La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/10/2011 | CANADA | N°2011_CSC_47

Canada | Crookes c. Newton, 2011 CSC 47 (19 octobre 2011)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Crookes c. Newton, 2011 CSC 47, [2011] 3 R.C.S. 269

Date : 20111019

Dossier : 33412

Entre :

Wayne Crookes et West Coast Title Search Ltd.

Appelants

et

Jon Newton

Intimé

- et -

Association canadienne des libertés civiles, Clinique d’intérêt public et

de politique d’internet du Canada Samuelson-Glushko, NetCoalition,

Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique,

Association canadienne des journaux, Ad IDEM/Canadian Media

Lawyers As

sociation, Magazines Canada, Journalistes canadiens

pour la liberté d’expression, Writers’ Union of Canada,

Professional Writers Association of Can...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Crookes c. Newton, 2011 CSC 47, [2011] 3 R.C.S. 269

Date : 20111019

Dossier : 33412

Entre :

Wayne Crookes et West Coast Title Search Ltd.

Appelants

et

Jon Newton

Intimé

- et -

Association canadienne des libertés civiles, Clinique d’intérêt public et

de politique d’internet du Canada Samuelson-Glushko, NetCoalition,

Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique,

Association canadienne des journaux, Ad IDEM/Canadian Media

Lawyers Association, Magazines Canada, Journalistes canadiens

pour la liberté d’expression, Writers’ Union of Canada,

Professional Writers Association of Canada,

PEN Canada et Canadian Publishers’ Council

Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :

(par. 1 à 45)

Motifs conjoints concordants :

(par. 46 à 53)

Motifs concordants quant au résultat :

(par. 54 à 130)

La juge Abella (avec l’accord des juges Binnie, LeBel, Charron, Rothstein et Cromwell)

La juge en chef McLachlin et le juge Fish

La juge Deschamps

Crookes c. Newton, 2011 CSC 47, [2011] 3 R.C.S. 269

Wayne Crookes et West Coast Title Search Ltd. Appelants

c.

Jon Newton Intimé

et

Association canadienne des libertés civiles, Clinique d’intérêt

public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko,

NetCoalition, Association des libertés civiles de la

Colombie‑Britannique, Association canadienne des journaux,

Ad IDEM/Canadian Media Lawyers Association, Magazines

Canada, Journalistes canadiens pour la liberté d’expression,

Writers’ Union of Canada, Professional Writers Association

of Canada, PEN Canada et Canadian Publishers’ Council Intervenants

Répertorié : Crookes c. Newton

2011 CSC 47

No du greffe : 33412.

2010 : 7 décembre; 2011 : 19 octobre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Prowse, Saunders et Bauman), 2009 BCCA 392, 96 B.C.L.R. (4th) 315, 311 D.L.R. (4th) 647, 276 B.C.A.C. 105, 468 W.A.C. 105, 69 C.C.L.T. (3d) 66, [2010] 2 W.W.R. 271, [2009] B.C.J. No. 1832 (QL), 2009 CarswellBC 2401, qui a confirmé une décision du juge Kelleher, 2008 BCSC 1424, 88 B.C.L.R. (4th) 395, 61 C.C.L.T. (3d) 148, [2009] 1 W.W.R. 482, [2008] B.C.J. No. 2012 (QL), 2008 CarswellBC 2237. Pourvoi rejeté.

Donald J. Jordan, c.r., et Robert A. Kasting, pour les appelants.

Daniel W. Burnett et Harvey S. Delaney, pour l’intimé.

Wendy Matheson, Andrew Bernstein et Molly Reynolds, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

Richard G. Dearden et Wendy J. Wagner, pour l’intervenante la Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko.

William C. McDowell, Marguerite F. Ethier et Naomi D. Loewith, pour l’intervenante NetCoalition.

Roy W. Millen, pour l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique.

Robert S. Anderson, c.r., et Ludmila B. Herbst, pour les intervenants l’Association canadienne des journaux, Ad IDEM/Canadian Media Lawyers Association, Magazines Canada, Journalistes canadiens pour la liberté d’expression, Writers’ Union of Canada, Professional Writers Association of Canada, PEN Canada et Canadian Publishers’ Council.

Version française du jugement des juges Binnie, LeBel, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell rendu par

[1] La juge Abella — Pour avoir gain de cause dans une action en diffamation, le demandeur doit établir suivant la prépondérance des probabilités que les mots diffamatoires ont été diffusés, c’est‑à‑dire qu’ils ont été « communiqués à au moins une personne autre que le demandeur » (Grant c. Torstar Corp., 2009 CSC 61, [2009] 3 R.C.S. 640, par. 28).

[2] L’hyperlien, procédé souvent employé dans les articles sur l’Internet, permet de mettre en évidence, souvent par soulignement, un mot ou une phrase et ainsi signaler sa fonction de portail menant à des renseignements connexes supplémentaires. En cliquant sur l’hyperlien, le lecteur accède à ces renseignements.

[3] La question de droit que soulève le présent pourvoi est de savoir si l’incorporation dans un texte d’hyperliens menant à des propos prétendument diffamatoires équivaut à la « diffusion » de ces derniers.

I. Les faits

[4] Wayne Crookes est le président et l’unique actionnaire de West Coast Title Search Ltd. Il a intenté une série d’actions contre les personnes qu’il accuse d’avoir diffusé des articles diffamatoires dans un certain nombre de sites Web, alléguant que ces articles constituent une [traduction] « campagne de dénigrement » contre lui et d’autres membres du Parti vert du Canada.

[5] Jon Newton possède et exploite en Colombie‑Britannique un site Web commentant divers sujets, dont la question de la liberté d’expression dans le contexte de l’Internet. L’un des articles qui y figuraient, intitulé « Free Speech in Canada » (« La liberté d’expression au Canada »), comprenait des hyperliens menant à d’autres sites Web dans lesquels se trouvaient des renseignements au sujet de M. Crookes.

[6] M. Crookes a poursuivi M. Newton, alléguant que deux des hyperliens créés par ce dernier renvoyaient à des propos diffamatoires et qu’il avait ainsi diffusé de l’information diffamatoire à son égard. L’un des hyperliens est un lien « simple », c’est‑à‑dire qu’il amène le lecteur à une page Web où les articles sont affichés, alors que l’autre est un lien « profond », c’est‑à‑dire qu’il amène le lecteur directement à un article (Matthew Collins, The Law of Defamation and the Internet (3e éd. 2010), par. 2.43). Dans les deux cas, le lecteur doit cliquer sur le lien pour accéder au contenu.

[7] Les deux hyperliens, mis en évidence par soulignement, figuraient dans le passage suivant d’un article affiché par M. Newton :

[traduction] Pour ce qui est des récents développements, [. . .] je viens de rencontrer Michael Pilling, qui dirige OpenPolitics.ca. Établi à Toronto, il fait lui aussi l’objet d’une action en diffamation. Cette fois, c’est le politicien Wayne Crookes qui a intenté la poursuite.

Nous avons décidé de mettre en commun certaines de nos ressources pour attirer davantage l’attention sur l’état lamentable des règles vétustes et décrépites qui s’appliquent en matière de diffamation au Canada; demain, un article de Mike [Pilling] décrivant ses problèmes paraîtra sur p2pnet. Lui et moi publierons aussi très bientôt un communiqué de presse conjoint. [d.a., p. 125]

[8] L’hyperlien OpenPolitics.ca menait au site Web Open Politics, où plusieurs articles étaient affichés, articles qui, selon M. Crookes, étaient diffamatoires. L’hyperlien Wayne Crookes menait à un article prétendument diffamatoire intitulé « Wayne Crookes » et publié de façon anonyme sur le site Web www.USGovernetics.com.

[9] M. Crookes a écrit à M. Newton pour lui demander de supprimer les deux hyperliens. Comme il ne recevait pas de réponse, son avocat a lui aussi écrit à M. Newton pour lui faire la même demande. En bout de ligne, ce dernier a refusé de supprimer les hyperliens.

[10] M. Crookes a intenté une action en diffamation contre M. Newton en Colombie‑Britannique. Il n’alléguait pas que le contenu de la page Web de M. Newton était lui‑même diffamatoire. Il faisait plutôt valoir qu’en créant des hyperliens menant à des articles prétendument diffamatoires ou en refusant de supprimer ceux‑ci après que leur nature diffamatoire lui avait été signalée, M. Newton en était lui‑même devenu diffuseur. À cette époque, l’article de M. Newton avait été « vu » 1 788 fois. Le dossier n’indique pas si les hyperliens eux‑mêmes ont été suivis ou activés, ou, le cas échéant, combien de fois ils l’ont été.

[11] Au procès, le juge Kelleher a conclu que la simple création d’un hyperlien dans un site Web n’entraînait pas une présomption qu’on avait effectivement utilisé cet hyperlien pour accéder aux mots en cause (2008 BCSC 1424, 88 B.C.L.R. (4th) 395). Il a retenu l’argument de M. Newton selon lequel les hyperliens s’apparentaient à des notes de bas de page puisqu’ils ne faisaient que renvoyer à une autre source sans toutefois en répéter le contenu. Sans répétition, il ne pouvait y avoir eu diffusion. Par surcroît, en l’absence de toute preuve établissant que qui que ce soit d’autre que M. Crookes avait suivi les liens et lu les mots auxquels ils menaient, il était impossible de conclure qu’il y avait eu diffusion.

[12] En Cour d’appel, la juge Saunders, à l’opinion de laquelle a souscrit le juge Bauman, a statué qu’il y avait lieu de rejeter l’appel (2009 BCCA 392, 96 B.C.L.R. (4th) 315). Partageant l’avis du juge de première instance, elle a conclu que le renvoi à un article contenant des propos diffamatoires sans toutefois que les propos eux‑mêmes ne soient repris dans l’article était assimilable à une note de bas de page ou à une fiche de bibliothèque, et qu’on ne saurait le considérer comme une rediffusion de ces derniers. Selon elle, il peut arriver que certains mots d’un article donnent à penser qu’un hyperlien donné constitue [traduction] « un encouragement ou une invitation » à se rendre au site visé, mais elle a conclu que ce n’était pas le cas en l’espèce. Elle s’est aussi refusée à voir dans le nombre d’« appels de fichier » relativement à l’article lui‑même un fondement suffisant pour inférer qu’un tiers avait lu les mots diffamatoires (par. 89 et 92).

[13] La juge Prowse a, quant à elle, exposé des motifs dissidents. Convenant que le seul fait d’avoir créé des hyperliens menant aux sites en cause ne faisait pas de M. Newton un diffuseur du contenu de ceux‑ci, elle a néanmoins refusé de considérer que [traduction] « l’analogie de la note de bas de page » était suffisante pour trancher la question (par. 60). Selon elle, il était « peu probable », compte tenu du fait que le site Web de M. Newton avait été vu 1 788 fois, que personne n’ait suivi les hyperliens et lu les articles en cause (par. 70). En outre, il ressortait du contexte dans lequel s’inscrivait l’article de M. Newton qu’en fait il encourageait ou invitait les lecteurs à cliquer sur les liens. Elle était donc d’avis qu’il y avait eu diffusion.

[14] En Colombie‑Britannique, la Libel and Slander Act, R.S.B.C. 1996, ch. 263, crée une présomption de diffusion dans certaines situations. Toutefois, une telle présomption n’existe pas à l’égard de propos diffusés par le biais de l’Internet. M. Crookes a soutenu néanmoins que l’insertion d’un hyperlien dans une page Web devait faire présumer que le contenu auquel il menait avait été porté à la connaissance de tiers et qu’en conséquence il avait été diffusé. Pour les motifs qui suivent, je suis non seulement d’avis qu’il y a lieu d’écarter une telle présomption, mais je conclus en outre qu’un hyperlien, en lui‑même, ne devrait jamais être assimilé à la « diffusion » du contenu auquel il renvoie.

[15] M. Crookes fait également valoir que la Cour d’appel a imposé un fardeau de preuve trop onéreux, exigeant essentiellement la preuve directe qu’un tiers avait accédé au contenu prétendument diffamatoire en suivant l’hyperlien. Il soutient que cela l’empêche de s’appuyer sur la déduction qu’au moins une personne a suivi l’un des hyperliens en cause pour accéder au contenu diffamatoire et qu’il y a donc eu diffusion de propos ayant un sens diffamatoire. (Voir Gaskin c. Retail Credit Co., [1965] R.C.S. 297.) Vu ma conclusion que la création d’un hyperlien ne constitue pas en soi de la diffusion, il n’est pas nécessaire d’examiner cet argument.

II. Analyse

[16] Pour établir, dans le cadre d’une action en diffamation, qu’il y a eu diffusion des propos visés, le demandeur doit prouver que le défendeur a, par le biais d’un acte quelconque, transmis des propos diffamatoires à au moins un tiers, qui les a reçus (McNichol c. Grandy, [1931] R.C.S. 696, p. 699). Traditionnellement, la forme que revêt cet acte et la façon dont il contribue à permettre au tiers d’y accéder sont dénuées de pertinence :

[traduction] La façon dont l’information diffamatoire peut être diffusée ne connaît aucune limite. Tout acte qui a pour effet de transférer cette information à un tiers constitue donc de la diffusion.

(Stanley c. Shaw, 2006 BCCA 467, 231 B.C.A.C. 186, par. 5, citant Raymond E. Brown, The Law of Defamation in Canada (2e éd.), vol. 1, No. 7.3.)

Voir aussi Hiltz and Seamone Co. c. Nova Scotia (Attorney General) (1997), 164 N.S.R. (2d) 161 (C.S.), par. 21, conf. en partie par (1999), 173 N.S.R. (2d) 341 (C.A.); Grant, par. 119; « Truth » (N.Z.) Ltd. c. Holloway, [1960] 1 W.L.R. 997 (C.P.); Lambert c. Thomson, [1937] O.R. 341 (C.A.), le juge en chef Rowell; Pullman c. Walter Hill & Co., [1891] 1 Q.B. 524 (C.A.), p. 527, le lord Esher M.R.

[17] M. Crookes soutient que suivant cette définition la personne qui incorpore un hyperlien dans une page Web a « diffusé » toute remarque diffamatoire à laquelle mène celui‑ci, étant donné qu’elle a accompli un acte qui [traduction] « a pour effet de transférer l’information diffamatoire » à tout tiers qui clique sur l’hyperlien.

[18] Suivant ce modèle du disséminateur unique/lecteur unique, le champ d’activités visé par la règle traditionnellement applicable en matière de diffusion est très étendu. Dans R. c. Clerk (1728), 1 Barn. K.B. 304, 94 E.R. 207, par exemple, le tribunal a jugé que la responsabilité de l’employé d’un imprimeur, dont le seul rôle dans l’acte de diffusion consistait à [traduction] « appuyer sur » la presse, était engagée en raison des libelles que contenait l’information diffusée, et ce malgré le fait qu’il en ignorait le contenu (p. 207). Dans Hird c. Wood (1894), 38 S.J. 234 (C.A.), il a été jugé que montrer du doigt une pancarte sur laquelle on pouvait lire des mots diffamatoires constituait une preuve de diffusion. Dans d’autres affaires, il a également été jugé que des actes ne faisant que faciliter la communication pouvaient équivaloir à de la diffusion : voir, p. ex., Buchanan c. Jennings, [2004] UKPC 36, [2005] 1 A.C. 115; Polson c. Davis, 635 F.Supp. 1130 (D. Kan. 1986), conf. par 895 F.2d 705 (10th Cir. 1990); Crain c. Lightner, 364 S.E.2d 778 (W. Va. 1987), p. 785; et Spike c. Golding (1895), 27 N.S.R. 370 (C.S. in banco). En outre, dans McNichol c. Grandy, la responsabilité du défendeur a été retenue parce qu’il avait élevé la voix et tenu des propos diffamatoires qui avaient été entendus par une personne se trouvant dans une autre pièce.

[19] La règle en matière de diffusion vise également l’ensemble des comportements qui suivent :

[traduction] [Le sens diffamatoire] peut être communiqué directement par le défendeur, oralement ou sous une forme écrite ou imprimée quelconque, ou encore par le biais d’une manifestation symbolique, d’une pantomime, d’une mimique, d’une brochure, d’un geste, d’un feuillet, d’une lettre, d’une photographie, d’une pancarte, d’une affiche, d’un écriteau ou d’une caricature. Il peut être inscrit sur un tableau ou affiché sur un miroir ou un poteau de téléphone, ou paraître sur le mur d’un immeuble ou le mur pignon de la maison du défendeur, figurer sur un chèque, être saisi dans une base de données ou consulté sur un site Web dans l’Internet ou téléchargé d’un tel site. Il peut figurer sur une bannière tirée par un avion, ou encore le défendeur peut attirer l’attention d’une personne sur une affiche ou d’un texte diffamatoire déjà en circulation. Le défendeur peut donner accès à des propos diffamatoires à un tiers ou laisser ces derniers dans un endroit où d’autres personnes pourront les voir, ou il peut inviter d’autres personnes à se rendre à un endroit où elles pourront voir ou lire les renseignements diffamatoires; par ailleurs, la diffamation peut avoir lieu par suite du décès du défendeur. Dans chaque cas, il y a une diffusion. [Notes en bas de page omises.]

(Raymond E. Brown, Brown on Defamation (2e éd. (feuilles mobiles)), par. 7.3)

[20] Il est arrivé que des défendeurs échappent en partie à la portée étendue de la règle grâce à l’élaboration du moyen de défense fondé sur la « diffusion de bonne foi » dont peuvent se prévaloir [traduction] « ceux qui n’ont qu’un rôle secondaire dans le réseau de distribution, tels que les distributeurs de journaux, les librairies et les bibliothèques » : Allen M. Linden et Bruce Feldthusen, Canadian Tort Law (8e éd. 2006), p. 783-784; voir aussi Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427 (« SOCAN »), par. 89; Philip H. Osborne, The Law of Torts (4e éd. 2011), p. 411. De tels « distributeurs accessoires » peuvent se dégager de leur responsabilité en prouvant qu’ils « n’ont aucune connaissance de la diffamation alléguée, n’ont aucune raison de supposer son existence et n’ont pas fait preuve de négligence en ne la découvrant pas » (SOCAN, par. 89; Vizetelly c. Mudie’s Select Library, Ltd., [1900] 2 Q.B. 170 (C.A.), p. 180; Brown, par. 7.12(6)(c); et aussi Sun Life Assurance Co. of Canada c. W. H. Smith and Son Ltd. (1934), 150 L.T. 211 (C.A.), p. 212-214).

[21] Des décisions récentes semblent indiquer que certains actes sont si passifs qu’ils ne devraient même pas être considérés comme de la diffusion. Dans Bunt c. Tilley, [2006] EWHC 407, [2006] 3 All E.R. 336 (B.R.), la cour a conclu, au sujet de l’éventuelle responsabilité d’un fournisseur de services Internet, qu’[traduction] « [i]l ne suffit pas que la personne prenne part au processus en n’y jouant qu’un rôle passif » pour que sa responsabilité puisse être engagée en tant que diffuseur; elle doit « prendre part en connaissance de cause au processus de diffusion des mots pertinents » (par. 23 (en italique dans l’original); voir aussi Metropolitan International Schools Ltd. c. Designtechnica Corpn., [2009] EWHC 1765, [2011] 1 W.L.R. 1743 (B.R.)).

[22] Compte tenu de ces développements, la question que soulève le présent pourvoi est de savoir si le simple fait de renvoyer à de l’information diffamatoire — tel celui d’incorporer un hyperlien dans son texte — est le genre d’acte susceptible de constituer de la diffusion. À cet égard, deux décisions américaines peuvent nous éclairer. Dans Klein c. Biben, 296 N.Y. 638 (1946), la Cour d’appel de New York a jugé que la déclaration ci‑après n’équivalait pas à une rediffusion du libelle du 12 mai 1944, dont il était question : [traduction] « Pour plus de détails au sujet [du demandeur], se reporter à la Washington News Letter dans The American Hebrew, 12 mai 1944 » (p. 639).

[23] Dans MacFadden c. Anthony, 117 N.Y.S.2d 520 (Sup. Ct. 1952), la cour a rejeté une action en diffamation intentée contre un animateur de radio qui avait [traduction] « attiré l’attention sur [un article prétendument diffamatoire] paru dans le Collier’s Magazine » (p. 521). Se fondant sur Klein, la cour a conclu que le fait de renvoyer à l’article n’équivalait pas à diffuser ou rediffuser le libelle.

[24] Ces décisions ont été citées dans l’affaire Carter c. B.C. Federation of Foster Parents Assn., 2005 BCCA 398, 42 B.C.L.R. (4th) 1, où le demandeur alléguait qu’en mentionnant l’adresse Internet d’un forum de discussion en ligne l’éditeur d’un bulletin avait rediffusé les commentaires diffamatoires figurant dans le site et ainsi engagé sa responsabilité. Invoquant le principe établi dans MacFadden et Klein selon lequel le seul fait de [traduction] « renvoyer à un article contenant des propos diffamatoires sans toutefois reprendre les propos eux‑mêmes ne saurait être considéré comme une rediffusion de ces derniers » (par. 12), le juge Hall a conclu à l’absence de diffusion.

[25] Je souscris à cette approche, qui permet d’éviter une application formaliste de la règle traditionnelle en matière de diffusion et reconnaît l’importance de la fonction de communication et d’expression du renvoi à d’autres sources. Comme il ressort des motifs de la juge Deschamps, l’application d’une telle règle aux hyperliens a pour effet de créer une présomption de responsabilité à l’égard de tous ceux qui incorporent des hyperliens dans leurs textes, ce qui crée à mon avis une situation intenable.

[26] Le fait de renvoyer à un contenu étranger à son texte diffère fondamentalement d’autres actes relevant de la diffusion car il ne comporte pas, en soi, l’exercice d’un contrôle sur ce contenu. La communication d’une information diffère nettement de la simple mention que l’information existe ou encore de l’endroit où elle se trouve. Contrairement à la simple mention de son existence, la communication d’une information consiste en la dissémination du contenu, et elle suppose l’existence d’un contrôle à la fois sur ce dernier et sur l’existence même d’un auditoire. Même si la personne qui renvoie à une publication diffamatoire a pour but d’en élargir l’auditoire, sa participation n’est qu’accessoire à celle du diffuseur initial : que cette personne y ait renvoyé ou non, l’information prétendument diffamatoire a déjà été mise à la disposition du public par le biais des actes du diffuseur initial. Ces caractéristiques du renvoi le distinguent autant des actes posés dans le cadre du processus de diffusion, tels la création ou l’affichage de la publication diffamatoire, que de la répétition.

[27] Les hyperliens constituent essentiellement des renvois. En cliquant sur le lien, les lecteurs sont dirigés vers d’autres sources. Les hyperliens peuvent être incorporés dans l’article en cause tantôt au su, tantôt à l’insu de l’exploitant du site renfermant l’article secondaire. Il arrive souvent que le contenu de l’article secondaire a été produit par une personne autre que celle qui a créé l’hyperlien dans l’article de fond. Dans un tel cas, ce contenu peut être modifié à n’importe quel moment par celui qui contrôle la page secondaire. L’auteur d’un article a certes la faculté d’y incorporer ou non un hyperlien et, s’il décide de le faire, de déterminer à quoi il mènera. Cela dit, le seul fait d’incorporer un hyperlien dans un article de fond ne confère pas à l’auteur de celui‑ci un quelconque contrôle sur le contenu de l’article secondaire auquel il mène. (Voir David Lindsay, Liability for the Publication of Defamatory Material via the Internet (2000), p. 14 et 78-79; Collins, par. 2.42 à 2.43 et 5.42.)

[28] Ces caractéristiques — à savoir qu’en général la personne qui renvoie à un contenu étranger à son texte ne participe ni à sa création, ni à son élaboration — sont ce qui exonère de responsabilité ceux qui œuvrent dans le domaine des communications Internet aux États‑Unis : voir Communications Decency Act of 1996, 47 U.S.C. §230 (1996); voir également Jack M. Balkin, « The Future of Free Expression in a Digital Age » (2009), 36 Pepp. L. Rev. 427, p. 433‑434; Zeran c. America Online, Inc., 129 F.3d 327 (4th Cir. 1997); Barrett c. Rosenthal, 146 P.3d 510 (Cal. 2006); Fair Housing Council of San Fernando Valley c. Roommates.Com, LLC, 521 F.3d 1157 (9th Cir. 2008).

[29] Même si la personne qui choisit le contenu visé par le lien peut se trouver à faciliter le transfert de l’information (une caractéristique classique de la diffusion), il est tout aussi clair que la personne qui suit le lien quitte une source pour se rendre à une autre. Ainsi, selon moi, c’est la personne même qui crée ou affiche les mots diffamatoires dans le contenu secondaire qui se trouve à diffuser le libelle lorsqu’une personne prend connaissance de ce contenu par le biais d’un hyperlien. La facilité avec laquelle on peut accéder au contenu visé par l’hyperlien ne change pas le fait que celui qui crée l’hyperlien renvoie le lecteur à un autre contenu. (Voir Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801, par. 97‑102.)

[30] L’hyperlien remplit donc la même fonction que le renvoi à l’égard du contenu auquel il mène. En effet, l’un et l’autre signalent l’existence d’une information sans toutefois en communiquer le contenu, et ils obligent le tiers qui souhaite prendre connaissance de ce dernier à poser un certain acte avant de pouvoir le faire. Qu’il soit beaucoup plus facile d’accéder au contenu d’un texte par le biais d’hyperliens que par des notes de bas de page ne change rien au fait que l’hyperlien en lui‑même est neutre sur le plan du contenu — il n’exprime aucune opinion et il n’exerce aucun contrôle sur le contenu auquel il renvoie.

[31] Cette interprétation de la règle en matière de diffusion cadre mieux avec la jurisprudence récente de notre Cour en droit de la diffamation. En effet, notre Cour a reconnu que ce n’est pas uniquement l’intérêt d’un individu à protéger sa réputation qui est en jeu dans une action en diffamation, mais également l’intérêt du public à protéger la liberté d’expression : Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130.

[32] Au Canada, avant l’avènement de la Charte, les diverses façons d’aborder le droit de la diffamation menaient largement vers la protection de la réputation. Cette situation a commencé à changer lorsque notre Cour a modifié, dans WIC Radio Ltd. c. Simpson, 2008 CSC 40, [2008] 2 R.C.S. 420, l’élément de la défense de commentaire loyal ayant trait à la « croyance honnête », et lorsqu’elle a établi, dans Grant, le moyen de défense de communication responsable concernant des questions d’intérêt public. Dans ces arrêts, notre Cour a reconnu l’importance d’établir un juste équilibre entre la protection de la réputation d’une personne et le rôle fondamental de la liberté d’expression dans l’évolution des institutions et des valeurs démocratiques (Grant, par. 1; Hill, par. 101).

[33] Interpréter la règle en matière de diffusion de façon à exclure les simples renvois est compatible non seulement avec une appréciation plus raffinée des valeurs protégées par la Charte, mais également avec les développements spectaculaires dans le domaine de la technologie des communications. Voir June Ross, « The Common Law of Defamation Fails to Enter the Age of the Charter » (1996), 35 Alta. L. Rev. 117; voir aussi Jeremy Streeter, « The “Deception Exception” : A New Approach to Section 2(b) Values and Its Impact on Defamation Law » (2003), 61 U.T. Fac. L. Rev. 79; Denis W. Boivin, « Accommodating Freedom of Expression and Reputation in the Common Law of Defamation » (1996‑1997), 22 Queen’s L.J. 229; Lewis N. Klar, Tort Law (4e éd. 2008), p. 746-747; Robert Danay, « The Medium is not the Message : Reconciling Reputation and Free Expression in Cases of Internet Defamation » (2010), 56 R.D. McGill 1; l’hon. Frank Iacobucci, « Recent Developments Concerning Freedom of Speech and Privacy in the Context of Global Communications Technology » (1999), 48 R.D. U.N.-B. 189; Reno c. American Civil Liberties Union, 521 U.S. 844 (1997), p. 870.

[34] Notre Cour a décrit la capacité de diffusion de l’information par l’Internet comme « l’une des grandes innovations de l’ère de l’information » et indiqué que le « recours à l’Internet doit être facilité, et non découragé » (SOCAN, par. 40, le juge Binnie). Les hyperliens en particulier sont un élément indispensable de son fonctionnement. Comme Matthew Collins l’explique au par. 5.42 :

[traduction] Les hyperliens sont les synapses qui raccordent les différentes parties du World Wide Web. Sans eux, le Web serait une bibliothèque sans catalogue : remplie de renseignements, mais dénuée de tout moyen sûr de trouver ceux‑ci.

(Voir aussi Lindsay, p. 78‑79; Mark Sableman, « Link Law Revisited : Internet Linking Law at Five Years » (2001), 16 Berkeley Tech. L.J. 1273, p. 1276.)

[35] Le rôle vital joué par les hyperliens pour faciliter l’accès à l’information véhiculée par l’Internet a aussi été décrit de façon convaincante par Anjali Dalal dans son article intitulé « Protecting Hyperlinks and Preserving First Amendment Values on the Internet » (2011), 13 U. Pa. J. Const. L. 1017 :

[traduction] On considère depuis longtemps les hyperliens comme un outil essentiel à la communication parce qu’ils facilitent l’accès à l’information. En effet, ils offrent aux visiteurs d’un site Web un moyen de se rendre aux mots, phrases, arguments et idées auxquels il est fait référence. De ce point de vue, si l’Internet est un univers informatif illimité où « toute personne [. . .] peut devenir pamphlétaire », alors les « [h]yperliens sont les sentiers qui relient les sites Web, créant les intersections animées où on peut distribuer ses pamphlets et inviter les passants à discuter plus en profondeur des questions soulevées. »

. . .

. . . Il arrive souvent que les préoccupations à l’origine des poursuites se rapportant aux hyperliens soient tout à fait légitimes, mais restreindre l’utilisation des liens pose un danger substantiel pour la communication et l’innovation. [En italique dans l’original; notes en bas de page omises; p. 1019 et 1022.]

[36] En bref, l’Internet ne peut donner accès à l’information sans les hyperliens. Or, limiter l’utilité de ces derniers en les assujettissant à la règle traditionnellement applicable en matière de diffusion aurait pour effet de gravement restreindre la circulation de l’information et, partant, la liberté d’expression. L’« effet paralysant » que cela serait susceptible d’avoir sur le fonctionnement de l’Internet pourrait être lourd de conséquences désastreuses, car il est peu probable que les auteurs d’articles de fond consentiraient à courir le risque d’engager leur responsabilité en incorporant dans leurs articles des liens menant à d’autres articles dont le contenu peut changer tout à fait indépendamment de leur volonté. Compte tenu de l’importance capitale du rôle des hyperliens dans l’Internet, nous risquerions de compromettre le fonctionnement de l’Internet dans son ensemble. L’application stricte de la règle en matière de diffusion dans ces circonstances reviendrait à s’efforcer de faire entrer une cheville carrée archaïque dans le trou hexagonal de la modernité.

[37] Loin de moi l’idée de minimiser les effets préjudiciables que pourrait avoir la diffusion de propos diffamatoires par le biais de l’Internet. Je ne reviens pas non plus sur l’affirmation que chacun peut obtenir que sa réputation soit vigoureusement protégée contre de tels propos. Il est clair que « la liberté d’expression n’autorise pas à ternir les réputations » (Grant, par. 58). Parce qu’il constitue un moyen d’expression si puissant, l’Internet peut s’avérer un véhicule extrêmement efficace pour exprimer des propos diffamatoires. Dans Barrick Gold Corp. c. Lopehandia (2004), 71 O.R. (3d) 416 (C.A.), par. 32, le juge Blair a reconnu [traduction] « l’énorme pouvoir » de l’Internet de porter atteinte à la réputation, citant avec approbation le passage suivant d’un article de Lyrissa Barnett Lidsky, « Silencing John Doe : Defamation & Discourse in Cyberspace » (2000), 49 Duke L.J. 855, p. 863‑864 :

[traduction] Bien que, du point de vue de l’exactitude, elles puissent avoir les qualités éphémères du commérage, les communications par Internet sont transmises par le biais d’un médium beaucoup plus répandu que la presse écrite, et c’est ce qui leur confère l’énorme pouvoir de porter atteinte à la réputation de quelqu’un. Une fois lancé dans le cyberespace, un message peut être lu par des millions d’individus dans le monde entier. Même si le message est affiché dans un forum de discussion qui n’est fréquenté que par un nombre restreint de personnes, chacune d’elles peut le diffuser à son tour en l’imprimant ou — ce qui est plus probable — en le transmettant instantanément à un autre forum de discussion. Et si le message est suffisamment provocateur, il peut être diffusé à répétition. La capacité extraordinaire de l’Internet de reproduire presqu’à l’infini n’importe quel message diffamatoire vient renforcer la notion selon laquelle « la vérité rattrape rarement le mensonge ». Le problème qui se pose, du point de vue du droit relatif à la diffamation, est donc de savoir comment protéger la réputation sans détruire le potentiel de l’Internet en tant qu’espace de débat public. [Italique et soulignement du juge Blair omis.]

[38] Les nouveautés qui font leur apparition sur l’Internet et la possibilité accrue de conserver l’anonymat permettent avec encore plus de facilité de porter atteinte à la réputation de quelqu’un en ligne :

[traduction] L’expansion rapide de l’Internet, jumelée à la vague de popularité que connaissent les services de réseautage social comme Facebook et Twitter, fait de chaque individu, y compris celui qui ne connaît rien au droit de la diffamation, un diffuseur en puissance. Une réputation peut être anéantie par un simple clic de souris, un courriel anonyme ou un tweet inopportun.

(Bryan G. Baynham, c.r., et Daniel J. Reid, « The Modern‑Day Soapbox : Defamation in the Age of the Internet », dans Defamation Law : Materials prepared for the Continuing Legal Education seminar, Defamation Law 2010 (2010), p. 3.1.1)

[39] Je ne suis toutefois pas convaincue qu’en bout de ligne le fait de soumettre de simples hyperliens à la règle traditionnellement applicable en matière de diffusion protège la réputation. Il y a diffamation si les mots en cause visent le demandeur et s’ils transmettent un sens diffamatoire : Grant, par. 28. Pour le savoir, il faut se demander, d’une part, si les mots employés ou [traduction] « les circonstances entourant la publication sont telles que des personnes raisonnables en comprendraient que c’est au demandeur que le défendeur faisait référence » (Brown, par. 6.1) et, d’autre part, si les mots « tend[ent] à diminuer une personne dans l’estime des membres bien pensants de la société » (Botiuk c. Toronto Free Press Publications Ltd., [1995] 3 R.C.S. 3, par. 62). Le sens diffamatoire des mots peut se dégager de [traduction] « toutes les circonstances de l’affaire, dont les répercussions que les termes peuvent raisonnablement avoir, le contexte dans lequel ils sont utilisés, l’auditoire à qui ils sont destinés et la façon dont ils ont été présentés » (Botiuk, par. 62, citant Brown (2e éd. 1994), p. 1‑15). (Voir Brown, par. 5.2, 5.4(1)(a) et 6.1; Knupffer c. London Express Newspaper, Ltd., [1944] A.C. 116 (H.L.); Butler c. Southam Inc., 2001 NSCA 121, 197 N.S.R. (2d) 97; Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9, [2011] 1 R.C.S. 214, par. 63 et 112.)

[40] Dans le cas où le défendeur utilise un renvoi dans son texte d’une façon qui elle‑même transmet un sens diffamatoire à propos du demandeur, celui‑ci ne pourra défendre sa réputation que s’il lui est possible d’exercer un recours contre le défendeur. Ainsi, il se peut que le défendeur voie sa responsabilité engagée pour avoir mis un hyperlien dans son texte si la façon dont il a renvoyé au contenu visé transmet un sens diffamatoire; en d’autres termes, non pas parce qu’il a créé un renvoi, mais plutôt parce que, pris dans son contexte, le renvoi se trouve à exprimer un sens diffamatoire (Collins, par. 7.06 à 7.08 et 8.20 à 8.21). On pourrait conclure qu’il en est ainsi, par exemple, dans le cas où une personne incorpore dans son texte un renvoi qui répète le contenu diffamatoire d’une source secondaire (Carter, par. 12).

[41] Empêcher que des poursuites ne soient intentées contre des personnes qui ont simplement renvoyé leurs lecteurs à d’autres sources pouvant contenir des propos diffamatoires et qui n’ont pas elles‑mêmes tenu de propos dont le sens était diffamatoire à l’égard des personnes qui se disent lésées ne prive pas ces dernières de la possibilité de défendre leur réputation. Comme je l’ai déjà dit, celui qui crée un hyperlien n’obtient aucun contrôle sur le contenu auquel il renvoie. Le meilleur moyen de faire cesser la diffusion d’un contenu diffamatoire est d’intenter une poursuite contre la personne qui en est l’auteur et en a le contrôle.

[42] Le fait de mentionner l’existence d’un contenu et/ou l’endroit où il se trouve par le biais d’un hyperlien ou de toute autre façon, sans plus, ne revient pas à le diffuser. Ce n’est que lorsque la personne qui crée l’hyperlien présente les propos auxquels ce dernier renvoie d’une façon qui, en fait, répète le contenu diffamatoire, que celui-ci doit être considéré comme ayant été « diffusé » par elle. Une telle conception favorise l’expression et respecte la nature de l’Internet tout en minimisant, voire éliminant toute atteinte à la capacité de chacun de défendre sa réputation. Bien que le simple renvoi à une autre source ne doive pas être visé par la portée étendue de la règle traditionnellement applicable en matière de diffusion, il y aurait intérêt à faire, dans l’avenir, un examen plus approfondi de la règle elle‑même et des limites du modèle auteur unique/tout acte/lecteur unique.

[43] Je suis bien consciente du fait qu’il est possible d’établir des distinctions entre les hyperliens — tels les hyperliens profonds et les hyperliens simples comme ceux qui nous occupent en l’espèce — et les liens qui affichent automatiquement un autre contenu. La réalité de l’Internet a pour conséquence que nous sommes confrontés à la fluidité inhérente et inexorable de technologies en pleine évolution. Par conséquent, j’estime qu’il serait mal avisé, dans les présents motifs, de tenter d’anticiper, et à plus forte raison de vider complètement, la question des conséquences juridiques des divers types de liens qui existent déjà ou qui feront leur apparition. Les liens intégrés ou automatiques, par exemple, peuvent fort bien porter à conséquence dans des affaires à venir, mais ces différences n’ont fait l’objet d’aucun débat dans le cadre de la présente affaire et n’ont pas été analysées devant les tribunaux inférieurs; il n’est donc pas nécessaire d’en tenir compte pour les fins qui nous occupent.

III. Application

[44] Rien dans la page Web de M. Newton n’est en soi présenté comme étant diffamatoire. La conduite reprochée à M. Newton est plutôt d’avoir incorporé des hyperliens dans sa page Web. En effet, M. Crookes fait valoir qu’en créant des liens menant à des pages et des sites Web renfermant du contenu prétendument diffamatoire, M. Newton se trouvait à diffuser ce contenu. Puisque je suis d’avis que l’utilisation d’un hyperlien ne peut, en soi, équivaloir à de la diffusion, et ce même si on le suit en vue de consulter le contenu diffamatoire auquel il mène, l’action de M. Crookes contre M. Newton ne saurait être accueillie. En outre, même si M. Crookes avait avancé que M. Newton devait être considéré, dans le contexte, comme ayant tenu des propos diffamatoires, je suis d’accord avec le juge de première instance et les juges majoritaires de la Cour d’appel que les passages de la page Web de M. Newton comprenant les hyperliens en cause ne sauraient, même dans le contexte des documents auxquels mènent ces derniers, être considérés comme exprimant une quelconque opinion — diffamatoire ou non — au sujet de M. Crookes ou du contenu visé par les hyperliens.

[45] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Version française des motifs rendus par

[46] La Juge en chef et le juge Fish — Nous avons pris connaissance des motifs des juges Deschamps et Abella. Nous souscrivons en grande partie à ceux de la juge Abella, mais proposons, avec égards, une autre formulation du critère pour décider si l’incorporation dans un texte d’un hyperlien renvoyant à des propos diffamatoires équivaut à la diffusion de ceux‑ci.

[47] Sur le plan juridique, la question est de savoir dans quelles circonstances l’incorporation d’un hyperlien dans un texte équivaut à la diffusion des propos diffamatoires auxquels il renvoie. Selon la juge Abella, « un hyperlien, en lui‑même, ne devrait jamais être assimilé à la “diffusion” du contenu auquel il renvoie » (par. 14). Pour justifier le bien‑fondé de sa conclusion, elle fait remarquer que la personne qui crée l’hyperlien n’exerce aucun contrôle sur le contenu auquel il renvoie; elle n’est pas la créatrice du contenu, et la page à laquelle l’hyperlien renvoie peut être modifiée à tout moment (par. 26‑27). L’hyperlien est donc un renvoi, qui, par définition, est « neutre sur le plan du contenu » (par. 30).

[48] La juge Abella arrive à la conclusion que « [c]e n’est que lorsque la personne qui crée l’hyperlien présente les propos auxquels ce dernier renvoie d’une façon qui, en fait, répète le contenu diffamatoire, que celui‑ci doit être considéré comme ayant été “diffusé” par elle » (par. 42). À notre avis, la combinaison du texte et de l’hyperlien peut, dans certaines circonstances, équivaloir à la diffusion des propos diffamatoires auxquels ce dernier renvoie. Il faut conclure à la diffusion de propos diffamatoires par le biais d’un hyperlien s’il ressort du texte que l’auteur adopte les propos auxquels l’hyperlien renvoie, ou y adhère. Si le texte indique qu’il souscrit au contenu auquel renvoie l’hyperlien, l’auteur sera alors responsable du contenu diffamatoire. Il faut démontrer que le défendeur adopte les mots ou les propos diffamatoires, ou y adhère; le simple renvoi général à un site Web ne suffit pas. Ainsi, le défendeur qui renvoie à un site Web anodin en en approuvant le contenu ne verra pas sa responsabilité engagée si ce dernier est ultérieurement modifié par l’ajout de propos diffamatoires.

[49] Conclure à la diffusion dans les cas où l’auteur adopte les propos diffamatoires contenus dans un site Web ou y adhère est conforme aux règles générales du droit en matière de diffamation. Pour reprendre les propos de la Cour dans Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 176 :

L’auteur d’un libelle, celui qui le répète, et celui qui approuve l’écrit, se rendent tous trois coupables de libelle diffamatoire. La personne qui prononce pour la première fois la déclaration diffamatoire et celle qui exprime son accord sont toutes deux responsables du préjudice.

[50] Bref, selon nous, l’hyperlien équivaut à de la diffusion s’il ressort du texte qui le contient, interprété en fonction de son contexte, que l’auteur adopte le contenu auquel il renvoie, ou y adhère.

[51] Certes, la règle traditionnelle en matière de diffusion n’exige pas que la personne qui diffuse le contenu approuve celui‑ci; il suffit qu’elle le communique à un tiers. Or, la norme de l’adoption des propos ou l’adhésion à ceux‑ci que nous proposons d’appliquer aux renvois diffère de cette règle sur le plan conceptuel. En effet, le simple renvoi à des propos sans pour autant les adopter ou y adhérer n’est rien de plus qu’un renvoi neutre sur le plan du contenu. On peut considérer que l’adoption du contenu auquel mène un lien figurant dans un texte, ou l’adhésion à ce contenu, incorpore effectivement le contenu diffamatoire dans le texte. Il en résulte donc que le texte englobe le contenu diffamatoire auquel renvoie l’hyperlien. Ainsi, l’hyperlien, conjugué aux mots et au contexte qui l’encadrent, cesse d’être un simple renvoi, et le contenu auquel il renvoie devient partie intégrante du texte qui l’incorpore.

[52] Nous tenons à ajouter un dernier commentaire, axé sur l’évolution technologique à venir. Comme le dit la juge Abella, « un hyperlien, en lui‑même, ne devrait jamais être assimilé à la “diffusion” du contenu auquel il renvoie » (par. 14). Cette assertion n’a rien de faux dans la mesure où il est nécessaire de cliquer sur un hyperlien pour prendre connaissance du contenu auquel il renvoie. Mais qu’adviendrait‑il si le contenu auquel il mène s’affichait automatiquement sur la page, ou encore dans un cadre distinct, sans intervention ou presque de la part du lecteur? L’incorporation d’un tel hyperlien dans un texte équivaudrait‑elle, à elle seule, à de la diffusion? Cette question, tout comme celle des hyperliens intégrés, ne nous a pas été soumise, et il ne faut pas la considérer comme ayant été tranchée dans le cadre du présent pourvoi. À l’instar de la juge Abella (au par. 43), nous sommes d’avis qu’il convient de reporter l’étude des questions que soulèvent ces types d’hyperliens et de ne les trancher que lorsqu’elles se poseront, le cas échéant.

[53] Nous sommes d’accord avec la juge Abella qu’il convient de rejeter le pourvoi avec dépens.

Version française des motifs rendus par

[54] La juge Deschamps — Le présent pourvoi offre à la Cour une autre occasion de se pencher sur la question du juste équilibre entre la protection de la réputation et la promotion de la liberté d’expression dans la common law de la diffamation. Dans WIC Radio Ltd. c. Simpson, 2008 CSC 40, [2008] 2 R.C.S. 420, et Grant c. Torstar Corp., 2009 CSC 61, [2009] 3 R.C.S. 640, la Cour a pris des mesures progressives en vue de mieux atteindre cet équilibre en reconnaissant et modernisant les moyens de défense opposables à une action en diffamation. En l’espèce, la Cour doit décider si, malgré ces moyens de défense, l’étendue des comportements susceptibles d’engager la responsabilité pour diffamation à première vue est elle‑même trop large et s’il convient de la modifier afin de favoriser davantage la liberté d’expression.

[55] Pour établir la responsabilité pour diffamation, il est nécessaire de prouver qu’il y a eu diffusion. Le concept de « diffusion » a un sens bien établi en droit de la diffamation. Il s’agit de la communication d’information diffamatoire d’une manière telle qu’[traduction] « un tiers en prend connaissance » : Gaskin c. Retail Credit Co., [1965] R.C.S. 297, p. 299. Selon le professeur Brown, [traduction] « [i]l s’agit d’un acte bilatéral par lequel le diffuseur rend disponible à un lecteur, un auditeur ou un observateur l’information diffamatoire de manière compréhensible » (R. E. Brown, Brown on Defamation (2e éd. (feuilles mobiles)), par. 7.2). La diffusion comporte donc deux volets : (1) un acte qui rend disponible l’information diffamatoire à un tiers, dans un format compréhensible, et (2) la réception de l’information par le tiers, de telle sorte qu’il en comprend le sens.

[56] La question est de savoir s’il convient de réformer le premier volet de la diffusion compte tenu de l’incidence des nouveaux médias de communication. Pour répondre à cette question, il faut naturellement avoir à l’esprit l’outil technologique en cause dans la présente affaire, à savoir l’hyperlien, dans le contexte d’Internet. Cela dit, la réponse doit cependant être adaptable à d’autres formes de communication ainsi qu’aux changements technologiques à venir.

[57] J’ai lu les motifs de ma collègue la juge Abella. À son avis, il convient de modifier le concept de la diffusion en common law de manière à en exclure les renvois, dont les hyperliens. Il n’est plus suffisant que le renvoi, comme tout autre acte, rende simplement disponible l’information diffamatoire dans un format compréhensible : « Ce n’est que lorsque la personne qui crée l’hyperlien présente les propos auxquels ce dernier renvoie d’une façon qui, en fait, répète le contenu diffamatoire, que celui‑ci doit être considéré comme ayant été “diffusé” par elle » (par. 42). Avec égards, je ne partage pas cette approche. J’ai également lu les motifs de la Juge en chef et du juge Fish. Ils disent souscrire à l’approche adoptée par la juge Abella, mais ils acceptent qu’il existe des circonstances dans lesquelles l’information à laquelle renvoie l’hyperlien peut mener à la conclusion qu’il y a eu diffusion. Ce faisant, ils écartent la règle stricte que propose la juge Abella. Pour ma part, je préférerais, afin de poser des balises, tracer les contours d’une règle à la fois compatible avec la common law et le droit civil en matière de diffamation et assez souple pour s’appliquer aux développements du droit d’Internet à venir.

[58] La création au Canada d’une exception s’appliquant expressément aux renvois et qui a pour effet de soustraire les hyperliens à la règle en matière de diffusion constitue, selon moi, une solution inadéquate aux nouveaux problèmes soulevés par Internet. D’une part, cette exclusion générale exagère la différence qui existe entre les renvois et les autres formes de diffusion. D’autre part, elle traite tous les renvois de la même façon, qu’il s’agisse des notes de bas de page ou des hyperliens. Ce faisant, elle omet de reconnaître que les renvois varient considérablement dans la manière dont ils rendent l’information diffamatoire disponible à des tiers, et, par conséquent, dans le tort qu’ils peuvent causer à la réputation des gens.

[59] Une approche plus nuancée à la réforme de la règle en matière de diffusion, qui, au surplus, s’applique efficacement aux nouveaux médias, est de reconnaître qu’en droit canadien le renvoi à des propos diffamatoires peut répondre aux exigences du premier volet de la diffusion s’il rend l’information diffamatoire immédiatement disponible à un tiers, dans un format compréhensible. De plus, la Cour devrait préciser que ce ne sont pas tous les actes de l’intéressé qui sont susceptibles d’engager sa responsabilité pour diffamation, mais seulement ses actes délibérés.

[60] La liberté d’expression doit être conciliée avec le droit « tout aussi important » à la réputation : Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 121. Contrairement à l’approche adoptée par ma collègue la juge Abella, l’approche que je préconise accorde à la liberté d’expression toute l’importance qu’elle mérite, tout en reconnaissant que même de simples renvois à de l’information diffamatoire peuvent considérablement porter atteinte à la réputation d’une personne. Elle permet à ceux dont la réputation a été ternie de demander des comptes aux personnes qui, par des actes délibérés, rendent des propos diffamatoires immédiatement disponibles à des tiers.

[61] Dans les cas où le renvoi qu’elle fait mène à de l’information diffamatoire à son insu, la personne intéressée peut invoquer le moyen de défense fondé sur la diffusion de bonne foi : Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427 (« SOCAN »), par. 89. De plus, comme il ressort de WIC et Grant, des moyens de défense, tels la défense du commentaire loyal et celle de la communication responsable concernant des questions d’intérêt public, peuvent également être invoqués. Avec égards, j’estime que l’approche de ma collègue comporte une lacune en ce sens qu’elle ne tient pas compte de l’ensemble des règles du droit de la diffamation; elle se concentre plutôt strictement sur un seul aspect des règles applicables en matière de diffusion. Le résultat est problématique car il est à sens unique, les personnes dont la réputation a été ternie ne disposant d’aucun recours contre celles qui perpétuent l’information diffamatoire.

[62] Un renvoi, abstraction faite du contexte dans lequel il est fait, n’a jamais, du point de vue juridique, constitué une diffusion de l’information à laquelle il fait référence. Si c’était le cas, cela reviendrait à nier la nature bilatérale de la diffusion. La diffusion n’est complète qu’à partir du moment où quelqu’un d’autre que la personne visée a reçu et compris l’information diffamatoire. Par conséquent, [traduction] « clamer des propos diffamatoires dans le désert, où personne ne peut les entendre, n’est pas une diffusion » (Gambrill c. Schooley, 93 Md. 48 (1901), p. 60). Dans le contexte de l’Internet, le simple renvoi à de l’information diffamatoire, en l’absence de preuve que quelqu’un en a bel et bien pris connaissance et l’a comprise, ne constitue pas une diffusion de celle‑ci.

[63] En l’espèce, l’intimé, Jon Newton, reconnaît avoir renvoyé par le biais d’un hyperlien à de l’information que les appelants, Wayne Crookes et West Coast Title Search Ltd., qualifient de diffamatoire. Dans les circonstances, M. Newton était plus qu’un simple intermédiaire en rendant cette information disponible. Il agissait de manière délibérée. Dans la mesure où un seul lien rendait l’information prétendument diffamatoire immédiatement disponible, les exigences du premier volet de la diffusion sont satisfaites pour ce qui est de ce lien. Toutefois, on ne peut conclure qu’il y a eu diffusion tant que le plaignant n’a pas présenté des éléments de preuve qui satisfont, selon la prépondérance des probabilités, les exigences du deuxième volet de la diffusion, à savoir qu’un tiers a reçu l’information en cause et en a compris le sens. Je partage l’opinion des juges majoritaires de la Cour d’appel que la preuve produite à l’égard du deuxième volet de la diffusion est insuffisante. Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens, et je note au passage que M. Newton aurait aussi possiblement pu invoquer les moyens de défense opposables à une action en diffamation.

I. Le contexte

[64] Les hyperliens incorporés dans des pages Web appartiennent à l’une ou l’autre de deux grandes catégories. La première catégorie regroupe les liens ordinaires, qui sont les plus répandus. Il s’agit de liens activés par l’utilisateur : en cliquant sur un tel lien dans une page Web, l’utilisateur accède à une autre page. La deuxième catégorie regroupe les liens qui, de façon générale, sont automatiques, mais qui peuvent aussi être des liens activés par l’utilisateur. Ces liens sont le fruit d’un processus qu’on appelle le « cadrage ». Contrairement aux liens ordinaires, les liens qui résultent du cadrage font en sorte que l’internaute n’a pas à quitter la page Web originale : en activant un tel lien, il voit apparaître sur la page qu’il est en train de consulter un « cadre » dans lequel se trouve de l’information provenant d’une autre page Web. Dans les cas où le cadrage se fait de façon automatique, le contenu d’autres pages apparaît simultanément dans un cadre au moment où l’internaute accède à la page principale. De plus, l’hyperlien peut être soit un lien « superficiel » (aussi appelé lien « simple ») menant à la page d’accueil d’un site Web, soit un lien « profond », qui mène à une autre page du site ou d’un autre site. La Cour a déjà fait référence à ces deux catégories d’hyperliens ainsi qu’à la distinction à faire entre liens superficiels et liens profonds (SOCAN; Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801, par. 4; et, voir de façon générale, M. Collins, The Law of Defamation and the Internet (3e éd. 2010), par. 2.43). Outre les pages Web, diverses autres formes de communication par Internet, notamment les courriels et les forums en ligne, peuvent contenir des hyperliens. Dans le présent pourvoi, les mots « hyperlien » et « lien » s’entendent d’hyperliens activés par l’utilisateur, sauf indication contraire.

[65] Le 18 juillet 2006, M. Newton a affiché sur son site Web un article qu’il avait rédigé et qui s’intitulait « Free Speech in Canada » (« La liberté d’expression au Canada »). L’article comprenait le passage suivant :

[traduction] Pour ce qui est des récents développements, qui découlent de la poursuite, je viens de rencontrer Michael Pilling, qui dirige OpenPolitics.ca. Établi à Toronto, il fait lui aussi l’objet d’une action en diffamation. Cette fois, c’est le politicien Wayne Crookes qui a intenté la poursuite.

Nous avons décidé de mettre en commun certaines de nos ressources pour attirer davantage l’attention sur l’état lamentable des règles vétustes et décrépites qui s’appliquent en matière de diffamation au Canada; demain, un article de Mike décrivant ses problèmes paraîtra sur p2pnet. Lui et moi publierons aussi très bientôt un communiqué de presse conjoint. [d.a., p. 125]

[66] Les mots soulignés dans ce passage sont des hyperliens que M. Newton reconnaît avoir créés. Il ressort de la preuve que « OpenPolitics.ca » était un lien superficiel menant au site Web même où, selon M. Crookes, figuraient plusieurs articles interreliés qui, toujours à ses dires, portaient atteinte à sa réputation. Il ressort également de la preuve que « Wayne Crookes » était un lien profond menant à un article qui se trouvait dans un autre site Web, www.USGovernetics.com, et qui, selon M. Crookes, portait aussi atteinte à sa réputation. Ces hyperliens comptaient parmi sept liens que M. Newton avait incorporés dans son article; certains hyperliens les précédaient, d’autres les suivaient. N’importe qui pouvait, sans aucune restriction, consulter en ligne l’ensemble des hyperliens et le contenu auquel ils menaient.

[67] Le 18 août 2006, M. Crookes a écrit à M. Newton pour lui demander de retirer de son article les hyperliens « OpenPolitics.ca » et « Wayne Crookes ». Il n’a reçu aucune réponse. Le 31 octobre 2006, l’avocat de M. Crookes a, à son tour, écrit à M. Newton pour lui demander la même chose. Le 9 novembre 2006, M. Newton a déclaré qu’il refuserait de le faire. Interrogé plus tard à ce sujet, M. Newton a ainsi expliqué pourquoi il avait refusé de retirer les hyperliens : [traduction] « Je ne voyais pas pourquoi je devais le faire. Il s’agissait tout simplement d’un hyperlien » (d.a., p. 186).

[68] En date du 1er février 2008, l’article « Free Speech in Canada » avait été consulté 1 788 fois. Le dossier ne dit pas combien de personnes, s’il en est, ont lu les propos prétendument diffamatoires, et, le cas échéant, si elles en ont pris connaissance par le biais des deux hyperliens ou encore d’une autre façon. Par ailleurs, il n’y a aucun élément de preuve au sujet du comportement des internautes relativement aux hyperliens et du ressort où résident les personnes qui ont pu prendre connaissance des propos auxquels ils menaient.

[69] M. Crookes et son entreprise, West Coast Title Search Ltd., ont intenté une action en diffamation contre M. Newton en Colombie‑Britannique. Les parties ont présenté des demandes de procès et de jugement sommaire en vertu de l’art. 18A des règles de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique (Supreme Court Rules, B.C. Reg. 221/90). Le juge Kelleher a accueilli la demande de M. Newton et rejeté l’action après avoir conclu qu’il n’y avait pas eu diffusion (2008 BCSC 1424, 88 B.C.L.R. (4th) 395).

[70] Le juge Kelleher a rejeté l’allégation de M. Crookes qu’il fallait présumer du fait que M. Newton avait créé les hyperliens que ce dernier avait publié les propos prétendument diffamatoires. Selon lui, les plaignants ne pouvaient avoir gain de cause car ils avaient omis de présenter de la preuve établissant que des personnes avaient effectivement suivi les hyperliens et lu les propos prétendument diffamatoires (par. 20 et 24). Il a également jugé que les circonstances de l’espèce ne permettaient pas de conclure qu’il y avait eu diffusion, faisant une analogie entre l’hyperlien et la note de bas de page ou le renvoi à un site Web dans un document sur support papier (par. 29). Même si les hyperliens permettaient [traduction] « de prendre immédiatement connaissance de propos diffusés par le biais d’un autre site Web » (par. 30), il ne fallait pas en conclure que M. Newton avait diffusé ce que trouveraient les lecteurs qui décidaient de suivre le lien. Le juge Kelleher a donné son aval à la thèse adoptée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Carter c. B.C. Federation of Foster Parents Assn., 2005 BCCA 398, 42 B.C.L.R. (4th) 1, selon laquelle [traduction] « il ne faut pas conclure que le renvoi à un article contenant des propos diffamatoires, sans toutefois reprendre les propos eux‑mêmes, constitue une rediffusion de ceux‑ci » (par. 33). Il a toutefois ajouté, à titre de mise en garde, que cela ne voulait pas dire que la responsabilité pour diffamation ne pouvait jamais être engagée en raison d’un hyperlien. Si M. Newton avait écrit « c’est ici que se trouve la vérité au sujet de Wayne Crookes » et que, dans son texte, le mot « ici » était un hyperlien menant à de l’information diffamatoire, le juge Kelleher aurait peut‑être tiré une autre conclusion (par. 34).

[71] La Cour d’appel, à la majorité, a rejeté l’appel (2009 BCCA 392, 96 B.C.L.R. (4th) 315). Les juges ont rejeté à l’unanimité l’argument de M. Crookes qu’il faut présumer de la création d’un hyperlien que l’auteur de celui‑ci a diffusé l’information à laquelle il mène. À cet égard, la juge Prowse, qui s’est exprimée au nom de la Cour d’appel sur cette question, a souligné que le législateur avait créé une présomption de diffusion qui s’appliquait à la radiodiffusion, à la télédiffusion et aux journaux, mais pas à l’Internet (par. 32‑33). Elle n’était pas disposée à créer une telle présomption sur la base du dossier dont elle était saisie, se disant d’avis que le législateur était mieux placé pour traiter de cette question (par. 41).

[72] La juge Saunders (le juge Bauman souscrivant à ses motifs) a rédigé les motifs de la majorité sur la question de savoir s’il était possible d’inférer des circonstances qu’il y avait eu diffusion. Selon elle, il n’était pas possible de le faire. Reconnaissant la nature bilatérale de la diffusion, elle a conclu que les hyperliens ne satisfaisaient pas aux exigences du premier volet de la définition de celle‑ci. Elle a suivi la même jurisprudence que le juge Kelleher voulant que le simple renvoi à de l’information diffamatoire, sans toutefois en reprendre le contenu, ne constituait pas de la diffusion (par. 81, citant Carter; MacFadden c. Anthony, 117 N.Y.S.2d 520 (Sup. Ct. 1952); Klein c. Biben, 296 N.Y. 638 (1946)). Toutefois, selon elle, il pouvait ressortir des circonstances de l’espèce qu’un hyperlien donné constituait une invitation ou une incitation à consulter le site auquel il menait, ou encore que les propos se trouvant dans ce site avaient été adoptés (par. 84). Selon les juges majoritaires, ce n’était pas le cas en l’espèce, car la façon dont M. Newton avait présenté les hyperliens à ses éventuels lecteurs [traduction] « s’apparentait davantage à une note de bas de page ou une fiche de bibliothèque » (par. 89). En ce qui concerne le deuxième volet de la diffusion, la juge Saunders s’est dite d’avis que le nombre de visites de l’article de M. Newton, à savoir 1 788, ne permettait pas à lui seul d’inférer qu’au moins une personne autre que M. Crookes avait cliqué sur les hyperliens et lu l’information prétendument diffamatoire (par. 92).

[73] La juge Prowse, dissidente, a souscrit à l’opinion des juges majoritaires sur le premier volet de la diffusion, mais elle a conclu qu’il était possible d’inférer des circonstances que M. Newton avait incité activement ses lecteurs à suivre les hyperliens. En d’autres mots, les hyperliens étaient présentés de manière telle qu’ils jouaient un rôle plus important que celui de simples notes de bas de page. De plus, en ce qui concerne le deuxième volet de la diffusion, la juge Prowse était prête à inférer qu’au moins une personne en Colombie‑Britannique avait cliqué sur les hyperliens et lu l’information visée. Par conséquent, elle a conclu qu’il y avait eu diffusion de l’information et était d’avis d’accueillir l’appel.

II. Les arguments des parties

[74] Selon M. Crookes, il faut présumer qu’il y a eu diffusion dans les cas où il est raisonnablement possible d’inférer des faits que l’information prétendument diffamatoire a été portée à la connaissance d’un tiers. Appliquant cette thèse aux hyperliens, il prétend que, compte tenu de [traduction] « l’accès voulu, immédiat, et facile [à l’information] » que procurent de tels liens, il faut comprendre que l’information à laquelle ils mènent a été incorporée dans la page Web principale où ils se trouvent. Ainsi, « [i]l est raisonnablement possible d’inférer que l’insertion d’un hyperlien dans l’article principal permet à un tiers [qui consulte cet article] de prendre connaissance des propos auxquels mène l’hyperlien » (m.a., par. 61‑62).

[75] S’appuyant sur ces arguments, M. Crookes soutient également que les circonstances de l’espèce permettent d’inférer qu’il y a eu diffusion. Il conteste l’analyse des juges majoritaires de la Cour d’appel, qui ont conclu que l’hyperlien de M. Newton s’apparentait à une note de bas de page, faisant valoir qu’[traduction] « [e]n l’espèce, l’obstacle à l’accès aux propos diffamatoires est atténué. Il suffit d’appuyer sur une touche » (m.a., par. 75). Il adopte l’approche de la juge Prowse, étayant sa conclusion que le contexte dans lequel les hyperliens de M. Newton figuraient, ainsi que les 1 788 visites de l’article de ce dernier, étaient suffisants pour que l’on puisse inférer qu’au moins une des personnes ayant lu l’article avait cliqué sur les hyperliens et lu l’information prétendument diffamatoire.

[76] M. Newton, lui, rejette l’idée qu’il faut présumer ou inférer qu’il y a diffusion dans le cas des hyperliens. En outre, il souscrit aux conclusions du juge Kelleher et des juges majoritaires de la Cour d’appel selon laquelle la preuve qu’il y a eu 1 788 visites de son article ne permet pas de conclure que les personnes qui ont lu l’article ont forcément suivi l’hyperlien et lu l’information prétendument diffamatoire (m.i., par. 35).

[77] Plus fondamentalement, M. Newton prétend que le simple fait de créer un hyperlien ne constitue pas de la diffusion : l’hyperlien activé par l’utilisateur [traduction] « ne comporte aucune transmission, reproduction ou communication de la prétendue diffamation, aucun contrôle sur son contenu, et aucun contrôle sur la décision d’un lecteur de suivre ou non l’hyperlien » (m.i., par. 58). Il conteste l’idée que le fait que l’hyperlien rende le contenu auquel il renvoie plus facilement accessible est suffisant pour conclure qu’il y a eu diffusion étant donné que celle‑ci « n’a lieu que lorsque le message est affiché et lu » (par. 57). Il soutient également que comme tout hyperlien activé par l’utilisateur doit être considéré, dans une certaine mesure, comme une « invitation » à cliquer sur le lien, il serait erroné de conclure qu’il y a eu diffusion sur la base d’une telle invitation. Encore une fois, il se base sur le principe que la diffusion n’est complète que lorsque l’information prétendument diffamatoire est lue. Enfin, la création délibérée d’un hyperlien ne peut en soi établir qu’il y a diffusion, car il faut se demander « si le test bilatéral affichage/lecture en matière de diffusion est satisfait, la simple incorporation d’un hyperlien dans un texte ne suffisant pas à elle seule à satisfaire l’un ou l’autre des volets de ce test » (par. 85).

III. Les arguments des intervenants

[78] Les approches respectives des intervenants divergent sur la question de savoir si et quand il est possible de conclure que la création d’un hyperlien équivaut à diffuser l’information à laquelle il renvoie. L’approche de ma collègue la juge Abella est celle qui s’apparente le plus à l’argument de l’Association canadienne des libertés civiles, qui soutient que la diffusion [traduction] « ne doit viser que les cas où la personne communique effectivement les propos prétendument diffamatoires » (mémoire, par. 52). Le résultat auquel parvient ma collègue est également conforme à l’argument de la coalition d’un groupe d’intervenants qui comprend des organisations du monde de la presse écrite, de la radiodiffusion, de la télédiffusion et de l’Internet. Selon ces organisations, on ne devrait jamais considérer les hyperliens comme une forme de diffusion, sinon on risquerait de mettre en péril la capacité de leurs membres à se faire concurrence et s’acquitter de leurs mandats à l’ère de l’Internet (mémoire de la coalition des médias, par. 42‑43).

[79] Certains autres intervenants, à savoir l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique (« ALCCB »), la Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko (« CIPPIC ») et la NetCoalition, acceptent qu’il peut arriver, dans des circonstances appropriées, que la création d’hyperliens constitue de la diffusion d’information, mais ils souhaitent que cela se limite aux cas où il existe des éléments de connaissance, d’approbation ou d’adhésion explicite à l’information transmise par le créateur de l’hyperlien ou au fait qu’il l’adopte ou y adhère explicitement (p. ex., mémoire de l’ALCCB, par. 22 et 24; mémoire de la CIPPIC, par. 2; mémoire de la NetCoalition, par. 4). La CIPPIC pousse son argument encore plus loin, faisant valoir que le plaignant doit soumettre [traduction] « une preuve convaincante » pour prouver qu’il y a eu diffusion (mémoire, par. 4). Enfin, la NetCoalition avance que si le créateur d’un hyperlien n’a pas explicitement adhéré à l’information diffamatoire, ou s’il n’existe aucun lien entre l’hyperlien et une telle adhésion, il devrait pouvoir invoquer un moyen de défense fondé sur la diffusion de bonne foi (mémoire, par. 34).

IV. L’analyse

[80] Lorsque le plaignant tente d’établir qu’à première vue la responsabilité pour diffamation est engagée, les tribunaux doivent non seulement se demander s’ils peuvent raisonnablement conclure que l’information visée est diffamatoire et qu’elle renvoie effectivement au plaignant, mais ils doivent également se pencher sur la question de la diffusion de l’information à un tiers, en ayant à l’esprit la nature bilatérale de la diffusion. Pour qu’il y ait diffusion, les mots diffamatoires doivent être « communiqués » (Grant, par. 28). La « communication » signifie que le message est, d’une part, envoyé dans un format compréhensible, et, d’autre part, reçu et compris. La diffusion n’a pas lieu tant que [traduction] « les propos diffamatoires ne sont pas portés à la connaissance d’une personne autre que le plaignant par le défendeur ou son mandataire et compris par cette personne » (McNichol c. Grandy, [1931] R.C.S. 696, p. 704, le juge Duff (plus tard Juge en chef); Brown, par. 7.2 et 7.8; Gatley on Libel and Slander (11e éd. 2008), p. 164).

[81] Pour savoir si un acte peut servir de fondement à une conclusion qu’il y a eu diffusion, il faut d’abord prendre en considération la nature de l’acte lui‑même.

[82] Les actes qui peuvent servir de fondement à la conclusion qu’il y a eu diffusion et qui peuvent, en bout de ligne, engager la responsabilité pour diffamation n’ont jamais été limités aux actes de l’auteur ou du créateur de l’information diffamatoire. Au contraire, [traduction] « [l]a responsabilité conjointe de tous ceux qui ont participé à la diffusion est engagée, à savoir tous ceux qui ont participé à la diffusion des propos diffamatoires, y compris ceux qui ont simplement fait en sorte que ceux‑ci soient diffusés » (Brown, par. 7.4 (notes en bas de page omises); Gatley on Libel and Slander, p. 169; Lambert c. Thomson, [1937] O.R. 341 (C.A.), p. 344 : [traduction] « . . . dans les cas où le libelle est publié dans un journal ou un livre, la responsabilité de tous ceux qui participent à sa publication ou qui font en sorte qu’il soit publié est, à première vue, engagée »). Comme la Cour l’a souligné dans Botiuk c. Toronto Free Press Publications Ltd., [1995] 3 R.C.S. 3, par. 75, « le fait pour des personnes de projeter de participer à des actes délictueux ou de s’entendre pour le faire, même s’ils ne se rendent pas compte qu’ils commettent un délit », est suffisant pour conclure à la responsabilité du défendeur pour diffamation à titre de coauteur d’un délit.

[83] Depuis longtemps, on considère que le mode particulier par lequel on rend l’information diffamatoire disponible n’a aucune importance : [traduction] « La façon dont l’information diffamatoire peut être diffusée ne connaît aucune limite » (Brown, par. 7.3). Dans Day c. Bream (1837), 2 M. & Rob. 54, 174 E.R. 212, par exemple, le défendeur, qui n’avait fait que livrer des colis, était, à première vue, responsable de les avoir diffusés; en outre, dans une décision à laquelle ma collègue la juge Abella a renvoyé, R. c. Clerk (1728), 1 Barn. K.B. 304, 94 E.R. 207, il a été jugé que la responsabilité de l’employé d’un imprimeur, dont le seul rôle dans l’acte de diffusion consistait à [traduction] « appuyer sur » la presse, était engagée. Toutefois, le droit a changé au cours des siècles qui se sont écoulés depuis Day c. Bream et R. c. Clerk.

[84] Les cours se sont mises à imposer progressivement des limites à la nature et aux types d’actes susceptibles d’engager la responsabilité pour diffamation en common law. Pour comprendre cette évolution, il est utile de faire un bref survol des développements aux États‑Unis et dans d’autres ressorts de common law, tels l’Angleterre et l’Australie. Je souligne que l’étude des décisions américaines doit se faire au regard de l’incidence que le Premier amendement a eue sur la protection de la liberté d’expression aux États‑Unis et des limites importantes que la loi a imposées en matière de responsabilité (voir les observations dans ce sens : Godfrey c. Demon Internet Ltd., [1999] 4 All E.R. 342 (B.R.), p. 343-344; Dow Jones & Co. c. Gutnick, [2002] HCA 56, 210 C.L.R. 575, par. 52).

[85] On commence à s’accorder, autant parmi les tribunaux que chez les auteurs, pour dire que seuls les actes délibérés peuvent satisfaire au premier volet de la nature bilatérale de la diffusion. Selon le professeur Brown, [traduction] « la personne doit sciemment participer au processus de diffusion des propos visés » (par. 7.4 (je souligne)). Dans Stanley c. Shaw, 2006 BCCA 467, 231 B.C.A.C. 186, l’argument que les défendeurs [traduction] « n’ont rien dit et n’ont rien fait » (par. 7) a été jugé insuffisant pour conclure qu’il y avait eu diffusion, parce qu’aucun acte délictuel n’avait été allégué relativement à leur silence (voir également Smith c. Matsqui (Dist.) (1986), 4 B.C.L.R. (2d) 342 (C.S.), p. 355; Wilson c. Meyer, 126 P.3d 276 (Colo. Ct. App. 2005), p. 281 ([traduction] « [le] plaignant ne peut pas établir qu’il y a eu [diffusion] en démontrant que le défendeur a tacitement fait siens des propos diffamatoires »); Pond c. General Electric Co., 256 F.2d 824 (9th Cir. 1958), p. 827 ([traduction] « [l]e silence ne constitue pas un libelle »); Brown, par. 7.3). Dans Scott c. Hull, 259 N.E.2d 160 (Ohio Ct. App. 1970), p. 162, un tribunal américain a affirmé que la [traduction] « responsabilité pour dommages causés par la diffusion d’un libelle doit être fondée sur l’accomplissement d’un acte, sur quelque chose qui a été fait par la personne que l’on cherche à accuser ». Je souscris à cette opinion.

[86] Une personne peut agir de façon délibérée dans diverses circonstances. Dans Byrne c. Deane, [1937] 1 K.B. 818 (C.A.), il a été conclu que les défendeurs, propriétaires d’un club de golf, avaient diffusé les propos en cause sur une feuille affichée dans des locaux sur lesquels ils exerçaient le plein contrôle. Les défendeurs ont admis avoir vu le document, mais ils ont nié l’avoir écrit ou affiché. Bien qu’il ait été statué, en bout de ligne, que les propos en cause n’étaient pas diffamatoires, le lord juge Greene, souscrivant à l’opinion de ses collègues sur la question de la diffusion, a conclu que dans certaines circonstances une personne qui omet de retirer ou d’éliminer des propos diffamatoires peut, en fait, se trouver à les diffuser (p. 838) :

[traduction] Il me semble que le critère est le suivant : compte tenu de l’ensemble des faits de l’espèce, l’inférence qu’il convient de tirer est‑elle qu’en omettant de retirer les propos diffamatoires le défendeur se rendait vraiment responsable du fait que ces derniers demeuraient là où ils avaient été affichés?

(Voir également Hellar c. Bianco, 244 P.2d 757 (Cal. Dist. Ct. App. 1952); Tacket c. General Motors Corp., 836 F.2d 1042 (7th Cir. 1987); Urbanchich c. Drummoyne Municipal Council (1991), Aust. Torts Rep. ¶81‑127 (N.S.W.S.C.).)

[87] L’arrêt Byrne et les décisions rendues dans sa foulée sont compatibles avec l’exigence selon laquelle pour conclure qu’il y a eu diffusion l’acte visé doit avoir été posé délibérément. Si le défendeur a été mis au courant de l’information diffamatoire sur laquelle il exerçait suffisamment de contrôle (ou qu’il avait des raisons de la connaître), sa décision de ne rien faire peut équivaloir à un acte délibéré, à savoir l’approbation, l’adoption, la promotion, ou la ratification de l’information diffamatoire (voir, p. ex., Frawley c. State of New South Wales, [2007] NSWSC 1379 (AustLII)). L’inférence n’est pas automatique; elle dépend plutôt d’une appréciation de l’ensemble des circonstances. Dans Underhill c. Corser, [2010] EWHC 1195 (BAILII) (B.R.), le défendeur, trésorier et membre du conseil d’administration d’une organisation caritative, savait qu’un éditorial dans lequel des accusations étaient portées contre le plaignant serait publié, mais il a décidé de ne rien faire et n’a plus accordé d’attention à la question. Bien qu’il ait jugé que le défendeur aurait pu empêcher la diffusion de l’éditorial, qui, selon le plaignant, était diffamatoire, le juge Tugendhat a distingué cette affaire de l’arrêt Byrne, concluant que le rôle du défendeur, en sa qualité de membre du conseil d’administration, différait de celui qui incombait aux propriétaires dans Byrne (par. 110).

[88] Cette exigence que l’acte en cause soit posé délibérément a déjà été appliquée dans le contexte de l’Internet. Dans Godfrey, le défendeur, un fournisseur de services Internet, avait reçu puis hébergé un article dans son serveur de nouvelles. Le plaignant l’avait informé de la nature diffamatoire de l’article et lui avait demandé de le retirer, mais le défendeur a décidé de le conserver dans ses serveurs jusqu’à ce qu’il expire automatiquement 10 jours plus tard. Le tribunal a conclu que l’inaction du défendeur, une fois mis au courant de l’information diffamatoire, sur laquelle il exerçait le plein contrôle, constituait un acte de diffusion une fois qu’un abonné en avait pris connaissance. Dans les circonstances, l’inaction du défendeur équivalait à un acte délibéré, à savoir l’approbation, l’adoption, la promotion, ou la ratification de l’information diffamatoire.

[89] Dans Bunt c. Tilley, [2006] EWHC 407, [2006] 3 All E.R. 336 (B.R.), il a été conclu que les défendeurs, des fournisseurs de services Internet, n’avaient pas diffusé les propos en cause parce que même s’ils fournissaient des services ils jouaient un rôle passif dans le processus de diffusion. Ce volet de la décision Bunt est un heureux développement qu’il faudrait incorporer dans la common law canadienne. Ceux dont les services sont utilisés pour faciliter la communication d’une information diffamatoire peuvent échapper à la responsabilité pour diffusion si le rôle qu’ils ont joué dans ce processus peut être qualifié de [traduction] « rôle instrumental passif » (par. 23).

[90] L’affaire Metropolitan International Schools Ltd. c. Designtechnica Corpn., [2009] EWHC 1765, [2011] 1 W.L.R. 1743 (B.R.), fournit un exemple de la nature des activités menées par une personne qui agit comme simple intermédiaire. Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si on pouvait conclure que Google Inc. était le diffuseur des [traduction] « entrefilets » générés automatiquement par son moteur de recherche en réponse aux termes de recherche lancés par des utilisateurs. Selon le juge Eady, il n’y avait pas eu de diffusion puisqu’en facilitant l’apparition de bribes d’information sur les écrans des utilisateurs Google Inc. avait joué un rôle instrumental passif (par. 50‑51).

[91] Il devrait être évident que ce ne sont pas tous les actes rendant l’information diffamatoire disponible à un tiers dans un format compréhensible qui sont susceptibles de constituer, en bout de ligne, de la diffusion. En effet, le plaignant doit établir que l’acte en cause était délibéré. Pour ce faire, il doit démontrer qu’en rendant l’information disponible le défendeur jouait un rôle qui dépassait celui du simple intermédiaire qui joue un rôle instrumental passif.

[92] La question qui reste à trancher est de savoir si, même compte tenu des limites qui commencent à se dessiner en common law, davantage de raffinements sont nécessaires. Je suis certes d’accord qu’il est possible d’apporter des améliorations, mais je ne partage pas l’opinion de ma collègue la juge Abella que la solution consiste à exclure les renvois, y compris les hyperliens, de la portée de la règle en matière de diffusion. Selon moi, la démarche appropriée consiste à (1) reconnaître expressément que la règle en matière de diffusion en common law canadienne exige que l’acte visé ait été posé de manière délibérée, et (2) élaborer davantage la règle, de manière progressive, afin de préciser la façon dont l’acte délibéré doit rendre l’information diffamatoire disponible pour que l’on puisse conclure qu’il y a eu diffusion.

[93] Plus particulièrement, ce n’est que dans les cas où le plaignant peut établir, selon la prépondérance des probabilités, que le défendeur a posé un acte délibéré qui a eu pour effet de rendre l’information diffamatoire immédiatement disponible à un tiers, dans un format compréhensible, que les exigences du premier volet de la diffusion seront satisfaites. Bien entendu, pour que le tribunal puisse conclure qu’il y a eu diffusion, il faudra que le plaignant établisse également, selon la prépondérance des probabilités, que les exigences du deuxième volet de la diffusion soient satisfaites, à savoir que [traduction] « les propos diffamatoires [ont été] portés à la connaissance d’une personne autre que le plaignant par le défendeur ou son mandataire et compris par cette personne » (McNichol, p. 704).

[94] Déterminer si l’information diffamatoire en cause est immédiatement disponible est une question de fait. Le tribunal qui se penche sur la question doit tenir compte de l’ensemble des circonstances ayant trait à la facilité avec laquelle un tiers pourrait en prendre connaissance. Il y a lieu de conclure que l’information diffamatoire est immédiatement disponible si, dans les circonstances, le tiers peut immédiatement en prendre connaissance. En d’autres mots, aucun obstacle important ne doit empêcher le tiers de recevoir l’information. En pratique, cela ne produira pas de changement important de la common law, car, dans la grande majorité des cas, l’acte qui rend l’information accessible ne pose aucun obstacle aux tiers qui souhaitent en prendre connaissance : ceux‑ci n’ont qu’à la lire ou à l’écouter, selon le cas. Bien entendu, s’ils ne peuvent comprendre le sens de l’information, il s’agit d’une préoccupation toute autre qui, à elle seule, ferait qu’on ne peut pas conclure à la diffusion.

[95] Mais l’exigence que l’information diffamatoire soit immédiatement disponible résulte bien en une modification progressive de la common law applicable dans les cas où l’acte reproché renvoie à de l’information diffamatoire. Elle limite les circonstances dans lesquelles les exigences du premier volet de la diffusion seront satisfaites. Dans ces cas, c’est l’ensemble des circonstances qui révélera si un tiers peut immédiatement prendre connaissance de l’information en question sans devoir franchir un quelconque obstacle important.

[96] Il devrait ressortir du présent examen que les diverses formes de renvois ne sont pas toutes équivalentes pour ce qui est de la mesure dans laquelle elles rendent l’information en cause disponible. Bien que l’énoncé de ma collègue que « [l]es hyperliens constituent essentiellement des renvois » (par. 27) soit en apparence juste, il est inexact d’assimiler les hyperliens à de simples notes de bas de page dans un livre, par exemple. La note de bas de page qui ne reprend pas textuellement le contenu de l’information à laquelle elle renvoie ne la rend pas immédiatement disponible. En effet, le lecteur doit obtenir le document auquel elle fait mention et y trouver l’information en cause. Par contraste, l’hyperlien automatique n’exige absolument aucune action du lecteur, alors que l’hyperlien profond requiert seulement l’appui sur une touche pour obtenir l’information. L’effort que cela demande est moindre que celui de tourner une page dans un livre. Certes, il est vrai que les hyperliens constituent une forme de renvoi, mais la facilité d’accès à l’information qu’ils procurent et leur omniprésence dans l’Internet ne sauraient être ignorées.

[97] La Cour a déjà reconnu la facilité avec laquelle on peut prendre connaissance d’une information par le biais d’un hyperlien. Dans Dell, il était question d’un hyperlien menant à une clause d’arbitrage au regard d’une disposition du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, visant des stipulations contractuelles — connues sous le nom de clauses externes — physiquement distinctes du contrat lui‑même. Adoptant une approche contextuelle, la Cour a conclu que la clause d’arbitrage à laquelle renvoyait l’hyperlien ne devait pas être considérée comme étant physiquement distincte du document principal (par. 97) :

. . . il est difficile d’admettre qu’une seule commande de la part de l’internaute suffise pour conclure à l’application de la disposition régissant les clauses externes. Une telle interprétation serait détachée de la réalité de l’environnement Internet, où l’on ne fait pas de distinction concrète entre le déroulement du document et l’utilisation d’un hyperlien. À l’image des documents papier, certains textes Web comportent plusieurs pages, accessibles seulement au moyen d’un hyperlien, alors que d’autres documents peuvent être déroulés sur l’écran de l’ordinateur. Il n’y a pas de raison de privilégier une configuration plutôt qu’une autre.

La clause d’arbitrage en cause dans Dell a été jugée raisonnablement accessible, car le consommateur n’avait qu’à cliquer sur un hyperlien pour consulter directement une page qui contenait les modalités de la vente, dont la clause d’arbitrage. Par conséquent, il n’y avait aucune distinction réelle entre le fait de pouvoir consulter la clause par le biais d’un hyperlien et celui d’avoir en sa possession une copie papier (par. 100) :

. . . cette clause n’est pas plus difficile d’accès pour le consommateur que si on lui avait remis une copie papier de l’ensemble du contrat comportant des conditions de vente inscrites à l’endos de la première page du document.

[98] Ce qui peut être inféré des circonstances dans Dell est que la clause d’arbitrage à laquelle menaient les hyperliens était, en fait, immédiatement disponible. En effet, un lien menant à la clause figurait sur chacune des pages Web auxquelles le consommateur accédait, et celui‑ci n’avait qu’à cliquer une seule fois avec sa souris pour la consulter (par. 100).

[99] L’examen relatif à la disponibilité étant essentiellement une question de fait, il ne serait ni prudent ni souhaitable de tenter de définir précisément à quel moment quelque chose devient « immédiatement » disponible. En effet, une telle approche pourrait nuire à l’évolution de la common law. Il est toutefois opportun, dans le contexte du présent pourvoi, de faire quelques observations précises au sujet des hyperliens. Pour décider s’il peut inférer que le contenu auquel mène un hyperlien est immédiatement disponible, le tribunal doit prendre en considération plusieurs facteurs, notamment le type d’hyperlien, s’il s’agit d’un lien activé par l’utilisateur ou d’un lien automatique, s’il s’agit d’un lien superficiel ou d’un lien profond, et si l’information à laquelle mène le lien est accessible au grand public (ou s’il s’agit plutôt d’un contenu à accès restreint). Cette liste de facteurs n’est nullement exhaustive. Tout ce qui a une incidence sur la facilité avec laquelle on peut prendre connaissance des propos auxquels renvoie l’hyperlien sera pertinent à cet égard.

[100] Cette démarche n’a pas pour effet de créer une « présomption de responsabilité à l’égard de tous ceux qui incorporent des hyperliens dans leurs textes », comme le suggère la juge Abella (par. 25). En effet, pour satisfaire aux exigences du premier volet de la diffusion, le plaignant doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la personne qui a incorporé un hyperlien dans un texte a posé un acte délibéré rendant l’information diffamatoire immédiatement disponible à un tiers, dans un format compréhensible. En outre, le plaignant doit également établir, selon la prépondérance des probabilités, que les exigences du deuxième volet de la diffusion sont satisfaites, à savoir que le tiers a reçu et compris l’information diffamatoire.

[101] Ma collègue la juge Abella affirme que « [l]e fait de renvoyer à un contenu étranger à son texte [. . .] ne comporte pas, en soi, l’exercice d’un contrôle sur ce contenu » (par. 26 (en italique dans l’original)). Mais le concept de diffusion de la common law en matière de diffamation n’a jamais comporté une exigence stricte de contrôle. Au contraire, l’examen a toujours été contextuel : le défendeur a‑t‑il agi sciemment, et quelles ont été les conséquences de ses actes? (Voir Brown, par. 7.3.) Il est certes possible d’établir une distinction formelle entre les renvois et d’autres actes de diffusion, mais une telle distinction élude les questions qui sont au cœur du droit de la diffamation. Lorsqu’une personne rend délibérément de l’information diffamatoire immédiatement disponible en créant un hyperlien, les fondements mêmes du délit de la diffamation entrent en jeu.

[102] Compte tenu de la nature fluide de l’Internet et du fait qu’il existe divers types d’hyperliens, nous devrions nous montrer très réticents à formuler une règle stricte. La Cour doit veiller à ce que le droit soit compatible avec la façon dont fonctionnent les hyperliens et la manière dont ils pourraient se transformer dans l’avenir. La simple exclusion des hyperliens de la portée de la règle en matière de diffusion permettrait difficilement au droit de la diffamation de s’adapter aux changements technologiques à venir.

[103] En exemptant de toute responsabilité les fournisseurs de services Internet qui ne jouent qu’un rôle passif dans le processus de diffusion, le législateur américain s’est fondé, dans la Communications Decency Act of 1996, 47 U.S.C. §230 (1996), sur le même critère du caractère délibéré qui existe dans la common law en matière de diffamation. La loi américaine ne laisse nullement entendre qu’il faut exonérer de responsabilité ceux qui créent délibérément des hyperliens menant à des propos diffamatoires. Les décisions auxquelles renvoie ma collègue (au par. 28 de ses motifs) traitent toutes de cas où les fournisseurs de services Internet et les personnes qui exploitaient des sites Web ont été exonérés de responsabilité relativement à des propos diffamatoires diffusés en ligne (Zeran c. America Online, Inc., 129 F.3d 327 (4th Cir. 1997); Barrett c. Rosenthal, 146 P.3d 510 (Cal. 2006); Fair Housing Council of San Fernando Valley c. Roommates.Com, LLC, 521 F.3d 1157 (9th Cir. 2008)).

[104] Dans l’arrêt anglais Islam Expo Ltd. c. The Spectator (1828) Ltd., [2010] EWHC 2011 (BAILII) (B.R.), il était question de savoir si les propos reprochés pouvaient faire allusion à la demanderesse. L’information prétendument diffamatoire en cause était un texte en ligne comprenant quatre hyperliens. En concluant que les propos reprochés pouvaient faire allusion à la demanderesse, la cour a examiné l’information à laquelle menaient les hyperliens comme si elle avait été incorporée dans le texte lui‑même. Or, je ne vois aucune différence, sur le plan conceptuel, entre le fait de prendre connaissance de l’information à laquelle l’hyperlien renvoie pour identifier la personne diffamée et celui d’en prendre connaissance pour y repérer les mots diffamatoires. Je souscris à l’affirmation du juge Tugendhat dans Islam Expo selon laquelle les principes sont les mêmes.

[105] Enfin, l’exclusion des hyperliens de la conception traditionnelle de la diffusion risque de favoriser la liberté d’expression au détriment du droit à la réputation, et ce malgré la déclaration de la Cour que les deux sont « tout aussi important[s] » (Hill, par. 121). Bien que je souscrive à l’opinion de ma collègue que le recours le plus efficace dont dispose la personne victime de diffamation en ligne est d’intenter une poursuite contre l’auteur des propos diffamatoires (par. 41), un tel recours ne sera pas toujours possible dans le contexte de l’Internet. Un hyperlien peut avoir pour effet de rendre public ce qui, à l’origine, n’était censé viser qu’un auditoire ciblé. En outre, il est facile de conserver l’anonymat en ligne, et il se peut que l’identité de l’auteur des propos diffamatoires ne soit jamais révélée. S’il n’existe aucun recours contre de « simples » créateurs d’hyperliens, il pourrait souvent arriver que les personnes victimes de diffamation en ligne soient incapables de protéger leur réputation.

[106] En résumé, une approche qui met l’accent sur la façon dont l’hyperlien rend l’information diffamatoire disponible offre une réponse plus contextuelle et nuancée à l’évolution des moyens de communication que le simple fait d’exclure les hyperliens de la portée de la règle en matière de diffusion.

[107] Bien entendu, prouver que le créateur d’un hyperlien a délibérément rendu des propos diffamatoires immédiatement disponibles ne satisfera qu’aux exigences du premier volet de la diffusion. Pour que les exigences du deuxième volet soient satisfaites, le plaignant doit prouver qu’un tiers a reçu les propos diffamatoires et en a compris le sens (McNichol, p. 704; Brown, par. 7.2 et 7.8; Gatley on Libel and Slander, p. 164).

[108] Je suis d’accord avec la Cour d’appel qu’il ne convient pas d’établir une présomption légale à cet égard. Dans certaines provinces, y compris en Colombie‑Britannique, le législateur a établi des présomptions de diffusion qui s’appliquent à des types particuliers de moyens de communication. La Libel and Slander Act, R.S.B.C. 1996, ch. 263, présume qu’il y a diffusion dans les cas où les propos visés sont [traduction] « radiodiffusés ou télédiffusés », mais non dans les cas où ils sont véhiculés par des hyperliens (art. 2). Le législateur ayant jugé bon de créer une présomption précise en matière de diffusion, la Cour devrait hésiter à en reconnaître une nouvelle.

[109] En l’absence d’une présomption de diffusion, il est possible de satisfaire aux exigences du deuxième volet de la diffusion soit en produisant une preuve directe, soit, ce qui est plus probable, en demandant au tribunal de tirer une inférence. Inférer que des propos diffamatoires ont été lus et compris n’a rien de nouveau. Dans Gaskin, la Cour, citant Gatley on Libel and Slander, a affirmé ce qui suit (p. 300) :

[traduction] Il n’est pas toujours nécessaire que le plaignant prouve directement que les propos reprochés ont bel et bien été portés à la connaissance d’un tiers quelconque. S’il établit l’existence de faits qui permettent de raisonnablement inférer que les propos ont été portés à la connaissance d’un tiers quelconque, il aura prouvé prima facie que sa cause possède un fondement.

[110] Dans le contexte d’un hyperlien, l’inférence qu’un tiers a cliqué sur le lien et lu et compris l’information à laquelle celui‑ci renvoie dépendra de divers facteurs, dont certains peuvent chevaucher ceux qu’il faut prendre en compte en se demandant si le contenu en question a été rendu « immédiatement disponible ». Ainsi, un tribunal peut, entre autres — il ne s’agit pas d’une liste exhaustive — , prendre en compte les facteurs suivants : s’il s’agissait d’un lien activé par l’utilisateur ou automatique; s’il s’agissait d’un lien profond ou superficiel; si la page contenait plus d’un hyperlien et, dans l’affirmative, l’endroit où se trouvait le lien contesté par rapport aux autres liens; le contexte dans lequel le lien était présenté aux utilisateurs; le nombre de visites de la page contenant l’hyperlien; le nombre de visites de la page où figurait l’information auquel le lien renvoyait (avant que ce dernier n’ait été affiché et après qu’il l’a été); si les sites Web en cause étaient accessibles au grand public ou s’il s’agissait plutôt de sites à accès restreint; si des changements avaient été apportés à l’information à laquelle menait le lien et, le cas échéant, le lien qui existait entre ces changements et le nombre de visites de la page dans laquelle se trouvait l’information; et enfin, la preuve relative au comportement des internautes.

[111] Dans ses motifs, la juge Abella mentionne que le simple renvoi à des propos diffamatoires n’équivaut pas à une diffusion de ceux‑ci (par. 42). Je suis d’accord dans la mesure où elle veut dire par là qu’un simple renvoi, en l’absence de preuve satisfaisant, selon la prépondérance des probabilités, les exigences des deux volets de la diffusion, n’est pas suffisant pour conclure à la responsabilité pour diffamation. Mais je ne peux souscrire à cette affirmation si elle signifie qu’un simple renvoi ne peut servir de fondement pour conclure qu’il y a diffusion dans le cas où il ne véhicule pas lui‑même des propos diffamatoires.

[112] Comme la Cour l’a conclu dans Grant, au par. 28, celui qui intente une action en diffamation doit prouver trois éléments pour avoir gain de cause : (1) que les mots en cause sont diffamatoires, (2) que ces mots visent le demandeur et (3) qu’ils ont été diffusés. Si le demandeur parvient à établir que la responsabilité du défendeur pour diffamation est, à première vue, engagée, il incombe alors à ce dernier d’invoquer les moyens de défense qui sont à sa disposition. Certains moyens de défense méritent de brefs commentaires dans le contexte des renvois par hyperlien.

[113] La Cour a déjà fait allusion à l’existence d’un moyen de défense fondé sur la « diffusion de bonne foi » : SOCAN. Dans cet arrêt, ce moyen de défense a été décrit de la façon suivante (par. 89) :

. . . [le] moyen de défense [est] fondé sur la diffusion de bonne foi dont peuvent parfois se prévaloir librairies, bibliothèques, marchands de journaux et commerçants apparentés qui, de façon générale, n’ont aucune connaissance de la diffamation alléguée, n’ont aucune raison de supposer son existence et n’ont pas fait preuve de négligence en ne la découvrant pas . . .

[114] À mon avis, les personnes qui créent des hyperliens devraient pouvoir invoquer le moyen de défense fondé sur la diffusion de bonne foi, à condition de satisfaire aux critères énoncés dans SOCAN. De bonnes raisons justifient cette conclusion. Les personnes qui créent des hyperliens n’ont pas elles‑mêmes créé ou développé l’information à laquelle ceux‑ci renvoient. En outre, même s’il arrive souvent que la création d’un hyperlien soit le fruit d’un acte délibéré et que le créateur joue plus qu’un simple rôle passif, ce dernier n’exerce souvent que peu de contrôle, voire aucun, sur l’information à laquelle l’hyperlien renvoie. Ce dernier point est important, compte tenu de la nature dynamique d’Internet. Un hyperlien peut avoir été créé à l’origine pour mener à de l’information qui n’est pas diffamatoire, mais cette information peut par la suite être modifiée de telle sorte qu’elle le devient, et ce, à l’insu de la personne qui a créé l’hyperlien. Dans ces circonstances, à condition que les critères énoncés dans SOCAN soient par ailleurs remplis, cette personne devrait pouvoir invoquer le moyen de défense fondé sur la diffusion de bonne foi jusqu’à ce qu’elle apprenne que son hyperlien mène désormais à de l’information prétendument diffamatoire. Le fait qu’on puisse facilement invoquer ce moyen de défense devrait dissuader les plaignants trop vindicatifs d’entraver l’usage des hyperliens.

[115] Même dans les cas où ils ne peuvent invoquer le moyen de défense fondé sur la diffusion de bonne foi, les créateurs d’hyperliens pourront possiblement se prévaloir d’autres moyens de défense, tels la défense du commentaire loyal (WIC) et celle de la communication responsable concernant des questions d’intérêt public (Grant). Dans Grant, la Cour, citant Jameel c. Wall Street Journal Europe SPRL, [2006] UKHL 44, [2007] 1 A.C. 359, par. 54, a affirmé que « quiconque diffuse du matériel d’intérêt public, quel que soit le média » (par. 96), peut se prévaloir de ce dernier moyen de défense. En outre, la Cour a défini la notion d’« intérêt public » de façon large (par. 106) :

L’intérêt public n’est pas confiné aux publications portant sur les questions gouvernementales et politiques, comme c’est le cas en Australie et en Nouvelle‑Zélande. Il n’est pas nécessaire non plus que le demandeur soit un « personnage public » comme l’exige la jurisprudence américaine depuis Sullivan [New York Times Co. c. Sullivan, 376 U.S. 254 (1964)]. Dans ces deux cas, l’intérêt public est défini de façon trop étroite. Le public a véritablement intérêt à être au courant d’un grand éventail de sujets concernant tout autant la science et les arts que l’environnement, la religion et la moralité. L’intérêt démocratique pour que se tiennent des débats publics sur une gamme de sujets de cette ampleur doit se traduire dans la jurisprudence.

[116] Ces moyens de défense, dans les cas où ils peuvent être invoqués à bon droit, permettent à la personne qui a créé l’hyperlien de justifier ses actes et d’échapper à toute responsabilité.

[117] Il devrait être évident que le droit de la diffamation, pris dans son ensemble, résulte d’efforts soutenus visant à maintenir un équilibre entre la protection de la réputation et la liberté d’expression. Une approche qui réduit le débat à la seule question du renvoi sans faire place au contexte, y compris la nature du renvoi en cause et les divers aspects du droit de la diffamation, est trop étroite. Selon moi, il convient d’aborder la question de la diffusion dans une perspective plus large qui tient compte des ajustements qui ont été progressivement apportés au droit de la diffamation au cours des dernières années (p. ex., WIC et Grant). En outre, tout nouvel ajustement au droit de la diffamation doit également se faire de façon progressive et non en énonçant de manière radicale une règle qui ne fait aucune distinction parmi les diverses formes de renvoi et élimine toute possibilité que la diffusion de propos diffamatoires puisse résulter du simple renvoi à ceux‑ci.

V. Application

[118] M. Newton reconnaît avoir créé les deux hyperliens qui renvoient à l’information prétendument diffamatoire.

[119] On ne saurait conclure qu’en participant à la création des hyperliens M. Newton ne jouait qu’un rôle instrumental passif, semblable à celui d’un simple intermédiaire, tel un fournisseur de services Internet ou téléphoniques. Ses actes étaient délibérés. De plus, nul ne conteste que l’information prétendument diffamatoire à laquelle renvoyaient les hyperliens qu’il avait créés était disponible sans restriction aucune, dans un format compréhensible. La question qui se pose est de savoir si l’information était immédiatement disponible.

[120] Le premier lien, intitulé « OpenPolitics.ca », était un lien superficiel menant au site Web Open Politics. La preuve révèle que pour consulter les articles dans ce site Web, les utilisateurs qui avaient initialement cliqué sur le lien superficiel devaient poursuivre leur navigation (c.‑à‑d. cliquer à nouveau) pour y parvenir.

[121] Le deuxième lien, intitulé « Wayne Crookes », était un lien profond menant à un article sur www.USGovernetics.com qui, selon M. Crookes, était également diffamatoire. En cliquant sur le lien, l’utilisateur obtenait directement l’information prétendument diffamatoire.

[122] Les deux hyperliens figuraient dans l’article intitulé « Free Speech in Canada », qui contenait cinq autres hyperliens. L’article portait sur la liberté d’expression et le droit de la diffamation et faisait mention de poursuites relativement à ces questions. Il y a eu 1 788 visites de cet article entre le moment où il a été créé, le 18 juillet 2006, et le 1er février 2008.

[123] Le dossier ne contient aucun renseignement permettant de savoir si une personne autre que M. Crookes a cliqué sur l’un ou l’autre des liens. Il ne contient pas non plus de renseignement, eu égard à quelque moment que ce soit, sur le nombre de visites des pages Web qui contenaient les propos prétendument diffamatoires. Aucune preuve n’a été produite au sujet du comportement des internautes.

[124] Compte tenu de l’ensemble des circonstances, je ne suis pas disposée à inférer que le lien menant au site Web Open Politics rendait le contenu diffamatoire immédiatement disponible. Comme il s’agissait d’un lien superficiel, le lecteur devait naviguer davantage afin de trouver ce contenu. On ignore ce qu’il fallait faire exactement pour y parvenir, mais il ressort de la preuve que les divers articles ne figuraient pas sur la page d’accueil du site Web et qu’ils avaient des adresses distinctes. Cela constituait un obstacle important que les tiers devaient franchir pour obtenir l’information visée. Dans la mesure où l’action en diffamation intentée par M. Crookes contre M. Newton est fondée sur cet hyperlien, elle ne saurait être accueillie.

[125] Je suis toutefois disposée à inférer que le lien intitulé « Wayne Crookes », qui menait à l’article prétendument diffamatoire figurant dans le site www.USGovernetics.com, rendait effectivement le contenu de cet article immédiatement disponible. Il s’agissait d’un lien profond. Pour consulter l’article, le lecteur n’avait qu’à activer l’hyperlien d’un seul clic de souris. Cette action n’est pas très différente de celle de parcourir la même page afin de lire l’article. Le simple fait de devoir cliquer pour lire les propos ne constitue pas un obstacle à leur disponibilité. Par conséquent, M. Crookes a établi, selon la prépondérance des probabilités, que les exigences du premier volet de la diffusion étaient satisfaites pour ce qui est de ce lien.

[126] En ce qui concerne le deuxième volet de la diffusion, je souscris à l’opinion de la Cour d’appel, unanime sur ce point, que les tribunaux ne devraient pas créer de présomption de diffusion relativement aux hyperliens. Comme je l’ai déjà mentionné, et comme l’a expliqué la juge Prowse (au par. 41), il vaut mieux laisser au législateur le soin de créer une nouvelle présomption dans ce domaine.

[127] La question déterminante est donc celle de savoir si M. Crookes a établi des faits qui permettent raisonnablement d’inférer que l’information prétendument diffamatoire a été portée à la connaissance d’un tiers quelconque. Sur ce point, je souscris à l’opinion majoritaire de la Cour d’appel que la preuve ne permet pas de tirer une telle inférence. J’en suis venue à cette conclusion en ayant à l’esprit le contexte de l’Internet, la nature de l’article de M. Newton, la façon dont les divers liens étaient présentés, le fait que le lien « Wayne Crookes » était le troisième d’une série de sept liens incorporés dans cet article, le fait qu’il y avait au moins un lien superficiel avant ce lien, et le nombre de visites de l’article entre le 18 juillet 2006 et le 1er février 2008. Le nombre de fois qu’on fait quelque chose a une signification particulière dans le contexte de l’Internet. Le nombre de visites de l’article de M. Newton pendant la période de 18 mois en cause, à savoir 1 788, n’est pas suffisant pour conclure que quelqu’un a utilisé le seul lien — parmi les sept hyperliens incorporés dans l’article — qui rendait l’information diffamatoire immédiatement disponible et lu cette information.

[128] Dans l’état actuel du droit de l’Internet, les juges des faits ne peuvent pas déduire grand‑chose d’un simple nombre de visites d’une page Web. La majorité de la Cour d’appel a souligné ce qui suit (par. 92) :

[traduction] Dans le contexte de l’Internet, il nous est impossible d’apprécier le nombre de « visites » en cause dans la présente affaire en fonction de la norme, du comportement habituel des lecteurs de contenu dans l’Internet, ou « internautes », ou du ressort où ils résident. En toute déférence, j’estime que la conclusion tirée par mon collègue revient à présumer qu’il y a eu communication des propos choquants si le site Web où ils se trouvent a été assez souvent consulté. [. . .] Il se peut que dans certains cas on dispose de plus de renseignements permettant de faire une telle inférence, mais ce n’est pas le cas en l’espèce, où nous ne disposons que du nombre de visites. Selon moi, il n’y a pas de fondement suffisant pour faire une telle inférence en l’espèce . . .

[129] Comme M. Crookes n’est pas parvenu à établir les faits qui auraient permis de satisfaire au deuxième volet de la diffusion, l’action en diffamation qu’il a intentée relativement à l’un ou l’autre des hyperliens contestés ne saurait être accueillie.

[130] En dernier lieu, j’aimerais souligner que même s’il avait été conclu qu’à première vue la responsabilité de M. Newton pour diffamation était engagée, celui‑ci aurait probablement pu, compte tenu du dossier dont la Cour disposait, invoquer l’un des moyens de défense existants en faisant valoir que son article traitait de questions d’intérêt public. Je conclus que les hyperliens en cause dans la présente affaire n’ont pas diffusé l’information à laquelle ils renvoyaient et je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs des appelants : Taylor Jordan Chafetz, Vancouver; Stewart, Aulinger & Company, Vancouver.

Procureurs de l’intimé : Owen Bird Law Corporation, Vancouver.

Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Torys, Toronto.

Procureurs de l’intervenante la Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko : Gowling Lafleur Henderson, Ottawa.

Procureurs de l’intervenante NetCoalition : Lenczner Slaght Royce Smith Griffin, Toronto.

Procureurs de l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique : Blake, Cassels & Graydon, Vancouver.

Procureurs des intervenants l’Association canadienne des journaux, Ad IDEM/Canadian Media Lawyers Association, Magazines Canada, Journalistes canadiens pour la liberté d’expression, Writers’ Union of Canada, Professional Writers Association of Canada, PEN Canada et Canadian Publishers’ Council : Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : 2011 CSC 47 ?
Date de la décision : 19/10/2011
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Responsabilité délictuelle - Diffamation - Diffusion - Internet - Le défendeur a créé des hyperliens menant à des articles prétendument diffamatoires - Le fait de créer des hyperliens constitue‑t‑il en soi de la diffusion?.

N possède et exploite en Colombie‑Britannique un site Web commentant divers sujets, dont la question de la liberté d’expression dans le contexte de l’Internet. L’un des articles qui y figuraient comprenait des hyperliens simples et profonds menant à d’autres sites Web dans lesquels se trouvaient des renseignements au sujet de C. C a poursuivi N, alléguant que deux des hyperliens créés par ce dernier renvoyaient à des propos diffamatoires et que N avait ainsi diffusé de l’information diffamatoire à son égard. Au procès, le juge a conclu que la simple création d’un hyperlien dans un site Web n’entraînait pas une présomption qu’on avait effectivement utilisé cet hyperlien pour accéder aux mots en cause. Le juge était d’accord que les hyperliens s’apparentaient à des notes de bas de page puisqu’ils ne faisaient que renvoyer à une autre source sans toutefois en répéter le contenu. Sans répétition, il ne pouvait y avoir eu diffusion. Par surcroît, en l’absence de toute preuve établissant que qui que ce soit d’autre que C avait suivi les liens et lu les mots auxquels ils menaient, il était impossible de conclure qu’il y avait eu diffusion. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont maintenu la décision, concluant qu’il pouvait arriver que certains mots d’un article donnent à penser qu’un hyperlien donné constitue un encouragement ou une invitation à se rendre au site visé, mais ce n’était pas le cas en l’espèce. De plus, le nombre de « visites » relativement à l’article lui‑même ne constituait pas un fondement suffisant pour inférer qu’en l’espèce un tiers avait lu les mots diffamatoires. La juge dissidente a conclu qu’il y avait eu diffusion, jugeant qu’il était peu probable, compte tenu du fait que le site Web de N avait été consulté 1 788 fois, que personne n’ait suivi les hyperliens et lu les articles en cause. En outre, il ressortait du contexte dans lequel s’inscrivait l’article de N qu’il encourageait ou invitait les lecteurs à cliquer sur les liens.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

Les juges Binnie, LeBel, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell : Pour établir, dans le cadre d’une action en diffamation, qu’il y a eu diffusion des propos visés, le plaignant doit prouver que le défendeur a, par le biais d’un acte quelconque, transmis des propos diffamatoires à au moins un tiers, qui les a reçus. Traditionnellement, la forme que revêt cet acte et la façon dont il contribue à permettre au tiers d’y accéder sont dénuées de pertinence. L’application de cette règle traditionnelle aux hyperliens aurait cependant pour effet de créer une présomption de responsabilité à l’égard de tous ceux qui créent des hyperliens. Cela restreindrait gravement la circulation de l’information dans l’Internet et, partant, la liberté d’expression.

Les hyperliens constituent essentiellement des renvois, qui diffèrent fondamentalement d’autres actes de « diffusion ». Tant les hyperliens que les renvois signalent l’existence d’une information sans toutefois en communiquer eux‑mêmes le contenu. Ils obligent le tiers qui souhaite prendre connaissance du contenu à poser un certain acte avant de pouvoir le faire. Le fait qu’il soit beaucoup plus facile d’accéder au contenu d’un texte par le biais d’hyperliens que par des notes de bas de page ne change rien au fait que l’hyperlien en lui‑même est neutre sur le plan du contenu. En outre, le seul fait d’incorporer un hyperlien dans un article ne confère pas à l’auteur de celui‑ci un quelconque contrôle sur le contenu de l’article secondaire auquel il mène.

L’hyperlien, en lui‑même, ne devrait jamais être assimilé à la « diffusion » du contenu auquel il renvoie. Lorsqu’une personne se rend, par le biais d’un hyperlien, à une source secondaire qui contient des mots diffamatoires, c’est la personne même qui crée ou affiche les mots diffamatoires dans le contenu secondaire qui se trouve à diffuser le libelle. Ce n’est que lorsque la personne qui crée l’hyperlien présente les propos auxquels ce dernier renvoie d’une façon qui, en fait, répète le contenu diffamatoire, que celui‑ci doit être considéré comme ayant été « diffusé » par elle.

En l’espèce, rien dans la page Web de N n’est en soi présenté comme étant diffamatoire. Puisque l’utilisation d’un hyperlien ne peut, en soi, équivaloir à de la diffusion même si on le suit en vue de consulter le contenu diffamatoire auquel il mène, N n’a pas diffusé le contenu diffamatoire et l’action de C ne saurait être accueillie.

La juge en chef McLachlin et le juge Fish : Nous souscrivons en grande partie aux motifs des juges majoritaires. Cependant, selon nous, l’hyperlien équivaut à de la diffusion s’il ressort du texte qui le contient, interprété en fonction de son contexte, que l’auteur adopte le contenu auquel il renvoie, ou y adhère. Le simple renvoi général à un site Web ne suffit pas pour conclure qu’il y a eu diffusion.

La juge Deschamps : Soustraire les hyperliens à la règle en matière de diffusion constituerait une solution inadéquate aux nouveaux problèmes soulevés par l’Internet. Une telle exclusion générale accentuerait la différence qui existe entre les renvois et les autres formes de diffusion et traiterait tous les renvois de la même façon, qu’il s’agisse des notes de bas de page ou des hyperliens. Ce faisant, elle omettrait de reconnaître que les renvois varient considérablement dans la manière dont ils permettent à des tiers d’obtenir de l’information diffamatoire, et, par conséquent, dans le tort qu’ils peuvent causer à la réputation des gens.

En common law en matière de diffamation, la diffusion comporte donc deux volets : (1) un acte qui rend l’information diffamatoire disponible à un tiers, dans un format compréhensible, et (2) la réception de l’information par le tiers, de telle sorte qu’il en comprend le sens.

Dans le contexte des hyperliens dans l’Internet, le simple renvoi à de l’information diffamatoire, en l’absence de preuve que quelqu’un en a bel et bien pris connaissance et l’a comprise, ne constitue pas une diffusion de celle‑ci. Pour satisfaire aux exigences du premier volet de la diffusion, le plaignant doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la personne qui a créé l’hyperlien a posé un acte délibéré qui a rendu l’information diffamatoire immédiatement disponible à un tiers, dans un format compréhensible. L’acte du défendeur est délibéré si ce dernier jouait un rôle qui dépassait le rôle instrumental passif en rendant l’information disponible. Pour décider si l’information à laquelle mène un hyperlien est immédiatement disponible, le tribunal doit prendre en considération certains facteurs, notamment s’il s’agit d’un hyperlien activé par l’utilisateur ou automatique, s’il s’agit d’un lien superficiel ou profond, et si l’information à laquelle mène le lien est accessible au grand public (ou s’il s’agit plutôt d’un contenu à accès restreint). Tout ce qui a une incidence sur la facilité avec laquelle on peut prendre connaissance des propos en cause sera pertinent à cet égard.

Pour avoir gain de cause, la personne qui intente une action en diffamation doit également établir, selon la prépondérance des probabilités, que les exigences du deuxième volet de la diffusion sont satisfaites, à savoir qu’un tiers a reçu et compris l’information diffamatoire. Il est possible de satisfaire à ces exigences soit en produisant une preuve directe, soit en demandant au tribunal de tirer une inférence sur la base de certains facteurs, notamment s’il s’agissait d’un lien activé par l’utilisateur ou automatique; s’il s’agissait d’un lien profond ou superficiel; si la page contenait plus d’un hyperlien et, dans l’affirmative, l’endroit où se trouvait le lien contesté par rapport aux autres; le contexte dans lequel le lien était présenté aux utilisateurs; le nombre de visites de la page contenant l’hyperlien; le nombre de visites de la page où figurait l’information auquel le lien renvoyait (avant que ce dernier n’ait été affiché et après qu’il l’a été); si les sites Web en cause étaient accessibles au grand public ou s’il s’agissait plutôt de sites à accès restreint; si des changements avaient été apportés à l’information à laquelle menait le lien et, le cas échéant, le lien qui existe entre ces changements et le nombre de visites de la page dans laquelle se trouvait l’information; et enfin, la preuve relative au comportement des internautes. Si le plaignant parvient à établir que la responsabilité du défendeur pour diffamation est, à première vue, engagée, il incombe alors à ce dernier d’invoquer les moyens de défense qui sont à sa disposition.

En l’espèce, N était plus qu’un simple intermédiaire en rendant l’information visée disponible. Il a agi délibérément. Toutefois, compte tenu de l’ensemble des circonstances, on ne peut inférer que le premier hyperlien, qui était un lien superficiel, rendait le contenu diffamatoire immédiatement disponible. Les divers articles ne figuraient pas sur la page d’accueil de l’autre site Web et ils avaient des adresses distinctes. Le fait que le lecteur devait naviguer davantage afin de trouver le contenu diffamatoire constituait un obstacle important à franchir pour obtenir l’information visée. Cependant, le deuxième hyperlien, qui était un lien profond, rendait effectivement le contenu immédiatement disponible. Pour consulter l’article, le lecteur n’avait qu’à activer l’hyperlien d’un seul clic de souris, ce qui ne constitue pas un obstacle à la disponibilité des propos qu’il contenait. Par conséquent, C a établi, selon la prépondérance des probabilités, que les exigences du premier volet de la diffusion étaient satisfaites pour ce qui est de ce lien. Cependant, la nature de l’article de N, la façon dont les liens étaient présentés et le nombre de visites de l’article ne permettent pas d’inférer que l’information prétendument diffamatoire a été portée à la connaissance d’un tiers quelconque. L’action en diffamation intentée relativement à l’un ou l’autre des hyperliens contestés ne saurait être accueillie.


Parties
Demandeurs : Crookes
Défendeurs : Newton

Références :

Jurisprudence
Citée par la juge Abella
Arrêt appliqué : McNichol c. Grandy, [1931] R.C.S. 696
arrêt approuvé : Carter c. B.C. Federation of Foster Parents Assn., 2005 BCCA 398, 42 B.C.L.R. (4th) 1
arrêts mentionnés : Grant c. Torstar Corp., 2009 CSC 61, [2009] 3 R.C.S. 640
Gaskin c. Retail Credit Co., [1965] R.C.S. 297
Stanley c. Shaw, 2006 BCCA 467, 231 B.C.A.C. 186
Hiltz and Seamone Co. c. Nova Scotia (Attorney General) (1997), 164 N.S.R. (2d) 161, conf. en partie par (1999), 173 N.S.R. (2d) 341
« Truth » (N.Z.) Ltd. c. Holloway, [1960] 1 W.L.R. 997
Lambert c. Thomson, [1937] O.R. 341
Pullman c. Walter Hill & Co., [1891] 1 Q.B. 524
R. c. Clerk (1728), 1 Barn. K.B. 304, 94 E.R. 207
Hird c. Wood (1894), 38 S.J. 234
Buchanan c. Jennings, [2004] UKPC 36, [2005] 1 A.C. 115
Polson c. Davis, 635 F.Supp. 1130 (1986), conf. par 895 F.2d 705 (1990)
Crain c. Lightner, 364 S.E.2d 778 (1987)
Spike c. Golding (1895), 27 N.S.R. 370
Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427
Vizetelly c. Mudie’s Select Library, Ltd., [1900] 2 Q.B. 170
Sun Life Assurance Co. of Canada c. W. H. Smith and Son Ltd. (1934), 150 L.T. 211
Bunt c. Tilley, [2006] EWHC 407, [2006] 3 All E.R. 336
Metropolitan International Schools Ltd. c. Designtechnica Corpn., [2009] EWHC 1765, [2011] 1 W.L.R. 1743
Klein c. Biben, 296 N.Y. 638 (1946)
MacFadden c. Anthony, 117 N.Y.S.2d 520 (1952)
Zeran c. America Online, Inc., 129 F.3d 327 (1997)
Barrett c. Rosenthal, 146 P.3d 510 (2006)
Fair Housing Council of San Fernando Valley c. Roommates.Com, LLC, 521 F.3d 1157 (2008)
Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801
Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130
WIC Radio Ltd. c. Simpson, 2008 CSC 40, [2008] 2 R.C.S. 420
Reno c. American Civil Liberties Union, 521 U.S. 844 (1997)
Barrick Gold Corp. c. Lopehandia (2004), 71 O.R. (3d) 416
Botiuk c. Toronto Free Press Publications Ltd., [1995] 3 R.C.S. 3
Knupffer c. London Express Newspaper, Ltd., [1944] A.C. 116
Butler c. Southam Inc., 2001 NSCA 121, 197 N.S.R. (2d) 97
Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9, [2011] 1 R.C.S. 214.
Citée par la juge en chef McLachlin et le juge Fish
Arrêt mentionné : Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130.
Citée par la juge Deschamps
Arrêt appliqué : McNichol c. Grandy, [1931] R.C.S. 696
arrêts mentionnés : WIC Radio Ltd. c. Simpson, 2008 CSC 40, [2008] 2 R.C.S. 420
Grant c. Torstar Corp., 2009 CSC 61, [2009] 3 R.C.S. 640
Gaskin c. Retail Credit Co., [1965] R.C.S. 297
Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130
Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427
Gambrill c. Schooley, 93 Md. 48 (1901)
Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801
Carter c. B.C. Federation of Foster Parents Assn., 2005 BCCA 398, 42 B.C.L.R. (4th) 1
MacFadden c. Anthony, 117 N.Y.S.2d 520 (1952)
Klein c. Biben, 296 N.Y. 638 (1946)
Lambert c. Thomson, [1937] O.R. 341
Botiuk c. Toronto Free Press Publications Ltd., [1995] 3 R.C.S. 3
Day c. Bream (1837), 2 M. & Rob. 54, 174 E.R. 212
R. c. Clerk (1728), 1 Barn. K.B. 304, 94 E.R. 207
Godfrey c. Demon Internet Ltd., [1999] 4 All E.R. 342
Dow Jones & Co. c. Gutnick, [2002] HCA 56, 210 C.L.R. 575
Stanley c. Shaw, 2006 BCCA 467, 231 B.C.A.C. 186
Smith c. Matsqui (Dist.) (1986), 4 B.C.L.R. (2d) 342
Wilson c. Meyer, 126 P.3d 276 (2005)
Pond c. General Electric Co., 256 F.2d 824 (1958)
Scott c. Hull, 259 N.E.2d 160 (1970)
Byrne c. Deane, [1937] 1 K.B. 818
Hellar c. Bianco, 244 P.2d 757 (1952)
Tacket c. General Motors Corp., 836 F.2d 1042 (1987)
Urbanchich c. Drummoyne Municipal Council (1991), Aust. Torts Rep. ¶81‑127
Frawley c. State of New South Wales, [2007] NSWSC 1379 (AustLII)
Underhill c. Corser, [2010] EWHC 1195 (BAILII)
Bunt c. Tilley, [2006] EWHC 407, [2006] 3 All E.R. 336
Metropolitan International Schools Ltd. c. Designtechnica Corpn., [2009] EWHC 1765, [2011] 1 W.L.R. 1743
Zeran c. America Online, Inc., 129 F.3d 327 (1997)
Barrett c. Rosenthal, 146 P.3d 510 (2006)
Fair Housing Council of San Fernando Valley c. Roommates.Com, LLC, 521 F.3d 1157 (2008)
Islam Expo Ltd. c. The Spectator (1828) Ltd., [2010] EWHC 2011 (BAILII)
Jameel c. Wall Street Journal Europe SPRL, [2006] UKHL 44, [2007] 1 A.C. 359.
Lois et règlements cités
Communications Decency Act of 1996, 47 U.S.C. §230 (1996).
Libel and Slander Act, R.S.B.C. 1996, ch. 263, art. 2.
Supreme Court Rules, B.C. Reg. 221/90, r. 18A.
Doctrine citée
Balkin, Jack M. « The Future of Free Expression in a Digital Age » (2009), 36 Pepp. L. Rev. 427.
Baynham, Bryan G., and Daniel J. Reid. « The Modern‑Day Soapbox : Defamation in the Age of the Internet », in Defamation Law : Materials prepared for the Continuing Legal Education seminar, Defamation Law 2010. Vancouver : Continuing Legal Education Society of British Columbia, 2010.
Boivin, Denis W. « Accommodating Freedom of Expression and Reputation in the Common Law of Defamation » (1996‑1997), 22 Queen’s L.J. 229.
Brown, Raymond E. Brown on Defamation : Canada, United Kingdom, Australia, New Zealand, United States, vols. 1 and 2, 2nd ed. Toronto : Carswell, 1994 (loose‑leaf updated 2011, release 3).
Collins, Matthew. The Law of Defamation and the Internet, 3rd ed. New York : Oxford University Press, 2010.
Dalal, Anjali. « Protecting Hyperlinks and Preserving First Amendment Values on the Internet » (2011), 13 U. Pa. J. Const. L. 1017.
Danay, Robert. « The Medium is not the Message : Reconciling Reputation and Free Expression in Cases of Internet Defamation » (2010), 56 R.D. McGill 1.
Gatley on Libel and Slander, 11th ed. by Patrick Milmo and W. V. H. Rogers. London : Sweet & Maxwell, 2008.
Iacobucci, Frank. « Recent Developments Concerning Freedom of Speech and Privacy in the Context of Global Communications Technology » (1999), 48 R.D. U.N.‑B. 189.
Klar, Lewis N. Tort Law, 4th ed. Toronto : Thomson Carswell, 2008.
Lidsky, Lyrissa Barnett. « Silencing John Doe : Defamation & Discourse in Cyberspace » (2000), 49 Duke L.J. 855.
Linden, Allen M., and Bruce Feldthusen. Canadian Tort Law, 8th ed. Markham, Ont. : LexisNexis Butterworths, 2006.
Lindsay, David. Liability for the Publication of Defamatory Material via the Internet, Research Paper No. 10. Melbourne : University of Melbourne, Centre for Media, Communications and Information Technology Law, 2000.
Osborne, Philip H. The Law of Torts, 4th ed. Toronto : Irwin Law, 2011.
Ross, June. « The Common Law of Defamation Fails to Enter the Age of the Charter » (1996), 35 Alta. L. Rev. 117.
Sableman, Mark. « Link Law Revisited : Internet Linking Law at Five Years » (2001), 16 Berkeley Tech. L.J. 1273.
Streeter, Jeremy. « The “Deception Exception” : A New Approach to Section 2(b) Values and Its Impact on Defamation Law » (2003), 61 U.T. Fac. L. Rev. 79.

Proposition de citation de la décision: Crookes c. Newton, 2011 CSC 47 (19 octobre 2011)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2011-10-19;2011.csc.47 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award