994), 153 R.N.‑B. (2e) 81 (C.A.), le juge Ryan a décrit avec justesse l'obligation du ministère public de se renseigner suffisamment auprès des autres organismes ou ministères de la Couronne. Il s'est exprimé comme suit :

Lorsqu'une divulgation est demandée ou exigée, le procureur de la Couronne a l'obligation de se renseigner suffisamment auprès des autres organismes ou ministères de la Couronne qui pourraient logiquement avoir en leur possession des éléments de preuve. On ne peut excuser le procureur de la Couronne de ne pas se renseigner suffisamment lorsqu'à la connaissance du poursuivant ou de la police un autre organisme de la Couronne a participé à l'enquête. La question de la pertinence ne peut être laissée à la discrétion des profanes. Si le procureur de la Couronne ne peut avoir accès aux dossiers d'un autre organisme, il doit alors en aviser la défense de façon que celle‑ci puisse entreprendre les mesures qu'elle juge nécessaires dans l'intérêt de l'accusé. Ce principe s'appliquerait aussi dans les affaires dans lesquelles l'accusé ou le défendeur, selon le cas, n'est pas représenté par un avocat . . . [par. 15]

[50] Cette obligation de se renseigner s'applique lorsque le ministère public est informé de l'existence d'éléments de preuve potentiellement pertinents quant à la crédibilité ou à la fiabilité des témoins dans une affaire. Comme le précise à juste titre l'amicus curiae, [traduction] « [l]e ministère public et la défense ont tous les deux intérêt à découvrir qu'un policier n'est pas honnête ou fiable » (mémoire, par. 62). Le juge Doherty l'a fait valoir avec force dans R. c. Ahluwalia (2000), 138 O.A.C. 154, lorsqu'il a formulé ses observations sur le défaut du ministère public de se renseigner davantage lorsqu'il est confronté au parjure de son propre témoin (par. 71‑72) :

[traduction] Pour des motifs dont le ministère public ne nous a pas fait part, il appert qu'il n'estime pas être tenu de découvrir le fond de cette affaire. . .

Le ministère public a des obligations relatives à l'administration de la justice qui n'incombent pas aux autres parties. Confronté au parjure de son propre témoin et au fait que ce faux témoignage coïncidait avec la communication partielle qu'il prétend avoir involontairement faite à la défense, le ministère public était tenu de prendre toutes les mesures raisonnables pour découvrir ce qui s'était passé et pour communiquer les résultats de ses recherches à la défense. À mon avis, le ministère public ne s'est pas acquitté de ses obligations relatives à l'administration de la justice en admettant que, comme l'a découvert la défense, la communication fût partielle et, après s'être renseigné de façon limitée, en n'assumant pas sa responsabilité quant à cette communication partielle et en omettant d'en expliquer la raison. Le ministère public devait à l'appelant et à la cour une explication plus détaillée que celle qu'il a choisi de donner.

[51] Ainsi, en s'acquittant convenablement de son double rôle de procureur et d'officier de justice, l'avocat du ministère public peut efficacement réduire l'écart entre la communication de la preuve par la partie principale et la production d'éléments de preuve par les tiers. Je vais maintenant me pencher sur l'obligation corollaire de la police de participer au processus de communication.

6.2 L'obligation corollaire de la police de communiquer les renseignements pertinents

[52] Nous avons déjà vu que la police a l'obligation corollaire de communiquer au ministère public tous les renseignements relatifs à l'enquête visant un accusé. Cette obligation concorde avec les codes de déontologie de la police édictés dans de nombreux ressorts partout au pays. Par exemple, suivant le sous‑al. 2(1)c)(vi) du Code of Conduct qui figure en annexe du règlement 123/98 de l'Ontario pris en vertu de la Loi sur les services policiers, un chef de police ou un autre agent de police manque à son devoir s'il [traduction] « ne signale pas tout ce qu'il sait au sujet d'une accusation, criminelle ou autre, ou s'il ne communique pas tous les éléments de preuve qu'il, ou toute personne qu'il connaît, peut fournir en faveur ou à l'encontre d'un prisonnier ou d'un défendeur ». Voir également Code of Professional Conduct Regulation, B.C. Reg. 205/98, al. 5e); Police Service Regulation, Alta. Reg. 356/90, sous‑al. 5(2)h)(vii); Code de déontologie des policiers du Québec, (1990) 122 G.O. II, 2531, art. 7(2); et Code de déontologie professionnelle — Loi sur la Police, Règl. du N.‑B. 2007‑81, sous‑al. 36(1)d)(iii).

[53] Bien que l'obligation elle‑même soit fermement établie, la difficulté tient à l'identification des limites de la pertinence pour l'application de l'obligation de communication qui incombe à la police à titre de partie principale. La question précise illustrée par la présente cause est celle de savoir si les renseignements concernant l'inconduite d'un policier qui participe à la poursuite engagée contre l'accusé devraient faire partie des renseignements que la police doit communiquer à titre de partie principale et qui sont transmis au ministère public pour qu'il examine leur pertinence conformément aux principes énoncés dans Stinchcombe. Évidemment, l'accusé n'a pas droit à la communication automatique de tous les aspects des antécédents professionnels de policiers ou des procédures disciplinaires intentées contre eux lorsqu'elles n'ont pas de lien apparent avec la poursuite engagée contre lui. Toutefois, lorsque les renseignements d'ordre disciplinaire sont pertinents, ils devraient faire partie de ceux que la partie principale est tenue de communiquer et leur découverte par l'accusé ne devrait pas être laissée au hasard.

[54] Lorsque l'inconduite reprochée à un policier se rapporte au fait à l'origine de l'accusation portée contre l'accusé, la police a manifestement l'obligation de communiquer les renseignements relativement à la mesure disciplinaire prise par suite de cette inconduite. Par exemple, si un policier est accusé d'avoir eu recours à une force excessive lors de l'arrestation de l'accusé — en violation de la loi provinciale applicable — il est évident que ce renseignement doit être communiqué au ministère public. Lorsque l'inconduite d'un policier n'est pas directement liée à l'enquête relative à l'accusé, ce renseignement peut néanmoins se rapporter à la poursuite engagée contre ce dernier, auquel cas il devrait aussi être communiqué. Par exemple, personne ne contesterait la pertinence pour l'accusé de connaître la condamnation pour parjure d'un témoin civil important, ni l'obligation que ce renseignement fasse partie des renseignements que la partie principale doit communiquer. De même, les conclusions d'inconduite prononcées contre un policier qui a participé à la poursuite intentée contre l'accusé devraient être communiquées lorsqu'elles pourraient avoir une incidence sur cette poursuite.

[55] Le besoin d'établir des lignes directrices dans ce domaine a suscité une demande d'examen par le chef du service de police de Toronto. Cet examen, mené par l'honorable George Ferguson, c.r., s'est terminé par la publication, en janvier 2003, du rapport intitulé Review and Recommendations Concerning Various Aspects of Police Misconduct, vol. I (le « Rapport Ferguson »). Le juge Ferguson avait notamment pour mandat d'étudier [traduction] « quand, comment et dans quelles circonstances le service de police doit porter à l'attention du ministère public l'inconduite présumée ou avérée d'un policier qui devra témoigner ou qui a autrement participé à une enquête qui a donné lieu à une poursuite criminelle » (p. 1).

[56] Dans son rapport, le juge Ferguson a souligné que la question de la communication d'un tel renseignement était habituellement tranchée dans le contexte d'une demande de type O'Connor visant la production de dossiers en la possession de tiers et que cette approche a souvent causé une impasse (p. 12) :

[traduction] Une fois que l'on applique l'arrêt O'Connor, il est difficile, voire impossible, pour la défense de satisfaire au seuil requis pour obtenir accès aux dossiers. À moins que le policier ne soit renommé ou que la défense ne connaisse personnellement le contenu des dossiers du policier, on estimera que cette dernière n'effectue rien de plus qu'une recherche à l'aveuglette, et l'accès lui sera refusé. L'agent responsable d'un dossier, même diligent, ne connaîtra probablement pas tous les antécédents professionnels de chaque policier appelé à témoigner, et, actuellement, il n'est pas tenu de se renseigner. En l'absence d'une déclaration de culpabilité au criminel pour malhonnêteté, rien ne risque d'être transmis au ministère public pour une évaluation de la communication. Il se peut même que les déclarations de culpabilité pour malhonnêteté ne soient pas révélées, ce qui est manifestement inacceptable.

[57] Dans son rapport, le juge Ferguson a conclu que le fait de trancher la question de l'accès aux dossiers disciplinaires de la police strictement en fonction du régime de production des dossiers en la possession de tiers établi dans O'Connor [traduction] « n'est ni efficace, ni justifié » (p. 15). Dans le but d'aider à réduire l'écart entre la communication de la preuve par la partie principale et la production d'éléments de preuve par les tiers, le Rapport Ferguson fait de nombreuses recommandations portant notamment que, sur demande en ce sens du ministère public, la police devrait communiquer automatiquement les renseignements suivants à l'égard de l'inconduite d'un membre du service de police de Toronto qui pourrait être appelé à témoigner ou qui a autrement participé à une affaire dont la cour est saisie (p. 17) :

[traduction]

a. Toute déclaration ou tout verdict de culpabilité prononcé en vertu du Code criminel ou de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances [à l'égard desquels un pardon n'a pas été accordé].

b. Toute accusation pendante portée en application du Code criminel ou de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

c. Toute déclaration ou tout verdict de culpabilité prononcés en vertu d'une autre loi fédérale ou provinciale.

d. Tout verdict de culpabilité pour inconduite prononcé par suite d'une audience tenue sous le régime de la Loi sur les services policiers ou de la loi antérieure.

e. Toute accusation d'inconduite portée en vertu de la Loi sur les services policiers à l'égard de laquelle un avis d'audience a été publié.

[58] Le Rapport Ferguson recommandait que, lorsque la police transmet ces renseignements au ministère public, ce dernier agisse comme « gardien », c'est‑à‑dire qu'il détermine quels renseignements, le cas échéant, devraient être remis à la défense pour satisfaire à l'obligation de communication dictée par Stinchcombe. Le Rapport Ferguson recommandait aussi que, dans les cas où un dossier disciplinaire est remis au ministère public, le policier concerné en soit avisé par écrit et se voit accorder la possibilité de présenter ses observations au ministère public.

[59] Je souscris à l'opinion selon laquelle il n'est [traduction] « ni efficace ni justifié » de trancher la question de l'accès aux dossiers relatifs à l'inconduite d'un policier strictement en fonction du régime de production des dossiers en la possession de tiers établi dans O'Connor. En effet, comme nous l'avons vu, la communication de renseignements pertinents à l'accusé, qu'ils lui soient favorables ou non, fait partie de l'obligation corollaire de la police de participer au processus de communication. Lorsque les renseignements se rapportent manifestement à la poursuite engagée contre l'accusé, ils devraient faire partie, sans qu'il soit nécessaire d'en faire la demande, des renseignements que la police doit communiquer, à titre de partie principale. Si, par exemple, comme c'est le cas en l'espèce, un policier fait l'objet d'une enquête pour inconduite grave liée à la drogue, il incombe au service de police, pour s'acquitter de son obligation corollaire de communication au ministère public, d'examiner les affaires criminelles auxquelles participe le policier et de prendre les mesures appropriées. Évidemment, les conclusions d'inconduite prononcées contre un policier qui participe à l'enquête ne seront pas toutes pertinentes quant à la poursuite engagée contre l'accusé. En effet, il se peut que le policier ait joué un rôle périphérique dans l'enquête ou que son inconduite n'ait pas de lien apparent avec sa crédibilité ou la fiabilité de son témoignage. Les types de renseignements énumérés dans le Rapport Ferguson peuvent servir de lignes directrices pour ce genre de situations à l'égard desquelles un service de police serait bien avisé de demander l'avis de l'avocat du ministère public.

[60] Pour ce qui est des dossiers disciplinaires de la police qui ne sont pas visés par l'obligation de communication qui incombe à la partie principale, les procédures comme celles recommandées dans le Rapport Ferguson, conçues pour satisfaire les besoins particuliers de la collectivité où elles sont appliquées, peuvent grandement contribuer à assurer le traitement plus efficace des demandes de type O'Connor visant la production de dossiers en la possession de tiers. Les tribunaux saisis de demandes de communication fondées sur l'arrêt Stinchcombe ou de demandes de production de dossiers en la possession de tiers sont bien placés pour rendre des ordonnances propres à favoriser la coopération nécessaire entre la police, le ministère public et l'avocat de la défense.

7. Dispositif

[61] Le pourvoi est accueilli et l'ordonnance rendue par la juridiction inférieure est annulée. La demande étant devenue théorique, la Cour ne rend aucune autre ordonnance.

Pourvoi accueilli.

Procureur de l'appelant : Procureur général de l'Ontario, Toronto.

Procureur de l'intimée Sa Majesté la Reine : Service des poursuites pénales du Canada, Halifax.

Procureurs de l'intimé le Chef du service de police de Barrie, tiers détenteur des dossiers : Caswell & Watson, Toronto.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Alberta : Procureur général de l'Alberta, Edmonton.

Procureur de l'intervenant Matthew Marshall : Gary R. Clewley, Toronto.

Procureurs de l'intervenante Police Association of Ontario : Paliare Roland Rosenberg Rothstein, Toronto.

Procureurs de l'intervenante Criminal Lawyers' Association (Ontario) : McCarthy Tétrault, Toronto.

Procureurs de l'amicus curiae : Henein & Associates, Toronto.

* Le juge Bastarache n'a pas participé au jugement.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et l'ordonnance rendue par la juridiction inférieure est annulée. La demande étant devenue théorique, la Cour ne rend aucune autre ordonnance

Analyses

Droit criminel - Preuve - Production - Obligation du ministère public de communiquer la preuve - Obligation corollaire de la police de communiquer la preuve au ministère public - Accusé inculpé d'infractions relatives aux stupéfiants - Policier témoin principal du ministère public a fait preuve d'inconduite relative aux stupéfiants à l'origine de procédures disciplinaires et d'accusations criminelles - Accusé a demandé la production des dossiers disciplinaires et des dossiers d'enquête criminelle du policier qui a procédé à son arrestation - Le régime de common law de production de dossiers en la possession de tiers s'applique‑t‑il uniquement aux cas où ces dossiers ouvrent droit à une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée? - Les dossiers d'enquête criminelle relatifs à un tiers accusé ouvrent‑ils droit à une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée? - Les dossiers de la police sur les conclusions d'inconduite d'un policier chargé de l'enquête visant l'accusé sont‑ils compris dans les renseignements que la police doit remettre au ministère public à titre de partie principale?.

L'accusé a été reconnu coupable de plusieurs chefs d'accusation relatifs aux stupéfiants. L'agent responsable de son arrestation était le témoin principal du ministère public. Après avoir été déclaré coupable, mais avant le prononcé de sa peine, l'accusé a appris que l'agent responsable de son arrestation avait fait preuve d'inconduite relativement aux stupéfiants qui a donné lieu à la fois à des procédures disciplinaires internes intentées en vertu de la Loi sur les services policiers de l'Ontario et à des accusations criminelles. Dans une demande préliminaire à la Cour d'appel, l'accusé a sollicité la production de tous les renseignements relatifs à l'inconduite de l'agent responsable de son arrestation, soutenant en avoir besoin pour demander l'autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve lors de son appel à l'encontre de la déclaration de culpabilité. La Cour d'appel a conclu qu'une procédure de type O'Connor ne s'impose que dans les cas où les dossiers en la possession de tiers ouvrent droit à une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée et a statué qu'il n'existait pas d'attente du genre quant aux dossiers de l'enquête criminelle. À la condition que soient effectuées les suppressions appropriées et réglées les revendications de privilège, la cour a ordonné aux tiers de remettre au représentant du ministère public fédéral responsable de la poursuite contre l'accusé les dossiers de l'enquête criminelle concernant les accusations visant l'agent responsable de l'arrestation qui se trouvaient en sa possession. Par la suite, l'agent a plaidé coupable à une des accusations criminelles portées contre lui. La preuve de la déclaration de culpabilité relative à l'agent a été admise dans le pourvoi interjeté par l'accusé. Les déclarations de culpabilité prononcées contre l'accusé ont été annulées, après quoi le ministère public a choisi de ne pas le poursuivre à nouveau. Les questions en l'espèce relatives à la production sont devenues théoriques et l'accusé s'est désisté du pourvoi. La Cour a nommé un amicus curiae et a entendu le pourvoi malgré son caractère théorique.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli et l'ordonnance rendue par la juridiction inférieure est annulée. La demande étant devenue théorique, la Cour ne rend aucune autre ordonnance.

L'obligation du ministère public de communiquer à l'accusé tous les renseignements pertinents qui sont en sa possession est bien établie en common law par le régime Stinchcombe. Selon Stinchcombe, l'obligation de communication qui incombe au ministère public à titre de partie principale ne vise que les renseignements en sa possession ou qui sont sous son contrôle. La question qui se pose alors est celle de savoir si le « ministère public », pour les besoins de la communication, englobe d'autres autorités de l'État. Même si les rôles du ministère public et de la police sont distincts, la police est tenue de participer au processus de communication de la preuve. Forcément, le corollaire de l'obligation de communication du ministère public établie dans Stinchcombe est celle de la police de communiquer au ministère public tous les renseignements se rapportant à son enquête sur l'accusé. Pour s'acquitter de cette obligation corollaire, le service de police chargé de l'enquête n'est pas un tiers, même si, en droit, il est distinct et indépendant du ministère public. En fait, il agit en tant que partie principale, tout comme le ministère public. Les dossiers sur les conclusions d'inconduite grave de policiers chargés de l'enquête visant l'accusé sont à bon droit compris dans les renseignements que la police doit remettre au ministère public à titre de partie principale quand l'inconduite en question est liée à l'enquête ou quand il est raisonnable de penser qu'elle risque d'avoir des répercussions sur la poursuite engagée contre l'accusé. [14‑15] [22-23]

La production des dossiers disciplinaires et des dossiers d'enquête criminelle détenus par la police et qui ne font pas partie des dossiers que doit communiquer la partie principale est régie par le régime de production des dossiers en la possession de tiers établi dans O'Connor. La procédure établie dans O'Connor crée un mécanisme général en common law pour ordonner la production de tout dossier qui n'est pas en la possession du poursuivant ou sous son contrôle et ne s'impose pas que dans les cas où les dossiers en la possession de tiers ouvrent droit à une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée. Limiter la portée du régime établi dans l'arrêt O'Connor aux cas où un tiers a une attente en matière de protection de la vie privée relativement aux dossiers visés comporterait certaines incertitudes sur le mécanisme auquel il convient de recourir pour obtenir les dossiers en la possession d'un tiers quand on ignore si une telle attente raisonnable s'y rattache. [11] [15]

À la première étape d'une demande de type O'Connor visant la production de renseignements en la possession d'un tiers, il incombe à la personne qui demande la production de convaincre la cour que les renseignements sont vraisemblablement pertinents. Si l'auteur de la demande réussit à démontrer la pertinence vraisemblable, le tiers détenteur du dossier peut se voir ordonner de produire les renseignements pour que la cour en fasse l'examen et décide s'ils devraient être communiqués. En fin de compte, à la deuxième étape du régime de common law, il faut mettre en balance les droits divergents en jeu dans les circonstances particulières de l'espèce. [28] [34] [35]

Dans la plupart des cas, il serait plus utile que les tribunaux évaluent d'abord la pertinence véritable du dossier visé relativement à la poursuite engagée contre l'accusé lorsqu'ils mettent en balance des droits divergents à la seconde étape d'une demande de type O'Connor. Une fois qu'un tribunal a déterminé, après examen, que des dossiers en la possession de tiers sont effectivement pertinents à l'égard de la poursuite engagée contre l'accusé, en ce qu'ils se rapportent à une question en litige au procès, l'exercice de mise en balance de la seconde étape peut facilement être effectué. En effet, une conclusion confirmant la pertinence véritable a pour effet de classer les dossiers en la possession de tiers dans la même catégorie, pour les besoins de la communication, que les fruits de l'enquête contre l'accusé qui se trouvent en la possession du ministère public suivant Stinchcombe. Il pourrait être utile de poser la question de la manière suivante : si le renseignement en la possession d'un tiers s'était retrouvé dans le dossier du ministère public, y aurait‑il un fondement, suivant le régime de communication qui incombe à la partie principale établi dans Stinchcombe, qui justifierait de ne pas le communiquer à l'accusé? Si la réponse est négative, aucun motif rationnel ne permet de tirer une conclusion différente relativement à la demande de production de renseignements en la possession de tiers. En général, l'intérêt qu'a l'accusé à obtenir la communication afin de pouvoir présenter une défense pleine et entière l'emporte sur le droit résiduel des tiers à la protection de la vie privée. Il en est de même particulièrement à l'égard de dossiers relatifs à une enquête criminelle concernant un tiers accusé. [20] [39] [42]

Cela ne veut pas dire que les droits résiduels à la protection de la vie privée quant au contenu des dossiers d'enquête criminelle, des dossiers disciplinaires de la police ou de tout autre dossier en la possession de tiers doivent être ignorés. Le tribunal doit garantir que l'ordonnance de production est conçue pour satisfaire aux exigences de l'affaire, sans plus. Pour garantir que seuls des renseignements pertinents sont produits et pour empêcher toute atteinte injustifiée au droit à la vie privée, la cour peut juger nécessaire d'assujettir l'ordonnance de production à l'obligation d'effectuer des suppressions ou à d'autres conditions. De plus, lorsqu'elle estime une telle mesure juste et nécessaire, la cour peut également imposer des restrictions à la diffusion des renseignements produits qui ne sont pas liés à la défense pleine et entière de l'accusé ou à la poursuite d'un appel. [43‑44] [46]


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : McNeil

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés : R. c. O'Connor, [1995] 4 R.C.S. 411
R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668
R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326
R. c. Stinchcombe, [1995] 1 R.C.S. 754
R. c. Gingras (1992), 120 A.R. 300
R. c. Jack (1992), 70 C.C.C. (3d) 67
R. c. T. (L.A.) (1993), 14 O.R. (3d) 378
R. c. Gagné, [1998] J.Q. no 3240 (QL)
Driskell c. Dangerfield, 2008 MBCA 60, [2008] 6 W.W.R. 615
R. c. MacPherson (1991), 105 N.S.R. (2d) 123
R. c. Oliver (1995), 143 N.S.R. (2d) 134
R. c. Campbell, [1992] N.S.J. No. 702 (QL)
R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727
R. c. Durette, [1994] 1 R.C.S. 469
R. c. Clifford (2002), 163 C.C.C. (3d) 3
P. (D.) c. Wagg (2004), 239 D.L.R. (4th) 501
R. c. Arsenault (1994), 153 R.N.‑B. (2e) 81
R. c. Ahluwalia (2000), 138 O.A.C. 154.
Lois et règlements cités
Access to Information and Protection of Privacy Act, S.N.L. 2002, ch. A‑1.1, art. 22.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7.
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 278.1 à 278.91, 278.3(4), 698(1), 700(1).
Code de déontologie des policiers du Québec, (1990) 122 G.O. II, 2531, art. 7(2).
Code de déontologie professionnelle — Loi sur la Police, Règl. du N.‑B. 2007‑81, art. 36(1)d)(iii).
Code of Professional Conduct Regulation, B.C. Reg. 205/98, art. 5e).
Freedom of Information and Protection of Privacy Act, R.S.A. 2000, ch. F‑25, art. 20.
Freedom of Information and Protection of Privacy Act, R.S.B.C. 1996, ch. 165, art. 15.
Freedom of Information and Protection of Privacy Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. F‑15.01, art. 18.
Freedom of Information and Protection of Privacy Act, S.N.S. 1993, ch. 5, art. 15.
Freedom of Information and Protection of Privacy Act, S.S. 1990‑91, ch. F‑22.01, art. 15.
General, Règl. de l'Ont. 123/98 (Loi sur les services policiers), ann., art. 2(1)c)(vi).
Loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée, L.M. 1997, ch. 50, art. 25.
Loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. F.31, art. 14.
Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, L.R.Q., ch. A‑2.1, art. 28.
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21, art. 22.
Loi sur le droit à l'information, L.N.‑B. 1978, ch. R‑10.3, art. 6a), f).
Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, ch. P.15, art. 42(1)e).
Police Service Regulation, Alta. Reg. 356/90, art. 5(2)h)(vii).
Doctrine citée
Ontario. Report of the Attorney General's Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions. Toronto : The Committee, 1993.
Ontario. Review and Recommendations Concerning Various Aspects of Police Misconduct, vol. I. Toronto : Toronto Police Service, 2003 (online : http://www.torontopolice.on.ca/publications/files/reports/ferguson1.pdf).
Paciocco, David M. « Filling the Seam between Stinchcombe and O'Connor : The "McNeil" Disclosure Application » (2007), 53 Crim. L.Q. 161.

Proposition de citation de la décision: R. c. McNeil, 2009 CSC 3 (16 janvier 2009)


Origine de la décision
Date de la décision : 16/01/2009
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : 2009 CSC 3 ?
Numéro d'affaire : 31852
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2009-01-16;2009.csc.3 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award