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14/10/2011 | CANADA | N°2011_CSC_46

Canada | R. c. Côté, 2011 CSC 46 (14 octobre 2011)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215

Date : 20111014

Dossier : 33645

Entre :

Armande Côté

Appelante

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

- et -

Criminal Lawyers’ Association (Ontario)

Intervenante

Traduction française officielle : Motifs du juge Cromwell

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 90)

Motifs dissidents :


(par. 91 à 119)

Le juge Cromwell (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Fish, Abella, Charron et Rothstein)

La juge Deschamps

R....

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215

Date : 20111014

Dossier : 33645

Entre :

Armande Côté

Appelante

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

- et -

Criminal Lawyers’ Association (Ontario)

Intervenante

Traduction française officielle : Motifs du juge Cromwell

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 90)

Motifs dissidents :

(par. 91 à 119)

Le juge Cromwell (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Fish, Abella, Charron et Rothstein)

La juge Deschamps

R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215

Armande Côté Appelante

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Criminal Lawyers’ Association (Ontario) Intervenante

Répertorié : R. c. Côté

2011 CSC 46

No du greffe : 33645.

2011 : 15 mars; 2011 : 14 octobre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.

en appel de la cour d’appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Dalphond, Duval Hesler et Gagnon), 2010 QCCA 303, 74 C.R. (6th) 130, SOQUIJ AZ-50609169, [2010] J.Q. no 1162 (QL), 2010 CarswellQue 1175, qui a annulé l’acquittement prononcé par le juge Cournoyer, 2008 QCCS 3749, SOQUIJ AZ-50509743, [2008] J.Q. no 7951 (QL), 2008 CarswellQue 7931, et qui a ordonné la tenue d’un nouveau procès. Pourvoi accueilli, la juge Deschamps est dissidente.

Carole Gladu, Josée Veilleux et Karine Guay, pour l’appelante.

Magalie Cimon et Pierre Goulet, pour l’intimée.

Frank Addario et Kelly Doctor, pour l’intervenante.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell rendu par

Le juge Cromwell —

I. Introduction

[1] Le tribunal doit écarter la preuve obtenue en violation des droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés lorsque, eu égard aux circonstances, son utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice : par. 24(2). La présente affaire illustre bien la manière dont cette règle s’applique lorsque des policiers ont fait preuve d’un mépris à la fois grave et systématique envers les droits constitutionnels d’une personne lors d’une enquête sur un crime grave.

[2] Au procès de l’appelante accusée de meurtre au deuxième degré, le juge du procès a conclu à l’issue d’une audience de cinq jours que, pendant plusieurs heures, les policiers avaient violé presque tous les droits que la Charte garantit à un suspect dans le cadre d’une enquête criminelle. Il a estimé qu’il ne s’agissait pas d’erreurs de jugement isolées de la part des policiers, mais plutôt d’un mépris systématique des droits constitutionnels de l’appelante. Les actes répréhensibles étaient d’autant plus graves que les enquêteurs avaient induit un officier de justice en erreur afin d’obtenir des mandats de perquisition et que, appelés à témoigner au procès, ils ont refusé de reconnaître des faits évidents, formulé des hypothèses invraisemblables et tenté de fonder leurs actes sur des motifs qui ne tenaient pas la route. Selon le juge du procès, c’est l’utilisation de la preuve en dépit de cette conduite consternante des policiers qui était susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Et même si cette conclusion devait mener à l’acquittement de l’auteur d’un crime grave, il a néanmoins écarté la preuve. Dès lors, le ministère public a déclaré ne pas disposer d’autres éléments de preuve, et l’appelante a été acquittée.

[3] Le ministère public s’est adressé à la Cour d’appel, qui a conclu que certains des éléments de preuve écartés par le juge du procès auraient dû être admis. La Cour d’appel a donc annulé la décision en partie et ordonné un nouveau procès. Dans le pourvoi de Mme Côté devant notre Cour, il faut décider si la Cour d’appel a de ce fait commis une erreur de droit.

[4] À mon humble avis, le pourvoi doit être accueilli et la décision de première instance, rétablie. Le juge du procès a écarté la preuve parce que les policiers ont sans cesse agi au mépris de la loi et de la Constitution. Il n’a pas eu tort de conclure que les tribunaux ne doivent pas tolérer ce genre de comportement chez ceux qui ont fait serment de veiller au respect de la loi. Il a pris la seule mesure possible pour faire en sorte que l’administration de la justice ne soit pas déconsidérée davantage par la tolérance des actes troublants et aberrants des policiers.

II. Faits, historique des procédures et questions en litige

A. Preuve et décision de première instance, 2008 QCCS 3749 (CanLII)

(1) Aperçu

[5] L’appelante a présenté au juge du procès une requête pour que soit écartée la preuve qui, selon elle, avait été obtenue en violation des droits que lui garantissait la Charte. Elle a aussi demandé l’exclusion de ses déclarations aux policiers au motif qu’elles n’avaient pas été volontaires. Le juge du procès lui a essentiellement donné raison, estimant que les policiers avaient violé ses droits et agi irrégulièrement à plusieurs égards.

[6] Il conclut que les policiers se sont livrés à la violation systématique des droits de Mme Côté dès leur arrivée chez elle vers 0 h 15 le 23 juillet 2006, et ce, jusqu’à la fin de l’interrogatoire à 20 h le même jour. Premièrement, l’introduction des policiers sur la propriété de l’appelante, l’autorisation d’entrer dans la maison, la fouille de celle‑ci, la fouille périphérique du terrain et la fouille du gazebo (ou gloriette) constituaient des fouilles, saisies et perquisitions abusives au sens de l’art. 8 de la Charte. Deuxièmement, peu de temps après leur arrivée, les policiers ont détenu l’appelante sans lui préciser le motif de la mesure comme l’exige l’al. 10a) de la Charte. Troisièmement, les policiers ont alors — et plus tard pendant leurs échanges avec l’appelante — porté atteinte à son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat et d’être informée de ce droit, tous deux garantis à l’al. 10b) de la Charte. Quatrièmement, ils ont foulé au pied le droit de l’appelante de garder le silence garanti à l’art. 7 de la Charte et, cinquièmement, en posant des questions inappropriées, ils ont obtenu une déclaration qui n’était pas volontaire. De plus, le juge du procès conclut que les enquêteurs ont induit un officier de justice en erreur dans le but d’obtenir des mandats de perquisition et qu’ils ont témoigné de façon évasive et indigne de foi lors du procès. Après avoir mis en balance l’intérêt qu’a la société à découvrir la vérité et son intérêt à préserver l’intégrité de l’administration de la justice, il écarte la preuve en entier et conclut que son utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

(2) Preuve et motifs

[7] Le 22 juillet 2006, peu avant 21 h, Mme Côté a composé le 9‑1‑1 pour signaler que son conjoint, André Hogue, avait été blessé. M. Hogue a été transporté à l’hôpital Hôtel‑Dieu de Sorel et confié aux soins du Dr Nicolas Elazhary. Le médecin a constaté une plaie occipitale et conclu à un traumatisme neurologique et à de possibles dommages à la gorge. Une radiographie a révélé un hématome intracérébral et la présence d’éclats de métal compatible avec la pénétration d’un projectile. Le Dr Elazhary a communiqué ces renseignements au sergent François Monetta de la Sûreté du Québec (détachement de Tracy) à 23 h 8. Peu après, le sergent Monetta a envoyé l’agent Alain Hogue rencontrer le Dr Elazhary à l’hôpital. À 23 h 28, le Dr Elazhary a confirmé la présence d’un objet métallique dans le crâne de la victime, et l’agent Hogue en a informé le sergent Monetta. Dix minutes plus tard, le sergent Monetta a joint l’agent Jean‑François Fortier du détachement de la Sûreté du Québec de Nicolet et il lui a transmis les renseignements qu’il détenait sur la victime et sur l’événement, y compris les observations du Dr Elazhary. Par conséquent, dès 23 h 38 à tout le moins, avant que les agents n’arrivent chez Mme Côté, les policiers savaient que, selon toute vraisemblance, la victime avait été blessée par balle à l’arrière de la tête. Ils savaient aussi que la victime avait été transportée plus tôt en soirée du domicile de l’appelante à l’hôpital.

[8] L’appelante a joint le Dr Elazhary vers 23 h 30. Elle lui a dit qu’elle avait laissé M. Hogue près du gazebo, puis qu’elle l’avait retrouvé étendu par terre. Le Dr Elazhary l’a informée que M. Hogue souffrait d’un trauma à la tête, mais sans mentionner la découverte d’une blessure par balle.

a) L’enquête sur l’appel au 9‑1‑1

[9] Vers 0 h 15, les patrouilleurs Tremblay et Mathieu se sont présentés chez l’appelante. Aucune lumière n’était allumée et le calme régnait. Comme ils croyaient que l’entrée principale se trouvait à l’arrière, les agents ont fait le tour de la maison, sont entrés dans le solarium (ou la véranda) et ont sonné à la porte. L’appelante leur a ouvert. Elle portait un vêtement de nuit. Les agents ont expliqué qu’ils voulaient savoir ce qui s’était produit plus tôt dans la soirée et vérifier la sûreté des lieux. Le juge du procès estime cependant que leurs explications ne reflétaient pas leurs intentions véritables. Il conclut :

Aussi désagréable que soit cette perspective pour un juge, le Tribunal n’a pas cru les agents Tremblay, Mathieu et Fortier. La franchise et la sincérité qu’on doit attendre de policiers chargés d’assurer l’application de la loi n’étaient malheureusement pas au rendez‑vous. [par. 126]

Les policiers ont alors demandé s’ils pouvaient entrer. Sans un mot, l’appelante a reculé pour les laisser passer. Elle les a suivis pendant leur inspection de l’intérieur et de l’extérieur de la maison. Ils n’ont pas révélé à l’appelante qu’ils croyaient que son conjoint avait subi une blessure par balle.

[10] Le juge du procès conclut que la violation des droits de l’appelante par les policiers a débuté peu après leur arrivée à la résidence, lorsqu’ils se sont introduits dans la propriété. Les policiers ont invoqué leur pouvoir d’enquêter sur l’appel au 9‑1‑1 et notamment d’en trouver l’auteur, d’en déterminer l’objet et d’apporter l’aide nécessaire. Or, pour le juge du procès, ce pouvoir avait cessé d’exister plus tôt dans la soirée et ne pouvait pas justifier l’enquête effectuée chez l’appelante : voir R. c. Godoy, [1999] 1 R.C.S. 311, par. 22. Selon lui, les policiers se sont rendus chez l’appelante dans l’intention d’y entreprendre une enquête criminelle, de sorte qu’ils ne pouvaient prétendre répondre à 0 h 15 à un appel reçu à 20 h 51. Il lui paraît révélateur que même s’ils ont demandé le consentement de l’appelante pour inspecter sa maison, les policiers ont délibérément choisi de ne pas lui dire que son conjoint avait été atteint d’une balle à la tête. L’appelante était soupçonnée de tentative de meurtre, et les policiers ne répondaient pas à un appel à l’aide. Le juge du procès estime par ailleurs que l’allégation des policiers selon laquelle ils voulaient s’assurer que Mme Côté était en sûreté n’est pas digne de foi. Si les policiers s’étaient véritablement souciés de la sûreté de l’appelante, ils ne l’auraient pas emmenée avec eux fouiller la maison.

[11] Le juge du procès explique que même si les paramètres énoncés dans l’arrêt Godoy avaient été respectés lors de l’intervention initiale, le pouvoir qui y est reconnu n’autorisait pas les policiers à fouiller les lieux ou à s’immiscer par ailleurs dans la vie privée ou la propriété de l’occupant. Il conclut que le pouvoir reconnu dans cet arrêt n’autorisait ni la fouille du terrain ni celle de la maison, de sorte qu’elles étaient illégales.

b) L’invitation à s’approcher de la porte et à y frapper

[12] Le ministère public a également cherché à justifier l’intervention policière en faisant valoir qu’il existait une invitation implicite à s’approcher de la porte dans un but légitime et à y frapper du fait que « l’occupant d’une maison d’habitation autorise implicitement tout membre du public, y compris un policier, à pénétrer sur sa propriété à des fins légitimes » (R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8, par. 13, le juge Sopinka, citant R. c. Tricker (1995), 21 O.R. (3d) 575 (C.A.), p. 579). Le juge du procès conclut qu’en éteignant les lumières de sa maison, l’appelante a retiré cette invitation faite au public, y compris aux policiers, à s’approcher de sa porte et à y frapper. À supposer même que la fermeture de l’éclairage n’ait pas retiré cette invitation, il estime qu’en se présentant chez l’appelante, les policiers ont outrepassé l’autorisation tacite de frapper à la porte à des fins légitimes, car ils envisageaient alors expressément la possibilité de recueillir des éléments de preuve contre elle, ce qu’atteste leur omission délibérée de lui dire que M. Hogue avait été blessé par balle. Vu leur intention, les policiers ont outrepassé l’autorisation tacite de s’approcher de la porte et d’y frapper. La fouille n’était donc pas légalement justifiée sur ce fondement.

c) Le consentement de l’appelante à l’entrée dans son domicile

[13] Le juge du procès conclut également que l’omission des policiers de communiquer à l’appelante les renseignements dont ils disposaient sur la nature des blessures infligées à son conjoint a vicié le consentement à l’entrée dans le domicile. Le consentement ne satisfaisait pas non plus aux exigences établies par la jurisprudence pour l’obtention du consentement à une fouille sans mandat. Le consentement de l’appelante ne pouvait donc pas justifier les fouilles effectuées sans mandat.

d) L’urgence

[14] Enfin, le juge du procès opine que la preuve ne permettait pas d’établir l’urgence. Il n’y avait pas d’inquiétude quant à la sûreté des policiers ou du public, ni de crainte de destruction de quelque élément de preuve. Par conséquent, l’entrée des policiers dans la propriété de l’appelante et la fouille sans mandat de sa maison ne pouvaient se justifier par l’urgence.

e) La première fouille de la résidence et du terrain

[15] Après avoir laissé les agents Tremblay et Mathieu entrer dans sa maison, l’appelante les a accompagnés pendant qu’ils inspectaient l’intérieur de la résidence. L’agent Tremblay a ensuite inspecté l’extérieur de la maison. Il a alors constaté que la porte du gazebo était endommagée et qu’il semblait y avoir du sang à l’intérieur. Accompagné par l’appelante, l’agent Mathieu a rejoint l’agent Tremblay à l’extérieur pour s’assurer que tout était normal. L’agent Mathieu a remarqué des trous dans la moustiquaire du gazebo et dans la fenêtre du solarium. Le juge du procès conclut que les deux fouilles étaient illégales.

[16] À 0 h 27, l’agent Tremblay est retourné à l’auto‑patrouille et a fait part de ses constatations à l’agent Fortier. L’agent Mathieu est rentré dans la maison avec l’appelante. À 0 h 55, l’agent Tremblay les a rejoints et a interrogé l’appelante sur la présence d’armes à feu dans les lieux. Mme Côté a alors communiqué certains éléments d’information sur ce qui s’était passé en soirée. Elle a confirmé qu’il y avait deux armes à feu, mais elle a pu en trouver qu’une seule. Dans la penderie de sa chambre à coucher, elle leur a montré un étui censé contenir une arme. L’agent Tremblay n’y a pas touché, mais il a présumé qu’il renfermait une arme.

f) La détention

[17] Le juge du procès arrive à la conclusion que la détention de l’appelante a débuté peu après l’arrivée des agents Tremblay et Mathieu à sa résidence. Selon lui, il y a eu détention à partir de 0 h 27, lorsque les agents ont remarqué la perforation de la fenêtre du solarium et de la moustiquaire du gazebo et ont omis d’informer Mme Côté de la découverte d’un projectile dans la tête de M. Hogue, et que l’agent Mathieu a commencé à prendre des notes sur les faits et gestes de l’appelante.

[18] Le juge du procès estime que les policiers ont rapidement compris que Mme Côté était le seul suspect dans cette affaire de tentative de meurtre sur la personne de M. Hogue, ce qui expliquait leur silence sur la blessure par balle. À son avis, taire cette information constituait une décision stratégique afin de ne pas mettre Mme Côté sur ses gardes. En outre, les questions et les vérifications des policiers montrent clairement que l’enquête ne visait pas à recueillir de l’information, mais bien à clarifier le rôle de l’appelante dans la perpétration du crime. Au procès, les policiers ont paru refuser de reconnaître certains faits de crainte que leurs aveux n’amènent le tribunal à conclure que Mme Côté avait été détenue au sens de l’art. 10 de la Charte et qu’elle aurait donc dû faire l’objet de la mise en garde requise. Plus précisément, le juge n’ajoute pas foi à l’affirmation de l’agent Mathieu selon laquelle Mme Côté était libre de partir à son gré. Il statue donc que le droit de Mme Côté, prévu à l’al. 10a) de la Charte, d’être informée dans les plus brefs délais des motifs de sa détention a été violé jusqu’à ce qu’elle soit mise en garde en qualité de « témoin important », soit à 5 h 23 (par. 229). Il conclut également que ses droits garantis à l’al. 10b) d’avoir recours à l’assistance d’un avocat en cas de détention et d’être informée de ce droit ont été violés.

[19] À 2 h 20, l’agent Tremblay a parlé à l’enquêteur Christian Houle, qui lui a dit qu’il était préférable d’emmener Mme Côté au poste de police afin qu’elle puisse y faire une déclaration étant donné qu’elle était un témoin important. À 2 h 34, les agents Tremblay et Mathieu ont conduit l’appelante au poste de Nicolet, lui donnant l’explication fournie par l’enquêteur Houle. Elle est demeurée en compagnie de l’agent Mathieu depuis son arrivée au poste à 2 h 54 jusque vers 4 h. À plusieurs reprises, elle a demandé pourquoi elle se trouvait là, pourquoi toutes ces mesures étaient prises et pourquoi on ne l’avait pas laissée chez elle. Les policiers lui ont dit qu’elle était un témoin important, qu’elle connaissait son conjoint mieux qu’eux et qu’il était important qu’ils comprennent ce qui était arrivé à M. Hogue. À 4 h 10, ils lui ont demandé de donner sa version des faits par écrit. À 5 h 23, l’enquêteur Sylvain Bellemare a pour la première fois mis l’appelante en garde à titre de témoin important relativement à la tentative de meurtre sur la personne d’André Hogue.

[20] Pour résumer, la détention de l’appelante a débuté à 0 h 27. Les policiers ne lui ont fait une mise en garde qu’à 5 h 23, et ce, seulement à titre de témoin important et non de suspect, violant ainsi ses droits garantis aux al. 10a) et b). Le juge du procès se dit consterné par le fait que tout au long de leurs échanges avec l’appelante, les policiers ont constamment minimisé sa situation juridique et ont omis de lui communiquer les renseignements essentiels à l’exercice de ses droits constitutionnels. Selon lui, les policiers ont délibérément omis de la mettre en garde convenablement, ce qui s’inscrivait dans l’attitude constante et systématique adoptée par les policiers tout au long de leurs échanges avec elle.

g) L’établissement d’un périmètre de sécurité et la fouille sans mandat de la propriété

[21] À 1 h 15, après l’avoir interrogée, l’agent Mathieu est demeuré à l’intérieur avec l’appelante, tandis que l’agent Tremblay établissait un périmètre de sécurité autour de la résidence. À 2 h 5, les agents Fortier et Kelly Bellerive sont arrivés sur les lieux et ont fait le tour de la propriété avec l’agent Tremblay. Le juge du procès estime qu’il s’agissait d’une fouille sans mandat attentatoire aux droits de l’appelante garantis à l’art. 8.

h) L’élargissement du périmètre de sécurité

[22] À 3 h 10, le sergent-enquêteur Luc Briand a demandé à l’agent Fortier d’agrandir le périmètre de sécurité établi plus tôt par l’agent Tremblay. Entre 3 h 30 et 3 h 45, l’agent Fortier s’est acquitté de cette tâche et en a profité pour fouiller une autre fois le terrain. Il a alors remarqué au moins une perforation repliée vers l’intérieur dans la moustiquaire du gazebo, un petit trou dans la vitre intérieure de la fenêtre du solarium, un grand trou dans la vitre extérieure de la fenêtre du solarium, des résidus de tir sur la partie intérieure de la fenêtre du solarium, deux petits trous dans la moustiquaire de la fenêtre du solarium et des éclats de verre au sol sous la fenêtre du solarium. Le juge du procès conclut qu’il s’agit d’une fouille périphérique non autorisée.

i) La délivrance de télémandats

[23] À 5 h 15, le sergent-enquêteur Briand a rédigé des demandes de télémandats (un visant l’enregistrement de l’appel au 9-1-1, un général et un de perquisition et saisie) dans lesquelles il alléguait avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu’un acte criminel, plus précisément une tentative de meurtre à l’aide d’une arme à feu, avait été commis chez l’appelante le 22 juillet en soirée. Il précisait avoir des motifs raisonnables et probables de croire que le coup de feu avait été tiré de l’intérieur de la résidence.

[24] Le juge du procès relève que le sergent-enquêteur Briand a omis d’exposer tous les faits pertinents de manière complète et sincère dans la dénonciation visant l’obtention des mandats. Par exemple, le par. 5 de la dénonciation est trompeur, car on y laisse entendre que certaines des constatations relatives au solarium et au gazebo ont été faites par inadvertance, passant ainsi sous silence que l’agent Fortier en avait déjà fait un certain nombre lors d’une fouille inconstitutionnelle effectuée un peu plus tôt avec l’agent Tremblay. Le juge du procès est aussi perturbé par l’omission du sergent-enquêteur Briand de mentionner la fouille illégale effectuée par les agents Tremblay et Mathieu plus tôt dans la soirée et leur décision de taire à Mme Côté la blessure par balle infligée à la victime.

[25] Le télémandat général et celui de perquisition et saisie ont été exécutés à la résidence de l’appelante le 23 juillet 2006, à 10 h 35, par le sergent-enquêteur Briand et l’agent Alain Gaucher. En fouillant la maison, ils ont trouvé un fusil de calibre .10 sous étui dans la penderie de la chambre à coucher et une carabine de calibre .22 sans étui dans un placard du sous‑sol. Le juge du procès signale que l’arme trouvée au sous‑sol est du même calibre que celui du projectile retiré du crâne de la victime.

[26] Le juge du procès conclut à l’invalidité du télémandat général et du télémandat de perquisition et saisie. Selon lui, la police avait dû constater une faille dans les interventions des agents Tremblay, Mathieu et Fortier et demander alors les mandats pour remédier à l’inconstitutionnalité de leurs actes. Il ajoute que les mandats sont invalides parce que si les renseignements obtenus de façon inconstitutionnelle étaient retranchés de la dénonciation, les données restantes (par. 1‑3 et 8) ne constitueraient pas « quelque élément de preuve auquel le juge aurait pu raisonnablement ajouter foi pour faire droit à la demande » (par. 266, citant l’arrêt R. c. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992, par. 51). Aussi, il y a invalidité en raison de l’absence de renseignements pertinents et de la présence de renseignements délibérément trompeurs, notamment au par. 5, qui laisse entendre que l’agent Fortier a fait certaines constatations par inadvertance lors de l’agrandissement du périmètre de sécurité, alors qu’il a fait la plupart d’entre elles plus tôt pendant la fouille inconstitutionnelle de la résidence avec l’agent Tremblay. Se fondant sur l’arrêt R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223, p. 254-255 (« Grant 1993 »), le juge du procès conclut que l’ensemble du processus de perquisition est vicié par le fait que les fouilles périphériques sans mandat ont porté atteinte au droit garanti à l’art. 8.

j) La première mise en garde

[27] Rappelons que l’appelante a été mise en garde et informée de son droit à l’avocat à 5 h 23 par l’enquêteur Bellemare. C’était la première fois qu’elle l’était même si elle était détenue depuis 0 h 27. Aussi, elle a été mise en garde uniquement à titre de « témoin important » relativement à la tentative de meurtre sur la personne d’André Hogue. L’enquêteur Bellemare a fait la mise en garde habituelle, mais il en a biffé les mots « arrêté ou détenu » pour les remplacer par « témoin » (témoignage de l’enquêteur Bellemare, d.a., vol. V, p. 192). Il convient de remarquer que les policiers ont mis l’appelante en garde à titre de témoin important à 5 h 23 alors qu’ils avaient fait à 5 h 15 une dénonciation sous serment dans laquelle ils affirmaient avoir des motifs raisonnables et probables de croire à une tentative de meurtre. Vu les renseignements que détenaient les policiers à 5 h 23, le juge du procès trouve inexplicable qu’ils aient seulement mis Mme Côté en garde à titre de témoin important. Après sa mise en garde, l’appelante a parlé à un avocat puis elle a invoqué son droit de garder le silence. Elle a ensuite décrit les événements de la journée à l’enquêteur Bellemare avant d’être mise en état d’arrestation pour tentative de meurtre à 5 h 56. Elle a alors fait l’objet d’une autre mise en garde, elle a été informée de son droit à l’assistance d’un avocat et elle s’est entretenue avec un avocat pour la deuxième fois.

k) L’interrogatoire

[28] Une fois en état d’arrestation pour tentative de meurtre à 5 h 56, l’appelante a été transférée à un autre poste de police. Après avoir dormi une heure puis mangé, elle a été interrogée, d’abord par l’enquêteur Bellemare, puis par l’enquêteur Pierre Samson. Au début, l’appelante s’est montrée en proie à une grande anxiété parce que la porte de la salle d’interrogatoire était fermée; elle semblait souffrir de claustrophobie. Apparemment épuisée, elle a dit plusieurs fois à l’enquêteur qu’elle en avait assez, qu’elle ne voulait plus parler ou qu’elle voulait aller se coucher. Elle a invoqué son droit de garder le silence plus de 20 fois après avoir consulté différents avocats. À 8 h, on lui a annoncé le décès de M. Hogue et on l’a arrêtée pour meurtre, ce qui a mis fin à l’interrogatoire.

[29] Le juge du procès conclut à la violation systématique du droit de l’appelante de garder le silence. Mme Côté a été réveillée au milieu de la nuit alors qu’il n’y avait pas urgence, les policiers ont délibérément tardé à lui faire la bonne mise en garde, elle était épuisée, elle souffrait de claustrophobie et elle a invoqué son droit de garder le silence à maintes reprises.

[30] Il reproche aussi aux policiers d’avoir dénigré le travail de l’avocat de la défense en affirmant à l’appelante qu’elle avait plus d’expérience de vie que son avocat et que la seule personne qui pouvait l’aider, c’était elle‑même. L’enquêteur lui a aussi prodigué des conseils concernant l’exercice de son droit de garder le silence. Il lui a dit que si elle avait planifié le meurtre, comme l’aurait fait le membre d’un groupe criminel organisé, il était préférable de garder le silence parce qu’elle serait alors dans un sérieux pétrin. Mais comme sa situation était très différente, il a laissé entendre qu’elle n’avait pas à garder le silence. L’enquêteur a ajouté que si elle avait commis un vol à main armée, il lui aurait conseillé de garder le silence, mais là encore, sa situation était tout autre. Compte tenu de ces actes précis, de l’ensemble de l’enquête policière et du contexte général de la violation systématique des droits constitutionnels de Mme Côté, le juge du procès se dit non convaincu hors de tout doute raisonnable du caractère libre et volontaire de la déclaration enregistrée sur bande vidéo.

l) Le témoignage des policiers au procès

[31] Le juge du procès tire de sévères conclusions au sujet de la crédibilité du témoignage des policiers au procès. Il n’ajoute pas foi aux témoignages des agents Tremblay, Mathieu et Fortier, estimant que ces derniers n’ont fait preuve ni de franchise ni de sincérité. Selon lui, les agents ont présenté leur intervention au domicile de l’appelante comme une simple mesure de routine visant uniquement à valider l’appel au 9‑1‑1 et à vérifier la sûreté des lieux, alors qu’ils savaient fort bien que M. Hogue avait vraisemblablement été atteint d’une balle à l’arrière de la tête et qu’ils menaient une enquête criminelle. Il fait aussi remarquer que lors de leurs témoignages, les policiers ont refusé de reconnaître des faits évidents et ont avancé des hypothèses invraisemblables. Il dit avoir l’impression que les agents ont agi de la sorte pour éviter qu’il n’arrive à la conclusion que Mme Côté avait été détenue et qu’elle aurait dû recevoir une mise en garde appropriée. Comme il est mentionné précédemment, le juge du procès conclut que l’affirmation de l’agent Mathieu selon laquelle Mme Côté n’était pas détenue et aurait pu quitter le poste de police à tout moment est indigne de foi. À son avis, les témoignages des agents selon lesquels l’appelante n’a pas été informée de la blessure par balle parce que l’information n’avait pas encore été confirmée sont tout aussi invraisemblables. De façon générale, il estime que l’attitude des agents pendant leurs témoignages, surtout celle de l’agent Tremblay, mais aussi des agents Mathieu et Fortier, établit leur refus d’admettre qu’une piste de l’enquête reliait Mme Côté à la tentative de meurtre sur la personne de M. Hogue.

[32] Le juge du procès conclut en outre que les policiers appelés à témoigner ont tenté de diminuer l’importance de certains éléments de preuve. Plus précisément, ils ont cherché à minimiser l’importance de l’information transmise par le Dr Elazhary, par exemple lorsque l’agent Mathieu a soutenu que l’appelante n’était pas détenue et qu’elle était libre de partir à tout moment. Les policiers ont aussi minimisé l’importance que revêtait la question de savoir si les trous dans la fenêtre du solarium résultaient du tir d’un projectile et ils ont insisté sur l’importance de vérifier si un tir avait pu provenir de la rivière derrière le gazebo alors que cette hypothèse était incompatible avec les éléments de preuve déjà recueillis. Il conclut que la franchise et la sincérité qu’on est en droit de s’attendre de la part de policiers chargés de l’application de la loi n’étaient malheureusement pas au rendez‑vous.

m) La violation grave et systématique des droits garantis par la Charte

[33] Le juge du procès est déconcerté par le comportement des policiers tout au long de l’enquête, un comportement qui, à son avis, reflète un mépris flagrant des droits constitutionnels de l’appelante. Il estime que les atteintes au droit de cette dernière à la protection contre les fouilles, saisies et perquisitions abusives sont extrêmement sérieuses, « flagrant[es] et systématique[s] » (par. 337). À son avis, elles ne sont pas le fruit d’erreurs de jugement isolées de la part des policiers, mais bien le résultat d’un mépris systématique des droits garantis par la Charte. Il conclut que les policiers n’ont pas agi de bonne foi.

n) L’exclusion de la preuve

[34] Mettant en balance l’intérêt qu’a l’État, d’une part, à découvrir la vérité et, d’autre part, à préserver l’intégrité de l’administration de la justice, le juge du procès arrive à la conclusion qu’il n’y a d’autre choix que d’écarter la preuve pour éviter de déconsidérer davantage l’administration de la justice. À son avis, l’utilisation de la preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, et il écarte les déclarations orales et écrites de l’appelante, la preuve recueillie lors des fouilles effectuées chez l’appelante en vertu d’un mandat et les constatations des policiers sur les abords de la maison avant la délivrance des mandats. Soulignant la gravité du crime en cause et le grand intérêt qu’a la société à ce que l’affaire soit tranchée au fond, le juge reconnaît qu’il lui est particulièrement difficile de rendre sa décision, car elle entraîne l’acquittement de l’appelante.

B. La Cour d’appel, 2010 QCCA 303, 74 C.R. (6th) 130

[35] La Cour d’appel statue que le juge du procès a eu raison d’écarter les déclarations de l’appelante, car en les obtenant, les policiers ont gravement compromis l’efficacité des conseils juridiques donnés à Mme Côté par ses avocats, un comportement que ne pouvait sanctionner une cour de justice. Le ministère public reconnaît généralement que les policiers ont commis des violations et que ces violations sont graves. Il concède également qu’il y a lieu d’écarter les déclarations enregistrées sur bande vidéo. Cependant, la Cour d’appel estime que le juge du procès a eu tort d’écarter les constatations faites par les policiers lors de l’examen de l’extérieur de la maison de l’appelante avant l’obtention des mandats et la preuve matérielle qu’ils ont recueillie dans sa résidence lors de l’exécution des deux télémandats.

[36] La Cour d’appel explique que la seule question à trancher est celle de l’admissibilité d’éléments de preuve dérivée fiables. Dans l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, notre Cour considère la preuve dérivée comme « une preuve matérielle découverte à la suite d’une déclaration obtenue illégalement » (par. 116). La Cour d’appel paraît assimiler tous les éléments de preuve matérielle recueillis sur les lieux à une preuve dérivée ainsi définie. Elle fait observer que, lorsque le juge du procès s’est prononcé, les arrêts Grant et R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494, n’avaient pas encore été rendus et que ceux‑ci ont modifié le droit dans ce domaine. Dans Grant, la Cour dit que, pour décider s’il y a lieu d’écarter la preuve suivant le par. 24(2) de la Charte, le tribunal doit examiner et mettre en balance les trois considérations suivantes : (1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État, (2) l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond (par. 71). La Cour d’appel explique que même si les éléments de preuve dérivée sont souvent écartés en cas de violation grave des droits constitutionnels de l’accusé, suivant l’arrêt Grant, le juge « doit désormais se demander si l’utilisation des éléments de preuve dérivée obtenus par suite d’une violation de la Charte serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice » (par. 33, citant Grant, par. 118). La Cour d’appel examine les trois considérations qui, selon l’arrêt Grant, président à l’application du par. 24(2).

[37] En ce qui concerne la première (la gravité de la conduite attentatoire de l’État), la Cour d’appel convient avec le juge du procès que les violations de la Charte sont graves et que les policiers ont systématiquement porté atteinte aux droits constitutionnels de Mme Côté. Elle estime toutefois que les policiers n’ont pas délibérément agi de manière abusive.

[38] En ce qui concerne la deuxième (l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé), elle conclut que la série d’erreurs commises par les policiers a eu de graves conséquences pour l’accusée. Elle insiste cependant sur le fait que la preuve aurait pu être découverte de manière légale sans la participation de l’appelante, car les policiers auraient pu obtenir un mandat de perquisition. Elle opine qu’un mandat aurait été délivré sur le fondement de l’appel au 9‑1‑1 et de la découverte que le défunt avait reçu un projectile à l’arrière de la tête, écartant ainsi la thèse du suicide. S’appuyant sur Grant, au par. 122, la Cour d’appel estime que la possibilité de découvrir la preuve matérielle « reste [. . .] utile pour évaluer l’impact réel de la violation sur les intérêts protégés de l’accusé », car la possibilité de découvrir des éléments de preuve dérivée de manière indépendante aurait pour effet d’atténuer l’incidence sur l’accusée de la violation de ses droits constitutionnels (par. 43). La possibilité de découvrir la preuve importait donc pour l’examen de la deuxième considération. La Cour d’appel statue que l’utilisation de la preuve matérielle ne compromettait pas l’équité du procès ni ne déconsidérait l’administration de la justice, car les éléments matériels constatés ou recueillis auraient pu être découverts par ailleurs si les policiers avaient obtenu un mandat dès qu’ils avaient eu des motifs d’en demander un.

[39] En ce qui concerne la troisième considération (l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond), la Cour d’appel explique que la preuve matérielle écartée par le juge (p. ex. le trou dans la moustiquaire du gazebo, les perforations de fenêtre du solarium, les traces de sang et l’arme à feu enregistrée au nom de la victime) était essentielle à la poursuite, car il s’agissait de l’entièreté des éléments recueillis sur le lieu du crime. Elle ajoute que la preuve était fiable et elle conclut que l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond était extrêmement important vu la gravité du crime reproché.

[40] La Cour d’appel est d’avis que c’est l’exclusion de la preuve matérielle, et non son utilisation, qui est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Dans son optique, toute la preuve matérielle recueillie sur le lieu du crime aurait été découverte sans l’aide de l’appelante, le crime est très grave et les policiers n’ont pas délibérément agi de manière abusive. Elle explique que même si les policiers avaient une conception plutôt parcellaire du respect des droits constitutionnels de l’appelante et que le juge du procès ne les a pas considérés comme des témoins dignes de foi, il n’y a pas eu d’« attitude attentatoire » de leur part (par. 47). En conséquence, la preuve matérielle recueillie et les constatations faites au domicile de l’appelante n’auraient pas dû être écartées. L’appel est accueilli et la tenue d’un nouveau procès est ordonnée.

C. Questions en litige

[41] L’appelante conteste la décision de la Cour d’appel qui autorise l’utilisation de la preuve matérielle et des constatations faites chez elle par les policiers. Le ministère public reconnaît comme il se doit que les policiers ont gravement porté atteinte aux droits de l’appelante, y compris ses droits constitutionnels. Il ne conteste pas la décision du juge du procès d’écarter les déclarations de l’appelante aux policiers. Cependant, il appuie la décision de la Cour d’appel d’autoriser l’utilisation des constatations faites au domicile de l’appelante et de la preuve matérielle qui y a été recueillie.

[42] La Cour d’appel intervient principalement au motif que les éléments constatés ou recueillis sur le lieu du crime auraient pu être découverts légalement sans la participation de l’appelante. Elle invoque aussi le fait que les policiers n’ont pas délibérément agi de manière abusive, de même que la gravité du crime. Elle procède donc sur ce fondement à une nouvelle mise en balance des éléments pertinents pour l’application du par. 24(2) et elle conclut que préserver la considération dont jouit l’administration de la justice nécessite l’utilisation d’une partie de la preuve. Le pourvoi soulève donc deux questions principales :

1. La Cour d’appel a‑t‑elle eu tort d’intervenir au motif que les policiers n’avaient pas délibérément agi de manière abusive et que le crime était grave?

2. La Cour d’appel a‑t‑elle eu tort d’intervenir sur le fondement de la « possibilité de découvrir » la preuve?

III. Analyse

[43] Avant l’examen de ces questions, j’expose brièvement la norme de contrôle et les considérations qui valent pour l’application du par. 24(2) suivant l’arrêt Grant et les arrêts connexes de notre Cour.

A. La norme de contrôle

[44] La norme de contrôle applicable à la détermination, par le juge du procès, de ce qui, suivant le par. 24(2), est susceptible de déconsidérer l’administration de justice eu égard aux circonstances, n’est pas controversée. La Cour l’énonce dans Grant, puis la confirme dans R. c. Beaulieu, 2010 CSC 7, [2010] 1 R.C.S. 248. Lorsque le juge du procès a pris en compte les considérations applicables et n’a tiré aucune conclusion déraisonnable, sa décision justifie une grande déférence en appel (Grant, par. 86, et Beaulieu, par. 5).

B. La grille d’analyse de l’arrêt Grant

[45] Dans l’arrêt Grant, la Cour redéfinit la démarche qui s’impose pour décider d’écarter ou non la preuve en application du par. 24(2). Elle explique que le par. 24(2) s’intéresse généralement à « l’appréciation de l’effet à long terme de l’utilisation d’éléments de preuve sur la considération globale dont jouit le système de justice » (par. 68). Comme je le signale précédemment, la Cour retient trois questions pour déterminer si l’utilisation d’un élément de preuve obtenu en violation de la Charte est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Il incombe au tribunal saisi d’une demande d’exclusion de la preuve fondée sur le par. 24(2) de mettre en balance chacun des facteurs énoncés pour déterminer si, eu égard aux circonstances, l’utilisation de la preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[46] En formulant ce nouveau cadre d’analyse, la Cour dit clairement que même si ces questions ne recoupent pas exactement celles énoncées dans la jurisprudence antérieure, elles englobent les facteurs pertinents pour trancher une demande fondée sur le par. 24(2) qui avaient été formulés auparavant. Dans Beaulieu, s’exprimant au nom de la Cour, la juge Charron souligne ce point et fait observer que Grant n’a pas modifié les facteurs pertinents pour l’analyse fondée sur le par. 24(2).

[47] La première question est celle de la gravité de la conduite de l’État. Plus celle‑ci est attentatoire, plus le tribunal doit s’en dissocier en écartant la preuve qui y est liée. La deuxième question touche l’importance de l’incidence de la violation sur les droits constitutionnels de l’accusé. L’incidence peut être minime et formelle comme elle peut être profondément attentatoire. Plus cette incidence est marquée, plus l’utilisation de la preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. La troisième question a trait à l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. Il s’agit de savoir si la fonction de la procédure criminelle qui consiste à rechercher la vérité est mieux servie par l’utilisation d’éléments de preuve ou par leur exclusion. La fiabilité de la preuve et son importance pour la poursuite sont les considérations clés. L’utilisation d’éléments de preuve non fiables ne sert ni l’intérêt de l’accusé à ce qu’un procès équitable soit tenu ni l’intérêt du public à ce que la vérité soit découverte. À l’inverse, écarter des éléments de preuve fiables risque de compromettre la fonction de recherche de la vérité du système de justice et de rendre le procès inéquitable aux yeux du public. L’importance des éléments de preuve pour la poursuite constitue un corollaire à l’examen de la fiabilité. L’utilisation d’éléments de preuve d’une fiabilité douteuse est davantage susceptible de déconsidérer l’administration de la justice lorsque ces éléments représentent la totalité de la preuve dont dispose la poursuite, mais l’exclusion d’éléments de preuve d’une grande fiabilité peut être plus dommageable pour la fonction de recherche de la vérité qui est inhérente à la procédure criminelle lorsqu’elle se révèle fatale à la poursuite.

[48] Après avoir examiné ces questions, le tribunal doit mettre en balance l’appréciation de chacune d’elles pour statuer sur la demande fondée sur le par. 24(2), et aucune « règle prépondérante » ne régit cette opération (Grant, par. 86). Au contraire, « [l]a preuve à l’égard de chacune de ces questions doit être soupesée afin de déterminer si, eu égard aux circonstances, l’utilisation des éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice » (Harrison, par. 36). Nulle considération ne doit l’emporter systématiquement sur une autre. Par exemple, comme l’explique la Cour dans Harrison, la gravité de l’infraction et la fiabilité de la preuve ne doivent pas pouvoir « supplanter » l’analyse fondée sur le par. 24(2), car une telle supplantation « priverait les personnes accusées de crimes graves de la protection des libertés individuelles garanties par la Charte à tous les Canadiens et, en fait, attesterait que dans l’administration du droit pénal, “la fin justifie les moyens” » (par. 40, citant 2008 ONCA 85, 89 O.R. (3d) 161, par. 150, la juge Cronk, dissidente). Dans tous les cas, le tribunal doit se soucier de la considération dont jouira à long terme l’administration de la justice.

C. Première question en litige

[49] Je passe maintenant à la première des deux questions en litige dans le présent pourvoi : La Cour d’appel a‑t‑elle eu tort d’intervenir au motif que les policiers n’avaient pas délibérément agi de manière abusive et que le crime était grave?

[50] Comme je l’explique précédemment, la Cour d’appel conclut que le juge du procès a eu tort d’écarter la preuve matérielle recueillie sur le lieu du crime. Elle se fonde en partie sur le fait que les policiers n’ont pas eu d’attitude attentatoire et n’ont pas délibérément agi de manière abusive. Elle invoque aussi la gravité de l’infraction. À mon humble avis, son intervention n’est justifiée par aucun de ces motifs.

(1) Nouvelle qualification de la conduite des policiers

[51] La Cour d’appel conclut que les policiers n’ont pas eu d’attitude attentatoire ni délibérément agi de manière abusive. Cela revient à qualifier de nouveau la preuve alors qu’elle ne peut le faire. Le juge du procès tire de nombreuses conclusions contraires, à savoir que les violations de la Charte sont extrêmement graves, que les policiers n’ont pas agi de bonne foi, qu’ils ont fait preuve d’un mépris constant et systématique pour les droits constitutionnels de l’appelante et qu’ils ont persisté dans leur conduite répréhensible en induisant un officier de justice en erreur dans le but d’obtenir des mandats de perquisition, en ne témoignant pas de manière franche et sincère et en invoquant des motifs qui ne tenaient pas la route pour justifier leurs gestes. En toute déférence, la Cour d’appel outrepasse son rôle en qualifiant de nouveau la preuve, tournant ainsi le dos aux conclusions expresses du juge du procès qui sont pourtant exemptes d’erreur manifeste et déterminante. La Cour d’appel n’aurait pas dû substituer sa propre appréciation de la conduite des policiers à celle du juge du procès.

[52] L’intimée consacre une grande partie de la plaidoirie écrite à tenter de convaincre la Cour du caractère déraisonnable des conclusions du juge du procès sur la nature de la conduite des policiers. Elle prétend que le juge critique trop sévèrement les policiers et, plus précisément, qu’il était déraisonnable de conclure au caractère flagrant des atteintes à la Charte sans tenir compte de l’évolution de la situation et de sa dynamique. Elle ajoute que le juge du procès a tort de ne pas arriver à la conclusion que les policiers se trouvaient dans une situation d’urgence nécessitant une intervention immédiate des patrouilleurs. Je ne peux faire droit à ces prétentions qui visent à faire infirmer les conclusions de fait du juge du procès. Il faut respecter les conclusions de fait tirées lors d’un voir‑dire sur l’admissibilité de la preuve, sauf si elles sont entachées d’une erreur manifeste et déterminante. Le juge du procès dit clairement que dès le moment — à peu de chose près — où les policiers sont arrivés chez l’appelante, ils la tenaient pour suspecte. Il conclut qu’ils savaient que la personne qu’ils rencontraient était susceptible d’être impliquée dans la mort de M. Hogue. Je signale en outre que le juge du procès arrive clairement à la conclusion que les policiers n’exerçaient pas le pouvoir d’enquête découlant d’un appel au 9‑1‑1 lorsqu’ils se sont présentés chez Mme Côté. Au contraire, ils entreprenaient selon lui une enquête criminelle en s’entretenant avec un suspect évident. Le juge du procès tire ces conclusions de fait non équivoques après avoir observé les policiers témoigner et avoir alors apprécié directement la crédibilité de leurs témoignages. Il n’y a aucune raison de revenir sur ses nombreuses conclusions concernant la conduite des policiers et, par conséquent, je me refuse à les modifier.

(2) Gravité de l’infraction

[53] La Cour d’appel invoque également la gravité de l’infraction pour justifier sa conclusion que le juge du procès a eu tort d’écarter la preuve matérielle recueillie au domicile de l’appelante. Cette considération correspond au troisième volet de la grille d’analyse de l’arrêt Grant, à savoir l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. Dans le cas d’éléments de preuve pertinents et fiables qui sont indispensables à la poursuite, cette considération joue souvent en faveur de l’utilisation, bien qu’elle doive être mise en balance avec d’autres qui sont également pertinentes. La gravité de l’infraction est toutefois susceptible de « jouer dans les deux sens » et ne milite pas toujours en faveur de l’utilisation de la preuve (Grant, par. 84). La société a certes grandement intérêt à ce qu’une affaire de crime grave soit jugée au fond, mais elle a un intérêt tout aussi important à ce que le système de justice demeure à l’abri de tout reproche, particulièrement lorsque l’accusé encourt de lourdes conséquences pénales.

[54] La Cour d’appel commet donc une erreur en soupesant à nouveau l’incidence de la gravité de l’infraction, une considération dûment examinée par le juge du procès, qui était douloureusement conscient de la gravité de l’infraction et des conséquences de l’exclusion de la preuve. Au paragraphe 339 de ses motifs, le juge du procès reconnaît qu’il s’agit d’une infraction grave, puis au par. 340, il fait remarquer que plus l’infraction est grave, plus l’exclusion de la preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, surtout lorsque la preuve est essentielle à une déclaration de culpabilité. Le juge du procès en tient manifestement compte dans son analyse fondée sur le par. 24(2) et, par conséquent, rien ne justifie la Cour d’appel d’y accorder simplement une importance accrue.

[55] L’intimée prétend que le juge du procès a eu tort de ne pas prendre en compte la fiabilité de la preuve, ce qui se serait répercuté sur son évaluation du troisième élément à considérer pour l’application du par. 24(2). Je reconnais que le juge du procès ne dit pas expressément que la preuve est fiable, mais il est évidemment tout à fait conscient de la nature de la preuve qu’il écarte. La preuve est fiable en ce sens qu’elle est objective et matérielle, ce qui était certainement évident pour le juge du procès, qui la décrit en détail dans ses motifs. La thèse de l’intimée fait aussi abstraction de ce que le juge du procès se prononce avant l’arrêt Grant de notre Cour, de sorte qu’il a pu s’exprimer en des termes différents. Je ne fais pas droit à la prétention de l’intimée selon laquelle le juge du procès ne se serait pas penché sur la fiabilité de la preuve, ce qui aurait influé sur sa décision fondée sur le par. 24(2).

[56] En conclusion, la Cour d’appel a eu tort de modifier cette décision du juge du procès au motif que les policiers n’avaient pas délibérément agi de manière abusive. Ils ont agi de la sorte; c’est ce que conclut le juge du procès. Elle n’aurait pas dû non plus modifier la décision en accordant une importance accrue à la gravité de l’infraction alors que le juge du procès était parfaitement conscient de celle‑ci et qu’il en a dûment tenu compte. La Cour d’appel n’aurait pas dû substituer simplement son appréciation de ces considérations à celle du juge du procès, qui les a clairement examinées en fonction des bons principes juridiques.

D. Deuxième question en litige

[57] Je passe maintenant à la seconde question en litige : La Cour d’appel a‑t‑elle eu tort d’intervenir sur le fondement de la « possibilité de découvrir » la preuve?

(1) Intervention de la Cour d’appel sur le fondement de la possibilité de découvrir la preuve

[58] Comme je le mentionne précédemment, la Cour d’appel se dit également convaincue que la preuve matérielle (qu’elle qualifie entièrement de « preuve dérivée ») n’aurait pas dû être écartée, car elle aurait pu être recueillie légalement avec un mandat, sans la participation de l’appelante (par. 33). Suivant mon interprétation de ses motifs, il s’agit du principal fondement de son intervention. L’importance qu’elle accorde à la possibilité de découvrir la preuve influe sur son appréciation des considérations à soupeser pour l’application du par. 24(2), en particulier la deuxième : l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé. La Cour d’appel estime que l’effet des violations est atténué par le fait que la preuve aurait pu être obtenue légalement, de sorte que son utilisation n’est pas susceptible de nuire à l’équité du procès ni de déconsidérer l’administration de la justice.

[59] Conscient de cette réalité, le juge du procès fait observer au par. 347 de ses motifs qu’il aurait été possible, voire probable, que les policiers poursuivent leur enquête de manière efficace et constitutionnelle s’ils avaient respecté les principes simples et élémentaires applicables.

[60] Pour analyser la manière dont la Cour d’appel applique la notion de possibilité de découvrir la preuve, il faut répondre aux questions suivantes :

a) L’évolution du droit issue de Grant et des arrêts connexes justifie‑t‑elle l’intervention en appel?

b) Que faut‑il entendre par la possibilité de découvrir la preuve et en quoi cette notion influe‑t‑elle sur l’analyse que commande le par. 24(2) suivant Grant et les arrêts connexes?

c) La Cour d’appel a‑t‑elle appliqué erronément la notion de possibilité de découvrir la preuve lors de son analyse fondée sur le par. 24(2)?

[61] J’examine successivement chacune de ces questions.

a) L’évolution du droit issue de Grant et des arrêts connexes justifie‑t‑elle l’intervention en appel?

[62] La Cour d’appel estime que des arrêts postérieurs à la décision du juge du procès, dont Grant, ont modifié le droit relatif à l’utilisation de la preuve dérivée fiable. Elle entend par « preuve dérivée » la preuve matérielle découverte à la suite d’une déclaration obtenue illégalement. Au sens large, la preuve est « dérivée » lorsqu’elle est découverte grâce à un autre élément de preuve obtenu de façon inconstitutionnelle. Suivant le principe de l’équité du procès dégagé dans R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, la preuve dérivée obtenue grâce à la mobilisation inconstitutionnelle de l’accusé contre lui‑même, c’est‑à‑dire l’auto‑incrimination forcée sur l’ordre de l’État, est généralement écartée — en raison de son incidence présumée sur l’équité du procès — , sauf si elle aurait pu être découverte de façon indépendante. La Cour d’appel opine qu’en raison de l’arrêt Grant et des arrêts connexes, l’admissibilité d’une telle preuve doit désormais être déterminée comme celle de tout autre élément de preuve, soit en se demandant si son utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Étant donné la probabilité accrue que la preuve dérivée obtenue par la mobilisation de l’accusée contre elle‑même ait été écartée à l’issue de l’analyse qui avait cours avant l’arrêt Grant, la Cour d’appel paraît laisser entendre qu’il faut reprendre l’analyse fondée sur le par. 24(2) en suivant la nouvelle démarche prescrite dans l’arrêt Grant.

[63] À mon humble avis, le problème fondamental du raisonnement de la Cour d’appel est le suivant. Le juge du procès ne mentionne pas que la preuve a été obtenue en mobilisant l’accusée contre elle‑même, ni ne laisse entendre qu’un tel mode d’obtention ajoute au bien‑fondé de la décision d’écarter la preuve. Je vois donc difficilement comment le juge du procès a pu se soucier de la nécessité d’écarter la preuve parce qu’elle avait été obtenue en mobilisant l’accusée contre elle‑même. Par conséquent, le juge du procès n’a accordé aucune importance à la nature auto‑incriminante de la preuve, et son analyse ne paraît en faire aucun cas. Quoi qu’il en soit, la Cour d’appel a tort de qualifier la preuve en entier de preuve dérivée d’une déclaration obtenue illégalement, car dans les faits, une infime partie de la preuve était dérivée. Seules les deux armes à feu pourraient constituer des éléments de preuve « dérivée » au sens strict précisé par la Cour d’appel puisque l’appelante avait informé les agents Tremblay et Mathieu de leur présence dans la maison. Même si elle a seulement montré aux policiers l’arme à feu qui se trouvait dans la chambre à coucher, elle leur a révélé qu’il y en avait une deuxième. Plus important encore, je suis d’avis que, dans son analyse en l’espèce, la Cour d’appel applique erronément la notion de la possibilité de découvrir la preuve.

b) Que faut‑il entendre par possibilité de découvrir la preuve et en quoi cette notion influe‑t‑elle sur l’analyse que commande le par. 24(2) suivant Grant et les arrêts connexes?

[64] La possibilité de découvrir la preuve est une notion issue du cadre d’analyse retenu dans les arrêts Collins et R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607. Traditionnellement, on l’applique à la preuve dérivée obtenue par suite de la violation du droit de l’accusé à la protection contre l’auto‑incrimination. Suivant la notion d’équité du procès retenue dans Collins, non seulement l’utilisation d’un élément de preuve auto‑incriminant accroît la mise à mal du droit de l’accusé de ne pas être mobilisé contre lui‑même, mais on peut aussi considérer qu’elle mine l’équité du procès au cours duquel l’accusé est évidemment présumé innocent et n’est pas un témoin contraignable. Le fait que la preuve aurait pu être découverte sans la participation de l’accusé — en d’autres termes, la possibilité de sa découverte — a été jugé pertinent et souvent déterminant aux fins de l’analyse que requiert le par. 24(2) parce qu’il atténue l’incidence des mesures inconstitutionnelles sur le droit de l’accusé à la protection contre l’auto‑incrimination et son droit à un procès équitable. L’État aurait pu recueillir la preuve sans le concours de l’accusé, et le fait que la preuve aurait pu être découverte sans porter atteinte au droit de l’accusé de ne pas s’incriminer affaiblit le lien de causalité entre la violation de la Charte et l’obtention de la preuve.

[65] Dans Grant, la Cour assouplit la démarche susceptible de mener à l’exclusion de la preuve sur le fondement du par. 24(2) et elle la rend multifactorielle. On reprochait au cadre d’analyse issu des arrêts antérieurs Collins et Stillman d’être trop strict; l’exclusion de la preuve allait pratiquement de soi s’il était établi qu’elle avait été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même et qu’elle n’aurait pu être découverte autrement. La Cour confirme toutefois que la possibilité de découvrir la preuve demeure pertinente aux fins de l’analyse fondée sur le par. 24(2) :

La possibilité de découvrir reste toutefois utile pour évaluer l’impact réel de la violation sur les intérêts protégés de l’accusé. En effet, ce critère permet au tribunal d’évaluer la force du lien de causalité entre l’auto‑incrimination contraire à la Charte et les éléments de preuve qui en ont découlé. Plus il est probable que ces derniers auraient été obtenus même sans la déclaration, moins les incidences de la violation sur l’intérêt sous‑jacent de l’accusé de ne pas s’incriminer ont d’importance. Bien entendu, l’inverse est également vrai. Par ailleurs, lorsqu’il est impossible d’établir avec certitude si les éléments de preuve auraient été découverts sans la déclaration, la possibilité de découvrir n’influera pas sur l’analyse requise par le par. 24(2). [par. 122]

[66] On a eu recours à la notion de possibilité de découvrir une preuve dérivée dans le cas où les policiers auraient pu mettre la main sur la preuve sans mobiliser l’accusé contre lui‑même au mépris de la Constitution ou que la preuve aurait été inévitablement découverte même sans cette mobilisation : Stillman, par. 107; R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20, p. 77. Cependant, j’associe la « possibilité de découvrir » à la situation où une preuve, quelle qu’elle soit, obtenue de manière inconstitutionnelle, aurait pu être recueillie en toute légalité si les policiers s’en étaient donné la peine. Dans cette optique, la possibilité de découvrir la preuve constitue, si les circonstances s’y prêtent, une considération pertinente dans l’analyse que commande le par. 24(2) lorsqu’un autre droit que celui à la protection contre l’auto‑incrimination est en jeu.

[67] Dans la jurisprudence antérieure à l’arrêt Grant, le fait que la preuve obtenue de façon inconstitutionnelle, même sans mobilisation de l’accusé contre lui‑même, aurait pu être découverte par des moyens constitutionnels était pris en considération dans l’analyse fondée sur le par. 24(2). La notion de possibilité de découvrir la preuve avait deux conséquences principales sur l’analyse : premièrement, dans certaines circonstances, le fait que la preuve aurait pu être obtenue régulièrement aggravait en général la violation des droits garantis par la Charte, notamment lorsque les policiers se dérobaient simplement à leur obligation d’obtenir une autorisation avant la perquisition ou la fouille. En revanche, dans d’autres circonstances, le fait que les policiers avaient véritablement des motifs raisonnables et probables d’effectuer la perquisition ou la fouille, même s’ils n’avaient pas obtenu de mandat, amoindrissait généralement la gravité de la violation.

[68] L’arrêt R. c. Buhay, 2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631, montre bien que la possibilité de découvrir la preuve peut en quelque sorte jouer dans les deux sens. Dans cette affaire, les policiers avaient fouillé un casier. L’un a affirmé que l’idée d’obtenir un mandat ne lui avait même pas traversé l’esprit, alors que l’autre a dit ne pas avoir pensé à en obtenir un parce qu’il ne croyait pas avoir de motifs suffisants. La Cour convient avec le juge du procès que l’agent qui n’a même pas pensé à obtenir un mandat a agi avec une « certaine désinvolture » envers les droits constitutionnels de l’accusé et que la décision de l’autre agent d’effectuer la fouille parce qu’il estimait ne pas avoir de motifs suffisants pour obtenir un mandat traduisait un mépris flagrant des droits de l’accusé, ce qui réfutait toute allégation de bonne foi (par. 60-61). En revanche, la Cour reconnaît que l’agent avait probablement des motifs suffisants pour obtenir un mandat et qu’on a maintes fois considéré que l’existence de motifs raisonnables et probables atténuait la gravité d’une violation. En fin de compte, la Cour estime que le juge du procès a raisonnablement conclu à la gravité de la violation et qu’il n’y avait pas lieu de modifier sa décision en appel : voir généralement les par. 52-56.

[69] Comme le montre l’arrêt R. c. Nolet, 2010 CSC 24, [2010] 1 R.C.S. 851, la possibilité de découvrir la preuve demeure pertinente dans l’analyse actuelle que commande le par. 24(2). Selon le juge Binnie, qui s’exprime au nom de la Cour, le fait que la preuve matérielle non corporelle obtenue en violation du droit garanti à l’accusé par l’art. 8 de la Charte aurait été découverte autrement était l’un des éléments qui militaient en faveur de l’utilisation de la preuve au lieu de son exclusion.

[70] La possibilité de découvrir la preuve joue encore un rôle important dans l’analyse requise au par. 24(2), mais elle n’est pas déterminante. La conclusion selon laquelle la preuve aurait pu être découverte n’emporte pas nécessairement que l’on doive permettre son utilisation au procès. Le tribunal ne doit pas non plus se livrer à des conjectures. Comme le dit la Cour dans Grant, lorsqu’on ne peut déterminer avec certitude que la preuve aurait été découverte même sans l’atteinte à la Charte, la possibilité de découvrir la preuve n’a aucune incidence sur l’analyse que requiert le par. 24(2). Il convient maintenant d’expliquer en quoi, dans les cas qui s’y prêtent, la possibilité de découvrir la preuve peut jouer dans l’application des deux premiers volets de la grille d’analyse de l’arrêt Grant.

[71] Examinons d’abord le premier volet, à savoir la gravité de la conduite attentatoire de l’État. Le fait que les policiers auraient pu effectuer la fouille légalement, mais qu’ils n’ont pas songé à obtenir un mandat ou qu’ils ont pensé ne pas être en mesure de convaincre un officier de justice qu’ils avaient les motifs raisonnables et probables requis ajoute à la gravité de la conduite de l’État. Comme dans Buhay, la désinvolture envers des droits garantis par la Charte ou le mépris délibéré accroît généralement la gravité de la conduite attentatoire de l’État. Par contre, la bonne foi du policier ou l’existence d’un motif légitime de ne pas demander une autorisation judiciaire avant d’effectuer la fouille ou la perquisition devrait généralement atténuer la gravité de cette conduite.

[72] Passons maintenant à l’effet de la possibilité de découvrir la preuve sur le deuxième volet du test de l’arrêt Grant, à savoir l’incidence de la violation sur les droits constitutionnels de l’accusé. L’article 8 de la Charte protège l’attente raisonnable qu’une personne peut avoir en matière de vie privée. Malgré cette attente, une fouille ou une perquisition demeure possible lorsqu’un officier de justice est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables et probables de recourir à la mesure et qu’il l’autorise au préalable. Lorsque la fouille ou la perquisition n’aurait pu avoir lieu légalement, il y a empiètement accru sur l’attente raisonnable en matière de vie privée. Par contre, le fait que les policiers auraient pu convaincre l’officier de justice qu’ils avaient des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction avait été commise et que des éléments de preuve se trouvaient à l’endroit visé diminue généralement l’incidence de la mesure illégale sur le droit à la dignité et le droit à la vie privée que garantit la Charte à l’accusé.

[73] On ne saurait toutefois conclure qu’il n’y a alors aucune atteinte au droit à la vie privée. L’attente raisonnable en la matière que protège l’art. 8 de la Charte suppose non seulement l’existence de motifs valables, mais aussi l’obtention au préalable d’une autorisation judiciaire. Par conséquent, l’absence du mandat légalement requis constitue une violation du droit à la vie privée. L’empiètement d’une perquisition non autorisée doit être déterminé en fonction de l’attente en matière de vie privée que la personne pouvait raisonnablement avoir dans certaines circonstances. Plus l’attente est grande, plus la mesure non autorisée empiète. Le degré de gravité de l’incidence sur les droits constitutionnels de l’accusé ne correspond pas toujours à celui de la violation, à savoir la conduite attentatoire de l’État. Par exemple, lorsque les policiers ont obtenu de bonne foi un mandat dont il est déterminé par la suite qu’il ne reposait sur aucun motif raisonnable et probable de croire qu’un crime avait été commis et que des éléments de preuve se trouvaient sur les lieux visés, la gravité de la conduite attentatoire de l’État est amoindrie, mais l’incidence de la perquisition sur les droits de l’accusé garantis par la Charte est accrue par le fait que cette mesure n’aurait pu intervenir s’il y avait eu respect de la loi.

[74] La possibilité de la découvrir légalement peut donc constituer une considération valable lorsque le tribunal doit décider s’il y a lieu d’écarter la preuve suivant le par. 24(2) de la Charte. Lorsqu’indiqué, il convient d’évaluer son incidence en fonction des deux premiers volets de la grille d’analyse de l’arrêt Grant, compte tenu des circonstances.

c) La Cour d’appel a‑t‑elle appliqué erronément la notion de possibilité de découvrir la preuve lors de son analyse fondée sur le par. 24(2)?

[75] La Cour d’appel conclut que l’ensemble de la preuve matérielle recueillie sur les lieux, dont la perforation de la moustiquaire du gazebo et de la fenêtre du solarium, la présence de résidus de tir sur celle‑ci et l’arme enregistrée au nom de la victime, aurait été découverte sans l’aide de l’appelante. La juge Duval Hesler est d’avis que l’appel au 9‑1‑1 et la découverte dans la tête de la victime d’éclats d’un projectile ayant pénétré par l’arrière auraient suffi pour l’obtention d’un mandat de perquisition valide, même avant la première fouille périphérique sans mandat. S’appuyant sur Grant, elle déclare que dans la mesure où la preuve dérivée aurait pu être découverte de manière indépendante, l’incidence de la violation sur les droits de l’accusée était amoindrie, ce qui se répercutait sur le deuxième élément de l’analyse que commande le par. 24(2). Elle invoque ensuite en partie la possibilité de découvrir la preuve pour justifier sa conclusion selon laquelle écarter la preuve dans la présente affaire était susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[76] La conclusion voulant qu’il ait été possible de découvrir la preuve en l’espèce repose sur l’avis de la Cour d’appel selon lequel les policiers auraient pu obtenir un mandat au tout début de l’enquête en invoquant la découverte de M. Hogue à sa résidence, apparemment atteint d’une balle à la tête, et l’appel passé au 9‑1‑1 de chez lui. Bien que je souscrive à cette conclusion, je suis en désaccord avec l’importance que la Cour d’appel lui attribue pour les besoins de l’analyse fondée sur le par. 24(2).

[77] Avant de passer à la question de la possibilité de découvrir la preuve en l’espèce, je me penche brièvement sur le rôle qu’a joué, le cas échéant, la validité ou l’invalidité des télémandats décernés aux policiers dans l’analyse à laquelle se livre le juge du procès sur le fondement du par. 24(2). À mon sens, que ces mandats aient été valides ou non importe peu, ou n’importe pas, aux fins de cette analyse.

[78] Le juge du procès conclut que les mandats finalement obtenus par les policiers étaient illégaux. À son avis, une fois retranchés de la dénonciation les renseignements obtenus de façon inconstitutionnelle, les éléments restants étaient insuffisants. La Cour d’appel ne fait pas directement état de cette conclusion, mais signale seulement que les motifs permettant d’obtenir un mandat existaient bien avant, de sorte que les policiers auraient pu faire leurs constatations et recueillir la preuve matérielle en toute légalité. Le ministère public soutient devant notre Cour que la décision du juge du procès quant à la validité des mandats est erronée. Or, même si les mandats étaient valides, cela n’aurait guère d’effet, voire aucun, sur la décision d’écarter la preuve matérielle. Comme le dit le juge du procès, le processus de perquisition en entier est vicié par les mesures inconstitutionnelles qui ont précédé la délivrance des mandats.

[79] Cette conclusion s’inscrit dans une jurisprudence constante. L’affaire Grant 1993 illustre bien comment une perquisition illégale sans mandat peut vicier une perquisition subséquente par ailleurs légale. Dans cette affaire, les renseignements recueillis au cours de la perquisition périphérique sans mandat avaient servi de fondement à la demande de mandats de perquisition présentée par les policiers. La Cour conclut qu’une fois les renseignements obtenus illégalement retranchés des affidavits présentés au juge, les données restantes justifiaient la délivrance des mandats. La Cour statue que les mandats sont valides, mais elle affirme que les perquisitions illégales « font néanmoins partie intégrante d’une série de tactiques d’enquête qui ont abouti à la découverte des éléments de preuve en question ». Il n’est donc « pas réaliste de considérer que les perquisitions périphériques sont dissociables de tout le processus d’enquête qui a abouti à la découverte des éléments de preuve contestés » (p. 255). De même, en l’espèce, étant donné la conclusion de fait du juge du procès selon laquelle la conduite répréhensible des policiers a été constante et systématique dès l’ouverture de l’enquête, la question de l’opportunité d’écarter la preuve ne doit pas être abordée de manière compartimentée.

[80] Je passe maintenant à l’incidence de la possibilité de découvrir la preuve sur l’opportunité d’écarter celle‑ci en l’espèce.

[81] En ce qui concerne le premier volet de l’analyse, il est clair que pour le juge du procès, les actes reprochés aux policiers étaient très graves. Comme dans l’affaire Grant 1993, la collecte des éléments de preuve en l’espèce était le simple prolongement des fouilles antérieures effectuées sans mandat par les agents Tremblay, Mathieu et Fortier; il existait nettement un lien entre les violations antérieures et la preuve obtenue grâce aux mandats. De plus, avant que les mandats ne soient décernés, les droits de l’appelante avaient fait l’objet d’atteintes multiples, graves et délibérées. Comme il est mentionné précédemment, le juge du procès trouve étonnant que les policiers n’aient pas demandé un mandat de perquisition plus tôt dans la soirée ni tenté d’obtenir le consentement libre et éclairé de l’appelante à leur entrée dans le domicile. Il juge aussi inconcevable que les policiers aient constamment minimisé la situation juridique de l’appelante et il conclut que ce mépris des droits garantis à l’intéressée par la Charte a été constant et systématique tout au long de leurs échanges avec Mme Côté. Il estime par ailleurs que l’obtention d’éléments de preuve lors des perquisitions effectuées avec mandat résulte d’un mépris systématique des droits constitutionnels de Mme Côté. Comme cette preuve était viciée par les violations antérieures de la Charte auxquelles avaient donné lieu les actes répréhensibles graves des policiers, l’issue de l’affaire ne dépendait manifestement pas de l’opinion du juge du procès sur la validité des mandats.

[82] Le fait que les policiers auraient pu convaincre un officier de justice qu’ils avaient des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction avait été commise et que des éléments de preuve se trouvaient sur les lieux visés par la perquisition, mais qu’ils n’ont pas tenté de le faire, accroît sensiblement, dans les circonstances de l’espèce, la gravité de leurs actes. Le juge du procès conclut qu’aucun des policiers n’a paru s’inquiéter de l’absence d’un mandat de perquisition (aucune demande n’ayant encore été présentée plus de cinq heures après l’intervention policière initiale) ou se soucier des limites inhérentes au pouvoir d’agir sans mandat reconnu par la jurisprudence. Le juge du procès est particulièrement déconcerté par le fait que la perquisition s’est déroulée très tard dans la nuit, dans une maison d’habitation, l’endroit où l’attente en matière de vie privée est habituellement la plus grande.

[83] La conduite répréhensible des policiers dans l’obtention des mandats n’a fait qu’aggraver la conduite attentatoire de l’État. Selon le juge du procès, les mandats ont été demandés dans le cadre d’une tentative maladroite de remédier à l’inconstitutionnalité des fouilles antérieures et les policiers ont induit l’officier de justice en erreur en omettant de faire état de manière complète et sincère de leurs actes inconstitutionnels antérieurs.

[84] Le fait que les policiers auraient pu convaincre un officier de justice qu’ils avaient des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction avait été commise et que des éléments de preuve se trouvaient dans les lieux visés par la perquisition joue également sur l’incidence de la violation des droits constitutionnels de l’accusée. Dans la mesure où un mandat aurait pu avoir été valablement décerné au moment de la perquisition (abstraction faite de la question de savoir si elle a été effectuée convenablement), l’atteinte de la mesure illégale au droit à la vie privée tient au fait qu’il n’y a pas eu d’autorisation préalable par un officier de justice. Ce seul élément tend à réduire l’incidence de l’empiètement sur l’attente raisonnable de l’appelante en matière de vie privée que protège la Charte. Cependant, l’absence d’une autorisation judiciaire préalable constitue tout de même une atteinte grave à la vie privée. Il faut en effet se garder d’oublier que l’objet de la garantie constitutionnelle contre les fouilles et les perquisitions abusives est de faire obstacle à ces dernières, et non de les distinguer d’atteintes non abusives dans le cadre d’une analyse ex post facto : R. c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13, par. 45. L’autorisation préalable est donc directement liée à l’attente raisonnable d’une personne en matière de vie privée et elle en fait partie intégrante.

[85] Compte tenu de l’ensemble des circonstances, l’incidence de la conduite répréhensible des policiers sur le droit de l’appelante à la vie privée demeure grave : la perquisition non autorisée a eu lieu dans sa maison, un endroit où l’attente du citoyen en matière de vie privée est très grande, et elle n’a pas été de courte durée (Grant, par. 113). Les agents sont arrivés chez l’appelante à 0 h 13 et celle‑ci n’a quitté pour le poste de police qu’à 2 h 34. Vêtue d’un pyjama, l’appelante a suivi les policiers lorsqu’ils ont fouillé illégalement l’intérieur et l’extérieur de sa maison au milieu de la nuit, et ce, pendant une période assez longue où elle a été détenue sans interruption. La violation n’a donc pas été « passagère ou anodine » et elle a touché les droits de l’appelante à la liberté, à la dignité et à la vie privée (Harrison, par. 28; Grant, par. 113). L’appelante pouvait certainement s’attendre à bon droit à ne pas faire l’objet d’un tel empiètement sur ses droits, à savoir une fouille sans autorisation valable effectuée au milieu de la nuit, plusieurs heures après le transport de son conjoint à l’hôpital. Partant, l’absence d’autorisation préalable d’une fouille de cette nature bafouait gravement son attente raisonnable en matière de vie privée.

[86] À mon humble avis, la Cour d’appel a tort de conclure que le juge du procès a mal apprécié la gravité de l’incidence de la violation sur les droits de l’accusée protégés par la Charte. Même si les perquisitions auraient pu être effectuées légalement, le deuxième volet de la grille d’analyse de l’arrêt Grant continue de militer en faveur de l’exclusion, vu les nombreux autres éléments qui font ressortir la grande incidence de l’atteinte sur les droits à la vie privée et à la dignité de l’appelante.

[87] Par conséquent, la Cour d’appel a tort d’accorder beaucoup d’importance au fait que la preuve pouvait être découverte puisqu’elle aurait pu être obtenue légalement. J’estime que l’appréciation du juge du procès n’est pas entachée d’une erreur de droit qui joue dans sa conclusion finale ni viciée par une conclusion de fait déraisonnable. La Cour d’appel n’avait donc aucune raison de revenir sur les différentes considérations examinées en première instance.

[88] Le juge du procès soumet à des examens distincts l’admissibilité des déclarations de Mme Côté et celle de la preuve matérielle. Il conclut dans les deux cas que les violations des droits de l’appelante ont été systématiques et délibérées et que même dans leurs témoignages sous serment au procès, les policiers ont manqué de franchise dans le but de minimiser la gravité de leurs actes. Le caractère trompeur du témoignage des policiers ne fait pas partie intégrante de la violation comme telle des droits garantis par la Charte, mais il convient d’en tenir compte dans le cadre du premier volet de l’analyse fondée sur le par. 24(2) étant donné la nécessité que le tribunal se dissocie du comportement en cause (Harrison, par. 26). Le juge du procès est parfaitement conscient du fait que de bonnes méthodes d’enquête auraient pu permettre de découvrir la preuve, que celle-ci est fiable et que l’infraction alléguée est extrêmement grave. Il met aussi en balance l’intérêt qu’a la société à ce que la culpabilité ou l’innocence de l’appelante soit établie à l’issue d’un procès au fond. Il signale que les violations des droits de l’appelante sont le résultat d’« un mépris systématique des droits que la Charte [. . .] garantissait [à celle‑ci] » (par. 346, citant R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755, p. 796) et que ce mépris des droits du suspect s’est poursuivi lorsque les policiers ont présenté des éléments trompeurs pour obtenir les mandats puis lorsqu’ils ont témoigné devant le tribunal.

IV. Conclusion

[89] En résumé, il convient de déférer à la décision du juge du procès d’écarter les constatations faites par les policiers chez l’appelante et la preuve matérielle qu’ils y ont recueillie après avoir obtenu les mandats. Soit dit en tout respect, la Cour d’appel se méprend sur son rôle de tribunal d’appel lorsqu’elle substitue son opinion sur la conduite policière à celle du juge du procès et qu’elle accorde une importance excessive à la gravité de l’infraction. Sa conclusion selon laquelle les policiers n’ont pas délibérément agi de manière abusive est contraire aux nombreux actes délibérément et systématiquement répréhensibles des policiers que relève le juge du procès. Elle a également tort d’accorder autant d’importance à la gravité de l’infraction, car le juge du procès reconnaît cette gravité et il est établi qu’il ne s’agit pas d’un facteur déterminant. La Cour d’appel accorde aussi à tort une trop grande importance à la « possibilité de découvrir » la preuve dans son analyse fondée sur le par. 24(2). Je conviens avec elle que les policiers auraient pu convaincre un officier de justice qu’ils avaient des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction avait été commise et que des éléments de preuve se trouvaient sur les lieux visés par la perquisition, mais ce fait n’aurait pas influé sur l’analyse que commande le par. 24(2) compte tenu des circonstances de la présente affaire. La conduite répréhensible des policiers et son incidence sur les droits de l’accusée garantis par la Charte sont très graves, et ce, malgré la possibilité de découvrir la preuve. Le juge du procès déplore manifestement et à juste titre les violations continues, délibérées et flagrantes des droits constitutionnels de l’appelante, une considération qui joue un rôle important dans sa mise en balance des considérations dont l’examen s’impose pour l’application du par. 24(2). Il tient aussi dûment compte de l’intérêt important qu’a la société à ce qu’une personne accusée d’un crime grave fasse l’objet d’un procès au fond. Sa conclusion n’est pas entachée d’une erreur de droit jouant sur la conclusion finale, de sorte que celle‑ci n’aurait pas dû être annulée en appel.

V. Dispositif

[90] Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir l’acquittement prononcé au procès.

Les motifs suivants ont été rendus par

[91] La juge Deschamps (dissidente) — J’ai pris connaissance de l’opinion du juge Cromwell. Il est d’avis de rétablir le jugement de la Cour supérieure (2008 QCCS 3749 (CanLII)), lequel ne contient selon lui aucune erreur qui justifiait l’intervention de la Cour d’appel. Pour ma part, appliquant la grille d’analyse proposée dans l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, je conclus comme la Cour d’appel (2010 QCCA 303, 74 C.R. (6th) 130) que les éléments de preuve obtenus sans la participation de l’appelante — et que j’appellerai « la preuve matérielle » — n’auraient pas dû être exclus. Je rejetterais donc l’appel.

[92] Mon collègue le juge Cromwell n’exprime explicitement son accord avec la Cour d’appel que sur un point : les policiers auraient pu, très tôt dans leur enquête, obtenir la délivrance d’un mandat de perquisition. Il n’accorde cependant pas d’importance à ce fait, estimant que les conclusions du juge du procès concernant l’exclusion de la preuve ne sont pas fondées sur l’invalidité des mandats. Avec égards pour l’opinion de mon collègue, je crois qu’il s’agit là de deux questions distinctes : d’une part, les conséquences de l’omission, en première instance, de considérer la possibilité qu’un mandat aurait pu être délivré au tout début de l’enquête; d’autre part, les conséquences de l’invalidité des mandats délivrés ultérieurement. Or, à aucune étape de son analyse, le juge de première instance ne s’interroge sur le fait que la preuve matérielle aurait pu être découverte si un mandat avait été obtenu très tôt dans l’enquête. C’est cette constatation de la Cour d’appel qui, à mon avis, est pertinente.

[93] Le juge de première instance s’est prononcé avant l’arrêt Grant, où notre Cour a revu la grille d’analyse établie dans les arrêts R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, et R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607. Bien qu’il ne s’agisse pas là d’une raison qui, prise isolément, justifie la révision d’une décision d’exclure un élément de preuve, il convient tout de même de se demander si le juge a considéré l’ensemble des éléments qui doivent fonder une telle décision. Cette vérification révèle en l’espèce un hiatus certain.

I. Faits pertinents à l’égard de la délivrance d’un mandat très tôt dans l’enquête

[94] Le 22 juillet 2006, à 23 h 38, l’agent Jean-François Fortier reçoit un appel téléphonique du sergent François Monetta l’informant qu’un homme ayant subi des blessures à l’arrière de la tête a été transporté à l’hôpital en ambulance. Un examen radiologique a révélé la présence d’un projectile à l’intérieur du crâne de cet homme. Le sergent Monetta indique à l’agent Fortier le nom du blessé, ainsi que l’adresse de la résidence d’où il a été transporté en ambulance, après que sa conjointe l’a retrouvé blessé à cet endroit.

[95] À la suite de ces informations, en tant que chef de l’équipe de quatre policiers en service ce soir-là pour le territoire où se trouve la résidence en question, l’agent Fortier demande aux agents Tremblay et Mathieu de se rendre sur les lieux afin d’enquêter.

[96] À 0 h 13, les agents arrivent sur les lieux. Ils observent d’abord la maison. Celle-ci n’est pas éclairée et ne laisse voir aucun signe d’activité. Ils stationnent leur véhicule à une certaine distance de la maison et se rendent à la porte. Ils sonnent. Une femme leur ouvre. Il s’agit de Mme Côté. Les policiers se présentent comme agents de la Sûreté du Québec et lui expliquent qu’ils veulent savoir ce qui s’est produit dans la soirée et vérifier la sécurité des lieux.

[97] Après avoir inspecté l’intérieur de la résidence et n’y avoir trouvé personne d’autre que Mme Côté, l’agent Tremblay se rend à l’extérieur. Il entre dans le gazebo et y voit du sang — ou ce qui semble être du sang. L’agent Mathieu le rejoint, accompagné de Mme Côté. L’agent Mathieu retourne ensuite à l’intérieur de la résidence et y constate la présence d’un trou dans les vitres de l’une des fenêtres du solarium. L’agent Tremblay se rend au véhicule de patrouille et communique ces observations à l’agent Fortier. Il est alors 0 h 27.

[98] Je ne remets pas en question la décision du juge de première instance de rejeter l’argument de la poursuite selon lequel les policiers auraient procédé à la visite de la maison afin d’assurer la sécurité de ses occupants. Mon récit des faits repose strictement sur les constatations de faits du juge de première instance et vise à souligner les informations dont les policiers disposaient avant d’arriver à la résidence de Mme Côté et au moment où ils ont découvert les principaux éléments de la preuve matérielle.

[99] La conclusion de la Cour d’appel selon laquelle un mandat aurait pu être délivré très tôt dans l’enquête me paraît irrésistible. En effet, les policiers ont été informés du fait qu’une personne avait subi une blessure grave à l’arrière de la tête et que cette blessure avait vraisemblablement été causée par une arme à feu. Il ne pouvait s’agir d’une blessure résultant d’une maladie, ni d’une blessure que la victime se serait elle-même infligée, vu l’endroit où le projectile avait pénétré le crâne. En outre, les policiers connaissaient l’adresse de la résidence d’où le blessé avait été transporté. Compte tenu de ces faits, il était du devoir des policiers de faire enquête et de recueillir des éléments de preuve reliés à l’évènement. Dès lors, les policiers pouvaient avoir des motifs raisonnables et probables de croire que des preuves d’une infraction puissent être trouvées sur les lieux d’où la victime avait été transportée. La nature de la blessure et le fait que la victime avait été retrouvée au sol pouvaient également faire naître des motifs raisonnables et probables de croire que le mandat devait être exécuté de nuit. En effet, des résidus, empreintes et traces fraîches risquaient d’être éliminés ou altérés si l’enquête ne débutait pas le plus rapidement possible (art. 488, Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46). La Cour d’appel a analysé ainsi la situation (par. 44) :

Dans un cas comme le présent, tous les éléments de preuve matérielle recueillis sur les lieux, comme la perforation du moustiquaire du gazebo, la perforation de la fenêtre du solarium, porteuse de traces de détonation du côté intérieur, l’arme à feu enregistrée au nom de la victime et retrouvée dans sa demeure, auraient été découverts sans aucun apport de l’accusée. Il aurait été suffisant, pour obtenir un mandat valide de perquisition des lieux de l’incident, de mentionner l’appel 9-1-1 et la constatation d’éclats de projectile dans la tête de la victime, pénétrant par l’arrière, ce qui élimine un suicide et milite donc en faveur d’un acte criminel grave. Il est difficile d’imaginer que le juge de paix aurait refusé d’émettre un mandat à la lumière de ces seules allégations, dans le simple but de procéder à une expertise convenable de la scène de crime et de faire des vérifications dont la pertinence était manifeste, indépendamment de tout soupçon envers l’accusée. Par conséquent, les failles relevées par le juge de première instance dans la déclaration sous serment utilisée pour obtenir le mandat général de fouille et de perquisition dans le cas présent ne sont pas ici déterminantes.

[100] Pour décider du sort de la preuve matérielle, la Cour d’appel ne pouvait se contenter de l’analyse globale à laquelle s’était livré le juge de première instance. Elle n’avait d’autre choix que de procéder à l’examen que le juge avait omis de faire. À mon avis, c’est avec raison que la Cour d’appel a conclu que la preuve matérielle n’aurait pas dû être exclue, mais l’application que je fais de l’arrêt Grant diffère cependant quelque peu de la sienne.

II. Application des critères de l’arrêt Grant

[101] Dans Grant, la Cour a établi une grille d’analyse en trois étapes pour décider de l’admissibilité d’un élément de preuve sous le régime du par. 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. À la première étape, le tribunal s’attache à la gravité de la conduite attentatoire de l’État et « doit évaluer si l’utilisation d’éléments de preuve déconsidérerait l’administration de la justice en donnant à penser que les tribunaux, en tant qu’institution devant répondre de l’administration de la justice, tolèrent en fait les entorses de l’État au principe de la primauté du droit en ne se dissociant pas du fruit de ces conduites illégales » (par. 72).

[102] À la deuxième étape, l’examen « met l’accent sur l’importance de l’effet qu’a la violation de la Charte sur les droits qui y sont garantis à l’accusé, et il impose d’évaluer la portée réelle de l’atteinte aux intérêts protégés par le droit en cause » (par. 76). Il importe de déterminer l’ampleur des conséquences de la violation sur les intérêts protégés par le droit transgressé.

[103] À la troisième étape, tenant compte du fait que la « société s’attend généralement à ce que les accusations criminelles soient jugées au fond », le tribunal doit « déterminer si la fonction de recherche de la vérité que remplit le procès criminel est mieux servie par l’utilisation ou par l’exclusion d’éléments de preuve » (par. 79). La fiabilité des éléments de preuve ainsi que leur importance pour la poursuite sont des aspects qui doivent être considérés, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes.

[104] Pour décider si la confiance dans l’administration de la justice sera mieux préservée par l’admission ou l’exclusion de la preuve matérielle, le tribunal doit mettre en balance les implications qui ressortent de chaque étape.

[105] À la première étape de l’analyse, j’accepte la conclusion du juge de première instance que la conduite des policiers révèle un irrespect grave des droits constitutionnels de Mme Côté. Le juge note le fait que les policiers ne se sont pas souciés d’obtenir un mandat ou le consentement éclairé de Mme Côté avant de procéder à leur perquisition initiale. Le juge semble avoir considéré que, si l’enquête avait été confiée à des policiers expérimentés, les violations des droits ne se seraient pas produites. Dans certains cas, il peut arriver que l’inexpérience d’un agent de l’État indique que les droits n’ont pas été violés délibérément, ce qui signale une conduite moins attentatoire de la part des policiers. Dans ce cas-ci, cependant, l’inexpérience des policiers ne saurait être excusée, car, selon le juge, ceux-ci auraient dû connaître les règles applicables. Ensuite, est également pertinente l’observation du juge selon laquelle la conduite policière est aggravée par leur tentative de masquer les violations constitutionnelles des droits de Mme Côté en invoquant des arguments que le juge estime mal fondés. La conduite policière en l’espèce est telle que les tribunaux doivent s’en dissocier.

[106] Par ailleurs, pour ce qui est de la deuxième étape, il est clair que le juge de première instance n’a pas évalué la portée réelle de la violation. Le principal intérêt touché par la perquisition policière illégale est l’attente de l’intéressée en matière de respect de sa vie privée. Il s’agit ici de déterminer l’incidence de l’absence d’autorisation préalable sur cette attente. Pour ce faire, il faut comparer le cas présent à ce qu’aurait été la situation si la perquisition avait été préalablement autorisée. Il ne suffit donc pas de constater l’existence de l’atteinte à la vie privée résultant de la perquisition. Cette analyse demeure certes pertinente, mais c’est surtout l’écart de gravité entre cette situation et celle où un mandat aurait été délivré qui constitue la « portée réelle de l’atteinte aux intérêts protégés » (Grant, par. 76). Il s’agit là du corollaire des conclusions précédentes suivant lesquelles un mandat aurait pu être obtenu au tout début de l’enquête et aurait permis de découvrir la preuve matérielle.

[107] Aussi restreint qu’aurait pu être le mandat, il aurait à tout le moins autorisé l’examen du gazebo et de ses alentours. La portée d’une telle autorisation impliquait donc la visite de l’extérieur de la maison et d’une partie de l’intérieur de celle-ci. Par conséquent, si l’on accepte que le mandat aurait pu être décerné dès le début de l’enquête, il faut aussi accepter que Mme Côté aurait subi une atteinte à sa vie privée qui, concrètement, aurait été identique à celle qui découlait de la perquisition sans mandat.

[108] Je suis donc d’accord avec le juge Cromwell pour dire que l’incidence de l’atteinte au droit à la vie privée se limite au fait que la perquisition n’était pas autorisée par un officier de justice (par. 84). Son évaluation de cette incidence me semble par ailleurs contredire l’approche conceptuelle qui découle de cette prémisse. Pour déterminer la gravité de l’impact de la violation, mon collègue considère des éléments factuels qui auraient été présents si la perquisition avait été autorisée. Telle n’est pas la portée réelle de l’atteinte à l’attente en matière de vie privée qui résulte du fait que la perquisition n’était pas préalablement autorisée.

[109] Toute personne peut, à juste titre, s’attendre à ce que l’État respecte ses droits et un tribunal ne peut agir d’une façon qui donne à penser que ces droits sont sans valeur. Même lorsque la violation n’a pas de conséquences concrètes, le tribunal doit jouer un rôle déclaratoire en matière de défense des droits constitutionnels. C’est le rôle qu’il faut retenir lorsqu’une perquisition dûment autorisée aurait eu les mêmes conséquences concrètes (voir, dans le contexte analogue du par. 24(1) de la Charte, Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28). En l’espèce, le droit protégé est l’attente légitime de toute personne de ne pas faire l’objet d’une perquisition sans mandat. La perspective à partir de laquelle le tribunal évalue l’incidence de l’atteinte aux droits protégés est donc très différente lorsque la personne qui fait l’objet d’une perquisition aurait subi une intrusion identique si un mandat l’avait autorisée. Ce qui subsiste comme intérêt à protéger est ce que la Cour a, dans Ward, qualifié de « défense du droit, dans le sens d’affirmation des valeurs constitutionnelles » (par. 28).

[110] La protection de l’attente d’une personne en matière de respect de sa vie privée est fondamentale dans l’ordre constitutionnel canadien. Pour cette raison — et afin de rendre compte de la portée réelle de cette attente — , il est particulièrement indiqué de faire preuve de nuance dans son appréciation. Plus l’attente en matière de vie privée est élevée, plus le droit constitutionnel la protégeant doit être affirmé de façon claire. Inversement, lorsque l’attente est moindre, le besoin d’affirmation est moins grand.

[111] En l’espèce, Mme Côté est la personne qui a appelé le 9-1-1 et donné son adresse. C’est elle qui a contacté le médecin et indiqué qu’elle avait trouvé son conjoint dans le gazebo. Elle était la première et la seule interlocutrice à laquelle les policiers pouvaient s’adresser pour connaître les faits survenus dans les moments précédant le transport en ambulance. Leur visite pouvait donc difficilement être qualifiée d’inattendue. En somme, non seulement l’intrusion aurait-elle été la même, avec ou sans mandat, mais l’attente en matière de vie privée ne se situait pas au niveau le plus élevé. Par conséquent, les facteurs pertinents à la deuxième étape de l’analyse ne militent pas en faveur de l’exclusion de la preuve matérielle.

[112] À l’étape de l’analyse qui consiste à se demander si la recherche de la vérité sera mieux servie par l’utilisation de la preuve ou par son exclusion, je dois noter qu’il s’agit en l’espèce d’éléments de preuve matérielle fiables. Ils ont été trouvés peu de temps après le transport de la personne blessée et recueillis à proximité du lieu présumé du crime. Bien que mon collègue reconnaisse le silence du juge concernant la fiabilité de la preuve matérielle, il tient pour acquis que le juge a accordé à ce facteur le poids requis (par. 55). Avec égards pour l’opinion du juge Cromwell, je vois mal comment une telle conclusion est permise.

[113] L’omission du juge de première instance de traiter de la fiabilité de la preuve s’explique peut-être par le fait qu’il appliquait le droit en vigueur avant l’arrêt Grant. En vertu de la grille d’analyse des arrêts Collins et Stillman, la possibilité de découvrir un élément de preuve matérielle était une notion liée à la protection contre l’auto-incrimination et à l’évaluation de l’équité du procès (Grant, par. 121). L’exclusion était quasi automatique (Grant, par. 64). Dans ce contexte, l’incidence de la fiabilité de la preuve était négligeable. Or, un des changements de principe apportés par l’arrêt Grant est justement d’écarter l’automatisme de l’exclusion au profit d’une appréciation de toutes les circonstances. Sur ce point, je suis d’accord avec mon collègue le juge Cromwell pour souligner que la possibilité de découvrir un élément de preuve matérielle peut être pertinente à l’égard de la décision d’exclure un élément de preuve (par. 74). Cette pertinence n’est plus limitée à la protection contre l’auto-incrimination et l’analyse de la fiabilité de la preuve est une étape incontournable.

[114] Compte tenu de l’absence d’examen de la question de la fiabilité de la preuve matérielle, je ne peux conclure que le juge a pris en considération l’ensemble des facteurs pertinents pour déterminer si la preuve matérielle devait être exclue. Il s’agit là, à mon avis, d’une lacune grave.

[115] Pour ce qui est de l’importance de la preuve matérielle dans la poursuite du procès, il suffit de constater qu’il s’agit d’éléments de preuve circonstancielle. Du fait de l’exclusion des déclarations faites par Mme Côté aux policiers, cette preuve est la seule qui subsiste. Son utilisation est susceptible de jouer un rôle capital dans la recherche de la vérité et la poursuite du procès.

[116] À l’étape de l’évaluation de l’intérêt de la société à ce que le procès suive son cours, et prenant en considération tous les faits pertinents, je ne vois aucun élément qui militerait en faveur de l’exclusion de la preuve matérielle. Bien que l’ensemble de la preuve se trouve limité à la suite de l’exclusion des déclarations faites par Mme Côté aux policiers, il subsiste tout de même des éléments de preuve fiables, que la poursuite pourrait juger suffisants pour mener le procès à terme.

[117] Après avoir procédé à chacune des trois étapes, le tribunal doit mettre en balance les facteurs favorables et défavorables à l’exclusion de la preuve. Il s’agit d’un examen qualitatif et non quantitatif (R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494, par. 36).

[118] Considérée globalement, l’inconduite policière constatée en l’espèce est grave et commande que les tribunaux s’en dissocient. Il est cependant possible de se dissocier des violations constitutionnelles qui ont été commises sans pour autant exclure l’ensemble de la preuve. L’atteinte aux droits constitutionnels n’atteint pas ici le niveau de gravité le plus élevé. De plus, en présence de preuves fiables et importantes, l’intérêt de la société dans la recherche de la vérité ressort. Dans l’ensemble, je ne peux que conclure que, dans le cas qui nous occupe, c’est l’exclusion de la preuve matérielle qui déconsidérerait l’administration de la justice.

[119] Pour ces motifs, je rejetterais l’appel.

Pourvoi accueilli, la juge Deschamps est dissidente.

Procureur de l’appelante : Centre communautaire juridique de la Rive‑Sud, Longueuil.

Procureur de l’intimée : Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec, Longueuil.

Procureurs de l’intervenante : Sack Goldblatt Mitchell, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2011 CSC 46 ?
Date de la décision : 14/10/2011
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli, et l’acquittement est rétabli

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Réparation - Exclusion de la preuve - Accusation de meurtre au deuxième degré - Résidence de l’accusée soumise à une fouille policière sans mandats valides - Conclusion du juge du procès selon laquelle, tout au long de l’enquête, les policiers n’ont pas agi de bonne foi et ont fait preuve d’un mépris flagrant vis‑à‑vis des droits constitutionnels de l’accusée - Le juge du procès a estimé qu’utiliser la preuve en dépit de cette conduite consternante des policiers était susceptible de déconsidérer l’administration de la justice; et même si cette conclusion devait mener à l’acquittement de l’auteur d’un crime grave, il a néanmoins écarté la preuve - La Cour d’appel a‑t‑elle eu tort d’intervenir au motif que les policiers n’avaient pas délibérément agi de manière abusive et que le crime était grave? - A‑t‑elle eu tort d’intervenir au motif que la preuve aurait pu être recueillie légalement avec un mandat, sans la participation de l’accusée? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 24(2).

Le 22 juillet 2006, vers 21 h, C a composé le 9‑1‑1 pour signaler que son conjoint, H, avait été blessé. À l’hôpital, le médecin de garde a établi que H avait subi des lésions à la tête et il a confirmé la présence d’un objet métallique dans le crâne de H, ce dont il a informé les policiers. Ces derniers se sont présentés chez C vers minuit. Les lumières étaient éteintes et le calme régnait. Vêtue d’un pyjama, C leur a ouvert. Les agents ont expliqué qu’ils voulaient déterminer ce qui s’était produit et vérifier la sûreté des lieux, mais ils ne lui ont pas révélé qu’ils croyaient que H avait subi une blessure par balle. Suivis de C, les policiers ont inspecté l’intérieur et l’extérieur de la résidence, y compris un gazebo (ou gloriette). Ils l’ont interrogée sur la présence d’armes à feu dans la maison. Elle a confirmé qu’il y en avait deux, mais elle a pu en trouver qu’une seule, qu’elle leur a montrée. Les policiers ont ultérieurement obtenu des mandats qu’ils ont exécutés à la résidence de C. Ils ont découvert une carabine de calibre .22, soit le calibre du projectile retiré du crâne de H.

Emmenée au poste de police vers 3 h, C n’a fait l’objet d’une mise en garde à titre de témoin important relativement à la tentative de meurtre sur la personne de H et n’a été informée de son droit à l’avocat qu’à 5 h 23. Une fois mise en garde, C a consulté un avocat puis a invoqué son droit de garder le silence. Elle a ensuite décrit les événements aux policiers avant d’être mise en état d’arrestation pour tentative de meurtre. Elle a fait l’objet d’une nouvelle mise en garde, elle a été informée de son droit à l’assistance d’un avocat et elle s’est entretenue à nouveau avec un avocat. Une fois en état d’arrestation, C a été interrogée toute la journée. Elle s’est montrée en proie à une grande anxiété parce que la porte de la salle d’interrogatoire était fermée, elle a paru épuisée et elle a dit plusieurs fois à l’enquêteur qu’elle en avait assez, qu’elle ne voulait plus parler ou qu’elle voulait aller se coucher. L’interrogatoire a pris fin à 20 h le 23 juillet, après qu’elle eut été informée du décès de H et accusée de meurtre au deuxième degré.

C a demandé au juge du procès d’écarter la preuve présentée contre elle. Le juge a conclu que les policiers s’étaient livrés à la violation systématique des droits de C, de l’arrivée initiale à la résidence jusqu’à la fin de l’interrogatoire. Il a estimé que l’introduction des policiers sur la propriété de C, ainsi que la fouille de la maison, du terrain et du gazebo constituaient des fouilles, saisies et perquisitions abusives au sens de l’art. 8 de la Charte. À son avis, les policiers avaient détenu C sans lui préciser le motif de la mesure comme l’exige l’al. 10a) de la Charte et ils avaient porté atteinte à son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat et d’être informée de ce droit, tous deux garantis à l’al. 10b) de la Charte. Il a aussi opiné qu’ils avaient foulé au pied le droit de C de garder le silence garanti à l’art. 7 de la Charte et obtenu une déclaration qui n’était pas volontaire. Il a ajouté que les enquêteurs avaient induit un officier de justice en erreur dans le but d’obtenir des mandats de perquisition. Il a donc écarté la preuve en entier en application du par. 24(2) de la Charte au motif que son utilisation était susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, acquittant du coup C. La Cour d’appel a statué que le juge du procès avait eu raison d’écarter les déclarations de C. Elle a cependant estimé qu’il avait écarté à tort les constatations des policiers faites à l’extérieur de la maison de C avant que les mandats ne soient décernés, de même que la preuve matérielle recueillie sur les lieux lors de l’exécution des mandats. Elle a ordonné un nouveau procès.

Arrêt (la juge Deschamps est dissidente) : Le pourvoi est accueilli, et l’acquittement est rétabli.

La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell : La norme de contrôle applicable à la détermination, par le juge du procès, de ce qui, suivant le par. 24(2), est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice eu égard aux circonstances est la suivante. Lorsque le juge du procès a pris en compte les considérations applicables et n’a tiré aucune conclusion déraisonnable, sa décision justifie une grande déférence en appel.

Dans l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, la Cour a redéfini la démarche qui s’impose pour décider d’écarter ou non la preuve en application du par. 24(2). Elle a retenu trois questions pour déterminer si l’utilisation d’un élément de preuve obtenu en violation de la Charte est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice : (1) la gravité de la conduite de l’État, (2) l’importance de l’incidence de la violation sur les droits constitutionnels de l’accusé et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. Après avoir examiné ces questions, le tribunal doit mettre en balance l’appréciation de chacune d’elles pour statuer sur la demande fondée sur le par. 24(2) et déterminer si l’utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

La Cour d’appel a eu tort d’intervenir au motif que les policiers n’avaient pas délibérément agi de manière abusive. En qualifiant de nouveau la preuve, tournant ainsi le dos aux conclusions expresses du juge du procès qui étaient pourtant exemptes d’erreur manifeste et déterminante, elle a outrepassé son rôle. Elle a également commis une erreur en soupesant à nouveau l’incidence de la gravité de l’infraction, une considération dûment examinée par le juge du procès, qui était conscient de la gravité de l’infraction et des conséquences de l’exclusion de la preuve.

Qui plus est, dans son analyse fondée sur le par. 24(2), la Cour d’appel a commis l’erreur d’accorder trop d’importance à la « possibilité de découvrir » la preuve. Le principal fondement de son intervention est que la preuve matérielle aurait pu être recueillie légalement avec un mandat, sans la participation de C. La possibilité de découvrir la preuve est pertinente dans l’analyse actuelle que commande le par. 24(2), mais elle n’est pas déterminante. La conclusion selon laquelle elle aurait pu être découverte n’emporte pas nécessairement l’utilisation de la preuve au procès. Dans les cas qui s’y prêtent, la possibilité de découvrir la preuve peut jouer dans l’application des deux premiers volets de la grille d’analyse de l’arrêt Grant.

Dans la présente affaire, pour ce qui concerne le premier volet de l’analyse, il est clair que selon le juge du procès, les actes reprochés aux policiers étaient très graves. La collecte des éléments de preuve était le simple prolongement des fouilles antérieures illégales effectuées sans mandat. Le fait que les policiers auraient pu convaincre un officier de justice qu’ils avaient des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction avait été commise et que des éléments de preuve seraient découverts, mais qu’ils n’ont pas tenté de le faire, a sensiblement accru la gravité de leurs actes. La conduite répréhensible des policiers dans l’obtention des mandats n’a fait qu’aggraver la conduite attentatoire de l’État. En ce qui a trait au deuxième volet de l’analyse, l’absence d’une autorisation judiciaire préalable constitue une atteinte grave à la vie privée. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, l’incidence de la conduite répréhensible des policiers sur le droit de C à la vie privée était grave : la perquisition non autorisée a eu lieu dans sa maison au milieu de la nuit tandis qu’elle était détenue, et la mesure n’a pas été de courte durée. La violation a touché les droits de C à la liberté, à la dignité et à la vie privée. Partant, l’absence d’autorisation préalable de la fouille a gravement bafoué son attente raisonnable en matière de vie privée.

En l’espèce, le juge du procès a écarté la preuve parce que les policiers avaient sans cesse agi au mépris de la loi et de la Constitution. Il n’a pas eu tort de conclure que les tribunaux ne doivent pas tolérer ce genre de comportement chez ceux qui ont fait serment de veiller au respect de la loi. Il a pris la seule mesure possible pour faire en sorte que l’administration de la justice ne soit pas déconsidérée davantage par la tolérance des actes troublants et aberrants des policiers.

La juge Deschamps (dissidente) : L’application de la grille d’analyse en trois étapes proposée dans l’arrêt R. c. Grant mène à la conclusion que la preuve matérielle n’aurait pas dû être exclue. À la première étape de l’analyse — la gravité de la conduite attentatoire de l’État — , la conduite des policiers révèle un irrespect grave des droits constitutionnels de C. Non seulement les policiers ne se sont pas souciés d’obtenir un mandat ou le consentement éclairé de C avant de procéder à leur perquisition initiale, mais ils ont également tenté de masquer les violations constitutionnelles des droits de C.

Par ailleurs, pour ce qui est de la deuxième étape — l’effet qu’a la violation de la Charte sur les droits qui y sont garantis à l’accusé — , il est clair que le juge de première instance n’a pas évalué la portée réelle de la violation. Le principal intérêt touché par la perquisition policière illégale est l’attente de C en matière de respect de sa vie privée. À cet égard, il ne suffit pas de constater l’existence de l’atteinte à la vie privée résultant de la perquisition, mais il faut aussi déterminer l’incidence de l’absence d’autorisation préalable sur l’attente de C. Pour ce faire, il faut comparer le cas présent à ce qu’aurait été la situation si la perquisition avait été préalablement autorisée. C’est surtout l’écart de gravité entre les deux situations qui constitue la portée réelle de l’atteinte aux intérêts protégés. En l’espèce, le mandat aurait pu être décerné dès le début de l’enquête et C aurait alors subi une atteinte à sa vie privée qui, concrètement, aurait été identique à celle qui découlait de la perquisition sans mandat. De plus, l’attente en matière de vie privée ne se situait pas au niveau le plus élevé. C était la première et la seule interlocutrice à laquelle les policiers pouvaient s’adresser pour connaître les faits survenus dans les moments précédant le transport de son conjoint en ambulance. Leur visite pouvait donc difficilement être qualifiée d’inattendue.

En ce qui concerne la troisième étape de l’analyse — la recherche de la vérité sera‑t‑elle mieux servie par l’utilisation de la preuve ou par son exclusion — , il s’agit en l’espèce d’une preuve matérielle fiable et son utilisation est susceptible de jouer un rôle capital dans la recherche de la vérité et la poursuite du procès puisque du fait de l’exclusion des déclarations faites par C aux policiers, cette preuve est la seule qui subsiste.

Après avoir procédé à chacune des trois étapes, il y a lieu de mettre en balance les facteurs favorables et défavorables à l’exclusion de la preuve. Considérée globalement, l’inconduite policière constatée en l’espèce est grave et commande que les tribunaux s’en dissocient. Il est cependant possible de se dissocier des violations constitutionnelles qui ont été commises sans pour autant exclure l’ensemble de la preuve. L’atteinte aux droits constitutionnels de C n’atteint pas le niveau de gravité le plus élevé. De plus, en présence de preuves fiables et importantes, l’intérêt de la société dans la recherche de la vérité ressort. Dans l’ensemble, c’est l’exclusion de la preuve matérielle qui déconsidérerait l’administration de la justice.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Côté

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Cromwell
Arrêt appliqué : R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353
arrêts mentionnés : R. c. Godoy, [1999] 1 R.C.S. 311
R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8
R. c. Tricker (1995), 21 O.R. (3d) 575
R. c. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992
R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223
R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494, inf. 2008 ONCA 85, 89 O.R. (3d) 161
R. c. Beaulieu, 2010 CSC 7, [2010] 1 R.C.S. 248
R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265
R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607
R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20
R. c. Buhay, 2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631
R. c. Nolet, 2010 CSC 24, [2010] 1 R.C.S. 851
R. c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13
R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755.
Citée par la juge Deschamps (dissidente)
R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353
R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265
R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607
Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28
R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 8, 10, 24.
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 488.

Proposition de citation de la décision: R. c. Côté, 2011 CSC 46 (14 octobre 2011)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2011-10-14;2011.csc.46 ?
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