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10/11/2011 | CANADA | N°2011_CSC_56

Canada | Bande indienne des Lax Kw'alaams c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 56 (10 novembre 2011)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Bande indienne des Lax Kw’alaams c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 56, [2011] 3 R.C.S. 535

Date : 20111110

Dossier : 33581

Entre :

Bande indienne des Lax Kw’alaams, représentée par

le conseiller en chef Garry Reece en son propre nom et au nom

des membres de la bande indienne des Lax Kw’alaams, et autres

Appelants

et

Procureur général du Canada et Sa Majesté la Reine

du chef de la province de la Colombie-Britannique

Intimés

- et -

Procureur

général de l’Ontario, Bande de Metlakatla,

B.C. Wildlife Federation, B.C. Seafood Alliance, Nation Gitxaala,

représentée par le chef Elmer Moody e...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Bande indienne des Lax Kw’alaams c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 56, [2011] 3 R.C.S. 535

Date : 20111110

Dossier : 33581

Entre :

Bande indienne des Lax Kw’alaams, représentée par

le conseiller en chef Garry Reece en son propre nom et au nom

des membres de la bande indienne des Lax Kw’alaams, et autres

Appelants

et

Procureur général du Canada et Sa Majesté la Reine

du chef de la province de la Colombie-Britannique

Intimés

- et -

Procureur général de l’Ontario, Bande de Metlakatla,

B.C. Wildlife Federation, B.C. Seafood Alliance, Nation Gitxaala,

représentée par le chef Elmer Moody en son propre nom et au nom des

membres de la Nation Gitxaala, et Association du traité des Te’Mexw

Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 74)

Le juge Binnie (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Deschamps, Abella, Charron et Rothstein)

Bande indienne des Lax Kw’alaams c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 56, [2011] 3 R.C.S. 535

Bande indienne des Lax Kw’alaams,

représentée par le conseiller en chef Garry Reece

en son propre nom et au nom des membres

de la bande indienne des Lax Kw’alaams,

et autres Appelants

c.

Procureur général du Canada et

Sa Majesté la Reine du chef de la province

de la Colombie‑Britannique Intimés

et

Procureur général de l’Ontario,

Bande de Metlakatla, B.C. Wildlife Federation,

B.C. Seafood Alliance, Nation Gitxaala, représentée

par le chef Elmer Moody en son propre nom et au

nom des membres de la Nation Gitxaala, et

Association du traité des Te’Mexw Intervenants

Répertorié : Bande indienne des Lax Kw’alaams c. Canada (Procureur général)

2011 CSC 56

No du greffe : 33581.

2011 : 17 février; 2011 : 10 novembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Charron et Rothstein.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Newbury, Chiasson et Bennett), 2009 BCCA 593, 281 B.C.A.C. 88, 475 W.A.C. 88, 314 D.L.R. (4th) 385, [2010] 1 C.N.L.R. 278, [2009] B.C.J. No. 2556 (QL), 2009 CarswellBC 3479, qui a confirmé une décision de la juge Satanove, 2008 BCSC 447, [2008] 3 C.N.L.R. 158, [2008] B.C.J. No. 652 (QL), 2008 CarswellBC 735. Pourvoi rejeté.

John R. Rich, F. Matthew Kirchner et Lisa C. Glowacki, pour les appelants.

Cheryl J. Tobias, c.r., Sharlene Telles‑Langdon et James M. Mackenzie, pour l’intimé le procureur général du Canada.

Patrick G. Foy, c.r., pour l’intimée Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie‑Britannique.

Malliha Wilson et Michael E. Burke, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

Maria Morellato, c.r., et Cheryl Sharvit, pour l’intervenante la Bande de Metlakatla.

J. Keith Lowes, pour les intervenantes B.C. Wildlife Federation et B.C. Seafood Alliance.

David M. Robbins et Jay Nelson, pour l’intervenante la Nation Gitxaala.

Robert J. M. Janes et Sarah E. Sharp, pour l’intervenante l’Association du traité des Te’Mexw.

Version française du jugement de la Cour rendu par

[1] Le juge Binnie — Le présent pourvoi porte sur la revendication, par la Première Nation des Lax Kw’alaams et d’autres premières nations dont la liste est jointe en annexe aux présents motifs (appelées collectivement « Lax Kw’alaams ») — dont les terres ancestrales s’étendent le long de la côte nord‑ouest de la Colombie‑Britannique entre les estuaires de la rivière Nass et du cours inférieur de la rivière Skeena — , du droit de récolter et de vendre commercialement [traduction] « toutes les espèces de poisson » qui vivent dans leurs eaux traditionnelles. Pareille pêche autochtone serait protégée par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, sous réserve des seules restrictions justifiables selon le test établi dans R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075. La revendication relative à la pêche commerciale faisait partie d’une action plus vaste visant la reconnaissance d’un titre aborigène, mais la question du titre aborigène a été dissociée de l’instance et elle n’a pas encore été instruite.

[2] La juge du procès a rejeté la revendication du droit de pêche commerciale parce que, malgré la preuve factuelle et la preuve d’expert dont la présentation s’est échelonnée sur une année entière, elle n’était pas convaincue que les coutumes, pratiques et traditions des Tsimshians de la côte avant leur contact avec les Européens étayaient l’existence d’un tel droit ancestral (2008 BCSC 447, [2008] 3 C.N.L.R. 158). Dans la mesure, limitée, où les Tsimshians de la côte faisaient le commerce du poisson et des produits de la pêche, ce commerce était propre à un produit dérivé d’une seule espèce, l’eulakane. Le commerce du poisson en général ne faisait pas partie intégrante de leur société distinctive et ne pouvait donc servir d’assise à un droit ancestral, garanti par le par. 35(1), de pratiquer une pêche « industrielle » moderne, génératrice de richesse. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a confirmé cette conclusion (2009 BCCA 593, 281 B.C.A.C. 88). Les Lax Kw’alaams soutiennent que les juridictions inférieures ont utilisé une méthode erronée pour caractériser leur revendication et que, par conséquent, elles n’ont pas analysé de façon exhaustive la preuve produite pour l’étayer.

[3] Les Lax Kw’alaams soutiennent subsidiairement que la preuve au dossier établit, indépendamment d’un droit ancestral de récolter et de vendre du poisson à une échelle commerciale à part entière, un éventail de droits ancestraux « moindres et inclus », dont le droit de pratiquer une pêche commerciale plus restreinte (fondé en partie sur les échanges traditionnels lors des potlatchs), c’est‑à‑dire le droit de récolter et de vendre suffisamment de poisson et de produits de la pêche [traduction] « pour subvenir aux besoins de [leurs] collectivités, accumuler et générer de la richesse, et maintenir et développer leur économie » (deuxième déclaration modifiée, par. 31). Les Lax Kw’alaams revendiquent aussi subsidiairement un droit ancestral encore plus restreint, soit celui de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a décidé que, compte tenu des actes de procédure, tels qu’ils ont été présentés, et du déroulement du procès qui a duré 126 jours, le refus de la juge du procès de se prononcer sur les droits [traduction] « “moindres” ou “inclus” » était une « question d’appréciation » qui relevait de sa compétence. Selon la juge, du début à la fin du procès, il avait toujours été question du droit de pratiquer une pêche commerciale pleine et entière. Tout le reste était accessoire et n’a pas été vraiment plaidé.

[4] Les Lax Kw’alaams appuient en outre leurs revendications sur de prétendues promesses que leur auraient faites des représentants du gouvernement (mettant en cause l’honneur de la Couronne) lorsque les réserves ont été créées dans les années 1880. La juge du procès a également rejeté cet argument, ayant conclu qu’aucune promesse de ce genre n’avait été faite à quelque moment que ce soit. Sa conclusion de fait à cet égard a aussi été retenue par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique.

[5] Pour les motifs exposés ci‑après, je suis d’avis de confirmer la conclusion de la Cour d’appel sur toutes les questions et de rejeter le pourvoi.

I. Aperçu

[6] La juge du procès a reconnu que les Tsimshians de la côte, avant leur contact avec les Européens, subvenaient en grande partie à leurs besoins en pratiquant une pêche de grande envergure. Ils ne faisaient toutefois pas véritablement le commerce du poisson ou des produits de la pêche, sauf celui d’une graisse extraite d’un poisson qui ressemble à l’éperlan, l’eulakane, aussi appelé poisson‑chandelle (parce qu’on peut le brûler comme une chandelle une fois séché). En ce qui concerne les autres espèces de poisson et produits de la pêche, la juge du procès a dit que leur commerce [traduction] « était de faible envergure et irrégulier, découlait d’occasions fortuites [. . .] et était purement accessoire aux rapports entre parents, au potlatch et à la société hiérarchisée, fondamentaux pour les Tsimshians de la côte avant leur contact avec les Européens » (par. 496).

[7] On récoltait l’eulakane chaque printemps pendant quelques semaines dans la rivière Nass. La juge du procès a affirmé :

[traduction] J’estime qu’on élargirait indûment la notion de droit ancestral qui a évolué en disant que le commerce de la graisse d’eulakane pratiqué par les Tsimshians de la côte équivaut à un droit contemporain de pêcher commercialement toutes les espèces sur les territoires qu’ils revendiquent. [par. 501]

Il est donc essentiel, en l’espèce, d’examiner la question de la continuité entre, d’une part, l’extraction de la graisse d’eulakane et l’échange du produit ainsi obtenu que pratiquaient les Tsimshians de la côte avant leur contact avec les Européens et, d’autre part, leur revendication du droit de pêcher commercialement toutes les espèces de poisson pour les vendre tant à des non‑Autochtones qu’à des Autochtones. L’exigence juridique de la continuité entre les pratiques, coutumes et traditions ancestrales et le droit ancestral contemporain revendiqué admet évidemment une évolution logique à l’intérieur de certaines limites. Dans le présent pourvoi, il s’agit notamment de tracer ces limites.

[8] Les Lax Kw’alaams ne vivent plus au XVIIIe siècle, mais au XXIe siècle, et ils ont droit aux avantages (et aux inconvénients) résultant des changements survenus avec le temps. Toutefois, la reconnaissance d’une évolution naturelle ne justifie pas l’octroi d’un droit différent sur les plans quantitatif et qualitatif. C’était en partie l’absence de continuité et de proportionnalité dans la tentative des Lax Kw’alaams d’instaurer une pêche commerciale pleine et entière au XXIe siècle sur un fondement aussi étroit que le commerce ancestral de la graisse d’eulakane qui préoccupait la juge du procès. Sa préoccupation était, à mon avis, bien fondée.

[9] Selon la juge du procès, les actes de procédure et la preuve étaient centrés sur la revendication par les Lax Kw’alaams du droit de pêcher commercialement. Leur prétention ultérieure à des « droits moindres et inclus » semble avoir été empruntée à la hâte au droit criminel et n’a pas vraiment émergé au procès avant la plaidoirie finale. La juge du procès a estimé que ce qu’elle percevait comme une tentative tardive des Lax Kw’alaams de reformuler leur revendication a porté préjudice aux gouvernements défendeurs.

[10] L’argument relatif aux « droits moindres et inclus » relève davantage de la procédure que du fond, bien que, comme nous le verrons, les motifs pour lesquels la juge du procès a rejeté la revendication du droit à une pêche commerciale plus générale déterminent aussi en grande partie, à mon avis, le sort de la revendication, par les Lax Kw’alaams, d’un droit à une pêche commerciale plus restreinte.

[11] Les tribunaux (y compris notre Cour) appellent depuis longtemps à un règlement négocié des revendications de droits ancestraux ou issus de traités. Si, toutefois, un recours en justice devient nécessaire, notre Cour a aussi mentionné qu’il vaut mieux trancher des questions aussi complexes dans le cadre d’une action civile en jugement déclaratoire plutôt que dans le cadre limité d’une procédure réglementaire. Dans une poursuite pour une infraction relative à la pêche, par exemple, il n’y a ni acte de procédure, ni interrogatoire préalable et seulement quelques‑uns des avantages d’ordre procédural qu’offrent les règles de procédure civile pour faciliter l’instruction complète de toutes les questions pertinentes. Toutefois, ces avantages potentiels s’envolent si les règles habituelles régissant les instances civiles, et notamment la plaidoirie, ne sont pas respectées. Il ne serait pas dans l’intérêt public de permettre qu’un procès civil se transforme en une sorte d’enquête générale tous azimuts sur les pratiques et coutumes précontact des peuples autochtones, à l’issue de laquelle le juge du procès aurait à dresser un rapport indiquant quels droits ancestraux pourraient avoir été établis, à condition d’avoir été évoqués comme il se doit dans les actes de procédure.

[12] À ce stade de l’évolution des litiges sur les droits ancestraux, la plupart des parties qui s’affrontent disposent d’abondantes ressources et sont représentées par des avocats d’expérience. Chaque instance est invariablement précédée d’une recherche historique approfondie, de la communication de renseignements et de négociations. Lorsque les négociations avortent, les parties connaissent bien les règles qui régissent la plaidoirie écrite et l’instruction. Elles prennent, de part et d’autre, des décisions stratégiques. Il est vrai, bien sûr, que l’objectif fondamental du droit des Autochtones est la réconciliation des collectivités autochtones et non autochtones du Canada, et que la relation spéciale qui existe entre la Couronne et les peuples autochtones ne trouve pas d’équivalent dans les batailles judiciaires habituelles entre des entités commerciales aux intérêts opposés. Les litiges sur les droits ancestraux revêtent néanmoins une grande importance tant pour les collectivités non autochtones que pour les collectivités autochtones et pour le bien‑être économique des unes et des autres. Une décision sur l’existence et la portée de droits ancestraux garantis par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 ne peut être rendue qu’après une audition complète et équitable pour tous les intéressés.

[13] Quant aux volets de la revendication des Lax Kw’alaams fondés sur les « obligations fiduciaires » et l’« honneur de la Couronne », la juge du procès a conclu qu’aucun fondement factuel n’avait été établi pour les étayer. Elle a conclu qu’il n’existait aucune promesse unilatérale pertinente qui aurait été faite par la Couronne lors de l’attribution des réserves ou à une autre occasion, et encore moins de traité. Aucun acte de la Couronne n’a donc pu donner naissance aux obligations alléguées. L’honneur de la Couronne est un principe général qui sous‑tend tous les rapports de la Couronne avec les peuples autochtones, mais on ne peut y avoir recours pour créer des engagements qui n’ont jamais été pris.

[14] Finalement, et quelque peu tardivement, les Lax Kw’alaams ont revendiqué au premier plan le droit ancestral de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles. Les Lax Kw’alaams détiennent actuellement à ces fins des permis de pêche délivrés par le gouvernement fédéral. Leur droit ne semble pas être litigieux. Il n’était donc pas réellement en cause en l’espèce. En règle générale, les tribunaux ne rendent pas de jugement déclaratoire sur des questions qui ne sont pas en litige entre les parties, et le refus de le faire en l’espèce relevait assurément du pouvoir discrétionnaire de la juge du procès.

II. Les faits

A. Historique

[15] La Première Nation des Lax Kw’alaams est constituée des descendants d’un ancien [traduction] « peuple de pêcheurs » regroupant les diverses tribus ou maisons des Tsimshians de la côte. Le saumon et d’autres poissons vivaient en abondance sur leurs territoires et dans leurs lieux de pêche traditionnels situés le long de la côte nord‑ouest de la Colombie‑Britannique. Les Tsimshians de la côte étaient organisés en société évoluée qui se caractérisait par des rapports complexes fondés sur le « rang » et les liens du sang. Leurs [traduction] « activités saisonnières » étaient largement fonction de la disponibilité du saumon, du flétan, de la rogue de hareng, des algues, des crustacés et de l’eulakane ainsi que de l’endroit où les trouver. Selon la juge du procès, le saumon et l’eulakane

[traduction] étaient vénérés lors des cérémonies et on leur attribuait des pouvoirs surnaturels dans le halait ou l’adaawx, et ils constituaient la base de l’économie de subsistance. Les autres ressources halieutiques avaient très peu d’importance en comparaison. [par. 225]

[16] La juge du procès a conclu qu’avant le contact avec les Européens, vers 1793, [traduction] « la récolte et la consommation des ressources halieutiques et des produits de la pêche, y compris l’accumulation de provisions pour l’hiver, faisaient partie intégrante de leur culture distinctive » (par. 494). Les Tsimshians de la côte pratiquaient surtout « une économie de subsistance », même s’il a été démontré qu’ils se livraient à une « forme de commerce au sens large » à l’époque précontact (par. 495). Pareil commerce consistait « principalement en des échanges de cadeaux entre parents lors de festins et de potlatchs, ou en des échanges de biens de luxe comme des esclaves, des objets en cuivre, du dentalium [crustacé pêché au fond de l’océan] et de la graisse d’eulakane » (ibid.).

[17] En appel, l’eulakane est devenu un élément clé de la revendication d’un droit ancestral de pratiquer une pêche commerciale moderne. Cette espèce de poisson était récoltée durant quelques semaines à la fin de l’hiver (principalement, voire exclusivement, le long de la rivière Nass) et on le mangeait frais, on le fumait ou le séchait pour usage ultérieur, ou on en extrayait de l’huile ou de la graisse par le procédé suivant :

[traduction] Les eulakanes étaient entreposés dans des fosses creusées à même le sol ou dans de grands coffres en cèdre pendant un peu plus d’une semaine. Ils étaient ensuite bouillis dans de grandes cuves de bois — à défaut de cuves, on se servait de pirogues — et on prélevait à la surface l’huile qui s’en dégageait pour l’entreposer dans des caisses de bois ou des bulbes et de longues tiges de varech. Lorsqu’elle est refroidie à une température d’environ 10 °C, l’huile acquiert la consistance du beurre et ne se liquéfie à nouveau qu’à une température d’environ 21 °C.

(Motifs de la Cour d’appel, par. 1, citant D. Mitchell et L. Donald, « Sharing Resources on the North Pacific Coast of North America : The Case of the Eulachon Fishery » (2001), 43 Anthropologica 19, p. 21.)

On s’échangeait la graisse ainsi obtenue et d’autres [traduction] « biens de luxe » entre parents lors de festins et de potlatchs (motifs de la Cour d’appel, par. 2). La graisse d’eulakane servait à conserver des denrées périssables comme les baies et on lui attachait une grande valeur pour cette raison.

[18] Presque un siècle plus tard, dans les années 1880, les Lax Kw’alaams se sont vu attribuer des réserves et des campements de pêche sur leurs territoires traditionnels. Les Lax Kw’alaams soutiennent que, sans égard aux droits ancestraux protégés par le par. 35(1) qu’ils prétendent détenir, plusieurs représentants du gouvernement de l’époque leur ont fait des promesses quant à la possibilité de pêcher commercialement qui mettent en cause l’honneur de la Couronne, de sorte que cette dernière a l’obligation fiduciaire ou analogue de s’assurer que les Lax Kw’alaams aient accès à une pêche commerciale. Les parties ne s’entendent pas sur la portée des « explications » suivantes données aux Tsimshians de la côte par le commissaire des réserves Peter O’Reilly, qui a commencé en 1881 à établir des réserves sur la côte nord‑ouest :

[traduction] J’ai expliqué soigneusement aux Indiens de la rivière Nass et aux Indiens Tsimpseans qu’en leur attribuant plusieurs campements sur la côte et dans les eaux à marée, on ne leur conférait aucun droit de pêche exclusive, mais que, comme leurs frères blancs, ils seraient assujettis, à tous égards, aux lois et aux règlements établis par les actes du Dominion relatifs aux pêches. [En italique dans l’original.]

(P. O’Reilly, commissaire des réserves indiennes, au surintendant général des Affaires indiennes, 8 avril 1882. Copie dans Annual Report of the Department of Indian Affairs for the Year Ended 31st December, 1882 (1883), 88, p. 91.)

[19] À toutes les époques pertinentes, les Lax Kw’alaams détenaient un permis de pêche communautaire des Autochtones délivré par le ministère fédéral des Pêches et Océans, qui leur permettait de récolter le poisson à des fins alimentaires, sociales et rituelles.

B. Les actes de procédure

[20] Comme la teneur des actes de procédure joue grandement dans l’issue du présent pourvoi, il importe d’en exposer les détails essentiels. Les Lax Kw’alaams affirment, au par. 28 de leur deuxième déclaration modifiée, que chacune des tribus ancestrales des Tsimshians de la côte était [traduction] « une société autochtone distinctive qui participait à une économie complexe fondée principalement sur la récolte, la gestion, la transformation, la consommation et le commerce de toutes les espèces de poisson, de crustacés et de plantes aquatiques [. . .] disponibles [. . .] à un moment ou à un autre sur leurs territoires tribaux ». Les paragraphes 30-31 disaient ce qui suit :

[traduction] La récolte, la gestion, la transformation, la consommation et le commerce des ressources halieutiques figuraient parmi les principaux éléments de l’économie de chaque tribu et constituaient des coutumes, pratiques ou traditions qui faisaient partie intégrante de la culture autochtone distinctive de chaque tribu au moment du contact avec les Européens et avant leur arrivée. . .

La Bande des Lax Kw’alaams ou, subsidiairement, chacune des tribus Tsimshianes alliées, est titulaire des droits ancestraux existants de récolter toute ressource halieutique disponible sur son territoire à des fins de consommation et de vente pour subvenir aux besoins de ses collectivités, accumuler et produire de la richesse ainsi que maintenir et développer son économie. [Je souligne.]

[21] En réponse à une demande de précisions du procureur général du Canada sur le sens de cet argument, les avocats des Lax Kw’alaams ont affirmé que

[traduction] [les Lax Kw’alaams] ont le ou les droits ancestraux de récolter toutes les ressources halieutiques disponibles sur le territoire des Lax Kw’alaams pour leur propre consommation ou pour les vendre à autrui afin d’obtenir de l’argent, des biens ou des services dans le but de subvenir aux besoins des collectivités des Lax Kw’alaams sur le plan économique, d’assurer la croissance économique de ces collectivités, et de permettre aux résidents de la collectivité d’accumuler et de générer de la richesse. [Je souligne; réponse modifiée, al. 27b).]

Je ne crois pas que ces renseignements fournissent beaucoup de précisions sur les actes de procédure, mais la Couronne n’a pas demandé d’autres éclaircissements.

[22] On a en outre affirmé que l’accumulation de la richesse dans la société des Tsimshians de la côte dépendait du commerce et que les ressources halieutiques constituaient l’objet de traite essentiel grâce auquel les tribus et les maisons pouvaient acquérir de la richesse. Selon la revendication, [traduction] « l’accumulation et la répartition de la richesse pour acquérir ou conserver un rang élevé » dans la société des Tsimshians faisaient partie intégrante de leur culture autochtone distinctive (deuxième déclaration modifiée, par. 49).

[23] Le paragraphe 62 de la deuxième déclaration modifiée reprend quelque peu les par. 30-31. Les Lax Kw’alaams ont revendiqué un droit ancestral [traduction] « de récolter, gérer et vendre, à une échelle commerciale, les ressources halieutiques et les produits [de la transformation] du poisson [. . .] dans le but de subvenir aux besoins de leurs collectivités, d’accumuler et de générer de la richesse et de maintenir leur économie » (je souligne).

[24] Les Lax Kw’alaams ont affirmé que, par [traduction] « échelle commerciale », ils entendent l’échange « à grande échelle de ressources halieutiques contre de l’argent, des biens ou des services » et qu’ils ont employé de manière interchangeable les termes « vente » et « commerce » (réponse modifiée, al. 54d) et f)).

[25] Quant au redressement demandé, voici ce que les Lax Kw’alaams ont sollicité :

[traduction]

a) un jugement déclarant que les Lax Kw’alaams ou, subsidiairement, chacune des tribus Tsimshianes alliées détiennent les droits ancestraux existants, au sens du par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, de récolter toutes les espèces de ressources halieutiques relevant de la compétence constitutionnelle du Canada sur les territoires tribaux;

b) un jugement déclarant que les Lax Kw’alaams ou, subsidiairement, chacune des tribus Tsimshianes alliées détiennent les droits ancestraux existants, au sens du par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, de vendre, à une échelle commerciale, toutes les espèces de ressources halieutiques relevant de la compétence constitutionnelle du Canada qu’elles récoltent sur les territoires tribaux; [Je souligne; deuxième déclaration modifiée, par. 95.]

[26] La juge du procès a fusionné les deux revendications en un seul paragraphe, caractérisant en ces termes le principal redressement demandé :

[traduction] Les demandeurs sollicitent notamment un jugement déclaratoire statuant que :

a. Les demandeurs détiennent un droit ancestral existant, au sens du par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de [1982], de récolter et de vendre, à une échelle commerciale, toutes les ressources halieutiques qu’ils récoltent sur les territoires qu’ils revendiquent. [Je souligne; par. 97.]

Les Lax Kw’alaams sollicitent également un jugement déclarant que le Canada a manqué à des obligations fiduciaires et à l’honneur de la Couronne en matière de pêche.

III. Historique judiciaire

A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique (la juge Satanove (maintenant la juge Kloegman)), 2008 BCSC 447, [2008] 3 C.N.L.R. 158

[27] Avant le procès, une ordonnance a dissocié la question du titre aborigène de l’instance (2006 BCSC 1463 (CanLII)). Les revendications restantes ont été rejetées au procès. La juge du procès n’a pas abordé la question de l’atteinte aux droits, parce qu’elle a conclu à l’absence d’un droit ancestral existant.

[28] La juge du procès n’était pas convaincue que le commerce de quelque poisson ou autre produit de la pêche que ce soit, hormis la graisse d’eulakane, pouvait être considéré à juste titre comme faisant partie intégrante de la culture distinctive des Lax Kw’alaams (par. 495). Le commerce sporadique d’autres ressources halieutiques, tel qu’il a peut-être existé, ne constituait aucunement « un élément fondamental et important de la culture distinctive de cette société », ni ne faisait « véritablement [. . .] de la société ce qu’elle était », de quelque façon que ce soit (R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, par. 55 (soulignement omis), cité par la juge du procès, par. 496). Ce commerce sporadique était de faible envergure et irrégulier, découlait d’occasions fortuites, visait des fins alimentaires, sociales et rituelles, et était purement accessoire aux rapports entre parents, au potlatch et à la société hiérarchisée, fondamentaux pour les Tsimshians de la côte avant leur contact avec les Européens (par. 496). Le potlatch reposait sur des assises culturelles et rituelles complètement différentes de celles d’un marché commercial.

[29] La juge du procès a conclu en dernière analyse que [traduction] « la position simpliste des demandeurs selon laquelle l’ancien commerce de la graisse d’eulakane s’est métamorphosé en droit contemporain de pêcher commercialement le saumon, le flétan et toutes les autres espèces de poisson de mer ou de rivière ne tient pas compte du fait fondamental que les Tsimshians de la côte pêchaient à des fins de subsistance, et non à des fins commerciales » (par. 499 (je souligne)). Plus précisément,

[traduction] [l]a transformation de l’eulakane en huile constituait une pratique ancestrale unique qui a procuré richesse et prestige à la société, mais elle n’était pas reliée à la pêche du saumon, du flétan et d’autres ressources halieutiques et produits de la pêche à des fins de subsistance. [par. 499]

[30] La juge du procès a ensuite tenu, dans un paragraphe déjà cité, mais reproduit ci‑dessous par souci de commodité, des propos que l’on pourrait qualifier d’observation sur l’absence de continuité et de proportionnalité :

[traduction] J’estime qu’on élargirait indûment la notion de droit ancestral qui a évolué en disant que le commerce de la graisse d’eulakane pratiqué par les Tsimshians de la côte équivaut à un droit contemporain de pêcher commercialement toutes les espèces sur les territoires qu’ils revendiquent. [par. 501]

Si l’on remplaçait dans cet extrait les mots « équivaut à » par l’expression « fournit un fondement historique suffisant pour établir », je serais d’accord avec cette affirmation.

[31] Quant à l’allégation subsidiaire que la Couronne a manqué à son [traduction] « obligatio[n] fiduciair[e] ou analogu[e] » envers les Lax Kw’alaams en leur « refusant ou limitant » l’accès à la récolte du poisson à des fins commerciales, la juge du procès a estimé que la version des faits des Lax Kw’alaams ne montrait « vraiment qu’un côté de la médaille » (par. 97 et 515-517). Puisque la Couronne « n’a promis aux Tsimshians de la côte aucun droit, exclusif ou non, de pêche commerciale » dans le cadre de l’attribution des réserves ou à une autre occasion, les Lax Kw’alaams n’avaient aucun fondement juridique pour étayer l’existence d’une quelconque obligation fiduciaire envers eux (par. 518). Les Lax Kw’alaams n’ont pas non plus établi que la Couronne avait manqué à l’honneur en leur imposant les mêmes limites et restrictions en matière de pêche qu’à tous les autres pêcheurs (par. 529). L’argument fondé sur l’honneur de la Couronne ou l’obligation fiduciaire n’étayait donc pas la revendication par les Lax Kw’alaams d’un accès à la pêche commerciale, qui aurait priorité sur celui des pêcheurs non autochtones.

B. Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Newbury, Chiasson et Bennett), 2009 BCCA 593, 281 B.C.A.C. 88

[32] La Cour d’appel a rejeté l’appel. Selon la juge Newbury, la juge du procès a distingué avec raison la pêche à l’eulakane de celle d’autres espèces en définissant l’activité précontact (par. 42-43). Elle a statué que la nature et l’étendue de l’activité précontact dépendent des faits de l’espèce (par. 35). Comme l’arrêt R. c. N.T.C. Smokehouse Ltd., [1996] 2 R.C.S. 672, étaye la conclusion de la juge du procès selon laquelle le commerce de l’eulakane était propre à cette espèce et ne se rapportait pas à la récolte plus générale du poisson à des fins de subsistance, il serait inexact de décrire le commerce des ressources halieutiques en général comme une partie intégrante du mode de vie des Tsimshians de la côte, alors que ce commerce était relativement limité et ne touchait qu’une seule espèce (par. 38). Les autres espèces comme le saumon n’étaient récoltées qu’à des fins de subsistance et étaient tellement abondantes qu’elles n’étaient pas un objet de commerce, sauf en temps de famine (par. 2, 23, 26 et 43).

[33] Elle a conclu que la question à trancher était de savoir si la pêche commerciale procède de l’évolution logique des pratiques traditionnelles des Lax Kw’alaams qui se rapportent à la graisse d’eulakane (par. 45). Il n’existait aucune raison d’infirmer la conclusion de la juge du procès que le commerce de l’eulakane pratiqué avant le contact avec les Européens n’a pas ouvert la voie à un droit contemporain de pêcher toutes les espèces à des fins commerciales (par. 48).

[34] Quant à l’argument des « droits moindres », les Lax Kw’alaams ont soutenu que la mention du fait de [traduction] « subvenir aux besoins de leurs collectivités » était assimilable à la revendication d’un droit commercial plus restreint (par. 58-59, citant la deuxième déclaration modifiée, par. 31). Mais selon la juge Newbury, le refus de la juge du procès de prendre en considération les « droits moindres » était une [traduction] « question d’appréciation » qui relevait de sa compétence (par. 62). La juge du procès était la mieux placée pour évaluer les actes de procédure, l’argumentation et le préjudice que subiraient les autres parties.

[35] Les appelants ont mentionné plusieurs passages de leurs actes de procédure où il est fait état de la [traduction] « consommation » et de la « vente » ou du « commerce », mais la Cour d’appel a affirmé que [traduction] « le tribunal ne devrait pas avoir à assembler différentes allusions obscures faites dans un acte de procédure pour saisir ce qui est sollicité » (par. 65).

[36] Pour ce qui est de l’affirmation que, lors de l’attribution des réserves, la Couronne avait promis que les Lax Kw’alaams [traduction] « “continueraient de participer à l’industrie de la pêche avec les autres pêcheurs” — c.‑à‑d. qu’ils auraient un droit non exclusif de pêcher commercialement » (par. 76), la juge du procès a estimé qu’aucune promesse de ce genre n’avait été faite et sa conclusion que rien ne permettait d’accorder aux Lax Kw’alaams un traitement préférentiel par rapport aux pêcheurs non autochtones était tout à fait justifiée par la preuve (par. 77).

IV. Questions en litige

[37] Les Lax Kw’alaams soulèvent les questions suivantes :

1. Les juridictions inférieures ont‑elles commis une erreur en caractérisant la revendication de droits ancestraux des appelants en se fondant sur les actes de procédure plutôt qu’en analysant les pratiques antérieures au contact avec les Européens?

2. Les juridictions inférieures ont‑elles commis une erreur en isolant la pratique ancestrale du commerce de la graisse d’eulakane comme une [traduction] « pratique unique » plutôt que d’examiner de façon plus exhaustive le « mode de vie axé sur la pêche » des Tsimshians de la côte?

3. Les juridictions inférieures ont‑elles commis une erreur en refusant de déterminer si les appelants avaient établi l’existence d’un droit « moindre » de pratiquer la pêche à une échelle « modérée » de façon à en [traduction] « vendre [les produits] à autrui afin d’obtenir de l’argent, des biens ou des services dans le but de subvenir aux besoins [de leurs] collectivités » ou d’un droit ancestral de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles?

4. Les juridictions inférieures ont‑elles commis une erreur en rejetant l’allégation fondée sur l’honneur de la Couronne après avoir conclu que, lors de l’attribution des campements de pêche, la Couronne n’avait promis ni explicitement ni implicitement aux Lax Kw’alaams de leur accorder un traitement préférentiel en matière de pêche?

V. Analyse

[38] Les membres de la Première Nation des Lax Kw’alaams et leurs ancêtres vivent sur la côte nord‑ouest de la Colombie‑Britannique depuis des milliers d’années. Avant le contact avec les Européens, en 1793, leur culture et leur subsistance reposaient sur la pêche. La question principale en l’espèce est de savoir si les pratiques, coutumes et traditions ancestrales des Lax Kw’alaams peuvent, juridiquement, servir de tremplin pour que leur soit reconnu le droit de récolter et de vendre toutes les espèces de poisson dans le cadre d’une pêche commerciale moderne — un droit qui serait garanti par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

[39] Dans une série d’arrêts rendus au cours des 15 dernières années, la Cour a élaboré le test servant à établir l’existence d’un tel droit dans le contexte d’une défense à une accusation d’infraction à un règlement : voir notamment Van der Peet; R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723; N.T.C. Smokehouse; R. c. Marshall, 2005 CSC 43, [2005] 2 R.C.S. 220 (« Marshall (2005) »); R. c. Sappier, 2006 CSC 54, [2006] 2 R.C.S. 686. En pareil cas, c’est la poursuite qui fixe les limites de la controverse en formulant l’accusation. En l’espèce, toutefois, la partie demanderesse est la Première Nation des Lax Kw’alaams et c’est à elle qu’il revenait de délimiter l’action comme bon lui semblait, dans le respect des Supreme Court Civil Rules, B.C. Reg. 168/2009.

A. La juge du procès a‑t‑elle utilisé une méthode erronée pour caractériser la revendication des Lax Kw’alaams?

[40] L’essence de l’argumentation des Lax Kw’alaams à cet égard est que, [traduction] « avant de caractériser un droit ancestral revendiqué, le tribunal doit d’abord procéder à une enquête et tirer des conclusions sur les pratiques et le mode de vie précontact du groupe de demandeurs » (m.a., par. 57 (soulignement dans l’original)). Je dirais que cette méthode est une sorte de « commission d’enquête » menée par un commissaire qui part en expédition avec, pour seule arme, un mandat très général. Outre le fait qu’elle est incompatible avec la jurisprudence qui requiert en premier lieu la « caractérisation de la revendication », la méthode apparentée à une « commission d’enquête » ne convient pas dans un procès civil, même si ce procès civil est tenu conformément à des règles interprétées de façon libérale dans les affaires autochtones, pour faciliter la résolution des controverses sous‑jacentes dans l’intérêt public.

[41] Je rejette la méthode proposée par les appelants pour trois raisons. Premièrement, elle est illogique. On évalue la pertinence de la preuve en fonction de ce qui est en litige. La déclaration (qui a été considérablement modifiée en l’espèce) définit ce qui est en litige. L’instruction d’une action ne doit pas ressembler à un voyage perpétuel du Vaisseau fantôme, dont l’équipage est condamné à errer sans fin sur les mers, sans destination précise.

[42] Deuxièmement, elle est contraire à la jurisprudence. Le juge en chef Lamer a souligné dans Van der Peet que la première tâche du tribunal est de caractériser la revendication, et ce, même dans le contexte d’une défense contre une accusation d’infraction à un règlement :

. . . dans l’appréciation de la revendication d’un droit ancestral, le tribunal doit d’abord déterminer la nature du droit revendiqué. Pour juger si une revendication satisfait au critère de la partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone qui revendique ce droit, le tribunal doit d’abord délimiter correctement ce qui est revendiqué. Il est important de bien caractériser la revendication de l’appelante, car la réponse à la question de savoir si la preuve étaye sa revendication dépend, dans une large mesure, de la nature précise de ce que la preuve vise à établir. [Je souligne; par. 51.]

[43] Troisièmement, elle va à l’encontre des règles de procédure civile applicables. Les actes de procédure servent non seulement à définir les questions en litige, mais aussi à informer équitablement les parties adverses de ce qu’on leur reproche, à établir les limites et le contexte d’une bonne gestion de l’instance préalable au procès, à fixer l’étendue de la preuve à communiquer et à établir les paramètres de la preuve d’expert. Des actes de procédure clairs minimisent le gaspillage de temps et peuvent favoriser le règlement du litige.

[44] Les Lax Kw’alaams citent les par. 24 et 46 de l’arrêt Sappier à l’appui de leur argument relatif à la « caractérisation du droit », mais j’estime que cet arrêt ne s’écarte pas de la décision Van der Peet et de celles qui l’ont suivie. Il s’agissait, dans l’affaire Sappier, d’une poursuite pour possession illicite de bois provenant des terres de la Couronne ou coupe illicite de bois sur de telles terres et la Cour s’est demandé si l’accusé pouvait établir l’existence d’un droit ancestral de se livrer à ces activités précises. Le droit ancestral revendiqué par la défense était plus large que nécessaire et son caractère général risquait d’en entraîner le rejet pour cause d’invalidité. Dans ce contexte (et dans bien d’autres poursuites), la Cour devait caractériser à nouveau le droit revendiqué et en restreindre la portée pour permettre l’utilisation d’un moyen de défense devant le tribunal, sans courir le risque qu’il s’effondre de lui‑même par suite d’une revendication excessive. Voir notamment l’arrêt Van der Peet, précisément, où l’on a restreint la revendication du droit général de pêcher commercialement parce que le poisson avait été pris en vertu d’un permis de pêche de subsistance valide et que la revendication du droit d’échanger le poisson déjà capturé « contre de l’argent ou d’autres biens » aurait suffi à obtenir un acquittement (par. 52 et 77-79). De même, dans R. c. Pamajewon, [1996] 2 R.C.S. 821, la Cour a jugé que la revendication d’un droit ancestral général « de gérer l’utilisation des terres de leurs réserves », formulée en défense à une accusation de jeu de hasard illégal dans une réserve, présentait « un degré excessif de généralité » (par. 27), c.‑à‑d. qu’elle avait une portée plus étendue que nécessaire pour faire échouer la poursuite. L’accusation de jeu de hasard illégal pouvait être contrée par le droit plus restreint « de participer à des activités de jeux de hasard à gros enjeux dans la réserve et de réglementer ces activités » (par. 26). La Cour a conclu, en définitive, que même cette revendication plus restreinte n’était pas étayée par la preuve. La reformulation de la revendication présentée en défense dans Sappier est un autre exemple de ce courant jurisprudentiel.

[45] Je suis d’accord avec les Lax Kw’alaams dans la mesure où ils affirment que la rigidité de la forme ne doit pas l’emporter sur le fond dans les litiges sur les droits ancestraux et issus de traités. Néanmoins, les règles de pratique ordinaires offrent la flexibilité voulue. En matière civile, on modifie couramment les actes de procédure, pour les rendre conformes à la preuve, selon des modalités équitables pour toutes les parties. La juge du procès a retenu la thèse selon laquelle [traduction] « la personne qui sollicite un jugement déclaratoire doit décider quelle devrait être la teneur de la déclaration souhaitée et l’énoncer dans sa plaidoirie écrite », mais il ne convient pas d’appliquer de façon rigide cette règle par ailleurs judicieuse dans des instances longues et complexes comme celle qui nous occupe. Il se peut que la perception de l’affaire par toutes les parties soit très différente, après un mois de présentation de la preuve, de ce qu’elle était à l’origine. Lorsque cela s’avère nécessaire, il faut demander l’autorisation de modifier les actes de procédure (déclaration ou défense) pendant le procès. Il existe une abondante jurisprudence sur la procédure relative aux demandes de cette nature et sur leur résultat. Toutefois, en dernière analyse, il ne faut laisser aucun doute au défendeur quant à ce qui est demandé précisément. En l’espèce, aucune autorisation d’apporter des modifications pertinentes à la demande de redressement n’a été sollicitée au cours du procès.

[46] Compte tenu de ces considérations et du fait que l’intérêt public à régler les revendications autochtones requiert une certaine souplesse qui n’est pas toujours présente dans les litiges commerciaux ordinaires, il conviendrait que le tribunal saisi d’une revendication fondée sur le par. 35(1) adopte la démarche suivante :

1. Premièrement, à l’étape de la caractérisation, déterminer la nature exacte du droit ancestral revendiqué par la première nation à partir des actes de procédure. Préciser si nécessaire la caractérisation du droit revendiqué eu égard à la preuve selon des modalités équitables pour toutes les parties.

2. Deuxièmement, déterminer, au vu de la preuve produite au procès, si la première nation a établi chacun des éléments suivants :

a) l’existence de la pratique, tradition ou coutume précontact invoquée dans les actes de procédure pour étayer le droit revendiqué;

b) le fait que cette pratique faisait partie intégrante de la société autochtone distinctive avant son contact avec les Européens.

3. Troisièmement, déterminer s’il y a une continuité raisonnable entre le droit contemporain revendiqué et la pratique précontact qui « faisait partie intégrante » de la société. Autrement dit, le droit contemporain revendiqué est-il manifestement lié à la pratique précontact et raisonnablement considéré comme le prolongement de cette pratique? À cette étape, le tribunal doit adopter une approche libérale, mais réaliste, en associant les pratiques précontact au droit contemporain revendiqué. Comme nous le verrons, les pratiques précontact doivent mettre en jeu les éléments essentiels du droit contemporain, bien que les deux n’aient évidemment pas à être parfaitement identiques.

4. Enfin, quatrièmement, si l’on constate l’existence d’un droit ancestral de pêcher commercialement, le tribunal devra déterminer la teneur de ce droit en tenant compte des propos suivants tenus par le juge en chef Lamer dans Gladstone (quoique dans le contexte de l’application de la norme de justification établie dans Sparrow) :

Bien que je n’entende aucunement me prononcer de façon définitive sur cette question, je dirais qu’en ce qui concerne la répartition de ressources halieutiques données, une fois que les objectifs de conservation ont été respectés, des objectifs tels que la poursuite de l’équité sur les plans économique et régional ainsi que la reconnaissance du fait que, historiquement, des groupes non autochtones comptent sur ces ressources et participent à leur exploitation, sont le genre d’objectifs susceptibles (du moins dans les circonstances appropriées) de satisfaire à cette norme. Dans les circonstances appropriées de tels objectifs sont dans l’intérêt de tous les Canadiens et, facteur plus important encore, la conciliation de l’existence des sociétés autochtones avec le reste de la société canadienne pourrait bien dépendre de leur réalisation. [Soulignement et italiques dans l’original; par. 75.]

Voir aussi R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533, par. 41.

[47] À mon avis, la juge du procès a employé la bonne méthode pour caractériser la revendication à partir des actes de procédure et ce moyen d’appel doit être rejeté.

B. La juge du procès a‑t‑elle commis une erreur en refusant de considérer que la pêche commerciale moderne procédait de l’évolution logique du commerce de la graisse d’eulakane pratiqué avant le contact avec les Européens?

[48] La juge du procès a interprété les actes de procédure comme formant une seule revendication d’un droit ancestral existant, au sens du par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, soit le droit des demandeurs [traduction] « de récolter et de vendre à une échelle commerciale toutes les espèces de ressources halieutiques qu’ils récoltent sur les territoires qu’ils revendiquent » (par. 97). Bien que les Lax Kw’alaams aient sollicité deux déclarations distinctes, c’est à bon droit que la juge du procès les a fusionnées en une seule demande. Il est impossible de vendre du poisson sans l’avoir d’abord récolté et, selon la deuxième déclaration modifiée, la raison d’être de la récolte du poisson était sa vente à des fins commerciales. Les deux éléments de la revendication sont inextricablement liés l’un à l’autre.

[49] Si un droit ancestral est établi, il ne s’agit pas d’un droit figé depuis le contact avec les Européens : son objet et son mode d’exercice peuvent avoir évolué en fonction des faits.

[50] Pour ce qui est du mode d’exercice du droit, les tribunaux ont reconnu à maintes reprises l’évolution continue des méthodes de pêche. L’origine ancestrale des droits de pêche n’exige pas que les titulaires de ces droits, dans le nord‑ouest du Pacifique, pêchent dans des pirogues. Le commerce du saumon fumé du Pacifique à l’époque précontact (s’il est établi) ne devrait pas exclure la préparation et la vente du produit congelé depuis que les techniques de congélation sont apparues. (Tout cela, bien entendu, sous réserve de la conservation des ressources et d’autres intérêts réels et impérieux (Sparrow, p. 1108-1110; N.T.C. Smokehouse, par. 96-97).)

[51] La situation est toutefois plus complexe lorsqu’il s’agit de « l’évolution » de l’objet du droit ancestral. Par exemple, le « droit de recueillir » des baies fondé sur l’époque précontact ne peut « évoluer » jusqu’au droit de « recueillir » du gaz naturel sur le territoire traditionnel. L’extraction en surface du cuivre de la rivière Coppermine dans les Territoires du Nord‑Ouest à l’époque précontact ne peut pas, selon moi, servir d’assise à un « droit ancestral » d’exploiter une mine de diamants souterraine sur le même territoire. Bien que les tribunaux aient reconnu la nécessité de permettre l’évolution des droits ancestraux à l’intérieur de certaines limites, ces limites sont à la fois d’ordre quantitatif et qualitatif. Une « pratique autochtone antérieure à l’affirmation de la souveraineté ne peut être transformée en un droit moderne différent » (Marshall (2005), par. 50).

[52] La juge du procès était convaincue que les ancêtres des Lax Kw’alaams [traduction] « récoltaient une grande variété de ressources halieutiques et de produits de la pêche en utilisant toute une panoplie de techniques ». Les Lax Kw’alaams « ont prouvé que la récolte et la consommation des ressources halieutiques et des produits de la pêche, y compris l’accumulation de provisions pour l’hiver, faisaient partie intégrante de leur culture distinctive » (par. 494 (je souligne)). Elle a aussi conclu

[traduction] que les Tsimshians de la côte, à l’époque précontact, pratiquaient surtout une économie de subsistance, jusqu’à l’arrivée des marchands de fourrures qui ont contribué à la création de monopoles et de chefferies, [mais pratiquaient aussi] une forme de commerce au sens large avant leur contact avec les Européens. Ce commerce consistait principalement en des échanges de cadeaux entre parents lors de festins et de potlatchs, ou en des échanges de biens de luxe comme des esclaves, des objets en cuivre, du dentalium et de la graisse d’eulakane. [par. 495]

Toutefois, et c’est là le point crucial, la juge du procès a affirmé que « le commerce de quelque ressource halieutique ou autre produit de la pêche que ce soit, hormis la graisse d’eulakane », ne pouvait pas être considéré comme faisant partie intégrante de leur culture distinctive (ibid. (je souligne)). Ce commerce sporadique d’autres produits de la pêche, tel qu’il était pratiqué, était secondaire dans la société précontact et ne faisait pas de la société des Tsimshians de la côte ce qu’elle était.

[53] Les Lax Kw’alaams soutiennent que ce commerce sporadique d’autres produits de la pêche faisait tout de même partie de leur [traduction] « mode de vie » ancestral et que, pour cette raison, ils devraient être autorisés à continuer de pratiquer le commerce du poisson en général conformément à la protection accordée par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. En d’autres termes, les Lax Kw’alaams plaident que même la preuve d’un commerce sporadique pratiqué par sa société à l’époque précontact suffit pour étayer un droit contemporain de faire le commerce de « toutes les espèces de poisson », et que le test appliqué par la juge du procès était trop strict. Il devrait être suffisant de démontrer que le commerce faisait partie du « mode de vie » précontact de leurs ancêtres, peu importe qu’il en ait été un élément « distinctif » ou qu’il en ait fait « partie intégrante », comme l’exige l’arrêt Van der Peet.

[54] Les Lax Kw’alaams s’appuient sur les mentions du « mode de vie » qui figurent aux par. 24 et 40 de l’arrêt Sappier. Il ne faut toutefois pas interpréter la mention, dans cet arrêt, d’un « mode de vie » précontact comme une dérogation au critère de la « culture distinctive » énoncé dans Van der Peet, où le juge en chef Lamer a dit :

Pour satisfaire au critère de l’élément faisant partie intégrante d’une culture distinctive, le demandeur autochtone doit non seulement démontrer qu’une coutume, pratique ou tradition était un aspect de la société autochtone à laquelle il appartient ou qu’elle y était exercée, mais en outre [que la coutume, pratique ou tradition] était un élément fondamental et important de la culture distinctive de cette société. Autrement dit, il doit établir que la coutume, pratique ou tradition était l’une des choses qui rendaient la culture de la société distinctive — que c’était l’une des choses qui véritablement faisaient de la société ce qu’elle était. [Premier soulignement ajouté; deuxième soulignement dans l’original; par. 55.]

La juge du procès a conclu, au vu des faits, que les Lax Kw’alaams n’avaient pas satisfait à ce critère.

[55] Les avocats des Lax Kw’alaams soutiennent que, même si le commerce précontact se limitait à la graisse d’eulakane (ce qu’ils nient), le droit contemporain ne doit pas rester « figé »; il faut plutôt lui attribuer une portée générale et reconnaître qu’il a « évolué » pour s’étendre à toutes les autres espèces de poisson et de produits de la pêche.

[56] Une telle « évolution » serait toutefois contraire à la conclusion sans équivoque de la juge du procès que les ancêtres des Lax Kw’alaams pêchaient toutes les espèces, mais qu’ils ne faisaient pas véritablement le commerce d’espèces de poisson ou de produits de la pêche autres que l’eulakane. Le fait d’étendre un droit contemporain à toutes les espèces irait directement à l’encontre de l’avis de la juge du procès que seul le commerce, « propre à une espèce », de la graisse d’eulakane faisait partie intégrante de la culture distinctive de cette société précontact. Une pêche commerciale générale constituerait un résultat différent sur le plan qualitatif de l’activité précontact sur laquelle elle reposerait censément et hors de proportion avec son importance dans l’économie précontact des Tsimshians.

[57] La teneur du débat sur le commerce « propre à une espèce » est généralement fonction des faits en cause. S’il avait été établi, par exemple, que les Tsimshians de la côte capturaient tous les poissons qu’ils pouvaient et faisaient le commerce de tous les poissons capturés et que ces activités constituaient un élément déterminant de leur culture distinctive, le tribunal ne devrait pas « figer » le droit de pêche contemporain en le restreignant aux espèces qui vivaient en 1793 dans les eaux de la côte nord‑ouest de la Colombie‑Britannique. De nouvelles espèces se sont déplacées vers le nord en raison du réchauffement des océans, et certaines des anciennes espèces ont peut‑être changé leurs habitudes migratoires pour se diriger vers l’Alaska. Il n’est pas question de faire fi de l’évolution des ressources halieutiques dans le nord-ouest du Pacifique, à moins que les faits propres à un dossier particulier ne fournissent des raisons impérieuses de le faire, comme dans le débat sur la récolte du panope du Pacifique dans Ahousaht Indian Band c. Canada (Attorney General), 2011 BCCA 237, 19 B.C.L.R. (5th) 20, sur lequel je ne me prononce pas. Cet exemple me paraît cependant fort différent de la situation qui nous occupe, où le commerce était l’exception à la pratique générale de la pêche à des fins de subsistance et où le seul objet du commerce était la graisse d’eulakane.

[58] La juge du procès n’a tiré aucune conclusion à l’égard du volume du commerce de la graisse d’eulakane à cette époque lointaine (et elle ne pouvait vraisemblablement pas le faire en raison du manque de preuve), mais la très courte durée de la saison de pêche à l’eulakane et la méthode laborieuse d’extraction de la graisse décrite précédemment permettent de supposer qu’il était très faible par rapport à l’ensemble de la pêche précontact pratiquée par les peuples vaillants et ingénieux des Tsimshians de la côte. Par conséquent, extrapoler à partir du commerce précontact de la graisse d’eulakane pour reconnaître l’existence d’un droit contemporain de pêcher commercialement serait également disproportionné, sur le plan quantitatif, par rapport à l’ensemble des activités de pêche précontact.

[59] La juge du procès a conclu que la métamorphose du commerce précontact de la graisse d’eulakane en une pêche commerciale moderne procéderait non pas d’une « évolution », mais de la création d’un droit différent. Par conséquent, la revendication ne remplissait pas les critères de partie intégrante et de continuité du test établi dans Van der Peet. La preuve étayait ces conclusions.

C. La juge du procès a‑t‑elle commis une erreur en refusant de rendre un jugement déclaratoire sur les « droits moindres et inclus »?

[60] Les Lax Kw’alaams sollicitent un jugement déclaratoire confirmant leurs droits ancestraux « moindres et inclus » de récolter toutes les espèces de poisson aux fins de consommation et de vente [traduction] « pour subvenir aux besoins de [leurs] collectivités, accumuler et générer de la richesse et maintenir et développer leur économie » (deuxième déclaration modifiée, par. 31; m.a., sous‑al. 136b)(ii)). Les Lax Kw’alaams demandent aussi un jugement déclarant qu’ils ont le droit, protégé par le par. 35(1), de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles (m.a., sous‑al. 136b)(iii)).

[61] Les différents types de pêche sont donc étalés sur une échelle, dont l’échelon inférieur correspond à la pêche de subsistance à des fins alimentaires et l’échelon supérieur à la pêche commerciale à part entière. On ne sait pas avec une certitude absolue à quel échelon se situe la pêche commerciale de « moindre » envergure. Dans son argumentation écrite finale, au procès, les Lax Kw’alaams ont décrit ce droit moindre comme [traduction] « [l]e droit de récolter toutes les espèces de ressources halieutiques sur le territoire des Lax Kw’alaams en vue de vendre ces ressources et leurs produits à une échelle commerciale pour subvenir aux besoins de la collectivité des Lax Kw’alaams, et pour accumuler et générer de la richesse » (par. 720 (je souligne)). Il s’agit donc d’un droit « moindre », mais néanmoins commercial, quoiqu’à une échelle plus modeste. Plus modeste à quel point? On ne le sait pas exactement. Les Lax Kw’alaams ont qualifié la [traduction] « quantité de ressources halieutiques nécessaires aux demandeurs pour subvenir aux besoins de leurs collectivités » de « tributaire de plusieurs facteurs, y compris de la disponibilité des ressources halieutiques et de l’existence de débouchés. Les demandeurs ont besoin de suffisamment de ressources halieutiques pour que ces ressources, une fois converties en argent, permettent à leurs collectivités de développer et de maintenir une économie prospère » (réponse modifiée, al. 57c)).

[62] J’estime qu’en rejetant la revendication du droit de pêcher commercialement « à une plus grande échelle » parce que le commerce d’autres poissons que l’eulakane ne faisait pas partie intégrante de la société précontact, la juge du procès devait également rejeter le droit commercial « moindre » de pêcher « toutes les espèces ». Le problème que lui posait ce volet de l’argument n’était pas seulement l’ampleur de la pêche commerciale, mais la question de savoir si, et dans quelle mesure, le « commerce » à l’époque précontact pouvait servir d’assise à une forme quelconque de pêche commerciale moderne — qu’il s’agisse d’une pêche commerciale à part entière ou d’une pêche de « moindre » envergure. La conclusion de la juge du procès que le commerce du poisson, hormis celui de la graisse d’eulakane, ne faisait pas partie intégrante de la société précontact des Tsimshians de la côte portait un coup aussi fatal à la revendication d’un droit commercial moindre qu’à celle d’un droit commercial plus étendu.

[63] Quoi qu’il en soit, la juge du procès a mentionné qu’[traduction] « aucune des parties n’a produit de preuve concernant une pratique précontact quelconque qui aurait consisté à subvenir aux besoins de la collectivité par un commerce de quelque envergure que ce soit » (par. 102).

[64] Selon la juge du procès, [traduction] « il est important pour l’équité du procès qu’une partie ne soulève pas, à l’étape de son exposé final, de nouvelles questions dont le tribunal n’a pas été dûment saisi » (par. 102). Le procureur général du Canada plaide que la tentative des Lax Kw’alaams de reformuler leur revendication lors de leur plaidoirie finale est inéquitable pour les raisons suivantes :

(i) Le droit de pêcher à des fins de vente à une échelle commerciale de moindre envergure n’a pas été évoqué avant la plaidoirie finale. Les observations préliminaires — écrites et orales — des Lax Kw’alaams portaient sur la pêche à des fins commerciales.

(ii) Les précisions fournies par les avocats des Lax Kw’alaams portaient sur la pêche à « l’échelle commerciale », définie comme [traduction] « l’échange à grande échelle de ressources halieutiques contre de l’argent, des biens ou des services » (réponse modifiée, al. 54d) (je souligne)).

(iii) Les lettres adressées à trois des experts des Lax Kw’alaams pour retenir leurs services sollicitaient leur avis respectif sur [traduction] « l’accès aux ressources halieutiques à des fins commerciales ».

(iv) Les dépositions des témoins experts et profanes concernaient la pêche commerciale à part entière.

Tout cela n’a rien de surprenant. Les avocats des Lax Kw’alaams ont sans doute conclu qu’en paraissant s’attarder sur la revendication de droits moindres, ils risquaient de donner au tribunal l’impression qu’ils doutaient des chances que la revendication par leurs clients d’un droit de pêche commerciale à part entière soit accueillie. Il n’est jamais sage de faire valoir un argument subsidiaire aux dépens de l’allégation principale, et on ne doit pas reprocher aux avocats de recourir à une tactique de longue date, si c’est vraiment ce qu’ils avaient en tête.

[65] Toutefois, sans égard aux objections procédurales du procureur général du Canada, on ne savait toujours pas ce que devait dire exactement la juge du procès dans la déclaration confirmant des « droits moindres ». La demande de redressement figurant dans la deuxième déclaration modifiée ne proposait aucune formulation pour l’énoncé d’un droit commercial « moindre », et les avocats n’ont proposé aucune formulation précise à cet égard lors de leur plaidoirie devant notre Cour ni, semble‑t‑il, devant les juridictions inférieures.

[66] La revendication d’un droit « moindre » comportait de nombreuses difficultés. Elle visait le droit de pêcher suffisamment de ressources halieutiques pour que ces ressources [traduction] « une fois converties en argent » permettent aux Lax Kw’alaams de « développer et de maintenir une économie prospère » (réponse modifiée, al. 57c)). Qu’est‑ce que cela signifie? Comment les gouvernements chargés de la mise en œuvre de ce droit s’acquitteraient‑ils de cette tâche? Indépendamment des actes de procédure et des autres objections touchant davantage le fond, aucune indication n’a été fournie quant à la norme de prospérité proposée par les Lax Kw’alaams ni quant au fondement sur lequel cette norme serait établie. Le « droit » revendiqué d’obtenir assez de poisson pour assurer une « économie prospère » a de très grandes conséquences sur la gestion des pêches. Une justification selon la norme décrite dans Sparrow n’est nécessaire qu’une fois établi un droit garanti par le par. 35(1). Or, c’est au stade de l’établissement du droit que la revendication des Lax Kw’alaams présentait des difficultés que, selon moi, la juge du procès n’avait pas à résoudre compte tenu du dossier qui lui avait été présenté.

[67] La présente espèce se distingue d’une affaire portant sur un traité, dont le tribunal peut être tenu d’interpréter les stipulations — aussi vagues soient‑elles — parce que c’est ce dont les parties ont convenu. En l’espèce, les parties n’ont convenu de rien. Même les conséquences économiques d’une pêche commerciale « de moindre envergure » peuvent être considérables, et la Couronne a le droit d’être informée de la « déclaration » dont elle est censée débattre et de mettre à l’épreuve les éléments présentés à l’appui de celle‑ci.

[68] Bref, c’est à juste titre, selon moi, que la demande par les Lax Kw’alaams d’une déclaration leur reconnaissant un droit ancestral de pratiquer une pêche commerciale « de moindre envergure » a été rejetée.

D. La juge du procès a‑t‑elle commis une erreur en n’accordant pas un permis de pêche commerciale sur le fondement de l’honneur de la Couronne?

[69] Les Lax Kw’alaams ont soutenu que la Couronne avait l’obligation implicite de préserver leur accès préférentiel à la pêche commerciale en raison de promesses, expresses ou implicites, qu’elle aurait faites lors de l’attribution des réserves. Selon les Lax Kw’alaams, l’octroi exprès par la Couronne de campements de pêche aux Tsimshians de la côte — interprété à la lumière du contexte historique ainsi que de la politique, de l’intention et des affirmations de la Couronne au cours du processus d’attribution — conférait à tout le moins implicitement aux Lax Kw’alaams le droit de profiter des possibilités de pêcher commercialement. Les Lax Kw’alaams affirment que la Couronne a attribué des campements de pêche dans le but d’inciter les tribus de la côte à compter sur la pêche commerciale comme principal moyen de subsistance, comme en font foi la note écrite en 1875 par le procureur général de la Colombie‑Britannique, George Walkem, et les directives données par le Canada à son commissaire des réserves, Peter O’Reilly.

[70] Rappelons que la juge du procès a conclu qu’aucune promesse expresse d’un quelconque droit préférentiel de pratiquer la pêche commerciale n’avait été faite (par. 515-518 et 525).

[71] En ce qui concerne les promesses implicites, les Lax Kw’alaams citent l’arrêt R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, de notre Cour. Le demandeur dans cette affaire était accusé de plusieurs infractions relatives à la pêche et à la vente d’anguilles. Il était question d’un traité de paix conclu au XVIIIe siècle entre les Mi’kmaq et la Couronne dans lequel les Mi’kmaq acceptaient de faire commerce exclusivement aux maisons de troc britanniques. M. Marshall a soutenu en défense que son droit issu d’un traité le soustrayait à l’application des règlements d’application de la Loi sur les pêches. L’existence du traité ne faisait aucun doute; c’est l’interprétation du traité qui était en litige. Les juges majoritaires de la Cour ont conclu que le traité doit être interprété de manière à « donner sens et substance aux promesses faites par la Couronne » (par. 52). Il serait déraisonnable d’interpréter le traité comme accordant un droit de commercer tout en ne permettant pas l’accès aux ressources devant faire l’objet du commerce. Il existait donc nécessairement une promesse implicite d’autoriser les Mi’kmaq à pêcher à des fins commerciales pour se procurer des « biens nécessaires » (par. 59 et 66). Le tribunal était tenu de donner un sens au terme « biens nécessaires » sur lequel on s’était entendu lors des négociations menées en 1760 et 1761 en vue de conclure un traité.

[72] Aucun traité n’a été signé en l’espèce. La juge du procès a conclu qu’aucune promesse n’a été faite. À son avis, lors de l’attribution des réserves, la Couronne n’a jamais eu l’intention d’accorder aux Lax Kw’alaams un droit de pêche préférentiel. Les Lax Kw’alaams devaient recevoir le même traitement que les autres pêcheurs. D’après la juge du procès, cette intention a été exprimée sans équivoque aux Lax Kw’alaams, et la Couronne ne s’est jamais engagée, par ses propos ou sa conduite, à agir autrement (par. 515 et 517). Les arguments des Lax Kw’alaams fondés sur des obligations fiduciaires ou l’honneur de la Couronne doivent forcément être rejetés puisqu’il n’existe aucun fondement factuel pertinent sur lequel les appuyer.

VI. Dispositif

[73] Beaucoup de temps et de ressources ont été consacrés pendant un an à l’instruction de la question de la pêche commerciale. Même si le peuple des Tsimshians de la côte pratique depuis longtemps la pêche sur les côtes de ce qui est maintenant la Colombie‑Britannique, la preuve a convaincu la juge du procès que ce n’était pas un peuple de commerçants, sauf dans le domaine limité, propre à une espèce, de la graisse d’eulakane. Cela ne veut pas dire que le par. 35(1) ne garantit aucun droit aux Lax Kw’alaams. Leur revendication d’un titre aborigène n’a pas encore été tranchée. En attendant qu’elle le soit, les Lax Kw’alaams détiennent, selon le dossier, un permis de pêche autochtone leur permettant de prendre du poisson à des fins alimentaires et rituelles.

[74] Il faut rejeter le pourvoi, mais sans dépens, comme devant les juridictions inférieures.

ANNEXE

Tribu des Ginaxangiik

Tribu des Gitandoah

Tribu des Gitwilgiots

Tribu des Git’tsiis

Tribu des Gitnadoiks

Tribu des Gispaxloats

Tribu des Gitlan

Tribu des Gitzaxlaal

Tribu des Gitlutzau

Pourvoi rejeté.

Procureurs des appelants : Ratcliff & Company, North Vancouver.

Procureur de l’intimé le procureur général du Canada : Ministère de la Justice Canada, Vancouver.

Procureur de l’intimée Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie‑Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureurs de l’intervenante la Bande de Metlakatla : Mandell Pinder, Vancouver.

Procureur des intervenantes B.C. Wildlife Federation et B.C. Seafood Alliance : J. Keith Lowes, Vancouver.

Procureurs de l’intervenante la Nation Gitxaala : Woodward & Company, Victoria.

Procureurs de l’intervenante l’Association du traité des Te’Mexw : Janes Freedman Kyle Law Corporation, Victoria.


Synthèse
Référence neutre : 2011 CSC 56 ?
Date de la décision : 10/11/2011
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit des Autochtones - Droits ancestraux - Pêche - Nature de la pratique précontact - Évolution de la pratique précontact - Premières nations revendiquant des droits de récolte et de vente commerciales de toutes les espèces de poisson vivant dans leurs eaux traditionnelles - Le commerce précontact d’un produit de la pêche particulier peut‑il avoir évolué jusqu’à une pêche commerciale moderne? - Loi constitutionnelle de 1982, art. 35(1).

Procédure civile - Actes de procédure - Litige sur les droits ancestraux - La revendication d’un droit ancestral doit‑elle être caractérisée sur le fondement des actes de procédure ou d’une enquête plus générale? - Une déclaration reconnaissant un droit « moindre » a‑t‑elle été dûment demandée dans la plaidoirie écrite?.

Droit des Autochtones — Obligation fiduciaire — Les données historiques étayent‑elles l’existence d’une obligation fiduciaire de reconnaître aux demandeurs le droit de pratiquer une pêche commerciale moderne?

Le pourvoi porte sur la revendication, par les Lax Kw’alaams et d’autres premières nations (« Lax Kw’alaams ») — dont les terres ancestrales s’étendent le long de la côte nord‑ouest de la Colombie‑Britannique entre les estuaires de la rivière Nass et du cours inférieur de la rivière Skeena — , du droit de récolter et de vendre commercialement « toutes les espèces de poisson » vivant dans leurs eaux traditionnelles. Pareille pêche autochtone serait protégée par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Avant le contact avec les Européens, la subsistance et la culture de la société reposaient sur la pêche. Elle pratiquait une économie de subsistance et se livrait à une forme de commerce — principalement des échanges de cadeaux entre parents lors de festins et de potlatchs, ou des échanges de biens de luxe. La récolte et la consommation du saumon, du flétan, de la rogue de hareng, des algues, des crustacés et de l’eulakane faisaient partie intégrante de leur culture distinctive, mais il a été statué que le commerce du poisson ou des produits de la pêche, sauf celui d’une graisse extraite d’un poisson qui ressemble à l’éperlan, l’eulakane ou poisson‑chandelle (parce qu’on peut le brûler comme une chandelle une fois séché), ne faisait pas partie intégrante de la culture distinctive de la société précontact. La graisse d’eulakane servait à conserver des denrées périssables comme les baies et on lui attachait une grande valeur pour cette raison. La juge du procès a décrit le commerce d’autres espèces de poisson et produits de la pêche, tel qu’il était pratiqué, en disant qu’il « était de faible envergure et irrégulier, découlait d’occasions fortuites [. . .] et était purement accessoire aux rapports entre parents [. . .] avant [le] contact avec les Européens ».

Les Lax Kw’alaams ont non seulement revendiqué le droit à la récolte et à la vente commerciales de toutes les espèces de poisson vivant dans leurs eaux traditionnelles, mais aussi affirmé que la Couronne a une obligation fiduciaire à cet égard en raison de promesses faites lors de l’attribution des réserves dans les années 1870 et 1880. Enfin, vers la fin du procès, ils ont revendiqué ce qu’ils ont qualifié de droits ancestraux moindres, notamment le droit de pêcher suffisamment de poisson pour que ces prises, « une fois converties en argent », leur permettent de « développer et de maintenir une économie prospère » et le droit de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles.

La juge du procès n’était pas convaincue que les coutumes, pratiques et traditions précontact étayaient l’existence d’un droit ancestral à des activités commerciales et elle a rejeté les revendications. La Cour d’appel était d’accord avec elle et elle a rejeté l’appel.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

Les pratiques, coutumes et traditions de la société précontact ne peuvent servir de tremplin, sur le plan de la preuve, à un droit ancestral protégé constitutionnellement de récolter et de vendre toutes les sortes de poisson par la pratique d’une pêche commerciale moderne. La société précontact n’était pas un peuple qui faisait du commerce, sauf en ce qui concerne la graisse d’eulakane. La juge du procès a conclu que le commerce sporadique des autres produits de la pêche, tel qu’il était pratiqué, était accessoire à la société précontact et ne faisait pas d’elle ce qu’elle était.

Les Lax Kw’alaams soutiennent que les juridictions inférieures ont utilisé une méthode erronée pour caractériser la revendication et que, par conséquent, elles n’ont pas analysé de façon exhaustive la preuve produite pour l’étayer. Selon eux, « avant de caractériser un droit ancestral revendiqué, le tribunal doit d’abord procéder à une enquête et tirer des conclusions sur les pratiques et le mode de vie précontact du groupe de demandeurs ». Cela est inexact. Le tribunal saisi d’une revendication fondée sur le par. 35(1) doit commencer par caractériser le droit ancestral revendiqué à partir des actes de procédure. Tirer des conclusions sur le mode de vie précontact du groupe de demandeurs avant de caractériser le droit revendiqué — soit, suivre la méthode apparentée à une « commission d’enquête » — ne convient pas dans un procès civil, même dans les affaires autochtones où les règles de procédure sont interprétées de façon libérale, pour faciliter la résolution des controverses sous‑jacentes dans l’intérêt public. Appliquer cette méthode serait illogique, en discordance avec la jurisprudence et contraire aux règles de procédure civile applicables. Bien que les règles de pratique ordinaires offrent la flexibilité voulue (y compris par la modification des actes de procédure), il ne faut laisser aucun doute au défendeur quant à ce qui est demandé précisément. Une fois la revendication caractérisée, le tribunal doit déterminer si la première nation a établi l’existence de la pratique, tradition ou coutume précontact invoquée dans la procédure écrite et le fait que cette pratique faisait partie intégrante de la société distinctive avant son contact avec les Européens. Ensuite, le tribunal doit déterminer, en adoptant une approche libérale, mais réaliste, s’il y a une continuité raisonnable entre le droit contemporain revendiqué et la pratique précontact faisant partie intégrante de la société. Enfin, si l’on constate l’existence du droit revendiqué, il faut en déterminer la teneur en tenant compte des objectifs de conservation et des autres objectifs pertinents.

En l’espèce, la tentative d’instaurer une pêche commerciale moderne sur un fondement aussi étroit que le commerce ancestral limité de la graisse d’eulakane ne comporte pas la continuité et la proportionnalité voulues. Bien qu’un droit ancestral soit susceptible d’évoluer, quant à son objet et à son mode d’exercice, la revendication en l’espèce d’un droit de pêche commerciale générale créerait un droit différent du commerce précontact de la graisse d’eulakane sur les plans qualitatif et quantitatif. Sur le plan qualitatif, le commerce d’autres espèces de poisson ou produits de la pêche que la graisse d’eulakane était accessoire à la société précontact. Il ne suffit pas de démontrer qu’une certaine forme de commerce faisait partie du mode de vie précontact, si elle n’en était pas un élément distinctif ou n’en faisait pas partie intégrante. Une pêche commerciale générale constituerait un résultat différent sur le plan qualitatif de l’activité précontact sur laquelle elle reposerait censément et hors de proportion avec son importance dans l’économie précontact. Sur le plan quantitatif, la courte durée de la saison de la pêche à l’eulakane et la méthode laborieuse d’extraction de la graisse avaient une valeur limitée par rapport à l’ensemble de la pêche précontact pratiquée par le peuple précontact vaillant et ingénieux.

En ce qui concerne la revendication de droits moindres, la conclusion que le commerce du poisson, hormis celui de la graisse d’eulakane, ne faisait pas partie intégrante de la société précontact portait un coup aussi fatal à cette revendication qu’à celle d’un droit commercial plus étendu. De plus, si la revendication de droits moindres avait été justifiée, elle comportait de nombreuses difficultés. La Couronne avait le droit d’être informée correctement de ce qui était demandé et de mettre à l’épreuve les éléments présentés à l’appui, mais les actes de procédure et la preuve étaient centrés sur la revendication du droit de pêcher commercialement, et non de droits moindres. On ne savait pas avec certitude ce que signifiait la revendication, comment elle serait mise en œuvre, quelle était la norme de prospérité proposée ni sur quel fondement elle serait établie. Toutes ces questions avaient de très grandes conséquences sur la gestion des pêches.

En ce qui a trait à la revendication du droit ancestral de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles, les Lax Kw’alaams détiennent actuellement des permis de pêche communautaires des Autochtones à ces fins. Leur droit ne semble pas être litigieux et, comme en règle générale les tribunaux ne font pas de déclaration en l’absence de litige actuel, le refus de faire pareille déclaration relevait du pouvoir discrétionnaire de la juge du procès.

Les arguments fondés sur des obligations fiduciaires ou l’honneur de la Couronne doivent forcément être rejetés puisqu’il n’existe aucun fondement factuel pertinent sur lequel les appuyer. La Couronne n’avait fait aucune promesse expresse ou implicite d’un quelconque droit préférentiel de pêcher commercialement et avait exprimé sans équivoque son intention d’accorder aux pêcheurs autochtones le même traitement qu’aux autres pêcheurs.


Parties
Demandeurs : Bande indienne des Lax Kw'alaams
Défendeurs : Canada (Procureur général)

Références :

Jurisprudence
Distinction d’avec les arrêts : R. c. Sappier, 2006 CSC 54, [2006] 2 R.C.S. 686
R. c. Pamajewon, [1996] 2 R.C.S. 821
arrêts mentionnés : R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075
R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507
R. c. N.T.C. Smokehouse Ltd., [1996] 2 R.C.S. 672
R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723
R. c. Marshall, 2005 CSC 43, [2005] 2 R.C.S. 220
R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533
Ahousaht Indian Band c. Canada (Attorney General), 2011 BCCA 237, 19 B.C.L.R. (5th) 20
R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456.
Lois et règlements cités
Loi constitutionnelle de 1982, art. 35(1).
Supreme Court Civil Rules, B.C. Reg. 168/2009.
Doctrine citée
Mitchell, Donald, and Leland Donald. « Sharing Resources on the North Pacific Coast of North America : The Case of the Eulachon Fishery » (2001), 43 Anthropologica 19.

Proposition de citation de la décision: Bande indienne des Lax Kw'alaams c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 56 (10 novembre 2011)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2011-11-10;2011.csc.56 ?
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